L'Ancien
Royaume du Dahomey
Royaume du Dahomey Mœurs, Religion, Histoire
Administrateur des Colonies
Ja ô PARI S
EMILE LAROSE, LIBRAIRE-ÉDITEUR ii, Rue Victor-Cousin, i i
BIBLIOTHEQUE NATIONALE
CENTRE DE PRÊT “ • Réf. Postale 1^1^ 78011 V- R SAILLES ÇEDEX
L'Ancien
PAR
A. LE HÉRISSÉ
A MONSIEUR LIOTARD
Gouverneur de première classe des Colonies
Ancien Gouverneur du Dahomey
Témoignage de profonde admiration
pour son œuvre coloniale et de
respectueuse reconnaissance.
AVERTISSEMENT
Ce qu'on appelle aujourd'hui le cercle d'Abomey est le cœur de l'ancien royaume du Dahomey (Danhomé). Celui-ci n'a formé qu'une bien faible partie de notre jeune colonie, pourtant il lui a donné son nom. On a voulu ainsi consacrer le souvenir de sa conquête, qui non seulement a coûté beaucoup de sang et de difficultés, mais surtout a marqué une ère nouvelle pour nos établissements du golfe du Bénin.
Le royaume du Dahomey méritait l'honneur de tenir la première place parmi les peuplades, ses voisines, groupées désormais sous l'autorité civilisatrice de la France. Par son organisation, vraiment extraordinaire pour un pays noir, il les avait déjà surpassées de beaucoup, alors qu'elles ne formaient encore que des confédérations de tribus sans grande cohésion et sans autres institutions que celles qu'on retrouve dans tous les groupements familiaux primitifs. Ses rois, dont l'autorité justement redoutée ne s'employait pas uniquement, quoi qu'on pense, à un arbitraire brutal et irraisonné, avaient su lui donner une administration fortement hiérarchisée, une armée permanente et des embryons de services douanier et judiciaire.
Nous n'avons pas connu cet ancien Danhomé et c'est
pourtant de lui presque exclusivement que nous allons entretenir le lecteur. Après cinq années vécues à Abomey, la ville de ses souvenirs, nous croyons, en effet, avoir rassemblé assez d'observations et de récits se rattachant aux mœurs, à la religion de ses habitants et à son histoire, pour pouvoir en donner une monographie aussi documentée que possible.
Au moment où nous l'avons détruit, le royaume du Dahomey occupait un territoire qu'il avait conquis pied à pied, dans l'espace de trois siècles. En profondeur, il s'étendait sur plus de 200 kilomètres, depuis la mer jusqu'aux Monts des Mahis en largeur, il ne dépassait pas les deux lignes, presque parallèles, du Koufo à l'ouest et de l'Ouèmè à l'est. Bien qu'il put paraître avoir atteint ainsi ses limites naturelles, on était autorisé à penser qu'il n'eût pas tardé à s'étendre davantage vers l'Est. Sa lutte contre les nagots d Abéokouta, que nous avons interrompue, n'était qu'une reproduction en agrandissement de ses combats contre les tribus qu'il avait asservies pour se constituer. Les uns après les autres, les petits royaumes qui le séparaient de ses puissants rivaux, se voyaient attaqués, détruits ou absorbés et, chaque année, la puissance des rois d'Abomey pénétrait plus avant vers Abéokouta. Toutefois nous doutons que, même dans l'hypothèse d'une victoire définitive, les Dahoméens eussent réussi à imposer leur domination jusqu'aux portes de la grande ville nag-ote car celle-ci était la citadelle avancée d'un pays plus peuplé que le Dahomey, de langue et de mœurs différentes.
D'autre part la formation du royaume dahoméen, telle qu'elle s'était poursuivie jusqu'ici, par l'accolement succes-
sif de peuplades de même langue, n'était pas encore terminée. Il y avait là un champ d'action moins hasardeux que la recherche d'une domination sur des races étrangères et les rois d'Abomey y auraient trouvé aisément la réalisation de leur devise « Faire un Danhomé toujours plus grand». Déjà des principes de querelles se dessinaient violents entre la famille royale d'Abomey et celle de Porto-Novo, issues d'une souche commune, et il est hors de doute que cette dernière eut été absorbée tôt ou tard sans notre intervention. Sur l'Ouèmè et le lac Nokouè, des villages immenses s'étaient construits sur pilotis pour échapper aux incursions des guerriers dahoméens mais leur résistance ne pouvait durer longtemps encore, vu leur manque total d'organisation. Dans les marais de la Lama, aux bords du Koufo, les Tchinous n'étaient pas encore complètement soumis et, plus au sud, les Ouès n'étaient même pas entamés. Enfin, dans le pays Adja, entre le Mono et le Koufo, les rois dahoméens ne possédaient que la petite enclave d'Adja-Honmc échue à leur famille par un mariage, tandis que les nombreuses tribus disséminées sur ce territoire continuaient à bénéficier d'une sorte d'immunité due à leur parenté avec les fondateurs du royaume d'Abomey.
Dans la monographie du Dahomey, que nous offrons, on remarquera une partie historique qui iiohs a été donnée entièrement par un chef de canton, nommé Agbidinoukoun. Si elle n'est pas plus étendue, la faute en revient non pas à notre narrateur mais à nous-même, qui avons estimé ne pas devoir faire appel davantage à son savoir, dans la crainte de surcharger de détails infimes une exposition suffisamment fouillée déjà.
En outre de la traduction de ces récits historiques notre travail personnel a porté principalement sur l'étude des coutumes dahoméennes dans la société et dans la famille. Nous avons groupé les résultats de nos investigations en chapitres intitulés Hiérarchie sociale et administrative justice armée revenus royaux religion culte des morts constitution de la famille unions maternité et enfance propriété auxquels, pour compléter le tableau de la mentalité dahoméenne, nous avons ajouté quelques légendes, chansons et contes ainsi que des reproductions de dessins, de sculptures ou d'objets usuels.
Nous remercions ici les chefs et les notables du cercle d'Abomey du précieux concours qu'ils nous ont apporté dans nos recherches. Aho, Dégan, Zodiougan, Ouanilo fils de Glélé, ne nous ont pas été moins utiles que Fyogbè, originaire des pays Mahis et ancien dignitaire de Béhanzin que Tokoudagba, ancien chef de guerre qu'Houn-Ouanou et Dosou, simples miliciens qu'Aouagbé, fils de Béhanzin et maintenant milicien dévoué que Pélipézè et Zempé, anciens serviteurs du roi. La liste serait trop longue des collaborateurs qu'il nous faudrait nommer. C'est en effet en causant avec tous que nous avons appris à connaître le Dahomey ainsi qu'à nous attacher à ses habitants.
CHAPITRE PREMIER
LA SOCIÉTÉ
Avant l'occupation française la population dahoméenne se divisait en quatre classes les princes, les grands dignitaires, les gens du peuple et les esclaves. Tous étaient Danhomènou, gens ou choses du Dahomey et le Dahomey appartenait au roi.
Le roi « Dada » Nous entendons encore l'accent de vénération mêlée de terreur avec lequel les vieux Dahoméens prononcent ce mot Pour eux, il synthétise les idées de richesse, de grandeur et de puissance il résume tous les souvenirs de la gloire guerrière du Dahomey et des fêtes magnifiques d'horreur où coulait le sang des victimes humaines. Dada, c'est le maître absolu pour qui chaque année il fallait partir en guerre et au nom duquel les jeunes filles étaient enlevées à leurs parents pour grossir le harem du palais Dada, c'est aussi l'arbitraire De par la volonté royale, le cultivateur paisible était dépouillé de sa palmeraie au profit d'une créature du roi ou jeté dans les cachots, victime d'un jaloux qui avait su inventer contre lui un crime de lèse-majesté. Dada c'est la Force devant
laquelle le nègre n'avait qu'à plier l'échiné c'est l'Idole que le Dahoméen n'osait aborder que le front prosterné dans la poussière. Dada! frappe pille! Tu en as le droit. Tu es le roi et le Dahoméen est ta chose
La royauté dahoméenne était héréditaire de mâle en mâle et par ordre de primogéniture.
L'exclusion du pouvoir des femmes et de leur descendance, même masculine, paraît toute naturelle chez un peuple où l'élément féminin est incapable d'hériter, non pas tant à cause de sa condition très inférieure que parce qu'il pourrait faire passer des biens familiaux chez des étrangers et nuire ainsi au développement de la collectivité paternelle. Cependant, à l'aube de l'histoire des « Aladahonou » (ainsi s'appelle la famille royale) (1), alors qu'ils n'étaient pas encore arrivés sur le plateau d'Abomey, on les voit, dans leur intérêt du moment, tenter de transgresser cette loi en revendiquant la succession au trône des « AdjasSadonou », tribu dont ils descendaient par les femmes. Plus tard, deux règnes après la fondation du Dahomey, un précepte religieux les contraignit à admettre une reine. La royauté était échue à « Akaba » qui avait une sœur jumelle. Or la religion dahoméenne recommande de traiter les jumeaux d'égale façon. La sœur d'Akaba régna donc en même temps que lui, mais avec une autorité très réduite.
(i) Le lecteur doit remarquer ce mot « Aladahonou » (gens d'Alada), (lue nous aurons souvent occasion d'employer pour désigner la famille royale d'Abomey surtout dans les premiers temps de son séjour sur le plateau d'Abomey et avant ta fondation du Dahomey.
Ce fait occasionna à son tour une nouvelle dérogation au principe d'hérédité par ordre de primogéniture. Traiter les jumeaux d'égale façon, c'était admettre leurs descendances à l'héritage de la souveraineté et entraîner le partage du Dahomey naissant. Akaba comprit le danger: aussi désignat-il comme héritier son frère cadet, en énonçant cette sentence très sage « Deux ne peuvent dominer en même temps ».
Il ne convient pas de prendre dans un sens absolu l'ordre de primogéniture adopté pour l'hérédité dans la famille royale. D'abord aucun des enfants nés des épouses royales d'origine princière ne pouvait émettre de prétention au trône. Avec ces femmes, en effet, le roi n'était jamais sûr de sa paternité, car on tenait leur adultère pour galanterie pardonnable, tandis que les plus cruels tourments ou la mort étaient réservés à l'infidélité des épouses d'une autre condition. Etaient encore exclus de la souveraineté les enfants nés au roi, alors que lui-même, héritier présomptif, n'avait pas encore reçu de son père les dix ou vingt femmes avec lesquelles il devait créer sa lignée. Ces enfants étaient, en quelque sorte, placés dans la même situation que ceux issus des mariages morganatiques européens.
Enfin la voix du Destin, du Fa, habilement consulté par le sorcier (Bokonon) du palais, intervenait pour permettre au souverain régnant d'écarter celui de ses fils qui par droit de naissance aurait pu devenir roi, mais qu'il jugeait manquer du caractère ou des qualités requises pour gouverner. Parfois aussi, le nom porté par un prince suffisait à lui enlever tous ses droits au trône. Il y a en effet des noms maudits, des princes, par leur révolte, ayant attiré la malé-
diction d'un roi non seulement sur leur personne mais sur tous ceux qui s'appellent comme eux. Tègbésou (5* roi), par exemple, flétrit publiquement son frère Topa et déclara indignes de régner les Topa de l'avenir. Or les noms sont donnés après consultation de Fa (le destin) et indiquent l'ancêtre protecteur de l'enfant. L'imposition d'un nom maudit devient dès lors une prédestination à la déchéance. Une dernière condition, qui nous a été donnée au sujet d'un successeur possible de Béhanzin, exige que le souverain meure en fonctions et soit enterré au palais, pour pouvoir donner à l'un de ses fils le droit de lui succéder. Pour un souverain, ne pas mourir en fonction suppose qu'il s'est rendu indigne du commandement par ses vices, comme Adanzan, ou par une défaite, comme Béhanzin. Le Dahomey s'est brisé entre les mains de Béhanzin sa descendance doit en expier la faute, tandis qu'il appartient à l'un de ses frères cadets de relever la royauté. Bien belle idée, si elle n'a pas été inventée par les fils de Glèlè pour les besoins de leur cause.
Ainsi donc la royauté était dévolue, sauf décision contraire du sort, au premier enfant mâle né d'une des femmes de sang non royal que le roi avait reçues de son père pour constituer sa maison (1).
Après avoir définitivement choisi son héritier et l'avoir présenté aux grands chefs et à toute sa famille, le roi lui confiait les secrets de la royauté. Il lui contait d'abord certaines traditions cachées sur les origines de la tribu des (1) La première fille née d'une de ces femmes était donnée en mariage au Migan, le premier ministre; la seconde au Méhou, deuxième ministre.
Aladahonou. Il lui montrait aussi le Dahomey, petite amulette que personne, autre que les rois, n'a jamais vue. Cette amulette c'est Béhanzin qui, parait-il, l'a emportée dans son exil et le roi Ago-li-Agbo, faute de l'avoir eue en sa possession, n'a pas pu conserver la royauté que les Français lui avaient conférée.
Entre temps, le roi faisait construire à l'héritier présomptif, au Vi-Daho (1), des cases entourées de hautes murailles (2). Il lui donnait des femmes, des esclaves, des palmiers 1 il l'autorisait à recevoir hors de sa présence certains honneurs royaux et lui concédait une sorte de droit d'asile ou plutôt de droit de grâce en faveur de ceux qui, poursuivis par la justice, réussissaient à obtenir sa protection.
Le Prince héritier s'élevait ainsi par degrés au-dessus de ses frères, en science, en richesse et en honneurs mais le roi le dominait encore de tout le prestige de l'acte mystérieux qu'il avait accompli à Allada aussitôt après son avènement.
Les choses les plus simples deviennent sujet de vénération pour le Dahoméen, quand elles demeurent cachées ou s'accomplissent dans l'ombre et le mystère. Le voile du temple fétiche ne dérobe aux regards qu'un monticule de terre glaise, des ossements et des poteries ces objets ont pourtant une grande attirance sur la foule, parce que per(1) Vi-daho signifie fils aîné.
(2) Entre la gare de Bohicon et Abomey on voit encore les ruines du palais de Djimè qu'habitait Béhanzin, alors qu'il n'était que le prince Kondo. A Djègbè demeurait Glélé avant d'être roi à Glèkon-Hounli, le roi Ghézô, etc.
sonne n'a vu le féticheur les placer là et que personne ne sait ni quelles paroles il a prononcées ni quelles cérémonies il a faites pour attirer la divinité en eux.
Prestige du mystérieux Les rois dahoméens étaient convaincus de sa nécessité pour commander souverainement. Aussi à eux seuls était réservée la vue d'Adjahouto, le plus grand fétiche des Aladahonou avec Agasou. Qu'est-ce donc qu'Agasou et Adjahouto ? On conçoit aisément que des éclaircissements ne nous aient pas été donnés volontiers à ce sujet. Cependant nous avons pu établir à peu près certainement, et nous l'avons raconté autre part, qu'Agasou est une panthère, totem des Aladahonou, leur ancêtre divinisé, leur « tohoui » suivant l'expression dahoméenne, et qu'Adjahouto est le fils ou le petit-fils de cette panthère, divinisé par ses descendants lors de leur arrivée à Allada.
Au cours de sa visite à « Adjahouto » et des fêtes qu'il donnait en l'honneur de ce grand fétiche, le monarque se faisait tatouer les marques royales, cinq mouchetures sur chaque tempe et trois au front. Les cinq cicatrices des tempes ressemblaient à des coups de grilies et rappelaient ainsi la panthère, ancêtre du roi. C'était là le véritable tatouage distinctif de la tribu des « Aladahonou ». Les princes ne l'ont jamais figuré entièrement sur leur visage ils ne devaient porter et ils ne portent encore que trois cicatrices sur les tempes. Ainsi le prestige du roi se trouvait augmenté et le totem demeurait secret.
Tenir caché le totem parait être la grande préoccupation en la circonstance. Le roi en effet après avoir été tatoué après avoir revêtu son vêtement, comme on disait ne
pouvait plus être regardé en face par ses sujets l'ami qu'il avait emmené à Allada pour lui inciser les tempes et le front devait garder le secret sous peine de mort. Un des rois, Tégbésou, le cinquième de la dynastie, jugea incommode de demeurer ainsi presque invisible a ses sujets; il changea la coutume. Pour ce, il désigna quelqu'un (1) à qui il fit faire les tatouages royaux et qui en supporta toutes les conséquences.
Au moment de son couronnement, c'est-à-dire trois jours après la mort de son père, le roi paraissait devant son peuple accouru en foule sur la grande place du palais. Il prononçait alors le nom qu'il s'était choisi lui-même et sous lequel on devait désormais le désigner, à l'exclusion complète de celui qu'il portait comme prince héritier. De tous les noms que les rois se sont ainsi donnés les Européens et même la plupart des Dahoméens connaissent seulement quelques syllabes. En elles-mêmes elles n'ont aucun sens. Elles forment un mot, le premier ou le plus important d'une phrase imagée, sorte d'allégorie qui rappelle un fait (1) Cet homme, originaire de Dô-ouimê, près d'Abomey, devint « Adjahoutonon n, c'est-à-dire grand féticheur d'Adjahouto. Comme tout félicheur il eut la tête coiffée d'un foulard blanc. Il demeura à Allada, mais n'eut rien à faire avec la province et resta invisible aux simples dahoméens. Tous les individus qui ont occupé cette dignité ont été des descendants du premier Adjahoutonon. – Quand Béhanzin, allant combattre les Français, passa par Allada, il ne manqua point de visiter un aussi illustre personnage. Mais ce même personnage fut un des premiers à se rallier à notre cause. Les Français le firent roi sous le nom de Gigla et reconstituèrent sous son autorité l'ancien royaume d'Aïda ou d'Allada dont les fondateurs s'étaient séparés et qu'ils avaient ensuite placé sous leur sceptre. Gigla devenu roi, et, comme tel, obligé de se montrer en public, ne pouvait plus rester Adjahoutonon. Un autre fut désigné par les Dahoméens.
notable et personnel ayant précédé le règne ou qui exprime l'impuissance des intrigues et des luttes contre celui destiné à la royauté.
Au cours de leurs règnes, les rois prenaient d'autres noms pour commémorer une guerre heureuse ou tout autre événement important.
Enfin tous tenaient à indiquer dans une courte allégorie qu'ils avaient augmenté leur patrimoine, accru la puissance du Dahomey et qu'ainsi ils n'avaient pas failli à la devise de leur race « toujours plus grand », devise qui se rend par cette image « Le foyer sur lequel on cuit les jarres croît sans cesse en hauteur ».
Ceci posé, nous nous proposons d'expliquer le premier nom ainsi que la devise de chaque roi dans l'ordre chronologique. Nous interpréterons aussi ses armoiries, quelquefois véritables rébus, le plus souvent simple reproduction d'un objet ou d'un animal présenté dans un des noms allégoriques du souverain. Les armoiries étaient figurées en basreliefs sur certains murs du palais ou sculptées sur les hâtons de commandement mais elles étaient généralement mieux rendues sur les grands parasols royaux avec des découpures d'étoffes multicolores.
Premier roi. Dako (vers 1625)
Dako n'est pas à proprement parler le fondateur du Dahomey il a assisté son père dans le commandement de la tribu des Aladahonou, quand elle a quitté Allada et il a ensuite présidé à sa première installation sur le plateau (l'Abomey. S >n nom et ses armoiries rappellent un de ses
faits d'armes alors qu'il habitait encore Allada. Il surprit son ennemi Aïzonou-Dènou en train de préparer de l'indigo. 11 le tua, mit son corps dans une jarre à indigo qu'il fit rouler ensuite sur le sol. D'où son nom
Dako dônou e hou mê. alao zen gbligbo. Dako dônou tue et la jarre à indigo roule.
La première partie du nom, Dako dônou est représentée par un rébus inexpliqué: Da une pierre à briquet; Ko la terre, simulée par une découpure d'étoffe rouge dônou orifice d'un trou, découpée dans le morceau rouge (voir planche I).
Deuxième roi. Ol1egbadja (1650 à 1680)
Pour comprendre le nom de ce roi, il faut connaître une anecdote de sa vie alors qu'il n'était que prince héritier. En ce temps-là, il s'appelait Aho. Son père et lui revenaient d'une visite à Toouè, chez un certain Agbokanzô, chef d'une tribu amie leur hôte les reconduisait. Un coup de vent ayant emporté le chapeau de Dako, celui-ci remarqua le peu d'empressement de son fils à le relever. Agbokanzô de dire « Laisse donc cela, Dako Les poissons qui ont quitté la rivière pour vivre sur la terre, ne veulent plus rien entendre ». Aho ne répondit pas, mais, rentré dans son village, il avoua à son père que les paroles d' Agbokanzô l'avaient énormément froissé, parce qu'il en avait compris l'allégorie. « Ces paroles, dit-il, ne s'adressent pas à moi seulement elles font allusion aux migrations de notre tribu. Les gens de ce pays ne sont point contents de voir des étrangers se fixer parmi eux aussi solidement que nous le faisons ». Dako se contenta de répondre « Mon fils, je
suis satisfait de ce que tu aies compris ces choses. Nous avons eu à lutter déjà contre les gens d'Akiza et nous avons tué leur chef Akpagbo ceci n'est point pour nous gagner l'amitié des Ghédèvi».
Aho vindicatif n'oublia pas cet incident, si insignifiant en apparence. Il le rappela dans le nom qu'il prit à la mort de son père « Ollê gb'adja, ma i adja ouê ma gni aghè, ouc to ouè ouê ». « Poisson qui s'est échappé de la nasse n'y rentre plus le poisson appartient à la rivière et non pas à la terre)). Allégorie qui doit se comprendre « Je nie suis éloigné d'Agbokanzô et ne veux plus avoir rien de commun avec lui. Nous sommes des étrangers et pourtant nous sommes chez nous ici ).
D'ailleurs, afin de mieux marquer son ressentiment contre Agbokanzô, Ouêgbadja l'attaqua et le tua.
Quand Ouêgbadja eut établi sa domination sur quelques tribus voisines et, ainsi, fait davantage que son frère, il s'en félicita publiquement « L'odeur du yogbô est plus forte que celle des autres plantes » (1).
Les armoiries de Ouêgbadja sont composées d'un poisson et d'un manche de houe. Le poisson (ouê), exprime en partie le nom de ce roi et la houe rappelle qu'au temps de Ouègbadja les Dahoméens employaient leurs boucs comme massues (planche 1).
Troisième roi. Akaba (1680-1708)
Ce roi attendit longtemps la succession de son père (1) (Yogbô ma guiinladjo ouan Ko bihou). Le yogbo est une plante grimpante et très odorante.
aussi, au moment de monter sur le trône, se compara-t-il au caméléon (Akaba) qui marche lentement et atteint pourtant jusqu'au sommet du fromager, l'arbre le plus haut du Dahomey (planche XIX). Cette pensée est reproduite dans son nom, qui s'exprime Akaba lo-didé e kou nu ouê dé ghèdéhonnsou 6.
Malgré son âge déjà avancé, Akaba entreprit des conquêtes. Ses armes furent victorieuses jusque sur les bords de l'Ouémé, alors que celles de son père n'avaient pas dépassé le plateau d'Abomey. Il en fixa le souvenir dans cette allégorie « Certains arbres croissent loin des rivières le gbègbè (1), lui, y baigne sa ramure ».
Ses armoiries sont représentées par un porc, en souvenir d'une tactique que suivirent ses guerriers dans la guerre contre les gens de Dan. « Dohou, chef de Dan, raconte le chroniqueur, nous avait infligé un échec. A quelque temps de là nous allâmes durant la nuit nous poster dans les hautes herbes en avant de son village. Nous ne sortîmes de nos cachettes qu'à midi, quand personne ne nous attendait plus, et ainsi nous eûmes facilement raison de Dohou. Nous avions fait comme le porc qui, sortant de sa somnolence paisible au soleil, regarde le ciel et se met en colère » (planche I).
Quatrième roi. Agadja (1708-1728)
11 faut se rappeler que l'avènement d 'Agadja a été une transgression au principe d'hérédité de père en fils, admis pour la monarchie dahoméenne. 11 était en effet le frère d'Akaba. Son nom rappelle allégoriquement cette particula(1) Sorte de palétuvier.
rité. Naki dja ayadja, ma'gnon zô dû. « Le bois en branches ne peut être mis au feu ». Autrement dit, les fils de Ouêgbadja n'ont pas encore terminé leur carrière ils ne doivent pas encore se placer à l'écart, car ils ont un roi à donner au Dahomey.
Agadja, ayant augmenté la puissance du Dahomey chercha dans la nature une comparaison pour mieux rendre sa supériorité sur son frère Akaba. Il trouva celle-ci « Le sagbadjou ne fructifie pas au temps des haricots le sagbadjou fructifie après eux, mais produit davantage » (1). La conquête de Savi, qui étendit la domination d'Abomey jusqu'à la mer, valut à Agadja le surnom de « Dosou Hounyito » (2), Dosou le preneur de bateaux, surnom que les armoiries expriment par un bateau et une pagaie (planche I).
Cinquième roi. Tègbèsou (1728-1775)
Tegbèsou n'aurait jamais régné, si cela n'avait tenu qu'à son demi-frère, Aghidisou, dont la mère demanda contre lui l'alliance des nagots, ennemis jurés des Dahoméens. C'est sans aucun doute aux vaines intrigues de cette femme que le nouveau roi fit allusion en prenant le nom de Tegbèsou, petite plante qui pousse en dépit des feuilles qui jonchent le sol. « Ama ma gbi gbé non tègbésou (3).
(1) « Sagbajou ma sën aï-ouênou; aï e ko sën, sagbadjou e ka bo nèbo, bô sën hou aï ». Le sagbadjou est une sorte de courge sauvage et grimpante (?)
(2) Dosou est le nom que portent tous les frères puinés de jumeaux. Or Agadja était le cadet d'Akaba et de Ahangbè.
(3) Exemple de redoublement de syllabe, gbi gbé est mis pour « gbé gbé » = refuser la vie.
Mais à peine venait-il de prendre le pouvoir qu'il eut à réprimer la révolte d'un autre de ses frères, Topa. Dans les armoiries de Tegbèsou on a rappelé cette révolte inutile en figurant un bélier, auquel il est aussi impossible d'arracher le collier de poils que de ravir la royauté à un monarque. Dans ces mêmes armoiries on a voulu aussi rendre hommage aux guerriers du roi en représentant un tromblon (agbalia), nom sous lequel on les désigne communément (planche II).
Les guerriers de Tegbèsou réussirent à battre les gens de Za, contre lesquels Agadja avait vainement lutté. Ils méritèrent ainsi à leur roi le surnom de « La rivière est profonde sa profondeur n'atteint pas celle de la mer » (1). Sixième roi. Kpëngla (1775-1789)
Nous l'avons déjà dit, Tegbèsou avait dû, dès le début de son règne, châtier deux de ses frères. Ceux-ci laissaient des enfants aussi, comme au Dahomey l'idée de vengeance se transmet pendant plusieurs générations, n'est-il nullement étonnant que celui de ses fils désigné par Tegbèsou pour lui succéder fut en butte à plus d'une intrigue. Il les surmonta toutes et en prenant la royauté il se compara au caillou qui ne ressent nullement le froid de la source Sinmé kpén gla ma djè avivo.
Puis il entreprit aussitôt des guerres longues et lointaines que son père n'avait pas eu le temps de mener à bien. Elles exigèrent des soldats nombreux, plus nombreux que ceux de ses prédécesseurs. C'est pourquoi il se donna le surnom de (1) « To dé kounsô, é dè hou'ton kpô ».
« Aouandô-ouin souto » que l'on peut traduire « le fondateur de l'armée ».
Ce furent encore ses expéditions qui l'amenèrent à choisir cette devise « Le goun (1) voudrait imiter le pic-vert, mais cela lui est impossible, tandis que le courage est le partage de la panthère, si l'on remonte dans l'histoire jusqu'à Sado » (2).
Dans les armoiries de Kpëngla, un pic-vert figure une partie de cette devise et un fusil, rappelle les exploits de ses guerriers, principalement à Badagri où ils s'emparèrent d'un canon que Kpëngla avait refusé d'acheter quelque temps auparavant (planche II).
Septième roi. Agonglo (1789-1797)
« Je suis l'ananas contre jlequel la foudre ne peut rien » Agondè glo sa non. En prenant ce nom, le nouveau roi faisait allusion à un accident dont il avait failli être victime. Il s'était arrêté auprès d'un palmier pendant un orage. L'arbre avait été frappé par la foudre et lui-même n'avait ressenti aucune commotion, semblable ainsi à l'ananas (Agondè) que ne touche pas le tonnerre tombé sur l'arbre, au pied duquel il a poussé.
(1) Le « Goun » serait un passereau qui grimpe le long des arbres, mais ne peut en frapper l'écorcc comme le fait le pic.
(2) La phrase dahoméenne est plus concise que la traduction que nous en donnons. Nous avons tenu à en exprimer surtout l'idée. Phrase dahoméenne « Li djoro goun adan djoro. Kpo kaka Sado ». Le pic plalt au goun le courage plaît à la panthère jusqu'à Sado. La panthère à laquelle il est fait allusion est le totem des fondateurs du Dahomey originaires de Sado ou Tado.
C'est ce même événement que rappellent les armoiries d'Agonglo. Elles figurent une feuille d'ananas surmontée d'un fruit et un sabre à lame dentelée comme cette feuille. Le sabre fut inventé par le roi lui-même qui en arma ses guerriers.
Nons avons trouvé, sur des parasols d'Agonglo, des découpures représentant un ronier, dont le nom dahoméen ressemble à celui de l'ananas. Les armoiries gagnent peut-être ainsi en image, mais elles ne rendent plus l'anecdote que nous venons de rapporter (planche II).
Pour ne pas déroger à l'habitude des rois, Agonglo marqua, dans une courte allégorie, qu'il avait agrandi le patrimoine dahoméen et surpassé ses prédécesseurs. Il se compara à l'oiseau «la veuve», dont la queue est plus longue que celle des autres oiseaux (1).
Huitième roi Ghèzô (1818-1858)
On verra que Ghèzô n'est pas le successeur d'Agonglo. Il chassa du trône son frère Adanzan, dont les atrocités et les injustices avaient lassé les Dahoméens et dont le nom a été rayé à tout jamais de la dynastie. Il avait eu auparavant à supporter les haines des partisans d'Adanzan mais il avait résisté à toutes les attaques. Aussi quand les princes et les chefs lui offrirent le pouvoir, se choisit-il comme nom cette allégorie dédaigneuse pour ses ennemis ghèzô ma si gbé. « Le feu de l'oiseau cardinal ne peut atteindre la brousse » (2).
(l)Hè hibou va Blènon.è dèghè kè nou.
(2) Le plumage de l'oiseau cardinal est rouge.
Puis, au bout de quelques années de règne, ayant réussi à affranchir son royaume du joug des nagots, Ghèzô prit la devise suivante pour comparer son œuvre à celle de ses prédécesseurs « le marteau a son poids et l'enclume a le sien » (1).
Dans ses armoiries, figure un buffle, en souvenir d'une guerre au cours de laquelle les guerriers dahoméens traversèrent tout le pays Mahi, sans que personne n'osât les inquiéter (planche II).
Neuvième roi Glélé (1858 à 1889)
« On ne peut soulever un champ » Glèlé ma gnon zé. C'est ainsi que le fils de Ghèzô, en prenant le pouvoir, traduisit son mépris pour les attaques auxquelles il avait été en butte comme prince héritier et sa confiance dans la force nouvelle que lui conférait la royauté.
Aucun roi n'excella comme Glélé dans l'allégorie. Celles qu'il prononça sont restées populaires. Ses enfants, ses guerriers et ses chefs se plaisent encore aujourd'hui à les répéter, ne trouvant pas de meilleure façon de rendre, dans leurs chants et leurs récits, le souvenir d'un passé glorieux.
Après les guerres contre les populations Mahis, au début de son règne, Glélé se compara « au lionceau qui sème partout la terreur aussitôt que ses dents ont poussé » (2) (planche III).
(1) « Zoun kpën zoun ton, ouan e ka kpén ouan'ton ».
(2) « Kini kini lan oua dou, adra oua gbé» mot à mot te lionceau fait ses dents, adra (personnage fabuleux et terrible) vient dans la brousse.
Durant ses guerres contre Abéokouta, la ville nagote rivale d'Abomey, il donna la mesure de sa verve allégorique. Tantôt il se déclare prêt à ruiner le pays tout entier, à détruire jusqu'à ses grillons tantôt il se compare au « sôflimatan », animal fabuleux, qui fonce sur le danger ou bien au buffle sauvage qui détruit tout dans un galop furieux.
Enfin quand, après avoir bien guerroyé, Glélé voulut mettre ses succès en regard de ceux de ses pères, il dit « La lumière de la lune éclaire celle du fils de Ghézô jette sa clarté sur tout ».
Et que d'autres allégories encore on cite là-bas, en montrant aux visiteurs du palais les lions qui ont été sculptés en bas-reliefs ou découpés sur des parasols pour conserver le souvenir du roi le plus populaire du Dahomey.
Dixième roi. Gbêhanzm (Béhanzin) (1889-1894)
Il y a plusieurs traductions du nom que prit Condo au lendemain de la mort de son père. Nous nous bornerons à traduire celle qui nous a été donnée par un ami intime de os
l'ancien roi. D'après lui « Ghébanzin al djirè » signifie « L'univers porte l'œuf que la terre désire ». Condo, parait-il, avait cherché à exprimer par ces paroles son intention d'être celui qui accomplirait les grandes choses rêvées par les Dahoméens Domination sur Porto-Novo ainsi que sur les peuplades des bords du Mono et surtout destruction d'Abéokouta.
En attendant la réalisation de ces projets, il entreprit quelques guerres, dans le but de faire des prisonniers pour
sacrifier sur la tombe de Glélé. Victorieux, il compara son père au fleuve Ouèmê et lui-même à la mer.
Mais surviennent les difficultés avec les Français. Ils sont établis à Cotonou et ils traversent journellement la barre pour communiquer avec leurs vaisseaux de guerre sur rade. Béhanzin n'a pas encore exprimé ses intentions vis-à-vis d'eux, cependant on les croit hostiles. Bientôt plus de doute la guerre va leur être déclarée, car le roi a prononcé ces paroles dont chacun comprend l'allégorie « Le requin audacieux a troublé la barre » (planche III).
Onzième roi. Ago-li-Agbo (1894-1898)
Béhanzin prisonnier des Français, son frère Goutchili lui succéda. Mais combien durent souffrir les Dahoméens dans leur orgueil, quand ils entendirent proclamer le nom du nouveau roi Ago-li-Agho, Allada Klën a fo, ma dja i o, Français ouê gni mon. « Prends garde Dahomey, Allada a trébuché mais n'est pas tombé grâce aux Français ». Quelle dure leçon Se voir imposer un roi dont le nom rappellera toujours un désastre et aussi quelle résignation obséquieuse de la part de ce monarque qui prend pour armoiries un pied posé sur un caillou, un pied qui trébuche (planche III). Les rois du Dahomey ne se bornaient pas à rechercher pour eux-mêmes des appellations ou des devises allégoriques. Afin de marquer les pensées dominantes de leurs règnes, ils composaient aussi des noms pour leurs femmes préférées. De crainte de devenir fastidieux nous en citerons deux seulement qui nous paraissent donner une idée exacte (I) « Gbo ouèlè fandan agbèdji brou »
du genre. Kpëngla appela sa femme « mi Klo-mi », mots tirés de cette phrase qu'il prononça à l'occasion d'un succès « Les Dahoméens nous vantent ». Agonglo nomma, la sienne « Vidjan-do-Kpo » premières syllabes d'une de ses sentences célèbres « Il y aura encore des enfants à la maison et le pays redira les mêmes paroles ».
Une des choses qui frappent le plus les Dahoméens dans l'occupation française c'est le peu d'apparat dont s'entourent les « grands chefs blancs ». Les rois dahoméens en effet appuyaient leur autorité sur le prestige d'escortes armées et bruyantes ils se réservaient certaines prérogatives telles que le droit pour eux seuls d'être portés en hamac, de s'abriter sous des ombrelles, de chausser des sandales. Eux seuls aussi pouvaient s'asseoir à l'intérieur du palais et, en leur présence, c'était un crime de conserver le pagne sur l'épaule. Ils s'étudiaient dans tous leurs mouvements; leur démarche était lente, avec un certain dandinement voulu. Pour les aborder, il fallait s'adresser à l'Adjaho, le portier du palais, et celui-ci faisait attendre longtemps les audiences. Les chefs eux-mêmes ne parlaient au roi qu'à genoux et après s'être humiliés dans la poussière (1).
(1) Chaque chef interpellé par le roi devait répondre par un mot spécial qui célébrait la puissance du monarque. L'introducteur au palais (Adjaho), par exemple, répondait par le mot « Maître de l'aurore » (Alhounhon-non). Le Migan, premier ministre, employait l'expression « Roi des perles » (Djè fin'hosou), pour rappeler que le roi, seul, avait le droit de porter certaines perles qu'on disait être des excréments du serpent arc-en-ciel. En passant, remarquons la contexture du mot « Djè fin' hosou ». « Fin » y indique une coutume spéciale au sujet, une particularité, un monopole. C'est ainsi qu'on dit Tofliï-nou un habitant lacustre par opposition à «Aï-fin-nou » le terrien.
Le salut du Dahoméen à son roi a une histoire. La voici telle qu'on nous l'a racontée
« Les Aladahonou venaient de s'installer à Abomey même « et leur roi Ouêgbadja était encore obligé de reconnaitre la « supériorité d'un voisin, nommé Aouisou, chez qui se réunis« saient fréquemment tous les autres rois du pays. Aouisou u n'offrait jamais rien à ses visiteurs Ouègbadja se promit « alors d'emporter des vivres pour tous ceux qui assisteraient « à la prochaine réunion. Il savait combien nos cadeaux nous « avaient déjà gagné d'amitiés.
« Malheureusement les femmes, qui portaient ses vivres, « glissèrent au passage d'un marigot et laissèrent tomber « leurs charges dans l'eau. Aouisou en apprenant le fait « s'écria narquois « Il vaudrait beaucoup mieux se rassembler « chez Ouègbadja ainsi les mets qu'il nous offre ne se per« draient pas en chemin ». Là où il y a à manger le Dahoméen « court. Aussi les chefs de tribus prirent-ils à la lettre les « paroles d'Aousiou.
« Pendant les réunions tous les rois étaient assis sur « des petits sièges à trois pieds ils ne portaient pas encore « de grands pagnes pour se draper comme les chefs daho« méens d'aujourd'hui. Seul Ouègbadja en avait un. « Le premier festin offert par le roi des Aladahonou rem« plit ses invités de joie « Ce que nous mangeons ici, nous « fait grand plaisir déclara l'un d'eux. Nous en sommes rede« vables à Ouêgbadja. C'est pourquoi nous le respecterons « désormais. En sa présence nous ne resterons plus assis et « nous couvrirons nos fronts de poussière.
« Un seul roi, celui de Saklo, n'approuva pas ces paroles,
« au grand mécontentement de Ouêgbadja qui le fit frapper, « la nuit, par quelques solides gaillards.
« Le roi de Saklo devina aisément les auteurs de l'agres« sion. Sans tarder il se rendit chez Ouêgbadja et lui dit que « devant le chef des Aladahonou, il ne se bornerait pas à cou« vrir son front de poussière, qu'il en couvrirait aussi ses « cheveux.
« Il renchérit sur ces paroles, après que Ouêgbadja eût « permis aux rois d'emporter chez eux les restes de ses fes« tins « Ouêgbadja frappe ceux qui refusent de le saluer et « remplit le ventre des autres, disait-il en s'en allant. Respec« tons celui qui donne et devant lui couvrons de poussière « nos fronts, nos cheveux et nos bras. »
Nous avons vu combien les rois dahoméens tenaient à exprimer par des devises la grande pensée de leur dynastie « Rendre le Dahomey toujours plus grand ». Cette même pensée, ils l'ont reproduite dans leur palais.
Le palais puisqu'il est convenu d'appeler ainsi un amas de constructions en pisé et en chaume est l'oeuvre de dix règnes, comme le Dahomey que nous avons pris à Béhanzin. Chaque roi s'est fait une obligation de construire, tout contre l'emplacement qu'avait habité son prédécesseur, la demeure où il devait vivre, avoir son tombeau et ses autels; et, comme les terrains pris par Dako au chef d'Abomey étaient situés à l'ouest de ceux qu'il avait enlevés au chef Agri, le palais s'est étendu progressivement vers l'Occident, sans que cette orientation ait été voulue par une loi religieuse ou familiale (1).
(1) Voir à l'appendice 1 une cause qui pourrait avoir, elle aussi, déterminé l'orientation du palais.
Aujourd'hui le palais n'offre plus guère que des ruines. Il reste néanmoins l'objet de la vénération des princes, des fils de Glélé surtout, qui l'ont vu dans son éclat. Il est pour eux un monument familial. Chacun des rois de leur race y a son tombeau, deux exceptés Adanzan, indigne, chassé du pouvoir et Béhanzin mort en exil. Sur les murs, des basreliefs racontent les conquêtes dahoméennes, les exploits des guerriers, les châtiments des ennemis (1) à chaque construction ainsi qu'à chaque cour se rattachent des souvenirs. Ceux-ci sont souvent réellement dignes de figurer dans l'histoire d'un peuple quelquefois aussi leur puérilité est telle qu'on s'étonne de les voir survivre. Ici Ouègbadja, à l'exemple de son père, a construit sa maison sur la tombe de son ennemi. Sur cette place, Agadja humilia un chefprisonnier, en le forçant chaque matin à balayer le sol. Plus loin, on montre la porte par laquelle Ghézô pénétra dans le palais pour en chasser son frère Adanzan ou bien la maison où Glélé reçut la mission Bayol.
Mais, si le palais commande l'admiration aux Dahoméens, il retient à peine l'attention des visiteurs européens qui, ignorant son histoire, ne remarquent que l'art primitif de ses bas-reliefs, l'étendue de ses ruines et son enceinte. Les murs de celle-ci atteignent huit mètres de hauteur et dépassent trois kilomètres et demi en développement. Ils limitent un espace de quarante hectares environ, largement découpé par leurs saillants et leurs rentrants.
Certaines parties mieux conservées permettent encore de se rendre compte du plan unique adopté par tous les rois (1) Voir les gravures des planches IV, IX, XII, XXIV, XXVI.
pour chacune de leurs demeures. Nous le reproduisons d'autre part (planche V).
Le palais formait une véritable ville au sein d'Abomey. Sa population était presque uniquement féminine elle dépassait 8.000 individus sous Glélé et Béhanzin, nous a-t-on assuré, et ce chiffre ne nous parait nullement exagéré. Il faut remarquer, en effet, qu'au nombre déjà extraordinaire des épouses royales un millier pour Glélé, parait-il s'ajoutait celui des doctoresses, de certaines amazones, des Kpodjito (mères des rois ou représentantes des mères des rois décédées), et que toutes ces femmes avaient beaucoup de servantes ou d'esclaves.
Les femmes du roi se divisaient en deux catégories, les Kposi, épouses de la panthère, et les Ahosi, épouses de roi. Les premières, relativement peu nombreuses une quarantaine jouissaient d'une situation privilégiée dans le harem. Elles demeuraient dans le quartier réservé au roi, n'ayant point d'autre occupation que d'entourer leur maitre, silencieuses et attentives à ses moindres désirs.
Les Ahosi n'adressaient jamais la parole aux Kposi et, si d'aventure elles les rencontraient dans le palais, elles attiraient leur attention en criant « ago » (gare) et passaient courbées (1).
Parmi les ahosi étaient choisies les femmes spécialement (i) On donnait également le nom de « Ahosi >•• à toutes les personnes habitant le palais ou ayant une situation officielle. Certains grands chefs, par exemple, étaient « Ahosi», bien que ne demeurant nullement au palais. De sorte que la encore doit intervenir l'explication que nous donnons fréquemment au suffixe « si », « dans la main de », « sous la dépendance ». « Ahosi » ne signifierait donc pas proprement femme du roi (aho'asi) mais individu sous la dépendance absolue du roi.
chargées de préparer les repas du roi (1). Chaque jour l'un de ces repas constituait un véritable service de gala. On présentait au roi tous les mets préférés par chacun de ses prédécesseurs. Il devait goûter à tous, pendant que les chefs, les princes ou autres assistants courbaient la tête en criant « Zankou il fait nuit ». Parfois 'pour honorer un ami ou un fidèle, le monarque l'invitait à partager ses mets il lui « ouvrait les yeux », disait-on, il lui faisait voir dans la nuit.
Les mères des rois, les Kpodjito celles qui ont enfanté des panthères habitaient dans le palais en arrière des demeures construites par leurs fils. Mortes elles étaient représentées par de vieilles femmes qui prenaient leur titre et leurs privilèges. On voue encore aujourd'hui une grande vénération aux Kpodjito et l'Européen, qui croit que la femme tient peu de place dans la société noire, est bien étonné, quand il rencontre une Kpodjito devant laquelle tout le monde s'agenouille ou baise la terre. Elle s'appuie sur un long bâton un serre-tête blanc la coiffe et ses vêtements sont très beaux, car elle reçoit beaucoup d'offrandes des descendants du roi dont elle représente la mère. Des jeunes filles l'accompagnent, tandis qu'une vieille esclave ou servante porte son tabouret et préserve soigneusement son pagne de tout contact masculin (planche XVII). La Migan-non et la Méhounon représentaient au palais les mères du Migan et du Mèhou, les deux grands ministres. Elles avaient autorité, la première sur les femmes du roi (1) Ces femmes s'appelaient les « lIo-goudô-nou gens du derrière de la chambre. Les cuisines sonl, en effet, derrière les cases où l'on couche.
d'origine plébéienne, la seconde sur les princesses, reproduisant ainsi, dans la maison du roi, un des principes du gouvernement dahoméen le Migan grand chef du peuple et le Mèhou grand chef des princes.
Il y avait encore au palais des doctoresses, des féticheuses et aussi des vieilles femmes qui portaient le titre de « Na-é » et représentaient les mères de chacun des hauts dignitaires. Toutes avaient auprès d'elles des suivantes et des esclaves.
Avant Tègbésou, le roi confiait les clefs de ses magasins à sa femme la plus âgée, tout comme le font encore aujourd'hui les simples Dahoméens. Mais on reconnut le danger de cette coutume, quand une épouse porte-clefs d'Agadja eut essayé, par des cadeaux prélevés dans les magasins du roi, de gagner l'appui des Nagots pour faire désigner son fils comme roi à la place de « Tèghésou ». Des garde-magasins furent alors institués et leurs charges non héréditaires attribuées à des hommes. Ils demeurèrent chez le « Mchou » avec leurs adjoints. Cinq règnes plus tard, sous Ghèzô, la confiance fut rendue aux épouses royales. L'une d'elles devint porte-clefs au palais. Pour autant l'institution de Tegbèsou ne fut point supprimée. Son importance, au contraire, ne fit qu'augmenter à mesure que se développa la richesse du roi.
Après la conquête française, Ago-li-Agbo, que nous avions nommé roi à la place de Béhanzin, habita le palais. Mais il ne put lui redonner aucun éclat, parce que sa puissance n'atteignit jamais celle de ses prédécesseurs. Ceux-ci n'avaient point auprès d'eux de représentants d'une nation civilisée pour entraver leur arbitraire. Les recruteurs de leur harem
opéraient sans difficultés, leurs guerriers faisaient chaque année de nombreuses captives et la mort était le châtiment réservé à leurs épouses infidèles. Pour avoir voulu imiter ses pères, malgré les sages avis des résidents à Abomey, et pour n'avoir pas compris que les Dahoméens n'avaient plus la même foi servile en leur roi, Ago-li-Agbo perdit son trône. Son départ en exil marqua la fin de la royauté dahoméenne et porta le dernier coup au palais dont la population se dispersa aussitôt.
Seules quelques femmes fidèles au souvenir sont restées auprès des tombeaux et des sièges des rois. Elles sont bien vieilles et aussi branlantes que les ruines au milieu desquelles elles habitent.
Les princes
Les princes, tous membres de la tribu qui a fondé le Dahomey, jouissaient d'une situation prépondérante dans la société, grâce à leur organisation privilégiée mais ils étaient soigneusement tenus à l'écart de la direction du pays. S'ils recevaient du roi des femmes et des esclaves, si pour les doter de cultures et de palmeraies, on ne regardait pas à déposséder un homme du peuple si le régime en vigueur pour les mariages des princes et des princesses empêchait leurs enfants de tomber sous une puissance autre que celle de la famille royale par contre les charges de grand cabécère, de grand chef, même de chef de village, leur étaient refusées. Les rois connaissaient trop le caractère intrigant des princes pour leur confier des commandements importants et le seul souvenir des cabales
montées contre eux-mêmes, alors qu'ils n'étaient qu'héritiers présomptifs, eût suffi à les faire persister dans cette règle de conduite.
C'est pourquoi ils préférèrent s'attacher leurs parents par des dons, les garder à Abomey dans « une domesticité dorée », pour ainsi dire, et éleverauxplus hautes dignités des gens de tribus alliées ou soumises à l'autorité dahoméenne. Un ministre ou un grand cabécère ou un chef de province aurait pu prendre une influence dangereuse dans l'Etat, s'il avait appartenu à la famille royale. Au contraire en le choisissant parmi les Fons, race conquise, on s assurait le dévouement non seulement d'un homme mais de toute une famille, fière et reconnaissante de la distinction accordée à l'un des siens. On avait moins à craindre aussi, au cas où il serait devenu infidèle, de voir les princes le suivre dans sa révolte, tellement grand était leur orgueil familial.
Cette précaution très sage n'eût peut-être pas duré longtemps encore. Ghézo, en effet, créa pour ses parents des charges d'adjoints aux grands cabécères, charges purement honorifiques mais héréditaires. Béhanzin, à son tour, sembla rompre davantage avec la tradition en envoyant certains de ses frères à la tête de régions dahoméennes.
Mais, comme si les rois voulaient ménager la susceptibilité très grande des princes en même temps que leur conserver le prestige de la naissance, ils réglèrent de bonne heure les marques de déférence envers eux. On demeure tout étonné d'apprendre du chroniqueur dahoméen que la cérémonie du salut entre les princes et le Migan fut fixée dès le règne de Ouêgbadja (xvne siècle). « Ce roi, raconte le chroniqueur, a prescrit au Migan d'enlever son pagne de dessus
l'épaule devant chaque fils du roi. Si le Migan est à cheval, il mettra pied à terre pour passer auprès d'un fils du roi. Il saluera le prince héritier des mots « Déghènon daho okou » Aux princes mariés il dira « Déghènon okoit » Aux princesses mariées « Gnon/ioué okou! » Aux jeunes princes « Houégbonou okou » En réponse les princes feront une génuflexion prolongée en même temps qu'ils frapperont leurs mains l'une contre l'au're plusieurs fois. »
Les princesses elles-mêmes étaient très respectées et aujourd'hui encore on voit des hommes s'incliner ou baiser la terre devant elles. Ce sont des gens du peuple, ou des parents éloignés ou des frères cadets qui saluent ces Na orgueilleuses, tandis qu'elles s'en vont colporter les cancans, attiser les intrigues et. vendre l'amour. Vendre l'amour, c'est presque un monopole des princesses. Leurs maris eux-mêmes sont obligés par la coutume de s'incliner devant ce « droit de .coeufiage », trop heureux si elles ne les quittent pas un beau jour avec leurs enfants.
Comment expliquer pareille coutume qui pourtant n'a jamais empêché les alliances avec les princesses d'être très recherchées ? Autrefois le roi lui-même donnait ses filles en mariage et présidait à leurs fiançailles il était également censé donner en mariage toutes les autres femmes de sa famille. L'union avec une princesse devenait donc ainsi un grand honneur en même temps qu'une marque évidente de la faveur du roi. Aussi, flatté dans son orgueil et désireux de se ménageries bénéfices d'une alliance avantageuse, le mari d'une princesse se montrait-il rempli de prévenances pour elle il la consultait en maintes circonstances, la parait
superbement et enfin lui donnait le pas sur ses autres épouses auxquelles il laissait le soin des plus durs travaux domestiques. Mais si, dans la suite, il avait à se plaindre de sa femme, pouvait-il en conscience aller la décrier auprès du roi? Dénigre-t-on en présence de quelqu'un le cadeau qu'il vous a fait ? Cette dernière nécessité fut vite prise pour une faiblesse par les princesses et elles en surent si bien profiter que la coutume consacra leurs manquements à la fidélité conjugale.
Les princes sont fort nombreux ils dépassent certainement douze mille. Ce chiffre ne doit nullement surprendre si l'on pense que chacun des six derniers rois eut des centaines de femmes. Ainsi on rencontre des fils de Glélé dans toute la colonie ils occupent les situations les plus diverses -– domestiques aussi bien que grands chefs et ils forment un élément encore important, bien que beaucoup périrent de la variole dans les campements, en arrière du Zou, pendant la guerre avec les Français. Béhanzin, lui, n'eut guère le temps de faire prospérer son harem nous ne lui connaissons pas plus d'une soixantaine d'enfants. En étudiant l'organisation des groupes familiaux nous expliquons comment dans la famille royale chaque roi devenait, à sa mort, le chef vénéré d'une branche composée de tous ses descendants, à l'exclusion des descendants de son successeur. Entre les groupements ainsi formés il existait une hiérarchie dont les effets s'exerçaient aussi bien dans des questions de protocole que dans le règlement d'affaires
sérieuses. C'est ainsi que la branche issue du roi régnant avait le pas sur les autres, cependant que les frères de ce même roi avec le titre de ahosou-novi (1) avaient droit à des honneurs particuliers, tels que la présidence de certaines fêtes au palais et des sacrifices humains à leur mort (2). De même, en matière d'héritage ou de puissance paternelle, la préséance appartenait à la plus jeune des deux branches en opposition (3).
Les descendants des premiers rois dahoméens ont perdu, depuis longtemps déjà, les manières hautaines et impérieuses de leur race. Ils les ont abdiquées sous la poussée de branches plus jeunes, si bien qu'on s'aperçoit davantage de cette abdication à mesure qu'on remonte dans l'ordre chronologique.
La même remarque peut être faite au sujet de l'action qu'a eue sur l'esprit des princes le nouvel état de choses dû à l'occupation française. Depuis quinze ans, une transformation assez profonde s'est opérée chez les représentants des vieilles branches de la famille royale d'Àbomey, tandis que les descendants des derniers rois ont échappé presqu'entièrement à notre influence. Autant les premiers semblent devenus indifférents aux institutions du passé, autant les seconds en gardent le souvenir vivace. C'est que, sans nul doute, la plupart de ceux-ci ont perdu en considération et en fortune depuis notre conquête et regrettent d'autant l'au(I) Ahosou = roi, novi = frère.
(i) Les sacrifices humains pour les princes n'auraient été institués que sous les derniers règnes.
(3) Coutume analogue h celle que, dans l'étude des successions, nous définissons « un grand ne mange pas dans la main d'un petit ».
trefois. Ceux-là, au contraire, ne jouissant pas, au temps des rois, d'une considération beaucoup plus grande que celle des noirs des classes inférieures et déjà habitués au travail, ont davantage bénéficié du régime de paix et de justice que nous avons substitué à un gouvernement basé sur la guerre et l'arbitraire.
Gbonougan ou cabécères
Les charges de grands chefs ou cabécères conférées à des Dahoméens étrangers à la famille royale ont formé une classe distinguée dans la société, une sorte de noblesse. Elles n'étaient pas héréditaires toutefois les titulaires transmettaient le nom qu'ils avaient porté comme grands chefs aux aines de leurs fils. Ceux-ci devenaient alors des zinkponon, possesseurs du siège. Ils formaient avec leurs frères et enfants des groupes familiaux sous l'autorité de l'ancien. Souvent, ces nouveaux groupes adoptaient pour les mariages de leurs filles le régime princier qui leur permettait de s'accroitre rapidement, puisqu'il leur donnait la puissance sur tous les enfants nés de ces unions.
Nous n'étudierons ici que les plus importantes des dignités dahoméennes, celles des grands cabécères (gbonougan daho), au nombre de sept Migan, Méhou, Yovogan, Adjaho, Sôgan, Tokpo, Akplogan. Entrer dans plus de détails serait fastidieux, sinon impossible, tellement le nombre des charges dahoméennes s'était accru sous les derniers règnes. Le moindre travail qui exigeait la coopération de plusieurs donnait naissance à un chef et des sous-chefs. Aujourd'hui encore, on pourrait relever nombre de faits curieux
(fui dénotent ce goût particulier des Dahoméens pour commander ou obéir. N'en citons qu'un seul. Des garçonnets s'offraient fréquemment a la Résidence d'Abomey comme pousseurs de wagonnets sur une petite voie decauville. Un jour ils nous présentèrent l'un d'eux comme leur chef « 11 sait nos demeures, nous dirent-ils si tu as besoin de nous, appelle-le et lui nous appellera ». Peu après ils désignèrent un sous-chef. Et jeunes chef et sous-chef savaient se faire obéir
Le Migan, sorte de premier ministre, était le plus grand chef et comme tel s'asseyait à la droite du roi. Il commandait à tous les Dahoméens qui ne faisaient pas partie de la famille royale, d'où son nom Migan, notre chef. Aux premiers temps de son institution, qui date de bien avant l'arrivée des Aladahonou à Abomey, le Migan exerçait les seules fonctions de bourreau; mais il n'en était pas moins déjà un personnage très puissant. Chez les Dahoméens, en effet, le bourreau avait le double caractère de justicier et de prêtre, parce que la mort qu'il donnait ne constituait pas toujours un châtiment; elle devenait aussi un rite religieux lors du sacrifice des ennemis vaincus aux mânes des ancêtres.
La tradition a conservé les noms de tous les Migans dans l'ordre chronologique depuis la fondation de la dynastie dahoméenne. On cite ainsi quatorze titulaires pour dix règnes et sur ce nombre un seul fut destitué pour indignité. Les autres ont tous été des ministres fidèles aussi ont-ils eu l'honneur de la sépulture dans la Résidence des Migans. Celle-ci, qui se trouve auprès du palais était propriété
domaniale (1). Chaque année, on y célébrait des services funèbres auxquels étaient conviées toutes les familles des Migans défunts sons la présidence du Migan en fonction. Le Migan avait le droit de posséder une prison. De ce droit, qui n'était concédé qu'it quelques chefs seulement, il tirait de très importants revenus il bénéficiait du travail des détenus et, même, acquérait la puissance paternelle sur tout enfant né d'une prisonnière \2).
Les crânes des victimes (les sacrifices humains étaient conservés dans un charnier ménagé au milieu de la Résidence des Migans. C'était là un des trésors des rois dahoméens. Ils s'en enorgueillissaient à l'égal des plus grandes richesses, témoin l'anecdote suivante.
« Houfon, roi de Savi, avait acheté comme esclaves plusieurs Dahoméens, qui avaient été faits prisonniers au cours d'une guerre malheureuse du roi Agadja contre un petit pays des environs dulac Ahcmc. Il refusa de les échanger et aumossager, que le roi du Danhomé avait chargé de traiter l'affaire, il fit remettre quarante pagnes, quarante barils de poudre, quarante fusils, quarante bouteilles de tafia et quarante fois quatre mille cauris. Il lui demanda en même temps si Agadja pouvait en offrir autant sans rien recevoir en retour; puis il le fit reconduire jusqu'au camp des Dahoméens par deux de ses sujets.
« Aussitôt qu' Agadja eut connaissance de ces faits, il ordonna à son Migan de ranger sur deux lignes les crânes d'ennemis tués dans ses guerres ou aux jours des sacrifices. Il invita ensuite les messagers de Houfon à passer entre ces (1) Il en était ainsi pour les demeures des autres grands dignitaires. (2) II en était ainsi pour les autres chefs gérants d'une prison.
haies macabres et leur donna à chacun quarante cauris, en leur disant que sa seule richesse consistait en dépouilles d'ennemis et qu'il ne tarderait pas à l'apprendre à leur 1 liait re. »
Les faits rapportés dans cette anecdote peuvent paraitre bien peu importants. Ils ont pourtant un autre intérêt que celui de montrer la barbarie des institutions dahoméennes. La guerre, qu'ils causèrent, ayant amené la chute de Savi, ouvrit le Dahomey au commerce européen déjà établi à Ouidah (1). De ce moment date une ère nouvelle pour le Dahomey. Son extension s'accentua rapidement, si bien que le successeur d'Agadja, Tègbèsou, se trouva dans l'obligation de modifier plusieurs institutions du royaume. C'est ainsi notamment qu'au Migan revint le commandement des chefs de villages, des chefs de guerre en temps de paix et de tous les cabécères.
Le même roi Tègbèsou étendit encore l'action politique du Migan en lui confiant la surveillance de l'ancien royaume d'Allada, avec résidence à Abomey. Dans le moment, il récompensait ainsi la fidélité de ce grand cabécère qui ne s'était pas laissé entrainer, comme plusieurs autres chefs, dans la révolte fomentée à Allada par le prince Aghidisou. Pour l'avenir, il pensait que cette mesure préviendrait le retour d'un soulèvement, car elle créait auprès de lui une autorité responsable, dont la puissance, loin de pouvoir porter ombrage à la sienne, était pourtant assez forte pour en imposer aux chefs d'une région éloignée d'Abomey. Faire d'un bourreau un prêtre sacrificateur, lui donner le (i) Guerre de Savi, H27.
commandement d'une province, 1 élever au rang de premier ministre sont des conceptions étranges. Mais là ne se borne pas l'originalité des fonctions du Migan. Il fut encore chargé de la régence du royaume à la mort des rois. Ses fonctions de régent duraient alors trois jours, jusqu'après l'ensevelissement de la dépouille royale dont il était l'un des seuls à connaitre la dernière demeure.
Méhou. Après le Migan venait immédiatement le Mêhou. Ce grand cabécère siégeait à gauche du roi. Son institution est beaucoup plus récente que celle du Migan elle ne remonte qu'à Tègbèsou. Elle est due en partie aux causes qui créèrent le rôle politique du Migan, c'est-àdire à l'extension du Dahomey, laquelle avait rendu nécessaire la création de grands chefs délégués du roi pour la surveillance des territoires nouvellement conquis. Le Méhou fut ainsi chargé des affaires concernant tout le pays au delà de l'ancien royaume d'Allada. A ce titre lui incomba le soin de recevoir à Abomey les Européens et de faire entrer en magasin les cauris provenant des droits d'ancrage perçus à Ouidah.
Le Migan, nous l'avons vu, était le chef de tous, à l'exception des princes que leur situation privilégiée enlevait à son autorité. Mais ceux-ci devenant de plus en plus nombreux et même deux des plus en vue, Aghidisou et Topa, frères du roi, s'étant révoltés, Tègbèsou reconnut la nécessité de les placer sous une autorité étrangère à leur famille, tout en conservant leur situation à part. Ce fut là, parait-il, le premier motif de la création du Méhou, qui fut toujours considéré surtout comme une sorte de précepteur dans la famille royale. Son action près des princes s'exerçait
dès leur naissance et jusqu'après leur mort. Il s'occupait du choix de leurs noms chose si importante chez les Dahoméens il s'entremettait pour leurs mariages et réglait leurs funérailles. Il fut aussi leur justicier, car les princes criminels ne subissaient point la loi commune. La peine de mort, par exemple, ne pouvait pas leur être infligée publiquement. Ils étaient confiés au Méhou qui les « perdait », terme employé pour désigner leur exécution en secret ou leur détention perpétuelle subie dans les cultures d'Afomaï.
Yovogan. – Le Yovogan fut créé par Agadja (quatrième roi) après la conquête de Savi qui l'avait mis en relation avec les Européens de la Côte, les blancs (Yovo). Le Yovogan était « un gouverneur », expliquent les indigènes qui consentent à parler de l'histoire de leur pays. Toutes les affaires entre noirs et Européens de Ouidah, d'Aboîney-Calavi et de Cotonou devaient lui être soumises. Il en rendait compte au roi par l'intermédiaire du Méhou. Adjaho. L'Adjaho était le grand huissier du palais où aucun étranger ne pénétrait sans son autorisation. Sous son autorité étaient placés les serviteurs du roi dans le palais, (les ou-outou-nou, mot à mot les gens du corps). Il ajoutait à ces fonctions celle de Lêghède que l'on pourrait définir « chef de la police secrète ». Comme tel il avait la surveillance des épreuves judiciaires du fétiche et devait renseigner directement le roi sur les faits et gestes de tous les chefs sans exception.
Sûgan. Le Sôgan n'avait pas des fonctions très importantes. Il commandait certains serviteurs, répartis à
l'extérieur du palais. Il s'occupait aussi d'approvisionner de bois et d'eau les femmes du roi.
Topo. Le Topo était un véritable ministre de l'agriculture. Il faisait surveiller et entretenir les marchés où s'effectuaient surtout les échanges des produits du sol. Par son intermédiaire le roi indiquait, chaque année, les régions qui devaient être plantées en palmiers c'est lui qui, de notre temps, aurait ordonné la culture intensive du coton, du mais ou des arachides, telle que nous l'avons désirée. Le Topo infligeait des amendes aux cultivateurs qui ne suivaient pas ses prescriptions. A cet effet, ses auxiliaires traçaient un sillon d'une forme spéciale dans le champ de tout délinquant et point ne fallait de plus ample formalité pour renseigner sur le montant de l'amende.
Le Topo et l'Adjaho étaient les seuls grands chefs qui pouvaient entrer au palais sans la robe de cabécère eux seuls aussi pouvaient distribuer les corrections aux habitants du palais.
En temps de guerre et en cours de route, Topo marchait derrière les femmes du roi. Son rôle de gardien du sérail prenait fin dès l'arrivée au campement.
Enfin le Topo avait sous sa direction un véritable service de géomètres, dont le nom dahoméen – houmèkponto, ceux qui regardent dans le patrimoine désigne fort bien les attributions. Chacun d'eux opérait dans une région déterminée. Il y devait connaitre entièrement, prétend-on, la répartition des terrains de culture et s'y occupait de toute délimitation sur le sol.
C'étaient les houmèkponto, par suite, qui bornaient les concessions, dont les rois dotaient leurs frères ou leurs chefs
les plus valeureux, ainsi que l'emplacement des palais que chaque règne voyait élever en diflérents points du royaume. Après le bornage qui se faisait l'aide de boutures d'une plante grasse très vivace, les « géomètres » lançaient des graines de palmiers et de nétés, pour bien montrer l'intérêt que portaient les rois du Dahomey à la propagation de ces arbres.
Akplogan. L'akplogan, bien que grand cabécère, dépendait complètement du Migan, sous les ordres duquel il commandait Allada et présidait à l'entretien des tomheaux dans le palais.
Par la suite d'autres cabéccres furent créés pour s'occuper des affaires concernant des régions nouvellement conquises ou réorganisées, par exemple Fyogbé pour Agony, Binazon comme auxiliaire de l'Akplogan à Allada. 11 y eut aussi, nous l'avons déjà dit, des adjoints aux grands cabécères mais ces adjoints, tous choisis parmi les membres de la famille royale, ne semblent pas av nreu une autorité effective leur charge était héréditaire à la différence de celle des grands cabécères.
Les cabécères commandant des régions s'appelaient « Tôgan chefs de pays (Tô = pays, gan = chef). Sous leurs ordres étaient placés les chefs de villages dont le nom, tô'kosou « roi de pays », rappelait qu'ils représentaient les rois des tribus ou sous-tribus conquises par les Dahoméens. Dans les villages, les tôliosnu s'adjoignaient des Sranon « chargés de quartiers » et des hagan « chefs de recensement » (ha-compter).
Les Tôhosou, les Tôgan et le roi correspondaient pour les
ordres et les renseignements au moyen de messagers porteurs de cannes. La canne représentait la personne à laquelle elle appartenait elle attestait que le messager disait la vérité et venait bien de la part de son maître (pl. VIII). Le peuple
Tout individu, au Dahomey, qui n'était ni prince ni esclave, était anato. C'est là une dénomination qui peut assez bien se traduire par notre mot « roturier ».
Par son mérite et souvent par la. flatterie ou l'intrigue, l'anato pouvait devenir grand dignitaire (ybonougan). En outre, parce qu'il était « Danboménou » une chose du Dahomey, personne ne pouvait le vendre comme esclave, pas même le roi.
Les anato formaient le fond de la population dahoméenne leur nombre ne dépassait pas de beaucoup 110.000 dans la région d'Abomey. Il faut remarquer, en effet, que si, depuis la conquête, cette région a une population incontestablement très inférieure h celle qu'elle possédait, quand elle était encore le Dahomey libre, cela est dû surtout au départ en masse des esclaves ainsi qu'à a la disparition d'une quantité d'individus originaires de provinces conquises et clients ou serviteurs des chefs dahoméens. Les « anato » eux aussi ont fui devant nos troupes mais, à mesure que l'occupation française s'organisait ils sont revenus s'installer dans leurs demeures. N'habitaientils pas le pays depuis plus de 300 ans ? N'y avaient-ils pas leurs dieux, leurs morts et leurs palmeraies ? Aujourd'hui on peut certainement présumer qu'ils sont presque tous ren-
très, car dans les régions où ils étaient établis on ne rencontre plus de villages abandonnés et, d'autre part, les vastes espaces déserts, qui s'étendent au nord-ouest et au sud-est d'Ahomey et où sont encore des vestiges d'habitations, n'étaient occupés que par des esclaves. Or le recensement de 1908 dans le cercle d'Abomey – qui est l'ancien Dahomey donnait 70.000 imposables, c'est-à-dire 70.000 individus âgés de plus de 10 ans, ce qui porte la population totale à un chiffre très voisin de 120.000 (1). Déduction faite des princes, que nous avons évalués à 12.000 et de quatre milliers d'esclaves environ qui sont librement restés chez leurs anciens maîtres, il reste 101.000 pour les anato, chiffre sensiblement égal à celui que nous estimons avoir été le leur dans les dernières années du Dahomey. Les anato sont les vrais descendants des tribus qui, absorbées par les Aladahonou, ont formé le cœur du Dahomey. Ces tribus avaient une même langue et des totem différents elles étaient les ramifications extrêmes à l'orient d'une race qui s'étendait très loin au delà du Mono. Sous l'autorité absolue de ahosoii (chefs, rois) et indépendantes les unes des autres, plusieurs avaient précédé les Aladalionou dans le quadrilatère formé par le Zou, le Koufo et la Lama d'autres les y avaient accompagnés d'autres encore les y avaient suivis.
La tradition conserve les noms de toutes ces tribus elle (1) Ce eliilfre de 120.000 est établi d'après les considérations suivantes les tables de Dépareieux indiquent qu'une population de 10 000 âmes se réduit à. ti.001 en 10 ans. Nous pouvons admettre celle donnée comme s'appliquanl au cercle il'Abomcy, parce que si la natalité est très supérieure il la nôtre, par contre la mortalité infantile l'est aussi. Il paraît y avoir compensation.
nous les montre perdant successivement leur autonomie, à mesure que la puissance dahoméenne, partie des environs de la gare actuelle d'Abomey, s'étendait comme une tache d'huile.
Quand l'unité dahoméenne fut terminée, quand, dépassant les limites du quadrilatère dont nous venons de parler, elle eut commencé à dominer les pays au sud de la Lama, un nom apparut pour désigner l'ensemble des populations du nouveau royaume. Le fait est original et mérite d'être relaté tel que nous l'avons entendu de la Louche d'un des chroniqueurs les mieux documentés.
« Tègbesou était notre roi. Quatre grands royaumes se « partageaient alors les terres que nous connaissions Adja, « Ayo, Kètou, lloun (1). Notre royaume était le plus jeune « c'est pourquoi il s'appelait lIoun, car on dit d'un tout « jeune enfant e dô houn nzé.
« Le roi des Ayo (2) convoqua chez lui les rois des Adja, « de Kétou et du Danhomé et aussi celui de Savè qui était « un pays Ayo. Il appela ensuite un devin musulman. « C'est ainsi que nous vimes le premier devin musulman. « Le roi des Ayonou donna des bœufs, des tissus, des « perles au devin et il lui demanda s'il pouvait prédire « lequel des quatre royaumes, Adja, Kètou, Danhomé, Savé « deviendrait le plus puissant. Le pays des Ayo était écarté « de cette épreuve, car il était sans conteste le plus fort. « Le devin disposa quatre petites huttes de terre, sur (1) Le narrateur nous a donné le mol « Adjayokèhoun » comme moyen mnéinotechnii|iie.
(2) Les Ayo s'appellent encore les Ayonou, les Anagonou, les Nagots, les Yorouba.
« lesquelles il versa de l'encre. Chacune de ces buttes, « dit-il, représente un des royaumes, Adja, Kètou, Savé, « Houn. Sur l'une poussera un kakc (sorte de tamarinier à « bois rouge et très dur) sur l'autre un baobab sur le « troisième un ficus sur le quatrième un fon (1). Dans « trois ans je reviendrai ».
« Trois ans passèrent le devin reparut et le roi des « Ayo appela de nouveau les quatre rois. Voici les paroles « qu'ils entendirent « Le kaké est un arbre très dur, « on ne fera jamais rien de son bois le baobab est très « gros, mais son bois est excessivement tendre, aussi disparai« tra-t-il vite le ficus est un arbre à l'ombre duquel le com« merçant aimera toujours à s'abriter, mais qui à cause de sa « trop grande ramure résistera mal au vent. Devant le Fo?i, « tous les autres arbres s'inclineront on courbera la tête « devant lui, parce que son fruit est couronné » (2). Cette prédiction allégorique s'est réalisée, semhle-t-il. Les Adjas vivent encore comme des sauvages. Quand on visite ceux qui dépendent du cercle d'Abomey, on reste étonné de les voir, presque nus, habiter de misérables huttes encerclées d'épais buissons épineux. Ils ne labourent pas leurs champs et ne connaissent pas la jachère comme les Dahoméens ils se contentent d'un défrichement sommaire par le coupe-coupe et le feu et ils ensemencent sans même retourner la terre. Au lieu de cultiver le palmier pour trafiquer de ses fruits, ils l'abattent pour s'enivrer de son vin. Si, d'aventure, un Européen ou même un noir étranger se (t) Le « ton » est un arbre qui donne un fruit noir, gros comme une prunelle et dont la chair rappelle assez celle de la nèfle.
(2) Le fruit du « fon » est pourvu d'une sorte de « cupule ».
risque chez eux, hommes, femmes, enfants se sauvent dans les forêts. En un mot, rebelles à toute pénétration, les Adjas n'ont jamais eu aucune action dans l'histoire du Dahomey; ils sont comparables au « kaké » qui peuple leurs forêts et dont ils n'ont pu jamais tirer aucun parti, parce que son bois ébrèche leurs haches.
Le pays de Kétou fut autrefois puissant mais sa situation très défavorable entre le Dahomey et Abéokouta, la grande ville Ayo, lui interdit de pousser plus loin son développement. Convoité par chacun de ces deux ennemis toujours en guerre l'un contre l'autre, il finit par tomber entre les mains du roi (ilélé. La ville de Kétou fut détruite. « Que personne n'habite plus Kétou, décréta Glélé cette ville est proche d'Agony qui nous appartient et elle est notre ennemie. Ne laissons pas des ennemis demeurer ainsi près de nous ». Le royaume de Savé est situé à un nœud de routes importantes entre les Baribas et les Danhomcens, les Mahis et les Ayonous. Nous pouvons donc admettre facilement qu'un commerce d'échanges s'y développa autrefois, bien qu'avant l'occupation européenne les relations entre peuplades nègres fussent peu certaines. Quoi qu'il en soit, de nombreuses ruines attestent, à Savé même, d'une splendeur passée et, sur les places du village, les ficus n'abritent plus que quelques Ahoussas ou Baribas descendus à la côte s'approvisionner en sel et en étoffes.
