Reminder of your request:


Downloading format: : Text

View 1 to 672 on 672

Number of pages: 672

Full notice

Title : Les lundis révolutionnaires : histoire anecdotique de la Révolution française. 1792 / par Jean-Bernard ; avec une préface de Jules Simon

Author : Jean-Bernard (1858-1936). Auteur du texte

Publisher : G. Maurice (Paris)

Publication date : 1892

Contributor : Simon, Jules (1814-1896). Préfacier

Subject : France -- 1789-1799 (Révolution)

Set notice : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb39116989h

Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb39117002c

Type : text

Type : printed monograph

Language : french

Format : 1 vol. (XXII-649 p.) ; 18 cm

Format : Nombre total de vues : 672

Rights : Consultable en ligne

Rights : Public domain

Identifier : ark:/12148/bpt6k2065378

Source : Bibliothèque nationale de France

Provenance : Bibliothèque nationale de France

Online date : 15/10/2007

The text displayed may contain some errors. The text of this document has been generated automatically by an optical character recognition (OCR) program. The estimated recognition rate for this document is 97%.


LES LUNDIS REVOLUTIONNAIRES HISTOIRE ANECDOTIQUE

DELA

REVOLUTION FRANÇAISE

PAR

JE A N-BER NA.RD

AVECUKEPMFACEDE

<JtJ)L.TES StïMOJST

1792

PARIS

GEORGES MAURICE, LIBRAIRE-B~tTEUR t~ 23,MEt)E!))!MEET))OifMAZÂt.)!fE,3t


HISTOIRE ANECDOTIQUE

DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE


A LA MËMEUBRAÏRIE'

OUVRAGES DE JEAN-BERNARD

?

Histoire MMMdotique de la Révolution française 1789, avec une préface de JULES CLAREDB, de l'Académie française, t vol. 3.M 1790, avec une préface de LÉON CLtDEL. t voL 3.SO 1791, avec une préface de ERNEST HAMEL. 1 vol. 3.50 1792, avec une préface de Juns S<MON. i vol. 3.SO Quelques peéaies de Robespierre. i vo). < o SOUS PRESSE

Histoire anecdotique de la Révolution française; année 1793, avec une préface de BENOIT MALON. EN PRÉPARATtON

Histoire anecdotique de la Révolution irançaitte 179t.

179S.

Imprimerie Darantiere, rue Chttbot-ChMmy

Dijon


LES LUNDIS RÉVOLUTIONNAIRES HISTOIRE ANECDOTIQUE

REVOLUTION FRANÇAISE

JEAN.BERNARD

GEORGES MAURICE

23, rue de Seine, et ~e ~azsrtne, 2'

DE LA

PAR

AVEC UNE PRÉFACE DE

JU)LJES OïtMOP

¡

1792~

PARIS

HBRAtBK-ËOTBUR


PRÉFACE

On peut diviser les sciences en trois groupes

Les unes conservent ou ressuscitent le passé,

D'autres règlent le présent,

D'autres enfin préparent l'avenir.

Il faut bien comprendre qu'il n'y a presque pas une science qui, par quelque côté, n'appartienne aux trois groupes à la fois. L'histoire, par exemple, est proprement la science du passé mais elle se transforme en économie politique et en philosophie par les leçons qu'elle nous donne pour nous diriger à travers les écueils de la vie et nous conduire vers le progrès moral et scientifique.


L'humanité progresse bien lentement; chaque génération lui fait faire quelques pas vers le progrès, mais bien peu de pas et, dans chaque génération, les hommes qui contribuent à faire avancer Inhumanité sont bien peu nombreux. Nous faisons des dithyrambes sur leur génie nous en faisons aussi sur la prétendue grandeur de notre siècle. Nous avons comme une habitude et un besoin de nous glorifier outre mesure. Tout cela est bien peu de chose quand on le mesure aux résultats.

Prenez, par exemple, le siècle de Périclès, et regardez-le bien de tous les côtés. Ce qui éclate d'abord, ce sont ses arts. Nous avons perdu les monuments de l'art musical, et même de la peinture; mais nous connaissons ces deux arts par le témoignage des contemporains, et par la sculpture et l'architecture, dont nous retrouvont tous les jours de nouveaux débris, qui ne font qu'ajouter à notre admiration. La Grèce avait alors des poètes qui n'ont pas été surpassés depuis ont-ils été égalés? A coup eûr, on


des philosophes comparables à Platon et Aristote. Démosthènes est resté sans rival parmi les orateurs. Périclès était certainement un homme d'état. J'avoue qu'il n'a gouverné qu'une bourgade. Mais le mérite est le même, d'exercer le pouvoir dans une bourgade ou dans un empire; et quand l'action d'un homme a été considérable sur son siècle et sur le développement indéfini de l'humanité, la circonstance qu'il a produit ces grands effets à l'aide d'un petit instrument est faite pour augmenter sa valeur, plutôt que pour la diminuer. Enfin, pour parler aussi de la gloire militaire, il semble que les guerres de la Grèce ne soient que des rixes entre des bourgades voisines, jusqu'à l'heure où l'Asie vient se heurter contre ce petit peuple imperceptible; mais alors, cette poignée d'Hellènes résiste victorieusement aux avalanches humaines qui se précipitent sur elle; et bientôt, prenant l'offensive sous la conduite d'un roitelet, moitié grec et moitié barbare, dont le père avait


épuisé son génie et son courage pour conquérir une sorte d'hégémonie sur les petites républiques de la Péninsule, elle porte ellemême la guerre en Asie, trouvant le secret d'agrandir son armée à mesure qu'elle combat et qu'elle avance, renversant et réorganisant des empires, et donnant le plus éclatant exemple dont le monde ait été témoin, de la supériorité de la valeur sur le nombre. L'humanité a produit quatre hommes de guerre, Alexandre, César. Annibal et Napoléon et le plus grand d'entre eux, par l'énormité de l'entreprise et des résultats, est peut-être Alexandre.

Il n'y a de compensation à la petitesse de l'homme que la grandeur de l'humanité. Et il n'y a que l'humanité qui donne à l'homme d'utiles leçons. Nous ne serions éternellement que des enfants, sans l'histoire. Voyez ce que font les philosophes qui entreprennent d'être les guides de l'humanité Rabelais, Machiavel, Montesquieu, sont des historiens.

Ceux qui, en politique, préfèrent les évo-


lutions aux révolutions, comprennent la valeur de l'histoire. Avec les partisans de la table rase, l'humanité serait vouée à d'éternels commencements. Dans une évolution, le mouvement est lent et sûr; dans une révolution, il est rapide et précaire.

Vérifions la théorie par les faits, par un grand fait. En 1789, la situation pouvaitelle être dénouée par une simple évolution ? Je ne le pense pas. Toutes les forces vives de l'humanité étaient en dehors du monde organisé; et la preuve, c'est que la résistance fut nulle.

Les historiens partisans de la révolution racontent avec admiration les victoires révolutionnaires ils ont raison d'admirer. Ils pourraient raconter aussi le spectacle non moins surprenant de l'extrême faiblesse de cette société qui paraissait si forte, et qui n'avait plus ni religion, ni philosophie, ni tradition, ni histoire, ni armée, ni justice, ni hiérarchie. Tous les fantômes de l'ancienne société étaient restés en place et faisaient illusion ce n'étaient que fantômes;,


dès qu'on les toucha, ils tombèrent. Le monde n'avait plus d'histoire. Le lien avec l'humanité était rompu par la dissolution de tous les éléments sociaux. Ceux qui proclamèrent la table rase l'auraient encore proclamée quand même l'ancien monde aurait subsisté; mais il était mort.

On parle de l'impartialité de l'histoire. L'impartialité de l'histoire, c'est l'inanité de l'histoire. Au fond, il n'y a pas d'impartialité ou plutôt, il faut faire sa part à l'impartialité, bien diSerente de la part qui lui est faite par les philosophes, quand ils la confondent avec la justice.

Je dirai tout à l'heure où est l'impartialité et où est la justice dans l'histoire des révolutions. Regardons-les d'abord dans l'histoire des peuples.

Un français écrivant l'histoire, doit-il être impartial ou patriote ? Peut-il être à la fois l'un et l'autre?

Il faut d'abord séparer les deux fonctions de l'historien, qui sont de constater les faits, et de les juger.


L'histoire doit être impartiale dans la constatation des faits. Tout son être repose sur sa véracité. Substituer à la réalité la fiction ou l'erreur, c'est quitter la région de l'histoire pour entrer dans celle de l'imagination et du roman.

L'épigraphiste, l'épitaphier, l'antiquaire, le philologue, le chartrier ne peuvent et ne doivent avoir qu'une préoccupation constater les témoignages en dire le sens avec exactitude. Que la découverte soit favorable à Pierre ou à Paul, c'est ce que l'érudit doit négliger, oublier, ignorer. Il fonctionne comme juré et comme expert, non comme juge. Il est l'organe de la vérité, non de la justice, ni de la morale.

Les savants dont je parle sont-ils des historiens ? `t

Ils ne sont que les auxiliaires de l'histoire. Ils travaillent pour elle mais ils lui sont étrangers. Ils sont comme des charretiers qui apportent les moellons et les arbres à pied d'œuvre; ils ne participent pas à l'art et à la fonction du maçon et de l'ar-


chitecte; ou comme les chasseurs qui apportent le gibier, et les pêcheurs qui apportent la marée, et les jardiniers qui apportent les légumes et les fruits, et, les marins qui apportent les épices de l'Orient chacun dépose ces richesses sur la table du cuisinier qui seul a l'art de l'assaisonnement des mets, et de la composition du repas. L'érudit doit être impartial. Il n'est pas un homme. Toute son âme est dans ses documents. Si, après avoir étudié, il veut raconter, et faire autre chose qu'une table des matières, ou un catalogue, ou une chronologie, aussitôt il devient un homme, avec les passions de l'homme. Il reste soumis, comme tous les hommes, aux lois de la morale. La morale me commande de ne pas mentir. Mais elle ne me commande pas d'être impartial. Tout au contraire, elle me commande d'être patriote.

La neutralité et l'impartialité sont bonnes pour l'arithmétique et pour l'algèbre mais si on essaie de l'apporter dans les arts, dans l'histoire, dans la philosophie, on n'aboutit


entre un catalogue de commissaire-priseur et une page de Michelet.

« Je vais faire une histoire impartiale de la révolution française. » Mon ami, arrêtezvous là. Personne ne lira votre histoire et si quelqu'un la lisait, il perdrait son temps et sa peine. Non-seulement à la fin de l'ouvrage, vous n'aurez rien prouvé et rien établi mais vous n'aurez rien raconté. Vous n'aurez rien fait comprendre à personne, parce que vous-même vous n'avez rien compris.

Vous racontez la vie de Danton, et vous passez les massacres de septembre sous silence, ou vous les mentionnez en courant, d'un seul mot, comme un évènement étranger à votre sujet. C'est de l'improbité historique. La morale vous condamne. Au contraire, vous vous efforcez de démontrer par les faits que Danton n'a pas su ce qu'on faisait, ou qu'il a laissé passer la vengeance populaire sans l'exciter, ou qu'il lui a été impossible de l'arrêter, ou


qu'il l'a crue justifiée par ses résultats. Pourvu que vous disiez ce que vous pensez réellement, et que vous n'alléguiez rien qui ne soit vrai, et ne cachiez rien de ce qui a un sens, je reconnais l'historien je jugerai de votre capacité et de votre moralité par la thèse que vous soutenez. Mais au moins vous avez une opinion, un parti vous faites un plaidoyer, vous êtes un homme. Toute histoire digne de ce nom est un plaidoyer.

Vous craignez que si l'on embrasse une cause, la sincérité de l'histoire soit à la merci des partis. Mais quand l'opinion de l'écrivain sera connue, on en tiendra compte pour apprécier ses arguments. Je demande un avocat, mais un honnête avocat, qui ne se charge point de toutes les causes, qui ne défende pas une cause henorable par de honteux arguments, qui ait l'horreur du mensonge, et qui regarde toute falsification de la vérité historique comme une trahison. Michelet est un des historiens qui ressuscite le plus le passé. Quand une fois on s'est


livré à lui, il ne se passe pas longtemps avant qu'on se croie au milieu des événements qu'il raconte. On voit les événements, on reconnaît les hommes. Voilà les amis, avec qui l'on veut vaincre, et les ennemis, dont on souhaite la chute. Jamais, tant qu'il vous tient, on n'a le cœur en repos. On passe avec lui des larmes à la joie. On tremblait tout à l'heure; on triomphe maintenant. On ne se livre pas pourtant à la sécurité on se sent entouré de tant d'ennemis Mais on ira jusqu'au bout, coûte que coûte. Malheur à ceux qui s'arrêtent en chemin

Savez-vous le secret de sa puissance de résurrection? 11 voit ce qu'il -vous fait voir, et il le voit parce qu'il le sent. Il dit quelque part voilà dix ans que je souffre le dartyre pour vous voir arriver, grand jour! C'est qu'il souffrait. Il est transpercé par les angoisses qu'il raconte. Un désastre à décrire, c'est pour lui un désastre à souffrir. Il parle pour la France, pour la liberté, pour le souffrant. Pour le souffrant plutôt que pour la justice. C'est peut-être la même


chose, mais ce n'est pas le même côté de la même chose. Il prend toujours la vérité par le côté concret, parce qu'avant tout il est peintre. Il lui arrive bien quelquefois, à cause de sa sensibilité excessive et de la force de son imagination, de se passionner tour à tour pour les malheurs du vaincu et pour ceux du vainqueur ceux qui ne connaissent pas son âme s'étonnent de sentir que sa compassion ou son admiration change de parti qu'il exalte tour à tour la croix de bois du Colysée, et le libre penseur, triomphant sur son bûcher. Mais, prenez garde que, s'il a des entrailles même pour ses ennemis, c'est comme Henri IV ravitaillant Paris, et n'en poursuivant pas moins les opérations du siège jusqu'à la victoire. Supposez un historien qui raconte sans passion la révolution française. A qui avezvous aSaire? à un Français, à un contemporain ? Non. Il n'y a pas un Français qui puisse repasser à travers ces épreuves sans se sentir brûlé de tous les feux que les passions humaines peuvent allumer il n'y a


pas un contemporain qui n'ait dans les traditions de sa famille, et dans sa propre histoire, des raisons de s'irriter ou de se plaindre. Un siècle seulement s'est écoulé depuis le grand cataclysme et non pas même un siècle; car nous savons quand elle a commencé, et nous ne savons guère quand elle a pris fin. Admettons que ce soit le 18 brumaire, ce que je nie. Il s'en faut encore quelques années pour l'entier àccomplissement du cycle. Les hommes qui vivent aujourd'hui sont les petits enfants des hommes de la révolution. Ceux de ma génération, à la vérité bien clairsemés, sont leurs enfants. Nous n'avons pas vu la révolution, mais nous avons vu tous ceux qui l'avaient vue. Mon père était soldat quand Louis XVI est mort. Tous ceux que je voyais dans mon enfance, ceux qui étaient chargés de m'initier à la vie, étaient des hommes de la révolution. Les domestiques mêmes de la famille y avaient joué un rôle. Un paysan que nous occupions à l'année me montrait,en me conduisant à la promenade, les empla-


cements où il avait tenu tête, avec d'autres chouans, à l'armée des bleus. Mes maîtres du collège de Vannes, avaient repris, après quelques années d'intervalle, les chaires qu'ils occupaient en 92. Pour moi, la révolution paraissait lointaine; pour eux, c'était un événement contemporain Ils avaient repris leurs cahiers sans y rien changer, leurs méthodes d'enseignement, leurs règlements et presque leur costume. M. Géhanno, notre principal, n'était que régent en 1792 mais il n'y avait en lui d'autre changement que son grade. Quand je vins à Paris, le temps avait marché, et pourtant je vis encore autour de moi des hommes qui avaient marqué dans l'histoire de la révolution. J'ai vu Daunou, Royer-Collard, Benjamin Constant, Lafayette, la famille du conventionnel Lebas, chez laquelle avait vécu Robespierre. Si je voulais mentionner tous les survivants célèbres de la révolution que j'ai vus, à qui j'ai parlé, j'en remplirais toutes ces pages. Un de mes juges à l'examen de licence, M. La Romiguière, était professeur de phi-


losophie à Toulouse en 1788. Quand j'ai été voir, en arrivant à Paris, la place où étaient encore les bâtiments de l'Abbaye, elle me semblait toute fumante du sang des martyrs. On élevait alors la colonne de juillet, à côté de Féléphant colossal qui marquait l'emplacement de la Bastille. C'est au bout de plusieurs années qu'on érigea au faite du monument le génie de la liberté, qui paraît voler vers le ciel. Croyez-vous que nous puissions juger froidement une révolution si voisine de nous? Nous n'avons pas besoin de tant d'efforts pour nous passionner; c'est l'impartialité qui serait contre nature. Nous commençons seulement à débrouiller la vérité à travers les récits contradictoires, et à nous former un jugement. Mais nous jugeons tout en amis ou en ennemis, et à travers nos passions. Personne ne peut se flatter de juger en indifférent. ou plutôt personne ne voudrait et ne pourrait s'y résigner.

Chaque petite période de cette longue période a eu son courant particulier. Lacre-


telle, Thiers et Louis Blanc racontent le même temps, et ne racontent pas la même histoire. Il y a eu des mémoires maudites par les uns, qui ont été sacrées pour les autres. Le même socle a porté l'une après l'autre la statue de l'assassiné et celle du proscripteur. Les grands hommes dont les statues peuplent nos places publiques, qui donnent leur nom à nos places, à nos boulevards et à nos lycées, ont été voués à l'exécration pendant un demi-siècle. On nous a donné pour sujet de composition en 1830 les crimes de Rousseau Dieu sait ce que M. Monnier, mon professeur de philosophie, et M. Géhanno, mon principal nous avaient appris de lui! et je m'en souvenais encore, avec une indulgente pitié, quand j'ai prononcé un discours, il y a cinq ans, à l'inauguration de la statue de Rousseau, 1 place du Panthéon. S'il y a une supériorité de ce temps-ci sur les premières années du siècle, c'est qu'on ne sent plus le besoin de se cacher sous un masque d'impartialité. On dit tout haut ce qu'on pense. Chacun


a sa statue, qu'il patronne, et chacun maudit, sans vergogne, la statue du voisin. Nous, philosophes, qui avons la prétention de voir les choses de haut, nous pardonnons aux erreurs, quand elles sont sincères nous plaignons ceux qui se trompent, et ne sommes impitoyables que pour la volonté de faire le mal.

J'aime l'histoire de Jean-Bernard parce qu'elle est faite d'études et non de déclamations. C'est une œuvre longtemps étudiée, et c'est aussi, je l'en félicite, un historien qui se met lui-même dans son histoire. L'histoire de la Révolution que je préfère est celle qui est écrite par un républicain de 89. Les principes de 89 complétés et affirmés par la république. Cette histoire-là n'est peut-être pas celle de Jean-Bernard. Je puis lire aussi l'histoire de là révolution écrite par un Partisan de l'ancien régime, ou par un jacobin, si, comme Jean-Bernard qui est avant tout un homme de sens et un honnête homme, il ne va pas jusqu'à l'apologie des Massacres et ne se croit pas obligé de suivre


son parti jusque dans ses fautes. Mais l'histoire que je ne lirai jatnais est celle dont on dit après avoir tourné le dernier feuillet Quel est le parti de l'auteur?

JULES SIMON.


HISTOIRE DE M RÉVOLUTION

Du 1"- au 6 janvier i792.

1

DEMANDE DE MISE EN ACCUSATION CONTRE LE MINISTRE DE LA MARINE

Visites officielles du jour de l'an supprimées. Réception

faite par la Cour au duc d'Orléans. Etrennes satiriques. Jouets contre-révolutionnaires. L'almanach-tabatière. -Almanach des demoiselles de Paris.- Une caricature contre Chabot.- Sermon patriotique. Duel féminin. Nouveaux aménagements de la salle du manège. Offrandes d'un garçon perruquier. La Haute cour nationale. Mise en accusation des deux frères du roi. Accusation contre Bertrand de Molleville. Curieux débats. Incidents. La responsabilité des mandataires.

Un décret supprimant les visites officielles du jour

de l'an fut rendu, aussi aucune délégation de l'AseemMée ne fut envoyée au château, ce dont la cour se plaignit, dans un des journaux soudoyés par la liste civile, en ces termes <: Nos graves Sots-Longs viennent de supprimer par un décret la visite du jour de ~'an on savait déjà que beaucoup de ces messieurs

T. IV


n'étaient pas d'honnêtes gens, on sait maintenant que ce ne sont pas des gens honnêtes ))

Au reste, la façon dont on recevait aux Tuileries les personnages qui déplaisaient n'était guère pour encourager les adversaires aux politesses banales d~ l'étiquette. Le duc d'Orléans ayant cru devoir, malgré tout, aller porter ses souhaits de nouvel an à son cousin, on affecta de faire le vide autour de lui, baissant seul dans la galerie; quelques-uns même, les plus fidèles du château, se permirent des regards provoquants de menace, des moues méprisantes. Quand le duc d'Orléans pénétra dans le salon où dinait la famille royale, les contrôleurs de la bouche, comme s'ils eussent obéi à une consigne reçue, se précipitèrent aux quatre coins de la table et pendant que, suivant l'ancien cérémonial, le prince s'approchait derrière le fauteuil de la reine, ils suivaient du regard les mains et les moindres gestes du duc, tandis qu'un peu plus loin les plus osés parlant entre eux, de manière à se faire entendre, disaient « On peut très bien empoisonner ceux que l'on veut assassiner que ne chasse-t-on cet infâme )) et autres aménités de même nature.

Le prince s'empressa de s'esquiver la cour fit dire le lendemain que, dans sa précipitation et son trouble, il était monté dans une voiture qui n'était pas la sienne

Les prêtres constitutionnels qui se hasardaient à rendre visite à leurs riches paroissiennes n'étaient (t) ./oM?'tt~ de la Cour et de la Vt~c. 4 janvier 179~.

0) Journal de la Cour, janvier i79-

(3) Id.


guère plus heureux que le duc d'Orléans à la cour. Un curé d'une des paroisses de Paris se présente chez une marquise pour la visite du jour de l'an, mais le suisse l'arrête en lui disant Ma maîtresse ne reçoit pas de voleurs

Le dépit de la cour, dépit bien compréhensible, du reste, de l'isolement dans lequel les corps constitués l'avaient laissée, se traduisait par la petite satire suivante devant laquelle se pâmaient les quelques rares douairières n'ayant pas encore émigré.

ÉTRENNES ANCIENNES ET MODERNES DE LA VILLE DE PARIS AU ROI 2

1 La.bonneviUe de Paris Des beaux-arts le centre et la source S .¡¡ Faisait offrir au bon Louis Cent jetons d'or dans une bourse.

's Son maire avec l'écharpe au cou S ) 1 (Mieux vaudrait y voir un licou) S .S ) Mains pleines, ainsi que les poches, Peut lui porter cent gros sous-cloches.

L'esprit contre-révolutionnaire se manifestait encore dans les jouets du jour dA l'an qu'on donnait comme étrennes aux enfants; on fabriquait des pantins avec la cotte d'armes et la cuirasse, qu'on faisait danser sur de petits bâtons au bruit d'une sonnette; on appe(t) Journal de la Cour et de la Ville, janvier 1792.

(2) Journal de la Cour et de la WMo, )"'janvi6r i7U2.


lait ces pantins des Luckner ou des Lafayette pour se moquer des nouveaux commandants des corps d'armée~.

Parmi les étrennes sans couleur politique nées de la fantaisie parisienne, un des objets qui obtinrent une véritable vogue furent les almanachs pour tabatières ces almanachs, de la grandeur de trois pouces, contenaient les jours, les quantièmes, les mois, les signes du zodiaque, et s'adaptaient aux tabatières ils se vendaient quinze sous et on en débitait par milliers sur les boulevards; tout le monde voulait avoir son calendrier dans sa poche. C'est l'année de la combustion, disaient les royalistes. Nous avons là, répondaient les républicains, dans le creux de la main, le jour qui verra la liberté vraie.

Un autre almanach, qui obtenait un autre succès d'un genre différent, était l'almanach des demoiselles de Paris avec leurs noms, leurs demeures et leurs tari fs, que les vendeurs criaient sous les galeries du Palais-Royal; une de ces malheureuses, honteuse de se voir ainsi affichée, se brûla la cervelle de douleur 3; une autre jeune fille, honnête celle-là, voyant son nom inscrit au nombre des impures, se donna aussi la mort de désespoir en avalant un verre d'eau forte

On raconte que l'auteur de ce libelle, un ancien abbé dépossédé de son bénéfice, apprenant cette double catastrophe se serait écrié

()) JoutTta! de la cour et de la ettte, 3 janvier.

(2) Petites affiches, supplément du 24 décembre 1791. (3) t'eut'Hf du jour, 5 janvier 179~.

(4) Journal de la Cour, 4 janvier 1792.


Tant mieux, cela piquera la curiosité et tous les amateurs voudront avoir mon ouvrage'.

Cet almanach devint une des curiosités du jour; on fit même une caricature royaliste représentant un jeune homme se promenant au Palais-Royal en suivant un vieux patriote en train de lire le fameux « tarif des demoisettes et lui mettant la main dans la poche de l'habit. Au-dessous de l'estampe on avait écrit Brissot mettant ses ~œttts

Toutes ces taquineries représentent assez fidèlement l'état de l'opinion des esprits très exaltés par les événements et les discussions du jour. La divergence d'idées politiques avait introduit la brouille dans les familles où souvent le père était aristocrate et le fils patriote; le moindre mot provoquait des scènes entre parents, aussi beaucoup avaient-ils convenu de ne jamais parler politique dans leur intérieur mais les passions étaient telles qu'on tenait rarement cette promesse et la brouille naissait souvent au même foyer.

Le patriotisme se mêlait à tout, et on raconte qu'un prêtre se serait écrié dans son sermon « Dieu constitutionnel, Vierge patriote, écrasez la tête des aristocrates, comme vous avez écrasé celle du serpent. Ave, .MarMt »

L'excitation des cœurs mettait deux femmes l'épée à la main au bois de Boulogne. L'une était une demoiseUeJoSreviHe; elle soutenait qu'avant le 1~'juin, il (t) Journal de la Cour, 4 janvier t792.

(2)Id.

(3) Feuille du jour, 5 janvier 1792.

(4) Journal de 'a Co«f <'< de la Ville, janvier 1792.


y aurait une contre-révolution. L'autre, une demoiselle Méa, que les royalistes donnaient comme maîtresse à Chabot, avait une opinion contraire: d'où discussion, démenti, mots secs et finalement duel dans lequel, paraît-il, les deux antagonistes se conduisirent avec beaucoup de courage et de sang-froid.

On profita de l'unique jour de vacances que prit l'Assemblée à l'occasion du jour de l'an pour faire subir quelques aménagements à la salle des séances et y apporter quelques modifications, notamment dans la partie acoustique. En outre, pour faire disparaître jusqu'au souvenir du « côté droit », on changea les dispositions intérieures la tribune fut placée à l'ex.trémité du côté gauche, le bureau du président à peu près au milieu du côté droit, de telle sorte que l'orateur et le bureau étaient en face l'un de l'autre, séparés par la largeur de la salle 1 on avait voulu ainsi, paraît-il, effacer toutes les divisions de groupes, comme le fit remarquer très justement Brissot c'était presque une espièglerie de s'imaginer que des réparations de menuiserie allaient modifier les idées et empêcher les députés d'être désunis. Dans la nouvelle disposition de la salle, les patriotes se trouvaient former le côté droit.

Le premier citoyen reçu dans la salle nouvellement aménagée fut un garçon perruquier nommé Michelot

(') Histoire parlementaire de Buchet et Roux, t. XIII, p. 14.


qui, admis à la barre, offrit ses épargnes pour subvenir à l'entretien des volontaires. Il déposa quatre louis en or sur le bureau, promettant de verser tous les ans la même somme jusqu'à la fin de la guerre Le 3 janvier commencèrent les débats après lesquels fut décrétée la création d'une haute cour nationale pour juger les crimes de haute trahison, les délits des ministres et agents principaux du pouvoir exécutif et les crimes contre la sûreté de l'Etat, et dont l'Assemblée se porterait accusatrice. Cette cour était composée d'un jury formé de vingt-quatre membres tirés au sort parmi les 166 citoyens élus à raison de deux par chaque département. La cour était présidée par quatre grands juges tirés au sort parmi tous les membres du tribunal de la cour de cassation. Deux membres de l'Assemblée remplissaient les fonctions d'accusateurs sous le titre de grands procurateurs.

Le siège de la haute cour fut fixé à Orléans où elle fut installée le 17 janvier.

Déjà le 1" janvier, après un discours de Gensonné, l'Assemblée avait décrété d'accusation les deux frères du roi, le prince de Condé, l'ex-ministre de Calonne et les anciens constituants Laqueille et Mirabeau jeune, comme prévenus d'attentat contre la sûreté de l'Etat.

Du reste les députés montraient une courageuse indépendance dans leurs attaques le comité de la marine leur demandait de déclarer que le ministre de la marine, Bertrand de Molleville, avait perdu la con(t) ~om<exr.


fiance de la nation. Bertrand avait annoncé que pas un seul des officiers maintenus sur les contrôles n'était absent, tandis qu'en réalité il y en avait plus de deux cents émigrés.

Le ministre, dans la séance du 2 janvier, vint luimême se défendre à la tribune; il y lut un mémoire répondant par une théorie sur le mensonge officieux, ajoutant, en ce qui touchait l'absence des officiers, que s'il avait trompé, c'était pour le bien public. Bertrand de Molleville prit une attitude humble et soumise l'Assemblée accueillit ces explications par des murmures, mais les tribunes applaudirent avec un zèle imprudent autant qu'intéressé. On apprit en effet que la cour avait chargé un nommé Cochin, maître d'écriture, rue des Ciseaux, faubourg Saint-Germain, d'organiser une claque pour garnir les tribunes et applaudir quand même les ministres. Cochin recruta quelques centaines d'ouvriers àqui on distribua des cartes d'entrée numérotées et qui touchaient trois livres après chaque séance, les applaudissements partaient au signal que donnait Cochin en levant son mouchoir

La discussion au sujet dé l'accusation de Bertrand de Molleville revint à la séance du 13 janvier, après un nouveau rapport du comité maritime persistant dans ses conclusions.

Au moment de voter, il était cinq heures et demie, la salle s'emplit d'une fumée épaisse, on dut lever la séance; on voulut voir dans cet accident une ma(i) Révolutions de /'<tf-!< Courrier des 83 départements Histoire partementaire. Enfin ce fait est avoué par de Molleville luimême dans ses MAnotrM.


nœuvre de Molleville qui se serait entendu avec les gardiens des poêles pour retarder, par ce grossier subterfuge, la décision de t'Assemb)ëe Quoi qu'il en soit, l'ajournement fut porté au 1"février; finalement la proposition de mise en accusation fut repoussée à propos de ce vote les journaux publièrent pour la première fois la liste alphabétique de ceux qui avaient voté pour et contre le ministre de la marine C'était une nouvelle et heureuse sanction de la responsabiiité personnelle des mandataires.

(t) Courrier des 83 départements.

(2) AM<~e: patriotiques, 5 février 1792.


Rapport de Narbonne. Projet de fuite du roi. Les émigrés à Jersey. Cravates patriotiques. Attaque contre Gobel. Satire contre Fauchet. Insultes à Chabot. Ouverture du Vaudeville. Vente de la Bibliothèque de Mirabeau.Palloy à Senlis. -Une idylle. La justice des Salésiens. Le jeune ministre de la guerre, Narbonne, de retour de son voyage sur les frontières, faisait, le 11 janvier, un rapport rempli d'erreurs intentionnelles et d'exagérations voulues, présentant nos armées en état de vaincre les despotes qui viendraient attaquer la constitution. D'après Narbonne, « les fortifications des places présentaient des dispositions satisfaisantes. » Les fonderies et les arsenaux étaient « en pleine activité. » Les trois armées de Rochambeau, Luckner et Lafayette reçurent une large part d'éloges. Parlant des désordres qui avaient signalé le passage de quelques bataillons de volontaires, Narbonne dit & Autrefois, nos jeunes officiers passaient pour aimer à se battre, à inquiéter leurs hôtes et à casser les. vitres. Nos gardes nationales, jeunes militaires, ont à cet égard un peu trop adopté les manières anciennes. » Mais des mesures furent prises pour que cet abus cessât.

Du 7 au t3 janvier 1792.

II

PROJETS CONTRE RÉVOLUTIONNAIRES


L'élégant ministre ajoutait

« Je peux répondre que la très grande majorité de l'armée est invariablement attachée à la constitution et au roi ». Toujours d'après Narbonne, on pouvait pousser en avant, sans exposer la sûreté des places, cent dix mille fantassins et vingt mille cavaliers. « N'importe le but marqué, disait en terminant le ministre, la paix ou la guerre, nous l'atteindrons. » On remarqua beaucoup le passage dans lequel Narbonne raconta qu'à « Belfort, oubliant la gravité ministérielle pour se souvenir qu'il avait été garde national », il s'était déguisé en garde national et avait fait le service avec ses compagnons de voyage. Les tribunes garnies des claqueurs ordinaires à la solde du ministère applaudirent le récit de cette comédie, mais la majorité de l'Assemblée rit de pitié Les journaux patriotes attaquèrent vivement ce rapport auquel sans nul doute la maîtresse du ministre, M" de Staël, avait dû collaborer Derrière les assurances de Narbonne, les patriotes devinaient le but caché du ministre qui voulait avant tout disposer d'une armée dévouée, au milieu de laquelle le roi pût trouver un refuge. C'était au moment où Narbonne organisait trois armées pour tenir tète à l'Europe monarchique, disait-il, que Bigot de SainteCroix, à Trêves, le comte de Sainte-Croix, à Berlin, essayaient de calmer les puissances.

Tous les journaux, y compris le AfoMtteM)', s'occupèrent cette semaine en effet d'un complot qui aurait

(l)JM))0<M<MM~('f(t)'tS,n°i3t. (?)Michetet,vot.UI,p.HO.


été formé, avec la complicité de Narbonne, pour enlever le roi.

Gorsas affirmait, d'après une gazette allemande, a que pour aider ce projet, Louis XVI s'évaderait de Paris et se rendrait dans une place frontière ce départ ne devait être clandestin que pour la sortie de Paris, car on ayait prévu pour la route tous les inconvénients. »

On parlait de ce projet couramment dans les cercles royalistes, et voici ce qu'écrive it l'un de ceux placés au premier rang des confidents t « Le plan ministériel a pour chefs Narbonne, Lafayette et M°" de Staël. On leur attribue le projet d'emmener le roi à Fontainebleau, et de là, à la tête de l'armée qu'ils se faisaient fort de régénérer, de remettre en discipline; Lafayette, à Metz, avait assez bien pris. On voulait laisser au roi le choix des régiments les plus sûrs pour s'en entourer »

Et plus loin

« M* de Staël avait fait proposer au roi et à la reine de les emmener dans sa voiture, au départ de l'ambassadeur (M. de Staël) et de travestir la reine en femme de chambre, le roi en maître d'hôtel avec une perruque noire, le dauphin habillé en fille. Elle ne voulait personne d'autre. La reine en fit des gorges chaudes avec le chevalier de Coigny. »

On n'avoue pas plus formellement un plan qu'on essaiera de nier plus tard.

(1) Mémoires et correspondance de Mallet <h<.Pcm,t. I, ch. il, p. 257.


De leur côté, les princes continuaient leurs manœuvres. L'Ile de Jersey était devenue un lieu de rassemblement pour les émigrés on défrayait de leur voyage ceux qui voulaient s'y rendre et une fois arrivés, on les embarquait pour aller grossir l'armée des princes

A Coblentz, les émigrés se livraient à de sinistres plaisanteries ne révélant que trop les criminels desseins des nobles et des aristocrates. On avait organisé une sorte d'exposition de cordes qu'on désignait sous le nom de e magasin de cravates patriotiques s au bas des plus grosses, on avait mis le nom de ceux à qui elles étaient destinées <: d'Orléans, Lameth, Barnave, Robespierre, etc. »

A Paris, les royalistes continuent à prodiguer à leurs adversaires les mêmes insultes et les mêmes attaques. L'évêque Gobel est-il indisposé et ne peut-il officier comme il l'avait annoncé le jour de SainteGeneviève, vite on imprime que e la veille, s'étant préparé à cette fête solennelle par une collation à l'allemande, le lendemain, il se trouve incommodé d'une indigestion de vin plus forte qu'à son ordinaire, ce qui a fait dire à quelques chantres qui avaient bien voulu souper avec lui qu'au lieu de s'appeler Gob. on le nommerait désormais Gobelet. L'évoque Faux. qui fut son digne suppléant, chanta la messe et prêcha. la guerre )).

(t) Chronique de Paris, janvier 1792.

(2) Journal de la Cour et de la Ville, janvier 1792.

(3) Id.


L'évoque Fauchet continue à servir de cible aux venimeuses satires commandées par la cour et payées par l'intendant de la liste civile Delaporte.

Tout change et la fortune en cet affreux moment, Ne porte plus Faux chef au sommet de la roue.

Du faite des grandeurs descendu dans la boue,

II retourne à son élément

Tout naturellement Chabot n'est pas ménagé les grossières plaisanteries sur sa maladie se succèdent avec une crudité de détails impossibles à décrire Les pamphlétaires royalistes attaquent les députés de la majorité avec les mêmes armes et le même style qu'ils employaient autrefois contre Marie-Antoinette, quand le duc d'Artois ou le comte de Provence leur payaient leurs ignobles libelles.

« Ceux qui voudraient connaître, écrivent-ils, non pas aux termes de l'écriture car il n'y, aurait pas sûreté, mais de vue seulement, M°'° Chabot, femme constitutionnelle d'un ci-devant capucin, sont avertis qu'elle se trouve habituellement dans les tribunes d'une certaine assemblée, parce qu'aucun manège ne lui est étranger. On doit représenter ce couple heureux avec deux besaces. Le capucin portant par derrière celle de la nation, et la femme nationale portant par devant celle du capucin »

Par ces attaques incessantes,par des provocationscontinuelles, les royalistes avivaientles haines et semaient cette irritation qui envahit bientôt les clubs et les sociétés quand l'ennemi foulera le sol de la France, (t) Journal de la Cour e< de la Ville, janvier 17H2.

(2) Id.


quand les aristocrates lèveront au dedans le drapeau de la guerre civile, cette irritation ne connaîtra ni terme ni mesure.

En attendant, les théâtres de Paris augmentaient, et il ne se passait guère de mois qu'un entrepreneur ne proGtât de la récente liberté des spectacles, pour ouvrir ses portes au public. Le 12 janvier, eut lieu l'inauguration du Vaudeville; la pièce nouvelle intitutée Les deux Pa~theoMS était de Piis, pièce où chaque couplet contenait une allusion aux événements du jour

Les émigrations ne paraissent pas faire grand tort aux théâtres, car malgré leur nombre sans cesse plus grand, ils étaient toujours à peu près pleins. En partant pour l'étranger, les nobles louaient la jouissance des places à l'année, ainsi ils offraient un huitième de loge au Théâtre-Français (numéro 3, côté de la reine), pendant toute l'année 1792, pour trois cents livres

On lisait dans les annonces de fréquents avis dans le genre de celui-ci « un quart de loge avantageusement située au Théâtre Italien, au4* côté de la reine n° 1 à louer pour six mois s'adresser à M. Biroust, rue Buffaut, 499, faubourg Montmartre. Huitième de loge au Théâtre de la Nation aux premières, côté de la reine, pendant l'année 1792, à louer, moyennant 300 livres. S'adresser à M. Pochet, tous les matins, rue des Mathurins, hôtel de Cluny )) Cette semaine on procédait à la vente de livres de Mirabeau; elle commençait dans l'une des salles de (1) La feuille du jour, janvier )79'2.

(2) Sfpptement à la Feuille du jour, janvier 1792.

(3) Catalogue A:s livres de la bibliothèque de jU!<t6e<ttt.


l'hôtel de Boullion, rue Jean-Jacques-Rousseau, et durait jusqu'au 27 janvier. Cette bibliothèque était précieuse par les livres rares et curieux, les éditions d'amateur, tirées à nombre restreint sur grahd papier de Japon ou de Hollande; elle comprenait toutes les collections de Buffon dont Mirabeau avait autrefois acheté la bibliothèque.

Malheureusement, nous ne possédons pas de catalogue très détaillé avec le prix des enchères qui durent être intéressantes, mais nous savons que les Anglais achetèrent de nombreux volumes qu'ils emportèrent en Angleterre et sans doute la plupart de ces trésors bibliographiques ne repasseront plus le détroit. Fuyant tous ces petits incidents de la vie parisienne qui accaparaient l'attention de la capitaIe,PaHoy,l'cntrepreneur de démolitions de la Bastille, l'insipide Palloy~ allait exporter ses pierres en province. Le 8 janvier, il arrivait à Senlis trainant après lui une pierre représentant la fameuse forteresse. Cette pierre fut portée en pompe à l'Eglise paroissiale où, au milieu d'une foule énorme, le curé la bénit après avoir prononcé un discours de circonstance. Le soir, il y eut réception extraordinaire au club des Jacobins; un bataillon des volontaires de la Vienne, de passage à Senlis, y assistait'.

Au même moment, dans une paroisse de l'Anjou du district de Saint-Florent, prenait fin une idylle qui rappelle quelque peu le sujet que devait prendre plus tard Lamartine pour son beau poème dramatique de Jocelyn. Les habitants de cette paroisse (t) Lettre signée Tremblay à l'orateur du peuple.


appelée la Poitevine avaient choisi pour leur curé constitutionnel un jeune homme paraissant fort modeste et d'une figure agréable ils étaient très contents, paraît-il, de leur nouveau pasteur qui vivait d'une manière exemplaire avec un autre ecclésiastique de ses parents. Un beau jour, le bruit se répandit dans le village que ce brave curé venait de tomber dangereusement malade. Comme il était très aimé, ses paroissiens s'empressent d'accourir au presbytère et quel n'est pas l'étonnement général en entendant des vagissements' le pauvre vicaire mourut dans les douleurs de l'enfantement.

Les aristocrates essayèrent de tirer parti de cet événement, mais les patriotes du pays leur répondirent qu'après tout, cette jeune fille avait été un brave homme et que la papesse Jeanne en avait fait tout autant.

Les Galériens eux aussi se piquèrent de patriotisme et voici le singulier document que nous trouvons dans les journaux de l'époque

L'an mil sept cent quatre-vingt-onze, le premier décembre, vers les sept heures du soir, en vertu de la plainte qui nous a été formée par Jean-Baptiste Thomas, Claude Guillozet et François Mahé contre Jean Gilbert, se disant chevalier de Betaucourt, garçon tailleur, nous nous sommes transportés à la Taverne où était l'accusé pour l'interroger sur les faits contenus en ladite plainte, et savoir s'il persistait à tenir pour bons les propos injurieux qu'il avait eu la témérité de tenir contre la nation pour laquelle nous avons le plus grand rest<) Journal de la Cour et de la Ville, janvier t792.

(9) Voyez notamment La cArom~tte de Paris.


pect. Malgré nos représentations, ledit Jean Gilbert, dit Chevalier.adéclaré persister dans ses opinions contre-révolutionnaires, disant qu'il et; s«r nation, qu'il souhaitait que les antropophages qui osent se dire français, et qut'Mnt outreRhin, entrassent pour égorger nos chers parents et amis. En conséquence de ~'aveu dudit Jean Gilbert, dit Chevalier, et de la sincérité que nous avons remarquée dans ses gestes et mouvements nous l'avons voué à l'exécration de nos camarades. Ce fait, s'étant emparé de sa personne, il a été trainé sous le palant du pain; la,étant à genoux, l'avons sommé de nouveau de se rétracter, ce qu'il n'a voulu faire. Voulant donner des exemples sévères pour réprimer dorénavant pareille atrocité,

Nous, du pouvoir qui nous a été délégué, l'avons condamné à faire amende honorable sous les trois réverbères de la salle, nupieds, nu-téte, la torche à la main, avec écriteau devant et derrière portant ces mots Mauvais patriote, et à recevoir, d'un bras patriote cinquante coups d'une planche de la longueur de deux pieds, large de trois pouces, bien appliquée sur les fesses préalablement après la visite et l'assurance qu'il n'avait qu'une simple culotte de toile. La correction donnée, nous avions ordonné qu'il serait reconduit à sa place avec défense de récidiver sous plus grande peine; mais l'effervescence étant à son comble, notre sage prévoyance n'a pu empêcher qu'on s'emparât de sa personne lui ayant passé la corde au col il fut pendu au palant un des crampons ayant manqué, il tomba. Préférant miséricorde à justice, nous réitérâmes nos prières pour lui sauver la vie. Enfin, par déférence pour nous, il fut seulement pendu sous les bras, et a reçu, pendant le temps qu'il y fut, différentes corrections patriotiques. Attendu que la cloche du coucher était sonnée, nous avons représenté qu'il il fallait que chacun se rendit à son devoir, ce qu'ils ont fait en chantant: ~tt'ra. cat'ya. p~îr~

l.e présent procès-verbal sera affiché à la porte du cachot de la salle des scrofuleux, avec défense de l'arracher, sous peine d'encourir la haine de tous, et d'être regardé comme mauvais français.

St~me BARAN&E, ~r~er.

Les surveillants prirent comme bien on pense des mesures pour que de semblables faits ne se reproduisissent pas.


Ces exécutions inspirèrent à !'0)'atett)' dit PeMp!e la seule réflexion suivante:

« Cet acte de justice me fait naitre une idée. Si l'assemblée nationale faisait bien, elle renverrait la cause des émigrés par devant c<? tribunal. On n'est jamais mieux jugé que par ses pairs. ? u


Du t4 au 20 janvier 1792.

III

LES ACCAPAREURS DE SUCRE

Les Girondins continuent à demander la guerre. Menaces de Guadet Discours d'Isnard. Première ovation parlementaire. Le comte de Provence déchu de la régence. Embauchage par les femmes. Troubles à Caen. La misère. Disette de sucre. Cherté. Le peuple enfonce les épiceries. Troubles à Paris. Un accapareur américain. Les faux assignats.

L'Europe frémissait au bruit des discussions passionnées relatives à la guerre ou à la paix. La Gironde poussait toujours et énergiquement à la guerre, ce qu'ils voulaient, semblait-il, c'était moins assurer la France contre les coups des émigrés que faire naître l'occasion < d'attaquer avec avantage les rois euxmêmes », les constitutionnels del791et!eurs institutions .quetques-uns comme Brissot cherchaient dans la guerre < une occasion de tendre un piège au roi, pour manifester sa mauvaise foi, et ses liaisons avec les princes émigrés )). Dureste un desGirondins résumait ainsi, à la tribune des Jacobins, la pensée de ses amis. & Eh bien, non, il ne s'agit pas pour nous d'une guerre aux émigrés de Coblentz et à quelques misérables petits «) AffrMse à met enttttttuanh, par Brissot.


princes d'Allemagne, contre de tels ennemis, la Révolution française a certainement assez de son dédain ce que nous demandons, c'est de nous mesurer avec l'empereur d'Autriche, avec le roi de Prusse, avec tous leurs complices couronnés, avecl'ancien monde. Périssons ou qu'ils périssent! Etquant au souverain que nous conservons à notre tête, malheur à lui s'il nous trahit! Propageons hardiment, l'épée à la main, les principes de la France nouvelle. Si, dans une lutte aussi colossale, nous succombons, il est possible que la liberté de tous les peuples soit pour longtemps compromise; mais si nous l'emportons, notre victoire est l'affranchissement de la terre.»

Ces paroles contenaient la vraie pensée des Girondins.

Ces esprits téméraires, enthousiastes, ardents, passionnés ne rêvaient que de mettre le feu aux quatre coins de l'Europe afin de dresser un autel à la liberté sur les ruines des monarchies détruites. Il faut le reconnaître, malgré la froide logique de Robespierre, la grande majorité de la France s'était laissé séduire et se laissait entraîner par cette pensée chevaleresque qui confiait aux mains de la jeune Révolution une sorte d'épée vengeresse devant punir les crimes, les usurpations, les injustices, les despotismes des rois et des empereurs.

Aussi quand, le 14 janvier, Gensonné, au nom du comité diplomatique, vint proposer à l'Assemblée « que le roi de France soit chargé de demander à l'em..pereur de déclarer nettement, avant le 11 février, s'il était pour ou contre nous », ajoutant a que son silence serait considéré comme première hostilité, w ce fut


dans l'Assemblée et dans les tribunes une explosion d'enthousiasme. Comme on avait parle de la possibilité d'un congrès de rois, Gensonné escalada la tribune.

Apprenons aux princes de l'empire, dit-il, que la nation française est décidée à maintenir sa constitution tout entière. Nous mourrons tous ici. La plus grande partie des députés, les spectateurs des tribunes se lèvent entraînés par un frémissement irrésistible et chacun de s'écrier

Nous le jurons vivre libre ou mourir

Les hommes tendent les mains dans la pose du serment, les femmes des tribunes agitent leurs mouchoirs.

Guadet continue

Marquons à l'avance une place aux traîtres, et que cette place soit l'échafaud Je propose de déclarer infâme, traître à la patrie, coupable du crime de lèsenation, tout Français qui prendrait part soit à un congrès ayant pour but la modification de la Constitution française, soit une médiation entre la France et les rebelles conjurés.

Cette motion, votéeau milieu des applaudissements, est portée à Louis XVI qui la sanctionne le jour même.

La question de la guerre continue ainsi à être discutée au milieu de l'animation et de l'émotion générale. Le 20, Isnard à la tribune s'écrie « trop souvent la parole des rois n'est sûre que lorsqu'ils ne sont pas assez forts pour la violer. »


Puis, avec un accent menaçant, au milieu des applaudissements des tribunes, il continue:

« Quant au roi, son cœur est bon, et je me persuade qu'il fera ce qu'il doit. Certes, il y est le plus intéressé il doit bien voir que la nation, qui a déjà ouMié deux fautes, n'en oubliera pas trois. Enfin, que chacun apprenne que nul citoyen, prêtre, général, ministre, roi ou autre, ne nous tromperait impunément. Le sort en est jeté nous voulons l'égalité, dussions-nous ne la trouver que dans la tombe mais avant d'y descendre, nous y précipiterons tous les traîtres. Il faut que l'égalité et la liberté triomphent, et elles triompheront en dépit de l'aristocratie, de la théocratie et du despotisme, parce que telle est la résolution du peuple français, et que sa volonté ne reconnaît de volonté, supérieure à la sienne que celle de Dieu. »

Ce fut à la suite de ce discours que, pour la première fois, on vit les députés aller féliciter leur collègue; jusqu'à ce jour ces marques d'admiration, tant prodiguées depuis, étaient inconnues~.

Cet enthousiasme d'Isnard était préparé et son discours fut lu à un moment donné même, il s'aperçut qu'il avait passé une feuille entière qui s'était trouvée déplacée, il demanda la permission de la lire, ce qa'il fit sans plus s'émouvoir

L'avant-veille, le 18, l'Assemblée constatant que Stanislas Xavier de Bourbon, comte de Provence, frère du roi, était absent du royaume, qu'il n'avait pas satisfait à la réquisition du Corps législatif de rentrer (1) L'éloquence d'Isnard, par Santhonax (Aulard).

(2) Lettre de Beauheu a ses commettants.


dans le royaume dans le délai de deux mois, décréta qu'il était censé avoir abdiqué son dr' it éventuel à la Régence et le déclara déchu de ses droits. Les princes, du reste, loin de songer à revenir en France, continuaient leurs embauchages les femmes servaient souvent les intérêts des émigrés ainsi à Reims une femme Hedouin dite La Belloy employait son influence sur un jeune homme de dix-huit ans pour lui faire quitter la maison paternelle après lui avoir donné un petit trousseau composé de dix chemises, un habit d'uniforme et payé le voyage en poste jusqu'au delà du Rhin'.

Dans l'intérieur du Royaume les royalistes et les prêtres réfractaires continuèrent à agiter les esprits à Caen par exemple où une foule d'aristocrates s'était retirée, les prêtres non assermentés provoquaient les curés constitutionnels ils faisaient crier dans les Eglises par des valets et des gens de sac et de corde « il faut les pendre puisqu'ils sont pour la constitution ». Ils vont même jusqu'à attaquer les constitutionnels en pleine Eglise et en plein jour; on saisit un grand nombre d'armes et un projet de soulèvement et de massacres

L'Assemblée décrète d'accusation une centaine d'aristocrates ayant trempé dans le complot.

Tandis que dans le Calvados, les royalistes conspirent contre la Révolution, dans la Dordogne, au contraire, les habitants suivant l'impulsion donnée par leurs députés, se préparent contre l'étranger. Un seul (1) Orateur du peuple, n"VI.

(2) Rapport de Guadet.


district a fabriqué à lui seul plus de trois mille piquas et les jeunes gens envoient une députation à l'Assemblée pour demander d'être ditigés sor la frontière

Pendant ce temps l'hiver continue à être rigoureux, la misère augmente et la disette continue, affamant Paris dont on entend les cris de colère sortir des faubourgs et de cette population flottante d'ouvriers venus dans la capitale chercher du travail et n'ayant trouvé que des chantiers fermés. Le peUt commerce n'est pas plus heureux que les ouvriers; depuis trois ans les industries de luxe chôment et les petites épat~aes sont épuisées. Le pain est cher, le bté est rare et les accapareurs agiotent sur les farines. En ou<re,de mauvaises nouvellesarrivent des colonies où la révolte des nègres a incendié les usines, brisé tes chaudières, détruit les fourneaux le sucre est hors de prix et se vend en détait cinquante-cinq sous la livre; aussi l'ouvrier parisien, dont tout le monde connaît la passion séculaire pour le café au lait commence à éprouver de l'irritation et de ta contrariété dès le matin, obtigé de se passer de sucre et de commencer la journée par une privation. Le peuple se livre A quelques excès. Ici, rue du faubourg SaintMarceau, il enfonce un magasin où le sucre est accaparé et on le met de force en vente à 21 sous la livre. (1) Ilistoire par/em~tatM de Duchetet Roux, t. XtU.p.&a. ~) Mercier, Table.tu de /'«)'M.

T. t\ 2


Cette cherté du sucre cause un~ fermentation telle 4 que la municipalité est ohtigée de prendre des mesures des attroupements se forment dans différents quartiers. Dans le quartier Saint-Martin, la garde nationale est insuttée~on lui jette par les fenêtres des pots de terre des faits analogues se produisent dans les rues des Lombards, des Gravilliers, et dans la rue aux Ours. Quelques magasins d'épicerie sont envahis et le peuple taxe lui-même !e sucre et la cassonade à 25 sous et oblige ceux qui en cachent à te vendre à ce prix

Les accapareurs sont nombreux et quelques-uns même réclament le secours de la force armée pour protéger les entassements de sucres et de cafés. Un d'eux Delbecq, américain, écrit à t'Assemblée Je suis un ci-devant propriétaire d'habitations considérables dans cette ile malheureuse qui n'existe peut-être plus; nos récoltes faites avant le désastre me sont parvenues; elles montent à deux millions de sucre, un million de café, deux cent mille livres d'indigo, et cinq cent mille de coton. Ces marchandises valent actuellement dix millions, et par le concours des circonstances en vaudront bientôt quinze je déclare à l'Assemblée, à t'E'n'ope entière, qui entend ma pétition, que ma volonté bien expresse est de ne vendre à aucun prix les deniers dont je suis propriétaire, Cet accapareur quoiqu'il s'en défendit demandait à t'Assemblée d'ordonner au maire de Paris de mettre

()).Car)yte.

('2) MM<o<re~)ftt-!<mM<a<)'e.


à sa dispostion une force suffisante pour entourer ses magasins.

Pour comble de misères, les Anglais, les royalistes et les faux monnayeurs, les uns par esprit de parti, les autres par lucre, inondent Paris de faux assignats; un matin, le 16 janvier, leshallessont encombrées par cette fausse monnaie; grand émoi des revendeurs les aristocrates, pour les exciter encore davantage, parcourent le marché disant

Eh, mesdames, point de bruitj entendez vos intérêts, faites-leur faire le service comme aux autres dans peu, ils auronttous la même valeur'. Les royalistes et les feuillants essaient de se servir de ces troubles contre les patriotes et les jacobins ils font répandre le bruit que Pétion est inté~ ressé à ces accaparements; une calomnie tancée dans ces journées de trouble va en augmentant semble-t-il de toute la force des clameurs que poussent les malheureux ou les égarés Pétion est obligé de faire insérer dans les journaux la lettre suivante Depuis quinze jours, des hommes qui ne respirent que l'anarchie et le bouleversement de l'ordre actuel des choses, ne cessent de me lancer tes traits les plus envenimes. Ils ont à leurs gages des journalistes, à la vérité très diffamés; ils publient des lettres, ils afuchent des placards, ils se répandent dans tous les lieux publics, et là, il n'est d'infamie qu'ils n'imaginent contre moi; ils dénaturent tous les faits et ils empoisonnent les actions les plus louables la confiance que je cherche chaque jour à mériter les fait trembler parce qu'itt savent bien qu'avec la contiance, les magistrats amis du peupla déjoueront toujours leurs projets et leurs coupables et ridicules efforts.

()) ~oMt-na! de la Cûto- et <te la t~tt, janvier 1792.


Ua viennent d'inventer une calomnie à laquelle j'avoue que je ne pouvais pas croire; mais elle m'a été répétée par tant de personnes dignes de foi; elle est même si publique qu'il m'a bien faHu n'en pas douter. Le peuple murmure beaucoup de la cherté excessive des sucres et autres denrées ils ont trouvé très adroit de me transformer sur-le-champ en gros négociant, en grand spéculateur, et en conséquence Us ont l'effronterie de dire, de répéter tout haut que j'ai des magasins considérabtes. Je prie ceux à qui Us tiendront ce langage intposteur et absurde de vouloir bien leur demander où sont ces magasins, et d'en citer un seul où j'aie pour une oboie d'toMrét..

Cette fermentation plaisait aux aristocrates qui écrivaient des pamphlets en forme de ballets dans le scenario desquels on lisait

<t Les Jacobins marchent contre les Tuileries armés de piques, de haches, de poignards, le combat s'engage. La terreur s'empare des Jacobins, ils sont prêts à fuir, lorsque le régicide, figuré par M. d'Orl. veut les rallier, le combat recommence. Pendant que les deux partis se chargent mutuellement, le régicide, qui voit la défaite presque certaine, charge un de ses émissaires, Cguré par M. Barnave, de s'introduire dans la tour pour y poignarder le roi l'assassin est prêt à immoler sa victime, lorsque la fille de Marie Thérèse, enflammée d'un courage héroïque, saisit le poignard de l'assassin et le lui plongedans le cœur. Les Jacobins sont défaits, des cris d'attégresse annoncent la victoire on brise les fers du roi, on lui pose la couronne sur la tête et on le rétablit sur son trône. Un ballet de différents caractères, de croates, de pandours, d'hussards, termine le 3' acte

A Coblentz, où il a récemment transporté son jour (t) La Contre-Révolution, ballet national en 3 actes.


nal, Suleau s'écrie: « Il n'y a qu'une bonne guerre civile qui peut terminer par une réaction raisonnable des dissensions si compliquées «

A Paris, les mêmes royalistes reproduisaient une excitation analogue à la guerre civile et répandaient une brochure dont le titre seul indiquait le sens de ce libelle La contre-Révolution est ttëcesscufe et qui se terminait par ces mots:

« Que chacun de vous, Français, soit donc ambitieux de n'avoir pas été le dernier à rétablir son roi. Dites aux puissances étrangères qui voudraient vous enlever cette gloire: c'est un vol et une injustice que vous nous faites le roi nous appartient plus qu'à vous c'est à nous à le reconduire les premiers sur son trône. »

Beaumarchais qui depuis longtemps avait pris parti pour la Révolution répond à ces attaques en ajoutant une scène à son MaricK/e de Figaro.

Figaro entre roulant une énugrette. Cette émigrette était un jeu mis à la mode, il se composait d'une roulette de bois ou d'ivoire, évidée comme une navette; un long cordon introduit par une rainure s'attachait à l'axe de la roulette qui montait et descendait avec un mouvement que la main déterminait avec plus ou moins d'adresse. Ce jeu eut un succès très grand et le bazar du Singe vert, rue des Arcis, en fit fabriquer vingt-cinq mille en quelques jours 3.

On appelait encore ce jeu un Coblentz.

(1) Journal de Sulleau, 10, p. 17.

(~ Collections de la DiMiothèque nationale, no 5.790, L. B. 59.

(3) Feuille du jour, octobre tT)l. 2.

2<


On avait fait à ce sujet le quatrain suivant: Quelqu'un qui dit s'y bien connaitre

L'appelle jeu des E~f~raH~,

Et sur ce nom chacun s'accorde.

L'on y trouve à la fois la roue et la corde

C'était cet innocent jeu que Beaumarchais avait

mis entre les mains de Figaro voici du reste cette scène telle que l'auteur l'envoya à la C/tt'otM~Me de Paris avec le récit de l'algarade à laquelle elle donna lieu le soir de la première représentation. BMU-OtSON, à Figaro

On-on dit que tu fais ici des tiennes.

FIGARO

Monsieur est bien bon ce n'est là qu'une misère BRID-OISON

U-une promesse de mariage! Ah le pau-auvre benêt!

FIGARO

Monsieur.

B!UD-OISON

On n'est pas plu-us idiot que ça 1

FIGARO, riant

Idiot! moi? Je fais pourtant très bien descendre et monter l'émigrette ~)'OM!e/.

BRID-OISON, étonné

A quoi c'est-il bon, Fémigrette? 2

(i) Lettres B.pa<rK)<'tMM.


BARTHOLO, brusquement

C'est un noble jeu qui dispense de la fatigue de penser.

BRID-OISON

Ba-ah t moi, cette fatigue-là ne me fatigue pas du tout.

FIGARO, en riant

Jeu favori d'un peuple libre 1 qu'il mêle à tout avec succès.

BARTHOLO, brusquement

Emigrette et Constitution, le beau mélange qu'ils font là 1

BRiD-otSON, à Figaro

Je pourrais pen-endant, les référés.

FIGARO

Référé, spectacle, assemblée; nos gens d'esprit ne la quittent nulle part. Et monsieur a tout ce qu'il faut pour en jouer supérieurement. /N la !tM pt'ësettte/. BRID-OISON, t'acceptait

Oui? Eh-eh bien! j'essaierai.

BARTHOLO, à Marceline

D'une bêtise bien adressée, le fripon s'en fait un appui contre le droit de votre cause.

Et la scène du procès continue.

Ecoutons maintenant Beaumarchais racontant la première représentation de cette nouveauté.


<( Voici ce qui est arrivé à la représentation au seul mot d'estafette, quelques rouleurs émus ont senti la bordée, inde M'as, les murmures, les ah les cris; et les acteurs troubtés ont vite coupé la scène, on n'a plus su ce qu'elle voulait dire; raison de plus pour m'accuser d'incivisme, de cruauté, de tout enfin. jusqu'à la niaiserie. Puis rumeur au Palais-Royal t Projet de troubler wo~ spectacle, si j'ai l'audace encore de reparler de l'émigrette. Un monsieur en ?'OMlant disait très gravement aux autres Je-e vois ce. que c'est, messieurs. En donnant un-un instant de discrédit à l'émigrette, le prix en tom-ombera partout. L'auteur les a-achètera toutes, pour nous les revendre ensuite au-au prix qu'il le voudra car c'est un grand accapareur co-omme on sait. Un accapareur d'émigrettes! ont dit tous les autres messieurs courons, courons à son théâtre, et faisons-y un train du diable. Les acteurs avertis m'ont tous prié de sacrifier les quatre mots sur l'émigrette. J'ai souri de l'effet et le leur ai permis. »

« Ce 22 janvier 1792.

« BEAUMARCHAIS M

Les royalistes qui se fâchaient quand on les attaquait ne se gênaient guère du reste pour insulter leurs adversaires.

Rien n'échappait à leurs satires, les unes bénignes, les autres violentes. Cette semaine ils publièrent « les six nouveaux commandements de l'Eglise de France ».

()) (.Anmt~Me de Parx, 97 janvier 1792.


Venait ensuite letour de Lafayette contre lequel on lançait les couplets suivants

Nul prêtre ne reconnaîtras, Qui n'ait fait le nouveau serment. –loutarchevêque renieras, Et tout chanoine également. Les moines tu défroqueras, Et chasseras de maint couvent, Nos soeurs même dévoileras, Et les marieras hardiement. A patrie, autel dresseras, Comme a déesse du moment. Hymne à Mirabeau chanteras, Au Panthéon, chrétiennement

Chanson traduite de l'allemand

Ata De la Bourbonnaise

La Faye à la guerre.

S'en va sur la frontière (bis) Avec son cimeterre

Et sur son grand dada,

Ah! ah! ah! ah!

Cehérosbraveetsage,

Combattant l'esclavage,

Subjuguera, je gage,

Ceux qu'il endormira

Ah!ah!ah!ah!

Nos ardents patriot.

Sans cœur et sans culottes (bis), Recrutés dans les crottes,

Ne reculeront pas,

Ah ah ah ah

Contre une citadelle,

S'il faut planter l'échelle,

Us craindront pourtant qu'elle Ne manque sous leurs pas. Ah! ah! ah ah

()) yoxnxtt (h ht CoMr, 15 janvier t79ï.

(2)~OM)-M!f)f;a<Ottr<'(<feiaV<ite,t6iMviernM.


Non contents d'attaquer les hommes, ils s'en prenaient encore aux mots et ils publièrent t'anagramme suivant de LIBERTÉ.

Cette semaine, la verve aristocratique semble du reste, être en veine etles pamphlets le disputentaux journaux.

On distribue un petit livre en langage trivial, moitié prose moitié vers on nous lisons

La constitution, par une figure de rhëtoriqueforcée, est ravatée au dernier rang des courtisanes et on représente les députés patriotes, par la même occasion, comme des prévaricateurs ou des soudoyés. (i) JoMrMt do Cour e< de <<* ft~, i9 envier 1792.

Le désir ardent du bélitre

C'est l'excessive liberté.

De ces deux mots l'identité

Dispense d'un plus long chapitre;

Bélitre engendra liberté

De K&trM naquit MKire

Du Saint Père on se moquera, Et l'on croira

L'ami Mara

Ta la deri dera, ta la deri dera Tout prêtre qui serment fera Avec fillette couchera,

Ta la deri dera,. ta la deri dera; Pour faire soldats à l'Etat, Avec vigueur il déploira

Tous les droits de l'homme. Ta deri, dera tra la, ta la, la la, Ta la, deri dera.

N'y à pas de mal à ça

(~) EK<re<tm< de !<t mère ScMmoM.


Loin d'acquitter les dettes, la coquine

Fait un tout autre emploi de nos présents

Nous la voyons, nouvelle Messaline,

Prodiguer l'or pour payer ses amants

La banqueroute

Sera sans doute

Le dernier trait

Do madame Target

Des généralités on passe bien vite aux personnalités les plus outrag~ntcs et dans lesquelles on dépasse toute retenue, toute mesure le" plus déshonorantes accusations sont mises en vers avec une méchanceté qui ne connait pas de terme et ne s'arrête pas devant le mot polisson.

Gerle moine ribaud, apostat, Impudique,

Qui vite se défit de l'habit monastique,

Et qui, courant depuis magasin et boutique

Pour être moins gêné sous costume iaique

A fini par gagner un rhume ecclésiastique,

Récalcitrant au rôle antisyphilitique

Une particularité de ce pamphlet c'est qu'il était écrit en vers sur une seule rime, toujours la même en tgMe.

Lancés sur le terrain de la personnalité, ils ne peuvent s'arrêter en si beau chemin et la cour estime qu'elle en aura pour son argent.

Le duc d'Orléans est chansonné d'importance Primo, ce prince bourgeonné

A tous les vices adonné

Lon Ion la derlnette

Dans tous les crimes endurci

Lon Ion la deriri.

(t) &t<re<t'en< de la mère Saumon.

(2) te pMeea< <MHet.


Après le duc d'Orléans ce sont d'Aiguillon et l'évêque Gobel qui sont éclaboussés par cette lie de l'encre. Cet animal nommé cochon

Ennn la conclusion de tout ceci est l'appréciation suivante mise dans la bouche d'une harangère. Quand ç'a s'rait Can'tenche et Mandrin qu'auriont fait des nouvell'loix, y n'en auriont pas fait d'autre 3.

Comme tout bon enseignement doit se terminer par une moralité, la voici en guise de conclusion Flambes xt'te leurs tMM' décrets

Poltron qui resta constamment, Pendant le combat d'Ouessant, Lon Ion la derirette

Dans la calle du Saint-Esprit Lon Ion la deriri.

Puis de Vos. son chancelier Maitre fripon grand putassier, Lon Ion la derirette;

Car tel prince tel favori,

Lon Ion ta deriri.

Et ta satoppe d'Aiguillon

Lon Ion la derirette

Mons l'évêque Intrus de Paris

Digne de tout mépris

Lon Ion la deriri.

A coups de. presque tous faits,

Lon Ion la dérirette

0M't7 M'~M reste nul ~OMMMÏ'r

ton ~o!t la deriri

(t) EK<)'«fMS ffetam~re~atoHM.

M) Id.

(~ /A

(4) ~e~tMcmM tt'e~j.


Les tégistateurs ne sont guère mieux traités que leurs décrets.

La prose ne les décourage pas plus que les vers et pour ces pamphlétaires, que Marie-Antoinette entretient sur sa cassette, l'insulte le dispute à la calomnie. Pourquoi, demandent-ils

<t .Tant d'autres meurt-de-faim ou notoirement ruinés affichent-ils aujourd'hui un luxe insolent; ontils publiquement, même l'évêque d'Autun, des filles entretenues, sont-ils propriétaires de terres immenses, et, semblables à des corsaires, se trouvent-ils à la tête de fortunes scandaleuses et subites ? »

Si je voulais dans le détail,

Donner sur le menu bétail,

Lon Ion la derirette

Et compter ces étres sans prix

Lon Ion la deriri.

Tenant au parti renommé,

Côté gauche si bien nommé,

Lon Ion la derirette

Et composé d'un ramassis

Lon Ion la deriri.

De prestolets et de curés,

De vils nobles déshonorés,

Lon Ion la derirette.

Dont les noms resteront flétris

Lon Ion la deriri.

D'avocats et de procureurs

Tous grands bavards, tous grands voleurs Lon Ion la derirette

Et fort nombreux dans ce parti

.Lon Ion ta deriri

(1) ~epMCMMtf.'t~eHM.

(2) Le< 6i pourquoi.


Ne serait-on pas en droit de concevoir quelque étonnement en voyant la cour faire ainsi insulter par des écrivains à gages tous ses adversaires, de l'entendre se plaindre des quelques articles violents écrits contre elle ou des discours menaçants prononces dans les réunions?

Les aristocrates ne manifestaient pas seulement leurs préférences politiques par la lecture de ces délicates poésies, mais encore par des modes dont la plus célèbre, à ce moment, était celle des chapeaux à la Condé pour les femmes, de feutre avec une large plume blanche et en l'honneur duquel un poète royaliste avait composé le sixain suivant:

Cher aux belles, aux chevaliers,

Que le panache blanc orne toutes les têtes,

Dans tes combats, redoutable aux guerriers,

Que le nom de Condé triomphe dans les fêtes

Couvert, avec raison, de lys et de lauriers,

Ce chapeau-là fera bien des conquêtes

A ce sujet, disons un mot des modes en honneur. Les couleurs fortes et tranchantes plaisent plus que jamais aux femmes dites de qualité, elles associent le blanc au noir, au rouge, au jaune, au brun foncé, au bleu de ciel, etc. Ces couleurs s'appellent symboliques. Il est cependant quelques costumes adoucis qu'on appelle modérés, tels que la houppelande grise elle est de taffetas ouatté, à deux collets, avec un passepoil rose; revers rose ceinture rose à gros nœud, fichu de gaze, jupe blanche de linon, falbalassée par le bas, de gaze blanche, souliers de satin hakara, chignon abattu à deux rangs de boucles bou(t) Journal de la Cour et de la Ville, 14 janvier 179?.


dinées larges échantillons aux faces; toupet fendu u et rabattu frisure en grosses boucles.

On porte beaucoup des bonnets-turbans de satin nakara, avec une draperie de satin blanc, ainsi que le zéphyre de derrière, follette blanche, aigrette de petites plumes blanches à boutons nakara Ou bien encore on se fait confectionner chez les meilleures modistes le chapeau-bonnet, retroussé par-devant, avec une agrafe de pertes à trois rangs. Il est de velours noir et doublé de satin nakara; draperie de satin nakara, terminée, sur le derrière de la tête, par un nœud dont les pointes sont en forme d'ailes de zéphyre grande follette blanche aigrette de petites plumes noires à petits boutons nakara deux boucles de cheveux déroulés qui tombent en masse sur le sein, tour de gorge de dentelle blanche a Les robes ne sont guère en faveur, et rien de plus rare à Paris que de voir une femme en robe à peine en porte-t-on une le jour des noces, encore est-elle échancrée au point que ce n'est plus qu'une queue des robes d'autrefois, une simple draperie flottant sur le derrière de la jupe. » Voici un costume d'élégante d'après une planche du temps « Elle représente une jeune femme dans le rôle de la Prétendue, opéra de ce nom. Elle est frisée en boucles flottantes, bandeau et cocarde rose, trois follettes blanches, boucles d'oreilles en poires, rouge et or, sur la gorge un polisson surmonté d'un pli rond de gaze, robe à la circassienne de satin brun rayé de rose; le tour de gorge est un pli rond, de gaze, pièce blanche, ceinture formée d'un ruban (t) Journal de la mode ef du goût, janvier 1792.

(~ Id.


rose, manche de satin blanc, gants blancs, les poignets sont garnis d'un pli rond, de gaze blanche, jupe de linon garnie par le bas d'une dentelle à deux rangs, souliers roses a.

Quant au costume des hommes ce sont « des culottes sans fond qui montent par-dessus les hanches, et si étroites qu'elles ne permettent pas de faire la moindre enjambée. Il faut trotter menu, sinon on court risque de les fendre entre les cuisses s. Les habits sont d'ordinaire bruns ou noirs et les gilets presque tous rouges.

Les plus coquettes parmi les dames ont enfin trouvé le costume à reiX'gMc-MOM'/MfeM~ ayant quelq.ue chose d'analogue au costume d'un prélat; il se compose d'un bonnet à fond de satin noir garni en biais par deux cordons d'or au milieu, on place un médaillon en or entouré de perles blanches avec des diamants dans le centre pour les plus riches. Sur les derrières émergent une aigrette de plumes blanches. Avec un pareil chapeau les dames royalistes portent un châle noir en camai) rayé de rouge et une jupe de linon au crochet par dessous un transparent rouge qui fait « ressortir la bordure du bas ?. Le tout se complète par des souliers rouges.

Pendant que les élégantes prenaient une sorte de costume des anciens évêques, l'un d'eux, Talleyrand partait pour Londres en qualité d'ambassadeur et c'était le premier début du célèbre diplomate dans cette carrière.

(t) Journal de la mode.

M Id.

(3) Journal de Paris.


Du 21 au 27 janvier t7M.

IV

COUP D'ŒUL GÉNÉRAL

Mise en demeure adressée à l'empereur d'Autriche. Réponse du roi.– 'Violation de la constitution. Mot de Léopold. Excitations royalistes. Troubles à propos des accaparements de sucre. Libertés au théâtre. Les pièces religieuses. -Le pape sur la scène. Le musée de cire. Troubles en Bretagne. Français bàtonnés en Espagne. Les hosties tricolores.

Après huit jours de discussion, l'Assemblée rendit, le 25 janvier, le décret suivant rédigé par Herault de Séchelles et amendé par Vergniaud, Maillhe et Brissot

« ARTICLE PREMIER. Le roi sera invité par une députation à déc)arer à l'einpereurqu'il ne peuttraiter avec aucune puissance qu'au nom de la nation française et en vertu des pouvoirs qui lui sontdéiégués par la constitution.

« ART. 2. Le roi sera invité de demander à l'empereur si, comme chef de la maison d'Autriche, il entend vivre en paix et bonne intelligence avec la nation française et s'il renonce à tout traité et convention dirigés contre la souveraineté, t'indépendanceetta sûreté de la nation.


« AnT. 3. Le roi sera invité de déclarer à l'empereur qu'à défaut par lui de donner à la nation, avant le 1 "'mars prochain, pleine et entière satisfaction sur tous les points ci-dessus rapportés, son silence, ainsi que toute réponse évasive ou dilatoire, sont regardés comme une déclaration de guerre.

« ART. 4. Le roi sera invité à continuer de prendre les mesures les plus promptes pour que les troupes françaises soient en état d'entrer en campagne au premier ordre qui leur sera donné. »

Ce décret soumis à Louis XVI le jour même ne fut pas sans causer quelque émoi à la cour où pourtant il était prévu.

La réponse ne se fit pas longtemps attendre et le roi l'envoya le lendemain. Comme il le faisait justement remarquer dans sa réponse, dans leur enthousiasme à pousser le pays à la guerre, les Girondins venaient de violer l'esprit même de la Constitution qui laissait en effet au roi le soin d'entretenir des relations politiques au dehors, de conduire des négociations, et le corps législatif ne pouvait déclarer la guerre que sur la proposition même de l'exécutif. Or, l'invitation en forme de décret ou, si l'on aime mieux, la mise en demeure faite par les députés à Louis XVI n'était au demeurant qu'une déclaration de guerre.

Tels étaient les motifs, justes en eux-mêmes il faut le reconnaître, invoqués par la cour pour différer de mettre à exécution le décret. Léopold, du reste, ne s'y trompa point. Il se disposa à une guerre immédiate. Il décida qu'un traité préliminaire avec la Prusse, du 25 juillet précédent, deviendrait définitif. En même temps, il donnait l'ordre à un de ses corps


d'armée d'être prêt à marcher au premier signal. Puisque Ie~ Français, dit-il, veulent la guerre, ils l'auront et ils verront que Léopold le Pacifique sait la faire quand il faut ils en paieront les frais et ce ne ra pesas en assignats »

Mais les royaliste3 ne s'inquiétèrent pas de développer les arguments logiques et rationnels qui auraient pu leur donner une supériorité sur leurs adversaires ils étaient lancés sur une autre pente, celle de l'injure et ils ne s'arrêtaient plus, dédaignant les bonnes raisons pour les basses insultes.

Chabot était maintenant le but que visaient sans cesse les épigrammes des mêmes écrivains. Cette semaine, pour faire suite aux amours si complaisamment commentées de l'ancien capucin, on supposait que la femme du député était accouchée et les libellistes à la solde de Marie-Antoinette écrivaient'

Le public est averti que la femme à Chab. ci-devant capucin, vient d'accoucher d'un gros garçon, et que cet enfant de commu.t«tK<e sera baptisé à Notre-Dame, dimanche prochain. Voici l'ordre de la marche de cette cérémonie constitutionnelle. Quatre-vingt-trois sans-culottes, représentant les quatre-vingt-trois départements, marcheront les premiers et seront parrains. Les dames Calon. Courna.. Condor. Sta. et Doudou Pie. paraitront ensuite accompagnées de toutes les citoyennes du Palais-Royal, et seront marraines au nom des quarante-quatre mille municipalités. Le berceau sera couvert d'une étoffe de soie, aux trois couleurs, et placé sur un char trainé par six gros boucs à qui on aura coupé la barbe. Le R. P. Chab. marchera à la tête du char, habillé en arlequin et le pape Targ. le~uivra immédiatement admirant la progéniture de sa chère fille. Tous (1) .Wmoit'es tirés des papiers t!'MtAf)mmet!'JTi<tf, t. l,p. 2t4. )2) Journal de la Cour et de la Ville, janvier 17S)2.


les anciens accoutrements du ci-devant capucin seront portés comme une marque de triomphe sur les vœux monastiques la t'été par quatre députés de t'assemblée la besace, par le caissier du Trésor public tes sandales, par les feuillants, et la corde, par les jacobins, tour à tour. L'enfant sera reçu à la porte de l'église par tous les cures et vicaires constitutionnels de Paris, et le pontife Gobelet le baptisera au nom de la nation et de la toi. Après la cérémonie, il y aura un grand diner dans la salle des Enfants-Trouvés présidé par le petit .frat;'f))'s, élevé à Neufchâtëaû,et ordonné par Isnard.