La fortune du Dahomey est allée sans cesse grandissant. Quelques milliers d'Alada/ionoit Il avaient su rassembler sous l'autorité de leurs rois les tribus au milieu desquelles ils avaient immigré. Ils avaient fondé ainsi un royaume qu'ils avaient appelé le Danhomé et auquel les voisins avaient
donné le nom de Houn, « le plus jeune ». Bientôt sortant des limites naturelles de leur territoire, ils avaient porté leur puissance jusqu'à la côte ils s'étaient ensuite libérés du tribut annuel auquel les avaient soumis les Ayonou. Puis toujours plus audacieux, ils avaient formé le projet de subjuguer, à leur tour, ces mêmes Ayonou et déjà ils jalonnaient leur marche en avant par l'organisation militaire de leur province d'Agony, par la conquête d'Ifanhim, de LèfouLèfou, Kètou, etc., lorsque survinrent les Français qui arrêtèrent leur progrès. Les Français! C'était un facteur inconnu du devin musulman et les Dahoméens avaient ri de ces blancs qui prétendaient mener la guerre jusqu'au nord des Marais de la Lama. Qui en effet pouvait soupçonner capables de faire la guerre nu loin des gens toujours portés en hamac?. Il n'existe plus le Danhomé! Pourtant son action n'est point encore détruite, tellement profonde était son empreinte sur les populations qu'il avait soumises. Il est comme un Fon au fruit couronné, abattu en pleine vigueur par une rafale et auquel cluelques racines, à peine arrachées du sol, apportent une sève insuffisante pour toutes ses branches qui se dessèchent lentement.
Les Esclaves
« L'esclavage a pour origine première In guerre et la conquête ». Si ce n'était pas là une idée dont l'exactitude n'est plus à prouver, elle pourrait être déduite du nom expressif que les Dahoméens donnent à l'esclave. Ils l'appellent Ktwmmon ou Kannonmon celui qui reste dans les
cordes. L'esclave était donc bien chez eux un individu pris de force et retenu contre sa volonté.
Les luttes que les Dahoméens entreprirent, au début de leur établissement sur le plateau d'Abomey, n'eurent qu'un but: l'extension territoriale par la domination des tribus immédiatement voisines. L'espoir du butin et le désir de capturer des ennemis n'intervenaient presque pas alors pour les guider dans leurs entreprises guerrières. Mais bientôt, avec le roi Agadja, la puissance dahoméenne dépassa les limites naturelles du pays d'Abomey. Ses heurts contre les populations de Savi lui permirent de prendre contact avec les commerçants européens de Ouidah naissant. Les Dahoméens apprirent ainsi la traite des esclaves.
C'est aussi il cette époque que les sacrifices humains, déjà existant, furent érigés en coutume annuelle et solennelle pour honorer les rois de la dynastie. Agadja, vainqueur de Savi, voulut commémorer ce fait d'armes, dont il saisissait toute l'importance – maints détails historiques le prouvent –et, aussi, eu rendre grâce aux mânes des ancêtres. 11 organisa donc une grande fête à Allada, en présence de ses guerriers. Deux tribunes en branchages furent construites. Migan se plaça à genoux près de l'une, le chef de guerre près de l'autre. Chacun d'eux reçut du roi un esclave avec autorisation de le vendre. Deux autres esclaves furent sacriliés.
Ainsi donc le trafic avec les blancs et une modification dans la forme des sacrifices humains donnèrent une nouvelle impulsion à l'ardeur belliqueuse des Dahoméens. Chaque année – au moment où la saison sèche les forçait à cesser toute culture – ils allèrent razzier des peuplades voisines
et, à part leur lutte menée presque méthodiquement contre Abéokouta ainsi que la main mise définitive sur les dernières tribus de leur race restées autonomes, leurs entreprises guerrières n'eurent plus, semble-t-il, d'autre mobile que le pillage.
Le roi seul avait le droit de posséder des esclaves de guerre. Après une campagne fructueuse en captifs, on procédait à leur dénombrement. Chaque guerrier qui avait fait un prisonnier recevait en échange 2 fr. 50 à 10 francs et un pagne. Le roi était, en effet, le maître absolu de ses sujets et les armes, dont les guerriers étaient pourvus, lui appartenaient. Donc, en bonne logique dahoméenne, tout prisonnier de guerre lui revenait de droit et ce qu'il donnait en échange ne constituait nullement un paiement mais un simple cadeau capable de stimuler le courage.
Au moment du dénombrement, les esclaves étaient divisés en trois catégories. Les plus marquants étaient destinés aux sacrifices. D'autres étaient donnés aux princes ou aux serviteurs fidèles qui ne pouvaient les vendre sans une autorisation spéciale. Enfin la plus grande part était confiée au Sôgan et parquée dans des terrains de culture. On peut voir les ruines de ces campements à Fadèglèta, Djirizidè, Masè, tandis que, sur la rive droite du Koufo, les villages de Tandji, Zali, Dadji sont encore habités par d'anciens esclaves de guerre ou leurs descendants.
Quand le roi apprenait l'arrivée d'un négrier sur rade (le Ouidah et si son stock de marchandise humaine a la côte ne suffisait pas, il faisait choisir dans les parcs d'esclaves ceux qui devaient être vendus. Ceux qui restaient et c'était toujours le plus grand nombre continuaient à travailler pour
le compte du roi, sous la surveillance sévère des auxiliaires du Sôgan. Quelques-uns parvenaient bien à se faire remarquer, par leurs manières cauteleuses plutôt que par leur travail ils n'avaient plus crainte alors d'être compris dans le premier convoi de marchandise humaine. Toutefois ils ne réussissaient jamais à inspirer suffisamment confiance pour être admis dans les expéditions guerrières. Seuls les esclaves capturés en has âge pouvaient porter les armes à côté des Dahoméens.
Le don d'un captif de guerre par le roi constituait une véritable faveur, dont les bénéficiaires étaient forcément peu nombreux. Pour les Dahoméens moins privilégiés, qui voulaient posséder un capital d'aussi bon rapport qu'un esclave, il devenait donc nécessaire de se le procurer par leurs propres moyens. C'est à ce fait, très probablement, qu'est due l'origine de marchands d'esclaves au Dahomey. Ils achetaient aux Mahis et aux Tchas des captifs, que ceux-ci avaient eux-mêmes achetés ou pris dans des guerres aux Djougou et aux Baribas. Ils les revendaient à Abomey pour un prix qui a varié, à travers les âges avec le cours de la monnaie. Sous les premiers rois un homme se vendait 1.400 cauris, ce qui correspondrait maintenant à 7 sous sous Ghézo 160.000 cauris soit 10 francs sous Béhanzin un esclave se payait de 160 francs à 320 francs suivant son âge, son sexe et sa constitution.
Pour comprendre la condition de l'esclave il faut se souvenir que, si le Dahoméen était la chose du roi et ne possédait pleinement aucune partie du sol, il avait néanmoins la possibilité de percevoir et de conserver le produit de son travail ainsi que les fruits des terres qu'il occupait. Si donc
il les troquait contre un esclave, celui-ci devenait sa propriété, abstraction faite du droit du monarque sur tout ce qui se conservait sur le territoire de son royaume.
Nous ne déduisons pas seulement ce droit de propriété sur la chose acquise de faits que nous avons constatés au cours de débats judiciaires. Nous le trouvons nettement défini dans des paroles qu'aurait prononcées le roi Ouègbadja « Ce que le pauvre acquerra lui appartiendra». Nous le voyons encore respecté, pour l'exemple, par deux autres rois, Akaba et Agadja, qui, ayant eu des enfants adultérins, ne voulurent pas user de leur pouvoir de maître absolu pour revendiquer la puissance sur eux au profit de la famille royale.
Le maître d'un esclave pouvait donc en disposer à son gré, le gager, l'échanger, le vendre et le punir. Toutefois ses droits de châtiment se réduisaient à la correction, le même roi Ouêgbadja ayant interdit tout emprisonnement chez les particuliers et s'étant réservé la peine de mort. L'esclave était capable d'acquérir mais ne possédait pas, car tout ce qu'il achetait était, par transformations successives, le produit de la somme d'argent qu'il avait lui-même coûté à son maître. C'est pourquoi, aussi, un esclave n'avait aucune puissance sur ses propres enfants.
Cette conception de la propriété de la chose acquise avec de l'argent était poussée tellement loin qu'il arrivait fréquemment qu'un chef de famille, n'ayant pas de descendance mâle, achetait un teut jeune esclave, l'élevait comme son fils et en faisait son héritier. Cet enfant s'appelait un akouêvi « un fils d'argent ».
Les rapports de l'esclave et du maître, tels que nous
venons de les exposer, sont les rapports théoriques, si nous pouvons nous exprimer ainsi. Us étaient, en fait, adoucis par les mœurs. L'esclave travaillait à la maison et dans les champs, il convenait donc de traiter sans trop de rigueur un auxiliaire aussi précieux. Puis, pour peu que l'esclave fut d'un bon rapport et d un caractère agréable, on arrivait à le considérer comme un membre de la famille lui-même se prêtait d'autant plus volontiers à cette transformation des relations avec ses maitres, que l'éloignement de son pays ainsi qu'un certain fatalisme avaient, depuis longtemps déjà, détruit chez lui toute velléité de révolte contre sou sort. Nous avons déjà vu que l'esclave n'avait aucun droit sur ses enfants. Ceux-ci appartenaient au maître, mais il n'en résulte pas que fils d'esclaves ils restaient esclaves. Loin de là ils devenaient Dahoméens, membres de la famille du maître (1).
Si bizarre paraisse cette coutume et surtout si en contradiction soit-elle avec les renseignements fournis sur la matière par certains, nous la tenons pour exacte, parce que nous l'avons contrôlée auprès de nombreux indigènes de toutes les classes dahoméennes. Il nous en ont donné l'explication suivante « Le sol du Dahomey était au roi et tout ce qui y naissait était Danhomènou, chose ou gens du Danhomey, appartenant au roi ». Et c'est tellement vrai que (1) Il ne faudrait pas prendre dans un sens trop strict ce terme « membre de la famille du maître ». Au point de vue successoral, par exemple, si les enfants du maître et d'une de ses esclaves concouraient à l'héritage paternel au même titre que leurs frères nés de femmes dahoméennes, il parait certain qu'il n'en était pas ainsi des enfants de deux esclaves, sauf le cas d'adoption que nous avons signalé plus haut sous le nom d'u akouèvi » (fils d'argent),
même un enfant, conçu avant l'esclavage de sa mère, mais né au Dahomey, était Dahoméen.
La qualité de Danhomènou rendait d'ailleurs les gens inaliénables. Ce principe, auquel le roi lui-même ne contrevenait jamais, serait dû à Ouêgbadja et son inobservation de la part d un sujet quelconque entraînait immanquablement la mort. Toutefois les enfants assassins encouraient généralement l'esclavage plutôt que la peine capitale. D'aucuns prétendent même que des criminels d'origine dahoméenne étaient versés dans les convois de captifs destinés aux négriers, lorsque le nombre des esclaves de race étrangère ne suffisait pas (1).
On cite encore comme ne pouvant pas être vendu un esclave qui, ayant grandi au Dahomey, avait accompagné les guerriers dahoméens dans leurs expéditions, ainsi qu'un esclave que le maître avait tatoué des marques de sa famille. Ni l'un ni l'autre ne recouvraient pour autant leur liberté. Ils continuaient à être la propriété du maître mais en fait ils occupaient dans la famille la place d'enfants plutôt que celle d'esclaves.
A côté de l'esclavage il faut mentionner les Ouêmêsi et les glési qui formaient comme un échelon intermédiaire entre les esclaves et les simples Dahoméens. Les Oumêsi, le mot le dit, étaient « sous la dépendance de (1) C'est encore la préoccupation de sauvegarder l'inaliénabilité du « Danhomènou » qui amena, de bonne heure, les rois à réglementer la caution humaine un individu ne pouvait donner son enfant en gage d'un emprunt sans en prévenir les autorités de son village et de sa région autrement il se serait exposé à des poursuites pour vente d'un Dahoméen.
la justice », généralement à la suite d'une faute commise par l'un des leurs et qui avait entraîné le dispersement de la famille avec la confiscation de ses biens. Ils étaient encore Danhoménou, gens du Danhomé, mais ils avaient perdu leur liberté ainsi que leurs droits de famille. Les garçons étaient enrôlés dans les armées, les filles et les épouses données en mariage ou plutôt vendues à des Dahoméens, moyennant une certaine somme versée au chef qui avait été chargé par le roi de casse)1 leur demeure familiale. Souvent même il fallait payer la rançon des filles déjà en puissance de maris avant le châtiment.
On appelait glési un individu désigné par ordre du roi pour cultiver au profit d'un chef ou d'un notable. Presque tous les glési descendaient d'esclaves du roi mariés entre eux, mais leur naissance sur le territoire dahoméen les empêchait d'être esclave à leur tour. Ils gardaient pour eux une partie des fruits de leur travail. Ils pouvaient acquérir, posséder et se marier sous n'importe quel régime. Une seule chose leur était interdite se soustraire à l'obligation de cultiver pour autrui. Cette restriction à leur liberté est d'ailleurs le trait caractéristique de l'institution des glési. Elle est définie complètement par le suffixe si, qui exprime une idée de dépendance absolue, de consécration. Les glési étaient voués à la culture (glé), comme les vôdounsi étaient voués au fétiche. Les grands cabécères, les chefs de villages, les mères des rois ne les possédaient pas; les glési dépendaient de la charge elle-même, de sorte qu'un changement de titulaire de celle-ci n'amenait aucune modification dans leur situation.
CHAPITRE II
GUERRE ARMÉE
En 1893 la colonne française envoyée contre Béhanzin trouva devant elle un adversaire dont personne ne soupçonnait la force de résistance.
Déjà depuis deux existences d'hommes, les guerriers dahoméens ne formaient plus ces hordes sans cohésion, qui devaient la victoire à leur seule furie sauvage contre d'autres bandes non moins indisciplinées. Le roi Ghézô, conseillé par son ami le Chacha (1), avait créé un corps permanent de soldats exercés. Il avait jeté ainsi les bases d'une armée dahoméenne, qui d'année en année s'était rapprochée de la caricature d'une force européenne. Cette armée avait accru sans cesse le nombre de ses permanents et de ses bataillons pourvus d'armes perfectionnées mais son courage réellement admirable ne put jamais compenser son manque d'instruction militaire, d'homogénéité et de discipline au feu. Il ne reste plus rien de cette armée il ne reste même plus un embryon de l'organisation guerrière du Danhomé. Les chefs de guerre les plus réputés cultivent tranquillement leurs palmeraies ou bien ont accepté avec empressement, (1) Le rtinrha était un commerçant portugais de Ouidah.
du gouvernement français, des fonctions dans l'administration indigène les terribles amazones sont devenues d'excellentes mères de famille.
Personne ne songe plus t la guerre Et, si par hasard, un ancien soldat consent à rappeler ses souvenirs devant nous, il raconte, sans haine, comment les Français ont cassé le Danhomé il parle sur un ton bon enfant, qui ne déguise aucune arrière-pensée de revanche « Si on avait su les Français si forts Mais qui pouvait prévoir que des blancs, toujours en hamacs à Ouidah, connaissaient si bien la guerre et oseraient la porter jusque chez nous Ghèzô le buffle, Glélé le lion, Béhanzin le requin, avaient cassé tant de villages chez les Nagots et chez les Mahis! » Repris alors par les souvenirs plus glorieux des guerres contre les peuplades voisines, l'ancien soldat vante ses exploits, ceux de son père, ceux qu'il a. entendu conter aux veillées. Ce n'est plus alors que têtes coupées, ventres ouverts, bons tours joués aux ennemis, esclaves capturés
Et nous qui voulions lui demander des renseignements sur la méthode de combat des Dahoméens et sur la composition de leurs bandes
Pourtant à force d'entendre de semblables narrations guerrières, nous sommes parvenu à grouper certains faits qui nous permettront de retracer l'histoire de la force militaire du Danhomé. Il manquera vraisemblablement à cette histoire le mérite de la précision mais elle aura, du moins, l'originalité d'être écrite par les indigènes, pour ainsi dire car nous n'écrirons rien que nous n'ayions entendu de leur propre bouche.
Les premiers rois dahoméens conduisaient eux-mêmes leurs bandes au combat. Dans ce temps-là tous les hommes valides étaient guerriers et la guerre constituait la principale occupation de la tribu, obligée d'acquérir puis de défendre son territoire les armes à la main, suscitant parmi ses voisins des jalousies et des craintes, entraînée par une conquête dans une autre conquête.
Pendant longtemps, contre les Ghédévi (1) leurs adversaires, qui savaient tirer de l'arc, les fondateurs du Danhomé se servirent uniquement de casse-têtes en bois et de frondes en cordes, avec lesquelles ils lançaient des balles, résidus de minerais ferrugineux. Ils connurent de bonne heure, pourtant, les armes à feu mais ils n'en possédèrent qu'un petit nombre qu'ils curent grand peine à utiliser. C'était plutôt un luxe qu'un armement.
On raconte, en effet, que Gbcdiga, chef de Zoukou, qui avait procuré les premiers fusils à Ouègbadja (deuxième roi), avait eu soin d'en enlever les pierres, si bien que les guerriers, pour s'en servir, devaient les allumer avec un tison, ce qui empêchait la mise en joue.
D'après d'autres récits, ces premiers fusils étaient très lourds et posés sur des bâtons. Les tireurs en redoutaient tellement la détonation qu'ils les allumaient du plus loin possible et se sauvaient aussitôt.
Sans nous attarder à rechercher de quels fusils veulent parler les narrateurs indigènes, nous noterons simplement que les Dahoméens font remonter au règne de Ouègbadja (1) Ghedèvi est le nom des pricipales tribus qui occupaient le plateau d'Abomey au moment où y sont arrivés les Aladahonou. fondateurs du Danhomé.
l'importance des armes à feu, ce qui indique qu ce temps-là déjà l'action des comptoirs européens de Ouidah s'étendait à plus de cent kilomètres à l'intérieur, malgré les difficultés résultant, pour la pénétration commerciale, de la division du pays en tribus très nombreuses, souvent en guerre et soucieuses de leur indépendance au point d'exiger des droits de passage sur leurs territoires, même pour les porteurs d'eau.
Quand Agadja (quatrième roi) eut conquis Savi, la puissance dahoméenne fut maîtresse du commerce de Ouidah il semble qu'elle lui demanda surtout des armes à feu. Les rois n'autorisèrent leurs sujets à faire la traite que moyennant le prélèvement, par leurs agents, d'un fusil et d'un baril de poudre sur les marchandises troquées contre un esclave. Eux-mêmes approvisionnèrent abondamment les négriers pour recevoir en retour des armes européennes. On voit alignés dans la cour de la Résidence d'Abomey des canons en fonte qu'ils obtinrent ainsi; d'autres, plus nombreux, sont encore enfouis dans les fossés où les fit cacher Béhanzin au moment de sa fuite.
Certaines de ces pièces ont leur histoire. Un beau canon en bronze, portant la date de 1640 et le nom de Dordrecht, fut pris par Kpengla (sixième roi) aux gens d'Okiodan qui ne l'avaient acheté que parce que le roi dahoméen en avait trouvé é le prix exagéré. Deux mortiers servirent dans une des guerres de Glélé contre Abéokouta. Les guerriers eurent bien du mal à les porter mais quel succès Leur seule détonation mit l'ennemi en fuite La colonne française de 1893 trouva les Dahoméens armés de Winchester et autres fusils de précision que leur avaient vendus des commerçants étrangers.
Nos troupes reçurent même quelques coups de deux mitrailleuses françaises. L'une d'elles qui porte le nom de Maréchal de Marilhac nous fut prise en 1870 des commerçants allemands la vendirent à Bélianzin et maintenant elle git lamentablement sur un affût de fortune dans la cour de la Résidence.
Béhanzin, pour le maniement de toutes les armes perfectionnées qu'il donna à ses troupes, eut des instructeurs européens et il est fort intéressant de l'apprendre autrement que par les documents officiels de la Colonie. Voici, à ce sujet, un curieux récit d'un ancien chef de guerre « Alors que la guerre avec les Français n'était pas encore commencée, deux blancs arrivèrent en hamac à Abomey. Ils étaient suivis de très nombreux porteurs qui furent introduits au palais avec eux. Dans la soirée, ils reparurent, parlant très fort, ce qui ne fut pas sans nous étonner, car jamais personne n'avait élevé la voix ainsi auprès de la demeure de nos rois. Ils n'avaient plus qu'une dizaine de charges. Le lendemain, Béhanzin m'appela avec d'autres de nos camarades. 11 nous fit placer sur une ligne on nous distribua des fusils nouveaux dont le roi, lui-même, avec le Caou et le Posou, les deux grands chefs de guerre, nous montrèrent le maniement. Le roi semblait particulièrement impatient et les joues de plusieurs d'entre nous s'en aperçurent. Il nous prévint que nos soldats auraient ces mêmes fusils et que nous devions leur apprendre à s'en servir aussi rapidement que lui-même nous l'avait appris ».
Dès le temps des premiers rois, apparaissent dans les récits guerriers deux grands chefs militaires, le Garni et le Posou. Ils correspondaient aux deux grands chefs « adminis-
tratifs » le Migan et le Méhou et, comme eux, n'étaient jamais choisis parmi les princes.
Ceux-ci ne furent admis aux hautes dignités militaires qu'au temps de Glélé mais encore n'occupèrent-ils pas des situations indépendantes. C'est ainsi que deux frères du roi furent adjoints l'un au Garni avec le titre de Malro, l'autre au Posait avec le titre de Aoiriy bamt'
Au-dessous de ces quatre chefs supérieurs venaient les Aouangan. Ils étaient chargés de la mobilisation et du commandement des guerriers de leurs villages [aouanfonnlo)(\).
Les guerriers des villages comprenaient tous les hommes libres ainsi que les esclaves capturés en bas âge et grandis au Dahomey. Aussi leurs bandes dépassaient-elles de beaucoup en nombre les troupes régulières créées depuis Ghézô mais leur armement était encore moins homogène et surtout moins perfectionné. Les mauvais fusils à pierre et l'arc n'y remplacèrent que très tard la hachette et la houe. Les guerriers partis en expédition, il ne restait plus au Dahomey que les vieillards et les femmes avec les nouveaux esclaves, les gens attachés à la glèbe (glèsï) et leurs surveillants.
Dans quelles conditions se faisait la mobilisation des guerriers? Quelle était la formation des troupes en marche et leur tactique en pays ennemi '?
l'a, le Destiu, a été consulté sur l'expédition à entre(1) Aouan signifie également guerre et troupe; gan = ehe)'; l'oun aouan = faire la guerre aouan fouiilo – celui qui fait la guerre.
prendre et ses réponses ont été favorables. Le roi appelle alors son premier général (gaou), le coiffe d'un serre-tête et lui indique le pays qu'il veut attaquer.
Aussitôt les tamtams de guerre résonnent; ils sont petits et très sonores. Ceux qui les frappent passent rapidement chez les chefs de bandes (aouangan) et entendent leur signal se répéter de village en village.
Les guerriers se rendent immédiatement près de leurs chefs respectifs,puis sont conduits en un point de rassemblement que le gaou a fait indiquer et qui est toujours situé à l'opposé du pays où la guerre doit être portée. La surprise domine en effet dans la tactique dahoméenne.
Pour la mener à bien de grandes précautions sont également prises dans la marche en avant. La foule des guerriers évite les sentiers elle chemine à travers la brousse, même en territoire dahoméen, et, quand elle a atteint le pays ennemi, elle se dérobe silencieusement dans les fourrés parallèlement aux sentiers que suivent les « espions-éclaireurs » (aybadjigbèlo).
Ceux-ci constituaient une institution vraiment remarquable, dont l'honneur revient au roi Agadja (quatrième roi). Ils tenaient en paix de l'espion et en campagne de l'éclaireur. Bien longtemps avant les expéditions, ils parcouraient le pays que devait dévaster l'armée dahoméenne. Ils s'y présentaient comme de simples commerçants, reniant au besoin leur roi et ne redoutant même pas de jurer par le fétiche des amitiés, avec la ferme intention de les tromper. Tous moyens leur étaient bons pour connaître les routes du pays, le nombre de ses guerriers, les habitudes de ses habitants.
De retour à Abomey les espions dahoméens jouaient un rôle non moins cynique. Comme le roi n'aimait pas avoir l'air d'entreprendre des guerres injustifiées, ils se chargeaient volontiers de lui procurer tous les prétextes désirables. Leurs récits étaient alors remplis de mauvais traitements qu'ils avaient subis, de propos désobligeants qu'ils avaient entendus contre le roi et ses sujets. La nouvelle de tant d'injures à la dignité dahoméenne était habilement répandue et l'opinion publiqua surexcitée réclamait vengeance. L'armée dahoméenne est maintenant en plein territoire ennemi. Les espions-éclaireurs la précèdent. Ils ont repris l'allure de colporteurs et suivent les sentiers par groupe de deux, convenablement espacés pour ne pas se perdre de vue et former, cependant, une pointe d'avant-garde importante. Les indigènes ne se doutent pas du danger imminent et vaquent à leurs occupations habituelles. En voici même un qui, en toute quiétude, suit le sentier non loin duquel se dissimulent les Dahoméens. Les deux premiers éclaireurs l'ont aperçu et l'ont signalé d'un geste à leurs camarades qui immédiatement se sont couchés à terre. Puis, sans hâte, indifférents en apparence, ils ont continué leur marche. Ils saluent de loin l'inconnu dans sa langue. ils l'abordent et avant qu'il profère un cri, le terrassent, le ligotent et le haillonnent.
L'armée dahoméenne avance ainsi sans que personne puisse la signaler.
A la faveur de la nuit, elle s'approche d'une ville et l'enveloppe. Ensuite, silencieuse dans la brousse, elle attend le chant du coq. Alors les guerriers surgissent et se précipitent avec furie. Leurs rangs sont si serrés et leur encercle-
ment si bien combiné, qu'aucun habitant n'échappe. Ils pillent, ils incendient, ils capturent hommes, femmes, enfants et tuent tous ceux qui résistent.
La surprise a pleinement réussi La ville est « cassée ». On en envoie la nouvelle au roi.
Depuis qu'Agadja fut blessé au bras en combattant, le roi ne se risque plus à la tête de ses guerriers. Il les suit à deux heures de distance, entouré de gardes vigilants et de son harem. Il n'a aucun ornement distinctif et, chaque fois que cela devient nécessaire pour lui éviter d'être reconnu, il quitte son akpakpa, sorte de grand berceau en bois suspendu comme nos hamacs aux extrémités d'un bambou, et il se confond au milieu des chefs, sans aucun protocole mais eux épient ses moindres gestes qui sont des ordres. Toutes les expéditions n'ont pas toujours été couronnées de succès comme celles que nous venons de rapporter. Le Dahoméen n'est conquérant invincible que dans les légendes, que content les vieux guerriers chez eux et les basreliefs sur les murs du palais. Ceux, qui possèdent son histoire, transmettent, sous le sceau du secret, ses défaites et aussi les invasions qu'il a subies sans avoir cherché son salut autrement que dans la fuite.
Nous avons déjà vu que l'honneur de la création des soldats permanents revient a Ghézô. C'est it ce môme roi qu'est due une meilleure utilisation de l'armement. A Adjahito, là où s'élève maintenant l'école française d'Àbomey, les jeunes gens s'exercèrent à l'arc. A llodjà, sur les rebords du plateau non loin de la Résidence, on voit encore quelques buttes (lui servirent (le cibles aux fusiliers dahoméens.
Ceux-ci apprirent en même temps à se servir de petits sabres pour donner la chasse à l'ennemi après l'avoir mis en fuite avec leurs armes en feu.
Mais la création de Ghézô la plus originale fut sans conteste celle des amazones. Leur premier bataillon fut composé, dit-on, uniquement de femmes du roi, qui, très renommées pour la chasse à l'éléphant, s'étaient prétendues aussi expertes dans la chasse à l'homme. Elles firent leurs premières preuves dans la guerre contre les peuplades nagotes de Sèlou-Aïzè.
Leur valeur guerrière acquit d'un seul coup une telle renommée que, sous les règnes qui suivirent, au moment de difficultés les plus grandes, d'autres bataillons d'amazones furent créés. C'est ainsi qu'après les revers d'Abéokouta, Glélé réunit 1.600 femmes sous le commandement d'une de ses épouses Djèdopo, qui donna son nom aux nouvelles fusilières. Dans les mêmes circonstances 1.200 femmes formèrent les Agodjiè et 160 les Aouannaton ̃>. Les Agodjiè furent les plus terribles des amazones de Glélé. Au combat elles tiraient seulement deux coups de fusil puis se précipitaient à l'arme blanche, en chantant leur refrain préféré « Que les hommes restent donc à la maison pour cultiver le maïs et les palmiers Nous, nous irons retourner les entrailles avec nos houes et nos coupes-coupes ». Les Aouannaton comprenaient des femmes des trois ordres sociaux, princes, grands dignitaires et simples particuliers leur nom dérive de cette particularité.
Béhanzin créa, avec un noyau de femmes du palais, les Houisôdji, dont le nom forme les premières syllabes d'un hymne que ces guerrières chantaient en brandissant leurs
glaives « Nos glaives forment une montagne plus infranchissable que celle des Mahis ». Ce sont elles qui se mesurèrent le plus souvent contre nos soldats leur furie et leur dédain des dangers valurent à toutes les amazones le terrible renom qui nous est parvenu jusqu'en France. Ce renom est à coup sûr mérité, si l'on s'en rapporte aux récits qui dépeignent les guerrières dahoméennes buvant le sang de leurs victimes, si l'on en juge encore par ce basrelief du palais, où est représenté une femme penchée sur un nagot terrassé et occupée à lui déchirer la poitrine avec une houe. Mais nous ne croyons pas qu'il faille ajouter foi à certaines descriptions qui nous montrent les amazones astreintes à la virginité et forcée de subir l'ablation du sein droit. Nous n'avons obtenu chez les indigènes aucun renseignement verbal corroborant ces faits. Par contre nous avons rencontré plusieurs anciennes guerrières qui, devenues mères de famille, laissaient voir des charmes qu'eussent ambitionnés bien des nourrices françaises. Elles ne semblaient avoir conservé de leur ancien état qu'une certaine humeur belliqueuse qui s'exerçait tout particulièrement contre leurs maris.
Les Dahoméens ont porté leur plus grand effort guerrier contre Abéokouta. Abomey était devenue la rivale de cette capitale des Nagots, après lui avoir payé pendant longtemps un tribut. Abomey voulait une revanche et son roi Glélé la poursuivit tout son règne. Cela devint même une obsession les allégories et les chants de cette époque en sont presque tous empreints et on la retrouve aussi dans les noms de plusieurs corps de soldats.
« Je suis devenu comme le grand antilope furieux (N'djè
sôflimatan), dit le roi Glélé après son premier échec devant Abéokouta. Je foncerai sur l'obstacle aveuglément comme lui Qu'on m'amène des guerriers » Ces paroles furent entendues des chefs dahoméens. Ils unirent leurs efforts pour rassembler 2.000 nouveaux soldats, qu'ils présentèrent au roi en disant « Voici tes antilopes furieux tes sôflimatan.
En la circonstance, Vilun, un des principaux cabécères, se distingua entre tous les chefs. Il recruta lui-même 200 hommes. Quand il les conduisit devant le roi il tint à peu près ce discours « De retour d'Abéokouta tu as dit que rien n'arrête le buffle qui trépigne. Voici tes buffles qui trépignent (agbo takalaka), envoie-les combattre avec tes antilopes furieux, avec tes {sôflimatan).
Un autre corps de 400 soldats fut appelé Tchatuê'ton hou gbrfton kou pour commémorer cette autre parole de Glélé « Qu'Abéokouta disparaisse Périssent même ses grillons »
Enfin, deux mille hommes encore prirent pour devise Sonnou cTjaga. Tous les hommes en avant Que tous les hommes prennent les armes pour casser Abéokouta ] A côté de ces bataillons dont l'appellation indique suffisamment le but de leur création, il convient de signaler UAhovi-ouan un des corps les plus nombreux, composé exclusivement des princes (Ahovi) ou de leurs propres esclaves.
L'Amliman, qui ne comprenait que des fils de chefs, au nombre de 400 environ.
Les Blou, choisis parmi les Dahoméens les plus grands et les plus corpulents. Ils formaient la garde de Glélé et
leur nom servit à désigner l'ensemble des troupes de ce roi, comme le nom de Man avait été réservé aux troupes de Ghézô.
Les Fou/ou kou, créés par Glélé, spécialement en vue de la destruction de Uéfin. Ils parlaient le langage de Santé bien que Dahoméens. 11 faut voir là probablement une idée superstitieuse de Glélé à qui, Fa (le Destin) avait promis une victoire certaine à condition d'accentuer les liens de parenté des Dahoméens avec les gens de Santé. N'oublions pas, en effet, que Aladahonou et gens de Santé avaient des origines communes dont les fétiches avaient exigé déjà la mise en évidence par des appellations semblables données à des quartiers, à des parties du palais, à des portes d'Abomey et de Santé.
Les Sakpo, composés des soldats qui avaient dormi durant une veillée d'arme. C'est pour les punir, nous a-t-on raconté, que le roi ne les envoyait sur le champ de bataille qu'à la fin du combat. Jusqu'à ce- moment ils restaient avec sa garde.
VAladatou, contingent de fusiliers d'Alada, dépassait, parait-il, 8.000 hommes.
Les Adopo, contingent d'Agony. C'étaient plutôt des porteurs que des combattants, et, comme souvent ils désertaient, le roi n'autorisait pas l'inhumation de leurs morts avant l'arrivée des remplaçants.
Les Da-nou-oualo étaient recrutés parmi les auteurs de délits. Leur nom indique d'ailleurs fort bien leur origine, « auteurs de choses osées ».
A Béhanzin l'armée dahoméenne est redevable de la création d'autres bataillons, parmi lesquels il convient de
citer les Aoitan-houndé fusiliers particulièrement nombreux qui encadraient une sorte de compagnie do discipline, les Ouohoun kpali. « Ceux-ci comprenaient surtout des soldats qui avaient mal entretenu leurs armes », nous disait un indigène et « leur nom sert encore il désigner un individu dont on ne peut tirer aucun parti ».
Les troupes régulières dahoméennes qu'eurent à combattre les soldats du général Dodds étaient armées du fusil (tou) souvent perfectionné, du sabre (houi) suspendu à un baudrier en corde ou en étoffe et du poignard (adèkpè) leur cartouchière, en cuir (tèkpo), était portée en bandoulière.
Elles avaient un embryon d'uniforme, particulier à chaque bataillon. Les sôflimatan, par exemple, portaient l'asaga culotte demi-longue les Blou avaient l'avounto, culotte qui arrivait au-dessus du genou et dont les coutures latérales formaient deux sortes d'oreilles de chien (to = oreille, avoun = chien); les Amliman revêtaient une veste à pans postérieurs les amazones avaient toutes un caraco [akon-aou, vêtement de poitrine) les tchatïiè-ton Itou coiffaient un bonnet à oreillettes sur lesquelles était découpé, en étoffe de couleur, l'oiseau tchatùè. Le bonnet à oreillettes ornées d'animaux ou d'oiseaux découpés était d'ailleurs d'un usage courant chez les guerriers dahoméens, ainsi que l'akasan, tunique sans manches et à coutures latérales.
Les troupes régulières comprenaient beaucoup de criminels punis à perpétuité ou d'auteurs de simples délits punis à temps. On raconte même que, pour se procurer judiciai-
rement un plus grand nombre de soldats, le roi envoyait des femmes de son palais dans certains grands villages. Leurs charmes ne manquaient pas d'exciter les plus beaux garçons, dans les bras desquels elles succombaient volontiers et qu'ensuite elles dénonçaient comme les ayant violentées. Mais que ne racontent pas les ennemis des Dahoméens Quoi qu'il en soit la justice n'était pas une pourvoyeuse suffisante, l'arbitraire des chefs intervenait pour la plus large part dans le recrutement des soldats réguliers, mais personne n'osait murmurer contre cet état de choses ni essayer de s'y soustraire, car un vieux père, une mère vénérée, une case familiale eussent payé irrémédiablement pour le coupable.
Il en était ainsi pour les corps d'amazones. Deux chefs, Kpakpa et Dosououan désignaient dans les villages celles des jeunes filles qu'ils trouvaient aptes aux labeurs guerriers et celles qu'ils estimaient pouvoir augmenter agréablement le harem ou le groupe des chanteuses du roi. Résignées, elles suivaient leurs ravisseurs officiels et apprenaient avec autant d'ardeur l'usage des armes ou les jeux de l'amour. Ici nous terminons notre étude sur l'armée dahoméenne. Nous aurions voulu la prolonger il y aurait tant de traits et d'aventures caractéristiques à rapporter Mais nous laissons ce soin à des plumes plus autorisées que la nôtre. Elles trouveraient dans l'âme guerrière du Danhomé un véritable trésor qu'elles pourraient exploiter pour créer une épopée où le merveilleux ne le céderait qu'à la terreur.
CHAPITRE III
JUSTICE
Dans les tribus qui ont formé le Dahomey, la justice, avec le droit de vie et de mort, était exclusivement entre les mains des rois (ahosou). Mais aucun de ceux-ci n'était devenu assez puissant pour étendre son autorité, d'une façon absolue, en dehors des agglomérations formées par ses parents, ni même pour amener ses voisins à accepter son arbitrage dans leurs différends, soulevés le plus souvent par des contestations de terrains, des rapts de femmes ou des actes de vengeance individuelle.
Aux Aladahonou ainsi s'appellent les fondateurs du Danhomé – il appartenait de faire cesser cet état de choses, en confisquant, au profit de leurs rois, les pouvoirs des rois des tribus, au milieu desquelles ils étaient les derniers arrivés.
La tradition est précise sur ce point et c'est à Ouêgbadja, le deuxième roi du Danhomé, qu'elle attribue l'honneur d'avoir édicté les premières lois qui interdirent, dans les tribus soumises aux Aladahonou, non seulement la vengeance individuelle mais aussi l'exercice de toute autre justice que la sienne.
Désormais le roi du Dahomey fut le grand justicier. Il exerçait ses prérogatives devant les portes du palais, en présence du peuple et des guerriers. Le Migan et le Mèhou, ses deux premiers ministres, se tenaient l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. Aucun débat n'avait lieu en sa présence. Au milieu d'un silence émouvant, s'élevait seule la voix de l'accusateur, qui résumait l'affaire, telle que l'avaient étudiée avec lui des chefs ou des grands cabécères. Si l'accusé avouait son crime, le roi prononçait la peine envoi aux armées prison à temps prison perpétuelle mort qui était exécutée aussitôt. Dans le cas contraire l'accusé subissait les épreuves du fétiche.
Ces épreuves consistaient pour le patient en la présentation d'un coq, auquel on faisait boire une certaine quantité de liquide. La mort du coq indiquait la culpabilité. Les expressions employées par les indigènes pour désigner l'épreuve et ses résultats montrent suffisamment leur croyance en l'occasion. Il boira le poison, disent-ils en parlant de quelqu'un qui va subir l'épreuve. Il a bu le poison et vit, exprime l'innocence. Il est mort par le poison, traduit l'idée de culpabilité.
Pourtant nous croyons pouvoir affirmer que le poison n'entrait pour rien dans les épreuves du fétiche. Celles-ci se pratiquent encore d'ailleurs, mais en dehors de toute action des autorités. Nous avons tenu à y assister et voici ce que nous avons vu
Dans une petite case, sans aucun décor, se tient l'opérateur, qu'on appelle l'adinon (celui qui possède le poison). Un serre-tête blanc lui sert de coiffure, parce qu'il a rang de féticheur. Près de lui sont assis un aide et un
représentant de l'ancien « introducteur au palais » l'adjaho).
Celui qui veut subir les épreuves s'agenouille à l'entrée de la case; il remet quelque argent à Vadinon et lui présente un coq.
L'adinon broie une écorce rouge en murmurant des invocations il verse la poudre ainsi obtenue dans une petite gourde à goulot étroit et y ajoute de l'eau. Puis, ouvrant le bec du coq, que lui présente son aide, il fait avaler à l'animal toute sa mixture.
Bien qu'on prétende que l'écorce rouge renferme un poison, nous sommes persuadé, au contraire, qu'elle ne produit aucun effet nocif. Elle ne sert qu'à frapper des imaginations déjà disposées à la crédulité. Toute la supercherie réside dans les gestes de l'opérateur. Celui-ci ouvre le bec du coq en exerçant une pression avec le pouce sur la mandibule inférieure, en même temps qu'il appuie l'index sur la gorge de l'animal. Il peut ainsi, à volonté, contracter le gosier et déterminer l'étouffement.
Les affaires au civil étaient soumises aux chefs de villages ou de provinces, ou encore à des grands dignataires qui se tenaient en permanence sous des abris aménagés à leur disposition en face du palais. Dans le cas où ces affaires prenaient des proportions telles qu'elles arrivaient presque à passionner tout le pays, c'était le roi qui les réglait. Lui seul, en outre, jugeait les crimes et les gros délits. Citons entre autres
a) Le vol avec effraction ou escalade, puni d'emprisonnement, une première fois, et de mort en récidive.
Le vol sur les chemins, avec ou sans embuscade, puni de mort.
b) L'incendie volontaire, puni de mort.
c) L'homicide, puni de mort.
En principe, la justice dahoméenne ne faisait aucune distinction entre les diverses sortes d'homicide. « Qui a tué doit être tué », prescrivait-elle. Et chez des primitifs aussi querelleurs, batailleurs et vindicatifs que les Dahoméens, cette conception se comprend presque. Tout homicide, même accidentel, leur apparaissait comme susceptible d'occasionner une vengeance plus ou moins lointaine, plus ou moins directe. Il était alors préférable de faire disparaître le meurtrier, car c'était supprimer, du même coup, tout élément de discorde entre sa famille et celle de sa victime et prévenir ainsi d'autres meurtres. En outre les rois avaient installé des chefs pour écouter les doléances ou les leur transmettre. Si donc il surgissait une rixe au sujet d'une femme, d'une palmeraie ou d'un terrain et que mort d'hommes s'ensuivait, quelle circonstance atténuante pouvaient invoquer les meurtriers ?.
Le raisonnement qui précède ne s'appliquait dans toute sa rigueur ni à l'homicide par imprudence accidents de chasse, par exemple, ni à l'homicide en cas de légitime défense. Dans ces cas, pour éviter toute représaille de la part des parents de la victime, les rois jugeaient prudent soit d'enrôler l'auteur de l'homicide parmi leurs guerriers, soit de lui enjoindre de quitter son village.
d) Le viol, puni de mort.
Les Dahoméens ne distinguent pas au point de vue faute, la tentative de viol du viol consommé, quand la victime est
une enfant. Par contre, ils ne semblent pas admettre pour une femme ou pour une jeune fille pubère la possibilité d'être violée.
e) L'adultère était puni de peines différentes suivant la qualité des auteurs.
L'homme, coupable d'adultère, était condamné à la prison ou incorporé parmi les guerriers permanents, si le mari lésé n'était qu'un simple Dahoméen. Il était puni d'emprisonnement, suivi le plus souvent de bannissement, si sa complice était l'épouse d'un chef; de mort si elle était l'épouse du roi.
La femme coupable d'adultère ne recevait généralement qu'une correction corporelle elle continuait à demeurer cher son mari, auquel l'enfant adultérin appartenait au même titre que les siens propres.
Les épouses royales coupables d'adultère étaient punies de mort.
L'adultère des princesses même épouses royales n'était que faute légère la coupable passait, tout au plus, quelques mois dans la demeure du « précepteur des princes », Méhou.
Rappelons que pour une jeune fille, fiancée sous le régime hon9bo, le fait de prendre un amant était repréhensible au même titre que l'adultère de la femme mariée. (Voir chapitre des Unions).
Dans ce qui forme maintenant le cercle d'Abomey, il n'y avait que quatre prisons, chacune sous l'autorité et dans la demeure d'un des grands chefs suivants Migan et Méhou les deux premiers ministres; Adjaho, grand introducteur et
gardien du palais Kpakpa, recruteur du harem et des chanteurs du roi.
Les autres grands dignitaires, qui commandaient une région, n'avaient que des maisons d'arrêt où ils incarcéraient les malfaiteurs avant de les diriger sur Abomey. Quant aux tâhosou, c'est-à-dire ceux qui représentaient les rois des anciennes tribus, ils n'avaient aucune prison ni aucune maison d'arrêt, tout ou moins sous les règnes des deux derniers rois.
Le Mèhou, qui, en outre de certaines fonctions « administratives », s'occupait spécialement de la famille royale, ne recevait dans sa prison que des princes. Si l'un de ceux-ci méritait la mort, il n'était pas exécuté publiquement. Le Mèhou se chargeait de le faire disparaître et on disait, en langage courant, qu'il avait été « perdu ».
Les condamnés à la détention perpétuelle subissaient leur peine sur les bords du Koufo, en un lieu appelé « que le pied ne s'y pose pas » (afo-ma-i). Ils ne revoyaient plus personne des leurs jusqu'à leur mort ils cultivaient pour le roi, sous la garde des « chefs de fer » {gangan). Si, par hasard, le roi avait besoin de les interroger à nouveau ou de leur demander un renseignement sur une affaire dont ils avaient pu avoir connaissance avant leur détention, ils étaient conduits à Abomey la nuit, mystérieusement et couverts d'un voile.
Nous avons déjà eu l'occasion de remarquer que le crime d'un chef de groupe familial entraînait presque toujours la destruction de sa demeure et la dispersion des siens. On disait que « sa maison avait été cassée ». Pendant que luimême payait de sa tète ou de sa liberté un crime qui
quelquefois n'existait que dans l'imagination d'un jaloux un chef était délégué par le roi pour s'emparer de ses biens, de ses femmes, de ses enfants et pour les distribuer aux plus offrants. Femmes et enfants s'appelaient des Ouémê-si, des « gens sous la dépendance absolue de la Justice ». Ils restaient Dahoméens, mais avaient perdu le droit de vivre en groupe autour d'un des leurs, sur une terre défrichée et mise en valeur par eux. Quelquefois, après des années, le roi se laissait toucher et autorisait la reconstitution du groupe familial et de sa demeure. C'était une réhabilitation le nom de l'ancêtre condamné reparaissait porté par un des siens.
Le premier ministre du roi, le Migan, ajoutait à ses hautes fonctions celles de bourreau et ce n'était pas celles dont il s'acquittait avec le moins de fierté. Rarement il confiait à ses aides le soin de manier le sabre à large lame, pour abattre la tête d'un coupable, ou de présider au tortures qui précédaient souvent la peine capitale.
Un fils du roi Glélé nous a raconté avoir assisté aux exécutions d'un incendiaire et de six voleurs ordonnées par son père. L'incendiaire fut attaché à un poteau et sur son corps les bourreaux promenèrent des tisons ardents, avant d'achever de le faire mourir sur un bûcher. Quant aux voleurs, des coins en bois avaient été enfoncés dans leurs bouches et maintenus par des cordes que le sabre de Migan se chargea de dénouer en tranchant leurs têtes.
Mais un supplice, qui semble être resté gravé tout particulièrement dans la mémoire des Dahoméens, fut celui que le roi Glélé fit subir à deux de ses épouses coupables d'adul-
tère et à leurs complices, convaincus en outre de conspiration contre le roi.
Laissons la parole à un narrateur indigène
« Le malro, premier adjoint au général en chef et frère du « roi Giclé, avait ourdi un complot pour s'emparer du pou« voir mais il fut démasqué ainsi que quatre de ses compli« ces, dont un nommé Adjakoho. On découvrit aussi qu'il « avait été l'amant d'une épouse du roi, nommée Lënsouhouè « et que ses relations avec elle avaient été facilitées par une « autre femme Aïna.
« Le matro, en sa qualité de prince, ne fut pas châtié « publiquement. On le « perdit », c'est-à-dire qu'il disparut « à tout jamais chez le Mèhou, précepteur de la famille « royale.
« Quant à ses complices, le Danhomé tout entier assista à « leur supplice.
« Les quatre hommes furent attachés à des poteaux sur la « place d'Adjahimè, où s'élève maintenant l'école d'Abomey, « et le Migan cria « Qu'on se taise qu'on m'écoute quand « un Dahoméen commet un crime, je lui tranche simplement « la tête. Pour Adjakobo et ses amis, qui ont conspiré contre « notre roi, cette mort serait trop douce ». Là-dessus, Migan « s'approche des condamnés il leur racle les chairs avec la « lame de son sabre. Beaucoup de grands chefs l'imitent pour « venger notre roi.
« Des trous sont creusés au pied des suppliciés on les « remplit de charbons ardents. Les aides du Migan attisent « le feu avec les soufflets des forgerons du quartier. « Les suppliciés crient. peu à peu leurs voix s'éteignent.
« alors pour achever de brûler leurs corps, Migan fait jeter « dans le feu de la paille et du bois mort.
« Après cette exécution la foule se rendit au bas du marché « d'Houndjoro. Là deux grands trous avaient été creusés, la « veille, et on y avait attiré des fourmis en y jetant de l'huile « de palme.
« Les deux épouses royales infidèles sont placées debout « dans ces trous où on les enterre jusqu'au cou. La foule les « injurie. les fourmis les picotent, les dévorent. leurs « tourments deviennent insupportables. elles supplient les « bourreaux d'implorer la clémence du roi. bientôt les four« mis pénètrent où le roi seul aurait dû jamais pénétrer. « les suppliciées le crient en demandantpardon mais la foule « leur répond par des plaisanteries. Survient le prince Gni« mavo, l'ami intime du roi il tient à prouver son grand « attachement à Giclé en contribuant au supplice des femmes « infidèles. Tout autour de leurs tètes hagardes, il sème de « larges traînées de poudre qu'il continue en zigzags jusqu'à « plusieurs pas devant elles. Il y met le feu. deux cris. « un éclair. c'est la fin. Les coupables sont punies. » « (Planche XXIV).
Nous avons déjà raconté l'anecdote qui montre le roi Agadja se vantant de n'avoir aucune autre richesse que les crânes de ses ennemis. Il exagérait très certainement, autrement les rois dahoméens ne posséderaient pas ce renom d'opulence et de générosité que ceux qui les ont connus se plaisent à leur donner. Peut-être même n'eussent-ils point développé aussi aisément la puissance du Dahomey. Dès ses premiers récits le chroniqueur laisse des aperçus typiques sur ce sujet. Les Aladahnou (1), raconte-t-il, offraient de nombreux cadeaux aux chefs des tribus au milieu desquels ils venaient vivre ils se faisaient ainsi de bons amis ». Et encore « Ouêgbadja, en régalant les chefs de tribus, savait qu'il se les attachait, car on aime celui qui réjouit son ventre et le Dahoméen accourt vers qui lui donne à manger ».
Cadeau cadeau C'est un des premiers mots français que les Dahoméens apprennent. Il ne faut point voir en cette particularité une simple résultante de la réputation de générosité facile que les Européens pourraient s'être acquise (1) Nom des fondateurs du Danhomé.
CHAPITRE IV
REVENUS ROYAUX
parmi les noirs. Le cadeau, en effet, a eu toujours une importance capitale il constituait la plus importante dépense des rois. Le salaire n'était point connu; le cadeau le remplaçait. Chefs, princes, notables, soldats, serviteurs, tamtamiers, devaient leur bien-être a la générosité royale. Le cadeau s'offrait même aux morts. Combien encore ont présente à la mémoire la magnificence avec laquelle étaient célébrés les services funèbres annuels ? Combien parlent encore des festins que le roi offrait au « Danhomé entier » accouru devant le palais, pour honorer avec lui les morts glorieux ?
Des porte-clefs veillaient sur les richesses du roi. Alcool, tissus, coraux, verroterie étaient entassés dans des magasins à côté de la poudre et des fusils qui servaient chaque année aux guerriers pour leurs conquêtes ou pour leur chasse à l'esclave. C'était une accumulation extraordinaire de marchandises. L'imagination populaire la grossissait encore, parce qu'elle appartenait au roi et que le roi était l'idole du Dahomey.
Le roi avait d'ailleurs des revenus qui lui permettaient de faire ostentation de sa générosité et d'entretenir des guerriers nombreux, les deux seuls titres de dépenses à son budget.
Les personnes, les palmeraies, le commerce concouraient avec les esclaves et les chasseurs « domaniaux » à la production de ces revenus. Les personnes payaient l'argent du sommeil et certains droits de succession sur les palmeraies était perçue une redevance le commerce acquittait des droits de douane et des dîmes.
1° L'argent du sommeil (amlon? kouè) était obligatoire pour
les vieillards, les adultes et les enfants jugés capables d'entreprendre un voyage d'une journée avec une petite charge. Cet « impôt » aurait été créé par Ouêgbadja pour lui permettre d'acheter les premiers fusils dont se servirent les Dahoméens.
Chaque année, les chefs de pays {tôgan) (1) et les représentants des anciens « rois de pays » {tôhosou) procédaient à un dénombrement de la population. Ils percevaient ensuite l' « argent du sommeil » dont le taux avait atteint sous Behanzin 4.000 cauris, soit un franc, par personne. Bien que tout prévaricateur au cours de la perception dût être condamné à mort, prétend-on, il est certain que l'argent du sommeil n'entrait pas tout entier dans les magasins royaux et qu'il n'était pas davantage perçu intégralement. Pareil résultat était d'autant plus aisé que personne ne devait dire à son voisin ce qu'il payait exactement.
2° Droits suo les successions. C'est encore au temps de Ouêgbadja que remonte la coutume qui faisait considérer les rois Dahoméens comme héritiers de leurs sujets (2). Voici ce qu'on raconte à ce propos
« Lorsque Ouêgbadja « acheta le Danhomé » il exposa « devant sa demeure les insignes royaux de son père, para« sols, sandales, hamac, et les partagea entre les chefs des (1) Le tôgan est d'institution plus récente que les « tôhosou ». Un tôgan pouvait commander plusieurs « tôhosou ». Voir page 44.
(2) Voir les restrictions sur l'emploi du mot « hériter », page 24a. On peut admettre qu'en la circonstance Ouêgbadja se considérait comme le fils atné qui hérite du père et doit chercher, dans l'héritage, quelque chose pour ses frères en l'espèce les chefs de tribus soumises. Ceux-ci, fruit d'un territoire appartenant au Dahomey naissant, n'étaient-ils pas sous la domination absolue du roi du Dahomey, au même titre que les princes ? ne faisaient-ils pas partie d'une même famille 4
« tribus soumises à plusieurs d'entre eux il donna même « des femmes du défunt. Puis il prononça ces paroles « A « la mort de son père tout le pays hérita.
« Mais parce qu'il avait partagé l'héritage de son père, « il voulut désormais être considéré comme l'héritier de ses « sujets. C'est pourquoi il prononça ces autres paroles le « roi héritera même du chasse-mouches du lépreux. » Le sens que Ouêgbadja donnait à son précepte s'affirmait ainsi d'autant plus absolu que ses auditeurs tenaient le lépreux pour le plus pauvre des hommes, puisqu'il n'a même pas un pagne pour se couvrir et qu'un chasse-mouches est le seul objet qui lui reste. Néanmoins les droits du roi comme héritier de ses sujets furent de tout temps fictifs. Il y eut comme un simulacre d'héritage les biens mobiliers des chefs de famille ou des notables défunts étaient présentés au roi qui les faisait immédiatement remettre à la famille avec son cadeau de participation aux funérailles. Etre héritier de ses sujets aurait donc coûté au roi au lieu de lui rapporter, si la mort ne lui avait pas donné des droits plus positifs. Par exemple, quand un « roi de pays » [tôhosou) mourait, les gens de son village portaient au palais 20.000 cauris, soit cinq francs, et un cabri châtré. En outre toutes celles de ses épouses, placées sous la puissance de sa propre famille, étaient conduites chez le Tokpo, dignitaire du premier degré. Elles laissaient pousser leur chevelure et ceux à qui elles étaient échues en héritage devaient, avant de les emmener chez eux, leur raser la tête et verser une certaine somme au palais par l'intermédiaire du Tokpo. Le roi laissait les rois de pays (tôhosou) bénéficier de « droits d'enterrement ». Les tôhosou étaient possesseurs
du sol en son nom il semblait donc tout naturel qu'il leur permit de faire payer l'autorisation de creuser une fosse. Pour l'enterrement d'un homme ils percevaient 600 cauris (valeur actuelle, trois sous) et un coq; pour une femme 400 cauris (deux sous) et une poule. Pour un enfant on ne payait rien.
3° Redevance sur les palmiers (kouzou). Le kouzou, raconte-t-on, dérive de la décision que prirent les chefs des tribus amies des Aladahonou d'offrir à Ouêgbadja des produits agricoles, pour le remercier des festins qu'il leur servait, quand ils se rassemblaient chez lui, et auxquels nous avons déjà fait allusion. Le joug n'ayant pas tardé à remplacer l'amitié, Ouêgbadja ne manqua point d'exiger ce qui lui avait été accordé bénévolement.
Ses successeurs l'imitèrent. Par eux chaque pays nouvellement conquis fut aussitôt soumis au kouzou. Ouidah et Savi, par exemple, le payèrent dès le règne d'Agadja. Avant Ghèzo, le kouzou était perçu en nature et par l'intermédiaire du Tokpo grand dignitaire, sorte de ministre de l'agriculture sur le maïs, le mil et le nété. Mais ce roi ayant appris du Chacha commerçant portugais dont nous aurons occasion de reparler toute la valeur commerciale des palmiers, remplaça la redevance habituelle par une redevance en huile de palme. Un grand dignitaire, le Tavisa (1), fut alors créé spécialement pour assurer la perception du kouzou, dont la répartition fut faite désormais par les « gardiens de l'héritage » [Hovmèkpotito). Toutes les (1) Il semble que le Tavisa fut plus particulièrement chargé de la perception du kourou à Ouidah.
palmeraies, sauf celles du roi confiées à des gérants (ahisinon) furent astreintes au paiement du kouzou.
La transformation du kouzou par le roi Ghèzo se fit au temps des guerres contre Abéokouta. C'est sans doute ce qui a fait dire à certains indigènes de Ouidah que le kouzou date de Ghézo seulement et aussi qu'il fut offert spontanément par les gens de la côte, pour permettre au roi de racheter les esclaves dahoméens pris par les nagots d'Abéokouta.
Les rois de pays (tôhosou) et les chefs de pays (tôgan) recevaient une part de kouzou. Il en était ainsi des grands dignitaires, chargés du commandement d'une province; le Mèhou et le Yovogan recevaient leur part de kouzou dans la province de Ouidah, le Migan et l'Akplogan dans celle d'Allada.
4° Douane (Dè-kouè). Des postes de douane (dénou) étaient installés en plusieurs endroits du royaume. Ils jalonnaient des routes suivies par des caravanes de porteurs, mais ne marquaient nullement, semble-t-il, des points frontières.
Ils étaient confiés à des fermiers qui percevaient un droit d'environ deux centimes (80 cauris) sur toute sortie ou entrée de produits et de marchandises, y compris les esclaves. Après avoir prélevé pour eux-mêmes une part très minime, les fermiers faisaient porter le reste des sommes perçues à des grands dignitaires désignés à cet effet par le roi. Sous le règne de Glélé, la France reconnut officiellement les droits de douane, auxquels étaient soumis les vaisseaux de commerce à Ouidah. En retour elle acquit la possession de Cotonou.
II serait intéressant de rechercher l'origine des postes douaniers sur le territoire dahoméen. Plusieurs l'ont expliquée par la mise en pratique d'un conseil de ce même chacha qui eut tant d'influence sous le règne de Ghèzo. Pour nous, nous inclinons à penser que la perception de droits de douane, au nom des rois dahoméens, fut la continuation d'une coutume pratiquée chez les tribus que trouvèrent les fondateurs du Dahomey, à leur arrivée sur le plateau d'Abomey. Ces tribus, nombreuses, resserrées au milieu des buissons épineux qui protégeaient leurs demeures, exigeaient un péage de tout étranger qui traversait leur territoire, même pour aller chercher de l'eau aux sources en bordure du plateau. Si le chroniqueur a gardé le souvenir de l'abolition des péages pour les porteurs d'eau et en attribue tout l'honneur au roi Ouégbadja, il est muet sur le sort qui fut réservé aux droits sur les autres transports. Mais on peut admettre qu'à mesure que les Dahoméens absorbaient leurs voisins ils agrandissaient les rayons des péages, se gardant bien de les supprimer. Ce serait là l'explication de ces postes douaniers dont les ruines semblent disséminées au hasard quelquefois en plein cœur du royaume et dont la situation ne marquerait en définitive que les étapes des conquêtes dahoméennes.
Leur dispersion servait d'ailleurs admirablement la police et la défense des territoires. Recherchait-on un criminel? Les douaniers de la région où on le savait se cacher « fermaient les chemins ». Surgissait-il une difficulté avec les négociants de la côte ? Les postes de douane intervenaient encore en « fermant les chemins » à l'Est et à l'Ouest des comptoirs européens personne ne pouvait plus sortir du
royaume. Enfin ceux des postes douaniers qui étaient installés sur les confins du Dahomey remplissaient le rôle de sentinelles avancées ils étaient chargés de surveiller les peuplades voisines et de renseigner rapidement le pouvoir central sur tout symptôme d'effervescence chez elles. 5° Droits de marché. Sur tous les produits vendus dans les marchés, le Tokpo, grand dignitaire, et ses aides opéraient un prélèvement dont la valeur, dans les dernières années de Béhanzin, ne dépassait guère deux centimes. A Ouidah des agents royaux se tenaient en permanence dans les factoreries pour la perception d'une sorte de dime sur l'alcool acheté aux Européens et sur la vente des esclaves par les sujets dahoméens. Ils opéraient leur prélèvement sur l'alcool à l'aide d'une demi-noix de coco qu'ils remplissaient deux fois pour neuf litres environ. Pour chaque esclave ils recevaient un fusil et de la poudre. Ces deux choses étaient obligatoirement comprises parmi les marchandises troquées contre les esclaves.
6° Remises de commerce. Les commerçants européens établis à Ouidah étaient obligés de consentir au roi une remise de moitié prix sur tout ce qu'ils lui vendaient. Cela devenait une véritable contribution. Non seulement, en effet, le roi achetait à lui seul autant que tous les Dahoméens, mais encore il abusait de son privilège, car fréquemment, pour récompenser un de ses sujets, il lui donnait l'autorisation d'acheter en son nom. Il exigeait, en outre, qu'aucun article nouveau ne fût mis en vente sans avoir été présenté au préalable à ses agents, qui pouvaient le faire réserver exclusivement pour son usage.
7e Chasseurs. Dans les contrées giboyeuses des hommes
étaient spécialement chargés d'approvisionner en venaison les gens du palais et de chasser l'éléphant dont les défenses étaient vendues au profit du roi.
Notons, incidemment, que ces chasseurs remplissaient en même temps l'office de gardes-sentiers. Ils signalaient ce qui leur paraissait anormal et arrêtaient tout esclave ou criminel évadé des terrains de culture où il avait été parqué. 8° Esclaves. Nous arrivons au plus important des revenus royaux le produit du travail et de la vente des esclaves. Nous avons déjà vu que le roi avait seul droit aux captifs de guerre et que ceux-ci étaient destinés les uns à la traite, les autres à la culture.
Un esclave était troqué contre de l'or ou contre des marchandises principalement des armes et des munitions de guerre pour une valeur qui variait de 160 à 320 francs. Comme le roi avait payé ce même esclave à ses guerriers 5 francs plus un pagne, on voit le joli bénéfice qui pouvait être tiré de la traite.
Les captifs de guerre n'étaient pas d'un moins bon rapport par leur travail. Parqués par milliers autour du plateau d'Abomey ils défrichaient les forêts, qu'ils remplaçaient par des palmiers et surtout des cultures vivrières. Ils nourrissaient ainsi la population des palais et les guerriers permanents, c'est-à-dire plus de vingt mille personnes. A Savi, à Ouidah, d'autres captifs étaient groupés sous la direction de gérants, les « ahisinon », dans des réserves domaniales; ils fabriquaient surtout des huiles de palmes, que leurs surveillants troquaient dans les factoreries.
Nous avons essayé d'évaluer le total des revenus royaux au temps de Béhanzin mais nous ne sommes arrivés qu'à
une approximation, par suite du manque de précision et de concordance des renseignements recueillis auprès des indigènes. Néanmoins nous ne croyons pas être loin de la vérité en estimant que les redevances et impôts de toute nature représentaient en cauris, en or, en marchandises et en vivres une valeur d'au moins deux millions et demi, valeur dans laquelle le produit du travail et de la traite des esclaves entrait pour un million environ.
Dans les débuts de notre séjour à Aboiuey nous avions été chargé de désigner un emplacement pour la construction d'une école. Notre choix était tombé sur un terrain abrité d'un arbre gigantesque dont l'ombrage eût certainement agrémenté des jeux d'écoliers. Malheureusement un fétiche résidait dans un buisson épineux au pied de cet arbre et les chefs vinrent nous solliciter de ne pas donner suite à notre projet par respect pour leur croyance « Pour faire une cour d'école là ou tu le veux, nous exposèrent-ils, il faudra nettoyer le terrain nos buissons disparaîtront ainsi et alors la pluie ne tombera plus à Abomey ». Et comme nous essayions de leur démontrer qu'un fourré de proportion aussi infime ne pouvait avoir aucune action sur l'état hygrométrique « Pourquoi, répondirent-ils, entreprends-tu de nous convaincre, puisque tu ignores tout de nos fétiches ? Empêchons-nous les blancs d'aller chez les Padres ? » D'autres auraient peut-être trouvé l'observation irrespectueuse. Nous avouons que nous en remerciâmes nos administrés bien plus, nous nous en réjouîmes comme d'une
CHAPITRE V
RELIGION
marque de confiance peu commune de leur part, que nous leur avons rappelée chaque fois qu'ils ont opposé une fin de non-recevoir à nos investigations dans le domaine de leur mentalité.
Recueillir des détails de tradition et codifier des coutumes sont choses relativement aisées pour qui a la patience d'écouter des récits longs et touffus ou des palabres judiciaires. Il n'est pas non plus très difficile de noter d'une façon scrupuleuse les manifestations extérieures d'un culte. Du temps et de la méthode suffisent à ce travail. Mais rechercher le pourquoi d'une religion, étudier une mentalité religieuse exigent, semble-t-il, une pénétration intime de l'individu. Et cela est capable de rebuter plus d'une volonté, surtout au Dahomey, parce que le Dahoméen ne livre pas volontiers son âme à celui qui n'est pas de sa race. C'est ce qui a fait, peut-être, qu'on le juge généralement incapable d'auto-psychologie. Nous ne discuterons point si l'on a tort ou raison. Nous préférons poser en principe, parce que nous l'avons vérifié dans la pratique, que, si l'on parle sa langue, on arrive à capter la confiance du Dahoméen et alors on acquiert une toute autre opinion sur la façon dont il se connait lui-même.
Une autre particularité remarquable nous a encore été dévoilée pendant notre commandement du cercle d'Abomey; c'est qu'il ne faut jamais interroger publiquement des Dahoméens sur une affaire religieuse ou une coutume intéressant une certaine catégorie de gens. Après un palabre, au cours duquel avait été agitée une grave question sur la famille royale, quelques chefs nous demandèrent un entretien particulier « Nous venons de te donner un faux renseignement,
nous dirent-ils; nous étions plusieurs à connaître la vérité, mais tous les chefs présents au palabre n'avaient pas besoin d'être fixés sur la question ».
C'est, sans doute, dans cet état d'esprit que se trouvait un chef de canton, fort intelligent, auquel nous avions posé cette question embarrassante « Pourquoi crois-tu au fétiche ? » Devant les siens, il nous répondit « Parce que je suis noir ». Mais alors que nous étions seul dans sa case, il vint de lui-même nous donner cette profession de foi que nous nous sommes plu à enregistrer scrupuleusement « Mon fils était malade. Le Destin (Fa), consulté, me « révéla qu'aucun sacrifice à n'importe quel fétiche ne pour« rait l'empêcher de mourir. Mon fils est mort. Fa a donc « dit la vérité. Aussi, depuis, ai-je été persuadé, davantage « encore, de la nécessité et de l'opportunité des sacrifices que « Fa ordonne.
« Si quelqu'un t'a fait du bien ou rendu un service, ne lui « offriras-tu rien en reconnaissante? Si, n'est-ce pas? Eh! bien, « les fétiches m'ont fait toujours du bien c'est pourquoi je « leur présente des oflrandes.
« Un homme prie les fétiches de sa famille pour avoir des « enfants; ses désirs sont exaucés. Désormais, il ne cessera « pas de recommander à ses enfants d'adorer le fétiche « auquel il doit leur naissance. C'est pourquoi en tout temps « nous offrons des sacrifices aux fétiches de nos familles, « en souvenir et en remerciement de la protection qu'ils « nous accordent. Au contraire, pour que nous nous adres« sions à un fétiche étranger, il faut que cela nous ait été « ordonné par le Destin, Fa, au moment d'une maladie ou « d'une affliction grave, par exemple.
« Le Fa, consulté par ton sorcier, t'ordonne des sacri« fices. Tu ne les fais pas et tu vas trouver un autre sorcier. « Celui-ci te recommande de nouveaux sacrifices que tu t'em« presses d'offrir. Pourtant plusieurs des tiens tombent mala« des ou meurent. N'est-ce pas parce que tu as désobéi à la « première consultation de Fa ?
« Mais il ne faut pas croire que, si tu suis strictement les « conseils de Fa pour ne pas mourir, tu ne mourras point. « Il y a une loi de Dieu Tu auras beau offrir des sacri« fices à tous les fétiches, tu mourras, quand ton jour sera « arrivé. »
Dans sa naïveté cette profession de foi constitue, à elle seule, une véritable preuve que le Dahoméen est capable d'analyser ses sentiments religieux, qu'il sait même les analyser beaucoup mieux que bien des Européens, qui s'attachent au mot à mot d'un catéchisme religieux dont, la plupart du temps, ils ne pourraient expliquer le sens. Mais là n'est pas le seul mérite de cette profession de foi. Elle nous montre la religion des Dahoméens comme une tradition vénérée transmise par les ancêtres avec un ensemble de solennités commémoratrices elle nous la montre, pour ainsi dire, comme des sacra de famille. Et c'est tellement vrai, que l'unité de culte n'existe pas au Dahomey. Celui qui adore le Tonnerre peut adorer ou délaisser complètement le Serpent ou tout autre fétiche qui a présidé à la formation des groupements familiaux autres que le sien et personne ne s'avisera de l'en importuner, car disputer sur l'excellence des idées n'appartient qu'aux religions positives. Le fétichisme ne connaît pas plus le prosélytisme que la folie de meurtre ou de suicide par la foi.
Les Dahoméens croient à un Etre suprême qu'ils appellent Mahou (Dieu) ou Sê (Principe, Intelligence). Ils n'ont ni statues ni symboles pour le représenter ils ne lui vouent aucun culte son nom n'est prononcé que dans quelques exclamations ou invocations.
Mahou a créé l'univers il a créé en particulier les fétiches, Vôdoun, et leur a donné certaines forces, certains pouvoirs dont ils se servent à leur guise pour présider à la destinée des humains. Les Vôdoun ne sont point ainsi, à vrai dire, les intermédiaires de Mahou, mais plutôt ses agents libres et indépendants « Le fétiche est une chose de Dieu n, Vôdoun e gni Mahounou. Ou encore « Dieu possède le fétiche », Mahou oitê do Vôdoun.
Les vôdoun sont innombrables car, pour le Dahoméen, toute manifestation d'une force qu'il ne peut définir, toute monstruosité ou phénomène qui dépasse son imagination ou son intelligence est fétiche, une chose de Dieu qui réclame un culte. Le tonnerre, la variole, la mer sont fétiches le télégraphe et nos chemins de fer le seraient aussi certainement, si ce n'était « machines des blancs ».
Mais, comme le Dahoméen obéit en même temps au besoin commun à tous les hommes de rechercher un sens humain à ce que l'univers montre d'anormal, le fétichisme est devenu chez lui un système religieux le plus parfaitement anthropocentriste. Tout dans l'univers s'occupe de l'homme et agit pour lui la terre tremble pour prévenir du mécontentement des ancêtres le tonnerre foudroie celui dont la conscience a quelque chose à se reprocher envers
les vôdovn la pluie tombe sur la prière des féticheurs la maladie ou même la mort surviennent par le prestige d'une amulette.
Enfin à force de vivre toujours dans les mômes lieux, de voir les mêmes paysages, sans changer d'occupations ni élargir l'horizon des pensées, les Dahoméens ont dû, à travers les âges, identifier avec leurs idées tout ce qui les entourait, en même temps qu'ils ont laissé envahir leur esprit par une peur irraisonnée devant la nature pleine de mystères pour eux. C'est là, sans doute, qu'il faut rechercher la cause du double caractère de leurs Vôdoiin humains et surnaturels. Bois, rivières, animaux sacrés pensent comme les hommes et sont susceptibles comme eux de désirs, d'amitié ou de rancune mesquine mais ils deviennent des protecteurs ou des ennemis tout-puissants par leurs exploits qui s'éloignent du cours ordinaire des choses.
D'ailleurs comment en serait-il autrement ? N'a-t-on pas la certitude que tous sont les ancêtres merveilleux des tribus qui ont concouru à la formation du Dahomey ? La foudre n'at-elle pas, elle-même, apporté sur terre ses enfants qui ont fait souche? Du sommet d'un arbre, le roco (1), un homme et une femme ne sont-ils pas descendus pour créer une famille. Telle source, tel animal ne renferment-ils pas un héros qui s'est caché en eux, pour qu'ils perpétuent son souvenir ?
Et quand même ces grands ancêtres resteraient sourds aux prières ou aux offrandes des vivants, ceux de leurs enfants, que la mort a déjà conduits près d'eux, ne sauraient-ils pas (1) Le Roco ou teck d'Afrique esl le Clorophora excelsa.
intervenir pour les fléchir ou gagner leur bienveillance? Car tout n'est pas irrémédiablement fini à la mort. Le Dahoméen croit avoir une âme, qu'il appelle yè, ombre. Il en attribue également une à chaque animal, à chaque végétal, à chaque objet. Toutes ces âmes ressemblent exactement aux êtres qu'elles animent, aux choses qu'elles habitent; la preuve en est que, pendant le sommeil, chacun revoit ses parents, ses amis disparus, tels qu'il les a connus, alors que leurs ossements seuls subsistent dans le tombeau et que leurs objets familiers ont été ensevelis avec eux.
Du reste, des gens sont revenus de l'au-delà, du mékoukoutômê, le pays des morts, et ils ont donné l'assurance que les ancêtres décédés s'y occupent de ce qui se passe sur terre. Le roi Glélé, de son vivant, s'est plu à affirmer ce fait par deux histoires qu'il a racontées lui-même à son peuple sur la place du palais.
Première histoire. Au temps d'Adanzan (1), un chef, nommé Adjaholanhoun, exprima tout haut son mécontentement des crimes abominables que commettait le roi « Si je meurs avant lui, se vanta-t-il, je demanderai au « yê de son père ce qu'il pense de sa conduite ».