Les caricatures venaient en aide aux plumes venimeuses et on vendait au Palais Royal une gravure coloriée représentant Lafayette le général Morphée courant après un bâton de maréchal qui lui tombe du ciel; le général laisse derrière lui une lanterne et en recevant le bâton s'écrie

Si j'ai échappé à l'un au moins attraperais-je l'autre

Le duc d'Aiguillon est plus maltraité encore le caricaturiste royaliste l'a représenté dans un médaillon à deux faces dans le haut du cercle on lit « ci-devant duc d'Aiguillon et dans le bas « Passe-Saloppe Rien n'était respecté, avons-nous dit et prouvé maintes fois par de nombreuses citations. Contre le député Bouche on imprimait

« Le fameux M. Bouc. vient enfin d'acquérir le courage de la honte dont t'abb6J~aM''t avait coutume de louer le côté gauche de la défunte assemblée; le sieur Bouc. n'osant plus aller le front levé chez sa bonne amie M"" Dup. s'échappe tous les matins vers huit heures des bras de sa femme légitime etva chercher des plaisirs défendus rue des Stints-Pères, près la rue Grenelle. ·

(1) Journal de la Cour etde la Ville, janvier 179!.

(2) Id.

(3) Id.


Aux insultes, les royalistes joignaient les excitations plus directes.

Non seulement on placardait des affiches poussant le peuple à la révolte, mais encore, on distribuait des feuilles volantes contenant des provocations des plus vives 1. On promettait aux royalistes deux mille lettres de noblesse à tous ceux qui iraient à Coblentz grossir l'armée des émigrés

Ces excitations et ces promesses produisaient leur eflet. Ainsi, à la séance du 26, un des secrétaires donnait lecture d'une lettre de la commune de Navarin (Basses-Pyrénées), informant l'Assemblée que tous les officiers, sauf deux, de l'ancien régiment de Champagne, avaient déserté. La lettre témoignait du patriotisme des soldats et se plaignait en même temps de la négligence du pouvoir exécutif laissant sans défense cette partie de la frontière A Paris, les troubles à propos des accapareurs de sucre et de café continuaient à se produire tous les jours. Dans les divers quartiers, la foule se portait chez les épiciers et c'est à grand'peine que la garde nationale pouvait protéger les boutiques.

Effrayés les épiciers passaient entre eux l'accord suivant 4

< Les négociants soussignés, considérant que dans ces circonstances orageuses le commerce pourrait éprouver de grands dommages, ont arrêté, pour y remédier, de venir au secours les uns des autres, soit pour la conservation de leur fortune, soit pour celle de leur crédit en conséquence les soussignés ont (1) CA)'o)!<~Me de Paris, janvier 1792.

(2) Journal de la C('Kr et de la Ville. janvier i792.

(3) Mot!'<eMr, 17 janvier 1792.

(4) Chronique de Paris, janvier t792.

3.


arrêté de former une souscription pour la somme qu'ils sacri. fient à fto~ commun et en faire une masse telle que la fortune et le crédit du négociant soient à l'abri de tout événement. Les négociants assemblés nommeront aussi entre eux six membres qui se réuniront en comité pour seconder, autant qu'il sera en leur pouvoir, ceux qui seraient embarrassés par le défaut de confiance, et tes aider, si faire se peut, dans les négociations. En conséquence tes soussignés souscrivent de venir au secours de ceux qui auraient supporté quelque perte pour cause d'insurrection, dans tels lieux de la France qu'ils soient établis. pourvu qu'ils justifient de leur propriété. ·

Paris, ie 21 janvier 1792.

Le 24, la fermentation fut grande, surtout dans la rue aux Ours. Un officier, d'un zèle peut-être imprudent, fut maltraité. Au milieu de cette agitation, les bruits les plus contradictoires couraient. La foule s'ameutait, menaçait, envahissait les magasins puis se calmait tout à coup pour un rien, sur une parole imprudemment lancée, se laissant exciter par des commérages, entramer par des meneurs. On avait dit que l'hôtel d'Étampes renfermait cent mille fusils qu'on destinait à la contre-révolution. Immédiatement, le peuple envahit l'hôtel, le fouille, ne trouve rien et se retire en faisant des excuses au propriétaire. Malgré cet état d'esprit et d'ellervescence de la population, les théâtres ne désemplissent pas dans plusieurs on refuse du monde. Le théâtre du Marais est le plus fréquenté. Sur la scène, la suppression de toute censure entraîne une liberté qui touche souvent presque à la Hcence.

En 1764 Voltaire écrivait à Saurin « Un temps viendra sans doute où nous mettrons les papes sur les (t) ~a/eMfKe~M~our, janvier )??.

(2) 28 février.


théâtres, comme les Grecs y mettaient les « Atrées » et les « Thyesses » qu'ils voulaient rendre odieux. Un temps viendra où la Saint-Barthélemy sera un sujet de tragédie. »

Ces prédictions de Voltaire semblaient se réaliser. La Saint-Barthélemy avait été mise à la scène par Chénier et il n'y avait pas de théâtre qui n'eût joué au moins une pièce ayant pour sujet les religieuses ou les moines. Le théâtre de la Nation joua le « Couvent w ou les a /')*iMts du caractère les comédiens italiens donnèrent les a Rigueurs du cloître a. D'autres théâtres représentèrent les « Victimes cloîtrées », le « Couvent de Copenhague s l'évêque menait une intrigue avec la supérieure, l'aumônier avec une simple religieuse, pendant que le jardinier lui-même lutinait une jeune novice. Plus tard, on joua les « SceMfs du Pot )) ou le « DoMMe rendez-vous )), le Mari directeur », la « Partie carrée », les Dragons et les bénédictines », les « Dragons en cantonnement )). Les décors les plus ordinaires de ces pièces peuvent se résumer à deux. D'un côté, un couvent de moines avec une grotte au fond de l'autre, un jardin de religieuses avec un banc pour faire l'amour.

Le pape n'était pas épargné davantage et l'on vendait imprimée la « Journée du Vatican « ou le « Mariage dupape », comédie-parade en trois actes, « avec ses agréments portait la brochure. Dans cette~pièce, on voyait M°"' Lebrun et Mme de Polignac travesties en femmes de porcherons, dînant en déshabillé avec le pape et lui disant en lui frappant sur le ventre: Allons, papa, de lagdîté!


Le cardina) de Bernis chantait la petite chanson à boire et quand toute la cour romaine était un peu saoûle, l'archevêque de Paris, Juigne, s'informait anxieux

Y a-t-il ici des journalistes ?.

Comme on n'en voyait point, le sacré collège se remettait à faire bombance et le pape, cessant toute retenue s'enivrait tout à fait, devenait philosophe et acceptait la constitution civile du clergé la pièce se terminait par un pas de quatre dans lequel le pape faisait vis-à-vis à M"" de Polignac, levait la jambe pendant que le public criait plus haut 1 1 »

Il y avait aussi à cette époque, à Paris, un musée de cire situé à centrée du champ des Tartares au PaJais-Royai, et tenu par Curcius. On y voyait les figures de MIRABEAU, DAMIENS, D'ORLÉANS, RAVA!LLAC, MANDRIN, ROBESPIERRE, CARTOUCHE, CARRA, GORSAS, JUDAS, LAMETH, OGÉ, BRISSOT, etc., etc. En Bretagne, les habitants poussés par les curés réfractaires continuaient à se révolter. Le 31 janvier, douze paroisses se réunirent pour chasser le clergé constitutionnel quelques habitants ayant voulu s'y opposer furent bâtonnés et laissés pour morts. C'est par le bâton aussi que répondaient les Espagnols à quelques Français qu'ils soupçonnaient d'ap-< porter les idées jacobines de l'autre côté des Pyrénées 3.

{i) Journaux.

(2) La feuille du jour, janvier 1792.

(3) Journal de la Cour et de la Ville, janvier i7'J!


Au contraire, les curés constitutionnels redoublaient en France de patriotisme, secondant les efforts et les vues de l'Assemblée. A Toulouse, ils allèrent jusqu'à peindre les hosties aux trois couleurs nationales dans la plupart des églises on mettait la cocarde tricolore au Saint-Sacrement.

(i) La feuille du jour.


Du M janvier au 3 février t792.

v

MORT DE CERUTTI,

Derniers vers de Cerutti. Sa mort. Attitude de Robespierre. Opinion de Brissot. Détails biographiques. Falsification des assignats. Troubles causés par les accaparements. Prière royaliste. La disette du sucre continue. Accaparement des vases de nuit. La vieille gaieté française.

Nous sommes au club des jacobins; Manuel monte à la tribune et d'une voix grave

Messieurs, Cerutti est mort 1

Tant mieux, lui répond une voix

Mais le président intervient aussitôt

J'observe, dit-il, à la personne qui vient de faire une réponse aussi indécente, que Cerutti était l'auteur de La yeMt~e villageoise.

Manuel demanda qu'une délégation de quatre membres assistât aux obsèques, mais Robespierre s'y opposa et, sur sa proposition, l'ordre du jour fut voté.

Comme Société, dit Robespierre, nous ne devons rien à celui qui n'était pas de la nôtre et comme il faut attendre que le temps ait justifié celui à qui on (1) Journal du club des Jacobin., 7 février 1792.


nous offre de rendre des hommages, la Société des amis de la Constitution ne lui en doit pas. Brissot n'avait pas pour Cerutti la sévérité un peu rude de Maximilien et dans son numéro du Patriote français du l'" février il écrivait à propos d'un poème intitulé: Les Jardins de Betz publié la veille dela mort du député de Paris « Rarement lira-t-on des passages aussi remarquables. C'est un morceau que Voltaire aurait admiré, car Voltaire ne pouvait rien envier. Enfin, un intérêt touchant augmentera peutêtre, ou peut-être troublera le charme de cette lecture. Ce génie rare, ce citoyen vertueux, ce philosophe patriote, l'infortuné Cerutti, après un an de douleurs, est, hélas en ce moment même, gisant et prêt à s'éteindre victime de son zèle dévorant pour la liberté, pour le peuple et pour la raison universelle, » Cerntti mourut le 2 février et Brissot engagea dans son journal « les gens de lettres, les philosophes et tous les amis de la Révolution à assister à ses funérailles.

Les journaux publièrent tous des notices sur le défunt; d'après le Moniteur universel Cerutti était né à Turin où il avait été élevé par les jésuites il (t)Lel3 juin 1738; en 1761, il concourut devant les acadé.mies de Lyon, Montauban et Toulouse sur trois sujets différents et remporta les trois prix. Nommé membre de l'administration de Paris, il fut un des préparateurs des discours de Mirabeau dont il prononça l'éloge funèbre dans l'église SaintEustache il fut élu député de Paris à la Législative le 4' sur 24 par 453 voix sur 726 votants. On donna son nom à la rue d'Artois; le nom de cette rue resta jusqu'à la Restauration qui lui rendit le nom d'Artois qui fut remplacé par son nom actuel de rue Lafitte sous le gouvernement de juillet (Dictionnaire des parlemenMres, par A. Robert et G. Congny, Paris, ISHi.)


débuta dans les lettres par un discours qui remporta le prix aux jeux floraux il alla ensuite à Nancy y composer l'ApOLOGIE DES JÉSUITES, ouvrage qui lui valut les faveurs de Stanislas après s'être défroqué il se rendit à la cour; une passion violente et malheureuse lui fit perdre beaucoup de temps et tua son génie et son talent plus tard il aima M°"' Duchâtelet, puis la duchesse de Brancas, avec laquelle on le croyait marié secrètement I) passa avec elle les quinze plus belles années de sa vie. En 1788 il publia le MétKoire potM' ~e peuple français, l'un des ouvrages qui ont le plus avancé l'opinion. » Le même article du Moniteur commente le testament de Ceruttf. « Le sage Cerutti se trouvait pauvre avec une foi< tune considérable pour un célibataire. H répète plusieurs fois dans son testament le peu que je possède il y dit en pariant de tui-même: Un philosophe qui a peu d'argent; et dans ce même testament il déclare qu'il avait un peu plus de 11,000 liv. de t'eM<es viagères Et il laisse plus de 100 louis en espèces sonnantes! et il y parle de son valet de chambre et de plusieurs domestiques Qu'aurait dit de ce langage le bon Jean-Jacques qui avait donné le discours sur l'inégalité pour trente pistoles, qui n'eut jamais de domestiques et qui ne laissa rien? a

Conseillés par Robespierre, les Jacobins ne prirent aucune part aux funérailles de Cerutti qui fut remplacé à l'Assemblée par son suppléant Alleaume, ancien notaire et ils continuèrent leurs travaux, leurs discussions, leurs résolutions. La veille ils avaient reçu la fameuse Théroigne de Méricourt, déjà célèbre depuis les événements des 5 et 6 octobre auxquels


elle avait pris une part active ce qui motiva contre elle un arrêt de prise du corps du Chàtelet, arrêt devant lequel elle dut prendre la fuite; elle alla combattre à Liège, dans sa patrie, contre les Autrichiens, qui après l'avoir fait prisonnière et retenue plusieurs mois venaient de la mettre en liberté. Théroigne annonça à la tribune des Jacobins son intention de publier ses Mémoires. Elle fut vivement applaudie et Manuel lui répondit en la félicitant: Vous venez d'entendre une des premières amazones de la Liberté je demande que, présidente de son sexe, assise aujourd'hui à côté de notre président, elle jouisse des honneurs de la séance

Les royalistes continuèrent, comme bien on pense, par tous les moyens, à attaquer la Révolution. En même temps que l'agiotage, la falsification des assignats se poursuivait dans des proportion sétonnan tes il arrivait des ballots de faux assignats d'Angleterre et de Bretagne. On allait mèmejusqu'à vendre dans lesboutiques du papier préparé tout exprès pour cette contrefaçon L'accaparement des grains, en présence de la disette générale, causait des troubles un peu partout. Dans le département de l'Oise, les bateaux de grains étaient arrêtés sur le fleuve. Des troubles se produisaient à Dunkerque, le Havre, Corbeil, Etampes, Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Toulouse. A Marseille, (1) ./oMfMT~ fiM club (<ea amis de la c<mi!tt<M<tOtt. 4 février. P) Feuille du jour.


l'ébullition à cause de la surélévation du prix du pain était considérable; la cherté et la mauvaise qualité occasionnaient des mouvements inquiétants. La municipalité dut construire des fours banaux où l'on pouvait gratuitement pétrir et faire cuire'. A Caen, les troubles avaient une autre cause; le peuple s'opposa à l'installation du tribunal criminel qu'il prétendait composé d'aristocrates. Le procureur général syndic qui avait dressé la liste fut menacé de la lanterne, On arracha les armes à plusieurs officiers municipaux; la garde nationale prit le sage parti de ne pas intervenir 2 on fit retirer la gendarmerie et les troubles purent être calmés.

Les royalistes usaient de tous les moyens pour exciter cette effervescence qui gagnait plusieurs départements. Ainsi, ils avaient l'habitude de dire une prière provoquant les patriotes conçue dans les termes suivants

ORAISON

Notre père qui êtes aux Tuileries, que votre nom soit enfin béni, que votre règne t'e~ietme, que votre volonté soit faite à Paris et dans les provinces (~«M~CZ-MOMS aujourd'hui du pain dont nous manquons;pardonnez-nous nos o/~eMses si faire se peut, comme nous vous pardonnons votre trop excessive bonté et délivrez-nous des jacobins, des feuillants, des législatures et des cOMt'CMtioMS nationales. ~s{sott-i!

(t) Chronique de Paris.

(2) Id.

(3) Journal de la Cour et de la Ville, M janvier 1792.


La disette du sucre provoquait la mise en circulation de nombreuses et quelquefois singulières recettes pour s'en passer; la plus simple et la plus pratique était de le remplacer par du miet ou même de s'en priver tout à fait. C'est ainsi que, le 30 janvier, Manuel annonça aux Jacobins que la section de la Croix Rouge avait pris l'engagement: « devant l'Assemblée nationale de se sevrer de sucre et Manuel ajoutait, dans un langage plus imagé que délicat & Si tous les citoyens voulaient envoyer faire du sucre à tous les accapareurs ils seraient bientôt obligés de vendre leur sucre à un prix raisonnable s Louvetlui succédant s'exprima ainsi

Vous avez entendu la proposition de M. Manuel Les plus redoutables ennemis d'un peuple qui veut être libre, ce sont les habitudes molles et effeminées; voulez-vous anéantir vos ennemis? accoutumez-vous à diminuer la somme de vos besoins. Je demande que nous prenions tous l'engagement formel de nous priver de sucre et de café et que demain toute la capitale en soit instruite.

Mais Collot d'Herbois protesta.

Je suis fort étonné, dit-il, que ce soit un homme de lettres qui ait fait cette proposition, car les personnes qui travaillent de cabinet ne peuvent passer la nuit qu'avec des tasses de café. Eh bien messieurs, j'en prendrai sans sucre.

Ce à quoi Louvet répondit très amicalement à l'auteur de l'Almanach dMpere Gérard

Assurément, messieurs, toutes les fuis que l'in(t) Pe<<<M c~cAet.


fraction que M. Collot fera à notre loi nous vaudra un almanach du père Gérard, nous le remercierons de sa faute

Les Jacobins adoptèrent la motion de Louvet et arrêtèrent qu'elle serait signée individuellement par chacun des membres puis affichée dans tout Paris. Cette discussion, sérieusement conduite,. présentait assurément un côté puéril et les Révolutions de Paris en critiquaient là gravité en ces termes: « Citoyens eh quoi, vous n'en êtes encore que là Vous n'êtes pas plus avancés dans la carrière des vertus civiques La plus mince des privations excite parmi vous tant de fracas Et que serait-ce donc si, sur le vaisseau de la République, battu par de longs et fréquents orages, le pain venait à vous manquer pendant plusieurs jours? N'épuisez pas votre courage et votre constance sur de petits sujets. Soyez-hommes et craignez qu'on ne dise de vous Les Français sont des enfants qui ne peuvent se passer de sucre sans qu'it leur en coûte de grands efforts c'est pour eux un si grand sacrifice qu'il leur faut un serment pour s'y résoudre. ? »

Les attaques des royalistes furent naturellement beaucoup plus acerbes. Ils allaient jusqu'à railler les souffrances causées par les accapareurs et les jeunes gens à la mode trouvèrent de bon goût de se livrer, pendant quelques jours, à l'accaparement des vases de nuit dont ils achetèrent, cette semaine, une grande J~M~Tta~ du club des ~ac~<


quantité qu'ils envoyèrent ensuite en guise de cadeau au domicile des jacobins et des feuillants Ces sortes de manifestations extérieures étaient du reste bien dans le goût de l'époque et les habitants de la paroisse d'Achères-le-Marche, par exemple, condamnèrent leur euré, Blaise-Eustache Blanche, à faire amende honorable devant la portede t'égUse principale de la localité, une torche en main, avec ces inscriptions devant et derrière

« Prêtre impudique, profanateur des choses saintes dans l'exercice de ses fonctions, pour s'être rendu coupable sur des jeunes filles se préparant à la première communion, d'attouchements tels que ceux-ci: leur faire, avec de t'eau bénite, des signes de croix sur la bouche, sous tes oreilles, sur la gorge et d'avoir beaucoup dérangé leurs vêtements B

La vieille gauloiserie française se ptaisait souvent à ces petites manifestations et ne perdaitdu reste jamais ses droits, ainsi un négociant, dont la femme avait fui le domicite conjugal, avait fait insérer dans les journaux l'avis suivant:

EFFET PERDU

« Le sieur Tripier, MCtfc~ctMd de bas, rue des DeMas-BcMS, 44, a perdu sa femme, samedi soir à huit heures, au P~ats-~o/et~RecotMjoeHse /t0~Méte à celui qui la lui remettra telle qu'elle est )). (!) Journal de la Cour et de la Ville, t" février 17d~.

(~) Chronique de Pan:, EO janvier 179'?.

(3) Journal de laCour et de la Ville, 30 janvier. Plusieurs journaux.


Ces petits faits sont comme autant d'éclairs joyeux dans le sombre ciel parisien si noir et si nuageux. La municipalité, se préoccupant des conséquences que pourraient avoir les fêtes du carnaval, prit un arrêté défendant aux citoyens de paraître publiquement déguisés, travestisou masqués; lesbals masqués publics furent interdits. Il fut aussi défendu d'étaler, louer ou vendre pendant la nuit, après onze heures du soir, des masques et habits de déguisement Ces mesures de prudence étaient commandées par les agitations et par les menaces des agents royalistes. ( t) ~trcAtfet de la municipalité.


Du 4 M 10 février !??

VI

DES PIQUES DES PIQUES

La maison militaire du roi. Recrutement des contre-révotutionnaires. Lettre secrète de Barnave à Marie-Antoinette. Les Girondins excitent le peuple. Les poignards royalistes. Dénonciation de Carra. Les officiers déserteurs. Patriotisme de conscrits. Mot de Danton. Linguet Interrompu. Sa-coiere.

Un décret décidait la création d'une maison civile et militaire pour le roi Marie-Antoinette refusa de constituer sa maison civile dans laquelle n'auraient pu figurer les grands noms de la noblesse pour la plupart dans les rangs de l'émigration, et d'un autre côté la reine eût été obligée d'admettre dans les charges de sa maison des plébéiennes, ce qu'elle ne voulait à aucun prix. Mais elle se mit à former avec une activité extraordinaire la maison militaire, entourant le roi et le palais de fidèles serviteurs prêts à tirer l'épée au moindre danger au contraire la maison civile étant un luxe de mise en scène, on la dédaignait. La maison militaire devait former le noyau d'un petit corps d'hommes armés pour la résistance et on l'organisait sans aucun retard aussi Barnave, au courant de toutes les intentions de la cour, écrivait à Marie-


Antoinette, dans une lettre particulière « Semblable au jeune Achille, parmi les filles de Lycomède, vous saisissez avec empressement le sabre pour dédaigner de simples ornements ? »

La maison militaire recueillit tous ceux ayant au cœur la haine de la contre-révolution plusieurs officiers désertèrent leurs corps pour venir s'enrôler sous la bannière de la cour; mais pour éviter les accusations de préparer la contre-révolution, avec son habileté habituelle, Marie-Antoinette laissa incorporer dans cette garde royale quelques rares soldats fournis par les gardes nationales des quatre-vingt-trois départements, connus par leur patriotisme et derrière lesquels on cachait « les coryphées des orgies de Versailles ». La constitution décidait que la garde royale ne comprendrait que dix-huit cents hommes, on ne délivra officiellement que dix-huit cents brevets, mais on organisa à côté de la maison officielle un corps de volontaires de dix mille hommes prêts à se joindre à la maison militaire au premier signal ces dix mille soldats destinés à combattre le peuple furent choisis parmi les militaires ayant donné de sérieuses preuves de haine contre le peuple Les chasseurs, coupables du massacre de la Chapelle, les cavaliers qui avaient chargé le peuple au Champ-de-Mars, des Suisses, des dragons allemands et des aventuriers sans scrupules mais d'un royalisme exagéré.

Cette organisation dangereuse pour la liberté n'é()) Me'mofret de M" de Campan, t. II, chap. xtv, p. t7C. (~) Révolutions de Paris, n" t3!.

(3) Rapport de Gohier sur les papiers inventories dans les bureaux de la Hâte civile.


chappe pas aux Girondins qui, riches, instruits et puissants, considèrent la Révolution comme ,leur chose, comme la propriété dont ils entendent tirer honneurs et profits à l'exclusion de tous autres compétiteurs. Les Girondins, se voyant menacés dans leurs ambitions par cette organisation militaire, décident de se défendre. Jusqu'ici ils ont éloigné soigneusement le peuple de la Révolution, n'admettant aux fonctions électives et dans la garde nationale que les citoyens actifs, les riches, et les propriétaires, parquant au contraire les citoyens passifs dans une incapacité absolue de jouir des droits politiques mais devant le danger, les Girondins comprennent qu'ils ne pourront résister aux armes de la cour qu'avec la force qui vient du peuple auquel ils font des avances, lui adressant des flatteries de tous genres ils débutent par un manifeste répandu de tous côtés et invitant à l'alliance du peuple et de la bourgeoisie. « La bourgeoisie et le peuple, écrit Pétion, ont fait la Révolution, leur réunion seule peut la conserver. f

Une union platonique eût été certes inefficace contre les dix mille prétoriens de Marie-Antoinette, aussi les Girondins voulurent-ils armer le peuple afin de s'abriter derrière hu une fois encore en cas de danger, Il fallait trouver une arme facile à manier et facile à fabriquer, d'un prix de revient modéré on songea aux piques dont la fabrication fut décidée par le club modéré de l'Évêché. Le mouvement gagna tout Paris, tout le monde voulut avoir sa pique; des femmes même T. IV. 4


semontraient sur les promenades avec des piques de fantaisie et les enfants s'en servaient en guise de jouets. Parlant des 30,000 piques livrées en une semaine, le journal Girondin le Courrier des gMOttfe-MM~t-tfOM départements s'écrie en prévoyant l'hypothèse où le peuple serait obligé de s'en servir « que seraient alors ces 3,500 surnuméraires très inconstitutionnels dont le roi de la constitution veut s'environner ? que seraientils s'ils avaient jamais le projet de s'armer contre la nation? Hélas 1 les galons de leur livrée seraient une bien faible défense contre ces piques maniées par des bras vigoureux et dirigées par des cœurs honnêtes. » « Des piques Des piques 1 Tel est le cri du timide Gorsas dans son journal du 8 février. De leur côté les royalistes se mirent à réunir des poignards dont leurs chefs avaient fait leur arme favorite dans plusieurs circonstances. Brissot, pour qu'il n'y eût aucun doute possible, Brissot écrivait dans le Patriote français « Tandis que les ennemis du peuple se préparent contre lui, le peuple fait aussi ses préparatifs, mais il le fait franchement, ouvertement. Les piques ont commencé la Révolution, les piques l'achèveront. Ce réveil de lion épouvante ceux qui comptaient sur son sommeil. Où se porteront ces piques, disent-ils ? Partout où vous serez ennemis du peuple 1 On les promène sur la terrasse des Feuillants, comme pour menacer le château des Tuileries oseraient-elles se porter là 1 Oui, sans doute, si vous y êtes là Mais qui commande ces 'piques? La nécessité. Qui en fera la distribution ? Le patriotisme. A qui seront-elles livrées? Au courage. Quel sera


l'effet de cette armature nouvelle? L'anéantissement des ennemis du peuple. »

Sur la terrasse des Feuillants on entendait des citoyens s'écrier

Ah f si les bons patriotes avaient eu de pareilles piques au Champ-de-Mars, les habits bleus n'auraient pas eu si beau jeu.

La cour fut encore accusée par Carra, à la tribune des Jacobins, de vouloir corrompre toutes les autorités constituées, depuis la Législative, jusqu'aux journalistes, les administrations de département et de district, les juges de tous les tribunaux et les principales municipalités.

Carra alla encore beaucoup plus loin, il ajouta que la cour salariait deux cent trente députés pour le moins, les uns à raison de cinq cents livres par mois, d'autres à raison de mille livres; quelques-uns, d'après le dénonciateur, auraient touché deux et même trois mille livres par mois; deux ou trois auraient coûté cinq mille livres à la cour qui aurait ainsi dépensé dix millions par an à accaparer la conscience des représentants et des administrateurs.

<: S'il pouvait y avoir des incrédules dans cette Assemblée,terminait Carra, eh bien qu'ils lèvent les yeux sur ce papier; c'est un assignat de mille livres qui m'a été envoyé par la cour et dont je fais hommage à l'Assemblée. Je désire seulement que la moitié soit consacrée aux besoins des gardes françaises, et l'autre moitié est destinée à la fabrication des piques de bon aloi. »

Cette révélation produisit un certain émoi dans le club dont la séance fut suspendue de fait durant quel-


ques instants; Lemaire, l'auteur des lettres du Père DMc/tèMe dont la cour s'était assuré le concours, disparaissait avec prudence. D'un autre côté de la salle une altercation s'élevait entre Santerre, le frère du com~mandant et le journaliste Millin.

Allez, monsieur, ne me parlez pas, disait San- terre à Millin, je ne veux pas vous entendre, vous êtes vendu aussi.

Millin voulut protester.

Monsieur, répliqua-t-il, pourriez-vous me dire combien?

Oh pas cher, riposte Santerre

Peu à peu le silence se fait néanmoins. Carra interpellé explique comment on avait procédé pour essayer de t'embaucher.

C'était vers la fin de décembre 1791, un ci-devant de hautrangqui avait connu Carra avant la Révolution monta au quatrième étage où logeait l'auteur des Annales ~Mtrio~gMes; après les politesses courantes, le gentilhomme proposa au journaliste d'entrer en relations avec la cour, il'alla même jusqu'à lui demander un plan de conduite à l'usage du roi et des ministres. Carra, feignant d'accepter, se met à l'ouvrage et trace son plan qu'ileonueàraristocrate; celui-ci, quelques jours après, lut renvoie ses notes dans une enveloppe, accompagnées du fameux assignat de mille livres. Le lendemain le ci-devant retourne chez le journaliste, le priant de fournir tous les mois un travail semblable, dont on renverrait exactement l'original de la même manière et ainsi de suite tous les mois.

(1) 7tecoh<itOtM de Paris.


Ce récit quoique vraisemblable souleva quelques doutes, on se demandait comment Carra avait attendu six semaines pour publier son aventure et comment il taisait le nom de l'aristocrate séducteur.

Pendant qu'à Paris la maison du Roi se formait, les officiers continuaient à déserter leur poste. Ainsi le 4 février, l'Assemblée recevait une lettre des officiers municipaux de Brest se plaignant que le port de cette ville, alors le plus important de France puisqu'il contenait les cinq neuvièmes des forces navales de la France, se trouvait actuellement sans officiers de marine. Il ne restait que huit chefs et quelques subalternes, tous les autres étant partis. Dans l'Isère, un fait analogue se produisait dans le 40' régiment cidevant Soissonnais tous les officiers, à l'exception de cinq, désertaient. Les embaucheurs faisaient passer des soldats aux émigrés et, le 4 février, pour ce fait l'Assemblée décrétait d'accusation les nommés Gauthier, Marc et Malvoisin. Le 9, les biens des émigrés furent mis sous sequestre.

Tandis que les officiers désertaient, les simples soldats, comme les volontairesdu Morbihan, demandaient à marcher à l'ennemi. D'autres, comme le troisième bataillon des volontaires de Paris, en garnison à Laon, renonçaient au prêt en argent qu'on payait à toute l'armée, ne voulant recevoir que des assignats dont le change était beaucoup moins avantageux. Cet amour de la liberté inspire cestraits de dévouement obscurs et ignorés pour la plupart et donne lieu à des discours d'une.forme pittoresquecomme celui de 4.


Danton, par exemple, qui prenant place au conseil général de la commune s'écrie « La nature m'a donné en partage les formes at)))é(iques et la physionomie âpre dela liberté. On tient du reste beaucoup à la forme dans un certain milieu et, le7 février, Linguet accompagnant à la barre de l'Assemblée d'anciens employés de l'Inde ayant à se plaindre du pouvoir exécutif et au nom desquels il parle, se voyant souvent interrompu, Linguet déchire le manuscrit de son discours et se retire furieux sans en vouloir dire davantage.


Du~t au 17 février 1792.

vu

LES BONNETS ROUGES

La. Cour a peur. Entrevue du roi et de Pétion. Décret contre les piques. Haine contre les ministres. Motion de Maurevel. Emeute du faubourg Saint.Marceau. Troubles de Noyon. Bonnets contre chapeaux. Les bonnets rouges. Quatrain royaliste.

En apprenant le grand enthousiasme des Parisiens pour les piques, la cour prit peur et Louis XVI fit appeler Pétion aux Tuileries.

Le maire et le procureur de la commune Desmousseaux allèrent aux Tuileries à neuf heures du soir, le 11 février. Le roi manifesta ses craintes et obtint de Pétion un arrêté qui fut rendu au sortir de cette entrevue. L'arrêté parlant du grand nombre de piques fabriquées et vendues « considérant que ces armes, utiles entre les mains des bons citoyens, pouvaient devenir desinstrumentsde désordres etdecrime dans celles de ces hommes suspects qui aftiuent de toutes parts dans la capitale, et qui ne peuvent y être attirés que par l'espoir du pillage ou à l'instigation de ceux qui ne respirent que le renversement de la cons*titution, le trouble et l'anarchie, » ordonnait que les citoyens non inscrits sur les rôles des gardes natio-


nales et pourvus de piques, fusils ou autres armes ostensibles seraient tenus d'en faire la déclaration au comité de leur section dans la huitaine.

Dans chaque comité il fut ouvert un registre où l'on inscrivit ces déclarations et portant le nom, la demeure et la profession des détenteurs de piques.

On désarmait et arrêtait tous ceux qui, armés de piques, étaient trouvés vaguant, soit le jour, soit la nuit, dans les rues, places ou lieux publics. Enfin l'arrêté portait que les personnes inscrites ou non ne pourraient ni se former en patrouille, ni marcher sous d'autres drapeaux, ni obéir à d'autres officiers que ceux de la garde nationale.

Comme on le voit les Girondins voulaient bien armer le peuple afin de s'en servir à l'occasion mais ils soumettaient tousses mouvements à la classe bourgeoise des citoyens actifs formant la garde nationale. A la défiance du peuple ils joignaient une véritable hainecontre les ministres détenteurs du pouvoir qu'ils jugeaient devoir leur appartenirà brève échéance. Celte conduite du reste répréhensible sur plusieurs points était discutée, commentée dans les clubs avec violence. Aux Jacobins, Loustalot accusait Narbonne d'avoir menti dans tous les renseignements fournis sur l'état de la frontière d'Espagne; Legendre renouvelait sa proposition tendant à engager l'Assemblée Nationale à s'assurer de l'état des frontières en y envoyant une commission composée de députés.

Manuel, le procureur de la commune, montait à la tribune et terminait ainsi son discours

c Le moment est venu où il est absolument nécessaire qu'un homme périsse pour le salut de tous, eL


cet homme doit être un ministre. Ils me paraissent tous si coupables que je crois fermement que l'assemblée se rendrait moins coupable qu'eux en les faisant tirer au sort, pour envoyer l'un d'eux à l'échafaud. Tous, tous, à la guillotine

Criaient les tribunes pendant qu'on applaudissait l'oiginale motion de Manuel.

De tels discours devaient singulièrement émouvoir la population parisienne si impressionnable et que tant d'autres motifs excitaient encore. It y avait les provocations incessantes des royalistes, tes émigrations, les menées des prêtres à l'intérieur et enfin les spéculations des accapareurs qui devenaient de jour en jour plus nombreuses et dont le but était à la fois de satisfaire de honteux calculs mercantiles, et d'amener le peuple à maudire la Révolution, et en même temps d'apeurer la classe moyenne en multipliant les émeutes.

Cette semaine, des troubles éclatèrent à propos de la cherté du sucre qu'on vendait toujours vingt-cinq sous la livre tandis qu'à Bruxelles il ne valait que quatorze sous. L'émeute éclata dans le faubourg SaintMarceau aux environs d'un entrepôt d'épiceries ou se trouvait un dépôt considérable de sucre destiné tout d'abord à la ville de Lyon; sept voitures chargées étaient déjà parties quand la foule arrêta ta huitième, défonça les tonneaux et vendit le sucre vingt sous la livre. La force armée intervint; deux cavaliers de la gendarmerie furent blessés, et le commissaire de police de la section des Gobelins reçut un (1) Journal du club des y~cc~ts.


coup de pierre à la tête. On tira le canon d'alarme, la générale fut battue; l'attroupement fut dispersé par la garde nationale sans que les troubles se propageassent dans aucun autre quartier de la ville Pendant. qu'à Paris le peuple se révoltait pour du sucre, le département de l'Oise était mis en émoi par une autre émeute causée par l'accaparement des grains

A Noyon, le peuple avait arrêté plusieurs convois de blé qu'on dirigeait vers la Belgique et l'Allemagne; le 13, le bruit se répandit que des troupes allaient arriver pour faire partir le blé arrêté la veilte dès le matin le tocsin sonna de paroisse en paroisse à dix heures, dix mille hommes se trouvaient réunis et, vers le soir, ce nombre était triplé; on put facilement disperser ce rassemblement mais une grande agitation régna toute la semaine dans le département de l'Oise où on envoya une commission composée de quatre députés pour calmer les esprits.

Ces graves incidents n'empêchaient pas les Girondins, ces artistes de la Révolution en dépit de tout, de s'occuper activement de la propagation de la mode des bonnets phrygiens, mode qui fut définitivement adoptée cette semaine par les élégants du parti modéré.

Brissot approuva chaudement cette innovation en reproduisant dans son journal le panégyrique du bonnet écrit par un philosophe ang)ais nommé Pigott. « Ce sont les prêtres et les despotes, disait Pigott, qui (1) Patriote /rstt(Mtt<.

(2) Rapport a l'Assemblée nationale.


ont introduit le triste uniforme des chapeaux, ainsi quela ridicule et servile cérémonied'un salut qui avilit l'homme, en lui faisant courber devant son semblable, un front nu et soumis. Remarquez, pour l'air de tête la dinérence entre le bonnet et le chapeau. Celui-ci triste, sombre, monotone est l'emblème du deuil et de la morosité magistrale: l'autre égaie, dégage la physionomie, la rend plus ouverte, plus assurée, couvre la tête sans la cacher, en rehausse avec grâce la dignité naturelle et est susceptible de toutes sortes d'embellissements. »

Suivant Pigott l'usage du bonnet est des plus anciens les Grecs, les Romains, les Gaulois l'adoptèrent pour se distinguer des peuples barbares et en signe de triomphe sur leurs tyrans. Rousseau était partisan du bonnet comme symbole de la liberté, Voltaire le portait toujours.

Cette coiffure ayant été adoptée par la mode, on s'attacha à lui donner la couleur rouge de préférence à toul es les autres le rouge fut choisi et préconisé non pas à cause de sa signification politique comme beaucoup l'ont dit, mais parce qu'il était plus gai et plus riant à l'œil la signification politique qu'il aurait pu présenter aurait été empruntée au drapeau rouge qui était celui de la hideuse loi martiale et nul n'aurait osé prendre comme emblème cette couleur qui avait présidé aux abominables massacres du Champ-de-Mars.

Le rouge ne servit donc pas, au moment où on l'employa pour la première fois pour les bonnets de la liberté, d'indice politique et on ne l'adopta que par goût pour sa clarté agréable à la vue; on en fit


même l'apologie à l'aide de citations tirées de Condillac qui, dans ses considérations sur l'analogie des sons et des couleurs « établit que le rire éclatant et le son de la trompette sont analogues à la couleur écarlate et produisent une sensation identique, t

Nous voyons donc cette semaine deux modes nouvelles provoquées, prônées par les Girondins, s'implanter dans Paris: la mode des piques et celle des bonnets de la liberté en étoffes écarlates. C'est, armée de piques aux lances dorées et coifîëe de bonnets de satin rouge, qu'une députation de femmes patriotes, que l'on appelait les Sans-culottes, fut admise à la barre de l'Assemblée pour assurer les représentants du patriotisme des mères et des épouses de France. Un journal royaliste les railta dans le quatrain suivant, leur disant

Ah! que nous serions satisfaits 1

Si, toujours patriotes,

AU lieu de faire des décrets

Vous faisiez des culottes.


Du 18 au 24 février 1792.

VIII

TROUBLES AU THÉATRE

La reine au théâtre. Une actrice royaliste. Une pièce contre-révolutionnaire. Troubles au Vaudeville. Campagne contre tes Jacobins. Un article d'André Chénier. La proposition Mouysset. Manifeste de Léopold contre les Jacobins. Les Marseillais à Paris.

La mode des bonnets rouges gagne tout Paris Les rueset les promenades sont égayées par d'innombrables points écarlates qui mettent de tous côtés leur note vive au milieu du va-et-vient des promeneurs au café, dans les clubs et au théâtre on se montre en bonnet phrygien. Un groupe de citoyens visite les Tuileries arrivés dans la chambre à coucher du roi, les citoyens se découvrent, jettent leurs coiffures sur le lit du monarque, en forment une pile, disant <c Puisse-t-il se coiffer une bonne fois de la liberté, il n'en dormira que mieux B Le propos est répété et imprimé le lendemain dans les journaux Les royalistes essaient de prendre leur revanche ailleurs ainsi, au théâtre, ils sont d'ordinaire en majorité et ils manifestent leurs préférences de manière (t) Révolutions de farts, n 141.


bruyante. Le 20 février, la reine assiste à la représentation des Evénements imprévus, de Gretry à peine Marie-Antoinette paraît-elle dans sa loge que des cris de « Vive la reine partent de tous les côtés. A un signal un homme à grosse voix crie

A bas les Jacobins qu'il n'y ait ici que d'honnêtes gens 4 1

Les spectateurs applaudissent ces paroles avec frénésie étouffant sous les bravos les protestations des patriotes. Les Evénements imprévus fournissent aux contre-révolutionnaires de nombreuses allusions qui sont relevées au passage et soulignées par les applaudissements. La principale actrice, Mme Dugazon qui était royaliste tandis que son mari était un des plus chauds patriotes du Théâtre français, Mme Dugazon se prétait à ces manifestations, les provoquait même ayant à chanter « Ah comme j'aime ma maîtresse 1 l'actrice s'inclina vers la reine, appuyant avec un accent de respect exagéré sur le mot maîtresse, au milieu des cris nouveaux de vive la reine 1

Le parterre commença à se fâcher et il riposta en criant Vive la nation ajoutant

Pas de maîtresse 1 Liberté

Les colères s'allument, des invectives sont lancées aux spectateurs des loges deux hommes au parterre ayant crié A bas la nation sont roués de coups de poings et expulsés; cette correction calme les galeries qui laissent le spectacle s'achever sans nouvelles manifestations. Au théâtre Molière, des scènes analogues se produisent quelques jours après, deux pages (t) Patriote français.


du roi furent traînés dans le ruisseau Le 22 février, auThé&trede Monsieur, les royalistes prompts à saisir les moindres allusions du Club des Honnêtes gens provoquent les représailles des patriotes qui protestent et obligent l'orchestre à jouer deux fois le Ça ira 1 Deux jours après, le t!A, des scènes beaucoup plus violentes eurent lieu au théâtre du Vaudeville où l'on donnait la première représentation d'une pièce de circonstance l'Auteur d'MM moment, dirigée contre deux dramaturges patriotes, PalissotetChénier. Palissot représenté sous les traits de Boliveau disait à Chénier

Noua ferons partout la loi

Dans notre carrière,

Tu seras Racine, et moi

Je serai Molière.

Le tapage éclata surtout quand en parlant de l'auteur de Charles IX, un des personnages de la comédie chantait

Je suis au comble de mes voeux, Enfin, madame, je respire; Il faut que ce fat à vos yeux, De honte et de douleur expire; Se voir berner par un pédant Est bien fâcheux sur ma parole Des rois, quoiqu'il soit ie régent, Sans respect pour son rudiment, Il faut l'envoyer (bis) à l'école.

Les trois premières représentations cependant ne donnèrent lieu qu'à quelques escarmouches, mais le (1) Jtfe'moo-M de de Campan, t. tî, ch. XtT.

(!) Cottrner <<< Gortas.


tumulte éclata surtout à !a quatrième. Dès le premier acte, le commissaire dut venir réclamer le silence qui se rétablit, pour être troublé de nouveau quand l'actrice chanta le fameux <: Des rois quoiqu'il soit le régent x ;les sifflets d'un côté, les applaudissements de l'autre recommencèrent avec fureur. Les loges demandent que l'actrice chante de nouveau une partie du parterre crie

Baissez la toile

Les loges ripostent par

A la porte les Jacobins 1

Au milieu du tumulte, un citoyen portant les cheveux courts coiffure des patriotes monte sur une banquette et veut haranguer le public.

C'est un Jacobin assommez-le crie-t-on. Des cannes se lèvent, le malheureux est frappé à coups redoublés. on le traîne hors du théâtre et on lui fracasse la tête sur la pierre du trottoir pendant qu'à l'intérieur on crie Vive le roi i

Le bruit se répand dans Paris qu'on assomme les patriotes au Vaudeville, la foule se dirige vers le théâtre et, devant la porte, les cris de A mort tous ces gueux d'aristocrates se font entendre. A la sortie plusieurs aristocrates sont traînés dans la boue, des femmes sont fouettées pour venger le malheureux dont on avait écrasé la tête.

Le lendemain, le directeur du Vaudeville affiche La Revanche /ofeee les spectateurs se rendent en foule cette fois. Au lever du rideau, un grenadier de la garde nationale monte sur une banquette et de(t) CoMme)' de GerM*.


mande, au nom des patriotes, que le directeur paraisse ce dernier ayant obtempéré à cette invitation, le grenadier lui dit

Un de nos camarades a été blessé grièvement à la suite du tapage d'hier, nous vous sommons de rayer de votre répertoire la pièce qui a donné occasion à cet accident.

Le directeur s'engage à ne plus jouer ~MteM~<fMt moment, plusieurs voix demandent que le manuscrit soit publiquement brûlé, ce qui a lieu pendant que les musiciens jouent le Ça M'a

Les royalistesprirent prétexte de ces désordres pour accuser les Jacobins de fomenter des divisions et d'exciter des troubles; immédiatement une campagne des plus vives fut commencée contre cette société. Dans une séance qui ne dura pas moins de six heures, coupée par de nombreux incidents, un membre du côté droit, Mouysset, afin d'empêcher la réunion des députés aux Jacobins en les privant d'assister aux séances du club, propose à l'Assemblée de décréter que toutes les fois qu'il n'y aurait pas séance le soir, la salle serait ouverte aux députés réunis dans des conférences non ofncieHes 2. La proposition de Mouysset fut repoussée, mais la campagne contre les Jacobins continua de plus belle. André Chénier, le frère de Joseph, publia contre eux un long article dans le (t) Courrier de Gor«M.

(2) NM<Otre.p<t)-tem<t<<ttfe, t. XIII, p. 239.


Journal de Paris, article portant ce titre significatif: a De la cause des désordres qui troublent la France et empêchent l'établissement de la liberté. » André Chénier y accusait les Jacobins des crimes les plus abominables, depuis celui de t manifester formellement des sentiments et même des principes qui menacent toutes les fortunes et toutes les propriétés, a jusqu'à celui d'avoir provoqué, approuvé et défendu les massacres d'Avignon.

Marie-Joseph Chénier protesta contre l'article de son frère disant < Beaucoup de personnes ont cru que la lettre était de l'auteur de « Charles IX. » Je déclare que je n'ai point eu de part à cet article, qu'il renferme une opinion directement contraire à la mienne et que je me ferai toujours honneur d'être membre de la Société des amis de la constitution secrète aux Jacobins de Paris. Marie-Joseph Chénier. B Ces attaques ne firent qu'augménter le zèle des patriotes et, dans la séance du 22, Chabot et Merlin vinrent prêter serment de « rester invariablement attachés aux incorruptibles jacobins Robespierre avait répondu par ces seules et nères paroles: « Où est-il celui qui osera porter la main sur ceux que le peuple protège? je mets nos ennemis au défi de le tenter. » Du reste ces accusations durent cesser en présence d'une dénonciation de l'empereur d'Allemagne qui signalait les jacobins comme une secte pernicieuse d'hommes qui n'étaient pas seulement les ennemis du roi, mais ceux du repos public et tes perturbateurs dela paix B En présence de cette excommunication (t) JMmot'fM <tfe't, dM papiers (ftm homme d'Etat, 1.1, p. 233.


impériale, continuer à attaquer les jacobins c'eût été faire cause commune avec l'étranger et on ne l'osait pas publiquement en France. »

Mme de Staël affirme que c'étaient les conseillers secrets de la reine, Duport et Barnave, qui avaient rédigé ce manifeste dont le modèle aurait été envoyé par eux à Marie-Antoinette qui après l'avoir approuvé, le remit à l'ambassadeur d'Autriche MercyArgenteau pour l'expédier à Léopold.

De leur côté les jacobins ordonnèrent l'impression de la liste des députés ayant voté la proposition Mouysset et celle de ceux l'ayant repoussée, afin de bien connaître leurs amis et leurs adversaires. Le 19~ il y eut une importante séance aux Jacobins. Une députation de jeunes Marseillais conduits par Barbaroux fut introduite. Barbaroux dit qu'ils étaient venus pour éclairer l'Assemblée nationale sur l'état du Midi et ils se présentaient au club dans le but de renouveler leur récit; il ajouta que sur trente mille Marseillais en état de porter les armes, il y en avait à peine six mille d'armés.

On craint d'armer le peuple, s'écria-t-il, parce qu'on veut encore l'opprimer, mais malheur aux tyrans car le jour n'est pas loin où la France entière va se soulever tout hérissée de piques et ce jour leur sera fatal. Quant à nous, les Marseillais feront voir qu'ils sont dignes de mourir pour la liberté 1 Ces paroles furent couvertes de bravos, car on les applaudissait alors ces vaillants jeunes hommes ti) Considérations sur la Révolution française, [H* partie, ch. v. (~) VoMma! <<« club <~M Jacobins.


venus apportant dans leurs yeux comme des reflets de leur superbe soleil du Midi et qui précédaient de quelques mois ces fameux conscrits de Provence qui allaient marcher à la frontière en faisant retentir les échos des Ardennes et des Vosges de ce chant de L'Armée du Rhin qui va prendre leur nom et s'appeler La Marseillaise, on les applaudissait tous ces vaillants prêts à mourir en héros, pour la patrie On n'avait pas encore songé à leur marchander le courage, à leur disputer le patriotisme. Saluons-les quant à nous, ce sont ceux qui tombèrent les premiers aux avant-postes, à l'avant-garde des conscrits de la Révolution.


Du 25 février au i" mars i792.

IX

MORT DE LÉOPOLD

Troubles dans toute la France. Excitations royalistes à la guerre civile. Ardeur patriotique des) enrôlés volontaires. Femmes d'émigrés demandant le divorce. Une opinion libertaire des Jacobins. Conciliabule entre les cabinets de Vienne et de Berlin. Office de l'Empereur. Mort de Léopold. Bruits d'empoisonnement.

La fin de ce mois de février 1792 fut marquée par des troubles généraux qui éclatèrent à la fois sur divers points du territoire la France subissait une sorte de crise, elle fut en proie à une espèce de vertige causé par des alarmes imaginaires provoquées par la crainte chimérique de prétendus brigands qu'on annonçait de tous côtés et qu'on ne voyait nulle part ajoutez encore les appréhensions d'une guerre avec l'Europe, les menées des royalistes, les querelles religieuses, la disette, suite des mauvaises récott~s et des accaparements, et vous aurez une idée de l'état de la France durant ces journées de troubles et d'anxiétés. Les hommes qu'on désignait sous le nom de brigands se composaient de tous ces repris de justice, forçats libérés, faussaires qui répandaient en province les assignats

fabriqués à Paris; toute cette tourbe laissait après elle


un peu partout la terreur et l'effroi les ministres se gardaient bien de les inquiéter, car ils avaient intérêt à voir ces scélérats troubler le repos public, espérant que les désordres de ces gens sans aveu dégoûteraient le peuple des petites villes et des campagnes, naturellement paisible, d'une constitution à l'abri de laquelle la sécurité était si gravement compromise le pouvoir exécutif usait de tolérance afin que, las des désordres qu'il tolérait, le peuple en vînt promptement à désirer l'ancien ordre de choses

Des troubles se produisent, cette semaine, dans les départements où on signale des attroupements de cinq à six mille individus dans l'Ardèche, des rassemblements se forment pour empêcher les enrôlements pour les émigrés le département du Gard est aussi le théâtre de troubles graves. A Versailles, la fermentation est telle que le ministre de la guerre obtient, malgré l'opposition de Bazire et Lecointe, un décret autorisant à placer, entre Rambouillet et Versailles, un régiment de troupes à cheval et un bataillon de la garde nationale avec quatre canons pour veiller au maintien de l'ordre. La ville de Marseille s'occupe de réprimer une sédition royaliste de la ville d'Arles à Melun, deux cents individus envahissent le marché et, de leur autorité privée, taxent les blés.

C'était le moment, choisi par les feuilles royalistes pour exciter les citoyens à la guerre civile la municipalité dénonçait le journal de la Cour et de la Ville qui avait provoqué au meurtre et à l'assassinat, dans (t) Idée développée par Buchet et Roux, Histoire parlementaire, t XIII, p. 323.


un article adressé à la garde nationale et où on lisait ceci < Qu'attendez-vous ? faut-il que le sang ruisselle de toutes parts i Ne perdez pas de temps mettez double charge dans vos fusils! faites marcher vos canons! Volez à l'affreux repaire des Jacobins et exterminezles jusqu'au dernier, »

Du reste les royalistes se préparent aux éventualités d'une lutte qu'ils souhaitent et qu'ils provoquent. Pour répondre aux piques, ils font fabriquer des poignards et pour les échautfourëes ils commandent au serrurier Boucherot une arme d'une forme particulière, une espèce de ceste, muni d'un gland avec lequel on assomme sans laisser de traces'.

Les jeunes patriotes redoublent d'ardeur en présence de ces menées de tous côtés les conscrits demandent à marcher à la frontière. Parmi les départements qui se distinguent on cite ceux des Bouches-du-Rhône, de la Mayenne, de la Loire, du Lotet-Garonne, les villes du Puy et de Lille le département de la Loire-Inférieure à lui seul fournit deux mille hommes et dans plusieurs villes les femmes s'offrent pour la défense des remparts 2.

Les émigrés profitent de cet enthousiasme pour gagner Coblentz; ils s'enrôlent comme volontaires, suivent les détachements des conscrits, se font équiper, marchent aux frontières et une fois arrivés là, ils s'enfuient et vont rejoindre les émigrés (1) Journal du club des Jacobins.

(2) Moniteur.

(3) Hixetfe parlementaire, t. XIII, p. 321.


Un certain nombre de femmes abandonnées ainsi par leurs maris qui sont allés rejoindre l'armée des princes, s'adressent à l'Assemblée sollicitant, au nom de leurs enfants et de la liberté, les moyens de faire exécuter la loi constitutionnelle qui déclare le mariage un simple contrat civil, et pouvant être par conséquent rompu quand une des deux parties n'exécute pas son obligation. Cette demande est renvoyée au comité de législation qui conclut à la possibilité du divorce'. L'Assemblée s'occupe aussi du rapport de son comité de l'instruction publique demandant la continuation des secours accordés par le gouvernement avant la Révolution pour l'impression des recueils des diplômes de France, lois saliques,par Bretigny. Nous citons ce fait parce qu'il donna lieu à un partage d'opinion assez original entre les Feuillants et les Jacobins. Les Feuillants soutenaient cette théorie Jacobine par excellence qu'il serait à désirer que l'histoire de France jusqu'à la Révolution fùt effacée de la mémoire des Français et comme conséquence refusaient tout subside les Jacobins au contraire, libertaires pour une fois, étaient d'avis <t qu'il faut conserver sous les yeux du peuple les annales de l'esclavage, afin qu'en rougissant de la faiblesse de ses ancêtres, il nourrisse et perpétue de générations en générations l'horreur de la tyrannie et le noble enthousiasme de la liberté. » Cet enthousiasme pour la liberté était plus que jamais indispensable au moment où les cabinets de Vienne et de Berlin conspiraient contre elle. A Vienne, depuis que le parti de la guerre dominait à ()) Histoire parlementaire, t. XUI, p. 321.


Paris, le cabinet se réunissait en conseil d'État auquel l'empereur Léopold assistait ce cabinet était divisé pour savoir si l'on fixerait une époque quelconque pour l'attaque militaire de la France ou si on attendrait pour l'envahir que la guerre civile, dont on ne doutait pas, eût éclaté le prince de Kaunitz et les ministres du roi de Prusse étaient de ce dernier avis vivement combattu par les émigrés et les princes français soutenant qu'on ne déterminerait un soulèvement en faveur de Louis XVI qu'en envahissant la France La Russie hésitait et tenait en suspens les deux cours de Vienne et de Berlin

Quand arriva à Vienne la demande d'explications adressée par Louis XVI sur l'invitation de l'Assemblée du 21 janvier, le conseil d'État autrichien décida d'achever les préparatifs militaires, de former avec les troupes de Bohême uu corps de trente mille hommes prêt à marcher au premier signal.

Léopold envoya à Paris la réponse à la demande d'explications de la France sur l'intervention de l'empereur dans nos affaires intérieures et dont le ministre des relations étrangères Delessart donna connaissance aux députés dans la séance du 1er mars. Dans cette communication, Léopold se défendait d'avoir soutenu les émigrés, mais il ajoutait que l'année précédente il n'avait pu se désintéresser du spectacle offert à l'Europe « du roi légitime, forcé par des violences atroces à s'enfuir, protestant solennellement contre les acquiescements extorqués, et peu après, arrêté et détenu avec sa famille par son peuple. » ()) Mémoires du prince de Hardernberg.


« Oui, c'était alors au beau~frëre et à l'allié du roi à inviter les autres puissances de l'Europe à se concerter avec lui pour déclarer à la France Qu'ils regardent tous la cause du roi très chrétien comme la leur propre Qu'ils demandent que ce prince et sa famille soient mis sur-le-champ en liberté entière; Qu'ils se réuniraient pour venger, avec le plus grand éclat, tous les attentats ultérieurs quelconques que t'en commettrait contre la liberté, l'honneur et la sûreté du roi, de la reine et de la famitte royale. » L'empereur terminait en accusant « le parti républicain » d'avoir produit « les scènes d'horreur, de crimes dont furent souillées les prémices d'une réforme de la constitution française. » Mais il ajoutait que le roi ayantdepuis accepté la constitution, en l'état actuel des choses, < les imputations qu'on s'est permises en le taxant d'avoir attenté à l'indépendance et à la sûreté de la France sont calomnieuses. »

Ce message d'un empereur autrichien, rédigé, commenous t'avons dit, sur les conseils de Marie-Antoinette, qui entrait dans de si grands détails sur l'état intérieur des partis en France, blessa la dignité nationale et servit les Jacobins qu'on avait voulu accabler.

Au moment même où dans les journaux et dans les clubs de Paris on discutait la lettre de l'empereur, on apprenait la mort de Léopold, survenue presque subitement, au milieu de vomissements, le 1~ mars.


On voulut expliquer cette mort inattendue en la représentant comme la suite de plaisirs voluptueux immodérés; on raconta que le monarque ayant plusieurs maltresses et voulant satisfaire ses ardeurs employait fréquemment de ces excitants que les italiens appellent cHowo!MM et qu'il préparait luimême on trouva dans son cabinet des étofïes précieuses, des bagues, des éventails dont il avait coutume de se servir durant les nuits consacrées aux plaisirs, on découvrit même jusqu'à cent livres de fard superfin H était donc très possible que Léopold eût succombé à la suite d'une de ces nuits d'orgie. Pourtant les bruits d'empoisonnement coururent et l'histoire contemporaine ne les a ni confirmés, ni démentis.

S'appuyant sur le témoignage de Lagusius, médecin ordinaire de Léopold qui avait assisté à l'autopsie du cadavre, beaucoup se prononçaient pour l'empoisonnement. Seton les uns, c'était dans un bal masqué, qu'une dame remarquée par l'empereur, lui aurait présenté des bonbons empoisonnés; selon d'autres on se serait servi de la main même de la belle italienne tendrement aimée de Léopold. Cette femme, assuret-on, aurait joui depuis, en Italie, au sein des richesses et du luxe, de la récompense de son crime On alla jusqu'à accuser alternativement les jacobins et les émigrés; les jacobins parce qu'ils étaient intéressés à se défaire d'un monarque puissant qui se préparait à détruire par les armes leurs œuvres (t; Jfe'motrM <ir~ des pa~tst-i d'upi homme d'Etat, 1.1, p. 258.

(~) M.

~3) Id.

(3) Id.


de propagande. Les émigrés au contraire se seraient vengés ainsi des atermoiements et des lenteurs apportés par l'empereur à envahir la France et à seconder leur désir.

Quoi qu'il en soit, l'impératrice faisant allusion aux galanteries du défunt dit au nouveau roi, dans leur première entrevue

Mon fils, vous avez devant vous deux grands exemples, celui de votre oncle et celui de votre père; imitez leurs vertus, mais gardez-vous de tomber dans leurs vices.


Du 2 au 8 mars 1792.

x

ASSASSINAT DU MAIRE D'ÉTAMPES

Troubles dans les régiments. Lettre de Rochambeau, Luckner et Lafayette en faveur de Narbonne. -Le pouvoir de Narbonne ébranle. Message de l'Assemblée au roi contre le ministre de la marine. Le duc de Chartres aux Jacobins. Troubles en'province. Assassinat du maire d'Etampes. On accuse les royalistes.

Des troubles se produisaient aussi dans les régiments où divers actes d'insubordination se commettaient des révoltes partielles éclataient et Narbonne appela les trois commandants de corps d'armée Luckner, Rochambeau et Lafayette au conseil du roi pour y donner leur avis sur les mesures à prendre; ces officiers rédigèrent un mémoire lu par le ministre de la guerre et contenant les observations des trois généraux pour assurer le succès de la guerre si elle avait lieu. Ce mémoire recommandait certaines mesures fiscales pour mettre un terme aux abus dont les soldats se plaignaient et il demandait en même temps pour les commandants des corps d'armée un pouvoir disciplinaire plus étendu.

Ce mémoire n'était que le prétexte dont s'était servi Narbonne pour réunir en même temps les trois


commandants à Paris en réalité le jeune ministre se sentait menacé par l'influence considérable exercée par son collègue et son rival Bertrand de Mollevitle i auprès du roi et il pria Luckner, Rochambeau et Lafayette d'écrire trois lettres déclarant que les bruits répandus au sujet de la retraite du ministre de la guerre causaient la plus grande inquiétude, que son amour pour la patrie lui commandait de rester à son poste et que s'il le quittait ils seraient eux-mêmes dans l'impossibilité de remplir dignement la mission dont ils étaient chargés.

Ces trois lettres devaient être seulement montrées confidentiellement au roi pour affermir le crédit ébranlé de Narbonne, mais celui-ci les publia, ce qui irrita ses collègues et blessa Louis XVI les trois généraux furent mandés auprès du roi ils expliquèrent leur conduite en disant que Narbonne était aimé de l'armée.

Pendant que la cour songeait à se débarrasser de Narbonne, l'Assemblée, sur la proposition d'Hérault de Séchelles, décidait de nommer une députation de vingt-quatre membres pour aller présenter au roi des observations sur la conduite du ministre de la marine qui avait laissé ignorer au corps législatif l'état d'abandon duport de Brest, parsuitedu départ fortuit de nombreux officiers de marine. Le 14 novembre dernier, le ministre publiait qu'aucun officier de marine n'avait quitté son poste, tandis qu'en réalité ils étaient passés en grand nombre en pays étrangers enfin il avait accordé d'une façon exagérée des congés, dont les (t) ~motfM de Bertrand de Jloll81lille, t. I, ch. xm.

(t) Id.


titulaires s'étaient servis pour aller grossir les rangs de t'émigration.

Le message se terminait par ces mots: « Sire, it ne peut exister pour vous de grandeur véritable que dans la détermination invariable et solennelle de secouer le joug du peuple, par tous les moyens de puissance qu'il a mis entre vos mains le repos même, dont vous avez plus d'une fois éprouvé et exprimé le besoin, vous n'en jouirez que le jour où les ministres entreront dans vos sentiments, et où, rejetant loin d'eux avec loyauté ces réserves, ces subterfuges, sources éternelles d'une défiance qui entrave tous les ressorts de l'administration, ils feront en quelque sorte la conquête de la confiance nationale. »

Au moment où Louis XVI recevait ce message, le renvoi de Narbonne était décidé et la cour allait s'essayer encore à une nouvelle tentative de réaction qui devait tourner contre elle.

Ces efforts du parti royaliste venaient au surplus à un mauvais moment de tous côtés surgissaient des plaintes contre la faiblesse du gouvernement, sa négligence ou même sa complicité en présence des agissements des coalisés.

Le duc de Chartres, plus tard Louis-Philippe, se faisaitt'écho deces plaintes, quand aux Jacobins, dans la séance du 4 mars, il annonçait l'arrestation du lieutenant-colonel du dixième régiment, M. de Guini, qui enrôlait pour Cobtentz

(1) ~owma! dM club des Jacobins.


Collot-d'Herbois succéda au duc de Chartres, disant que toutes les mauvaises nouvelles disparaissaient en présence de la levée volontaire de la jeunesse française dont le patriotisme envoyait tous les jours aux frontières des milliers de défenseurs.

Le lendemain Barbaroux apparaissait de nouveau aux Jacobins annonçant que les Marseillais étaient en marche.

Lorsqu'on veut écraser le peuple, s'écriait-il, le peuple se lève et il écrase les tyrans.

Le club était l'objet de chaudes démonstrations de sympathies depuis les attaques que la réaction et l'empereur avaient dirigées contre lui. Plusieurs sociétés patriotiques vinrent témoigner aux Jacobins leur attachement. L'orateur de la société fraternelle des Minimes s'écriait < avant qu'on détruise les sociétés patriotiques, il faudra qu'on passe pardessus nos cadavres nous en ferons, jusqu'au dernier soupir, un rempart pour vous défendre. »

Ces mâles résolutions se manifestaient encore à la barre de l'Assemblée nationale où de nombreuses députations de citoyens demandent à s'armer de piques pour la défense dela constitution; elles supplient qu'on leur permette de faire l'exercice des piques au Champ-de-Mars.

Des citoyens du faubourg Saint-Antoine viennent aussi à la barre < confondre les calomniateurs. Leur civisme, disent-ils, est gravé sur les débris des murs de la Bastille et sur le fer de leurs piques. Ces piques ne doivent être redoutées que des brigands et des (t) JMo)t<«M'.


conspirateurs. Les ministres, !a liste civile, tous les contre~révotutionnaires périront, mais on verra toujours triompher la constitution, la liberté et les piques 1. M

Cette fermentation des esprits s'augmentait encore aux nouvelles des troubles arrivant des provinces. Le 3, une émeute éclatait à Etampes et le maire de la ville était massacré.

Samedi 3, jour du meurtre, douze ou quinze hommes armés de fusils entrèrent à cinq heures du matin dans Boissy-sous-Saint-Yon, à quatre lieues d'Etampes, y battirent la générale, réveillèrent le curé et sonnèrent le tocsin ces étrangers annoncèrent aux habitants accourus le projet d'aller à Etampes taxer le prix du blé ils ordonnaient à la petite population de les suivre sinon ils menaçaient d'incendier la ville; la même manœuvre se renouvela dans plusieurs villages voisins etla troupe ainsi grossie arriva à Etampes à sept heures du matin.

Le maire, le courageux Simonneau, se propose de résister à cet envahissement il demande à l'officier commandant le détachement composé de quatre-vingts hommes du d8* régiment de cavalerie, ci-devant Berri: si lui, officier, pouvait compter sur sa troupe à laquelle du reste on avait distribué la veille des cartouches

On peut compter sur mes soldats, comme sur moi-même, répond l'officier.

La municipalité, le maire en tête, se place au milieu du détachement, et arrive sur la place pour (t) JtfM«em-, 9 mars.


tâcher de calmer l'émeute, mais les révoltés, voyant que les soldats n'ont pas de fusi's, rompent la ligne des cavaliers, se précipitent ur le malheureux Simonneau, le frappent de plusieurs coups de bâton les quatre-vingts militaires prennent la fuite, excepté deux soldats, le maire expirant avait saisi la bride de leurs chevaux. En même temps, deux coups de fusils sont tirés sur Simonneau qui essaie de retenir les soldats du détachement en disant

A moi, mes amis à moi 1

Pour toute réponse, un des cavaliers dont Simonneau avait pris le cheval par la bride, se dégage après un coup de sabre qui brise le bras du maire. Les soldats ayant tourné le dos, les émeutiers demeurent maîtres de la place, s'acharnent sur les cadavres sur lesquels ils tirent plus de vingt coups de fusils et qu'ils foulent aux pieds; puis ils quittent la ville d'Etampes terrorisée et vont s'enivrer dans un cabaret d'un village situé à trois quarts de lieue, à Saint-Michel.

On voulut voir dans cet abominable assassinat les effets d'un complot organisé par les royalistes, toujours désireux de jeter l'alarme dans le pays. Cela n'a rien d'invraisemblable si on se souvient des excitations au meurtre imprimées tous les jours dans les feuilles royalistes, si on considère l'attitude étrange de ce détachement commandé par les ofûciers royalistes et qui abandonne lâchement Simonneau, le laissant massacrer par les émeutiers.

Cette participation des contre-révolutionnaires ne fit alors de doute pour personne et les Jacobins de Paris auxquels le maire d'Etampes étaitaffllieadressë-


rent au fils Simonneau une lettre de condoléance pendant que l'Assemblée Nationale décrétait, sur la proposition du comité de l'instruction publique, qu'il serait élevé sur la place du marché d'Etampes une pyramide triangulaire portant ces mots gravés sur la première face GUILLAUME SIMONNEAU, MAIRE D'ETAMpEs, MORT LE 3 MARS 1792 sur la seconde face LA NATION FRANÇAISE A LA MÉMOIRE D'UN MAGISTRAT FRANÇAIS QUI MOURUT POUR LA LOI. Enfin sur la troisième face, on grava les dernières paroles de l'infortuné maire VOUS POUVEZ ME TUER, MAIS JE MOURRAI A MON POSTE.


Du 9 au 15 mars 1792.

Yt

NARBONNE RENVERSÉ. DUMOURJEZ MINISTRE Billet du roi à Narbonne. Congé brutal. Delessart décrété d'accusation. Discussion à t'Assemblée. Discours de Vergniaud. Dumouriez ministre. Il va aux Jacobins. Son discours. Succès qu'il obtient. Réserves de Robespierre et de Collot d'Herbois. Maximilien refuse de se coiffer du bonnet phrygien. Dumouriez embrasse Robespierre.

Le 9 mars, de très bonne heure, un valet de pied de Louis XVI se présentait à la porte de l'appartement de Narbonne et lui remettait le billet suivant <c Je vous préviens, monsieur, que je viens de nommer Af. de Grave au département de la guerre vous luiremettrez votre portefeuille.

<[ Signé: LOUIS »

A la séance du lendemain 10 on lut une lettre du roi annonçant la nomination du successeur de Narbonne. Il y eut soudain une explosion de colère et la séance qui suivit fut une des plus agitéesqu'on eût vu jusqu'à ce jour. Lesage demanda qu'il fût déclaré que le ministre emportait les regrets de l'Assemblée. (1) Mémoire de Bertrand de J~oHeft~o. ch. x)V.


Ramond alla plus loin « L'intrigue a prévalu, ditil, le ministère ne marche pas il faut déclarer qu'il a perdu la confiance de la nation. »

Brissot monte à la tribune et accuse les ministres qui restent de trahison, notamment le ministre des affaires étrangères contre lequel il prononce un véritable réquisitoire dans lequel il l'accuse de n'avoir donné connaissance à l'Assemblée ni du traité avec le roi de Prusse, ni de la convention de Pilnitz. Le président demande si quelqu'un veut prendre la parolepour défendre les ministres, personne ne se lève. Cependant un député, Becquet, hasarde timidement quelques observations, essayant d'obtenir un ajournement combattu avec une vigueur pleine de passion par Vergniaud qui termine par ces paroles souvent interrompues par les applaudissements de la salle entière et des tribunes.

Rappelant le souvenir de Mirabeau parlant contre le décret demandé pourreconnaitre la religion catholique comme religion d'État et qui s'était écrié: :< De cette tribune où je vous parle, on aperçoit la fenêtre d'où la main d'un monarquo français, armée contre les sujets par d'exécrables factieux qui mêlaient des intérêts personnels aux intérêts sacrés de la religion tira l'arquebuse qui fut le signal de la Saint-Barthélémy », Vergniaud dit

< Et moi aussi je m'écrie: de cette tribune où je vous parle on aperçoit le palais où des conseillers pervers égarent et trompent le roi que la Constitution nous a donné, forgent les fers dont ils veulent nous enchaî()) /7n<t)tr<'pa''t<MM')<<ft)-< t. XHf, p. 398.

T. IV. C


ner et préparent les manœuvres qui doivent nous livrer à )a maison d'Autriche. Je vois les fenêtres du palais où l'on trame la contre-révolution, où l'on combine les moyens de nous replonger d;<ns les horreurs de l'esclavage, après nous avoir fait passer par tous les désordres de l'arbitraire et par toutes les furèurs de la guerre civile. »

Les applaudissements de toute l'assemblée interrompent l'orateur qui continue un moment après a Vous pouvez mettre un terme à tant d'audace, à tant d'insolence et confondre enfin les conspirateurs. L'épouvante et la terreur sont souvent sorties, dans les temps antiques, et au nom du despotisme, de ce palais fameux. Qu'eHesy y rentrent aujourd'hui au nom de la loi. »

Ce fut un redoublement de bravos.

« Qu'elles y pénètrent tous les cœurs. Que tous ceux qui l'habitent sachent quenotre Constitution n'accorde l'inviolabilité qu'au roi. Qu'ils sachent que la loi y atteindra sans distinction tous les coupables, et qu'il n'y aura pas une seule tête convaincue d'être criminelle qui puisse échapper à son gtaive. Je demande qu'on mette aux voix le décret d'accusation contre Delessart. :D

Les dernières paroles, menace directe contre la reine, furent l'objet d'ovations prolongées, au milieu desquelles Vergniaud descendit de la tribune vivement félicité par la Gironde.

Le décret d'accusation fut voté par une grande majorité.


La nouvelle du vote de l'Assemblée fut apportée à Louis XVI qui présidait le conseil des ministres; le monarque pâtit et, le soir, il mangea fort peu à son dîner, signe grave chez le roi dont l'appétit est bien connu. Un courtisan écrivait « on dit que le roi se conduit dans son intérieur comme un homme qui se prépare à la mort'. »

Mais avoir renvoyé brutalement Narbonne ne servit de rien à Louis XVI qui fut obligé, pour essayer de calmer les inquiétantes colères de la Gironde, de prendre Dumouriez pour ministre des affaires étrangères à la place de Delessart décrété d'accusation. Dumouriez, soldat de courage, diplomate non sans finesse, était sans scrupules et sans convictions, il était l'ami de Brissot et de Gensonné.

Dès-qu'il fut nommé ministre, il alla rendre visite à Louis XVI qu'il étonna par la rondeur de son langage et qu'il eiTraya quand il lui annonça qu'il voulait aller demander le concours des jacobins dans leur club même 2.

JI le fit comme il le disait.

Il se rend aux jacobins, se fait inscrire pour prendre la parole. Quand son tour est venu, il monte à la tribune et, se conformant à l'usage adopté depuis quelques jours par les orateurs de la Société, se coiffe du bonnet rouge 8.

ft) Correspondance entre te comte de Mirabeau et le comte (/e La ~arc/c, t. III, p.2H8.

(2) Memoires de Dumouriez, t. II, iiv.IH, chap. vi.

(3) Journal des <tmt) de la Constitution, n° 163.


Cette façon d'agir, si nouvelle pour un ministre, étonne tout d'abord.

Le langage de Dumouriez. quelque peu militaire, fut très applaudi; voici le petit discours prononcé par lui tel qu'il nous a été conservé

Frères et amis, commença-t-il, tous les moments de ma vie vont être consacrés à remplir la volonté dela nation, et à justifier le choix du roi constitutionnel je porterai dans les négociations toutes les forces d'un peuple libre, et ces négociations produiront sous peu une paix solide ou une guerre décisive et, dans ce dernier cas, je briserai ma plume politique, et je prendrai mon rang dans l'armée pour venir triompher ou mourir libre avec mes frères, .l'ai un fort grand fardeau et très difficile à soutenir. Mes frères, j'ai besoin de conseils vous me les ferez passer par vos journaux. Je vous prie de me dire la vérité, les vérités les plus dures mais repoussez la calomnie et ne rebutez pas un zélé citoyen que vous avez toujours reconnu comme tel. »

Ce langage souleva les applaudissements et le président crut pouvoir féliciter le ministre; Collot d'Herbois approuva ces félicitations, ajoutant qu'il n'y avait qu'une réponse à faire « J'agirai comme j'ai parlé ».

Dumouriez, comme s'il eût voulu sanctionner cette parole de Collot d'Herbois, leva la main dans l'attitude de la prestation du serment, jurant devant le club des Jacobins tout entier de rester fidèle à ses déclarations. On demanda l'impression du discours du ministre Legendre voulut s'y opposer, mais il fut chassé de la tribune par de nombreux cris


A la porte à la porte

et l'impression fut votée par presque tous les assistants.

Robespierre ne voulait pas laisser passer cette importante séance sans y prendre part, il demanda la parole et monta à la tribune.

Comme toujours il était vêtu avec élégance, ses cheveux étaient poudrés avec soin, contrairement à l'habitude detousles autres Jacobins, qui depuis quelque temps avaient renoncé à cette mode. Déjà Maximilien allait commencer son discours, quand un membre du club fortement épris des formes révolutionnaires récemment adoptées, s'apercevant que l'orateur avait la tête nue et ne s'était pas coiffé du bonnet phrygien, prit un de ces bonnets rouges et le lui enfonça sur la tête. Robespierre d'une nature à la fois délicate et froide, dédaignant le débraillé et la mise en scène théâtrale qu'on introduisait dans les assemblées populaires, ôta le bonnet et le jeta à terre il fallut toute la popularité dont jouissait l'ancien constituant d'Arras pour que cet acte d'irrévérence fût toléré On chuchotait autour de l'orateur, des murmures ge firent même entendre, mais Robespierre toujours très calme commença à parler et le silence se fit. Il dit qu'on devait attendre, pour décerner à Dumouriez des éloges, qu'il eût tenu les belles promesses faites, vaincu les ennemis, désarmé les conspirateurs. Il promit à Dumouriez qu'il aurait dans le club des jacobins des soutiens et des défenseurs tant qu'il se montrerait patriote.

(1) Déposition d'un témoin oculaire, Soubervielle, rapportée par Louis Blanc, t. VI, p. 293 (note).

6.


Je ne redoute, dit-il en finissant, pour cette société, la présence d'aucun ministre, mais je déclare qu'à l'instant où un fonctionnaire semblable y aurait plus d'influence qu'un bon citoyen qui<e'est constâmment distingué par son patriotisme (allusion à Legendre dont la voix venait d'être étouffée et qui était pourtant son ennemi) il nuirait à la société, et je jure au nom de la liberté qu'il n'en sera jamais ainsi. Cette société sera toujours l'effroi de la tyrannie et l'appui de la liberté.

Dumouriez, pour toute réponse, courut vers Robespierre et l'embrassa avec une véritable affectation pendant que les tribunes applaudissaient ce spectacle nouveau d'un ministre donnant l'accolade au chef que reconnaissait la masse des citoyens les plus dévoués. Comme on vient de le voir, le bonnet rouge était en grand honneur; à ce sujet, il nous paraît intéressant d'en préciser l'origine. On a prétendu qu'il avait été emprunté aux galériens en l'honneur des Suisses du régiment de Chateauvieux, condamnés aux galères pour l'insurrection de Nancy et graciés par l'Assemblée législative. C'est là une des mille et une fausses légendes sur la Révolution.

« Plusieurs années avant la Révolution, le Jeannot des farces théâtrales du boulevard, aussi fameux que jocrisse, portait le bonnet de laine rouge, coiffure des pauvres gens. C'était une sorte de personnification ridicule du peuple, toujours moqué, battu, payant l'amende. Les gens de cour et de haute société, qui se pressaient, par vogue, à ces représentations, n'ima(i) Journal des débats des <tm)'s de la constitution, n* t63.


ginaient pas alors que ce bonnet populaire les ferait trembler 1 ».

Dès 1789, le bonnet rouge figure parmi les symboles révolutionnaires. Le 19 août 1789, un artiste nommé Neuville présenta à Lafayette un projet d'enseigne pour les drapeaux, en cuivre doré et repoussé représentant un coq, symbole de la France, surmonté d'un bonnet, symbole de la Liberté

Les vainqueurs de la Bastille firent frapper une médaille représentant, au milieu de divers emblèmes, des tours renversées au-dessus desquelles rayonne le bonnet de la Liberté orné d'une cocarde le cachet de l'association des vainqueurs reproduit les mêmes attributs 3.

Après le décret abolissant les armoiries de la noblesse, des patriotes riches peignirent le bonnet rouge sur les panneaux de leur voiture 4.

A la fin de 1789, la municipalité parisienne fit graver le bonnet sur son sceau. On conserva l'ancien écusson de la ville avec le vaisseau et les fleurs de lis, mais en y ajoutant, sur le sommet, le bonnet de la Liberté soutenu par une pique posée en pal derrière l'écu Il figurait aussi sur le sceau de plusieurs districts de Paris les drapeaux des sections en portaient également de brodés. Nous trouvons souvent le bonnet rouge mêlé aux attributs royaux ou religieux. « On l'associait aux fleurs de lis et on le (1) Louis Combes, CMr!'o<tfe<reuo~tOHnfïtrc$.

(2) fte'jo;M<t(m" de Paris, n" VI.

(3) Ch. H. (Hennin), Histoire numismatique de la Révolution, (4) PetM<ut< de France et de BratMf.

(5) Louis Combes, Curiosités révolutionnaires.


plaçait même au-dessus, comme l'emblème d'une souveraineté plus haute. Il dominait tout, c'était le cimier du blason national, des nouvelles armes de France n

Dans toute l'antiquité, en Grèce, à Rome, le bonnet avait été le signe de la liberté et les affranchis s'en coiffaient ad pt!eM~ servos nocctfe appeler les enfants au bonnet cela signifiait, chez les Romains, leur donner la liberté. L'Amérique avait, avant la France (et l'a conservé depuis), pris le bonnet planté au bout d'une pique comme le signe de la liberté conquise. La Révolution en choisissant le bonnet comme emblème ne fit donc que suivre une tradition de liberté on lui donna la couleur rouge, parce qu'elle est la plus gaie à l'œil, la plus éclatante et aussi parce que c'est celle de la pourpre autrefois réservée aux empereurs et aux rois. Enfin comme écrit Condorcet, « cette couronne en vaut bien une autre et Marc-Aurèle ne l'eût pas dédaignée »

A la fin de la Révolution, on l'appellera le bonnet phrygien, parce que les artistes avaient donné au bonnet de la liberté la forme gracieuse des coiffures élégantes de Ganimède et du berger phrygien Paris mais durant toutes les grandes journées révolutionnaires cette forme ordinaire fut inconnue et le bonnet conserva celle des coiffures académiques des paysans et des hommes du peuple.

(!) Louis Combes, Cm'tOMtMr~oo~tttMMtMtrM.

2) Chronique d<* Paris.


I)a 46 au 22 mars 1792

xn

ASSASSINAT DU ROI DE SUÈDE

On propose le ministère à Roland.- Espoir fondé par la cour sur le courage de Gustave in.–La noblesse suédoise conspire contre ce prince. Le soir d'un bal masqué. La lettre anonyme. Confiance et bravoure du roi de Suède. Bonsoir beau masque Un coup de pistolet. Les coupables. -L'expiation. Mort de Gustave IIL Joie des Jacobins. Un vide dans le Nord. Marie-Antoinette fait secrètement ses pâques. Espionnage à la cour.

Pour avoir voulu se défaire du feuillant Narbonne, la cour avait dû, comme compensation offerte aux irritations populaires, sacrifier le royaliste Bertrand de Molleville, elle voyait Delessart décrété d'accusation et remplacé par Dumouriez qui avait été demander sa consécration aux jacobins devant qui il s'était présenté coiffé du bonnet rouge. Il manquait un ministre de l'intérieur Brissot alla de la part de Durnouriez trouver M' Roland pour savoir si son mari accepterait ce portefeuille' M°" Roland, peut-être sans consulter le futur ministre, assura Brissot de l'ac. ceptation qui ne manquait donc plus que de la sanction royale.

(1) .~XMKt-tt <t- jf" Roland.


Ce fut au milieu des soucis et des craintes causés par la formation du nouveau cabinet qu'on apprit à la cour l'assassinat du roi de Suède.

C'était une espérance de plus en laquelle MarieAntoinette avait eu une confiance grande, qui s'évanouissait.

La reine comptait de façon spéciale sur l'intervention de Gustave III, prince enthousiaste, hasardeux, courageux et chevaleresque. Un jour on disait devant elle

Quel dommage que le roi de Suède ait si peu de troupes et si peu d'argent

Il a son épée, répliqua Marie-Antoinette cela suffit!

Cette épée ne devait plus sortir du fourreau. Gustave était un des chefs désignes de la contrerévolution, ce fut la noblesse qui l'assassina. On donnait un bal masqué à l'opéra de Stockholm, le roi devait s'y rendre; avant la fête, Gustave soupait avec quelques familiers; à la fin du repas on lui remit une lettre lui annonçant qu'il serait assassiné durant le bal c'était la centième lettre du même genre qu'il recevait depuis six mois le prince lut la missive en plaisantant, la jeta froissée sur la table, se leva pour aller revêtir son déguisement, et il se rendit au bal. Gustave prit part aux danses jusqu'à une heure avancée de la nuit, à un moment donné il alla s'asseoir près du comte d'Essen et lui dit en riant Eh bien! n'avais-je pas raison de mépriser cet avertissement tragique: si l'on en voulait à ma vie, quel moment serait plus favorable que celui-ci pour me l'arracher?


n se lève et se mêle à la foule tout à coup, il est entouré par un groupe de huit ou dix personnes le comte de Horn l'aborde par ces mots

Bonsoir, beau masque

C'est le signal convenu; on tire par derrière un coup de pistolet chargé à mitraille qui atteint le roi au-dessus de la hanche gauche Gustave s'affaisse dans Les bras de son favori le comte d'Armsfeld.

Sans perdre un seul moment son sang-froid, Gustave ordonna de fermer les portes, mais déjà huit des conjurés étaient partis, un seul restait dans la sa!)e. Pendant qu'on transportait le blessé dans son palais, les gardes faisaient démasquer les invités, visitaient leurs habits.

Le dernier assistant qui sortait, Ankastroëm, portait un des plus grands noms de la noblesse suédoise, en passant comme tous les autres devant un officier de la police il lui dit en se démasquant

Quant à moi, monsieur, j'espère que vous ne me soupçonnerez pas.

Cet homme était l'assassin on ne le découvrit pas tout de suite. Le pistolet et un couteau aiguisé des deux côtés de la lame comme celui dont s'était servi Ravaillac furent trouvés au milieu des bouquets abandonnés sur les planches de l'Opéra. Un armurier de Stockholm les reconnut l'un et l'autre pour les avoir vendus peu de temps avant à un ancien offi(t) Mémoires du marquis <<< Bouillé.


cier aux gardes, Ankastroëm qu'il désigna et qui fut arrêté le jour même; il ne songea pas à nier, il commença par assumer toute la responsabilité refusant de dénoncer ses complices plusieurs mois après seulement il se décida à dévoiler les secrets de la conspiration Tous les conjurés appartenaient à la noblesse, parmi eux se trouvait un des favoris du roi, Lillienhorn, major des gardes blancs et qui, le soirmême du crime, pris d'un remords, avait écrit cette lettre lue par le roi, en plaisantant, à la fin du diner.

Tous les conjurés furent arrêtés mais seul celui qui avait tiré le coup de pistolet, Ankastroëm, fut exécuté après l'avoir battu de verges pendant trois jours on le décapita sur la principale place publique de Stockholm. Gustave III après quinze jours de souffrances expira montrant une grande fermeté le jour même de sa mort on l'entendit murmurer

Je voudrais bien savoir ce que Bri~sot dira de ma mort t.

Les émigrés sentirent la perte qu'ils venaient de faire et ils traduisaient leur douleur par ces mots Il y a maintenant du vide dans le Nord. Les nobles suédois avaient enlevé cet appui à la Royauté française pour se venger de deux coups d'Etat opérés par Gustave III en 1712 et 1789 avec autant d'audace que de bonheur et à la suite desquels il avait brisé le pouvoir de ses grands seigneurs, s'était affranchi de leur domination.

A Paris, les Jacobins ne purent dissimuler leur contentement en apprenant cette mort qui supprimait une (~) ~~notret tirés des papiers d'un homme d'~(a<, t. t, p. 275.


des forces sur lesquelles tacontre-révotution entendait s'appuyer comme ils le disaient a un vide venait de se former la joie des Jacobins n'eut d'égale que'la douleur de Marie-Antoinette dont les chances diminuaient de jour en jour.

La reine bien seule maintenant, éprouvée jusque dans sa foi religieuse, en était réduite à faire ses Pâques en cachette Marie-Antoinette~ après avoir perdu son aumônier enlevé par l'émigration, était devenue la pénitente du curé de Saint-Eustache jusqu'au jour où ce prêtre eut prêté le serment constitutionnel à partir de ce moment la reine et Louts XVI se confessèrent en seeret à des ecclésiastiquea réfractaires ayant leur confiance.

Cette année, pour vaquer à ses devoirs de la semaine sainte, la priacesse fit prévenir-un prêtre non juré, parent de sa dame de compagnie M'°* de Campan, qui vint à l'insu de tout le monde dire la messe au château, à cinq heure du matin. La reine, seule, traversa les couloirs des Tuileries au bras de M* de Campan qui éclairait la marche à l'aide d'un bougeoir. La messe commença avant le jour, Marie-Antoinette communia et, à l'aube, regagna furtivement ses appartements 2.

Tout était secret et mystère du reste aux Tuileries où la reine apportait le même soin à cacher sa communion pascale qu'à écrire sa longue et venimeuse (t) M<)))0<M< de N*' de C<mpax.

(t)H.

T. IV. t


correspondance avec les chefs des armées étrangères avec lesquels elle communiquait tous les jours par l'entremise de M. de Goguelat

Ces auéeset ces venues aux Tuileries étaient l'objet d'une surveillance spéciale de la part des Girondins qui avaient une oreille pour ainsi dire collée à la porte des apparteménts cet espionnage s'étendait aux pièces les plus reculées. Un jour Marie-Antoinette avait donné une audience pafticunèreàundesesgrands ofnciers, M. de Talaru. Lorsqu'il fut enh'é dans son cabinet, elle lui dit à voix basse

Monsieur de Tataru, examinez si personne ne peut entendre.

M. de Tataru entr'ouvrit doucement la porte d'un cabinet attenant à la chambre dans laquelle aiait la reine et une personne qu'il ne patreconnaitre s'enfuit à la h&te par une porte communiquant à d'autres ap-

partements.

La nouvelle maison militaire du roi, dont les douze cents hommes prêtèrent serment de fidélité le i6 mars, ne garantit pas la famille royale de ces espionnages qui laissaient percer dans le public tes menées côntre" révotutionnaires dont Marie-Antoinette était rame, ce qui augmentait encore la colère et les haines qui s'accumulaient tous les jours auteur des Tuileries. (t) MA))m<-e< de ~f-" de Campa..


BatSMM nmMtTM.

xm

ROLAND ACCEPTE LE MINISTÈRE

DwnMurM vtent annoncer Rotand. M nomiaatton. MauvatM Impression de M** Rotand. Les autres ministres. –L'tnMrieur desconsetttdu nouveau ministère. Les baVardtses. Les dlners de MI- Roland. Comment elle t'tmmtMe dans les affaires. Dumouriez lui tama cour. Lettre des dames patariotas de Nantes. Les hommes

enttérs.

Le vendredi 23 mars, DumottB~ez sortant du conseil, M rendit dans la rue Saist-Jacques, monta ies quatre otages conduisant au nitodeste appartement occupé par Roland et, pénétrant dans le salon, il ~'avança vers le maître de !a maison en lui serrant a<ïectueusemenHes mains:

Mon collègue, lui dit-il en entrant, je vous salue ministre de l'intérieur

Il était onze heures du soir Dumouriez fut invité & prendre le thé que servit la belle M"" Roland ellemême, Brissot assistait à cette entrevue. Dumouriez parla des sincères dispositions du roi à soutenir la constitution et de l'espérance de mettre < la machine bien en jeu t dès que le conseil n'aurait qu'un même (1) <M))e<n~ de if" Roland.


esprit il témoigna sa satisfaction particulière de voir appeler au gouvernement un patriote vertueux et éclairé tel que Roland. Brissot observa que le départeinent de l'intérieur étant le plus déticat, la nomination de Roland était une garantie pour les amis de la liberté.

Mme Roland ne prit aucune part à la conversation, mais lorsque Dumouriez, qu'elle avait attentivement observé, le voyant pour la première fois, fut parti elle dit à son mari

Voilà un homme qui a l'esprit délié, le regard faux et dont peut-être il faudra se déCer, ptus que de personne au monde it a exprimé une grande satisfaction du choix patriotique dont il était chargeas faire l'annonce mais je ne serais pas étonnée qu'il te fit renvoyer un jour*.

Roland trop satisfait de son élévation ne voulut pas s'arrêter aces prédictions qui ne devaient pas ta!derà seréatiser.Dès le lendemain, il se rendit aux Tuileries où son costume simple scandalisa toute la maison le nouveau ministre portait un habit la -fi-ançaise, un chapeau rond et des souliers simplement attachés avec dès cordons sans boucles ni rubans'; c'était le renversement de toutes les lois de l'étiquette. Le maître des cérémonies s'approcha de Dumouriez d'un air inquiet, le sourcil froncé, et montrant Rotand du coin de Foeit dit d'un air navré

Ëh monsieur, point de boucles à ses souliers J Ah! monsieur, tout est perdu, :répliqua Dumouriez avec un sang-froid ironique 9.

(t) iM)M<n)t <<< M-' Roland.

(!) iMmotr~.R-n-t~M. Mémoires A- M"* Ne&MtA


Le jour mémo. Louis XVI signa la nomination des autres ministres, deux personnages insignifiants Lacoste et Duranton, l'un à la marine, l'autre à la justice. Dumouriez voulant avoir la haute main et la haute influence, fit désigner pour la guerre un homme sans importance, de Grave, qui ne tarda pas à perdre la tête dans les fonctions importantes dont il était chargé à ce point, qu'au bout de deux mois, il oublia sa qualité dans les signatures et ne sachant plus ce qu'il faisait signa Maire de Paris

Le meilleur choix, avec celui de Roland, fut celui de Clavière, financier très habile et très honnête, et qui désirait depuis longtemps devenir ministre dès finances on raconte qu'en 17RO passant devant l'hôtel du ministère des finances il dit

Le coeur me dit qu'un jour j'habiterai cet hôtel~.

Aussitôt constitue, le nouveau cabinet se mit à la besogne. Les conseils se tenaient de la façon suivante chacun des ministres qui avait à faire signer des pièces- particulières à son département et sur lesquelles il n'y avait pas de délibération à prendre, se rendait chez le roi avant l'heure du conseil, pour ce petit travail tout matériel. Ensuite tous les ministres se réunissaient dans la salle du conseil là, on sortait des portefeuilles les proclamations sur lesquelles il fallait (t) Affirmé par un témoin, Etienne Dumont, que cite Louis Blanc en note, t. VI, p. 303.

(2) Id.


discuter te ministre de la justice présentait les décrets de l'Assemblée à la sanction, et enan la délibération commençait le roi y prenait peu de part et sa présence était seulement pour la forme car, la plupart du temps, pendant que ses ministres échangeaient leur manière de voir, Louis XVI lisait les gazettes et de préférence les journaux anglais, ou bien il écrivait des lettres. Il ne sortait de son indifférence que lorsqu'on lui demandait de sanctionner un décret cette sanction, il ne la donnait pas facilement sans refuser, il n'acceptait jamais à première présentation et remettait toujours au conseil suivant~ it en parlait à Marie-Antoinette avec qui il prenait un parti et reve- nait avec son opinion faite dont il ne voulait point démordre. Quant aux graves questions, it en é!udait la solution en détournant ia conversation par des coltoques avec chacun des ministres. A propos de la guerre, il parlait de voyages à propos des pourparlers diplomatiques entamés, il s'entretenait sur les mœurs des différents pays, ou posait des questions sur les localités dont les noms venaient dans la- causerie. Si l'on examinait la situation intérieure, Louis XVI s'étendait des heures entières sur des questions d'industrie etd'agriculture; quand Roland émettait des idées, it le questionnait sur ses ouvrages et quand Dumouriez insistait pour s'occuper des affaires de son département, le roi le poussait pour lui faire raconter des anecdotes, le sachant intarissable dans ce genre, « Le conseil n'était plus qu'un café où l'on a'amusait à des bavardises On passait ainsi trois ou quatre heures (t) 2«ttt<Mf<t de ~-< thXaod.

C!) td.


sans avoir rien fait que donné quelques signatures. Cette inactivité et tout ce temps perdu irritaient M*" Roland qui gourmandait souvent son mari, quand, à l'issue de ces réunions, elle se faisait rendre compte de ce qui s'était passé.

Mais c'est pitoyable, s'écriait-elle impatientée, vous êtes tous d'assez bonne humeur parce que vous n'éprouvez point de tracasseries, que vous recevez même des honnêtetés vous avez l'air de faire, chacun dans votre ministère, à peu près ce que vous voulez, mais j'ai bien peur que vous ne soyez joués. Cependant, objectait timidement Roland, les affaires vont.

Oui, et le temps se perd, ripostait l'énergique femme qui était la vraie cervelle du ministre de fin" térieur. Dans le torrent de ces affaires,qui vous entrai.nent, j'aimerais mieux que vous employassiez trois heures à méditer solitairement sur les grandes combinaisons,quede les dépenser en causeries inutiles II y avait conseil quatre fois par semaine; M"' Roland qui désirait se mêler le plus possible aux discus. sions soulevées par les graves questions à traiter fit proposer par son mari aux autres ministres de manger ensemble chez l'un d'eux, le jour des séances. Cette idée fut acceptée et les ministres se réunirent chez Roland tous les vendredis de cette façon Mme Roland, qui naturellement présidait ces dîners, pouvait donner son avis sur les questions qui venaient d'être traitées dans le conseil de la veille ou qui allaient l'être dans celui du soir.

(t) ~txeb-M <fe Jf" Roland.


M"* Roland, intelligente, jeune et belle devint pour ainsi dire l'âme du conseil, et lui imprima, les premier)} jours, l'impulsion et l'influence qu'elle recevait elle-méme des Girondins. Dumouriez s'aperput de suite de cette influence, fit semblant de se laisser guider avec le secret espoir de la captiver par ses charmes et de la dominer à son tour il commença immédiatement sa cour, mais les avances du jeune général ne séduisirent pas la femme remarquable qui cherchait avant tout les qualités de l'esprit et qui résista toujours aux avances fades. Du reste tout en reconnaissant à Dumouriez de l'habileté et de la bravoure elle le trouvait roué, très spirituel mais sceptique, se moquant de tout hormis de ses intérêts.

Dumouriez ne tarda pas à s'apercevoir de l'effet qu'il produisait sur Mme Roland et, sans en rien laisser paraître, il se tourna du côté de Louis XVI dont il résolut de s'emparer afin d'accaparer toute l'influence et d'être à lui seul le ministère et le véritable roi.

Le nouveau cabinet fut bien accueilli par les patriotes et, en dépit des réserves de quelques-uns, on ne voulut pas voir ses défauts, presque tous ne s'attachèrent qu'aux promesses qu'il laissait concevoir. Les dames patriotes de Nantes envoyèrent à Dumouriez, le lendemain de sa nomia&tMn, la lettre suivante

« Citoyen Ministre,

« Tu te souviens que nous t'onrtmea une couronne civique le jour où tu vins nous donner des preuves de


ton patriotisme dans la société des amis de la Constitution de Nantes. Tu la reçus en disant que tu ne l'avais pas encore méritée, mais que tu ferais tout pour t'en rendre digne. Voici l'instant de la preuve ou nous t'arracherons cette couronne que nous t'avons donnée, ou nous t'en donnerons une autre. « LescttoyeMMespcctWotescteJVctMtes t Dumouriez répondit en promettant tout ce qu'on pouvait attendre, bien décidé à ne rien tenir. A la cour, on espérait que Louis XVI en prenant des hommes d'opinions républicaines mais aussi incapables qu'exagérés allait p<Tdre à tout jamais le parti dans lequel il les avait choisis. La contre-révolution se réservait encore une désillusion. Dans l'entourage de Marie-Antoinette on appelait les nouveaux ministres < Le ministère des sans-culottes. ? »

Ce qui faisait dire à Dumouriez avec son esprit un peu libre d'allure

Ces dames prétendent que nous sommes sansculottes elles s'en apercevront d'autant mieux que nous sommes des hommes entiers

Ce fut cette semaine, le ~6 mars, que fut achevée la construction de la première guillotine exécutée sur les plans du docteur Guillotin. Voici à ce sujet le curieux mémoire de fournitures établi par le charpentier lui-même et qui nous donne le montant du prix de la sinistre machine.

()) ~e Patriote /t'an;'aM, no 991. (3) JMmon'et de Dumouriez.


< Premièrement, la charpente de <<t machine <r~ soignée << celle de l'échafaud sur lequel eHe sera posée t.500 Pour fMM<t~' dudit A&t/eM~ et ses dépendances 000 Pour ~<t ferrure du <m< 600 Pour trox trdtteAotr~ 300 Pour les poulies et les rainures en eu ivre de fonte 300 Pour le mouton e't fer /'M'~ 9CO ~tfon du tout, e-cp~tefeet réitérésa, temps, vacations et conférences y re~Heet. i.MO Plus, te modèle en petit, servant <i /<t démonstration afin d'éviter, autant que possible les ~~emM<t, les prévenir polir la g.'ande machine et prouver fe'ftdetM'e. t.MO Pour les cordages 60 Total gédral 5.660

OBSERVATION

Si !M dépenses paret'M<n< un peu fortes, on observe que celles qui pourraient dire construites tMf cette prtmière reviendraient Haucoup moins cher, toutes difficultés étant ~et~M, tant pour t'e.!?<te«<t«<< des dé.pe"M< quepour les évènemnts a re<:«/!M' <'<< y a <«« »

Le journal de Prudhomme propose d'inscrire sur la guillotine les deux vers suivants de Malherbe Et la garde qui veille aux &arr<« du ~ottffe

N'en j;afatt<t<~)atto< rot*.

La nouvelle machine va fonctionner à peine construite et la foule courra à ce spectacle nouveau comme elle court aux représentation de M"* Lange qui débute cette semaine dans la tragédie en jouant Armenaïde

Un banquet populaire préludait aux fêtes publiques ordonnées l'année suivante par la Convention. Un grand nombre de défenseurs de la Bastille, d'habitants du faubourg Saint-Antoine, de membres (i) Guillotin et ta guillotine, p. 20.

(2) f<<«M <t/)!<Ae<, maM <732.


de l'Assemblée nationale et de Jacobins s'étaient rendus à la Halle-Neuve d'où on partit pour les ChampsElysées, lieu du repas civique, au son du tambour et de la musique et précédés du bonnet de la liberté porté au bout d'une pique aux couleurs nationales. Le repas fut plein d'entrain, d'animation et de gaîté. Les forts de la halle qu'on appelait les forts pour la patrie jurèrent dévouement et fidélité à la Révolution. Vers la fin du repas Pétion, le maire, fit une courte apparition, il fut reçu par de frénétiques applaudissements. Un convive entraîné par son enthousiasme avivé par la fin du diner jura Sdélité au a maire chéri. B

Citoyens, s'écria Petion, ce n'est pas à un homme que vous devez jurer fidélité, c'est à la nation, c'est à la constitution'.

Après le repas, les convives, toujours précédés de la musique, se rendirent au club des jacobins où ils entrèrent en chantant le Ça ira 1 Pendant que les membres du club les recevaient par des applaudissements cadencés vulgairement désignés sous le nom de a ban B, Santerre s'avança vers le bureau et prononça le discours suivant

Les vainqueurs de la Bastille et les forts de'la halle se sont réunis aujourd'hui pour la première fois. Leur fête était incomplète il leur manquait la présence de la Société des jacobins. Nous sommes fâchés de vous avoir interrompus, mais notre plaisir est au comble.

Le cortège défila devant le bureau pendant que la (1) Le Patriote français.

(2) Le journal des jacobins.

(2) ~e joMfH<t< de< ~ftCoMat.


musique jouait l'air où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille!'

Dans le défilé on remarquait le marquis de SaintHuruge mêlé aux forts de la Halle et, comme eux, portant un chapeau blanc. Fauchet, évoque du Calvados, le Procureur de la commune Manuel défilèrent aussi mêlés aux vainqueurs de la Bastille

La fête se termina par un baptême.

La veille, la femme d'un tambour du faubourg SaintAntoine était accouchée d'une fille Fauchet baptisa l'enfant qui fut tenue sur les fonts baptismaux par le député Thuriot et la Htte d'un député, M"" Calon La petite fille fut nommée Pétion-Nationate-Pique le père prêta le serment civique en son nom. Les fonts baptismaux avaient été recouverts d'un drapeau tricolore et la cérémonie se termina par un diner offert par Santerre au père, au parrain, à la marraine, à Fauchet et à plusieurs patriotes en vue

(i) Le Journal de. Jacobins.

(2) CtMtt (Etienne-Nicolat de), député de rOftt, fit! d eranotHer! en d726, mort à Part* en 1807; il était «~«er a'<<o(-tM;'o)' et e)temi<er d< SaM<-t.<M<M «MM«a Mm<<t<fe<t! <a«d<o Convention, il ««apeuré mer<; Hootm~e~ttO'a) de brigade, « /'«( mis à !<t fetratM MMt ie CoM«<a<.

mort; nommf pfnérad de brigade, it fut mia d la retraite sous le Conaulai.

(3) Le Patriote /r<t'!f<nt.


Du i" au 6avtUi79!

XIV

ENTREVUE DE LA REINE ET DE DUMOURIEZ Narbonne se justifie devant l'Assemblée. Marie-Antoinette évite Dumouriez.-Elle lui accorde un rendez-vous. La reine pleure. Dumouriez est ému. Conversation. Implicite de la reine. Elle dévoile les plans de l'armée française aux Autrichiens. Louis XVI derrière les persiennes. Le roi et la reine jouent au billard.

Depuis le départ de Narbonne du ministère, l'ancien constituant Dubois-Crancé, lieutenant-colonel à l'armée des Pyrénées-Orientales, avait dressé une accusation contre lui,le rendant responsable d'avoir laissé la ville de Perpignan sans défense. Fauchet, au nom des comités militaires et de surveillance, conclut à la non culpabilité de Narbonne, profitant de l'occasion pour < rendre justice à un ministre ayant déplu aux courtjsans par sa franchise, par l'accent de la liberté, en deux mois, plus que les autres en deux ans ]t. Pour compléter cette justification, Narbonne lui-même parut à la tribune et développa les conclusions du rapport de Fauchet; vivement applaudi, l'ancien ministre, brutalement congédié par Louis XVI, se retira au milieu des félicitations et des bravos. Le 6 avril, les Girondins firent rendre un décret


prohibant le port public de l'habit ecclésiastique Fauchet qui était dans la salle prit alors sa calotte et la mit dans sa poche.

Pendant ce temps le successeur de Narbonne, Dumouriez, essayait de conquérir Louis XVI qu'il tâchait de séduire par sa bonhomie et par les rédactions à la fois hardies de forme, prudentes de fond de ses dépêches. En parcourant les projets du ministre, Louis XVI s'écriait avec une naïveté qui n'était peut-être pas sans dissimuler une arrière-pensée

On ne m'a jamais rien montré de tel Mais la reine, celle qui an fond menait tout le parti de la cour, semblait fuir Dumouriez, qui comprenait combien son pouvoir serait illusoire s'il na parvenait pas à se rapprocher de Marie-Antoinette; aussi mit-il un soin tout particulier à lui faire sa cour la reine avait beau affecter d'éviter le nouveau ministre, celui-ci se montrait empressé, ne perdant aucune occasion de gagner les sympathies de Marie-Antoinette. En6n, un jour, à l'issue du conseil, Louis XVI annonça à Dumouriez que la reine désirait avoir avec lui une conférence particulière.

Introduit dans la chambre à coucher, il trouva Marie. Antoinette seule, le visage empourpré, très animée et marchant à grands pas. Le ministre alla se placer en silence au coin de la cheminée. La reine s'avança vers lui et lui adressa la parole d'un air majestueux et irrité

Monsieur,. lui dit-elle, vous êtes tout-puissant en ce moment, mais c'est par la faveur du peuple qui (t) Mémoires de ~«moMW<M. t. II, tiv. III.


brise bien vite ses idoles votre existence dépend de votre conduite, on dit que vous avez beaucoup de talent. Vous devez juger que ni le roi ni moi, ne pouvons souffrir ces nouveautés, ni la constitution. Je vous le déciarè franchement, prenez votre parti. Dumouriez, attaché son idée de gouverner en dirigeant la volonté du roi et en s'appuyant sur le peuple dont il avait été solliciter la protection au club des Jacobins te jour de son entrée au ministère, essaya de démontrer que le salut de la monarchie était attaché à la constitution.

Vous êtes entourés d'ennemis, dit-il, ils vous sacrifient à leurs propres intérêts. La constitution seule peut, en s'affermissant, vous couvrir et faire le bonheur et la gloire du roi.

Cela ne durera pas, prenez garde vous, interrompit la,reine en colère

Dumouriez crut comprendre que Marie-Antoinette faisait allusion aux menaces de mort que les aristocrates avaient répandues contre les patriotes. Madame, expliqua-t-il, j'ai plus de cinquante ans ma vie a été traversée de nombreux périls, et en prenant le ministère, j'ai bien réfléchi que la responsabilité n'était pas le plus grand de nos dangers. Ces paroles frappèrent en plein cœur la fille de Marie-Thérèse.

ïl ne manquait plus, a'écria-t-elle douloureuse(t).Mm<)trt'<<eDtH)tOMnM.


ment, que de me calomnier. Vous semblez me cr~M capable de vous assassiner.

Et faiblissant elle se mit à pleurer elle apparut a!ors à Dumouriez avec cette grâce qu'elle avait quand la reine redevenait femme, grâce rehaussée encore par les larmes qui rendent toutes les femmes si intéressantes. Le soldat se sentit ému, il était vaincu.

Dieu me préserve, madame, de vous faire une injure aussi grave. Votre âme est noble et grande et Fhéroïsme que vous avez montré dans tant de circonstances m'a pour jamais attaché à vous.

Plus calme, elle s'approcha de lui et s'appuya sur son bras, lui contant ses souffrances d'épouse et de mère et ses malheurs de reine. Puis à travers une croisée entr'ouverte, et montrant de la main la cime des arbres des Tuileries Voyez, lui dit-elle, prisonnière dans ce patais, je n'ose me mettre à ma fenêtre du côté du jardin. La foule, qui stationne et qui épie jusqu'à mes larmes, me hue quand j'y parais. Hier, pour respirer, je me suis montrée du coté de la cour, un canonnier de garde m'a apostrophée par une injure infâme. « Que j'aurais de plaisir, a-t-il ajouté; à voir ta tête au bout de ma baïonnette » Dans cet affreux jardin on voit, d'un côté, un homme monté sur une chaise, vociférant les grossièretés les plus odieuses contre nous et menaçant du geste les habitants du palais de l'autre côté un militaire ou un prêtre que la foule ameutée traîne au bassin en les accablant de coups et d'outrages. Pendant ce temps-là, et à deux pas de ces scènes sinistres, d'autres iouent au ballon et se promènent


tranquillement dans les allées. Quel séjour) Quelle vie 1 Quel peuple! 1

Dumouriez pat croire quece tableau n'était pas exagéré, il se garda dans tous les cas de contredire la reine et profita de ce moment pour lui donner les conseils qu'il désirait lui faire parvenir depuis si longtemps

Croyez-moi, madame, je n'ai aucun intérêt à vous tromper, j'abhorre autant que vous l'anarchie et ses crimes, mais j'ai de l'expérience, je vis au milieu des partis, je suis mêlé aux opinions, je touche au peuple, je suis mieux placé que Votre Majesté pour juger la portée et la direction des événements. Ceci n'est pas un mouvement populaire comme vous semblez le croire, c'est l'insurrection presque unanime d'une grande nation contre un ordre de choses invétéré et en décadence. De grandes factions attisent l'incendie, il y a dans toutes des scélérats et des fous. Je ne vois, moi, dans la Révolution que le roi et la nation. Ce qui tend à les séparer les perd tous les deux. Je veux les réunir. C'est à vous de m'aider. Je suis un obstacle à vos desseins et si vous y persistez, dites-le moi, à l'instant je me retire et je vais dans la retraite gémir sur le sort de ma patrie et sur le vôtre.

Dumouriez continua, ajoutant qu'il avait enfoncé le bonnet rouge jusque sur ses oreilles mais qu'il n'était ni ne pouvait être jacobin; qu'on avait laissé tomber le pouvoir jusqu'à cette canaille de désorganisateurs capables de tout. En parlant avec une chaleur extrême, il s'était jeté sur la main de la reine, la baisant avec transport lui répétant


Laissez-moi vous sauver 1 Laissez-moi vous sauver"

Marie-Antoinette parut se laisser convaincre et Dumouriez partit croyant que la fin de la conversation avait établi entièrement la confiance de la reine 2. »

Dumouriez se trompait sur le résultat de cette entrevue quelques moments après la sortie du ministre, ia reine résumait à M°" de Campan ses impressions disant

L'on ne peut croire aux protestations d'un fraitre d'ailleurs toute sa conduite est si bien connue que lé plus sage est sans contredit de ne pas s'y fier. Du reste les princes étrangers recommandent essentiellement de n'avoir conSanco aucune proposition de l'intérieur; les forces du dehors deviennent imposantes, il faut compter sur le succès des armes de nos bons frères d'Autriche et de Prusse et sur la protection'de Dieu

Le surlendemain de cette visite l'aimable et douce reine qui Avait pleuré en s'appuyant sur'le bras de Dumouriez et en maudissant les vociférations de quelques exaltés mêtés à la foule encombrant le jardin des Tuileries, écrivait à son « bon frère d'Autriche < ces lignes que nous retrouverons sur la table du tribunal révolutionnaire

« M. Dumouriez a le projet de cotMMM~cef ici le premier par une attaque de la Savoie et une autre

(!) J~~M~t de M"* Campée. (9) ~<'t<M)<M< <<eDtonoMr~t.

(3) ~e<M')u'M de M*" de Campan.


par !e pays de Liège. C'est ï'œmtee de La fayette qui doit servir à cette dernière attaque. Voici le résultat du conseil d'hte)' il est bon de coKtMHti<e le projet pour se tenir sur ses gardes et prendre toutes tes mesures convenables ? »

Marie-Antoinette connaissait tous les détails des résolutions prises, par les confidences de son mari et elle livrait aux ennemis les plans de l'armée française; l'Autrichienne se faisait l'espionne de l'Autriche et de la Prusse.

Le roi continuait à passer son temps à lire la foule des journaux et des pamphlets qui inondaient chaque matin la capitale. Après cette lecture, il soupirait et souvent il s'emportait en frappant du pied. Entendant crier le Père Du chêne il disait avec humeur Ce drôle finira par se taire, comme tant d'autres*.

Au moindre bruit dans le jardin, vite il courait au petit cabinet situé au rez-de-chaussée, à l'angle du pavillon du centre; ce cabinet avait deux croisées étroites dont les persiennes étaient toujours fermées, Louis XVI se plaçait là en observation, pouvant voir ainsi et entendre tout ce qui se passait. Par des indiscrétions des gens de la petite domesticité, les habitués du jardin avaient fini par apprendre cette particularité on savait que LouisXVI était là et on s'amusait à venir luf en débiter de toutes sortes on y chantait les chansons révolutionnaires la Cc~Mc~ote, le Veto, le Ça ira. Le roi écoutait tout et se contentait, en rentrant, de dire avec douleur

(1) Dtttott-Cranc~, par le colonel Yung.

(2) Momm<te<.pe)M~<M.<K<)5 TV~.


Comme on trompeté peuple Comme le peuple est trompé'!

Privé de la chasse depuis qu'il était à Paris, le roi ne se délassait qu'en s'amusant à composer des plans d'architecture et des cartes de géographie; il laissait même rouiller ses limes et ne se servait presque plus du marteau, il s'était contenté d'organiser dans une des pièces du rez-de-chaussée un atelier provisoire. Quetque~is il prenait de l'exercice en faisant des parties de billard, mais comme il mettait beaucoup d'amour-propre à gagner et qu'il était maladroit à ce jeu, il perdait souvent et se dégoûtait facilement. Je renonce à ce maudit jeu, disait-il, je n'y joue pas bien et tous les coups du hasard sont contre moi 2. Marie-Antoinette qui jouait bien mieux que lui courait souvent après le roi, le ramenait au billard et le laissait gagner pour le consoler.

(!) M't.e'NtM et pensées de LoMtt XVI.

(2) Id.


Du 7 au i3 ~wM M9t

XV

NOUVEAUX JOURNAUX

Situation pécuniaire de la cour. Le ministre TtoTand subventionne la Se)tM'xH<. Réapparition de t'Ann <htj«Mph. t,< MhttM des p<t<We«t. Camille t)asmouiins avocat. Il se brouille avec Briasot.–Situation pécuniaire de CamiUe.– Robespierre journatiate< tt donne sa démission d'ateueateur publie. Le D<~MMw <b C<Mt«««<&M).

La situation pécuniaire de la cour était loin d'être brillante La reine épuisait toutes les ressources possibles pour envoyer de l'argent aux émigrés. La ptus grande partie de la liste civile passait en achats de députés, achats sur lesquels Louis XVI comptait beaucoup' il fallait encore parer aux frais de la police particulière de la cour et aux subventions accordées aux journaux contre-révolutionnaires. Le Toi n'aimait pas avoir des assignats en portefeuille, il préférait les louis ou. les pièces d'argent, aussi faisait-il échanger le papier contre le numéraire, mais c'était toujours en tremblant d'être découvert.

Je ne puis avoir dix louis à ma disposition, di(t) JMMfotM et pen~M d< Zoutt XVI, p. 20!.


sait-il, car si on découvrait que je cherche à me procurer de l'or, on me soupçonnerait de vouloir m'évader peut-être même m'accuserait-on de monopoliser le numéraire dans l'intention d'avilir les assignats 1. Les ministres et Roland principalement ne tardèrent pas à s'apercevoir que la cour d'accord avec l'Autriche trahissait nos armées. Pour combattre ces influences et dévoiler ces complots, le ministre de l'intérieur créa un journal appelé la Setttt~eHe, dont il faisait les frais et dont la rédaction fut confiée au jacobin Louvet l'auteur du Chevalier de jFToMtMas et l'ennemi de Robespierre la Sentinelle était un journal affiche qu'on placardait tous les matins sur les murs de Paris plusieurs numéros, répandus dans tesdépartements,furenttirésàitingtmiMeexempIaires. Deux des feuilles indépendantes firent aussi leur réapparition cette semaine Marat reprit l'Ami du peuple et Camille Desmoulins ressuscita les ~!<~otttttOtM t!e France et de BfO[&c[Mf qui il donna le titre de l'Orateur du Peuple. Les deux journaux de Marat et de Desmoulins avaient disparu quelques jours après les massacres du Champ-de-Mars. Marat, le ~5 décembre précédent, pris de découragement, avait suspendu sa publication et s'était retiré à Londres pendant trois mois il garda le silence. Dans le courant de mars 1792, il publia le prospectus de !'Eco!e du ci.tot/ett, ouvrage qui devait avoir deux volumes et qui devait contenir le résumé des idées politiques précédemment exprimées par Marat. « Les lecteurs qui

(1) ifa.ctmM~pM.MfMA Lc<<<t .TV/,p. 202. (2) M~M<fe«!e~.9MW<,


n'ont pu se procurer t'Ami du peuple, dit lé programme, seront flattés d'en trouver les morceaux les plus saillants dans l'Ami du Citoyen. )1

Le club des Cordeliers se chargea de distribuer le prospectus il le fit accompagner de l'avis suivant < Les sociétés patriotiques de la capitale ayant bien senti, depuis la suspension du journal intitulé l'Ami du PeMp~e, par les persécutions inouïes exercées contre l'auteur, que la patrie manquait de son défenseur le plus zélé et le plus ferme, viennent dese réunira celle des Cordeliers pour inciter Marat à reprendre !a plume. Convaincus que tout le bien qu'on a le droit d'attendre de ce journal, si redouté des ennemis de la liberté, ne pourra s'opérer qu'autant qu'il -sera répandu dans le royaume entier, elles ont désiré qo'& commencer à la reprise il fût proposé par souscription et au plus bas prix possible <. »

L'Eco!e du citoyen ne fut pas publiée, mais !Mtt du Peuple reparut le 12 avril â son 672" numéro et pendant toute la première semaine le journal imprima en tête cet arrêté du club des Cordeliers.

Camille Desmoulins reprit aussi la plume il s'associa à Fréron, président du Club des Cordeliers, et fit paraître la Tribune des Patriotes. Depuis le mois de décembre, Camille talonné par les besoins d'argent la dot de Lucile étant placée en rentes sur l'Hôtel de Ville tombées dans le discrédit avait es. sayé de se créer des ressources au barreau il plaida (t) L'Ami du peuple, par Vermorel.

0 Lettres de C. Desmoulins à son père.


pour le club des Jacobin& de Marseille contre le député André, mais les honoraires ne durent pas être considérables dans cette affaire toute politique et par laquelle l'avocat, à la barre, continuait la polémique soutenue précédemment dans le journal. Le gain dut être plus grand dans l'affaire de jeu pour laquelle, en janvier, il se présenta devant le tribunal correctionnel pour une dame.BeSroi et un certain Dithorbide accusés, l'une de tenir une maison de jeu dans le passage Radziwil, l'autre d'être le complice de la « brelandière ». Condamnés à six mois de prison ils furent enfermés, la femme à la Salpétrière, l'homme à Bicétre, malgré l'appel formé par eux. Desmoulins protesta contre ce qu'il appelait une violation de la loi, un Mte d'arbitraire, par une affiche où il prenait la défease des jeux avec aa mordante ironie afCrmant vérité historique incontestable que « dans les forêts de la Gaule et de la Germanie, nos pères jouaient au trente-un et au biribi leur liberté individuelle B. Ce fut ce placard qui donna naissance à la haine entre Camille et Brissot, ces deux amis d'hier qui devaient se poursuivre de leurs attaques réciproques jusque sur les marches de l'échafaud.

Brissot, dans son journalle PatWoteJ~aMcaM, attaqua ce placard comme contraire à la morale parlant deDesmoulins~sonamidelaveille, Brissot écrivit: < <~t homme ne se dit patriote que pour calomnier le patriotisme e II l'accusait d'avoir a sali les murailles avec sa scandaleuse apologie des jeux de hasard a. Camille, nerveux, irritable, riposta par une brochure (1) C'Mt«<t ~<t')M)<«)x, par Jules Claretie.


violente intitulée Jean-Pierre Brissot démasqué, dans laquelle il s'appropria le mot de < brissoter < que jusque-là seuls les royalistes avaient employé pour signiSer voler.

Le fossé se creuse entre les girondins d'aujourd'hui et les montagnards de demain, fossé que ne pourront comMer les têtes de tous ces vaillants champions de la liberté divisés souvent par de misérables questions personnelles, fossé dans lequel sombrera l'oeuvre de la Révolution tout entière.

La brochure fit grand bruit et Robespierre dut être content de voir son ennemi Brissot flagellé par cette plume si terrible de Camille Desmoulins qui demeurait toujours au n* 1 de la Cour-du-Commerce-SaintAndré-des-Arts où il avait Danton pour voisin, à l'étage supérieur ce dernier, en se rendant bras dessus, bras dessous, à quelques pas de là, au Club des Cordeliers, essayait de calmer la fougue de son jeune voisin qui subissait surtout à ce moment l'influence de Robespierre.

Toutes les colères de la vie politique s'arrêtaient à la porte du jeune ménage que Lucile enceinte de cinq mois éclairait de sa joie de la femme qui se sent devenir mère auprès d'un époux tendrement aimé. Le ménage Danton venait de temps en temps rendre visite. aux époux Desmoulins; à la table de Camille il rencontrait Brune, le futur maréchal de France, alors simple ouvrier typographe, et qui s'amusait à dessiner le portrait de Lucile. Mme Duplessis venait aussi T. rv. 8


fréquemment voir les heureux jeunes gens avec sa seconde ntle Adèle que Robespierre voulut, un moment, épouser. La gaîté rayonnait dans la maison quoique la caisse fût mal garnie ce n'était certes pas la gêne mais ce n'était plus l'aisance large des premiers mois du mariage. Camille nous apprend luimême la situation, dans une lettre intime écrite à son père qui lui demandait s'il ne pourrait pas acheter le petit bien patrimonial de Guise, ta maison où Camille, ses frères étaient nés et que les créanciers hypothécaires voulaient faire vendre. Desmoulins répond « J'ai reçu en dot 100,000 francs en contrats constitués sur la ville au dernier 4, ce qui me fait 3,000 francs de rente et 12,000 francs en deniers convertis en trousseau, mobilier et acquittement de dettes. Comment voulez-vous que dans un moment où tout est renchéri plutôt de moitié que du tiers, avec 4.000 francs de rente, je puisse acheter un bien de 30,000 fr. « Votre maison, la maison natale m'est chère personne ne connaît mieux que moi le plaisir qu'éprouva Ulysse en voyant de loin la fumée d'Ithaque, mais avec 4,000 francs qui, dans la circonstance présente, ne valent guère plus de ~,000 livres de rente, comment pourrais-je acheter une maison de 30,000 livres, surtout quand je vais tout à l'heure avoir un enfant et que je sens déjà la charge de la paternité par les frais de layette je n'ai plus dé pécule depuis que j'ai cessé mon journal. C'est une grande sottise que j'ai faite, car mon journal était une puissance qui faisait trembler mes ennemis, qui aujourd'hui se jettent lâchement sur moi, me regardent comme le lion à qut Amarillis a coupé les ongles. J'ai repris


mon ancien métier d'homme de loi, auquel je consacre à peu près tout ce que me laissent de temps mes fonctions municipales ou électorales et les Jacobins, c'est-à-dire assez peu de moments. Il m'en coûte de déroger à plaider des causes bourgeoises, après avoir traité de si grands intérêts, la cause publique à la face de l'Europe. »

Camitle essaie de ressaisir cet instrument de puissance qu'il avait laissé échapper et il fonde avec Fréron la Tribune des patriotes qui, loin de retrouver le succès des Révolutions de France et de Brabant, ne put dépasser le quatrième numéro.

Robespierre de son côté songe lui aussi à créer un journal il donne sa démission d'accusateur public et lance le prospectus du Défenseur de la Constitution, dont -le premier numéro parut quelques jours avec la collaboration du pasteur protestant Rabaud Saint-Etienne, ancien collègue de Maximilien à la Constituante.

Dans le programme nous lisons cette phrase, indiquant le but du journal « Un seul moyen nous reste de sauver la chose publique, c'est d'éclairer le zèle des bons citoyens pour le diriger vers un butcommun; les rallier tous aux principes de la Constitution et de l'intérêt général analyser la conduite publique des personnages qui jouent les principaux rotes sur le théâtre de la révolution citer au tribunal de l'opinion et de la vérité ceux qui échappent facilement au tribunal des lois et qui peuvent décider de la destinée de la France et de l'univers »

(t) Prospectus du Défenseur de la Constitution, par Maximilien Robespierre, députe à l'Assemblée Constituante.


Robespierre ajoutait < Je n'ai pas besoin de dire que l'amour seul de la justice et de la vérité dirigera ma plume. » Il est probable que le désir bien naturel d'avoir une tribune d'où il pût s'adresser au pays ne fut pas étranger à l'apparition du nouveau journal qui du reste ne fit guère de bruit.


15 avril 1792.

XVI

RÉHABILITATION DES SOLDATS DE CHATEAUVIEUX Le 15 avril eut Heu, en l'honneur des soldats de Châteauvieux, une grande fête qui remua toute la capitale l'éclat en fut tel que les journaux patriotes purent écrire « On placera le 15 avril 179:2 à coté du 14 juillet 1789. Ces deux époques sont les plus glorieuses au peuple de France et spécialement au peuple de Paris »

Cette fête due à l'initiative de Collot d'Herbois fut la réhabilitation des soldats suisses du régiment de Châteauvieux, qui, en garnison à Nancy, s'étaient rangés du côté du peuple contre l'armée de Bouille. Les officiers avaient fait pendre le plus grand nombre de ces malheureux et, par grâce, quarante d'entre eux avaient été envoyés ramer aux galères de Brest. Quand la vérité fut connue sur les troubles de Nancy, l'Assemblée nationale s'empressa de gracier ces soldats qui avaient eu le courage de refuser de tirer sur le peuple poursuivi par les sicaires de Bouille malgré cette grâce, les quarante soldats avaient continué de ramer à Brest. Enfin Collot d'Herbois saisit le club

(t) Les B~eotxMoM <!e /'arf<.


des Jacobins de cette question l'opinion publique s'émut; finalement ils furent mis en liberté les patriotes résolurent de célébrer une fête publique à l'occasion de leur arrivée à Paris.

Les Feuillants firent tout pour s'opposer à cette manifestation André Chénier. que le peuple avait tant fêté comme poète de la liberté, se tourna contre ses admirateurs et combattit dans le Journal de Paris cette fête, oubliant toute justice et toute mesure. Son frère, Marie-Joseph Chénier, craignant d'être confondu avec l'auteur de ces articles, publia une nouvelle lettre pour éviter toute erreur à ce sujet.

André Chénier riposta disant: « je vous remercie sincèrement de m'avoir épargné l'opprobre de votre estime, et je suis fâché qu'un homme de mérite comme mon frère soit insulté par vos éloges. » André Chénier se brouilla aussi à cette occasion avec le peintre David qu'il avait quelques mois avant sacré x roi du savant pinceau et qu'il traita cette fois de <[ stupide David

Malgré toutes les colères des Feuillants et des royalistes, malgré des polémiques d'une violence incroyable, le peuple de Paris reçut les quarante soldats au milieu des transports de la joie la plus vive et la foule fut si considérable, que la circulation des voitures fut arrêtée dans la ville toute la journée. La veille, le club des Jacobins avait décidé que la fête serait dédiée à la Liberté.

Les quarante soldats arrivèrent le 9 avril leur première visite fut pour l'Assemblée où ils furent reçus admis à la barre malgré une vive opposition d'un côté de la Législative, un député, Gouvion, monta


à la tribune et, dans un discours plein d'uneincontestable fermeté, s'écria

<t. J'avais un frère bon patriote il a été requis par la loi pour marcher à Nancy avec les braves gardes nationaux; là, il est tombé percé, de cinq coups de fusil. Je demande si je puis voir tranquillement les assassins de mon frère 1

Eh bien, sortez, lui cria-t-on des tribunes. Et les soldats reçurent les honneurs de la séance. Collotd'Herbois, leur défenseur, qui les accompagnait, remercia l'Assemblée en leur nom.

Pendant ce temps, Paris préparait la fête qui devait avoir lieu quelques jours plus tard, le dimanche 15 avril.

Le cortège partit vers midi de la barrière dit Trône, près de l'emplacement où s'était élevée la Bastille on voyait Beaumarchais, au balcon de son hôtel, qui applaudissait, pendant que les sphiats le saluaient en inclinant leurs drapeaux. Sur la place de la Bastille, le Cortège défila devant une statue de la Liberté placée, le matin même, sur son piédestal. En tête venaient des groupes portant deux tables de marbre sur lesquelles on avait gravé les Droits de PHbntme suivaient les bustes de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau, de l'anglais Sidney et de Francklin. Deux sarcophages, couverts de draps noirs lamés d'argent, représentaient les cercueils des soldats massacrés à Nancy de la main même des officiers. Précédésdeleurs chaînes suspendues à des trophées et portées par des jeunes filles vêtues de blanc, marchaient ensuite les quarante soldats de Châteauvieux au-devant dp char de la.Liberté monté sur les mêmes


roues qui avaient servi à celui de l'apothéose de Voltaire.

Le char représentait sur un des cotés, décoré par David, Brutus condamnant lui-même à mort son fils vainqueur mais ayant désobéi à la loi sur l'autre côté on voyait Guillaume Tell enlevant la pomme légendaire de sur la tête de son fils sur le haut du char on avait placé la statue de la Liberté, assise, ta *a main appuyée sur une massue de la main droite elle montrait au peuple le bonnet de la Liberté sous ses pieds était un joug brisé et devant elle un autel d'ou s'élevait une fumée de parfums.

Le char était trainé par vingt chevaux blancs. Le cortège parcourut ainsi la moitié de Paris en se dirigeant au Champ-de-Mars, où commencèrent des danses et des rondes pendant que des chœurs entonnaient les chansons patriotiques.

Un des caractères de cette fête, c'est qu'elle fut organisée en dehors des autorités constituées et qu'eUe eut lieu sans le moindre désordre, sans l'intervention de la garde nationale, au milieu de quatre cent mille Parisiens donnant ce grand exemple de patriotisme et de modération.

Les Feuillants, les royalistes n'auraient certes pas mieux demandé que de pouvoir réprimer les désordres et les troubles qu'ils souhaitaient, les postes de la garde nationale avaient été dquMés et l'Etat-major n'attendait que le signal pour marcher ces précautions furent inutiles et tout se passa dans un calme admirable.


Les royalistes s'en consolèrent en chantant, dans leurs réunions, une chanson qu'ils fredonnaient dans les cafés sur l'air de .A la façon de Barbari

La haine de la nation n'avait pas sans les railleries de la superbe et grandiose fête des soldats de Châteauvieux dont les poètes aux gages de la Cour disaient

Braves Français, qu'un doux accord En ce beau jour rassemble!

Dans le plus bachique transport Buvons, chantons ensemble.

MFRA'tf

Moquons-nous de la nation,

Lafaridondaine, la faridondon, Chantons Antoinette et Louis, Mes amis,

Loin de tous les cœurs endurcis De Paris.

Buvons toujours à leur santé

En dépit du vulgaire,

Aimons aussi la liberté

Mais à notre manière.

Moquons-nous, etc.

On a tout détruit Ici-bas

Jusqu'aux droits de naissance; II faut des scélérats

Partager la~balance.

Moquons-nous, etc.

Oublions tous ces vils suppôts De la diplomatie

Et plus encore tous ces héros

De la démocratie.

Moquons-nous, etc.


Cinquante mille patriotes,

Sans bas, sans souliers, sans culottes, Les plus élégants sans gilets

Ou portant de rouges bonnets. Rebelle aux lois de l'équilibre, Un peuple sage, un peuple libre, En trébuchant criant bravo!

Ah mes amis que c'était beau'

Mais toutes ces provocations passèrent ce jour-là inaperçues, l'esprit du peupte était ailleurs; dans la manifestation de sa joie, il ouvrit à l'espérance son cœur tout ensoleillé de poésie dans un élan de contentement et de fraternité.

(i) Les Sabbats Jacobites.


Dut4M'Mav)'iH7t~.

XVIÏ

LA GUERRE EST DÉCLARÉE

Lettre de Louis XVI au roi de Bohême. Louis XVI à t'Assemblée. La guerre est déclarée à l'unanimité moins sept voix. Opinion de Marat sur la guerre. La reine espionne pour le compte de l'Autriche. Les forces militaires. La France n'est pas prête.

A l'ouverture de la séance du 14 avril, tous les ministres entrèrent dans la salle; le ministre des affaires étrangères monta à la tribune et fit part à l'Assemblée des dépêches de Vienne, arrivées dans la nuit ainsi que de la lettre écrite à M. de Noailles, ambassadeur en Autriche et dans laquelle le nouveau ministre, en annonçant son avénement au pouvoir, ordonnait à l'ambassadeur, au nom du roi, de requérir la diminution des troupes dans les provinces belges et la dispersion des Français émigrés. L'ambassadeur répondit à cette lettre en envoyant sa démission. Lecture fut ensuite donnée de la lettre suivante écrite en entier de la main de Louis XVI et envoyée au roi de Hongrie et de Bohême.

« Monsieur mon frère et neveu,

x La tranquillité de l'Europe dépend de la réponse que fera Votre Majesté à la démarche que je dois aux


grands intérêts de la nation française, à ma gloire et au salut des malheureuses victimes de la guerre, dont le concert des puissances menace la France. Votre Majesté ne peut douter que c'est de ma propre volonté et librement, que j'ai accepté la Constitution française j'ai juré de la maintenir mon repos et mon bonheur y sont attachés; mon sort est lié à celui de la nation dont je suis le représentant héréditaire, et qui, malgré les calomnies qu'on se plaît à répandre contre elle, mérite et aura toujours l'estime de tous les peuples. Les Français ont juré de vivre libres ou de mourir libres; j'ai fait le même serment qu'eux. Le sieur de Mault que j'envoie, mon ambassadeur extraordinaire auprès de Votre Majesté, lui expliquera les moyens qui nous restent pour empêcher-et prévenir les calamités de la guerre qui menace l'Europe. » L'Assemblée, après avoir applaudi la lecture de cette lettre, décréta d'accusation M. de Noaillés, ambassadeur près la cour de Vienne

La lettre de Louis XVI inspirée par un ministère désireux de provoquerla guerre fut suivie de dépêches alarmantes bientôt le bruit que la guerre allait être déclarée se répandit dans Paris. Marat essaya d'endiguer le danger mais le courant fut le plus fort et on n'écouta pas la voix de l'Ami du PeMp!e < La guerre aura-t-elle lieu ? demande Marat, tout le monde est pour l'affirmative on assure enfin que l'avis a prévalu dans le cabinet d'après les représentations du sieur Motier qui, sans doute, l'a donnée comme unique moyen de distraire la nation des affaires du de(t) ?«<«<-< p<M-!o)M)t<a~e, t. XÏV, p. 23.


dans pour l'occuper des atïaires du dehors et lui faire oublier les dissensions intestines pour des nouvelles de gazettes d'égorger les patriotes de l'armée de ligne et de l'armée citoyenne en les conduisant à la boucherie sous prétexte de défendre les barrières de l'empire s.

Marat propose un moyen d'éviter la guerre qui lui parait sûr.

c C'est de tenir en otage parmi nous Louis XVI, sa femme et son fils, sa fille et ses sœurs et de les rendre responsables des événements de dire au roi Transigez ou ne transigez pas avec les étrangers, vous êtes le maître le soin de rappeler vos frères et vos cousins rebelles vous regarde, de même que celui de les désarmer de toute entreprise hostile.~ Mais soyez sûr qu'à la nouvelle certaine du premier corps qui aura franchi les frontières, votre tête coupable roulera à nos pieds et que votre race entière sera éteinte dans le sang

Les événements deviennent plus graves d'heure en heure et, le 19 avril, le ministre des affaires étrangères apporte à t'Assetnbtée le billet suivant dont le président donne lecture

« Je bous prie, monsieur le Président, de prévenir t'AsseMtb~e que je compte tM'</ rendre detKaw M tMtctt.

« LoutS. »

H) L'Ami du peuple, n' 63t.

(!) M., n° 639.

T. IV. 9


Le duc de Noailles retire sa démission et le 19 avril, à la presque unanimité, la Législative rapporte le décret d'accusation contre l'ambassadeur.

Le lendemain 20 avril, les députés venaient à peine de prendre place qu'un huissier annonça

Messieurs, voilà le roi 1

Tous les députés se lèvent, le roi entre entouré de tous ses ministres et va prendre place sur le fauteuil à la gauche du président il s'assied, les ministres s'asseyent après lui en demi-cercle derrière Louis XVI, les députés restent debout. Le roi prononce ces quelques paroles

Je viens au milieu de l'Assemblée nationale pour l'entretenir d'un des objets les plus importants dont elle puisse s'occuper. Mon ministre des affaires étrangères va vous lire le rapport qu'il a fait à mon conseil sur notre situation politique.

Le ministre donne lecture de ce rapport concluant à ce que la guerre fût déclarée à l'Autriche. Le roi prit alors de nouveau la parole

Vous venez d'entendre, dit-il, le rapport qui a été fait à mon conseil. Les conclusions y ont été adoptées unanimement. J'en ai adopté moi-même la détermination. Elle est conforme au voeu plusieurs fois émis par l'Assemblée nationale et à celui qui m'a été par plusieurs citoyens de divers départements. J'ai dû épuiser tous les moyens de maintenir la paix. Maintenant je viens, aux termes de la Constitution, vous proposer formellement la guerre contre le roi de Hongrie et de Bohème.

La voix de Louis XVI était sensiblement altérée en prononçant ces paroles; on sentait que le malheu-


reux monarque prenait une décision contre ses désirs et contre sa volonté'. Il sortit de la salle au milieu de quelques applaudissements et de rares cris de vive le roi 1

Il était une heure et demie, l'Assemblée s'ajourna à cinq heures du soir.

Le soir, la discussion s'ouvrit immédiatement sur la proposition du roi, les ministres assistaient à la séance Pastoret traduisit l'avis de la majorité quand il s'écria 1

Il est temps que l'on voie une grande nation déployer tout son courage et toute la force de sa volonté pour défendre sa liberté, c'est-à-dire la cause universelle des peuples. Oui, la liberté va triompher ou le despotisme va nous détruire.

C'est en vain qu'on veut demander le renvoi de la discussion à trois jours soixante-douze heures de réflexions paraissent un délai beaucoup trop long à l'impatience qui anime l'Assemblée on interdit la parole à quelques orateurs voulant parler contre la guerre. La proposition du roi est votée par acclamation, à la presque unanimité, au milieu des cris de joie et des applaudissements des tribunes.

Seuls Théodore Lameth, Jaucourt, Dumas, Gentil, Baërt, Hua et Becquet votèrent contre le décret en tout sept opposants l

Donc la guerre était déclarée le soir même une (t) Deftte'rot années du règne de Louis XVI, par Hue, p. 268. (2) Histoire pardemenlaire, t. XtV, p. 53.


détégation venait, à onze heures, soumettre le décret à la sanction du roi.

Marie-Antoinette s'empressait d'écrire à MercyArgenteau, ambassadeur d'Autriche, le résumé des décisions prises

De son côté Montmorin, l'intime confident de reme, faisait écrire par M*" de Baumont au même Mercy:

< Les véritables efforts se porteront sur le pays que vous habitez. Ce sera l'armée de M. Lafayette qui agira d'abord sur Liège, où l'on compte sur une insurrection de là, elle entrera dans les Pays-Bas où l'on compte sur les mêmes moyens. Je crois qu'il n'y a rien à craindre du côté de l'Alsace Luckner radote complètement, et l'armée conduite par MM. de Valence et de Broglie n'est pas capable de !a moindre opération B

Ainsi c'était du boudoir même de Marie-Antoinette que partait l'espionnage en faveur des ennemis et les indications sur les plans concertés. en conseil des ministres, sur les forces de nos armées qui, malheureusement, comme on le disait, étaient hors d'état de soutenir la guerre à ce moment.

L'armée active se composait de cent mille hommes seulement dont soixante-cinq mille à peine étaient d'anciens soldats on pouvait ajouter, il est vrai, un effectif de quatre-vingt-dix mille gardes nationaux ou volontaires, mais tous inhabiles et inexpérimentés (t) Documenta publiés par le colonel Yung dans DtftoM Cf.M~, t. 1, p. 250.

(.!)Id.,p.250.

(3) BottapaWe << tox temps, par te colonel Yung, 1.1, p. )69.


Quelques jours plus tard, le ministre viendra dire à la tribune de t'Assemblée « Nous possédons sur la toile 90,599 hommes répartis en quatre armées et 67,915 hommes dans les places. »

Heureusement le peuple avait au coeur le courage, le dévouement et la foi, et quand une nation possède ce triple ressort il ne faut jamais désespérer. Comme l'a écrit en effet l'âpre philosophe socialiste, e une nation si corrompue qu'on voudra ne périra pas tant qu'elle conservera dans son cœur cette flamme justicière et régénératrice du droit de la guerre. Car la guerre que la bancocratie et la boutique affectent de prendre pour de la piraterie est la même chose que le droit et la force indissolublement unis. Otez à une nation qui a enterré toutes ses croyances Cette synonymie, elle est perdue 1. »

A cette époque, la France trahie par la reine qui espionnait pour l'Autriche, écoutant aux portes de la chambre où les ministres tenaient conseil, la France ~follement engagée par des chefs inhabiles se sauva à force de courage, de foi en elle-même et d'amour pour la liberté 1

Ce fut cette semaine, le 17 avril, qu'eut lieu, dans une cour de Bicêtre, )e premier essai de la guillotine; il tombait une de ces petites pluies froides et légères qui semblent envelopper Paris d'un crêpe gris. Six .ouvriers charpentiers sous la direction d'un contremaître, nommé Guidon, dressaient la lugubre machine. Le docteur Pinel et Cabanis étaient là se faisant expliquer les rouages par Guidon qui riait, appelant l'ins())~ftP~e<iaeMetT<,parP.-J.Proudhon.


frumentde supplice sa demoiselle, parce qu'elle était vierge encore. Dans un coin de la cour se tenaient quatre hommes attendant que les travaux fussent terminés, c'étaient Charles Louis Sanson, le bourreau de Paris, accompagné de son fils et de ses deux aides. Guillotinarrive un momentaprès etderrièretuiunchariot à bras traîné par un portefaix. Le chariot contenait trois sacs, les trois sacs trois cadavres envoyés par la direction des hospices.

Allons commençons, ordonna le docteur Guillotin, nerveux et pressé suivant son habitude. Sanson, son fils et ses trois aides s'emparèrent d'un des cadavres et le couchèrent sur la bascule; on fit jouer le bouton, le couperet s'abattit et la tète du cadavre roula sur le pavé de la cour Guillotin félicité par les assistants se frottait les mains de contentement.

L'essai renouvelé Sur tes deux autres cadavres réussit avec un égal succès.

La nouvelle de cet essai se répandit vite dans Paris et, devant l'impatience du peuple, le capitaine de gendarmerie nationale demanda que la nouvelle machine entrât en fonctions dès la semaine suivante, ce qui lui fut accordé, et le 25 avril ~792, on décapita un assassin, nommé Nicolas -Jacques-Pelletier, condamné à mort pour avoir tué un particulier à coups de couteau et lui avoir volé son portefeuille contenant 800 livres en assignat

La nouveauté du supplice avait attiré une foule nombreuse sur la place de Grève.

(i) Ctrext'~tM de P<t<'«.


Le journaliste Duplan rend ainsi compte de ses sensations le 27 avril 1792.

On fit hier l'essai de la petite Louison, et on coupa une tête, le nommé Lepelletier, qui n'est pas celui du Journal des acte. des apôtres, en fit la triste expérience.

Je n'ai de ma vie pu approcher un pendu mais j'avoue que j'ai encore plus de répugnance pour ce genre d'exécution les préparatifs font frissonner et aggravent le supplice moral quant au supplice physique, j'ai fait assister quelqu'un qui m'a dit que c'était l'affaire d'un clin-d'œil le peuple semblait invoquer le retour de M. Sanson à l'ancien régime et lui dire Rends-moi ma potence en bois,

JteH~s-MOt ma potence.

Les jours suivants vinrent successivement essayer le fil du tranchoir

Trois soldats, Devître, Cachard et Desbrosses qui avaient sabré une limonadière du Palais-Royal deux fabricants de -faux assignats, Lamiévette et Duman, qui furent décapités, à Paris, le 4 juin 1792, et l'abbé Geoffroy, condamné pour le même crime Tout fonctionnait bien, seulement le couperet, taillé en croissant, coupait mal et il fallait quelquefois le remonter et le laisser retomber pour détacher la tête du tronc aussi on ne tarda pas à en modifier la forme, voici dans quelles circonstances particulières. Louis XVI entendit parler naturellement des essais de là guillotine et il se fit expliquer par le docteur Louis le mécanisme de la machine le docteur prit une plume et dessina l'instrument par à peu près. Le (t) ~exraa! général de France, 115.

(2) SMtHett~ << la guillotine, par Achille Chereau, p. 22.


roi qui était assez bon mécanicien suivait avec attention cette analyse, arrivé au couperet

Le défaut est là, dit-il, le couperet, au lieu d'être en croissant, devrait être triangulaire et en biais. Prenant à son tour la plume, Louis XVI dessina le couperet comme il l'entendait.

Ses conseils furent suivis. Neuf mois après, presque jour pour jour Louis, XVI était exécuté par cette guillotine qu'il avait lui-même perfectionnée.


Du 21 au 27 avril t792.

XVIII

DIVISIONS INTESTINES

Accusations contre Robespierre, Rœderer, Chabrant. Fauchet. Violentes attaques de Brissot.– I)esmoulins aux Jacobins. –Indécision des Girondins. République ou monarchie. Lettre de Vergniaud, Guadet et Consonne au roi.–Robespierre fonde le Défenseur de la constitution. Théroigne retire son estime à Maximilien. Intervention de Pétion. Mot de Fréron.

Les déplorables querelles entre Jacobins et Girondins qui devaient perdre plus tard la République s'enveninèrent cette semaine et prirent un caractère tout personnel. Déjà au commencement du mois, Robespierre fatigué d'être pris à partie dans les petites réunions particulières des Girondins monta à la tribune du club et s'en plaignit publiquement terminant son discours par ces mots

Si quelqu'un a des reproches à me faire, je l'attends ici c'est ici qu'il doit m'accuser et non dans des pique-niques, d.ms des sociétés particulières y a-t-il quelqu'un, qu'il se lève 1

Oui, moi 1 cria aussitôt une voix du fond de la salle.

Aussitôt, un nommé Réal, un de ces grands par-


leursde réunions publiques, faiseurs de phrases creuses que les habiles mettent toujours en avant pour attaquer leurs adversaires, monta à la tribune au milieu des applaudissements d'une partie de t'Assemblée, des huées de l'autre et des tribunes. Réal commença aussitôt

Citoyens qui m'entendez, s'écria-t-il, citoyens des tribunes, les improbations que reçoit en ce moment un homme libre, qui ne sait courber la tête que sous le despotisme de la loi, prouvent qu'il n'y a pas dans cette salle beaucoup d'hommes libres ou dignes de t'être.

Ce préambule provoqua un beau tapage, les applaudissements de quelques-uns étaient coupés par les murmures, les cris du plus grand nombre. Réat n'en continue pas moins

Je vous accuse, M. Robespierre, non de, crime ministériel (une rota; c'est bien heureux) mais d'opiniâtn'té, mais d'acharnement à avoir tenté tous les moyens possibles pour changer l'opinion de la société. dans la question de la guerre, l'opinion qu'elle s'était formée sur cette grande question je vous accuse d'exercer sur cette société, peut être sans le savoir, et sûrement sans le vouloir, un despotisme qui pèse sur tous les hommes libres qui la composent. La réunion ne voulut pas en entendre davantage, de nombreux cris interrompirent Réat en vain Robespierre demanda-t-il le silence en faveur de son maladroit accusateur, les tribunes réclamaient l'ordre du jour qui fut voté d'acclamation (1) MMfot'n; parlementaire, t. XIV, p. 127.

(~) Journal du club Jacobins, n" du 6 avril i7H2.


Un autre jour Rœderer fut accusé d'avoir dîné chez un royaliste, M. de Raucourt, et cette bizarre accusation portée à la tribune des Jacobins fut discutée et suivie d'un vote de btàme

A la séance du 22 avril, le prince de Hesse, franchement rallié à la Révolution et commandant, avec le grade de général, te corps d'armée des PyrénéesOrientales, vint dénoncer Brissot pour n'avoir pas inséré dans son journal des lettres dans lesquelles le prince de Hesse avait, disait-il, démontré la trahison de Narbonne laissant Perpignan sans défense. Collot d'Herbois subissant cette manie des dénonciations qui semblait avoir gagné une partie du club des Jacobins accusa à son tour Chabot et l'évéque constitutionnel Fauchet d'avoir été gagnés par Narhonne tous deux vinrent se défendre nssez longuement.

Ce fut ensuite le tour de Brissot à présenter sa justification.

Quels sont mes crimes, dit-il ? j'ai fait des ministres, j'entretiens une correspondance entre Lafayette et Condorcet. Mais quand il serait vrai que j'eusse fait les ministres actuels, depuis quand serait-ce un crime d'avoir confié aux mains des amis du peuple les intérêts du peuple ? Ce ministère va. dit-on, corrompre il va jeter toutes ses faveurs sur des Jacobins; leur donner des places, plût au ciel qu'il pût vous en donner à tous

(t) Journal du club dM Jaeo<')"<, n' du 6 avril 1792


Ce discours avait été coupé par de nombreuses interruptions de Camille Desmoutins qui était placé dans les tribunes et ne cessait de traiter, à haute voix, Brissot de coquin 1

Les amis de Brissot se mirent à crier <: A la porte Desmoulins! its voulurent même lui faire un mauvais parti, et un des censeurs dut intervenir pour rétablir le silence

La vérité était que les Girondins indécis, n'ayant pas encore abandonné la monarchie et ne s'étant pas prononcés pour la République, tâtaient le terrain pour savoir de quel côté ils devaient defuittivement orienter leur marche afiu d'arriver plus sûrement à accaparer le pouvoir objet de tcurs convoitises. Par ('intermédiaire du peintre du roi Boze, Ver~niaud. Guadet et Gensonné, s étaient mis en relations avec les Tuileries et, sans y avoir été invités, ils avaient rédigé une lettre destinéeàêtre placée ajustes yeux de Louis XVI, lettre qu'on devait retrouver plus tar't dans la fameuse armoire de fer, et dans laquelle ils écrivaient < attachés que nous sommes aux intérêts de la nation dont nous ne séparons jamais ceux du roi, nous pensons que le seul moyen pour lui de prévenir les maux qui menacent l'empire et le trône, c'est de se confondre avec la nation. Des protestations nouvelles n'y suffiraient pas, il faut des actes. Ils consentaient ensuite au roi de choisir les ministres parmi les hommes les plus prononcés pour la Révolution. » « Qu'il offre ses fusils et les chevaux dé sa propre garde. Qu'il mette au grand jour la comptabilité de la liste ()) ~OMrnat <!« cM <!« Jacobins, n* du 6 avril t79ï.


civile, et qu'il prouve ainsi que son trésor secret n'est pas la source des contre-révotutiohnaires Qu'il solli.cite lui-même une loi sur l'éducation du prince royal et qu'il le fasse élever dans l'esprit de la Constitution, qu'il retire enfin à M. de Lafayette son commandement dans t'armée Si le roi prend ces résolutions et y persiste avec fermeté, la Constitution est sauvée, » Cette lettre fut 'remise à Louis XVI qui ne l'avait pas demandée et qui répondit à Boze

Que veutent ces hommes? Tout ce qu'ils me conseillent, ne l'ai-je pas fait? Ne suis-je pas,depuis l'acceptation de !a Constitution, plus fidèle que les factieux à mon serment 1

Ceux-là mêmes qui essayaient de régenter le roi se montraient les plus violents à attaquer Robespierre, un des signataires de la lettre prononça aux Jacobins, au milieu du plus grand tumulte, un violent réquisitoire contre Robespierre, réquisitoire qu'il termina ainsi « je dénonce un homme qui, soit ambition, soit malheur, est devenu l'idole du peuple. Je dénonce M. Robespierre, un homme qui, par amour pour la tiberté de sa patrie, devrait peut-être s'imposer à lui-même la peine de l'ostracisme, car c'est servir le peuple que de se dérober à son idolâtrie. n

Les accusations recommencèrent avec plus de violence quand Robespierre renonça à sa place d'accusateur public pour fonder le journal hebdomadaire le Défenseur dé la Constitution dont il lança les


prospectus. Les feuilles les plus répandues comme la C~roMt~Me de Paris, le Patriote français, de Brissot, les Annales patriotiques, de Mercier, le Courrier des départements, de Gorsas, appartenaient aux Girondins les Révolutions de Paris ellesmêmes étaient passées momentanément au camp de Brissot. La démission de Maximilien et son entrée dans le journalisme raviva toutes les haines et la clameur redoubla quand on apprit que les électeurs de Paris avaient nommé l'ancien ministre de la justice, Duport-Dutertre, royaliste ardent, à la place d'accusateur public abandonnée par, Robespierre ce fut de tous côtés un débordement d'injures et de calomnies on lui reprochait d'avoir déserté son parti en fournissant aux ennemis dëctarés de la Révolution les moyens de s'emparer des places les plus importantes. C'étaient les mêmes qui la veille l'invitaient à se condamner à l'ostracismequi se montrèrent les plus violents à lui reprocher sa démission. Etranges contradictions de l'esprit de parti et de la haine d'adversaires qui ne tarderont pas à devenir irréconciliables, ne s'apercevant pas qu'en combattant les uns contre les autres ils combattaient la Révolution elle-même, détruisaient son œuvre et rendaient facile la besogne du premier tyran venu qui voudrait s'emparer du pouvoir. Les gouvernements populaires ont. toujours péri quand ses partisans divisés se sont voué les uns aux autres une haine à outrance, substituant à la lutte pour l'application des principes des rivalités personnelles et des appétits ou des besoins de pouvoir. C'est la raison historique de toutes les restaurations monarchiques et de tous les coups de force.


Dans cette lutte des personnes qui commençai), les déchirements intérieurs, Théroigne de Méricourt vint jeter la note gaie en déclarant à haute voix, dans un café, sur la terrasse des Feuillants, qu'elle retirait son estime Robespierre. C'étaittecafé Hottot, rendezvous des hautes fleurs révolutionnaires, des femmes surtout'. Elle voulut renouveler sa déclaration, le soir aux Jacobins s'élançant par dessus la barrière séparant les tribunes de la ~atte, elle franchit les bancs, bousculant ceux qui essayaient de l'arrêter et on dut la conduire de force hors du club. Théroigne de Méricourt revenait à ce moment de Vienne ou elle avait été emprisonnée après son arrestation dans le Brabant où elle était allé exciter par la parole ses compatriotes à se soulever contre l'Autriche. Léopold, s'intéressant à cette beUe fille, l'avait fait mettre en liberté

Revenue à Paris, elle retrouva sa popularité et son ancienne vogue. On mit en vente des cartes à jouer à l'usage des cafés patriotes où la belle Liégoise figurait comme dame de pique entre le duc d'Orléans en roi et Santerre en valet.

Les querelles, les dénonciations, lesattaques prirent un tel caractère de violence que Pétion s'interposa, essayant d'amener une réconciliation entre tous ces rivaux qui allaient devenir d'implacables ennemis. Pétion intervint au lendemain même du jour où Brissot avait écrit dans son journal x Trois opinions partagent le public sur M. de Robespierre: les uns le (t) Histoire ))<tr)em<.n<atre, t. XIV, p. 130.

(2) Tlléroigne de Méricourt, par Marcellin Pellet, p. 76.


croient fou, d'autres attribuent sa conduite à sa vanité blessée, un troisième parti le croit mis en œuvre par la liste civile. »

Tous tes efforts du maire de Paris ne purent arrêter cette rage, ces colères, ces injures; on remarquait du reste que tous ceux qui se déclaraient, contre Robespierre étaient nommés aux premières places dans les ministères ou pourvus de sinécures d'où ce mot attribué par Fréron à un homme que t'en sollicitait pour appuyer une demande de place:

Que ne faites-vous un bon discours contre Robespierre et je vous réponds qu'avant huit jours vous êtes placé i.

Cette semaine est marquée par un fait mémorabte C'est dans la nuit du 24 au 25 avril, à Strasbourg, qu'un jeune officier du génie, Rouget de l'Isle, composa la Marseillaise. Voici dans quelles circonstances qui nous sont révélées par une lettre de M"~ Voïard qui, dans les dernières années de sa vie, vécut dans l'intimité de Rouget de t'ïste

s Pour ce qui concerne la véritable origine de la Marseillaise, votre version,celle du souper chez Diétrich est la bonne. Je l'ai entendu raconter vingt fois à Rouget de l'Isle. Pendant ce repas où il fut question d'un chant de guerrequ'on désirait pour le départ qui devait avoir lieu le surlendemain, Diétrich dit à notre ami

e Voyons, Rouget, vous qui êtes poète et musicien, faites-nous donc quelque chose qui vaille la peine (1) L'Orateur du peuple.