Personne ne se souvenait plus de l'incident, lorsqu'au cours d'une grande réunion de chefs au palais on vit apparaître un étranger qui se fraya un passage jusqu'au roi, en bousculant l'assistance et en criant « Ago place place » Il ne se prosterna point devant Adanzan, comme l'usage le voulait, et d'une voix forte il lui dit « Je viens de la part d'Adjaholanhoun te prévenir qu'il a été mis en prison par (1) Adanzan, oncle de (Jlèlè, a laissé une mémoire des plus tristes.
ton père, parce qu'il n'a pas rempli ses devoirs de chef en t'empêchant de commettre tes crimes »
Adanzan entendit ces paroles et ne se fâcha point. Il ordonna même de servir un repas à l'étrange messager. Mais celui-ci battit l'air de ses mains au-dessus des mets et dit « Ainsi mangent les morts ». Adanzan lui fit apporter à boire; mais l'étranger versa l'eau sur le sol et dit « Ainsi boivent les morts ».
Puis il partit. On voulut le suivre. Il disparut aux yeux de tous sans laisser trace de son passage.
Deuxième histoire. Un certain Lèghèdè Tonikèzè d'Adankpodji, vint à mourir. Les fossoyeurs qui l'enterrèrent volèrent ses pagnes et son tafia, au lieu de les déposer près de lui dans le tombeau.
Ils portèrent le tafia chez un nommé Bôgnon Kèdè, très gravement malade, et le lui vendirent comme un bon remède. Mais à peine Bôgnon en eut-il bu quelques gorgées qu'il s'écria « Ouè hê » et mourut. Au même instant les fossoyeurs crièrent aussi « Ouê hê » et moururent. Bôgnon ressuscita le lendemain, au moment où on s'apprêtait à l'ensevelir. « J'ai vu le roi Kpëngla au pays des morts, raconta-t-il II a mis les fossoyeurs en prison, parce que leur conduite envers Lèghèdè l'a fortement mécontenté. »
Ces histoires et d'autres encore se racontent aux veillées et chacun les tient pour authentiques, car elles expriment sa propre conviction. Le fils est en constante union de pensées avec ses parents décédés. Tous les jours il leur parle et
leur demande protection. S'il lui arrive quelque malheur, bien vite il a recours à eux et tàche de se les rendre favorables par des offrandes sur leurs tombeaux. Ils écouteront certainement ses supplications et interviendront pour lui auprès du grand ancêtre commun.
Quoi de plus beau et de plus consolant que cette foi en la survivance d'une protection paternelle eflicace ? En communication avec l'au-delà vivre toujours avec les chers disparus
Il y a deux sortes de fétiches les Tôvâdoun et les Akovodoun.
Les premiers, comme le nom dahoméen l'indique, sont les vâdoun des pays (tô), leurs génies. Ils les protègent et les rendent favorables au développement des collectivités humaines ils associent leur existence à tout ce qui constitue un pays, mais ils prennent plus particulièrement pour résidence un arbre, des buissons, une pierre. Ils sont vénérés comme des divinités propices par tous ceux qui habitent autour d'eux, ainsi que par les familles ou les tribus auxquelles la tradition assigne leur territoire pour lieu d'origine ou dernière étape d'une émigration.
VAkooôdoun est l'ancêtre fondateur d'une tribu (ako). Primitivement, celle-ci seule lui a rendu un culte mais, dans la suite, elle l'a fait admettre à des étrangers par des conquêtes ou des alliances.
D'autre part, des groupements appelés hënnou, s'étaut séparés des tribus à différentes époques, ont divinisé, sous le nom de Hënnouvodoun, l'ancêtre promoteur ou ause de la séparation. Ils n'ont pas cependant oublié l'ako-
vôdoun, bien que souvent ils paraissent avoir abandonné son culte.
Dans l'ancien royaume d'Abomey, à part certains grands akovôdoim qui ont été déclarés en quelque sorte vôdoun d'Etat, mais sans que leur culte fût obligatoire pour toute la population, ce sont surtout des hennouvôdoun qu'on honore. Et cela ne manque pas d'être une source de difficultés et quelquefois d'erreurs, pour qui s'intéresse à rechercher les liens de parenté des familles. Les membres de celles-ci s'y perdent eux-mêmes d'ailleurs, s'ils ne sont pas complètement initiés par les anciens, et beaucoup en sont arrivés à employer les mots akovôdoun ou hennouvôdoun l'un pour l'autre.
L'histoire des Aladahonou, ancêtres des rois d'Abomey, montre mieux qu'aucune autre comment les tribus ou les familles accroissent le nombre des fétiches, qui reçoivent un culte d'elles.
Quand les scissionnaires Adjas, qui formèrent plus tard les Alada-Sadonou, quittèrent Sado, ils étaient sous l'empire d'une telle colère, qu'ils jurèrent de ne plus avoir aucune relation avec ceux de leurs parents auxquels ils abandonnaient le pays. Dans ces conditions, ils se soucièrent fort peu du fétiche de leur tribu {akovôdoun) et placèrent toute leur foi dans le fétiche Agasou, le fondateur miraculeux de leur branche familiale, leur hennouvôdoun.
Ils arrivèrent à Allada, après nombre de traverses ils s'y installèrent et s'y développèrent bientôt au point d'absorber les populations autochtones voisines. Ces succès ils ne manquèrent pas de les attribuer aux mânes du chef qui les avait conduits de Sado à Allada. Ils virent en lui un génie plus
fort que celui du pays où ils étaient venus échouer ils estimèrent que la mort ne leur avait pas ravi sa protection, qu'au contraire elle lui avait permis de lier son existence, dans l'au-delà, avec celle de leur nouveau domaine dont il avait su sinon chasser du moins subjuguer le Tôvôdoun autochtone, Aïda. C'est pourquoi ils le divinisèrent au rang des Tôvôdoun sous le nom de Adja to hou Aida, que l'on exprime couramment Adjahouto et qui signifie « Le père des Adjas est plus grand qu'Aida ».
Plusieurs générations d'hommes passèrent et ce fut encore une querelle violente qui causa une scission parmi les fils d'Agasou. Les uns descendirent vers le sud ils donnèrent naissance aux rois de Porto-Novo. Les autres traversèrent le Lama et, s'étant acheminés vers le plateau d'Abomey, réussirent à s'établir à Ouaouè. Ils adressèrent aussitôt des hommages au vôdoun de ce lieu auquel leurs descendants, les membres de la famille royale d'Abomey, rendent encore un culte public.
Par la suite, quand fut créée la puissance dahoméenne, les peuples placés sous sa domination virent construire chez eux des temples dédiés à Agasou, le fétiche de la famille royale. Mais le conquérant, en retour, comme pour mieux sceller son union avec eux, admit les cultes de leurs plus grands vôdoun. Ainsi furent importés au Dahomey le « bon serpent » (Dangbé), par Agadja après la conquête de Savi le « tonnerre » (Hévyosô) de Hèviè, par Tégbésou. Cette adoption des fétiches étrangers fut due surtout, croyons-nous, au désir de fléchir le courroux d'une puissance occulte, à laquelle on pouvait avoir porté préjudice en détruisant soit un pays, où des honneurs lui étaient rendus,
soit une famille qu'elle protégeait. Les Dahoméens achetaient alors c'est l'expression consacrée les fétiches du sol, ainsi que les grands fétiches de tribus des vaincus, afin de se les rendre favorables.
Les unions des rois avec des femmes d'autres tribus vinrent encore augmenter le nombre de vàdoun, adorés par les Dahoméens. Nous ne citerons comme exemple que celui de la mère de Tègbèsou, d'origine Adja, qui demanda à son fils de la laisser organiser à Abomey le culte des fétiches de son pays Mahou et Lisa.
Une autre classification des vôdoun nous a été donnée par un chef de canton très versé dans le fétichisme. Nous nous sommes assuré qu'elle était connue également de tous ceux qui, comme lui, s'intéressent aux questions religieuses mais nous n'avons pas pu obtenir les places qu'y doivent occuper tous les fétiches des groupements familiaux (hënnouvôdoun). Nous ferons donc à part une étude de ceux-ci, dont empressons-nous de le dire nous ne connaissons qu'un nombre très restreint.
La classification en question semble récente. On pourrait l'appeler « classification officielle », car elle fut adoptée surtout par les rois et leurs chefs. Elle divise les vôdoun en neuf chœurs (aouan = gruupe, catégorie, troupe) qui ont chacun, sauf le premier, un Houngan (chef de fétiche), reconnu par les rois sinon importé par eux, et auquel s'adresse un culte public, mais nullement obligatoire. Voici ces neuf Houngan Tôvôdoun; Agasou (ancêtre des Aladahonou) Hébyosô (foudre) Adjahouto (ancêtre des Aladahonou) H'lan (rivière ainsi appelée) Atanloko
(loko ou roco sorte d'arbre) (1); Djisô (foudre); Lënsouhouè (fétiche spécial à la famille royale) Mahou.
Nous nous proposons d'étudier chacun des neuf Honngan et des fétiches qu'on nous a donnés comme compris dans leurs chœurs.
1. « Tôvôdoun » (Fétiches des pays). Nous avons déjà défini les Tôvôdoun. Ils sont nombreux chaque région du cercle d'Abomey et souvent chaque village d'une même région a le sieu Nakisè à Gana; Tindji, Adjokan, Avokanzoun, Gnidjazoun, Pozoun, Sozoun, tous dans la région de Tindji, etc., sont autant de villages qui portent les noms de Tôvôdoun. Ceux-ci sont situés au milieu d'un bois (zonn) que forment des sensitives ou des hautes futaies c'est pourquoi on les désigne communément sous le vocable de « fétiches dans les arbres » [atinmê-vdoun)
Nous n'en connaissons qu'un seul auquel cette appellation ne peut convenir. C'est le Ghèdè, qui habite dans une pierre. Le territoire d'Abomey lui appartenait presque en entier autrefois et il avait donné son nom aux autochtones les Ghèdèvi (enfants de Ghèdè). Les nagots, au cours d'une de leurs invasions, voulurent l'emporter. Ils réussirent à l'enlever du lieu où il reposait à Agnangnan mais à peine eurent-ils franchi la rivière Koto que la pierre augmenta miraculeusement son poids et écrasa ses porteurs. Au centre du bois sacré d'un Tôvôdoun est toujours ménagé un endroit soigneusement débroussaillé et entretenu, sur lequel s'élève un petit autel en terre, recouvert quelquefois d'un minuscule abri en nattes ou en feuilles de palmier. (1 Le roco ou teck d'Afrique est le ehlorophora excelsa.
Des poteries et des ossements, restes des animaux sacrifiés, témoignent de la fidélité des habitants à l'Esprit de ces lieux.
2. Agasou. Nous avons déjà fait allusion au fétiche Agasou au cours de notre étude sur la royauté. Nous rappelons encore ici toutes les difficultés que nous avons eues à obtenir des éclaircissements à son sujet. La famille royale laisse à dessein le mystère obscurcir ses origines et si, par hasard, l'un de ses membres s'abandonne à quelques confidences à ce sujet, il le fait avec tant de réticences et de détours que finalement on se demande s'il a bien dit la vérité. Pourtant nous pouvons presque répondre de la version que nous allons donner.
Mais pour sa clarté il faut savoir que la famille royale d'Abomey descend de la grande famille des Adjas qui s'est étendue, autrefois, depuis la rive gauche du Mono jusqu'auprès du terrain où s'élève Abomey. On montre encore sur les territoires de Zasa et de Sahè des carrières où la tradition veut qu'ait été prise la terre nécessaire à la construction de villages adjas.
Une des tribus de ces Adjas était établie à Sado. Elle se divisa en deux branches l'une, sous le nom d'Adja-Sado resta dans le pays; l'autre sous le nom d'Alada-Sado grandit à Alada. Cette dernière se divisa à son tour en trois. Une branche qui prit le nom de Aladahonou, gens d'Alada, devint la famille royale d'Abomey une autre demeura sur le territoire d'Alada la troisième donna les rois de PortoNovo.
Voici la légende qu'on nous a racontée sur ces faits lointains
« Une femme d'une tribu des Adjas, dont le roi habitait à Sado, fut aimée d'une panthère, alors qu'elle était allée dans les rochers de Kpovè, sur les bords du Mono, cueillir des feuilles rugueuses pour nettoyer ses calebasses. Elle mit au monde un monstre demi-homme demi-fauve. Celui-ci eut un fils dont la lignée, devenue excessivement nombreuse, adora la panthère fabuleuse, sous le nom d'Agasou, et essaya de supplanter les gens de Sado dans le commandement de sa tribu maternelle.
Mais une coutume interdisait formellement, chez les Adjas, le choix du roi parmi la descendance des femmes. Alors, ce que le droit refusait à leur père, les petits-fils d'Agasou essayèrent de le lui conquérir par la force. Ils organisèrent un complot. Malheureusement découverts, ils durent s'enfuir, après une lutte fratricide des plus acharnées, au cours de laquelle le roi de Sado périt.
Ils vinrent échouer dans la forêt d'Allada, connue à ce temps-là sous le nom d'Aïda (Ardres, que mentionnent les premiers récits des Européens).
Leur humeur belliqueuse les entraîna de suite dans de nouveaux combats; aussi avaient-ils acquis déjà une prépondérance marquée sur les tribus au milieu desquelles ils étaient venus vivre, quand mourut leur père cause de la querelle de Sado. Ils le divinisèrent et l'appelèrent Adjato e hou Aïda, ce qui signifie « le père des Adjas est plus grand qu'Aida » et ce qui est devenu dans le langage courant Adjahouto. Sous cette forme on peut retrouver un jeu de mots sur la querelle fratricide des Adjas de Sado, car Adjahouto est la traduction littérale de « Celui qui a tué l'Adja ».
En même temps, pour bien montrer leur intention de se fixer définitivement dans le pays où ils venaient d'enterrer leur père, les petits-fils d'Agasou prirent le nom de AladnSadonou, gens de Sado et d'Allada.
Que doit-on retenir de cette légende ? C'est que « Agasou » est le totem de la famille royale d'Abomey, la panthère, dont le roi seul portait la marque des cinq griffes dans un tatouage sur les tempes; qu'il est le grand fétiche d'un groupe familial (Hennou-vôdoun) auquel tous les descendants rois d'Abomey, rois de Porto-Novo, gens d'Allada rendent un culte qu'il est le plus grand rôdoun de tout le Danhomé parce qu'il est celui de la plus puissante famille enfin qu' « Adjahouto » est le premier roi des enfants d'Agasou séparés de la tribu maternelle qu'il a présidé à leur installation sur le territoire d'Allada qu'il est en réalité lu vrai fondateur de la branche Alada-Sado, dont tous les membres lui doivent un culte sur son tombeau – ou ce qui passe pour son tombeau en territoire d'Alada. Les fétiches Aligbonon et Ouaonè sont compris dans le chœur d'Agasou.
Aligbonon est un vôdoun de la tribu des Aligbononvi Ouasanou, dont un groupe habite Ouassa, à 8 kilomètres environ à l'est de la gare actuelle de Ouansougon. La femme, que la légende d'Agasou montre comme ayant été aimée par une panthère, aurait appartenu à cette tribu elle serait passée dans celle des Adjas par un mariage. En honorant Aligbonon, les Aladahonou ne rendent donc que le culte que tout individu doit aux fétiches de sa mère.
Oua-ouè ou Houa-houè. La migration des Aladahonou ne prit fin que lorsqu'ils eurent reçu des Ghédèvi, maîtres
du plateau d'Abomey, l'autorisation de s'installer sur un terrain situé non loin de la gare actuelle d'Abomey-Bohicon et sur lequel croissaient de nombreux Houa, arbres dont nous avouons ignorer le nom botanique. Ils purent enfin établir un autel fixe à Agasou, ce qui leur avait été impossible depuis leur départ d'Alada. En souvenir, ils appelèrent ce lieu Ifoitahouè, abri du Houa, et en adoptèrent le génie familier que, dans la suite, ils n'omirent jamais d'honorer en même temps que leur grand vôdoun de famille « Agasou ».
3. Hébyosô vu Sèiohoun, le Tonnerre. On dit que le culte du Tonnerre est originaire de Tchangô, en pays nagot, mais que, bien avant la migration vers le sud de la branche des Alada-Sadonou qui donna naissance aux rois de PortoNovo, il était suivi par les habitants des villages lacustres du Nokouè d'où son nom de Sètohoun (fétiche de la lagune de l'Esprit?)
Les gens de Héviè (cercle d'Allada) l'auraient admis à leur tour et lui auraient donné le nom de Héviosô ou Hébyosô (.yd = foudre; foudre de Héviè). C'est de chez eux que la mère de Tegbèsou, très versée dans le culte des fétiches, l'aurait importé au Dahomey.
Partout où règne Hébyosô la mort par la foudre est infamante. Aussi les foudroyés ne reçoivent-ils pas la sépulture habituelle. Avant l'occupation française, ils n'en recevaient même aucune ils étaient déposés sur une claie en branchages, loin des lieux habités, et devenaient la proie des vautours et des insectes.
A ce sujet, nous nous souvenons avoir refusé, vers 1905, à des indigènes de Djidja (18 kilom. N. d'Abomey) l'auto-
risation de mutiler un foudroyé avant son enterrement. Semblable formalité s'accomplissait-elle réellement autrefois ? Ou bien voulait-on, par l'exposition des membres seuls du foudroyé, tourner les difficultés que notre présence a créées aux féticheurs qui essaieraient aujourd'hui de se livrer à leurs anciennes coutumes macabres?
Dans le chœur de Hébyo&ô sont compris Hou, la mer, et sa famille.
Hou, ou Agbé ou Houalahonn (1) est, comme son dernier nom l'indique, originaire de Houala ^d Popo) mais ce fut de Houèda ou Pèda que Tègbésou importa son culte au Danhomé.
Hou est le mari de Na-ètè, dont il a eu Avrèkèlè. Cette trinité est honorée dans les temples du Tonnerre et a les sept mêmes plantes sacrées que lui.
Hou a élu domicile dans les volutes mugissantes de la barre qui déferle sur les côtes dahoméennes. Na-ètè, bonne mère de famille, se plaît dans les eaux calmes, en avant de la barre. Avrèkètè est terriblement agité, si bien que son père, afin de lui faire dépenser son ardeur qui finirait par maintenir la barre dans un trouble perpétuel, l'envoie comme messager auprès des autres divinités et des hommes. C'est pour cette raison que les féticheurs d' Avrèkètè sortent en procession avant les autres féticheurs du chœur du Tonnerre. La mort du piroguier qui se noie en passant la barre est considérée comme un châtiment infligé par Hou. Aussi le corps de la victime est-il enterré dans le sable du rivage, d'aucuns disent jeté à la mer.
(1) Houn signifie fétiche comme Vôdoun.
Hou et Naètè n'ont pas engendré Avrèkèlé seulement ils ont encore comme enfants beaucoup de « fétiches qui résident dans les eaux » [Tovôdouri). Citons Tchahè, Aouauga, Sao, Tokpodoun.
Tchahè serait le clapotis de l'eau son nom viendrait du mot tclaatcha qui signifie avoir une allure vive. Sao serait la sirène.
Aouanga est l'esprit d'une lagune située en avant de Hévié. Ses eaux engloutissent les voleurs, surtout ceux qui opèrent sur le marché de Hévié.
Nous n'avons pas pu savoir pourquoi ces fétiches figurent auprès de celui du Tonnerre. Y a-t-il un lien de parenté entre les familles qui s'en prétendent issues ? Y a-t-il une simple relation de similitude que leur donne l'eau, née dans les nuages où Hébyosô promène sa fureur? Ce sont des questions que nous aurions pu élucider, peut-être, auprès des indigènes de Pèda, mais sur lesquelles ceux d'Àbomey ne paraissent pas très fixés, parce qu'aucune famille du cercle ne procède de ces fétiches, croyons-nous (1).
Un autre Vôdoun dont le culte passe aussi pour avoir pris naissance à Pèda est celui de Dangbè, le bon serpent. Son introduction à Abomey remonte à la guerre de Savi. Houfon le roi de ce pays appartenait à une famille de Pèda et pour cette raison honorait Dangbè. Celui-ci était considéré comme un des plus grands fétiches. Aussi Agadja, vainqueur d'un pays où on l'honorait, voulut-il se ménager sa faveur. Il l'acheta et le fit connaître au Dahomey. « Dangbè » est un python de moyenne grandeur et inoffen(1) Voir aux appendices une note complémentaire sur Hou et Avrèkèlé.
sif. Les Dahoméens le considèrent comme un bon génie et telle est grande leur vénération pour lui, qu'ils le vengeraient cruellement si d'autres noirs lui faisaient le moindre mal. Un Européen qui tuerait un de ces serpents mécontenterait fort la population et pourrait s'attirer quelquefois de graves ennuis. Lorsqu'un « Dangbè » s'introduit dans une maison ce qui est fréquent on appelle aussitôt une personne qui lui est consacrée elle le prend avec soin et l'emporte dans la brousse ou dans un temple. On trouve des temples dédiés au « Dangbè » dans tout l'ancien royaume du Danhomé, mais c'est Ouidah qui possède le plus renommé. Il était déjà connu des Européens dès le xvne siècle, car Buffon en fait mention à la fin de son discours sur la nature des serpents, lorsqu'il veut montrer que l'ophiolâtrie est une des formes les plus anciennes et les plus répandues de l'idolâtrie.
Oh! quand on va visiter ce temple il ne faut s'attendre à rien de bien joli! Si la nature n'avait pas répandu aux alentours l'ombre magnifique de ficus et de bombax, on remarquerait à peine la hutte en terre, avec un toit conique de feuilles de palmier, que l'architecture dahoméenne a élevée aux bons génies. Ceux-ci y vivent librement, suspendus aux poutrelles de la charpente ou enroulés sur le sommet des murs, dans une somnolence digestive, repus des aliments que chaque jour les prêtres leur offrent.
4. Adjahouto, « Adjahouto », comme nous l'avons déjà expliqué, procède directement d' « Agasou ». S'il figure, indépendant de celui-ci, comme chef d'une catégorie de fétiches, c'est probablement pour marquer la scission qui s'opéra
parmi les gens de Sado et donna naissance aux AladaSadonou. Jusqu'à Adjahouto, en effet, les petits-fils d'Agasou étaient restés sous la tutelle des rois de Sado. C'est lui qui les rendit famille autonome et présida à leur installation définitive sur un nouveau territoire. Par là il doit être considéré réellement comme un fondateur de groupe familial, comme un « hennou-vAdoun ».
En quittant Sado, après la querelle avec les siens, Adjahouto brisa la calebasse, dans laquelle il buvait habituellement et dit « Que mes enfants ne boivent jamais plus dans la calebasse d'un Adja ». Ces paroles sont devenues une règle pour les Aladahonou, qui la suivent encore aujourd'hui, quand ils voyagent en pays Adjas. Néanmoins tout rapport entre Adja-Sadonou et Alada-Sadonou ne fut pas complètement rompu et la dualité du sentiment familial chez les seconds se manifesta particulièrement à chaque couronnement des rois dahoméens en cette occasion, des offrandes étaient envoyées aux fétiches de Sado et le nouveau souverain recevait la consécréation plénière du féticheur d'Adjahouto qui résidait à Allada (1).
5. IVlan. Le H'lan est une rivière, affluent de l'Ouémé, qui prend sa source au-dessous de Cana. Son génie était honoré avant l'arrivée des Aladahonou; mais ceux-ci l'ignorèrent sciemment, pendant longtemps, « malgré certaines tracasseries qu'ils ne purent éviter de sa part ».
Sous Tègbèsou, le H'lan devint singulièrement agressif; (1) C'est cet usage d'envoyer des offrandes à Sado qui a fait dire que le roi de ce pays, Kpoèzouu, donnait l'investiture aux rois d'Àboiney.
il envoya une légion de nains monstrueux qui firent beaucoup de mal aux Dahoméens.
Ils finirent par avouer leur jalousie de voir les Aladahonou maîtres du pays. Ce à quoi Tègbèsou leur répondit « Vous serez rois aussi, mais cessez de nous tourmenter ». Leurs tracasseries ayant cessé, Tègbèsou s'empressa d'instituer un féticheur, le ll'lannon, qui eut droit aux attributs royaux sandales, ombrelles, hamacs et auquel il donna pouvoir sur les prêtres de tous les autres fétiches. Toutefois, pour sauvegarder le prestige de la royauté dahoméenne, le nouveau prêtre reçut la défense de paraître devant le souverain du pays, car, ne pouvant quitter ses ornements, il se fut trouvé dans l'obligation de manquer au protocole qui interdisait, comme un crime de lèse-majesté, le port des sandales et de certains autres objets.
Le H'lan habite les fromagers le long du cours de la rivière qui porte son nom et ses temples sont construits tout contre ces arbres. Pourquoi ceux-ci plutôt que d'autres ? Nous n'avons pu obtenir aucun éclaircissement là-dessus et nous nous bornons à remarquer que les indigènes tirent du fromager leurs pirogues et qu'autrefois des piroguiers fréqucntaient le H'ian. Ces piroguiers, en plaçant le génie du H'lan autour du fromager, n'auraient-ils pas cherché à symboliser le rapport de la rivière à leur esquif?
Nous avons été plus heureux, quand nous avons demandé pour quelle raison l'élevage du porc est absolument interdit dans la région traversée par le H'ian. Certains nous ont répondu, d'une façon très plausible, que le porc, recherchant la fraîcheur, ravagerait les rives sacrées du H'ian
ainsi que les endroits ombragés et souvent marécageux où s'élèvent les temples.
Le II'lan est le premier Vôdoun du chœur qui comprend les rivières et les sources divinisées. Comme lui elles ont leurs génies dans les forêts qui s'étendent sur leurs rives et au milieu desquelles l'homme n'a même pas essayé d'élever un témoignage de son culte. Son âme primitive a été captivée, sans doute, par la poésie d'une végétation superbe ou d'un site sauvage. Il a alors préféré laisser à la Nature le soin de parer les lieux d'élection de ses divinités (1). ). 6. Loko ou Roco. Il y a autant de légendes du Roco que de Vôdoun dans les noms desquels cet arbre figure Adanloko, Atanloko, Léléloko, Lokozoun, etc. (2).
En voici deux à titre d'exemples
Légende de l'Adanloko. Un roco immense sortit de terre subitement à Dôouè et de ses branches descendirent un homme et une femme.
L'homme s'appelait Adan, qui veut dire « courageux ». Il eut beaucoup d'enfants. Un jour qu'il chassait, il s'enlisa et disparut dans un hanc d'argile, to-ouè (3). Ses enfants déci(1) 11 était interdit de couper les réserves de forêts autour des sources, sous prétexte qu'elles étaient habitées par les Tovôdoun (fétiches des eaux). Nous inclinons à penser que les rois avaient été amenés à cette interdiction parce qu'ils comprenaient très bien l'action du boisement. Le fétiche leur a été souvent, d'un puissant secours. C'était un gendarme auquel ils faisaient appel fort à propos.
i2) Le roco ou teck d'Afrique est le clalorofora excelsa.
(3) To-ouê est le caolin blanc appelé encore oué-Ko (terre blanche). On s'en sert pour crépir les maisons, les temples, les tombeaux.
dèrent alors de ne plus jamais se servir de cette argile; ils abandonnèrent leur pays et vinrent se soumettre aux fils d'Agasou, à Allada. Quand ceux-ci se divisèrent, les Adanlokovi Doouênou (fils d'Adanloko, gens de Dôouè) suivirent en masse la branche qui émigra vers Abomey.
Deuxième légende. Les Aïnonvi liountonou, dont un des ancêtres divinisés est Atanloko, racontent que celui-ci se changea en arbre pour empêcher son âme de se perdre. Il choisit le roco qui atteint un âge très grand. C'est depuis ce temps-là que les Aïnonvi offrent des sacrifices aux rocos qui croissent près de leurs cases, car ils pensent que ces arbres poussent spontanément, pour indiquer la tombe d'un individu dont toute la famille est éteinte et qui reste par suite sans aucun culte des morts (1).
Presque tous les fétiches du sol (Td-vôdoun), ceux de la région de Tindji principalement, sont compris dans le chœur du Loko. Aussi chaque fois qu'on rend des honneurs à un de ces Tôvodoun, ne doit-on pas oublier le Loko (voir un temple à l'appendice III).
7. Djisô, tonnerre. – Nous retrouvons le tonnerre, pour la deuxième fois, à la tête d'un chœur de fétiches, sous le nom de Djisô (foudre d'en haut), et, bien que cela puisse paraitre incompréhensible tout d'abord, il ne s'agit plus d'un même (1) Cette croyance en la spontanéité de la naissance des rocos a occasionné un fait original. M. le gouverneur Liotard avait recommandé le roco, dont l'ombrage est magnifique, pour le reboisement des postes et des marchés. Quand l'administrateur d'Abomey voulut commencer son semis les indigènes le glosèrent, prétendant que les graines du roco sont incapables de germer à l'endroit où l'homme les sème.
vôdoun. Pour les Dahoméens en effet, le vôdoun n'est pas seulement le composé d'une force, d'un être ou d'une chose il comporte encore des époques, des faits et des lieux qui constituent sa légende et sont autant de parties essentielles de sa nature, sans lesquelles il serait délicat d'assigner une origine commune à des tribus qui rendent un culte à la même force naturelle ou au mêmc élément divinisés (1). Djisô recevait un culte au Dahomey bien avant Hèbyosô, parce qu'il était le grand Vôdoun des Djétovi, dont de nombreux représentants avaient été absorbés de bonne heure par la puissance dahoméenne. Il ne fut reconnu « Vôdoun officiel », si on peut s'exprimer ainsi, que sous le règne de Glélé, lorsque les conquêtes de ce roi en pays Mahis l'eurent mis en présence d'autres membres de la tribu des Djétovi.
Il y a plusieurs personnes dans Djisô, autrement dit il y a plusieurs « Sô ». Leur père Gbadè-sô ou Gbamê-sô est le plus méchant de tous il tue les hommes. Leur mère, Sôgbo, gronde dans le ciel pour indiquer qu'il n'y a plus rien à craindre de son mari.
Ce couple terrible a des enfants dignes de lui; les plus connus sont Akrombè-sô, Akoutè-sô, Djakata-sô. La spécialité de Djakata est d'abattre les arbres, nous ignorons celle des autres mais nous sommes fondé à croire que la division des Sô en père, mère et enfants, correspond aux effets de la foudre constatés par les noirs.
Nous trouvons en partie dans la légende qui précède, la (t) Un i'éticheur du Tonnerre de Ouidah nous a raconté que, contrairement à ce que nous venons d'exposer, Djisô et Hébyssô seraient deux noms différents du même fétiche originaire de Tckango «n pays nagot.
raison pour laquelle la tribu des Djètovi se subdivise en trois branches les Gbamènou, les Agbogonnou, les Sinmènou. Les premiers procéderaient de Gbame-sô, le père des Sô les seconds de la Sôgbo; les troisièmes de l'eau \Sir>), née du Tonnerre.
Les,, uns et les autres ont défense de manger du mouton et de boire de l'eau recueillie des toits (Adjalalasin) cette
interdiction se comprend si l'on sait que le tonnerre est un bélier (agbo) (1) qui promène sa fureur dans les nuages. On (1) « Agbo signifie également « buffle ». Nous savons que c'est cette signification qu'on lui donne souvent dans des légendes du Tonnerre en d'autres pays. Plusieurs indigènes, à qui nous avons demandé leur avis à
trouve d'ailleurs le mot « bélier » dans l'expression Sô-gbo, qui parait être la contraction de Sô'agbo. En outre le bâton des féticheurs du tonnerre figure une tête de bélier tenant dans sa gueule une hachette au milieu de laquelle serpente un éclair.
Simultanément au culte de Djisô s'est développé celui de Dan-aïdâ-ouédo, le serpent arc-en-ciel, qui est aussi un Vôdoun des Mahis, particulier, croyons-nous, à la tribu des Djinou (gens d'en haut, tombés du ciel).
Ce serpent [Dan) est le serviteur du Tonnerre il le prend dans les nuages pour l'apporter sur terre. Entre temps, il rampe sur le sol et suit les sinuosités des vallées qu'il a creusées lui-même, bien avant la naissance des hommes. Les excréments, qui marquent son passage, sont autant de talismans qui procurent la richesse à leurs heureux possesseurs (1).
D'après certains, Dan est fils de Dangbè, le bon serpent, que nous avons déjà étudié. Sa méchanceté le fit chasser de Houéda, sa ville natale. Une famille Mahi le recueillit et, en souvenir, les féticheurs de Dan chantent « Un homme de Houéda m'a créé et ensuite m'a chassé un Mahi m'a pris ce sujet, nous ont répondu que dans la légende dahoméenne il s'agit du bélier et non du buffle. D'autre part les Djètovi, fils de la foudre, ne peuvent pas manger du mouton et Djisô, leur père, s'appelle encore « Agbolënsou », mot que nous estimons le même que Lëngbosou, mouton màle. En outre « Agbo » du tonnerre est représenté sur les bas-reliefs et les bâtons de ses féticheurs avec des cornes recourbées comme celles du bélier, tandis que le buffle est représenté toujours avec des cornes droites. Voir aux appendices une note romplémentaire.
(1) Il y a des marchands d'excrément d'arc-en-ciel; c'est même une escroquerie très productive.
dans ses mains et m'a emporté » (Houèdanoza é dji mi, bêgbè; Mahinou d'alo, bel vo
Sur plusieurs bas-reliefs, Dan-aïdo-ouèdo est représenté comme un serpent, replié une seule fois sur lui-même et
avalant sa queue. On trouve deux autres figures de ce vôdoun parmi les objets de collection ayant appartenu aux rois d'Abomey. Ce sont des serpents en bois, légèrement recourbés en arc de cercle et peints mi-rouge mi-blanc dans le sens longitudinal.
8. Lënsouhouè et Tohosou. Bien que les Lënsouhouè soient des fétiches particuliers à la famille royale, nous ne pensons pas qu'ils fussent déjà honorés par elle quand ses fondateurs arrivèrent à Abomey. Nous croyons plutôt qu'ils sont un composé du fétichisme et de la croyance à l'âme humaine, inspiré aux princes par le désir de conserver leur supériorité même dans l'au-delà. L'âme, yê, de l'un des leurs ne pouvait pas décemment aller, après la mort, retrouver les yè des autres Dahoméens, sans espérer autre chose que les sacrifices commémoratifs habituels des défunts elle devint un fétiche qu'on appela le Lënsouhouè et prit sa part du culte que les rois firent rendre publique-
ment à tous ses parents retrouvés, dans l'au-delà, Lënsouhouè comme elle (1).
Il semble que primitivement les Lënsouhouè furent divisés en deux classes seulement d'un côté les enfants morts à la mamelle, de l'autre tous les défunts, enfants, adultes et vieillards. Comme les premiers n'ont pas eu le temps, avant de mourir, de goûter aux aliments salés dont se nourrissent communément les Dahoméens, on les appelle des Ne ma don djé non a, expression qui signifie « qu'il ne mange pas de sel » et qui sert à énoncer une règle à laquelle on se garde bien de manquer, quand on prépare les ofl'randes destinées à ces vôdoun. Les seconds sont désignés sous le nom de Koutouto (2). C'est à eux que s'adresse le culte des morts et sur leurs tombeaux on place des asën (3). C'est eux aussi qui reviennent sur la tète des gens de leur famille et protègent les individus (4).
Une troisième sorte de Lënsouhouè fut révélée aux Dahoméens sous le règne de Tégbèsou. A cette époque, racontet-on, apparurent une multitude de petits hommes, moins grands qu'un nouveau-né et avec une très longue chevelure. Ils empêchèrent l'eau de tomber, ils ravagèrent les récoltes, bref ils firent tant de misères aux Dahoméens, que ceux-ci effrayés s'enfuirent vers Djidja.
(1) Nous avons rencontré des gens qui prétendent que la croyance aux « Lensouhouè » est générale dans le royaume dahoméen. Dans ce cas, il faudrait admettre que le culte des morts et le culte rendu aux « Lensouhouè se confondent et que les âmes (yê) des défunts, quels qu'ils soient, deviennent des fétiches (vôdoun).
(2) Kou = mort, mé koukou lè = les morts = koutouto.
(3) Asën objet du culte voir appendice IV.
(4) II revient sur la tète de quelqu'un = è oua meta il protège quelqu'un = e djô mê.
Un seul Dahoméen, fils d'Aouèsou et grabataire, fut oublié par les siens près d'Abomey. Les nains allèrent le trouver et lui dirent qu'ils étaient les Ilouithandan, enfants engendrés (1) par les Dahoméens à chaque rapprochement de l'homme et de la femme qu'ils ne voulaient pas être laissés dans l'oubli et désiraient un culte au Dahomey, comme celui qu'on leur rendait déjà chez les Mahis et qu'on rendait aussi à Abomey à leurs frères les Lensouhouè. Trois lunes s'écoulèrent les Dahoméens réintégrèrent leurs demeures et ils apprirent du fils d'Aouèssou les paroles des nains. Tégbesou envoya alors dans le pays mahis des fétichcurs.
Ceux-ci rapportèrent le culte des Tohosou monstres qui sont ces mêmes nains dont les Dahoméens avaient eu tant à souffrir et ils en exposèrent les principes.
Les Tohosou, sont les rois (ahosou) des eaux (to) ils habitent certaines sources ou des lagunes. Leur nombre est infini, car chaque rapprochement de l'homme et de la femme en engendre un; mais tous ne prennent pas une forme visible. Quand ils le font c'est pour tracasser les humains. Aussi cherche-t-on à se les rendre favorables par un culte. On les conjure surtout de ne pas quitter leur royaume, autrement que pour pénétrer dans les temples qui leur sont dédiés et si, d'aventure, l'un d'eux reste sourd aux prières, c'est-àdire, si un enfant monstre naît dans une famille, on doit le reporter au plus vite dans la lagune d'où il est sorti et près de laquelle on lui offre des sacrifices (2).
(1) Hounbandan désigne aussi l'avortement.
(2) Laisser noyer ou détruire les enfants monstres sans aucune surveillance aurait pu occasionner des abus, malgré la recherche de la pater-
Tegbèsou ne manqua pas d'être fortement impressionné par tout ce que lui racontèrent ses féticheurs revenus du pays mahis. Il se rappela qu'une de ses femmes avait mis au monde un enfant, semblable à un vautour et qui s'était envolé pour retomber à quelque distance d'Adankpodji (en arrière de la Résidence) il se rappela encore que ce vautour avait été recouvert par une termitière aussitôt après avoir touché le sol. Alors, le roi du Dahomey comprit que sa femme avait mis au monde un « Tohosou », qui avait désigné lui-même l'endroit où il voulait un temple! Le Destin (/-a) parla à son tour; il apprit à Tegbèsou que ses prédécesseurs avaient aussi engendrés des Tohosou. Il lui prescrivit de donner à chacun d'eux un nom, un grand prêtre et des serviteurs et de rattacher leur culte à celui des Lëmou-houé, parce que les Tohosou formaient une troisième catégorie d'individus révélée d'une façon surnaturelle aux Dahoméens.
Par la suite, chaque roi institua un « Tohosou » pour luimême, soit afin d'empêcher les monstres de s'incarner dans le sein de ses femmes, soit parce qu'un monstre lui était né en réalité. Peut-être eussent-ils évité plus sûrement l'apparition fréquente des monstres dans leur pays, en interdisant les mariages qui se célébraient et se célèbrent encore dans la famille royale entre demi-frères et sœurs? Il y a actuellement neuf « Tohosou », dont voici les noms nité, poussée à l'extrême en pays dahoméen. C'est pourquoi les rois exigèrent qu'on rendtt compte au Migan de Loute naissance d'un enfant monstre. Le Migan envoyait alors deux individus s'assurer du fait et ce n'est qu'après cette formalité que l'enfant était porté dans le ravin de Didô, près d'Abomey, ou dans d'autres lieux désignés.
avec, en regard, celui du roi pour lequel ou par lequel ils ont été institués
Zômadonou Akaha et sa sœur jumelle Ahanghé qui Bosouhon ) régna avec lui.
Kpélou Agadja.
Adomoun Tègbèsou.
Donouvo Pcngla.
Houê-moun Agonglo.
Zè-oua Ghèzo.
Sèmasou Glélé.
Lô-oulinou Ago-li-Agbo.
Chacun de ces grands Tohosou possède un temple ainsi qu'un collège de féticheurs des deux sexes, à la tête duquel sont placés un homme et une femme avec le titre de Vôdounon, titre non héréditaire, dans ce cas, contrairement à ce qui a lieu pour les Vôdounon des autres fétiches. Tous les ans, à la fin de la saison sèche, les collèges des Tohosou se rendent processionnellemcnt à la source Didô, afin de rapporter, dans des petites coupes en terre cuite, les « Hounbandan » (1) qui veulent quitter leur royaume pour venir dans les temples.
Cette cérémonie ne s'accomplit pas sans rites particuliers. Deux jours avant, on entend sur tous les points d'Abomey des mélopées entrecoupées de hululements criards. Ce sont les féticheurs qui se préparent à la fête cultuelle. Ils ont ceint leurs reins de jeunes feuilles de palmiers (2) et (1) Hounbandan = enfant présumé être engendré à chaque rapprochement de l'homme et de la femme, voir ci-dessus.
(2) Comme les fêtes du « Tohosou ont lieu à la fin de la saison sèche, c'est-à-dire au moment d'un renouveau dans la nature, comme aussi les
devront rester chastes tant qu'ils les porteront. Aucun tatouage ne les distingue des profanes, mais ils se sont fait de grandes marques, au front et aux joues ou autour des yeux, avec du caolin blanc, « boue du rovaume des Tohosou ».
En tête de chaque collège marchent les grands prêtres (vôdounon) suivis respectivement des clercs-féticheurs de leur sexe. Ils s'avancent abrités sous un immense parasol et appuyés sur une longue canne à pommeau d'argent. Ils portent le « tutu » bariolé commun à tous les féticheurs dahoméens et, comme de grands chefs, ils drapent un pagne sur l'épaule gauche. Un long porte-cigare qu'ils fument constamment et un mouchoir blanc déplié dans la main, qui tient la canne, contribuent autant que leur sabre, leurs colliers et leurs bracelets à donner cette attitude majestueuse qui convient à l'importance du Fétiche qu'ils représentent.
Leurs subordonnés se sont parés chacun suivant ses moyens jeunes prêtres et jeunes prêtresses ont rivalisé de goût les vieilles féticheuses elles-mêmes ont recherché l'élégance et, vraiment, il faut avoir le goût d'un européen pour les trouver plus comiques que solennelles dans leur accoutrement multicolore que complètent des chapeaux en jonc, pointus et à large bord, ou des feutres d'homme, voire même des tubes.
On accourt sur le passage du cortège et ceux qui ont une féticheurs, qui y participent, s'ornent de jeunes pousses de palmier, on serait tenté de les classer parmi les fêtes de printemps si souvent décrites chez d'autres peuples.
dévotion particulière aux « Tohosou » s'agenouillent et baisent le sol devant les grands prêtres.
Avant le coucher du soleil, sur les places ombragées des temples, ont lieu des danses religieuses. Les féticheurs, tenant dans la main une queue de cheval, serpentent en file indienne, se dispersent en quadrilles et marquent le rythme des tam-tams par des mouvements de pieds, d'épaules et de bras, qu'ils ont appris dans les collèges. Assis sous les parasols, leurs grands prêtres les regardent et ne se départissent de leur grave somnolence que pour exécuter, seuls, quelques pas de danse, devant une foule toujours avide d'un spectacle qu'elle a admiré maintes et maintes fois. Enfin le temps est venu de se rendre aux sources sacrées. Chaque féticheur y puise une petite jarre d'eau avec laquelle il se lave il en puise une seconde destinée aux temples. Au retour la procession passe par le grand marché d'Abomey; là elle se disloque et les féticheurs se rendent à leurs temples respectifs. Ils se dispersent après y avoir déposé les feuilles de palmier, dont ils s'étaient vêtus.
Le bain du féticheur à la source sacrée, suivi de sa visite au marché, constitue une véritable cérémonie de purification pour lui et pour le peuple, purification uniquement religieuse, car elle n'intéresse que les fautes commises volontairement ou involontairement contre les fétiches et leur culte. Il est même à remarquer que les indigènes ne nous ont jamais cité que des exemples de fautes involontaires. On peut, sans le savoir, avoir mangé un aliment défendu dans sa famille ou avoir acheté au marché des boules de farine cuites dans des ustensiles ou enveloppées dans des feuilles dont on ne doit pas se servir. Il peut arriver aussi à un prince
d'avoir pris son bain habituel, alors qu'il n'aurait pas dû le faire, un de ses frères décédé n'ayant pas reçu la sépulture. En tout cela on n'est coupable que par ignorance mais l'ignorance n'est-elle pas due à quelque génie malin, qui y plonge les Dahoméens pour exciter contre eux la fureur de leurs propres fétiches ?
Ainsi en toute circonstance le Dahoméen montre sa crainte de puissances mystérieuses ses divinités qui sèment la mort, la maladie, les malheurs. Il ne songe pas à leur crier sa souffrance, car elles ne le comprendraient pas, ne souffrant pas dans l'au delà. Alors il les traite comme des humains puissants qu'il voudrait charmer il les adule, leur offre ses richesses et danse devant elles.
9. Mahou. Mahou est un « vôdoun » féminin qui habite l'espace, du côté de l'Orient. Il réussit un jour à joindre Lisa, le caméléon, qui résidait à l'Occident. Les deux divinités s'aimèrent. Elles regagnèrent ensuite leur demeure dans l'espace et entre elles apparut le fruit de leurs amours, Aghé, la terre.
Il existe parmi les objets ayant appartenu à Ago-li-Agbo, successeur de Béhanzin, une statue de bois qui représente Mahou. Bien qu'elle soit de fabrication récente, elle ne manque pas d'intérêt. Sa couleur rouge rappelle celle de l'aurore entre ses mamelles énormes symbole de maternité pendent des chapelets de cauris (1) et dans une de ses mains elle porte un croissant, car Mahou est le dispensateur des richesses et lance les astres dans leur course de chaque jour.
(1) Coquillage blanc qui sert Je monnaie.
Nous n'avons pas trouvé d'autres images de Mahou. On voit des caméléons, au contraire, représentés partout, sur des bas-reliefs, en peintures murales, sur des objets de cuivre et d'argent, tels que pipes ou coffrets, dont se servent les riches Dahoméens. Mais ce ne sont pas là autant d'images du grand vôdoun Lisa. Il ne faut y voir que les copies des images vivantes que lui-même a disséminées dans la brousse, pour rappeler aux humains comment il peut colorer l'horizon chaque soir d'une façon différente. Le culte de Mahou, épouse de Lisa et mère d'Aghè est relativement récent au Dahomey. On raconte que c'est la mère de Tegbèsou (cinquième) roi qui l'importa d'Adjahommè où elle était née. Et cela parait exact, car les divinités ont chacune un temple dans une des parties du palais, sous la surveillance spéciale de la vieille femme, qui représente la mère de Tégbèsou.
Ces temples ne sont aujourd'hui que de misérables cases rondes à toit pointu et en chaume. Leurs dimensions m; dépassent pas un mètre de diamètre et trois de hauteur totale. Par leur emplacement respectif ils rappellent la légende à l'ouest s'élève celui de Mahou, à l'est celui de Lisa et au centre celui d'Aghè.
Le Mahou ainsi honoré est-il le même que le Mahou, créateur de l'Univers, qui préside le système religieux des Dahoméens ? Nous n'avons pu obtenir là-dessus que des éclaircissements peu précis. Cependant le fait que ce vôdoun fut importé d'un pays adjas, pays d'origine des Aladahonou, permettrait de résoudre cette question par l'affirmative. La dualité n'existerait plus alors que dans le culte et la légende, modifiés sans doute par les Aladahonou au cours de leurs migrations.
Sakpata, la Variole, figure dans tous les chœurs de vôdoun. Il est le fétiche du sol (aïkoungban-vôdoun). On lui élève des autels aux carrefours d'entrée des villages ou devant les maisons, si le « Destin » (Fa) du propriétaire l'a demandé. Ce sont des tertres minuscules, sur lesquels reposent une marmite en terre cuite, percée de trous réguliers, et un bloc de latérite rappelant le masque d'un varioleux. En arrière est planté une euphorbe épineuse appelée sélo. (Planche XII).
Tout passant qui redoute « Sakpata » jette quelques cauris devant ces autels et chaque année, régulièrement ou après une épidémie, les prêtres de ce « vôdoun » sortent de leurs collèges où sont élevés des temples. Ils tentent de gagner la clémence de leur divinité par des danses et des sacrifices.
Le culte de « Sakpata » a traversé des alternatives de vogue et de réprobation. Il fut importé sous le règne d'Agadja (quatrième roi). A ce temps-là, les guerriers dahoméens avaient été conduits contre Hondji (cercle du Mono) et la variole les avait décimés bien plus que les armes ennemies. Effrayé de cette cause de mortalité nouvelle dans ses armées, le roi envoya des hommes de confiance chez les Dassas, qu'il savait honorer « Sakpata ». Ils en revinrent avec les connaissances nécessaires pour établir au Dahomey le culte du « vôdoun » redoutable. Mais les rois ne tinrent jamais en grande estime les prêtres de ce culte. Ils ne leur permirent aucun tanitam et ils s'interdirent pour euxmêmes d'épouser une sakpatasi, c'est-à-dire une femme vouée à « Sakpata ». On nous a dit même que sous Ghèzo (huitième roi) et sous Giclé (neuvième roi) le culte public
de « Sakpata » fut formellement proscrit. De nos jours il a repris une splendeur nouvelle, ce qui n'est pas sans inquiéter certains chefs dahoméens, parce qu'ils savent combien les féticheurs de ce « vôdoun » abusent de la crédulité des populations effrayées par les épidémies de variole. L'administration ne veut pas heurter de front les croyances populaires mais elle a apporté tous ses soins à enrayer les épidémies. Malheureusement le vaccin reçu de France perd de son efficacité et son inoculation va souvent à l'encontre du but poursuivi. Nous nous souvenons qu'après une tournée de vaccination opérée par un docteur une épidémie se déclara dans plusieurs villages où habitaient des vaccinés certains de ceux-ci moururent. La population ne manqua pas alors d'accuser les blancs et il fallut pour la rassurer toute l'influence des chefs dont l'intelligence n'avait pas été rebelle aux explications de l'administrateur.
Culte
Le culte des grands vôdoun (1) comporte quatre catégories de prêtres les « Vôdounnon », les « Hounso », les « Vôdounsi », et le « Vôdoun-legbanon ».
Le Vddounnon possède le fétiche, le Hounso, le porte, le Vôdounsi est voué à son service et le Legbanon incarne le Legba du vôdoun lui-même, car les Dahoméens ne conçoivent pas un être intelligent sans un Legba, puissance (1) Sous l'appellation de « grands vôdoun », nous groupons les fétiches des plus puissantes tribus conquises ou absorbées par les Dahoméens. Ce sont ceux-là même que nous venons de désigner nominativement dans l'étude précédente.
occulte et personnelle dont nous réservons l'étude à plus tard (1).
Le « vôdounnon » est le grand prêtre il possède (non) le fétiche (yédouri). Il habite près de l'endroit où réside celui-ci ou bien près de son temple principal et de son collège qu'il commande. Il est le dépositaire des secrets de la divinité seul il connaît les prières et les feuilles qui lui sont réservées seul aussi, au jour des sacrifices, il pénètre près des autels. Un simple serre-tête blanc le distingue alors des autres prêtres qu'ornent des colliers de cauris, des bracelets, des tutus bariolés et qui l'attendent prosternés devant l'entrée du temple.
Il n'y a qu'un « vôdounnon » sur le territoire d'Abomey pour chacun des fétiches dont le culte fut introduit par les rois et c'était à ceux-ci qu'en incombait autrefois le choix. Ce sont d'ailleurs les plus considérés sinon les plus puissants et avec leur institution se dessine un culte national. Au contraire pour les vôdoun particuliers à des familles, on compte généralement autant de vôdounnon que de branches de ces familles. Ainsi les Djctovi ont un grand feticheur du tonnerre (Hèbyosônoii) à Tindji, un autre à Ouaouè. Ceci vient de ce que les branches, qui émigraient, emportaient le fétiche familial pour lequel elles constituaient un gardien. Dans la suite les a vôdounnon » furent toujours choisis parmi la descendance de ce premier gardien et par ordre de primogéniture, sans que la trop grande jeunesse de celui à qui échéait pareil honneur fût un empêchement, car alors on lui nommait des tuteurs (noukounto). (1) Au cours des danses religieuses le Legbanon se livre à toutes sortes de farces, souvent obscènes.
Le Vêdounnon ne participe ni aux danses ni aux processions publiques il y est représenté par le Hounso. Celuici est en quelque sorte son adjoint, son délégué. Dans les cérémonies cultuelles, sa principale fonction consiste à danser en tenant sur les épaules les animaux qui seront sacrifiés. Le fétiche descend alors en lui; il le porte, d'où son nom « Hounso » (e so houn, il porte le fétiche). Les « vôdounsi » sont, comme l'indique le suffixe si sous la dépendance du fétiche. Ils sont voués à son culte, durant les cérémonies duquel il remplissent le rôle de figurants. On pourrait traduire leur nom par l'expression clercsféticheurs. Mais, tandis que la naissance ou un ordre du roi interviennent pour le choix du « vôdounnon », n'importe qui peut devenir « vôdounsi ». Un fétiche de famille (hënnouvédoun), peut même admettre comme « vôdounsi » des étrangers, à moins d'une défense spéciale, générale ou particulière, issue sans doute d'anciennes inimitiés de tribus à tribus ou de raisons suggérées par une politique locale. C'est ainsi que les rois interdirent à leurs enfants de se faire vôdounsi, qu'ils autorisèrent leurs petits enfants à se vouer au seul culte de « Lënsouhouè » et qu'ils laissèrent leurs arrières petits enfants libres d'entrer dans n'importe quel collège de fétiche. Ils voulaient, probablement, soustraire leurs descendants directs à des influences étrangères tout en soulignant leur supériorité sur les autres Dahoméens, puisque le fétiche lui-même ne pouvait pas les plier à son service. Nous nous souvenons à ce sujet de la colère des principaux personnages de la famille royale contre un féticheur de la « variole » qui avait admis dans son collège une fille de Héhanzin. La jeune princesse fut
réclamée d'urgence et il nous apparut alors nettement qu'un mauvais parti eût été réservé au délinquant, si les Français n'avaient pas été maitres du pays.
Après les processions d'un collège de féticheurs ou après les fêtes qu'il a offertes à sa divinité, les clercs parcourent les marchés durant plusieurs jours, parés de leurs plus beaux ornements. Ils reçoivent ou prélèvent des cadeaux aux étals des marchands et donnent en échange des parcelles infimes de fruits ou d'autres denrées alimentaires, sans que leur offrande ait en cette circonstance un caractère sacré. Il n'en est pas ainsi des morceaux de kola que les grands prêtres distribuent aux assistants d'une de leurs fêtes cultuelles. Ce sont là de véritables fruits bénits, des choses du fétiche (vôdounnou). Le grand prêtre les consacre par une cérémonie spéciale. En prière devant l'autel il les tient dans ses mains jointes. Il les jette ensuite sur le sol et tous ceux qui retombent sur leur face externe sont considérés comme destinés aux fidèles par le fétiche luimême.
Dans la vie privée les prêtres ne jouissent d'aucune situation spéciale, nonobstant un certain prestige qu'ils retirent de leur participation à de saints mystères. Ils vaquent aux mêmes travaux que les autres Dahoméens de leur âge et de leur condition sociale ils sont soumis aux mêmes lois et aux mêmes obligations que le reste de la population. Ils ne revêtent un caractère sacré que dans l'exercice des rites sacerdotaux. On dit alors que le fétiche est sur leur tête et les frapper ou les injurier constitue un sacrilège qui, autrefois, était puni de mort. Ce ne sont plus les mêmes hommes ils ne connaissent plus leurs compagnons habituels et par-
lent une autre langue qui est l'ancien dialecte de la tribu où leur divinité a pris naissance.
Mais les rois comprirent fort bien à quels abus aurait pu tendre l'exploitation d'un peuple, naïf et crédule, par les féticheurs. Aussi, de bonne heure, placèrent-ils des surveillants près de ceux-ci en même temps qu'ils se réservèrent l'investiture et, par suite, la destitution des plus grands d'entre eux pour contrebalancer leur influence et s'assurer de leur soumission. De plus ils gardèrent le droit de les juger ou de les faire juger par des tribunaux spéciaux, mais non ecclésiastiques, pour tous les délits et crimes de droit commun. Les féticheurs de Lënsouhouè, par exemple, étaient jugés en premier ressort par l'Adjaho, grand introducteur au palais. L'appel de leurs affaires se faisait devant la mère du roi régnant et, en cas de complication, devant le roi lui-même. Citons encore comme exemple celui des féticheurs de Mahou. Les affaires les concernant ressortissaient au Ghézodjé, l'un des grands cabécères, et l'appel en était porté devant la vieille femme représentant la mère de Tègbèsou, à laquelle revient l'honneur d'avoir introduit le culte de Mahou au Dahomey.
Nous avons vu déjà que la naissance n'intervient aucunement dans le recrutement des vôdounsi. Ceux qui veulent le devenir doivent séjourner dans des établissements religieux, voisins des temples et sous l'autorité directe d'un grand prêtre. Ils y sont instruits et formés dans les devoirs de la dignité qu'ils désirent se voir conférer.
Mais généralement la vocation n'est pas une simple inclination de goût elle revêt le plus souvent un caractère sur-
naturel, en ce sens qu'on se croit appelé par la divinité ellemême. Un accident, un état d'esprit particulier, voire un état de santé inexplicable, suffisent à présager que celui qui en est l'objet doit se vouer au service d'un vôdoun. On dit même, en langage courant, que le fétiche le tracasse (Vâdotm mm non fif>).
Le vôdoun ne tracasse d'ailleurs que des enfants et des jeunes gens des deux sexes, quelquefois des jeunes femmes, bien que ce dernier cas occasionne de nos jours plus d'une difficulté, les maris commençant à oser ne plus vouloir se séparer de leurs épouses, même pour l'amour du fétiche. Les parents de l'élu son fiancé ou son mari, s'il s'agit d'une femme le conduisent chez le féticheur que lui a désigné un devin. Que se passe-t-il alors ? Nous sommes porté à croire en quelque fourberie adroite de la part du grand prêtre, car il soustrait, toute une journée, le postulant aux regards de ses compagnons qui ne le revoient que plongé en léthargie ou dans une crise de convulsions. C'est l'instant où le vôdoun fait connaître son désir à certains mouvements du patient, à certaines attitudes de son corps le grand prêtre comprend si c'est bien la divinité qu'il honore qui le réclame.
Le postulant reste pendant trois lunes au moins chez le grand prêtre il y apprend li 'langue du fétiehe, qui l'a admis à son service, ses danses spéciales, ses litanies et ses prières publiques. Entre temps il se livre à quelques travaux de vannerie au profit du grand prêtre.
Nous avons visité un de ces collèges de féticheurs. En arrière d'un temple, contigu au logement du grand prêtre, s'étendait une cour fermée par des cases en tous points sem-
blables à celles qu'hahitent ordinairement les Dahoméens. Le féticheur qui nous faisait visiter son établissement appela ses élèves. Nous vîmes arriver trois êtres grognant et dégoûtant d'huile de palme, courbés très bas, un des bras jeté sur le dos, 1 autre collé contre la poitrine, les poings fermés et tournés les ongles en-dessus. Deux d'entre eux étaient chamarrés d'objets clinquants et vêtus d'un simple « tutu » de couleurs vives le troisième, dont l'admission était plus récente, n'avait pour se couvrir qu'un morceau d'étoffe graisseux autour des reins. Ils s'agenouillèrent et, d'une voix criarde, scandèrent un récitatif monotone, qu'on nous dit être une salutation et une prière à notre intention. Quand ils eurent terminé, ils allèrent, toujours courbés et grognant, s'asseoir dans leur case, où ils prirent aussitôt l'air le plus bestialement absorbé que nous ayons jamais vu. Lorsque le grand prêtre juge ses pensionnaires suffisamment instruits, il leur tatoue, lui-même et secrètement, les marques de son fétiche, puis il se prépare, par des sacrifices, à célébrer les fêtes d'usage qui précéderont leur sortie de sa demeure.
Pour bien comprendre le caractère de ces fêtes, il faut savoir que les gens admis comme « vôdounsi » sont sensés devenus d'autres individus. Ils reviennent d'un pays étranger, celui du fétiche dont le souffle les anime si violemment qu'ils ne peuvent agir autrement que des envahisseurs acharnés. D'ailleurs le nom de la première cérémonie suffirait à lui seul pour indiquer ces idées. On l'appelle Adjâgbouè mot qui signifie « rapt, irruption à mains armées ». Dès l'aube retentissent des coups de fusil. C'est le signal qu'attendent les nouveaux « vôdounsi » pour faire irruption
hors du temple en criant « Voici la guerre! » (aouan ton). Ils se précipitent sur toutes les personnes qu'ils aperçoivent, les pourchassent et les frappent sans distinction d'âge, de sexe ou de parenté en un mot ils agissent comme des guerriers au sac d'un pays conquis. Le grand prêtre les exhorte au calme et réussit, non sans peine, à les faire rentrer chez lui, tremblants encore de leur exaltation duc sans doute à quelque breuvage.
Au lendemain, le grand prêtre conduit tous ses pensionnaires devant le temple et les fait procéder à des exercices dignes de nos forains. Certains se dérobent sous un voile au milieu d'un groupe compact de vieux prêtres; ils reparaissent le corps couvert de vers blancs. D'autres, au cours d'une danse, plongent leurs mains dans une pâte de farine bouillante, ou bien saisissent une boule de fer rougie au feu, qu'ils présentent au public étonné de tant de prodiges et convaincu que leurs auteurs sont réellement possédés du fétiche.
Pour mieux marquer encore le changement survenu dans la personnalité de ses nouveaux clercs, le grand prêtre leur impose à chacun un nom, sous lequel tout le monde devra les connaître désormais. Ce serait même un manquement très grave aux coutumes dahoméennes d'appeler intentionnellement un « vôdounsi » du nom qu'il portait avant sa consécration.
Le « vôdounsi » est maintenant rendu à ses parents mais ceux-ci, de crainte de mécontenter le fétiche au service journalier duquel ils l'enlèvent, remettent au grand-prêtre quelque somme, soi-disant pour lui permettre d'acheter un esclave en remplacement de leur enfant. Aujourd'hui cette
obole est fixée à cinq francs. Elle est payée par le fiancé ou le mari, s'il s'agit d'une jeune femme, et, en cas de rupture des accordailles ou de divorce, elle est comptée dans le remboursement de la dot.
Chez lui, le « Vôdounsi » reprend ses anciennes habitudes, mais il reste, pendant trois mois au moins, sans parler une autre langue que celle de son fétiche. Puis, peu à peu, il recommence a employer le dahoméen. N'est-il pas un étranger venu de fort loin ? Il reprendra, d'ailleurs, l'usage de la langue sacrée, chaque fois que le fétiche « reviendra sur sa tête », c'est-à-dire chaque fois qu'il aura été convoqué pour des rites sacerdotaux.
Vôdoun personnels
Les « vôdoun » que nous avons étudiés jusqu'ici appartiennent à toute une tribu ou à tout un peuple en dehors des prières que chacun leur adresse en son for intérieur, un culte public leur est rendu, généralement par l'intermédiaire de prêtres consacrés.
Il existe deux autres « vôdoun », Legba et Fa, qui sont personnels à chaque individu, naissent et disparaissent avec lui. Les marques extérieures des hommages qu'on leur rend n'exigent pas un développement extraordinaire de rites sacerdotaux. Cependant la dévotion à leur égard n'en est pas moins fervente, étant tout intime et directement intéressée. « Legba » est le compagnon caché de chaque individu. Semblable à un lutin, il est toujours prêt à quelque malice ou même aux pires méchancetés mais il se laisse facilement apitoyer par des prières et des sacrifices. Il réside
dans le nombril Hon, d'où il se plait à insuffler la colère. C'est pour cela qu'on l'appelle Hondan, nom auquel nous donnons pour traduction « agitateur du nombril « – et encore Hàniêsinyan – qui signifie « chef de la colère », car la colère vient du ventre comme la joie, la douleur, la pitié (1). Les « legbas » sont représentés par des symboles, qui varient avec l'âge et le sexe des individus et dont 1 emplacement est toujours devant les entrées principales des maisons; ils y sont groupés autour de celui du maître.
Des coupes en terre cuite constituent les symboles po ur les enfants mâles non adultes. Ceux des maîtres de maison ou des chefs d'un groupe familial comportent un monticule de terre glaise haut d'un pied, en forme de tronc de cône et protégé par un abri minuscule en branchages de palmier. Si un augure l'exige, le monticule est remplacé par une statuette, également en terre et représentant grossièrement un homme assis, les deux mains posées sur les genoux. Dans ce cas un phallus monstrueux complète le magot, et on dit que le Lègba de l'individu intéressé est « devenu roi » (Planche XIV).
Comme pour les enfants, de simples coupes suffisent pour les « Legbas » des femmes toutes sont disséminées sous l'abri du « Legba du mari ou du père ou du maître de maison. Le phallus que l'on aperçoit dans les statues de « Legba » a fait admettre que ce vôdoun était analogue au Priape ancien. Nous ne partageons pas complètement cette manière de voir. « Legba » est certes susceptible de donner ou de (1) Hômè = ventre; hôraê sin = colère, mot à mot le ventre saisit; gan = chef.
refuser des enfants peut-être, aussi, le représenter avec un phallus le satisfait-il au point qu'il se prête volontiers à l'augmentation des progénitures? Mais là ne se bornent pas ses pouvoirs. Choses heureuses ou malheureuses arrivent par sa volonté avec la permission des « Vôdoun » supérieurs. C'est Legba qui est cause de presque toutes les maladies et des accidents, depuis le plus banal jusqu'au plus terrible. Si une femme brise sa cruche en allant a l'eau, c'est qu'elle aura mécontenté son « Legba ». Si des disputes surviennent dans un harem, c'est le « Legba » du maitre qui les a suscitées. « Legba » veut des honneurs et il sait cruellement se rappeler au souvenir.
Aussi évite-t-on soigneusement de le mettre dans cette obligation. Tous les matins, au sortir de la maison, on s'arrête devant son symbole et on lui parle. Tous les deux jours au moins, un maitre de maison lui offre de la farine, de l'eau, de l'huile et, s'il est obligé de s'absenter aux jours choisis pour ces offrandes, il charge une de ses femmes préférées de le suppléer.
Aux entrées principales des villages on trouve toujours un symbole de Legba couronné roi. C'est le Legba du fétiche du lieu. Ceux qui ont une vénération particulière pour lui ne l'oublient pas et les habitants du village lui « offrent a manger » au moins une fois par an.
Fa. De même que Legba, Fa est personnel à chaque individu, mais avec cette différence que seuls les hommes le consultent et portent son symbole (1).
(1) Les femmes titulaires de charges à la Cour pouvaient porter un symbole de Fa.
Il est le messager de « Mahou » (Dieu) et comme tel prévoit le Destin. Aussi un Dahoméen ne manque-t-il pas de l'interroger toutes les fois qu'il veut entreprendre une affaire importante ou qu'il se trouve dans l'embarras. Sans son avis il ne saurait partir en voyage, fixer la date d'un mariage ou d'un service funèbre, imposer un nom à un nouveau-né c'est à lui qu'il demande les remèdes pour les graves maladies, les sacrifices pour conjurer le malheur. Les oracles de « Fa » étaient même devenus pour les rois un moyen de gouverner, absolument comme les augures à Rome. Le roi consultait « son Fa » sur l'opportunité des guerres qu'il désirait entreprendre, sur les moyens à employer pour faire cesser une calamité publique ou sur toute autre grave question. « Fa », alors, indiquait une levée de guerriers, la construction de temples nouveaux, un nombre plus grand de sacrifices humains. Les ordres royaux touchaient ainsi au surnaturel et leur édiction était conforme au procédé qui détermine les actes des Dahoméens dans la vie privée. Mais pour que le « Fa » de quelqu'un puisse lui transmettre les messages de Dieu, il faut qu'il ait indiqué déjà le symbole qu'il désire lui voir porter. Chaque homme, parvenu à l'adolescence, demeure libre de chercher à connaître ce symbole, quand bon lui semble. Il suit en cela sa propre Inspiration ou les avis du « Fa » d'un de ses parents proches, père, tuteur ou chef de famille.
La révélation des symboles de « Fa » se fait au cours de cérémonies dans lesquelles l'officiant est l'intéressé luimême, assisté d'un devin, appelé Bôkonon. Le rôle de ce dernier se borne à prescrire à la divinité de choisir entre des figures cabalistiques, qui résultent de la combinaison de deux
signes huit fois répétés l'un ou l'autre. Il reçoit pour prix de son assistance quelque somme d'argent. Au fond du cœur il se rit, sans doute, de la crédulité de ses clients, mais il n'en accomplit pas moins ses rites professionnels avec dignité, les entourant même d'un certain décor impressionnant. Il opère la nuit, à l'écart des lieux habités une mèche fumeuse jette sa clarté vacillante sur la scène qu'il joue seul avec celui qui lui a demandé son concours.
Le Bôkonon remet 18 amandes de palme d'une espèce particulière au consultant. Celui-ci les reçoit dans la main droite, les passe ensuite dans la main gauche, pour les reprendre aussitôt de la droite. Si, ce mouvement terminé, une amande reste dans la main gauche, le Bâkonon marque deux traits sur le sol soigneusement égalisé pour deux amandes un trait seulement. S'il reste plusieurs amandes ou pas du tout, le coup est nul. Le consultant opère de cette manière jusqu'à ce qu'il ait obtenu huit signes de un ou deux traits. Ils sont inscrits sur le sol de droite à gauche et de haut en bas, à raison de deux sur la même ligne ils forment ainsi dans le sens vertical deux figures de quatre signes chacun.
Le bâkonon les grave alors sur un morceau de calebasse, pendant que le consultant ramasse dans un sachet lu poussière sur laquelle ils ont été inscrits au cours de l'opération. Le tout, soigneusement attaché avec des cordelettes forme le symbole de « Fa » (1).
Entre les figures cabalistiques et la poussière existe le (1) Ces cordelettes portent le nom de Kpolikan, corde des signes. Kpoli ou dou désignent les signes obtenus à la première consultation de Fa, ainsi qu'il a été rapporté plus haut.
rapport du général au particulier. Les premières sont comme les tatouages distinctifs des tribus elles peuvent appartenir à une foule d'individus. La poussière, au contraire, est une pour un seul elle crée le caractère personnel du symbole, parce qu'elle a reçu directement les signes choisis par le « Fa » d'un individu.
Les maîtres de maison, les chefs de famille réservent au symbole de leur « Fa » un appartement spécial ou, à défaut, la chambre de leur épouse la plus ancienne, tandis que les simples Dahoméens placent le leur dans la chambre qu'ils occupent habituellement, après l'avoir renfermé dans une calebasse posée sur le col d'une jarre. Au cours d'un long voyage, un homme n'oublie jamais d'emporter le symbole de son Fa. Il l'attache alors autour des reins ou, s'il est un personnage important, le suspend au cou d'une de ses femmes ou d'un de ses enfants. Après la mort, le symbole de « Fa » est jeté à un carrefour non loin de la demeure du défunt. Nous n'avons pas obtenu la raison de cette coutume et l'explication que nous lui donnons est basée sur la remarque qu'au moment des funérailles l'évocation des esprits se fait également à un carrefour. Les Dahoméens supposent probablement que l'âme, après la mort, erre autour de la maison où repose son corps. Ils estiment alors qu'ils ont plus de chance de la rencontrer au croisement des nombreux sentiers qui avoisinent les demeures ils y vont l'attendre et y jettent aussi le symbole de son « fa », afin qu'elle puisse le prendre plus sûrement, ou plutôt prendre l'àme, l'ombre (ye) de ce symbole, car comme nous l'avons déjà expliqué toutes choses ont leur « yê », leur ombre.
Les figures, qui entrent dans la composition des symboles de « Fa », ont toutes une valeur intrinsèque bonne ou mauvaise mais cela n'implique nullement l'idée que celui qui les a obtenues soit né sous une influence heureuse ou malheureuse. Elles n'ont une signification horoscopique qu'au moment des oracles que chacun peut faire rendre par son fa. Leur valeur vient alors se combiner avec celle de figures semblables, qu'un devin obtient séance tenante. Pour ce faire le Bôkonon ne se sert plus d'amandes il emploie une sorte de chapelet, dont les extrémités portent chacune quatre grains présentant une convexité opposée à une concavité. Après l'avoir balancé plusieurs fois il le jette à terre, les extrémités en avant. Chacune de celles-ci étant formée de deux signes convexité et concavité répétés l'un et l'autre quatre fois, peut, en tombant sur le sol, donner seize combinaisons. Nous les reproduisons par ordre d'importance, en employant deux traits (II) pour indiquer la partie convexe des grains, un trait (I)pour la partie concave, notation qui a l'avantage de correspondre à celle que nous avons vu employer par le Bôknnon dans sa première consultation. Nous ne considérons qu'un seul côté du chapelet. II 1 1 Il
II gbè 1 yèkou II ouôli 1 Di
II {m) I (b) 11 (m) I (b)
Il I I II
I II I II
I Losô II ouënlën 1 abla 1 aklan
II (m) I (6) 1 (m) 1 (b)
II I II 1
1 Il I II
II gouda II sa II troupën II toula
II (m) II (b) I (b) 1
II I I II
II I I II
I lètè II tchè I ka I fou
II (5) I (m) II (b) II (b)
II 1 1 I
Chacune de ces figures a une valeur bonne ou mauvaise, que nous indiquons respectivement par les lettres b et m. Réunies deux par deux elles donnent 136 combinaisons qui ont aussi une valeur bonne ou mauvaise.
Lorsqu'on veut interroger son « Fa », on a toujours recours à un Bôkonon. Le rôle qu'il joue alors n'est plus le même que dans la cérémonie de révélation du symbole (1). Il est le seul officiant. Le consultant, de son côté, se borne à poser les questions à haute voix ou en son for intérieur. Le « Bôkonon » opère chez lui ou à domicile, suivant la qualité du consultant, car tout le monde n'a pas les moyens de se faire construire une chambre des oracles (afagbadji). En tout cas le symbole du « Fa » de l'intéressé doit présider la consultation, probablement parce que l'on croit obtenir ainsi la présence réelle de « Fa et certainement afin de permettre au devin de tirer ses conclusions des signes du symbole combinés avec ceux que donne son chapelet. (1) Pour indiquer que quelqu'un s'est fait révéler le symbole de son Fa on dit « il a étendu son fa » (è tè fa) on a vu, en effet, qu'on inscrit, qu'on étend sur le sol les marques obtenues. Interroger « fa » se traduit Kan fa. Kan dans son sens primitif signifie « partager, séparer ». Le Bôkonon procède en effet par élimination, lors de ses oracles.
Mais là ne se bornent pas les diversités de combinaisons des figures cabalistiques. Leur valeur dépend encore des questions posées. Ainsi tel signe favorable à une affaire d'argent peut être mauvais pour un malade.
Il est bien évident dès lors que le Bôkonon a mille moyens de s'en tirer à son honneur et, comme il connaît ses clients, qu'il a aussi une grande expérience de la vie, il sait toujours approprier ses interprétations de l'oracle aux circonstances et au mieux de ses intérêts. Car c'en est un qui vit des affaires religieuses Il a donc avantage à se ménager des clients (1).
Nous avons observé deux manières de consulter « Fa », soit que l'on considère l'ordre qu'occupent les signes dans le tableau, soit que l'on considère leur valeur bonne ou mauvaise. 11 arrive fréquemment que ces deux procédés sont employés pour une même question, comme un moyen de contrôler les réponses.