(2 Cette lettre fut adressée à M. Gindre de Mancy. Voir' Antget de l'Isle <'< la JtfarMtHaxe, par t'oisie Desgrange.


d'être chanté on nous a envoyé de Paris des espèces de ponts-neufs sans caractère et sans oiginalité sur des paroles insignifiantes.

« Le modeste jeune homme s'en défendit d'abord, alléguant les difficultés, le peu de temps. Mais la jeune et brillante assemblée applaudit avec transport à la proposition de son président

« Oh oui. Rouget, fais-nous cela,.fais-nous un chant de guerre que nous chanterons tous ensemble. « Et pour l'exciter, on remplit coup sur coup son verre de Champagne mousseux. Il cède tant d'instances il dit qu'il essaiera et sort. ennn du souper vivement impressionné par les discours belliqueux qu'il vient d'entendre. En traversant les rues alors silencieuses mais encombrées de chariots de guerre, de canons, de faisceaux d'armes, l'enthousiasme s'empare de lui. Rentré dans sa chambre garnie, il saisit son violon, et tout en chantant la phrase musicale les paroles venaient presque à son insu s'offrir d'elles-mêmes au rythme guerrier qui résonnait dans sa pensée, car, m'a-t-il dit, je ne les écrivais que pour garder l'ordre qu'elles devaient occuper dans la mélodie. :&

Ainsi fut composé ce cantique immortel qui devait devenir l'Hymne national de la France, au chant duquel les conscrits de 92 et de 93 allaient faire reculer les quatorze corps d'armée de l'Europe coalisée il s'appela d'abord Chant de l'armée du ~w et ce ne fut qu'après la venue à Paris des volontaires marseillais qui le chantaient avec leurs belles voix vibrantes de méridionaux que le peuple l'appela la Marseillaise, nom qu'il ne devait plus quitter.


Le jeune homme qui venait de le composer était un simple officier. fils d'un avocat de Lons-le-Saulnier, où Rouget de l'Isle était né le 10 mars 1760, comme le constaté l'extrait de naissance suivant'. Le dix may mil sept cent soixante, est né et a été baptisé Clàude-JoMph. fils du sieur Claude-Ignace ROUGET, avocat en parlement et de dame Jeanne-Madeleine GAILLANDE, mariée), lequel a eu pour parrain le sieur Claude-Joseph &A1HANM, prêtre, docteur en Sorbonne, son oncle, et pour marraine dame Claudine-Gertrude PouftTtM, épouse du sieur François DELESTOUR. échevin en l'hôtel de ville.

Signé au registre, G. POURTIER, de la TouR,

C. J. G&tLLANDS et MUNIER, prêtre.

Le nom de de !'Me ne figure pas sur cet acte, c'est qu'en effet Rouget n'était pas noble son grand-père possédait une petite propriété dans laquelle se trouvait un vivier, au milieu de ce vivier un itot les habitants avaient coutume de désigner ce petit domaine sous le nom de < propriété de l'ile w Tant et si bien que ses descendants prirent le nom de leur maison de campagne.

Rouget de l'Isle a composé de nombreuses chansons, mais aucune n'a ni la valeur ni la flamme de la Marseillaise qui fut comme un éclair de génie sillonnant, à la veille de la bataille, ce front d'où ne devaient plus jaillir d'autres inspirations. Ce cri ()) J'ai eu la bonne fortune de découvrir le premier le lieu de naissance exactde Rougetde l'tsie; jusque la on le faisait nattre à Montaigu, village peu distant de Lons-le-Saulnier. En feuilletant les archives de Lona, je fus assez heureux pour mettre la main sur l'acte de naissance du célèbre auteur de la ifar<e)t<a«e, dont j'envoyai l'extrait à mon ami Jules Claretie qui le publia dans le Temp. en t880.


sublime du patriotisme ardent semble avoir épuisé la veine mais il suffit pour immortaliser son auteur à qui la France reconnaissante a élevé une statue (t) Quand on voulut élever la statue de Lons-le-Saulnier, un comité, présidé par notre grand poète Victor Hugo, se forma pour recueillir les souscriptions en faveur du monument le comité voulut bien nous déléguer pour aller faire une tournée de conférences au bénéfice de la souscription nationale. Voici l'itinéraire qui fut par nous suivi du t" octobre au t8 novembre 18s0: i" octobre, Albi; 2, Perpignan; 3, Béziers et Cette; 4, Clermont l'Hérault; 5, Nimes;6, Tarascon;7, Marseille 9, Grenoble;t0, Lyon;H, Lons-le-Saulnier; 13, Dole; H, Besançon; 15, Dijon; t6, Vesoul, 17, Nancy; 19, Versailles; W.Paris; Vinoennes,ït, Beaumont-sur-Oise; !5, Neuilly; 26, Saint-tust-en-Chaussée 27,Grandviilers 28, Creil; 29, Verbetie; 30, Liancourt; 31, Beauvais t" novembre, Boulogne-sur Mer; 3, Caen; 5, Rochefort; 6, Nantes; 8. Tours; 9, Angouléme tO, Limoges; H, Libourne; 12, Agen; 13, Montauban; 15, Tarbes 16, Toulouse. Ces trente conférences en quarante-sept jours sont un souvenir de nos jeunes années de luttes et de nos ardeurs passées que nous rappelons comme un heureux souvenir; nous pûmes ainsi apporter notre modeste pierre au magnifique monument qui s'élève aujourd'hui sur une place de Lons.le-Saulnier et où l'on voit la belle oeuvre d'art du sculpteur Bartholdi.


Du38avritau4mait79~.

XiX

DÉBUTS DE LA GUERRE, PREMIÈRES DÉFAITES Le duc de Brunswick. Lafayette. Rochambeau. Luckner. Les deux plans de campagne. Les Girondins font adopter l'offensive. -Dumouriez dirige les armées de Paris. Défaite de Lille. Massacre de Théobald Dillon. Défaite du camp de Quiévain. Effet de ces désastres à Paris et à l'étranger. Une délégation da cordeliers chassée de t'Assemblée. Marat décrété d'accusation.

La guerre s'ouvrit le 28 avril.

Dumouriez, quoique ministre des affaires étrangères, dirigeait en réalité les armées tout en restant à Paris d'où il envoyait aux trois généraux français Luckner, Lafayette et Rochambeau les ordres sous ptis cachetés et dont ceux-ci ne prenaient connaissance que la veille et au moment de marcher. De Grave, le ministre de la guerre en nom, n'était que l'instrument de Dumouriez.

Les armées coalisées, fortes de deux cent mille hommes, étaient commandées par le fameux duc de Brunswick, neveu du roi de Prusse Frédéric II, élevé au milieu des plaisirs dissolus d'une jeunesse dissipée, il fit brillamment ses premières armes durant la guerre de sept ans il avait épousé en 1764 la prin-


cesse Augusta, sœur de Georges III, roi d'Angleterre. En 1780 il devint souverain du duché de Brunswick et c'est à la tête de son gouvernement que le vit. Mirabeau quand il en traça le portrait suivant:

« Sa figure annonce profondeur et finesse. Il parle avec précision et élégance il est prodigieusement laborieux, instruit, perspicace. Sa maîtresse, M"* de Hartfeld, est la femme la plus raisonnable de sa cour, et ce choix est tellement convenable, que le duc, ayant montré dernièrement quelque velléité pour une autre femme la duchesse, son épouse, s'est liguée avec M"" de Hartfeld pour l'écarter. » Quand s'ouvrit la campagne, le duc de Brunswick avait cinquante-sept ans.

Comme nous l'avons rappelé, les trois généraux qu'on opposait au grand capitaine prussien étaient Lafayette, Luckner et Rochambeau.

De Lafayette, nous n'en dirons rien, nous le connaissons assez par les nombreux détails donnés depuis le commencement de cet ouvrage; l'influence politique des Feuillants sur lesquels it s'appuyait, le désir de conserver le trône avec une monarchie constitutionnelle dont il aurait été le conseil et le soutien, enfin la haine des Jacobins dominaient son esprit. Rochambeau, comme Lafayette, s'était distingué en Amérique dans la guerre de l'indépendance il avait été nommé maréchal de France en même temps que Luckner à la fin de 1791 il était demeuré hostile à la Révolution.

Luckner, né en Bavière de pauvres paysans, après avoir servi dans un régiment hanovrien, passa au service de la Prusse où, par sa bravoure, il gagna le grade


de colonel. Durant la guerre de sept ans, à la tête d'un petit corps de partisans, il fit beaucoup de mal aux Français. Au rétabtissementde la paix, mécontent d'avoir été congédié, il écouta les propositions du roi de France et entra à son service le 20 juin 1763 avec le grade de lieutenant-général. Il accepta les idées de la Révolution qui lui conserva ses pensions et le créa maréchal. Voici le portrait que nous en a laissé Mme Roland

a C'est un vieux soldat demi abruti, sans esprit, sans caractère, véritable fantôme que purent conduire les premiers marmousets, et qui, à la faveur d'un mauvais langage, du goût du vin, de quelques jurements et d'une certaine intrépidité, acquérait de la popularité dans les armées, parmi les machines stipendiées, toujours dupes de qui les frappe sur l'épaule, les tutoie et les fait quelquefois punir » Narbonne pallie un peu ces traits grossiers et il disait de Luckner Il a le cœur plus français que l'accent'. »

Tels étaient les trois hommes qui dirigeaient les trois armées de France.

I! y avait eu deux plans de campagne.

L'un, concerté au conseil des ministres avec Rochambeau et Lafayette, était conçu dans le but d'une guerre défensive. Mais ce plan ne contentait nullement l'ardeur des Girondins qui voulaient imposer silence (t) ~em<WM de Jt°" Roland.

(3J ~motret de Dumouriez.


aux Jacobins qui, avec Robespierre, avaient combattu la guerre en leur imposant des faits acquis, des victoires remportées. Ils improvisèrent, à la hâte, avec Dumouriez un second plan de campagne offensive. On n'attendait plus l'ennemi, on allait à lui. Dumouriez prenait, de Paris, la direction des opérations et les trois commandants d'armée n'étaient plus que trois simples généraux de division, recevant du ministre des ordres sous pli cacheté. La campagne ainsi engagée, les chefs n'avaient pas confiance dans un plan dont ils ne connaissaient ni la portée ni les détails; les soldats se méfiaient de leurs officiers qu'ils accusaient de royalisme.

Le 29 au matin, le général Théobald Dillon se porte de Lille à Tournay à la tête de trois mille dragons, corps aristocrate à peine aperçoivent-ils un petit corps autrichien de neuf cents hommes qu'ils poussent immédiatement le cri de

Nous s.ommes trahis sauve qui peut 1

Aussitôt les trois mille cavaliers tournent bride et écrasent notre infanterie qui se met alors non pas à battre en retraite mais à fuir en débandade, poursuivie par la cavalerie française.– e C'était un coup monté B, affirme Dumouriez', coup monté par ces soldats royalistes voulant perdre, dès le début, une campagne dont le succès eût grandi, à Paris, le pouvoir des patriotes.

L'armée, commandée par Dillon, s'enfuit ainsi et arrive à Lille, abandonnant sur les routes artillerie,

(t) Histoire parlementaire, t. XIV, p. 209.

(2) Mémoires <!< DtonoMftM. t. II, Uv. IV, chap. iv.


chariots et équipages. Les soldats furieux massacrèrent le général Dillon dans une grange C'était le frère du bel Arthur Dillon, cet ancien familier de MarieAntoinette dont la reine avait un jour posé la main sur son cœur afin qu'il vît combien ce cœur battait vite. Le roi avait écarté la main du jeune officier disant à la reine

Monsieur vous croira sur parole

Un autre désordre se produisait presque en même temps que celui de Lille, à Quievain où campait un fort détachement sous les ordres du duc de BironLauzun (un autre officier que tant de monde avait donné pour amant à la reine) le détachement menaçait la ville de Mons. Tout à coup, sans même voir l'ennemi, deux régiments de dragons toujours la cavalerie se mettent à fuir en criant

Nous sommes trahis 1

L'infanterie se débande aussitôt. Biron, Rochambeau fils, Levasseur, aide de camp de Dumouriez, se jettent au devant des fuyards, essayent de les arrêter. Pour toute réponse ~n tire sur eux 3. Toute l'armée se disloque, les équipages sont brisés, les pièces de canons démontées, la caisse militaire piHée et on arrive à Valenciennes on devine dans quel désordre les soldats parlent d'égorger Rochambeau. Dumouriez affirme que c'était encore la suite d'un complot. (t) ~otot'ret <<e jPM'nourtM, t. If. liv. IV, chap. tV.

(Z) Voir notre premier volume.

(3) Mémoires & BxmOMfMt.


Rochambeau demanda un congé illimité qui lui fut accordé, il croyait lui aussi à la trahison nous trouvons dans sa lettre au roi la phrase suivante « J'ai perdu, sire, par ce complot infernal, la confiance de t'armée. »

11 fut remplacé par Luckner, partisan de la guerre offensive.

La nouvelle de ces deux échecs fut diversement accueillie par les partis politiques dont les représentants occupaient la scène politique de Paris. Les royalistes se crurent sûrs désormais d'une victoire à brève échéance, pour eux, la défaite des armées françaises équivalait au succès de la contre-révotution les Feuillants accusèrent d'indiscipline les soldats, les Girondins accusèrent les généraux de trahison. Les Jacobins qui s'étaient montrés bien avisés en combattant les idées guerrières auraient pu triompher en voyant leurs prédictions si vite réalisées, ils jugèrent plus dignes, en présence de soldats français battus, de montrer comme ils l'avaient déjà fait avant l'entrée en campagne combien il était illogique de confier une armée patriote à des chefs qui ne l'étaient pas de s'obstiner à poursuivre un but émané de la souveraineté du peuple avec des généraux et des lieutenants généraux (trois ex-nobles), feuillants, ayant composé l'ancienne cour. Pour conduire une armée révolutionnaire, disaient-ils aux Girondins, il faut une organisation et des chefs révolutionnaires.

T. IV. iO


A l'étranger ces événements remplirent de joie les cours de Vienne et de Berlin où on ne considéra plus nos troupes que comme des bandes indisciplinées. A une revue de soldats prussiens un des généraux dit à plusieurs officiers

Messieurs, n'achetez pas trop de chevaux la comédie ne durera pas. Les fumées de la liberté s'évanouissent déjà à Paris. L'armée des avocats se dissipe déjà en Belgique et nous serons de retour dans nos foyers en automne

A Paris, dans les milieux populaires, l'effervescence fut grande et une députation des cordeliers se présenta à la barre de la Législative pour dénoncer les généraux; on ne laissa pas terminer l'orateur de la députation, et ces délégués furent obligés de se retirer au milieu des cris d'indignation parmi lesquels on distinguait ceux de chassez ces coquins ? 1 Marat voyait ses soupçons sur tout et sur tous a<t réaliser, aussi écrivait-il dans son journal cette phrase qui eut un sinistre retentissement « II y a plus de six mois que j'avais prédit que nos généraux, tous bons soldats de la cour, trahiraient la cation qu'ils livreraient les frontières. Mon espoir est que l'armée ouvrira les yeux, et qu'elle sentira que la première chose qu'elle ait à faire c'est de mas. MCrer ses généraux t.

Le 3 mai, un député de la droite, Beugnot, monta à la tribune et dénonça cet article. L'Assemblée, à une grande majorité, décréta Marat d'accusation. (t) iMtXOtfM <M <<M~tp)0~~ttX homme d'Etat, t. I, p. 37t. (<) ifex«0tr, mal.

(3) F.'Am< <<« .pt)~.


Les royalistes profitaient des défaites des armées françaises pour tancer des chansons insultantes. Ces provocations incessantes avaientpeureffet d'aigrir davantage les esprits. Les Girondins répondirent aux couplets satiriques par des actes d'autorité.


Du 5 au tt mai 1792.

XX

DISCUSSION SUR LES PRÊTRES. INSERMENTÉS Rapport de François de Nantes.–Nomination du précepteur du dauphin. Servan, ministre de la guerre. Dumouriez et les diners politiques du vendredi chez M"' Roland. Dumouriez se sépare des Girondins. Dons patriotiques. Les œuvres dramatiques de Beaumarchais. Insultes royalistes contre~Thëroigne de Méricourt. Emploi de la liste civile. Louis XVI cherche à changer des assignats. Les cla.queurs de l'Assemblée.

Les événements de la frontière causaient dans tout le pays une émotion qui amena chacun à chercher quels étaient les moyens à employer pour arrêter la défaite en attendant que cette grave question fût résolue on se demanda s'il n'y avait pas quelques mesures provisoires à prendre contre une classe de citoyens que ces défaites de l'armée française avaient remplis de joie et qu'on savait pouvoir devenir, à un moment donné, les auxiliaires de l'étranger pour lequel ils formaient des vœux, nous voulons parler des prêtres insermentés.

Depuis trente mois, ces insermentés prêchaient et confessaient partout la cause de la contre-révolution, fanatisant les paysans, armant des villages entiers contre les patriotes. Les impôts rentraient dif-


ficilementdans les campagnes où quinze mille prêtres répétai"nttous les jours que former de nouveaux rôles c'était offenser Dieu et payer l'impôt se damner. François, député de Hantes, présenta un rapport à l'Assemblée demandant la déportation des prêtres insermentés ce rapport contenait, à la fin, cette phrase écrite dans le style de l'époque; parlant des prêtres non jurés, il disait

« Oh quelle fête pour la liberté que le jour de votre départ quel triomphe pour les patriotes quel soulagement pour la patrie lorsqu'elle aura vomi de ses entrailles le poison qui la dévore! je vois la paix reprendre son empire, les liens de la nature se resserrer plus touchants que jamais, la tranquillité de retour dans les hameaux et les cris de douleur des villageois se changer en chants d'allégresse La discussion de ce rapport s'ouvrit quelques jours après et se continua jusqu'au 26.

Aux Tuileries, l'espérance était revenue avec la victoire des armées prussiennes et autrichiennes aussi commençait-on à reprendre un rôle militant et moins en'acé que dans les derniers mois. Le Dauphin venait d'atteindre sa septième année; c'était, selon l'usage de la cour, l'âge où l'enfant royal devait être enlevé aux soins exclusifs des femmes pour être confié à un gouverneur. L'assemblée avait bien décrété qu'elle nommerait le précepteur de l'héritier de la couronne, une longue liste de savants avait même été préparée pour faciliter son choix. Le roi, sans tenir compte de ce décret, choisit lui-même le comte de Fleurieu et annonça ce choix à l'Assemblée qui décida que

(1) Der~~Mt année, de Louis XVI, par Hue, p. 268.


sous huit jours un rapport lui serait présenté sur cette nomination entraînée par d'autres discussions, préoccupée par les grands événements du dehors, elle ne pensa plus à ce rapport et on n'en parla plus.

L'échec de Flandre avait porté un coup à la puissance de Dumouriez; son homme de confiance, le ministre de la guerre de Grave fut effrayé et il s'empressa de donner sa démission cédant à ''influence des Girondins on proposa au roi le colonel Servan qui fut accepté. La malignité se plaisait à donner le nouveau ministre de la guerre pour amant à M*" Roland; c'était une calomnie mais les salons la colportaient avec obstination.

Servan était un homme honnête, très patriote et bien résolu à ne pas se soumettre aux volontés de Dumouriez celui-ci entendait au contraire tout dominer et tout diriger, il eut donc vite fait de voir en Sèrvan un ennemi dont il fallait se débarrasser à la première occasion.

L'amitié de Servan pour Roland et pour Mme Roland, t'influence que cette dernière exerçait sur le nouveau ministre augmentaient encore la colère de Dumouriez qui ne voyait pas sans une vive contrariété Mme Roland tenant comme il disait le bureau de la Gironde~. Ces repas politiques du vendredi que Dumouriez appelait « les diners de la faction lui pa(i) if~notrM de DMmeurMt, t. II, 37i.


raisMient insupportables, aussi choisit-il le premier prétexte venu pour s'en affranchir.

Au dîner de cette semaine, Guadet lut une lettre qu'il proposait aux ministres de signer et qui avait pour objet d'obliger Louis XVI à renvoyer son confesseur non assermenté. C'était un écho de la discussion du rapport de François de Nantes.

Dumouriez combattit immédiatement et très vivement ce projet il décl.tra que nul ministre n'avait dans son département la conscience du roi et que Louis XVI pouvait prendre suivant son plaisir, comme directeur de conscience, un calviniste, un papiste, un iman ou un rabin. Des paroles aigres furent échangées, mais devant l'attitude résolue de Dumouriez la lettre dut être retirée

On en vint de part et d'autre à s'attaquer violemment. Les Girondins reprochèrent à Dumouriez l'emploi des six millions de fonds secrets. Les colères s'envenimèrent et une dislocation ministérielle fut imminente à la première occasion.

En attendant les patriotes redoublèrent de zèle et on s'efforça de réveiller l'ardeur nationale pour combattre les ennemis de l'extérieur. Les dons patriotiques furent apportés de nouveau en grand nombre. Beaumarchais offrit le produit de ses ouvrages dramatiques pendant tout le temps que durerait la guerre

Cet élan nouveau donna l'occasion aux écrivains soldés par la liste civile de continuer leurs attaques (t) MAtMtfM de DtMMxrtM, t. H, ttv. IV, chap. iv.

(3)~eooh«t0t)t de Paris.


qui ne respectaient rien, ni l'âge, ni le sexe; ainsi ils imprimèrent l'article suivant sur Théroigne de Méricourt.

« M"" Théroigne de Méricourt vient d'inventer un de ces petits moyens innocents qui partent d'une indignation vraiment heureuse. Elle a fait clouer au chevet de son lit une petite tirelire ou tronc, et elle exige très impérativement de tous ses adorateurs une preuve de patriotisme qui consiste en un don d'un sou cloche: elle nous offrit dernièrement un résultat de son projet et voici quel était son calcul « Je reçois par jour, disait-elle, à peu près cent personnes ;je retirerai donc cent sous parjour, 150 livres par mois et d800 livres par an. Si notre guerre, comme celle de Troyes, dure seulement dix ans, j'aurai fourni à la patrie 18,000 francs que j'aurai gagnés à la sueur de mon corps f.

Voilà quel était le ton des polémiques des écrivains de la bonne compagnie payés par l'argent de la cour pour une semblable besogne. Cet article et vingt autres écrits de la même plume enfiellée était de Sulleau que nous allons trouver face à face avec la belle Liégeoise dans la fameuse journée du 10 août.

La reine épuisait toutes les ressources possibles pour faire passer de l'argent aux émigrés le roi essayait d'acheter des députés et ces dépenses jointes à l'en(t) Sabbats y<M-ott<M.

(2) Maximes ''<~))«'M de Lo«M ~F7,p, 104.


tretien des écrivains et de la police de, la cour tarissaient la liste civile. L'or et l'argent devenaient rares et Louis XVI qui ne possédait guère, comme tant d'autres, que des assignats, avait de la peine à se procurer du numéraire, ce dont il se plaignait.

La cour comptait beaucoup sur la corruption. Chambonas futur ministre des affaires étrangères du mois de juillet, écrivait au roi

« Ce soir on fera une proposition à Santerre. On me répond actuellement du secrétaire des cordeliers. Tous ces gens-là sont à vendre, et certes il n'y en a pas un à louer ? u

Bertrand de Molleville proposait aussi la corruption comme moyen de gouvernement. Plus tard il écrira « Mon plan consistait à faire occuper tous les jours les premiers rangs des deux tribunes à l'Assemblée par deux cent soixante-deux personnes afHdées dont la solde était 6xée savoir

« 1" Pour un chef qui était seul dans le secret 50 livres par jour.

« 2" Pour un sous-chef choisi par le premier. « Pour dix adjudants choisis par les chefs et sous-chefs, ne se connaissant pas entre eux,

25

.A reporter 1. 75

(t) Papiers <fOM))~ dans l'armoire de /'er.

(2)JM.

(3) Af~ot't'es ptrHcMheM de Bertrand de MoXeciHe, t. II, ch. xxtn.


chargés de recruter cha-

cun vingt-cinq hommes

et de les conduire tous

les jours à l'Assemblée,

dix livrèschacun 100 livres par jour. a 4" Pour r deux

cent cinquante hom-

mes payés chacun à cin-

quante sols par jour,

total 625

Ou achetait donc, suivant les circonstances et les personnages à qui on les destinait, les applaudissements ou les huées pourtant ce système constamment suivi depuis l'ouverture des Etats généraux n'avait pas donné de bien heureux tésuttats, ceux qu'on payait ainsi oubliaient souvent leur rôle et Louis XVI constatait qu'il « lui en avait coûté près de trois millions, pour avoir les tribunes pendant la .première Assemblée et qu'elles avaient été constamment contre lui ?.

Report. 75

800 livres. »

(1) Mémoiresparticuliers de Befh'aM<f de Molleville, t. II, ch. xxm.


Du t!au)8 mai <?!)!

XXI

AGITATIONS ET EXCITATIONS

Apparition du journal de Robespierre. Maximilien n'est pas encore républicain. Louis XVI conspire avec l'étranger. Carra dénonce ces complots. H est poursuivi. Trois députés arrêtés par ordre d'un juge de paix. Legendre et ses < marie-saiope. Quelques mots sur Legendre. Mariage de l'abbé Aubert. La canne du député.

Ce futle 17 mai 1792 que parutle premier numéro du journal de Robespierre Le Dé fenseur de la Constitution dont la seule annonce valut à son rédacteur tant d'attaques,'excita tant de colères, provoqua tant d'injures. Comme la plupart des publications de cette époque, ce journal était hebdomadaire avec le format in-18; ilse composait de 88 à 120 pages suivant l'abondance des matières 1.

Dans son premier article il parle de la République, mais il est loin de se déclarer républicain

« Je suis royaliste, écrit-il, ainsi comme un homme qui, presque seul, a lutté trois ans contre une Assemblée toute puissante pour s'opposer à l'excessive extention de l'autorité royale comme un homme qui, bravant toutes les calomnies d'une faction aujourd'hui (1) Histoire de Robespierre, par Hamel.


confondue avec celle qui me poursuit, demanda que le monarque fugitif fût soumis à la justice des lois; comme un homme qui, sûr que la majorité de A~semblée rétablirait Louis XVI sur le trône, s'est dévoué volontairement à la vengeance de ce roi pour réclamer les droits du peuple, comme un homme enfin qui défendra encore, au péril de sa vie, la Constitution contre la cour et contre toutes les factions. » Tout cela n'était pas répondre à la question qu'on devait avoir posée à Maximilien de divers côtés; était-il pour la République ou pour la monarchie? Ce n'était pas répondre davantage quand, dans ce même premier numéro il écrivait

« J'aime mieux voir une assemblée représentative populaire et des citoyens libres respectés avec un roi, qu'un peuple esclave et avili sous la verge d'un sénat aristocratique et d'un dictateur. Je n'aime pas plus Cromwel que Charles Ier et je ne puis pas plus supporter le joug des décemvirs que celui des tarquins. Est-ce dans les mots de république ou de monarchie que réside la solution du grand problème social ? Toutes les constitutions politiques sont faites pour le peuple toutes celles où il est compté pour rien ne sont que des attentats contre l'hutnanité. »

Pensées justes sans nul doute mais on pouvait se déclarer républicain à ce moment tout en aimant la liberté nous ne songeons pas à faire un reproche à Robespierre de n'être pas encore républicain, il en était au même point que la plupart des Jacobins les plus ardents, mais nous avons tenu à constater ce fait. Ajoutons du reste que ceux qui, dès 1790, s'étaient


déclarés républicains comme Brissot et ses amis se contentaient de la royauté depuis qu'ils étaient arrivés au pouvoir où Louis XVI supportait malaisément leur présence. En effet, pendant que nos armées marchaient contre les Prussiens et les Autrichiens, le roi était secrètement en relations avec l'Autriche. Bertrand de Molleville, Montmorin, Malouet, Mallet du Pan étaient les agents de ces correspondances.

Le journaliste Carra dénonça ces menées dans ses AwMt!es patrtottgttcs Bertrand de Molleville et Montmorin espérant bien qu'on ne trouverait pas de preuves matérielles contre eux, eurent l'impudence de se plaindre, ils prétendirent qu'on les diffamait et ils citèrent Carra devant le juge de paix de la section Henri IV. Le journaliste ayant déclaré tenir ses renseignements de Merlin, Chabot et Bazire, le juge de paix Larivière lança un mandat d'arrêt contre les trois députés qui, le 19 mai, étaient arrêtés dans leur lit à cinq heures du matin. L'Assemblée nationale s'émut et après deux jours de discussions tumultueuses l'imprudent juge de paix royaliste fut décrété d'accusation et renvoyé devant la haute cour d'Orléans. L'audace des aristocrates relevant ainsi la tête en présence des premiers succès des armées étrangères augmentait la violence de certains citoyens exattés ainsi au club des Cordeliers où on discutait, en même temps qu'à l'Assemblée, la déportation des prêtres insérmentés Legendre s'écriait dans la séance du d3 T. IV. H


Que celui qui enfreindra la loi soit puni sévèrement qu'il porte sa tête sur i'écbafaud, ou son corps aux galères. S'il y a chez nous un insecte dont le venin soit dangereux, il ne faut pas l'envoyer chez nos voisins. A Brest, il existe des bateaux qu'on appelle Marie-Salope ils sont construits de manière que lorsqu'ils sont chargés d'immondices ils vont en pleine rade. Eh bien arrangeons de même les prêtres, et au lieu de les envoyer en pleine rade, envoyons-les en pleine mer qu'elle les submerge même s'il le faut. Quand un cultivateur trouve une chenille, il la met sous son pied nous de même à l'égard de ceux qui veulent s'opposer à la volonté générale

Il ne faut pas oublier que l'orateur qui parlait ainsi était un homme d'une grande éloquence naturelle, mais sans instruction et sans éducation. Né à Paris en 1756, après avoir été mousse il était revenu exercer sa profession de boucher dans la rue des Bouchers-Saint-Germain sa boutique devint même une des principales de son métier. 11 avait au cœur un grand amour pour Danton qu'il admirait et une haine profonde pour Robespierre qui était pour lui un véritable épouvantail. Legendre ne lisait qu'un seul livre, mais il le savait presque par cœur Les Mémoires du cardinal de Retz qu'il appelait, on ne comprend pas trop pourquoi, te bréviaire des révolutionnaires 2. Plus tard, un de ses collègues à la Convention le dépeindra ainsi « Une grande force de poumons, <i) J?M<OK< ~)fH-~m<'n<m'r< t. XV, p. 386.

(2) Mémoires de Thibaudeau, t. I, p. 72.

(3) Soubrany, qui sera une des victimes de t éloquence de Legendre.


déclamation forte et hardie, de grands gestes, quelques mouvements oratoires (il faut en convenir) ont valu à Legendre quelque célébrité. H étai~de ceux qui, dans les premiers jours de juillet 1789, promenèrent le buste de Necker. Au matin du 14 juillet, il harangua le peuple pour l'exciter à aller s'emparer des armes des invalides et il fut au premier rang à la prise de la Bastille. Legendre nt la connaissance de Danton au district du Théâtre-Français et, séduit par l'exubérance et ta cordialité du grand tribun, il lui proposa un pacte d'amitié celui, des deux qui verrait faiblir l'ardeur patriotique de l'autre le poignarderait de sa main

On peut sourire de cette bonne foi un peu naïve, mais ceux-)à étaient nés pour de grandes œuvres qui, prêtant de semblables serments, étaient capables de les tenir.

Legendre se trouvant mal à l'aise au milieu-des orateurs corrects et académiques des Jacobins fut un des fondateurs du club des Cordeliers où son éloquence vibrante et populaire put se donner libre cours.

Comme on le voit, Legendre proposant d'employer les bateaux à soupape ne reculait pas devant les conséquences bien pénétré de cette idée que pour que la liberté pût vivre il fallait faire disparaître ses ennemis, il prenait les moyens énergiques. Les prêtres insermentés du reste avaient donné l'exemple de la violence on releva cette semaine que (t) Discours de Legendre, tt germinal an II.


cinquante prêtres constitutionnels, coupables d'avoir prêté le serment, avaient été égorgés par tes séditieux catholiques des presbytères furent saccagés, et dans quarante-deux départements les districts durent prendre des mesures contre les prêtres rebelles. Les autorités ecclésiastiques poursuivaient le premier vicaire de l'église Sainte-Marguerite, l'abbé Aubert, qui, après s'être adressé à t'Assemblée législative et en avoir reçu la réponse qu'aucune loi ne s'opposait à son mariage, se maria et reçut la bénédiction nuptiale du premier prêtre qui se fût marié au début de la Révolution, l'abbé Jean-Bernard. Le 18 mai, l'abbé Aubert se présenta à la barre de l'Assemblée accompagné de sa femme et de son beau-père, prononça un discours dans lequel il se réclamait des principes de la primitive église dans laquelle tous les prêtres étaient mariés. L'Assemblée accorda aux nouveaux époux les honneurs de la séance.

Immédiatement, et pour déshonorer ceux qui leur étaient opposés, les libellistes de la cour accusèrent l'abbé Aubert d'avoir débauché sa fiancée, ce qui était faux, et ils trouvèrent une fille de mauvaise vie, nommée Wels, qui déclara que l'abbé l'avait mise à mal et que de leurs relations étaient nés quatre enfants 2; c'était encore une catomnie des royalistes ne reculant devant rien pour avilir leurs adversaires.

Les couplets contre les patriotes étaient aussi de la partie et l'on chantait dans les milieux contre-révolutionnaires, en partant des sans-culottes

()) tM3f<tr~r«fuc~f~)-anfatt.

(~) L<< Sabbats jacobitea, n' 75.


Au milieu des graves événements, quelques-uns trouvaient encore le temps et le moyen d'attirer l'attention publique surdesfutiHtés ainsi un surveillant peu scrupuleux du jardin des Tuileries ayant gardé la canne d'un députe, celui-ci écrivit au roi une lettre que la plupart des journaux reproduisirent. sSire.

e Je n'examine pas si vous avez donné l'ordre d'empêcher les citoyens armés de cannes d'entrer aux Tuileries. H me suffit de vous dire qu'un de vos gardes m'a dit que ma canne était malhonnête et que je ne passerais pas. Je lui répondis qu'il m'était impossible d'avoir une canne sans épée, attendu que je me retirais fort tard. Pour ne pas perdre en discussion un temps que je pouvais et devais employer utilement à la défense de votre Souverain et du mien, c'est-à-dire du peuple, je mis à terre et devant les pieds de ce garde, la canne qui l'avait offusqué, en lui disant que je m'en plaindrais.

< J'aurais pu me plaindre directement à l'Assemblée nationale, mais j'aime mieux le faire, directement à vous, et j'espère que vous me ferez rendre incessamment la canne que je réctame.

(t) Les ,SaMat<t.;a<'ott<<t, n"74.

C'est un sans, sans, sans

C'est un cul, cul, cul

C'est un sans,

C'est un cul

C'est un sans culotte,

C'est un patriote'.


« Ce n'est pas que je sois à cela près d'une canne, car, Dieu merci, j'étais procureur fiscal dans mon endroit mais c'est que je suis inviolable aussi bien que vous, et la Constitution ne met pas de différence en notre inviolabilité respective que le sacre de votre personne. Vous avez une garde de 1800 hommes d'après la Constitution, et un régiment de Suisses au mépris de cette même Constitution. Si ma canne ne m'était pas remise incessamment, je profiterais du bénéfice de la loi, en citant devant les tribunaux, l'administration de'votre liste civile.

« Je suis votre serviteur,

« BRIVAL,

« Député de la Corrèze. »


Barnave conseille la fuite. Dernière entrevue de la reine et de Barnave. Il quitte Paris. Grossières insultes contre la reine. Provocations royalistes. Bruits de fuite. Précautions prises. Protestation du roi. Abattement de Louis XVI. Energie de la reine. Bonaparte à Paris. Les constitutionnels voyant à jamais perdu l'espoir si longtemps caressé de ressaisir le pouvoir finirent par conseiller au roi de fuir; Barnave lui-même écrivit une lettre dans ce sens à la reine cet avis ne fut pas écouté pas plus que les autres conseils qu'il donnait depuis longtemps, aussi Barnave résolut-il de s'éloigner de Paris, mais auparavant il sollicita de MarieAntoinette une dernière entrevue et l'obtint Vos malheurs, madame, dit-il à la reine et ceux que je prévois pour la France, m'avaient déterminé à me dévouer à vous servir, je vois que nos avis ne répondent pas aux vues de vos majestés, j'augure peu de succès du plan que l'on vous fait suivre, vous êtes trop loin des secours (des armées étrangères) vous serez (t) Mémoire. de Jtf" de Campan.

Dui9au25mati792.

XXII

BRUITS DE LA RUE


perdus avant qu'ils parviennent à vous. Je désire ardemment me tromper dans une si douloureuse prédiction mais je suis bien sûr de payer de ma tête l'intérêt que vos malheurs m'ont inspiré et les services que j'ai voulu vous rendre. Je demande pour toute récompense l'honneur de baiser votre main. »

La reine vivement émue, lui abandonna la main gauche, pendant que de la main droite elle essuyait, avec un mouchoir de dentelles, les larmes quis'échappaient de ses yeux y

Le jeune révolutionnaire, un genou en terre, tint longtemps embrassée la main blanche de l'altière fille de Marie-Thérèse et il quitta Marie-Antoinette pour ne plus la revoir.

La reine conserva de Barnave le meilleur souvenir et souvent, dans la suite, elle s'en entretint avec M"'° Elisabeth. Le peuple, qui ne partageait pas pour la reine les mêmes sentiments que le jeune député de Grenoble, se laissait aller à lui montrer ses rancunes d'une manière quelquefois trop énergique et même regrettable. En passant devant les Tuileries, la foule lançait des insultes qui arrivaient jusqu'aux oreilles de Marie-Antoinette. Un jour-, entendant rire aux éclats sous ses fenêtres, la reine dit à M"de Campan de regarder ce qui se passait la dame de compagnie obéit et vit un homme ayant lâché ses culottes, et tournant le dos nu à l'appartement de Marie-Antoinette en exprimant sa haine d'un geste aussi grossier qu'expressif. M" de Campan ne put retenir un mouvement d'étonnement et d'indigna(1) Mimoires de JM"' de Campaft.


tion La reine se leva pour s'approcher, mais on la retint pour qu'elle ne vît pas l'outrage ignoble dont elle était l'objet.

Ces insultes Mâmabtes à coup sûr étalent du reste provoquées souvent par des royalistes eux-mêmes, qui en exaltant maladroitement Marie-Antoinette la faisaient haïr encore davantage.

Ainsi cette semaine un journal soudoyé par la cour réimprimait, en tète de son numéro, un couplet d'une vieille chanson de la Fronde dont il faisait l'application aux événements présents. Adressant aux députés les paroles que ie chansonnier de 1650 avait adressées aux membres du parlement, le rédacteur disait en parlant de Marie-Antoinette ce qu'on avait écrit pour Anne d'Autriche

Sénateurs, prenez garde à voua; J'appréhende pour vous la corde Votre reine est très en courroux. Sénateurs, prenez garde à vous. Et si bientôt à deux genoux A ses pieds l'on ne vous voit tous Lui demander miséricorde,

Sénateurs, prenez garde à vous, J'appréhende pour vous la corde.

C'était provoquer bien imprudemment une population n'ayant pas besoin d'ètre excitée, au milieu de laquelle couraient des rumeurs alarmantes tenant ses (1) Mémoires de 3f"" de Campan.

(2) LM Sabbats jacobites.


soupçons en éveil. On parlait de tous côtés d'un nouveau projet de fuite du roi on donnait des détails précis, indiquant le jour et l'heure du départ le bruit prit de telles proportions que Pétion écrivit, le 22 mai, au chef de la garde nationale pour le prévenir que divers rapports lui dénonçaient le départ du roi pour la nuit du 22 au 23 et pour lui recommander une grande vigilance les postes furent doublés Le roi écrivit le lendemain une lettre à Pétion pour protester contre ces bruits de fuite pour rassurer les esprits, le maire de Paris fit afficher cette lettre dans toute la ville

Tous ces incidents découragèrent le roi qui se laissa aller à un profond abattement. Il passa cette semaine sans parler à qui ce fût, sans articuler un mot il desserrait seulement les dents, le soir, après son dîner, durant la partie de tric-trac qu'il avait coutume de faire avecM°"Etisabeth; alors il prononçait quelques paroles, mais seulement celles indispensables à la marche du jeu.

Marie-Antoinette, vivement affectée de la prostration de son mari, se jeta à ses pieds pour le supplier de secouer son abattement et de sortir de cette sorte de crise en se faisant violence, elle employa tantôt les paroles tendres, tantôt les images de nature à l'effrayer. Nous sommes perdus, dit à la fin le roi, nous sommes perdus

Là reine se releva et avec ce courage hardi qui ne l'abandonna que rarement et qui lui assurait le rôle viril dans le ménage royal s'écria

()) Htttotreparhtmmtatfe.

(2) ~ernt~rM <Mt<fM de Louia XVI, par Hué.


Soit mais s'il faut périr, ce doit être avec honneur et sans attendre qu'on vienne nous étouffer l'un et l'autre sur le parquet de nos appartements 1. Ces énergiques remontrances ranimèrent un peu Louis XVI qui sortit enfin de sa torpeur et subit naturellement encore davantage l'influence de sa femme qui avait une fois de plus montré le courage et la dignité d'un roi au moment où Louis XVI faisait preuve de pusiUanimité.

Pendant qu'aux Tuileries le descendant des Capet a besoin, pour se souvenir qu'il représente une vieille race de grands rois, de l'appui moral d'une princesse autrichienne, arrive à Paris un petit ofïlcier corse qui, dans quelques années, viendra trôner dans ce même palais, théâtre des angoisses de Louis XVI. Le 21 mai, Bonaparte se présentait au ministère de la guerre pour solliciter sa réintégration dans les cadres de l'armée d'où on l'avait rayé pour désertion. En effet, lieutenant au quatrième régiment d'artillerie, il était parti en Corse avec un congé de trente jours et y était resté cinq mois ne se trouvant pas présent à la revue de rigueur prescrite par le ministre de la guerre pour la fin de décembre, il avait été destitué de son emploi aujourd'hui muni de recommandations, il venait implorer son pardon afin qu'on lui rendit un grade dont il avait besoin pour vivre.

Pendant trois mois (il ne devait être réintégré que le 30 août), il fit démarches sur démarches, battant le (t) Mémoires de .M"" <<< Campan.


pavé de Paris, sans grandes ressources, avec des habits râpés, des bottes éculées et une mine peu favorable qui le faisait mal recevoir des huissiers et des garçons du ministère de la guerre A ce moment, sa gène est extrême et il forme mille projets pour sortir d'embarras, pour vivre au jour le jour. Un instant, avec son ancien camarade, Fauvelet de Bourrienne, il songe à devenir sous-tocataire d'une maison en construction dans la rue Montholon mais le projet ne réussit pas 1.

H toréait alors dans un petit hôte! de larue du Mail, Hôtel de Metz, tenu par un nommé Maugeard ancien employé de la maison de Penthièvre il occupait la chambre numéro 14; mais le manque d'argent sans doute dot lui fermer le crédit et il alla loger à l'Hôtel des patriotes Hollandais, rue F<oya)e-8aint Roch, où habitaient de oon'breux corses et où un compatriote répondit probablement de lui. Le pauvre lieutenant sans emploi faisait maigre pitance, il prenait ses repas chez le petit restaurateur Justat oit la portion coûtait six sous et où on ne donnait pas de serviette. Rentré dans sa chambre garnie après des courses inutiles à travers la capitale, après des démarches vaines, il écrivait à Ajaccio, à son frère Joseph « Ceux qui sont à la tête sont de pauvres hommes. H faut avouer, lorsque l'on voit tout cela de près, que les peuples valent peu la peine que l'on se donne tant de soins pour mériter leur faveur. Chacun cherche son intérêt et veut parvenir, à force d'horreur, de ca(t) Bonaparte et son <*mp<, par le colonel Yung.

(2) Id.


lomnie; on intrigue aujourd'hui. aussi bassement que jamais. Tout cela détruit l'ambition. L'on plaint ceux qui ont le malheurde jouer un rôle, surtout lorsqu'on peut s'en passer. Vivre tranquille, jouir des affections de la famille et de soi-mème Voilà, mon cher, lorsque l'on jouit de quatre à cinq mille francs de rente, le parti que l'on doit prendre. »

Quatre ou cinq mille francs de rente! tel était alors le rêve et la suprême ambition de cet officier cassé, sans argent et sans ressources, qui quatorze ans plus tard, maître de l'Europe et de la France, trônera dans ce même palais des Tuileries, où agonise en ce moment la monarchie des Capet.


Du 26 au 3t mat t799.

XXIII

DÉCRET CONTRE LES PRÊTRES INSERMENTÉS L'assemblée en permanence. Licenciement de la garde du roi. Deux députes à l'Abbaye. Repartie de Chabot. Décret contre les prêtres insermentés. Tergiversations de Louis XVI. Bouillé dresse le plan d'envahissement de la France. Le roi achète et fait brûler tes mémoires de M" de Lamothe.

Les bruits de la fuite du roi continuent à courir les contre-révolutionnaires distribuent de nombreux pamphlets royalistes; on donne, en secret, descocardes blanches aux soldats quelques-uns d'entre eux, sous l'influence de la boisson, n'attendent pas le mot d'ordre et les arborent à Neuilly; enfin, jusque sous les fenêtres des Tuileries, les cris de o: au Diable la nation )) se font entendre.

Le 28 mai, Chabot monte à la tribune dénonçant « le complot » dont on menace la liberté Bàzire lui succède, se fait l'écho de la rumeur publique au sujet de l'enlèvement du roi et il propose que la garde de Paris soit doublée.

Carnot le jeune vient alors demander que, suivant la forme adoptée par la Constituante lors de la première fuite du roi, l'Assemblée se déclare en permanence.


Les députés acceptent ces diverses propositions; la garde de Paris sera doublée, l'Assemblée siégera en permanence et chaque matin, le maire Pétion rendra compte de l'état de la capitale.

Le 29, à neuf heures du matin, Pétion vient présenter son premier rapport oral. Il termine ainsi <: La nuit a été calme et rien n'annonce un jour orageux. Il ne faudrait pas cependant qu'une fausse sécurité fût l'effet de cette tranquillité du moment, ce serait celle de la stupeur; elle ressemble au silence qui succède aux coups de foudre. H n'en faut pas moins veiller, et in timider sans cesse les méchants; il faut tes tenir courbés sous le joug de la loi. »

A peine Pétion a-t-il terminé qu'une députation nombreuse des Gobelins se présente à la barre; quinze cents hommes armés de piques, quelques-uns coiffés de bonnets rouges, entrent dans la salle, défilent tambour battant et jurent de se sacrifier pour défendre l'Assemblée.

Bazire obtient la parole pour dénoncer la garde du roi, il demande que le corps législatif la dissolve, mesure exigée, dit-il, par le salut public la garde du roi est un ramassis de conspirateurs et de contre-révolutionnaires elle s'es-t réjouie à l'annonce de la défaite de Quiévain, elle a annoncé la prise de Valenciennes, ajoutant que dans quinze jours l'ennemi serait à Paris. Bazire cite l'exemple d'un jeune cavalier patriote de cette garde qu'on a voulu gagner à prix d'argent et l'envoyer à Coblentz le jeune soldat a non seulement refusé mais encore donné sa démission.

Son nom ? son nom ? demanda l'Assemblée.


Quel est le nom de ce brave citoyen crient les tribunes.

Bazire consulte les papiers, les notes étalées sur la tribune et répond

Joachim Murat.

On applaudit au passage le patriotisme de ce jeune citoyen qui, simple soldat alors, doit devenir plus tard roi de Naples et dont le nom retentit en public pour la première fois.

La garde du roi fut licenciée, les postes des Tuileries furent remis à la garde nationale et le duc de Brissac, le chef de ces nouveaux prétoriens, décrété d'accusation et envoyé devant la haute cour d'Orléans.

Louis XVI voulut tout d'abord refuser sa sanction, mais aucun des ministres n'ayant consenti à contresigner sa lettre à l'Assemblée, le roi sanctionna le décret et le 30 au matin, les gardes opérèrent entre les mains de leurs commandants respectifs la remise de leurs armes le soir, la garde nationale montait de nouveau la garde aux Tuileries. Dans le sein de t'Assemblée l'irritabilité des députés est extrême deux membres de la droite, Froudières et Calvet sont condamnés par leurs collègues à être (1) Dernières années Louis XVI, par Hué.

(2) CALVM (Marie-Jean-Jacques-Louis), député de l'Ariège, était né à Foix le 19 août 1760; U était garde du corps du roi; il, la Législative il siégea parmi tes modérés; après le M août, it cessa de siéger et se retira dans la vie privée. Sous le Consulat


enfermés trois jours à la prison de l'Abbaye, l'un pour avoir traité Guadet de déclamateur, l'autre pour s'être écrié en parlant des citoyens ayant déposé devant le comité de surveillance

Nous sommes bienheureux de n'avoir pas la confiance de cette canaille-là

Quelques instants après, c'est le royaliste Jaucourt qui interrompt Chabot en le menaçant de cent coups de bâton, mais Chabot se contente de hausser les épaules en disant & En vérité, il est bien tâche de la part d'un colonel de proposer des coups de canne à un capucin », et il continue son discours Un député, dont les comptes-rendus de l'époque ne nous ont pas conservé le nom, monte alors à la tribune et fait la motion suivante qui n'est pas acceptée A Rome, dans les temps orageux, les consuls faisaient une proclamation en ces termes « Citoyens, la République est en périt prenez les armes et tenezvous sur vos gardes. » Je propose à l'Assemblée de rendre une pareille décision 3.

Cette proposition, qui était la proclamation de la patrie en danger, ne trouva pas un seul défenseur et elle fut repoussée à l'unanimité elle sera reprise le mois prochain et provoquera dans toute la France un saint frémissement au milieu duquel s'avivera l'ardeur des citoyens qui voleront à la frontière combattre il fut nommé censeur du Lycée de Toulouse Louis XVIII le fit chevalier du Saint-Esprit et conseiller de préfecture de l'Ariège. Il mourut dans un âge avancé.

(t) N«<0tr< parlementaire, t. XIV, pp. 3!5-337.

(?) Id., p. 338.

(3) Id., p. 30t.


pour le salut de la patrie menacée par les armées étrangères, cette force de la contre-révolution ayant pourauxiliairesau dedans: les prêtres contre lesquels cette semaine, le 27 mai, l'Assemblée rendit un décret ainsi conçu

« La déportation des ecclésiastiques insermentés aura lieu comme mesure de sûreté publique et de police générale. Lorsque vingt citoyens actifs d'un même canton se réuniront pour demander la déportation d'un ecclésiastique insermenté, le directoire du département sera tenu de la prononcer. -Le déporté recevra trois livres par jour, comme frais de route, jusqu'à la frontière. »

Ce décret allait découvrir véritablement les intentions du roi s'il le sanctionnait, il devenait vraiment le roi de la Gironde et enlevait en même temps à la vaste conspiration des prêtres toute autorité morale si au contraire il refusait sa sanction, il se déclarait par le fait même le protecteur et le chef de ce clergé insurgé fomentant de tous côtés la guerre civile.

Au lieu de prendre franchement un parti, Louis XVI, suivant son habitude et sa pitoyable méthode de gouvernement qui l'avaient conduit où il était, tergiverse, biaise, essaie de gagner du temps.

Mais les événements vont précipiter la marche de la Révolution dont le roi avait arrêté les efforts par des atermoiements calculés.

Le jour même où, à Paris, l'Assemblée votait le décret contre les prêtres insurgés, le maréchal de


Bouillé, appelé par le roi de Prusse, arrivait à Magdebourg et combinait avec le duc de Brunswick le plan de la campagne contre la France. Il indiqua la Champagne comme la partie la plus faible de la frontière et proposa, comme étant la plus facile, l'attaque de Longwy, Sedan et Verdun il donna même l'assurance que ces trois places étaient en très mauvais état de là, le général royaliste indiqua comment les Prussiens et les Autrichiens pourraient marcher rapidement sur Paris par Rethel et Reims

Ainsi un officier français, pour écraser la Révolution, traçait lui-même le plan qui devait livrer la France à l'Étranger.

A Paris, Louis XVI dérobait quelques instants aux graves préoccupations de la situation pour étouSer un nouveau scandale qui menaçait d'éclater à propos des anciennes relations de la reine avec M" de Lamothe. Cette aventurière retirée à Londres y avait fait réimprimer pour la deuxième fois ses Mémoires l'édition entière de ce libelle tiré à six mille exemplaires fut envoyée à Paris au libraire Guerrier qui courut aux Tuileries proposant de vendre les six mille exemplaires en bloc pour 14,000 livres l'intendant de la liste civile refusa ce marché. Pendant ce temps un nommé Riston achetait l'édition de Guerrier et allait la mettre en vente quand Louis XVI se ravisa et donna l'ordre de continuer les négociations. Laporte dut subir les exigeances de Riston et paya 32.000 livres ce qu'il avait refusé pour 14,000. Les cinquante-deux ballots de livres furent donc livrés à l'intendant de la liste (1) 3MmMrm d'un homme <fE~<.


civile et envoyés à la manufacture de porcelaines de Sèvres On jeta les exemplaires dans les fours attumés on avait défendu aux ouvriers d'approcher, ce qui provoqua des soupçons au sujet de ces papiers ainsi brûlés secrètement avec tant de mystère, on dénonça ce fait à l'Assemblée et on parlait déjà de registres du comité autrichien clandestinement détruits.

Delaporte et Riston furent appelés à la barre et purent fournir des éclaircissements on apprit ainsi de quelle façon le roi, malheureux dans son ménage, essayait de cacher à tous le déshonneur de sa femme dont les agitations de la vie d'autrefois avaient encore des échos dans ces jours de luttes et d'épreuves. (t) mémoires de J~ de Campan.


27maii79ï.

XXIV

GAMAIN CONSTRUIT L'ARMOIRE DE-FER

L'histoire est souvent plus surprenante que le roman;

La vérité laisse bien en arrière les inventions de l'imagination.

Preuve ceci

Le 21 mai 1792, un homme à cheval s'arrêtait devant la maison portant le n° 9 de la rue Neuve, à Versailles, au rez-de-chaussée de laquelle était une boutique de serrurier sur la devanture était peinte cette inscription

Tyrans tremblez que la foudre

Bientôt ne vous réduise en poudre

L'homme descendit de cheval, prit la bête par la bride et, sans entrer dans la boutique, il cria par la porte entr'ouverte

M. Gamain

A cet appel, un homme d'une quarantaine d'années, (1) Les <M<<Mt< qui vont twore ont étd puités, pour le fond, <t«M la deuxième dissertation sur ~M~MM point. curieux de t'At<<ot')'e de France (Evocation d'un fait M~trm.c de la Révolution française), par le bibliophile PaM! ./aeot. Paris, chez Techner, t83S.


un serrurier en costume de travail sortit sur le trottoir

M. Gamain, continua le cavalier, Sa Majesté m'envoie vous ordonner de venir au château vous entrerez par les cuisines pour ne pas inspirer des soupçons.

Le serrurier, après avoir un moment réfléchi, répondit

Je suis bien contrarié, Durey, mais je n'irai pas. Pourquoi ?

Si je m'absentais de Versailles cela me rendrait suspect et m'attirerait malheur.

Celui que le serrurier Gamain appelait Durey. était habillé en roulier c'était un aide de forge que Louis XVI avait pris pour son atelier. Devant le refus de Gamain, il insista, lui représentant qu'il devait obéir au roi mais Gamain se mit à rire, ce qui parut vexer Durey.

Mais puisque je vous dis que Sa Majesté vous demande

–Bah! 1

C'est par son ordre que je suis ici, c'est par son ordre que je vous enjoins de venir.

Après?

Sa Majesté a besoin de vous pour un travail important 1

Sa Majesté sait assez bien son métier pour n'avoir besoin ni de moi ni d'un autre.

L'homme habillé en roulier haussa les épaules de dépit, remonta en selle et s'éloigna au grand galop dans la direction de Paris.

Il y avait trois heures à peine que le cavalier était


parti quand il revint pressant de nouveau Gamain d'obtempérer aux ordres du roi cette fois on ne parlait plus d'ordre, on demandait presqu'un service. Cette nouvelle attitude faillit décider le serrurier qui tint bon cependant et refusa une foi encore de se rendre aux Tuileries.

Gamain était le serrurier qui avait enseigné à Louis XVI à manier le marteau et à se servir de la lime. Le royal apprenti eut là un maître d'une habileté extraordinaire et nous avons pour nous en convaincre encore aujourd'hui, dans l'impasse des écuries de la reine à Versailles, un beau balcon en fer forgé qui est son ouvrage Louis XVI devenu roi continua de recevoir les leçons de Gamain et les rapports entre le patron et son élève ne cessèrent qu'après le 6 octobre 1789 quand la cour suivit le roi et la reine emmenés à Paris par les femmes conduites par l'huissier Maillard. Pendant quelque temps, Gamain se rendit aux Tuileries puis un beau jour il cessa tout à coup de venir.

Depuis ce temps il n'avait plus entendu parler de son royal élève. Le serrurier séduit par les idées nouvelles s'était déclaré patriote ses concitoyens l'élurent membre du conseil général de la commune de Versailles. Pourtant ses anciennes relations avec le roi le rendaient suspect à quelques-uns et il n'est pas difficile de comprendre qu'il ait résisté aux deux invitations de Durey.

(i) ~pM<)<<M et tMrt'Mf~t révolutionnaires, par Louis Combes.


Gamain croyait en être quitte avec son double refus, quand le lendemain matin, 22 mai, le même Durey se présenta de nouveau à la porte de sa boutique, Cette fois il était porteur d'un billet de Louis XVI priant presque amicalement le serrurier de venir lui donner un coup de main pour un ouvrage difficile. L'amour-propre de Gamain fut sans nul doute flatté de cette invitation que le roi avait pris la peine de faire lui-même.

Il quitta son tablier de cuir, s'habilla à la hâte, embrassa sa femme et ses enfants, puis, sans leur dire où il allait, il partit leur promettant seulement d'être de retour avant la nuit.

Arrivés aux Tuileries, Gamain et son guide entrèrent par les communs et se rendirent dans l'atelier du roi où le serrurier resta un moment seul, pendant que Durey allait rendre compte de sa mission. En attendant Gamain se mit naturellement à regarder les pièces neuves, nouvellement forgées par la main du 'roi. Il remarqua une porte en fer, une bénarde exécutée fort habilement et une petite cassette toute en fer.

Pendant qu'il se livrait à cet examen, Louis XVI entra, et avec cette grosse bonhomie qui lui était naturelle, s'approcha du serrurier en lui mettant familièrement la main sur l'épaule.

Eh bien mon pauvre Gamain, dit-il, voilà longtemps que nous ne nous sommes vus.

Oui, sire, répondit Gamain, et j'en suis fâché,


mais j'ai dû, par prudence pour moi, suspendre mes visites qui étaient mal interprétées; nous avons l'un et l'autre des ennemis qui ne cherchent qu'à nous nuire. Voilà pourquoi j'ai hésité hier à me rendre à vos commandements.

Hélas! fit le roi, les temps sont bien mauvais, et je ne sais pas comment tout ceci finira.

Puis, comme s'il eût voulu chasser une sombre pensée, le roi passa sa main devant son visage et changeant de ton dit presque gaiement en lui montrant la serrure bénarde et la porte de fer

Que dis-tu de mon talent? C'est moi seul qui ai terminé ces travaux en moins de dix jours. Je suis ton apprenti, et je tâche de te faire honneur. Gamain remercia le roi des éloges qu'il daignait lui adresser et lui demanda ce qu'il pouvait faire pour lui être agréable en protestant de son dévouement et de sa fidélité.

Gamain, lui dit Louis XVI, j'ai toujours eu confiance en toi, et dans les circonstances terribles où je me trouve, je ne balance pas à mettre dans tes mains le sort de ma personne et de ma famille.

En même temps il le conduisit dans la chambre à coucher, par le couloir sombre qui communiquait de son alcôve à la chambre du Dauphin. Durey, sur l'ordre du roi, enleva un panneau de la boiseriederrière lequel était pratiqué dans la muraille un trou rond d'à peu près deux pieds de diamètre. Le roi apprit à Gamain qu'il avait fait cette cachette pour y serrer de l'argent, que Durey t'avait aidé à percer ce mur, il en jetait les gravois à la Seine et avait dû faire plusieurs voyages pendant la nuit.

T. iv. <2


Je veux, continua Louis XVI, ajouter la porte de fer à l'entrée de ce trou mais je ne sais quel moyen employer pour achever cette opération que je te prie de terminer. Tel est le service que j'attends de toi.

Gamain se mit à l'oeuvre aussitôt.

Il repassa toutes les parties de la serrure qui n'avaient pas de jeu; il façonna la clef à la forge; ensuite il établit les gonds et la gâche dans la maçonnerie, aussi solidement que le permettaient les précautions qu'il fallait prendre pour étonner lebruitdes coupsde marteau. Le roi le secondait de son mieux à chaque instant il le suppliaitde frapper plus doucement et de se dépêcher tant il craignait d'être surpris. A la fin du jour, le travail était achevé.

La clef de la porte de fer fut mise dans une petite cassette de fer et cette cassette scellée sous une dalle à l'extrémité du corridor. L'armoire fut laissée ouverte, car on n'avait pas besoin de la clef pour fermer la serrure de l'armoire de fer, parce que les pènes jouant d'eux-mêmes, on n'avait qu'à pousser la porte pour que la serrure fermât.

Gamain avait travaillé huit heures sans s'arrêter, de larges gouttes de sueur perlaient sur son front et il n'avait rien pris depuis son départ de Versailles. Le roi le pria de l'aider à compter deux millions en doubles louis qui furent divisés en quatre sacs de cuir; mais ce n'était là qu'un artifice pour détourner son attention pendant que Durey transportait des liasses de papiers, qu'on cachait dans l'armoire de fer. Le roi proposa à Gamain de manger au château avant de partir, mais celui-ci refusa ayant hâte de


revenir à Versailles où sa femme et ses enfants devaient être dans l'inquiétude.

Ici nous laissons parler Gamain lui-même. « Lorsque j'allais me retirer, la reine entra tout à coup par la masquée qui se trouvait au pied du lit du roi elle tenait à la main une assiette chargée d'une brioche et d'un verre de vin elle s'avança vers moi, qui la saluai avec étonnement < Mon cher Gamain, <: me dit-elle d'une voixcaressante. vous avez chaud: « buvez ce verre de vin et mangez ce gâteau, cela « vous soutiendra pour la route que vous allez faire, c Je la remerciai tout confus. je vidai le verre de vin à sa santé, et glissai la brioche dans ma poche. Quand je sortis des Tuileries, il était nuit close. Je m'acheminai à travers les Champs-Elysées, en longeant la chaussée du bord de l'eau, où ne passaient guère ni piétons, ni voitures, les communications entre Paris et Versailles étant devenues de plus en plus rares, depuis que le roi avait quitté cette dernière ville. Soudain je fus saisi d'un malaise général, bientôt suivi de déchirements d'estomac, de spasmes nerveux, de brûlements d'intestins, jusqu'à ce que des souffrances inouïes me fissent tomber haletant au pied d'un arbre. Il me semblait qu'on m'arrachait le cœur et les entrailles.. Je poussais par intervalles des cris aigus, et sans interruption des gémissements étouffés. Une heure, qui me parut un siècle d'enfer, s'écoula dans ces angoisses. Enfin, je me regardais comme sauvé quand le bruit d'une voiture roulant sur te pavé parvint à mes oreilles. Je me poussai en avant sur les mains et les genoux, afin d'être secouru ou écrasé. A mes plaintes réitérées, un homme mit


la tête à la portière, et voyant quelque chose qui se mouvait dans l'ombre, ordonna au cocher de retenir les chevaux pour éviter un malheur. Puis il s'élança hprs de la voiture. C'était un riche Anglais, d'un caractère humain et généreux. Il considéra ma face livide, tâta mon pouls à peine sensible, toucha ma poitrine brûlante et me demanda froidement si je n'avais pas été empoisonné.

« Ce fut pour moi un éclair imprévu, dont la lueur me montra les motifs qu'on pouvait avoir de se défaire du possesseur d'un secret d'État. L'Anglais me porta dans sa voiture, et la fit arrêter devant une boutique d'apothicaire de la rue du Bac, où fut préparé sur-lechamp un élixir dont la puissance combattit l'action foudroyante du poison. Je recouvrai en partie l'ouïe et la vue; le froid, qui déjà circulait dans mes veines, se dissipa par degrés; et l'Anglais jugea que je pouvais être transporté à Versailles. Nous arrivâmes chez moi à deux heures du matin ma femme était dans les transes son désespoir éclata en sanglots quand elle me vit revenir moribond, enveloppé dans une houppelande comme dans un linceul, et déjà semblable à un cadavre. Le médecin, M. de Lameiran, et le chirurgien, M. Voisin, furent appelés et constatèrent les signes non équivoques du poison. Grâce à leurs soins, je triomphai du poison après trois jours de fièvre, de délire etde douleurs inconcevables, mais non sans en subir les terribles conséquences une paralysie presque complète, qui n'a jamais été guérie tout à fait, une névralgie de la tête, etenfin une inflammation générale des organes digestifs, avec laquelle je suis condamné à vivre. Je ne voulais pas


avouer même à ma femme que j'avais été empoisonné. Mais la vérité vit le jour malgré moi. Quelque temps après cette catastrophe, la servante, nettoyant l'habit que je portais lors de mon accident, trouva dans les poches un mouchoir sillonné de taches noirâtres, et une brioche aplatie, déformée. Le chien mangea cette pâtisserie, et mourut. Il fut ouvert par M. Voisin et la présence du poison constatée. »

Maintenant que conclure? 2

Gamain a-t-il été empoisonné ?

Cela paraît certain s'il dit la vérité, et s'il n'ajoute pas ce qui est très possible des détails imaginaires à son récit dont le fonds est indiscutable.

Qui aurait commis le crime? telle est la question qui se pose et qui n'a pas encore été résolue, qui ne le sera sans doute jamais.

Est-ce Louis XVI, est-ce Marie-Antoinette ? ce n'est pas prouvé, nous n'avons aucune preuve suffisante et dans l'incertitude nous devons nous abstenir de tout jugement, nous contentant de raconter les faits sans en tirer une conclusion qui nous échappe.


Dut"em6]uint79!.

XXV

PROCESSIONS

Processions religieuses et civiles. Eclat des processions de là Fête-Dieu. Décret de la commune. Les tentures. Les processions. Incidents: chapeau bas! Legendre arrêté. La procession en l'honneur de Simonneau. Le requin. Louis XVI conspire avec l'étranger. Projet du camp de 20.000 hommes.

Jusqu'ici, la Fête-Dieu avait été la fête la plus pompeuse de la capitale les Eglises sortaient leurs magnifiques ornements, étalaient leuis richesses. Mercié nous en a conservé cette pittoresque description' « Tous les ordres de l'Etat environnent ce Saint-Sacrement, toutes les portes sont tapissées, tous les genoux fléchissent les prêtres sont les dominateurs de la viltf, les soldats sont à leurs ordres, les surplis commandent aux habits uniformes, et les fusils mesurant leurs pas marchent à côté des bannières. Les canons tirent sur leur passage la pompe la plus solennelle accompagne le cortège les fleurs, l'encens, la musique, les fronts prosternés, tout ferait (1) Tableau de Paria.


croire que le catholicisme n'a pas un seul adversaire, un seul contradicteur, qu'il règne, qu'il commande à tous les esprits. Eh bien l'on a admiré la marche et l'ordre de la procession, le dais, le soleil, les coups d'encensoir, qui jaillissent en temps égaux, la beauté des ornements. L'on a entendu la musique militaire entrecoupée de décharges l'on a compté les cardinaux, les cordons bleus, les évêques, les présidents en robe rouge qui ont assisté à cette solennité l'on a comparé les chasubles et les chappes des différentes paroisses l'on a parlé des reposoirs. » Chaque particulier, en vertu d'anciens règlements et de vieilles ordonnances, était tenu de participer à cette fête en tapissant, sous peine d'amende, les maisons sur tout le parcours du cortège.

Telle avait été à peu près la procession de l'année précédente le clergé se disposait à celle de cette année, l'organisation se poursuivait dans chaque paroisse. les invitations étaient déjà envoyées, quand la municipalité lança un décret commençant ainsi « Le corps municipal, plein de respect pour les principes consacrés par la Constitution qui garantit à tout homme le droit d'exercer le culte religieux auquel il est attaché, arrête d" Les citoyens ne sont plus forcés à tendre ni tapisser l'extérieur de leurs maisons 2° La gardf nationale ne pourra être requise pour assister aux cérémonies du culte les citoyens ne seront plus obligés de fermer leurs boutiques et magasins, »

Cette mesure ne fut guère approuvée tant le vieil esprit religieux était encore enraciné dans la grande Ville même chez les plus patriotes. Ainsi Camille Des-


moulins écrivait dans son journal « Je crains bien que Manuel n'ait fait une grande faute en provoquant l'arrêté contre la Fête-Dieu. Mon cher Manuel, les rois sont mûrs. le bon Dieu ne l'est pas'. » Deux fois, en 1790 et 1791, l'Assemblée Constituante avait assisté en corps à la procession de SaintGermain-l'Auxerrois le curé de cette paroisse renouvela à l'Assemblée législative son invitation accoutumée Fauchet insista pour que cette invitation fût acceptée et il réussit.

Les processions eurent donc lieu comme à l'ordinaire elles présentèrent seulement un peu plus de zèle que les années précédentes de la part des habitants'. Louis XVI fit dresser un reposoir et tendre le Louvre de belles tapisseries il envoya sa domesticité avec des flambeaux pour suivre le Saint-Sacrement mais il refusa de se montrer et encore plus de se joindre au cortège, le curé de la paroisse ayant prêté le serment à la Constitution.

Les processions de la Fête-Dieu fu rent célébrées avec une grande pompe en dépit du décret de la commune et de la pluie qui tomba en abondance mais qui n'éteignit nullement le zèle du peuple et de la petite bourgeoisie pour ces anciennes cérémonies qui donnèrent lieu à de nombreux incidents. Ainsi les prêtres des (t) Tribune detpatrtotM.n" tit.

(2) Les ~M<M<toM <!< Paris.


missions étrangères de la rue du Bac étaient réfractaires comme la procession passait devant leurs maisons l'orage la surprit le curé de Saint-Sulpice voulut se réfugier dans la chapelle des missionnaires qui refusèrent de recevoir le saint-sacrement des prêtres assermentés

De nombreux bataiiïons de la garde nationale, sans être requis ni commandés, se rendirent de leur plein gré aux processions et leur firent escorte. Dans plusieurs rues on ôta de force le chapeau à des spectateurs qui restaient couverts; rue de la Harpe, des femmes cassèrent les vitres de la boutique d'un charcutier qui n'avait point tapissé.

Rue Mazarine, un boucher, au lieu de tenture, suspendit à sa porte un poignard couronné du bonnet phrygien un peu plus loin on remarquait sur une maison un grand drap tout blanc avec une gigantesque cocarde tricolore. Deux citoyens. Fourcade et Noudiot ne s'étant pas découverts sont saisis par la foule, battus, entraînés au commissariat de police, enfermés au violon jusqu'à six heures du soir 3.

Legendre se rendait au marché aux bestiaux de Poissy avec un de ses amis; arrivés à la rue du VieuxColombier, leur cabriolet est arrêté par une procession comme ils ne se découvraient pas, des gardes nationaux s'approchent de leur voiture et. pour leur faire ôter leur chapeau vont jusqu'à leur mettre les baïonnettes sur la poitrine. La foule s'ameute, on reconnaît Legendre.

()) Le* ~!<MiM<)'ont de Paria.

)") /&M.

(3) te Patriote /r<Mj-aM.


Ah! c'est Legendre, s'écrie-t-on, il faut le pendre.

Legendre est obligé de sauter à bas de son cabriolet, il veut s'expliquer

Je suis Legendre, s'écrie-t-il, votre meilleur ami, celui qui depuis la Révolution s'est dévoué à la cause du peuple.

Vaines explications, les cris de A la lanterne! se font entendre une femme en fureur c)âme àtue-tête Grand Dieu 1 ne trouverai je donc pas une pierre pour briser la boite qui renferme la corde du réverbère ? quel plaisir de pendre ce coquin-là! Le juge de paix de la section de la halle aux blés est obiigé d'intervenir et. pour le soustraire aux excitations de la foule, on dut le conduire, sous escorte à la prison de l'Abbaye où on le mit en liberté, 1. Ces traits suffisent pour prouver que si la majorité de la population était attachée à la révolution, elle était loin d'être débarrassée de ses entraves religieuses auxquelles elle se cramponnait avec autant de zèle que de passion.

Le 3 juin, les Feuillants firent une autre procession d'un autre genre exaspérés du succès qu'avait eu la grande manifestation en faveur des soldats réhabilités de Châteauvieux, les modérés résolurent de profiter de la fête funèbre en l'honneur de Simonneau, le maire d'Étampes assassiné, pour organiser une fête dont ils s'emparèrent et dont ils firent véritablement une manifestation de la bourgeoisie opposée à celle du peuple si généreuse, si imposante, si spontanée. (1) Lejournal <<« Jacobins.


Le cortège composé surtout de gardes nationaux partit de la place de la Bastille, et suivit les boulevards; il s'ouvrait par la bannière de la loi entourée par la gendarmerie; puis venait comme toujours le modèle de la Bastille que suivaient les enseignes des 48 sections portés par chaque président de section en habit noir. On remarquait une espèce de requin empaillé hissé au bout d'une pique qui le transperçait, l'animal ouvrait la gueule et montrait ses dents sur son corps étaient écrits ces mots Respect à la loi B, cela représentait, parait-il, les citoyens inactifs vaincus par les gardes nationaux. Plus loin venait, sur un palanquin, le glaive de la loi avec cette inscription Elle frappe pour défendre. Les juges des tribunaux entouraient ce glaive. L'écharpe de Simonneau enlacée d'un crêpe et d'une palme figurait dans le cortège ainsi que le buste du maire d'Etampes suivi de sa famille en deuil et enfin quatre hommes costumés à l'antique portaient sur leurs épaules la pyramide votée par l'Assemblée pour être placée surla place d'Etampes. Le cortège se terminait par une Minerve d'argent assise sur une chaise curule dorée et placée sur une châsse entourée par des enfants habillés de blanc, jetant des fleurs, et un groupe de femmes vêtues également de blanc, couronnées de feuilles de chêne et conduit par Olympe de Gouges. Les journaux signalent aussi une colossale statue de la Liberté représentée par une femme assise, appuyée sur les droits de l'homme, sur le socle de cette statue on lisait cette inscription Les hommes vraiment libres sont esclaves de la loi. La procession arriva au Champ de Mars, on tira trois salves d'artillerie on chanta un hymne de Roucher,


ou brûla de l'encens devant le buste de Simonneàu et ainsi se termina cette cérémonie civile calquée sur les cérémonies religieuses et à laquelle le peuple demeura étranger

Pendant que le peuple de Paris se préoccupait ainsi de fêter son bon Dieu et que la bourgeoisie encensait Simonneau, Louis XVI chargeait Mallet du Pan d'une mission secrète pour les puissances étrangères, il lui remettait des instructions signées de sa main et d'où nous détachons le passage suivant 2 « Représenter aux cours de Vienne et de Berlin l'utilité d'un manifeste qui leur serait commun avec les autres états qui ont formé le concert l'importance de rédiger ce manifeste, de manière à séparer les jacobins du reste de la nation a Faire entrer dans cette rédaction la vérité fondamendale qu'on fait la guerre à une faction anti-sociale, et non pas à la nation française, ne point imposer des lois, mais déclarer énergiquement à l'assemblée, aux corps administratifs, aux municipalités, aux ministres qu'on les rendra personnellement et individuellement responsables, dans leurs corps et biens de tous attentats commis contre la personne sacrée du roi, contre celle de la reine et de la famille royale ?.

Ainsi Louis XVI conspir&avec l'Etranger au moment même où il va se plaindre de ce qu'on méconnaît son grand amour pour le peuple..

Ces projets transpiraient dans le public, aussi le (t) Tous cet tirait* M trouvent dans j~M Révolution, de /'at't<, » qui donnent un long compte-rendu de la fête.

(2) Mémoires de Bertrand de Molleville, t. VIII, p. 39.


ministre de la guerre, sans prévenir ni ses collègues, ni le roi, et pour calmer les inquiétudes éveillées par ces bruits de conspiration autrichiem~ propose à l'Assemblée de former sous les murs de Paris un camp de vingt mille hommes patriotes. Cette proposition, qui exaspéra la cour, fut décrétée d~urgeace. Cet vingt mille hommes pris dans tous les départements propoUionnettement à la population devaient se réunir à Paris le 14 juillet.

Quand les ministres se rencontrèrent le lendemain au conseil, Dumouriez reprocha violemment à Setv~m d'avoir déposé cette proposition sans le con~Qtter la discussion prit un tel caractère de violence que, sans la présence du roi, le sang aurait coûté*. Mais devant l'enthousiasme de l'Assemblée il eût été dangereux, sinon impassible, de faire rapporter le décret il n'y avait qu'à signer « Si vous vous opposez au décret, dit Dumouriez à Louis XVI, au lieu des vingt mille hommes, il arrivera des provinces, sans décret, quarante mille hommes qui peuvent renverser la Constitution, t'Assemblée et le trône. »

Louis XVI très opposé a cette idée, enrayé, demanda à rénéchir.

Pendant que le roi attendait des conseils qui pussent le guider dans cette occasion, l'assemblée réduisit de moitié le traitement des ministres qui étaient de cent mille francs depuis la Constituante ()) Mémoires de Dumouriez, t. H, p. 969.

(':) Révolutions de PerK.

T.tV.


XXVI

RENVOI DES MINISTRES GIRONDINS

Louis XVI recule la sanction des deux décrets du corps de 20.COQ hommes et contre les prêtres rëfraotaires,– La lettre de Roland.–Louis XVI renvoie les trois ministres Girondin!).–Dumourtez forme un nouveau ministère.– Dumouriez à l'Assemblée. La chevalière d'Eon.

Louis XVI, en présence du décret contre les prêtres, essayait de gagner du temps, dissimulant son refus derrière des tergiversations il demandait à réfléchir, remettait toujours la sanction au conseil sui.vant et trouvait sans cesse des raisons nouvelles pour la remettre. Roland et Servan insistaient énergiquement auprès du roi; comme il ajournait encore sa décision, M"" Roland imagina de lui adresser une lettre collective exposant les raisons rendant la sanction indispensable tous les ministres devaient signer la lettre et offrir leur démission en cas de refus. Il s'agissait de forcer la volonté du roi. La lettre rédigée par M*" Roland fut proposée par Roland à ses collègues tous approuvèrent l'idée, maissur l'exécution, la plupart dîneraient telle phrase déplaisait à Clavière, Duranthon voulait temporiser; fatigué d'attendre les signatures, Roland signa seul et se rendit au conseil des ministres,


HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 2i9 !ei0 juin, décidé àtirelafameusetettreà a haute voix devant ses collègues et à la déposer ensuite entre les mains du roi.

Le conseil s'ouvre et la discussion sur la sanction des deux décrets, celui du camp de vingt mille hommes et celui contre les prêtres réfractaires est entamée Le roi intervient et suspend le débat en disant à chaque ministre de lui remettre chacun son opinion écrite au conseil suivant Roland fit parvenir le lendemain matin 11 juin sa lettre. Cette déclaration assez longue se résume dans ces phrases

tDeuxdécretsimportantsontété rendus; tousdeux intéressent essentiellement la tranquiilité publique et le salut de l'Etat. Le retard de leur sanction inspire des défiances, s'il est prolongé, il causera des mécontents et je dois le dire, dans l'effervescence actuelle des esprits, les mécontentements peuvent mener à tout.