Premier procédé. Le Bôkonon porte une graine à ( 1) Les « Bôkonon » dahoméens ne sont souvent que des devins de village, qui ne se sentent même pas assez forts pour vivre grassement de leur profession. Ils perçoivent des honoraires très minimes variant entre 40 cauris (0 fr. 01) et 2.400 (0 fr. 60) pour chaque consultation. Eu outre ils ont le bénéfice d'être chargés des sacrifices qu'ordonne « Fa à moins que ces sacrifices ne s'adressent à un grand fétiche, auquel cas c'est le féticheur qui opère.
A. côté de ces petits devins en existent quelques-uns de grande réputation, dont les jongleries pourraient arriver à troubler les populations. Enfin, les « Bôkonon » musulmans opèrent généralement l'escroquerie sur une grande échellle. Ils trouvent toujours quelques imbéciles dont ils obtiennent jusqu'à 250 francs en plusieurs versements, remettant sans cesse leur oracle final. Quand ils ont fait plusieurs victimes et qu'ils se sentent éventés, ils s'empressent de disparaître.
ses lèvres et dit « Si ce qu'on demande doit arriver ou doit être fait, Fa harle ». Puis il place la graine à sa droite. Avec un cauris il recommence la même opération, mais il le pose à sa gauche après avoir adjuré Fa d'indiquer si ce qu'on demande ne doit pas arriver ou ne doit pas être fait. Le Bôkonon prend alors son chapelet, le balance et le laisse tomber près de la graine et à gauche. 11 lit les deux figures ainsi obtenues en commençant par celle de droite. Même opération auprès du cauris mais à droite de celui-ci. La figure la plus importante, en tombant près de la graine ou du cauris, indique lequel de ces deux l'emporte. Deuxième procédé. Toujours après avoir demandé à « Fa » de parler, le Bâkonon lance le chapelet de façon que ses extrémités tombent à droite et à gauche de la graine qui, d'ailleurs, a été seule posée sur le sol. La réponse est dictée par la valeur de la combinaison des deux figures obtenues. Une combinaison mauvaise, par exemple, indiquera que la chose, objet de la question, ne doit pas être faite ou n'arrivera pas.
L'usage d'interroger Fa et même la connaissance de ce fétiche auraient été importés des pays nagots, sous le règne d'Agadja (quatrième roi). Nous estimons le fait exact. Il suffit, en effet, de remarquer que les noms donnés aux signes, dans le tableau ci-dessus, sont des mots nagots; que l'inscription et la lecture des signes ou des figures se fait toujours de droite à gauche, ce qui semble la caractéristique d'un usage d'origine musulmane que les Dahoméens ont pu apprendre par l'intermédiaire des uagots, déjà en
contact sinon convertis à l'Islam alors que cette religion n'était même pas soupçonnée au Dahomey. Enfin la tradition est là pour faire connaître que les premiers Dahoméens n'avaient recours qu'au Conseil des Anciens pour décider des graves questions. On raconte, par exemple, que si on voulait autrefois savoir quel ancêtre protégeait un enfant problème des plus importants on présentait celui-ci à un aéropage de vieillards qui recherchait sa ressemblance avec quelque disparu.
Quoi qu'il en soit on prétend, aujourd'hui, qu'après une victoire remportée sur les troupes d'Agadja par les Nagots, suivant la prédiction d'un certain Amonkobi, les Dahoméens reconnurent l'excellence du procédé de leurs ennemis pour dévoiler l'avenir. Deux des leurs se dévouèrent alors pour aller l'apprendre. Leur nom est passé à la postérité. Ils s'appelaient Djisa et Gongon. La méthode que rapporta le premier semble beaucoup plus compliquée et plus coûteuse que celle du second, pour qui veut l'employer dans les consultations de Fa. Elle exige l'emploi de 36 amandes au lieu de 18, ce qui amène forcément un plus grand nombre de combinaisons pour les réponses du messager de Dieu, dont les exigences sont alors toujours doubles de celles qu'il a dans l'autre méthode.
Nous n'avons rencontré personne pour nous montrer la méthode de Djisa. Le lecteur ne le regrettera sans doute pas, car il gagnera ainsi du temps, chose beaucoup plus précieuse que les deux poulets ou les deux cabris qu'un Dahoméen serait obligé d'offrir à son fétiche après une consultation de Fa par un Devin, disciple de Djisa.
Amulettes
Les amulettes, en dahoméen bà, sont innombrables, parce que innombrables sont les manifestations du désir qu'elles ont la vertu de réaliser ou d'entraver, parce que innombrables aussi sont les objets auxquels la fantaisie du raisonnement de chaque individu attribue un pouvoir sur la destinée des hommes. C'est pourquoi il n'y a pas de classement possible pour elles elles sont bonnes ou mauvaises suivant leurs effets et si nous en citons quelques-unes, qui paraissent comporter un certain groupement ce n'est que pour montrer la relation qui existe entre la formation de leur nom et le but qu'elles poursuivent.
liôglo contre-amulettes (bô = amulettes è glo = qui résiste).
Yoro-bâ (yoro = yiro = appeler) cette amulette appelle, attire la richesse, achalande les boutiques, inspire l'amour. Afïgnon-ho-tchi (afignon = misère, difficulté ho = parole lchi = éteindre) cetLe amulette éteint la parole des difficultés elle empêche les querelles au cours d'une fête permet à un criminel de se cacher, étouffe son affaire. Sou-Kpikpa (sou = fermer, kpikpa = réflexion) enlève aux gens leur libre arbitre, les rend irresponsables, les pousse malgré eux à tuer, à voler).
Gnonou-mon-ho-bô (gnonou = femme é mon ho = elle est enceinte) amulettes pour la grossesse de la femme. Vi-bô (vi = enfant) amulettes pour avoir des enfants. Azon-gblè-bô (azon = maladie, gblé = casser, détruire) préservatif des maladies.
Adjôto-bô, mèhmito-bo (adjôto = voleur, mêhouto = assassin) préservatif contre les voleurs, les assassins, etc. Tout Dahoméen est plus ou moins fabricant d'amulettes, cependant certains acquièrent une plus grande habileté dans l'art de les préparer. Les sorciers qui consultent le Destin, les « Bôkonon », y sont très experts. Leur renommée est vite établie et c'est pour eux une importante source de revenus. On ne lésine guère, en effet, sur le prix des précieux talismans argent, tissus, liqueurs, volailles sont accordés en quantité d'autant plus grande, qu'on a un désir plus vif à satisfaire. Un fabricant d'amulettes, même s'il est quelque peu professionnel, ne tient pas boutique il prépare ses produits au fur et à mesure des demandes. Aussi exige-t-il des arrhes et du temps, pour se procurer les divers objets qui doivent entrer dans la composition des précieux talismans (1). La remise de ceux-ci est l'occasion d'une petite mise en scène. Le fabricant offre une pincée de poivre du pays (takoun) à son client. Celui-ci en avale une partie et se frappe la poitrine avec la main droite puis il porte à sa bouche ce qui reste de poivre pour le cracher aussitôt sur l'amulette obtenue, en échange de laquelle il remet, séance tenante, le prix convenu. Quatre cauris sont alors enfilés dans une paille. Client et fabricant en saisissent chacun deux. Le second ayant prononcé bd ma gbô gbè, chacun tire sur la paille et emporte ses deux cauris.
Ce dernier rite, qui a pour but de rendre l'amulette efficace, n'est que la mise en action d'un jeu de mots portant sur l'expression gbô gbè, qui signifie « coupe l'herbe » et (i) Sur les marchés on trouve les objets qui entrent dans la composition des amulettes et non pas des amulettes toutes faites.
qu'on retrouve avec le sens de « rendre grâce » dans la sentence suivante « qu'il soit rendu grâce à Dieu et l'amulette agira ».
Les amulettes se portent habituellement au cou, au biceps, au poignet, aux reins, à la cheville certaines sont placées sur des parties du corps plus intimes et ce ne sont pas les moins redoutables. Leur efficacité ne s'étend qu'à la personne qui les porte ou contre laquelle leur puissance est dirigée, avons-nous cru comprendre, sans qu'il faille éviter autre chose que de les laisser approcher par une femme impure. C'est pourquoi une épouse ne doit jamais pénétrer dans la chambre de son mari, pendant la durée de ses indispositions périodiques elle se tient dans une case spéciale, appelée la-ho (chambre des règles) que tout individu aisé construit dans l'enceinte de sa demeure. Dans cet état elle s'abstient de préparer des aliments pour son maître et de toucher à ses objets familiers. Aussitôt rétablie, elle s'empressera de laver tous ses pagnes et de reprendre ses colliers ainsi que ses ceintures de perles. C'est encore, par crainte de voir disparaître le pouvoir de leurs amulettes, que beaucoup de personnes évitent d'acheter au marché des mets tout préparés, de peur qu'ils ne l'aient été par des femmes impures. C'est aussi pour la même raison, qu'autrefois aucune femme indisposée ne devait aller à la source Didô, plus spécialement réservée au Palais si aujourd'hui elle peut s'y rendre, elle évite du moins comme d'ailleurs aux autres sources d'entrer dans l'eau pour remplir sa jarre et elle demande ce service à l'une de ses compagnes. Le pouvoir surnaturel que prête le Dahoméen à certains objets inanimés est le résultat de l'idée anthropocentriste,
qui domine son système religieux, et de l'observation des qualités ou des propriétés, qu'il juge caractéristiques chez ces objets. La composition de chaque amulette est donc raisonnée. Voici, à titre d'exemples, quelques talismans qui nous ont été expliqués en entier par deux jeunes hommes, dont nous tairons les noms par discrétion et surtout par crainte de leur attirer des ennuis. Les Dahoméens voient d'un mauvais œil, en effet, nos investigations en cette matière, car beaucoup d'entre eux ont sur la conscience quelques maléfices envers leurs prochains.
Composition d'une contre-amulette, dont les éléments ont une force de résistance propre
1° Quelques brins d'une herbe qui pousse, malgré la fréquence du feu, tout autour des foyers où l'on cuit les poteries
2° Une graine noire, appelée atikoun. Cette graine est encore enveloppée dans sa gaine en pleine vigueur, au moment des feux de brousse, et grâce à cette particularité elle peut leur résister.
Composition d'une contre amulette basée sur la dissemblance. « Les éléments de ce bd, nous disait l'indigène qui nous l'a indiqué, ne font rien comme les autres choses » 1° Une branche d'une sensitive (kpanhoun) dont les feuilles s'ouvrent le jour et se ferment la nuit
2° Une tête de canard. Le canard ne chante pas comme le coq
3° Une tête de margouillat. Ce petit lézard remue la tête et la gueule comme s'il allait parler mais il ne profère aucun son.
Amulette qui a le pouvoir d'empêcher l'action d'une autre amulette destinée à produire une maladie
1° Une corne de coba. La corne s'appelle zë comme le feu mais le coba qui en est orné ne peut pourtant pas incendier la brousse.
2° Une corde en fibres de gounho. Le goimho est un arbre à latex résineux (1). Il pousse très rapidement au milieu des fourrés, sans que l'épaisseur de ceux-ci parvienne à gêner sa croissance autrement dit il résiste à l'étiolement comparable aune maladie.
3° Une perle. Les perles perdues sur un sentier n'éprouvent pas les craintes de l'homme égaré elles ne redoutent rien.
4° Une plume de perroquet. Les brillantes couleurs des plumes de perroquet ne disparaissent pas dans l'eau elles ont donc un pouvoir de résistance.
Amulette contre la fièvre
1° Une tige de courge. Si l'on plonge une courge dans l'eau, sa tige surnagera elle ignorera donc le froid du liquide. Par suite elle peut « faire qu'on ignore » le froid de la fièvre (fièvre = avivo-zon = maladie du froid) 2° Une chaîne de cuivre. Rougie au feu, une chaîne de cuivre ne tarde pas à reprendre sa température normale. Elle peut donc hâter la fin de la période de chaleur de la fièvre.
Composition d'un Sou-Kpikpa. Cette amulette est destinée à enlever le libre arbitre, à produire une impulsion (1) Avec l'écorce du « Gounho » les Adjas, peuplade à demi-sauvage, confectionnent des vêtements et des coiffures.
brusque, c'est pourquoi on peut y faire entrer, par exemple, de la poudre qui prend feu instantanément et un squelette de margouillat, petit lézard dont les déplacements sont étrangement rapides.
Composition d'un yoro-bô, destiné à procurer la richesse 1° Un morceau de papaye. Ce fruit, alors qu'il n'est pas encore mûr, contient pourtant une grande quantité de jus. 2° Un aliment quelconque. Une nourriture abondante est un signe de richesse.
Préservatif contre la foudre, inventé par Béhanzin, paraitil
1° Boue d'un marigot de Cana, dont l'eau reflète les éclairs mais n'a rien à redouter d'eux
•2° Feuille du zounkouzoui. Cet arbrisseau a une feuille si petite, qu'elle ne peut même pas être touchée par le plomb du fusil.
Boue et feuille sont renfermées dans un sachet en cuir orné des attributs des féticheurs du tonnerre hachette, plume rouge de perroquet et cauris.
Amulettes pour les femmes enceintes
1° Une corde afin d'attacher l'enfant dans le seiu de sa mère
2° Un morceau de la peau d'un singe rouge. La femelle de ce singe ne connaît pas les fausses couches, parait-il; 3° Une graine marbrée, appelée adjikouin. Cette graine, quand elle est verte, a un très vilain aspect et est renfermée dans une gaine épineuse. Mûre, elle devient belle
et polie comme un caillou de rivière. Elle peut donc avoir la vertu d'empêcher la naissance des enfants monstrueux. A côté de ces amulettes que les personnes portent sur elles, il est d'autres talismans qu'on place devant les demeures, sur les sentiers, sur les places publiques, soit pour préserver des maladies ou des maléfices, soit au contraire pour attirer les mauvais sorts sur des ennemis. Citons parmi les nombreux préservatifs qu'on trouve devant les cases
Les bâtekiè, statuettes en bois, destinées à recevoir., à arrêter au passage tout le mal qu'on désirerait aux habitants devant la maison desquels elles veillent. Il y a généralement une bôtchiè pour le maître de la maison, une pour ses femmes et une pour ses enfants.
L'Agôo-sousou, dont le nom signifie « barrière contre les buffles ». On retrouve dans ce préservatif un usage encore en vigueur dans des villages nagots ou mahis, dont les habitants élèvent des barricades de gros rondins de bois sur les sentiers qui conduisent à leurs demeures, pour se préserver des incursions des buffles. Au Dahomey les barricades sont devenues de minuscules tas de fagots, placés à quelques pas en avant de l'entrée des maisons et qui garantissent non plus des buffles mais des maladies ou des mauvais sorts.
L'Afiynonhotchi, dont le nom signifie, comme nous l'avons déjà expliqué, « éteindre la parole des difficultés ». En tant que préservatif placé sur le sol, il se compose de deux faisceaux de bâtons, sans écorce et bariolés, qu'on fiche solidement en terre de chaque côté de l'entrée d'une
demeure ou d'une place, notamment aux époques de fêtes, afin d'écarter les pénibles discussions et les querelles. En ce qui concerne les maléfices (bd gnagna = amulettes mauvaises) nous n'avons pu obtenir aucun éclaircissement sur leur composition. Et cela est facile à comprendre, car chacun redoute qu'avouer en connaître quelques-uns ne le fasse soupçonner de les avoir fabriqués, pour satisfaire sa jalousie contre un amant de sa femme, pour s'approprier le bien d'autrui ou supprimer un individu gênant. Le « bô » qui tue n'est pas chose rare au Dahomey; mais sa vertu redoutable n'est point due au sortilège, quoi qu'en pensent les indigènes. Il s'aide toujours d'une arme meurtrière qui agit dans l'ombre. Nous avons vu des pendus ou des noyés, près desquels gisait le « bô » qui les avait déterminés au suicide nous avons rencontré des individus courbés en deux, minés par la maladie qu'un « bô » leur avait communiquée. Et jamais nous n'avons pu faire admettre aux Dahoméens qu'une main humaine avait aidé dans son œuvre meurtrière le maléfice (bd gnagna) dont les éléments crânes de singes, tibias d'animaux, moustaches de panthères, etc. attestaient l'action inoffensive.
Cependant, si nous croyons fermement à l'emploi fréquent du poison comme adjuvant caché du maléfice (bd gnagna), nous n'avons jamais pu le prouver, le poste d'Abomey ne possédant pas encore de médecin au moment où nous avions l'honneur de le commander et les instructions judiciaires n'ayant donné que des résultats négatifs.
Avant de terminer cette étude rapide sur les amulettes, nous tenons à exprimer que, contrairement à l'avis de beau-
coup, les féticheurs ne doivent pas être rendus responsables des morts attribuées aux maléfices. Nous ne nions pas que les forces occultes de ces prêtres pourraient être redoutables comme elles le sont, parait-il, dans d'autres pays mais, au Dahomey, les rois ont compris de bonne heure le danger. Ils ont asservi les féticheurs plus encore peut-être que le reste de la population ils les ont contraints à s'occuper uniquement des choses du culte et leur ont donné des surveillants et des tribunaux spéciaux très sévères. Quand les féticheurs accomplissent leurs cérémonies sacrées, ils ont un caractère surnaturel rentrés dans leurs demeures ils devien. nent des hommes comme les autres et s'ils commettent alors des crimes, ce n'est pas sous le couvert de la religion. Pour nous donc, les « bô » meurtriers ne s'enseignent pas dans les collèges de féticheurs. Le Dahoméen arrive à connaître la science des maléfices comme on apprend le crime.
Le culte des morts chez les Dahoméens n'est pas seulement un des beaux côtés de leur caractère, il constitue aussi le levier le plus important de leur énergie productive. Comme chaque famille tient à honorer dignement ses morts, elle engage des dépenses extraordinaires en l'occasion et de ce fait résulte une recrudescence de son travail. Mais il est bien évident que dans un pays où l'épargne est presque inconnue, où la richesse ne consiste qu'en biens au soleil souvent inaliénables, personne ne peut se procurer instantanément de l'argent d'autre part l'éloignement et le manque de communications faciles ne permettent pas la réunion de tous les membres d'une même famille au jour de la mise au tombeau. Aussi toute l'importance des cérémonies funèbres s'est-elle reportée sur les fêtes commémoratives. Leur date est fixée longtemps à l'avance par le chef de famille, qui en prévient tous ses parents et alliés. Ceux-ci prennent aussitôt à cœur de se mettre en mesure de participer aux frais des fêtes. Cela devient même pour beaucoup une obsession les cultures sont étendues des caravanes portent les produits
CHAPITRE VI
CULTE DES MORTS
des récoltes et des palmeraies sur les marchés et dans les factoreries des jeunes garçons, qui jusque-là s'étaient plu au farniente nègre, songent à s'embaucher sur les chantiers européens. Et, quand enfin tout est prêt, on attend avec impatience le jour des fêtes, chacun espérant une manifestation imposante par l'affluence des tamtamiers et des chanteurs, le nombre des coups de fusils et des animaux sacrifiés ainsi que la quantité des liqueurs et des mets distribués aux assistants.
Mais pour comprendre les cérémonies funèbres au Dahomey et l'importance qu'on y attache, il faut abandonner nos idées sur la vie et sur la mort. Les Dahoméens croient à l'existence d'une âme chez tous les êtres animés ou inanimés. Ils donnent à cette âme le nom de « yê », qui signifie ombre, et ils la placent pour l'homme dans la lueur des yeux, comme s'ils voulaient indiquer par là qu'elle est l'image insaisissable de l'individu et que celui-ci la porte en soi.
Le yê peut quitter le corps momentanément le rêve, par exemple, est dû au voyage du yê dans l'endroit ou auprès de l'individu objets du songe. La séparation définitive constitue la mort; le yê s'en va alors au pays des morts, mèkoukoutômè. Il y retrouve les yê de sa famille et vit auprès d'eux comme sur terre. Il a les mêmes jouissances que les humains, c'est-à-dire, au point de vue particulier des Dahoméens, le repos, l'union des sexes, le boire et le manger. S'il était le yê d'un chef ou d'un roi sur terre, il continue à être roi ou chef; s'il était esclave, il reste esclave. Le yê d'un ^criminel condamné à mort rejoint les yê des autres criminels et, plus tard, les yê de ses femmes et de ses
enfants viendront le retrouver. Cette dernière conception, fidèle tableau de la justice dahoméenne qui faisait payer à toute une famille la faute d'un seul, achève de montrer qu'au pays des Ombres chacun conserve sa personnalité et que les conditions habituelles de la vie ne sont point modifiées. Dès lors pour honorer les ancêtres, pour leur prouver qu'on garde toujours leur souvenir, il parait tout naturel de leur offrir ce dont on a besoin dans la vie. Sur leurs tombeaux on sacrifie des animaux, on verse de l'eau et des liqueurs, on dépose les mets les plus divers. Les âmes de tous ces êtres et de toutes ces choses rejoignent les âmes des morts. C'est cette idée qui a donné naissance aux sacrifices humains. Ne fallait-il pas en effet envoyer aux « yê » des rois des « yê » de femmes et d'esclaves, puisque femmes et esclaves servaient les rois sur la terre ?
Bien souvent nous avons entendu ridiculiser des offrandes déposées devant des fétiches et consistant en plumes et entrailles de poulets, farine de maïs, huile de palme, cauris. Nous avouons qu'avant de savoir le pourquoi de ces offrandes nous les avons trouvées quelque peu grossières. Nous avons estimé grotesques aussi les festins faits avec la meil-' leure et la plus grande partie des dons aux ancêtres, ne nous doutant point qu'ils représentaient comme une sorte de communion avec les morts.
Dans la durée parfois exagérée des cérémonies commémoratives et dans les dépenses très grandes qu'elles occasionnent faut-il voir une simple manifestation de l'orgueil ? Sans doute chaque famille essaie de surpasser les autres par la splendeur de ses fêtes et chaque chef de famille éprouve une réelle satisfaction à s'entendre dire qu'il a bien fait les cho-
ses mais une idée plus noble est le principal mobile en la circonstance. N'oublions pas, comme nous l'avons déjà vu dans l'étude de la religion dahoméenne, que tout individu devient après sa mort un « vôdoun », c'est-à-dire un être susceptible d'une action malfaisante ou bienfaisante sur les humains. Ceux-ci ont donc avantage à ménager la protection de celui-là. Et comment y parvenir mieux que par l'offrande de nombreux cadeaux dont il peut être fait usage dans l'autre monde ? Pour les Dahoméens le cadeau n'est-il pas la meilleure manifestation de l'amitié et du souvenir ? A peine quelqu'un a-t-il rendu l'âme que tous les parents présents se précipitent hors de sa case avec des gestes de désespoir, des cris et des gémissements, saisissent des bâtons, des houes, des hachettes, en frappent les murs et le sol, cassent des jarres, démolissent des palissades. Cette manifestation bruyante de la douleur n'est pas l'effet d'un sentiment violent les Dahoméens, en s'y livrant, ont surtout la préoccupation d'obéir aux convenances et de faire connaitre de suite aux alentours le malheur qui les a frappés. Ils ne paraissent pas, non plus, avoir, comme d'autres primitifs, l'idée d'effrayer des mauvais esprits qui rôderaient autour du yê du défunt et ce n'est pas davantage cette préoccupation qui a donné naissance à l'habitude de tirer des coups de fusil au moment de la mort et des funérailles. Ils cherchent surtout à « passer leur rage ». « Si nous pouvions voir la mort s'approcher, nous la tuerions disent-ils de dépit nous détruisons tout ce qui nous tombe sous la main, nous détruisons même de la poudre. » N'y a-t-il pas là une analogie frappante avec l'enfant qui, colère parce
qu'il s'est cogné contre un meuble, trépigne et brise le jouet qu'il tient à la main ? '?
Lorsque la fatigue commence à avoir raison des gestes désordonnés de désespoir, on procède à la toilette du mort on le lave, on coupe ses ongles et ses cheveux, on enlève ses amulettes. Celles-ci sont jetées à un carrefour ongles et cheveux seront déposés dans le tombeau. Si le décès survenait trop loin pour permettre le transport du cadavre, ils seraient envoyés à la famille comme une sorte de témoignage qui permettrait de célébrer les funérailles suivant les rites habituels.
Dans les premiers temps de la dynastie dahoméenne, les ghèdèvi, tribu autochtone, avaient coutume d'enterrer leurs morts après avoir séparé la tête du tronc. Le roi Ouègbadja (xvii0 siècle) le leur interdit dans un but qui parait intéresser la police du pays plutôt que la religion. L'histoire raconte en effet que des rixes fréquentes éclataient à cause des fossoyeurs, qui déterraient les crânes pour en fabriquer des amulettes. L'interdiction de décapiter les cadavres fut certainement très populaire, si l'on en juge par les louanges en l'honneur de Ouêgbadja. « Le roi a acheté nos têtes sur nos cous «, chantent encore les Dahoméens lors des coutumes. Toutefois, pour empêcher plus sûrement toute mutilation, Ouègabja créa dans chaque village les « dokpègan », sorte d'agents funèbres. Ils eurent pour mission de s'assurer des décès et d'assister aux funérailles. Leur service fut presque gratis le roi, désireux de supprimer tous les abus auxquels donnaient lieu les marchandages avec les fossoyeurs, ne permit aux dokpégans que le prélèvement d'un pagne et de
quelques cauris sur les cadeaux offerts à l'occasion des enterrements.
La veillée des morts est faite par une vieille femme l'akovi, placée dans la corporation des agents funèbres et qui reçoit le même salaire qu'eux. On la verra jouer un rôle assez important au cours (les cérémonies funèbres. Le deuil est plus ou moins important suivant l'âge et la condition du décédé. Celui d'un petit enfant à la mamelle est porté par la mère seule elle se rase la tête, se purifie avec des infusions de plantes et sacrifie aux fétiches. A la mort d'un chef de famille on doit s'abstenir de faire la cuisine dans sa demeure jusqu'au moment de la mise au tombeau. Tout aliment est préparé à l'extérieur, généralement chez les gendres du défunt. En outre tous les enfants et petitsenfants ainsi que toutes les épouses se couvrent le front de terre glaise et restent sans se laver jusqu'au lendemain de l'enterrement. Ce jour-là, tous se rasent la tête puis se rendent devant le palais, où ils se prosternent dans la poussière (1). Les épouses déchirent un de leur pagne et en gardent une échappe, dont elles se ceignent les reins pendant trois mois. Celles, dont le défunt a eu la virginité, portent leur pagne le haut en bas.
La mise au tombeau a toujours lieu le soir. Le laps de temps entre la mort et cette cérémonie varie avec l'àge et la condition du défunt. Ainsi un enfant peut être enterré dès le lendemain de sa mort pour un chef de famille, un (1) Aujourd'hui les membres de la famille royale et les parents d'un titulaire d'une ancienne dignité dahoméenne ont seuls conservé cette habitude de se rendre au palais. Ils viennent ensuite saluer le Résident.
père, une mère, ou tout autre personne respectable on attend les trois ou quatre jours nécessaires à la convocation des parents et amis.
Comme les tombeaux de tous doivent être dans l'enceinte de la demeure familiale, à moins d'un désir exprès que certains personnages ont le droit de formuler, le transfert des restes mortuaires est très fréquent. Il se fait à n'importe quel moment de la journée, sauf pour la dernière partie du parcours qui a lieu obligatoirement à la tombée de la nuit. Au départ de la case mortuaire, quelques parents seulement accompagnent le corps enroulé dans des nattes et porté à tête d'homme. Lorsque le cortège a atteint l'entrée du village où se trouve le tombeau, il s'arrête et attend la chute du jour. D'autres parents et des amis le rejoignent; il reprend sa marche au milieu des chants. A Abomey même, l'entrée d'un convoi funèbre ne s'effectue jamais par les routes qui traversent les fossés de fortification on doit choisir un passage facile à travers les buissons épineux qui bordent le revers des fossés. Beaucoup à qui nous avons demandé l'explication de cette coutume nous ont répondu par l'éternel « nos pères agissaient ainsi ». D'autres nous ont fourni une explication digne de remarque, parce qu'elle dénote une idée à laquelle ont est loin de s'attendre chez des noirs. Ils reconnaissent que les cadavres peuvent laisser des germes de maladie sur leur passage, surtout en des endroits aussi fréquentés que les portes des villes. C'est également pour cette raison, nous a-t-on dit, que les varioleux et les lépreux sont enterrés loin des cases en dehors des enceintes des habitations. Leurs corps sont ensevelis dans des nattes, complètement nus. On les exhume
deux ou trois ans plus tard. On enveloppe alors leurs restes dans un linceul et les funérailles s'accomplissent suivant les rites habituels. Pour les varioleux, le principe d'hygiène qui a donné certainement naissance à cette coutume, est masqué par une loi religieuse. Sakpata, le fétiche de la variole, interdit, sous peine de ravages encore plus cruels, de pleurer aussitôt après la disparition de ses victimes, si bien qu'on ajourne les funérailles de celles-ci le plus longtemps possible et que, pour parler de leur mort, on évite même d'employer les termes communs on dit « qu'ils sont allés dans un bon endroit » (yê i fi dagbè).
Ni les suicidés, ni les condamnés à mort (1) n'ont d'enterrements spéciaux. Il n'en est pas de même des foudroyés. Avant notre occupation, les féticheurs du tonnerre coupaient leurs poignets, dansaient autour de leurs cadavres qu'ils allaient ensuite porter sur une claie de branchages ou dans une fosse au milieu de la brousse. Les ossements étaient recueillis par le premier venu, car ils ont un pouvoir préservateur contre la foudre.
Le langage dahoméen possède, pour rendit; l'idée de (1) Pour les condamnés à mort nous ne croyons pas avoir les renseignements exacts. Nous avons vu dans l'ancienne demeure des bourreaux une multitude de crânes, réduits en poussière, et on nous a dit qu'aucun d'eux n'appartenait à un criminel. Ce sont, paralt-il, les crânes des viclimes étrangères sacrifiées au mânes des rois. D'autre part, si on se souvient que, souvent, le crime d'un seul entrainait la dispersion de toute une famille en même temps que la mort du coupable, qui donc procédait aux funérailles d'un individu mis à mort dans ces conditions ? – Les corps des condamnés à la peine capitale étaient-ils jetés dans ces trous, entourés de buissons épineux, qu'on rencontre dans le quartier d'Aouaga, non loin de la demeure des bourreaux et autour desquels les vautours étaient autrefois particulièrement nombreux ?
décès, quelques locutions pittoresques, résumé parfait d'une situation spéciale au défunt. La mort du roi, le maître de tout ce qui existait au Dahomey, causait un deuil général « la nuit du roi tombe » (Jiada-zan Kon) disait-on. Pour la mère d'un roi, ainsi que pour chaque femme qui représente la mère d'un des rois de la dynastie, il n'est pas séant d'employer d'autres termes que « sou siège s'est renversé », allusion au siège insigne de toute dignité dahoméenne dont ces femmes sont dépositaires. Les jumeaux « retournent dans la brousse » d'où la croyance populaire les fait venir (yê i zoun). Un individu imposable « effrite le caillou » (è flè kën) à l'aide duquel son chef de case l'avait marqué lors du recensement.
Enterrement
L'enterrement ou, pour employer l'expression dahoméenne, « la mise en terre d'un cadavre frais » donne lieu, comme nous l'avons déjà dit, à une cérémonie dont l'importance varie avec l'âge et la situation du défunt. C'est cette particularité qui nous amène à narrer l'enterrement d'un chef de famille, car en son occasion tous les rites funèbres s'accomplissent.
Parents et amis sont réunis devant la maison mortuaire. Les agents funèbres (dokpègan) paraissent. Ils ont le torse nu chacun d'eux porte un pagne, qui est retroussé de manière à former un caleçon très court et dont l'un des pans retombe en arrière avec un gros nœud. Ils rassemhlent toutes les pièces d'étoffes offertes au défunt, les présentent aux
assistants en nommant les donateurs. Ceci fait ils chantent le dialogue suivant
Tous Maligbo, h*' hè hè (cris spéciaux aux enterrements).
Un Etes-vous à la maison, dokpégans!
Tous Oui, nous y sommes.
Un Vous verrez quelque chose, le ferez-vous ?
Tous Nous le ferons.
Un Alors, dites oui! oui
Tous Oui oui oui
Sur ces mots six des agents funèbres [dokprgans] se détachent et entrent dans la chambre du mort. Pendant qu'ils l'ensevelissent ils chantent
« Ce n'est pas le buffle dans la brousse qui a tué cet homme le gros buffle dans la brousse n'a fait aucun mal. Si le buffle avait tué l'homme que nous voyons là, nous lui aurions arraché les cornes mais 1m mort est plus forte que tout. »
L'ensevelissement est terminé le mort est maintenant enroulé dans un linceul et dans des nattes de palmier. Les agents funèbres le soulèvent, le premier le tenant par la tête, le second par les pieds, les quatre autres se répartissant de chaque côté. Puis ils entonnent un chant composé de quelques mots gutturaux, sans sens précis et souvent répétés; ils en marquent la cadence avec leurs pieds et par un balancement des pans de leurs pagnes.
A la fin de ce chant, les quatre porteurs placés aux côtés du mort se laissent choir ensemble avec un « han » douloureux, pendant que tous les assistants qui se pressent à la porte de la chambre mortuaire chantent
« La mort est victorieuse elle a tiré sur cette maison avec le pied elle va traverser cette palissade. Nous le redisons, elle est la guerre victorieuse elle a tiré sur la maison avec les pieds et les mains elle va traverser la palissade (1). »
Alors s'approche le fils aîné du défunt il pose les mains sur la tête de son père, se recueille un instant; puis prenant des cauris avec une corbeille en jonc, il les répand sur le cadavre. Tous ses frères l'imitent.
Les gendres arrivent Il leur tour ils apportent chacun quatre mille cent soixante cauris (1 fr. 04), qu'ils déposent à terre, au-dessous de la tète du mort, moitié à droite, moitié à gauche. Ils sont ainsi « restés auprès du linceul », acte des plus importants et dont l'inaccomplissement serait pour eux une cause de divorce.
Le porteur de tête chante
« Dans mes mains, dans mes mains, que l'on vienne voir celui-ci. Tel qu'il est on ne le reverra plus jamais. Si tu étais mort dans la brousse, que m'eût-il importé? Le charognard et la hyène auraient-ils fait pour toi ce que nous faisons ? Va-t-en et emporte tous nos cadeaux. »
Le moment est arrivé de porter le mort au tombeau tout le monde de s'écrier alors
« Chauve-souris, chauve-souris, nous allons sur ton perchoir. »
A ce chant, le fossoyeur descend dans la tombe. On dépose doucement le mort dans ses bras il le couche au fond de la fosse, sans tenir compte d'aucune orientation il déploie sur (1) Allusion au transport du défunt hors de l'enceinte de sa case.
lui quelques pièces de tissus et place près de sa tête une jarre vide recouverte d'un morceau d'étoile blanche. Au moment où la jarre résonne sur le sol, tout le monde chante
« Durant sa vie notre père buvait du tafia, chaque fois qu'il en trouvait mais maintenant que sa jarre a résonné au fond de la tombe, il ne saurait plus boire. »
Et ainsi la « jarre du défunt est fermée ».
Les jeunes gens saisissent des houes et se mettent à jeter de la terre dans la tombe les chants des autres animent leur ardeur
« Te voici parti. Ne pourrai-je donc pas te racheter Avec des cauris ou achète des hommes. Hélas je ne te rachèterai pas, car on ne passe pas de marché nvec la Mort Tout est détruit Une jarre vient d'être cuite on la porte à la source et elle se brise. Dis, Dahoméen, cet événement donne-t-il lieu à un palabre ? »
Pendant ce temps-là, le fossoyeur est allé s'asseoir devant la maison, en chantant
« Quelqu'un est mort. Nous nous sommes rendus près de lui nous voici de retour. »
Bientôt il a été rejoint par le chef des agents funèbres qui lui a demandé s'il y avait eu des rixes ou des querelles et, sur sa réponse négative, lui a donné 80 cauris (0 fr. 02). Le fossoyeur restera ainsi devant la porte de la maison mortuaire jusqu'au petit jour. Le chef des dokpègans lui remettra alors un pagne en prononçant ces paroles « De la part du roi n. Allusion à la création des agents funèbres, telle que nous l'avons déjà racontée (page 101). Les agents funèbres (dokpègans) et la veilleuse des morts
(Pcikovï) recevront en même temps leur part des cadeaux mortuaires.
Lorsque la tombe est enfin comblée, quelques honimeSi les bras enlacés au cou les uns des autres, en foulent la terre, tandis que le chef des dokpègans prend un certain nombre de cauris qu'il remet à l'ami intime du défunt, avec prière de s'en servir pour acheter une tête de porc. Celle-ci, préparée d'avance, est placée un instant sur la tombe puis emportée par les agents funèbres, le fossoyeur et la veilleuse des morts qui la mangeront.
Pourquoi cette coutume bizarre ? Nous n'avons pu avoir d'autre explication que celle-ci « Le porc a une chair qui ressemble à celle des cadavres ). Et alors que faut-il en conclure ?.
Après cette dernière cérémonie tout le monde se rend sur la petite place ménagée devant chaque demeure dahoméenne. Les proches parents s'asseoient en avant du mur de clôture, dans une pose accablée, et regardent, pour distraire leur douleur, leurs amis qui dansent au son des tamtams. De temps à autre un chanteur s'avance vers eux, leur vante le disparu et les engage à sécher leurs larmes. Danses et chants durent ainsi toute la nuit.
Service funèbre
Quelques jours après l'enterrement, dont nous venons de rapporter les détails, a lieu un service funèbre offert par l'ami intime du défunt. Sans doute les rites de cette cérémonie feront sourire le lecteur par leur naïveté, certains mêmes l'écœureront par leur grossièreté cependant on ne peut se défendre d'une réelle admiration pour l'idée qui
en a dicté l'ensemble hommage d'une amitié qui se continue efficace au delà du tombeau, puisque les âmes des cadeaux de l'ami rejoignent celle du disparu; preuve manifeste d'une affection solide et vraie, puisque l'ami n'abandonne pas la famille éprouvée et se propose pour remplacer, en toute circonstance importante, celui qu'elle pleure.
L'ami et les siens se sont pourvus de cadeaux ils ont commandé des tam-tams mortuaires par l'intermédiaire du chef des agents funèbres (1), puis ils ont pris date pour la fête funèbre avec la famille du défunt.
Au jour convenu, vers A heures du soir, l'ami se ceint la tête et les reins de jeunes feuilles de palmier, place sur ses épaules un cabri mâle et s'arme d'un couteau.
Il prend la tête de ses gens, munis chacun d'un bâton qu'ils tiennent tout droit (2).
Un roulement de tamtam et le cortège s'ébranle vers la maison mortuaire.
« Que d'avance on nettoie la maison et ses abords, chantet-il. Un étranger vient de chez lui pour voir la cérémonie. Que d'avance on nettoie la maison et ses abords ». A mesure qu'on approche de la maison mortuaire, le sentier que suit le cortège est de mieux en mieux nettoyé. Dans sa dernière partie il a été arrosé. On veut rappeler ainsi que le défunt n'a jamais négligé d'offrir de l'eau à ses visiteurs, (1) Pour ce tam-tam on a conservé, paraît-il, l'ancien prix soit 180 cauris (0 fr. 42).
(2) Toute personne qui fait partie d'un « dokpè mortuaire, c'est-àdire d'un groupe d'individus rassembles pour une cérémonie funèbre, doit porter un bAton qu'elle tient comme un cierge.
en d'autres termes, qu'il n'a jamais manqué aux lois de l'hospitalité.
Les parents du défunt, porteurs eux aussi de bâtons, se tiennent en avant de leur demeure. L'ami et ses gens passent devant eux, font trois fois le tour des murs de clôture et s'arrêtent.
Les deux groupes sont alors face à face. Ensemble ils lèvent leurs bâtons et marchent l'un vers l'autre, dansant au son des tam-tams. Les bâtons s'entrechoquent les groupes reculent puis reviennent et ainsi jusqu'à trois fois de suite (Pl. XV).
Un temps. Les parents chantent « Nous sommes amis et voilà comment vous agissez c'est bien » Ensuite ils franchissent la porte de leur demeure suivis des amis. Dans la première cour intérieure la danse des bâtons recommence.
« Vous avez commandé des tamtamiers et vous êtes venus près de cette chambre, chantent les parents. Ça nous fait plaisir plus que tout. Celui qui a le nez coupé peut cependant savourer le fruit du papayer et trouve qu'il y a de bons arbres dans la nature (1) ».
Les amis de répondre « Montrez-nous la chambre de notre ami, montrez-la nous. Quand l'os est de travers, la chair l'est aussi (2) ».
( 1 ) Le mot à mot de cette dernière phrase est « Celui qui a le nez coupé mange une papaye; il y a de bons arbres dans la nature ». Nous avons essayé de rendre plus sensible dans la traduction la comparaison que les chanteurs veulent établir avec la famille qui, bien que privée de son chef, apprécie encore les bienfaits de l'amitié.
(2) L'ami compare le défunt à un os et lui-même à la chair il veut laisser entendre qu'il était uni au défunt comme la chair à l'os.
Le fils ainé du mort prend l'ami par le bras et le conduit au tombeau, sur lequel on a édifié provisoirement une petite case ronde. « Voici la chambre de ton camarade » lui dit-il. L'ami monte alors sur la case. Là, en présence de tous, il égorge son cabri, dont il embroche la tête au piquet de faite du toit.
A peine a-t-il terminé qu'un agent funèbre s'écrie « Ago Ago Ago Attention Attention Les tam-tams que nous avons apportés jusqu'ici en les faisant résonner, c'est Lègba ami de Sinha qui les a commandés pour son ami, parce que celui-ci est mort. Il lui a lavé le corps, coupé les ongles, rasé la tête, l'a couché sur une uatle et lui a attaché son pagne entre les jambes (1). Celui qui a fait cela est le même qui a commandé les tam-tams et qui tuera des animaux demain ». Là-dessus tout le monde sort seule la veilleuse des morts (Akovi) reste auprès du tombeau et célèbre les sexes en des versets d'une crudité si osée, que nous nous refusons à en écrire la traduction.
Lorsque la nuit tombe, un agent funèbre se rend à un carrefour, emportant quarante cauris, un poussin, de l'huile, de la farine, une jarre et une calebasse. Il élève le tout, tourne lentement sur lui-même et souffle doucement en l'air. Le poussin remue c'est que l'âme a manifesté sa présence. Aussitôt l'agent funèbre assomme le poussin sur le sol, pétrit son corps dans la calebasse avec l'huile, la farine et les cauris, et transvase le tout dans la jarre où l'Ame s'est réfugiée pour assister aux cérémonies qui vont suivre. La (1 ) Une seule syllabe « gô » désigne toute pièce de tissu retroussée enlre les jambes comme un caleçon.
calebasse est brisée sur place, de peur qu'en servant à d'autres elle ne cause leur mort. La jarre est portée au pied d'un arbre, non loin de la demeure du défunt.
De son côté la veilleuse des morts, près du tombeau, a chauffé de l'eau et a recueilli des cendres « Que personne ne me regarde sécrie-t-elle. Malédiction à celui qui me regarderait ». Chacun s'empresse de lui obéir et se couvre les yeux avec les mains. Que fait-elle alors ? Seuls quelques initiés le savent. L'un d'eux a bien voulu nous confier qu'elle se rend à un carrefour dans le plus simple appareil. Là elle creuse un trou, y jette les cendres, au-dessus desquelles elle se livre à des ablutions intimes (1). Ceci fait, elle revêt ses pagnes et rentre à la maison mortuaire, en imitant le chant du coq et en criant « Le jour est venu » »
Les cérémonies de la première journée sont terminées. Le chef des agents funèbres se drape alors dans son pagne, coiffe son bonnet, prend une pose digne et entonne les louanges des rois de la dynastie dahoméenne. Il finit, en souhaitant qu'aucun nouveau malheur ne frappe les parents du défunt. Il essaie aussi de les consoler mais eux, sourds à ses exhortations, se précipitent en pleurs sur le tombeau. Les amis les entraînent de force au dehors.
L'ami revient, le lendemain avant la chute du jour, avec ses gens et ses tamtamiers. Pendant que s'exécutent des danses, il monte sur le toit du tombeau, où il tue un poulet, un canard, une pintade et un pigeon après quoi, le fils ainé de son ami défunt lui passe autour du cou des chapelets de (d) Nous avons vainement essayé de comprendre cette cérémonie. Elle n'est, sans doute, que la purification, par l'eau et par le feu, d'une femme qui a veillé un mort pendant plusieurs jours.
cauris et, à son tour, égorge un bélier. Ces deux cérémonies sont suivies d'une prière que le Dokpègan récite sur le tombeau avant de congédier tout le monde.
Le troisième jour a lieu le damage du tombeau. Ce sera la clôture du service funèbre. En réalité la cérémonie ne consiste pas à recouvrir de glaise détrempée et à battre le sol de la case où a été enterré le mort. Cette opération a été faite au préalable. Elle n'est que figurée par le fils aùié du défunt qui, à genoux au milieu de ses parents et amis, assomme un poulet sur le tombeau, qu'il frappe ensuite avec une pièce d'étoffe et des chapelets de cauris (1).
Au moment de quitter définitivement la case mortuaire, le dokpégan reçoit un cabri et un petit asën (2). Il va s'agenouiller une dernière fois sur le tombeau et, s'adressant au mort, il énumère toutes les dépenses qui ont été engagées en son honneur.
L'ami s'assied sur le tabouret du défunt dont il se fait apporter la pipe et les pagnes. 11 demande également une de ses femmes, mais ceci pour la forme, car on doit lui répondre qu'elle est absente. S'adressant alors aux enfants de son ami disparu, il leur tient ce discours « Je suis là pour remplacer votre père. N'omettez jamais de me confier tous vos ennuis. Si vous n'avez pas suffisamment d'argent (1) Si le défunt est son père, le fils ainé tient le poulet et les autres objets de la main gauche; si c'est sa mère, il les tient dans la main droite. Quand la cérémonie se fait en l'honneur du père et de la mère ensemble, le fils ainé tient dans chaque main un poulet, un pagne et des chapelets de cauris.
(2) On appelle asën un objet en fer dont la forme rappelle celle d'un parapluie ouvert et qu'on place devant les tombeaux ou les fétiches. Voir appendice 4, ligure 4 et 8.
pour vous marier, ne craignez pas de m'en demander, mais n'allez pas en voler. Ne laissez jamais la case de votre père tomber en ruines ». Il dit et, drapé dans son pagne, plein de dignité, il regagne sa maison, laissant les enfants de son ami en pleurs.
Fêtes commémoratives des morts
Dans chaque demeure familiale se trouve une case spéciale ou se font les sacrifices en l'honneur des ancêtres décédés. Ses murs de pisés, très soigneusement maçonnés et couverts d'un enduit de glaise rouge ou de caolin blanc, ne dépassent guère deux mètres en élévation. Ils limitent un espace de cinq mètres de long sur trois de large. En façade deux larges baies et de chaque côté une petite porte donnent accès à l'autel que forme une surface plane en terre battue, élevée de trente ou quarante centimètres au-dessus du sol et sur laquelle les jours de cérémonie on ipique les asën (1). L'orientation de la case des sacrifices n'est imposée par aucune loi religieuse, elle résulte de la disposition qu'une raison d'hygiène a fait généralement adopter pour les demeures des chefs de famille dahoméens.
Les sacrifices sont annuels, en principe, mais Fa, le Destin, les réclame quelquefois plus fréquemment pour conjurer une épidémie ou tout autre calamité. Il arrive aussi que les fêtes qui se célèbrent à leur occasion n'ont pas l'éclat accoutumé, qu'elles passent même presque inaperçues dans un village, se réduisant pour raisons d'économie forcée, aux cérémonies essentielles.
(1) Objets du culte. Voir appendice 4.
Celles-ci remplissent deux après-midi. Tout d'abord le chef de famille asperge le sol de la case des sacrifices avec de l'alcool de petit mil (1) et évoque les âmes des ancêtres, auxquelles il manifeste son intention « d'offrir à manger ».
Le lendemain, les membres de la famille, ses alliés et amis viennent s'agenouiller au pied de l'autel sur la droite, les femmes porteuses des offrandes en avant, le chef de famille ayant derrière lui tous les hommes et à sa droite l'officiant et l'officiante (le hodèto et la tansinon (2)), désignés par le sort.
Le voile qui recouvre les asën est enlevé (3) la cérémonie commence.
En premier lieu, l'officiant appelle les morts à chaque nom les assistants claquent doucement des mains puis touchent la terre avec la droite qu'ils portent, aussitôt après, aux lèvres ou au front. En second lieu l'officiant nomme le chef de famille ainsi que les principaux personnages présents, c'est-à-dire tous ceux qui ont participé aux dépenses de la fête commémorative. Enfin il demande la protection des ancêtres pour le hien-être du pays et de la famille. Après ces rites qui rappellent une récitation de litanies, car chaque parole de l'officiant est répétée par les assistants, on procède aux offrandes. L'officiante prend une calebasse remplie d'eau et ornée de sujets allégoriques en métal. (1) Cet alcool est choisi par tradition; c'était le seul connu avant l'arrivée des commerçants Européens.
(2) Dèho = prier, parler aux morts, aux fétiches. Hodèto = celui qui parle aux morts. Le Ilodèto et la tansinon reçoivent 800 ou 2.000 cauris, soit 0 fr. 20 ou 0 fr. 30, <i litre de souvenir. Certains assistants de marque reçoivent aussi de l'argent.
(3) Voir note explicative du mot asën page 174.
Elle la présente à l'officiant qui, debout, verse un peu de son contenu sur les asèn. De cette même façon sont offertes aux mânes des ancêtres quelques gouttes de liqueurs diverses, quelques pincées de farine et des mets préparés avec tous les produits du sol dont l'usage n'est pas défendu à la famille après quoi les assistants se partagent les reliefs de ce festin mortuaire, en tenant compte de la hiérarchie familiale (Planche XV).
C'est le moment choisi pour l'immolation des animaux. Des bouchers traînent devant la case des sacrifices un boeuf étroitement ligoté, l'égorgent et recueillent une calebasse de son sang que l'officiante porte à l'officiant pour asperger les asën, l'autel et les murs. Des cabris et des moutons ont la tête tranchée sur l'autel même et leurs corps sanglants sont promenés au-dessus des asën. En un tour de mains des sacrilicateurs improvisés tordent le cou et rompent les ailes à des poulets ils leur arrachent la langue et des plumes qu'ils jettent en l'air, tandis que d'autres déposent sur l'autel les entrailles de toutes les victimes et dépècent leur chair pour l'offrir aux assitants de marque.
Les morts ont mangé ils ont trouvé dans l'au delà les Ames des offrandes et leur satisfaction va se manifester maintenant par une protection de tout instant. Grâce à eux, la pluie fécondera le sol, les sources ne tariront pas, les cultures seront magnifiques, les récoltes abondantes et dans la famille naîtront beaucoup d'enfants.
Décès d'un roi
Raconté par un fils de Glélé
« Des blancs étaient venus à Abomey (1). Quelques instants après leur départ, l'état de santé de mon père qui nous donnait déjà des inquiétudes empira.
La nouvelle s'en répandit avec rapidité. Princes et chefs accoururent au « palais » mais l'entrée leur en fut interdite. Ils formèrent alors des groupes anxieux sur la grande place de Simbodji.
La nuit vint aucun de nous ne voulut rejoindre sa demeure. Nous parlions à voix basse et ce n'était que pour nous lamenter, pour remarquer combien Condo le prince héritier (2) s'attardait auprès du roi ou pour commenter le départ de messagers qui sortaient silencieux du palais et partaient rapides dans toutes les directions.
Condo fit appeler Migan et Méhou (3). Notre anxiété redou-.bla nous sentions un grand malheur tout proche. Soudain la porte du palais s'ouvrit. Condo parut, hurlant, s'arrachant les cheveux. Il tituba, quelques pas et s'abattit brusquement sur le sol.
Alors des cris de douleur s'élevèrent de tous cotés. Je devins comme fou je me roulais à terre, je déchirais mes pagnes. Le roi, mon père était mort
Tout le Dahomey pleura! jusqu'à Cana, jusqu'aux Mahis, jusqu'à Ouidah »
(1) Mission Bayol.
(2) Le prince héritier était alors Condo, qui régna sous le nom de Béhanzin.
(3) Les deux premiers ministres.
Pour annoncer la mort d'un roi le Méhou envoyait des messagers dans toutes les provinces. Comme signe de leur mission funèbre ils portaient un bâton [Kpoghè) dont l'une des extrémités, à demi-recourbée, était cerclée de deux anneaux en fer et cravatée de noir.
Le deuil était public et durait trois jours, jusqu'à la mise au tombeau de la dépouille royale. il consistait en une interdiction absolue dans tout le royaume de faire du feu, d'aller au marché, de puiser de l'eau, de se laver, de manger de la viande et de s'asseoir sur un siège. Les pierres, sur lesquelles on moud le maïs, étaient enlevées de dessus leur support tous les Dahoméens se rasaient la tête et se couvraient de glaise le front, les épaules ainsi que la poitrine. Pendant ces trois jours de deuil le soin des affaires du royaume incombait au Migan (1), à charge pour lui de rendre compte de tout au prince héritier. Il ne trouvait d'ailleurs aucune difficulté dans sa tàche car la vie publique était totalement suspendue. On raconte même – mais cela ne nous a jamais été avoué par des Dahoméens que le plus grand dérèglement devenait licite dans les mœurs que chacun pouvait satisfaire ses vengeances sans crainte d'être poursuivi judiciairement. Nous croyons que ces propos, exagérés outre mesure, sont nés du fait que tout changement de règne occasionnait fatalement parmi les princes dahoméens, déjà si enclins aux intrigues en temps ordinaires, des cabales et d'obscures manœuvres parfois sanglantes.
La dépouille royale, ensevelie avec les Insignes de la souveraineté, parasols, sandales, hamacs, était portée en (1) Premier ministre.
terre trois jours après la mort mais la fosse n'était pas immédiatement comblée et la cérémonie d'enterrement n'avait lieu qu'une lune plus tard, afin de permettre une grande affluence du peuple. On se bornait, en attendant, à sacrifier au bord du tombeau les chefs ennemis prisonniers et quelques femmes. Celles-ci étaient choisies parmi les esclaves et les épouses du roi, adultères ou coupables de fautes graves, encore dans les fers ou libérées (1). Ces victimes étaient enterrées dans une tombe autre que celle du roi et leurs corps couverts de pagnes et de cauris. Beaucoup de Dahoméens sincères, hallucinés plutôt, demandaient qu'on les sacrifiât, afin d'accompagner le roi dans l'autre monde. Le prince héritier leur refusait toujours cet honneur. Alors, plus tard, ils lui en manifestaient de la reconnaissance et disaient que le prince « avait racheté leur vie ».
Au jour de l'enterrement, de nouvelles victimes humaines étaient sacrifiées, d'abord sur la tour des sacrifices (vizoun), dont un monticule de terre marque encore aujourd'hui l'emplacement sur la grande place de Simbodji, ensuite devant les autels situés à l'intérieur du palais et façonnés de terre pétrie avec de l'alcool, des cauris, du sang d'hommes et d'animaux (2).
Avant Ghèzo les Dahoméens ne construisaient pas de mausolées pour leurs rois. Ils les enterraient en secret et laissaient repousser l'herbe sur les tombeaux dont seuls (1) Les épouses du roi ne pouvaient être sacrifiées, parait-il, qu'autant qu'elles n'étaient pas princesses ou filles d'un grand dignitaire. On dit que des épouses, nullement désignées pour être sacrifiées, demandaient, en grâce, de l'être.
(2) Ces autres portent le nom de djèho.
quelques princes Ages connaissaient l'emplacement. Ils redoutaient, en effet, qu'au cours d'une invasion les Nagots, qui les avaient à plusieurs reprises contraints d'abandonner subitement Abomey, ne violassent les sépultures royales. Sous Ghèzo,la puissance dahoméenne atteignit une telle étendue que ses armées passèrent de la défensive à l'offensive contre l'enuemi héréditaire. Aussi, confiant désormais dans sa force, le roi se refusa à cacher plus longtemps les tombeaux de ses aïeux. Il fit élever sur chacun une case ronde, dont le toit conique tombe presque au ras du sol et abrite des murs en pisé, de la hauteur d'un homme et recouverts d'un enduit de caolin blanc.
Lors de l'invasion française, les Dahoméens, sur le point d'abandonner Abomey, redoutèrent de nos soldats ce qu'ils avaient craint autrefois des Nagots. Ils exhumèrent les ossements des rois et les emportèrent avec eux dans leur fuite. Cette dernière précaution a été cause, sans doute, que beaucoup d'indigènes prétendent que les mausolées, autour desquels veillent encore de vieilles femmes, ne renferment plus les restes des rois dahoméens et que ceux-ci ont été cachés dans quelque coin du palais ou même transportés à Allada (1).
(1) A l'intérieur des cases tombales, on remarque un espace rectangulaire délimité par des pièces d'étotfes tendues à hauteur d'homme et au milieu duquel s'élève un lit de repos en bambou, avec nattes, couvertures et coussins. Contre les murs sont rangés une bouteille de liqueur, une bonbonne remplie d'eau et des objets ayant appartenu au défunt. Autour des cases on parle bas et des vieilles femmes balaient chaque matin. Tout cicérone qui accompagne un Européen pour visiter un tombeau doit appeler une gardienne il se prosterne comme elle et avec la même foi au moment où il aperçoit l'endroit où reposent les restes de son roi.
Grandes coutumes ou commemoration des anciens rois Chaque année, au moment de l'harmatan, le roi offrait, en l'honneur de ses ancêtres, des fêtes qui duraient plus d'un mois et atteignaient le maximum du luxe dahoméen. Abomey regorgeait alors d'une foule qui attendait, dans la surexcitation des danses et des chants et la frénésie déchaînée par les processions du monarque à travers sa ville, le grand jour où des victimes humaines étaient envoyées auprès des anciens rois pour les servir dans le pays des morts et leur conter les exploits du Dahomey.
Les récits des premiers voyageurs sont remplis de ces sacrifices humains. C'est que leur atrocité dépassait tellement l'imagination européenne que l'esprit y demeurait comme rivé, sans comprendre, sans remarquer même toute autre cérémonie. Mais aujourd'hui la France les a complètement abolis; aussi les grandes coutumes ne frappent-elles plus le spectateur étranger que par la solennité de leur appareil, l'originalité et la variété de leurs rites, l'affluence et l'exaltation presque fanatique des acteurs.
Des crieurs publics annoncent la date des fêtes, dix-sept ou vingt et un jours à l'avance. Ils parcourent les quartiers et le grand marché d'Abomey, assourdissent les populations par leur vacarme à grand renfort de tam-tams, de clochettes et de coups de fusils.
A quelques jours de là, tous les descendants des rois se rendent au palais. Ils se groupent par branches sous la conduite de leurs chefs respectifs, ils pénètrent jusqu'à l'autel élevé au dernier roi décédé. Autrefois, lorsque le trône d'Abomey était encore occupé, le souverain les atten-
dait en cet endroit. Jl leur remettait huit cent mille cauris, soit deux cents francs, pour partager entre les diverses branches de la famille. En outre il leur recommandait d'acheter un bélier ou tout autre animal et de revenir au palais le sacrifier. Mais les princes, pour affirmer que le roi était le principe du Dahomey et que sans lui tout devenait impossible, s'humiliaient, se déclaraient incapables de trouver un animal quelconque et priaient le roi de le leur procurer. Le souverain les exauçait. 11 faisait ensuite distribuer de l'alcool de petit mil, dont une grande partie était répandue sur les asën familiales ( 1 ) par les chefs de branches [vigan): Aujourd'hui le chef de la plus jeune branche [TAlodokponougan) remplace le roi, mais il est moins généreux. Il ne donne à ses frères que quarante francs qui proviennent, nous a-t-on dit, de cotisations volontaires des chefs du pays installés par le Gouvernement français.
La coutume veut qu'après cette cérémonie les princesses passent la nuit loin de leurs maris, car il faut qu'elles soient pures pour aller puiser l'eau qui servira aux sacrifices. Elles veillent au palais.
Le lendemain, le soleil a déjà accompli la moitié de sa course, lorsque vêtues de leurs plus beaux pagnes, parées de bijoux d'argent et portant chacune sur la tête une petite jarre ouvragée, les princesses se rendent processionnellement au ravin sacré où l'on enterrait jadis les enfants nés difformes, pour complaire aux Tohosou (2), les puissants monstres tant vénérés des rois. Elles marchent, graves et (i) Voir note explicative page 174.
i2) Voir l'étude de ces fétiches pages 119 et suivantes.
gracieuses, à la suite les unes des autres et groupées par branches de famille dans un ordre ascendant. Des jeunes filles les précèdent, criant les louanges des rois à tue-tête et sur un récitatif très scandé. Les féticheurs des « Tohosou », sans ornements mais abrités sous leurs immenses parasols bariolés, ferment la procession avec d'autres collèges de féticheurs qui célèbrent, eux aussi, les rois et dansent en marchant.
Au retour de la source le cortège prend la même formation. 11 se rend au palais où chaque femme verse le contenu de son urne dans de grandes jarres et en face des « asën » du roi dont elle descend (1).
La procession à la source est suivie de quatre journées de danses et de chants. Des tamtamiers de toutes sortes accourent sur la place de Simbodji; mais ils cèdent le pas au tamtam des jarres (Zënli-houri) ou tam-tam mortuaire, qui est seul admis à l'intérieur du palais, dans la première cour. Des vieilles femmes sont les musiciennes de ce tam-tam. Avec des asan (2), des clochettes et des tambours dont les caisses sont formées par des jarres allusion aux jarres placées dans les tombeaux elles accompagnent des chanteuses choisies parmi les femmes du roi et les princesses. Femmes du roi et princesses forment des groupes distincts. Au milieu se tient la directrice de l'orchestre. Elle porte un bâton dont l'extrémité recourbée est cerclée d'anneaux en fer et cravatée d'un mouchoir blanc. C'est le signe dis(1) Asen objet en fer qu'on place sur les autels et les tombeaux. (2) Asan instrument de musique formé d'une gourde à long col, à demi-remplie de petits cailloux qui frappent ses parois en cadence.
tinctif du tam-tam mortuaire chaque chanteuse le reçoit de la Directrice au moment où elle se lève pour lancer sou couplet, qui est repris par le chœur tout entier.
Pendant quatre après-midi, ces tam-tams célèbrent les exploits guerriers des rois, tandis qu'à l'ombre d'immenses parasols les principaux personnages du pays les écoutent avec toute la gravité somnolente que comporte une aussi importante occupation. Le premier jour, ce sont les frères du dernier roi assistés de « ses chambellans » (1) –qui restent sous les parasols; le deuxième jour, ils seront remplacés par les chefs des diverses branches de la famille royale le troisième jour par les grands dignitaires de l'ancien Dahomey. Enfin le quatrième jour, le roi, autrefois, les éclipsait tous. Malgré leurs riches vêtements de cour, ils n'avaient plus l'air que de très humbles esclaves soumis aux pieds du maître. Dans un prosternement commun se confondaient les dokounyô – flots de rubans multicolores posés en écharpe des deux côtés du torse les bè-n'doii~vlaya sortes de chapes en velours les honmè-i-ou vêtements de cour en forme de boubou musulman. Les cous parés du Kanhodenou – cerceau de perles multicolores se courbaient vers le sol et les têtes, fièrement cerclées de la chainette à plaques et à cornes d'argent, s'inclinaient dans la poussière (2).
(1) Le mot indigène signifie littéralement « gens du corps a. (2) Tous les ornements que nous venons de nommer étaient revêtus uniquement pour les cérémonies au palais. Leur usage ne remonte pas vraisemblablement plus loin que le règne Ghèzô, à qui, sans doute, ils furent indiqués par le Chacha. Ils étaient le signe distinctif de certaines dignités et offerts par le roi aux titulaires de ces dignités.
Les tamtamiers défilaient devant le roi et chantaient sa gloire ainsi que celle de ses aïeux. Tous recevaient alors des pagnes et des cauris, puis ils regagnaient leurs demeures, fanatisés par la vue du souverain et par sa générosité. Elle se manifestait bientôt de nouveau cette générosité mais envers les aïeux illustres et tous les Dahoméens pouvaient le constater, car les offrandes du roi à ses pères étaient portées processionnellement au palais.
Maintenant qu'il n'y a plus de rois, les principaux princes se cotisent pour acheter les offrandes nécessaires. Hélas elles sont bien réduites et leur splendeur n'est plus qu'un souvenir Souvenir aussi la foule enthousiaste toujours prête à s'entasser derrière les cortèges royaux Les Français n'ont rien interdit pourtant mais le charme est rompu. Quel intérêt aurait le simple Dahoméen à quitter sa palmeraie pour se montrer empressé à fréquenter les fêtes d'une famille dont il n'a plus rien à attendre, pour laquelle il a une rancune inavouée, insoupçonnée de lui-même plutôt, ayant souffert trop longtemps par elle et pour elle et sentant au contraire les bienfaits de l'occupation française ? La procession des offrandes part du palais de Ghèzo, grand-père du dernier roi qui a régné (1). Des fusiliers ouvrent la marche et font parler la poudre. Ils sont suivis de garçonnets, à la file indienne, qui portent, attachées à (\) Le palais en question, appelé Bèkon-Hounli, est la demeure qu'habitait Ghèzô avant d'être roi. En faisant partir de ce palais la procession des offrandes, on obéit, paraft il, à une coutume qui exige que le fils parte de la maison de son grand-père pour aller sacrifier chez son père (fi).
des gaules de palmier, des bouteilles de liqueur, des volailles et des bandes d'étoffe déployées jusqu'à terre. Viennent ensuite des porteurs de cauris, de moutons, de cabris, de porcs, avec des bouviers qui poussent un bœuf affolé par le bruit. Puis s'avancent, en groupes distincts, les anciens ciibécères et les princes. Ils ont revêtu l'akasan tunique sans manche – comme autrefois quand ils accompagnaient le roi; des tambours rythment leurs chants et ils tiennent haut le bâton particulier aux fêtes des morts. Le tam-tam funèbre et ses chanteuses terminent la procession qui s'achemine lentement vers le grand palais pour y déposer les dons.
Ceux-ci sont offerts le lendemain après-midi. Du haut d'une estrade en branchages, où sont admis les principaux personnages, un crieur appelle nominativement les bourreaux (Migan) de tous les rois de la dynastie. Les individus qui les représentent s'alignent en face de lui. Alors il leur jette volailles, moutons et cabris et eux, d'un seul coup de leurs coutelas, tranchent la tête des victimes, tandis que des femmes recuillent le sang et le portent sur les autels. Le bœuf est également précipité de l'estrade et égorgé aussitôt. L'ivresse gagne peu à peu toutes ces brutes on en voit qui plongent les mains dans les gorges palpitantes et se barbouillent le corps de sang. Derrière eux, les fidèles au culte des rois trépignent et se ruent sur les cauris et les morceaux d'étoffes qu'on jette de l'estrade.
Quatre jours se passent, au bout desquels a lieu une cérémonie qu'Epicure aurait certainement approuvée. « Mangeons la vie, jouissons de la vie Amusons-nous Savons-
nous ce que demain nous donnera ? » Le roi mettait ce précepte en pratique devant tout son peuple. Il pénétrait dans un enclos de nattes, ménagé au milieu de la place île Simhodji ou à proximité du marché. Là il déjeunait confortablement et se reposait auprès de ses femmes préférées après quoi, il apparaissait à ses chefs et à ses sujets, leur faisait jeter des cauris, des étoffes et même les reliefs de son repas, en leur criant « Mangez la vie Mangez la vie ». Depuis la destitution du dernier roi, ce sont les chefs et les principaux princes qui jouissent de la vie à l'abri des regards envieux de leurs jeunes frères, de leurs enfants et de leurs suivants.
Quatre jours se passent encore.
Du temps des rois la foule se massait, au soir, devant les murs du palais. Elle entendait bientôt des chants avec accompagnements de clochettes. C'était le roi qui se rendait à l'autel de son père. Aucun chef ne l'accompagnait. 11 était seul avec quelques serviteurs et ses jeunes chanteuses. Il versait de l'alcool sur les autels, puis s'asseyait et songeait. Le roi sortait de sa méditation pour donner des ordres afin de laisser venir qui voulait pénétrer jusqu'à lui. Alors, au milieu du recueillement de la foule prosternée, il priait et offrait le sang d'un bœuf à son père. Après les sacrifices aux Mânes des rois vient l'offrande aux grands fétiches, aux génies protecteurs du pays. Des charges de cauris sont portées dans leurs temples au milieu d'une longue théorie de féticheurs et de vieilles femmes qui tiennent sur leurs têtes les sièges et les asëii d'argent des rois (1).
(1) Se reporter page 174 pour la définition de l'asen.
Cette cérémonie terminée, chacun avant l'occupation française savait que la guerre était proche, qu'elle allait être portée dans un pays ennemi d'où l'on tirerait nombre d'esclaves pour les sacrifices humains.
On se préparait d'ailleurs gaiement a cette guerre. Le roi donnait de nombreuses réjouissances, parmi lesquelles des danses de féticheurs et des jeux de mots mis en action. Par exemple du sucre était posé sur le dos d'un cheval, le roi en prenait une poignée qu'il donnait au Migan en disant bâ su i, ce qui signifiait également « emporte » et « que le cheval parte ».
De nos jours les cérémonies, que nous allons décrire, succèdent aux précédentes, presque sans interruption. Il n'en était pas ainsi, dit-on, avant la conquête française. Elles se faisaient au retour de la guerre et elles étaient suivies des sacrifices humains. Ces renseignements semblent exacts, car nous allons assister à une nouvelle série d'offrandes d'abord à Glélé, le père du dernier roi, puis aux autres souverains et encore à Glélé que l'on évoque cette fois avec tous ses ancêtres.
Il y a là comme une « reprise de fêtes », si on peut s'exprimer ainsi.
Des vieilles femmes pénètrent dans les mausolées des rois et y demeurent une nuit entière. Elles en sortent couvertes de toutes les parures qu'a inventées le luxe dahoméen une mousseline blanche ceint leurs reins et recouvre à demi des pagnes de velours et de soie elles portent l'akonou sorte de caraco qui distinguait les femmes dignitaires à la cour royale – un mouchoir blanc enserre
leur tête leurs cous sont chargés de cerceaux de perles et d'amulettes d'argent leurs doigts sont couverts de bagues sur leurs chevilles tintent des anneaux de cuivre et leurs avant-bras disparaissent entièrement sous de hautes manchettes d'argent.
Rien n'est trop beau pour elles. C'est qu'en effet les rois sont descendus sur leurs têtes, évoqués par les prières et les sacrifices chacune incarne un des représentants de la dynastie, dont elle porte le sabre richement ouvragé et la canne à pommeau d'argent. On baise le sol sur leur passage des femmes portent leurs crachoirs et leurs chassesmouches et les abritent sous des ombrelles blanches ornées des armoiries de chacun des rois (Planche XVII). Pendant trois jours elles paraissent en public entourées de la pompe royale.
Du temps des rois, lorsque la mission de ces femmes avait cessé, le monarqne régnant commençait ses visites aux autels qui ont été élevés dans les parties du palais construites par chacun des souverains du Dahomey. Il consacrait plusieurs jours à chaque autel et le plus ancien recevait sa visite le premier.
Aujourd'hui, le roi est représenté par son trône (1) etpar son hamac recouvert entièrement d'un voile mais tout se passe comme s'il était réellement là, en moins la foule délirante et en plus l'indifférence des passants que rencontre le cortège, formé seulement de membres de la famille royale et de quelques serviteurs fidèles au souvenir. Nous allons donc continuer notre récit comme si le roi était présent. (1) Voir planche XVIII.
Au moment où le soleil s'incline à l'horizon le chef hamacaire parait sur le seuil de la grande porte du palais. A son appel ses subordonnés quittent le corps de garde en même temps les chefs, les anciens dignitaires du royaume et les princes, qui attendent groupés sur la place se lèvent précipitamment, comme mus par un même ressort. Des clameurs au dedans du palais, presqu'aussitôt suivies de roulements de tam-tams, indiquent l'arrivée du souverain dans les deux premières cours. Des porteurs de grands parasols apparaissent ils abritent les trônes des rois à la mémoire desquels on va offrir les sacrifices. Voici le roi! Hamacaires, porte-cannes et porte-ombrelles le dérobent aux regards, tellement ils s'empressent autour de sou lamac. La foule l'acclame et se prosterne au milieu du vacarme des chants, des tambours et des coups de fusils. Au pas de course, frénétique, le cortège s'ébranle. Tous ceux qui l'aperçoivent s'écartent loin dans les champs et, à genoux, le front contre le sol, attendent qu'il passe. Toujours à une allure folle, le cortège tourne plusieurs fois autour de la place qui précède l'enceinte où aura lieu la cérémonie puis, brusquement, il s'engoulfre sous la grande porte d'entrée.
Le roi va prier.
L'autel est déjà préparé pour les sacrifices du lendemain une tente abrite les «asën»(l), de peur que, frappés par les rayons du soleil, ils ne perdent leur pouvoir de retenir l'âme des ancêtres. Les parasols des rois décédés qui recevront les offrandes laissent flotter au vent des (t) Asën objet en métal destiné au culte.
armoiries appliquées sur leurs dentelures. Tout au fond du tableau se détachent les cônes de chaume qui complètent l'autel.
Nous avons déjà décrit un sacrifice à la mémoire des ancêtres, nous ajouterons simplement que le roi assistait à ceux qu'il offrait, abrité sous une case longue et étroite, dont les murs en pisé étaient ornés de bas-reliefs. A quelques pas de cette case, de simples bambous jetés à terre marquaient la limite que ne devaient pas dépasser les grands dignitaires, lorsqu'ils venaient se coucher dans la poussière pour saluer le monarque et lui demander l'autorisation de commencer les sacrifices.
Toutes ces cérémonies, tous ces rites se passent encore maintenant comme si un roi régnait au Dahomey, avec cette seule différence que le dernier souverain en date est représenté comme tous ses ancêtres par son trône qui préside les fêles il y a là une sorte de manifestation de croyance à la présence réelle dans un objet consacré au souvenir par des cérémonies religieuses. Une vieille femme se tient auprès du trône elle transmet les réponses du roi aux demandes que sont amenés à formuler les cabécères ou autres directeurs des fêtes.
Nous nous sommes plu à nous faire raconter par un vieux Dahoméen un sacrifice humain dont nous avions lu la narration, écrite par un Hollandais témoin oculaire en 1862. Voici le récit qui nous a été donné il ne diffère pas au fond du récit européen.
« Au cours de la guerre contre Ischagua, les troupes du roi Glélé avaient capturé de nombreux ennemis. Parmi les
prisonniers se trouvait un certain Mosisi, qui avait « appris le papier » des blancs, était habillé comme eux, portait des souliers et une ombrelle.
« Glélé le fit appeler et lui dit « Tu seras mon Houngan, (le chef de mes pirogues) Va » Tous ceux qui avaient entendu ces paroles se mirent à rire mais Mosisi n'y prit point garde, parce qu'il ignorait que houngan signifie aussi le chef du fromayer, le maître de l'arbre dans lequel on creuse les pirogues et sur lequel, à l'avènement des rois, on avait coutu!ne, depuis Tègbèsou, de crucifier un homme. « Mosisi s'enorgueillit tout de suite. Il se persuada qu'il devait continuer à porter ses chaussures et son ombrelle. En agissant ainsi il commettait un crime de lèse-majesté, car personne autre que le roi du Dahomey ne pouvait mettre des chaussures et s'abriter sous un parasol.
« A un jour fixé, une foule immense se réunit au marché d'Adjahito. Mosisi s'y rendit avec les grands chefs et il était orgueilleux avec son ombrelle, ses chaussures et ses vêtements comme ceux des blancs.
« Tout à coup se produit un grand remou dans la foule. C'est Migan et ses aides qui ont ligoté Mosisi et se font largement place pour aller le porter au pied du fromager sur lequel le roi Tegbèsou avait crucifié Adjakou, afin de montrer à ses descendants que c'était bon de faire ainsi. « Moissi est attaché contre l'arbre et on lui enfonce des clous dans les pieds, pour bien fixer ses chaussures, et, dans les mains, pour lui apprendre à tenir une ombrelle. « Tous les spectateurs furent contents les féticheurs vinrent danser devant Mosisi et leur danse dura bien longtemps après qu'il eût rendu l'âme. »
« Peu après, le sol trembla. Tout le monde eut peur. Alors le roi Glélé appela son sorcier pour consulter Fa (le Destin). Fa déclara que le sol avait tremblé, parce que Ghézô, le père de Glélé, demandait des sacrifices.
« Glélé ordonna donc des fêtes. Sur deux estrades en branchages, on plaça 16 hommes et 10 femmes d'Ischaga. Tout le Dahomey était accouru. Le roi parla à tout le Dahomey. Il lui dit que nos troupes n'avaient pas pu casser Abéokouta grâce à la félonie des gens d'Ischaga, mais que la guerre recommencerait qu'en attendant il allait envoyer des gens d'Ischaga saluer Ghézô, son père, et lui raconter comment il avait su venger le Dahomey de leur trahison.
« Il dit. Aussitôt le peuple entier l'acclama et se prosterna dans la poussière, pendant que Migan et ses aides décapitaient les prisonniers, égorgeaient des bœufs, un cheval, des moutons, des cabris, un caïman et que des vieilles femmes portaient le sang de toutes ces victimes sur les autels de nos rois.
CHAPITRE Vll
FAMILLE
Dans la population dahoméenne actuelle on retrouve aisément encore les anciennes tribus qui l'ont formée en se superposant aux autochtones par voie de conquête ou simple immigration.
Ces tribus, ako, sauf de très rares exceptions appartiennent à la race fon elles se distinguent les unes des autres par leurs grands fétiches, ou ancêtres divinisés, par leurs préceptes prohibitifs et par leurs tatouages, qui sont ceux des tribus mères dont elles se sont séparées à diverses époques.
Elles ont essaimé sur tout le territoire dahoméen, mais le principal groupement de chacune d'elles occupe encore l'endroit où s'établirent définitivement les ancêtres migrateurs sous l'autorité du plus âgé, le ahosou (roi). Leur pays d'origine est connu et beaucoup de groupes, auxquels elles ont donné naissance, y envoient des représentants pour assister aux grandes fêtes en l'honneur du fétiche commun ou pour demander l'autorisation de les célébrer chez eux. Les anciens possèdent sous le sceau du secret l'histoire
de l'origine de la tribu, histoire fabuleuse, parce qu'elle rapporte des faits tellement lointains, si peu précis, que l'esprit primitif des noirs ne saurait les expliquer autrement que par le merveilleux.
Une tribu, celle des Aladahonou ou Alada-Sadonou, des dernières arrivées sur le territoire d'Abomey, prédomina rapidement. Elle fonda le royaume du « Danhomé » ses rois asservirent les rois voisins. Dès lors les tribus perdirent leur raison d'être et se désagrégèrent peu à peu seuls subsistèrent des groupements moindres, les hënnou, composés, chacun, de tous les descendants, par les hommes ou par les femmes, d'un même ancêtre individu fameux dans la tribu.
C'est à dessein que nous écrivons « descendants par les hommes et par les femmes ». La parenté dans la hënnou dahoméenne ne dérive pas uniquement des liens du sang elle est surtout basée sur la puissance paternelle. Or celleci dérive des régimes de mariage adoptés par les divers membres de la hënnou. Il peut donc arriver qu'une hënnou n'aura pas autorité sur tous les enfants nés de ses garçons, tandis que quelques enfants de ses filles lui appartiendront. A l'heure actuelle, c'est encore la hënnou qui est le premier échelon de l'ordre social au Dahomey. Dans celuici, en effet, tout semble organisé pour le bénéfice des collectivités l'individu y apparaît à peine, l'évolution vers l'individualisme n'ayant commencé réellement que depuis notre occupation et à cause d'elle.
Le chef de la hënnou s'appelle Hënnou-daho (daho = ancien, aîné).
L'idée de hënnou-daho est complètement indépendante de
celle de paternité. Cette dignité appartient de droit au membre le plus âgé de la famille, alors même qu'il serait pauvre, impotent, aveugle, même fou. Dans ce dernier cas on lui adjoindrait le second en Age pour agir en son nom. Les femmes chez les fans on appelle plus spécialement ainsi ceux qui n'appartiennent pas à la famille royale d'Abomey ne peuvent pas être choisies comme « hënnoudaho ». Toutefois elles ne sont pas exclues des discussions qui intéressent la hënnou la plus âgée, la Tansinon, a même voix consultative auprès de l'Ancien.
Ce n'est pas le Hënnou-daho qui porte le nom du fondateur du groupe, mais un des descendants de ce dernier, en ligne directe et par droit d'aînesse. Cet individu est respecté par tous ses parents, même par le Hënnou-daho, car la conservation du nom est un des grands pivots de la vie sociale au Dahomey. Il habite ordinairement la demeure de l'ancêtre où sont enterrés les membres importants de la hënnou, à moins d'un désir exprès formulé par chacun d'eux. Le Hënnou-daho au contraire ne quitte pas sa demeure personnelle.
La Hënnou possède des biens; ils sont confiés au Hënnoudaho qui n'en a que la jouissance et ne peut par conséquent jamais les aliéner. On cite des cas où les biens familiaux étaient tellement importants que le revenu en était partagé. Serait-il trop osé de voir dans ces exceptions une tendance, déjà dessinée avant l'occupation française, vers la division de la propriété ?
A la différence de la famille romaine, dans laquelle les enfants étaient incapables d'avoir un patrimoine, les membres de la hënnou acquièrent des biens personnels et demeu-
rent libres de les gérer à leur guise. Comme conséquence ils sont maîtres de leur travail et de leur salaire. Le Hënnoudaho ne peut leur demander que quelques corvées pour réparation de sa demeure propre, pour l'entretien des tombeaux, pour la culture des terrains familiaux. La famille dahoméenne semble ainsi constituée nullement pour le bénéfice d'un seul ni en vue de concentrer les biens dans la main d'un seul, mais plutôt pour assurer la conservation d'un groupe et d'un nom.
Au Hennou-daho revient le droit de marier les femmes de la hënnou, après consultation du père et de la mère de l'in téressée. Ce droit était si strict autrefois que toute femme, qui aurait été donnée en mariage par son père à l'insu de l'Ancien, pouvait être obligée de quitter le domicile conjugal. C'est le Hënnou-daho qui reçoit les cadeaux d'usage envoyés par la famille du fiancé. Il ne les garde pas tous; il doit en remettre la majeure partie au père et à la mère de la jeune fille à marier.
C'est à lui également qu'incombe le soin de chercher des épouses pour les garçons de sa famille. Cet usage tend à disparaître. Il se réduit très souvent à la remise des cadeaux aux parents de la jeune fille par l'intermédiaire de l'Ancien. Grand-prêtre en quelque sorte de la famille, le Hënnoudaho préside les cérémonies en mémoire des ancêtres. Il en fixe la date après consultation du Destin et recueille les cotisations que chacun de ses parents est obligé de donner en cette occasion. C'est lui qui verse à terre l'eau et l'alcool offerts aux morts et, sur les tombeaux, le sang des animaux sacrifiés.
Bien que l'autorité du Hënnou-daho fût très forte et très res-
pectée autrefois, il est cependant exagéré de prétendre que le Chef de famille avait le droit de vie et de mort sur les siens. Ce droit appartint sans aucun doute aux rois des tribus mais, quand celles-ci eurent été absorbées par les Aladahonou, il n'appartint plus qu'au roi du Dahomey dont tout sujet était devenu la propriété, la chose, et qui par suite pouvait seul en disposer à sa guise. L'Ancien n'était même pas autorisé à enfermer l'un de ses enfants ou à lui mettre des entraves pendant plus de quelques heures. Prisons et entraves n'existaient que chez certains chefs désignés par le roi. Le seul châtiment sévère à la disposition du Hënnou-dnho était la correction corporelle. Si elle ne suffisait pas à faire respecter ses décisions, il lui fallait s'adresser à la Justice.
La déférence envers le Hënnou-riaho est de règle, et vraiment, en entrant dans la demeure d'un chef de famille dahoméen, on ne peut qu'être doucement impressionné par l'attitude respectueuse que gardent tous les siens. Il est le seul assis sur un trépied en bois ou étendu sur une natte, au centre de la case des réceptions. Tous les autres sont groupés à ses pieds. Ceux qui l'approchent s'agenouillent et mettent le front dans la poussière en prononçant le mot oknu da salut Père Personne ne doit paraitre en sa présence autrement que la tête découverte, le torse nu, le pagne noué à la ceinture, sans armes ni bâton. S'il sort, une suite nombreuse l'accompagne et des garçonnets portent son tabouret, sa pipe et sa sacoche. Il marche fièrement drapé dans son pagne, coiffé d'un long bonnet ou d'un immense chapeau de paille et il impose le respect tout le long de sa route.
Dans l'organisation de la famille, comme d'ailleurs dans toute institution dahoméenne, il y a lieu de tenir compte de l'influence des rois. Ceux-ci créèrent des dignités dans les « Hënnou ». Pour reconnaitre les services d'un individu, ils lui donnaient un nom allégorique, en même temps qu'ils lui offraient un siège et un pagne d'honneur, des esclaves et des terrains. Ces distinctions et ces hiens se transmettaient en ligne directe et suivant le droit d'ainesse, sauf agrément du roi. Leur titulaire s'appelait zinkponon, occupant du siège. Comme tout dignitaire d'institution royale, il avait son aoitangan chef de guerre, son sranon, chef de quartier, et, parce qu'il représentait un individu fameux dans la «hënnou », il formait avec tous les descendants de celui-ci un groupe familial sous la tutelle, plutôt que sous l'autorité absolue de l'Ancien.
Mais, nommé par le roi. le zinkponon pouvait être destitué. C'est là même ce qui le distingue de l'Ancien, du Hënnou-daho. Celui-ci est toujours irrévocable, quoi qu'il fasse. Il a été « désigné par la mort », seule la mort amène son remplacement (1). Au contraire le « zinkponon » peut être changé, s'il forfait à l'honneur dahoméen ou manque aux lois religieuses.
Le zinkponon existe dans nombre de hënnou. Nous en connaissons qui ont su habilement confondre à leur prolit les prérogatives de l'Ancien (hënnou-daho) alors que d'après la coutume ils devraient à celui-ci le respect et l'obéissance, ils sont parvenus à le reléguer au deuxième plan, à le faire ignorer même et finalement à lui enlever la (1) Autrement dit, le décès du plus âgé lui a coul'iiré la dignité d'Ancien; seul son propre décès pourra la lui enlever.
jouissance des biens de la hënnou. Œuvre de fourbes qui ont habilement profité du trouble momentané causé forcément par l'occupation française ainsi que de notre ignorance des coutumes locales (1) [
L'histoire de la tribu royale d'Abomey montre mieux qu aucune autre comment se divisèrent les tribus et comment dans leurs rameaux, définitivement fixés dans un pays, se constituèrent les hënnou. On voit les Alada-Sadonou se séparer des Adja-Sadonou et émigrer sur le territoire d'Allada. On assiste ensuite à une querelle qui les divise en trois groupes; l'un donne naissance à la dynastie Porto-Novieune, l'autre reste à Allada, le troisième fonde le Dahomey.
A mesure que ce dernier royaume prend de l'extension et de l'âge, on suit la formation des groupes hënnou, au sein même de la grande hënnou issue des Alada-Sadonou. Chaque règne donne naissance à un nouveau groupement, qui comprend les innombrables frères et sœurs du roi, placés sous l'autorité du plus âgé, le vi-gan (vi = enfant, gan = c/ief, chef des enfants). Le chef du groupement le dernier en date commande à tous les autres vigan et prend alors le nom d Alodokpunouyan « le chef des gens d'une seule main » à l'avènement d'un nouveau roi il devient un simple vigan. Les individus d'un même groupement portent le nom du roi dont ils sont issus, auquel on ajoute le mot vi, « enfant ». Ou a ainsi les Ouêgbadja-vi, les Agadja-vi, etc., les enfants de Ouëgbadja, d'Agadja, etc.
(I) Voir appendice.
Le roi appelait à des dignités de tous ordres certains de ses frères, de ses sœurs ou de ses enfants. La cérémonie d'investiture consistait en la constitution d'une dot et la remise d'un siège sorte de chaise curule sculptée dans un seul morceau de bois. Le nouveau dignitaire formait alors avec sa descendance directe et ses esclaves un groupe familial, dont il était le chef mais sous la haute autorité de son propre vigan. Son titre de Zinkponon et sa dignité étaient héréditaires suivant le droit d'aînesse en ligne directe, masculine ou féminine selon le sexe du premier titulaire. Les zinkponon ne sont que dépositaires des titres, pro.priétés et autorité inhérentes à leurs charges ils sont révocables. A eux revient le droit de donner en mariage les enfants de leur groupe familial, mais avec l'assentiment de leur viqan, qui doit lui-même prévenir 'alodokpunougan. A l'heure actuelle il se produit un travail de désagrégation dans la hënnou. Le groupement sous une même puissance paternelle convenait à une époque où les querelles de tribus contre tribus venaient à peine de disparaître. Sans lui l'individu qui fondait une famille aurait été insuffisamment protégé. Mais quatorze ans seulement d'occupation française ont amené les indigènes à la confiance dans notre protection. Ils ne redoutent pas de voyager, de s'engager, loin de chez eux, comme domestiques, terrassiers, ouvriers agricoles. Au contact de populations plus avancées ils prennent conscience de leur personnalité et, de retour au pays, ils se jugent lésés surtout en matière de mariage par des coutumes qui ignorent l'individu, puisqu'elles sont faites pour une organisation basée sur des rapports de parenté résultant de la puissance paternelle.
CHAPITRE VIII
UNIONS
Les unions pratiquées dans le royaume d'Abomey se ramènent à deux genres suivant qu'elles donnent la puissance sur les enfants à la famille paternelle ou à la famille maternelle.
Premier genre. L'union « hongbo » en est le type. Elle était la plus usitée autrefois. Elle plaçait la femme dans un état de dépendance et d'infériorité voisin de l'esclavage. Elle se pratique encore aujourd'hui, mais modifiée, atténuée dans la rigueur de ses effets.
Son nom hon-gbo, « couper le nombril » en indique la cérémonie essentielle. Elle consiste dans le versement, en cauris (I), de dix-sept centimes qui représentent, soi-disant le prix payé à la sage-femme lors de la naissance de la fiancée et qui, en réalité, a bout but de montrer que la jeune fille a appartenu à la famille de son futur mari dès son entrée dans le monde (2).
(t) Cauris coquillages qui servent de monnaie.
(2) Les 17 centimes s'appellent hongbo'kouè, agent du hongbo.
De la résulte
1° La femme « Hongbosi » (1), aussitôt après le versement des dix-sept centimes, tombe sous la puissance du chef du groupe familial de son mari, sauf en ce qui concerne les aflaires de religion et le culte des ancêtres.
2° Tous les enfants d'une « hongbosi » tombent sous la puissance du chef du groupe familial du mari.
En conséquence si une « hongbosi » a des enfants d'un amant, avant d'avoir été conduite dans la case de son mari, ces enfants appartiennent de droit à la famille du mari. Même, la femme peut être poursuivie en adultère adultère semble le mot exact puisqu'elle est considérée comme épouse du jour où l'argent du hongbo est versé. A fortiori il en e:,t ainsi des enfants adultérins nés de la « hongbosi » après son entrée dans la case de son époux.
30 A la mort du mari, la femme « honghosi » fait partie de la succession quelquefois on la laisse choisir dans la famille du défunt un mari autre que celui à qui elle aurait dû échoir en héritage.
Si, sans le consentement du chef de famille du défunt, elle se liait à quelqu'un d'une autre famille, sa nouvelle union serait tenue pour irrégulière et les enfants qui en naitraient appartiendraient à la famille du premier mari. 4° En cas de divorce, si les raisons invoquées par la femme sont admises en sa faveur, le chef de famille du (1) Le suffixe « si dans « Hongbosi » ne nous parait pas une contraction de « asi femme il exprime l'idée de dépendance du sujet par rapport à la cérémonie essentielle (hongbo) du mode d'union en question. Nous voyons ce suffixe employé avec le même sens dans « vôdounsi » (page 127), glèsi (page 5.i).
mari peut lui chercher un nouvel époux parmi les siens. Si les causes du divorce sont de nature à obliger la femme à rentrer chez ses parents propres, les cadeaux sont intégralement remboursés, mais les enfants restent sous la puissance paternelle (1).
5° Le cadavre d'une femme « hongbosi « – alors même que le décès a lieu avant la consommation du mariage reste dans la famille du mari, à qui revient le droit et le devoir de faire les funérailles.
Le mariage « hongbo » se décide de longue date on a vu des pères convenir du mariage de leur première fille à naître il ne suppose nullement le consentement de la femme et, tout est arrangé entre les chefs de famille des intéressés. Sous le régime sévère des rois dahoméens, les épouses « hongbosi » ne refusaient jamais le mari choisi par leurs parents. C'est depuis l'occupation française que les femmes ont pris conscience de leur personnalité. Elles ont trouvé des protecteurs dans les Résidents d'Abomey et si les effets de leurs unions subsistent toujours en ce qui concerne la puissance sur les enfants, du moins, ellesmêmes, ne sont-elles plus traitées comme des êtres inconscients ni mises dans l'obligation d'accepter un mari qui leur déplaît.
L'union « hongbo », comme toute union en pays noir, comporte l'offrande de cadeaux à la famille de la fiancée. La quantité, l'espèce de ces présents et la façon de les offrir sont prévues par la coutume.
(1) Il y a en quelque sorte deux divorces possibles; l'un n'intéresse que le mari, l'autre intéresse sa famille tout entière.
Le premier groupe de cadeaux comprend une somme de 6 fr. 50; un pagne nommé « adjoko », tissé en coton du pays, à rayures noires et blanches une mesure de petit mil ou de maïs suivant les régions, plus un franc. Le versement des 6 fr. 50 est la chose importante on appelle cette somme l' « argent de la femme » {asi-koué). Du jour où elle a été acceptée par la famille de la jeune fille, celle-ci est considérée comme fiancée et ses parents ont le droit de réclamer au futur son aide pour des cultures ou des prêts d'argent. C'est aussi à cause du versement de ces 6 fr. 50 qu'on appelle encore la « hongbosi », une « femme pour de l'argent » (akoucnousi).
Un deuxième groupe de cadeaux comprend 680 cauris, prix du « hongbo », qu'accompagnent une grande calebasse de sel, une mesure de petit mil ou de maïs, du tabac et 2 fr. 50. En outre, on offre un pagne au père et à la mère de la fiancée. Celui du père a seize bandes en coton du pays celui de la mère représente le pagne avec lequel elle a porté son enfant sur le dos.
Troisième groupe. Ce sont toutes les offrandes pour les fétiches et ancêtres de la famille de la fiancée trois cabris dix poulets, une petite jarre d'huile de palme, des haricots, du mil, du tafia. Deux mouchoirs de tête sont également remis au chef de famille qui s'en couvrira, lorsqu'il sacrifiera les animaux et offrira les produits du sol aux ancêtres. Enfin on donne 1 fr. 50. Cette somme est appelée « la maison ne détruit pas la famille » (houè hënnou ma gba) et elle est offerte aux ancêtres fondateurs pour obtenir d'eux que le futur ménage ne nuise en rien à la famille.
Il y a une graduation dans ces divers cadeaux. Après les
premiers, le mariage est convenu après les seconds il est conclu, la femme est définitivement passée dans une autre famille. Les derniers cadeaux rappellent qu'il y a des liens que la fiancée ne peut rompre ceux qui l'attachent à ses ancêtres. En outre de ces cadeaux, réglementaires en quelque sorte, le fiancé doit participer aux frais des funérailles, aux constructions des cases et aux cultures de ses futurs beaux-parents, leur prêter de l'argent à fonds perdus et, depuis que les Français ont établi l'impôt, payer la cote personnelle de sa fiancée. Prêts et prix des travaux sont remboursés en cas de rupture. Ils peuvent atteindre un total de 500 ou 600 francs. Et ce sont alors des discussions interminables.
En cas de mort de la fiancée on ne rend jamais la dot qui lui avait été constituée, de sorte que les risques sont tous pour le futur.
Quand la fiancée est d'âge à entrer chez son mari, le jour de la noce est fixé. Les parents et amis du marié vont chercher sa femme et la ramènent chez lui avec tous les cadeaux qu'elle a reçus. Aucune danse, aucun tam-tam, ces réjouissances étant réservées aux mariages princiers; seulement un repas et quelquefois une distribution de cauris aux gens de la noce, pour acheter à manger en rentrant chez eux. Au soir la jeune épousée est conduite dans la chambre nuptiale par la plus ancienne femme mari ou, à défaut, par une vieille parente. Un morceau d'étoffe blanche est étendu sur la couche la vieille femme cède la place au mari et se retire dans une pièce voisine.
Son rôle n'est pas fini c'est elle qui recevra du mari le morceau d'étoile blanche et, s'il est maculé de sang, l'en-
verra au père de la nouvelle mariée. Tout le monde alors se félicitera de l'heureux événement.
Il n'en est point ainsi quand on constate que la nouvelle mariée n'était pas vierge. C'est une honte pour toute sa famille, honte bien peu fréquente avant notre occupation, car les peines étaient très sévères contre ceux qui avaient des relations avec les fiancées « hongbosi » et celles-ci, d'ailleurs, n'avaient pas encore conçu l'idée de chercher dans la perte de leur virginité un moyen de refuser le mari choisi par leurs parents.
Bien que la « hongbosi » soit tout à fait sous la dépendance de son mari et semble dans un état de complète infériorité, sa condition cependant est loin de celle d'une esclave. La meilleure preuve c'est qu'il existe des cas de divorce qu'elle peut invoquer injures graves au père et et à la mère de l'épouse relations du mari avec une soeur de son épouse relations du mari avec une parente de l'épouse, lorsque cette parente est mariée sous le régime « hongbo » non-participation à certains rites des funérailles des proches de l'épouse.
La stérilité du mari peut amener le divorce, mais dans ce cas, la femme se prête généralement à un modus vivendi qu'un Européen ne manquera pas de trouver bizarre, mais qui, là bas, est une chose toute naturelle l'épouse se lie momentanément à un frère ou à un ami de son mari et les enfants qu'elle met au monde appartiennent à ce dernier, ou plutôt à la famille de ce dernier. Le seul but du mariage n'est-il pas l'enfantement ?
C'est encore, en conformité de cet ordre d'idées que le mari passe sur toutes les fautes de sa femme. Il demande
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quelquefois le châtiment de son rival, mais jamais le divorce. En tout cas il exige toujours les enfants adultérins.
Comme nous l'avons vu, les effets du mariage « hongbo » dérivent des cérémonies de fiançailles et des cadeaux offerts aux parents de l'épouse. Il n'en était pas ainsi pour les unions avec les « Ouêmèsi », catégorie de femmes qui n'existe plus aujourd'hui. C'était par suite de la situation sociale de ces femmes au moment de leur mariage, que la puissance sur leurs enfants était dévolue au père. Au temps des rois du Dahomey, le crime du Chef de famille entraînait le châtiment de tous les siens et la confiscation de ses biens ses femmes, ses filles devenaient « personnes sous la dépendance de la Justice (Ouêmèsi) (1) et étaient internées soit au palais soit chez le chef qui avait été chargé de détruire leur case.
De ce fait elles ne faisaient plus partie d'aucune famille elles conservaient la seule qualité de Danhomènou, c'est-àdire personne du Dahomey, inaliénable, impossible à réduire en esclavage même par la volonté royale. Elles étaient données en mariage à qui voulait, pour une somme variant de 100 à 140 francs versée au palais, et leur condition était alors en tout point semblable à celle des « hongbosi ». 2° Genre d'unions. Unions qui donnent à la famille maternelle la puissance sur les enfants.
Cette catégorie comprend le « mariage du pagne » (avonousi-dida), l'union libre (ha-dido) et le mariage « de la chèvre au bouc » (gbosou do nou gbosi).
(i) Le suffixe « si » a, dans le mot « Ouémêsi »,le sens que nous avons déjà indiqué dans « Hongbosi ». Voir note page 204.
a) L avonousi-dida exige les mêmes démarches que l'union hongbo, mais on ne verse pas les 17 centimes, prix du hongbo en outre, au lieu de l' « argent de la femme » (asikouè) on offre des pièces d'étoffes. C'est de cette dernière particularité que ce genre d'union tire son nom (avo étoffe, dida: mariage).
Les enfants tombent tous, en principe, sous la puissance de la famille maternelle mais celle-ci doit abandonner ses droits sur un certain nombre d'enfants en faveur de la famille paternelle (1).
6i Le ha-dido, mot à mot l'union de camarades, est réellement l'union libre. Aucune dot n'est constituée aucun cadeau n'est remis obligatoirement aux parents de la femme. Les conjoints s'unissent librement, généralement avec le consentement des parents.
La femme peut quitter son mari quand bon lui semble elle emmène alors tous ses enfants. Les dépenses d'entretien qu'elle a occasionnées à son mari et les cadeaux qu'elle ou les siens en ont reçus restent pour compte à ce dernier.
c) « Gbosou do non gbosi ». On conduit « une chèvre à un bouc »; qui sera le propriétaire des petits de la chèvre ? Sans nul doute, le propriétaire de la chèvre. Il en est ainsi des enfants nés sous ce régime. Ils deviennent la propriété du maître de la mère, ou plus exactement, ils tombent sous la même puissance que leur mère.
Autrefois ces unions étaient fréquentes elles étaient (1) Cette dernière obligation ne semble pas aujourd'hui scrupuleusement suivie.
recherchées surtout par les hommes peu fortunés, car elles n'exigeaient que de menus cadeaux tissus et produits du sol. Elles tendent à disparaître maintenant du fait de l'occupation française, qui ne peut admettre l'esclavage, même déguisé. Les femmes, ohjets de ces unions^ étaient placées, en effet, sous la puissance absolue des mères des rois ainsi que des princesses grandes dignitaires, sans être cependant ni leurs esclaves ni leurs parentes. Quand elles étaient données en mariage, leur maîtresse disait à l'époux « Prends cette femme pour faire ta cuisine en retour donne-lui des enfants qui seront miens ».
Les enfants mâles issus de ces unions restaient le plus souvent auprès du père, par la volonté expresse de la propriétaire. Quant aux filles, dès qu'elles étaient capables de menus services, elles étaient enlevées à leurs parents par les môres des rois ou les princesses, qui, plus tard, les mariaient sous le même régime qu'elles avaient marié leurs mères.
Il est à remarquer que le droit de puissance, dans ce cas, appartenait à une dignité et non au titulaire de cette dignité. Empêchements de mariage
Chez les Dahoméens qui ne font pas partie de la famille royale, le mariage est défendu entre frère et sœur ou demisœur. 11 l'est également entre un oncle et ses nièces qui dépendent de la même famille que lui, ou entre une tante et ses neveux dans les mêmes conditions.
Pour fixer les idées, prenons deux frères de même père et de même mère ou bien de même père seulement, mais
qui par suite des conditions identiques de leurs mères, dépendent de la même famille. Les enfants qu'ils auront ne tomberont pas forcément sous la même puissance, car il y aura lieu de tenir compte pour ces enfants du régime sous lequel seront placées leurs mères. L'un des deux frères, par exemple, ne pourra pas s'unir à ses nièces nées d'unions du premier genre, parce qu'elles appartiennent à la même famille que lui mais il le pourra avec ses nièces nées d'unions du deuxième genre, pour la raison contraire. On peut citer encore deux frères qui ont le même père, mais qui dépendent de familles différentes par suite des conditions matrimoniales de leurs mères. Le mariage de l'un ou l'autre avec une de ses nièces sera autorisé, quel que soit le régime sous lequel son frère aura épousé la mère de cette jeune fille.
Ces particularités semblent démontrer que les empêchements de mariage sont basés non sur les liens du sang mais sur la recherche des alliances étrangères. C'est d'ailleurs une opinion qui nous a été exprimée par plusieurs Dahoméens, à peu près en ces termes « Plus une famille a d'alliances dans d'autres familles, plus elle a de la maind'œuvre pour ses cultures et ses travaux ».
Unions dans la famille royale
La famille royale a des mœurs très spéciales et surtout toutes de privilèges. A cela rien d'étonnant elle était la tribu conquérante et devait forcément chercher à étendre son influence et sa prépondérance par tous les moyens possibles.
C'est ainsi qu'eu matière de mariage elle a imposé sa puissance sur tous les enfants nés de ses membres. – « Nous emmenons nos enfants dans notre famille, disent princes et princesses nous sommes des « djikpla » (dji = accoucher, kpla = emmener). – Si ces préceptes sont impérieux en ce qui concerne les unions des princesses, nous ne voudrions pas assurer qu'ils étaient rigoureusement appliqués, autrefois, quand il s'agissait des unions contractées par les princes. Une affaire, portée devant la Justice du Cercle d'Abomey, nous a même permis de constater que les rois se montraient beaucoup plus soucieux des droits de leurs sujets en matière de progéniture, fût-ce même au préjudice de leur propre famille. Les rois Akaba, Agadja, Agonglo, qui eurent des enfants de femmes ne leur appartenant pas, ne revendiquèrent aucune puissance sur eux (1).
D'autre part certains personnages dahoméens, dignes de foi, ont infirmé considérablement dans notre esprit la théorie de ceux des princes qui prétendent à des droits de puissance sur les enfants nés de l'une quelconque de leurs unions « Le roi Ouëgbadja, nous ont-ils dit, a édicté une loi qui assure au pauvre comme au riche la propriété de ce qu'il a acquis lui-même. En conséquence les enfants adultérins des princes tombent sous la puissance non pas de la famille royale mais de la famille à laquelle appartient la mère des enfants ». L'exemple, cité plus haut, des rois Akaba, Agadja et Agonglo, ne serait donc qu'une application de la loi de leur prédécesseur Ouëgbadja.
Lorsqu'un mariage est contracté entre deux princes de (1 ) Ces enfants sont dans l'ordre des rois Ouêmêho. Adjogô, Avida.
branches différentes, les enfants qui en naissent appartiennent à la branche la plus jeune. Cette règle semble découler d'un principe qu'on verra exposé dans l'étude des successions et qui s'énonce « un aîné ne mange jamais dans la main de son cadet ».
Les princesses, précisément à cause de leur qualité de « djikpla », signalée plus haut, ne peuvent pas être données en mariage « hongbo » on adopte pour elles le régime « avonousi », avec des particularités non d'effets mais de détails dans les cérémonies de fiançailles et de mariage. Les unions entre frères et demi-sœurs sont autorisées dans la famille royale mais les princes évitent de ne pas épouser deux sœurs, sous prétexte que ce serait introduire la discorde dans leur harem.
Un trouve là une preuve que les liens du sang n'ont jamais suffi à constituer des empêchements de mariage chez les Dahoméens.
En outre, si la famille royale n'a pas suivi en cette matière les mêmes règles que le reste de la population, c'est sans doute parce que les princes, une fois leur situation prédominante bien établie, se sont peu soucié des alliances étrangères qui procurent de la main-d'œuvre. Ils ne cultivaient pas eux-mêmes la terre et se seraient cru déshonorés de la faire cultiver par leurs enfants. Tout au plus se livraient-ils au métier de tisserand, pendant que de nombreux esclaves, don généreux du roi, pourvoyaient à la mise en valeur de leurs champs et de leurs palmeraies. Quant aux princesses qu'ils épousaient, elles préféraient aux travaux domestiques les longues stations au palais et aux fêtes commémoratives des ancêtres. Elles s'y paraient
superbement et c'était pour leur époux un moyen d'afficher sa richesse et de flatter son orgueil facile.
Avec l'occupation française la condition sociale des princes s'est trouvée considérablement amoindrie, par suite du départ de leurs esclaves et de la disparition de leur soutien royal. Néanmoins des unions entre frères et demi-sœurs se contractent encore. Il faut en chercher la raison, croyonsnous, dans une cause diamétralement opposée à celle qui les avait fait naître. Beaucoup de jeunes princes sont pauvres et peu économes, sinon trop paresseux, pour pouvoir amasser l'argent nécessaire à la constitution d'une dot. Une union libre avec une de leurs sœurs ne leur coûte rien et ne les expose à aucune des poursuites judiciaires qu'ils ne peuvent généralement pas éviter, quand ils enlèvent une jeune fille d'une famille étrangère.
Nous avons déjà décrit le « mariage du pagne » (auonou.sidida), qui donne la puissance sur les enfants à la famille maternelle. C'est celui adopté pour les princesses avec quelques variantes dans la cérémonie des fiançailles et dans celle du mariage. Certaines de ces variantes sont particulièrement remarquables dans la région de Houa-houè habitée presqu'exclusivement par des descendants de Dako, le premier roi dahoméen. Le régime « du pagne » y prend le nom de régime du « sac attaché » (adopo gblagbla), parce qu'une de ses cérémonies essentielles consiste dans l'offrande aux parents de la fiancée de sacs renfermant 2(5.000 cauris (6 fr. 50).
Ecoutons un indigène narrer les démarches qu'il dut entreprendre pour épouser une descendante de Dako, au temps où Béhanzin régnait encore
« J'avais demandé à un de mes amis sa fille en mariage. Il m'avait répondu qu'il n'appartenait point à lui seul de me donner satisfaction, parce que sa fille dépendait de Dako. (Ainsi s'appelle toujours celui qui commande la branche descendant du roi Dako).
« Mon ami me conduisit donc chez Dako, me présenta et transmit ma demande. Dako l'agréa. Je lui offris aussitôt une charge de grains et du taiia, dont il versa quelques gouttes sur le sol pour ses ancêtres.
« De retour chez moi, il ne me restait plus qu'à trouver, le plus vite possible, l'argent nécessaire à l'achat d'étoffes pour ma fiancée et aux fêtes du mariage.
« J'achetai vingt pagnes du pays et dix pièces d'étoffes tels qu'en vendaient les blancs de Ouidah. Je les mis dans une corbeille en jonc et les envoyai à ma fiancée. J'offris aussi des animaux pour ses fétiches ainsi que du tabac et du sel pour ses parents.
« Au jour fixé pour le mariage mes amis et mes parents s'en furent chercher ma fiancée et l'amenèrent chez moi. Il n'y eut ni tam-tam ni coups de fusils à ma noce, car ma fiancée n'était que la descendante lointaine d'un roi, et je me bornai à offrir à mes invités des mets de toutes sortes. « Dès le lendemain Dako m'envoya prévenir qu'il attendait « le sac attaché » [adopo-gblagbla). Je le lui envoyai par deux porteurs. »
Le « sac attaché renferme, comme nous l'avons déjà dit, 6 k 50 en cauris. Ces 6 fr. 50 étaient autrefois partagés ainsi un franc pour le père de la mariée et le reste pour le roi.
Chaque année le mari d'une fille des Houa-houè devait
verser le « sac attaché » qui se montait, les deux premières années, à fi fr. 50 perçus intégralement par le palais et, dans la suite, à 2 fr. 50 seulement, également payés au roi. Le régime du « sac attaché » est encore usité par les gens des villages de Ouèniêho, où habitent des descendants d'un fils adultérin du roi Akaba. Ces individus ne font pas partie de la famille royale, car le roi Akaba ne voulut point abuser de sa force pour revendiquer des droits de puissance sur son enfant. Ils ont été néanmoins autorisés à adopter certaines coutumes des princes.
Le mariage des femmes de sang royal était célébré avec un cérémonial tout particulier.
Le roi lui-même présidait aux fiançailles de ses filles. Entouré de ses « chefs de cour » il apparaissait à tout son peuple massé sur la grande place du « Palais ». A sa droite et à sa gauche se tenaient Migan et Méhou, ses deux premiers ministres. Des serviteurs le précédaient les uns portaient les pipes, le crachoir, les chasse-mouches les autres abritaient sa Majesté d'ombrelles et d'un immense parasol.
Le peuple se prosternait dans une attitude de soumission absolue et s'écriait « Nous nous couvrons de poussière en ta présence, ô roi des perles (1) ».
Le roi s'asseyait sur un siège en bois sculpté. Il appelait ensuite sa fille, lui faisait remettre un verre de liqueur et désignait le fiancé qu'il avait choisi pour elle. La jeune princesse, à genoux, recevait le verre de la main gauche et (1) « Mi dé ko nou ouè, djè-'hosou ». Ce nom de « roi des perles » vient de ce que le roi seul pouvait porter certaines perles.
le couvrait de la droite, puis, courbée dans une pose gracieuse de respect, elle allait vers son fiancé. Après s'être agenouillée elle lui offrait le verre de liqueur qu'il buvait d'un trait, pendant que tous les assistants criaient et frappaient rapidement des mains leurs bouches ouvertes. Dès le lendemain de cet heureux jour, le fiancé se procurait des liqueurs et les envoyait au palais. Elles étaient versées sur le sol, devant les tombeaux des rois. Il envoyait aussi des étoffes. Le roi les recevait et les faisait remettre à la fiancée.
La durée des fiançailles variait suivant la fortune du futur. Il lui fallait, en effet, le temps d'amasser de l'argent' car les fêtes d'un mariage princier occasionnaient bien des dépenses.
J'ai gardé d'une de ces fêtes un souvenir charmant. C'était le soir dans l'ancienne demeure des rois du Dahomey dont les ruines profilaient leur rectitude au clair de lune. De tous côtés surgissaient des ombres humaines leur silence ajoutait encore à la mélancolie des lieux. Le marié, Mèvo, était un chef de la ville d'Ahomey aussi avait-il convié tous ses pairs.
A mon arrivée, ceux-ci s'avancèrent pour me saluer. Ils avaient le pagne noué autour de la ceinture et le torse nu en signe de respect.
Nous fûmes bientôt rejoints par le marié. Il était drapé dans un pagne blanc. Des gens de sa suite portaient quelques calebasses qu'il fit déposer à mes pieds « Résident, dit-il, tu es notre chef, daigne accepter ces liqueurs et offre-les à mes frères et à mes amis. Ils ne les goûteront que si tu les y autorise ». Les liqueurs sont versées chaque invité me
présente son verre en me disant « Voici de l'eau » « Si a diè » A chacun je réponds « bois » « bâ nou ». Ainsi le veut la coutume.
Tous les princes s'alignent par rang d'àge et forment une double haie en avant d'une des grandes portes du palais derrière eux se groupent les simples assistants.
La mariée sort de la demeure de ses pères. Elle est vêtue d'un long pagne blanc, laissant les bras libres et attaché au-dessus des seins par une écharpe blanche ses épaules sont couvertes ifatikè, poudre blanche dont le parfum rappelle l'encens un collier de perles cercle son cou des anneaux d'argent, d'où pendent de minuscules clochettes, se heurtent en bruissant sur ses poignets et ses chevilles. Elle porte pour coiffure un long cône d'étoffe blanche. On étend un pagne blanc à terre elle s'y agenouille et se soutient des mains posées un peu en avant du corps. Elle incline la tête et baisse les yeux.
A ses côtés deux femmes s'agenouillent, à droite une représentante de la mère du roi Glélé, à gauche la fille ainée du même roi ( I ).
Le Méhou (2), maître des cérémonies, appelle par trois fois le marié. Celui-ci pénètre dans l'allée formée par ses invités. Il se couche à terre, se couvre de poussière. Il se relève, fait quelques pas, se courbe et s'humilie encore. (1) A remarquer que toute la cérémonie se passe comme si le roi régnant était (ilélé, père de Béhanzin. Depuis la conquête française, il en est ainsi pour toutes les fêtes du palais.
La fille ainée du roi était toujours donnée en mariage au Migan, le premier ministre.
(2) 11 est plus exact de dire « le représentant du Méhou », car le dernier titulaire de cette dignité n'a pas eu de successeur.
Puis il s'étend sur le ventre et, s'aidant des avant-bras et des genoux, il rampe jusqu'à quelques mètres de sa fiancée.
« Que veux-tu? lui demande le Méhou ». « Je veux emmener comme épouse une fille de nos rois ». « La voici approche. »
Le fiancé rampe de nouveau.
– w Mèvo, reprend le Méhou, nous sommes heureux de ce qui arrive. Tu étais l'ami de Béhanzin ton père était l'ami de Glèlè; tu es petit-fils de Ghèzo. Nous sommes heureux que tu épouses une fille de nos rois. »
« Soyez assurés, répond Mèvo, que votre fille aura la vie facile dans ma case. Rien de ce qu'une princesse doit avoir ne lui manquera. Personne autre que moi ne la commandera. Si elle fait mal, moi seul le lui reprocherai. » Ici Mèvo est interrompu par la Mèhounon, vieille femme qui a autorité sur les princesses « Si ton épouse agit mal, ditelle, il t'appartiendra vraiment de la corriger cependant ne la frappe pas trop fort. » « J'ai entendu, je suivrai tes conseils. Une lui arrivera rien de mal chez moi. En souvenir de son père je l'appellerai « Tokênhà » (qui compte les cailloux de la rivière), parce que « Béhanzin, à l'œil de poisson, compte les cailloux de la rivière » (I ).
Les discours sont finis Mèvo rampe tout proche et en face de sa fiancée.
La représentante de la mère du roi, prend une calebasse remplie d'eau, en verse une partie du contenu sur le sol pour les ancêtres et la présente à la fiancée puis à Mèvo. (lj ffGbèhanziii, ouê noukoun, ouê mon to kën lia». Allusion, sans doute, à un nom de poisson que portait Béhanzin.
L'un et l'autre y trempent leurs lèvres. Après la même cérémonie avec un verre de liqueur, la mariée se lève et se met en marche, accompagnée de ses deux acolytes et d'autres femmes en grand nombre, ses sœurs, ses parentes, ses amies. Mèvo la précède, il fait dégager le chemin.
Le cortège débouche sur la place du palais. Aussitôt des fusils et une antique caronnade annoncent le nouvel hymen. Les tam-tams grondent, on pousse des cris de joie, tandis que déjeunes garçons rythment leurs chants avec les asan (1). « La princesse fille de panthère (2) marche lentement. Allons partons La princesse fille de panthère marche lentement. Allons partons Elle marche lentement, gracieusement comme la panthère dans la forêt. Allons partons Le caméléon (3) monte le long du fromager et aussi marche lentement, allons partons »
Et en effet, souple et gracieuse, la mariée marche posément, soutenue par ses compagnes.
De temps à autre elle appelle son mari « Mon mari, recommande-t-elle, fais jeter des cauris pour celles qui m'accompagnent elles sont fatiguées. » Mèvo alors puise à pleines mains dans des sacs à sa portée et lance à la volée des cauris, sur lesquels les gamins se précipitent. Le cortège s'éloigne longtemps encore j'entends dans la nuit ses cris aigus et le bruit sourd de ses tam-tams (4). (1) Instrument de musique composé d'une gourde à long col, à demiremplie de petits cailloux qui frappent ses parois en cadence. (2) Allusion au totem de la famille royale.
(3) Allusion au nom d'un des rois « Akaba » le caméléon. (4) On nous a raconte qu'à quelques pas de chez lui le marié devait prendre la jeune princesse sur son dos et la porter ainsi jusque dans la première cour intérieure de sa demeure.
Au temps des splendeurs de la famille royale, le roi ne laissait pas partir ses filles sans cadeaux. Il leur donnait 10, 20, 30 esclaves qui accompagnaient le cortège nuptial et portaient des étoffes, des bijoux, un balai en branches de palmier, une pierre à piler le maïs, un coq et une poule. Les l'êtes à la maison du marié duraient trois jours, pendant lesquels danses et chants, grands festins et beuveries divertissaient les invités.
Le troisième jour, après avoir congédié les gens de la noce, le marié faisait tuer un porc ou un mouton et ses femmes préparaient du boudin, que la mariée portait elle-même au palais. Ce présent était accepté du roi qui invitait sa fille à passer trois jours dans la partie de sa demeure réservée aux Kpodjito (mères des rois).
De retour chez son mari, la mariée demandait l'autorisation de se rendre au marché, acheter les ingrédients nécessaires au premier mets qu'elle devait préparer sous le toit conjugal. Elle achetait aussi un petit paquet de brosses à dents du pays et allait elle-même l'offrir à son père. C'était seulement alors qu'elle partageait la couche de son époux.
Son pagne blanc était envoyé le lendemain au roi. S'il était maculé de sang, tout était pour le mieux. Le contraire engendrait la colère du roi, qui reprenait tous ses cadeaux pagnes, bracelets, esclaves étaient renvoyés au palais et le séducteur de la princesse était emprisonné puis incorporé dans l'armée dahoméenne.
Quel que soit le régime adopté pour le mariage, on convient souvent d'un échange de filles entre familles. « Donne-
moi pour que je te donne », dit-on alors. « Na mima na oué ». C'est le « do ut des » des Romains.
Les échanges ne réussissent guère, surtout depuis notre occupation. De plus en plus, les femmes veulent être traitées non pas comme des objets, mais comme des êtres pensants, et elles arrivent peu à peu à exiger qu'on prenne leur avis avant de les donner en mariage.
Pour terminer cette étude sur les unions dahoméennes, signalons un régime dont les effets étaient mixtes, c'est-àdire, qui donnait la puissance sur les garçons à la famille du père et sur les filles au maître de la mère, en l'espèce le roi.
Celui-ci possédait, disséminées dans son palais, au service de ses femmes ou de ses parentes privilégiées, une grande quantité de jeunes filles, qu'on appelait les « gandoba ». Il les donnait en mariage à ses chefs, à ses serviteurs leurs filles devenaient à leur tour des « gandoba ».
Il est bien évident que les premières « gandoba » furent des esclaves. Mais leurs enfants, nés sur le sol du Dahomey, devinrent de vrais Dahoméens dès la première génération. Les garçons eurent, parait-il (1), dans leur famille paternelle, exactement les mêmes droits que leurs demi-frères nés d'une mère de sang dahoméen Seules les filles, en devenant les gandoba des rois, tombèrent sous une puissance étrangère à leur sang. Elles furent donc placées dans une condition tout à fait inférieure mais, par (1) Nous écrivons, « parait-il », parce que nous n'avons pas pu vérifier sûrement le fait.
des arguments spécieux, on ne les considéra jamais comme des esclaves.
Comme chez tous les peuples de nos colonies d'Afrique la polygamie existe chez les Dahoméens. Les coutumes locales permettent aux gens de posséder autant de femmes qu'ils peuvent payer de dots mais généralement chaque homme n'a pas plus de trois femmes. Les chefs seuls et quelques princes ou dignitaires sont assez riches pour se procurer le luxe d'un harem. Béhanzin avait plus de 300 femmes nous avons rencontré, lors des recensements, des chefs de territoires ou de famille avec 15 ou 20 épouses.
La polygamie est nécessaire dans ces régions où la richesse consiste en beaucoup de femmes et d'enfants. Il ne faut pas oublier, en effet, que le peuple dahoméen, essentiellement agricole, a besoin d'autant plus de bras que son outillage est excessivement réduit et rudimentaire et que le peu de durée des époques propices aux labours et aux semailles exige un gros effort.
De plus, une règle d'hygiène, à laquelle les Dahoméens tiennent beaucoup, défend au mari d'avoir des relations avec sa femme, lorsque celle-ci est enceinte ou allaite un enfant. Or ici une mère est dans l'obligation de ne sevrer ses enfants qu'au bout de trois ans, parce que l'allaitement artificiel fait totalement défaut et que, sous un climat très débilitant, les aliments indigènes ne sont pas assez nutritifs pour les premiers âges. Le temps pendant lequel un homme ne peut avoir de relations avec sa femme est donc porté ainsi à quatre ans environ. Dans ces conditions la polyga-
mie devient presque une loi de la nature, surtout chez un peuple où la maternité est le seul grand objectif. La bonne intelligence règne généralement dans ces ménages à plusieurs le mari traite toutes ses épouses de la même façon, de sorte que la jalousie ne pénètre que rarement dans le cœur des femmes au Dahomey. Il arrive bien quelquefois que, particulièrement séduit par l'une de ses femmes, le mari lui accorde certaines privautés mais soit veulerie, soit crainte des colères du maitre, les autres ne laissent point paraître de mécontentement tout au plus s'adressent-elles au sorcier pour obtenir des philtres capables de leur rendre les faveurs (1).
Autant de familles autant de règles dans les rapports entre époux. Toutefois une coutume presque générale exige que les femmes partagent à tour de rôle pendant une semaine la natte du mari, lui préparent ses repas, lui apportent l'eau, veillent à l'exécution de ses désirs.
Etant donnés les profits qu'ils retirent du travail des femmes et aussi l'influence que procurent des alliances avantageuses, on conçoit aisément combien les Dahoméens tiennent à leurs épouses. Autrefois ils n'avaient guère à défendre leurs droits sur elles. Aujourd'hui, au contaire, les palabres de la Résidence d'Abomcy règlent pour la plupart des difficultés conjugales. Si l'on peut douter, en effet, que l'influence française ait déjà réussi à faire considérer le mariage autrement que comme un trafic et à permettre aux jeunes négresses de donner leur avis sur le choix du futur (1) On rencontre des femmes qui s'entremettent pourtrouverdesamies à leur mari, pourvoir à ta dot d'une jeune fille qu'il désire épouser et, autrefois, lui acheter des esclaves.
époux, il est incontestable, par contre, que femmes et hommes ont vite compris tout le parti qu'ils peuvent tirer de notre ignorance de leurs coutumes et de notre raisonnement de monogames, pour nous lancer dans des imbroglios matrimoniaux qu'ils compliquent à plaisir.
Beaucoup de voyageurs ont attribué à la polygamie une grande partie des maux qui dépeuplent et désolent l'Afrique les Pères des missions surtout ont voulu y voir un état de choses éminemment favorable au déchaînement de toutes les convoitises et à l'entière corruption des mœurs. A notre avis, il ne faut point rendre la polygamie responsable des misères sociales en Afrique, car elle n'est nullement une cause mais bien plutôt un résultat de la civilisation, dont elle marque une des périodes d'évolution. Qu'on lise n'importe quelle étude sur les débuts de l'humanité et on y verra les unions de l'homme et de la femme varier avec les temps, subir l'influence des milieux et des besoins des races.
Nous avons déjà montré comment au Dahomey la polygamie est devenue une loi de la nature, les rapports entre époux cessant durant plusieurs années après la naissance d'un enfant; comment elle est nécessaire chez un peuple qu'un climat débilitant et le manque d'outillage obligent à posséder beaucoup de femmes et d'enfants. Ce sont autant de causes, contre lesquelles seront impuissants règlements administratifs, propagande morale et religieuse, mais qui disparaitront, peut-être, à mesure de la transformation de l'hygiène, de l'outillage et de l'économie du pays.
CHAPITRE IX
MATERNITÉ. ENFANCE. – ADOLESCENCE
CÉRÉMONIES POUR LES JUMEAUX. IMPOSITIONS DES NOMS Nous nous souvenons avoir lu dans les récits d'un officier que l'attachement des mères dahoméennes pour leurs enfants ne dépasse guère celui des animaux pour leurs petits. Cette appréciation, vraie peut-être au moment où elle a été écrite, ne semble plus exacte. L'amour maternel existe aussi bien chez la femme noire que chez l'européenne mais ses manifestations ne revêtent point cette tendresse, cette délicate sollicitude que nous sommes habitués à rencontrer autour de nos berceaux.
Une mère, à Abomey, ne se sépare pas de son enfant avant qu'il ait atteint deux ou trois ans elle l'allaite jusqu'à cet âge et le soigne aussi délicatement que le lui permettent ses ressources. Tant qu'il ne peut marcher, elle le porte sur son dos, solidement amarré par un pagne et par une écharpe qu'elle noue au-dessus des seins. Et ce petit paquet de chair vivante ne la gêne en rien pour vaquer à ses occupations elle parcourt avec lui de longs chemins. Rien de curieux comme un défilé de mères se rendant au marché. Elles
vont par bandes, marchant à la suite l'une de l'autre à cause de l'exiguité des sentiers, un échafaudage de calebasses sur la tête, le négrillon sur le dos, quelquefois la pipe à la bouche, toujours jacassant et insensibles au soleil comme à la pluie.
Certes les petits noirs n'ont point la vie enveloppée d'ouate à peine peuvent-ils se traîner à quatre pattes, qu'on les laisse tout nus se vautrer dans la poussière et bien souvent nous avons tremblé en voyant des bambins, qu'en France on aurait encore tenus en lisière, s'approcher des puits, porter dans leurs mains inhabiles (les coupes-coupes ou d'autres instruments tranchants. Tranquille leur mère les regarde elle sait que l'instinct de la conservation développé à l'extrême chez eux suppléera à l'inexpérience. L'intérêt, que porte un père à ses enfants en bas âge, ne semble pas avoir d'autre mobile que la conservation de leur vie la moindre maladie qui les atteint l'inquiète mais c'est à peine s'il les regarde, quand ils sont bien portants. Il ne faut pas oublier, en effet, que l'enfant, au Dahomey, est un véritable capital pour toute une famille comme tel sa recherche devient un des grands pivots de la vie sociale.
Aussi les préoccupations d'un père à son sujet commencent-elles dès la grossesse de la femme. La puissance mystérieuse des fétiches (vôdoun) est invoquée et la future mère reçoit tous les soins que peut imaginer la rudesse dahoméenne.
Dans la cinquième lune de la grossesse, le mari olTre des sacrifices aux vôdoun protecteurs, pour obtenir une heureuse délivrance. Au cours de ces sacrifices, un féticheur attache
des cordelettes autour des reins et du bras gauche de la femme. Celles des reins remontent le long de l'épine dorsale pour encercler le cou, ou bien passent par dessus les épaules en se croisant sur le dos et sur la poitrine. Celles des bras tournent autour du poignet et se continuent sur le dessus de la main, pour former bague autour du médius. Les unes et les autres sont munies de cauris (1) et d'emblèmes talismaniques, tels que morceaux de peaux ou d'écorces, et devront être portées par la femme jusqu'aux premières douleurs d'enfantement.
« Fa », le Destin, est ensuite consulté sur le sort de la grossesse il indique les précautions à prendre, les actes et les aliments à éviter.
Tout ceci ne se passe jamais avant la cinquième lune pour une jeune épouse, parce que les Dahoméens estiment que c'est seulement à cette époque que le foetus est attaché. Toutefois pour une femme, qui a eu déjà plusieurs maternités heureuses, la cérémonie peut avoir lieu dès le troisième mois jamais le quatrième.
Pendant l'accouchement la patiente se tient à genoux sur le sol de sa case, sans aucune orientation spéciale, et, s'il survient quelque difficulté, les vieilles femmes qui font l'office de sages-femmes ne savent que s'en remettre à la protection des fétiches.
Aussitôt après sa naissance, l'enfant est couché non loin d'un bon feu sur des feuilles vertes ou sur une natte. Il reste ainsi délaissé et sans aucune toilette, tant que sa mère n'est pas délivrée. C'est que, dans l'esprit des Dahoméens, (1) Les cauris sont des petits coquillages blancs, univalves, qui servent de monnaie. Actuellement 40 cauris valent un centime.
le placenta (nouzizan) et l'enfant formant un tout, rien qu'on ne puisse faire pour l'un ne doit être entrepris pour l'autre. C'est aussi que le placenta « tue » les femmes en couches et qu'il réclame, par suite, toutes les attentions ainsi que des prières.
Parfois, pour aider la délivrance, l'accoucheuse humecte ses doigts de nicotine et exerce une traction sur le placenta. Celui-ci est enfin évacué. On le jette dans un trou creusé derrière une palissade de la cour et au-dessus duquel l'accouchée se livre à des ablutions intimes. Alors seulement est faite la toilette de l'enfant.
D'abondants lavages avec des décoctions de plantes constituent les premiers soins donnés à la mère, qui est ensuite assise devant un feu fumant, les jambes écartées et le dos appuyé. Pendant trois mois elle se sert exclusivement d'eau chaude pour ses bains et veille tout particulièrement à la propreté de ses pagnes.
Elle s'abstient de rapports sexuels tout le temps qu'elle allaite, c'est-à-dire deux ans, trois ans parfois, et, avant de partager à nouveau la couche de son époux, elle offre aux vôdoun les sacrifices que le Dieu du Destin (Fa) lui désigne. Aucun homme n'assiste à l'accouchement. Le mari luimême se tient à l'écart ses amis l'entourent, le rassurent et invoquent avec lui les fétiches. Il ne manque pas d'envoyer à l'accouchée du bois, de l'huile, du maïs et du savon. Avec le bois on entretiendra du feu, jour et nuit pendant trois mois, car il faut éviter le moindre froid aux nouveaux-nés. L'huile alimentera une lampe, afin qu'à tout instant la mère puisse donner facilement ses soins à l'enfant. Le mais rappelle que l'accouchée a besoin davantage de nourriture que
les autres personnes de la maison. Enfin le savon servira aux soins de propreté de la mère et de l'enfant.
On panse le nombril des nouveaux-nés généralement avec une mixture d'huile dc palme et de cendres d'épis de maïs. Lorsque le cordon tombe, il est enterré au pied d'un palmier et la mère se fait raser la tête.
Chaque Dahoméen a ainsi son « palmier du nombril » son « hondè », non loin de la case natale et il le vénère en cachette, car il redoute pour cet arbre toute mutilation intentionnelle qui attirerait infailliblement sur sa propre personne les pires malheurs. Le choix du palmier pour l'accomplissement de cette coutume n'a, parait-il, aucun caractère religieux. Il faudrait y voir un simple symbole, le palmier étant l'arbre qui produit le plus de richesses au Dahoméen.
Lecteurs ne raillez pas la naïveté dahoméenne N'avezvous jamais entendu raconter qu'en certains coins de France, afin d'obtenir un joli teint pour une fillette, on enterre son cordon ombilical au pied d'un rosier de Bengale? Quand l'enfant a atteint trois moins environ, on lui attache une cordelette au cou et une autre aux reins, après quoi, sauf l'imposition des noms, sur laquelle nous nous étendrons longuement, il n'est plus l'objet d'aucune cérémonie jusqu'à ce qu'il ait atteint sept ou huit ans, âge auquel on lui fait les tatouages familiaux.
Adolescence
Les premières manifestations de la puberté chez une jeune fille constituent un incident remarquable dans la famille.
Son père offre immédiatement des sacrifices aux vddoun et interroge Fa, le Destin, pour savoir si l'événement s'est produit normalement. Ses parents et amis viennent prendre de ses nouvelles et lui apportent des cadeaux mais elle ne reçoit auprès d'elle que les personnes du sexe féminin. Les hommes, ne pouvant pas approcher une femme indisposée, paraissent sur le seuil de sa porte ou se contentent de lui envoyer des messagers.
La jeune fille ne doit pas quitter la chambre avant le cinquième ou septième jour. En l'espèce, seule la qualité de nombre impair fait loi, car les Dahoméens lui prêtent une heureuse influence. C'est d'ailleurs le même principe qui préside aux relations d'une femme mariée avec son mari, après ses indispositions périodiques.
Le temps de réclusion écoulé, le père donne à sa fille un pagne blanc et une natte neuve, puis il l'envoie au marché ainsi que chez les gens dont elle a reçu des politesses.
Ce n'est pas la seule circonstance où cette visite au marché s'impose. Elle est faite par les féticheurs qui sortent de leur collège pour la première fois, par une princesse nouvellement mariée, par des jumeaux, etc. Nous avons vainement cherché un caractère religieux à pareil usage. D'après les explications les plus plausibles que nous ayons eues, la visite au marché serait une simple parade. Ceux qui l'accomplissent revêtent certains ornements et sont accompagnés d'une suite assez nombreuse afin d'attirer l'attention publique.
Circoncision. La circoncision n'est nullement pour les
Dahoméens un rite religieux. Néanmoins ceux qui la subissent se la voient généralement imposée après consultation de Fa, le Destin.
Le même Fa sera consulté, avant l'opération, sur les sacrifices ou règle de conduite à adopter pour empêcher le patient de mourir du tétanos.
Ce genre de mort pour un circoncis est tenu, en effet, pour une grande calamité, au point qu'on prive la victime de l'ensevelissement dans un linceul. Et malheureusement combien succombent à cette maladie D'aucuns même nous ont affirmé qu'elle pouvait encore survenir trois ans après l'opération. Aussi les Dahoméens redoutent-ils énormément la circoncision. Ils en sont arrivés à lui attribuer une influence psychique qu'elle ne peut avoir, lui imputant, par exemple, les fautes commises par un circoncis dans les trois années qui suivent l'opération. « C'est la circoncision qui lui vaut cela » disent-ils aussi couramment que nous « quel guignard. »
La circoncision peut se faire à tout âge, puisque, comme nous l'avons déjà remarqué, elle est demandée, la plupart du temps, par Fa pour guérir ou prévenir une maladie ou bien pour assurer l'enfantement. Toutefois elle ne se pratique généralement que sur des sujets de dix-huit ou vingt ans. L'opérateur est un spécialiste sans caractère religieux il garde ses clients dans sa demeure, jusqu'à complète guérison à ce moment il leur rase la tête, puis les renvoie chez eux où ils reçoivent de leurs pères des cadeaux et souvent une épouse.
Jumeaux. – Comme tout événement remarquable la nais-
sance de jumeaux a frappé l'esprit des Dahoméens, qui lui ont donné une explication fabuleuse.
La croyance populaire tire les jumeaux de zoun, brousse ou pays vagues, dans lesquels ils retournent après leur mort. Ces zoun sont au nombre de quatre on les appelle les Ouêkèzô et ils correspondent à nos points cardinaux Lisa, le Caméléon, est à l'Orient Mahou, Dieu, à l'Occident Hou, la mer, au Sud et Vovoiivoué au Nord. Chacun d'eux a son fourré épais, autour d'Abomey.
Si l'on veut préserver les jumeaux d'un mauvais sort, il convient, avant tout, de connaître de quel zoun ils sont issus. C'est encore Fa qui renseigne là-dessus les parents intéressés.
Fa ayant donc parlé, on conduit les jumeaux, quand ils peuvent marcher, au zoun indiqué où sont faits de modestes sacrifices et des offrandes de maïs, d'huile et d'entrailles de poulets on se rend ensuite processionnellement au marché. Les jumeaux sont vêtus d'un pagne neuf ils portent au cou un chapelet de cauris, aux poignets et aux chevilles des cercles de mêmes coquillages. Leur mère les précède, faisant tinter une clochette quelques femmes composent le cortège et de temps en temps crient des litanies. Au marché on étale une natte à terre pour permettre aux jumeaux de s'asseoir, tandis que les parents et amis défilent pour complimenter l'heureuse mère. Sages et graves les bambins se prêtent à toutes les cérémonies.
Quand le soleil atteint le zénith les jumeaux reprennent le chemin de leur demeure, et chacun, en les apercevant, sait que vient d'être « faite pour eux la cérémonie au marché ».
Des cérémonies analogues ont lieu pour les Âgosou, c'està-dire pour les enfants qui, à leur naissance, se sont présentés les pieds les premiers, et aussi pour les Ouënsou, enfants dont la tête a paru la première, la face regardant le ciel.
Les zoun demandent que les jumeaux soient traités toujours d'égale façon. Cette prescription est tellement bien observée que, si l'un des jumeaux vient à décéder en bas âge, sa mère porte, soit sur le dos soit entre les seins, une petite statuette qui le représente.
Au contraire de certaines peuplades, des gens de Cabolé par exemple, qui suppriment les jumeaux, les Dahoméens en font grand cas. Le roi avait coutume d'oârir cinq francs le maximum du cadeau royal (1) à la femme qui donnait le jour à trois enfants à la fois.
Noms
Un Dahoméen porte plusieurs noms qui ne lui ont pas été imposés en une seule fois et marquent, pour ainsi dire, les étapes de sa vie. Mais de l'imposition de certains de ces noms résulte obligatoirement l'abandon et l'oubli de ceux qui les ont précédés. D'autre part le changement de nom n'a pas toujours lieu dans un même village, ni au vu et au su de tout le monde. Aussi arrive-t-il fréquemment qu'un individu est encore connu sous un nom par quelques-uns, alors que depuis longtemps il s'appelle autrement. On conçoit toutes les difficultés qui résultent de cet usage pour l'administration fran(1) Personne autre que le roi ne pouvait donner cinq francs de cadeau, soit 20.000 cauris mais offrir cinq francs moins un centime ne constituait pas un manquement à sa Majesté.
çaise, quand il s'agit de recensements ou de recherches ordonnées par la justice.
On peut diviser les noms en cinq catégories, qui correspondent à des événements importants de la vie d'un individu
1° noms donnés aussitôt après la naissance
2° noms donnés après consultations du Fa (Destin); 3° noms donnés aux clercs-féticheurs au moment de leur sortie du collège
•4° Surnoms
5° Noms donnés par les rois à un chef et à leurs frères ou par un mari à son épouse.
Première catégorie
Les noms de cette première catégorie commémorent un incident marquant de l'accouchement ou dérivent de la situation des parents au point de vue fétichisme. Les incidents marquant de l'accouchement peuvent avoir trait à la façon dont se présente l'enfant, au lieu ou à l'époque de l'accouchement, au nombre des enfants déjà nés.
Les Dahoméens considèrent qu'un enfant se présente normalement lorsque la tête apparaît la première ils ne réservent donc aucun nom spécial pour la circonstance. L'enfant, qui se présente le cordon enroulé autour du cou, s'appellera à volonté Bôsou (h), Bôsi (f), Bôko (h), Bôkosi (t), Bôdjilènou (h),-Bôdjo (f) Bô désigne l'amulette qu'on porte généralement autour du cou.
Tosou (h), Tosi (f), seront les noms des enfants dont la mère aura rendu, avant l'accouchement, une quantité anor-
mate d'eau. On dit, en parlant de cette femme, « é dji to », elle accouche d'une source (dji = accoucher, to = source, rivière).
Ouousou(h),0uousi (f) désignent les enfants dont le corps, au moment de la naissance, était recouvert plus que normalement d'une matière blanchâtre, « une matière qui ressemble à la moustiquaire des blancs », nous disait un indigène. [Ouou = corps, quelquefois vêtement).
Si l'enfant se présente les pieds les premiers il s'appellera Agosou (h), Agosi (f). (Ago est une interjection qui sert à attirer l'attention et qu'on emploie surtout dans le sens de « Place »)
S'il se présente la tête la première, mais le ventre tourné vers le ciel, il s'appellera Ouënsou (h), Ouënsi (f). Noms rappelant l'époque ou le lieu de la naissance Du temps des rois dahoméens, lorsqu'un enfant naissait au cours d'une expédition, on l'appelait Aouandjinou (aouan = guerre; dji = naître nou = individu = individu né à la guerre). Depuis que les Dahoméens vivent continuellement en paix, certains, désireux de perpétuer le souvenir des batailles d'antan, donnent le nom d'Aouandjinou à leurs enfants qui naissent avant le petit jour, parce que c'était précisément à ce moment que les guerriers commençaient l'attaque.
Né à midi l'enfant s'appellera Houê-sou (h) Houêzoumê (f) (Houé = soleil) la nuit Zan-nou (h) (homme de la nuit), Zaiisi (f) sur une route ou en voyage Alihonou (h) Alihosi(f) (Aliho = route).
Noms qui dérivent du nombre des enfants
Pour des jumeaux on choisit, suivant leurs sexes, entre les noms de Zisou (h), Sagbo (h), Zihouè (f), Dolou (f). Dans le cas où ils se présenteraient par les pieds, on les appellerait Agosou (h) Agosa (h) Agosi (f), Agohouè (f).
L'enfant qui nait immédiatement après des jumeaux et de la même mère qu'eux se nommera toujours Dôsou (h), Dôsi (f); Dôsou signifierait fermer la série.
Si une femme mène une grossesse à ternie, après avoir eu plusieurs fausses couches, l'enfant s'appellera « Hounouanou », « Le fétiche fait l'individu ».
Si une femme réussit a élever un enfant, après en avoir eu plusieurs mort-nés ou décédés en très bas âge, elle l'appellera « Sognigbé », « Les autres sont mis de côté » (1). Si l'on a désiré longtemps avoir un enfant et qu'après des sacrifices réclamés par le fétiche on en obtienne un, il s'appelera « Houndonougbo », « Le fétiche prédit la vérité. » Si l'on a demandé au fétiche la naissance d'un garçon, celui-ci s'appellera « Ilouii-Kpatin» » Le fétiche lait la palissade » (La coutume veut qu'on organise une demeure pour le garçon aîné. Dans ce cas des palissades délimitent provisoirement le terrain à bâtir).
Noms dérivant de la situation religieuse des parents Suivant les fétiches qu'ils servent, les prêtres, à quelque catégorie qu'ils appartiennent, donnent des noms spéciaux à leurs enfants. Citons comme exemple
Les féticheurs du tonnerre, qui nomment les leurs Sôsou, Sôsa, Sôgnon (h) Sôsi, Sôsihouè, Sôké (f) (Sô = tonnerre). (4) L'expression so gni ybé signifie exactement jette à l'écart.
Les féticheurs d'Agasou Houn-yo (h) Houn-djo (f) (Houn = vôdoun = fétiche yo = nouveau-né; djo = protéger à la naissance).
Les féticheurs de Lensouhouè Hounsou, Hounsa (h) Hounsi, Hounsihouè (f).
Les féticheurs de Loko Lokosou, Lokosi.
Les féticheurs de Mahou et Lisa Asogba, Amadji (h) Djèvou, Agbalè (f).
Pour connaître la situation religieuse d'un Dahoméen il ne suffit pas de savoir s'il est féticheur ou s'il ne l'est pas on doit encore considérer s'il s'est fait révéler le symbole de son « Fa ». Tous les hommes se décident, tôt ou tard, à cet acte et c'est, présumons-nous, le plus important qu'ils puissent accomplir, car il confère à l'individu la plénitude de sa personnalité et marque une nouvelle phase de la vie. Aussi rien d'étonnant que les Dahoméens aient cherché à en consacrer le souvenir jusque dans leur progéniture, en donnant aux enfants, qui leur naissent après l'accomplissement de cet acte, des noms caractéristiques qu'on appelle Favi gnifeo, « noms des enfants de Fa » et qui sont, par ordre de date de naissance pour les garçons, Amousou, Kapo, Motcho, Boko, Dan-ouën pour les filles, Alouba, Kidan, Aloubahouè, Fakamè.
2" Catégorie. Noms donnés pour honore?' le protecteur de l'enfant, désigné par un oracle de Fa
Les Dahoméens croient que les ancêtres décédés et les vôdoun protègent les vivants (djo = protéger), mais qu'en retour ceux-ci leur doivent une dévotion toute spéciale. Dès lors il y a la plus grande utilité à connaitre le protecteur de
chacun. C'est Fa qui renseigne la-dessus le père de l'intéressé, au cours d'une consultation faite par un sorcier (Bokonon), dans un temps assez rapproché de la naissance. Les génies protecteurs ont toujours le sexe des protégés. En outre, s'ils ne sont pas des grands « vôdoun », leur action tutélaire ne peut s'étendre qu'à des parents qui prennent alors leurs noms.
Si le protecteur est un « vôdoun », le protégé sera, presque toujours, voué à son service. En tous les cas il prendra un des noms caractéristiques que nous avons déjà vu donner à leurs enfants par les prêtres des différents fétiches.
3° Catégorie. Noms donnés aux clercs féticheurs au moment de leur sortie des collèges
On ne devient vôdounsi, clerc-féticheur, qu'après un séjour plus ou moins long dans un collège appartenant au culte du « Vôdoun » au service duquel on désire se vouer. An moment de la sortie de ce collège, le nouvel initié reçoit un nom du féticlienr qui a présidé à son éducation religieuse. Les noms ainsi imposés varient avec les fétiches et se donnent indifféremment aux deux sexes. En voici quelquesuns
Pour le tonnerre Houèdanou, Kentohidè, Hèsou, Hè-i Adënsi, Sôgbosi, Badèsi, Akrombési, Ajakatasi. Houèdanou signifie « individu de Houèda ou Péda ». Houèda est le lieu d'origine non pas du tonnerre, mais de plusieurs vôdoun compris dans son chœur.
Dans « Sûghosi », « Badési, » « Akrombési », « Adjakatasi » on reconnaît aisément les noms de la famille des Sô, telle
que nous l'avons déjà décrite (page 114). Le suffixe si n'a plus la signification de « femme » comme dans d'autres noms où il sert à distinguer le sexe par opposition à Ason « mâle »; il exprime l'idée de dépendance de l'individu vis-à-vis du fétiche.
Les féticheurs de « la variole » imposent à leurs nouvelles recrues les noms de Azondémè, Azon-naliën, Azoni-ho, Todégô, Tolosou, Azan'tonouê, Zôhadè, Gandémè. Les jeunes féticheurs de Mahou, Lisa et Gou s'appellent tous Anagonou, car ces fétiches sont d'origine nagote on leur donne encore les noms de: Anagonou Foholi, Adjadja, Goutehékon.
4e catégorie Surnoms
Les surnoms dérivent d'une particularité physique ou morale des individus, quelquefois d'une profession, et nombre d'entre eux sont marqués au coin du bon sens. On peut juger du genre par ceux qui sont donnés aux Européens. Yovo grigri, le blanc, court yovo gaga, le blanc long yovo alan-non, le blanc barbu yovo adogônon, le blanc ventru yoi o aouignan, le blanc caillou, le blanc sévère yovo akoutè, le blanc grincheux (akoutè = lime) ahosou boue, le roi tranquille yovo aouig nangbato le blanc casseur de caillou, le géologue yovo amaddmada, le blanc chercheur de feuilles, le botaniste.
5e catégorie
Les rois donnaient à leurs serviteurs, à leurs chefs ou à leurs frères des noms qu'ils tiraient généralement d allégories. Ainsi Béhanzin, voulant montrer à tous que l'affection
particulière qu'il avait vouée à l'un de ses frères serait des plus durables, l'avait appelé « Nonfon», dernier mot de la sentence suivante « Togbé ma bou dû Nonfon », qui signifie littéralement « La voix de la mer ne se perd pas au réveil ».
Le même Nonfon ayant épousé une petite fille du roi Glélé, lui chercha, suivant la coutume, un nom nouveau il l'appela « Kouètimè » « sifflet », en souvenir précisément d'une allégorie prononcée par Glélé lui-même. Ce fut pour lui l'occasion de montrer la mesure de son imagination avec le nom de sa femme et le sien, répété en entier tel que l'avait prononcé Béhanzin, il arriva à traduire sa foi en la perpétuité de la famille royale du Dahomey « Le souffle du roi Glélé a trouvé un sifflet, il ne se perdra donc pas plus que le bruit de la mer».
CHAPITRE X
PROPRIÉTÉ
Sous le régime de la monarchie dahoméenne, le droit de propriété mobilière et immobilière n'existait, dans toute sa plénitude, que pour le roi. Tout ce qui nait ou se conserve sur le sol du Dahomey appartenait au roi, parce que le sol était la propriété du roi qui l'avait conquis ou en avait acheté les dieux protecteurs (1). Les individus eux-mêmes étaient, à ce compte, la chose du monarque, au même titre que tout ce qui les entourait ils ne pouvaient donc rien posséder puisque leur existence même ne leur appartenait pas, du fait qu'ils la devaient au sol du roi. Et si, dans le langage courant, ils disaient « mon champ, ma palmeraie, mes femmes, mon pagne », cela n'impliquait l'idée de possession qu'aux regards de leurs semblables. Le droit d'exploitation des terrains qu'ils cultivaient habituellement et le droit d'usage des objets nécessaires à la vie journalière n'existaient pas aux yeux du roi.