« Il n'estptus temps de reculer, il n'y a même plus moyen de temporiser. La révolution est faite dans les esprits; elle s'achèvera au prix du sang, et sera cimentée par le sang, si la sagesse ne prévient pas des matheurs qu'il est encore possible d'éviter. t

C'était annoncer une guerre civile en cas de refus prolongé.

A peine Louis XVI eut-il reçu cette lettre qui est une page é!oquented'où s'échappe le cri du patriotisme indigné, qu'il fit appeler Dumouriez. L'entretien eut lieu en présence de la reine dont l'influence semblait prépondérante à ce moment.

(<) M" BotaM, AfAnMfM.


Ce fut Marie-Antoinette qui adressa la première la parole à Dumouriez

Croyez-vous, monteur, dit-elle, que le roi doive supporter plus longtemps les menaces et les insolences de Roland, les fourberies de Servan et de Clavière ? Non, madame, répondit Dumouriez, j'en suis indigné, j'admire la patience du roi et j'ose le supplier de changer entièrement son ministère.

Je veux que vous restiez, vous, dit le roi, ainsi que Lacoste eUe bonhomme Duranthon. Rendez-moi le service de me débarrasser de ces trois factieux insolents, car ma patience est à bout.

Dumouriez, ne demandant pas mieux que de se défaire des collègues dont l'influence le gênait, accepta, mais pour éviter une impoputarité qui aurait rendu impossible un nouveau ministère, il posa comme condition précisément la sanction des deux décrets refusée jusqu'ici avec opiniâtreté. Marie-Antoinette résista protestant d'abord contre le camp de vingt mille hommes.

Pensez, monsieur, combien il est dur pour le roi de sanctionner un décret qui amène à Paris vingt.mille coquins qui peuvent le massacrer.

Dumouriez essaya de calmer la reine, lui montrant le parti à tirer d'une habile interprétation des termes mêmes du décret rien n'empêchait. par exemple, de réunir les vingt mille hommes Soissonsoù ils seraient peu à craindre.

Eh bien 1 soit, dit Louis XVI. Si vous êtes le mi-


nistre de ta guerre je me fie entièrement à vôus. Dumouriez avait obtenu la promesse dé sanction pour le camp sous Paris, il demanda celle pour le décret contre les prêtres Le roi se défendit, Dumouriez insista et finalement Louis XVI eut l'air de céder. Le 13 au matin, Servan, Roland et Ctavières étaient remerciés et remplacés par des sous-ordres de Dumouriez qui prit pour lui le ministère de la guerre, plaça Nailhac aux affaires étrangères et Mourgues de Montpellier à l'Intérieur.

En apprenant la nouvelle du renvoi des ministres. Girondins, t'Assemblée vota, là presque unanimité, au milieu des applaudissements enthousiastes des tribunes, que les trois ~ministres congédiés emportaient les regrets de la nation.

En même temps l'Assemblée ordonne l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois départements de ta lettre écrite au roi par Roland.

C'est au milieu des applaudissements décernés par les députés et les tribunes aux anciens ministres que Dumouriez fit son entrée dans l'Assemblée; des murmures éclatent aussitôt de divers côtés, mais, lui sans se laisser déconcerter, demande la parole et monte à la tribune avec autant de sang-froid-que de hauteur. H commence par annoncer la perte du général Gouvion « Ce brave homme est heureux, dit-il, d'être mort en combattant l'ennemi et de ne pas être témoin de nos affreuses discordes. »

Dumouriez, entame ensuite la lecture d'un long mémoire sur le ministère de la guerre dont le début


est relatif aux égards dus aux ministres; Guadet l'interrompt ciiant de sa voix forte qui emplit la salle L'entendez-vous, il se croit déjà sûr de la puissànce, qu'il s'avise de nous donner des conseils. Dumoufiez, hautain, se tourne vers Guadet Pourquoi pas?dit-it.

Et il continue, avouant que tes troupes manquent d'armes, de munitions.de vivres, de chevaux au milieu des interruptions tes plus vives, il signe son rapport, le dépose sur le bureau et se retire lentement. Dans les couloirs remplis d'une foule agitée il entend des voix qui l'appellent traître et demandent qu'on l'envoie comme tel devant la haute cour d'Orléans. A Orléans 1 lui crie-t-on presque dans le visage. Et lui, sansse déconcerter:

Je veux bien, j'y prendrai des bains, du petit lait et m'y reposerai

Dans cette même semaine fut lue une lettre de la célèbre chevalière d'Eon demandant de reprendre son casque et son rang dans l'armée française. Cette demande renvoyée au comité diplomatique ne fut pas accùeillie et la prétendue chevalière d'Eon continua à porter ses jupes et sa cornette quoiqu'elle fût bel et bien un homme comme te reconnurent les médecinsqui.en 1810, firent l'autopsie de son corps.

C'est une des existences les plus bizarres que celle de cette chevalière d'Eon née à Tonnerre, le 5 octobre d728. Après avoir été inscrite conHne garçon et-fait ses études au collège Mazarin, reçue docteur en droit civil et en droit canon avec dispense d'âge et peu après re~ue avocat au parlement 4e Paris lauréat de l'Académie française, la chevalière ou plutôt le chevalier


d'Eon se mit pratiquer 'escrime où H acquit une grande réputation il avait une voix douce, une figure, et des manières qui lui donnaient une vague ressemblance avec une femme; nommé secrétaire d'ambassade en Russie, ses succès diplomatiques lui valurent un brevet de capitaine dedragons et la place d'aide de camp du maréchal de Broglie. Envoyé en mission secrète en Angleterre, il y resta comme ambassadeur intime de Louis XV avec qui il correspondait secrètement. A la suite d'une violente discussion entre le chevalier d'Eon et l'ambassadeur officiel français Guerchy, ce dernier se plaignit à Louis XV qui fut obligé, pour desconsidérations diplomatiques, de donner tort à son agent secret et même de signerl'ordre del'arrèter; mais il eut soin de le prévenirassez à l'avance pourqu'il pût se placer sous la protection de l'Angleterre et continuer ses correspondances secrètes. En même temps, Louis XV, profitant de l'aspect physique du chevalier, fit dire partout que c'était une femme et lui intima l'ordre de « reprendre les habits de son sexe. »

Le capitaine de dragons obéit à cet ordre étrange, bizarre et à partir de ce moment, devint la chevalière d'Eon On crut à Londres à ce changement de sexe puisque des paris considérables, soutenant que c'était une femme, s'engagèrent et la cour du banc du roi annula pour sept millions de ces paris comme ayant une cause immorale. Sous des habits de femme la chevalière d'Eon continua à rester à Londres pendant quatorze ans et à correspondre toujours secrètement avecLouisXV. A l'avénementde Louis XVI on négocia le rachat de la correspondance privée du feu roi que la chevalière d'Eon avait entre les mains; ce fut Beau-


marchais qui fut envoyé à Londres pour négocier cette déticate affaire. D'Eon obtiut l'autorisation de rentrer en France mais « sous ses habits dedemoiseDe~. C'est cette étrange amazone qui offrait aujourd'hui ses services militaires, malgré ses soixante-quatre ans,services qui ne furent pas accepté- d'Eon renouvela son offre à la Convention sans plus de succès. H revint alors à Londres où il mourut en 1810, âgé de quatre-vingtdeux ans et donnant, pour vivre, des leçons d'escrime.


Du t4 au M juin t79ï.

XXVH

DUMOURIEZ EST JOUE

Le roi oppose définitivement son veto aux deux décrets. Uemission de Dumouriez. Lettre de Lafayette. Colère populaire. On brûle 600 volumes de titres de noblesse. Les harangueurs publics. Projet de monument sur la place de la Bastille. Le fils de Calas à l'Assemblée. Les sectionnaires déaient. Le peuple se prépare à célébrer l'anniversaire du serment du jeu de Paume. Dumouriez part pour l'armée.

Malgré la promesse formelle faite à Dumouriez, le roi refuse de sanctionner les deux décrets, celui contre les prêtres perturbateurs et celui autorisant de former le fameux camp de vingt mille hommes. En apprenant cette nouvelle, la colère fut grande l'Assemblée.dans les clubs et dans les réunions populaires. Dumouriez dont le roi s'était servi pour renverser Roland était obligé de remettre sa démission qu'on s'empressait d'accepter. Le jour même où Dumouriez quittait le pouvoir, le 18 juin, l'Assemblée recevait une lettre singulière datée du 16 et dans laquelle Lafayette parlait de cette démission qu'il devait donc connaitre deux jours auparavant.

« J'apprends, écrivait le général, qu'un ministère que ma correspondance accusait depuis longtemps a

succombe sous ses propres intrigues; car, sans doute,


ce n'est pas en sacrifiant trois collègues, asservis par leur insignifiance à son pouvoir, que le moins excusable, le plus noté de ces ministres (Dumouriez) aura cimente~ dans le conseil du roi, son équivoque et scandaleuse existence. »

Après cet exorde, Lafayette accusait en termes formels les Jacobins de tous les embarras dans lesquels setrouvait la France «. des ennemis intérieurs,ivres de fanatisme ou d'orgueil, entretiennent un chimérique espoir et nous fatiguent encore de leur insolente malveillance. Pouvez-vous dissimuler qu'une faction, et, pour éviter les dénominations vagues, que la faction Jacobine a causé tous les désordres? C'est elle que j'en accuse hautement. JI)

Puis venaient des conseils qui ressemblaient à des ordres. Il faut, disait Lafayette, « que le pouvoir soit intact qu'il soit indépendant que le roi soit révéré qu'il puisse choisir un ministère qui ne porte les chaînes d'aucune façon et que s'il existe des conspirateurs, ils ne périssent que sous le glaive de la loi. Enfin que le règne des clubs, enfanté par vous, fasse place au règne de la loi. ])

La lecture de cette lettre audacieuse fut couverte d'applaudissements par la majorité de l'assemblée qui en ordonna l'impression.

Déjà même plusieursmembres en demandaient l'envoi aux quatre-vingt-trois départements quand Vergniaud,profitant d'un moment de catme,essayade s'opposera cette mesure non ouvertement maisen biaisant, soutenant que « sans accuser les intentions de M. de Lafayette je les crois pures te général n'avait le droit de communiquer avec l'Assemblée que par


l'intermédiaire des ministres. On allait passer outre quand Guadet trouva un moyen détourné de s'opposer à l'envoi aux départements, il contesta l'authenticité de la lettre qui fut soumise à une commission de douze membres.

La partie était gagnée car les clubs s'agitèrent tellement que l'influence de l'indignation publique, l'explosion de mécontentement empêchèrent lès Feuillants de triompher.

« Il n'y a pour. l'Assemblée, écrivait Robespierre, dans son journal, le Défenseur de la Constitution, que deux alternatives; il faut, ou qu'elle déploie contre Lafayette une énergie digne de cet attentat, ou qu'elle descende au dernier degré de l'avilissement. »

La fameuse lettre fut le sujet de toutes les discussions et de tous les commentaires non seulement dans les clubs mais les réunions en plein air qui se tenaient sur la terrasse des Tuileries et sur les boulevards où l'on voyait des orateurs improvisés montant sur des chaises ou sur des bornes haranguant la foule. Le peuple entourait ces parleurs ou ces harangueurs comme on les appelait alors, et il applaudissait quand les idées exprimées étaient en harmonie avec ses propres sentiments, comme il applaudit à l'auto-da-fé quieutlieu sur la place Vendôme; le 15 juin, pour se conformer au décret du 12 mai, on brûla publiquement les archives de l'ordre du Saint-Esprit et 600 volumes de titres de noblesse des plus anciennes familles nobles duroyaume.


Si on détruisait les parchemins de l'ancien régime, en revanche on adoptait un projet tendant à perpétuer le souvenir d'une des grandes victoires de la Révolution. H devait être formé, sur l'ancien terrain de la Bastille, une place portant le nom de Place de la Liberté sur cette place devait être élevée une colonne surmontée de la statue de la Liberté. Le même décret ordonna d'achever de démolir les tours de la Bastille' C'était vouloir effacer à tout jamais les vestiges de cette ancienne forteresse qui avait si longtemps incarné le despotisme et l'arbitraire de l'ancien régime. C'était aussi une victime de cet arbitraire, un des fils Calas qui, dans la séance du soir, du dimanche 17 juin, implorait la générosité de t'Assemblée. Louis Calas était venu d'Angleterre où il était chirurgien, juste à temps pourvoir mourir ta veuve du martyr toulousain, martyr du fanatisme religieux. M" Calas décéda en effet, le 29 avril 1792, au n**3)a rue Poissonnière. Sans grandes ressources le fils demanda des secours à l'Assemblée à la barre de laquelle il fut admis, un défenseur officieux prit la parole pour lui.

Réduit par ledésespoir,dit-ii, à quitter sa patrie, l'Angleterre tuia donné unasile depuis vingt-cinqans: mais ce qui lui reste de sa malheureuse mère, loin de suffire aux engagements de son père, considérablement accrus parles intérêts, ne suffit même paf àsasubsistance et à celle de sa famille

François de Nantes, qui présidait, témoigna au pétitionnaire la sensibilitéde l'Assemblée envers une des victimes des intrigues sacerdotales. Quant à la de(t) Jean Caf<M e< ta /«m< par Coquerel, p. 177.


mande de secours, renvoyée à un comité elle n'eut naturellement pas de suite.

Entre temps on vit défiler à la barre des sections entières de la garde nationale, comme celle du bataillon deSaint-André-des-Arts qui traversa la salle précédée de la musique jouant un air de marche. Ce fut aussi lebataillon et les habitants du faubourg Saint-Antoine conduits par le commandant Santerre, qui défilèrent en armes devant t'Assemblée. Le baiaiton entra précédé de fifres et de tambours, suivi des habitantsarmés de fusils, de sabres, de lances, de piques, de crocs, de fourches, de haches, de pieux, de faulx, de scies,de pioches et même de massues. Le défilé dura plusieursheures devant tesdéputésdemeurésàteur banc. Pour clore la marche, Santerre présenta un drapeau au nom du faubourg Saint-Marcel et Saint-Antoine réunis, l'Assemblée l'accepta etles manifestants transportèrent dans le jardin des Tuileries un peuplier, un arbre de la liberté, qu'on devait planter, en souvenir de l'anniversaire du serment du jeu de Paume, le lendemain c'était le renouvellement d'une ancienne coutume populaire la plantation du may qui avait été remise à la mode au moment de la grande fédération de 1790. En 1792 la France en comptait plus de soixante mille et, en ce qui concerne Paris seulement, Villette écrivait t On voit s'élever dans Paris deux cents arbres de la liberté, tous chargés de guirlandes de rubans et de fleurs, »

Pendant que le peuple se disposait à célébrer l'anniversaire du 20 juin 1789, Dumouriez quittaitParis pour rejoindre t'armée de Luckner où il allait occuper un emploi de lieutenant général.


XXVIII

LE 20 JUIN

20 Juin <7M.

Nous allons trouver trois dates qui sont trois époques et auxquelles il faudra nous arrêter. Le 20 juin, le 10 août et le 2 septembre 1792.

Le 20 juin c'est le dernier avertissement donné au roi qui viole la Constitution puisqu'il s'oppose à l'ap plication de ses principes.

Le 10 août c'est la violente et énergique protestation contre la complicité de la Cour en continuelle communication avec l'étranger.

Le 2 septembre c'est la réponse aux plans des armées coalisées contre Paris; il s'agit d'écraser tes ennemis et les conspirateurs du dedans avant de marcher contre les alliés du dehors qui envahissent la France. La journée du 20 juin fut produite par une effervescence pacifique du peuple que surent mettre à profit les agitateurs de la Gironde voulant venger le renvoi des ministres. Le but de la manifestation pacifique était de présenter à l'Assemblée et au roi des pétitions relatives au double veto et de planter un mai sur la terrasse des Feuillants en mémoire de la séance 'du jeu de Paume.

Les habitants des faubourgs Saint-Antoine et Saint-


Marceau avaient prévenu de leur manifestation la municipalité. Le 20 juin, à dix heures du matin, les manifestants, qui s'étaient réunis sur l'emplacement de la Bastille, se mirent en marche quelques patriotes placés entre plusieurs pièces de canon, ouvraient le cortège portant les tables des droits.de l'homme et l'arbre de la liberté qu'on devait planter sur la terrasse des Feuillants. Dans le cortège, des citoyens avaient des cartouches sur lesquelles étaient écrites diverses inscriptions et entre autres

Quand la patrie est en danger,

Tous les sans-culottes sont levés.

Sur une autre on lisait

AVIS A LOUIS XVI

Le peuple, las de souffrir,

veut la liberté toute entière

ou la mort.

Plus loin

Nous ne voulous que l'Union

La Liberté

Vive l'Egalité.

Libres et sans .culottes

Nous en conserverons <Mt moins les lambeaux

La foule suivit la rue Saint-Honoré et les manifestants n'avaient aucun des caractères furieux et sangui()) Révolutions,de Paria.


naires qu.'ont'voulu leur prêter les écrivains royalistes. C'étaitptutôtune fête que sedonnaientles faubouriens; on remarquait des invalides presque centenaires, des mères de famille menant leurs enfants par la main. Beaucoup étaient armés de bâtons, de piques ou de fusil, mais c'était pour la parade et non pour l'attaque, ceux qui n'avaient pas d'armes portaient des rameaux verts, des épis de blé et des bouquets de fleurs La foule arriva, entre une heure et deux dans la Cour des Feuillants et des délégations commencèrent à dé6)er. Un délégué donna lecture d'une adresse dans laquelle les pétitionnaires mettaient leur vie au service des députés pour la défense des décrets. Après cette lecture, Santerre, comme nous l'avons dit, offrit un drapeau au nom de toute la députation qui sortit en chantant le Ça ira, traversa le jardin des Tuileries et se rendit sur la place du Carrousel. Après les députations, l'Assemblée décida que tous les citoyens des faubourgs seraient admise

Pendant qu'on prenait cette détermination dans l'intérieur, voici ce qui se passait au dehors. La foule un moment arrêtée au seuil de l'Assemblée, avait suivi le passage conduisant à la terrasse des Feuillants mais obéissant à des ordres venus du Château, on ferma la grille et l'avant-garde de l'énorme cortège trainant l'arbre de la Liberté, décida d'aller le ptan. ter dans le jardin potager des capucins..Cependant la foule continuant à arriver, l'engorgement devenait considérable, et les manifestants s'écrasaient contre la grille des Feuillants imprudemment fermée. Trois (<) Chronique <f« cinquante jours, par Roederer.


ofGciers municipaux se rendirent auprès de Louis XVI qui se trouvait dans sa chambre à coucher pour lui de.mander de faire ouvrir la grille. Le roi leur répondit

Vous devez faire exécuter )a loi. Entendez-vous avec le commandant de la garde. Si vous le jugez nécessaire, faites ouvrir la porte de la terrasse des Feuillants, et que les citoyens, défilant le long de cette terrasse, sortent par la cour des écuries

On allait exécuter cet ordre, mais il était devenu inutile, l'Assemblée ayant décidé d'admettre tous les citoyens des faubourgs, et c'était dans la salle des séances que la foule s'écoulait.

Le défilé commença pittoresque, bizarre, composé de musiciens, de forts de la Halle, de charbonniers, de jeunes filles, de mères de famille accompagnées de leurs petits enfants. Quelques excentriques avaient mis des culottes au bout d'un bâton un individu qui avait placé un cœur de veau saignant au bout d'une pique avec inscription: CœMf d'aristocrate 1 fut obligé d'enlever cet emblème sanglant'.

En sortant de l'Assemblée, le peuple se répandit dans le jardin des Tuileries et défila le long de la terrasse pour aller sortir par la porte donnant sur le Palais-Royal. Dix bataillons de la garde nationale gardaient le château, mais la foule n'ayant aucune intention hostile, cette garde était inutile. Pour retour.uer àson faubourg la foule rentre par le Carrousel où les émissaires de la Gironde parcourent les groupes pour (1) Rapport du ministre de l'Intérieur.

(!) JMttKOtret de Weber, t. II, eh. v, p. 186.


les pousser à entrer aux Tuileries l'ancien ministre Clavière court de droite et de gauche pour exciter les manifestants à aMer demander au roi le rappel des ministres patriotes.

Enfin Santerre paraît accompagné du marquis de Saint-Huruge et du boucher Legendre.

–'Eh bien, s'écrie ce dernier, que faites-vous ta? 2 M faut entrer au château. Vous n'êtes pas descendus pour autre chose. Si on vous refuse d'ouvrir la porte, it n'y a qu'à la briser à coups de canon

Les canonniers du Vat-de-Gt'âce sont justement sur la place, un canon est braqué devant la porte des Tuileries. Les municipaux comprennent que toute résistance est inutile, ils ouvrent la porte et la foute se précipite entrainantavecette le canon jusqu'au bas de l'escalier.

Dans l'intérieur dësTuiteries, on avaitfermé tes'portes au verrou; mais les verrous partent, les portes craquent et 1a hache entame déjà cettes qui fésisteht. Au dedans on entend les coups, te roi ordonne d'ouvrir.

Des forts deta Halle prenRent le canon qui avait été entrainé jusqu'au pied du grand escalier et le portent à bras le corps dans la salle des cent Suisses, où la foule a déjà pénétré elle emplit bien vite t~ seconde salle et arrive à celle appelée L'tEU-de-Bœuf où se trouvait le roi.

Les officiers de la garde nationateMM.~eBougaittvite, d'Rervitty, de Parois, d'Aubier, GentH et Actaque accourent auprès de Louis XVI pour lui faire une bar(t) froe~t-ctfhttt.B, Déclaration de la Ré~&ie.


rière de leurs corps l'un deux s'adressant au roi lui dit:

Sire, n'ayez pas peur!

Louis XVI, qui ce jour-là montra un très grand sang-froid et de la dignité répondit

Mettez la main sur mon cœur~ it est pur Et saisissant la main deson interlocuteur il l'appuya fortement sur sa poitrine.

Mais déjà la foule se précipitait compacte,Louis XVI se présenta aux arrivants et d'un ton calme Que me voûtez-vous? je suis votre roi. Je ne me suis jamais écarté de la Constitution

La foule était plus curieuse que menaçante il y eut d'abord un silence puis quelques voix s'élevèrent: Sanctionnez les décrets

Rappelez les ministres patriotes.

Chassez vos prêtres.

Choisissez entre CoNentz et Paris.

Mais tous ces cris avaient plus l'accent d'une demande, d'un désir, que d'un ordre ou une menace. Un seul homme, armé d'un bâton terminé par une lame d'épée rouillée, fit mine de menacer le roi mais on fit vite sortir ce forcené et Louis XVI n'eut pas d'autre danger à courir de la journée.

Cependant comme la foule grossissait et qu'on étouffait dans la salle tant il faisait chaud, M. de Bougainville dit à ses compagnons

Poussez Sa Majesté dans l'embrasure d'une fenêtre et mettez des banquettes devant lui.

()) ffoc~-MrtaM.e. Déposition de La Chesnaye.

(2) ld., Déclaration de Fontaine.

(3) Id. Dëpoeitoh de Lecrosnter.


On exécuta immédiatement cet ordre et Louis XVI se trouva à l'aise dans une des larges embrasures du château il monta sur une banquette de façon à être Vu de tous; à tous ceux qui lui demandaient de sanctionner les décrets, il répondait qu'il ne faisait qu'user de son droit dé veto et que le lui disputer c'était enfreindre le pacte national. De temps à autre, il agitait s-n chapeau en l'air en criant Vive la nation A ce moment M" Élisabeth accourut auprès de son frère et comme on la prenait pour Marie-Antoinette, on entendit les cris de « à bas M"'° Veto A bas l'Autrichienne !<

M" Elisabeth, cette figure touchante, eut alors ce mot digne des héros de l'antiquité

Laissez-leur croire que je suis la reine; pendant qu'ils me tueront, elle aura le temps de se sauver On la fit passer auprès de Louis XVI dans l'embrasure et elle fut en sécurité.

Cependant Legendre en jouant des coudes, en poussant de ses fortes épaules,était parvenu à se frayer un passage, arriva jusqu'au roi

Monsieur, commença Legendre.

A ce mot Louis XVI fit un mouvement de surprise. Ecoutez-nous, continua le boucher-orateur. Vous êtes fait pour nous écouter. Vous êtes un perfide Vous nous avez toujours trompés, vous nous trompez encore. Mais.prenez garde à vous. La mesure est comble. Le peuple est las de se voir votre jouet.

Et il se mit à lire une pétition dont les termes me(t) .Pr<M~-Mrt<tM.< Déposition de Fontaine.

(2) M" de Campan, M~moK-M, t. Il, chap. xx, p. 9t2.


naçants étaient couverts par les murmures de la foule. Le roi se contenta de répondre

Je ferai ce que la Constitution m'ordonne de faire 4.

C'est ici que se place la fameuse scène du bonnet rouge défigurée par les historiens royalistes qui ont outrageusement altéré la vérité. On a raconté que l'on avait mis de force le bonnet rouge sur la tête du roi et que le bonnet étant trop étroit on l'avait enfoncé avec violence en posant les deux mains sur les tempes du monarque.

La vérité est que l'on fit passer le bonnet au bout d'un bâton à Louis XVI qui fit mine de vouloir l'accepter en tendantlamain pourlerecevoir; maiscomme le citoyen qui offrait le bonnet phrygien était trop éloigné un officier municipal, Mouchet, le prit et le remit au roi qui le posa lui-même sur sa tête. Aussitôt de vifs applaudissements éclatèrent et de tous côtés partirent les cris de Vive la Nation Vive la liberté 1 Vive le roi

Un témoin oculaire a déposé decefait en ces termes < Le peuple était en force, et je n'ai pas entendu une parole, pas remarqué un geste qui annonçât la plus légère mauvaise intention. Je vis avancer le bonnet de la Liberté et je dois à la vérité de dire que le roi, en étendant la main, le demandait plutôt qu'il ne lui fut offert. Je crois pouvoir affirmer que dans le cas où il n'aurait pasavancéla main pour saisir le bonnet rouge et n'aurait point paru empressé de s'en couvrir, on ne l'aurait pas exigé de lui »

(1) CAront~Medet cttt~Mattfe~oxre.

(2) Procès-verbal dressé par Potris,


Pendant ce temps que faisait la reine? 2

Au moment où le peuple commença à pénétrer dans lea Tuileries, elle se trouvait dans ses appartements; elle voulut aller rejoindre le roi, mais elle ne put parvenir jusqu'à son mari et fut obligée de s'arrêter dans la chambredu conseil. Près d'elle se trouvaientla princesse de Lamballe, la princesse de Tarente, M*~ de La Roche Aimon, de Tourzel et de Mau.

Marie-Antoinette avait dans ses bras ses deux en. iants; !eje<tne Dauphin, de ses grands yeux étonnes, regardât! cette scène bruyante. Comme on l'avait fait pour le roi en plaçant des banquettes, entre lui et le peuple, on plaça entre !a reine et la foule une large table.

Un garde national s'approcha d'elle et d'un ton bourru.

C'est toi Marie-Antoinette, dit-it?

-,Oui, répondit h reipe.

Eh Men mets cette cocarde.

Puis tout bas) avec l'accent du. respect) il ajouta Elle vous protégera.

La reine prit la cocarde et une des dames qui l'accompagnait la lui fixa dans les cheveux à l'aide d'une épingte.

En même temps une femme en co!ère, les poings crispés sur les hanches, s'élançait vers la reine criant Tu es M' Veto tu es une misérable 1

M'avez-vous jamais vue, madame, interrogea la reine?


Non, mais je te vois et je te reconnaîtrai. Vous ai-je jamais fait aucun mal ? `?

Non, mais je sais que tu fais le malheur déjà nation.

–Hélas'je sais qu'on vous l'a dit, continua la reine, et l'on vous a trompés. Epouse du roi de France et mère du dauphin, je suis française jamais je ne reverrai mon pays,je ne puis être heureuse et malheureuse qu'en France j'étais heureuse quand vous m'aimiez 1

En même temps deuxlarmes roulèrent sur les joues de Marie-Antoinette la femme du peuple sentit toute sa colère tomber devant les pleurs de l'archiduchesse et éclatant en sanglots à son tour, elle s'écria Ah je ne vous connaissais pas 1 je vous demande pardon, car je vois que vous êtes bonne 1. On avait placé le dauphin sur la table, comme le petit prince regardait anxieusement un bonnet rouge, M. deWittengotf, tieutenantgénéralde Ial7* division, en prit un sur la tête d'un des assistants et le fit passer à Marie-Antoinette qui le plaça elle-même sur la tête de son fils 1.

Santerre arriva, il se dirigea vers la table derrière laquelle Marie-Antoinette s'était réfugiée et avec beaucoup de douceurtui dit de se rassurer, qu'on la trompait, que le peuple ne lui voulait pas de mal, mais tenait seulement à dénier devant elte à mesure que les habitants des faubourgs passaient Santerre leur disait

Voici, mes amis, la reine voici le prince royal (i) Rapport du commandant royaliste Mandat.

(2) Id.


Le dauphin s'était assis sur la table, mais comme le bonnet rouge que la reine lui avait mis sur la tête était beaucoup trop grand, il lui couvrait presque tout le visage et le jeune prince étouffait, Santerre s'en aperçut et il dit la reine:

Otez le bonnet à cet enfant il a trop chaud La reine enleva le bonnet qu'elle tint à la main et le défilé continua.

Dans la salle de FŒit-de-Bceuf, l'encombrement était aussi grand que dans la salle du consei!. La chaleur était très forte et de grosses gouttes de sueur perlaient sur les tempes du roi. Un grenadier s'en aperçut il était parvenu à se procurer une bouteille de vin et un verre qu'on lui avait passé de main en main. S'adressant au roi

Sire, dit-H, vous devez avoir bien soif, car moi je me meurs si j'osais vous offrir.

Louis XVI eut un moment de crainte des pensées d'empoisonnement durent traverser l'esprit du roi, le grenadier comprit sa préoccupation et lui dit Ne craignez rien, sire, je suis un honnête homme et pour que vous buviez sans crainte, je boirai le premier, si vous le permettez.

Louis XVI, touché, lui répondit

Oui, mon ami, je boirai dans votre verre. Le grenadier se versa un verre de vin et l'avala d'un trait, puis il en versa de nouveau un second et le présenta au roi qui était sur la banquette et qui, avant de boire, éleva son verre et s'écria

(t) Rapport du commandant royaliste Mandat.


Peuple de Paris je bois à votre santé et à celle de la nation française

Ces paroles furent couvertes par des applaudissements nombreux.

Il était six heures du soir. A ce moment seulement Pétion, maire de Paris, arriva accompagné de l'officier municipal Sergent. Il alla droit au roi et s'excusa de <ton retard disant qu'il n'avait pas su ce qui se passait:

C'estbign étonnant, lui répartit le roi, avec aigreur, car voita deux heures que cela dure. Pendant q~ePétion et Louis XVI conversaient ainsi, un grand jeune homme se faisait place en criant Sire, sire, je vous demande au nom de cent mille hommes qui m'entourent le rappel des ministres que vous avez renvoyés je demande la sanction du décret sur les prêtres et le camp devingt mille hommes ou vous périra!: 1

Louis XVI répondit froidement:

Vous vous écartez dela Constitution adressezvous aux magistrats du peuple

Pétion monta alors sur un fauteuil et se mit à haranguer la foule

–Citoyens, dit-il, vous avez fait vos justes, repré(i) Lettre <<< Blanc Gilly (témoin ocùlaire) du département des BoucAM-df-RMte.

(9) Prot'~t-oe~eu.e, dépositions de témoins.


sentations au roi je vous engage, au nom de ta loi, à vous retirer avec la même dignité que vous êtes entrée.

Il ajouta que le roi devait être libre que la demande de sanction était le vœu de Pans seulement et qu'il fallait attendre celui des provinces qu'alors sans doute le roi céderait au vœu de la nation: qu'en attendant il n'y avait qu'à se retirer.

La foule commença à s'écouter pour faciliter ce déûM on fit ouvrir toutes les portes des appartements, où ceux qui n'avaient pas vu le roi voulaient te voir à leur tour aussi tandis que les uns partaient par une porte, les autres arrivaient par l'autre.

L'Assemblée avait envoyé une députation de vingt membres qui arriva quant tout était uni Louis XVI rejoignit Marie-Aatotnette et see enfants dans sa chambre à coucher. Les députés voulurent accompagner le roi jusque-tà.

Un d'eux dit à la reine.

Vous avez dû avoir bien peor, madame? Non, monsieur, répondit la reine, je n'ai point eu peur, mais j'ai beaucoup souffert d'être séparée du roi dans un moment où ses jours étaient en danger. Vous prétendez excuser tout, reprit le député; convenez, madame, quelepeuple s'est montré bien bon. Le roi et moi sommes convaincus de la bonté naturelle du peuple, il n'est méchant que quand on l'égare.

Quel âge a mademoiselle? continua le député, en montrant M"" Royale.

Elle a, monsieur, l'âge où l'on ne sent que trop l'horreur de pareilles scènes.


Louis XVI avait encore gardé le bonnet rouge, la reine le lui fit remarquer et le roi s'empressa de le jeter avec colère. Marie-Antoinette eut une détente de nerfs et se laissant aller dans un fauteuil se mit à pleurer. Merlin de Thionville en voyant cette scène se sentit ému et une larme perla à travers ses cils Ah t vous voyez bien, dit Marie-Antoinette, vous pleurez aussi.

Oui, dit Merlin,je pleure sur les malheurs d'une femme belle, sensible, et mère de famille. Mais ne vous y méprenez point, il n'y a pas une de mes larmes pour !e roi, pour la reine je hais les rois et les reines, c'est une religion'.

Pendant que la famille royale se remettait ainsi des émotions de la journée et que les derniers curieux se retiraient, un jeune officier se tenait dans la cour des Tuileries regardant de son oeil vitreux ces scènes populaires.

Les misérables s'écriait-il, on aurait dû mitrailler les premiers cinq cents, les autres auraient bientôt pris la fuite 1

Cet officier, qui n'était pas encore réintégré dans les cadres à la suite de sa désertion, était ce jeune aventurier venu à Paris chercher sa grâce, c'était Napoléon Bonaparte

A peine le château était-i) évacué que Louis XVI fit venir le juge de paix du district et dresser un pro(i) Mémoires de M** de Campan, t. II, ch. xx.

(~ ~~rnOret tte BoMrtetne, t. I. p. i75.


ces-verbal des dégâts commis dans m tournée et qui furent évalués à mille écus.

Ainsi se termina, par un détail de ménage, cette journée fameuse, si souvent travestie par les mensonges royalistes.

Mais on aura beau faire, et beau écrire, il y a un fait plus fort que toutes les déclamations, c'est que tandis que cent mille hommes entouraient les Tuileries, se répandant dans les appartements, brisant quelques porcelaines, enfoncantquelques portés, poussant des cris, il n'y eut pas une goutte de sang versé. Qu'on ne dise donc pas que ce fut une journée d'insurrection Le 20 juin fut une manifestation bruyante mais pacifique où le peuple montra autant de sagesse que de magnanimité, se contentant de dire an roi: «qu'il fallait choisir entre Coblentz et Paris ».


])u 21 au 28juin 1792.

XXIX

LE LENDEMAIN DU 20 JUIN

Les Tuileries sont fermées, -r Entrevue du roi et de Pétion. Grossièreté de Louis XVL Mot du Dauphin. Mesures prises par tes Feuillants. Proclamation du roi et du maire.– Louis XVI a peur d'être assassine.– Il met un plastron.

Les Tuileries, dès le lendemain du 20 juin, furent fermées, et te jardin, interdit au public, fut gardé militairement*.

Les royalistes se montraient très satisfaits ils espéraient que le roi enfin poussé à bout prendrait quelque parti violent et qu'il serait soutenu par les Feuillants, ce qui permettrait de réaliser les menaces ~contenues dans la lettre de Lafayette, de fermer les clubs et de réduire les Jacobins à l'impuissance.

Le Roi fit appeler Pétion qui se rendit au château accompagné de Sergent. Voici, d'après une pièce du temps, l'entretien entre le maire et le roi: Le roi. Eh bien, monsieur le maire, le calme est-il rétabli dans la capitale ? `?

Le maire. Sire, le peuple vous a fait des représentations, il est content et satisfait.

(1) ~!efotMf)OH< de Paris.


Le roi. Avouez, monsieur, que la journée d'hier a été un bien grand scandale, et que la municipalité n'a pas fait, pour le prévenir, tout ce qu'elle aurait pu faire.

Le maire. Sire, la municipalité a fait tout ce qu'elle a pu et dû faire elle mettra sa conduite au grand jour et l'opinion publique la jugera. Le roi. Dites la nation entière.

Le maire. Elle ne craint pas plus le jugement de la nation entière.

Le roi. Dans queUe situation se trouve en ce moment la capitale ?

Le mettre. Tout est calme.

Le rot. Cela n'est pas vrai.

Le maire. Sire.

Le roi. Taisez-vous.

Le maire. Le magistrat du peuple n'a pas à se taire quand il fait son devoir et qu'il a dit la vérité. Le fût. La tranquillité de Paris repose sur votre responsabilité.

Le maire. Sire, la municipalité.

Lefbt. Cest bon, retirez-vous.

Le maire. La municipalité connait ses devoirs elle n'attend pas pour les remplir qu'on les lui rappeUe'.

Cet entretien avait lieu devant'deux officiers municipaux et plus de soixante personnes le roi était rogue et cassant.

Sergent voulut prendre la parole.

-Sire, dit-il, monsieur le maire estfondé à vous dire (1) Révolutions de J'«Wt.


que la police surveille, même votre palais, et je puis apprendre à Votre Majesté qu'on vient de placer dans les combles du château deux cents lits de camp qui seront bientôt occupés.

Cela n'est pas vrai, interrompit encore Louis XVI de plus en plus impatienté.

Si Votre Majesté, continua Sergent, veut m'accorder huit jours, je lui présenterai les noms de ceux qui occuperont les lits.

Cela n'est pas vrai, répondit de nouveau le roi. Et faisant un geste de la main pour les congédier Retirez-vous, ajouta-t-il.

Les deux magistrats quittèrent le château après cette grossière réception en bas du grand escalier ils furent insultés par des gardes nationaux du bataillon des filles de Saint-Thomas très royalistes'.

Les gardes des Tuileries, même après le départ de Pétion et de Sergent, continuaient à parler haut, à les menacer et en entendant tout ce bruit, lejeune Dauphin, qui était à un des balcons donnant sur la cour intérieure, demanda à sa mère

Est-ce que hier n'est pas encore passé ? `? < Hier ? était passé suivant la naïve expression du jeune prince, mais les Feuillants essayaient d'en tirer parti et profit dès le 21, à la séance du matin, l'As.

(1) Moo<M<ton de Paris.

(2) Ferrier, jK~Otr~t. IU, Uv. XII.


semblée décréta que sous aucun prétexte, aucune réunion de citoyens armés ne pourrait se présenter à la barre.

D'un autre côté,comme les royalistes affirmaient que les faubourgs étaient prêts de nouveau à se mettre en mouvement pour recommencer leur manifestation de la veille, Pétion dut venir à la barre de l'Assemblée rassurer les députés et démentir la fausseté de ces nouvelles.

Le roi écrivit à t'Assemblée une lettre pour ta remercier de lui avoir, la veille, envoyé une députation. La lettre se terminait par cette phrase vague: a Pour moi rien ne peut m'empêcher de faire en tous temps, et dans toutes circonstances ce qu'exigeraient les devoirs que m'imposent la Constitution, que j'ai acceptée, et les vrais intérêts de la nation française. :& Le lendemain, 22, Louis XVI lança une proclamation déclarant « que la violence, à quelques excès qu'on veuille la porter, ne lui arrachera jamais un consentement à tout ce qu'il croira contraire à l'ordre public. » Pétion répondit par une proclamation très ferme invitant tes citoyens « à garder le calme et la tranquillité. t

a Couvrez, disait Pétion, de vos armes le roi de la Constitution, environnez de respect sa personne que son asile soit sacré.

Montrez-vous dignes de la liberté; et souvenezvous que les peuples lesplus libres sont les esclaves de leurs lois :t

Matgré ces encouragements à la pacification venant (1) Htatoire parlementaire, t. XV, p. i90.


de Pétion, Louis XVI ne croyait pas à la tranquillité il s'était mis à relire l'Histoire de Charles I" et quand il passait devant le portrait de ce prince peint par Van Dyck, portrait quiétait dans son cabinet on l'entendait murmurer

Je finirai comme lui.

H disait à Bertrand de Molleville

Si je leur ai échappé cette fois, je ne leur échapperai pas un autre jour aussi je n'en suis pas plus avancé, et.il m'est indifférent, vous lé-comprenez bien, d'être assassiné deux mois plus tôt ou deux mois plus tard. Mon Dieu, sire, lui dit M. de Molleville, Votre Majesté peut-elle croire si fermement qu'elle doit être assassinée?

Oui, j'en suis sûr; je m'y attends depuis longtemps et j'en ai pris mon parti. Est-ce que vous croyez que je crains la mort ? `?

La reine partageait la même opinion et était convaincue aussi que Louis XVI tomberait sous les coups d'un assassin. Après le 20 juin elte eut l'idée de l'obliger à porter un plastron que M°*' de Campan, fit confectionner chez elle. Ce plastron consistait en un gilet et une large ceinture composés de quinze épaisseurs de taffetas d'Italie; on l'essaya et il résista aux coups de poignards et aux balles.

Le roi mit ce plastron et ne le quittait même pas la nuit.Pour comblede précaution on Rtchangcr toutesles serrures des appartements et la famille royale vécut ainsi l'oreille aux aguets,frémissant,quand lanuit était venue, craignant, au moindre bruit, de voir surgir un assassin de derrière les portes qu'on barricadait. (~ tfazhnet e< ~eM~M de Louis .XtV.


Du28juinau4juiUettM2.

XXX

LAFAYETTE A PARIS

Lafayette à l'Assembfëe. Son discours. Motion de Guadet. Tumulte parlementaire.- Une revue décommandée. Echauffourée des Feuillants. Lutte des Girondins contre Robespierre. La reine et la lune. Espérances de MarieAntoinette. Scènes populaires aux Tuileries.

Au milieu de l'agitation qui secouait encore la capitale, on apprit tout à coup que Lafayette avait quitté son armée et était arrivé à Paris.

En ouvrant la séance du 28 au matin, le président lut en effet le billet suivant qu'il venait de recevoir a Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous prier de demander à <'AsseM!&~ee la permission de paraître à sa barre pour lui offrir l'hommage de mon respect. « LAFAYETTE. »

L'AssemMée, surprise par cette étrange demande dont seuls !esFeuiHants savaient tessecrets.décidaque Lafayette serait admis.

Le général monta à la tribune avec un sourire dé satisfaction sur les lèvres il commença par annoncer que sa présence à Paris ne compromettait ni le succès


de nos armes, ni la sûreté de l'armée. Puis il ajouta, après s'être reconnu l'auteur de la lettre du 16: Voici maintenant les motifs qui m'amènent < Les violences commises le 20 juin aux Tuileries ont excité l'indignation et les alarmes de tous les bons citoyens et particulièrement de l'armée.

<[ J'ai pris,, avec mes braves compagnons d'armes, l'engagementd'exprimer seul un sentimentcommun.s » Lafayette, continua demandant que les auteurs du 20 juin fussent poursuivis et punis comme criminels de Ièse"nation, que la < secte des Jacobins fût détruite et que des mesures eSicaces fussent prises pour faire respecter les autorités constituées.

On décerna les honneurs de la séance au général. Cependant Guadet prend la parole et demande comment Lafayette se trouve à Paris s'il a quitté l'armée sans congé, il viole la loi et il est mal venu à parler de respect dû à la constitution si le ministre lui a accordé ce congé, il faut l'interroger pour en connaître la raison.

La pétition est renvoyée à une commission et on repousse, après un appel nominal, par 335 voix contre 234, la motion de Guadet demandant que le président interroge le ministre de la guerre pour savoir s'il a accordé un congé à Lafayette.

Il était six heures du soir quand on sortit de cette séance orageuse où les incidents avaient été nombreux et tumulteux. A un moment, le président voulant ne pas mettre aux voix la proposition de Guadet qu'il semblait croire repoussée par le renvoi à la commission de celle de Lafayette, un violent tumulte s'éleva du coté gauche et au milieu du bruit on distingua.


A l'Abbaye, le Président 1

Une voix alla même jusqu'à lui crier Vous êtes un scélérat

Pourtant Lafayette semblait vainqueur rentré chez lui, il prit ses mesures, avec ses amis, pour se ménager une manifestation populaire. Précisément le lendemain le roi devait passer en revue ta première division de la garde nationale. H fut convenu que Lafayette se joindrait au cortège et haranguerait la troupe mais Marie-Antoinette, qui redoutait autant te succès de Lafayette que celui des jacobins, prévint Pétion qui donna contre-ordre pour la revue. Lafayette réunit alors ses amis et on convint de prendre rendez-vous pour le soir aux Champs-E!ysées à peine cent hommes s'y trouvèrent. On fixa un nouveau rendez-vous pour le lendemain, on devait marcher sur le lieu des séances du club des Jacobins Trente Bdëles feuillants à peine répondirent à l'appel et Lafayette, dont l'entreprise hardie ne fut pas secondée par son parti, après avoir rendu visite au roi, dutregagner l'armée pendant que le peuple brûlait son effigie au Palais-Royal un mât qu'on avait autrefois planté devant la porte du général était abattu par les Cordeliers.

En présence du danger que les ennemis de la Constitution font courir à la Révolution, on voit se creuser (t) Nt<<e<re parlementaire, t. XV, p. 203.

(") Toulongeon, 1.1, p. 281.


de jour en jour plus profond le fossé qui sépare déjà les Girondins de Robespierre. Chaque jour, pendant le mois de juin, le Patriote français de Brissot dénonce à tout propos « le transfuge Robespierre ». Des écrits reproduisant ces accusations sont répandus dans le département. Pendant que ces divisions profondes s'opèrent dans le parti de la Révolution, l'orage s'amoncelle au dehors et la cour espère enfin pouvoir compter sur une victoire prochaine.

Depuis le 20 juin, Marie-Antoinette avait abandonné son appartement du rez-de-chaussée et couchait maintenant au premier étage dans une chambre entre l'appartement du roi et celui du dauphin. Une nuit, M"" de Campan la trouva éveillée, il était minuit à peu près; la reine, accoudée à ta fenêtre, contemplait la lune, qui éclairait sa chambre de ses rayons mélancoliques, car Marie-Antoinette exigeait qu'on ne fermât ni volets ni persiennes, afin que les longues nuits sans sommeil lui parussent moins longues. Voyez-vous la lune? demanda la reine à M' de Campan en lui montrant la pâle visiteuse. Oui, Majesté.

Eh bien, dans un mois je ne reverrai pas cette lune sans être dégagée de mes chaînes et sans que le roi ne soit libre.

Alors elle lui confie que tout marchait à la fois pour les délivrer. Elle ajoute qu'elle a l'itinéraire de la marche des princes et du roi de Prusse, que tel jour, ils seront à Verdun, tel autre dans un autre endroit que le siège de Lille va se faire. Mais la reine paraît très inquiète sur ce qui se passera à Paris pendant cet intervalle elle se plaint du peu d'énergie du roi. T. IV. 15


Certes, dit-elle, le roi n'est pas poltron il a un très grand courage passif, mais il est écrasé par une mauvaise honte, une méfiance de lui-même qui vient de son éducation autant que de son caractère. Ha a peur du commandement et craint plus que de tout autre chose de parler aux hommes réunis. Il a vécu enfant et toujours inquiet sous les yeux de Louis XV jusqu'à vingt et un ans cette contrainte a influé sur sa timidité. Dans la circonstance où nous sommes quelques paroles bien articulées, adressées aux Parisiens qui lui sont dévoués, centupleraient les forces de notre parti ces paroles il ne les dira pas.

-Mais, vous êtes là, vous, interrompit M"" de Campan.

Oh 1 pour moi, répartit Marie-Antoinette, je pourrais bien agir et monter à cheval s'il le fallait mais si j'agissais, ce serait donner des armes aux ennemis du roi le cri contre l'Autrichienne, comme i)a disent, contre une femme, serait général en France et d'ailleurs j'anéantirais le roi en me montrant. On ne sait pas.

Non, non voyez-vous, une reine qui n'est pas régente doit, dans ces circonstances, rester dans l'inaction et se préparer à mourir'.

Marie-Antoinette ne se trompait guère sur les sentiments qu'elle inspirait. Elle ne pouvait descendre dans le jardin sans être huée et deux fois elle fut obligée de rentrer chezelle les crieurs vendaient jusque sous ses fenêtres des chansons satiriques et des carift) Toute cette scène est racontée par M*' de Campan dans ses ~mot'ret, chap. XX!.


catures offensantes, aussi décida-t-on de fermer le jardin des Tuileries. Aussitôt l'Assemblée décréta que toute la longueur de la terrasse des Feuillants lui appartenait et resterait libre. Pour marquer la limite on tendit un ruban tricolore d'un bout à l'autre de la terrasse.

En deçà du ruban ce fut ce qu'on appela La terre nationale.

Au delà ce fut La terre de CoMe~tz

Des officiers ordonnaient à tout bon citoyen de ne pas descendre dans le jardin sous peine d'être traité comme l'avaient été Foulon et Berthier.

Un jeune homme, quelque provincial peu au courant de cette nouvelle consigne, franchit la frontière et dépasse le ruban tricolore. Aussitôt un rassemblement se forme sur la terrasse d'où s'échappent déjà les cris à la lanterne! Averti de son imprudence, il ôte ses souliers, tire son mouchoir et essuie le sable des semelles.

On crie bravo! Vive le bon citoyen! et il est porté en triomphe

Pendant que ces faits se passaient à Paris, les Français établis en Orient étaient en butte aux tracasseries des pachas, qui sentant que la France ne pouvait guère protéger ses nationaux, assouvissaient leur haine barbare.

A Saint-Jean d'Acre, le pacha ordonne à tous les Français de quitter la ville dans trois jours sous peine d'avoir les oreilles et le nez coupés; le nombre des (1) Révolutions, de Parie.

(2) Mémoires de JM°" de Campan. Révolutions de farts.


Français résidant dans cette ville était alors de cinq cents.

Plusieurs ne voulurent pas croire à une pareille menace et restèrent; le plus grand nombre prit peur et partit. Les trois jours expirés, le pacha ordonna des visites domiciliaires et ayant découvert soixante-deux Français il fitmettre à exécution ses ordres sanguinaires autant que bizarres. Ces malheureux furent obligés de quitter la ville ils allèrent à Alexandrie se faire guérir; mais plusieurs moururent en route'. Bientôt après cependant, le consul obtint la tolérance des anciens jours et cette lugubre fantaisie orientale n'eut pas de lendemain.

(1) Chronique de ParM. Lettre d'un missionnaire, du 15 juillet 1792, publiée dans le n" de la Chronique du 14 février 1793.


Du 5 au 11 juillet 1792.

XXXI

PÉTION EST SUSPENDU DE SES FONCTIONS DE MAIRE DE PARIS

Décision du département. Le roi essaie de s'en rapporter à l'Assemblée qui refuse. Le roi approuve la suspension. L'Assemblée casse l'arrêt du département. Pétion a l'Assemblée. Torné propose à l'Assemblée de s'emparer de la dictature. Troubles dans l'Ardèche et dans le Finistère. Projet d'évasion de la famille royale proposé par Lafayette.La cour refuse. Mot de Marie-Antoinette.

La suspension de Pétion par le directoire à laquelle l'Assemblée s'était à peine arrêtée mit tout Paris dans une violente surexcitation.

Les membres du conseil administratif du département de Paris appartenaient à l'opinion modérée feuillantine, ils résolurent de montrer leur sympathie pour la Cour par un coup de force ils instruisirent contre le maire Pétion et contre le procureur général de la commune Manuel, à propos de leur conduite dans la journée du 20 juin. Le conseil délibéra sous la présidence de La Rochefoucauld et l'arrêt fut voté, après une longue discussion, à onze heures du soir. L'arrèt fut signifié dans la matinée du 17, à Manuel et à Pétion ce dernier rédigea immédiatement la lettre suivante qui fut affichée dans l'après-midi et que les


députés, en sortant de la fameuse séance du a baiser Lamourette », purent lire sur les murs de Paris. M. Pétion à ses concitoyens,

« Le département vient de prononcer sur les événements du 20 juin; je suis suspendu de mes fonctions; recevez cette décision comme je l'ai reçue moi-même, avec calme et sang-froid. Bientôt une autorité supérieure prononcera, et j'espère que l'innocence sera vengée de la seule manière digne d'elle, par la lot.

PÉTtON.

7 juillet 1792. L'an quatrième de la Liberté.

Cette aiuche fut placardée le samedi soir tout le dimanche Paris discuta la mesure, la commenta, et l'opinion fut échauffée par cette suspension qui semblait dictée par la Cour; au club des Jacobins, elle fit l'objet d'une longue discussion.

Une des prérogatives laissées au roi par la Constitution était de pouvoir à son gré confirmer ou réformer les arrêtés du département sauf le recours à la législature. Louis XVI aurait donc pu maintenir Pétion en fonction et se créer ainsi une sorte de popularité qui aurait coïncidé avec la réconciliation générale dont l'Assemblée venait de donner l'exemple. Mais hésitant comme toujours le roi ne savait que faire, il écrivit à l'Assemblée pour lui dire que t'arrêté portant sur des faits l'intéressant personnellement, il la laissait statuereUe-même sur cetobjet l'Assemblée ne voulut pas accepter cette dérogation à la Constitution etLouis XVI confirma la suspension.

L'Assemblée dut alors intervenir; le 12 juillet, Pétion parut à la barre et expliqua, dans un discours de quelques minutes, sa conduite du 20 juin son seul


crime était d'avoir craint la guerre civile et empêché l'effusion du sang. Ces explications furent accueillies par les acclamations des tribunes et on invita le maire de Paris aux honneurs de la séance. Le lendemain, l'Assemblée décréta que Pétion serait réintégré dans ses fonctions, et que le décret serait exécuté le jour même par le pouvoir exécutif.

Tous ces faits n'étaient guère de nature à calmer l'effervescence des esprits; déjà,quelques jours auparavant, dans la séance du 5, Torné, évêque du Cher, était monté à la tribune en demandant que la Constitution fût suspendue. Son discours fut plein d'une fière indépendance, accusant tout à coup te roi et Lafayette. <t C'est le roi, s'écria le vieux prêtre, qui, par son inaction perfide, ou par une marche en sens inverse de la révolution, et par toutes les ressources de la corruption, est la première et la principale cause de tous nos maux politiques, s

Pour Torné, la Constitution ne présente pas les moyens de sauver la liberté, il demande donc, au milieu des murmures et des cris, de placer cette liberté, temporairement pendant le danger de la patrie, dans le corps législatif, quand le moment serait venu, et de « la faire exercer dans les départements par des commissaires sous ses ordres et sa dépendance, o C'était convier l'Assemblée à s'emparer de la dictature parce que « le salut du peuple est la suprême loi. »

Les députés du coté droit sont debout, les yeux ani-


mes de colère, le poing tendu Pastoret crie que le discours de Torné « semble sorti des presses de CoMentz ? et il demande que te vieillard assez audacieux pour demander que le pouvoir de Louis XVI soit remplacé par le pouvoir de l'Assemblée soit enfermé pendant trois jours à la prison de l'Abbaye. Torné veut répondre, mais, surla proposition de Carnot le jeune, on passe à l'ordre du jour.

Le danger signalé par t'évêque du Cher ne venait pas seulement des armées coalisées marchant sur notre frontière, mais encore des agitations et des troubles fomentés à t'intérieur par les royalistes. Dans l'Ardèche, un nommé Saillart prenant le titre de lieutenant général de l'armée des princes, gouverneur du Bas Languedoc et des Cévennes. s'était mis à la tète d'un rassemblement armé et était venu mettre le siège devaut le château de Jalais occupé par une petite garnison. Saillart avait signé un long manifeste dans lequel, après des attaques contre la Constitution, il annonçait qu'il avait fait vérifier par la noblesse du pays les pleins pouvoirs qui lui avaient été délégués par Monsieur ? » et par < Monseigneur le comte d'Artois pour exercer l'autorité souveraine dans le Bas Languedoc pendant la captivité du roi.

En conséquence, il invitait tous les anciens fonctionnaires, magistrats, prêtres, à reprendre les emplois dont la Révolution les avait dépossédés il ordonnait d'arrêter, de poursuivre les membres des divers corps constitués, administratifs, ceux des clubs et des Sociétés patriotiques.

C'était la continuation des fameux troubles qui duraient depuis 1790, dans ce pays des prêtres fana-


tiques avaient surexcité les populations. Parmi les organisateurs, il y avait l'abbé de La Bastide, ancien gendarme, vicaire général de l'évoque d'Uzès, Claude Alliez, curé de Chambonnes, et un grand nombre d'officiers royalistes

Déjà en n90, ils s'étaient réunis dans ce château de Jalais, sur la route d'Alais à Privas était une ancienne propriété des Templiers. En février i791 les premiers insurgés étaient assemblés, déployaient le drapeau rouge, le drapeau de la révolte, et furent dispersés par le général d'Albignac, un vieux soldat qui avait conquis tous ses grades aux Indes et qui, disgracié par la Cour, s'était retiré dans ses terres à Mandagaut, près du Vigan, et avait été nommé par l'Assemblée commandant militaire à Nîmes. Claude Alliez organisa une nouvelle insurrection avec le consentement des princes la Sardaigne et l'Espagne promirent même leur concours ;les princes avaient nommé comme général en chef le comte de Counway, un irlandais. MaisSaillard, dontle caractère altier ne pouvait s'accommoder d'être en sous-ordre, refusa de plier devant les volontés du général en chef et, après devivesdiscussions dans lesquelles les princes lui donnèrent tort, il se mit sans autre avis à la tête de l'insurrection. Il acheta des armes, des vivres, et lança son fameux manifeste.

Les troupes de Saillard s'emparèrent du château de Bannes où se trouvait une compagnie du 59° régiment sous les ordres du capitaine Bois-Bertrand la petite (t) Histoire des conspirations nfj/fthtfes du Midi Mt« la Révolution, par Ernest Daudet.

~8.


garnison obtint des bandes royalistes les honneurs de la guerre, et se retira avec armes et bagages. Le directoire de l'Ardèche fit mnrcher tout ce qu'il avait de troupes sous les commandements du général d'Allignac et du colonel Châteauneuf-Randon représentant du peuple. Les deux colonnes se rejoignirent aux abords du village de Jalais. Les royalistes, malgré l'intrépidité de leurs chefs, furent mis en déroute, ils laissèrent de nombreux morts sur le champ de bataille et les châteaux de Beaulieu, de Barrias et de Jalais furent incendiés, le 11 juillet.

Saillard et une poignée de partisans se retirèrent dans le château de Bannes d'où il essaya de s'enfuir par une nuit d'orage. Arrêté par une patrouille de la garde nationale de la commune de Malons, il fut con.duit à Vans, où une bande de furieux le tua à son entrée dans la petite ville. La mort du comte mit fin à l'insurrection royaliste dans laquelle périrent les principaux chefs royalistes victimes de leur dévouement à la royauté.

En Bretagne, une autre insurrection éclatait dans des circonstances analogues.

Allain Redeler, cultivateur et juge de paix de Fouestan (Finistère), fit publier à l'issue de la messe, que tous ceux qui voulaient prendre le parti du roi et commencer la révolte eussent à se rendre en armes près de la chapelle de Kerbader; dès le lendemain, plus decinq cents hommes s'y trouvèrent réunis le tocsin sonnait aux paroisses voisines d'où de nouvelles recrues arrivaient à chaque instant. Le directoire de Quimper fit marcher la garde nationale et commença le premier engagement de tirailleurs de cette terrible guerre de


Vendée si longue et si sanglante. Les révoltés eurent le dessous et abandonnèrent une cinquantaine de prisonniers entre les mains des patriotes de part et d'autre on laissait des morts dans ce combat d'escarmouche qui dura plusieurs jours.

A Paris, les tribunes de l'Assemblée huaient les ministres venant annoncer les mauvaises nouvelles des frontières le 11 juillet, le ministre de la justice apportait la démission collective du ministère prétextant « que dans un tel ordre de choses, ou plutôt dans un tel renversement de tout ordre, il lui était impossible d'entretenir la vie et le mouvement d'un vaste corps dont tous les membres sont paralysés qu'il n'était pas en son pouvoir de défendre le royaume de l'anarchie qui, dans cet état d'impuissance publique, menaçait de tout engloutir. »

Le ministère tout entier avait remis sa démission au roi.

Les Feuillants conçurent de nouveau le désir de s'emparer du pouvoir tous les moyens leur étaient bons et ils ne reculaient même pas devant la confiscation de la famille royale dont ils conseillaient la fuite, proposant les moyens de la faciliter. Lally-Tollendal venait en effet d'écrire au roi la lettre suivante « Je suis chargé par M. de Lafayette de faire proposer directement à Sa Majesté, pour led4 de ce mois, le même projet qu'il avait proposé pour le 13. e M. de Lafayette veut être à Paris le 15 il y sera


avec le vieux général Luckner. Tous deux ont un même sentiment et un même projet.

<t Ils proposent que Sa Majesté sorte publiquement entre eux deux, en annonçant à l'Assemblée qu'elle ne dépassera pas la ligne constitutionnelle, et qu'elle se rend à Compiègne. Sa Majesté et toute la famille royale serait dans une voiture. Il est aisé de trouver cent bons cavaliers qui l'escorteront. -Les deux généraux resteront auprès de Sa Majesté. Arrivé à Compiègne, elle aura pour garde un détachement de l'endroit, qui est très bon, un de la capitale qui sera choisi, et un de l'armée. M. de Lafayette, toutes ses places garnies, ainsi que son camp de retraite, a de disponible pour cet objet, dans son armée, dix escadrons et l'artillerie à cheval; deux marches forcées peuvent amener toute cette division à Compiègne. Si, contre toute vraisemblance, Sa Majesté ne pouvait sortir de la ville, les lois étant bien évidemment violées, les deux généraux marcheraient sur la capitale avec une armée. »

Ce plan ne fut pas mis à exécution, la reine l'ayant repoussé par haine de Lafayette

Si nous n'avons que lui pour unique ressource, disait Marie-Antoinette, mieux vaut périr Les Girondins de leur côté ne demeuraient pas inactifs leurs manœuvres peur ressaisir le pouvoir allaient jusqu'à l'héroïsme. Ainsi Chabot et Grangeneuve convenaient de se faire assassiner l'un et l'autre par des gens apostés par eux-mêmes afin que la Cour fût accusée de ce crime et qu'une nouvelle popularité (t) M~moo'M de .M"" de Catx~aa, t. II, chap. xx.


rejaillît sur le parti Girondin tout entier. Grangeneuve, après avoir mis en ordre ses affaires de famille, écrit son testament et se trouve à cet étrange rendez-vous. MaisChabot,qui s'était chargé de tous les arrangements, de poster et payer les assassins, manqua de parole au dernier moment et la Cour eut ainsi une accusation criminelle dirigée contre elle de moins.

Au milieu de toutes ces intrigues des partis pour monter au pouvoir, l'Assemblée prenait quelques mesures d'une portée politique qui peignent bien le génie révolutionnaire le 6 juillet, elle ordonnait que dans chaque commune serait élevé un autel de la patrie sur lequel on apporterait les enfants nouveau-nés, et devant lequel on unirait les époux. Le surlendemain même fut présenté à l'autel de la Patrie de Paris, par Camille Desmoulins, celui à qui l'histoire a conservé le nom de Petit Horace ce fut le premier enfant qui inaugura l'état civil de Paris Voici ce curieux document.

<t Cejourd'hui 8 juillet i792, an IV de la liberté, Camille requiert la constatation de l'état civil de son Os, voulant ~'épargner, un jour, de sa part, le reproche de l'avoir lié par serment à des opinions religieuses qui ne pourraient pas encore être les siennes »

Le secrétaire greffier qui reçut cet acte était RoyerCollard les deux témoins étaient Laurent Lecoindre (de Versailles) et Merlin (de Thionville), députés. L'enfant fut mis en nourrice à l'Ile Adam avec le petit (1) Jf~tofrM de M"" Roland, t. II, p. 185.

(2) Jules Claretie, Camille Desmoulins, p. 183.

(3) Journal La Presse, du 24 novembre 1847.


Danton 1. Camille se félicite naturellement de la venue de ce jeune héritier « un successeur ne pouvait me venir plus à propos, -écrit-il, pour recueiUir l'héritage de ma popularité à la veille des dangers que présage aux principaux auteurs de la Révolution, l'invasion prussienne et autrichienne. H est impossible quelquefois de ne pas me décourager et de ne pas avoir du mépris pour le parti du peuple que j'ai si bien et si inutilement servi. Je lui ai prédit depuis trois ans tout ce qui lui arrive ?.

(1) Correspondance inédite de Camille Desmoulins, publiée par Matton aine. p. 128.

(2) H:

Nous avons voulu savoir ce qu'était devenu cet Horace Desmoulins,dont la venue vient éctaircirun moment et réjouir le foyer de Camille. Après que Desmoulins et Lucile furent morts sur l'échafaud, le jeune orphelin resta aux soins de sa grand'mère maternelle, M** Duplessis, demeurée seule et pauvre, ruinée, avec Adèle sa fille cadette, qui fut un moment la fiancée de Robespierre et resta vieille fille. En 1796, le député Bailleul présentait au Conseil des Cinq Cents un rapport concluant au paiement de pensions aux veuves de Carra, Corsas, Pétion, Valazé, Brissot et Philippeaux. Sur la demande de Goupillau, on vota également au fils de Desmoulins, dans l'indigence une pension de deux mille francs jusqu'à la dix-huitième année de l'enfant. Horace fut placé au'Prytanée militaire de Paris (ancien lycée Louis-le-Grand, où Camille avait fait ses études). Plus tard, Horace partit pour Haltl, en 1817, et il y mourut, le X9 juin t8'!5, à trente-trois ans, l'âge du sans-culotte Jésus comme était mort son père. A Haiti, Horace se maria et il eut une fille qui épousa sir Boom, dans la famille duquel on conserve aujourd'hui les reliques ayant appartenu à Camille; parmi elles se trouvent douze couverts d'argent ayant été à Desmoulins et marqués C. J' ainsi que le diplôme de bachelier en droit d'Horace. C'est dans une famille anglaise des colonies qu'est allé se perdre le sang de Camille Desmoulins, un des plus grands écrivains français du xvin' siècle.


Ces récriminations lui étaient suggérées par les événements qui s'amoncelaient et annonçaient de prochains désastres des préoccupations intérieures venaient jeter un nuage sur la joie du nouveau père la fortune considérable de son beau-père, composée de rentes sur la ville de Paris, était à peu près ruinée, la dot de Lucile elle-même placée comme on disait alors sur le roi, sur l'Etat, dirions-nous aujourd'hui, était grandement compromise et pour, comble de malheur, la Tt'~M~e des patriotes, loin de retrouver le succès des Révolutions de France et de Brabant, devait disparaître devant la tiédeur du public.


7 juillet 1792.

XXXII

LE BAISER LAMOURETTE

Les nouvelles arrivaient troublantes de la frontière, jetant l'alarme dans la capitale: un message du roi venait d'annoncer que cinquante deux mille Prussiens marchaient contre nos armées la position du roi devenait de jour en jour plus fausse entre les coalisés venant défendre sa cause et la France repoussant l'invasion étrangère. On demandait de tous côtés que des mesures énergiques fussent prises et que la patrie fût déclarée en danger. A Paris, les imprudentes intrigues de la cour pouvaient amener une collision d'où la guerre civile serait sortie.

Brissot s'était déjà fait inscrire à l'Assemblée pour prononcer un discours sur lei mesures de sûreté générale.

C'est alors que t'évoque constitutionnel de Lyon, Lamourette, demanda la parole pour une motion d'ordre.

Lamourette (Adrien) était né dans le Pas-de-Calais, à Frevent. Il était vicaire général d'Arras quand éclata la Révolution, il avait déjà publié plusieurs ouvrages où il soutenait la tolérance religieuse; mis en relation avec Mirabeau, il devint un des amis intimes du grand


tribun et l'on attribue à Lamourette les discours de Mirabeau sur la Constitution civile du clergé. Elu évêque de Lyon et député à la Législative, Lamourette, modéré par tempérament et très habile par surcroît, voyant les trahisons de Louis XVI découvertes, pour essayer d'arrêter les mesures violentes précipitant les événements vers l'inconnu, t'évoque de Lyon, par un coup de théâtre heureux, force l'Assemblée à renouveler son serment de fidélité au roi et à la Constitution. A peine le président lui a-t-il accordé la parole que l'ancien collaborateur de Mirabeau monte à la tribune. <[ Ou vous a proposé, dit-il, et on vous proposera des mesures extraordinaires pour arrêter les divisions qui déchirent la France et dont l'effet est de la faire regarderpar les puissances étrangères commeparvenue au dernier degré de la défaillance. Mais de ces mesures il n'en est aucune qui ait atteint le but parce que jamais on n'est remonté à la véritable source de nos maux. Cette source, qu'il faut tarir à quelque prix que Ce soit, c'est la division de l'Assemblée nationale. J'ai souvent entendu dire que ce rapprochement est impraticable; et ces mots m'ont fait frémir, je les ai considérés comme une injure faite à tous les membres de l'Assemblée; jamais rapprochement n'est impraticable si ce n'est entre les vices et les vertus. Oui il ne tient qu'à vous de vous ménager un moment bien beau et bien solennel et d'offrir à la France et à l'Europe un spectacle aussi redoutable pour vos ennemis que doux et attendrissant pour tous les amis de la liberté.

« A quoi se réduisent en effet toutes ces défiances? Une partie de l'Assemblée attribue à l'autre le dessein


séditieux de vouloir détruire la monarchie. Les autres attribuent à leurs collègues le dessein de vouloir la destruction de l'égalité constitutionnelle et établir le gouvernement aristocratique connu sous le nom de deux chambres. Eh bien! foudroyons, messieurs, par une exécration commune, et par un irrévocable serment, foudroyons et la République et les deux chambres '.a D

C'était donc un serment antirépublicain ainsi proposé à des députés dont beaucoup rêvaient, désiraient cette République contre laquelle Lamourette parlait; et cependant était-ce l'entraînement d'une manifestation préparée à l'avance ? La salle retentit de nombreux applaudissements et on entendit de tous côtés les cris de:

Oui oui nous ne voulons que la Constitution. L'évêque reprit:

o: Jurons de n'avoir qu'un seul esprit, qu'un seul sentiment, de nous confondre en une seule et même masse d'hommes libres, également redoutables et à l'esprit d'anarchie et à l'esprit féoda!, et le moment où l'étranger verra que nous ne voulons qu'une chose fixe et que nous la voulons tous sera le moment où la liberté triomphera et où la France sera sauvée. » Les applaudissements coupèrent de nouveau la parole de Lamourette qui termina ainsi

« Je demande que M. le Président mette aux voix cette proposition simple que ceux qui abjurentégaiement et exècrent la République et les deux chambres se lèvent.

(t) tft«e<re Parimentaire, t, XV, p. 335 et s.


L'Assemblée se lève tout entière; à part quelques rares exceptions parmi lesquelles Fauchet, les députés, étendant la main dans cette attitude théâtrale du serment qui leur est familière, répétèrent la formule: Les représentants assis à l'extrême-gauche vont se mêler à leurs collègues du côté opposé, ceux-ci les accueillent les bras ouverts, on s'embrasse, et pendant une demi-heure, c'est une scène de réconciliation générale. On voit des députés qui les jours précédents se sont combattus avec violence se serrer les mains et s'embrasser: Côte à côte, les adversaires de la veille, Jaucourt et Merlin, Dumas et Bazire, Gensonné et Calvet, Chabot et Genty, s'asseoient sur les mêmes bancs.

Emery monte à la tribune.

Quand l'Assemblée est réunie, tous les pouvoirs doivent l'être, dit-il je demande que l'Assemblée envoie sur-le-champ au roi, par une députation de vingt-quatre membres, l'extrait de son procès-verbal. Cette proposition est adoptée à l'unanimité les vingt-quatre députés nommés partent pour se rendre au château porter l'extrait du procès-verbal qu'on rédige à la hâte.

Brissot est entraîné comme les autres il demande la parole on croit qu'il va essayer dé prononcer le discours préparé, annoncé et dont il tient le manuscrit à la main, mais pas du tout.

Après le spectacle touchant, dit-il, que l'Assemblée vient de donner, je craindrais, en prononçant le discours que j'avais préparé, de faire naître quelques haines. La fraternité que nous venons tous de jurer, et qui est dans mon cœur, me force à le revoir, pour


en effacer toutes les lignes qui rappelleraient des divisions maintenant anéanties.

Toute la salle applaudit et le côté droit plus fort que les autres. Le chevalier de Jaucourt donne le signal d'une nouvelle salve qui accompagne Brissot à sa place. On ordonne que le discours de Lamourette sera envoyé aux quatre-vingt-trois départements. A ce moment Condorcet entre dans la salle le député Pastoret avec qui il a eu, la veille, une polémique des plus vives dans la C/M'OMtgMe de Paris, se lève et court l'embrasser.

La jote générale est pourtant troublée par l'annonce du coup de force du département qui vient de suspendre Pétion, maire de Paris mais on n'a pas le temps de s'arrêter à cette ombre venant obscurcir un coin du joyeux tableau on annonce le retour de la députation envoyée au château elle revient accompagnée de Louis XVI et de tous les ministres. La salle retentit des cris de Vive la nation Vive le roi

Le roi se place à la gauche du président, prononce un petit discours à l'anglaise, affirmant que « la nation et le roi ne font qu'un. L'un et l'autre ont le même but, leur réunion sauvera la France. La Constitution doit être le point de ralliement de tous les Français, nous devons tous la défendre. Le roi leur en donnera toujours l'exemple »

Louis XVI oubliait-il donc qu'au même moment où il tenait un pareil langage, son envoyé particulier Mallet du Pan était à Francfort en conciliabule secret avec les délégués du roi de Prusse et de l'empereur d'Autriche, jetant les bases de ce fameux manifeste


que devait signer le duc de Brunswick manifeste insolent, menaçant de raser Paris, de démembrer la France et d'en jeter les lambeaux au hasard de la conquête étrangère?

Louis XVI, si la pensée de son agent secret lui traversa l'esprit, dut être bien honteux de son mensonge public l'Assemblée ne connaissant pas ces particularités acclama une fois de plus le monarque et on leva la séance par extraordinaire à trois heures et demie. On semblait craindre de troubler par la moindre discussion l'allégresse d'un si beau jour.

Cet enthousiaame du reste, aussi vainque la fumée, ne gagna pas Paris et la proposition de l'évoque de Lyon fut vivement combattue dans les clubs. L'évêqueFauchetse vanta de s'être refusé à cette comédie, ce qui était vrai.

Prudhomme, dans son journal, résumait l'opinion des patriotes « De quelque côté qu'on envisage cette réconciliation subite, méditée à loisir, elle ne donne aucun point de vue satisfaisant. C'est une jonglerie de la part des uns et une mortification pour les autres. » Le public railla cette scène qu'il appela le baiser d'amourette d'autres plus expressifs le qualifiaient de baiser de judas, de réconciliation allemande. L'histoire, en lui conservant son véritable nom de baiser Lamourette, lui a laissé sa vraie signification, c'est le synonyme d'hypocrisie à laquelle se laissèrent prendre des députés entraînés par une idée chimérique de fraternité impossible entre les combattants de ces deux causes si difïérentes le passé et l'avenir, la tyrannie et la liberté.

0) AMmMret el corr~poK~ance <<< Mallet du Pan.


Du 12 au 18 juillet t792.

XXXlli

DISCUSSION SUR LAFAYETTE

Le nouveau ministère. Discussion sur Lafayette. Incidents. Appel nominal. Insignes des députés. Des curés faussaires. Les appellations civiques. A la frontière. Suzette Labrousse.

Pour la quatrième fois depuis dix mois, Louis XVI venait de composer un ministère vingt-six ministres s'étaient succédés dans quatre conseils successifs. Après avoir reçu la démission du précédent ministère ce ne fut pas sans peine que le roi trouva de nouveaux collaborateurs prêts à accepter les dangers d'une situation de plus en plus critique. Louis XVI dut écrire plusieurs lettres à ceux qui lui étaient désignés par son entourage. Après bien des difficultés et bien des démarches le roi put enfin envoyer à l'Assemblée la composition de son cabinet formé comme suit Bigot de Sainte-Croix, aux affaires étrangères. Dubouchage, à la marine.

Champion, à l'intérieur.

Leroulx de la Ville, aux contributions.

C'étaient tous des personnages obscurs, n'ayant aucune notoriété et nul par conséquent, dans la pensée de la'cour, ne pouvait donner ombrage au peuple.


L'Assemblée apprit la nomination de ce nouveau cabinet sans manifestation d'aucune sorte, elle était occupée à discuter l'affaire du général Lafayette dont on avait demandé la mise en accusation pour avoir quitté l'armée sans congé régulier. Les Jacobins s'étaient prononcés pour la culpabilité on consacra plusieurs séances du club à discuter la conduite du général Billaud-Varennes, Merlin, Collot d'Herbois se firent remarquer par la violence de leurs attaques. Dans l'Assemblée trois opinions furent soutenues Les Feuillants, par la voix de Dumolard, -disaient: < ce n'est pas un pardon injurieux que vous devez décréter en faveur de M. de Lafayette vous devez au contraire, par un témoignage honorable, le laver de tout soupçon et e confondre ses calomniateurs ». Les Jacobins étaient pour la mise en accusation Delaunay d'Angers traduisait ainsi leur sentiment: « Le général Lafayette a quitté son poste en présence de l'ennemi, sans congé, sans causes relatives au service militaire il l'a quitté pour présenter au corps législatif son vœu et celui de son armée, quand la Constitution défend à la force publique de délibérer. Lafayette est un citoyen dangereux et un intriguant coupable je vous propose de décréter sa mise en accusation. n Enfin d'autres, tout en reconnaissant la culpabilité du général, essayaient d'éviter une décision embarrassante et Fauchet interprétait leur pensée quand il concluait ainsi s On reconnaît qu'il y a un délit contre la Constitution: or l'Assemblée nationale n'a pas le droit de poursuivre un délit de ce genre, je demande la question préalable. »

La discussion fut longue et se prolongea jusque dans


les premiers jours d'août divers orateurs prirent tour à tour la parole pour soutenir les opinions que nous venons de résumer. A l'éloge de Lafayette prorroncé parDumolard, répondirent, un jour, des protestations entrecoupées de sanglots parties des tribunes le président voulut imposer silence et un député évita les rigueurs du règlement en s'écriant:

C'est une mère qui pleure son fils massacré au Champ de Mars

La veille, Delaunay d'Angers avait, dans un mouvement d'étoquence pathétique, convié les défenseurs du général à venir au Champ-dë-Mars « au pied de l'autel teint encore du sang des Français vous y entendrez la voix de la patrie demander à Lafayette mille infortunés de tout sexe et de tout âge, égorgés de sang-froid et sur ses ordres et là je vous dirai Osez défendre l'assassin de vos frères »

Plusieurs fois, pendant que des orateurs feuillants répondaient à ces attaques par l'éloge de Lafayette, des spectateurs se mirent à huer, on dut les faire évacuer et suspendre la séance.

La discussion se prolongea ainsi jusqu'au 8 août et finalement la mise en accusation proposée par le comité des douze fut repoussée par quatre cent six voix contre deux cent vingt-quatre.

La 12 juillet, on dut procéder à un appel nominal pour constater le nombre des députés présents il se trouva que sur sept cent quarante-six députés formant la totalité de l'Assemblée, six cent soixante-treize étaient présents, seize absents par congé, six morts et (t) NM«)tfe~W<!)M<!tt<att'e, t. XVI, p. 74.


non encore remplacés, seize malades, six surveillaient en personne la fabrication des assignats, deux siégeaient à la haute cour d'Oriéans comme accusateurs publics et vingt-sept ne répondirent pas à l'appel Ce fut également dans la séance du 12 que, sur la proposition de Tardiveau, rapporteur de la commission extraordinaire, l'Assemblée décréta que les membres du corps législatif porteraient, « dans le lieu de leurs séances, et quand ils feraient partie d'une députation ou qu'ils rempliraient une commission ]f,un ruban aux trois couleurs, à trois bandes ondées, placé en sautoir, soutenant les tables de la loi en métal doré, avec les mots Droits de l'homme sur le verso et sur le recto le mot constitution

C'était la première fois que les députés se choisissaient des insignes jusque-là ils avaient eu le costume noir en drap de voile prescrit par le règlement relatif à la convocation des états généraux. Mais nous savons que ce costume officiel, destiné à humilier le tiers Etat, fut vite abandonné et dès le 17 mai 1789, la constituante avait décidé que chacun de ses membres s'habillerait suivant sa fantaisie.

L'attention du public fut attirée cette semaine, quant à la vie intérieure de la ville de Paris, par une exécution par la guillotine qui eut lieu le 12 en place de Grève,celle d'un prêtre ci-devant grand vicaire, nommé Geoffroi, condamné à mort pour avoir essayé de lancer une émission de 600 millions d'assignats. Cet abbé Geoffroi n'était du reste pas un voleur vulgaire au ()) Histoire parlementaire, t.XVt.p. 268.

(2) Variétés !-<'t)oht<t'o'MotrM, par Marcellin Pellet, p. 150. T. IV. 16


sens malhonnête du mot, mais un sectaire qui employait la monnaie comme moyen de contre-révolution en relation avec Calonne, il espérait, en lançant de faux assignats dans la circulation, amener la banqueroute, la faciliter dans tous les cas et servir ainsi la cause du roi*.

C'était encore un prêtre, l'abbé Sauvade qui venait d'être condamné à la guillotine en compagnie d'un nommé Vimal et du libraire Guillot, tous trois directeurs d'une grande manufacture de faux assignats établie à Passy et travaillant non pas à enrichir les faussaires, mais à discréditer le papier-monnaie et à soutenir la contre-révolution.

Les agissements coupables du clergé discréditaient la religion et facilitaient l'oeuvre des fils de Voltaire qui commençaient à faire disparaître les noms des saints en mettant à la mode les appellations civiques Une femme qui se nommait Reine s'intitula Fraternité-Bonne-Nouvelle. Un nommé Leturc, municipal à. Montmorency, fit baptiser son fils Libre-Pétion Leturc, et nous voyons la Section du Pont-Neuf dénoncer un vicaire de Notre-Dame qui a refusé d'enregistrer un enfant sous la dénomination d'Alexandre .Po~t-NeM/

Pendant que ces petits faits occupent la curiosité parisienne, les nouvelles envoyées de la frontière sont mauvaises. Le directoire de Sarrelouis adresse à l'Assemblée une lettre où on lit < L'ennemi est aux portes de la ville les Prussiens arrivent en face, dans l'élec(t) ~MMttuttOM de Paris, n° lb7.

(2) Le CoMcf«<eMr.


torat de Trèves. Le prince a enfin levé le masque il exerce des hostilités contre les Français quatre négociants du district de Sarrelouis, appelés à Trèves par leurs affaires, ayant été arrêtés et emprisonnés, au mépris du droit des gens. »

L'Assemblée décréta que les troupes des frontières seront renforcées au plus tôt et, en passant, les députés prirent une mesure ordonnant de remplacer le dernier drapeau blanc de l'armée qui se trouvait dans le régiment étranger~des suisses par un drapeau tricolore.

Tandis que la guerre s'entamait ainsi entre les coalisés et la France, une illuminée, Sujette Labrousse, sorte d'hystérique, prônant la paix universelle, se dirigeait à petites journées, à travers le Midi, vers Rome où elle se rendait pour prêcher au pape les idées révolutionnaires.

Née le 8 mai 1747 à Vauxains, petit coin du Périgord, à une lieue de Ribérac, elie eut une enfance coupée par des visions mystiques. A vingt ans elle entra aux tiercerettes'~ c'était alors une assez belle fille, châtaine avec de grands yeux bleus, possédant cette beauté vague des femmes dont le teint indécis provoque le désir voulant faire disparaître cette beauté attirante elle s'appliqua sur le visage un masque de chaux vive qu'elle garda toute une nuit sur le visage sans parvenir à compromettre ce charme troublant. C'est au couvent des Ursulines, au milieu de ses visions mystiques, qu'elle connut l'abbé dom Gerle, prieur de la Chartreuse de Vauclaire. Suzette Labrousse se mit à prêcher et à prophétiser l'avenir, ()) Une my:<t~«e révolutionnaire, par l'abbé Moreau.


annonçant une révolution prochaine dont tout le monde du reste parlait depuis longtemps autour d'elle. Suzette vint à Paris où elle retrouva dom Gerle député la prophétesse fut reçue par la duchesse de Bourbon, une des ardentes adeptes de Mesmer et de Cagliostro, qui fit loger Suzette dans son hôtel où elle continua à voir dom Gerle qu'elle poursuivait de ses prétendues divinations.

Les pamphlets se mêlèrent de ces révélations et le royaliste François Marchant, le rédacteur de la Chronique du Manège, écrivit même une farce sous forme de tragi-comédie intitulée les Amours de dom Gerle, en 5 actes et en vers.

Les personnages sont: dom Gerle, l'abbé Gouttes, le curé de Souppe, le curé Grégoire et M"* Labrousse. D'autres pamphlets firent une sorte de célébrité à l'illuminée përigourdinequi continuait ses manœuvres devant quelques rares adeptes après être restée deux ans à Paris, elle partit pour les départements et pour l'Italie afin x d'accomplir sa mission

Elle se rendit à Bordeaux et de là à Montauband'où elle se dirigea vers l'Italie en prêchant dans les églises, les théâtres et les clubs. Vohi les villes où Suzette Labrousse s'arrêta parlant, soit dans les églises, les clubs ou les théâtres: Montauban, Montech, Nevers, Grisolles, Toulouse, Lesignan, Narbonne, Béziers, Montpellier, Salargue Lucel, Lunel Emergue Uchaut, Nimes, Remoulins, Conau, Bagnol, Loriol et Grenoble t. Elle arriva à Rome vers le 15 août et c'est là que nous la retrouverons.

(t) Lettre de tf"'J,a6)tnMM<iMBC<M«tn.

(2) C<tM(te nationale de France, n* M8.


La cour éprouvait des craintes nouvelles a chaque manifestation populaire aussi ses alarmes recom-mencèrent-elles aux approches du troisième anniversaire de la prise de la Bastille de tous les points du département des gardes nationaux, des fédérés, étaient venus pour prendre part à cette grande fête ils étaient venus en dépit du veto du roi oppposé au camp de vingt mille hommes apportant la capitale non seulement une force mais encore une énergie nouvelle ils étaient venus animés, tous ces vaillants accourus des quatre coins de la France, d'une flamme patpiotique, résolus à se devouer à la cause nationale; ils étaient au nombre de dix miiïe environ. Ces hommes, jeunes pour la plupart, le cœur plein d'enthousiasme, l'âme rêvant les grandes entreprises et l'imagination exaltée par l'idée de voir Paris où ils mettaient le pied pour la première fois, ce Paris bouillonnant au souffle de la Révolution, étaient décidés à ne pas retourner dans leur province; ils se disposaient à se rendre au

TROISIÈME ANNIVERSAIRE DE LA PRISE DE LA BASTILLE

14 juillet 1792.

XXXIV

LE 14 JUILLET 1792


camp projeté à Soissons pour de là être dirigés sur la frontière. Mais avant de marcher à l'ennemi ils venaient saluer de leurs épées la statue de la Liberté autour de laquelle, pour la troisième fois depuis la prise de la Bastille, se rangeait le peuple de Paris. Le 14, la fête commença dès cinq heures du matin; les six légions de la capitale, les fédérés des départements et toutes les troupes se rendirent sur le boulevard depuis la place de la Bastille jusqu'à la porte Saint-Martin. Un très grand nombre de citoyens, pour marquer leur contentement de la réintégration de Pétion, avaient écrit sur leurs chapeaux avec de la craie Vive Pétion

Vers huit heures, une députation de vingt membres de l'Assemblée nationale se rendit sur la place de la Bastille et posa la première pierre de la colonne de la liberté.

Après cette cérémonie le cortège commença à déSter pour se rendre au Champ-de-Mars.

Dans ce cortège on voyait les veuves des citoyens morts à la prise de la Bastille, les tribunaux et les officiers municipaux. La statue de la liberté était portée sur un autel au-devant duquel les enfants batan'catcnt des encensoirs en brûlant des parfums. Puis venaient les pavillons ordinaires des grandes fêtes de l'époque la Déclaration des Droits de l'homme, le modèle de la Bastille, le glaive de la loi. Des hommes couronnés de pampre portaient sur un palanquin des gerbes de blé, des branches d'arbres chargées de fruits, des instruments aratoires, des faisceaux de (1) Révolutions <f< 7'ar<t.


fusils, des sabres, et, au milieu, une figure représentant la Souveraineté Nationale. Les musiques militaires jouaient différents airs de circonstance. Les membres de t'Assemblée fermaient la marche. Dans le cortège, on aperçut une chaise à porteur dans laquelle se trouvait le député Couthon perclus des deux jambes Des femmes en grand nombre, parmi lesquelles Olympe de Gouges, suivaient aussi. Le cortège n'arriva au Champ-de-Mars qu'à cinq heures de l'après-midi sur tout le pourtour des glacis du Champ de !a Fédération étaient plantées 83 tentes surmontées de banderoles tricolores et portant les noms des départements. En face de l'autèl de la patrie, on avait dressé une grande tente pourl'Assemblée, le roi et !e tribunal de cassation. A côté, une autre tente pour les notables et les corps administratifs. Dans l'enceinte du champ, on avait formé une contreallée au bout de laquelle on avait quatre-vingt-trois arbres portant chacun le nom d'un département sur une banderole tricolore.

Du côté de l'eau on avait planté un grand arbre, aux branches duquel on avait suspendu, en forme dé guirlandes, des écussons, des casques, des cordons d'ordres supprimés entrelacés avec des chaînes; au pied de cet arbre, était dressé un buste couvert de couronnes ducales et comtales, de chaperons de juges, de bonnets de docteurs, de titres de noblesse et de sacs (t) A la suite d'une aventure d'amour, obligé de fuir précipitamment la chambre de sa maltresse, H s'égara dans un marais où il enfonça jusqu'à mi-corps et dont il ne parvint à se retirer qu'après de longues heures de pénibles efforts il en conserva une paralysie pour le restant de sa vie ui se termina sur l'échafaud, le M thermidor.


de procédure. En face, était élevée une pyramide entourée de cyprès et de lauriers sur l'un des côtés on lisait Aux ctto~eiM morts pour la patrie aux frontières; sur l'autre côté Tremblez, tyrans, nous ttOMs levons pour les venger.

Le roi s'était rendu à l'Ecolè militaire et, placé sur le balcon, il assista au défilé qui ne dura pas moins desixheures, De temps à autre le cri de vivePétion! se faisait entendre. Marie-Antoinette, le dauphin et les personnes du service de la cour entouraient le roi. L'Assemblée nationale dé(i)a comme le reste du cortège devant leroi, puis elle s'arrêta pour attendre Louis XVI qui descendit et alla se placer à la gauche du président de l'Assemblée qui était cette semaine un jeune officier de trente ans nommé Aubert-Dubayet'. Le roi se dirigea ainsi vers l'autel de la patrie (i) Lieutenant au régiment du Bourbonnais, fit en cette qualité la guerre d'Amérique. En 1789, il sembla résister aux idées nouvelles. H écrivit a ce moment une violente brochure contre les juifs, leur rapacité et le danger de leur accorder les droits de citoyen. Ses amis t'entrainèrent dans le parti révolutionnaire où son ambition trouva de larges satisfactions. Il fut élu membre de la Législative par le département de l'Isère. Elu président de t'Assemblée durant le mois de juillet t792,it il présida avec fermeté. H proposa et lit voter le divorce. Devenu générât en 17M, it servit en cette qualité à Mayence. Après la reddition de cette place, il fut décrété d'arrestation; mais Merlin de Thionville le flt relâcher, et it vint disculper ses frères d'armes à la barre de la Convention. Il fut envoyé avec la garnison de Mayence dans la Vendée, où il fut destitué après une défaite à~ Clisson. Arrêté, il fut mis en liberté après le 9 thermidor et placé sous les ordres de Hoche, qu'il aida à pacifier la Vendée. Nommé ministre de la guerre en novembre 1795, il resta au ministère jusqu'au 8 février 1796 il fut alors envoyé comme ambassadeur à Constantinople où it mourut de la fièvre, le t7 décembre 4797; il avait trente-cinq ans.


à la tête des députés marchant entre une triple haie de grenadiers.

Pendant qu'il allait vers l'autel, la municipalité, ayant à sa tête Pétion, déniait sous le balcon sur lequel se tenait Marie-Antoinette ce fut une véritable ovation pour le maire de Paris et comme autant de défis jetés à la reine Marie-Antoinette craignant qu'il arrivât quelque accident à son mari le suivait anxieusement des yeux; quand il fut un peu loin, elle prit une longue vue et continua à l'observer fiévreusement, ne quittant pas la marche du roi qui dura à peu près une heure, tant la foule était grande, et tant il était difficile aux cavaliers d'ouvrir un chemin pour le cortège. Enfin Louis XVI monta les degrés et prêta le serment habituel des députés demandèrent que le roi jurât de vivre libre ou de mourir, Louis XVI répondit qu'il n'était tenu que de prononcer le serment prescrit par l'acte constitutionnel.

Quelqu'un, ajouta le roi, a-t-il le livre de la constitution ? y

Personne ne le présentant, le roi en tira un exemplaire de sa poche et y lut à haute voix le serment qu'il prêta en étendant la main.

Les députés le prêtèrent après lui, en même temps cinquante-quatre canons rangés sur le bord de la Seine hurlèrent leur cri de joie auquel répondirent des cris prolongés de Vive la Nation 1

Suivant le piogramme dressé par l'Assemblée, Louis XVI devait aller, en compagnie du président, mettre le feu à l'arbre de la féodalité, mais il fut impossible de frayer un passage et le peuple dut incendier lui-même le bûcher.


D'ailleurs il n'y a plus de féodalité! dit le roi en s'en retournant à l'Ecole militaire par le même chemin par lequel il était venu.

Quand la reine le vit approcher sain et sauf, elle courut au-devant de lui jusqu'au bas de l'escalier et se jeta dans ses bras.

Le roi monta en carrosse avec la famille royale et rentra aux Tuileries; en chemin, il rencontra Pétion que le peuple reconduisait chez lui au bruit des acclamations, criant vive Pétion et qui l'écrivait derrière la voiture du maire à la craie, en grosses lettres blanches.

Durant toute cette cérémonie qui dut singulièrement coûter au roi, qui < marcha à la fédération comme des recors trainent en prison t, suivant les expressions d'un écrivain royaliste, il n'avait pas été sans de sérieuses craintes et il portait le plastron que la reine lui avait fait confectionner par Mme de Campah. Marie-Antoinette de son côté, quand elle était partie le matin, ne croyait plus revoir les Tuileries et lorsqu'elle fut rentrée dans ses appartements elle s'écria Dieu soit loué! la journée du d4 est passée! De cette fête se dégageait le triomphe définitif du peuple sur te roi, Louis XVI ayant approuvé la suspension du maire de Paris, le peuple ne cessa durant toute la journée de crier aux oreilles du roi: Vive Pétion.

Il n'y eut ni- troubles ni violences mais on sentit passer sur Paris comme un frémissement, comme un de ces vents avant-coureurs des ouragans.

Certes le 14 juillet était passé, comme disait MarieAntoinette, mais c'était la préface du 10 août.


Du 19 au 25 juillet 1792.

XXXV

LE MANIFESTE DU DUC DE BRUNSWICK Eohauffourée des Tuileries. Pétion calme la foule.-D'Epremesnil battu. Pétion s'évanouit. On demande la déchéance. Monsieur veut supplanter Louis XVI. Manifeste du duc de Brunswick. Les principales dispositions. Le duc le désapprouve. Les Girondins négocient avec la Cour leur rentrée au pouvoir. Visite nocturne de Guadet aux Tuileries.

Le quatorze juillet s'était passé sans tumulte et sans troubles, mais il y avait un orage dans l'air; cela se devinait à l'effervescence des esprits et le désordre faillit éclater dans le sein de l'Assemblée même, le 2t juillet. On continuait la discussion sur Lafayette; un député était allé jusqu'à proposer de voter des félicitations au général ce qui provoqua de violents murmures qui se firent entendre dans les tribunes un fédéré, plus indigné et plus emporté que les autres, se met mêmeàprononcerundiscours dans lequel il reproche aux députés de la France « de la représenter si mal ». Le président Dubayetordonne à la garde d'expulser l'homme des tribunes mais les camarades du fédéré se rangent autour de lui et s'opposent à son


expulsion il s'ensuit un tumulte durant lequel la séance est suspendue de fait Le cri de Aux armes est poussé et il se propage immédiatement au dehors de la salle quelques individus courent au clocher de Saint-Roch et se mettent à sonner le tocsin. On ne sait pas dans les rues voisines au juste de quoi il s'agit, mais en voyant des gens courir, d'autres vont chercher leurs armes et quelques-uns disent On met la main sur les députés patriotes et sur les braves fédérés on va les égorger dans le jardin des Tuileries, il faut en briser les portes.

Il n'y avait rien de vrai dans ces affirmations qui, répétées de bouche en bouche, remplissaient le quartier. La foule se réunit en armes on court aux portes du jardin des Tuileries fermées par ordre du roi; celle du côté du manège est enfoncée à l'aide d'une poutre lancée contre elle par vingt hommes. Quelques minutes de plus et les Tuileries étaient de nouveau envahies mais un carrossé de place arrive dans la cour du manège, le maire de Paris en descend, il n'a pas le temps de revêtir son écharpe, il veut pourtant la ceindre avant de haranguer la foule.

Parlez 1 parlez lui criait-on. Vous n'avez pas besoin d'écharpe, M. Pétion peut s'en passer. Pétion monte sur le siège et s'adresse aux concitoyens qui l'entourent de tous côtés

Mes frères, mes amis, dit-il, je viens vous dire de ne pas vous laisser aller à ce mouvement partiel qu'on excite au milieu de vous pour vous porter à des excès et perdre vos magistrats. Citoyens, c'est vous seuls que je charge de !a gardé de cette porte i Vous m'en répondez. Moi, je vais rassurer l'Assem-


blée nationale sur les craintes qu'on pourrait lui avoir inspirées à votre égard.

La foule se calma, les portes furent gardées par des sentinelles improvisées, et l'orage évité, grâce à l'heureuse intervention de Pétion'.

Dans un pareil état des esprits, au milieu de l'effervescence général, des rixes se produisaient quelques jours plus tard, dans une bagarre, provoquée on n'a pu savoir au juste par qui, Duval d'Epremesnil fut battu et porté tout meurtri au corps de garde du PalaisRoyal. Pétion entra et d'Epremesnil le regardant fixement

Et moi aussi, Monsieur, lui dit-il. j'ai été l'idole du peuple.

L'ancien conseiller du parlement faisait allusion aux événements de 1788, durant lesquels la foute se réunissait dans ce même Palais-Royal, où il était maintenant meurtri, pour aller le protéger contre la cour. Etait-ce la chaleur, était-ce une vision de l'avenir qui passa devant les yeux de Pétion ? on ne sait, toujours est-il qu'il s'évanouit dans ce corps de garde où onavaitdû mettre d'Epremesnil en sûreté. –Dans son tangage cynique, Hébert écrivait le lendemain dans le J~eDMcMtM.' <: La grande joie, dece que l'on a foutu la danseangredinded'Epremesnit'.t o

Dans le bouillonnement de la capitale, on commençait à entendre tout haut le mot de déchéance. (1) ~M R~otM<«M! de PttWt. Nt~offe parlementaire, t. XVI.

(2) Le P~ea«eMM, n" ti4.

T. tV. ¡' H Î


Dans les clubs, dans les journaux, on discutait la question de savoir si on suspendrait Louis XVI, ou si on le destituerait.

Les partisans de la suspension faisaient déjà courir un projet de triumvirat, dans lequel entraient Pétion, Sergent et, comme troisième, Danton ou Robespierre, triumvirat qui nommerait s~x ministres et exercerait le pouvoir jusqu'à la fin de l'année.

Pendant tout ce temps, t'Assemblée aurait été ajournée cette proposition ne trouvait que peu de partisans. Plusieurs sections de Paris délibérèrent et votèrent a qu'eHes ne reconnaissaient plus Louis XVI pour roi des Français Carra, dans ses Annales patrioliques, proposait de donner la couronne au duc de Brunswick, qui précisément ce jour-là signait le fameux manifeste dontnous parlerons dans un instant. Pendant qu'à Paris te'peuple demandait la déchéance, les émigrés, réunis à Coblentz, disposaient déjà du trône de France sur lequel, dans le cas d'une victoire qu'ils espéraient, ils étaient bien résolus à ne pas laisser Louis XVI. Monsieur avait autour de lui tout un parti qui le soutenait pour une succession qu'on avait hâte d'ouvrir par une déposition. Les monarques coalisés n'ignoraient pas ces menées, mais ils n'en partageaient pas les vues et n'en soutenaient pas les intérêts. En marchant contre la France, le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche voulaient défendre la cause des trônes, et changer un roi par un autre, était pour eux un spectacle qu'ils ne voulaient pas donner.


Du reste, pour qu'il n'y eût pas de doute sur leurs intentions, les puissances coalisées résolurent de faire précéder leur entrée en France par la publication d'un manifeste il fut rédigé par le marquis dè Limon qui, après avoir déserté tes idées révolutionnaires, s'était soumis à l'influence de Calonne.

Ce manifeste, signé parle ducdeBrunswick, débute par donner « lès motifs ayant déterminé les mesures des deux souverains, et les intentions qui les guidaient ».

Le but « c'est de faire cesser l'anarchie dans l'intérieur de la France, d'arrêter les attaques portées au trône et à l'autel, de rétablir le pouvoir légal, de rendreau roi la sûreté et la liberté dont il est privé, et de le mettre en état d'exercer l'autorité légitime qui lui est due ?.

Les deux monarques déclaraient ensuite qM leur seule intention était d'obtenir < k bonheur de taN France, sans prétendre s'enrichir par dés conquétea~. On en arrive ensuite aux menaces.

« Les gardes nationaux qui seront pris les afmes & la main seront traités en ennemis, et punis comme rebelles leur roi.

« Les généraux, les officiers et les soldats sontsommés de revenir à leur ancienne fidélité.

<: Leshabitantsdesvinesetvi)!agesquisedéfendront contre l'entrée des armées coalisées seront punis suivant les lois de la guerre, et leurs maisons démolies et brûlées. »


La ville de Paris et tous ses habitants sans distinction sont tenus « de se soumettre au roi, de mettre ce prince en pleine et entière liberté, de luiassurer, ainsi qu'à toutes les personnes royales, l'inviolabilité et le respect auxquels le droit de la. nation et des gens oblige les sujets envers les souverains

Sont rendus responsables « de tous les événements, sur leur tête, pour être jugés militairement, sans espoir de pardon, tous les membres de l'Assemblée nationale, du district, de la municipalité, de la garde nationale dé Paris < « si le château des Tuileries est forcé ou insulté ?. Si la liberté n'est pas immédiatement rendue au roi, il en sera tiré <t une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale ?.

Si au contraire, les habitants de Paris obéissaient promptement aux ordres de là coalition, les princes confédérés s'emploieraient auprès de Louis XVI pour obtenir le pardon de leurs torts ou de leurs erreurs. Quand on présenta ce manifeste au duc de BrunsWKdk, il fut consterné; il l'eût volontiers déchiré, mais, en présence de la volonté des souverains, il dut le signer, et le manifeste fut expédié en France. Tandis que ce programme de la coalition arrivait à Paris, les Girondine, en face des menaces de déchéance et de l'attitude des patriotes, désireux de ressaisir te ministère, négociaient, avec la cour, leur rentrée aux affaires.

Vergniaud, Guadet et Gensonné écrivirent une têttre qu'ils signèrent tous les trois, lettre destinée au roi et dans laquelle ils annonçaient à Louis XVI une


insurrection terrible, devant avoir pour résultat ta déchéance et peut-être quelque chose de' pire. Un seul moyen restait de conjurer forage, c'était de rappeler au ministère, dans huit jours au plus tard, Roland, Servan et Clavières.

Cette lettre fut conCée à Boze, un peintre au pastel, qui connaissait Thierry, valet de chambredu roi.àqui la lettre fut remise Thierry la fit tenir à Louis XVI. Gensonné atta encore ptus loin il voulut voir le roi, à qui il demanda une entrevue, et il fut reçu une nuit aux Tuileries. Son neveu a raconté ce fait qu'il tenait de M*" Guadet e))e -même.

« Ce que nous pouvons donner comme certain, diti). c'est que Louis XVI voulut voir Guadet. Celui-ci se rendit le soir au château il fut introduit dans un appartement où il se trouva seul avec le roi et la reine, qui le reçurent avec une grande aNabitité. Le prince dità Guadet qu'il avait confiance en lui et qu'il voulait lui demander des conseils. Les avis furent donnés et en apparence approuvés. Quand Guadet voulut prendre congé, la reine lui demanda s'i) ne désirait pas voir le dau phin et, prenant elle- même un bougeoir, elle conduisit le député dans un appartement où le jeune prince dormait. Guadet avait une grande sympathie pour les enfants il embrassa le prince royal et dit à sa mère C'est un bel enfant, Madame; il faut le bien étever.

C'est ce que nous voulons faire, répondit la reine. a

Mais la cour ne se hâtait pas de souscrire catégoriquement aux avances de la Gironde elle attendait


tous les jours l'arrivée des soldats prussiens, qu'elle pensaitne devoir faire qu'une marche militaire jusqu'à Paris, elle essayait de gagner du temps, se gardant bien de donner une réponse définitive

(1) J. Guadet, !e< Gtfendttt., 1, Ï66. –M. J. Guadet ajoute cette note: J'a fourn: cette anecdote à M. de Lamartine, qui en a fait un tableau de fantaisie, très joli sans doute, ainsi qu'il sait les faire, et qui a cru devoir le terminer par une antithèse très malveillante. M. Michelet, ignorant la source où M. de Lamartine avait puisé l'anecdote, l'a contestée à tort. M"' Guadet me l'a racontée vingt fois avec toutes ses circonstances. ·


22 juillet 1792.

XXXV

LA PATRIE EST DÉCLARÉE EN DANGER Un mouvement irrésistible va s'emparer de la nation tout entière.

Un enthousiasme sans exemple pousse des milliers de volontaires à la frontière. Sur toutes les routes de France on rencontre des fédérés, ayant reçu comme mot d'ordre « d'abattre te tyran ». Les détachements de' ces bouillants enfants du Midi sont suivis de chariots sur lesquels flottent desbannières tricolores qui portent écrits ces mots: « Vivres qui ne coûtent rien aux Parisiens. »

A Paris on proclamait la Patrie eh danger. Cette déclaration, demandée !e 30juin, fut formulée à la tribune le 4 juillet, votée le 11, et proclamée te 22~

La Patrie est en danger 1

Ce cri retentit de ville en ville, de bourgade en boutgade, semant un saint frémissement et faisant jaillir du sol des bataillons entiers de ces volontaires qui couraient à h frontière combattre et mourir pour ta France menacée.

La proclamation fut faite à Paris avec une solennité qui reuétait le génie de la Révolution.


C'était un dimanche; le conseil général s'assembla à sept heures, à la maison commune déjà, depuis une heure, les six légions de ta garde nationale s'étaient réunies sur ta place de Grève. Le canon d'alarme du parc d'artillerie du Pont-Neuf tira une salve de trois coups pour annoncer la proclamation; la même charge se renouvela jusqu'à sept heures du soir. A huit heures, deux cortèges se mirent en marche pour aller proclamer la patrie en danger sur les diverses places de Paris. Chaque cortège se composait d'un détachement de cavalerie avec trompettes, de sapeurs, de tambours, d'un détachement de la garde nationale et de six pièces de canon, et en outre de quatre huissiers de la municipalité, portant chacun une enseigne avec une de ces inscriptions: Liberté, Egalité, Constitution, Patrie. Puis venaient douze officiers municipaux revêtus de leurs écharpes, des notables tous à cheva). Ils étaient suivis d'un garde national, portant une grande bannière tricolore sur laquelle ces mots étaient écrits « Citoyens, la patrie est en danger. Ces deux cortèges partirent pour se rendre aux divers endroitb désignés pour la proclamation quand ils faisaienthalte, un des huissiers demandait tesitenceen agitant une banderole tricolore on battait le tambOur, -et un ofCcier municipal, se plaçant à la tête de ses collègues, lisait â haute voix la déclaration. Pendant !a marche, des musiques militaires exécutaient des airs patriotiques.

Les cortèges s'arrêtèrent Nuecessivemeat sur te Pont de la Tournette, la place Maubert, la place Saint-Michet, la Croix rouge, la rue de Bourgogne, le pont Neuf, le pont Saint-Michet, le pont au Change, sur la


place de Grève, place de la Bastille, au coin de la rue de l'Oseille, la rue Pastourelle, la rue Saint-Martin, la rue aux Ours, la rue des Prouvaires, la rue SaintHonoré, place Louis XVI, place Vendôme, au Carrousel et sur le Parvis Notre-Dame.

Cette proclamation était l'appel au dévouement à la patrie; il fallait la sauver de l'envahisseur menaçant les frontières, et il fallait sauver la liberté conquise depuis trois ans. Cet immense cri d'alarme, poussé par Paris au milieu des roulements de tambours et du bruit des trompettes, fut entendu par le peuple qui se précipita vers les registres d'enrôlements que les officiers municipaux tenaient ouverts'sur les places pubtiques.

Sur le devant de l'amphithéâtre, une simple table est posée sur quatre tambours, et les enrôlements se font sous la présidence de trois officiers municipaux, ceints de leur écharpe tricolore. Au bas de l'estrade se place une section de la garde nationale, pour contenir l'affluence des volontaires qui viennent faire offrande de leur vie à côté, une musique militaire ne cesse de jouer des airs graves et sévères. Des estrades avaient été dressés place Royale, place du Théâtre Molière, place du carré Saint-Martin, Parvis Notre-Dame, place Dauphine, place Maubert, et du Théâtre-Français.

Le nombre des engagés fut énorme; le plus grand calme présida à cette pieuse cérémonie, troublée seulement par les discussions des plus jeunes, voulant persuader qu'ils avaient seize ans âge de rigueur fixé par l'Assemblée. Beaucoup d'adolescents, en effet, par une sainte supercherie, essayaient d'obtenir i7..


un brevet d'engagement, sans avoir l'âge prescrit; quelques-uns y parvinrent. Dans !a foule des enrôlés on vit des ouvriers en grand nombre, des jeunes gens aux costumes cossus, et même des lazaristes, des fils uniques, accompagnés par leurs mères en pleurs, des hommes mariés.Un vieillard, appuyé sur ses deux enfants, se présenta et tous trois s'inscrivirent. Dans les départements, l'empressement ne fut pas moindre. Au fond de la Basse Bretagne, un homme déjà vieux, Latour-d'Auvergne, prend !e fusil et suit les jeunes volontaires; en Quercy, une forte paysanne de dix-huit ans revêt un costume masculin, s'engage et accompagne son Sancé à la frontière ceUé-Ià, après avoir fait toutes les guerres de la Révolution et du premier Empire, devait revenir capitaine d'artillerie. Tel fut le magnifique spectacle donné par la France dans ce jour sans pareil, du 23juUiet 1792. L'âme de la patrie sentit battre le cœur de ses enfants d'un même et saint tressaillement.

Ce fut la réponse anticipée au manifeste du duc de Brunswick au défi que nous envoyaient les Prussiens et les Autrichiens, nos pères répondirent par ce cri d'espérance, poussé sur ces amphithéâtres entourés de faisceaux d'armes, de canons et d'oriflammes tricolores.

Les coalisés menacent le peuple; la nation française, Cère, répond à cette audacieuse sommation, qu'elle pressentait pour ainsi dire, par cette énergique et admirable protestation, jurant de périr pour la patrie en danger, les armes à la main, en défendant son indépendance et son intégralité. Tout ce que la France possédait de force, d'ardeur, de patriotisme,


de dévouement, d'abnégation, de courage, d'énergie et d'héroïsme, elle le donnait dans cette superbe journée de juillet, s'offrant elle-même pour sauver la liberté naissante la liberté, ce patrimoine non seulement de la France, mais du monde entier. Le 22 juillet 1792 est un acte de foi et un sublime élan de colère.

Acte de foi dans la force du dévouement; élan de colère contre des violateurs du droit, qui veulent imposer à un peuple !e servilisme, à coups de sabre.


DuMauSijuiitet~M.

XXXVI

ARRIVÉE DES MARSEILLAIS A PARIS

Un banquet patriotique. Ptans de départ du roi. Projets de soulèvement des faubourgs.- Attitude pacifique de Pétion. Arrivée des Marseillais. Insuites de la cour. Echauffourée des Champs-Elysées.

Le jeudi soir, 26, un peu avant la chute du jour, commençait, sur l'emplacement de la Bastille, un banquet populaire, où chacun apportait son propre repas; au moment où des lanternes en papier de couleur étaient allumées pour éclairer cette fête populaire, un grand tumulte se produisit; on venait de reconnaître Champion, le nouveau ministre de t'intérieur, qui s'était mêlé aux spectateurs aSuHé d'une mauvaise redingote, il parcourait les différents groupes, écoutant ce qu'on disait sur la cour et le ministère. ,La foule lui infligea une correction on le chassa à coups de pied et avec des soufflets. Tandis que le publie fêtait sa joie sur remplacement de la Bastille, une insurrection générale se complotait au Soleil d'Or, cabaret de la rue Saint-Antoine, où se trouvaient réunis Santerre, l'américain Fourrier, le polonais Lazousky, Carra, l'auteur des MtMMfles patriotiques, Veaugeois, l'ami de Pétion, Simon,


l'admirateur de Robespierre et Westerman, un simple greffier qui va devenir un grand soldat sur tes champs de bataille de la Vendée: à Beaupréau, Laval, Granville, Beaugé et Savenay. ·

Ces révolutionnaires formèrent le projet d'assiéger le château l'armée de patriotes devait se diviser en trois colonnes partant de la Bastille: l'une se rendrait directement aux Tuileries, en prenant par le faubourg Saint-Antoine; l'autre passerait par !a place de Grève et s'emparerait de l'Hôtel de Ville, gardant aussi le maire à vue. chez lui la troisième irait se placer en réserve sur le pont Louis XV. Le mot d'ordre était colonne blanche. Les drapeaux adoptés étaient rouges, et portaient, en lettres noires, ces mots Résistance à l'oppression loi martiale du peuple souverain contre la rébellion du pouvoir exécutif.

On avait en outre fait imprimer des affiches de couleur bleuâtre, portant ces lignes « Ceux qui tireront. sur les colonnes du peuple seront mis à mort sur-le-champ ceux qui se joindront à ces colonnes seront garantis de tout accident, ainsi que leurs personnes et leurs propriétés. s

On convint de ne pas faire de mal au roi, de l'enlever et de l'emprisonner dans le donjon de Vincennes. La cour fut tenue au courant des détails de ce complot par un traître demeuré inconnu, et, en même temps qu'elle prenait ses précautions, en massant sept à huit mille hommes dans le jardin, elle prévint Pétion, qui se rendit, vers minuit, sur l'emplacement de la Bastille. Il y avait encore un assez grand nombre de citoyens; les uns étaient à table, quelques-uns chantaient des refrains patriotiques, d'autres dansaient.


Pétion se promena, dans les divers groupes, les dissuadant du mouvement, leur représentant que la Cour était prévenue et prête à repousser toute agression. Le maire de Paris se rendit ensuite faubourg SaintMarceau, où il continua de calmer l'effervescence des esprits. A quatre heures du matin, quatre à cinq cents fédérés seulement se trouvèrent réunis; ils firent sonner le tocsin et battre la générale, mais le peuple ne se leva pas, et les meneurs, sans renoncer à leur projet, l'ajournèrent jusqu'à l'arrivée des Marseillais, qu'on annonçait d'un jour à l'autre.

On comprend facilement que, dans ces circonstances, les royalistes songeassent à faire fuir le roi. Le mois de juillet fut employé tout entier en négociations, en correspondances, en courses de toutes sortes, pour déterminer Louis XVI à quitter enfin Paris. Le roi refusa constamment tous les projets, comprenant que, s'il échouait, comme lors de la tentative de Varennes, c'était se placer de lui-mème sur l'échafaud. Sur ces entrefaites, les Marseillais arrivèrent, dans la matinée du 30 juin; la veille, its avaient couché à Charenton; ils formaient un corps de cinq cent seize hommes bien armés, suivi de trois pièces de canon. Ils furent reçus sur la place de la Bastille par ta Société des Jacobins, qui s'y était rendue tout entière. Ce bataillon des braves enfants du Midi arrivait, répétant le Chant de ~at'Mëe du Rhin, récemment composé par Rouget de l'Isle, et qui désormais va prendre le nom de ceux qui le chantèrent pour la première fois à Paris, et va s'appeler la MoM*setH<Mse. Ces méridionaux, à ta Sère tournure, venaient, avec leur allure martiale, apportant dans leurs yeux comme des reflets de


ce merveilleux soleil du Midi. Ils marchaient d'un pas décidé, qui leur conquit, dès l'abord, les sympathies des patriotes, en dépit des calomnies imprimées dans les libelles répandus et payés par l'argent de la liste civile. Les pamphlétaires royalistes les représentaient comme un ramassis de galériens, échappés des bagnes de Toulon; la Cour essayait de déshonorer ces intrépides volontaires, qui venaient de quitter leur pays d'une beauté et d'un charme incomparables, pour marcher à la frontière et se faire tuer pour la défense de la patrie.

Une circonstance'fbrtuite vint servir de prétexte aux nouvelles diffamations des royalistes Le soir de l'arrivée des Marseillais, on leur offrit un banquet aux Champs-Elysées. Non loin des tables qui leur avaient été dressées,, se trouvaient, dans le jardin d'un restaurant, des grenadiers du bataillon des Filles-SaintThomas, si renommé pour son royalisme: parmi eux Pigeon, le. rédacteur du journal contre-révolutionnaire le JoMftm! de la cour et de la ville, et Marquant, un des valets de garde-robe de MarieAntoinette. Les royalistes se mirent à insulter la foule, qui répondit par des huées les grenadiers se jetèrent alors, sabre en main, sur les citoyens désarmés, qui appelèrent les Marseillais à leur aide. Les fédérés quittèrent leur banquet, franchirent les palissades du jardin, mirent les grenadiers en fuite et en blessèrent plusieurs. Un agent de change nommé Duhamel, ayant tiré un coup de pistolet sur ceux qui le poursuivaient, fut mis à mort.

On remarqua beaucoup que les grenadiers poursuivis se dirigèrent vers les Tuileries, où ils se réfugièrent


le pont-levis du Château se baissa pour les laisser passer, et se releva aussitôt, pour les soustraire ainsi aux coups de leurs adversaires. Les grenadiers montèrent dans les appartements du roi où les dames de la Cour leur prodiguèrent les soins les plus affectueux; une d'elles exprimant ses craintes au sujet de son mari, la reine la rassura, disant

Ne craignez rien, votre mari n'y était pas. Marie-Antoinette le savait donc, et elle était au courant de cette provocation aux jeunes Marseillais, provocation qui aurait pu faire éclater la guerre civile. L'attitude énergique des Marseillais, venant au secours des patriotes sans défense, attaqués par des grenadiers royalistes armés, provoqua en faveur des méridionaux un courant de sympathie qui les rendit encore plus populaireset plus chers au peuple deParis, enthousiasmé de la généreuse attitude de ces jeunes héros, marchant à la frontière, en chantant l'hymne patriotique qui incarnait les colères et les ardeurs nationales.


Du 1" au 6 août )792.

XXXVtl

FERMENTATION GÉNÉRALE

Excitation cér-Sbrate de Parts. Le pain empoisonné du camp de Soissons. Fausses alarmes. Les plaisirs de Pâtis.–t.es cadeaux du grand Turc. Aûto-da-fés des titres nobiliaires. Robespierre demande la réunion d'une Convention. Les Girondins essaient de reprendre le ministère. Négociations avec la cour. On demande la déchéance. Message du roi. énergique protestation d'tsnard. Pétion à l'Assemblée. Arrivée des MarsoiUaht à. Paris. Violent orage.

La France bouillonnait; Paris était en-proie à une sorte de Sevré; de tous côtés circulent les bruits tes plus extraordinaires; on parle du complot des aristocrates voulant essayer de nouveau dé faciliter la fuii< du roi; on raconte que les coalisés sont à trois jours · de marche de Paris et que Brunswick peut envahir la capitale avant la fin de. la semaine; le pouvoir executif est mis encause de tous côtés, on continue à accuser Lafayette de trahison, on se méfie de Dumourie~on n'a pas confiance dans les députés, dont on critique la mottesse et le peu d'énergie.

A la Commune, dans les réunions publiques, dans les ctubs, les accusations sont tes mêmes.

L'excitation cérébrale de Paris eat telle que les


moindres incidents prennent des proportions considérables et hors de mesure. Un jour, on raconte que les aristocrates ont essayé d'empoisonner les soldats patriotes, en mêlant du verre pilé au pain fabriqué pour eux. La rumeur court de carrefour en carrefour, les sections s'émeuvent, tes têtes s'échauffent, le bruit colporté va grossissant, et. Je 2 août, à onze heures du soir, au moment où les députés viennent de lever la séance, la foule se précipite dans la salle de l'Assemblée en criant

Vengeance! Vengeance! On empoisonne nos frères!

Une grande partie des députés s'étant déjà retirée, on est obligé d'aller chercher dans les bureaux un président provisoire d'une séance improvisée; on rencontre Dussaulx 1, un des plus vieux, et on le fait monter au fauteuil en sa qualité de doyen d'âge. On commence par parler <t d'attentat abominable et on réclame une vengeance exemptaire.

Le député Lassource parvient cependant à prononcer quelques paroles prudentes et sages au milieu de rénervement général. « Prenez garde,'eitoyens, leur dit-it, les ennemis du bien public vous agitent. Vergniaud, le président en titre, arrive et on ouvre régulièrement la vraie séance.

Un citoyen s'avance -à la barre et annonce qu'il a a te coeur navré de douteur, en dénonçant un crime atroce, horrible, l'empoisonnement de nos défenseurs, de nos frères, de nos parents, de nos amis; les uns sont morts,. les autres sont dans les hôpitaux, ())~<'<e<~j!MrteBMH(a<)-e,t.Xvr,p.307.


malades. Pouvez-vous ne pas frémir d'indignation? Ce ne sont pas des plaintes, ce sont des hurlements que nous poussons vers vous a. On envoie immédiatement trois députés à Soissons, et la foule se retire paisible; il était minuit. Le lendemain, on apprit que le bruit avait été exagéré au possible; tout se bornait à une négligence des boulangers.

Le pain de munition était fabriqué dans l'église Saint-Jean, dont les vitraux étaient dans un état de délabrement complet, et des éclats de verre étaient tombés dans le pétrin Du reste cet accident n'avait eu aucune suite fâcheuse, et on avait dû seulement mettre au rebut trois ou quatre pains.

L'effervescence des esprits était telle qu'une simple rumeur, un accident des plus vulgaires se transformaient immédiatement en un crime abominable, ayant pour but d'empoisonner, les soldats patriotes, et tout cela trouvait créance auprès des sections de Paris alarmé.

Pourtant, au milieu dé cette surexcitation, le Paris qui s'amuse ne chômait pas; des éclats de rire iraveraaient cette crise et les orchestres faisaient danser des sociétés joyeuses. Un citoyen s'en plaignait avec aigreur au club des Jacobins~, au début de la séance du i" août, présidée par Robespierre.

e La patrie est en danger, s'écriait ce citoyen indigné, et de tous côtés, dans cette ville, on ne s'occupe que déplaisirs, de fêtes et de bals.

(t) Lettre des <t'oti eemmtMatre* de M«em6t~ envoyés au camp de So~wM (tmprtmée par ordre de rAssemMée, t7M). ~) Hf«otr<~Mf!mMn<at)'e, t. XVI, p. ?7.


Le club ne s'arrêta pas.à cette protestation et laissa rire, chanter, s'amuser, danser, ceux qui trouvaient le moyen de s'égayer au milieu des préparatifs des sanglants événements du lendemain.

Les usages diplomatiques continuaient également'; et, pour satisfaire à leurs exigences, on fabriquait chez Meignier, bijoutier de la couronne, grande galerie du Louvre, différents objets destinés à être emportés par l'ambassadeuç. de France à Constantinople et offerts au Grand Turc Selim I!I. Ces objets consistaient en un sabre à poignée d'or, enrichie de diamants; un houssoir à parfumer ja barbe, garni de diamants; une table d'or avec un médaillon dans le milieu, entouré de diamants, et autant de petites assiettes et coupes d'or que le tour de la, table en pouvait contenir; une cuvette d'or avec les anses garnies de diamants et l'aiguiëre assortie t.

En même temps que le gouvernement préparait ces cadeaux pourle monarque asiatique, !e département de Paris poursuivait la destruction des vieux titres des anciens nobles, titres sur lesquels avaient été livrés tes privilèges dont avait si longtemps souCert la France. Ainsi, cette semaine, place Vendôme, lieu ordinaire de ces exécutions, on brùla seize cents cartons, formant ta Sn du recueil des généalogies, titres et preuves de noblesse, et, en outre, deux cent soixante'trois voûtâmes*.

On ne s'en prenait pas seulement aux anciens titres de npbtesse, mais à tous les insignes qui rappelaient le ~)J!<M<t<MM<!<-f<M-<<,n<')60.

(9) CArjMt~M ~<n-<<, août n9ï, p. 87t.


régime qui croulait et déjà était appelé l'ancien régime les bonnets à poils des grenadiers étaient l'objet de vives attaques, comme choquant l'égalité; on déposait même sur le bureau de l'Assembtée des pétitions demandant leur suppression. Parmi les grenadiers, les opinions se partageaient, et deux députations se rendaient la Législative les uns voulaientaller aux frontières avec leurs bonnets, refusant de les rendre, si ce n'est à ceux qui « viendraient leur succéder sur les champs de bataille »; les autres, plus résignés, déposaient leurs bonnets au pied de la tribune, par amour de cette égalité de lacoiffure qui était réclamée et ils n'en partaient pas moins pour la guerre, en jurant de mourir pour ta patrie*.

Ces petits incidents passaient inaperçus au milieu de la discussion des deux grandes idées qui préoccupaient Paris et la France nous voulons parler de ta réunion d~une Convention nationale, proposée par Robespierre, et de la déchéanc e de Louis XVI, toutes deux reclamées par une grande partie de la nation. L'idée d'une Convention nationale avait déjà été soutenue par Robespierre, aux Jacobins où il avait demandé, pour la centième fois, l'abolition de la distinction injuste entre les citoyens actifs et inactifs.entre ceux qui participaient à la nomination des députés et ceux qui étaient mis à l'écart comme trop pauvres. « Tous ceux, disait Maximilien, qui sont appetés à défendre la patrie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs, et pourquoi refuse-t-on le vote à celui à qui on confie un fusil ? L'orateur des Jacobins insistait sur celte idée,

(t) JM<K!t«-Mr.


que les futurs conventionnels ne pouvaient être choisis ni parmi les députés de l'Assemblée Législative, ni parmi ceux de la première Assemblée Constituante. C'était uneréponse à ceuxqui l'accusaient de vouloir reconquérir une situation à la tribune Avait-il besoin, du reste,d'étrenommé député pour exercer nne'influence considérab!e?n'était-i! pas l'orateur acclamé, préféré, écouté du club des Jacobins, où sa popularité était extrême' l

Cette idée d'une Convention gagna du terrain rapidement, pendantque de tous côtés arrivaient à t'Assemblée les demandes de déchéance pour laquelle s'étaient prononcées quarante-sept des sections de Paris, sur quarante-huit. Déjà ta proposition s'était produite à t'Assemblée même, dans la séance du24juit!et,par la voix du député Duhem. La Gironde, représentée par un de ses chefs, Vergniaud, demanda l'ajournement de la question. Vergniaud excita les députés à ne se laisser ni entrainer par les mouvements désordonnés, ni subjuguer par de vaines terreurs

La Gironde essayait, eneSet, de prooier du mouvement des esprits, non pour renverser la Royauté, mais pour ta confisquer à son pro6t; les députés modérés~ 'travaillés par la passion du pouvoir, entamaient des. négociations avec la cour, pour reconquérir le ministère. Commé nous l'avons vu un peu plus haut, le négociateur choisi fut Boze, le peintre du roi. Vergniaud, Guadé et Gensonné remirent à Boxe âne lettre que celui-ci devait confier. & Thierry, valet de chambre du roi, qui se chargeait, à son tour, de la communiquer à Louis XVI. Dans cette lettre signée, les (t) ~tM<Mtf< de Vergniaud.


trois girondins prévenaient le roi qu'une insurrection terrible se préparait ils montraient sa déchéance possible, plus encore peut-être, et Us concluaient que le seul moyen d'arrêter ces tragiques événements était de rappeler au plus tôt au ministère Roland, Servan et Clavières

Un moment les Girondins purent croire à la réussite de leur mana'uvre, car Brissot, ayant rencontré Chabot dans l'allée des Feuillants du jardin des Tuileries, un colloque s'engagea entre eux. Chabot reprocha à Brissot d'avoir pris part & la manifestation du M juin,qu'il considérait comme inutile et dangereuse. Par votre manifestation irrégulière du 20 juin, dit Chabot, vous avez fait reculer ta Liberté. Vous vous trompez, répartit Brissot, le 20 juin a produit tout l'effet que nous en attendions Roland Clavière et Servan vont rentrer au ministère Le désir de la Gironde de sauver te trône pour reprendre le pouvoir la poussait' même à d'étranges imprudences, et ce n'est pas sans un étonnement profond que nous entendons dans l'Assemblée Brissot menacer les républicains. Oui, Brissot lui-même, Brissot qui: se déclarait républicain, quand, en i789, personne n'osait encore songer à la République, Brissot, le vaillant signataire de la pétition républicaine du H)~<M<)n-M de B. deJtfeMecti~.t. eh. x~vi.p. U'Ac~ <t'<t<'t'<tsation fh'eM~ contre le. Girondins par ~mar. D~M)««et) t~EAatot devant <e ï't')6t<))<tt révolutionnaire., Hxtoue p«rtementaire, t. XXIX, p. &76,'t. XXX, p. M. Au reste l'authenticité de cette lettre étrange n'est pas discutable, elle fut retrouvée chez le roi et servit d'argument contre les signataires devant le tribunal révolutionnaire.

(2) Déposition de Chabot devant le tribunal révolutionnaire.


Champ de Mars, ne craignit pas d'invectiver contre < ta faction des régicides, qui veut créer la République. S'il existe des hommes qui travaillent maintenant à établir la République sur les débris de la Constitution, le glaive de la loi doit frapper sur eux, comme sur les amis actifs dés deux chambres et sur tes contre-révotutionnairesdeCobtentz'

Ce discours fut sifflé par les tribunes; personne ne se trompaitsurle but de Brissot, dont les paroles furent accueillies par des huées

Les Jacobins protestèrent contre ce tangage et contre cette manœuvre qui, mise au jour, ne pouvait plus réussir. Les départements, imitant les sections deParis, envoyèrent de nombreuses adresses, réclamant la déchéance et Bazire, au milieu des applaudissements des tribunes, en déposa vingt, envoyées par son département.

C'est au milieu de cette situation des esprits qu'arriva la fameuse déclaration du duc de Brunswick.que Louis XVI fit connaitre officiellement le 3 août cinq jours après que tous les journaux royalistes l'eurent imprimée. Le roi terminait son message par de nouvelles protestations de fidélité à ta Constitution et de son constant désir de rendre le peuple heureux « Je maintiendrai, disait-il, en terminant, jusqu'à mon dernier soupir, l'indépendance nationale. Les malheurs personnels ne sont rien auprès des malheurs publics.

(t) NMiOK-opar~BtmOtt-e, t. XVI,p.<63-t73.Moot<<'Mf.

(a) SotfM«trt de Mathieu Dumas (t. H, p. 403-404). Z'Aatt de la een««M<ton. Le P~to<< /)-<tnj-a« (n° 1077. (ttëdtge par Brisaot lat-meme)


Et qu'est-ce que des dangers personnels, pour un roi à qui on veut enlever l'amour du peuple? C'est là qu'est la véritable plaie de mon cœur. Un jour peutêtre le peuple saura combien son bonheur m'est cher, combien il fut toujours et mon seul intérêt et mon premier besoin. Que de chagrins pourraient être effacés par la plus légère marque de son retour! » Ce langage, que démentaient les événements, fut accueilli par les murmures des tribunes et par les protestations des députés.

La fraction du côté droit essaie de demander l'impression du message' mais Ducos s'y oppose « non, dit-il, pour épargner de misérables frais d'impression, mais parce que la communication du roi exprime des sentiments dont le roi n'a pas donné de garanties ni de gages suffisants. Ce n'est pas par des lettres, c'est par des actions que le roi doit faire l'acte, formel de résistance, que lui prescrit la Constitution, contre des ennemis qui ne nous font la guerre que pour lui et en son nom. a

Ces paroles énergiques sont couvertes d'applaudissements

Isnard monte à la tribune et surenchérit; il est interrompu par les royalistes; l'orateur, avec sa mine sévère, un sourire de mépris dans les plis de ses lèvres, se retourne vers la droite et laisse tomber cette riposte dédaigneuse

Je ne sais pas, messieurs, par quel aimant vous êtes attirés sans cesse vers la cour?

()) .SMf<Mfep<tWeM)M<<ttre, XVI, ~t3.

(2) moniteur.

T.IV. i8


Champion, fougueux aristocrate, relève l'insulte et riposte par cette imprudente et mensongère accusation lancée à la gauche.

Et vous, messieurs, vous êtes vendus aux Anglais. Un éclair de colère jaillit des yeux d'Isnard toujours à la tribune; il place ses mains sur sa poitrine, comme pour contenir les palpitations indignées de son cœur et, éclatant, il accable son adversaire sous cette exclamation, qui soulève les applaudissements des tribunes et de t'Assemblée:

M. le président, je dénonce à !'Assemb)ée, à la nation entière, M. Champion l'exécrable, qui me dit que je suis vendu aui Anglais; malheureux 1 ouvre mon cœur, et tu verras s'il est français 1

Puis, devant son adversaire n'osant plus lui tenir tête, il continue et conclut en demandant l'ordre du jour pur et simple, qui est dédaigneusement voté. A peine Isnard a-t-il quitté la tribune que Pétion, à la tête d'une délégation dela Commune, demande à être entendu; il est immédiatement introduit, et, dans un discours affectant les allures d'un réquisitoire, il demande la suspension de Louis XVI.

Cette mise en demeure du premier magistrat de la capitale, faite au nom de la ville de Paris, produit une vive sensation. La Gironde ne répond pas et le président s'empresse de lever la séance à quatre heures, renvoyant la pétition au comité de l'extraordinaire, pour en délibérer.

Au milieu de cette agitation arrivent les Marseillais, apportant le cantique à la mode, l'hymne des patriotes qu'ils ont chanté de Marseille à Paris, traversant les villes et les. bourgades en faisant retentir les rues


et les carrefours de leur voix chaude, entonnant le cantique guerrier; à Paris, le chant est acclamé; quand ils arrivent à ce vers < Aux armes, citoyens! » ils agitent leurs chapeaux et leurs sabres, un frisson électrise l'assistance' et tout le monde répète en chœur le refrain de la chanson des Marseillais, qui va prendre leur nom et ne sera plus connue désormais que sous le nom de Marseillaise.

Comme nous l'avons déjà dit au chapitre précédent à leur arrivée à Paris, les Marseillais furent reçus en pompe par les patriotes; le club des Jacobins s'était réuni en corps 2 place de la Bastille. Barbaroux, qui avait eu le premier l'idée de cette levée de cinq cents volontaires quisusseni mourir3, s'était renduà Charenton avec quelques chefs populaires, Rebecqui, Pierre Baille, Bourdon. Barbaroux avait même conçu un autre plan Il avait demandé à Santerre de faire descendre les faubourgs au-devant des Marseillais; Santerre promit 40,000hommes. Dans l'esprit de Barbaroux, ce cortège de faubouriens,suivant lescinq cent seize Marseillais, devait dénier le long des quais, s'emparer de i'Hôtet de ville et aller camper dans le jardin des Tuileries :r jusqu'à ceque t'Assemblée eût suspendu le roi, ou qu'il eût volontairement abdiqué. Mais ce plan échoua; Santerre ne tint pas parole, les faubourgs ne furent pas convoquas; et c'est ainsi que les enfants du Midi entrèrent seuls dans Paris; ainsi fut évitée cette insur(t) Chronique de Paris, août <792, p. 967.

(!) Ntt<o'fe parlementaire, XVI, 216.

(3) Michelet, t. III, p. 236.

(4) Chiffre exact. (Lettrè du Ministre de l'Intérieur au Procureur syndic du département).

(5) M~mefret de Bartarott.):, ch. v, p. 48.


rection pacifique qui devait renverser la royauté sans violence et fonder la République par enthousiasme; a cette insurrection pour la liberté eût été imposante comme elle, sainte comme les droits qu'elle devait assurer, digne de servir d'exemple aux peuples; pour briser leurs fers, il suffit de se montrer aux tyrans f. Santerre, l'ami de Robespierre, ne tint pas sa promesse, pour ne pas laisser à Barbaroux, ami de la Gironde, l'honneur d'un si beau mouvement. La venue des Marseillais fut accueillie avec joie par les Parisiens, et avec terreur par les royalistes, qui essayèrent de les discréditer avant leur entrée à Paris, les représentant comme un ramassis de gens sans aveu, recrutés dans l'écume de la population flottante des ports de mer.

L'agitation de la rue coïncida avec une agitation extraordinaire de la nature qui semblait se mettre de la partie. La chaleur fut extrême durant la journée du 3 août; vers dix heures du soir, le ciel s'obscurcit et les éclairs sillonnèrent le noir cru de l'espace; les boutiques, les portes, les fenêtres se fermèrent. A minuit, une véritable tempête éclata sur Paris « Je ne crois pas qu'au dernier jour de l'univers les trompettes, qui viendront éveiller les morts au fond de leurs tombeaux, fassent un fracas plus affreux et plus continu » La, foudre tomba à cinquante endroits, une vingtaine de personnes furent tuées; des maraîchers qui apportaient leurs légumes à Paris furent foudroyés sur la route 3. Au milieu de cette nuit sinistre, (1) Mémoires de Bfï~aroMa*.

(2) Georges Duval, SoMM<:n'< de la r<'rre"r, t. Il, ch. xvu, p. 39. (9) td.


on entendit la voix mâle et forte des Marseillais faisant retentir les'rues de la capitale des accents de leur hymne patriotique, semblant jeter undén aux éléments au milieu de l'orage et lançant des menaces de mort contre les coalisés et les émigrés.

Sans doute, aux Tuileries, la cour ne dormit pas, et ce dut sembler un terrible présage aux hôtes du Château, que cette révolte des éléments, coïncidant avec la révolte d'une partie de la France et celle de la capitale tout entière.


Du7au9Mûtt792.

XXXVIII

ALARMES POPULAIRES

Lafayette innocente par l'Assemblée.–Emotion populaire.–Colères. La foule poursuit les députes dans la rue. -Discussion aux jacobins. Conspirations du SOLEIL D'OR et du CADRAN BLBU. Chez Antonio. Projet de fuite de Louis XVI. Les Vêpres royales. Abattement de la reine. Elan patriotique.

L'Assemblée Législative étant incapable de prendre de ces résolutions énergiques qui peuvent sauver un peuple dans un moment critique, la nation se trouvait pour ainsi dire livrée à elle-même, et elle ne pouvait compter que sur un effort suprême, tenté par tous les citoyens pour la sauver.

Le 6, vint devant l'Assemblée le rapport sur l'accusation de haute trahison. Lafayette était formellement accusé d'avoir essayé d'embaucher Luckner pour l'engager à joindre les troupes qu'il commandait, à l'armée placée sous ses ordres pour combattre les Jacobins et les patriotes, afin de créer un modus vivendi favorable à Louis XVI, en restaurant une partie de sa puissance.

Le fait ressortit, clairement prouvé, du rapport de Delay, qui proclamait Lafayette « coupable d'avoir fo-


menté la guerre civile s, proposait de le décréter d'accusation et de le renvoyer devant la Haute-Cour. Au dehors, la foule adressait à l'Assemblée des menaces tumultueuses et demandait à grands cris le décret d'accusation. Pourtant, après une discussion à laquelle prirent part Vaublanc, en faveur du général, et Brissot, qui prononça un énergique réquisitoire, les députés, par quatre cent six voix contre deux cent vingt-quatre, innocentèrent le généjpal, coupable d'une tentative illégale qui « contenait en germe le 18 brumaire ~c.

A la sortie, les députés du côté droit sont hués la surexcitation de la foule est extrême; Vaublanc, qui avait pris la défense de Lafayette, est reconnu et poursuiv.i quelques-uns de ses collègues essaient de le protéger, mais ils sont assaillis à leur tour. Mézières, du département de l'Aube, sortait par la porte du Manège, quand il est poursuivi jusqu'à l'entrée de la rue du Dauphin une femme, armée d'un couteau, veut l'en frapper; il est assez heureux pour la désarmer d'un coup de canne un garde national le saisit alors au collet et le représentant parvient à s'échapper à grand peine.

Un autre député, Regnault, se voit tout à coup, près la porte Saint-Honoré, environné d'une multitude, et il entend qu'on délibère pour le conduire à la lanterne. Regnault se réclame de son inviolabilité, agite son cordon de député', les cris redoublent (1) Michelet, ni, p. 9M.

(2) Lettre de jtfAMre! d ~Mf'mtMe.

(3) J(fot)t<'Mf.


Ah tu es député

Et inviolable.

C'est pour cela qu'il faut te pendre, clame la foule.

Déjà deux bras solides ont saisi notre député et l'enlèvent de terre. Heureusement un grenadier du bataillon Sainte-Opportune, nommé Lavilette, se place devant le malheureux, et, le sabre en main, le protège de son mieux d'autres grenadiers accourent Regnault est conduit à l'Hôtel de Ville, plus mort que vif, et on le ramène enfin chez lui sous la protection d'un détachement.

Frondières et Dumosland, qui avaient parlé en faveur de Lafayette, traversaient la cour du Manège en se tenant par le bras la foule reconnaît Dumosland et le poursuit en le couvrant d'insultes et en criant Ce sont des gueux, des coquins, des traîtres payés par la liste civile.

Il faut les pendre ajoutent quelques-uns. Les deux députés pressent le pas et arrivent rue Saint-Honoré; une maison en construction se trouvait là, on s'empare du mortier et des moellons, qu'on jette 'sur eux. Ils se réfugient au corps de garde du Palais Royal, où ils sont suivis par un fédéré qui, frappant à grands coups de poing sur une table, avec un regard de menace, crie à Dumosland

Si tu as le malheur de remettre les pieds dans l'Assemblée, je te coupe la tête d'un coup de sabre'. Sept à huit autres députés s'étaient retirés dans le même corps de garde, attendant des forces suf Usantes (1) Lettre de Prondières.


qui n'arrivent pas le corps de garde allait être forcé, quand les assiégés sautent par une fenêtre de derrière, et se sauvent.

Vaublanc fut surtout l'objet des poursuites. Mais écoutons-le lui-même raconter ces événements, encore sous le coup d'une émotion bien naturelle. « Et moi aussi, j'ai été insulté, menacé, et sans doute mon sort eût été funeste, sans l'avertissement que je reçus d'un citoyen qui vint à l'endroit je dînais, me dire qu'une foule d'hommes armés, revêtus de l'habit de garde national investissaient ma maison, et qu'ils criaient hautement que quatre-vingts citoyens devaient périr par leurs mains, et moi tout le premier. Douze hommes sont entrés chez moi, m'ont demandé et, sur ce qu'on leur a répondu que je n'y étais pas, ils ont visité toute la maison et insulté ceux qui s'y trouvaient ils ont fait les mêmes perquisitions et commis les mêmes insultes dans les maisons voisines. Puis j'ai fait des tentatives pour rentrer chez moi mais on m'a averti que je risquais d'être renversé »

Et notre homme est obligé d'aller demander asile à un ami.

Ces divers actes de violence, regrettables en soi, sont l'indice de la fermentation de Paris et de l'effervescence des citoyens qui voyaient impunies les conspirations de l'intérieur, assistaient à l'approbation, par l'Assemblée, des actes délictueux et des menaces d'un général qui osait menacer Paris et les patriotes, et qui entendaient dire à chaque instant que l'armée des coa(t) Histoire parlementaire, XV), p. 386.


lisés campait à quelques jours de marche de Paris. Se sentant abandonnés par leurs députés, les citoyens ne comptaient plus que sur eux-mêmes. La cour jetait l'argent pour fomenter les révoltes et les séditions, afin de procurer aux soldats de Brunswick l'occasion de venir et d'être accueillis comme les sauveurs de la tranquillité publique ces excitations journalières produisaient des résultats différents de ceux qu'espéraient les organisateurs aristocrates.

Tous ces événements affolent les députés, qui font mander à la barre le Procureur syndic du département et Pétion, maire de Paris, pour leur demander s'ils peuvent répondre de la sûreté de l'Assemblée leur double réponse affirmative ne les rassure nallement, surtout en présence de l'agitation publique sans cesse grandissante, en présence de la discussion du club des Jacobins, où l'on vote l'impression d'une liste nominative des députés ayant voté pour Lafayette et de ceux ayant voté contre. Dans cette discussion d'énergiques et terribles paroles sont prononcées. Il faut en appeler au peuple, dit Goupillon, lui bien montrer que l'assemblée nationale ne peut pas le sauver. Il n'y a qu'une insurrection générale qui puisse le faire

La grande idée est jetée dans le grand publie parisien elle va vite germer bientôt le peuple se trouvera en armes contre Louis XVI, complice des coalisés et que l'Assemblée n'a pas su ou voulu contraindre et maîtriser.

Cetteinsurrection,Barbaroux l'avait rêvée imposante (t) Tfttfetff~o~oHm~tre, XVI, p. 370.


mais pacifique, et son plan ne put réussir, parlafaute de Santerre, ne tenant pas ses promesses de soulever les faubourgs mais d'autres la préparaient déjà dans des conciliabules secrets. Le 26 juillet, une réunion avait eu lieu au cabaret du Soleil d'or, rue SaintAntoine. Santerre, Fournier, Lazousky, Carra, Vaugeais, Simon, Westerman, encore simple greffier (et demain grand soldat) se trouvaient réunis autour de la même table Ces hommes avaient décidé un grand mouvement populaire, mais la cour connut ces préparatifs, Pétion fut averti et parvint à arrêter l'exécution de ce plan Le 4 août, nouvelle réunion des mêmes hommes, dans un autre cabaret, au Cadran bleu, sur les boulevards. Cette fois, Camille Desmoulins et l'ancien constituant Antoine y assistaient. A huit heures du soir, le Directoire révolutionnaire fut sans doute troublé dans ses délibérations parla venue de quelques consommateurs indiscrets ils se rendirent dans la chambre d'Antoine, rue Saint-Honoré, vis-à-vis l'Assomption, juste dans la maison de l'entrepreneur de menuiserie Duplay, où logeait Robespierre à onze heures du soir, le conciliabule était fort animé, et M°" Duplay, fort effrayée, vint demander à Antoine s'il voulait faire égorger Robespierre

Si quelqu'un doit être égorgé, répondit Antoine, ce sera nous sans doute. Il ne s'agit pas de Robespierre, il n'a qu'à se cacher 3.

(1) Procédures criminelles contre les Girondins.

(~) PtecM importantes pour t'Aittotre rapportées par Buchet et Roux.

(3) Préei. Hu<0)t~Me et très exact sur l'origine et les véritables <tM(ettr< de t'insurrection du tu <te)!<, par Carra.


Carra écrivit le plan de l'insurrection, la marche des colonnes et l'attaque du château Simon fit une copie de ce plan, envoyé séance tenante à San terre et à Atexandre. Il était minuit. On dut retarder une fois encore Santerre n'était pas prêt, et on désirait attendre la discussion sur la suspension du roi, renvoyée au 10 août~.

Dans iepuMic, on parlait couramment de la fuite du roi; bien plus, des crieurs de journaux l'annonçaient, le soir, dans la rue Il y avait eu en effet un nouveau projet de fuite, conçu par les amis du monarque, dans le jardin même de M. de Montmorin, ancien ministre des affaires étrangères. Bertrand, ancien ministre de la marine, Clermont-Tonnerre, La!)y-ToHenda), Malouet, deGouvernet, de Gilliers assistaient à ceconseil3. Tous furent unanimespourle départ. Louis XVI donna son consentement et les préparatifs eurent lieu; le lendemain, tout était changé, le roi déclara qu'il ne partirait point.

Les motifs de ce changement étaient l'arrivée du duc de Brunswick, annoncée comme très prochaine, et de qui l'on espérait la délivrance, ensuite le refus de la reine de se confier aux constitutionnels.

ï~~aut mieux, disait-elle, périr que de nous mettre dans les mains de gens qui nous ont fait tant de mal

La victoire prochaine des Autrichiens et des Prus1) Pt~<< historique et très exact sur fon~Me et les !)At<aKef auteurs de rinsurrection du 10 aot!(, par Carra.

(?) Chronique de /'art<, août 1792, p. 881.

(3) Lettre de Lally-Tollendal au roi de Prusse.

(4) Ma. de Campan, Jfe'mot'rM, t. It, p. 125.


siens ne faisait pas l'ombre d'un doute pour la cour, et l'entrée de Brunswick à Paris était considérée comme certaine d'un moment à l'autre. Pourtant, aux vêpres du dimanche, dans la chapelle des Tuileries, les musiciens, composés en grande partie de patriotes, se mirent à enfler leurs voix, en chantant ce verset du Ma~tt{/tcctt Deposuit potentes de sede (il a déposé les monarques de leur trône) et ces mots retentirent vibrants aux oreilles du roi et de la reine.

Ces chants, soulignés intentionnellement, plongèrent Marie-Antoinette dans l'abattement, et elle se mit à envisager tristement le lendemain

Je commence à redouter un procès pour le roi, disait-elle quant à moi, je suis étrangère, ils m'assassineront. Que deviendront mes pauvres enfants ~? Un autre jour, la lassitude l'accablait

J'aimerais mieux une longue captivité, dans une tour, au bord de la mer 3

En Province le patriotisme enfantait des prodiges. Dans tous les départements, les citoyens. s'armaient et se préparaient au départ pour la frontière. Les Vos-ges devaient fournir six mille hommes, il s'en présentaneuf mille dans un autre département, il suffit de quelques heures pour lever six mille hommes'. La Savoie envoyait une légion de volontaires destinée à combattre avec les Français. Ici c'était un fils qui, emporté par son zëte, quittait la maison paternelle pour éviter ta scène toujours pénible dudépart~; là un père, (t) M°" de Campan, J~'otfwes, t. II, ch. xx), p. 2M). (2-3) Id., p. 219, 239.

(4) Moniteur.

(5) Chronique de Paris, août 1792, p. 885.

T. [V. 19


ne pouvant arrêter son 6ts, partait avec lui; à Bordeaux, les commerçants décidaient de conserver leurs places à ceux de leurs commis qui allaient aux frontières, et de payer les appointements aux familles des absents. Partout les sentiments du patriotisme et l'amour de la liberté enflammaient les courages et excitaient l'ardeur des Français.


9aoûtt792.

XXXIX

LA VEILLE DU DIX AOUT

Les causes du <0 août. –Le ruban tricolore du jardin des Tuileries. Mesures prises par Mandat. Incertitude de la victoire.-Vagues desseins de fuite de plusieurs députés. Energie de Vergniaud. Solitude de la reine. Lés nobles convoqués. Désertion. Nomination de la Commune du tO août. La soirée de Camille Desmoulins et de Danton. Alarmes de Lucile. Pétion au château. Les dangers qu'il court. Il est mandé à la barre de l'Assemblée. Marie-Antoinette regarde lever l'aurore.

A la veille du grand mouvement révolutionnaire qui va renverser la royauté et obliger la Législative impuissante à faire place à la Convention nationale, il nous parait bon de reproduire en partie une page de Robespierre sur les causes du 10 août, page publiée par le Dé fenseur de la coMsMtuttOt

Pour Robespierre, le 10 août eut pour causes « Les trahisons éternelles du gouvernement, la ligue sacrilège de nos ennemis intérieurs avec nos ennemis du dehors, avec une multitude innombrable de fonctionnaires publics corrompus par la cour, les persécutions suscitées à tous les bons citoyens par la tyrannie armée au nom de la loi,,les principes de la (i) N' 79 (et dernier).


constitution impudemment violés et le mot seul de Constitution devenu, entre les mains du despotisme et de la perfidie, une arme terrible pour assassiner le patriotisme la guerre ouvertement déclarée au peuple frànçaispar Lafayette etpar ses complices, etleur scandaleuse impunité. »

Tels étaient en effet les reproches que formulaient les patriotes

On sentait qu'on était à la veille de quelque nouvel événement.

Pourtant, malgré son excitation, le peuple de Paris continuait & donner de ces spectacles qui étonnent l'observateur, et qui sont un mélange de contradictions inexplicables. Ainsi, dans le jardin des Tuileries, rendu depuis un mois à peine à la circulation du public, on remarquait, d'un côté, des portes fermées et qui ne a'entr'duvraient que sur la présentation d'une carte des sentinelles étaient placéesà chaque porte; des canons, mèches préparées, de larges fossés, une forte grillëtoute neuve protégeaientLouis XVI et empêchaient le peuple d'approcher. De l'autre côté, la terrasse des Feuillants, redevenue publique dans toute sa longueur et regorgeant de promeneurs jusqu'auxtrois escaliers, devant lesquels on avait placé un simple ruban tricolore ci indiquant au public de s'arrêter là. Chose singulière, tandis qu'en face ce n'est pas trop de la force armée et de tout l'attirail des forteresses pour maintenir le peuple, ici, il suffit d'un simple cordon pour l'arrêter, et cette barrière est scrupuleusement respectée.

C'est ce qui fait dire à l'abbé Delille, l'auteur des Jctfdt~s

(i) Nt~ohtMMt <fe /'an<, n' 160, p. '!t2.


Quel singulier peuple H a pris la Bastille, il brave tous les jours la baïonnette et lecanon, et il se contient à la vue d'un ruban un fil de soie est une barrière qui tout court aujourd'hui l'arrête.

Quelle image plus saisissante pourrait exprimer la force de volonté de ce peuple, qui va se lever demain pour chasser le roi de son palais, et qui, s'étant tracé une limite, l'indique par quelques mètres de ruban, limite qui n'est ni dépassée ni franchie.

C'est animédecet esprit de froide résolution, que le peuple de Paris se prépare au 10 août.

La cour connaissait, du reste, tous les préparatifs et elle se disposait à ta lutte. Déjà, dans la nuit du 4 au 5, elle avait fait venir, de Courbevoie aux Tuileries, les Suisses, au nombre de neuf cent cinquante. Pendant la journée du 9, on coupa la galerie du Louvre, pour interdire de ce côté l'entrée du château. On fit entrer, cstensiblement, de lourds madriers de chêne pour assurer les portes, mettre les fenêtres en état de défense et les transformer en autant de meurtrières, d'où l'on pût facilement foudroyer l'ennemi.

Mandat, commandant la garde nationale, le successeur de Lafayette, lui était tout dévoué c'est lui qui prit le commandement des troupes réunies dans le château. Il commença par consigner Santerre, dont il craignait l'influence sur les faubourgs, et Santerre, fidèle à la discipline, ne sortit de chez lui qu'une fois l'heure de la consigne passée.

Toutes les mesures avaient été prises pour que le peuple fût vaincu; et, jusqu'à la fin, la courcrutà une victoire calculée par avance, escomptée, peut-on dire. Mandat donna l'ordre à seize bataillons de la garde


nationale, choisis parmi ceux sur lesquels on croyait pouvoir compter, de se tenir prêts à marcher; on avait mis en bataille la gendarmerie à .pied et à cheval les postes furent triplés. Dans les cours on plaça onze canons défendant les allées et les passages. Mandat avait placé près l'Hôtel de Ville des forces considérables, qui avaient ordre de laisser passer les patriotes du faubourg Saint-Antoine et de les fusiller ensuite par derrière. Enfin il avait garni le Pont Neuf d'artillerie, afin d'empêcher le faubourg Saint-Antoine de se joindre au faubourg Saint-Marceau.

Les députés et les hommes en vue de la Révolution connaissaient bien ces faits et en comprenaient l'importance plusieurs étaient résolus à quitter Paris, en cas de défaite du peuple. Marat avait formé le projet de se sauver à Marseille, et il se tint prêt à partir sous l'habit d'un jockey'. Les Girondins ne comptaient guère sur le succès du peuple, et M*" Roland examinait, avec Barbaroux et Servan, les chances de sauver la liberté dans le Midi, d'y fonder la République « nous prenions des cartes géographiques, nous tracions la ligne de démarcation ?. Si nos Marseillais ne réussissent pas, disait Barbaroux, ce sera notre ressource 2. »

Quant à Robespierre, Vergniaud l'accuse formellement d'avoir eu aussi le projet de se retirer à Marseille mais cette affirmation d'un ennemi contre un ennemi 3 ne peut pas être acceptée, car elle est isolée (1) I, ch. v, p. 60-62.

~) M*" Roland, N~motrM.

(3) Michelet, IH, p. 247.


et en contradiction avec les discours de Maximilien, de la veille et du lendemain, prononcés aux Jacobins. Ce qu'il y a de certain, c'est que Vergniaud, malgré l'opinion de ta plupart de ses amis, se prononça.énergiquement contre toute idée de départ.

« C'est à Paris, dit-il, qu'il faut assurer le triomphe de la liberté, ou périr avec elle. Si l'Assemblée part de Paris, ce ne peut être que comme Thémistocle, avec tous les citoyens, en ne laissant que des cendres, ne fuyant un moment devant l'ennemi que pour lui creuser son tombeau. j)

Pendantce temps, leDirectoire révolutionnaire, composé de Fournier, Santerre, Westerman, Antoine et Carra, que nous avons vu, au chapitre précédent, tenir ses séances secrètes au Soleil d'or, puis au Cadran bleu et enfin dans la chambre du constituant Antoine, ce Directoire continuait son œuvre, mais cette fois séparément. Fournier l'Américain se trouvait à la tête de quelques patriotes d'initiative au faubourg SaintMarceau WesteDnan et Santerre au faubourg SaintAntoine Garin, journaliste de Strasbourg, et Carra, dans la caserne des Marseillais, dans la chambre même du commandant du bataillon'. Ils attendaient tous le son du tocsin pour se mettre eu mouvement, eux et les embrigadés sous leurs ordres.

Pour agir plus librement, et pour couvrir la responsabilité de Pétion, les initiateurs du mouvement avaient pris le parti de consigner chez lui le maire de Paris. Carra l'en prévint et Barbaroux, pour (1) PrA-MAie<of~M<t<)'f't)t<M)')-ee<tMt!M 10 aottf, par Carra. (?) Observation. de Potion <xr les lettres de Robespierre.


rassurer M"" Pétion, craignant la prison, comme suite possible des événements, la rassurait, lui disant: Si nous enchaînons jamais votre époux, ce sera auprès de vous et avec des.rubans tricolores Auchâieau,!a reine se trouvaisolée, toute cette journée du jeudi 9 août pas une dame du palais n'osa se rendre à son poste, et Marie-Antoinette resta seule avec sa belle-sœur et ses enfants; dans l'après-midi pourtant, Lady Sutherland, femme de l'ambassadeur d'Angleterre, vint lui rendre visite~.