La propriété du sol par voie de conquête était incontesta(1) Le roi était aï-non, ce qui signifie littéralement « propriétaire du sol » (non – celui qui possède, aï = terre).
ble mais tous les territoires dahoméens n'ont pas été acquis suivant ce seul mode. Beaucoup sont le fruit d'alliances, que la ruse et le manque de bonne foi firent toujours dégénérer en sujétion absolue. Comment, dans ce cas, légitimer la possession du sol par le monarque ? Il y a deux moyens de prendre une chose à quelqu'un, la force et l'achat. Les rois achetèrent donc les territoires qu'ils n'avaient pas conquis et ils les achetèrent avec leurs dieux protecteurs, car ceux-ci associent intimement leur existence à tout ce qui constitue un pays. Cette pratique de l'achat des dieux du sol fut même étendue aux territoires des tribus que les Dahoméens absorbèrent par la force, dans le but principal, croyons-nous, de fléchir le courroux d'une puissance occulte à laquelle on pouvait avoir porté préjudice en détruisant soit un pays, où des honneurs lui étaient rendus, soit une famille qu elle protégeait.
Le droit de propriété résultant de l'achat des fétiches du sol semble avoir été tenu pour aussi important que celui qui découlait de la conquête. C'est ainsi que pour désigner l'avènement d'un roi on disait « Il a acheté le Dahomey o. Béhanzin,par exemple, partagea tiOO francs entre les représentauts des divers rois autochtones soumis à son autorité. Et encore de nos jours lorsque les chefs dahoméens viennent demander conseil ou aide au résident d'Abomey, ils commencent fréquemment leurs discours par ces mots « Puisque la France a acheté le Dahomey. ».
« La France a acheté le Dahomey. » expression sans doute moins pénible à leur orgueil guerrier que celle employée par leurs anciens ennemis les gens de Ouidah et de Porto-Novo « La France a cassé le Dahomey ». Expres-
sion qui montre aussi que, dans l'esprit des noirs d'Abomey, le gouvernement français a pris la place des anciens rois comme propriétaire de leur royaume.
Nous ne parlons pas à dessein des droits de souveraineté du roi sur son peuple et son pays. C'est que la souveraineté, telle que la conçoit le droit européen, n'existait pas. Elle ne provenait point d'une délégation divine ou humaine; elle était la conséquence des droits de propriété du roi. Celui-ci légiférait, limitait ses propres pouvoirs, déclarait la guerre, levait des soldats, percevait des redevances, parce qu'il était le maître. A son peuple pouvaient s'appliquer les dénominations de « bétail humain », « troupeau du roi ». Il faisait de lui ce qu'il voulait il le transportait loin d'Abomey pour créer de nouveaux villages il lui faisait planter des palmeraies, entreprendre de nouvelles cultures. Et quand une famille, par son rude labeur, avait mis en valeur un coin de terrain, il pouvait la remplacer par une autre famille qu'il désirait avantager, agissant en cela comme le cultivateur qui change ses chevaux de pâturage. Il était le propriétaire, comme tel il avait ïusus et l'abrcsz~s son bon sens et son intérêt seuls limitaient ses actes envers le pays et ses habitants.
C'est sans doute dans cette dernière idée qu'il faut rechercher la raison pour laquelle la qualité de « Danhomènou » « Chose du Danhomé » rendait les gens et le sol inaliénables.
Les rois, eu s'interdisant a eux-mêmes de vendre un seul de leurs sujets, n'obéissaient pas à quelque vague sentintent paternel (leur famille ne formait que le noyau du Dahomey; ils cherchaient uniquement à augmenter leurs
revenus, partant leur puissance. Il en était de même pour le territoire du royaume. Aussi estimons-nous que le roi Glélé était d'absolue bonne foi, lorsqu'il prétendait qu'en permettant aux Français de s'installer à Cotonou il n'avait jamais eu la pensée de leur céder en pleine propriété cette parcelle de son pays. Céder un pouce du terrain acquis ou acheté par les ancêtres c'était, aussi bien que vendre des gens de langue dahoméenne, compromettre l'extension du Dahomey, dont chaque roi promettait solennellement de poursuivre la réalisation.
Toutes les guerres dahoméennes n'ont pas été entreprises dans le but d'étendre l'hégémonie de la famille royale d'Abomey. Beaucoup n'ont été que des chasses à l'esclave, parce que leur objectif était trop éloigné de la base d'opérations des Dahoméens et que ceux-ci disposaient de moyens d'occupation trop rudimentaires pour se permettre la création de sortes de colonies. Avant d'entreprendre la conquête d'un pays, il fallait assurer sa liaison territoriale au chef-lieu du royaume. C'est ainsi que des tribus celles de Za et d'Agony, par exemple ont été simplement pillées par les bandes du Dahomey naissant et qu'elles ont été réduites par les guerriers des derniers rois, devenus leurs voisins immédiats. D'autres peuplades, très loin au nord d'Abomey, n'ont pas échappé aux razzias le vainqueur parti, elles ont restauré leurs villages.
Mais là, où l'extension était possible sans solution de continuité, les rois dahoméens organisaient l'occupation d'une façon stable. Leur premier acte était de supprimer tout élément de résistance ils mettaient à mort les rois et les per-
sonnages influents. Le reste des vaincus se soumettait, terrifié, et se laissait imposer un chef.
Celui-ci, avec le titre de « roi du pays » (lohosou) devenait le gardien du nouveau territoire pour le compte du roi. Il était choisi parmi les membres d'une tribu déjà soumise et dont la fidélité était assurée mais, en aucun cas, ce ne fut uu individu de la famille royale.
On ne saurait trop approuver l'opportunité politique de cette dernière mesure. Le caractère extrêmement intrigant des princes aurait pu trouver chez un des leurs, chargé du commandement de tribus nouvellement asservies, un instrument d'action capable d'entraver l'unité du Dahomey. Au contraire, qu'eût osé contre le roi un individu sorti presque de l'esclavage? N'était-il pas trop heureux de son aubaine pour s'élever à des vues ambitieuses? Et, d'autre part, au cas où ses descendants auraient prétendu à un droit de propriété du sol, la tradition, si forte chez les noirs, n'étaitelle pas là pour rappeler leur origine?
Quoi qu'il en soit, l'histoire du Dahomey n'a enregistré aucune défaillance chez les « chefs de pays » installés par les rois d'Abomey. Ils ont été les gardiens fidèles des territoires, que les premiers titulaires de cette dignité avaient répartis entre leurs parents et les survivants de la population conquise, après avoir eu soin d'en réserver de vastes étendues pour les chasses et l'installation des cultivateurs de l'avenir.
Nous avons déjà dit que tout ce qui naissait, existait ou se conservait sur le sol du Dahomey appartenait au roi. C'est pour affirmer ce principe qu'une redevance en nature, le
Kousou, fut perdue sur les produits agricoles; que des jeunes filles furent recrutées dans les familles dahoméennes pour le harem royal que les héritiers des « rois de pays » (tôhnsou) durent racheter moyennant une certaine somme versée au palais les femmes qui leur étaient échues en partage qu'à la mort de chaque chef de groupe familial le roi fit le simulacre de prendre les biens familiaux pour les rendre aussitôt au nouveau titulaire de la dignité. C'est également par application de ce principe, que le roi Glélé contesta à la Compagnie française Cyprien Fahre la propriété des épaves d'un (le ses vaisseaux échoué à Ouidah et que Béhanzin tit écrire à M. le gouverneur Ballot cette phrase fameuse « Porto-Novo n'est pas sur mer mais bien sur terre par suite il appartient au roi du Danhomé, car tout ce (lui est sur terre appartient au roi du Danhomé ». Une autre preuve, que les rois d'Abomey se considéraient comme uniques possesseurs du sol et par suite de ses produits, réside dans le fait qu'ils octroyaient à leurs parents ou à leurs fidèles serviteurs des concessions territoriales, révocables à leur gré et prélevées indistinctement sur les réserves des villages, sur leurs propres domaines ainsi que sur des palmeraies ou des cultures mises en pleiu rapport par un groupe familial (I). Les sujets tenaient-ils cette façon de procéder pour arbitraire? Nullement! A tel point qu'aujourd'hui encore, après 16 ans d'occupation étrangère, quand le Résident d'Abomey étudie la possibilité de donner une concession à un commerçant, il reçoit immanquablement (1) Les concessions territoriales étaient réparties par les « gardiens de l'héritage » (houmékponto), sorte de géomètres placés sous la direction du « ministre de l'Agriculture » (Topko).
cette réponse « Prends tel terrain que tu veux; il est au roi, dont les Français tiennent la place » (1).
Successions
Nous avons déjà rapporté dans quelles circonstances solennelles Ouêgbadja (deuxième roi) affirma le droit pour les rois d'Ahomey d'hériter de leurs sujets.
Le mot « hériter », bien qu'il soit la traduction exacte de l'expression employée par notre narrateur indigène nous semble impropre en la circonstance car, étant donné ce qui précède, il est certain qu'il ne saurait être question de succession, si l'on considère les rapports des sujets et du roi. Celui-ci concédait à ceux-là l'usage de ses biens. Il demeu(4) Cette opinion des indigènes a été mise en relief tout particulièrement au sujet de la concession qui a été accordée, en juillet 1908, à lI Angélo, négociant au Dahomey.
M. Angélo, voulant établir une factorerie au marché d'Abomey, choisit un terrain sur lequel s'élevaient des cases à demi en ruines et qui nuisaient autant à l'esthétique qu'à l'hygiène du quartier. L'enquête sur la concessibilité de ce terrain nous apprit que les cases avaient été construites par un Dahoméen. longtemps avant la conquête; qu'il les avait abandonnées depuis plusieurs années et y avait laissé s'installer des étrangers, d'origine nagote, sans leur demander aucune location
Le constructeur des cases accepta aisément de céder place à M. Angélo, moyennant un certain prix. A peine la chose fut-elle connue des chefs, qu'ils accoururent à la résidence pour s'opposer à la conclusion définitive du marché « Aucun Dahoméen, exposèrent-ils, n'a le droit de vendre un terrain. Le sol ne nous appartient pas seul, le roi en était propriétaire. Les Français ont pris le Dahomey, ce sont eux les propriétaires du sol. Le gouverneur peut donner le terrain à Angélo; mais aucun Dahoméen n'a le droit d'accepter de l'argent en retour ». Nous eûmes beaucoup de peine à faire admettre aux chefs que l'ancien occupant pouvait accepter de M. Angélo une somme en échange de ses cases. Ils auraient préféré une cession pure et simple, sans même une indemnité, dans la crainte de laisser répandre le bruit, qu'un Dahoméen avait vendu un terrain.
rait donc libre de leur enlever cette faveur quand bon lui semblait et son pouvoir, en la circonstance, n'ayant pas d'autre régulateur que son bon sens, la mort d'un chef de groupe familial lui avait semble une occasion raisonnable d'affirmer son droit de propriété, par un simulacre de reprise des biens dont le défunt avait fait usage. Il les remettait ensuite au nouveau chef du groupe familial, choisi d'après certaines règles.
Ce sont ces règles de succession (lue nous allons étudier, en faisant complète abstraction des droits de propriété du roi et en ne considérant plus que les rapports des individus entre eux. Ainsi exposées, d'ailleurs, elles auront le mérite de s'appliquer à un état de choses actuel, puisqu'il n'y a plus de rois au Dahomey et que la France, qui a pris tous leurs droits, ne saurait les appliquer aussi étroitement qu'ils le faisaient.
Il y a deux sortes de biens les biens familiaux et les biens personnels.
Les biens familiaux comprennent la maison de l'ancêtre et les tombeaux, confiés à celui qui porte le nom de l'ancêtre commun, ainsi que des palmeraies et des cultures, placées sous la garde de l'Ancien de la famille. Les biens familiaux sont donc, ainsi, régis par les règles de succession qui président au choix de « l'Ancien et du « Porte-nom » de la famille et que nous avons déjà étudiées.
Les biens personnels sont mobiliers et immobiliers. Ils comportent des cultures, des palmeraies, des maisons, certaines catégories d'épouses (1), des esclaves, des troupeaux (1) Ces épouses sont celles qui sont mariées sous un régime classé parmi ceux du premier genre d'unions (voir l'étude sur les unions).
et tous les ustensiles nécessaires à la vie de chaque jour. Ce sont eux qui sont plus particulièrement soumis aux lois de succession que nous allons exposer.
Dès que nous avons voulu étudier ces lois nous avons été frappé de ce fait que les liens (lu sang n'avaient eu sur elles aucun effet primordial. Les chefs, dans les affaires qu'ils traitaient devant nous, entremêlaient des questions de puissance paternelle et de reconstitution de demeures puis leur sentence rendue, tantôt c'était un fils qui héritait de son père, tantôt tous les enfants d'un même individu étaient évincés de son héritage, qui échéait à l'un de leurs oncles paternels. Bref le classement des droits aux successions suivant des degrés de parenté nous paraissait impossible. Ce n'est que quand nous avons parlé couramment le Dahoméen, quand nous n'avons plus laissé passer aucun des termes des discussions des tribunaux indigènes, que nous sommes parvenu à grouper en trois règles principales les préceptes dahoméens en matière de succession. Nous avons ensuite lu ces règles aux chefs des cantons du cercle d'Abomey, qui en ont reconnu l'exactitude.
Première règle. « On n'emporte rien d'une famille dans une autre » (1).
D'où il résulte que
1° Les femmes sont incapables d'hériter, car, par leur mariage, elles introduiraient des biens familiaux chez leurs époux. Il ne faut pas oublier, en effet, que c'est tout à fait exceptionnellement que la femme dahoméenne ne tombe pas sous la puissance de la famille de son époux.
(1) « K no hën i noudèbou a dô hënnou dèvo mê ».,
Dans la famille royale l'incapacité d'hériter n'existe pas pour les femmes; mais ce n'est nullement en contradiction avec la règle qui nous occupe, les princesses ne pouvant, en aucun cas, adopter pour leur mariage un régime qui les placerait sous une puissance étrangère à leur famille. 2° Les enfants nés d'union libre ou de toute autre union qui les place sous la puissance maternelle ne peuvent hériter de leur père, à moins que la famille de leur mère n'ait formellement renoncé à ses droits sur eux.
Deuxième règle. « Le nom ne doit jamais disparaître » (1 ) C'est l'idée dominante du régime social au Dahomey. Perpétuer son nom c'est l'unique préoccupation d'un chef de famille qui voit là une assurance, qu'après la mort il ne sera pas oublié des siens et que des offrandes seront adressées à son âme.
De cette règle découle
1° Le fils ainé prend le nom de son père partant il hérite de tout ce qui s'attache intimement à ce nom, biens et réputation. Celle-ci, il doit la conserver intacte; c'est pourquoi, s'il forfait à l'honneur dahoméen, sa déchéance peut être prononcée et l'héritage paternel confié à l'un de ses frères. Bien que la fortune paternelle ne doive pas être partagée, celui, à qui elle échoit en héritage, peut cependant en distraire une certaine part au profit de ses frères. D'aucuns même, prétendent que c'est une obligation pour lui (2). 2° Tout individu, qui a construit une maison et y a consti(1) « Gniko e na bou a ».
(!) « Il cherchera quelque chose pour ses frères ». E na ba noudè nou novi'ton le.
tué, avec ses femmes et ses enfants, un petit groupe en dehors du grand groupe familial auquel il appartient, a accompli une œuvre dont le souvenir est lié, pour toujours, à son nom. La conservation de l'une assure la perpétuité de l'autre par conséquent tout héritier sera tenu d'entretenir la demeure du défunt ou de la reconstituer, dans un temps plus ou moins long. Il entretiendra ou plutôt occupera cette demeure, si lui-même, n'ayant constitué aucun groupe familial, a pu accepter le nom du défunt et continuer son œuvre sans la greffer sur la sienne propre.
11 reconstituera cette demeure, si lui-même est déjà devenu chef d'un petit groupe d'individus et a acquis ainsi un nom susceptible de passer à la postérité. Dans ce cas il jouira de tous les biens du défunt et les fera prospérer mais le premier enfant mâle, qui lui naîtra des épouses échues en héritage, sera considéré comme le fils du défunt, en prendra le nom et, devenu grand, sera chargé de le représenter dans sa demeure et dans ses biens.
3° Si un homme meurt sans héritier mâle et que pourtant son nom doive être conservé, sa sœur la plus âgée recevra ses biens en dépôt elle les remettra à l'un de ses propres fils, avec le nom du défunt, dès que cela lui sera possible.
Au cas où cette femme n'aurait aucun fils, ou bien au cas où, par suite du régime de son mariage, ses fils ne lui appartiendraient pas, les anciens de la famille se réuniraient et choisiraient un des leurs pour reconstituer la case du défunt. Troisième règle. « Les aines n'héritent pas des jeunes » ou, pour employer la formule plus pittoresque des Daho-
méens, « les grands ne mangent pas dans la main des petits » (1).
De là résulte que
1° Le frère cadet hérite de son frère aîné, mort sans enfants mâles, à charge pour lui de reconstituer la demeure du défunt, si celui-ci portait un nom digne d'être conservé.
2° Un neveu héritera d'un oncle, frère puîné de sou père et mort sans enfant ni frère cadet, toujours avec l'ohligation de reconstituer la demeure du défunt, s'il y a lieu. 3° En cas de folie ou d'indignité de l'héritier naturel, l'héritage échoit au second en âge.
L'indignité n'est souvent que le résultat d'un oracle du Destin, le Fa quelquefois elle n'a pour cause qu'un défaut de caractère ou un manque d'intelligence, qui font craindre que l'héritage ne serait pas en de bonnes mains. En tous ces cas, elle doit avoir été dénoncée par le défunt de son vivant, car le droit de déshériter n'existe qu'autant que la déchéance de l'héritier a été rendue de notoriété puhlique par le défunt lui-même.
Tutelle
Dans le cas d'une trop grande jeunesse de l'héritier, les biens qui lui sont échus sont confiés à l'un de ses plus proches parents. Le tuteur les fait prospérer avec le droit d'usufruit. Les femmes du défunt deviennent les siennes momentanément mais les enfants qu'il en a ne lui appartiennent pas. Ils suivront l'héritier lorsque celui-ci prendra possession de son héritage.
(1) « Mèhoho, e no dou yokpovou si a ».
CHAPITRE XI
LÉGENDES ET CONTES
Au Dahomey les anciens contes et les vieilles légendes sont en nombre relativement restreint. Pourtant le Dahoméen n'est pas moins bavard et n'aime pas moins causer que les autres noirs. Mais ses ancêtres, continuellement sur le sentier de la guerre, n'avaient guère le temps de laisser leur imagination chercher des explications aux phénomènes naturels, aux mœurs des animaux ou des plantes. Ils étaient plutôt enclins a exciter leur courage par des chants et à narrer leurs exploits dans les combats. Les rois eux-mêmes les encourageaient dans cette voie, récompensant largement les chanteurs qui avaient composé les plus belles odes et les plus entrainants récits guerriers.
De nos jours, ce sont encore ces chants que lestamtamiers accompagnent lors des sacrifices annuels dans le palais. Les jeunes gens s'cu vont les répétant et trouvent la route moins longue, le fardeau plus léger; avec eux aussi, ils rythment leur ardeur à creuser les sillons.
Et, quand la lune brille, on entend parler dans les villages, bien avant dans la nuit. C'est un ancien qui conte les
péripéties dune lutte d'où les Dahoméens sortent toujours victorieux.
Possédant les récits d'un des chroniqueurs authentiques et sachant combien ceux-ci prennent de précautions pour garder intacte la tradition, nous n'avons point voulu nous attarder aux légendes historiques. D'ailleurs elles ne rapportent plus fidèlement les faits, car chaque conteur y a laissé de son caractère et de son tour d'esprit. Nous avons préféré recueillir quelques-unes des manifestations qui révèlent citez le Dahoméen d'autres sentiments que l'amour de la guerre. Dans la naïveté des contes dahoméens perce surtout une réelle faculté d'observation, que le narrateur essaie de traduire dans un mot ou dans une morale dont l'explication fait le thème de son récit.
Le Dahoméen ne reste pas insensible aux grande problèmes de la Nature. En outre de ses Vôdoun qui lui servent à personnifier les forces qu'il ne comprend pas ou dont il a peur, il a lïdée d'un Dieu créateur; mais ce Dieu subordonne volontiers aux événements l'achèvement de ses œuvres. Le Dahoméen essaie aussi d'expliquer des événements géologiques dans les vallées, il voit le sillon creusé par le serpent arc-en-ciel un tremblement de terre, survenu à Abomey vers 1800, est pour lui la manifestation du courroux du roi Glièzo qui réclame des sacrifices humains à son fils Glélé.
Enfin si a ces légendes nous ajout ns les chausons d'amour et les hymnes mortuaires (1), nous aurons un tableau de la (1) Voir ceux-ci au chapitre qui traite du culte des morts.
mentalité dahoméenne, suffisant pour la faire connaître et pour montrer que, si elle diffère de la nôtre, elle est pourtant la manifestation d'une âme qui est, comme l'âme des races blanches, inquiète de savoir, sensible à l'amour et découragée devant la mort.
Légende « De l'origine des poissons et des éclipses » Autrefois le soleil apparaissait entouré de ses enfants, comme la lune se montre encore aujourd'hui avec les siens, les étoiles.
La chaleur était si forte pendant le jour, que les hommes ne pouvaient pas sortir de leurs cases et trouvaient difficilement à manger. Aussi étaient-ils mécontents de leur sort. La lune réfléchit, puis alla trouver le soleil « Nos enfants, lui dit-elle, nous causent des ennuis ils font murmurer les hommes. Si tu y consens, chacun de nous mettra ses enfants dans un sac et les jettera dans l'eau ».
Ayant parlé ainsi, la lune ramassa des petits cailloux blancs. Elle les mit dans un sac, puis s'en fut prévenir le soleil qu'elle avait fait ce qui était convenu entre eux. Le soleil était prêt. Il suivit la lune à la rivière et, après elle, y jeta son sac.
Mais la nuit venue, le soleil aperçut toutes les étoiles autour de la lune. En colère, il lui dit « Tu m'as trompé. Demain, je reprendrai mes enfants ».
Le premier de ses enfants que le soleil retira de l'eau mourut aussitôt, et ainsi du deuxième et ainsi de tous ceux qu'il voulut prendre. Ils brillaient encore, mais ne pouvaient
plus regarder leur père. Aussi celui-ci, de crainte de les voir tous périr, les laissa-t-il dans l'eau.
Telle est l'origine des poissons (en dahoméen poisson se traduit par ouêvi, qui signifie également enfant du soleil). Depuis ce temps là le soleil a voué une grande haine à la lune il la poursuit toujours et « l'attrape » quelquefois. (L'expression dahoméenne qui signifie « éclipse de lune » se traduit littéralement par « le soleil attrape la lune » « ouê no ouli soun»).
Légende
Pourquoi on appelle les hommes gbèto, « pères de la vie ». Mahou (Dieu) créa d'abord un homme, qu'il appela Alagbè. Il créa aussi une hyène, un bouc et des haricots. Puis il montra à Alagbè un grand terrain sur lequel il lui ordonna d'aller vivre.
Pour gagner ce terrain il fallait traverser une large rivière. Alagbè fit donc une pirogue. Il y plaça l'hyène, le bouc et les haricots.
Mais les gambades de l'hyène, qui courait après le bouc, et du bouc, qui essayait de manger les haricots, firent chavirer la pirogue.
Alagbè sauva ses passagers et revint au point de départ. Il y attacha l'hyène. Prenant ensuite les haricots sous son bras, il remonta dans la pirogue avec le bouc.
Cette fois il ahorda sans difficultés au terrain désigné par Mahou. Il déposa les haricots dans un endroit et le bouc dans un autre, puis partit chercher l'hyène.
A son retour il aperçut la chèvre qui s'était approchée des haricots et voulait les manger. Il courut l'en empêcher.
L'hyène, aussitôt, le suivit et se jeta sur le bouc. Il dut intervenir pour défendre celui-ci.
Quand il eut enfin rétabli la paix, Mahou vint vers lui et lui dit « Tu t'appelleras gbèto père de la vie ». Création des animaux
Quand Mahou eut créé les animaux il les regarda et dit « Je ne les laisserai pas seuls ainsi je les enverrai chez l'homme ».
Mais arriver jusque chez l'homme était très difficile, car il fallait traverser une épaisse forêt. L'éléphant essaya d'y pénétrer le premier; les herbes se relevaient derrière lui. La panthère tenta l'essai à son tour elle bondit en vain dans les herbes. Le chien fit comme elle, le cheval aussi, le buffle aussi et beaucoup d'autres.
Survint le lièvre Azoui il se coula sous les herbes et traversa aisément la foret. Mahou l'apercevant alors, lui dit « C'est bien Tu ne t'appelleras plus seulement Azoui, tu t'appelleras aussi « le maître de la brousse » (jbènon. Retourne chercher les autres animaux. Mais comme tes jambes sont trop petites, chausse ces quatre mortiers à igname, qui te permettront de leur frayer un chemin ». Le lièvre introduisit ses pattes dans les mortiers. 11 les trouva trop encombrants et les donna à l'éléphant (Adjnakou), qui réussit alors à fouler la brousse pour tous ses compagnons. C'est depuis ce temps-là que l'éléphant (Adjinakou) a des pieds comme des mortiers à igname et qu'on l'a surnommé « le père des mortiers à igname » (agousôto) (agou = igname pilé sô = mortier to = le père).
Lorsque les animaux furent enfin rassemblés chez l'homme, Mahou leur dit « Restez ici. Le temps venu, j'indiquerai à chacun de vous quelle sera sa nourriture ».
Les petites biches eurent bientôt faim; elles s'écartèrent dans la brousse. Mais la,panthère, A'po, les força à revenir à leur place.
Les chèvres, les moutons et d'autres encore firent comme les biches la panthère courut après eux et les ramena aussi à leur place.
Alors Mahou parut « Manque-t-il quelqu'un parmi vous ? interrogea-t-il. « Nous sommes tous ici », répondirent les animaux. « Grâce à moi», ajouta la panthère. Mahou fit le tour du groupe des animaux et les compta. « Il manque une bête, dit-il attendons-la ». Puis s'adressant à la panthère « Ce n'est pas de ta faute, si cette bête manque. Tu as bien gardé toutes les autres aussi seras-tu leur chef ».
C'est depuis ce temps-là que la panthère (Kpo) s'appelle aussi « chef des animaux » (Kanligan) elle les chasse et les mange.
Enfin arriva l'animal dont l'absence avait été remarquée par Mahou. C'était le caméléon (Lisa). En l'apercevant les autres le conspuèrent. « Silence ordonna Mahou laissez-le s'expliquer ». – « Mahou, dit le caméléon, regarde-moi, je n'ai pas de pieds, je n'ai que des mains et leur force est bien petite !» – « C'est vrai, répondit Mahou. Mais puisque tu es venu quand même, tu seras le seul que ni la panthère ni les autres animaux ne mangeront »
Content, le caméléon, chanta en «'éloignant « J'ai marché
lentement, ils m'ont abandonné. J'ai évité ainsi la mort. J'ai tiré un heureux sort ».
Une légende à peu près semblable se raconte sur les oiseaux. Leur rassemblement a lieu dans une forêt. L'un d'eux le perroquet y arrive en retard parce que, s'étant égaré, il est passé chez l'homme. Il l'avoue à Mahou qui lui répond « Puisque tu es le seul oiseau qui ait trouvé la demeure de l'homme, tu parleras comme lui ».
Légende
Pourquoi la femme est soumise à l'homme
Aussitôt après avoir créé l'homme et la femme, Mahou les plaça loin l'un de l'autre, de façon toutefois qu'ils pussent s'entendre quand ils parlaient.
Ils avaient des yeux, mais n'y voyaient pas. Ils avaient des jambes, mais ne s'en servaient pas pour se déplacer, ils roulaient comme des barils d'huile de palme. Mahou se proposa de les laisser quelque temps ainsi pour connaître ce qu'il adviendrait. En attendant il vint chaque jour les regarder.
L'homme aurait bien voulu se rendre près de la femme, mais il craignait d'attirer l'attention de Mahou en roulant sur les feuilles mortes qui couvraient le sol.
Un jour la femme attrapa un crapaud. Elle l'embrocha dans un bois et le croqua. Le venin du crapaud lui ayant éclaboussé le visage, elle s'essuya rudement avec la main, et, dans ce mouvement, ouvrit ses paupières. Elle fut toute étonnée d'y voir.
Son premier désir alors fut de rejoindre l'homme. Elle
arrosa donc les feuilles sèches, de peur que leur bruissement n'attirât l'attention de Mahou.
Parvenue auprès de l'homme, elle lui conta comment elle avait conquis la vue. Elle lui conta encore autre chose, qui leur fit certainement paraître trop tôt arrivé le moment de la séparation.
Ce dernier conte donna aussi à l'homme le désir de voir la lumière à son tour. Il partit donc retrouver la femme pour lui demander un crapaud.
Malheureusement il ne prit pas la précaution d'arroser les feuilles sèches. Mahou entendit du bruit, et accourut aussitôt. – « Ah dit-il. La femme a rejoint l'homme la première. Pour la punir, il n'en sera plus jamais ainsi. Elle devra désormais attendre l'appel de l'homme ».
Ce que Mahou a ordonné est arrivé. Jamais une femme du Dahomey ne choisit son mari jamais non plus elle ne partage sa couche sans qu'il le lui ait commandé.
Légende du Soir et du Matin
Le Matin et le Soir sont frères.
Leur père, Maltoit (Dieu), ne les traita point d'égale façon. A son aîné, le Matin, il donna d'innombrables sujets et toutes les richesses. Au Soir il remit seulement une calebasse contenant deux espèces de perles, nana et azanmoun, les deux seules choses dont il n'avait pas gratifié le Matin. Le Matin tomba malade. Le sorcier appelé pour le soigner répondit de sa guérison, à condition qu'on lui procurât les perles nana et azanmoun.
Remplis d'inquiétudes ses sujets se mirent aussitôt en
quête des précieuses perles. C'est ainsi que quelques-uns arrivèrent chez le Soir et lui firent part de leur tourment. « Si je vous procure ces perles, combien me donnerezvous d'argent ? demanda le matin « Cent cauris pour une », répondirent-ils.
Le Soir prit alors la calebasse que lui avait donnée son père et l'ouvrit. Les perles se répandirent en quantité sur le sol. Il en donna deux aux sujets de son frère.
Resté seul, le soir songea. Il se prit à désirer de fréquentes maladies pour son frère. C'est dans cette disposition d'esprit qu'il se souvint avoir remarqué que les feuilles du calehassicr se fermaient au passage du Matin. Aussitôt il se rendit chez un sorcier qu'il chargea d'interroger Fa, le Destin, pour savoir si, en plaçant des feuilles de calebassier entièrement ouvertes sous les pieds du Matin, on ne rendrait pas celui-ci malade.
La réponse ayant été affirmative, il prit des dispositions en conséquence.
Il rendit le Matin malade autant de fois qu'il voulut et ainsi changea toutes ses perles contre les cauris de son frère.
Le Soir était déjà devenu beaucoup plus riche que le Matin, lorsque les hommes furent créés. Il put donc leur procurer beaucoup plus de choses que son frère aussi le choisirentils comme roi. Ils lui donnèrent douze petits garçons qui chantaient en l'accompagnant
« Soir la royauté te sied
Si le Matin était roi, le pays casserait.
La royauté ne saurait s'accommoder
des premières heures du jour. »
Cette chanson, est parait-il, la paraphrase de la pensée suivante « Un roi ne fait jamais attendre ses sujets en plein soleil, autrement il les mécontenterait. L'ombre du soir est favorable à ses palabres.
Chanson
La chanson du pigeon que nous allons reproduire est un modèle du genre des fables chantées.
Le langage poétique des Dahoméens ne brille pas par la clarté l'étendue parfois exagérée de la mélopée entraine le chanteur dans des tournures de phrases et des développements, qui ne ressemblent en rien au langage ordinaire. Aussi, presque toujours, les auditeurs demandent-ils des explications. C'est ce que nous avons fait en la circonstance et le lecteur pourra se rendre compte que cela était vraiment nécessaire, quand il aura comparé la traduction très serrée de la fable chantée et l'explication que le chanteur lui-même nous en a donnée.
« As-tu entendu ce que raconte le pigeon ? – Le pigeon, il dit « il mange, il acquitte la dette. Le pigeon, il dit il ne consent pas que là où il habite soit détruit. » Si là où il habite va être détruit en présence de quelqu'un, s'il a la force, il empêche qu'il ne soit détruit. S'il continue à habiter comme il le veut, alors il mangera ce qui lui plaira. S'il n'en arrive pas ainsi, il mangera ce qui ne lui fait pas plaisir.
Cette chanson signifie « Le pigeon est fidèle à son toit. Il y revient même pendant un incendie. Il reste sur le lieu du sinistre et bat l'air de ses ailes, comme s'il voulait éteindre le feu, alors que tous les autres animaux domestiques ont fui.
Si le feu est éteint avant que la maison soit détruite, il continuera à trouver la nourriture que ses maîtres avaient coutume de lui préparer. Si le contraire arrive, il lui faudra bien se contenter d'une autre nourriture. »
Fable du cheval et de la belette
« Tu ne connais rien, tu es aussi bête que le cheval. » Le cheval se laisse prendre par la belette, tandis que le chat et le chien, plus petits qu'elle, lui donnent la chasse et ne lui permettent pas ses larcins.
Un jour une belette rencontra un cheval. Elle happa la corde qu'il avait autour du cou, tira dessus et entraîna ainsi le cheval jusqu'à sa tanière. Celui-ci n'essaya aucune résistance même il resta tranquillement devant le trou où la belette s'était réfugiée et il la laissa grignoter sa corde. Fable de la chèvre et du lion
« Il est plus intelligent que la chèvre ».
Une chèvre fut rencontrée par un lion, un jour qu'elle portait de la viande fumée. Prise de peur, elle abandonna son fardeau sur lequel le lion se jeta aussitôt. «Voici de la bonne viande, dit-il. De quel animal ? » – « De l'hyène », répondit la chèvre.
Le lion appela l'hyène: « Donne-moi de ta chair », commanda-t-il. L'hyène obéit et déchira un morceau de son épaule. « Non, pas dans cette partie de ton corps, dit le lion. Donne-moi une de tes cuisses M. Quand il en eut goûté la chair, il la trouva si bonne qu'il demanda l'autre cuisse.
Pendant ce temps-là, la chèvre s'était enfuie, joyeuse d'avoir évité le lion et d'avoir joué un bon tour à l'hyène son ennemie.
Chanson satyrique
Chanson composée par Aouagbè, fils de Béhanzin, sur une femme dont il méprisait l'amour.
N'a-tu pas vu cette femme qui recherche Aouagbè ? Elle s'approche de lui, Aouagbè se sauve. Un pagne déchiré et qui ne peut couvrir le corps ne ressemble pas à un pagne (1). Je suis fatigué de te voir me suivre partout. Musaraigne ton odeur me déplait et je l'évite. Jeune fille tu es le papillon qui danse et passe partout. Le pays te connaît. Nous te connaissons bien. Ta coquetterie a fait comme le piège qui se referme à faux elle ne m'a pas attrapé. Je reprends ma chanson pour finir, je la change et dis N'as-tu pas vu ? Le pagne déchiré n'est pas un pagne. La musaraigne qui ne se lave jamais laisse son odeur sur la terre après son passage.
Conte grivois
Bien longtemps avant la fondation du Danhomé, vivait un roi du nom de Dada-sé.
Un jour qu'il visitait un marché, il aperçut un jeune garçon dont le visage était si beau et les formes si harmonieuses qu'il le prit pour une jeune fille et s'en fut sur-le-champ la demander en mariage à son père. Celui-ci fut sur le point de révéler au roi son erreur mais la crainte de le chagriner (1) Les comparaisons dahoméennes sont rarement amenées par une
et aussi la pensée du grand honneur qu'un tel mariage ferait rejaillir sur lui-même l'empêchèrent d'avouer la vérité. Il donna donc son garçon en mariage, sous le nom de Dansi, à la seule condition que Dada-sé lui permettrait de prendre son bain à part et qu'il ne s'en servirait pas comme épouse avant un an écoulé.
Le roi y consentit et son premier soin, en revenant dans son palais, fut de commander qu'on y élevât des murs, afin que la nouvelle épouse pût faire ses ablutions à l'abri des regards de ses compagnes. Celles-ci n'avaient d'autre abri, durantleurs bains, que des palissades enfeuilles de palmiers. La façon dont Dada-sé traita Dansi et les nombreux cadeaux qu'il lui fit ne tardèrent pas à exciter la jalousie des autres femmes. L'une d'elles surtout s'en montra particulièrement irritée. C'était Alouba, la plus âgée, à qui ses compagnes devaient obéissance. Elle résolut de surveiller la nouvelle arrivée afin de la prendre en défaut et de la dénoncer au roi, une nuit qu'elle partagerait sa natte. Dans ce but, elle perça un trou dans le mur en terre, derrière lequel Dansi prenait ses hains puis, ayant appliqué son ceil à l'ouverture, elle observa et s'aperçut que la nouvelle venue était un garçon.
Aussitôt qu'elle le put, Alouba fit part au roi de sa découverte. Mais, comme Dada-sé ne voulait pas la croire « Bien, dit-elle, ordonne à tes femmes d aller à la source pour tes fétiches ».
phrase ou des mots aussi restent-elles obscures. On en voit l'exemple dans la chanson d'Aouagbé. La femme que dédaigne le chanteur a si peu de charmes qu'il n'en voudrait à aucun prix pour amie, pas plus qu'il ne voudrait d'une guenille pour pagne. Plus loin elle est comparée à une musaraigne.
Or, dans ce temps-là, quand ses femmes allaient à la source pour les fétiches, le roi s'asseyait devant la grande porte du palais pour les regarder défiler. Toutes, en passant devant lui, ouvraient le pagne unique dont elles étaient vêtues. Elles faisaient toilette ce jour-là, s'enduisaient le corps de graisse, se couvraient le cou et les bras de poudre d'atikè, portaient leurs plus belles ceintures de perles et tous leurs bracelets.
La nouvelle épouse, en apprenant que le roi ordonnait cette cérémonie, se lamenta Dada-sé allait s'apercevoir qu'on l'avait trompé et il ne manquerait pas de la châtier sévèrement.
Dansi résolut de fuir le palais mais il lui fallait pour cela passer quarante portes, gardées chacune par un chien. Elle prépara donc quarante boules de farine de maïs bouillie, qu'elle mit dans une calebasse puis, la nuit venue, elle sortit. Chaque fois qu'elle arrivait à une porte, elle donnait au chien qui la gardait, pour l'empêcher d aboyer, une boule de farine de maïs.
Elle réussit ainsi à gagner la brousse sans donner l'éveil. La, elle rencontra l'hyène
« Hyène, dit-elle, je suis trop malheureuse, emportemoi. »
Mais l'hyène refusa.
Elle rencontra ensuite la panthère.
« l'anthère, dit-elle, emporte-moi. »
Mais la panthère refusa.
Elle rencontra la mort.
Mort, dit-elle encore, emporte-moi ».
Et la mort lui dit
– Je sais quel est ton chagrin. Pourquoi te lamenter. Je puis faire de toi une jeune fille. »
Ayant ainsi parlé, la mort, d'un coup sec de son coupecoupe, lui trancha net l'attribut qui, d'ordinaire, n'est pas l'apanage des jeunes tilles. Puis soufflant dessus, elle le changea en manioc et le remit à Dansi
Emporte-le, lui dit-elle. Et surtout garde-toi d'en manger, si tu ne veux redevenir un homme. ».
Dansi; délivrée de son souci, reprit le chemin du palais. Les chiens, à (lui elle avait donné à manger, la reconnurent et la laissèrent aller, la caressant même au passage. Le jour venu, comme elle se sentait toute joyeuse, elle se mit à chanter et son chant parvint aux oreilles d'Alouba. Aussitôt la vieille femme accourut; elle trouva Dansi occupée à peler du manioc.
« Qui t'a donné cela? demanda-t-elle.
« C'est du manioc, que mon père ma envoyé », répondit Dansi. « En veux-tu ? » »
La vieille ne se lit pas prier. Mais dès qu'elle eut commencé d'en manger, elle seutit une démangeaison dans la partie la plus intime de son corps. Elle se gratta. Mais à mesure qu'elle se grattait, elle sentait se former et grandir, en cet endroit, un organe, dont elle avait été jusqu'alors absolument dépourvue et (lui, atteignant bientôt son développement normal, la rendit en tous points semblable au garçon le mieux conditionné.
Ce fut son tour de se lamenter. Le moment était venu d'aller à la source et toutes les autres femmes, déjà prêtes, se joignirent à Dansi pour défiler devant le roi.
Dada-sé qui les examinait l'une après l'autre, d'un œil
attentif, s'aperçut de l'absence d'Alouba. On alla à sa recherche mais on ne la trouva pas et le roi, qui commençait à s'impatienter, dut renvoyer plusieurs fois fouiller le palais. Enfin on ramena Alouba qu'on avait trouvée blottie dans un coin, en train de pousser des gémissements dont elle ne voulait pas dire la cause.
Lorsqu'elle fut devant le roi, il fallut l'obliger à ouvrir son pagne, qu'elle tenait obstinément fermé, et à se montrer telle qu'elle était. A cette vue, grandes furent la colère et l'indignation du roi.
– Menteuse que tu es, s'écria-t-il. Infâme calomniatrice qui voulais me faire chasser Dansi C'est toi que je vais chasser Nous avons pris une hyène ce matin, va-t-en donc avec elle »
Et il donna l'ordre d'attacher Alouba sur l'hyène (lui l'emporta dans la brousse.
Chants de guerre
En joue En joue tirez Dispersez-vous, afin de bien tirer Que celui qui tire suive la fumée de son fusil Nous mangeons pour ton service, roi des Perles (t) Qu'un jour nous nous trouvions en présence d'une armée audacieuse, nous n'aurons peur de rien; nous serons invincibles; nous ressemblerons au buffle qui ne se perd pas au milieu des moutons Oui Oui t Oui Nous porterons nos fusils pour les tuer. Nous porterons nos sabres pour les tuer Quel bruit font nos pas – Tous ensemble vous mourrez! Nous porterons nos fusils pour les tuer – Le sang coule en cascade, vos têtes sont coupées – Quel bruit font nos pas! – Tous ensemble vous mourrez.
(1) « Roi des perles » désigne le roi du Dahomey à qui le port de ccrLaines perles était réservé.
Chez presque tous les peuples primitifs la tradition écrite n'existant point, seule la tradition orale suhsiste conservée jalousement par les anciens. Il en est de même au Dahomey en ce qui concerne les tribus qui ont concouru à sa formation mais dans la famille royale d'Abomey ce procédé a été sensiblement modifié. Ses anciens ne possèdent en réalité que le droit coutumier, les faits les plus marquants de l'histoire du Dahomey et certains rites religieux tenus presque secrets. Par contre il existe de véritables chroniqueurs. Les uns connaissent les moindres détails du règne d'un seul roi généralement du roi dont ils sont des descendants directs aux autres a été confiée l'histoire générale du Dahomey. Ces derniers, très peu nombreux, étaient, avant la conquête française, choisis parmi les frères ou les fils du roi régnant. Aucun des chroniqueurs n'occupe une situation privilégiée. Néanmoins sur leurs noms rejaillit un peu de la vénération qui entoure tout individu dépositaire de choses sacrées. L'histoire revêt, en effet, pour le Dahoméen un saint caractère elle n'est pas seulement le monument des gloires et
CHAPITRE XII
HISTOIRE DU DAHOMEY RACONTÉE PAR UN INDIGÊNE Avant-propos
des revers d'une tribu fondatrice d'un royaume, elle touche encore au merveilleux, parce qu'elle conserve la mémoire d'origines mystérieuses et qu'elle enregistre les actes des ancêtres, héros divinisés, protecteurs des « Danhomènou », « gens et choses du Danhomé ».
Les rois paraissent même avoir vu dans cette conception de l'histoire un moyen d'augmenter leur prestige. Ils s'étaient réservés certains secrets sur leur famille et leurs dieux. Ils ne les transmettaient qu'à l'héritier du royaume et les anciens eux-mêmes les ignoraient, dit-on. Ainsi ils acquéraient la force du mystérieux, la vénération de l'ignorant pour le savant, du simple pour le génie.
Les chroniqueurs ne livrent pas volontiers leurs récits. Ils donnent même, pour un seul fait, des versions qui diffèrent suivant les circonstances, soit qu'ils parlent devant un interprète ou des parents plus jeunes, soit qu'ils s'adressent à un Européen qui sait leur langue. Mais il ne faut pas croire qu'en cela ils obéissent aux mêmes raisons que les rois. Ils ne sont tenus au secret que par souci d'éviter la déformation de la tradition. « Si on racontait notre histoire à n'importe (lui, me disait l'un d'eux, chacun y mettrait du sien ».
Aussi un chroniqueur choisit-il avec beaucoup de circonspection celui à qui il veut transmettre son bagage historique. Il observe parmi ses enfants ou ses proches parents le plus apte à ce dépôt. D'abord il lui apprend mot à mot quelques passages marquants, capables de frapper l'imagination, et il s'en tient là pendant plusieurs mois. Si l'enfant n'a pas parlé, il pousse plus loin son instruction, attend de nouveau, recommence un autre développement et ainsi de suite, jus-
Le Hérissé 1S
qu'au moment où, assuré entièrement de la discrétion de l'élève, il lui livre tous ses secrets.
Nous avons reçu les récits d'un de ces chroniqueurs, Agbidinoukouii, frère de Béhanzin, actuellement chef de canton du cercle d Abomey. Nous l'en remercions bien vivement, d'autant plus vivement que nous n'ignorons pas à quelles rancunes mesquines a pu l'exposer son acte de confiance à notre égard. Si son fils, qui fréquente l'école d'Abomey, lit un jour ces lignes, qu'il les lui explique qu'il lui explique aussi celles (lui vont suivre elles ne sont que la traduction de ses narrations.
Celles-ci sont souvent encombrées de détails qui pourront paraître fastidieux. Nous en avons éliminé un assez grand nombre cependant, pour ne laisser subsister que ceux qui nous ont paru essentiels au tableau du développement de la tribu qui a fondé le Dahomey. Il faut bien se rendre compte d'ailleurs que nous présentons l'histoire d'un tout petit groupement. On le voit d'abord, horde proscrite, se fixer au milieu de tribus étrangères, s'y créer des alliances, puis, à l'abri de celles-ci et par la force et par la ruse, s'étendre, comme une tache d'huile, autour du point où il est venu s'échouer. Bientôt, ayant absorbé ses voisins, il dépasse leurs frontières naturelles, fonde un empire qui acquiert la renommée par la barbarie de ses guerriers, ses marchés d'esclaves, l'horreur de ses sacrifices humains et qui n'arrête ses progrès que devant une nation civilisatrice, la France. A ce moment alors le chroniqueur reprend sa personnalité. 11 a assisté aux luttes de son père Glélé et de son frère Béhanzin contre l'étranger; son récit est vécu et devient presque poignant par sa simplicité douloureuse.
Origines de la famille royale d'Abomey
H fous mes parents, savent que nous descendons d.es A<ljiis» niais, ils ne le (lisent ptiiut. Us préfèrent reconnaître Alhida pour notre berceau, (ls n'ont pas complètement tQ1't (l'ajlleurs,, car c'est d'AlladçV 4U0 nous sommes partit* poiu' yenir tftftfler le Dahomey.
Notre c tohoui n (ancêtre mythique) est originaire dp Sado ou T^dq sur la rive gauche du Mono. Nous l'appelons Ayasou et nous croyons que c'était une panthère mâle, qui eut un fils d'une dps, filles du roi de Tado. Xous. appartenons donc auA A dj as. par notre mère.
En çes temps, les Adjas, divisés en plusieurs tribus, accupaient une partie de Ja rive droite du Mono, à hauteur de Tado, ainsi que sa. rive gauche, de laquelle ils avaient débordé dans, la vallée du Ivonfo pour s'étaljir sur les confins ouest du plateau d'Ahoiney, jusqu'à une ligne déterminée par Zansa et Sahè. Eu ce dernier endroit les indigènes montrent encore de nombreuses fondrières, qui no soraient autre chose que les carrières d'au les Adjas extrayaient l'argile néçessairç leurs constructions.
Les descendants d'Ayasou furent bientôt assez nombreux po\ir prétendre à la direction de leur tribu maternelle. Us voulurent lui impos.er l'un d'eux pour chef, malgré une coutume ailj;\qui excluait de. la royauté les enfants des fejnmes. Alovrs une grande querelle s'éleva à Tado. La groupemont issu, d'Agasou y put le dessous et dut fuir. Sou chef, dans un mouvement de colère contre les parents qui le forçaient à quitter \r pays natal, brisa sa calebasse sur Iwsol, eu gisant
« jamais plus je ne boirai d'eau chez les Adjas ». C'est en mémoire de ces faits que, de nos jours encore, les princes dahoméens apprennent à leurs enfants le commandement suivant auquel ils n'oseraient pas se soustraire « Si tu arrives chez un Adja, ne bois pas d'eau dans sa calebasse ». Après mille difficultés, les fuyards arrivèrent à Allada. Alla(la n'était pas alors le nom du pays. Celui-ci s'appelait Aïzonou-tômè (le pays des Aïzonou) du nom de la tribu la plus importante de celles qui le peuplaient, ou encore Aïda-tèmè (le pays d'Aïda) (1), du nom du fétiche du sol. Les descendants d'Agasou eurent vite fait de s'implanter à Allada ils rayonnèrent vers Avolépota, Ahoutègoudo, fondèrent Tori et Adjala (2), pillèrent Ouèzoumè et, après plusieurs générations d'hommes, furent assez forts pour s'imposer à presque tous leurs voisins.
C'est alors qu'ils tinrent a marquer nettement la scission qui s'était produite entre eux et leur tribu maternelle. Ils prirent le nom d Agasouvi-AIada-Sadonou (fils d'Agasou, gens de Sado et d' Allada) par opposition à celui (le AdjaSadonou (gens de Sado et d'Adja) qui désigna leurs parents restés en pays Adja.
Eu outre, dans leurs rapides succès, ils voulurent voir la continuation, dans l'au delà, de l'action protectrice du chef qui avait dirige leur migration de 'Fado vers Allada, et ils admirent que son génie avait supplanté le fétiche Aida dans la possession mystique du territoire sur lequel ils venaient (1) lî'csl Ic royaume d'Antres, porlé sur la carte Je Des Marchais, xvnc siècle.
(2) Beaucoup de villages s'appellent Adjala ou Vdjara, ee <tui inili<jne qu'ils ont une même origine, due à des branches Adjas (Adja'la = Atlj»- qu'i!s ont une même origine. <iue ft des bjranehes Adjas (Ad~'t~ = AdJ! ala = branche Adja).
de progresser. Ils divinisèrent donc cet ancêtre ils en firent un fétiche du sol, « tôvàdoitn », et l'appelèrent Adjahouto, sorte d'anagramme de « Adja-lo é hou Aïda », qui signifie « le père des Adjas est plus grand qu'Aïda ». Un nouveau mythe familial était créé (1).
Émigration d'une branche des Agasouvi-Alada-Sadonou vers Abomey
On dit généralement que ce fut Dako qui nous conduisit à Abomey, à la suite d'une querelle survenue entre lui et ses frères lors de la mort de leur père Ko-Kpon. Ce n'est pas complètement exact.
Kokpon est un surnom que nous tous, princes, pouvons porter et qui dérive d'une sentence allégorique ancienne. Ici on nous salue encore souvent, en disant Okou, mê djè ma dô ko h'pon ». « Salut la perle de quelqu'un ne convient pas au cou d'un autre ».
D'autre part Dako ne présida pas à notre marche vers Abomey. Il y assista sous les ordres de son père Dogbagrighènou.
Dogbagri-gliènou était notre roi à Allada et cette dignité avait éveillé la jalousie de son frère ainé Téagbanlin qui ne remplissait dans notre famille que le rôle de chef des enfants (vigan).
Une grande querelle s'éleva entre les deux frères, en un lieu que, depuis, nous avons appelé « Djirè-oua », « la que{{) A Oiiidiih ou prétend que Adjahouto était originaire du village de Adjara, près de Grand-l'opo. Il y aurai! tué un homme «Adja», d'où son nom « Adjahouto » (celui qui a tué un Adja).
relie survient », et qui est marqué actuellement par le marché du village de Ouagbo. Les anciens, prévenus à Allada, arrivèrent en toute hâte et réussirent à apaiser la discorde. L'endroit où ils prononcèrent leur décision a été nommé « Ouê //bo » (le palabre est réglé), c'est le Ouagbo de la voie ferrée (1).
Après cette querelle Téagbanlin quitta Allada pour se diriger vers le sud. Il séjourna près de Godoiné puis à Ekpè, qui se trouve presqu'au bord de la mer, l'est de la lagune de Cotonou enfin il arriva dans le pays de sa mère à Adjachè, que les blancs ont nommé Porto-Novo et que nous appelons Ilogbonou.
Dogbagrighènou, de son côté, confia (2) Allada à son grand oncle Hounogoungoun, puis se mit en route vers le nord, avec ses deux fils Dako et Ganhèhèsou ainsi que tous ses partisans, qui prirent le nom d' « Aladahonou ». Il traversa les marais de la Lama par le sentier que jalonnent Ekpè, Aïouèdji, Agrimè, Zado. Tous ces villages existaient, mais Dogbagri ne s'y arrêta pas. Il arriva ainsi à la rivière ll'lan, la traversa à Agon-dokpo'li et s'installa provisoirement, en tête de sa vallée, à Tota (tête de rivière). Non loin de là se trouvent maintenant les groupes de Cana. Des Nagots y habitaient alors et, tout près d'eux, des Dasas s'étendaient sur le versant nord d'une dépression très proche (1) Vers 1610.
(2) 11 est à remarquer que le narrateur emploie le mot «confier» et non le mot « abandonner ̃>. C'est, en effet, pour la famille royale d'Ahomey une thèse très chère, celle qui montre Allaita, c'est-à-dire l'ancien royaume d'Ardres, comme n'ayant jamais cessé de lui appartenir.
de la vallée du U'ian et qu'on a appelle longtemps Dasagnonhou.
« Dogbagri » n'était pas d'ailleurs sans relations dans le pays où il venait d'arriver. Bien avant de quitter Allada, il avait envoyé au nord des marais de la Lama des chasseurs qui avaient lié amitié avec Baghidi, roi des Djinou, « les tombés du ciel ». Dogbagri adressa de nouveau à Baghidi ses chasseurs chargés de présents. Ils se ménagea ainsi un allié.
Les Djinou, occupaient, comme les Dasas et les Nagots, le versant Est (lu plateau d'Abomey, sur lequel étaient installés les Ghèrfèvi, fils du fétiche « Ghèdè », qui parlaient une langue presque semblable a la nôtre et comptaient plus de cent vingt tribus. Celles-ci formaient autant de villages au milieu de buissons de sensitives épineuses. Elles étaient indépendantes les unes des autres et exigeaient un droit de péage sur leurs territoires. Elles reconnaissaient cependant un chef suprême, le nommé « Akpahè », qu'elles considéraient en même temps comme A'inun c'està-dire, propriétaire du sol.
« Akpahè », habitait un tata le « Ghèdè-gbonou (citadelle de Ghèdè), à une demi-heure de marche du campement provisoire de « Dogbagri ». Il refusa de laisser les Aladahonou passer sur sou territoire. On put croire un moment qu'une lutte allait éclater mais grâce à « Baghidi », qui n'abandonna pas ses nouveaux amis, l'affaire se régla sans les bâtons noueux ni les frondes des Aladahonou et sans les flèches des Ghèdvvi. Tout se passa en discussions de part et d'autre on « cria » pendant trois jours La ténacité des partisans de « Dogbagri » finit par l'emporter.
Aucun combat, seule notre attitude courageuse avait effrayé les Ghèdèvi aussi peut-on dire que « c'est chez Kpahè que les Aîadahonou ont apprit ce que vaut de parler fort ». Pour marquer le souvenir de ces faits, nous avons appelé le lieu où ils se sont passés Adangblotën, « le courage déblaie la place », ainsi d'ailleurs que tous les autres théflires de nos exploits.
Dogbagri et les siens passèrent ensuite, sans difficultés, sur le territoire d'Ekpento, que commandait un vieillard aux mœurs douces, et aussi chez Tranzoumé. Enfin, ils arrivèrent au pays de Ouo. Celui-ci leur désigna pour s'installer un endroit ombragé d'arbres qu'on appelle « Iloua ». Ils y construisirent des cases et fondèrent ainsi Houa-Houè (maison des Houa), non loin de l'emplacement actuel de la gare de Bohicon. Leur migration était terminée.
Tant que vécut Dogbagri, ses partisans poursuivirent tranquillement leur installation à Houa-houè, ne créant aucun sujet de crainte aux gens du pays, se faisant plutôt des amis par leur générosité. Dogbagri continuait, en effet, le système des cadeaux qui lui avait déjà procuré l'alliance heureuse de Baghidi. Il offrait notamment des étoffes mi-raphia micoton, inconnues de ses nouveaux voisins qui ne portaient que des tissus en écorce de faux roco.
Règne de Dako
A la mort de Dogbagri le commandement de la tribu passa à ses fils Dako et Ganhélièsou (1).
Ceux-ci entrèrent aussitôt en lutte avec leurs voisins. Le premier qu'ils attaquèrent fut le roi Ouo.
(1) Vers 1625.
C'était celui-là même qui avait donné le terrain de Houahouè aux Aladahonou mais depuis il regardait avec défiance ces étrangers auxquels d'autres familles d'Allada venaient sans cesse se joindre. Il ourdit donc un complot contre eux. Heureusement les Aladahonou en furent prévenus à temps par Baghidi. Ils marchèrent contre Ouo, le poursuivirent jusque sur la route de Djidja et le tuèrent au passage d'une rivière qu'ils appelèrent Ouoto, en souvenir de ce fait d'armes. Tous les ennemis qui échappèrent à leur fureur s'établirent le long de cette rivière et formèrent le village de Ouo qui existe encore (1).
Après ce succès les Aladahonou s'étendirent peu à peu vers l'ouest. On conserve le souvenir, de la conquête du petit village de « Nègbanli » qui se trouvait où s'élève maintenant celui de « Adan-Ouè ». L'ne tribu nagote, qui habitait sur l'emplacement actuel du cimetière européen d'Abomey, fut également réduite. Son chef, s'était permis, à l'occasion de la guerre contre Ouo, de dire que les Aladahonou étaient de « méchantes gens », des Lèdahonou, fâcheux jeu de mot qui lui valut la mort (2). (1) Sous le règne qui suivit, l'ingratitude des nouveaux venus se manifesta encore envers leurs amis de la première heure. Le roi Ouêgbadja, après une mauvaise querelle de jeu, força Baghidi à quitter le pays. Baghiili, après plusieurs traverses, se réfugia. dans les monts de Savalou. (2) Ce jeu de mot est encore souvent cité par les ennemis de la famille royale. On prétend même qu'il aurait servi à dénommer les descendants d'Agasou dès leur installation à Allada. Cette installation aurait été accompagnée d'intrigues, de meurtres de bienfaiteurs, etc., si bien que les tribus des environs auraient dit « des gens qui ont des paroles hypocrites – des lèdahonou sont venus s'installer chez nous ». On a voulu aussi voir dans le mot Alada, qui désigne le deuxième berceau des fils d'Agasou, une corruption de « léda (fourbe, intrigant, etc.). Nous doutons que, si cette assertion est vraie, la famille royale eût con-
Puis ce fut le tour du vieux Hahôli de se soumettre et aussi du chef de Gnanlanvi, et d'autres encore de peu d'importance qui habitaient, comme les deux premiers, des villages disséminés sur le territoire qui est maintenant celui de Djègbè.
Vinrent les grandes difficultés.
Pour ne pas indisposer contre eux le puissant « Akpahè » les « Aladahonou », se soumettant à la coutume qui le faisait considérer comme possesseur du sol [Aïnori), lui avaient acheté le terrain que leur avait cédé le roi « Ouo » à Houahouè. Mais cette précaution ne servit à rien. Akpahè ne tarda pas à jalouser et à craindre leurs succès. Il devint leur ennemi. Pour les narguer, il envoya dans leurs champs déraciner le maïs. – Pourquoi agis-tu ainsi envers nous ? lui firent demander les Aladahonou. Ne nous as-tu pas vendu le pays où nous sommes ? » « Moi, répondit Akpahè, je suis le vautour et il ne me plait pas que les autres oiseaux chantent ».
La guerre lui fut déclarée. Vaincu, il s'entendit dire par ses ennemis, au moment de mourir « Si tu es le vautour, nous, nous sommes des aigles dont la voix terrifie tous les oiseaux »
Débarrassés d'Akpahé, les Aladahonou pouvaient s'estimer solidement établis dans leur nouveau pays. Ne possédaientils pas déjà Houa-houè, pour l'avoir acheté à Akpahè, et leur dernière victoire ne leur donnait-elle pas de véritables droits de conquête sur ce même pays? Ils songèrent donc à s'installer définitivement et Ganhèhèsou fut chargé de retourner tinué à employer, elle-même, pour se désigner, l'expression de « gens d'Alada ». Voir aux appendices une autre origine du mot Alada.
à Allada pour en rapporter certains fétiches, entre autres celui d'Agasou.
A son retour, son frère, Dako, lui dit tout simplement « J'ai goûté à la royauté je la trouve chose agréable et je désire la conserver seul ». Ganhôhèsou se soumit docilement. D'ailleurs pendant l'absence de son frère, Dako avait montré la mesure de ses capacités en tirant vengeance des gens de Zavé, de Tindji, de Zakpo et de Mougnon-Kosou, qui avaient profité de nos démêlés avec Akpahè pour capturer des membres de notre tribu.
Akpahè en arrachant notre maïs avait failli nous réduire à la famine. Force nous avait été de nous approvisionner sur des marchés voisins. C'est ainsi que nous avions envoyé nos gens acheter des vivres à llounsahi. Au bout de plusieurs jours, inquiets de ne pas les revoir, nous nous enquimes. Nous apprimes qu'ils avaient été arrêtés par Akohisato de Zavè, qui les avait vendus au roi de Tindji.
La veille d'un marché, des guerriers de Dako se cachèrent dans la brousse. Ils surprirent ainsi Akobisato, au moment où il venait lui-même s'embusquer. – « Où sont nos gens ? » lui demandèrent-ils. – « A Tindji ». – « Va les chercher ».« Pas sans argent, car je les ai vendus ». Cette réponse d'Akobisato fut le signal de sa mort.
Les Aladahonou envoyèrent ensuite réclamer leurs gens au roi de Tindji mais celui-ci refusa de les rendre. « Je les ai achetés, rachetez-les », déclara-t-il. Nos guerriers intervinrent alors ils tuèrent le roi de Tindji et, à sa place, Dako institua un chef (gan) et non un autre roi {ahosou). Ce n'est que bien plus tard, sous le règne d'Agadja, que l'un des successeurs de ce chef de Tindji acquit, par sa belle conduite, la dignité de ahosou.
La mort d'Akobisato et la conquête de Tindji attirèrent le mécontentement des tribus autochtones contre les Aladahonou mais seul Ako de Zakpo osa le montrer, en leur interdisant la fréquentation de son marché. Les Aladahonou le tuèrent ainsi que presque tous les siens et ils transportèrent chez eux le fétiche de son marché. A l'occasion de ce transfert, Aho, le fils de Dako, planta les arbres qui abritent encore le marché de Bohicon. Les seuls individus de Zakpo qui parvinrent à s'échapper se retirèrent, sous la conduite du fils de leur roi, un peu au nord de lloua-liouè et y fondèrent Avokanzoun. Ils avaient choisi cet endroit de retraite, parce qu'il se trouvait non loin de la demeure de leur ami, Kosou-ouêton (Mougnon-Kosou actuel) mais ils ne firent qu'entraîner celui-ci dans leur ruine.
L'issue heureuse de toutes ces guerres avait définitivement assis l'autorité de Dako sur la trihu des Aladahonou. Ganhèhèsou lui-même ne contestait pas sa royauté. Dako songea donc à désigner son successeur. Il choisit son fils Alio. Aho était courageux il l'avait prouvé dans maintes expéditions guerrières qu'il avait conduites. Il comprenait merveilleusement bien, aussi, la situation de sa tribu au milieu d'étrangers et se rendait compte que, pour la maintenir, il fallait surpasser les actions glorieuses de son père et faire du royaume naissant « ce qui advient des foyers dont les cendres amoncelées augmentent sans cesse les dimensions ». Aho avait donc toutes les qualités pour remplacer avantageusement Dako. Mais en attendant il ne pouvait plus rester à Houa-houè, car sa situation de futur roi lui donnait droit à des honneurs qui auraient pu enlever du prestige à son
père. Celui-ci lui chercha en conséquence une nouvelle résidence.
Un certain Agri consentit à céder une parcelle de son terrain pour Aho. Dako ne la trouva pas suffisante. Agri de lui dire alors « Si vous n'avez pas assez du terrain que je vous ai donné, où prendrez-vous ce qu'il vous faut? Sera-ce dans mon carquois? » « Pourquoi pas ? répondit Dako. Nous avons vaincu Akpahè qui possédait votre sol nous avons donc ses droits et tout le pays est à nous ». Là-dessus Dako tua Agri, enfouit sa dépouille avec son carquois dans une même fosse, autour de laquelle il éleva le tata de son fils, qu'il appela Agrigomè (dans le carquois d'Agri) (1).
Règne de Ouegbadja (2)
Agrigomè se trouvait bien à l'ouest de Houa-houè (8 km. environ) et cependant une grande partie des tribus établies entre ces deux points était déjà soumise aux Aladahonou, lorsque Aho devint roi, sous le nom de Ouêgbadja. Ouêgbadja ne chercha pas à retourner dans la demeure de son père à Houa-houè. Il prit sa propre résidence pour centre des attaques qu'il dirigea contre ses voisins. Sa première victime fut Agbomè-hosou. Ce roitelet habitait à quelques centaines de pas de chez lui, à l'endroit où s'élève aujourd'hui la maison à étage de Ghèzô. Il fut dépouillé de ses biens et mis à mort, parce qu'il avait persisté à vouloir percevoir le péage dont était grevé un terrain qu'il avait vendu à Ouêgbadja pour agrandir Agrigomè. (1) Agrigomè est situé dans la partie du palais qui porte le n°7' du plan, premier chapitre.
(2) De 1650 à 1680.
Il y avait autour d'Agrigomè beaucoup d'autres roitelets on en comptait presque autant que de cases. Ils étaient indépendants les uns des autres et tous exigeaient des droits de passage sur leurs territoires. Bien qu'il résultât de cet état de choses les plus grosses difficultés pour l'existence de chaque jour, aucune des tribus ne voulait renoncer la première à ses péages. Ceux, entre autres, que percevait le Nagot Di étaient particulièrement odieux et vexatoires, car il les recouvrait en sus de ce qu'on lui payait pour puiser de l'eau à la source qui porte encore son nom (Di-dô) et près de laquelle il habitait. Comme, pour arriver jusque chez lui, il fallait traverser plusieurs villages, on conçoit à quel prix revenait une jarre d'eau en saison sèche. Aussi beaucoup de nouveaux-nés mourraient-ils, faute de recevoir les premiers soins de toilette.
Ouêgbadja s'émut de cette situation. Il tua le le Nagot Di, installa à sa place un individu de Dokpa, nommé Djagba (1), et lui confia la garde de la source, qu'il surnomma To-Kpo, « la source n'a plus de valeur ». Puis comme les gens du pays s'inquiétaient de savoir s'ils devaient continuer à lui verser le tribut qu'ils versaient à Di, Ouêgbadja leur répondit « Ne me payez rien mais si quelqu'un vous demande de l'eau, ne lui en refusez jamais. L'homme vit de deux choses, le boire et le manger ».
A l'ouest de la source Didô et à une demi-heure de marche, se trouve une autre source appelée Amôdi, près de laquelle habitait un certain Lansou. Cet individu arrêta deux (1) C'est encore un descendant de cet individu qui, sous le même nom, veille au bon entretien de la source Didô.
femmes, de Ouègbadja, au moment ou elles puisaient de l'eau, et refusa de les rendre 4 leur maître.
Ouegbadja manifesta son intention de tirer vengeance de l'outrage mais il le déclara d'une façon plaisante par une allégorie, à laquelle se prêtait aisément le nom de son adversaire « Lansou », qui signifie « animal ». – « C'est un auiMial, dit-il» j'irai à la chasse et le tuerai ».
Dès le lendemain au petit jour, il attaqua Lansou et le tua. Il fit ensuite rassembler tous los biens du vaincu ot se les attribua.
Après Lansau, fut tué uu de ses voisins et amis, le nomma Aholo, qu'on enterra avec tous les siens dans une même fosse, recouverte aujourd'hui d'un bois sacré.
Peu à peu, Ouegbadja conquit ainsi toutes les tribus qui entouraient sa demeure. Un seul roi trouva gràoe. C'était un homme de la tribu des Houndonou. Le fétiche du sol de Houa-houè lui avait appartenu mais il nous l'avait vendu et était venu se fixer en face de la Résidence actuelle. Là, il avait établi le culte d'un autre fétiche, dispensateur de la pluie dans le pays. Il comprit de lui-même qu'il gênerait Ouêgbadja. Il vendit donc à celui-ci son nouveau fétiche et se retira-en arrière d'Adankpodji, disant à qui voulait l'entendre « Je prends complètement congé de Ouègbadja » Notre roi saisit la finesse de ces paroles et fit son ami de leur auteur qu'il nomma « Attahè » (celui qui prend congê). Les autres rois C-hèdevi ne surent pas, malheureusement pour eux, imiter Adahè. Ne se sentant pas de farce à résister à Ouêgbadja et ne trouvant personne capable de les grouper
contre lui, ils envoyèrent demander secours à Dala, roi Adja de Tokplè (Topli, sur le Mono).
Dala, conduit par des guides Ghèdevi (1), arriva jusque deisrière Ilodja et dépêcha le message suivant à Ouêgbadja (< Puisque tu ahuses de ta force envers les Ghèdévi, je viens te faire la guerre ». Puis il établit son camp qu'il entoura de fossés et attendit.
Ouêgbadja chargea son propre fils, Akaba, de porter sa réponse. Il voulait gagner du temps, car il ne se souciait point d'engager une hataille rangée, ayant toujours pratiqué les surprises avec succès.
Malgré les avis des chefs Aladahonou qui craignaient pour lui les embûches et les perfidies, Akaba se rendit au camp de I)ala. Il fut bien reçu; mais le chef adja lui renouvela sa déclaration de guerre.
A quelques jours de là, Data tomba gravement malade « sa tète enfla outre mesure et ses joues se détachèrent d'elles-mêmes ». Grand fut alors le désarroi parmi les Adjas. Ils résolurent de lever le camp et de reconduire leur chef à Tokplè.
ÎSous fûmes avisés de cette décision par un de leurs tamtamiers, qui s'était lié d'amitié avec Akaha. Cet individu convint même d'un signal sur son tambour pour nous prévenir de la retraite de Dala. Nos guerriers n'eurent donc qu'à s'embusquer à un endroit propice pour battre aisément les Adjas et tuer leur chef.
Le tamtamier qui avait si bien servi notre cause suivit nos guerriers à Abomey. Uuégbadja lui donna des femmes et (4) Rappelons que le mot Ghèdevi désigne les Iribns du plateau d'Abomey.
un terrain et, pour perpétuer le souvenir de son aide, décida d'avoir des tamtamiers qui battraient, sur leurs tambours, le rythme par lequel nous avions été prévenus de l'approche des Adjas. Ce rythme s'emploie encore maintenant. On l'obtient en frappant le tambour des deux mains à la fois et on l'appelle Daoula, du nom du tanitainicr adja. Comment le royaume des Aladahonou devint le Danhomé Quand Ouôgbadja eut désigné comme héritiers son fils Akaba et sa fille Ahangbè, deux jumeaux, il dut penser à faire construire des tatas, puisque ni l'un ni l'autre ne pouvaient plus demeurer à ses côtés (1). Pour sa fille Ahangbè il choisit un terrain à Zasa et y éleva le palais d'Alada vikpè (petit enfant d'Allada).
Pour son fils il obtint une parcelle du territoire d'un roitelet, nommé Dan, qui demeurait à quelques pas d'Agrigômé. Ce qui s'était passé autrefois entre Dako et Agri se renouvela entre Ouègbadja et Dan. Ouêgbadja trouva trop petit le terrain concédé. Dan lui fit observer d'une façon aussi malencontreuse qu'Agri « Voulez-vous donc vous établir jusque sur mon ventre ? » Et en réponse Ouêgbadja reproduisit la facétie macabre de son père il tua Dan et sur son tombeau éleva une case qu'il appela Danhomè (ventre de Dan) (2). (i) Akaba et Ahangbè ne pouvaient plus demeurer auprès de leur père pour ]es raisons que nous avons déjà expliquées au sujet de Ouêgbadja. quand il devint prince héritier (page 283).
(2) Cette anecdote est toujours confondue avec celle que nous avons rapportée au sujet de la fondation d'Agrigômè. Mais il nous parait certain que notre narrateur seul est dans le vrai en les différenciant. Au su de tous les gens d'Abomey la partie du palais, nommée Agrigômè, renferme le tombeau de Ouègbadja, tandis que la partie appelée « Danhomè •
Le meurtre de Dan souleva le niécontement de Demlakpo, son voisin le plus immédiat. Ouègbadja tua alors Demlakpo mais il dut poursuivre ses partisans jusqu'à la rivière « Hounto ». Un clan de ceux-ci fit sa soumission et fonda Don, plus connu aujourd'hui sous le nom de Ouansougou, tandis que deux autres partis traversèrent le Zou pour aller créer un deuxième Don, près de Zagnanado, et le village de Di près de Kôtou.
Nous considérons Ouêghadja comme le vrai fondateur du Dahomey. Son père, à la vérité, avait su s'étendre autour de Houa-houè mais il n'avait pas unifié ses conquêtes. A Ouêgbadja il appartenait de « faire le pays », c'est-àdire, d'imposer son autorité absolue et les prérogatives de sa famille aux tribus déjà soumises en même temps qu'une sorte de suzeraineté sur ceux des groupements du plateau d'Abomcy, contre lesquels nous n'avions pas encore porté la guerre
Après la mort du grand chef Ghèdèvi, Akpahè, la prépondérance dans le pays était échue à un roi (ahosou) nommé Aouisou. Ouêgbadja ne tarda pas à la lui enlever. Je t'ai déjà relaté dans quelles circonstances l'avarice d'Aouisou fit délaisser ce roi par tous ses voisins, pendant qu'au contraire la générosité d'Ouêgbadja créait aux Dahoméens non seulement des alliances mais encore un certain ascendant né de l'admiration (1).
Pour accentuer l'espèce de déchéance d'Aouisou, Ouêgrenferme celui d'Akaba. Le contraire existerai!, si l'unevdole qui a Irait au Danhomé était antérieure à celle d'Agrigômè.
(1) Voir page 24.
badja lui enjoignit de ne plus passer sur le sentier qui reliait son pays au nôtre et tel fut le respect qu'obtint l'ordre du roi du Dahomey, qu'aujourd'hui encore l'héritier du nom d'Aouisou ne se permet, en aucune circonstance, de suivre le chemin direct de Dokon (pays d'Aouisou) à Houa-houè (pays des AJadanohou).