Les gentilshommes ne montrèrent pas plus d'empressement que les dames du palais en vain Champcenetz, gouverneur des Tuileries, avait distribué deux mille cartes d'entrée aux nobles restés à Paris, les engageant à venir défendre leur roi cet appel ne fut pas entendu, et il se présenta à peine cent cinquante à deux cents gentilshommes, suivant l'aveu même des royalistes Quelques-uns étaient là comme à une réception au lieu d'endosser l'uniforme des gardes nationaux, cequi leur eût permis de se confondre dans les bataillons et de faire le coup de feu, beaucoup étaient venus en habit de cour, habit brodé, veste de satin et bas de soie blancs Quelques-uns même n'avaient pour toutes armes que des cannes Les plus facé.tieux s'emparaient des pincettes des cheminéés et fai(1) MemMret de Barbaroux, ch. !v, p. 42.

t2) ~x.<- amis de la Liberté, t. VIH, p. 149.

(3) Bulletin du 7'n&MMi criminel du 10 août, n" 1.

(4) Peltier, The ~.a<e~M<Mn'<)/' Paris, or y'aXA/M narrative of the K<M<K<K") the Lenth of Auguste (p. i47).

(5) Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, ch. xvn, p. 18. (6) Peltier, p. !?i.


saient mine, en riant, de s'en servir en guise d'épées L'appoint apporté par ces grands seigneurs fut négatif, et ce fut plutôt une gêne pour les vrais combattants d'autant plus que leur conduite pendant la bataille ne donna pas une haute idée de leur courage. Un témoin oculaire a ainsi raconté leurs exploits Il J'étais domestique dans le château des Tuileries je me suis caché, sitôt que le roi a été parti j'ai vu tous les chevaliers du poignard, habillés de garde nationale et en suisses, et des aristocrates de tout genre au nombre de douze cents ils ont lâché pied après avoir excité à tenir ferme; ils ont abandonné les Suisses et se sont sauvés par le Muséum et sont venus descendre, à côté de la salle des tableaux, sur la place du Louvre. Beaucoup avaient l'habit uniforme et se sont sauvés en criant Vive la nation et les sans-culottes » DORMIEZ.

Ce 15 août 1792

Dormiez a donc parfaitement vu ces a aristocrates de tout genre sans uniforme, se sauver avec les nombreux gardes nationaux qui abandonnèrent le château et laissèrent les Suisses se faire tuer pour un roi qui était déjà parti.

Pendant que Champcenetz convoque les nobles, qui ne viennent pas, les quarante-huit sections de Paris s'assemblent, et, sur la proposition de celle des QuinzeVingts, nomment trois commissaires chacune, pour former cette fameuse commune du 10 août, qui rem«) M°"de Campan, Mémoires, t. II, ch. M!, p. 2<5.

(2) Les M<'ohf<M)M de Paris, n* t62, p. 286.

i9.


plaça la municipalité en exercice, mais dont la faiblesse n'inspirait que de la crainte, en présence des événements graves qui se déroulaient. Ces membres de la Commune reçurent des sections « pouvoir illimité pour sauver la patrie u

Les cent quarante-quatre élus étaient bien peu connus les seuls noms qui attirent l'attention sont ceux de Huguenin, Rossignol, BiHaud-Varenne, Hébert, Bourdon (de rOise),Chénier. Danton, Marat, Camille Desmoulins ne furent pas élus. Fabre d'Eglantine et Robespierre ne furent élus que le lendemain et le surlendemain', au scrutin de ballottage, comme nous disons aujourd'hui.

Pendant que Paris nommait la célèbre Commune insurrectionnelle du 10, dont le rôle va être si considérable, si grand et si beau, au château, la famille royale se couchait mais les princesses ne se déshabillaient pas, elles se contentaient de se jeter sur leurs lits et, ne pouvant trouver le sommeil, se relevaient bientôt, passant leur nuit à errer dans le palais Si nous quittons les Tuileries et si nous passons devant l'appartement de Camille Desmoulins, cour du Commerce, où habitait également Danton', nous entendons de joyeux propos et de gais éclats de rire. Ce sont des Marseillais qui sont reçus chez Camille et (t) BM<oirepar~t)Mt)<afre, XVI, 420.

(2) Peltier, p. <85.

(3) Danton avait quitté son domicile de la rue des Mauvaises Paroles, où était situé autrefois son cabinet d'avocat au conseil du roi, pour venir habiter, le 13;septembre 1791, la cour du Commerce, donnant sur la rue des Cordeliers (Certificat de résidence délivré par le Président de la Section du M~a<)'e /'raKj'n«).


c'est Lucile qui, très gaie ce soir-là, faisait les honneurs de la maison, en riant a comme une petite follet.

Après diner, Camille conduisit ses invités chez son voisin Danton, qui paraissait très résolu. Mme Danton pleurait, en songeant aux événements qui se préparaient

Mais peut-on rire ainsi 1 dit Mme Danton à l'insouciante Lucile.

Hélas 1 lui répondit philosophiquement celle-ci, cela ne présage pas je verserai peut-être bien des larmes ce soir.

Vers dix heures, Danton, sa femme, Camille et Lucile allèrent accompagner M"' Charpentier, parente de Danton. Il faisait beau, une de ces soirées attiédies d'août. Ils firent quelques tours dans la rue, où il y avait assez de monde. En passant, ils s'assirent à côté d'un café, place de l'Odéon, etils virent passer plusieurs sans-culottes criant Vive la Nation 1 Puis ce furent des troupes à cheval et enfin des foules immenses. La peur prit Lucile qui dit à Mme Danton Allons-nous-en.

En vain Mme Danton voulut rire de la terreur de la jeune femme, celle-ci parvint à décider tout le monde à rentrer.

En arrivant chez Danton, ils y trouvèrent M*" Robert et plusieurs dames de leur connaissance. Danton était maintenant très agité.

Lucile demanda à M" Robert

Sonnera-t-on le tocsin, cette nuit ?

(t) Journal de Lucile,


Oui, répondit celle-ci, ce sera pour ce soir. Lucile devint alors très grave.

Bientôt chacun s'arme, et Camille lui-même arrive, portant un fusil. Lucile s'enferme dans une alcôve, cache sa figure entre ses mains et se met à pleurer; pourtant elle dissimule sa faiblesse et dit tout haut à son mari qu'elle ne veut pas qu'il se mêle de tout cela elle guette le moment où elle peut le prendre à part, lui communique toutes ses craintes. Desmoulins la rassure de son mieux, en lui affirmant qu'il ne quittera pas Danton

Fréron, lui, avait l'air déterminé à se sacrifier. Je suis las de la vie, disait-il, je ne cherche qu'à mourir.

Lucile regagna son appartement son fils Horace, né le 6 juillet précédent, dormait dans son berceau aux rideaux blancs doublés de bleu elle se penche pour écouter sa petite respiration régulière, et elle court se réfugier dans le salon qui était sans lumières elle a peur, regarde par la fenêtre, la rue est déserte, elle rentre alors dans sa chambre à coucher et la gaîté « de la petite folle du commencement de la soirée fait place à une mélancolie résignée. Elle prend son journal et y écrit

« Qu'allons-nous devenir? je n'en puis plus. Camille, ah 1 mon pauvre Camille, que vas-tu devenir? 2 je n'ai plus la force de respirer. C'est cette nuit la nuit fatale. Mon Dieu, s'il est vrai que tu existes, sauve donc des hommes qui sont dignes de toi Nous voulons être libres. 0 Dieu 1 qu'il en coûte 1 et pour (1) Tous ces détails sont racontés par Lucile elle-même.


comble de malheur, le courage m'abandonne –Jeudi 9 août. :II

Il est une heure quand Desmoulins rentre il embrasse tendrement sa Lucile, continuant cette douce lune'de miel qu'interrompit seulement le fatal couperet.Il demande si personne n'est venu :-Personne. Il réprime un mouvement de contrariété. Il avait écrit, pour lui offrir un refuge, à Suleau, le rédacteur des journaux aristocrates, auquel il était lié par des souvenirs d'enfance Suleau n'était pas venu, il était resté au danger. Aux Tuileries, où l'émotion était extrême; on envoya chercher Pétion, qui présidait le conseil de la Commune. Vers dix heures, de nombreuses démarches avaient été faites, Mandat, commandant de la garde nationale, avait envoyé plusieurs lettres. En même temps on informait le conseil que les citoyens prenaientles armes dans tous les quartiers, des groupes se formaient, on parlait de sonner le tocsin et de se porter au Château plusieurs membres du conseil s'écrièrent

Il faut y aller Allons, M. le maire, mettez-vous à notre tête

Pétion partit, accompagné de plusieurs de ses collègues arrivé aux Tuileries, sa première démarche fut de se rendre près du roi qui était dans la chambre du conseil.

En montant l'escalier, il put voir que les appartements étaient remplis de soldats; les suisses s'y trouvaient en grand nombre et avaient tous la baïonnette (1) Fleury, E<u(!e< Révolutionnaires.

(2) Récit de Ch. Palien (Pièces fttte'retMnfM pour Mu<<)t~ de !a ~MtxttCtt), an II de la République.


au bout du canon. La salle du conseil et la pièce qui précédait étaient occupées par des cavaliers, des suisses, des officiers de l'état major de la garde nationale, ayant tous l'épée au côté. La reine, M'"° Elisabeth et le Dauphin se tenaient à côté du roi. Toute cette foule jetait sur le maire de Paris des regards farouches qui semblaient lui dire

Entm tu vas nous payer aujourd'hui tout ce que tu nous as fait 1

Quand Pétion entra, Louis XVI causait avec Rœderer, procureur syndic du département de la Seine (nous dirions aujourd'hui préfet de la Seine). Le roi paraissait aussi irrité que son entourage, il parla peu à Pétion, se contentant de lui dire

Il parait qu'il y a beaucoup de mouvement ? Oui, se contenta de répondre simplement le maire, la fermentation est grande.

Mandat intervint

C'est égal, je réponds de tout, mes mesures sont bien prises.

Pétion ne resta qu'uninstant dans les appartements il descendit dans le jardin, où il ne cessa de se promener jusqu'à quatre heures du matin.

Les bataillons de la garde nationale, commandés par Mandat, arrivaient successivement avec des pièces de canon au loin, en entendait sonner le tocsin à divers clochers de la ville.

Quoique la nuit ne fût pas obscure, les bâtiments projetaient leur ombre au delà de la terrasse; la section royaliste des filles Saint-Thomas (la même qui s'était prononcée contre la déchéance et qui avaiteu unealgarade avec ies Marseillais aux Champs-Elysées), occu-


pait précisément un endroit placé dans l'obscurité on avait mis des lampions sur le bord des pièces longeant la terrasse quand Pétion passa, les lampions furent renversés, les clartés s'éteignirent, le maire fut entouré, etles grenadiers lui adressèrent les propos les plus outrageants heureusement des gardes nationaux le délivrèrent.

Pétion n'en continua pas moins à passer et à repasser par là, conservant un calme étonnant au milieu des menaces.

Des grenadiers ne se gênaient pas pour dire Nous le tenons et sa tête en répondra

Un membre de la municipalité, Mouchet, témoin du danger auquel Pétion était exposé, très alarmé, se rendit à l'Assemblée, s'adressa à plusieurs membres dans les couloirs, leur disant

Si vous ne mandez pas sur le-champ le maire de Paris à votre barre, il va être assassiné.

Pendant que Pétion se promenait avec la même tranquillité, et que Mouchet continuait ses démarches pour le délivrer, une scène bien significative avait lieu entre Rœderer et un ministre du roi.

Le ministre, s'adressant au procuieur syndic, lui demanda

Pensez-vous qu'il n'y a pas lieu de proclamer la loi martiale ? 9

Depuis la loi du 3 août 1791, répondit Rœderer, la loi martiale peut être proclamée, quand la tranquillité publique est habituellement troublée.

Eh bien, n'est-ce pas le cas ?

Non.

Comment cela?


Ici, il y a autre chose qu'un simple trouble de la tranquillité publique.

Et quoi donc ?

H y a une révolte, plus forte que l'autorité de la loi martiale, et que ceux qui pourraient la proclamer Alors, d'après vous?

H est absolument inutile d'y songer pour la circonstance présente. Au reste, ce n'est point au département, mais à la seule municipalité à juger quand il y a lieu de proclamer la loi martiale.

Je crois, répond le ministre, que le département a le pouvoir d'ordonner à la municipalité la proclamation.

Je suis d'un avis tout opposé, riposteRœderer. Et, en même temps, prenant dans sa poche le texte de loi du 3 août 1791, texte formant une petite brochure recouverte d'une couverture aux couleurs nationales, il se dirige vers la cheminée sur laquelle se trouvait placée une lampe, à la clarté de laquelle il va lire.

M°*° Elisabeth, attirée par cette brochure tricolore, s'approche, et, s'adressant à Rœderer

Qu'est-ce que vous tenez là, lui demanda-t-elle? Madame, répondit le procureur syndic, c'est la loi de la force publique.

-Ah!

Je cherchais s'il est vrai que le département a le pouvoir de faire proclamer la loi martiale. Eh bien?

Je ne le crois pas.

(<) Chronique <!e< cinquante ./o«r<,paf Rcederer.


Et il alla s'asseoir sur un tabouret, près de la porte de la chambre à coucher du roi.

Il était minuit; le tocsin se mit à sonner avec force. On apercevait des clartés soudaines dans quelques quartiers; les habitants illuminaient, pour tenir en éveil la vigilance de chacun.

Mouchet avait convaincu plusieurs députés du grand danger couru par Pétion, et l'Assemblée, pour le sous'traire à une mort certaine, décréta qu'il serait immédiatement appelé à la barre, pour rendre compte de l'état de Paris. Ce décret lui fut immédiatement notifié en grand appareil deux huissiers et plusieurs gardes portant des flambeaux vinrent le chercher. Pétion monta en voiture et partit le roulement de la voiture fut entendu de l'intérieur du château de la chambre du roi on ouvrit un contrevent, pour voir ce que c'était le jour commençait à poindre. M" Elisabeth alla à la croisée, elle regarda le ciel qui était très rouge elle appela la reine, restée au fond du cabinet. Ma sœur, lui dit-elle, venez donc voir lever l'aurore <.

Marie-Antoinette se leva, vint s'accouder à la fenêtre et regarda lever le soleil, en respirant en liberté l'air frais du matin.

C'était la dernière fois que cela lui arrivait. (t) Chroniqu des cinquante jours, par Rœderer.


XL

LE DIX AOUT

10 août t792.

MINUIT

Le tambour batle rappel à travers les rues de Paris; on entend sonner !e tocsin; deux cents-députés environ se sont rendus à l'Assemblée et se mettent en séance vers minuit quoiqu'ils ne soient pas en nombre. Enl'absence duprésident.Pocheret, ex-président, occupe le fauteuil.

On se met à discuter, pour la forme, un projet de décret sur les dettes arriérées; mais la solution en est renvoyée à huitaine.

Merlet, le président, arrive et prend sa place au bureau.

Des officiers municipaux, admis àla barre, annoncent que le tocsin sonne dans plusieurs faubourgs de Paris, où il se forme de nombreux rassemblements. Le président envoie des huissiers de l'Assemblée chez les députés absents,pour lesconvoquerd'urgence. (t) Extrait des procès-verbaux de l'Assemblée législative (Annales Parlementaires).


Plusieurs membres de la municipalité viennent entretenir les députés des craintes qu'ils éprouvent, au sujet du sort du maire de Paris. On donne lecture d'une note de la police, annonçant qu'au château Pétion «est environné d'hommesqui paraissent avoir desvues perfides contre lui a. Les délégués ajoutent que l'Assemblée peut seule sauver Pétion du danger. Mouchet, qui avait accompagné le maire aux Tuileries, vient confirmer toutes ces craintes; les députés rendent alors un décret, mandant Pétion àleur barre, et ils décident que le décret lui sera immédiatement notifié et personnellement.

Pendant que les huissiers vont exécuteriez ordres de l'Assemblée, on donne lecture d'un projet sur les patentes, décret qui est ajourné naturellement à huitaine.

UNE HEURE

Pétion se rend à la barre de l'Assemblée, en exécution du décret.

Le maire de Paris parait calme, et, n'était une sorte de tremblement nerveux dans la voix, on ne se douterait pas que cet homme vient d'échapper à la mort. Le Président l'invite à s'expliquer, pour faire savoir si les inquiétudes qu'on a eues sur son compte sont fondées'.

Occupé tout entier de la chose publique, répond Pétion, j'oublie facilement ce qui ne m'est que person(1) tfft(0))'e par!e)))e')<a))-e, XVII, p. 4.


nel lorsque je me suis rendu au château, on m'a assez mal accueilli, cela est vrai j'ai entendu tenir contre moi les propos les plus forts, des propos de nature à déconcerter un homme qui aurait cru ne pas avoir d'ennemis; cependant, quoique je sache que j'en ai un grand nombre, qui m'ont été suscités par mon amour du bien public, je n'en ai point été effrayé. A la Commune, nous avons pris toutes les mesures et toutes les précautions que les circonstances peuvent permettre et, autant qu'on peut le prévoir, l'ordre pourra être maintenu.

Le Président, en le remerciant et )e félicitant, lui accorde les honneurs de la séance, à laquelle il le convie d'assister, si les devoirs de sa fonction le lui permettent.

Pétion traverse seulement une partie de la salle, serre la main à quelques députés de ses amis et retourne à son poste.

Un député propose un décret pour abolir la prime accordée pour la traite des nègres. La discussion est entamée; on demande le renvoi au comité du commerce, qui doit faire un rapport sur l'abolition de. la traite, et, devant l'insistance de l'auteur du projet, l'Assemblée interrompt la discussion jusqu'au moment où elle sera composée du nombre de membres nécessaire pour délibérer.

DEUX HEURES

On entend le canon d'alarme et le tocsin qui sonne toujours à travers les quartiers de Paris. La générale est battue dans les rues; de temps à autre percent au


milieu du tumulte quelques cris de aux armes vive la nation

A l'Assemblée, on annonce que les attroupements deviennent plus nombreux, quêta tranquillité publique paraît menacée les députés décrètent que la municipalité rendra compte, d'heure en heure, de l'état où se trouvera la ville de Paris l'extrait de ce procèsverbal est expédié sur-le-champ.

Le ministre de l'intérieur, très alarmé, seprésente et expose que « le roi est fort agité, qu'il y a un rassemblement faubourg Saint-Antoine Il finit par demander que l'Assemblée veuille prendre de promptes mesures.

François de Neufchâteau fait observer que le Corps législatif n'est chargé que de voter des lois et non de les faire exécuter; c'est au pouvoir exécutif à vei!ter au maintien de l'ordre.

Sur ces explications, qui ressemblent fort au je m'en lave les mains s de Ponce Pilate, l'Assemblée passe à l'ordre du jour, et une troisième députation des officiers municipaux est introduite à la barre. Un d'eux rend compte de toutes les démarches tentées par les membres de la municipalité et du conseil général pour maintenir la tranquillité; puis il présente le tableau de la disposition des esprits dans les diverses sections. Pourtant, dit-il, le peuple est disposé à entendre la voix de la justice et de la raison; partout il est prêt à faire le bien, lorsque ce seront les patriotes qui le représenteront pour le diriger. » II raconte que (i) rapport de Blondel, sccrétalre du procureur générât syndic du département (Revue r~trotpeeKM, mars 1835). (!) .PfM<Mr&f[! de la séance permanente <ie ta nuit du 9 ax 10 août.


la municipalité comptait sur le prompt rétablissement de l'ordre, mais il ajoute « quel. a été notre étonnempnt, d'entendre battre la générate et sonnerie tocsin 1 Nous avons appris que c'était le commandant Mandat qui en avait donné l'ordre. Effrayés des suites terribles et funestes que pourrait entraîner un pareil ordre n, le conseil général a annulé ces mesures et a sommé Mandat de comparaître devant lui.

TROIS IIEURES

La générale bat toujours, )e tocsin redouble et !e canon d'alarme mê)e, de temps en temps, ses hurlements lamentables à tout ce bruit.

Les attroupements continuent à se former; au faubourg Saint-Antoine, un groupe d'un mi))ier')e personnes, armées de diverses façons, attend l'ordre de marcher; mais lesgroupes sont surtout nombreux aux Enfants-Trouvés; toute la rue du faubourg estremplie d'hommes enarmes,cependanton nesemet pas encore en marche. Les canons ne sont pas à la tête des troupes, mais les canonniers sont tout armés, près de leurs pièces. Dans la rue de Montreuil, on frappe à toutes les portes et tous les bataillons se forment dans leurs sections.

Revenons à )'AssemMée.

.Les ministres de là Justice et de l'Intérieur se rendent au milieu des députés; ils disent que des attroupements s'avancent vers le Château, et qu'il est urgent de prendre sans Jetai une mesure. efficace (1) Rapport de Blondel.

(!) Journaux.

(3) Procès-verbal officiel.


Le roi, ajoutent-ils, nous a chargés de témoigner à l'Assemblée nationale qu'il désirerait qu'elle envoyât près de lui une députation.

Bigot-Préameneu convertit en motion la demande exprimée par les ministres, et propose que cette députation soit nommée à l'instant.

Mais cette motion est accueillie avec une véritable froideur; on fait observer qu'il n'y a pas deux cents membres présents, et, dans la, circonstance, on ne peut prendre une mesure aussi délicate.

Un député se prononce contre cette idée; < en général, dit-il, les députations du corps législatif auprès du roi sont de très fausses mesures ». Au lieu d'aller vers le roi, que le roi vienne vers t'Assemblée. Boirot combat cette proposition < jamais il ne fut plus nécessaire de délibérer et la constitution défend de délibérer devant le roi s.

Les ministres se retirent, sans avoir reçu d'autre réponse.

QUATRE HEURES.

Allons faire un tour au Château.

Vers quatre heures, le roi, qui s'était retiré dans sa chambre, reparut dans son cabinet. Il s'était couché tout habillé, et se levait; ce qui le prouvait, c'est qu'il était tout dépoudré et avait la figure aplatie d'un côté, ce qui contrastait avec la poudre et ses cheveux bouclés, de l'autre Il portait un habit violet, le chapeau ()) Histoire parlementaire, XVII, 7.

~) Rœdarer, Chronique ')M cinquante jours.


sous le bras, l'épée au côté et avait les yeux gonflés, rouges des larmes versées en vain

A ce moment, Mandat vint dire que la Commune le faisait appeler pour la seconde fois; il ne voulait pas se rendre à ce second appel, il demanda leur avis aux personnes présentes.

Le ministre de la guerre lui consèillait de rester. Rœderer se prononça pour le départ de Mandat. Le commandant de la garde nationale, dit-il, est essentiellement aux ordres du maire; il est,possible que M. le maire veuille aller au-devant des rassemblements et ait besoin pour cela du commandant de la force publique.

Mandat partit, mais avec regretetnon sans difficulté; on aurait dit qu'il prévoyait le sort qui l'attendait il ignorait à ce moment que plusieurs membres de la Commune avaient déclaré que, s'il refusait d'obtempérer à cette deuxième sommation « le messager qui lui porterait l'autre devait lui porter la mort Mandat partit donc, le front obscurci par de vagues pressentiments.

Il s'était rendu odieux à une grande partie de la garde nationale, par un dévouement fanatiquè à la Cour, « il garantissait toujours sur sa tête x tes bonnes intentions du roi; il était toujours « sûr que la Cour ne méditait aucun mauvais dessein. s

CINQ HEURES.

Pendant que Mandat allait à la commune, la reine fit appeler Rœderer; le procureur général syn(t) Duval, &)M<wt)f< de la fefr~Mr.

? Récit de Pétion.


die se rendit à cette invitation. Il trouva Marie-Antoinette dans la chambre de Thierry, valet de chambre du roi elle était assise près de la cheminée, le dos tourné à la croisée. Sans se lever, la reine demanda à Rœderer

Que pensez-vous, Monsieur, qu'il y ait à faire dans les circonstances présentes ?

Il me paraît nécessaire, répondit celui-ci, que le roi et la famille royale se rendent à l'Assemblée nationale.

Mais, interrompit Dubouchage, présent à l'entretien, vous proposez de mener le roi à son ennemi. Point du tout ennemi, riposta Rœderer, puisqu'ils ont été quatre cents contre deux cents en faveur de M. Lafayette; au reste, je propose cela comme le moindre danger.

Monsieur, dit alors la reine d'un ton fort positif il y ici des forces il est temps enfin de savoir qui l'emportera, du roi et de la Constitution, ou de la faction.

Rœderer proposa alors d'entendre l'officier qui commandait en l'absence de Mandat; c'était un nommé Lachesnaye; on le fit appeler, il vint; on lui demanda quelques détails sur les dispositions extérieures, s'il avait pris des mesures pour empêcher le peuple d'arriver au Château il dit que oui, que le Carrousel était t gardé; mais alors, adressant la parole avec beaucoup p d'humeur à à la reine

Madame, je ne dois pas vous laisser ignorer que (1) Chronique de. cinquante jours.

(2) Id.

T. !V. 20


les appartements sont pleins de gens de toute espèce, qui gênent beaucoup le service, et empêchent d'arriver librement près du roi, ce qui rebute beaucoup la garde nationale.

C'est mal à propos, répondit la reine. Je vous réponds de tous les hommes qui sont ici. Ils marcheront devant, derrière, dans les rangs, comme vous voudrez. Ils sont prêts à tout ce qui pourra être nécessaire ce sont des hommes sûrs.

a Les discours de la reine dans cette circonstance, ajoute Rœderer dans son récit, me firent penser qu'il y avait au Château une forte résolution de combattre, et des gens qui prometta!ent à la reine une victoire; j'entrevis qu'on voulait cette victoire au moins, pour imposer à t'Assemblée nationale. »

En vue de cette victoire espérée, on se préparait aux Tuileries; un gentilhomme nommé d'Hervilly se promenait de groupe en groupe, excitant les uns, animant les autres. Le major Bachman passait dans les rangs, accompagné des capitaines, et disait aux soldats

Avez-vous de bonnes pierres? Vos fusils sont-ils bien amorcés? c'est aujourd'hui qu'il faut vaincre'. Comme on doutait du zëte de quelques suisses, le sergent d'Affry les avertit

Vous savez, les enfants, le moment venu de faire feu, on tirera sur ceux qui hésiteraient; tel est l'ordre exprès des chefs

(1) Bulletin du Tribunal criminel du M <M)t<, 10, Interrogatoire de Bachman.

WM.


SIX HEURES.

Durant cette nuit, Marie-Antoinette se montra ce qu'elle était véritabtement à la fois, la fille de MarieThérèse, et la. femme capricieuse qui se laisse abattre, quand elle ne peut arriver quand même au but poursuivi.

Les uns, comme Rœderer, la-virent « femme, nièce, épouse en péril elle craignit, elle espéra, s'affligea et se rassura quelques-uns, au contraire, t'aperçurent à d'autres moments, virile, résolue, exaltée, héroïque même: c'était la 611e de Marie-Thérèse qui reprenait le dessus 2.

Le roi descendit pour aller visiter les postes dans les cours du château; à ceux qu'il rencontra, il parut décontenancé, parlant par phrases coupées Eh bien on dit qu'ils viennent. je ne sais pas ce qu'ils veulent. Ma cause est celle des bons citoyens. Nous ferons bonne contenance, n'est-ce pas s?

Quand Louis XVI parut dans les cours, le tambour battit aux champs, et quelques cris de vive le Roi se firent entendre; mais les canonniers et le bataillon de la Croix rouge couvrirent ces cris par ceux de vive la Nation Tout déconcerté, le roi continua son chemin du côté de la terrasse, sur laquelle étaient massés des hommes munis de piques ici ce fut bien pis, et (t) Note de Rœderer.

(~) Histoire de la Révolution par deux amis de la Liberté. Duval, &ouMn)r<! de la Terreur.

(3) Ouvat.

(4) Peltier.


son arrivée fut saluée par les cris de A bas le Veto à bas le traître! En même temps des huées et des sifflets partirent de divers côtés. Les ministres, qui étaient restés dans les appartements, mirent la tête à la fenêtre, et Dubouchage, très ému, s'écria:

Grand Dieu c'est le roi qu'on hue que diable va-t-il faire là-bas? allons bien vite le chercher Accompagné de Sainte-Croix, le ministre courut au jardin pour ramener le roi. La reine, présente à cette scène, se mit à pleurer, gagnée par les larmes, sans prononcer une seule parole elle s'essuya les yeux à plusieurs reprises, pour se cacher du roi qui revint, ramené par les deux ministres Louis XVI rentra, essoufflé par la course qu'on lui avait imposée pour le soustraire plus vite aux sifflets; il s'assit, paraissant peu troublé de ce qui venait de se produire. La reine, passant d'un sentiment d'extrême confiance à un abattement subit, dit à M°" de Campan

Tout est perdu Le roi n'a montré aucune énergie, et cette espèce de revue a fait plus de mal que de bien 2

Pourtant elle réagit sur elle-même apercevant des gentilshommes qui formaient bande à part, elle voulut les présenter aux gardes nationaux

Messieurs, dit-elle, ce sont nos amis ils viennent se ranger prés de vous ils prendront les ordres, et vous montreront comment on meurt pour son roi. « L'effet de ces paroles, dit un témoin auriculaire 3, fut terrible. Deux bataillons de gardes nationaux~ (t) Chronique des cinquante jours.

(2) M*' de Campan, Mémoires, t. II, eh. xxt,p. M4.

(3) G. Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, p.tt8.


ceux de Mauconseil et des Arcis, qui venaient d'arriver, rompirent les rangs, quittèrent le Château pour aller prendre position avec le peuple sur la place du Carrousel, où ils pointèrent deux canons sur les Tuileries.

Quelques instants après, un des cent vingt gentilshommes, en habit de satin, et en bas de soie, se mit à crier, comme pour faire la leçon aux gardes nationaux

Allons, messieurs de la garde nationale, voici le moment de montrer du courage.

Nous n'en manquerons pas, répondit, vexé, un officier du bataillon des Thermes; mais ce ne sera pas à côté de vous que nous en donnerons la preuve. Et, l'officier ayant commandé demi-tour à ses hommes, la compagnie alla rejoindre les assaillants A peu près au même instant, un officier municipal fut introduit dans le conseil, apprit à la cour que la Commune était désorganisée, les sections ayant envoyé de nouveaux représentants il annonça enfin l'arrestation de Mandat.

Mais que veulent donc les insurgés ? demanda le ministre de la justice.

La déchéance, répondit l'officier municipal. Et après, qu'adviendra-t-il? interrogea la reine. L'officier s'inclina sans répondre

Rœderer insista beaucoup encore pour que le roi cherchât un refuge à l'Assemblée, mais Dubouchage continua à s'y opposer de toutes ses forces. ()) G. Duval, SoMMUt)'* de la Terreur, t. II, p. H8.

(2) Les deux amis de la Liberté.

20.


Non, il ne faut pas qu'il aille à l'Assemblée il n'y a pas de sûreté pour lui à y aller il faut qu'il reste ici.

Rœderer, devant ce parti pris proposa au conseil du département dese rendre auprès des députés cette idée fut acceptée, et ils se mirent en marche. Laissons un moment Rœderer et ses collègues descendre l'escalier nous les retrouverons tout à l'heure sur la terrasse des Feuillants. Pendant qu'ils feront ce trajet, nous allons nous rendre à l'Hôtel de Ville, où Mandat, qui a quitté le Château, il y a un moment, était arrivé, accompagné de son fils. S'étant dirigé du côté de la salle des délibérations, .il entra et se trouva en présence de visages qu'il ne connaissait pas, les voyant pour la première fois. C'étaient les nouveaux membres de la Commune, élus de la nuit, et auxquels les anciens municipaux avaient cédé leurs places sans difGculté, ni résistance.

Le premier soin de la Commune avait été 't° de suspendre provisoirement l'État major de ses fonctions 2° de suspendre également le Conseil général de la Commune 3° de décider que le Maire, le procureur de la commune et les seize administrateurs continueraient leurs fonctions 4° d'ordonner la comparution de Mandat.

Mandat fit d'abord bonne contenance. Voicile relevé de son interrogatoire'

D. En vertu de quel ordre avez-vous doublé la garde du Château ?

(i) Procès-verbalde lacommune de Parts. SéM&e du )0 août.


Mandat parle d'un ordre du maire sommé de le présenter, il répond

R. Si j'en avais été prévenu, j'aurais apporté l'ordre de M. le maire, que j'ai laissé dans mes papiers. On lui fait observer que le Maire n'a point donné cet ordre Mandat s'explique.

R. C'est une réquisition générale que j'ai présentée au département si un commandant général ne peut pas prendre des précautions subites pour un événement imprévu, il n'est pas possible de commander. A ce moment on dépose sur le bureau de la Commune une lettre de Mandat dont on donne lecture elle est ainsi conçue:

« Le commandant général ordonne au commandant de bataillon de service à l'Hôtel de Ville de dissiper la colonne d'attroupement qui marchait pour se rendre au château, tant avec la garde nationale qu'avec la gendarmerie, soit à pied, soit à cheval, en l'attaquant p<M' derrière. »

Signé Le commandant général, MANDAT. On arrêta Mandat, et on ordonna de le conduire à l'Abbaye au sortir de l'Hôtel de Ville, des groupes se mirent à poursuivre le prisonnier, et un inconnu le tua raide d'un coup de pistolet son cadavre fut jeté dans la Seine. C'était le premier sang versé de la journée. On se sentirait pris de pitié pour ce malheureux ainsi assassiné, si l'on ne se rappelait les termes mêmes de la consigne donnée par lui, de tirer sur le peuple par derrière; il mourait de cette mort; on exécutait,-pour ainsi dire, les ordres qu'il avait donnés.


Maintenant revenons au Château.

Nous trouvons Rœderer et les membres du département sur la terrasse des Feuillants; ils rencontrèrent <teux ministres qui revenaient de l'Assemblée. Où allez-vous, leur demandèrent-Us ?

A l'Assemblée.

Et que faire?

Lui demander son assistance, une députation, ou l'inviter à appeler dans son enceinte le roi et sa famille.

Et nous venons de faire la même demande très inutilement. L'Assemblée nous a à peine écoutés; elle n'est pas en nombre suffisant pour rendre un décret. H y a tout au plus soixante ou quatre-vingts membres. Rœderer et ses collègues revinrent sur leurs pas et firent un tour à travers les bataillons, pendant que les ministres remontaient dans les appartements. Le procureur syndic parcourut les postes, lisant le texte de, la loi, répétant un peu partout

Point d'attaque, bonne contenance, forte défen-

sive

sive

Quand il arriva à la porte qui descendait du vestibule dans le jardin, un ouvrier demanda d'un ton douloureux

Messieurs, est-ce que nous serons obligés de tirer sur nos frères?

On le tranquillisa les membres du département décidèrent d'aller dans la cour répéter la même chose aux gardes nationaux, du côté du Carrousel la garde nationale interpella alors Rœderer, lui demandant: Et s'ils tirent sur nous, serez-vous là? Oui, répondit Rœderer, et non derrière vos ca-


nons, mais devant, afin de périr des premiers, si quelqu'un doit périr dans cette journée.

Nous y serons tous, ajoutèrent les membres du département.

Le canonnier retira alors la charge de son canon, en jeta le chargement par terre, et mit le pied sur la mèche qui était allumée.

Tout à coup on frappe très fort à la porte Royale après des pourparlers avec des chefs de sections, Rœderer revient vers le roi arrivé à la porte de sa chambre, il y avait foule.

Messieurs, dit très haut Rœderer, je demande place pour le département, qui va parler au roi. On s'écarte; le Procureur syndic entre, toujours accompagné de ses collègues. Le roi était assis près d'une table placée à l'entrée de sa chambre il avait les mains appuyées sur ses genoux. La reine, M°" Elisabeth, M" de Lamballe, M' de. Tourzel, les ministres étaient entre la croisée et le roi.

Sire, dit-il d'un ton pressant, Votre Majesté n'a pas cinq minutes à perdre il n'y a de sûreté pour elle que dans l'Assemblée nationale.

Un marchand de dentelles de la reine, Gerdret, administrateur du département, zélé patriote, veut appuyer Rœderer, mais la reine l'interrompt. Taisez-vous, Monsieur Gerdret, lui dit-elle, il ne vous appartient pas d'élever ici la voix taisez-vous, monsieur, laissez parler Monsieur le Procureur syndic.

Puis s'adressant au syndic

Mais, Monsieur, nous avons des forces. Madame, tout Paris marche.


Et, reprenant son allocution au roi, il ajouta Sire, le temps presse ce n'est plus une prière que nous venons vous faire, ce n'est plus un conseil que nous prenons la liberté de vous donner, nous n'avons qu'un parti à prendre en ce moment, nous vous demandons la permission de vous entrainer. Le roi, qui semblait réfléchir, releva la tête, regarda son interlocuteur en face. puis, se retournant vers la reine, dit

Marchons

II se leva'.

Plusieurs gentilshommes voulurent l'accompagner, mais Rœderer s'y opposa, comprenant que leur présence pouvait compromettre le roi, tant elle était propre à irriter la fureur du peuple

Les ministres, M"" Elisabeth, Mme de Tourzel, la Reine et les enfants de France accompagnèrent le roi. Quelques nobles, plus dévoués que les autres, voulaient suivre quand même; on se servit de la voix du Dauphin pour les en empêcher et les décider à obéir.

Restez, dit l'enfant; papa et maman vous l'ordonnent moi. je vous en prie 3.

Le cortège se mit en marche; comme on traversait t'Œit de bœuf, le roi, soit par crainte, soit par troubte, prit le chapeau d'un garde national qui marchait à sa droite et lui mit sur la tête le sien, qui était garni (1) Tous ces détails minutieux sont racontés par Rœderef luimême dans sa CArotu~M~ des cinquante jours.

S) Jf<fxt0tre«~ Weber, t. U, ch. v, p. 226.

(3) Peltier.


d'un plumet blanc; le garde national, sans doute peu satisfait de cette faveur, ôta le chapeau royal et le mit sous son bras

Arrivé sous le péristyle, Louis XVI eut cependant une pensée pour tous les serviteurs qu'il abandonnait

Que vont devenir toutes les personnes qui sont là-haut? demainda-t-il au syndic.

Sire, elles sont en habit de couleur celles qui ont des épées n'ont qu'à les quitter, à vous suivre et à sortir par le jardin.

C'est vrai, dit le roi.

Et il continua sa marche, tranquillisé sur le sort des courtisans qui pouvaient se sauver, abandonnant à leur malheureuse destinée les soldats suisses qui allaient payer de leur vie leur fidélité à la consigne. Sept heures sonnaient à Saint-Germain l'Auxerrois, a cette même cloche qui avait donné le signal de la SaintBarthélémy, quand Louis XVI franchit, pour la dernière fois, le seuil des Tuileries on aurait dit que ce bronze, qui avait donné le signal du crime abominable commandé par les rois, tintait le glas de la monarchie.

SEPT HEURES

Le cortège s'avançait à travers le jardin des Tuileries.

Les membres du département formaient un cercle, au milieu duquel se trouvait la famille royale le roi marchait le premier, ayant à sa gauche Bigot de Sainte(!) Rœderer.


Croix; puis venait la reine, donnant le bras à Dubouchage, ministre de la marine; elle donnait la main au Dauphin, que suivait M"*° de Tourzet, venait ensuite le ministrede la guerre, ayant à ses côtés Mme Elisabeth et M*"° de LambaUe L'escorte se composait d'un détachement de Suisses et de gardes nationaux. On foulait aux pieds les feuilles qui étaient tombées dans la nuit et que les jardiniers venaient de rassembler en dliférents tas, sur lesquels la marche du cortège faisait passer le roi; on y enfonçait jusqu'aux jambes.

Voilà bien des feuilles, dit le roi, elles tombent de bonne heure, cette année

Quelques jours auparavant, Manuel avait écrit dans un journal que le roi n'irait pas jusqu'à la chute des feuilles.

Le Dauphin s'amusait à les pousser avec ses pieds dans les jambes des personnes qui se trouvaient devant lui.

A environ vingt-cinq pas de la terrasse, une députation de l'Assemblée vient à la rencontre du roi. Sire, ditteprésident detadétégation, l'Assemblée, empressée de concourir à votre sûreté, vous oSre~ à vous et à votre famille, un asile dans son sein. A quelques pas de la porte, un homme sortit dé la foule et se mit à crier

Non, ils n'entreront pas à l'Assemblée nationale ils sont la cause de tous nos malheurs il faut que tout cela finisse. A bas! A bas

(1) NM<OM*< p<n'<«'t<K~re de ce ~Mtt'M< passé PMrM<!M'HO)«f<M)!< i79?, par Mutau de la Varenne.

(~)CA)~)t)~Me<~tCMt<«tK<<!JOMr!.


A bas 1 A bas répéta la foule.

Un autre, encore plus animé, cria presque dans le visage du roi

Sacré Dieu, je n'entends pas que ce b. de roi aille souiller la salle de l'Assemblée.

L'officier de garde essaya de parlementer, puis il le prit par la main et la présenta au roi

Sire, voilà un galant homme qui ne vous fera pao de mal.

Je n'en ai pas peur, dit le roi.

L'homme, comme touché par l'air de souffrance de Louis XVt, et par cette bonhomie contristée qui se reBétait sur son visage, tendit la main au roi. Touchez là, f. vous aurez pris la main d'un brave homme. mais jé n'entends pas que votre g. de femelle aille avec vous à l'Assemblée. Nous n'avons pas besoin de cette p.

Prud'homme, qui rapporte ce fait, ajoute, avec un ~tonnement d'une cruelle naïveté « Louis XVI continua son chemin, sans être frappé du beau mouvement d< cet homme. »

Appeler de beaux mouvements de semblables grosstèfetes, aussi inutiles que déplacées, est un exemple curieux de l'excitation que les circonstances apportent dans les esprits prévenus.

Que nous préférons etque nous comprenons cette recommandation, échappée à un garde national marseillais qui, avec l'accent provençal, dit

Sire, n'ayez pas peur; nous sommes de bonnes gens mais nous ne voulons pas qu'on nous trahisse (~ ~MMht<MM <i<! ParM, tM, p. ÏS3.

T. IV. 2i


davantage. Soyez un bon citoyen, et n'oubliez pas de chasser vos calotins du Château.

Le cortège put enfin pénétrer dans t'Assemblée les couloirs étaient encombrés; le roi put facilement passer, mais la reine et le Dauphin, qu'elle ne voulait pas quitter, avançaient difficilement. Un grenadier prit alors le jeune prince dans ses bras et alla le déposer sur le bureau des secrétaires, ce qui excita des applaudissements; la reine suivit, et toute-la famille royale put entrer.

Le roi prit place, et, s'adressant au Président Je suis venu ici pour éviter un grand crime, et je pense que je ne saurais être plus en sûreté qu'au milieu de vous, Messieurs.

Le Président répondit au roi c'était Vergniaud. Vous pouvez, Sire, compter sur la fermeté de l'Assemblée nationale ses membres ont juré de mourir, en soutenant les droits du peuple et les autorités constituées.

Puis Louis XVI s'assied à la droite de Vergniaud. Un député dit que les circonstances ne permettent pas a t'Assemblée de rester dans l'inaction que cependant la constitution défend de délibérer en présence du roi.

On désigne alors au roi la loge du logographe, placée à la droite du président et communiquant avec la salle par une porte te roi y passe avec sa famille il n'est plus séparé de la salle que par une seule grille. Rœderer paraît à la barre et vient informer l'Assemblée de ce qui se passe à travers Paris, n'apportant du reste aucun renseignement que nous ne connaissions déjà.


HUIT HEURES

Aux Tuileries la lutte ne commença pas immédiatement après le départ du roi mais le sang commença à couler sur la place de la Concorde. Pendant la nuit on avait arrêté une fausse patrouitle, composée de royalistes; on les avait enfermés dans le poste de la cour des Feuillants. A huit heures, la foule accourut et les mit à mort parmi les morts se trouvait Suleau, l'écrivain de Coblentz qui, la veille, avait refusé l'abri que lui avait généreusement offert Desmoulins au premier rang des meurtriers se trouvait la belle liégeoise, Théroigne de Méricourt, qui dansSuleau vengeait la femme outragée et la patriote furieuse. Tout ce qu'on peut dire contre les sentiments les plus intimes d'une femme, Suleau l'avait écrit contre Théroigne il l'avait injuriée et ridiculisée sous toutes les formes. En outre Suleau était le rédacteur d'une feuille delacoalition le Tocsin des rois, qui avait soutenu énergiquement l'Autriche contre les Pays-Bas il avait concouru au désastre de Liège, cette ville qui avait voté à l'unanimité sa réunion à laFrance, et que venait d'écraser le joug de l'étranger. Théroigne avait donc l'occasion de venger-sur Suleau les rancunes de la femme et les haines de la patriote elle en profita et excita les meurtriers qui mirent l'écrivain à mort; il se défendit du reste en lion un contre cent, il luttait encore et ne laissatomber son épée que lorsque le nombre l'eut dompté, écrasé.

Au Château, le départ du roi produisit une véritable désorganisation; les bataillons de la garde nationale


allèrent rejoindre le peuple, ce qui faisait dire aux Suisses:

Tant mieux nous ne serons pas obligés de faire feu'.

Ainsi parlaient les simples soldats mais les officiers tenaient un autre bagage la plupart répétaient Il est temps d'en finir avec cette eanaitle 2. < Cette camnHe ne tarda pas à se présenter; ce fut d'abord l'avant-garde, commandée par facteur Michot et l'architecte Lefrane Il y avait de tout dans cette foule qui s'avançait, desouvriet's avec des piques et des bourgeois avec des fusils, des Marseillais et des fédérés des divers pays.

En arrivant, la foule se trouve en présence du grand escalier garni de Suisses, immoMtes comme des statues de pierre leurs fusils ne bougent pas, mais, au premier signal, tousces mousquets vont s'abaisser, comme mus par un même ressort, et vont cracher la mort. Lea assaillants pénetreat dans le vestibule; et, au lieu d'attaquer les Suisses, ils se mettent à les plaisanter toochante insouciance de ce peuple qui, en face du danger, 1 ne renonce pas à ses droits à l'esprit et a la gaîté; comment auraient-ils d'ailleurs songé à engager le combat contre des soldats armés, eux qui possédaient à peine une douzaine de mauvais fusils, des piques etdeshroches. Quelques-uns portaient des bâtons munis de crocs, ils s'amusèrent à jeter aux soldats* cette espèce d'hameçon, ils en accrochèrent un, puis deux ()) BM<<<M" eriminel du 10 M<M.

~) M. DtpoettiMt d'un caporal MiMe.

(3) ttttM de La Vienne.

(t) Mtchetet,nt,tM.


par leurs unubruMB, et, quand les deux soldats furent descendus, ils les entourèrent en riant. Les ofSciers, voyant ce manège, et craignant qu'une entente ne s'établit facilement entre les assaillants et les soldats, commandèrent le feu.

Les rangées de fusils s'abaissèrent par un mouvement uniforme, et un bruit de mitraille déchira l'air; la cour se trouva jonchée de morts et de mourants; la foule se mit à fuir la fusillade recommença par derrière fauchant cette foule en grande partie sans armea quelques-uns résistèrent héroïquement. Un groupe, armé de simples bâtons pointus, s'avança vers les Suisses et ne tâcha pied que désorganisé par les décharges des Suisses

Un Marseillais expirant dit à son compagnon sans armes

Je te lègue mon fusil, fouille dans mes poches, tu y trouveras des cartouches

Les Suisses sortirent sur la place du Carrousel, qu'ils balayèrent ils se crurent vainqueurs ita avaient mis t'avant~gàrde en déroute, mais le peuple de Paris tout entier s'avançait et allait livrer le vrai combat. NEUF HEURES

Les fuyants, misen dérouta par cette fusittade nourrie, à laquelle ils ne s'attendaient pas, se répandent à travers Paris criant

Vengeance on nous a fusillés, lorsque nous avions encore la bouche sur leurs joues

(1) Récit de Pétion.

(!:)<Ht«Mr<~)tW<mOKeM-t,XVï,44&.

(3) M<"t«<n<r.


Le faubourg Saint-Marceau et le faubourg SaintAntoine arrivèrent, chacun d'un côté différent, au pas de course les Suisses rentrèrent alors au Château, où ils furent comme dans une forteresse; bientôt les cours furent remplies, et, derrière ces centaines de croisées des Tuileries, on apercevait les canons des fusils qui allaient cracher la mort sur cette foule à découvert. Mais les assaillants enjambent les murailles de morts et se précipitent au pas de charge dans les couloirs les Suisses défendent pied à pied l'escalier, la chapelle et les galeries..

D'Hervilly, qui venait de l'Assemblée, nous verrons tout à l'heure dans quelles circonstances, d'Hervilly qui avait en poche l'ordre de faire cesser le feu, se garda bien de le donner. « Loin de parler de l'ordre du roi, il ne s'occupa que des dispositions propres à fortifier la défense 1. )!< Le plan de l'émissaire du roi était bien simple si les Suisses étaient vainqueurs, il laissait continuerle massacre du peuple; s'ilsétaient vaincus, illeur ré~ervaitune retraite honorable; en les couvrant par l'ordre de Louis XVI il y avait tout bénéfice pour la royauté.

Après l'aveu du royaliste Bertrand de Molleville, qui tenait l'aveu de la bouche même de d'Hervilly, il n'y a plus aujourd'hui place pour les légendes royalistes. L'ordre de cesser le feu, donné quand Louis XVI eut appris, par le rapport de Rœderer, que le château était forcé, ne fut qu'un habile calcul et une manœuvre sinistre du roi.

(l)J<'<motre<j)af<MMH<f««r le règne <h LottM~tV, par B. de Molleville, t. II, p. t62.


La partie était indécise mais les Suisses commençant à manquer de munitions, se décidèrent à battre en retraite' remarquons bien que ce fut non pas parce qu'ils avaient reçu du roi l'ordre de cesser le feu, mais parce queles gibernes commençaient à se vidér, que les Suisses songèrent à lâcher prise. Il faut vous porter à l'Assemblée, leur cria d'Hervilly.

Oui, oui, appuya le baron de Viomesnil, braves suisses allez trouver le roi vos ancêtres l'ont fait plus d'une fois

Dans la pensée de ceux qui ordonnaient ce mouvement,il s'agissait de s'emparer de l'Assemblée,et,après avoir maîtrisé l'émeute par la mitraille, de disperser les députés, de faciliter au roi une fuite à Rouen, où il était attendu et d'où il aurait pu rejoindre les armées coalisées, qui seraient rentrées dans Paris, ramenant la royauté et dictant des lois aux Parisiens. Quoi qu'il en soit, des officiers suisses rassemblèrent leurs hommes, qui se défendirent avec intrépidité et moururent avec héroïsme on fit battre le rappel, qui s'opéra au milieu d'une grêle de balles. Un sergent, ayant eu la cuisse fracassée, dit aux hommes qui lui portaient secours;

N'entendez-vous pas qu'on rappelle? allez à votre devoir, et laissez-moi mourir.

Ils se retirèrent lentement, traversant le jardin, serrant les rangs, à mesure que les balles.les éclair-

(t) Récit du colonel Pfyffer. (2) Id.


cissaient. Un témoin ocutnire 1 raconte qu'ils firent dix haltesdansla traversée des jardins, et, chaque fois, avec des feux de file parfaitement exécutés. Arrivés au bout de la grande altée teinte de leur sang, étonnés du grand nombre de gardes nationaux qu'ils voyaient de tous côtés. ils se sentirent ébranlés, virent clairement que ce n'était pas une insurrection qu'ils avaient à combattre, comme on le leur avait affirmé, mais ta France tout entière une dislocation se produisit un groupe se réfugia dans l'hôtel de la marine, où les soldats furent poursuivis et égorgés un autre groupe poussa droit devant lui et alla mourir, écrasé par le nombre, au pied de la statue de Louis XV, à l'endroit où se dresse aujourd'hui l'obélisque. Une cinquantaine put gagner les Champs-Elysées; ils furent recueillis, cachés, sauvés par des patriotes. Enfin une centaine de Suisses parvinrent jusqu'à l'Assemblée, conduits par le baron de Salis, qui entra dans la salle des séances, l'épée nue à la main. Déjà quelques députés, ignorant ce qui se passait au dehors, songeaientà se sauver, mais le roi ordonna aux Suisses de mettre bas les armes et de rentrer aux casernes.

Résumons rapidement ce qui s'était passé au sein de l'Assemblée, pendant qu'au Château ces vaillants soldats se faisaient tuer, et tuaient pour un roi qui les avait abandonnés.

Après avoir écouté le rapport de Rœderer, rAssem(1) Ce témoin est Moreau de Jonnës qui communiqua son récit inédit à Michelet qui s'en servit, comme ii le raconte dtumsa note de la page M6 de sa Révolution, t. lit.


blée vota un décret, mettant les personnes et les propriétés sous la sauvegarde du peuple de Paris. Tout à coup, on entend une déchargé de canons. L'agitation, le trouble, la consternation s'emparent de l'Assemblée

Du calme dit le président, n'êtes-vôus pas à votre poète ?

Le bruit du canon redouble, on entend le crépitement de la mousqueterie, de divers côtés; des tribune& et de l'Assemblée, partent les mômes cris Qu'il soit défendu aux Suisses de tirer Et tous les regards se portent sur Louis XVI, qui, d'un mot, peut encore arrêter le combat.

D'Hervilly s'offre à porter l'ordre, < si le roi veut l'autoriser à en faire l'usage qu'il jugera le plus avantageux t. Le roi et la reine, comprenant le danger auquel allait s'exposer ce fidèle serviteur, veulent s'opposer à son départ; Mme Elisabeth va jusqu'à le prendre par le bras mais les cris de l'Assemblée redoublent, et Louis XVI le laisse partir 3. Nous savons maintenant que d'Hervilly emportait l'ordre conditionnel de faire cesser les hostHités si les Suisses étaient battus, on leur ordonnerait de ne plus tirer s'ils étaient vainqueurs, on les laisserait librement mitrailler les assaillants; nous avons vu que d'Hervitly, croyant à la victoire, ne remit pas l'ordre, et, fidèle à la convention conclue avant son départ, laissa le combatcontinuer.

A un moment donné, onaperçut, à l'une des entrées

(<) <f<Mt«ew.

(!) Bertrand de MoUevtUe, t. H, p. 1M.

(3) M.


de la salle, des citoyens armés qui voûtaient s'introduire..

Plusieurs députés se jetèrent au-devant d'eux, représentant aux combattants que nul ne doit entrer en armes dans la salle des séances le Président se couvrit, le calme se rétablit, les députés crièrent tous Vive la Nation Les citoyens armés se retirèrent. DIX HEURES.

Retournons, une fois encore, aux Tuileries. Tous les Suisses n'avaient pas eu le temps de quitter le Château ils descendaient au moment où le peuple y entrait ils se massèrent dans le grand escalier et s'y firent tuer, au nombre de quatre-vingts, après avoir fusillé quatre cents assaillants

Sept Suisses restaient encore debout, et, parmi eux, un lieutenant il prit un fusil, et dit à ses hommes Ce n'est pas la peine de survivre à de si braves gens. <

Il s'élança à la tête des sept soldats, et tous furent massacrés.

Soixante Suisses étaient parvenus à s'échapper; ils jetèrent leurs armes, demandèrent à se rendre, furent conduits à l'Hôtel de Vilte, après avoir été désarmés mais la colère du peuple était si grande à ce moment qu'on les mit à mort

Les nobles purent tous se sauver ils occupaient l'escalier situé à l'extrémité de la galerie du Louvre, dont on avait oublié de s'emparer.

(t) Récit du colonel Pfytfer.

(2) Ferrières, Mémoires.


Les Parisiens se répandirent dans le Château on rencontra Lemonnier, le médecin du roi, qui, très calme, était resté dans son cabinet on le conduisit hors du palais, sans lui faire aucun mal, en criant Laissez passer cet homme c'est le médecin du roi, mais il n'a pas peur

Un fédéré rencontre le maréchal de Mailly; il lève son sabre et va le frapper, quand, ayant aperçu ses cheveux blancs, son bras s'arrête, et il le conduit en lieu sûr s.

Les femmes furent sauvées et on ne leur fit aucun mal M'°" de Campan fut mise à l'abri par un homme à longue barbe, qui criait

Grâce aux femmes ne déshonorez pas la Nation 3.

D'autres dames de service de la reine furent sauvées dans des circonstances analogues, et on les laissa partir en leur criant

Coquines la Nation vous fait grâce 1

A l'Assemblée, une scène des plus touchantes eut lieu un groupe de fédérés, entraînant quelques Suisses, pénétra dans la salle et arriva jusqu'à la barre un des premiers prend la parole

Couverts de sang et de poussière, nous venons déposer notre indignation dans votre sein nous n'avons pénétré dans les Tuileries qu'en marchant sur les cadavres de nos frères massacrés nous avons fait prisonniers plusieurs de ces instruments de la (t) Histoire abrégée de la !!<'MtM<t<Mt, par l'auteur du Régne de Louis XVI, t. II, p. 86.

(!) Soulavie, Récita des eMnemen<t du 10 oettt.

(3) M°" de Campan, t. M, ch. xvi, p. 250.


trahison d'un roi perfide. Plusieurs ont mis bas les armes, et nous ne voulons employer contre eux que celles de la générosité.

a Il embrasse avec effusion un Suisse qu'il tenait par la main l'émotion qu'il éprouve, jointe aux fatigues qu'il a essuyées, achève sans doute de l'affaiblir, il s'évanouit. Un grand nombre de députés letransportent dans l'intérieur de la salle et s'empressent de le secourir.- Après quelques minutes, il se relève et retourne à la barre'. »

Il reprend son discours.

Je sens mes forces renaîtra je demande à l'Assemblée que ce malheureux Suisse demeure chez moi, et que j'aie l'honneur de l'alimenter. Voilà la manière dont je veux me venger de lui

Au milieu des applaudissements, l'Assemblée décrète que le nom de ce citoyen sera inscrit au procèsverbal, et qu'il sera fait mention honorable de ce trait de générosité.

Entre temps, on décrète la convocation d'une Convention nationale, on suspend Louis XVI, jusqu'à ce que la Convention ait prononcé « sur les mesures à prendre, pour assurer la souveraineté du peuple ainsi que le règne de la liberté et de l'égalité Le paiement de la liste civile est interrompu. Le roi et sa famille demeureront dans l'enceinte du Corps législatif, jusqu'à ce que le calme soit rétabli dans Paris.

(t) ~O)tf<o<r.

(!) Nt<<o<M~<M-<<tt.M«ttre, t. XVII, p. 21.


ONZE HEURES.

L'arrière-garde de l'insurrection, ceux qui avaient eu soin de ne pas se placer au premier rang, où l'on meurt, étaient arrivés au moment où il n'y a plus de danger ils se répandent dans le palais, poursuivent les domestiques, qui se jettent en vain à genoux grâce leur est refusée, ils sont égorgés Des mégères profanent les cadavres des Suisses qu'elles mutilent avec des raffinements de cruauté obscène Par les fenêtres on jette les meubles et les corps nus des morts 3 les meubles sont brisés, les garde-robes jetées au vent, des femmes revêtent les costumes de la reine, un homme s'empare du costume de noce de Louis XVI, et le promène, jeté sur son épaule Dans la chambre de Marie-Antoinette tout est mis en lambeaux; un magnifique clavecin, orné de peintures précieuses va être détruit Singier, depuis directeur de théâtre, homme des plus honorables, se précipite, s'installe se met à jouer la Marseillaise, une ronde s'organise, on danse et le meuble est sauvé Quelques-uns descendent dans les caves, ouvrent les barriques et se vautrent dans l'ivresse.

Mais, à côté, que d'actes honorables consolent de ces inévitables turpitudes!

Aucune boutique ne fut pillée tous ceux qui furent ()) Histoire f~rah et impartiale <fM erreurs, des fautes et crimes commis pendant la .B<'M!M(«Mt, par Prudhomme, t. IV, p. 197. ?) Montgaillard, Histoire de Frenet, t. III, p. 150.

(3) Les deux amis de la Liberté, t. VHI, p. 197.

(4) Ferrières, Af~motret, t. m, p. 197.

(5) Michelet d'après la déposition de Stngier (t. IH, p.'MS).


trouvés porteurs de quelques effets volés furent pendus '.Des hommes sans vêtement rapportaient avec fidélité les effets les plus précieux. Des citoyens apportent à l'Assemblée une malle brisée ils ont fait, disent-ils, tous leurs efforts pour que rien de ce qu'elle contenait ne fût égaré On dépose sur le bureau plusieurs lettres trouvées dans les appartements de la reine a un citoyen dépose encore sur le bureau une montre et un portefeuille trouvés sur un Suisse mort.

MIDI

Rue Croix-des-Petits-Champs, un groupe d'hommes vociférant arrête un jeune homme assez mal mis, maigre, les bottes éculées, les vêtements usés au coude et portant les cheveux plats on lui ordonna de crier Vive la Nation

Le jeune homme ne se fit pas prier, et on le laissa passer.

Il alla place du Carrousel, dans la boutique d'un nommé Fauvelet, frère de Bourrienne.

Cet homme était Napoléon Bonaparte, ancien officier au 2°*° bombardier, et qui avait été renvoyé du service, l'année précédente, pour s'être rendu en Corse sans permission et avoir ainsi déserté son régiment C'était à ce moment un pauvre hère, sans le sou, sans crédit, devant le loyer à son hôtel de la rue du Mail, et ne sachant pas trop comment il dînerait le (t) N<«<)trepar!em<t«Mfe.XVI. [Récit de Pëtton.]

(2-3). Moniteur.

(4) BetMperte, par Yung.


soir Après avoir été un piètre ofncier, très indiscipliné, subissant de nombreuses peines disciplinaires, il s'était fait rayer des cadres, et il était venu à Paris solliciter sa réintégration comme le ministre ne se pressait pas de lui rendre son grade, à une époque où pourtant les officiers manquaient, il s'associa avec Bourrienne; et ils s'occupaient de louer et de sousouer les maisons, industrie qui ne leur rapportait pas de quoi manger

Quand le canon eut cessé de tonner, le jeune Corse pénétra dans le jardin des Tuileries, et fut trèsaSecté de la vue de tant d'hommes morts, renversés les uns sur les autres ce fut une des grandes émotions de sa vie*.

Il s'enfuit du jardin et longea la rue Saint-Honoré, où il put être témoin de cet autre fait

Une femme, les vêtements en désordre, s'enfuyait; elle trébucha à un cadavre, se pencha, poussa un cri c'était M"~ de Clermont-Tonnerre, qui venait de reconnaître son mari mort; des misérables, ameutés par un ou deux de ses anciens domestiques, venaient de l'assassiner~.

Tristes épisodes de ces sanglantes journées! UNE HEURE

Pendant ce temps, que faisait Louis XVI, cause de tous ces malheurs?

(t) Bourrienne, M~mo<rM, t. I, p. 52.

(2) Id.

(3) ~metre: de Z<MC<MM, t. V, p. 127. J~morMt de ~«Ke-N~MM (4) Peltier.


Tranquillement assis dans la loge, il montrait une placidité incroyable, comme s'il eût été étranger à tout ce qui se passait. Il avait demandé des pêches, on lui en avait apporté un panier, qu'il mangeait avec des gestes délicats.

Le peintre David étant venu à passer, il se mit à causer tranquillement avec lui de choses indifférentes, et Georges Duval, dans sesSoMMMM's, rapporte le dialogue suivant, qu'il entendit échanger entre David et Merlin de Thionville.

David. Le croirais-tu ? il m'a demandé tout à l'heure, comme je passais devant la loge où il est enfermé, si j'aurais bientôt fini -son portrait. Merlin. Bah 1 Et tu lui as répondu? '1

David. Que je ne ferais désormais le portrait d'un tyran, que quand j~aurais sa tête dans mon chapeau. Merlin. –Admirable je ne connais pas de réponse plus sublime, même dans l'antiquité.

DctMd. Et, là-dessus, il a continué à manger ses pêches

DEUX HEURES

Tandis que Louis XVI digérait tranquillement ses pêches, l'Assemblée brisait, morceau par morceau, le pouvoir royal.

Sur le rapport de Jean Debry, au nom de la commission de l'extraordinaire, ondecrétaitque lesdécretsdejà (i) Georges Duval, SoMoemrt de la Terreur, t. II, p. t26. G. Duval était un royaliste, et en rapportant ce récit, it l'accompagne de la note suivante M. F. P. hommes de lettres, encore existant, owanaeratt an besoin ce que j'avance, car lui aussi a entend<Pee propos. »


rendus et qui n'avaient pas été encore sanctionnés auraient force de loi

La sanction royale, le veto, tout était aboli et la constitution s'émiettait durant cette cétëbre journée. Plusieurs députée, envoyés dans les cafés pour y rétabtir le calme, rentrent et annoncent que les citoyens, même ceux qui paraissaient les plus animés, se <ont soumis, jurant Sdétitë aux lois, dès qu'ils ont connu les décrets

Kersaint explique que, si l'agitation règne dans plusieurs quartiers de la ville, cela vient de ce que le décret prononçant la suspension du roi n'est pas encore connu. L'Assemblée décide de charger de simples citoyens d'annoncer eux-mêmes le décret dans toute la ville.

Chabot propose de confier cette mission à un pétitionnaire nommé Clément, qui venait de se présenter à la barre. Ce nom, dit Chabot, est fait pour inspirer la confiance et convient à celui qui porte des paroles de paix. a-

.D'autres. pétitionnaires se présentent à la barre a manifestant leur indignation contre le chef du pouvoir exécutif, et en demandent la déchéance Vergniaud déclare que t'Assemblée a déposé ses droits, en décrétant la nomination d'une Convention pour prononcer sur la question de la déchéance. TMïS HEURES

Là Commune de Paris, le nouveau pouvoir inMrrec(!) Moniteur.

-(<) NMtetre p<n'!t))Mn<fnre,~t. XVII, p. 22.


tionnel, issu cette nuit même des élections des sections, vint au sein de l'Assemblée, sans préambule, lui notifier son existence et la prise de possession d'un pouvoir qui était illimité, étant indéfini. Un substitut du Procureur de la Commune se présenta, accompagné de deux officiers municipaux et, sans phrases, notifia que, la Commune nommée par le peuple souverain x exerçait tous les pouvoirs Le substitut fit en même temps connaître t'arrêté suspendant l'ancien conseil générât de la commune.

Un député proposa de ne pas reconnaître ce singulier envoyé et d'annuler, en mêmetemps, Farrêtéqu'on annonçait de si cavalière façon.

Mais, dans cette journée dé révolution, on n'en était pas à s'alarmer d'une violence de plus ou de moins des membres plus prudents représentèrent que la patrie ayant besoin de toutes les bonnes volontés, il valait mieux attendre c'est le parti qui fut suivi. Carle, colonel de gendarmerie, avait accompagné Louis XVI dans la loge; il en sortit pour connaître la cause d'un grand bruit qui se faisait au dehors; il ne rentra pas. La foule le mit à mort

QUATRE HEURES

On passe à la discussion de quelques mesures militaires on décrète la création d'un camp sous Paris, et l'Assemblée se déclare en permanence.

On procède ensuite à la nomination de députés qui doivent partir le lendemain même, en qualité de commissaires aux armées.

(f) NM««re~<tr!eo)etK<ttre, t. XVII, p. 137.


Sont choisis Lacombe, Saint-Michel, Cornet l'aine, Gasparin, Delmas, Dubois, Dubay, Bellegarde, Anton<*He, Kersaint, Courtaud, Prieur, Peraldi, Rouger. CINQ HEURES

L'Assemblée rend le décret suivant:

« L'Assemblée nationale, au moment où elle a solennellement proclamé la Liberté et l'Égalité, pour consacrer un principe aussi solennel, décrète qu'à l'avenir, et pour la prochaine Convention, tout citoyen étant âgé .de vingt-cinq ans, et vivant du produit de son travail, sera admis à voter, sans aucune distinction, dans les assemblées primaires. »

C'était donner raison enfin à la théorie pour laquelle Robespierre n'avait cessé de combattre depuis 1789; c'était abroger l'injurieux décret divisant les Français en citoyens actifs et inactifs, sans pour cela supprimer l'élection à deux degiés et sans oser proclamer la souveraineté nationale et le suffrage universel. Comme le fait remarqueren effet M.Ernest Hamel, dans son Histoire dela JRe~o~Mtto~ un des livresles mieux faits de ces trente dernières années, la Législative n'était pas franchement révolutionnaire, elle flottait irré-

solue entre la Montagne qui la poussait en avant et ceux de ses membres qu'animait encore un secret espoir de sauver la monarchie constitutionnelle.

SIX HEURES.

A t'approche de la nuit qui desrendait rapidement (ï) fr~eu de l'Histoire de la MoeiMtton, t vot.,Jouvet, éditeur, Paris,1873.


sur Paris, ob dut se hâter d'enterrer tes cadavres des tombereaux réquisitionnés enlevaient les morte, les apportaient dans leurs quartiers on Ie&<ouchait sur une place publique, sur tes trottoirs et chacun venait reconnaître les siens. Les femmes, tes enfants poussaient des cris et des lamentations, quand oh leur apportait les,maris, les fils ou les pères morts; à ces cris se mêlaient des matédictions contre le roi et surtout contre cette Autrichienne de malheurs, vers laquelle se tournèrent, ce soir-!à, de nombreux poings crispés de malheureuses veuves ou de petits orphelins. Sept cents Suisses furent enterré): au cimetière de la Madeleine. Si le peuple, mal armé, était parvenu à tuer sept cents soldats bien abrités derrière de solides murailles, combien nombreuses<)urent être lesvictimes tombées dans ces bataillons faubouriens sur lesquels tes Suisses, solidement postés derrière des fenêtres, tiraient à bout portant presque et dontchaque balle descendait son homme 1

Le nombre exact ne put être constaté et les historiens varient fut-il seu!ement de onze cents, comme le prétendent les royalistes, cela est bien difficile à croire; fut-il au contraire de cinq mille, comme le dirent le lendemain les journanx de l'époque, cela est plus vraisemblable toujours est-il qu'il y eut des milliers de morts des deux côtés, des milliers de braves gens, soldats suisses obéissant à la consigne, faubouriens, ouvriers et bourgeois, tombés sous les balles pendant que Louis XVI mangeait tranquillement ses pêches, après avoir voulu ce combat saagiant, dott il pensait sortir vainqueur et dans lequel il espérait ressaisir son autorité.


SEPT HEURE9.

Sur la proposition d'Isnard, t'AssemMée s'occupe oa la nomination des ministres; les trois anciens ministres, Roland, Clavièrea et Servan, sont rappelés au pouvoir par acclamation pour les trois autres, l'entente n'est pas complète, on demande à se concerter, et leur nomination est renvoyée dans le courant de la soirée.

HUIT HEURES.

Brissot annonce que tes papiers des affaires étrangères sont chez Bonnecarrère, récemment nommé ambassadeur auprès des États-Unis.

Les scellés seront mis chez ce diplomate plus que suspect

Ce n'est paaun pareil homme qu'il nous convient d'envoyer auprès des États-Unis, s'écrie Thuriot, il ne ferait qu'y porter les regrets de la perte de l'aristocratie je demande que ~Assemblée révoque ses pouvoirs.

Bonaecarrère est révoqué séance tenante.

NEUF HEURES.

L'Assemblée procède, par appel nominal, au choix des trois autres ministres; sur 284 votants, Danton obtient 222 voix, pour la justice, Monge 1SO voix, pour marine; pour les affaires étrangères, les voix se trouvèrent partagées entre Lebrun, d09, et GrouveUe,


91 pour contenter tout le monde, Grouvelle fut nommé secrétaire du Conseil.

Les nouveaux ministres nommés, on dut s'occuper des anciens et, pour commencer, sur la proposition de Thuriot a Le ministre de la guerre, d'Abancourt, ayant été en partie cause des malheurs de cette journée, pour n'avoir pas obéi au décret de l'Assemblée relatif à l'éloignement des Suisses fut décrété d'accusation.

DIX HEURES.

La Commune, de son côté, ne restait pas inactive. Elle s'était réunie sous la présidence de Cousin Lemoine, le secrétaire greffier, commençait par ces mots !a rédaction de son procès-verbal:

« L'Assemblée des commissions de la municipalité des sections réunies, avec pleins pouvoirs de sauver la chose publique, considérant que la première mesure qu'exigeait le salut public était de s'emparer de tous !espoM~oirs.t »

Voilà un programme parfaitement clair et parfaitement défini.

Après avoir pris les diverses mesures dont nous avons parlé dans le cours du récit de cette journée, la Commune arrête que les bustes de Louis XVI, Bailly, Necker et Lafayette seront enlevés de la maison commune exécutant eux-mêmes leur propre arrêté, quelques membre. descendent ces bustes de leurs socles et les jettent par la croisée dans !a cour, où ils se bri(<) ~PfM<<-Mr~ de la Commune de Paris (Séance du iO août).


sent au milieu des applaudissements des spectateurs. Santerre est nommé commandant général de la garde nationale, en remplacement de Mandat. Vers dix heures et demie, une foule, aussi bruyante que diversement composée, demandeà être admise, et, sans attendre de réponse, elle entre, portant Marat en triomphe l'auteur dé l'Ami du peuple est encore ceint de la couronne de lauriers qu'on avait placée sur sa tête et avec laquelle on venait de le promener à travers les rues de Paris Marat s'était laissé rendre ces honneurs il venait demander à la Commune de décider (ce qu'elle fit, du reste) .que t désormais les presses des empoisonneurs royalistes seraient confisquées et adjugées aux imprimeurs patriotes, e

Marat n'avait pas attendu cet arrêté pour aller luimême, avec ses fidèles admirateurs, à l'imprimerie royale il avait choisi quatre presses, des caractères à sa convenance etles avait fait transporter chez lui pour les purifier et leur faire célébrer les vertus civiques, après avoir trop longtemps servi au despotisme. Ce n'était pas un vol, comme on l'a souvent prétendu, c'était un prêt que faisait la Commune qui plus tard rentra en possession du matériel dont elle cédait ainsi provisoirement la jouissance.

ONZE HEURES.

On se souvient, dans la foule, que le marquis populaire Saint-Huruge est en prison.

Il y a six mois, Saint-Huruge a dit, dans les cafés de Péronne, que Lukner et Lafayette trahissaient le peuple, que la constitution ne pouvait aller six mois


avec !e veto. Le juge de paix de Péronne avait tancé un mandat d'arrêt et depuis le marquis était en prison attendant son procès, qu'on ne se pressait pas de lui faire.

L'Assemblée se rappela que le comité de législation avait été saisi d'une plainte de Saint-Huruge, dès les premiers jours de son arrestation, Louvel bâcla un rapport sommaire, et on décida qu'il n'y avait pas lieu à accusation Saint-Huruge fut donc mis en liberté. Cette mesure, très juste au demeurant, fut très applaudie dans les milieux populaires où Saint-Huruge parlait d'abondance elle fut également approuvée des Jacobins, dont la séance se terminait paisiblement sous la présidence d'Antoine, député de Metz. Les événements de la journée n'avaient pas permis aux membres du club' de se réunir, il y avait peu de inonde, et on expédia quelques affaires sans intérêt et sans importance.

Robespierre fit une petite causerie, et, en guise de péroraison, il demanda la mise en accusation de Lafayette, comme traître à la patne

MINUIT

Tout va rentrer dans le calme l'incendie même des Tuileries, où le feu avait été mis pendant le combat, communiqué par des maisons de la place du Carrousel, l'incendie du château lui-même s'éteignait lentement. La commune avait rendu Itommage au courage des pompiers, et l'Assamblée les félicitait & son tour; la (i) ~<M«tMt <<« eM de. ./<M«ttM, n' <;CXLVH.


besogne de ces braves gens n'avait pas été facile, ils avaient eu à lutter contre le feu et contre des vauriens, ivres pour la plupart, et qui étaient venus les coucher en joue, pour les empêcher d'éteindre le feu'. Il n'y avait plus qu'à s'occuper de la famille royale qu'il fallait enfin faire sortir de la loge on avait d'abord décidé qu'on lui donnerait le Luxembourg pour demeure mais de nombreux souterrains aux issues inconnues existaient dans le palais de Médicis, une évasion était à craindre la Commune avait refusé le Luxembourg. En attendant le choix d'un nouveau domicile, on laissa la famille royale dans l'appartement de l'architecte des Feuillants très rapproché de la loge du logographe, composé de trois pièces, et dans lequel les princes et les princesses avaient déjà dîné, car dans cette sanglante journée Louis XVI ne manqua pas un repas et mangea de très bon appétit, deux fois le matin et deux fois le soir occupant les intervalles par la dégustation de ces pêches devenues légendaires.

Dans ce petit appartement, situé au premier étage et qui donnait sur la terrasse des Feuillants, MarieAntoinette et M' de Lamballe se montrèrent très gaies et d'une humeur très enjouée; le fait nous paraîtrait invraixemblable, s'il ne nous était rapporté par les écrivains royalistes eux-mêmes 3.

Des curieux s'étaient rassemblés sur laterrassepour voiries prisonniers ;lareineetM~ de Lamballefurent

(!) J'fM~t-Mrta! <<< la Commune.

(ï) journaux du temps.

(3) MontgidHMd, NM<e~<<~ Fraue, t. III, p. t67.


aperçues, courantl'une après l'autre dans la chambre, on entendit de grands éclats de rire et ces dames, passant la tête à travers les barreaux qui garnissaient les fenêtres, secouèrent la tête avec force, en guise d'amusement, pour faire tomber de leurs cheveux des nuages de poudre sur les curieux. Cela les divertissait fort « mais le peuple ne riait pas, lui ?. A une heure du matin, les jeux durent cesser, on éteignit les lumières, etlafamilleroyale dut se coucher, pour revenir le lendemain matin dans la loge, assister à la reprise de la séance

Enfin, à trois heures et demie, après vingt-sept heures et demie de séance, les députés rëclamèrent un peu de repos. La séance fut non pas levée, mais suspendue Camille Desmoulins et Fabre d'Eglantine coururent chez Danton, qui était couché. Que me voulez-vous ? demanda le tribun, en se frottant les yeux, à peine enveloppé dans sa robe de chambre.

Il faut, lui dit Fabre, que tu me fasses secrétaire du sceau.

Et moi, ajouta Camille, un de tes secrétaires. Mais êtes-vous bien sûr, que je sois ministre? Oui, Danton était ministre, et Louis XVI n'était plus roi on peut dire qu'au moment où Danton se lève, éveillé en sursaut par ses deux je-unes amis, le peuple est vainqueur et la monarchie vaincue; Danton au ministère, c'est le peuple du dix août qui va gouverner et parler à la France.

(1) Louis Blanc, t. VII, p. iOO.

(2) Révolution. de /'srM, n* 63.

(3) Mox~ettf.

(4) Pmdhomme, BK<eire ~<Mf<t<< e< Mtp<H'<«t!e <<e< ovexM.


XLI

LES PIÈCES DE L'ARMOIRE DE FER

I. Correspondance secrète avec l'Angleterre. II. Trahison de Mirabeau.- III. Séduction de personnages influents. IV. Séduction des membres de l'Assemblée. V. Provocateurs royalistes.- VI. Conspiration royaliste à l'Intérieur. VU. Le comité autrichien à Paris.

Au mois de novembre de cette même année, un homme vint trouver Roland et lui révéla qu'il avait, il y avait deux ans, construit une armoire de fer placée dans l'épaisseur d'un mur. C'était le serrurier Gamain qui venait faire sa déclaration et elle pesa de tout son poids pour faire tomber la tète de son ancien apprenti royal.

Nous avons donné ailleurs tous les détails concernant cette armoire de fer ignorée à l'heure où nous sommes arrivés.

En apprenant son existence, Roland se mit à sa recherche, et la découvrit, mais, au lieu de placer sous scellés les dossiers qu'elle contenait, il les emporta chez lui dans des serviettes de maroquin (1) Voir notre 3* volume.

(ï) Déclaration de Roland a l'Assemblée (Séance du ? novembre )79~. VQir ~o'Mteft-l.