Ouègbadja interdit également à son adversaire de continuer à recevoir les têtes des voleurs.
C'était la coutume, en elle t, de se faire justice soi-même, si l'on surprenait un voleur en flagrant délit, et de porter la tète du coupable chez Aouisou. Celui-ci ordonnait alors à son tamtamier de l'exposer de village en village, puis de lâ remettre aux fossoyeurs pour l'enterrer. Mais cette dernière partie des prescriptions d'Aouisou n'était jamais exécutée, car les fossoyeurs dérobaient le crâne pour en faire des amulettes, suivant en cela un procédé que les Ghèdèvi (1) étendaient à presque tous leurs morts.
Ouêgbadja interdit formellement toutes ces pratiques (2). Il se réserva de châtier les voleurs et déclara qu'il punirait de mort tous ceux qui décapiteraient les cadavres. Ouègbadja édicta la peine capitale contre les assassins, les auteurs de tentatives d'assassinat, les incendiaires, les voleurs, les auteurs de viol ou de tentative de viol, les transfuges et il interdit la vengeance personnelle contre les criminels. Un de ses fils, ayant enfreint cette dernière prescription, paya sa désobéissance de sa vie.
(1) Tribus qui habitaient le plateau avant les Aliidahonou. (2) Le chroniqueur semble présenter cette interdiction comme s'étenil-.uil il tout le pays. Il est l'orl probable qu'elle, n'intéressait que les tribus soumises à Ouêgbadja et dont une grande partie avait subi précédemment l'influence d'Aouisou.
C'est encore Ouêgbadja qui défendit, sous peine de mort, de vendre comme esclave un individu né sur notre territoire « Tout Dahoméen, homme ou chose du Danhomè, dit-il, est inaliénable ».
Règne d'Akaba (1)
Akaba dut partager la royauté avec sa sœur jumelle Ahangbè, car la coutume dahoméenne oblige à traiter les jumeaux sur le pied d'égalité. Mais. si Ahangbè reçut tous les honneurs dûs aux rois, elle n'exerça par contre aucun pouvoir. Elle passa toute sa vie dans le palais d'Alada-vikpè, où elle écoutait ses chanteuses et ses tamtamiers célébrer les exploits et les vertus de son frère.
Akaba a fait beaucoup pour la grandeur du Dahomey; il avait un grand cœur et un grand courage. C'est lui qui a terminé la conquête des tribus établies sur le plateau d'Abomey et qui nous a montré que nous pouvions résister à toutes les attaques, dans notre pays même.
Avant lui, à chaque invasion des ennemis venus de l'autre côté du Zou ou du sud, les Aladahonou se sauvaient au delà de affluents rive gauche du Koufo. Ils n'étaient pas les seuls à agir ainsi. Tous les hahitants du plateau, à quelle que tribu qu'ils appartinssent, cherchaient leur salut dans la fuite, lorsque les hordes nagotes ou les gens de Houèda (Pèda) étaient signalés. L'absence ne se prolongeait pas longtemps l'ennemi trouvant des villages déserts ne s'attardait pas sur le plateau d'Abomey, où la saison sèche, qu'il choisissait pour ses expéditions, rendait l'eau excessivement rare.
(1) 1680-1708.
Akaba ne s'enfuit qu'une seule fois, tout à fait au début de son règne, devant les guerriers (le Yahazè, roi de l'Ouèmè. Quand vinrent les Nagots, il sut leur résister.
Leur approche lui ayant été signalée, il fit dissimuler des sentinelles par groupes de deux au delà des villages qui avoisinaient immédiatement les palais du Danhomé et d'Agrigomè. Les ennemis, persuadés qu'ils nous trouveraient sans défense, furent tellement surpris par les flèches des sentinelles, qu'ils rebroussèrent chemin sans plus tarder.
Akaba ne s'en tint pas à ce succès. Il porta la guerre jusque chez les \agots envahisseurs, derrière l'Ouêmè, et ce haut fait d'armes donna sujet à une allégorie que l'on voit encore figurée sur les grands parasols du palais. Akaba n'entreprit pas d'autre expédition lointaine il se borna à poursuivre l'annexion des tribus établies sur le même plateau que les Dahoméens et contre lesquelles, par suite, ceux-ci ne pouvaient opposer aucune barrière sérieuse. Uan, Tangbè, Gboli, Sahè, les Sinhouè, Poto. tombèrent successivement en son pouvoir.
La conquête de Dan est racontée d'autre part.
Conquête de l'angbè. Les gens du roi Aïsan, de Tangbè, ayant coutume de se cacher le long des chemins pour arrêter des femmes et des enfants qu'ils vendaient comme esclaves, en vinrent ainsi à s'emparer de personnes habitant Tindji. Ce fait constituait un outrage qui nous atteignait directement, puisque, depuis Dako, Tindji nous appartenait. Aussi Akaba envoya-t-il ses guerriers tuer Aïsan et « casser son pays ».
Conquête de Gboli. – flboli et Sahè formaient deux grands pays qui dépendaient du roi Agliii. Akabase chargea de régler une vieille rancune que nous leur gardions, parce qu'ils étaient entrés en pourparlers avec Dala, le chef adja de Topklè, quand celui-ci avait voulu porter la guerre contre nous. Agliii fut tué et son territoire partagé entre plusieurs chefs de villages (lô-hosoii).
Conqm'le de Sin/iouè. – Les villages qu'on appelle aujourd'hui Sinhouè-Lègo, Sinhouè-Adjido, Sinhouè-Hagbladou, Sinhouè-Hounto, dépendaient d'un même roi (ahosmi) nommé Némonto.
Akaba, en vertu d'une sorte de droit de suzeraineté imposé par son père, convoquait fréquemment les rois des tribus, soumises ou encore indépendantes, pour les entretenir des intérêts du pays. Némonto ne se rendait jamais à ces convocations il se contentait d'y envoyer son chef (gan). Akaba ne fut pas sans remarquer la chose il combla de cadeaux le chef puis le renvoya à Sinhouè, accompagné d'un messager chargé de dire à Némonto que s'il continuait à se faire représenter à Abomey par son chef, celui-ci deviendrait bientôt roi. Némonto répondit « Dans quel pays le chef est-il roi ? » Akaba envoya alors ses guerriers pour le tuer et institua le chef (gan) comme roi {ahosou), avec le nom de « gangn'ahosou », « le chef est roi ».
Sinhouè-Dôdji n'existait pas encore il ne fut fondé que beaucoup plus tard par des esclaves du roi Giclé (10e roi). Sinhouè-Zoumé et Sinhouè-Zoungoudô étaient habités par (les Adjas, dont le roi, nommé Savè, interdisait formellement l'entrée de son pays aux étrangers. Akaba tua alors Savè et
mit à sa place Houndën, fils du roi d'Akizn, village que Ganliéhèsou av.iit conquis (1).
Annexion de Polo. – Poto avait pour roi un vieillard, nommé Dangla. Malgré son grand Age, Dangla n'était pas respecté par ses gens, qui ne se préoccupaient même pas de savoir si ses forces lui permettaient de se procurer à manger sans un certain Akpa, originaire d'Akiza et cultivateur à Poto, il aurait manqué de tout. Aussi ce roi, voyant sa fin prochaine, désigna-t-il Akpa pour lui succéder. Dangla mort, les gens de Poto refusèrent de ratifier son choix. Akpa vint alors demander notre protection. Akaba appela les gens de Poto et leur imposa Akpa.
C'est encore Akaba qui cassa les pays de Doua, Tchiko. Kômê, Djési, Yê, situés au nord d'Abomey.
Règne d'Agadja (2)
Agadja était le frère puîné d'Akaba et d'Ahaagbè avant de régner il s'appelait Dôsou, comme tout frère puîné de jumeaux.
Sa reconnaissance comme roi était absolument contraire à la coutume qui veut que l'héritier du royaume soit un des fils du souverain régnant; mais, en la circonstance, une dérogation aux règles établies chez les Aladahonou était nécessaire pour le développement et l'intégrité du Dahomey. (1) Le chef de ce village porte encore le nom de Houndën. Il en est ainsi d'ailleurs pour tous les chefs de villages instituas par les rois d'Abomey à différentes époques.
(2) 1708 h 1728.
Notre loi religieuse, en effet, qui avait forcé \kafoa à partager la royauté avec sa sœur jumelle Ahangbé donnait deux têtes au pays. Si, ces deux têtes disparues, on appliquait pour l'une le principe d'hérédité, il fallait aussi l'appliquer pour l'autre, toujours à cause de la loi sur les jumeaux. Dès lors n'était-ce pas déterminer le partage du Dahomey? C'est pourquoi Akaha fut très sage de désigner son frère pour successeur.
Au moment où Agadja devint roi, tout le plateau d'Abomey nous appartenait; nous débordions même sur ses flancs, au sud jusqu'à la Lama, à l'est jusqu'au pays de Za, au nord jusqu'à Dona. Agadja était donc assez fort pour porter la guerre au loin.
Il marcha tout d'abord coutre Aslo-Ouèsa, sur les bords de l'Ouèniê, pour tirer vengeance de la mort de deux de ses frères, Tokpo-Daho et Dangban, tués par les guerriers du roi de l'Oiiémè, au temps d'Akaba.
Depuis Agadja, tous nos rois ont obéi au même sentiment de vengeance et ont entrepris au moins une razzia sur l'Ouêmé; mais, malgré cela, notre haine n'était pas encore satisfaite, quand les Français sont venus, et, encore aujourd'hui, aucun prince ne voudrait coucher sous le même toit qu'un individu des bords de l'Ouèniê.
Tout le littoral qui nous appartenait quand les Français ont cassé le Dahomey, c'est Agadja qui nous l'a donné. Il a conquis Savi, Zôgbô, Fori-ouê, Godomè.
Guerre de Savi ([). Iloufon, roi de Savi, avait acheté (1) 1727.
comme esclaves plusieurs Dahoméens qui avaient été faits prisonniers au cours de notre guerre malheureuse contre Djuaiulji. Il refusa de les échanger et au messager, que le roi du Dahomey avait chargé de traiter l'affaire, il fit remettre 40 barils de poudre, quarante fusils, quarante bouteilles de tafia et quarante fois quatre mille cauris. Il lui demanda en môme temps si Agadja pouvait en offrir autant sans rien recevoir en retour; puis il le fit reconduire jusqu'au camp des Dahoméens par deux de ses sujets.
Aussitôt qu'Agadja eut connaissance de ces faits, il ordonna à son Migan de ranger sur deux lignes des crânes d'ennemis tués dans nos guerres ou au jours des sacrifices. Il invita les messagers de Houfon à passer entre ces haies macabres et donna à chacun d'eux quarante cauris, en leur disant que sa seule richesse consistait en dépouilles d'ennemis et qu'il ne tarderait pas à l'apprendre à leur maitre.
Après ces incidents la guerre était inévitable. Agadja en avisa secrètement sa fille, Na-Ghézé, qu'il avait donnée en mariage à Houfon et il lui envoya ses instructions sur le rôle qu'elle devait tenir au moment de l'attaque de Savi par les Dahoméens
En même temps Agadja racontait, à tout propos, que les fétiches l'appelaient à Allada pour des cérémonies religieuses (1).
Il vint effectivement à Allada mais ses guerriers continuèrent leur route vers Savi.
Kao, un des fidèles du roi, les a devancés, pour reconnaître la lagune en avant de Savi. II leur indique un passage où (I) Voir aux appendices une nofe sur les rois d'Allaila.
l'eau atteint une faillie hauteur les Dahoméens le suivent sans bruit. Leur attaque est brusque. Les guerriers de Savi veulent y répondre avec leurs canons; niais la princesse Naghézè a profité de l'obscurité pour humidifier les poudres. Savi est pris (1).
Quant Agadja en apprit la nouvelle, à Allada, il organisa aussitôt une grande fête. Deux estrades en branchages furent construites; auprès d'elles s'agenouillèrent Migan, le premier ministre, et Gaou, le chef de guerre. Le roi remit solennellement un esclave à chacun d'eux, tandis que deux autres esclaves étaient envoyés auprès de nos pères, les prévenir dans l'au-delà du succès nouveau.
Bas-relief du Palais. Allusion à la conquête des territoires situés au bord rlelfi mer et au premier contact des Dahoméens avec les européens. La conquête de Savi eut un immense résultat nous deviumes maîtres du commerce avec les blancs établis sur la côte. (1) 7 février 1727. C'est a cette époque que se place la reprise d'Allada par les Dahoméens.
Mais ce succès ne parvint pas à consoler Agadja de ne point avoir assisté aux derniers moments de sa mère, dont la mort lui avait été connue à Ouôgbo, deux jours après avoir quitté Abomey pour suivre le sentier de la guerre. Afin d'affirmer sa grande douleur, il jura de ne jamais profiter personnellement des objets et des liqueurs que sa nouvelle conquête lui permettait de se procurer aisément auprès des blancs. Il tint parole jusqu'à sa mort. Cependant nous, par reconnaissance pour lui, nous ne manquons jamais, avant de boire une liqueur, d'en verser quelques gouttes sur le sol, afin que son y (âme, double) aille retrouver celui d'Agadja et lui porter notre souvenir. De même, lorsque nous sacrifions aux Toho.?ew(l)denos rois, nous nous abstenons d'offrir de l'alcool sur leurs autels, si déjà nous n'avons pu le faire sur celui de Kpèlou, le Tohosou personnel d'Agadja.
Savi était le grand royaume du littoral (2) Ouidah (Glèlinuè) comptait à peine. On arriva sans difficultés à le soumettre.
Il en fut ainsi de Zô-gbô, de Fori-ouè et de Godomè. Le roi de ce dernier pays, Hounkponou-Takoun, nous avait particulièrement vexés en essayant d'empêcher les blancs do nous vendre leurs meilleurs produits. Il fut mis à mort. Après avoir soumis tous ces pays, Agadja voulut connaitre les dimensions de son royaume vers le sud. Il ordonna, alors de mesurer la distance depuis le palais du Danhomc jusqu'à la plage de Ouidah. On trouva 23.502 bambous. Le bambou (1) Catégorie de fétiches.
(2) Ce royaume de Savi est le même que les anciennes cartes nommcnf royaume de Judn ou encore des Quèdas, de Pèda, de HoikMh.
qui servit à cette opération existait encore quand les Français entrèrent à Ahomey il mesurait de l m. oU à 5 mètres. Dans le nord, Agadja porta la guerre contre Gboouèlè près de Paouignan. C'était un grand pays. Il fallut trois campagnes pour le vaincre. Encore est-il qu'après la dernière les gens de Gbooulè réussirent à reconstituer leur puissance et placèrent A. leur tête un nouveau roi. Pendant le règne d'Agadja, un roi des environs de PortoNovo, Ataki de Bozoumé, poussa ses guerriers jusqu'auprès d'Abomey. Il fut vaincu et fait prisonnier; notre roi le chargea par dérision, de balayer chaque matin devant son palais. On appelle encore la place, où Ataki accomplissait sa peine, « Alaki-ba-ya », « Ataki cherche la terre » (1). N'avait-il pas voulu faire sienne la terre du Dahomey ?
Règne de Tègbésou (2)
Quant Agadja eut désigné Tègbésou comme successeur, une de ses femmes en conçut un vif ressentiment. Elle avait un fils, nommé Aghidisou, plus âgé que Tègbésou et pour lequel elle ambitionnait la royauté. Bien qu'il ne remplit pas toutes les conditions voulues pour devenir roi, elle résolut de réaliser son désir.
Dans ce temps-là, nous payions chaque année aux Nagots un tribut qui comprenait, entre autres choses, du corail. Nous envoyions, évidemment, tout ce que nous avions de moins bien comme corail mais la mère d'Aghidisou, qui (1) Uaya = ba'aï = chercher la terre.
(2) Ile 1728 à W75.
était chargée des magasins du roi, en fit parvenir aux Nagots du très beau en même temps que ce message « Si mon fils est roi, vous recevrez toujours nos plus gros morceaux de corail ».
Les Nagots, moyennant cette promesse, entrèrent dans les vues de la mère d'Aghidisou et ils envoyèrent prévenir Agadja qu'ils étaient désireux de le voir choisir son fils aîné pour successeur.
Cela étonna grandement Agadja.
Bientôt après, ayant découvert la trame de l'intrigue, il mit sa femme en prison et déclara que plus jamais une épouse du roi, devenue mère, ne pourrait remplir les fonctions de gardienne du trésor royal.
Aghidisou souffrit de l'emprisonnement de sa mère il n'en laissa pourtant rien paraitre.
Survint la mort d'Agadja à Allada. On rapporta son corps à Abomey. Aghidisou, connue tous les autres princes,accompagna le convoi funèbre mais aussitôt les funérailles terminées, il revint à Allada, décidé à s'emparer du pouvoir. Là il gagna plusieurs chefs à sa cause et s'organisa pour la lutte contre son frère.
Tègbèsou ne se pressa pas de le châtier. 11 accomplit toutes les cérémonies d'usage pour son intronisation et ce ne fut qu'au bout de trois ans qu'il marcha contre les révoltés. Aghidisou s'enfuit à rapproche du roi ses partisans furent battus et massacrés à Allada.
Tègbèsou eut encore à sévir contre un autre de ses frères, Tokpa, qui avait hautement blâmé sa conduite envers Aghidisou. Il le maudit « Que Tokpa, dit-il, et tous ceux qu'il
protégera après sa mort ne soient jamais rois du Danhomé » (1). Ces faits d'armes n'étaient pas les premiers de Tègbésou. Dès la première année de son règne il avait guerroyé en territoire d'Agony contre les gens de Hodja. Il avait tué leur chef Téfouën et s'était fait faire un collier avec ses dents, pour venger les injures qu'il avait proférées contre nos rois. Guerre avec Gboouèlè. Au temps de Tègbcsou, les Mahis, qu'Agadja avait détruits à Gboouèlè, réussirent à se reconstituer dans le même village. Ils donnaient asile à n'importe quel individu assassins, voleurs, criminels de tous les pays trouvaient chez eux un abri sûr contre l'impunité. C'est ainsi qu'un bossu, nommé Alio-lûé,que ses modestes fonctions n avaient pas empèché de devenir l'amant d'une femme de Tègbèsou, se sauva à Gboouèlè. Notre roi le fit réclamer, mais vainement. Alors l'armée danhoméenne partit en guerre. Elle fut hattue et prise d'une telle panique qu'elle s'enfuit d'une seule traite jusqu'à Oumbégamé (10 km. d'Abomey).
Deux autres campagnes n'eurent pas plus de succès. Guerre de Za. Le territoire des gens de Za s'étendait jusqu'à Cana c'étaient donc nos voisins immédiats. (!) « Tous ceux que Topka protégera » doit s'entendre « Tous ceux qui porteront le nom de Topka ». Se reporter à l'imposition des noms après désignation par le Destin de l'ancêtre protecteur (page J2i0|. A comparer le récit du père Bouche « Le frère aîné du roi, Zinga, ne put supporter de se voir écarté. Il ourdit un complot qui fut. sévèrement réprimé. Désormais sans rival, le roi se livra sans contrainte ses mauvais peuchants, il alla jusqu'à lancer un édit de mort contre quiconque porterait comme lui le nom de Bossa n. Le père Bouche donne à Téghésou le nom de Bossa Ahédée. Il doit confondre ledit de mort dont il parle avec la malédiction contre Topka.
et combien désagréables Sans cesse ils nous infligeaient des vexations. Un jour, par exemple, ils arrachèrent les piquets avec lesquels Tègbèsou avait fait délimiter l'emplacement d'un futur palais. Une autre fois ils firent irruption sur le marché de (Jana, y saccagèrent les boutiques, puis pénétrèrent dans les habitations voisines où ils remplirent d'immondices les ustensiles de cuisine. Enfin, suprême outrage, ayant appris la mort de la mère de Tègbèsou, i's dirent « Le roi du Dahomey pourra-t-il nous creuser un trou dans le nez pour y enterrer sa mère » ?
Tègbèsou entreprit six campagnes contre eux sans succès. A la septième, ils prirent la fuite jusqu'à Gbo-ouèlé où ils furent recueillis par nos ennemis.
Mais les gens de Za ne tardèrent pas à se quereller avec leurs nouveaux amis, qui, obsédés, leur rappelèrent dans quelles circonstances ils avaient trouvé asile chez eux. Furieux, les Za déterrèrent les restes d'un roi de Gboouèlè et les profanèrent d'une façon obscène. Puis ils repartirent, en toute hàte pour leur pays.
Tègbèsou apprit leur retour et aussi leur rupture avec les gens de Gboouèlè. Il en profita aussitôt pour tenter une huitième campagne. Elle réussit pleinement.
Après le comhat nos guerriers coupèrent le nez de chaque cadavre ennemi. Ainsi fut fait pour venger la mère de Tègbèsou des paroles injurieuses des gens deZa. Sur les murs du palais, un bas-relief représentant un nez et un couteau commémore cet événement.
Tègbèsou porta aussi la guerre contre Kënsa, derrière Kétou, et chez les Barihas, derrière Ouècé.
Contre ces derniers la valeur des Dahoméens manqua faire défaut, car les guerriers baribas étaient pour la plupart des cavaliers et nos troupes, exclusivement composées de fantassins, n'avaient pas encore combattu de pareils adversaires. Pourtant quelques ennemis furent capturés. C'était d'ailleurs là le but principal de Tègbèsou. 11 avait entendu raconter, en effet, que certains Baribas, en leur qualité de musulmans, prédisaient la pluie, les bonnes et les mauvaises récoltes, les épidémies et la mort, qu'ils possédaient aussi des recettes infaillibles pour conjurer les mauvais sorts et les maladies. Dès lors il avait formé le projet d'attacher à sa personne quelques-uns de ces devins.
Depuis cette époque, nos rois ont toujours eu auprès d'eux des devins musulmans (1), qu'ils consultaient en même temps que les sorciers fétichistes. Néanmoins ils n'en abandonnèrent pas, pour autant, leur foi dans la supériorité de nos fétiches et même, afin de l'attester, ils interdirent, sous peine de mort, l'accès de notre pays à tout musulman non réduit en esclavage par nos guerriers.
Tègbèsou institua, comme cérémonie (le joyeux avènement, le crucifiement d'un homme sur un arbre aucun de ses successeurs ne manqua à cette coutume.
Le premier crucifié fut un Adja, nommé Adjakou. Sous le règne précédent il s'était querellé avec la famille de la mère de Tègbèsou, la « Kpodjito » Aouandjiré. Celle ci en avait conçu un violent ressentiment mais elle n'avait pu amener (I) Les descendants de ces musulmans ont fait souche dans le royaume. Ils ont conservé lit religion de l'Islam,mais ont toujours été considérés comme des Dahoméens Ils habitent Ahomey. principalement les quartiers d'Aougaet de Djègbè.
son royal époux à servir sa vengeance. Pourtant elle n'avait rien oublié et, aussitôt son fils devenu roi, elle sut ohtenir l'envoi de guerriers pour s'emparer d'Adjakou.
Adjakou fut attaché, très haut, contre le tronc d'un fromager, qui s'élevait sur l'emplacement qu'occupe la cour de l'école actuelle d'Abomey.
Tout le Dahomey accourut voir son supplice.
Adjakou soutirait tellement sur son arbre que la soif l'étreignit bientôt. « A boire cria-t-il ». « Attends qu'on aille chercher le bourreau, lui répondirent des spectateurs il te donnera à boire ton sang ». Et comme un enfant s'apitoyait sur cet homme qui avait soif, son père lui dit « Ne t'inquiète pas ainsi. Il n'a qu'à ouvrir la bouche et le soleil l'arrosera ».
Et tout le Dahomey trouvait justes les tourments d'Adjakou, parce qu'il avait fait du mal à la mère de notre roi. La mère d'Adjakou était riche. Pour racheter son fils elle envoya au roi des cadeaux des garçons, des jeunes filles, des boeufs et du maïs. Tègbèsou les accepta et donna l'ordre de détacher le crucifié.
Mais le bourreau, premier ministre (Migan), fit la sourde oreille. Il rassembla tous les cadeaux au pied de l'arbre sur lequel agonisait Adjakou. « Tu vois ce que ta mère a envoyé pour te racheter, lui cria-t-il je garde le tout et toi avec ». Tègbèsou apprit la désobéissance de son premier ministre. Il l'envoya chercher pour lui demander des explications Migan se contenta de lui donner celle-ci « Le chien ne touche pas à l'animal qu'a attrapé la panthère » (1 ). (t) Allusion au totem des rois et de leur famille qui est une panthère. Le Migan, lui, n'appartenait pas à la famille royale, par conséquent n'avait pas la panthère pour totem.
Le roi goûta fort cette réponse et pardonna à Migan qui garda tous les cadeaux de la mère d'Adjakou, pendant que le crucifié expirait.
Règne de Kpeugla (1)
Tègbèsou, ayant entendu rapporter par ses espions que les quatre rois d'Alougba, pays voisin de Banté, se prétendaient invincibles, même par le chef du Dahomey, s'ils restaient unis, avait résolu de leur prouver le contraire. Mais à peine ses guerriers avaient-ils quitté Abomey qu'il mourut. Ce fut alors Kpëngla qui mit à exécution son projet, aussitôt les cérémonies d'intronisation terminées.
Guerre de Hëndji, dans le pays Houèda. Quand nous entrâmes en relation avec les gens de Houèda ou Pèda, deux dynasties s'y disputaient la royauté. L'une avait pour représentant Yê, fils du roi Akiza, et l'autre Agbamoun, fils de Sémagbéhandé, lui-même frère et successeur d'Akiza. Mais Yê ressemblait à un véritable monstre, tellement les loupes déformaient son corps. Aussi la majorité des Houèda le refusa-t-elle pour roi et acclama Agbamoun.
Les quelques fidèles de Yè résolurent alors de demander la protection de Tègbèsou, tandis que les partisans d'Agbamoun déclaraient hautement qu'ils se moquaient des décisions du roi du Dahomey et qu'ils n'avaient rien de commun avec lui.
Ces propos froissèrent Tègbèsou, qui, trop malade pour entreprendre une guerre contre leurs auteurs et sentant sa (1) 1775 à 1789.
fin prochaine, prescrivit à son fils de ne pas célébrer ses funérailles avant d'avoir vengé le Dahomey.
Kpëngla devenu roi exécuta la volonté de son père. Il tenta d'abord d'affamer l'ennemi en lui coupant toutes communications mais cette tactique faillit ne point réussir, car le roi d'Agouna, Aban-ii'tan, sut trouver un sentier par où il envoya des vivres aux Houèda.
Quand nous eûmes découvert la ruse, Agbamoun fut tellement découragé qu'il se couvrit aussitôt de feuilles de palmier et vint à Abomcy se soumettre (1).
Kpëngla lui fit grâce de la vie jusqu'au moment où les femmes de son père le forcèrent à revenir sur sa décision « Tu avais promis à ton père, lui dirent-elles, de venger le Dahomey Le Dahomey peut-il être vengé tant que vit encore le principal auteur des insultes prononcées contre lui? Agbamoun fut tué. Yè reçut la royauté des Houèda mais ses sujets le détrônèrent bientôt après, sans que nous essayàmes d'intervenir.
Guerre contre Tchèrèli. – La première campagne contre Tchèrèti fut malheureuse notre général eut la bouche emportée et ses guerriers s'enfuirent. Ceux-ci, dans leur retraite, rencontrèrent Kpëngla à Djidjà. Le roi les arrêta, (t) Tout rebelle, fout ennemi qui portail une couronne en feuilles de palmier faisait acte de soumission. En 1891. les membres de la mission Audéoud a Abomey furent lâchement trompés sur la portée de cette Coutume On leur persuada de laisser deux miliciens les précéder portant, autour du cou une couronne de palmier, afin, disait-on, de montrer au peuple que les Français et le roi avaient signé la paix. Après leur retour à la Cote, ils surent qu'ils avaient accompli, sans le vouloir, un acte de soumission.
leur fit honte de leur manque de courage et leur dit « Retournez à Tchèrèti et faites-vous tuer. »
La victoire cette fois fut complète. Daé, le roi du pays fut tué et sa femme préférée donnée à notre général. La guerre de Tchérèti eut pour conséquence l'annexion de Djidja. Les Nagots, qui habitaient ce village, avaient refusé de nous suivre à Tchèrèti. A notre retour, Kpëngla « cassa « Djidja, sans toutefois en destituer le roi Agblo. Agir ainsi c'était déroger à notre habitude de remplacer un chef vaincu par quelqu'un de nos amis mais, en la circonstance, notre roi tenait à récompenser Agblo qui nous avait renseigné sur ceux de ses gens qu'il était bon de tuer ou simplement d'emprisonner. Agblo est le seul roi, d'à 1leurs, que nous avions traité ainsi.
Après Djidja, tombèrent successivement en notre pouvoir les villages voisins de Borobouè, Monsourou, Lôh, Agbèto. Leurs habitants se réfugièrent à Agouna. Nos guerriers les y poursuivirent et en profitèrent pour détruire ce dernier pays, afin de nous venger du secours que son roi avait apporté aux gens de Ilouèda durant notre guerre contre eux.
Guerre contre Agbogomè sur l'Ouèmè. Kpëngla, lors de sa naissance, avait eu Akaba pour génie protecteur. Aussi s'empressa-t-il d'obéir au commandement que ce roi avait formulé, pour chacun de ses successeurs, de détruire un village de l'Ouèmè.
Le village qu'il choisit comme objectif fut celui de Agbogome, dont le roi, Sinton, descendait de ce Yahazè qui avait dévasté notre pays au temps d'Akaba et s'était vanté qu'Abomoy deviendrait son champ.
Sinton ne tarda pas à être renseigné sur les intentions d<; Kpëngla. Aussitôt il lui envoya un cartel en ces termes « Yahazè est venu battre Akaba jusque chez lui et a dévasté Abomey. Dans une seconde expédition Yahazé a trouvé la mort sur le territoire du Dahomey. Aujourd'hui un fils d'Akaba commande le Dahomey sera-t-il assez courageux pour porter la guerre jusque chez le fils de Yahazè ? » Le jour où les Dahoméens parvinrent en vue d'Agbogômé, trois soleils brillèrent à la fois dans le ciel et un éléphant vint mourir au milieu des guerriers au repos. Ces présages amollirent le courage de nos soldats mais notre général leur dit « Tout cela n'est que mensonge Marchons » Nous fûmes vainqueurs. Avec les défenses de l'éléphant le roi fit façonner des bracelets pour le général et nos grands chefs.
On rassembla ensuite toutes les houes de Sinton, parce qu'il s'était vanté de reculer ses cultures jusque chez nous. Encore aujourd'hui, une de ces houes se trouve chez le chef de Oua-ouè, qui s'en sert pendant quelques instants, chaque fois qu'on débrousse le chemin de Cana à Abomey, par lequel étaient rentrées les troupes victorieuses de Kpëngla. Guerre de Djèkën. Le roi de Djèkën, Posé, s'étant lié d'amitié avec Tégbèsou, avait manifesté le désir d'étendre ce lien aux deux pays. Il n'avait trouvé rien de mieux, comme cérémonie du pacte à conclure à cet effet, que d'envoyer son fils Hounkponou à Abomey, avec une bonbonne de tafia à deux goulots dans laquelle devaient boire, au même instant, le futur roi de Djèkën et le futur roi du Dahomey. Or, notre prince héritier ne buvait jamais de tafia apporté d'un
pays qui n'appartenait pas au Dahomey. Tègbèsou refusa donc la proposition de son ami et délégua quelqu'un en remplacement de Kpëngla, pour boire avec Hounkponou. Tègbèsou et Posé morts, Kpëngla et Hounkponou devinrent rois. Mais ce dernier vit d'un très mauvais œil l'élévation au trône d'Abomcy d'un prince dahoméen qui avait refusé de boire avec lui. Il nous déclara la guerre. Nos guerriers le tuèrent et rapportèrent à Cana le fétiche de son marché, nommé Adogouin.
Règne d'Agong-lo (I;
Kpcngla avait détruit Alougba que commandaient quatre rois. Agonglo, désireux de surpasser son père, cherchaun pays qui aurait plus de quatre rois. Il trouva Djalouma, où il y en avait six. 11 attaqua donc Djalouma et tua ses rois, dont les six cadavres furent exposés à Abomey, afin que le Dahomey entier sut bien qu' Agonglo avait surpassé son père. Guerre. d'Agonkpa. Il y avait auprès de Mèko une ville, appelée Agonkpa, véritable place forte, entourée de murs et de fossés, contre laquelle les Nagots avaient éprouvé plus d'un échec. Aucun étranger n'était admis à l'intérieur et toute affaire avec les habitants se traitait en dehors des murs. Agonglo voulut réussir là où les Nagots avaient échoué.
Il usa donc de ruse. La plupart de ses guerriers se cachèrent, à la faveur de la nuit, dans les broussailles qui entou(1) 178!) à 1797.
raient Agonkpa. Sur un autre point, il rassembla un nombre d'hommes relativement restreint et, au petit jour, il leur fit commencer l'attaque. Mais sur son ordre, ils ne tardèrent pas à battre en retraite, poursuivis par les gens d'Agonkpa. C'est ce qu'attendait Agonglo les guerriers dahoméens, cachés dans la brousse, bondirent sur l'ennemi et pénétrèrent à sa suite dans Agonkpa.
Le roi de cette ville fut tué et sa tête emportée à Abomey pour orner les murs du palais de Békon-IIouêgbo, cependant que, pour tenir secrète la ruse, des Dahoméens tiraient des coups de fusils sur les portes d'Agonkpa et la tailladaient de coups de haches, afin de faire croire à un grand combat. Guerre avec Gboowlè. – Depuis le règne de Tégbèsou nous n'avions plus eu aucune difficulté avec Gboouêlè, lorsque Agonglo apprit qu'un nouveau roi de ce pays, Adjognon, tenait des propos désobligeants sur son compte. « Autrefois, disait Adjognon, le Dahomey semblait un grand sillon maintenant il n'en est plus qu'un tout petit et son roi ne saurait m'égaler.» »
Plusieurs expéditions furent alors entreprises contre Gboouêlè la septième seulement réussit. Adjognon et sa sœur, Gnonougan, ayant été faits prisonniers furent amenés devant le palais d'Abomey. Là, Gnonougan est ligotée puis couchée dans un sillon. Sur elle on rejette la terre, l'enterrant ainsi vive. Ensuite Agonglo s'avance et dit « Adjognon ta soeur a été couchée dans un petit sillon. Si on ajoute celui-ci au petit sillon du Dahomey, ou obtient un grand sillon. Adjognon tu as appris la chose par expérience va, maintenant t'en souvenir en gardant mesboeufs. »
Cette dernière décision du roi ne plut pas aux chefs dahoméens, qui demandèrent la mort d'Adjognon. Agonglo ne leur donna pas satisfaction tout d'abord, tirant plus d'orgueil, disait-il, de voir un puissant ennemi vaincu devenir son bouvier; mais il dut céder.
Quant au guerrier Azagata qui avait capturé Adjognon, il fut l'objet de la faveur royale. Il reçut quarante hommes et quarante femmes, avec lesquels il constitua le village de Ouêlègba près de Djègbè.
Agonglo « cassa » aussi les fermes voisines de Kètou. 11 entreprit également une campagne contre Sèglièdè, entre Kétou et Kpala, dont les habitants lui avaient été représentés comme ayant de très mauvaises mœurs des fils en colère battaient leurs mères et personne ne s'occupait de subvenir aux besoins des vieux parents.
Agonglo soumit les villages de Dovi et de SAinè (territoire d'Agony) et reçut la soumission du chef Adjà, Sevidê, à qui il concéda un terrain à Sinhouè.
Régence d'Adanzan
Adanzan était celui des fils aînés d'Agonglo qui réunissait toutes les conditions de naissance nécessaires pour devenir roi. Mais son caractère sanguinaire faisait redouter son arrivée au trône. Tout jeune il supprimait ceux qui lui portaient ombrage
En désespoir de cause, Agonglo demanda au Destin, Fa, si un autre de ses fils ne dirigerait pas mieux les affaires du Dahomey. Fa désigna Ghczô. Hélas Ghézô était encore en bas-âge.
Pourtant Agonglo eut foi dans l'oracle. Il résolut de présenter Ghézô comme son successeur et de le confier ainsi que le Dahomey à Adanzan, persuadé que les Ancètres protègeraient notre pays et son roi.
Un jour donc, sentant sa fin prochaine, il apparut à tout son peuple, sur le marché Adjahito pour dicter sa volonté. Dans ses hras il portait Ghézô; à sa droite se tenait Adanzan. Le Dahomey eut l'impression que de tristes événements allaient se produire.
Adanzan est resté régent vingt-deux ans et Ghézo dut lui arracher le pouvoir ( I ).
Sa première guerre dirigée contre Gôviè, au delà d'Allada, eut un résultat dérisoire ses guerriers n'y firent qu'un seul prisonnier. Dans la suite, ses armes ne furent pas beaucoup plus heureuses; les Danhoméens ne le suivaient qu'à contrecœur.
Cependant Adanzan ne manquait pas de courage. On doit
reconnaitre, par exemple, qu'il marcha toujours avec ses troupes à la guerre. On doit aussi se souvenir de la fière façon dont il répondit aux envoyés nagots, venus pour réclamer le tribut que nous payions à leur roi chaque année. Il leur remit un grand parasol, sur lequel était cousu une découpure en étoffe, représentant un singe qui, d'une main, portait un épi à sa bouche
(1) Probablement de 1797 à 1818. Certains prétendent qu'Adanzan fut un roi et non pas un régent.
et, de l'autre, essayait d'en saisir un second. Cela signifiait qu' Adanzan trouvait l'exigence des nagots exagérée. A cette allégorie le roi des Nagots répondit par une autre il envoya à Adanzan une pioche avec ce message « Tu es donc bien pauvre maintenant ? Cultive, tu pourras payer mon tribut » Adanzan ne se laissa point intimider et persista à refuser le paiement du tribut « Nos pères, fit-il dire au roi des Nagots, n'ont pas cultivé avec des houes, mais avec des fusils. Les rois du Dahomey ne cultivent que la guerre ». En entendant ces paroles, les grands chefs furent effrayés des conséquences qu'elles pouvaient avoir pour le Dahomey, qu'ils ne soupçonnaient pas encore capable de lutter contre les Nagots. Ils se concertèrent et, en secret, ils firent tenir aux envoyés ennemis le tribut habituel (1).
D'aussi beaux traits étaient malheureusement trop rares pour amener l'oubli des atrocités que commettait Adanzan. Tantôt on entendait raconter qu'il avait ouvert le ventre d'une femme pour savoir le sexe de l'enfant qu'elle portait dans son sein. Tantôt sur son ordre, des familiers se précipitaient sur un homme qu'il trouvait trop richement vêtu ils le tuaient, enveloppaient sa tête dans un pagne et l'apportaient au roi qui les remerciait par ces mots « C'est bien il ne sera plus orgueilleux ». Une autre fois, on vit Adanzan se préparer à recevoir superbement un personnage de marque. Des fêtes, organisées pour la circonstance, avaient attiré une affluence extraordinaire de tamtamiers et de courti(I) On raconte que cette façon d'agir des chefs ne se passa pas seulement sous le règne il'Adanzan. Ils parattrait que les rois d'Abomey refusaient publiquement de payer le tribut, mais que celui-ci était payé en cachette par les soins des chefs.
sans sur une natte, en avant du trône, on avait disposé de nombreux cadeaux destinés au visiteur. Celui-ci est introduit. D'un geste amical Adanzan l'invite à s'approcher. mais la natte cache un trou profond et l'infortuné y disparait, entrainant tous les cadeaux dans sa chute. Alors Adanzan, transporté d'aise, s'écrie « Je suis généreux Personne ne me quitte sans emporter quelque chose ».
Le Dahomey, malgré sa soumission presqu'aveugle envers le roi, ne put rester indifférent à tant de crimes et un complot fut formé contre Adanzan, à l'instigation de Djosou-dèouê, habitant de Dokpa. Cet homme avait pour mère une fille du roi Tègbésou. De par sa naissance même, il ne pouvait donc émettre aucune prétention à la royauté. Aussi chercha-t-il simplement à chasser Adanzan de la régence. Djosou s'ouvrit de ses intentions à Ghézo « Je serai roi, lui dit-il, et toi je te considérerai comme mon fils aine 1 à ma mort tu me succéderas ». Mais Ghèzo n'entra point dans ses vues il refusa même 800.000 cauris (1) que lui offrait Djosou. Il vit chacun se détacher de lui peu à peu, sans qu'il se départit de sa ligne de conduite. Bientôt il ne compta plus que douze amis.
Il les réunit et leur expliqua qu'il n'était pas plus convenable de « laisser les choses en l'état avec Djosou que de laisser une porte ouverte dans une demeure ».
Les paroles de Ghézo furent rapportées intentionnellement aux partisans de Djosou. Ils en saisirent le sens exact (1) Ces 800.000 cauris représenteraient actuellement 200 francs; mais il est évident qu'au temps de Ghézo les cauris avaient une plus grande valeur. L'apport de l'argent français a déprécié énormément cette monnaie incommode, don! une charge d'homme représente un peu plus de 5 francs.
et comprirent que celui qui, seul, avait le droit de déposséder Adanzan ne permettrait jamais à des étrangers de s'introduire dans le palais et de prendre le pouvoir, même momentanément, car c'eût été courir le risque de voir une nouvelle dynastie se créer.
Le complot tramé par Djosou échoua donc mais le mécontentement contre Adanzan demeura entier. Le roi s'attaquait maintenant aux membres les plus vénérés de sa famille. Ainsi, un jour d'ivresse, il s'oublia jusqu'à frapper d'un coup de sabre sa sœur ainée Gbèkonsi. 11 affectait également de délaisser le culte des morts et de ne plus verser d'eau sur leurs tombeaux. Tous les princes murmurèrent deux frères ainés d'Adanzan, Gansè et Adoukonou, cessèrent de lui rendre les honneurs royaux au lieu de l'aborder en frappant le front contre le sol, ils se contentèrent de le saluer du simple « okou » (salut) que l'on souhaite au premier venu.
Mais rien ne pouvait arrêter les folies d'Adanzan. Ne lui prit-il pas fantaisie un jour d'attacher ses deux premiers ministres, Migan et Mèhou, ainsi que d'autres grands chefs avec des cordes qu'il serra de toutes ses forces autour de leurs poignets et sur lesquelles il cracha l'alcool qu'il avait bu. Les chefs se tordirent de souffrance sans proférer ni cri ni plainte.
Ce trait de méchanceté du roi manqua de précipiter les événements, car les chefs, aussitôt délivrés, tinrent une réunion où ils jurèrent de tuer Adanzan qui les « avait attachés jusqu'aux os ».
Ghèzo, prévenu de l'incident, les rejoignit et calma leurs esprits « Eh, quoi ? leur dit-il, ce que vous avez souffert
suffit-il à légitimer votre serment ? Adanzan n'est-il pas votre roi ? S'attaquer à lui n'est-ce pas s'attaquer à tous vos rois, par la volonté desquels il tient le pouvoir? ». Adanzan, qui ne manquait pas d'être renseigné sur tous ces événements, aurait du remercier Ghèzo de s'entremettre toujours ainsi pour faire échouer les complots au contraire, il semblait le rendre responsable de sa propre impopularité. Il en arriva, même, à essayer de le compromettre, comme on va le voir.
Un certain Yètongnon avait tué trois Dahoméens et s'était lavé dans leur sang après avoir piétiné leurs cadavres. Adanzan trouva ce forfait plaisant, tandis que les chefs, écœurés, réclamaient justice immédiate. « Vos paroles sont détestables, intervint Ghèzo auprès de ces derniers. Tue-t-on les Dahoméens sans les juger ? » ))
Ce conseil est entendu et des chefs instruisent l'affaire. Tous prononcent la peine de mort contre Yètongnon seul Ghèzo requiert la prison perpétuelle.
Un si grand esprit de justice et tant de pondération enthousiasment le peuple qui se rue en foule vers la demeure de Ghèzo, à Gbèkou-Hounli, pour lui proposer de l'élever sur le trône à la place d'Adanzan. Ghèzo refuse et répond simplement « que ses pères n'ont pas chassé Adanzan du palais ». Peu après ces incidents, un cadavre fut trouvé sur le marché de Djègbè. Le bruit se répandit que Ghèzo était l'auteur du meurtre et beaucoup commençaient à y ajouter foi, lorsqu'on découvrit en tout cela une nouvelle intrigue d'Adanzan. En effet un nommé Tanmana, fils de l'assassin Yètongnon, raconta qu'il était avec ses frères l'auteur du meurtre et qu'il en avait laissé accuser Ghèzo, parce que Adanzan le lui avait
montré comme l'auteur principal de la condamnation de son père.
Ghèzo fit répéter les aveux de Tanmana devant sa sœur ainée et deux de ses frères « Tuons Tanmana s'écrièrent-ils » « Vous êtes des niais » leur répondit simplement Ghèzo. Puis il offrit à manger à Tanmana et se rendit avec lui sur la grande place où se tenaient les chefs ?
Tanmana renouvelle ses aveux publiquement. Aussitôt de toutes part, s'élèvent les cris « C'est Adanzan qui a ordonné le meurtre de l'homme trouvé à Djègbè Adanzan est assassin comme Yétougnon Yétongnon a déjà expié son crime, qu'Adanzan expie le sien, qu'il abandonne le palais » Ghèzô essaie, mais en vain, de calmer la foule.
Il rentre dans sa demeure. La foule l'y suit, veut l'acclamer roi. Il refuse.
Adanzan apprend les événements il fait appeler Ghèzo « Sois roi, lui-dit-il, moi, je resterai tranquille à l'écart. Si tu trouves quelque bonne chose pour moi dans le Dahomey, tu me la donneras. Ce sera bien ainsi ».
Mais, pendant ce temps, les fils d'Adanzan ont ameuté la foule contre eux-mêmes. Ils ont mis le feu aux endroits sacrés du palais et, comme on accourt de tous côtés pour éteindre l'incendie, ils tiennent les gens à distance à coups de fusils. Ghèzo reparait de nouveau devant le peuple. Il le voit disposé à répondre aux attaques des fils d'Adanzan. « Sacrilège sacrilège s'écrie-t-il ne tirez pas sur la demeure de nos pères » Alors, docile, la foule met bas les armes; mais elle se précipite sur les fils d'Adanzan qu'elle crible de mottes de terre.
Au plus fort de l'émeute, Adanzan s'approche de Ghèzo et
lui demande pardon « Pardon Pardon Ce sont mes enfants qui ont mal agi ». « Tu es un criminel, lui répond Ghèzo par toi la maison de nos pères est détruite. Ils te chassent et m'appellent à ta place » (1).
Règne de Ghèzo (2)
Après Ouègbadja, Ghèzo est celui de nos rois qui a fait le plus pour le Dahomey.
Oouôgbadja avait fondé le Dahomey Ghèzo l'a rendu libre. Ses luttes contre les Magots ont rempli son règne et elles ont supprimé sa condition de vassal de leur pays. Les Nagots ont été, de tout temps, nos ennemis et nombreuses ont été leurs incursions chez nous. Dès les règnes de Dako et de Ouègbadja ils ravagèrent notre tribu. Il passaient par Agony, Za et Tindji, et tendaient la main à ceux d'entre eux établis vers Cana.
Sous le règne d'Agadja, ils envahirent Abomey, plus nombreux que jamais. Ils l'occupèrent pendant trois lunes, tandis que nous, réfugiés de l'autre côté du Mono, affluent rive gauche du Couffo, nuus apprenions avec désespoir qu'ils mettaient tout au pillage, détruisaient nos temples et arrachaient nos arbres fétiches. Quatre de ceux-ci seulement restaient encore debout, quand nous punies rentrer dans nos demeures dévastées.
Aussi fut-ce sans tergiverser que nous consentîmes à payer aux Nagots le tribut de guerre qu'ils nous envoyèrent récla(1) Adanzan aumit vécu en prison jusqu'au temps de Glèlè. Ses enfants n'auraient pas tous été massacrés; ils auraient des descendants auprès d'VIkdu.
(2) 1818 à 1858.
mer, sous peine d'exposer notre pays à une nouvelle invasion AO hommes, 40 femmes, 40 fusils, 400 charges de cauris (environ 2.000 francs) et des coraux.
Nous avons acquitté ce tribut chaque année, jusqu'au règne de Ghèzo, tantôt intégralement, tantôt en partie, suivant le bon v uloir du roi des pays Oyo. Il nous en consentit le dégrèvement de moitié, au temps de notre roi Kpëngla, pour nous remercier de notre concours au siège de Badagry. Sous Agonglo, il exigea de nouveau la totalité du tribut. Nous dûmes attendre jusqu'à Ghèzo avant de pouvoir secouer le joug.
Quand Ghèzo reçut, pour la première fois depuis qu'il était roi, les émissaires nagots chargés de lui demander le tribut habituel, il leur remit un tout petit bout d'étoffe de quoi faire le caleçon d'un homme ainsi que deux sacs de cauris, avec prière de dire au roi des Oyo qu'exiger davantage serait en disproportion de la richesse des Dahoméens.
A ce message moqueur le roi des Oyo répondit « Qui règne donc au Dahomey, maintenant, pour oser me parler ainsi? Qu'on le change » Mais iL peine les envoyés nagots eurent-ils rapporté les paroles de leur maître, que Ghèzo, entrant dans une grande colère, se précipita sur eux et les frappa de ses propres mains.
Ghèzo se prépara dès lors à la lutte à outrance contre l'ennemi séculaire. Il choisit 199 hommes, leur fit raser la tête et badigeonner le crâne avec du caolin blanc. Puis, après les avoir traités en amis, en leur donnant à boire et à manger à satiété, il se présenta avec eux devant le peuple, auquel il déclara que lui-même et ses 199 compagnons étaient
décidés à mourir plutôt que de voir les Nagots maitres du pays.
Cependant arrivèrent quatre autres émissaires nagots ils étaient porteurs d'un défi aux Dahoméens. Ghèzo les fit décapiter et chargea leurs âmes de prévenir celle de son père Agonglo, que bientôt le Dahomey serait délivré du joug du roi des Oyo.
On ne tarda pas à apprendre le rassemblement de l'armée nagote à Gominbo, sur la rive gauche de 1 Ouèmè. A cette nouvelle, tous les Dahoméens tremblèrent, redoutant une invasion de leur pays. Seuls, Ghèzo et ses 199 amis conservèrent leur courage.
Ghèzo usa d'un stratagème. Il savait que les Nagots recherchaient de la soie rouge dont leur nouveau roi, suivant une coutume locale, devait se vêtir aux fêtes de son intronisation. 11 envoya donc placer une pièce de cette étoffe sur la case d'Ada, chef de Paouignan, récemment décédé (1), et il fit en sorte que les Nagots en fussent avertis.
La ruse réussit pleinement. Des guerriers nagots se hâtèrent vers Paouignan, pour s'emparer de la précieuse soie. Ils furent surpris par quelques-uns de nos fusiliers, dans des conditions telles que ceux d'entre eux qui échappèrent au massacre répandirent la panique au milieu de leurs camarades restés à Gommbo.
Après cet échec, le roi des pays Oyo soudoya contre nous le partisan Adjinakou.
Adjinakou (l'éléphant) était ainsi appelé à cause de sa (i) L'usage de recouvrir d'un voile le toit d'un chef décédé subsiste encore.
grande taille. « II avait un nombril énorme, aussi rebondi qu'une calebasse » il était terrible et ne reconnaissait la suprématie d'aucun roi.
La nouvelle se répandit rapidement qu'Adjinakou avait rassemblé 4.000 guerriers. Tous nos ennemis s'en réjouirent. L'un d'eux principalement, chef du village de Kpaloko, appela de tous ses vœux l'anéantissement du Dahomey.
as-relief représentant un épisode de la lutte contre les nagots. Un guerrier dahoméen coupe les jarrets d'un guerrier nagot; il charge sa victime sur ses épaules pour la porter au roi.
Ghèzo résolut alors de marcher sur Kpaloko, dans l'espoir, qu'en portant ainsi la guerre chez les Dasà il y attirerait Adjinakou et éviterait l'invasion de notre pays.
Kpaloko est situé sur une montagne. Il fallut en entreprendre le siège.
L'événement eut un grand retentissement. De Ouidah, le Chacha envoya à Ghèzo le conseil de renoncer à In lutte pour le moment et de rentrer à Abomey, où lui seraient adressés de bons fusils d'Europe. De Porto-Novo, le roi De, lui aussi,
supplia Ghèzo de battre en retraite. Ses émissaires abordèrent, en tremblant, notre souverain qui leur répondit « Apprenez à De que nous avons tué plus d'un éléphant (Adjinakou) avec nos fusils et que celui que nous chassons n'est pas plus terrible que les autres ».
Adjinakou traversa l'Ouémé à l'endroit où les blancs ont construit le pont du chemin de fer. Il se promettait d'anéantir les Dahoméens en une seule matinée.
Aussitôt que, du haut de leurs montagnes, les Dasà aperçoivent l'armée d'Adjinakou, leur joie est si grande qu'ils oublient toute prudence et battent les tamtams de fête. Le bruit parvient jusqu'à Ghèzo qui, soupçonnant alors l'arrivée de l'ennemi, porte deux de ses bataillons vers l'Ouémé. Mais ceux-ci sont surpris par l'appareil guerrier d'Adjinakou ils plient au premier choc. Ghèzo les fait prévenir que, s'ils continuent à être aussi lâches, lui-même va payer de sa personne. Cette menace suffit pour ranimer nos guerriers. Ils mettent l'ennemi en déroute, le jettent dans l'Ouémé où Adjinakou trouve la mort.
Le siège de Kpaloko continua. Un soir, au coucher du soleil, le chef du village parut sur un rocher qui surplombait la plaine où se trouvait notre camp. D'une voix puissante il cria « Que tout le monde se taise Ghèzo, tu es un grand guerrier Tu as vaincu Adjinakou et tu l'as tué mais, moi, tu ne m'auras jamais vivant! » Il dit et se précipita dans le vide.
Kpaloko fut pris son siège avait duré plusieurs lunes. La défaite et la mort du chef de Kpaloko remplirent les Dahoméens de joie et de confiance. Ils s'enrôlèrent en grand nombre comme fusiliers de (ihèzo. Dès lors, chaque année
fut marquée par une campagne. Ifanhim Lèfou-Lèfou Hohendji, près du lac Ahèmé; Adja'hinigan (Mahis) Gbotè (Nagots) Houèbi (Nagots) Sakétè (Nagots) Cultures d'Atakpamè Ouècé Mondjiba (Nagots) Kënglo (Mahis) DasaSôkpota (Mahis) Bolo Okiodan (Nagots) Atakpamé Abéokouta.
A part la campagne contre Abéokouta, toutes ces guerres furent heureuses et aucune, sauf celles de Lèfou-Lèfou, Kenglo et Okiodan, n'a offert rien de remarquable. Guerre île Lèfou-Lèfou. Le roi nagot de Lèfou-Lèfou avait interdit à ses sujets le port des pantalons et des grands pagnes, sous prétexte que ces vêtements étaient trop encombrants et les empêcheraient de porter la guerre contre nous, pour nous forcer de nouveau à payer aux Nagots le tribut auquel nous avions réussi à nous soustraire. Ghèzo eut connaissance de l'édit du roi de Lèfou-Lèfou;
il résolut de prévenir son attaque. Ayant fait construire un tumulus, qu'il appela Adanzoun, « le tumulus du courage », et qu'on voit encore en face de la porte du palais de Gbèkon-IIounli, il monta sur son sommet pour haranguer le Dahomey accouru en foule à son appel. Il montra les Nagots comme nos ennemis perpétuels il cria sa haine contre eux et sut la communiquer à son peuple. L'enthousiasme fut immense. Les guerriers partirent sûrs de la victoire (Planche XXV).
Devant Lèi'ou-Lèfou, les troupes dahoméennes luttèrent depuis le chant du coq jusqu'au milieu du jour avec un rare courage, mais sans succès. Alors Ghèzo fit jeter son bâton de commandement dans les rangs ennemis, en menaçant, si on l'y laissait, de tuer de sa propre main notre général et nos chefs de guerre. La menace suffit pour communiquer une ardeur nouvelle aux Dahoméens ils mirent leurs adversaires en déroute.
Après la victoire, Ghèzo les rassembla et leur dit ces seuls mots « On ne peut manquer de réaliser un désir qu'on a voulu de toutes ses forces » »
Guerre de Kënglo. Kënglo fut détruit, parce que ses habitants avaient refusé l'entrée de leur village à un blanc, présenté par le chacha à Ghèzo et auquel notre roi avait donné une escorte, pour lui permettre de visiter les montagnes Mahis.
Guerre d'Okiodan. Un bateau, sur rade de Uuidah, nous avait demandé des esclaves. Nous attaquâmes Okiodan pour nous en procurer et nous en primes 4.000.
Campagne contre Abéokouta. Cette campagne, la dernière importante de Ghèzo (1), marque un arrêt dans le succès des armes dahoméennes elle marque également les débuts d'une lutte plus acharnée contre les nagots. Avoir secoué le joug des rois des Oyo ne nous suffisait plus. Nous ne voulions plus de rival au Dahomey. Or Abéokouta menaçai notre puissance. Tous les Nagots dont nous cassions les pays s'y réfugiaient et nos ennemis se concentraient ainsi sur un seul point, toujours plus nombreux. Abéokouta devenait un danger pour Abomey (2). La mort ne permit pas à Ghèzo de poursuivre la suppression de ce danger. Après lui, Glélé et Béhanzin s'y employèrent de toutes leurs forces; mais aucun d'eux ne porta un coup décisif à la puissance des Nagots.
Encore aujourd'hui, nous regrettons de ne pas avoir pu « casser » Abéokouta et la conquête de notre pays nous aurait été moins pénible, si auparavant nous avions réussi dans nos luttes contre la grande ville Oyo (3). Néanmoins une consolation subsiste dans notre malheur, c'est que les habitants d' Abéokouta, eux aussi, sont sous la domination des blancs (Lagos anglais).
(1) Vers 4851.
(2l L'exactitude de cette phrase du narrateur indigène se trouve vérifiée par le passage suivant du livre du père Bouche.
« Abéokouta est de fondation moderne. Les Egbas. qui sont une des branches de la famille nago, étaient depuis longtemps victimes des razzias des tribus voisines, lorsque, vers 4820, une partie d'entre eux conçut le dessein d'abandonner leurs villages pour se réunir et se défendre contre de nouvelles attaques. Ils choisirent comme point de ralliement un immense rocher et le nom d'Abéokouta, qui veut dire a sous les roches», est un souvenir de ce premier abri ».
(3) Cette ville comptait plus de 100.000 habitants.
Histoire du « chacha ». Ghèzo fut terrible pour ses ennemis il s'est plu lui-même à se comparer au buffle en furie, qui fonce aveuglément sur l'obstacle. Par contre on n'a jamais connu d'ami d'une plus grande fidélité. Aussi son souvenir s'est-il conservé plus vivace qu'aucun autre et, maintenant encore, bien des Dahoméens éprouvent de la fierté à rappeler que leur père était un ami de Ghèzo. Parmi les amis de Ghèzo, il y en eut un qui rendit de très grands services au Dahomey, par les conseils qu'il donna à notre roi (1). Il s'appelait Francisco da Souza et habitait Ouidah, où il possédait une factorerie.
Da Souza était venu à Abomey, pour la première fois, dans les dernières années d'Adanzan. Mais, comme tout le monde, il y avait subi le despotisme méchant du roi. Celui-ci s'était emparé d'une de ses femmes et avait refusé de la lui rendre. Pour se venger de cet affront, da Souza, aussitôt son retour à Ouidah, avait fait fermer tous les chemins vers le Dahomey ni tissus, ni alcool, ni même la poudre nécessaire à nos guerriers, ne parvinrent plus à Abomey. Adanzan détrôné, Ghèzo envoya supplier da Souza de laisser reprendre le commerce. Ses émissaires se heurtèrent à une fin de non-recevoir « Ghèzo ne ressemblera-t-il pas à Adanzan? leur dit da Souza. N'a-t-il pas pris le pouvoir à son frère? Qui me prouve sa bonne foi? » (2).
(t)Ghèzô mérite réellement l'fidmii'Qtiondes Dahoméens. C'est lui qui a organisé le pays en lui donnant un embryon d'administration par la créa tion île nouvelles fondions de chefs. Il a également formé une armée permanente (man), composée d'hommes et de femmes. Il a développé le commerce avec les blancs de Ouidah Il n étendu la culture du palmier et celle du manioc Mais tout cela il ne l'aurait certainement pas fait, s'il n'avait pas été aidé des conseils de dn Souza.
(2) Les récits de Ouidah montrent da Souza comme ayant comploté
Enfin, après bien des pourparlers, da Souza consentit à revenir à Abomey. Il s'y fit accompagner de fusiliers Ghèzo se porta à ses devants et le reçut somptueusement. Tout malentendu fut dissipé et notre roi reçut la promesse que les blancs de Ouidah reprendraient le commerce avec nous. Dans la suite on ne connut da Souza que sous le nom de « chacha ». Il ne cessa jamais d'aider notre roi de ses conseils. C'est lui qui nous apprit la valeur de l'huile de palme et nous montra comment préparer le manioc pour pouvoir le manger sans être malade. Ghèzo, de son côté, lui donna des femmes et des esclaves et lui en vendit beaucoup d'autres, quelquefois deux mille après une seulo guerre (1). Sur les murs du palais, il y a encore beaucoup de basreliefs qui rappellent les gloires de (ïhèzo. On y voit des cannes dont les pommeaux étaient formés de crânes de Nagots qui nous avaient insultés. On y voit aussi le crâne du roi de Savè fixé à l'extrémité d'un fuseau. Le fuseau était avec Ghëzô contre Adanzan, afin de chasser celui-ci du pouvoir. Les faits rapportés ci-dessus tendent à infirmer elle version.
(1) Francisco Félix da Souza, originaire du Brésil vint en Afrique vers •1789. A Ouidah on raconte qu'il était très riche, qu'il avait plus de 4.000 esclaves (« plus de t.000 », en dahoméen, signifie « une grande quantité ».. Il mourut en 1849, laissant une cinquantaine d'enfants.
Son héritier fut son fils Isidore, qui prit comme lui le titre de « chaclia ». Il mourut en 1838.
Le troisième chaeha, Francisco da Souza, ne put entretenir les bonnes relations qu'avaient eues ses prédécesseurs avec les rois d'Abomey. 11 fut même retenu en prison par Glélé, pendant deux jours. Il mourut en 1880. Le jour de ses obsèques, Kondo, qui fut Béhanzin, vint, parattil, piller son quartier à Ouidah.
Chaeha serait un surnom donné à Félix da Souza par les indigènes, à cause de sa démarche très vive. Chacha = marcher à pas courts et pressés.
celui de la femme préférée de Ghèzo ainsi orné, il rappelait à notre roi la vengeance qui avait été tirée d'une menace proférée par son ennemi « Je suis plus fort que Ghèzo, s'était vanté le roi de Savè je le tuerai et ferai tourner sa tête comme un fuseau » (Planche XXIV).
Parmi les sièges de nos rois, que nous conservons pieusement au palais, tous les blancs en remarquent un, dont les pieds sont formés par quatre crânes. C'est le trône de Ghèzo. Les crânes sont ceux de quatre chefs d'Houndjorotô (Planche XIX).
Houndjorotô était un puissant pays des Mahis, qui comptait 371 hameaux ou villages. Nous l'avions attaqué au temps d'Agonglo mais ses habitants nous avaient repoussés et avaient fait prisonniers deux frères de Ghèzo, Asogbaou et Tofa.
Les rois d'Houndjorotô dirent à ces deux princes qu'ils les avaient réduits en esclavage et qu'ils les vendraient 2.000 francs. Tofa se fâcha, injuria ses vainqueurs. Ils le tuèrent. Asogbnou sut, sans doute, mieux supporter l'outrage, car il eut la vie sauve. On se contenta de lui déchirer la peau sur les bras et sur la poitrine pour simuler des tatouages d'esclave, puis on le renvoya à Abomey. chargé de cadeaux. En apprenant les outrages subis par ses frères, Ghèzo partit lui-même en guerre. Ses soldats lui donnèrent la victoire. Ils capturèrent l'un des rois d'Houndjorotô, qui avaient fait mourir Tofa. Ils l'amenèrent devant Ghèzô qui se précipita sur lui, le terrassa et, avec ses ongles et ses dents, lui déchira les bras.
De retour à Abomey, Ghèzo ordonna la mort de deux vaincus, dont il fit exposer les corps de chaque côté de la
porte Dosou-mègbonou. Il donna dix antres vaincus à son frère Asogbaou, avec l'autorisation de les vendre comme esclaves mais Asogbaou le supplia de les lui racheter, moyennant un verre de tafia, parce qu'il voulait, dit-il, les vendre tous les dix en même temps et manger leur prix en une seule fois.
Quant au malheureux Tofa, victime des rois d'Houndjorotô, on ne retrouva que son crâne qui avait servi de trophée à ses vainqueurs. On le rapporta à Abomey. Une des épouses du prince l'enveloppa dans un pagne, puis, le serrant contre sa poitrine, elle se coucha dans un cercueil où elle se laissa mourir de faim.
Règne de Glélé (I)
Première guerre du règne. Glélé, ayant appris qu'à la nouvelle de la mort de Ghèzô les gens de Doumé avaient célébré des fêtes de réjouissances, envoya ses guerriers pour venger la mémoire de son père. Le roi de Doumé et son ami, celui de Kana-houn, furent tués.
D'autre part le chef de Doïsa, qui avait prévenu les habitants de Doumé de notre marche contre eux, se vit attaquer. Il fut tué.
Guerre cClschaga. Les habitants d'Ischaga avaient accompagné les troupes de Ghèzo contre Abéokouta, puis s'étaient retournés contre elles, en voyant l'insuccès de leurs armes.
Glélé, devenu roi, ne parut pas avoir gardé rancune du (1) 1858 a 1889.
passé. Il sollicita d'Ischaga une nouvelle alliance en vue d'une expédition contre Abéokouta.
Rendez-vous est pris à Iscbaga même. Devant la ville, nous trouvons de nombreux cavaliers équipés pour la guerre. Glélé les regarde; il regarde le pays; puis il appelle son général et lui ordonne de « casser » Iscbaga.
La ville fut saccagée (1) les cavaliers furent presque tous tués. On coupa leurs têtes, qu'on attacha au cou des chevaux pour les apporter à Ahomey. C'est ce fait d'armes que perpétuent certains bas-reliefs du palais, qui figurent un cheval portant une tête humaine en guise de collier (Planche XXIV).
Le roi d'Ischaga, Bakoko, fut tué et son crâne servit à Glélé de coupe à boire. C'était un moyen pour notre roi de montrer qu'il n'avait jamais oublié que, grâce à la félonie de Dakoko, les troupes dahoméennes n'avaient pas trouvé à Ischaga l'hospitalité sur laquelle elles auraient été en droit de compter, lors de leur marche en arrière à la première campagne d'Abéokouta.
Guerre contre Abèokoxita. Glélé entreprit la conquête méthodique du territoire d'Abéokouta. Les habitants de ce pays avaient établi, en avant de leur capitale et sur la route d'Aboiney, des terrains de culture Bla, Ké-itcba, Léo. Ils étaient ainsi à l'abri de nos surprises, car nos incursions leur étaient signalées même la nuit. Glélé résolut de détruire successivement ces avant-postes.
Malheureusement à Bla (2) nous n'eûmes pas à faire (1) Mars 1862.
(i) Egalement en mars 1862.
qu'aux habitants des cultures nous y rencontrâmes toutes les troupes d'Abéokouta. Nos guerriers accomplirent pourtant des prodiges de valeur ils tuèrent le grand chef de guerre nagot, Faladè, et forcèrent l'ennemi à rentrer dans les murs de sa capitale. Leur ardeur fut si grande qu'ils se précipitèrent, sans hésiter, dans les fossés qui entouraient Abéokouta, ne les estimant pas plus profonds que ceux d'Abomey et persuadés d'en escalader facilement les revers. Hélas beaucoup y trouvèrent la mort et force fut à Glélé de battre en retraite, harcelé par les Nagots et laissant de nombreux prisonniers.
Vers cette époque, un mulâtre, nommé Domingo, vint à Abomey; Glélé le chargea de racheter ceux des nôtres restés entre les mains des guerriers d'Abéokouta. Domingo accepta volontiers la mission; mais, bien qu'il fût notre ami, il ne ramena aucun Dahoméen à Abomey. Il s'en fut les revendre à Lagos. Glélé y envoya alors des soies, des coraux et de l'argent. en vain. Nous n'avons jamais revu les nôtres faits prisonniers à Abéokouta.
Après ce premier échec, Glélé voulut connaitre à fond les défenses et les routes de la capitale des Nagots. Il chargea de cette étude deux espions dont l'un, nommé Adèdjoumon, conduisit plus tard les Français au Dahomey. Les deux espions se virent refuser l'entrée de Schalada, village situé sur la route d'Abéokouta. Ils rebroussèrent donc chemin et rendirent compte de l'incident à Glélé. Notre roi envoya aussitôt « casser » Schalala. Le chef de ce village fut tué et son crâne cloué sur une natte en cuivre. Ainsi fut fait, pour montrer à tous comment le roi du Dahomey savait châtier ceux qui refusaient de laisser reposer ses envoyés.
Deux autres expéditions contre Abéokouta furent également sans grand succès, bien qu'à chaque fois Glélé eût augmenté ses troupes (1).
Guerre de Ilouèli. Les gens de Houèli descendent des Adjas comme les Dasa et comme nous. Ils nous refusaient l'entrée de leur pays. Glélé les attaqua. Leur roi Akoïkou fut tué et son crâne cloué sur le tam-tam qu'on frappait, en cadence lente, pour marquer le pas du roi.
Guerre de Kètou. Les habitants de Kètou avaient secouru ceux de Fia et d'Adjohoun que nous avions attaqués. Badjèkou, roi de Kètou, et Afo, grand chef très méchant, reçurent mal nos remontrances à ce sujet ils nous mirent même au défi de porter la guerre chez eux. C'est là l'origine de nos guerres avec Kètou.
(1) 1864 et 1873.
Cette ville était très peuplée et entourée de fossés profonds d'un bambou (5 m.) et larges de trois (15 m.). Dans une première campagne, Badjèkou et Afo furent tués. On déposa la tète du premier dans une cuvette en cuivre de celle du second on lit un marteau. Ces deux trophées furent désormais portés devant notre roi.
Les fugitifs de Kètou se rassemblèrent après le départ de nos guerriers ils se choisirent de nouveaux chefs et conclurent des alliances avec Sën-in (vers Ibadan), Kè-éfo (derrière Viki) et (îan-na, toutes villes importantes. Un dit même que Kê-éfo, était entourée d'un fossé qui se serait étendu depuis Abomey jusqu'à Hênvi (60 kilomètres !)
Confiants dans leur nouvelle force, les gens de Kètou nous envoyèrent un défi. Ils n'attendirent pas nos guerriers et nous les rencontrâmes, avec leurs alliés, en arrière d'Agony. Les habitants de ce dernier pays avaient fui à leur approche et beaucoup périrent de faim et de misère dans la brousse.
Nos guerriers remportèrent la victoire. Pour prévenir un retour offensif de l'ennemi ils s'établirent à l'endroit où s'élève actuellement la mission catholique de Zagnanado ils y restèrent cinq lunes.
Ce n'est qu'après une troisième campagne que nos troupes réussirent à « casser » Kètou. (ilélé édicta alors « que personne ne demeure plus jamais à Kètou, car Kètou est trop près d'Agony qui nous appartient. Nos ennemis ne doivent pas nous approcher ainsi ».
Les blancs ont cassé le Dahomey et Kètou s'est relevé! Guerre (V Okiodan. Nous avions « cassé » la ville d Okio-
dan au temps de Ghèzo; mais ses habitants l'avaient reconstruite et bientôt ils se crurent assez forts pour se venger. Ils envoyèrent à Glélé un défi ainsi conçu « La brousse que ton père a coupée, a repoussé ».
Répondre à cette provocation n'était pas la seule raison que nous avions de porter la guerre chez eux. Tofa, le roi de Porto-Novo, avait en effet prié Kondo, le prince héritier qui fut Béhanzin, d'intervenir auprès de Glélé pour obtenir l'envoi de guerriers contre les gens d'Okiodan qui désolaient son territoire par leurs incursions. Glélé luimême, accompagné de Kondo, se mit à la tête des troupes dahoméennes qu'appelaient les Porto-Noviens et, quand il eut remporté un succès éclatant, il partagea les prisonniers de guerre avec Tofa.
Incursions dans le royaume de Porto-Novo. Tofa devait à Glélé sa nomination de roi de Porto-Novo. Avant de régner il s'appelait Bàsi. Il fut imposé aux Porto-Noviens par Glélé, comme successeur de Sodji (1).
Monté sur le trône Tofa ne tarda pas à se faire haïr de ses sujets. A tout instant il nous appelait à son aide contre des villages de son royaume qui lui refusaient obéissance et, quand nos guerriers avaient mis à la raison les récalcitrants, il déclarait à son peuple que les Dahoméens étaient des pillards, mais qu'il saurait les forcer à rentrer chez eux. C'est dans ces conditions que nous détruisîmes Yokon, Ghada, Mitro, Dangbo, villages situés sur les hauteurs (le la (I) (Hélé ne fui pas seul à faciliter à Tofa l'arrivée au trône. Les commerçants français (le Porto-Novo prirent une grande part à cet nvénoment.
rive gauche de l'Ouèmê. Nous n'eûmes la certitude de sa fourberie qu'à Djigbé. Là, nous étions en train d'opérer sur son appel, lorsque nous fûmes attaqués par ses guerriers à l'improviste
Ce dernier trait détermina Glélé à mettre Sohingbè à la place de Tofa. C'est alors que celui-ci sollicita le secours des blancs.
Soliingbé vint de Djofi (territoire de Lagos) à Abomey. Il était auprès de nous au moment de la déclaration de guerre des Français et, si dans cette dernière lutte la victoire nous eût appartenu, il aurait très certainement remplacé Tofa; cependant pour le soutenir, nous n'aurions jamais tiré un seul coup de fusil sur Porto-Novo, qui nous est sacré au même titre qu'Alada.
Pour mieux montrer que nos incursions sur le territoire Porto-Novien étaient voulues par Tofa, je puis citer encore notre campagne contre Ta ko. Ce fut lui-même, qui nous prévint, que le roi (le ce pays avait prétendu pouvoir prouver la fausseté de l'idée émise dans un surnom de Glélé qui signifie « On ne peut rayer une pierre avec l'ongle. » A Bozoumé, à Mitro, à Zouughé ce fut encore Tofa qui appela nos guerriers. A Uèfîu aussi mais après cette expédition quand nous lui eûmes envoyé le crâne du roi Kiki, il eut l'audace de répondre à nos émissaires « Ce n'est pas moi qui vous ai demandé de piller Uèfin maintenant. Le moment où je vous avais appelés est passé depuis longtemps. Les habitants de Uèfin m'écoutent et me sont des sujets soumis »
Guerres des Mahis. Glélé entreprit la conquête du pays
Maliis, pour se conformer à notre désir de vengeance contre les assassins du prince Tofa, frère de Ghèzo. Seuls, à la vérité, les habitants d'Hounjorotô étaient coupables en l'espèce mais ce n'était pas trop de rendre responsables avec eux tous les gens de leur race ou leurs alliés. Aussi successivement furent attaqués Adovi-Zoumé, Adovi-Lao, Kënglo, Agouagon, Tio, Bafo, Viba-Log-ozohé, Gbédavo, Monkpa, Sokolokgbo, Gounsiie, Adovi-Tchanka, Houala, Tankpon, Dékanniê, Tonkodjùè, Kotobo, Gogba, Gbadji, Logbô, Gbéhau, Kobli, Paouignan, Gbanlin, San'nté, Aklampa, Dasa-Klé, Ban-n'toii, Dasa-Zoumè, Tcltatchuëgou, DasaOuisi, Akovidjagô, Yonkpüen.
Hùloirp d'un traité avec les Portugais (1). Le bruit s'était répandu que Julio da Souza, fils du « Gliacha », avait eu avec le roi Glélé, à Abougon – près d'Abomey une entrevue, au cours de laquelle il avait obtenu du Dahomey la cession du sol de Ouidah aux Portugais (2). Tout cela était absolument faux mais il s'agissait de rechercher si da Souza n'était réellement pas l'auteur de quelque intrigue.
Candido, un mulâtre de Ouidah, put se procurer une (11 Vers 1886, probablement. Le Portugal tenta d'établir son protectorat sur le Dahomey, mais renonça à ses prétentions par un acte notifié aux puissances, en décembre 1887. 1.
(2) Le chacha, Julio da Souza, dont il s'agit ici. fut le quatrième titulaire de la dignité de chacha. c( Il chercha nouer des intrigues avec la Portugal. Ses ennemis commerciaux le dénoncèrent et le 3 mai 1887, Glélé le destitua, le mit en prison la chafne au cou. Ses biens furent confisqués, sa famille persécutée. L'influence portugaise subit par la dispation de Juliao un rhoc sérieux, dont elle ne s'est jamais relevée». (Extrait de d'Alhecca).
copie du traité que Glélé, soi-disant, avait signé avec da Souza il nous expliqua que ce traité donnait Ouidah aux Portugais et citait beaucoup de princes comme témoins de la cession consentie par notre roi.
Glélé voulut tirer cette affaire au clair.
Dans la crainte que Julio da Souza n'arrivât à soupçonner que nous possédions son faux traité et qu'il se gardât alors de paraître à Abomey, Glélé lui envoya beaucoup d'esclaves en le priant de venir s'entendre sur leur prix et prendre, en même temps, une commande de produits européens.
Da Souza se rendit à l'invitation du roi. Celui-ci le reçut fort bien et fit, en son honneur, dresser une table chargée de mets et de liqueurs.
Dans la soirée, Kondo, le prince héritier, emmène da Souza hors du palais et lui communique la copie du traité. Da Souza jure ses grands dieux qu'il n'en a jamais eu connaissance. Candido, présent, affirme que le fils du chacha, le fils de l'ami de Ghézo, en est l'auteur, ainsi que lui-même d'ailleurs qu'on n'a qu'a faire subir l'épreuve du fétiche pour être fixé. Celle-ci est concluante da Souza est coupable.
Immédiatement on l'amarre, on le frappe et on le conduit en prison.
Glélé fit ensuite appeler de Ouidah le fils aîné de Julio da Souza, nommé Germa mais il eut soin de lui cacher le véritable motif de son appel. Germa fut arrêté aussitôt son arrivée à Abomey.
On procéda également à l'arrestation de tous les autres enfants de da Souza ils furent interrogés et ceux qui paru-
rent ne pas avoir trempé dans le crime de leur père furent relâchés.
Guerre contre les Français, sous le règne de Béhanzin. Je n'étais pas à Abomey au moment de la visite de Bayol et de Xavier (1). J'habitais à Tori, dont je commandais la région. Par conséquent je ne puis pas parler de ce qui s'est passé entre Bayol et Glélé.
Glélé, déjà malade, mourut le lendemain du départ de Bayol d'Abomey (2), au moment où il se disposait à célébrer les sacrifices annuels en l'honneur de nos ancêtres. Lui disparu, les esclaves de guerre, dont il devait envoyer les âmes saluer celles de ses pères, ne pouvaient plus partir pour l'au delà sans être accompagnés d'autres captifs, offerts par le nouveau roi Béhanzin. Nous tous, chefs, nous nous attendions donc à entrer en campagne avant peu.
Sur les entrefaites, nous apprîmes la prise de Cotonou par les Français (3). Un messager de Kao, chef de guerre à Ouidah, m'invita à me joindre aux gens d'Allada pour reprendre ce point.
Le contingent de Tori le mien partit en avant il fut repoussé avec beaucoup de pertes (4).
Cependant d'autres guerriers se rassemblent. Les blancs (1) Xavier Béraud, actuellement interprète en chef du gouvernement. (2) 30 décembre 1889.
(3) Il s'agissait pour la France de faire respecter les traités conclus entre elle et le Dahomey en 1868 et 1878. Le roi Glélé, dès 1887, avait voulu revenir sur les termes de ces traités en ce qui concernait la cession de Cotonou à la France et, depuis, les rapports entre Français et Dahoméens avaient été tendus. A Cotonou des chefs dahoméens affectaient de commander encore. Il fallait définitivement prendre pied sur ce point. (4) Combats de fin février 1890.
en sont informés et ils nous envoient demander de nous soumettre au drapeau français. Nous refusons et rendons compte des événements à Béhanzin. Puis, une nuit, silencieusement, nous nous acheminons, par Godomè, vers Zôgbo où se trouvait un poste français. Nous y parvenons au petit jour mais, au lieu de tomber sur l'ennemi à l'improviste, comme nous l'espérions, c'est lui qui nous surpend par ses coups de fusils « nombreux, tirés de loin et ensemble ». Nos guerriers lâchent pied et beaucoup restent sur le champ de bataille (1). La réponse du roi à notre premier message ne nous était pas encore parvenue, que, déjà, il fallait lui rendre compte d'un nouvel insuccès.
Enfin des renforts nous parvinrent, en même temps que Béhanzin nous annonçait son arrivée imminente et nous ordonnait de continuer le rassemblement des guerriers et de n'entreprendre aucune nouvelle attaque.
Dès son arrivée, le roi convoqua tous les chefs. Ce n'était pas lui qui avait donné l'ordre de marcher contre les Français il était si peu partisan de cette guerre qu'il n'avait point revêtu la tunique que tous les Dahoméens, même le roi portaient en campagne (2). Il se fit rendre compte de nos deux attaques contre Cotonou, puis il nous dit « La guerre avec les blancs ne se fait pas ainsi vous avez opéré comme si vos ennemis étaient des noirs « Là dessus il envoya chercher Hendry à Ouidah.
Hendry était un mulâtre il avait voyagé jusqu'à Lagos et connaissait les habitudes des blancs. Béhanzin espérait donc (i) 1er mars 1890.
(2) Cette tunique sans manches n'atteignait que les genoux elle s'appelait akasan.
de lui des renseignements sur la manière de conduire les hostilités contre les Français.
Le roi ne voulait rien entreprendre avant l'arrivée de Hendry mais nous insistâmes tellement qu'il nous permit une nouvelle attaque contre Cotonou.
Nous fûmes encore battus et dûmes reculer jusqu'à Godomè (1).
Tous les chefs, tous les guerriers s'étonnaient de ne pas avoir raison facilement des blancs. Nous croyions qu'ils s'occupaient uniquement de commerce et nous les trouvions guerriers
Hendry arriva. Il s'entretint avec Béhanzia et lui conseilla de demander aux blancs si c'était l'usage chez eux de profiter de la mort d'un père pour « casser » le pays de ses enfants. Les Français répondirent « Comment se fait-il que vous vous décidiez maintenant à nous adresser un message Vous avez envoyé la guerre d'abord, votre message ensuite. Vous auriez dû nous adresser votre message en premier lieu, si vous vouliez une entente ».
« Plus de doute, pensâmes-nous puisque les Français nous donnent cette réponse, c'est qu'ils veulent se battre et qu'ils sont amis de Tofa qui les a appelés contre nous. » Nous avions une querelle avec Tofa. A maintes reprises, il nous avait demandé de casser des villages qui lui refusaient obéissance et il se défendait ensuite de nous voir appelés. Tout récemment, il avait envoyé ses guerriers contre les nôtres occupés, sur son désir, à piller Djibè.
Puisque Tofa était l'ami des Français et que nos efforts res(1) Combat de nuit du mars 1890, attaque du blockhaus de Cotonou.
taient impuissants contre ceux-ci, nous prîmes le parti d'aller dévaster le royaume de Porto-Novo et d'y abattre tous les palmiers afin de ruiner son commerce. Béhanzin ordonna donc à ses troupes de battre en retraite et de laisser la place aux blancs.
Pour pénétrer sur le royaume de Porto-Novo, notre chemin direct eût été de gagner les régions au nord d'Allada et de nous diriger de là vers l'Ouèmè, que nous aurions traversé à hauteur de Dogba. Mais, à la guerre, nous n'avions pas l'habitude de marcher directement sur notre objectif ni même de suivre les sentiers fréquentés. C'est pourquoi nos guerriers se replièrent jusqu'à Abomey, d'où ils piquèrent droit sur Agony pour redescendre vers le sud, en évitant soigneusement les villages. Ils arrivèrent ainsi à Aho, sans avoir été signalés. Là ils se divisèrent en plusieurs groupes. Les uns sous le commandement de Goutchili, qui fut plus tard Agoli-Agbo, marchèrent sur Gnanli les autres, avec KokoroKakara, sur Katagon d'autres encore se dirigèrent sur Uézoumé, Agbogomé, Bléhouin, Bèdji. Chaque groupe avait déjà réussi sa mission, en dévastant les villages qui lui avaient été désignés comme objectif, lorsque les Français arrivèrent à Atchoupa. Les blancs avaient des fusils qui trouaient les palmiers Ils nous mirent en déroute. Tous nos guerriers battirent en retraite vers Agony, tandis que les Français avec les gens de Tofa rentraient à PortoNovo (1).
A Agony, Béhanzin apprit que le Kousougan (2) de (1) 20 avril 1890.
(2) Le Kousougan était délégué du roi à Ouidah.
Ouidah avait arrêté plusieurs Français, parmi lesquels se trouvait le « blanc court qui a commandé le chemin de fer » (M. Heuzé) (1).
Le Kousougan, en même temps qu'il transmettait cette nouvelle, rendait compte au roi que Ballot lui avait proposé d'échanger les prisonniers blancs contre les Dahoméens capturés à Atchoupa, mais que lui, Kousougan, avait refusé cette offre, parce qu'il ne croyait nullement à la parole des blancs.
Béhanzin, après avoir reçu ce message, dit à ses chefs « Non, les blancs ne peuvent mentir s'ils ont promis de relâcher les Dahoméens faits prisonniers ils tiendront leurs promesse .»
Les prisonniers blancs lui furent présentés il les traita bien et les renvoya à Ouidah, avec ordre au Kousougan, de les remettre en liberté et d'annoncer à Ballot qu'il acceptait ses propositions (2).
Nos guerriers que les Français avaient pris à Atchoupa furent relâchés et vinrent saluer le roi à Agony. De retour à Abomey, Béhanzin ordonna au Kousougan de « faire un papier » sur lequel les blancs et les Dahoméens s'engageraient à ne jamais se combattre. Le « papier fut fait ». Nous abandonnions Cotonou aux Français, à charge (t) Ici, le narrateur, sans doute pour disculper son frère dans notre esprit, intervertit l'ordre des événements. Les otages avaient été pris le 24 février, au moment précisément où Kao, chef de Ouidah, ordonnait au contingent de Tori de conduire la première attaque contre Cotonou. Ils arrivèrent à Abomey le 20 mars et y virent le roi, qui les obligea, le 4 avril, à écrire une lettre au gouverneur Ballot.
(2) Mai t890.
pour eux de nous « payer le prix des palmiers qu'ils avaient l'intention d'abattre autour de leurs demeures » [1). Béhanzin réconcilié avec les blancs, songea à entreprendre contre Lozin la guerre, que Glélé se disposait à y porter, lorsque la mort l'avait enlevé au Danhomé. Il fallut près d'un an pour casser tous les villages autour de Lozin. Après cette heureuse campagne, Béhanzin envoya prévenir Ballot de son intention de « casser » Aglazoumè dont les habitants, au temps d'Agonglo, avaient repoussé nos guerriers et tué plusieurs de nos princes. Ballot répondit à notre émissaire qu'Aglazoumé n'étant pas protégé par le pavillon français, il ne voulait pas s'entremettre entre ce pays et le Dahomey. Nos guerriers attaquèrent donc Aglazoumé, puis revinrent à Abomey (2).
Le gouverneur fut mal renseigné, sans doute, sur cette dernière expédition, car il nous accusa d'avoir manqué à la France, en portant la guerre chez les Ouatchis, ses protégés. Nous n'eûmes pas de peine à prouver que nos guerriers n'avaient pas dépassé Aglazoumé.
Le temps était venu où Béhanzin allait attaquer un vil(1) Arrangement du 3 octobre 1890
Article premier. Le roi du Dahomey s'engage à respecter le protectorat français du royaume de Porto-Novo et à s'abstenir de toute incursion sur les territoires faisant partie de ce royaume.
Il reconnait à la France le droit d'occuper indéfiniment Cotonou. Art. 2. La France exercera son action auprès du roi de Porto-Novo pour qu'aucune cause légitime de plainte ne soit donnée au roi du Dahomey.
A titre de compensation pour l'occupation de Cotonou, il sera versé annuellement par la France une somme qui ne pourra en aucun cas dépasser 20.000 francs.
(2) Novembre 1891.
lage des bords de l'Ouèmè, afin d'obéir aux obligations imposées à tous nos rois, depuis le meurtre de deux frères d'Akaba par les gens de cette région. Le village choisi fut celui de Gbè-Ko, près de Hètin, parce que nous croyions que le drapeau français ne le protégeait pas.
Mais voilà que, pendant l'action de nos guerriers, Ballot monté surune « pirogue à feu » passe devant Hètin. Le roi entend une fusillade. Il envoie aux nouvelles. On lui dit qu'une « pirogue à feu » est venue jusqu'à Donkoli et que les blancs ont tiré sur les Dahoméens « Qui a tiré le premier coup de fusil? » demande Béhanzin. – « Les Français » lui est-il répondu, tout d'abord. Mais un guerrier se détache des rangs pour affirmer le contraire. « Il arrive une chose regrettable, s'écrie le roi. Notre main est dans le papier. Si mes guerriers ont tiré les premiers, ils ont mal fait ». Puis il ordonne une enquête et acquiert bientôt la certitude que ce sont nos guerriers qui ont attaqué les blancs à l'improviste (1).
Le lendemain nos troupes rentrèrent à Allada. Peu après, elles y apprirent que les Français habitant Ouidah s'étaient embarqués (2) et que le Kousougan avait reçu un message de Ballot, dans lequel le chef des blancs disait « Celui qui se conduit mal à l'égard de quelqu'un, le froisse immédiatement ».
(l ) Cet incident porte dans les documents officiels le nom de « Affaire de la Topaze » et eut lieu le 27 mars 1892. La chaloupe, à vapeur Topaze avait été envoyée sur l'Ouémé pour tâcher, par sa présence, d'arrêter le pillage des villages attaqués par les Dahoméens et qui faiaient partie du protectorat de Porto-Novo.
(i) Les Européens de Ouidah dont la situation était peu sûre s'étaient, en effet, embarqués sur le Brandon, le M juin 1892.
Béhanzin se décida à envoyer son bâton au gouverneur. Ballot le lança loin de lui, déclarant qu'il ne voulait plus écouter les Dahoméens.
Le roi fit écrire plus de quaranta lettres pour demander audience à Kotonou et expliquer que, si les Dahoméens avaient tiré les premiers sur les blancs, ils l'avaient fait sans son ordre que d'ailleurs l'auteur du premier coup de feu avait été puni de mort. Toutes ses lettres restèrent sans réponse (1).
Plusieurs lunes se passèrent et nous continuions à ignorer les intentions des Français à notre égard. Béhanzin les envoya alors prévenir qu'il allait partir en guerre contre les Nagots. Ballot répondit qu'il s'en moquait mais nos troupes venaient à peine de quitter Allada et Abomey, lorsque les blancs canonnèrent Ouidah, Avrékété, Zôgbo, Calavi et Godomé (2). Béhanzin renonça à son expédition contre les Nagots. Bien lui en prit, car déjà les gens de l'Ouémé (région du Dékanmé), qui étaient devenus nos amis, nous prévenaient que les Français traversaient leur pays pour venir nous attaquer (3).
Une partie de nos guerriers est alors envoyée à Afamé. Ils surprennent les blancs à Dogba; mais, malgré tous leurs efforts, ils sont repoussés.
Béhanzin, prévenu de cette défaite, arrive à Sagbovi. Il (1) A comparer avec ce passage d'une lettre du colonel Dodds, en date du 8 juillet 1892, au sujet de Béhanzin. « A ses lettres insolentes et comminatoires du mois d'avril ont succérlé de plates et ridicules protestations auxquelles j'ai pris le parti de ne plus répondre ».
(2) 10 août 1892.
(3) Le Dékamé était devenu allié des Dahoméens en 1891, après une querelle avec Tofa son légitime suzerain.
déploie toutes ses troupes sur les rives de l'Ouémè elles ne peuvent empêcher les Français de traverser le fleuve (1). Il les reporte alors en arrière du Zouga à Kpoghèsa (2); elles luttent avec plus d'acharnement, mais elles doivent encore reculer.
Malgré ces défaites successives,nous nous entêtions à croire les Français incapables de pousser plus avant leur expédition. C'est qu'en effet nous n'avions jamais vu les blancs autrement qu'en hamac et nous en étions arrivés à conclure qu'ils ne pouvaient presque pas marcher. Quand nous les vîmes, avec des sacs sur le dos, marcher comme nous et courir, nous commençâmes à comprendre qu'il eût été préférable de s'en faire des amis.
Samio est à cinq heures de Kpoghèsa. Aujourd'hui, il n'y a plus rien en cet endroit, même pas un champ les palmiers y croissent au milieu de la brousse. Au temps de la guerre avec les Français, Samio comptait plus de huit mille esclaves. Béhanzin y attendit l'ennemi (3).
Après deux journées de combat, force nous est de reculer encore. Nos guerriers se massent en grand nombre derrière le Koto; mais tandis qu'ils dirigent tous leurs efforts dans la direction de Kotokpa, ils sont pris en queue par un groupe d'ennemis qui a réussi i traverser la rivière, en un point que nous n'avions pas songé à faire garder. Nos troupes se replient, en combattant, jusqu'à Cana (4).
En arrivant au marché de cette ville nous étions découra(1) 28 septembre 1892.
(2) 2 octobre 1894.
(3) t octobre 1892.
(•*) Du 14 octobre au 4 novembre 1892.
gés..V Lés fusils des Français tuaient nos hommes jusque derrière les arbres Et nombreux étaient nos morts C'est ce jour-là que nos femmes et nos enfants furent envoyés avec des émissaires derrière Atchéribé et que nous fîmes enfouir toutes nos richesses à l'écart des lieux habités, car déjà Béhanzin projetait de quitter Abomey et de se réfugier au delà du Zou. Mais ce n'est pas des blancs que nous aurions dû nous méfier. Pendant toute cette guerre, les Français ne nous firent aucun mal en dehors des combats. Nos esclaves nagots et mahis, au contraire, profitèrent de notre écrasement pour voler l'argent, les coraux et les pagnes que nous avions cachés.
Les troupes blanches s'arrêtèrent à Cana. Aussitôt Béhanzin envoya au colonel Dodds un messager avec 10.000 fr., des ignames, deux canons et un doigt en argent. Ce dernier objet, destiné au roi des Français (Président de la République) signifiait que désormais nous voulions être unis aux Français comme le doigt à la main. Nous pensions obtenir ainsi le retrait des soldats du colonel, car, chaque fois que dans nos guerres malheureuses avec les Nagots nous leur avions donné de l'argent, ils avaient quitté le pays de suite. Mais, non Le chef des blancs déclara qu'il ne s'en retournerait à la côte que si nous consentions à hisser le drapeau français sur les portes d'Abomey et à lui livrer tous nos fusils et tous nos canons. Béhanzin envoya quelques fusils seulement. Le colonel les prit et refusa tous les autres cadeaux. C'est alors qu'arriva Ballot. Il posa des conditions plus dures que le colonel « Je consens à suspendre les hostilités, fit-il dire à Béhanzin, à condition que le colonel entrera au
palais d'Abomey avec 100 fusiliers. Là nous te verrons et nous traiterons avec toi ».
Ces conditions parurent inacceptables aux chefs ils conseillèrent à Béhanzin de fuir vers Atchéribé et de mettre le feu à Abomey, pour empêcher les Français de s'y installer. Le roi s'enfuit le lendemain, pendant que les chefs incendiaient le palais. La plupart des souvenirs historiques ont disparu dans l'incendie.
Les blancs s'installèrent à Gohô. L'un de leurs chefs, Môdi (colonel Mauduit) somma Béhanzin de se rendre. Nous conseillâmes au roi de n'en rien faire (1). Un autre colonel, Dômalé (2), envoya dire à Béhanzin « Si tu viens à Gohô, nous parlerons et nous pourrons certainement nous entendre. Si tu ne viens pas, on te fera prisonnier et on t'enverra en France ». Le roi écouta encore nos avis « Il est impossible aux blancs de venir jusqu'à Atchèribè lui dîmesnous ». Et nous étions persuadés de ce que nous avancions. Vers cette époque, un Anglais de Lagos nous fit conseiller par un de ses agents, Djanisou (Jakson), d'envoyer des émissaires en France pour obtenir la paix, prétendant, disait-il, que le roi des Français n'était pas au courant des événements du Dahomey. Béhanzin choisit comme émissaires Tchètiflgan, Hendry et trois autres encore.
(1) Le colonel Mauduit commandait la région de Goho. C'est lui qui fit parvenir à Béhanzin une lettre du colonel Lambinet, commandant supérieur en l'absence du général Dodds. Dans cette lettre Béhanzin était sommé de se rendre et de choisir une résidence en dehors du Dahomé (30 mai 1893).
(2) Il s'agit, sans doute, du colonel Dumas qui, ayant remplacé le colonel Lambinet vint à Abomey et invita Behanzin à se présenter à Gohô. On voulait s'assurer si toutes les lettres écrites antérieurement à Béhanzin lui avaient été exactement remises ('23 juillet 1893).
Il confia 800 livres à Tchètiûgan pour le roi des Français, avec mission de demander le rappel du général et de ses troupes. Trois lunes passèrent. Nous étions sans nouvelles de Tchètiûgan et de ses compagnons, lorsque Béhanzin reçut du général le message suivant « Je reviens de France, j'y y ai appris que tu étais passé par-dessus ma tête. Le roi des Français te fait dire qu'il n'a pas reçu tes envoyés et qu'il me charge de continuer la guerre à outrance. Si tu viens tranquillement vers moi, ce sera bon; autrement je m'emparerai de toi par la force et t'enverrai loin du Dahomey » (1).
Le général vint à Fontonou près d'Agony. Une délégation de 25 chefs, dont je fis partie, lui fut adressée (2). Le général nous reçut. Il était assis auprès d'une table des soldats l'entouraient. Jamais nous n'avions vu un si grand nombre de blancs sous les armes et nous étions étonnés de la rapidité de leurs manœuvres d'ensemble. « Quelles paroles apportez-vous ? » interrogea le général.
« Nous demandons un pavillon français et un papier pour que la guerre finisse.
« Vous êtes des chefs seulement. Je ne puis traiter avec vous. Il faut que Béhanzin soit là ».
Il nous montra sur un papier le Zou, Atchérigbé, Paouignan, Savalou et nous expliqua que ses troupes ne pouvaient manquer de cerner Béhanzin.
« Qui veut porter mes paroles à Béhanzin ? » demandat-il.
(1) Le général était revenu de France le 30 août 4893.
(2) 7 novembre 1893.
Nous choisîmes Kokoro-Kakara.
« Préviens Béhanzin que je l'attends ».
Telles étaient les paroles du général mais nous, nous chargeâmes Kokoro-Kakara de supplier, au contraire, Béhanzin de rester dans sa retraite.
Kokoro-Kakara fut vite de retour. Il apportait pour chacun de nous 2 francs et des gâteaux de maïs de la part de Béhanzin, qui nous faisait prévenir de son intention de se soumettre aux Français, de peur de nous voir tous exilés. « Garde-toi de rapporter ce message au général, dimesnous à Kokoro. Demande-lui de repartir, accompagné de Ahéhéhénnou, sous prétexte d'essayer encore de décider Béhanzin à se rendre quand tu auras revu le roi, tu lui expliqueras que notre exil ne sera d'aucune importance pour le pays et que d'ailleurs nous ne le redoutons pas, persuadés qu'il réussirait, un jour, à racheter notre liberté. Au contraire, s'il se constituait prisonnier, nous n'aurions aucune force pour le délivrer ce serait la fin du Dahomey. » Kokoro-Kakara et Ahéhéhénnou partirent. Le second seul revint.
Vignighé mon frère, nous proposa de tenter une évasion mais comment ? Aucun de nous ne pouvait pas même s'éenrter sans un gardien.
Trois lunes se passèrent.
Un matin on nous fait appeler on nous conduit à Za, puis à Gohô. Là nous entendons raconter que les femmes et les enfants de Béhanzin se sont réfugiés, sans lui, derrière l'Agbado. Nous croyons alors notre roi prisonnier et nous tombons dans un grand découragement.
« Il nous'reste à mourir pensons-nous.
Nous étions à Gohô depuis quelques temps lorsque les chefs français nous demandèrent la retraite de Béhanzin. « A Gbokoda » répondîmes-nous.
« Où se trouve ce pays ? »
« Derrière Kpahoouignandji ».
C'était entièrement faux. Aucun pays ne s'est jamais appelé ainsi.
Un jour le général, ayant remarqué que nous étions sales, s'inquiéta de savoir si nous avions été maltraités. « Non, mais notre cœur est malade ».
« Alors, allez vous guérir chez vous. Reconstruisez vos cases. Je vais vous donner un autre roi ».
En nous-mêmes nous pensions « On ne fait pas un roi. Celui qui doit être roi, naît roi ».
Toutes les paroles du général nous les fîmes rapporter à Béhanzin et nous lui rendîmes compte aussi que nous avions été bien traités par les Français, ayant reçu chaque jour biscuits et tabac.
Notre frère Goutchili se présenta, comme désigné par Béhanzin lui-même pour lui succéder de suite. Cette prétention parut étrange aux princes et aux chefs, qui commençaient à rentrer dans le pays. Ils se réunirent chez Soglô, à Ouaouè, et y convoquèrent Goutchouli, aux fins de l'entendre jurer sur le fétiche que c'était bien Béhanzin qui le voulait roi à sa place (1).
Goutchouli devint roi, sous le nom d'Ago-li-Agho (2). Le lendemain de son couronnement, Béhanzin nous fit (1) A comparer cet extrait du Journal Officiel a A l'unanimité des chefs et des princes, Goutchili a été désigné pour succéder à Béhanzin. (2) 13 janvier 1894.
demander si nous avions rencontré Goutchouli qui l'avait quitté pour aller se soumettre aux Français. Nous comprimes alors l'intrigue.
Béhanzin, quand il l'apprit, s'emporta contre Goutchouli et le maudit. Ayant frappé trois fois la terre, il s'écria « Que Goutchouli, que ses enfants, que ses protégés ne puissent jamais régner sur le Dahomey »
Goutchouli sut que Béhanzin se trouvait à Félinou. Il renseigna aussitôt le général qui envoya des soldats pour s'emparer de notre roi. Mais celui-ci, prévenu à temps, put s'enfuir. Il vint à Oumbègamé – à deux heures d'Abomey et, malgré nos supplications, il se rendit au général (1). Depuis nous ne l'avons jamais revu. Longtemps ses enfants ont cru qu'il échapperait aux Français, sous la forme d'un oiseau. Maintenant ils ne gardent plus d'espoir, puisque le résident et le gouverneur ont dit qu'il était mort. (4) 25 janvier 1894.
APPENDICE I
DIVISION DU TEMPS
La division du jour en heures est connue seulement des Dahoméens qui fréquentent les Européens. Ils emploient alors les mots gan pour les heures et tchèdjou pour les minutes.
Ce dernier, d'origine nagote, signifie clignement d'yeux et par conséquent rendrait mieux l'idée de seconde. Quant au mot gan, son sens primitif est fer, métal. S'il a été pris dans le sens d'heure cela est venu de l'habitude qu'avaient les premières factoreries de sonner les heures principales de la journée en frappant des objets en métal, cloches ou gongs. E ho gan, il frappe le métal, il frappe l'heure, l'heure sonne. Une heure, gan dopo.
Les Dahoméens, qui ne connaissent pas les usages des blancs, se servent d'expressions moins précises, mais plus poétiques, pour désigner les instants remarquables du jour et de la nuit. Nous les reproduisons ci-dessous.
IÇokoro-koasi Chant du eoq; avant le jour.
Aï-houn-lwn [aï= terre houn = ouvre hon –porte) La terre ouvre sa porte. Aurore.
Hê-gna-ouênou (hé = oiseau; gna = chasser; ouênou = moment) 7 heures environ; c'est le moment où les enfants sont envoyés aux champs pour chasser les oiseaux qui pillent les grains venus à maturité.
Ouê-i-houan ou ouê-djoro-houan (ouê soleil; i = aller; djoro = droit houan = jet vertical d'une pierre lancée avec une fronde) Le soleil est droit comme le jet vertical de la pierre; midi. On dit encore le jour est partagé en deux.
Ouê-fè-ko ou ouê-lè-ko (ouê = soleil fè = baisser le = tourner ko = cou) Le soleil tourne ou incline le cou quatre heures. Ouê-djè-dd (oué = soleil; djè = tomber dô = trou) Le soleil tombe crépuscule.
Zan-bo (zan = nuit bo = mou, non dessiné) La nuit n'est pas dessinée aussitôt après le crépuscule.
Zan-kou Le jour est mort la nuit est venue.
Zan-gnagna (gnagna = mauvais) La nuit mauvaise; nuit complète. C'est le moment critique de la soirée les serpents sortent de la brousse et traversent les sentiers.
Zan-houètè (s an = nuit; houèlè = qui se tient droit debout) La nuit se tient droite. Minuit.
Zan ouzou-ko (zan = nuit ouzou = changer, tourner; ko – le cou) La nuit tourne le cou la nuit se termine.
La semaine dahoméenne comprend quatre jours qui correspondent à des marchés importants et qui sont
Adogou'in'hi, Zobodô'hi, Adjahi, Mignon'hi (ahi = marché). Le marché A'Adogoutn se tenait chez les gens de Pèda, à Djèken. Ses fétiches furent importés en territoire dahoméen à Cana, par le roi Kpëngla, vers 1780.
Le marché de Zobodô existait déjà à Zado (S.-E. d'Abomey), au moment de l'exode des dissidents d'Allada vers Abomey. C'était un marché très important avant la construction de la voie ferrée, car il se trouvait sur le sentier qui menait, par Cana et les marais de la Lama, à Allada et Ouidah.
Le marché Adja se tint tout d'abord dans les Oua-Ouè (aux environs de la gare d'Abomey). Sous le règne d'Agadja (1708-1728), il fut installé à Abomey, à l'endroit où s'élève aujourd'hui l'école française. Sa place fut le lieu choisi pour presque tous les sacrifices humains, et des arbres ou arbustes y commémorent des supplices fameux.
Le Mignon'hi se tenait déjà, à Cana au moment de l'arrivée des fondateurs du royaume d'Abomey. Actuellement a lieu, le même jour que lui, le grand marché d'Abomey dit d'Houndjoro, dont les fétiches furent importés du pays du même nom. Ce marché d'Abomey est fréquenté, chaque fois, par plus de 10.000 individus qui viennent s'y approvisionner en vivres frais, en objets usuels et en produits européens.
Les jours d'Aja'hi et de Zobodô'hi sont propices aux travaux divers et aux sacrifices pour les fétiches et les ancêtres. Le jour de Mignon'hi n'est pas favorable aux cultures, aussi est-il, très judicieusement, choisi par les chefs de villages et de cantons pour les travaux d'entretien des routes, des sentiers et des marchés.
Un calendrier musulman fut importé sous le règne de Tègbésou (1728-1775). Il comporte sept jours dans la semaine Vôdoun-gbè, Téni-gbè, Tala-gbè, Azangbè, Lamisi-gbè, Ahosouzan-gbè, Sibi-gbè. Vôdoun gbè, le jour du fétiche, correspond à notre dimanche; les mots vôdoun, fétiche, et gbè, jour, qui le composent sont d'origine dahoméenne. 11 en est de même pour ceux qui forment Ahosouzangbè (vendredi) qui signifient « jour du roi ». Les autres mots Téni, Tata, Lamisi, Sibi sont les déformations d'expressions arabes et désignent respectivement lundi, mardi, jeudi, samedi. Le calendrier musulman est connu surtout des Dahoméens « cultivés », tels que princes, chefs, anciens serviteurs du roi, etc. Il comporte des jours favorables et défavorables qui se combinent avec les jours favorables et défavorables du calendrier dahoméen. Ainsi Téni-gbè, Azan-gbè et Lamisi-gbè sont favorables à condition qu'ils ne tombent pas le jour de Mignon hi. Sibi-gbè est favorable auxopérations d'argent. Par exemple un commerçant ouvrira sonmagasin pour la première fois un sibi-gbè; on commence le paiement de l'impôt un sibi-gbè, dans l'espoir qu'on retrouvera rapidement d'autre argent.
On compte douze lunes dans une année. La première est défavorable et exige le repos pour tous les travailleurs. C'est-là, paraît-il, un précepte d'origine musulmane.
Les saisons dahoméennes tirent leurs noms des phénomènes climatériques et du régime agricole.
Abohoui (abo = grand mil hou = sécher) En décembre, à la fin des pluies, un vent du nord souffle pendant quelques jours et fait sécher le grand mil encore sur pied.
Ouo-ouênou (ouênou = époque) Ouo est le nom dahoméen del'harmattan, vent sec du nord qui commence vers la fin de décembre ou le commencement de janvier. Quelques jours après l'abohoui, l'atmosphère prend un aspect plombé; peu à peu des nuages se forment, disparaissant chaque soir. Enfin ils répandent une dernière pluie et, aussitôt après, le vent du nord souffle, froid la nuit et le matin, chaud et asséchant à partir de midi. Dans la même journée le thermomètre varie de 17° à 40°. Gbèhanzô (gbèhan = brousse; zô = feu) Vers la fin de janvier.
l'harmattan ayant séché toutes les herbes, les Dahoméens allument les feux de brousse, autant pour se faciliter la chasse que pour nettoyer les terres cultivables. L'époque des feux de brousse n'est en somme qu'une période de la saison sèche.
Aï-tchio-sin (aï = terre; tchi – éteindre; ouzû – chaleur; tchio est mis pour tchiouzû sin = eau) Les premières pluies, après la saison sèche, tombent vers la fin de mars ou le commencement d'avril. Elles éteignent la chaleur de la terre. Période orageuse grandes tornades.
Noudô-ouênou (Nou ̃=. choses, biens de la terre; dô = planter, semer; ouênou – époque) Epoque des cultures. Le Dahoméen ne pourrait pas labourer la terre aussitôt après les premières pluies. Il faut quinze jours ou trois semaines avant que le sol, durci par la saison sèche, ait repris sa malléabilité. Mais dès que la saison des pluies (dji-ouênou) est bien dessinée, ce qui a lieu à la fin d'avril, une activité extraordinaire règne chez les agriculteurs. Courbés sur le sol ils le retournent, hâtivement, avec des houes à manches très courts. Bientôt, autour de leurs demeures et dans les grandes plaines en dehors des palmeraies, s'étendent des sillons, d'un brun foncé, prêts à recevoir le maïs, le petit mil, l'arachide et les haricots.
F6 Le Fô est une pluie fine et régulière qui tombe à la fin de juin et durant le mois de juillet. Le temps est humide et nullement orageux. La température est très fraîche; dans la nuit elle descend à t9° et le jour elle ne dépasse guère 25°.
Zô-ouênou (zô = feu; ouênou = époque) Epoque du feu. Après le Fô, au commencement d'août, s'ouvre une période de trois semaines environ, pendant laquelle la chaleur très forte et l'absence de pluie permettent de ramasser le petit mil et le maïs.
Zô-dji (Zô = feu dji = pluie) Les pluies du feu tombent pendant les mois de septembre, octobre et novembre. Elles ne sont qu'exceptionnellement accompagnées de vent et de tonnerre mais, au moment où leurs nuages s'amoncellent à l'horizon, le soleil darde, plus chaud qu'à n'importe quelle autre saison. Elles permettent la préparation d'une nouvelle récolte de maïs elles déterminent les crues des cours d'eau.
Pour terminer cette étude, nous mettons en regard la classifica-
tion des saisons adoptée par les Européens au Dahomey et celle des gens d'Abomey.
Classification Classification Mois
européenne dahoméenne dants
Abohoui Décembre Vent du nord sec,
Le grand mil souffle principale-
1 sèche » ment de midi à la
Grande nuit.
saison Pèche Ouo Janvier Vent du nord, très « Harmattan » sec, froid la nuit,
(Alounmê) chaud le jour. Gbèhanzô Février Brouillards fré-
« Feux de quents le matin,
brousse »
1 Aïlchiosin Fin Mars Premières pluies, très
« Eau qui éteint orageuses. Ventdo-
Grande saison la chaleur de minant, S.-E. Grande sajson la terre »
des pluies ~M<~o-OM~oM Avril, Mai Violentes tornades, (Dji-ouénouJ Epoque des vent domin. S.-E. (Dji-ouénou) cultures » V6nt d0MiD- S"E-
Fô Juin, Juillet Temps frais. Les tor-
Petite Zô-onênou Août Période très courte saison sèche « époque du pendant laquelle feu » les pluies cessent
Petite saison Zô-dji Septembre Les pluies tombent des pluies « Pluie du feu » Octobre irrégulièrement et Novembre sont précédées de
correspon- Particularités
nades sont peu fré-
quentes et sont
remplacées par des
pluies fines et régu-
lières. Vent domi-
nant, S.-E.
et la chaleur est
très forte.
fortes chaleurs très
peu orageuses.Vent t
dominant, S-.E.
APPENDICE II
PLAN DES DEMEURES DAHOMÉENNES
L'orientation des demeures dahoméennes n'est soumise à aucune règle religieuse. On ne tient compte pour elle que de la direction dominante des vents humides, qui est, dans le cercle d'Abomey, S.-E.-N.-O. L'emplacement de la partie réservée au maître de maison est alors choisi de façon qu'il soit à l'abri du vent qui passe audessus des cases des femmes. On en comprendra aisément la raison, si l'on se souvient avec quel soin les Dahoméens évitent leurs femmes indisposées. Certains même poussent la précaution jusqu'à construire des chambres spéciales pour leurs épouses dans cet état ils les placent dans la partie n° 9 du plan, de façon à éviter les vents du Nord de la saison sèche aussi bien que ceux du S.-E. Les demeures des notables dahoméens ne différent les unes des autres et du schéma ci-dessus que par certaines dispositions de détail insignifiantes ou par des dimensions, plus ou moins grandes, des parties ou de l'ensemble.
Détails du schéma. – N° 1, Agbadji. première cour et hangar destiné aux gens qui accompagnent un visiteur ou aux messagers qui se tiennent à la disposition du chef. N° 2, Hodogba (construction pour la parole). Case où le chef entend les affaires judiciaires. – N° 3, A fagba (construction pour Fa.). Case destinée aux consultations du Fa, le Destin. C'est là que le chef reçoit son sorcier attitré pour se faire tirer la bonne aventure. – W 4, Adjalala. Le mot adjalala désigne une chose en forme d'échiquier ou de grille; on dit, par exemple, un adjalala-vo, un tissu en filet. Ici, il est employé pour désigner une case dont le toit est soutenu par une jambe de force médiane et formée, dans toute sa longueur, de bambous entre. croisés. Cette case est ordinairement mise à la disposition des visiteurs de marque. N° 5, Dèho. Chambre des sacrifices. Un autel bas, en terre argileuse, y est ménagé contre le mur du fond. N°6, Adoho. Chambre spécialement réservée au symbole du Fa
(Destin) du maître. Son extrémité est terminée par une case ronde (à moins d'une défense expresse des fétiches de la famille). C'est dans cette case ronde que le maître renferme le symbole de son Fa, et que lui-même sera enterré. – N«7, Chambre du maître de mai-
son. – N° 8, Akpamè (partie des palissades) L'akpamè est divisé en de nombreuses courettes à l'aide de palissades. Dans les unes se trouvent des logements affectés aux jeunes fils du maître, à ses serviteurs mâles, aux étrangers (n° 10). Dans d'autres sont ménagées les < toilettes » et « salles de bains » (des plus rudimentaires) du mattre. N° H Un hangar est élevé à l'extérieur des murs d'enceinte, pour
les solliciteurs, ou tout individu qui désire se reposer devant la demeure du chef.
Les murs d'enceinte sont en pisé et hauts de 3 m. 50 à 4 mètres. Ceux des constructions ne dépassent pas 3 mètres. Les couvertures sont en paille leur charpente est faite de jeunes baliveaux et de bambous.
Les cases des femmes sont construites au milieu de petites cours délimitées par des palissades. Beaucoup d'entre elles n'ont pas de murs en terre elles sont closes par des nattes. Chaque épouse a, généralement, une case pour elle seule, dès qu'elle est devenue mère. En arrière de chaque case se trouve une salle de bain rudimentaire. Deux ou trois hangars servent pour la cuisine, pour piler le maïs, etc. Cabris, moutons, volailles vaguent autour de la demeure pendant le jour. Ils rentrent, au soir, dans les cours intérieures et sous les hangars destinés aux travaux domestiques.
Dans certaines régions, notamment dans les Oua-Ouê, les demeures dahoméennes sont composées à la fois de cases rondes et de cases rectangulaires; dans d'autres, celle des Za, par exemple, elles sont composées de cases carrées. Ces différences dans les constructions sont la conséquence de la diversité d'origine des tribus qui ont contribué à la formation du Dahomey.
APPENDICE III
TEMPLE DU ROCO
Temple composé de deux cases circulaires. Celle de l'intérieur, couverte de nattes, abrite le fétiche qui demeure dans un petit tumulus en terre, au milieu des ossements des animaux sacrifiés en son honneur. L'entrée de la case intérieure est fermée par une natte (t), par un voile (2) et par une branche de palmier (3). En (4) est représentée la panthère, totem de la famille royale, ce qui prouve une alliance entre cette famille et celle qui se dit issue du Roco. Le poisson (5) est une des figures allégoriques du roi Ghézô elle est reproduite ici pour rappeler, sans doute, que la mère de ce roi était une femme de la tribu qui a le roco pour totem. (6) Un roco le long duquel grimpe le camaléon dont le nom, en tant que fétiche, est Lisa. (7) Jarre spéciale au culte du caméléon. (8) Jarre spéciale au culte de la variole. Variole et caméléon reçoivent généralement les honneurs des individus qui adorent Roco. (9) Asën du fétiche, c'està-dire, objets en fer dont le nom peut se traduire à peu près par « assiettes du fétiche ». (10) Kpota, bâtons ou récades du fétiche. (H) Lèdô, cuvette circulaire. 9, 10 et 11 sont aspergés de sang et d'eau les jours de sacrifice au fétiche.
Les temples dédiés aux autres fétiches peuvent différer par leur forme de celui qui est reproduit ici. C'est ainsi que les temples des Tohosou, sont composés d'une case très longue et étroite, partagée en deux parties égales dans le sens de sa longueur. Le fétiche réside alors dans la partie postérieure..
Les temples du tonnerre sont formés d'une case presque carrée, divisée en deux parties, qui communiquent par une simple porte. Dans la partie postérieure, la plus large, s'élève l'autel de la divinité, composé d'un tumulus en terre, d'asën, de récades et de différents attributs des fétiches qu'on veut honorer en même temps que le tonnerre.
Tous les temples, sauf ceux des Tohosou, sont situés dans une cour
qui communique, par un portique couvert, avec une grande place. C'est sur cette place magnifiquement ombragée qu'ont lieu les danses des prêtres en l'honneur des divinités.
OBJETS SERVANT AU CULTE DES FÉTICHES
I, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8. Objets en fer, destinés au culte et portant le nom générique de « Asën » qu'on peut à peu près traduire par « assiette des fétiches ou des morts ». Ces objets sont piqués en terre devant les autels.
9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16. Objets en terre cuite destinés au culte et portant le nom générique de « Zën », jarre.
Objets en terre et objets en fer sont reproduits avec des dimensions cinq fois moindres que celles qu'on leurdonne habituellement. Le n° 8 peut atteindre 0 m. 50 de diamètre et 2 mètres de haut. 1 et 9 hoho'sën et hoho-zën asën et jarre des jumeaux. 2 et 12. Dosou'sën et Dosou-zën asën et jarre de l'enfant né d'une même mère immédiatement après des jumeaux. Cet enfant s'appelle Dosou.
3 et 10. Agosou'sën et Agosou-zën asën et jarre de l'enfant qui s'est présenté les pieds les premiers lors de sa naissance. 1 et 9, 2 et 12, 3 et 10 sont placés auprès de la case du maître de maison pour demander la protection des génies qui président à la naissance des jumeaux et des autres enfants dont il s'agit. II. Assiette deslinée aux offrandes en l'honneur des génies qui président à la naissance des enfants qui se présentent la tète la première mais le ventre tourné vers le ciel. Cette assiette s'appelle Ouën'gban (agban=assiette) Ouënsou., nom donné aux enfants en question.
5. Entraves (mèdôgan). Objet en ferqu'on arrose d'huile de palme et qu'on place au pied d'un baobab pour éloigner les esprits qui cherchent à causer des-ennuis aux vivants.
6 et 7. Dan'sën asën, femelle et mâle, destinés aux autels du serpent (Dan).
4 et 8. Asën destinés aux autels des fétiches ou des ancêtres. Ces objets se font de taille et de modèles différents en rapport avec la
fortune de l'acheteur. Ceux des rois sont pour la plupart en argent. Sur le n° 8 sont représentés le siège de l'ancêtre, le couteau sacrificateur, les calebasses qui contiennent les mets préparés pour l'ancêtre, enfin le coq sacrifié en son honneur.
13. Golizën. Jarre des fétiches. Cette jarre, généralement de petite dimension, est placée sur les autels de tous les fétiches. Il en est de même du n° 15 qui n'est qu'un modèle plus riche du précédent. H. Petit modèle de la jarre qu'on place au fond des tombeaux. 1I y a des jarres à peu près semblables à celle-ci, mais dont Je couvercle représente vaguement un serpent ou un caméléon et qui sont destinées respectivement aux autels de ces divinités. 16. Jarre, percée de nombreux trous et qu'on place sur les autels de la variole ou dont on se sert pour symboliser ce fétiche.
APPENDICE V
ÉTUDE DÉTAILLÉE DU PALAIS D'ABOMEY
Les lettres A, B, C, D. indiquent les détails de la partie construite par Ghèzô.
Les lettres A', B', C, D' se rapportent aux détails de la partie construite par Glélé.
A, A' portes d'entrée du palais. Ces portes étaient couvertes d'un très grand auvent en chaume. Sur chacun de leurs côtés étaient ménagés des lits de camp en terre battue.
B, B' premières cours intérieures. Lorsque le roi y pénétrait pour sortir de son palais, les fusiliers faisaient tonner la poudre, la foule massée sur la place publique se disposait dans une attitude respectueuse pour recevoir son idole.
b, b' portes à auvent. C'est à la porte b' que les princesses données en mariage attendent leurs fiancés.
C, C deuxièmes cours intérieures. Elles étaient réservées au roi et à ses intimes. Elles renferment
1° Des cases rondes à toits très bas (E, E'). Ces cases appelées djèho, sont des autels pour sacrifier à la mémoire du roi qui a édifié la partie du palais où chacune d'elles se trouve. Les djèho étaient faits de terre pétrie avec de l'alcool, des cauris, du sang d'hommes et d'animaux. Le djèho E du roi Ghèzô est le seul, dans tout le palais, dont le toit soit un cône à base elliptique
2° Deux autels e, e' de moindre dimension que les premières, élevés à la mémoire des mères des rois (e, autel de la mère de Ghèzô e', autel de la mère de Glélé)
3° Deux cases [F, F') longues et étroites, avec piliers et bas-reliefs historiques. Le roi régnant se tenait dans ces cases pendant l'offrande des sacrifices sur les autels situés en E et E'
4° Sous les derniers rois, une case, souvent semblable à celles édifiées en F et P, fut ajoutée à l'ensemble des constructions de la deuxième cour intérieure. On y plaçait les sièges royaux et les objets du culte, soigneusement renfermés dans des tissus et des nates. Leur emplacement sur le plan est indiqué par les lettres G et G'. D maison à étage. Quelques rois eurent l'idée de se faire construire, en pisé, d'immenses maisons à étages. Deux de celles-ci, édifiées par Agadja et Ghèzô se trouvent dans le palais » d'Abomey une autre fait partie du palais du Danhomé. Toutes sont placées auprès des entrées principales et dominent les places publiques en façade des c palais ».
D', maison des étrangers construite par Glélé. C'est là que fut reçue la mission du docteur Bayol.
If tombeaux des rois Ghèzô et Glélé. Les rois étaient enterrés dans la partie du palais qu'ils avaient fait construire eux-mêmes (Pour le détail des tombeaux, se reporter à la page 181). K, R cours appelées kpamé, dans lesquelles on dépeçait les animaux offerts en sacrifice.
N, N' emplacement des demeures des gardiennes des tombeaux. M construction récente où sont renfermés les trônes et autres objets ayant appartenu aux rois d'Abomey.
Les parties du palais construites par les autres rois offrent les. mêmes dispositions que celles que nous venons d'étudier. Leur orientation générale est identique sauf pour la partie construite par Ouêgbadja, comme on peut s'en rendre compte sur le plan inséré à la page 29.
APPENDICE VI
NOTES DIVERSES
Note se rappor'ant à la page 109. D'après un féticheurde Ouidah, une femme de Grand-Popo aurait engendré, par l'opération du fétiche Hou (la mer), deux fétiches Gbhigbô et Kpo.
Gbëngbô serait le totem d'une famille établie aux environs de Grand-Popo. Kpo (la panthère) est le totem de la famille royale d'Abomey.
D'autre part, nous avons remarqué, à Abomey, que des féticheurs de Gbëngbô et de Apo figurent dans les corps de ballet du fétiche Hébgosô(le tonnerre), qui, comme nous l'avons expliqué (page 109), comprend dans son choeur Hou et sa famille.
La danse sacrée des féticheurs de Kpo (la panthère) mime les mouvements félins de la panthère.
Les observations qui précèdent sur l'origine des fétiches Gbëngbô et Kpo sont en conformité avec une légende qu'on raconte également à Ouidah et qui montrent deux frères quittant Grand-Popo pour aller s'installer l'un à Kpômé, l'autre à Adjaha ou Adjara. Celui d'Adjara eut une querelle avec les habitants qui étaient des Adjax; il tua l'un d'eux et s'enfuit à Allada. Son meurtre le fit surnommer Adjahouto (celui qui a tué un Adja).
Cette légende n'établit qu'imparfaitement les migrations des fondateurs du royaume d'Allada d'où descendent les fondateurs du Dahomey. Par contre, elle vient à l'appui des observations citées plus haut et d'autres basées sur la linguistique pour permettre d'établir une parenté lointaine, mais certaine, entre les gens de Grand-Popo et ceux d'Allada et d'Abomey.
Note se rapportant à lit page 109. – Sur les danses des féticlieurs d'Avrêkélè. Les prêtresses d'Avrékété forment un groupe du c corps de ballet » de Hébyosô, le tonnerre. Au cours de leurs danses elles ne cherchent nullement à représenter, par leurs gestes, le flux
et le reflux de l'Océan où réside leur divinité, comme nous en avons entendu émettre l'opinion elles dansent et miment un peu trop lascivement des danses d'amour.
Note se rapportant à la page 116. – Aux membres de la famille des Sd (tonnerre) que nous avons déjà indiqués il convient d'ajouter les deux fétiches jumeaux Ouêtin et Daouê et leur frère puîné Adantohounmé. A noter que les grands féticheurs du tonnerre, les Sôklounon ou Hèbyosônon, doivent parler en élevant la voix, afin d'imiter autant que possible leur divinité.
Note se rapportant aux poges 200 et 201.- La confusion entre l'Ancien de la famille (Hèmiou-daho) et le titulaire d'une dignité dans la famille (Zinkponon) peut venir de ce qu'on appelle encore ces deux personnages Hënnougan.
Hënnougan se traduit littéralement le chef de famille. Dans ce sens, il s'appliquerait uniquement à l'Ancien de la famille (Hennoudaho). Quand il est employé pour désigner un zinkponon il est le diminutif de hennou-mê-gan, chef dons la famille. Et, en effet, le zinkponon est titulaire d'une charge ou d'une dignité octroyée par le roi il est chef (gan) pour le compte du roi et continue à compter dans (mê) sa famille (Jiênnou).
Note se rapportant à la page 275. – Explication du mot « Alada » qui désigne le pays occupé par la famille royale du Dahomey avant son arrivée à Abomey. Une légende, que nous avons entendue à Allada, rapporte qu'aux premiers temps de l'installation des fils d'Agasou dans le pays d'Aïda Allada actuel il existait un arbre miraculeux. On portait les malades sous son ombrage pour les guérir. Les personnes qui le voyaient étaient préservées de tout malheur; la plus petite incision à l'extrémité d'une de ses branches s'agrandissait aussitôt sur toute l'étendue de la branche, voire du tronc. C'est à cause de cette dernière particularité qu'on disait de cet arbre « il écarte ses branches », è d'ala; et on l'appelait Atin aladè ou Atin alada (atin = arbre, ala = branche, dé = écarter).
Il faut voir dans cette légende et par suite dans le nom d'Alada une allusion allégorique à la scission survenue parmi les descendants d'Agasou, scission qui donna naissance à trois branches familiales branche d'Allnda, branche de Porto-Novo et branche d'Abomey.
Note se rapportant à la page 277. Nous avons fait remarquer
combien c'est une thèse chère aux gens d'Abomey, celle qui montre Allada comme n'ayant jamais cessé de leur appartenir. Des renseignements recueillis en dehors de la province d'Abomey tendent à infirmer cette thèse. Nous les donnons, sous toute réserve, n'ayant pas pu les contrôler.
« Agadja, en lutte avec Houfon, roi de Savi, n'avait pas réussi à « surprendre son ennemi. Ses guerriers, en effet, avaient dû, pour « aller combattre, traverser le territoire d'Allada et le roi de ce pays « avait aussitôt signalé à Houfon leur passage. Sans une ruse de la « propre fille d'Agadja, mariée au roi de Savi, la victoire n'aurait c pas, sans doute, appartenu aux Dahoméens.
« Le roi d'Abomey résolut de châtier le roi d'Allada, son parent. « En revenant de Savi, il l'attaqua et le défit auprès de Togoudô, t qui était précisément le berceau commun aux dynasties d'Alfada, « d'Abomey et de Porto-Novo. Le roi d'Allada fut tué et son royaume « annexé à celui d'Abomey.
« Survint la mort d'Agadja. Tègbésou lui succéda. Ce prince, sur » les conseils de sa mère, craignit de s'attirer la colère des Ancêtres « en laissant vacant le trône d'Allada. Il fit demander à ses parents « de Porto-Novo de désigner, d'accord avec lui, quelqu'un pour t l'occuper.
« Le nouveau roi prit le nom de Mi-djô (nous accordons, nous « donnons), pour rappeler qu'il était donné par les gens de Porto« Novo et d'Abomey au royaume d'Allada. Mais il n'exerça aucune « autorité le commandement effectif de son royaume fut dévolu « au Migan, le premier ministre des rois dahoméens auquel on c adjoignit plus tard fAkplogan ».
APPENDICE VII
NOTE SUR LES TOTEMS OU FÉTICHES DES TRIBUS QUI ONT CONCOURU A LA FORMATION DU DAHOMEY
Le nom de chaque tribu met en évidence sa filiation et son origine. La filiation est indiquée par un mot que termine la syllable vi, fils de. l'origine par un mot que termine la syllabe nou, gens de.
La fondation d'une tribu tient presque toujours de la fable. Son ancêtre a été divinisé et est devenu un féiiche (vôdoun). Si en parlant de cet ancêtre on veut faire allusion à sa qualité de fondateur, on l'appelle tohui et ses descendants disent de lui « Il nous a engendrés » (E do koun midè).
Le tohoui que nous traduisons volontiers par totem peut être un animal ou une plante, ou un être humain qui, à sa mort, a su s'incarner dans une source, un rocher, du sable, de la glaise, etc. A l'origine, ses descendants seuls lui ont rendu un culte. Dans la suite, des alliances et des conquêtes ont pu augmenter le nombre de ses adorateurs au point d'en faire un des grands fétiches (vâjoun), que nous avons étudiés au chapitre V.
Les descendants d'un même tohoui (ancêtre divinisé) et, dans certains cas, leurs alliés et ceux qu'ils ont absorbés par la conquête ou par lesquels ils ont été absorbés, obéissent à des règlements particuliers. Le premier de ces règlements défend d'utiliser sous certaines formesla plante, l'animal, etc., qui rappellent le tohoui. Ainsi. dans le cercle d'Abomey, on rencontre des gens qui ne mangent pas de l'antilope, du mouton. qui ne tuent pas les aigles, les caméléons. qui n'utilisent pas certaines plantes.
Il ne convient pas, cependant, d'affirmer que toute défense de l'usage d'un aliment ou d'un objet corresponde à une idée totémique des individus et même des familles se conforment à de sembla-
blés interdictions sur la simple consultation d'un sorcier pour acquérir la prospérité ou la santé.
Ajoutons enfin qu'au cours des années des membres plus ou moins fameux dans les tribus ont imposé, à leur tour, des règlements qui n'ont rien de commun avec ceux du tohoui (ancêtre divinisé).
Il existe également pour chaque famille une ou plusieurs devises, dans lesquelles rentrent, quelquefois, le nom du tohoui et qui édictent une règle ou expriment une allusion à la formation de la tribu.
Nous^onnons les renseignements malheureusement trop incomplets – que nous avons obtenus sur quelques tribus qui ont con.couru à la formation du Dahomey.
Tribu des Aijnsouoi Alaia-Sadonou C'est à cette tribu qu'appartiennent les familles royales d'Abomey, de Porto-Novo et de l'ancien royaume d'Ardres (Allada). Nous l'avons étudiée en plusieurs passages de notre livre, notamment aux pages 101, t05 et suivantes.
La panthère en est le totem.
Citons entre autres devises très nombreuses les trois suivantes: a) « Les princes d'Abomey ont un joli cou et coupent celui des autres » (Aladahonou dô ko ghèdè ghèdè, bô no gbô mé'ton-nou). Allusion aux sacrifices humains et aux guerres des rois d'Abomey. b) « Les princes d'Abomey ont entendu que la panthère est morte, c'est pourquoi ils abandonnent leurs cultures » (Aladahonou sé kpo kou, M tonouën sin ijUnou). Allusion au deuil public occasionné par la mort d'un roi tout travail cessait dans le pays pendant plusieurs jours. Kpo, la panthère, désigne ici le roi qui était le seul dépositaire du totem.
c) « Celui qui a tué pour venger son père se lave les mains dans l'alcool » (Mê na hou dd Dègni ou, bô hou aln dô ahan mênou). Cette devise fut énoncée par Béhanzin dans les circonstances suivantes. Avant d'être roi. Béhanzin portait, en outre de son nom fameux de prince Condo, celui de Tchadoko. Un homme, originaire des pays Mahis, prit ce dernier nom. On l'arrêta pour crime de lèse-majesté et on l'amenn devant Béhanzin. Un sabre fut alors remis aux principaux princes et chacun d'eux scia un peu du cou de la malheureuse victime. L'exécution terminée, le roi ordonna aux princes de se
laver les mains dans l'alcool; il prononça, ensuite, les paroles citée* plus haut, qui furent tellement admirées qu'on les admit comme devise.
Tribu des Ayntnvi Ganmênou. Les gens de cette tribu sont originaires d'un village du cercle dePorto-Novo et sont arrivés à Abomey après les fondateurs du royaume dahoméen. On dit qu'ils se prétendent nés des amours d'une musaraigne et d'une femme. Le second mot de leur nom, Ganmênou, gens du pays du fer, indique leur spécialité ils sont tous forgerons.
En outre de leur tohoui (ancêtre divinisé), ils vénèrent deux autres fétiches particuliers aux forgerons, Gou et Mnsè, fils de Mahou (Dieu, l'Orient) et de Lisa (le Caméléon, l'Occident). Ces deux fétiches sont étrangers à leur tribu et leur auraient été imposés par les rois du Dahomey.
Les Ayntovi Ganmênou avaient trois chefs pris dans leur tribu, nommés par le roi et qui commandaient à tous les forgerons du royaume. L'un d'eux, Hountondji, eut le monopole de travailler le cuivre, l'argent et l'or. Ce monopole s'est conservé dans sa famille jusqu'à maintenant.
A noter que les forgerons forment actuellement des corporations familiales plutôt que des castes Ils ont le monopole de leur art, mais ils se marient indifféremment entre gens de leur tribu ou avec des étrangers. La culture leur est permise; ils ne sont nullement méprisés.
A Abomey, ils forment trois quartiers différents dont les chefs, Hountondji, Ton et Agbanli, portent les mêmes noms que les premiers chefs institués par les rois d'Abomey.
Devise « L'Ayatovi Ganmênou ne forge plus, et pourtant son enclume ne demeure pas silencieuse » (AyntoDi Ganmênou ma toun, ma toun, bô zoun tchi a). Allusion au salut des forgerons.Pour saluer, le forgeron interrompt son travail et frappe plusieurs petits coups de marteau sur son enclume.
Tribu des Adanlokovi Doouênau. -Se reporter à la page 114. Cette tribu a le monopole des boucheries.
Tribu des Aouannonvi Monkpanon.– Née du vautour. Le vautour est désigné, dans le nom de cette tribu, par le mot Aouannon et non par le mot usuel Aklasou. C'est d'ailleurs ce qui a lieu pour presque tous les animaux ou plantes totémiques, soit que le lohoui (ancêtre divi
nfsé) doive rester caché, sinon secret, soit pour mieux marquer l'idée des Dihoméens que le tohoui n'est pas l'nnimnl ou la plante vulgaire qu'on rencontre chaque jour, mais bien un individu du genre, fabuleux, et miraculeux, en mémoire duquel un respect est rendu à tout ce qui rappelle son image.
C'est pour ces raisons que les gens de la famille royale appellent leur Ancêtre divinisé Af/asou et non Kpo (la panthère). Même remarque pour la tribu des Adandovi Hèzonnou, qui sont nés d'une chauve-souris (tokè). Leur devise est « L'oiseau des Adandovi crie et le jour vient » (Adandovi hè do tchian, bô aihon). Le mot à mot du nom de la tribu rappelle la même devise L'oiseau des Adandovi ordonne une chose ».
La tribu des Aflhénouvi Ouêlinou a pour fétiche particulier Dah, génie qui réside dans les arbres et qui a été adopté par la famille royale à la suite d'un mariage du roi Kpëngla avec la fille d'un Aghénouvi.
Les membres de cette tribu ne doivent jamais utiliser les feuilles rugueuses qui servent à nettoyer les calebasses. Nous ne saurions indiquer si semblable règle découle de l'habitat du fétiche Dah. Nous ne savons pas davantage expliquer cette autre particularité si l'on fait remarquer à un Aghénouvi que le soleil brille en même temps que la pluie tombe, il ne mangera pas de la journée. Tribu des Annnouvi Dokonnou. Le tohoui (ancêtre) de cette tribu s'appelle Bôsikpon et réside dans le Houa, arbre dont les Ananouvi n'utilisent ni les feuilles ni le bois.
Bôsikpon est également le tohoui des Akosouvi Modianou. Les deux tribus ont des devises différentes.
Pour la première « Bôsikpon refuse le perroquet à Dokon et y accepte le pivert » (Bonkpon gbè kèsè.bô yi ado dô Dokonnou). A remarquer qu'il n'y a aucun perroquet sur tout le plateau d'Abomey où se trouve Dokon.
Pourla deuxième: « Si l'on n'attend pas la maturité, on ne cueille que des fruits verts » ( Ma djn, ma dja, é nosin Hèlou). Aucun renseignement ne nous permet d'expliquer l'origine de ces devises. Tribu dei< Gbokovi Gon/onkonou Disséminée à Ouaouéet à Alahé (cercle d'Abomey) serait née d'une chèvre (?). Les femmes de cette tribu ne doivent pas donner leur virginité à des étrangers, sous peine des pires calamités. C'est ainsi que le roi Agonglo ayant épousé
la fille d'un Gbokovi, en eut un fils, Adanzan, dont la barbarie faillit amener la ruine du Dahomey (page 313).
Tribu des Diétori. Divisée en trois branches les Gbamènou, les Agbogonnou, les Sinmênou (voir pages 116 et 117),
Tribu des Adjalènou Goudouvi. La seule pour laquelle le mot indiquant l'origine précède le mot indiquant la filiation. Ses membres ne se percent pas les oreilles et ne mangent pas le haricot sauvage appelé djiaïséndè.
Pour terminer cette étude sur les tribus qui ont concouru à la formation du Dahomey, nous attirons l'attention sur un passage de notre livre ayant trait à la parenté de la famille royale avec les gens de Santé, page 70.
C'est par suite d'une erreur de plume que nous avons écrit Santé. Le nom, tel qu'il nous fut prononcé par un chroniqueur indigène, doit s'orthographier Asanté. « Le pays d'Asanté est rempli d'or, nous disait le même narrateur. Il est situé par delà Atakpamé (Togo allemand) et fort loin. Le roi qui le commande a un trône de la même forme que ceux de nos rois, mais en or t.
Ces données et celles qui figurent page 70 semblent corroborer l'opinion qu'a émise M. l'administrateur Delafosse, par déduction linguistique, sur la parenté des Dahoméens avec les Achantis. Asanté ne serait alors que le nom déformé d'Achanti ou inversement. C'est d'ailleurs l'avis de M. l'interprète en chef Xavier Béraud qui nous a dit avoir entendu des indigènes affirmer cette origine.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
AvERTtSSEMENT f CHAPITRE PREMIER
La Société
Le Roi. Règles suivies pour les successions au trône – Initiation du prince héritier à des secrets concernant la royauté. Noms, devises et armoiries des rois. Cérémonial usité à la Cour d'Abomey. Le palais et ses habitants. 5 Les princes. Relâchement dans leurs mœurs. – Hiérarchie entre les branches de la famille royale 32 Les grands dignitaires et les chefs; leur création, leurs fonctions Migan, Méhou, Yovogan, Adjaho, Sôgan, Topo, Akplogan. Chefs de pays et chefs de villages 37 Le peuple. Explication du mot Fon, qui désigne plus particulièrement les gens du peuple 45 Les esclaves. Origine condition matérielle et morale. Gens sous la dépendance de la Justice (Oudmési). Gens attachés à la glèbe (Glèsi) 50 CHAPITRE 11
Guerre. Armée
L'armée sous les premiers rois. Introduction des armes à feu. Composition de l'armée sous les derniers rois Chefs supérieurs
de guerre et chefs de troupe; espions-éclaireurs. Marche des guerriers en expédition 58 Les Amazones; leur création, noms de leurs bataillons 67 Explication du nom de certains bataillons de guerriers, Armement. 68 CHAPITRE III
Justice
Le Roi ,grand Justicier. Epreuves du fétiche 73 Des crimes et de leurs châtiments. Prisons. Détention perpétuelle 75 Le Migan ajoutait à ses fonctions de premier ministre celle de bourreau. Un supplice sous le roi Glélé 79 CHAPITRE IV
Revenus royaux
Impôt de capitation ou argent du sommeil. Droits sur les successions. – Redevance sur les palmiers (Rouzou). Douanes. Droits de marché. Remises de commerce. Esclaves 82 CHAPITRE V
Religion
Considérations générales 93 Croyance à un Etre suprême et à ses intermédiaires, les fétiches. Croyance à l'âme et à une vie future 96 Première classification des fétiches: les Tôvôdoun (fétiches du sol) et les Akovôdoun i fétiches de tribu) 100 Deuxième classification des fétiches en neuf catégories. Etude détaillée de chacune de ces catégories i" Fétiches du sol; 2° Agasou, A ligbonon et Ouaoué: 30 Le Tonnerre (Hébijosô); la Mer (Ilou), Naètè, Avrékété, Tchaé, Aouanga, Sao, Tokpodoun; le bon Serpent (Dangbe) 1» Adjahouto 5° ll'lan et les Rivières 6° Loco ou Roco 7° Djisd (le Tonnerre), sa famille l'arc-en-ciel; 80 Lensouhoué, Tohosou; 9° Mahou, Lisa, Ag/iè (l'Orient, l'Occident et la Terre). La Variole (Sakpata) 103
Culte. Les prêtres étude de chaque catégorie de prêtres. Collèges de prêtres 129 Fétiches personnels Legba, Fa. Procédé employé par les sorciers pour consulter Fa 137 Amulettes 148 CHAPITRE VI
Culte des morte
Considérations générales et croyance à une vie future pour tout ce qui existe sur terre 157 Rites suivis au moment de la mort; deuil; mise au tombeau 160 Enterrement 165 Service funèbre 169 Fête commémorative des morts 175 Décès d'un roi 178 Grandes coutumes ou commémoration des anciens rois. Fêtes au palais; procession des offrandes; sacrifices; récit d'un sacrifice humain 182 CHAPITRE VII
Famille
Formation des familles; leur constitution. Chef de famille. Organisation spéciale à la famille royale 195 CHAPITRE VIII
Unions
Unions qui donnent à la famille paternelle la puissance sur les enfants: Union hongbo; union des Ouémèsi 203 Unions qui donnent à la famille maternelle la puissance sur les enfants mariage du pagne (avonousi-dida) union libre (hadudo) mariage de la chèore au bouc 209 Empêchements de mariage 21 t Unions dans la famille royale. Récit de la cérémonie de mariage d'une princesse 212 Unions dont les effets étaient mixtes (gandoba) 223 Pe la polygamie 224
CHAPITRE IX
Maternité. Enfance. Adolescence. Imposition des noms Maternité et enfance 227 Adolescence. Première manifestation de la puberté chez une jeune fille. Circoncision 231 Cérémonies pour les jumeaux 233 Imposition des noms et leurs diverses catégories 235 CHAPITRE X
La Propriété
Le Roi seul avait un droit de propriété sur le sol et sur tout ce qui nait et existe sur ce sol. 243 Successions. Règles suivies. 249 Tutelle 254 CHAPITRE XI
Légendes et contes 235 CHAPITRE XII
Histoire du Dahomey racontée par un Dahoméen
Avant-propos 271 Origine de la famille royale ou des Aladahonou. 274 Règne de Dako installation des Aladahonou aux environs d'Abomey 279 Règne de Ouègbadja. – Extension des Atadohonou principalement à l'Ouest, jusqu'à l'emplacement actuel d'Abomey.– Comment le royaume des Aladahonou prit le nom de Danhomé (Dahomey) 284 Règne d'Akaba. – Incursions des Dahoméens sur l'Ouémé. – Conquête des tribus en bordure du plateau d'Abomey 291 Règne d'Agadja. Extension du Dahomey jusqu'à la mer par la conquête.de Savi 294 Règne de Tègbésou. Intrigues de ses frères à son avènement. Guerres. Crucifiement d'un homme en guise de cérémonie de joyeux avènement 299
Règne de Kpëngla. Guerres contre Houèda, Tchetti, les gens de l'Ouémé, Djèkën 305 Règne A'Aqonglo. Guerre avec les Nagots 309 Régence A'Adansan. – Les atrocités de ce prince soulèvent les Dahoméens. – Efforts du prince Ghézô pour faire échouer les complots. Emeute. – Ghézô chasse Adanzan 3H Règne de Ghézô. – Lutte à outrance contre les Nagots Expédition contre le partisan Adjinakou et siège de Paloko expéditions contre Kè'ngld et Okiodan campagnes contre Abéokouta. – Histoire du chacha Francisco da Souza 318 Règne de Glélé. Guerres de Doumé. d'Ischaga, d'Abéokouta, de Houéli, de Kétou, d'Okiodan. Incursions dans le royaume de Porto-N'ovo. – Guerres des Mahis. – Histoire d'un traité avec les Portugais 329 Règne de Béhanzin. -Guerre contre les Français, depuis 1890 jusqu'à janvier 1894, date de la reddition de Béhanzin 338 Appendice I. Division du temps 353 Appendice II. Orientation et plan schématique des demeures dahoméennes 359 Appendice III. Temple du roco (gravure) 3Û2 Appendice IV. Objets du culte (gravure) 364 Appendice V. Etude détaillée du palais d'Abomey. 366 Appendice VI. – Notes se rapportant aux pages 109, 116, 275, 277. 369 Appendice VII. Notes sur les totems ou fétiches des tribus qui ont concouru à la formation du Dahomey 372
TABLE DES PLANCHES HORS TEXTE
Flanches Pages I. Armoiries des Rois d'Abomey. Dakadonou, Ouegbadja, Akaba, Agadja 12 bis Il. Armoiries des Rois d'Abomey. Tegbesou, Kpengla, Agonglo, Ghézo i6 bis III. Armoiries des Rois d'Abomey. Glélé, Behanzin, Agoli-Agbo 20 bis IV. Bas.reliefs en terre sur les murs du Palais d'Abomey. 32 bis V. Jeunes princesses d'Abomey 48 bis VI. Topamélé, chef de la Famille Royale, décédé en 1907. Chasseur dahoméen 64 bis VII. – Cases rondes de la région des Ouaoué
Rue d'Abomey aux cases rectangulaires 80 bis VIII. Bas reliefs du Palais d'Abomey 96 bis IX. Récades ou Sceptres
Découpures d'étoffes représentant des scènes guer-
rières. iiibis X. Village des bords de l'Ouémé
Traversée d'un marigot 128 bit XI. Autels élevés à la mémoire des Rois au Palais d'Abomey. Ruines de la maison à étage, édifiée par le
Roi Agadja 144 bis XII. Arbrisseau voué au culte du fétiche de la variole.. Groupe de féticlieurs Dahoméens WObis XIII. Mères Dahoméennes HQbis XIV. Case élevée en l'honneur d'un des fétiches Tohosou. Statue de Legba couronné 192 bis
Planches Pages XV. – Sacrifice offert à un ancêtre Tamtam mortuaire. 208 bis XVI. – Palmeraie autour d'une ferme Dahoméenne
Un gué dans le Zou 22ibis XVII. – Défilé des vieilles femmes en qui sont incarnés passagèrement les esprits des rois défunts
Vieilles femmes représentant les mères des rois.
Les « Kpodjito » 240 bis XVIII. Sièges des anciens rois exposés au Palais durant les cérémonies commémoratives annuelles.
Vieilles femmes gardiennes d'une case-fétiche se
livrant à des travaux de poterie 256 bis XIX. – Un fromager à la Résidence d'Abomey. Femmes se rendant au marché 272 bis XX. – Peintures murales d'un temple, dédié au Tohosou Zomadonou à Abomey 288 bis XXI. Peintures murales d'un temple, dédié au Tohosou Kpélou a Abomey 304 bis XXII. Bas-reliefs du Palais d'Abomey SiObis XXIII. Le tumulus du courage (Adanzoum)
Kuines du Palais d'Abomey •»_ 336 bis ..s~ ~!F
LAVAL. – IMPRIMERIE L. BARNÉOfD ET C".