Pour mieux comprendre les événements qui vont suivre, et avant même que ces dossiers soient mis au jour, devançons Roland, ouvrons, avant lui, cette fameuse armoire, et parcourons ces pièces, en notant, d'un trait de crayon rouge, les passages qui nous paraîtront de nature à nous expliquer la conduite du roi et la marche des événements.

Ces pièces seront publiées à la fin de l'année et formeront trois gros volumes in-octavo, imprimés en petits caractères la plupart sont sans intérêt, laissonsles de côté; négligeons les lettres de quelques nobles, jurant Cdélité à la cause royale, passons les communications des évêques qui sont sans importance, laissons une lettre du pape dépourvue de valeur; abandonnons cesrapportsoù. au lieu de noms, nous ne trouvons que des initiales, ne cherchons pas à placer des notas quand nous n'avons que de vagues présomptions, et, rejetant toutes ces incertitudes, ne retenons que les pièces qui nous fourniront des renseignements certains, apportant leur rayon de lumièredans cette longue enquête, qai s'ouvre au il août 1792 pour finir au 21 janvier 1793 avec le roulement de tambour des soldats, commandés non par Santerre, mais par l'acteur Dugazon.

1

Voici d'abord la correspondance entre Louis XVI et la cour d'Angleterre.

Pièce cotée XXV. -Une lettre de Calonne, datée de Londres, 9 avril 1790, dans laquelle l'ancien ministre


parle de conférences avec Pitt et communique diverses pièces que le ministre anglais lui a délivrées sur l'ordre de Georges III.

Dans l'une on déclare qu e

« Tout ce qui teMdfCKt à rétablir le trône de Louis XVI, sa gloire, son bonheur inséparable de celui de ses peuples, est dans son uœn, est dans sa volonté la plus sincère et qu'il serait charmé d'y contribuer. »

Une seconde pièce (cotée CLXXII) est la copie d'une note remise par Calonne à Pitt, dans laquelle on demande au roi d'Angleterre de démentir officiellement t'intérèt qu'il porterait à la Révolution et d'affirmer ses sentiments généreux en faveur de Louis XVI. Pièce cotée CLXXVIII. Une lettre de Pitt donnant les meilleures assurances dans le sens demandé II

Une des pièces les plus importantes est celle qui est cotée XI elle a trait à Mirabeau et se rapporte au (t) Ceci ne serait pas d'une gravité extrême et prouverait seulement une fois de plus que les correspondances particulières de Louis XVI avec les souverains étaient en contradiction manifeste avec ses communications publiques. Mais nous avons, en outre, les papiers trouvés dans les bureaux de la liste civile, nous avons des lettres de Milan adressées au roi et dans lesquelles on avoue que Louis XVI a proposé la guerre « pour accélérer la marche de ses libérateurs, pour forcer toutes les puissances à réunir et à déployer leurs forces contre les factieux et les scélérats qui tyrannisent la France; pour que leur châtiment servit bientôt d'exemple à tous ceux qui seraient tentés de renverser le trône et de troubler la paix des empires. » En déclarant la guerre, l'Assemblée nationale avait donné dans le panneau. De Milan, encore on lui nombrait les forces


moment où il fut mis en relations avec les agents de la cour.

« 13 tMCtrs. V<tt eu hier soir avec M. de M. la con férence à laquelle j'ai été autorisé par le roi. M. de M. a péroré longuement et voici l'extrait de ce qu'il a dit.B »

Mirabeau commence par donner des indications sur sur lesquelles il pouvait compter Vous pouvez compter sur cent cinquante mille hommes au moins, tant Prussiens qu'Autrichiens et Impériaux. Les émigrés peuvent former un corps dé vingt mille hommes. »

Voilà de quelle façon le roi qui jurait à tout bout de champ Mélité à la Constitution, n'avait pas de retations~aveo les ennemis 1

L'entrée des émigrés en France lui est annoncée et il est convenu que Louis XVI quittera Paris au moment ouïes alliés arriveront. Dans une lettre du 13 février, on lui trace la marche à suivre « Le roi se mettra en marche sur-le-champ avec sa garde, et un choix égal de celle de Paris, pour venir audevant des princes et remerciera Léopold et le reste passera la revue des émigrés, conservera les meilleurs corps pour en envoyer travailler à la reddition de la Bretagne, du Languedoc, etc. Il se tiendra dans une ville, à trente lieues de Paris et autant de la banlieue, pour n'être pas dominé de là, il fera entrer en France successivement le redoutable corps commandé par les princes, et le dispersera pour l'utilité générale. < Voilà comment Louis XVI ne trahissait pas la patrie Toutes ces pièces furent trouvées chez l'administrateur de la liste civile les scellés avaient été apposés en présence de M. Delaporte (l'ex-administrateur) des commissaires nommés par l'Assemblée générale de la section où se trouvaient les bureaux, procédaient à l'inventaire en présence des commissaires de l'Assemblée nationale et de la Commune chaque pièce fut numérotée et paraphée et le procès-verbal signé par tous ceux qui assistaient à la séance au nombre de dix-sept, y compris Delaporte.

L'authenticité de ces documents saisis après le 10 août est donc indiscutable elle n'a jamais été sérieusement discutée du reste.


le côté gauche de FAssemMée puis il arrive aux trois partis qui divisent Paris. Le premier est celui des aristocrates, rien à dire. Le second « celui de cinq ou six chefs Jacobins, n'est qu'atroce, et par son atrocité wêwe. moins dangereux Il se perdra lui-même s. Le troisième, celui de Lafayette « affiche l'attachement au roi et à la royauté; ces sentiments manquent de républicanisme ?.

Après avoir déclaré au roi que les trois cinquièmes des personnes qui l'approchent le trompent, Mirabeau conseille la dissimulation.

a Non cette dissimulation à laquelle on accoutume les princes, mais cette dissimulation ett grand, qui, ôtant toute prise aux Mtoch~Hftttts, acquit à la reine et au roi une. grande popularité. B Mirabeau promet ensuite de fournir à la cour un plan écrit de la conduite à tenir. Il conseille de faire sortir le roi de Paris tant qu'il restera dans cette ville, « impossible de rétablir rofdre ».

Enfin la communication se termine par la reproduction des protestations de dévouement de Mirabeau, dont voici le langage

< Je suis porté à servir le roi par attachement à sa personne, par ctttcK~etMettt la t'o~auté mais également pour mon propre intérêt. Si je ne sers pas utilement la monarchie, je serai, à la fin de tout ceci, dans le nombre des huit ou dix intrigants qui, ayant bouleversé le royaume, ett deviendront l'exécration et auront une fin honteuse, quand ils auraient, pendant un moment, fait ou paru faire une grande faction. J'ai à réparer des erreurs de jeunesse,uneréputation peut-être injuste ;je nepuis


y parvenir, je ne puis me /iM~e un nom que par de yfœMds serrées. ~Mont peut-être une révolution. Elle est /<Mte ~Mt det~Mtre le mal qui en a e/< la suite; il faut rétablir roTt!~e. La gloire sera ~fa~tte pOM~ ceM.K qm coopo'e~'o~.

Pauvre peupte V<Mtà un de tes plus bf)Hants défehseurs, à q<u tw~ccordMsteshonaNir&~uPaBihëoB. III

Le ttystèNM'de corruption ét&iidu reste ~éralement employé par Louis XVI, qu!i a-vait de nombreux agents d'emtMMohage voici, ceté XX, un rapport d'un aommé Sctp~Chamboanaz,qai estdesphts curieux. H~'agit de~a sëduction de dM~re personnages. « 18 juin i792. Sire, je ~te~s ~M~e ~'am~e Votre Majesté, ~Me~tes «yeK~ o{e<M'tc~t (!e ae mettre en tMOtt~en~e~t. ~e vt~MS de -convertir M~ m~c/KïMt. Ce soir, on fera une forte proposition à <Sa6M<e~'e. J'ai donné ordre qu'on M~'evetMe deMM MM{< pour m'apprendre le succès. ZoMe les intérêts .reapectifs sont MeMo~és. OMWte répond ctctMe!~nîeMt d~ secr~taire des Co~deHers. Tous ces <j~Hs-M sont à ~e~-t d~e &&~e)MeM< t! n'y en a pas un à louer. p Le policierScipion se trompait dans son jeu de mots, car si la cour mettait de nombreuses consciences en balance, eUe ~n trouvait .de plus nombreuses encore que ie poids <de J'or ne pouvait soulever.

Scipion Chambonnas parle ensuite de ses marchandagesavec un certain Molette, jacobin, qui demandait, pour prix de ses services, une place de médecin dans les armées. < Je lui an promise, écrit ~Sctpt0tt, e''H M'~ avait pas de bruit d'tc~gwM~ows; il vient


de partir pour travailler pour moi; il a un grand crédit dans le café Procope, où se')'<Msetnb!ent toMS les journalistes et les envoyés du faubourg SaintGermain. »

Santerre fut interrogé

Avec une franchise qui ne put être démentie, Santerre confirma qu'à plusieurs reprises on lui avait fait des propositions plus ou moins déguisées. « On est venu deux fois me proposer de ma brasserie, cinq cent mille livres de plus qu'elle ne valait, à la condition d'aller passer un an en Angleterre b Scipion ne réussissait pas toujours, comme on voit. Si les résultats obtenus ne correspondaient pas aux efforts tentés, il se rattrapait sur ses formules de dévouement « Sire, terminait-il, d<M<~ez me permettre que je colle mes lèvres brûlantes sur la main de votre Majesté. En mérite En vérité 1 Sire, l'attachement le plus inviolable, le respect !e plus profond m'unit à jamais à mon roi. Je suis de votre Majesté, le sujet le plus déterminé, dans toutes les occasions, à mourir à vos pieds. B

Le vrai dévouementne revêt pas ces formesardentes, et Louis XVI aurait pu dire quelles sommes Chambonas et ses pareils touchaient, tous les mois, sur la cassette royale épuisée, pour faire beaucoup de bruit et produire des effets à peu près nuls.

IV

Après s'être essayé sur les membres influents du clubdes Jacobins, on s'attaque aux membres de l'Assemblée.

(t) ~Met<tW!«et de S<t)tt<rre à la eettMHtMtOx tb< ~exM.


Dans la pièce cotée XV, on adresse un rapport au roi et on lui propose de renouveler ce que fit en Angleterre un ministre célèbre, qui, dans une occasion mémorable, acheta l'opposition entière en une nuit. Pour commencer, on proposait d'acheter seize des membres du comité de liquidation des dettes de la liste civile. La somme réclamée devait être élevée, car on enveloppe la demande de circonlocutions et de formes oratoires.

Lasommé actuelle paraît forte, sans doute, mais, après tout, elle n'est qu'à peu près la moitié du revenu actuel, qui va être économisé par la liste civile, ce n'est qu'un semestre de ces pensions à payer. encore peut-on rendre le fardeau plus doux, en distribuant le surplus en bons payables en deux et trois mois; deux millions suffisent en c~ moment, et 1,500,000 livres peuvent être remis d'ici au 31 ma)*s. f

Il ne faut pas que l'affaire traîne, par exemple; il faut se hâter.

« Le point principal est que la décision presse, que l'affaire est soumise au comité depuis cinq jours; que le t)<BM du comité est déjà émis, et le rapport prêt à être porté à l'Assemblée dans la semaine; tous les intéressés, instruits, engagés, liés wêwe et qu'il ne s'agit que d'un oui ou d'un non pour fixer invinciblement leur principe et leur conduite nouvelle.

Ces propositions aboutirent-elles?

C'est un point qui n'a jamais été élucidé; toujours est-il que dans la séance de la commission où l'on arrêta le système de liquidation des dettes de la Mste


civile, treize membres sur vingt votèrent dans l'intérêt du roi.

V

En même temps qu'on essayait d'acheter en détail les meneurs ou les personnages inQuents, on tâchait d'influencer l'opinion publique par des écrits, des journaux, des publications, des chansons et des orateurs achetés, qui allaient parler dans les clubs et dans les réunions.

La pièce cotée III nous apprend que des membres de la société des Jacobins étaient soldés, qu'on avait des émissaires parmi les orateurs des divers clubs, qu'on soldait vingt-cinq individus dans chaque section, et deux cent cinquante autres orateurs de renfort pour parler dans les divers lieux publics.

Du reste la pièce cotée IV nous donne le détail en chiffres de ces dépenses mensuelles, dont voici la récapitulation.

« P<M'tte littéraire -18,700 livres. < ~ssetMMeeetc~Mbs. 11,000 a SecMoMS et ba<<MHotM. 83,200 « rM:~ftes, Palais-Royal, etc. 23,400 < Guinguettes 21,000 « OMt~ters et c~eHefs 10,000 < JoMt~ct~.c. 2~000 « .Adim~MstfCtttOtt 23,100_ «Totsd par mois 192,400. a

L'espionnage s'étendait aussi en province, et la pièce cotée VIII nous donne un assez grand nombre de


rapports sur l'esprit des corps administratifs, elle contient aussi des notes détaillées sur la composition des clubs des principales villes.

VI

La conspiration royaliste à l'intérieur est, par exemple, surprise dans toute son organisation. Voici, pièce cotée VII, un projet de soulèvement des faubourgs; on les portera aux Tuileries pour donner occasion de dire que le roi n'est pas libre et pour motiver son départ pour Compiègne ou Fontainebleau, d'où il pourra gagnerles armées étrangères qui le ramèneront, avec toutes les prérogatives du pouvoir absolu. » Plus loin, pièce cotée XIX, nous avons un mémoire contenant les règles de conduite que devaient suivre les évoques supprimés et le clergé insermenté. Les documents antérieurs au voyage de Varennes, pièce cotée CLXIV, prouvent qu'on hésita un moment pour savoir si le roi ne fuirait pas dans le Midi. L*évêque d'Aix, dans une lettre conseillant à Louis XVI de sortir de Paris, lui annonçait que la garnison de Lyon était assurée, que la Provence et le Dauphiné étaient prêts à faire un mouvement. a ~o bourgeoisie de ToMtoMse est bien disposée. s

Vil

La pièce cotée LVII prouve que, en dénonçant l'existence d'un comité autrichien à Paris, comité chargé de diriger les démarches des émigrés, la piresse parisienne ne se trompait guère.


Nous pouvons lire le résumé des délibérations du comité sur ces trois questions t° les coalisés conduits par Condé doivent-ils entrer en France? 2° Devait-on négocier avec une force armée? 3° Que doit-on demander? Que doit-on offrir? Que doit-on accepter?. « M. le Prince de Condé insiste pour entrer, parce que, dit-il, il court risque de perdre inseytsiblement tous ceux qui l'entourent. On lui a envoyé une personne pour lui démontrer qu'il fait une grande faute, s'il persiste à vouloir entrer. C'est plus que jamais le moment de montrer de la popularité et des pfëcc[Mt{o)M. »

Cela est daté du 3 juin i79i.

Enfin terminons par une lettre, datée du 10 juillet 1792, cotée DXXI, lettre des six ministres qui vont donner leur démission ils expliquent au roi « qu'ils M'ont pfM le pft~tt de donner sttMMKctMCMte~t tew démission, que dans l'espérance de démontrer à la nation que l'Assemblée nationale veut détruire toute espèce de gouvernement; ce qui, selon eltas, doit pfodMtfe un grand effet. »

Maintenant, nous pourrons plus facilement comprendre les événements qui vont suivre.

Quand on accusera le roi d'avoir fomenté la guerre civile, d'avoir acheté les consciences, d'avoir essayé de corrompre les patriotes, d'avoir communiqué avec les émigrés, de les avoir aidés et soutenus, attendant le jour favorable pour profiter de leurs menées et lorsque Louis XVI niera et protestera, nous saurons ce que vaut cette parole.

Quand le roi donnera des démentis de complot et T. IV S3


de trahison, les dossiers que nous venons de dépouitter ne seront pas encore découverts nous avons voulu les parcourir avant leur publication, pour mettre en relief cette pauvre nature hypocrite, condamnée à toujours dissimuler et mentir, afin de cacher ses menées antipatriotiques et ses projets criminels.

En terminant ce chapitre, il faut faire une remarque importante c'est qu'on ne trouva rien qui, de près ou de loin, ressemblât à des relations établies entré la cour et Danton.

On a souvent accusé Danton d'avoir reçu des sommes considérables de la cour.

A part les propos venimeux d'ennemis, comme Lafayette et M*" Rolland, on ne peut fournir le moindre document.

L'épreuve de la cassette de fer n'est pas décisive sans doute mais elle a assurément son importance, et nous tenons à la souligner en passant (t) Dans un ouvrage comme le nOtre noua ne devons négliger aucun document.

Voici une lettre je Louis XVI, adressée à son frère le comte de Provence l'autographe de cette lettre appartient à M. le baron de Lareinty qui a eu occasion de la citer dans le débat engagé devant le sénat, au sujet d'une interpellation adressée, en juillet <89t, au ministre de l'intérieur, par M. Wallon, au sujet de l'érection à Paris de la statue de Danton. M. de Lareinty communiqua cette lettre à i'Ec~MttMt, qui la publia en ~<M:-<<M':e.

Paris, le i" juillet t792.

t Vous estes déjà instruit, mon cher frëre, des outrages que j'ai endurés dans la journée du 20 juin, outrages d'autant plus sensibles que la portion du peuple qui a violé ma demeure étoit guidée par des hommes que j'avots autrefois comblés do bienfaits la Garde Nationale qui deyoit à tous les titres me deffendre ~tott vendue aux perturbateurs, leur chef étoit trop Ner de


Ce n'est pas une preuve absolue.

Mais c'est une irès grave présomption en faveur de me bourrer pour estre tenté d'user de son autorité. J'ai opposé le calme et l'imperturbabilité aux clameurs et aux insultes, cette fermeté froide a déconcerté pour ce jour-là les malintentionnés et leurs projets sanguinaires la Reine et toute ma a famille ont montré une résignation héroïque, nous sommes familiarisés depuis longtemps a croire tout possible et à boire le calice jusqu'à la lie; l'Assemblée Nationale a manifesté partiellement son indignation profonde, Legendre disoit à la tribune des Jacobins que le peuple avoit honnoré son musculaire en l'allant visitter, Marat et Hébert proctamoientdans leurs feuilles les mesmes principes; des perturbateurs ou aboyeurs payés faisoient sous mes fenestres de3 sucmaina (?) qui prouvoient l'audace des factieux et leurs dispositions à tous les forfaits. Sans les consolations de la Religion, il y a déjà longtemps que j'aurois renoncé au pouvoir suprême. Dumouriez m'a proposé divers plans pour déjouer les complots des Jacobins, des Robespierre et des Danton, mais celanepourroit se faire sans une grande effusion de sang. J'aime mille fois mieux estre la vic- time des méchants que de souiller ma vie par la mort d'un seul François. Lorsque je vois la perversité triompher et l'audace se montrer la rivale de la justice distributive, j'approuve la résolution que prit Charles-Quint d'abdiquer le trosne. J'ignore, mon cher Frère, ce que la fortune me réserve dans l'avenir, quant au moment on ne peut estre plus malheureux que l'est votre ami et votre frère.

< Louis.

Votre lettre du mois dernier ne m'est point parvenue non plus que celle du comte d'Artois, D. n'est pas arrivé. n Les sentiments contenus dans cette lettre sont en contradiction avec les documents que nous avons publiés dans ce chapitre.

Nous ne mettons nullement en doute l'authenticité de ce document, nous ferons seulement remarquer deux choses La première, c'est que les Girondins y sont complètement ménagés et la seconde c'est que le roi proteste contre l'idée de toute effusion de sang.

Sur lo premier point, il est à peine besoin de dire que les Girondins prirent autant de part que les Jacobins dans les


Danton, et nous aurons plus tard à commenter des documents décisifs.

mesures qui enlevèrent au roi son autorité absolue; sur le second, Louis XVI écrivait à son frère qu'il répugnait à l'idée de verser le sang, quand en réalité –on l'a vu au chapitre précédent il préparait le plan du massacre des Parisiens, plan qui fut mis exécution au iOaoût et n'échoua que parce que les Parisiens furent plus forts que les Suisses.

Que conclure 7

C'est qu'évidemment cette lettre contenait des sentiments qui n'étaient pas ceux de Louis XV t elle fut écrite et envoyée maladroitement, à dessein, pour qu'on l'interceptât, afin qu'elle tombât entre les mains des Girondins qu'on flattait en accusant les Jacobins de toutes les violences, et afin aussi de se ménager la bienveillance des coeurs sensibles en se déclarant l'ennemi de toute effusion de sang.

Cette explication, bien dans le caractère hypocrite de Louis XVI, prouve une fois de plus que la dissimulation ne coûtait pas plus au roi qje le mensonge pour tromper et duper les hommes de la Révolution.


Du)0aui2aoûtt79~.

XLII

ASPECT DE PARIS

L'Assemblée abdique devant la Commune.- Arrêtés contre les emblèmes royaux. Mesures pour les passeports.- Suppression des panaches. Séances publiques de la Commune. Lafayette remplacé par Dumouriez. Lea journaux contre le roi La famille royale au Temple. Mesures prises. Mode électoral. Déboulonnement des statues. Représentation au benéiice des victimes. Essais de résistance. Le tribunal criminel. Robespierre décline la présidence. Circulaire de Danton à la magistrature.

Le peuple apporta à l'Assemblée les bijoux trouvés aux Tuileries; mais l'Assemblée ne voulut pas assumer une nouvelle responsabilité elle prétexta qu'elle n'avait aucun lieu convenablement aménagé pour les garderet elle les envoya à la Commune, dont le rôle augmentait ainsi d'importance. C'est à la Commune encore que les députés renvoyèrent ceux qui leur demandaient de nommer un commandant de la garde nationale; la Communeaccepta cette mission qu'elle eût peut-être revendiquée, si on ne là lui eût donnée et elle nomma Santerre.

La séance fut levée à trois heures du matin en sortant de la salle, les députés trouvèrent Paris encore debout et en armes.


Le lendemain, t'Assemblée prend quelques mesures elle décrète que tous les protégés de la cour qui occupaient des logements dans les maisons royales seraient tenus d'en sortir sans délai on fit une exception pour tes savants et les artistes qui furent maintenus dans les appartements du Louvre, comme logés au nom de la Nation

Danton faisait suspendre tous les commissaires du roi près les tribunaux, réservant à la Convention la question de savoir s'ils devaient être conservés ou supprimés,

La Législative agonisante semblait avoir abdiqué entretesmainsde la Commune, donttepouvoirgrandissait avec l'énergie. Cette dernière arrête qu'il sera érigé une statue de la Liberté, à la place de celle de Louis XVI, qui se trouvait dans la cour de l'Hôtel de Vitte Tous les boutiquiers et commerçants étaient tenus, dans laquinzaine, de détruire « les enseignes, figures et emblèmes qui rappelleraient au peuple le temps d'esclavagesouslequel il avait gémi pendant trop longtemps. )) Ceta voulait dire que les fleurs de lis, les statues des princes, les armes nobiliaires devaient disparaître,des murs et des maisons, et elles disparurent. Les sections étaient déclarées en permanence. Le 13, on rouvrit les barrières; depuis trois jours, on n'avait laissé sortir ou entrer personne excepté tes convoisdesubsistance « Les barrières étaient ouvertes, mais on ne pouvait circuler que muni de passeports délivrés par la Commune, après avis du comité de la (1) Cette etatue de Louio XVI fut replacée a l'Hôtel de ville M i8t< par tes ordres de M. de Chabrol. préfet de la Seine, et y demeura Jaeq~'en itni, époque de l'incendie de ce moeutttènt.


section où l'on devait se présenter accompagné dé deux citoyens se portant « personnellement et corporellement garants du voyageur

Ces mesures étaient prises pour empêcher les députés ou les royalistes d'aller former une coalition dans quelque ville de province. Comme plusieurs aristocrates se servaient de faux passeports pour sortir de Paris, on ordonna que les voyageurs seraient accom* pagnés par des témoins jusqu'à la barrière, et que ceuxci signeraient sur un registre établi à cet effet. Pour réserver aux journaux patriotes l'avantage de raconter, les premiers aux départements, les événements du 10 août, on interdit à la poste le transport des feuilles royalistes.

A côté de ces mesures prises pour le gouvernement intérieur, ta Commune en décréta d'autres, pour faire face au danger extérieur elle s'occupa de lever des soldats et de se'procurer des armes.

Elle ordonna de dresser de nouveau, sur les,places pubtiques~comme le mois précédent, des estrades pour recevoir les enrôlements volontaires, et Paris reprit l'aspect qu'il avait, quand ta Patrie fut déclarée en danger. Elle arrêta que tous les bronzes des statues ou des églises, jusqu'aux crucifix, seraient saisis pour être convertis en canons que tous tes fers des gritles serviraient à fabriquer des piques; les sections furent chargées d'enlever l'argenterie des paroisses, pour être <bndue; enfin elle décida que toutes tes ctoches des


églises aéraient descendues et cassées, à l'exception de deux par chaque paroisse.

Après les graves décisions, les petits détails. Pour permettre aux plus pauvres d'arriver aux grades élevés, elle ordonna que les officiers de la garde nationale, y compris le commandant général, auraient un costume pareil, très simple, et des épaulettes de laine. Le grade se reconnaissait à un bout de galon piqué sur le cot. On obéit tout d'abord, mais peu à peu, les plumets et les panaches se montrèrent et fu. rent totérés en France, ce dont on se défait le moins, c'est encore l'amour du costume et de la mise en scène.

C'est la Commune encore qui écrivit aux ministres pour leur demander de ne plus se servir du mot « monsieur dans les lettres envoyées aux membres du conseil, et de )e remplacer par celui de « citoyen ?. Toutes ces mesures étaient votées dans les séances publiques, séances auxquelles les tribunes prenaient souvent une part active. Un jour, un assistant demande à être entendu; t'assembtée consulte tes tribunes, qui décident unanimement que ce citoyen Saurait pas la parole.

Les séances étaient permanentes les membres du conseil et tes assistants étaient en armes pour la plupart et, comme on ne quittait guèrela salle que pour aller faire exécuter les décisions prises, un arrêté les autorisait à se faire fournir individuellement, < tout ce qui était nécessaire pour l'alimentation, aux frais de la, ville a.

Màrat animait cette assemblée par sa présence et ses conseils il établit son domicile, pendant quelques


jours, dans la salle de la Commune, où on lui avait réservé unf tribune particulière et de là, il écrivait et lançait des avis à ses fidèles, au milieu du tumulte des discussions.

On n'oubliait pas Lafayette, ni ses lettres menaçantes du mois de juin et, le 18 août, le ministre de la guerre par intérim lui enlevait le commandement de l'armée pour lé donner à Dumouriez, à qui tous les officiers et soldats devaient prêter serment; l'Assemblée nationale confirmait cet acte, en louant le patriotisme de Dumouriez et en déclarant qu'il avait toute sa confiance.

Le même jour, Curtius coupait la tête au buste de Lafayette, qu'il avait placé dans son cabinet de figures de cire, au Palais-Royal.

Le 18, on apprenait, à Paris, que Charles de Lameth avait été arrêté à Mézières comme conspirateur mais la municipalité de la ville, pour essayer de sauver le prisonnier, faisait arrêter les gendarmes chargés de mettre à exécution le décret d'arrestation, sous prétexte que les passeports de la maréchaussée n'étaient pas réguliers.

Force, bien entendu, restait à la loi la municipalité de Mézières était appelée à la barre, et Charles de Lameth écroué à Rouen.

En même temps, les arrestations des suspects commençaient parmi eux Thierry, valet de chambre du roi, le banquier Laborde, qui avait prêté plusieurs mil.lions à Louis XVI tout l'état-major parisien et les chefs de bureaux du ministre de la guerre. Dabancourt, l'ancien ministre, était arrêté aussi et emprisonné à Orléans.


Le ton des journaux, on le devine, est au diapason d'une pareille fébrilité.

On traite Louis XVI de « Néron x et Marie-Antoinette de « panthère autrichienne '.?

On va même plus Join; on demande la mort de « l'assassin couronné. »

Ecoutez

Et pourquoi un roi traître et assassin, pris sur !e fait, n'a-t-il pas subi son châtiment, de compagnie avec ses Suisses, avec Cartes, Mandat, Suleau, Clermont-Tonnerre, de compagnie avec les cent voleurs exécutés à mort et sur place par le peuple? LouisNéron et Médicis-Antoinette n'étaient-ils pas plus coupables à eux deux que tous leurs complices ensemble~ ? p

Ces menaces s'appuyaient sur des papiers terriblement compromettants, trouvés dans le secrétaire du roi, des lettres de Coblentz, qui prouvaient qu'il avait envoyé de l'argent aux coalisés avec lesquels il n'avait pas cessé d'être en correspondance et en communauté d'idées depuis l'émigration; on eut ainsi la preuve que Louis XVI, qui blâmait les émigrés en public, non seulement les approuvait secrètement, mais encore leur distribuait une partie de la liste civile. Ces découvertes rendaient plus grande la responsabi!itéde!a Commune, à qui l'Assemblée nationaleavait

(il N~x-M'oM de Paris, n° t62. (-:)td.


confié la garde du roi; aussi, le lundi 13 août, par ordre de Santerre, six légions faisaient-elles la haie, depuis les Feuillants, où se trouvait provisoirement la famille royale, jusqu'au Temple, où elle fut enfermée à cinq heures du soir.

Le lendemain, la Commune décida que, tous les soirs, le nom des commissaires chargés de la garde du roi serait tiré au sort dans une urne qui contiendrait tous les noms des membres de son conseil. Immédiatement, on creusa autour du Temple un fossé qu'on ne pouvait traverser que sur un pont-levis, l'on construisit, en même temps, un mur qui isolait la prison. H y avait deux gardes de cinquante hommes chacune, l'une intérieure et l'autre extérieure; les portes ne s'ouvraient que toutes les vingt-quatre heures.

Les premiers jours, la prison était fort mal aménagée les murs étaient sales et nus, point de rideaux aux fenêtres, les lits n'avaient pas de draps blancs; M°'s Elisabeth fut d'abord logée dans une ancienne cuisine et couchée sur un lit de sangle sa toilette était t placée sur une pierre à laver. Quelques jours après, l'appartement fut restauré, garni d'un mobilier convenable, pourvu de rideaux et de linge.

Au début, on permit à Louis XVI de porter l'épée et on ne la lui enleva que plus tard.

Il fallait songer à remettre le pouvoir en de nouvelles mains.

L'Assemblée abrogeaitle décretqui divisait les Français en citoyens actifs et non actifs, mais elle ne relevait pas de l'incapacité électorale les domestiques; elle n'abolit pas les élections à deux degrés et n'osa pas pro-


clamer le suffrage universel, comme la Montagne l'y poussait.

Ainsi elle maintint l'ancien mode de votation. Les citoyens se réunissaient dansles assemblées primaires. pour nommer les électeurs qui, le dimanche suivant, nommaient les députés.

Mais cette fois, pour être admis aux assemblées primaires, il suffit d'être français, âgé de vingt-un ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu ou du produit de son travail.

Pour qu'un citoyen pût être député, il devait réunir les mêmes conditions, et, en outre, être âgé de vingtcinq ans.

Pendant que ces mesures étaient prises, on se mettait en mesure d'exécuter les ordres de la Commune concernant les statues.

Pendant qu'on déboulonnait la statue de Louis XV, le lieutenant-colonel de gendarmerie Guingerlot se prit de querelle avec ceux qui procédaient à cette opération.

Canaille, imbécile 1 cria-t-il à l'un d'eux. Est-ce afin d'y placer l'Anarchie que tu renverses la royauté de son piédestal?

La querelle s'envenima et Guingerlot fut tué. Place Vendôme, une des marchandes qui, le soir, parcouraient les rues de Paris, en criant !Mtt du peuple, une de celles qui étaient allé chercher le roi à VersaiUes, dans les journées d'octobre 1789, Reine


Violet s'était pendue à la corde dont on se servait pour descendre la statue de Louis XIV; en tombant, la statue écrasa la jeune femme qui fut tuée sur le coup. C'était le 12 août 1792, et on remarqua qu'un des pieds de derrière du cheval portait l'inscription suivante, gravée sous le sabot 12 août 1692. Il y avait cent ans! 1

Cet arrêté contre les emblèmes royaux retarda de quelques jours l'ouverture d'un nouveau théâtre qui avait pris pour titre Théâtre d'Henri IV; la figure et les emblèmes de ce prince se retrouvaient dans tous les ornements intérieurs ou extérieurs; les bas-reliefs représentaient les principales actions de sa vie, et le Navarrais était le héros d'un ballet pantomime, par lequel on devait inaugurer le spectacle. H fallut changer la pièce et les décorations.

Les spectacles furent fermés pendant quelques jours; puis ils se rouvrirent peu à peu par des représentations au bénéfice des victimes du 10 août. L~Opéra, le 17 août, donna une représentation au bénéfice des veuves et des orphelins des citoyens morts le 10 août. Les artistes ajoutèrent à la recette le ving-. tième de leurs appointements du mois les ouvreuses, tes machinistes et autres ouvriers renoncèrent au prix de leur journée, et la recette atteignit ainsi le chiffre de 5,243 livres 4 francs 11 deniers.

Ce fut à ces représentations que commença l'habitude des chants patriotiques à la fin des spectacles; c'est à ce moment que .la M<M'se~!<Mse eut sa plus grande publicité jusque-là, les fédérés marseillais avaient à peu près seuls chanté l'hymne de Rouget de l'Isle.


Pendant que les vendeuses de t'.4MM du peuple se faisaient ainsi tuer, le rédacteur du journal, Marat, prenait possession des quatre presses de la ci-devant Imprimerie royale et les faisait transporter dans l'ancien couvent des Cordeliers, pour imprimer son journal.

Mais il ne faut pas croire, comme on l'a tant répété que Marat agit de sa propre autorité privée, comme nous l'avons déjà dit dans notre précédent chapitre. A ce sujet, donnons deux mots d'explications: L'Imprimerie royale était alors au Louvre, et le roi avait cru pouvoir mettre sept presses à la disposition de commerçants royalistes les frères R~ignel, pour i mprimer des journaux et des pamphlets contre-révolutionn,aires 2.

Après le 10 août, la Commune fit, au bénéuce de Marat, ce que le roi avait fait au bénéfice des frères Reignel.

Il n'y a donc pas eu vol de presse, comme s'amusent à le répéter les écrivains royalistes, M. Taine et ses disciples; il y a eu un prêt fait par la Commune au bénéfice d'un particulier. Maratdonna, du reste, un récépissé des objets qu'il avait reçus 3, presses, caractères et accessoires et, après sa mort, sa veuve en opéra la restitution régulière, le 16 ventôse an III C'est donc un point bien établi: il ne peut plus être question de vol de presses.

Suivant un errement établi par la royauté elle(1) Didot, Essai sur la typographie.

(!) Combes, Curiosités révolutionnaires

(3) Collection de M. le baron Laroche LacareUe.

(4) Moniteur.


même, la Commune prêta régulièrement des presses et des caractères à Marat, qui en donna un reçu régulier et, quand on voulut faire cesser cette espèce d'usufruit, la veuve de Marat opéra la restitution régulière des objets prêtés.

Revenons à l'arrêté sur la suppression des emblèmes de la royauté.

En province, la nouvelle des événements du 10 août provoqua des sentiments divers, suivant les opinions du pays mais, tandis que les patriotes applaudissaient publiquement, les royalistes n'osaient pas encore manifester leur mécontentement et leur douleur. Il y eut bien quelques essais de résistance, mais ils furent vite étouffés.

Ainsi la municipalité de Sedan fit arrêter et conduire à la citadelle les trois députés Kersaint, Antonnelle et Peraldi, envoyés par l'Assemblée à l'armée de Lafayette pour lui apprendre sa destitution. En même temps le directoire des Ardennes, siégeant à Sedan, déclarait inconstitutionnels les décrets du 10 août. L'Assemblée envoya deux commissaires pour faire arrêter les administrateurs, et elle délégua trois autres députés, Quinette, Isnard et Gaudin, pour délivrer les trois députés représentants dans la citadelle et pour faire arrêter le maire de Sedan.

Les ordres de l'Assemblée furent exécutés avec promptitude, et ces essais de rébellion n'eurent aucune suite.

Dumouriez reçut donc les commissaires, lui annonçant sa nomination à la place de Lafayette, et il jura devant eux « de maintenir la liberté et l'égalité, et de mourir à son poste. »


A Paris, on nomma les juges qui devaient composer le nouveau tribunal criminel, destiné à juger les conspirateurs. Cette élection eut lieu dans la nuit du 17 au 18. Furent nommés

Juges Robespierre, Osselin, Mathieu, Pepin, Degrouhette, Lavaux, Daubigny, Dubail, Coffinhal. Greffiers: Brûlé, Gardy, Bourdon, Mollard. Membres du jury Leroy, Blandin, Bolleaux, Lohier, Loiseau, Calliere de L'Etang, Perdry. Robespierre fut nommé président, mais il donna sa démission « J'ai combattu, écrivait-il, depuis l'origine de la Révolution, la plus grande partie de ces criminels de lèse-nation j'ai dénoncé la plupart d'entre eux j'ai prédit tous leurs attentats, lorsqu'on croyait encore à leur civisme je ne pouvais être le juge de ceux dont j'étais l'adversaire. »

Camille Desmoulins, lui, qui dans la journée du -10 août avait conduit les faubouriens, avait pris possession de son poste de secrétaire général du ministre de la justice. < II nous reste, écrivait-il, à rendre la France heureuse et florissante autant que libre. C'est à quoi je vais consacrer mes veilles. <

Et, en collaboration avec Danton, il rédigeait cette lettre aux tribunaux, protestant contre les abus, lettre envoyée le 18 août et dans laquelle le nouveau ministre annonçait aux magistrats que « Le roi est suspendu Louis est en otage à la Tour du Temple. )')

Danton, loin de renier son origine révolutionnaire, s'en fait un titre de gloire.

< Dans une place où j'arrive par le suffrage glorieux de la nation, où j'entre par la brèche du château des Tuileries, et lorsque le canon est devenu


aussi la dernière raison du peuple, vousme trouverez constamment et invariablement le même président de cette section du Théâtre français, qui a tant contribué à la révolution du i4 juillet 1789, sous le nom de district des Cordeliers et à la révolution du 10 août 1792, sous le nom de section de Marseille. a

Le but poursuivi est « non pas une égalité impossible de biens, mais une égalité de droits et de bonheur. Après avoir fait l'historique des menées contre-révolutionnaires des tribunaux, Danton termine, en s'adressant aux magistrats

« Il est encore en votre pouvoir de reconquérir la bienveillance nationale. Imitez le tribunal de cassation et les tribunaux de Paris. Jurez l'égalité; félicitez l'Assemblée nationale de ses décrets libérateurs tournez contre les traîtres, contre les ennemis de la patrie et du bonbeur public, le glaive de la loi qu'on avait voulu diriger dans vos mains, contre les apôtres de la liberté. Que la justice des tribunaux commence, et injustice du peuple cessera. »

Fières et patriotiques paroles qui partaient pour la première fois du ministère de la justice et qui durent faire comprendre aux juges de la révolution que < l'heure des conspirations était passée et qu'it fallait enfin appliquer les lois révolutionnaires.


XLIII

FÊTE FUNÈBRE-

Lafayette prend la fuite. Exécutions de comparses royalistes. Barnave, M" Dubarry, Beanmarchais sont arrêtés. Mesures contre tes prêtres insermentés. Réunion des assemblées primaires. Le titre de citoyen français accordé aux grands hommes étrangers. détails sur la famille royale au Temple. Reddition de Longwy Armements. Fête des victimes du iO août. ProvocaMoM royalistes.

Lafayette venait d'être déclaré traître à la patrie et décrété d'accusation.

Devant les événements, Lftfayette, qui s'était Hatté 'si longtemps de les diriger et de les conduire, ae oeat peFd& il quitte le camp, emmenant avec taï se~ intimes, Bureau de Pozy~ Latour-ubûurg, Lameth H$ quittent !'a)omëe, emportant avec eux du moM de leur sotde.

Le 21, la petite caravane arriva aux avant-<postea autrichiens ils furent arrêtés et traités comme pri" sonniers de guerre. En trouvant un cacliot, l'ancien commandant de !a garde nationale trouva aussi un abri, car, s'il fût resté à l'armée après sa destitution, il est plus que probable qu'il aurait porté sa tête sur l'échafaud.

Il estjuste pourtant de reconnattre que, dans sa fuite,


Lafayette se souvint qui il était il repoussa la liberté qu'on lui offrait à la condition qu'il se rétracterait prisonnier, il conserva les convictions de toute sa vie, et il écrivait à ses amis de France « Aimez toujours la liberté, malgré ses orages, et servez votre pays. » Dans sa prison, Lafayette se trouvait à l'abri du tribunal criminel, qui l'attendait à Paris et fonctionnait avec activité. Le premier accusé de ce tribunal fut Collenot d'Anglemont, l'enrôleur royaliste il fut condamné à mort exécuté le 21, à neuf heures du soir, à la lueur des flambeaux; en montrant la tête au peuple, le fils du bourreau tomba sur la plateforme, se brisa la cervelle et mourut surlecoup. La Commune décida que les exécutions n'auraient plus lieu que le jour mais, prévoyant de la besogne pour le bourreau, elle ordonna la construction d'une seconde guillotine..

Le second accusé fut Delaporte, accusé d'avoir jb" menté la guerre civile en soudoyant les écrivains incendiaires il fut condamné à mort, exécuté le lendemain. Le pauvre vieux monta péniblement, mais avec courage, l'escalier de l'échafaud; comparse inconscient, bonhomme, à coup sûr, on lui avait dit de payer des factures de pamphlétaires, il avait obéi il était victime des ordres reçus, et, le visage bien tranquille sous ses cheveux blancs, il mourut sans crainte, avec la sérénité habituelle qu'il avait toujours apportée dans ses fonctions d'intendant de la liste civile.

Puis vient Durosoy,éditeur royaliste,qui avaitreçu des listes d'embauchage accusé, le 23, il fut condamné le 24. exécuté le 25. Avant de mourir, il écrivit à l'Assemblée pourlui demander qu'on Ht sur lui l'es-


sai de la transfusion du sang dans les veines d'un vieillard. On passa à l'ordre du jour.

Cela me contrarie, dit Durosoy mais après tout cela vaut mieux: un royaliste comme moi doit mourir le 25 août, jour de Saint Louis,et il monta à l'échafaud avec crânerie.

Le 26 est un dimanche, le bourreau se repose. Le lendemain, lundi, il reprend sa besogne. Ce sont trois faux monnayeurs: Vimal, le libraire Guillot et l'abbéSauvade qui expient le crime d'avoir fabriqué de faux assignats; crime qu'on peut presque excuser, en songeant qu'il y avait moins de lucre que de passion politique; pour ces troiscriminels il s'agissait, non pas de s'enrichir, mais de jeter la déconsidération sur le papier-monnaie et ruiner ainsi le crédit de la Révolution.

H n'en fallait pas tant pour subir le dernier supplice.. On conduisait place de Grève « un particulier qui, la veille, avait vomi des injures contre la Nation. » Pourtant, çà et là, quelques acquittements ceux d'un Dossainvitte,compticeded'Ang)emont,de Doffry, colonel de la garde suisse, parce qu'il prouva qu'il n'était pas aux Tuileries, le 10, et n'avait pas commandé le feu de Montmorin, commandantdu château deFontainebleau, et enfin de l'autre .Montmorin, l'ancien ministre, que l'Assemblée avait interrogé et renvoyé au tribunal -du 17 août.

Du reste, les gendarmes préparaient de ta besogne aux juges.

Barnave est arrêté dans sa campagne, près de Grenoble; M"' Dubarry est arrêtée à Louveciennes cent


autres encore, et parmi eux Caron de Beaumarchais, qu'on accusait de cacher des armes dans son hôtel. A minuit, le domestique entre, en chemise, les yeux égarés, dans ia chambre de l'auteur du Barbier de Séville

Monsieur, levez-vous, tout le peuple vient vous chercher on frappe à la porte, à briser le marteau. On l'arrête, mais, grâce à Manuel, son confrère en littérature, on le remet en liberté.

Les prêtres insermentés constituaient un véritable danger public ils agitaient le pays, en s'adressant aux consciences alarmées des catholiques. L'Assemblée vote que tous les prêtres réfractaires seront tenus d'évacuer le territoire français sous quinze jours. Vergniaud et Cambon voulaient qu'on les déportât à la Guyanne, mais cette mesure fut réjetée comme a atroce ». La Commune prend des mesures rigoureuses pour l'exécution de cette loi les insermentés seront conduits à la frontière de brigade en brigade si les ecclésias- · tiques sont malades ou âgés de plus de soixante ans,, on les enverra dans les maisons de Port-Royal ou de l'Observatoire.

Toutes ces mesures ne satisfont cependant pas tout le monde et, le 23 août, une députation de la Commune, suivie de quelques groupes bruyants, se présente vers minuit à l'Assemblée. L'orateur de la troupe réclama plus de célérité, et notamment que les prison-


niers d'Orléans soient amenés pour subir leur supplice. »

Il ne parle pas du jugement des accusés, mais de !eur exécution, et il termine par ces mots « Vous nous avez entendus, etvous savez que l'insurrection est un devoir sacré. »

Lacroix, l'ami de Danton, préside. Il juge du regard cette foule sans mandat, obéissant à des passions excitées

Nous avons fait notre devoir, dit-il. Si notre mort est une dernière preuve pour en persuaderle peuple, il peut disposer de notre vie. Dites-le à nos commettants.

Après cette énergique réponse, on cingla ces forcenés par un méprisant ordre du jour pur et simple. Pourtant l'Assemblée elle-même se laissait aller à des discussions peu dignes d'elle. Ainsi, le 26, sur la proposition de Jean de Bry, elle avait commencé par décréter la levée d'un corps de douze cents hommes, douze cents tyrannicides, qui devaient frapper les princes qui guerroyaient contre la France.

Mais la réflexion vint au cours de la discussion et, trouvant une pareille mesure indigne d'elle, elle rapporta lesarticles du décret, déjà votés.

Certains jours, la Communeelle-mème s'arrêtait à des puérilités, accordant par exemple, par une délibé* ration, la main droite de la statue de Louis XV à Latude, qui l'avait demandée. C'était la main droite ayant signé la lettre de cachet qui avait retenu Latude prisonnier pendant trente ans.

Au milieu de l'effervescence générale, le soin de la conservation de nos trésors littéraires trouvait sa


place; on nommait Champfort et Carra directeurs de la Bibliothèque nationale

De généreux mouvements d'humanité entraînaient aussi l'Assemblée le 25, elle votait la suppression de la contrainte par corps pour les mois de nourrice dus. Le lendemain, elle prenait en considération une proposition ayant pour but la suppression de la contrainte par corps pour toutes les dettes en général.

Pendant ce temps, les assemblées primaires se réunissaient pour choisir les électeurs qui, le dimanche suivant, devaient, à leur tour, choisir les députés à la Convention.

Les journaux patriotes donnent des conseils aux électeurs, leur recommandant de e discuter publiquement les qualités personnelles des candidats, de reprocher sans crainte les crimes ou les fautes ». Il faut éloigner « les individus qui vivent des abus qu'il faut réformer, quelle que soit leur intégrité, leur vertu. Tous les agents du pouvoir exécutif, tous les amis du roi, tous lès hommes employés par le roi, tous les constitutionnels, tous les feuillants, tous les prêtres, tous les juges, tous les administrateurs B.

Les avocats ne trouvent pas grâce.

« Les avocats et tous les gens de loi, tous les avoués près les tribunaux sont également suspects et indignes ou incapables de figurer à la Convention nationate (t) Voir notre étude sur La BttKett~tM Nationale «<tt< la JM<K)<«tte<t (LE IjtVM, année 1885).

(2) N<M<t<«Mt <t< Paris.


leur bavardage et leur intérêt personnel doit les exdure de toutes les places, jusqu'à ce qu'ils soient devenus citoyens. D

Ces conseils ne furent pas, en général, suivis. Sur la proposition de Chénier l'Assemblée décrétait que le titre de citoyen français serait donné aux étrangers qui « par leurs écrits, ont servi la cause de la liberté*.

Le Comité d'instruction publique était chargé de dresser la liste de ces intelligences à qui on décernait la qualité de français on inscrivit d'abord dix-huit noms, déclarant que la liste n'était pas close; c'étaient Priestley, Payne, Benthan, Vilberforce, Clarkson, Mackintosh, Williams (David), Gorani, Anacharsis Clootz, Campe, Corneille Paw, Pestalozzi, Washington, Hamilton, Madisson, Klopstock, Schiller, Koscius ko'

(1) Ces étrangers, dont plusieurs sont aujourd'hui oubliés, avaient tous bien mérité de la France, tes uns en la défendant les armes à la main, tes autres en défendant dans leurs écrits tes idées de la Révolution.

t. fWetMey. savant chimiste, avait répondu avec vigueur aux attaques violentes de son compatriote Burke nommé par le département de l'Orne, il refusa. En Angleterre, ilfut poursuivi par des persécutions àcausede ses idées, et il dut se réfugier en Amérique où il mourut, à Philadelphie, en 1804. Ses ouvrages forment la valeur de cent volumes: grammaire, histoire, philosophie. 2. Payne (nous donnerons plus loin quelques détails). 3. Bm<*<tm, jurisconsulte anglais célèbre, soutenait que l'intérêt est le seul mobile de nos actions, et que l'intérêt général devait être le seul principe du législateur. 11 dédia une partie de ses travaux à la France et avait soumis à. l'Assemblée législative divers projets sur l'organisation judiciaire, les impôts et les colonies. Il mourut en 1832. 4. Vt~er/bree, membre de la chambre des Communes, avait demandé, l'un des premiers, l'abolition de It traite des nègres et combattu les projets de ituent contre


Pendant ce temps, la commune ordonne qu'on interdira l'entrée du Temple toutes les personnes nefaila France. 5. Clarkson, avait les mêmes titres que le précédent, dont it partageait les idées et les travaux. 6. ~<teMtt<MA, historien anglais, venait de publier une éclatante réfutation des théories de Burke. Il avait étudié le droit et la médecine. Il fut juge au tribunal de Bombay, membre de la Chambre des communes en 1812; il mouruten i8i2.–7. WtHt<m«(David),ministre protestant, avait vulgarisé à Londres les idées de Rousseau et publié Les lettre. sur la KterM~oMtpM, traduites en français par Brissot. Il se trouvait à Paris en 179i et fréquentait les Girondins. 11 mourut en iSi6. 8. Gorani (comte Joseph), littérateur italien, ami de Beccaria avait fondé le journal La Ce~, où il combattait pour les idées des encyclopédistes. Venu en France en n92, it publia dans le Mot~oo- plusieurs Lettres MM! SemxrtMM. 11 se retira à Genève, où il mourut en 1819. 9. jlMtAarttt Cteo<t. Sa biographie se trouve dans l'ensemble de notre ouvrage. 10. Cempt, célèbre pédagogue allemand; habitait Paris en i789 il envoyait aux journaux allemands des lettres enthousiastes sur la Révolution. 11 est mort en i8t8, laissant 40 volumes écrits pour la jeunesse. tt. Corneille Pato, chanoine allemand, oncle d'Anacharais Clootz sous l'influence de son neveu, se St en Allemagne le propagateur des idées révolutionnaires quand les provinces du Rhin furent réunies à la France, il fut nommé commissaire du gouvernement. Il mourut en 1799. –12. P<t<a<oMf, éducateur suisse, avait fondé une sorte d'école d'agriculture en Argovie où il élevait les enfants pauvres. 11 mourut en 1826. 13. Hamilton, économiste américain, ami et collaborateur de Washingthon dont il était le ministre des finances. Il fut tué en t80i, dans un duel par le colonel Burr, candidat à la présidence de la république, qu'il avait combattu. 14. ifa<MtM<m, ami de Washingthon et de Franklin, undes auteurs de la constitution américaine. Il mourut en 1836. 15. Klopstock. Un des grands poètes de l'Allemagne, il chanta avec enthousiasme les débuts de la Révolution effrayé parles massacres de septembre, il renvoya son titre de citoyen français; mort en 1803. –17. ~etctMta, général polonais ¡ avait été un des quatre étudiants militaires, envoyés par la Pologne en France il suivit Lafayette en Amérique et devint aidede camp de Washingthon. Il combattitpour l'indépendance de son pays et mourut en Suisse en 1817.- 16. W<nAM~<tea, et t8, Schiller, sont trop connus pour avoir besoin d'une notice sommaire. T. IV


sant pas partie de la famille royale on fit sortir Hue, Chamilly, valets dechambre, M"" deLambaHe et M"" de Tourzel, M" Thibault, Bazire, Saint-Brice et Navarre, dames du service.

Désormais la reine n'aura plus de femmes de chambre mais elle"est arrivée au moment où toutes les privations, grandes et petites, lui deviennent faciles. C'est le commencement de cette douloureuse pénitence que Marie-Antoinette endura stoïquement, il faut le reconnaître. Sur le trône, la fille de MarieThérèse avait été altière dans sa prison, il lui resta, de cet orgueil des jours heureux, une dignité qui ne se démentit pas, et elle supporta ses malheurs avec une énergie et une bravoure qui excitent l'admiration de ceux qui lui sont le moins favorables. On lui enlève sa femme de chambre Eh bien, elle se servira elle-même; pour la première fois de sa vie, elle fera son lit; c'est elle qui habillera le Dauphin et elle sera trop heureuse d'avoir, à la fin d'août, le valet de chambre du roi, Cléry, pour la peigner. Pourtant, il n'est pas une heure du jour où elle n'ait à supporter une contrariété ou même une humiliation. Dès le matin, les délégués de la Commune entrent dans sa chambre et, la nuit, elle les voit dans l'antichambre.

Malgré cette garde, elle prête l'oreille aux bruits de la rue, aux cris des colporteurs annonçant les nouvelles contenues dans les journaux qu'ils vendent; c'est ainsi qu'elle apprend les exécutions de La Porte et de Durosoy.

Les ouvriers continuent de creuser le fossé ou d'élever le mur, en affectant de chanter des chansons pa-


triotiques et le Ça ira notamment, qui, on le comprend, impressionnent les prisonniers.

Louis XVI, faisant tranquillement ses trois repas par jour, comme de coutume, s'occupe à dicter, de mémoire, à sa fille, des passages des tragédies de Corneille et de Racine il se met aussi à traduire Horace et Tite-Live.

Tout à coup, le 25, on apprit, à Paris, que la ville de Longwy, investie le 20 par le duc de Brunswick, venait de se rendre, quoique défendue par une garnison de deux mille hommes. La place n'avait pas une brèche, et le canon. ne l'avait pas encore entamée. Mais son commandant Lavergne, royaliste mal déguisé, heureux de fournir cette victoire à ta coalition, eut l'air de subir les sommations des bourgeois épouvantés par les premiers coups de canon, et il livra la ville, après quinze heures d'investissement.

Ce Lavergne était en relations avec l'ennemi, qui osait lui écrire des lettres se terminant ainsi < Je suis chargé de la part du roi et du duc de Brunswick de te déclarer que ton zèle ne restera pas sans récompense*. »

La trahison était manifeste, etI'AssembIée le déclara solennellement; elle se montra même injuste vis'à-vis de malheureux soldats, qui ne pouvaient avoir de responsabilité, n'ayant pas eu de commandement; ces militaires, fatigués d'une longue course, les vêtements <tj R&pport de Guadet à l'Assemblée.


couverts de poussière, sales, les pieds en sang, avaient voulu venir se disculper devant les députés: Ils sont admis à la barrer

Ils donnent des détails navrants sur la position dans laquelle ils se sont trouvés

Nous étions dispersés sur les remparts, ayant à peine un canonnier pour deux pièces notre lâche commandant Lavergne ne se présentant nulle part. nos armes ratant, point de poudre dans les bombes, que pouvions-nous faire?

Mourir répondit-on et on ne les laisse pas continuer on les chasse de la barre, oubliant même de leur donner des secours, qu'ils sont obligés de demander à la charité publique.

Et on décide que la ville de Longwy sera rasée; que ses habitants seront privés de leurs droits de citoyens français pendant dix ans.

Cette défaite redouble l'ardeur et l'énergie de tous. Cambon monte à la tribune de l'Assemblée et s'écrie Tous les citoyens qui ont des armes doivent partir ou les céder. It est temps que les propriétaires aillent défendre eux-mêmes leurs propriétés et, s'ils restent oisifs, il faut leur prendre leur habit d'uniforme et leurs fusils, pour en armer les sans-culottes.

L'Assemblée Nationale décrète d'urgence que tout citoyen qui aura reçu un fusil sera tenu de le remettre, ou de marcher aux frontières.

Les citoyens qui marcheront, s'ils ont un emploi public, le conserveront, avec un tiers de leurs appointements.

On s'occupe aussi du sort des enfants qui perdraient


leur père, combattant pour la liberté. Un citoyen se présente à la barre

Je m'engage, dit-il, à me charger du premier de ces enfants qui, dans mon district, aura perdu son père.

A côté de ces élans magnifiques, se rencontrent des détails puérils ainsi on lance des ballons portant dans leurs nacelles des proclamations aux soldats autrichiens, les engageant à déserter pour venir se joindre aux armées d'un peuple libre en même temps on place, à côté des proclamations, des bouteilles d'eaude-vie et on dirige ces aérostats du côté des camps ennemis t.

Enfin, au milieu de cette fiévreuse agitation, Paris organise une fête en l'honneur des victimes du 10 août le 27, Paris prend le deuil.

Sergent, un des administrateurs de la Commune, dressa le plan de cette solennité. Sergent était un graveur médiocre, mais qui suttrouver un éclair de génie pour manifester la douleur patriotique. J. Chénier composa des chants funèbres, que Gossec mit en musique.

Palloy, l'entrepreneur de démolition de la Bastille, avait été chargé d'élevet' un obélisque dans le jardin des Tuileries mais il exécuta son projet avec tant de mesquinerie que les organisateurs le refusèrent Pt s'adressèrent à Poyet, l'architecte de la ville, qui satisfit le goût des Parisiens pour le pompeux et le genre antique.

De telle sorte que cette fête des révoltés du iO août (t) CArott~M de Paris, 21 &oût 1792.

24.


fut célébrée par l'initiative de quatre conotitutionnets, dont les sentiments modérés étaient connus de tous. Sergent était un Feuillant avéré, Chénier un modéré, Gossec royaliste au fond de t'&me, et Poyet était le même architecte qui, à la velite du 14 juillet, avait mis la Bastille en état de défunte. Tous quatre célébraient la victoire du Peuple sur la Royauté

Sur la place du Carrousel, la guittothie étttt en permanence tes Tuileries étaient fermées, et, sur le bassin des Tuileries s'élevait le monument de Poyet. Le cortège partit de l'HôteL de Ville; à droite et à gauche de la place, on avait tendu un simple ruban tricolore pour contenir la foule. Des cavaliers ouvraient la marche, portant des banderoles sur lesquelles étaient inscrits lès noms des massacres où le sang du peuple avait coûté Nancy, Nimes, Montauban, Avignon, le Champ de Mars.

Des femmes portaient une arche, renfermant ta pétition du Champ de Mars, du 17 juillet d791. Puis venait le sarcophage des citoyens tombés dans la journée du 10 août tout autour du char, traîné lentement par des bœufs, brûlaient des parfums, pendant que les tambours exécutaient un roulement funèbre. Marchaient ensuite les veuves et les orphelins des victimes, en robes blanches avec ceintures noires. Pourtant, malgré cette mise en scène lugubre, cette fête funèbre ne produisit pas l'effet de douleur publique qu'on en attendait, a Dans le cortège, le crêpe était à tous les bras, mais le deuil n'était pas sur tous les visages. Un air de dissipation, et même une joie bruyante, contrastait, d'une manière beaucoup trop


marquée, avec le symbole de la douleur, et en détruisait l'illusion 1. »

Enfin les royalistes se livrèrent à une plaisanterie grossière, qui irrita fort les esprits.

Après la cérémonie, on avait laissé, des deux côtés du bassin des Tuileries, au milieu duquel se dressait !a pyramide funèbre. les statues de la Liberté et de la Loi. Pendant la nuit, on dépouilla de leurs draperies les deux mannequins, les laissant dans leur nudité de squelette; et l'on vittà une insulte à la douleur publique, une provocation.

Danton en profita pour signaler la présence, à Paris, d'un certain nombre de royalistes, et pour demander des perquisitions à domicile, ce qui fut aussitôt accordé.

(t) ~))o<w<tOtM de fat'M. n* 164.


Du 28 août au 2 septembre 1792.

XLIV

ÉLAN ADMIRABLE

Les visites domiciliaires. La justice populaire. On vote pour tes conventtonnels. Départ de M*" de Staët. Incident (Urey-Dupre. L'Assemblée en face de la Commune. Tout pour la patrie.

Par une belle après-midi du mois d'août, on entend battre la générale dans toutes les rues de Paris; c'est le signal des visites domiciliaires à six heures, toutes les boutiques sont closes, pas un seul Parisien dans les rues les barrières sont fermées, les rues sont gardées aux deux extrémités, et les commissaires des sections frappent aux portes, se faisant ouvrir <: au nom de la loi ».

Ce sont les visites domiciliaires qui commencent. Visites mal exécutées par des commissaires ou trop nonchalants, qui s'acquittent de leur fonction pour la forme, ou trop zélés, se donnant à eux-mêmes le plaisir de l'arbitraire qu'ils exercent sans contrôle et sans responsabilité.

Mais on voulait surtout effrayer les royalistes on dépassa le but, car beaucoup allèrent chercher pour la nuit un asile soit dans les cabarets, attablés avec les


buveurs de la dernière classe, ou dans les garnis des filles publiques, et même dans les lits d'hôpital, côte à côte avec les malades

Un royaliste prit cependant la chose plus gaîment signalé aux sectionnaires, il se mit en robe de chambre, et attendit son arrestation en jouant de la flûte. On arrêta ainsi trois mille personnes; on les conduisit d'abord à la Commune où on les interrogea sommairement, et presque toutes furent relâchées on n'en garda pas deux cents en prison.

Parmi les personnes arrêtées se trouvait le vénerable abbé Sicard. le successeur de l'abbé de t'Epée une délégation de sourds-muets vint à la barre présenter une supplique, réclamantle vénérable ecctésiastique, qui fut mis en liberté presque aussitôt. Le peuple se substituait volontiers aux commissaires des sections, et, sur des indications plus ou moins fondées, il se saisissait des suspects. C'est ainsi que fut arrêté un rédacteur du JbttftMt! de la cour et de la ville: un tribunal improvisé le jugea, et, pensant que les articles insérés ne valaient pas une peine qui ne pouvait être que sévère étant prononcée et exécutée, séance tenante, dans la rue, on le relâcha bien plus, un de ceux qui l'avaient poursuivi le conduisit chez un ami, qui voulut récompenser le libérateur, pauvre diable à triste costume, en lui offrant de l'argent celui-ci refusa et demanda un verre d'eau-de-vie pour toute récompense.

La justice du peuple, souvent si sévère dans ses exé(t) S<MN)M<r< de la Terreur, t. H, p. 195.


cutions spontanées, avait souvent de généreux mouvements.

Paris vibrait, plein de fébrilité.

Les sections étaient en permanence les Jacobins discutaient, la Commune siégeait, envoyant ses commissaires jusque dans le, plus petit appartement en même temps, les électeurs, nommés le dimanche précédent, préparaient les élections des députés, qui eurent lieu le 2 septembre.

Les journaux discutent les candidats, et les clubs dissertent sur leurs mérites ou leurs défauts. M"' de Staël, un peu effrayée, songequ'elle à quelque part, ambassadeur en Suède, un mari dont elle porte le nom elle se fait délivrer un passeport et va le rejoindre.

La Commune, autorisée par l'Assemblée à faire ces visites domiciliaires qui avaient tant ému Paris, ne s'en tint pas ta un journaliste girondin, rédacteur du Patriote français, qui avait écrit <( La Commune, ayant arrêté de faire des visites domiciliaires, pour forcer les citoyens à donner leurs fusils ou à marcher, » fut l'objet de la décision suivante <t Le Conseil général arrête que l'éditeur du Patriote /CMtpoMs sera mandé à la barre, demain, à onze heures, pour s'expliquer sur une imposture qu'it a imprimée dans safeuille, sur le compte du Conseil général de la Commune.

« HUGUENIN. »

Girey-Dupré avait commis une double erreur, assurément volontaire, puisque 10 les visites avaient été ordonnées~nonpar la Commune, mais par t'Assemblée,


et 2° la Commune ne voulait nullement forcer les citoyens à donner leur fusil, ce qui revenait à dire que cette dernière désarmait Paris et pouvait causer des troubles néanmoins la Commune commettait un abus de pouvoir, eu appelant à sa barre le journaliste. Girey-Dupré, soutenu par la Gironde, répondit fièrement « Vous m'avez mandé à la barre, je ne m'y rends pas, parce que vous n'avez pas le droit de m'y mander. Si vous vous croyez insultés ou calomniés, il est des tribunaux où je vous attends. t

La question fut portée à l'Assemblée qui annula, comme attentatoire à la liberté individuelle et à la liberté de la presse, le mandat d'amener lancé contre Girey-Dupré. En même temps on décréta qu'Huguenin serait amené à la barre.

Précisément, une députation de la Commune, conduite par Pétion, parut ce fut Tallien qui porta la parole, et d'une voix hautaine

Législateurs, dit-il, les représentants provisoires de la Commune ont été calomniés ils viennent vous demander justice. Appelés par le peuple, dans la nuit du 9 au 10 août, pour sauver la patrie, ils l'ont sauvée. Tout ce que nous avons fait, le peuple l'a sanctionné. Nous avons fait des visites domiciliaires qui les avait ordonnées ? Vous.

Après une intervention de Manuel, l'Assemblée, qui, la veille, avait cassé la Commune tout en déclarant qu'elle avait bien mérité de la patrie, étrange contradiction remettait à plus tard le soin de concilier ces deux décrets contradictoires et, somme toute, la Commune restait victorieuse en face de l'Assemblée pusillanime et agonisante.


Pendant ce temps, la France s'organise pour les luttes de l'intérieur et pour les combats contre l'étranger.

Pour les luttes de l'intérieur, elle nomme cette Convention nationale qui va arriver, dans quelques jours, jeune, ardente, passionnée, attachée à la France jusqu'à la mort, aimant la Patrie jusqu'au sacrifice. 749 députés furent élus, et, parmi eux, 8i hommes de loi, 45 anciens constituants, 147 membres de la dernière assemblée législative, 59 administrateurs des départements, 34 moines; 28 présidents de districts, 14 éveques, 9 vicaires épiscopaux, 7 curés, 26 juges de paix, 5 professeurs, 21 médecins, 10 notaires, 5 marchands, 15 cultivateurs, 2 apothicaires, 1 peintre, 15 hommes de lettres.

Ils vont quitter les départements, tous ces nouveaux députés, animés du désir de rendre la République indestructible et de sauver la patrie, « de faire le peuple ?, de le former, de façonner son cœur et son esprit. Ils quittent leur ville natale, que beaucoup ne reverront plus ils abandonnentleur foyer, leurs aBections les plus chères, les plus légitimes et les plus sacrées et ils partent pour,la capitale, où les attendent les âpres devoirs de la lutte à outrance.

Ils sont presque tous jeunes, portant en eux cette foi ardente qui ne connaît ni les obstacles ni les sacrifices, et qui se donne tout entière aux idées humanitaires. Voilà les hommes que la France s'est choisie pour la sauver.

En attendant, elle songe aux combats qu'il faut livrer contre l'étranger sans perdre une seule journée, une seule heure.


En huit jours, les départements s'organisent et sont sur pied, envoyant à la frontière tours habitants valides l'enthousiasmeest partout le même, du Nord au Midi; on voit partir des légions de volontaires, décidés à vaincre là-bas, sur les frontières, ou à mourir. Toute la France est debout.

Il s'agit de la patrie il n'y a plus ni faiblesse ni défaillance.

Les femmes elles-mêmes, surmontant leurs maternelles terreurs, encouragent leurs fils et leurs fiancés à partir, donnant ce grand exemple de mères et de fiancées, sacrifiant leur amour le plus saint pour cet autre amour de la patrie, plus brûlant, plus impérieux et qui exige de tous le sacrifice et l'abnégation.

Pauvres, riches, jeunes, vieux. hommes, femmes, tout le monde se trouve prêt ce jour-là, dans un même élan de funèbre enthousiasme, dans un admirable transport pour marcher du côté d'où venait le danger. Ce jour-là, la vieille France se montra véritablement elle-même, superbe de foi et d'amour, de solidarité et de dévouement, n'ayant au cœur qu'un même désir pieux et fort celui du sacrifice dans l'intérêt de tous.

D'épouvantables événements vont arrêter, pendant deux jours, ce départ pour la guerre sainte de ~a défense nationale.

Les crimes de septembre vont se commettre.

T. IV.


2 septembre 1792.

XLV

LES MASSACRES DE SEPTEMBRE.

Causes historiques des massacres. Indulgence des tribunaux pour les coupables royalistes Crainte de l'arrivée des armées coalisées. Affolement. Prêtres conduits de l'Hôtel de ville à l'Abbaye. L'abbé Sicard est sauvé. Efforts de Manuel pour faire cesser les massacres. Tribunal improvisé. Intervention bienfaisante de Maillard. Exemples d'humanité. M"' Cazotte sauve son père. La vérité sur M'" de Sombreuil. La vérité sur l'intervention de BillaudVarennes. Aux Carmes. Au Chàtelet. A la Conciergerie. A la Force. Assassinat do M°" de Lamballe. Aux Bernardins. A Saint-Firmin. La Salpêtrière. Bicétre. Les journaux. En province. A Versailles.

Arrêtons-nous aujourd'hui, pour conter un abominable forfait.

Le cœur est brisé au récit de ces atrocités, et un cri de malédiction s'échappe contre les misérables qui s'en sont rendus coupables.

Mais cette réprobation de lâches et odieux assassinats ne doit pas nous faire oublier que ceux qui les commirent furent égarés par le danger et rendus impitoyables par le désespoir l'histoire n'excuse pas ces meurtres, elle les explique, et surtout l'impartialité ordonne, comme un devoir sacré, de laver la mémoire des grands hommes qui furent les tètes de la


Révolution de l'injuste et outrageante accusation qui a été portée contre eux d'avoir préparé, ordonné, ces assassinats. Non, cent fois non, après une étude sévère et minutieuse des documents de cette époque, il n'est pas vrai, comme l'ont écrit si longtemps les royalistes et malheureusement comme l'ont admis, avec une désespérante facilité touchant à la légèreté, certains républicains, il n'est pas vrai que Danton ait pris une part active ou morale à ces sanglantes journées et, quand on criera à Danton « le sang de septembre t'étouiïe » on l'accablera sous une calomnie dont il ne put se relever mais qu'il ne méritait pas. La Gironde, dans sa haine qui surpassera son patriotisme comme il arrive toujours pour les haines politiques, la Gironde ramassera cette accusation et s'en fera une arme avec laquelle elle poussera pour sa part Danton à l'échafaud.

Non, il n'est pas vrai non plus que Robespierre fut pour quelque chose dans ces boucheries de prisonniers assassinés sans défense.

La vérité est que ces massacres furent les suites des excitatiôns de la foule, excitations causées non pas uniquement par Marat l'Ami du peuple reflétait à ce moment l'esprit de la partie violente de la population plutôt qu'il ne le conduisait mais excitations causées par le danger de la patrie, par les souffrances de toutes sortes, par la crainte de voir arriver un moment à l'autre le duc de Brunswick, par la peur ressentie en songeant que les femmes, les vieillards et les enfants laissés pour ainsi dire sans défense, pendant que tous les hommes en état de porter un fusil partaient pour la frontière, ne fussent massacrés par les


royalistes, ces ennemis de l'intérieur, qu'on craignait de voir délivrés par les Prussiens dont on annonçait les victoires et la marche imminente sur Paris. De tous ces sentiments de crainte, de haine et de douleur sortit ce moment de folie sauvage qui poussa quelques centaines de forcenés à l'assassinat, tandis que la stupeur empêcha le plus grand nombre d'arrêter le bras des assassins. La conscience de la plupart ne se révolta même pas. Comme le dit plus tard Danton, ce sont là < des journéee sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gémi », mais nulle puissance humaine n'était dans le cas d'arrêter un tel débordement ? J>

Marat seul avait, à l'avance, approuvé ces monstruosités, y avait excité la foule des enragés mais, nous le répétons; les forcenés qui commirent ces crimes n'avaient nul besoin d'être poussés et, en dehors de Marat, les événements que nous allons raconter ne se seraient pas moins produits.

Ces événements, l'histoire les explique, disions-nous tout à l'heure.

En effet on peut leur assigner trois causes. D'abord la lenteur de quelques-uns et leur faiblesse à punir les aristocrates qui leur étaient déférés, ensuite la terreur de l'étranger enfin l'entraînement qui pousse aux actes extrêmes une foule sous le coup de grands malheurs publics.

Etayons notre pensée par des faits

Dans le public, la haine contre les aristocrates, contre les traîtres, contre les conspirateurs augmente tous ()) Danton, .MmoM-M t«r M vie pWo~,par Robinet,p. )7i.


les jours on ne s'explique pas la lenteur du tribunal criminel à punir les crimes du 10 août. La Haute Cour d'Orléans, loin de juger et c au lieu d'être l'effroi des conspirateurs, semble en être devenue la sauvegarde

Le 30 août, le tribunal criminel de Paris acquitte Montmorin, le gouverneur de Fontainebleau. Ne pas confondre avec Montmorin l'ancien ministre. Lisez les considérants

« Attendu que Montmorin est convaincu d'avoir coopéré au complot qui a amené les crimes commis dans la journée du 10 août

« Qu'il est convaincu d'avoir écrit, de sa main, un projet de conspiration, lequel a été trouvé dans ses papiers

« Mais qu'il n'est pas convaincu de l'avoir fait méchamment et à dessein de nuire. 's. C'était de l'indulgence scandaleuse.

Le tribunal le comprit si bien que le président, malgré l'acquittement, n'osa pas faire mettre l'acquitté en liberté, et il fut reconduit en prison.

La foule s'indigne, le public réclame et Marat conclut que le seul moyen est de < se porter en armes à l'Abbaye, d'en arracher les traîtres, particulièrement les Suisses et leurs complices, et de les passer au fil del'épée*

(1) /ountti d'Mft <~mh<M< p<tK<<f< <a N<~o~<<oH, par Gaston Maugras.

(2) Le Patriote français, de Brissot.

i3) Bulletin du tribunal en«nM! du tO aodt, n* 8.

(4) L'Ami du peuple, 19 août t792.


En entendant le verdict qui absout Montmorin, un spectateur s'écrie en plein tribunal

Vous l'acquittez aujourd'hui dans quinze jours, il nous fera égorger.

Cette peur d'un égorgementpar les royalistes, d'une levée de poignards contre les patriotes est partout on parle couramment d'une conjuration de traîtres qui doivent délivrer les prisonniers, les armer, égorger ensemble les patriotes et ouvrir les portes de Paris aux Prussiens. N'avait-on pas eu la preuve, par le procès de Collost d'Angremont, que Paris était organisé en brigades de conspirateurs, soldés par une caisse noire et obéissant à des chefs de sections t.

Le l"' septembre, un condamné aux galères, attaché au carcan, avait crié à la foule

Vivent les Autrichiens Vivent nos libérateurs! Vive le roi Vive la reine

Condamné à mort, après une nouvelle comparution devant le tribunal, cet homme, Jean Julien, voiturier de Vaugirard, continue ses invectives

Je serai bientôt vengé Les amis du roi seront délivrés de leur captivité le Temple sera forcé, et le roi, joint aux libérés, vous foulera tous aux pieds 2. < Quel est l'homme du peuple qui, dans le mouvement de l'exaltation inspirée par les nouvelles de séjour et l'art terrible que déployait la commune, pouvait se refuser à croire les aveux d'un homme qui allait mourir On crut donc à la conspiration o Onpouvaitd'autantplusyajouterfoi qu'au milieu de (t) Rapport de Bazire, 6 novembre 1792.

(!) Mon Journal, t. 1, p. t78. Fastea de la .a~M<M<iett, p. 346. (3) Histoire parlementaire, XV!T, p. 409.


ces terribles événements Louis XVI conservait, dans sa prison, une impassibilité de nature à faire supposer qu'il comptait sur l'arrivée des Prussiens pour le délivrer, comme avait dit Jean Julien, et massacrer les Parisiens.

Cette prochaine arrivée des Prussiens ne hantait pas seulement l'imagination des hommes du peuple, mais c'était l'opinion même des gouvernants. Un conciliabule est tenu entre les ministres, et on entend Kersaint, qui arrive de l'armée et dit aux hommes du pouvoir

11 est aussi impossible que Brunswik ne soit pas à Paris dans quinze jours, qu'il est impossible que le coin n'entre pas dans la bûche quand on frappe dessus

Les nouvelles sont très alarmantes, dit alors Roland, il faut partir.

Où voulez-vous aller? demanda Danton. A Blois, et il faut que nous emmenions avec nous le trésor et le roi.

Clavière et Servan, ministre delaguerref sont aussi d'avis de partir Danton s'y refuse et c'est à cause de cette obstination que les ministres ne quittèrent pas Paris

Comment le peuple n'aurait-il pas cru au danger de voir Brunswick aux portes de la capitale, quand les ministres le craignaient?

On passe une semaine dans cet état d'esprit arrive le dimanche le tocsin sonne dans Paris, on tire le canon d'alarme et le drapeau noir flotté- l'Hôtel de (t) Histoire parlementaire, XXX, p. 84.

(2) Id., p. 85.


Ville où arrivent les conscrits de la levée en masse ordonnée par la Commune, et toujours ce bruit terrible que les royalistes vont marcher sur Paris et livrer la ville aux Prussiens, trame dans la foule, dans les groupes et dans les rassemblements. Toute la nuit ces faiseurs de discours, ces mouches charbonneuses du coche, qu'on voit toujours aux alentours des assemblées populaires, ont couru de section en section, apportant leurs paroles violentes et propageant les théories de Marat. « H faut aller aux prisons, disent ces donneurs de sanglants conseils si nous laissons vivre les prisonniers, ilsnous égorgeront dans quelquesl jours si nous sommes vaincus, qu'ils succombent avant nous. »

Ces paroles trouvent de l'écho.

Deux sections, celle du Luxembourg et la section Poissonnière votent le massacre

Voici la motion votée par la section Poissonnière « La section, considérant les dangers imminents de la patrie et les manœuvres infernales des prêtres, arrête que tous les prêtres et les personnes suspectes, enfermés dans les prisons de Paris, Orléans et autres, seront mis à mort. »

Le soleil du 2 septembre se leva radieux, un de ces soleils de fin de saison qui semblent mettre tout leur éclat dans les derniers rayons d'été rarement on vit un (i) On n'a trouvé que les procès-verbaux de ces deux sections mais il y en eut plusieurs autres qui votèrent dans le même sens, Une foule de registres des sections sont lacérés à l'endroit des 2 et 3 septembre, ces sections ayant voulu, âpres le massacre, faire disparaître la trace de la part qu'elles y avaient prise. (Guillaume, Ntftotre de la Révolution, t. II,.p. !3'J).Vuillaume raconte ce qu'il a va.


soleil aussi radieux éclairer un drame plus sombre Les groupes se forment sur la place publique. « La France est envahie par une armée disciplinée et près de quatre fois plus nombreuse que celle que nous avons à lui opposer qu'allons-nous devenir ? » se demandent avec anxiété les gens raisonnables. Les aristocrates reçoivent admirablement les ennemis, et des régiments prussiens ont été accueillis en France, drapeau blanc en tête des milliers de soldats sont passés à l'ennemi comme le Royal-Allemand et les hussards de Lauzun. Longwy s'est lâchement rendu Verdun est assiégé et on assure qu'il ne tiendra pas longtemps. Brunswick peut être ici dans quelques heures et le ministère le craint puisqu'il voulait partir tout cela est lamentable, ajoutaient les autres. Il n'y a qu'un moyen de salut, disaient les patriotes, c'est de se jeter, en désespérés, au-devant des ennemis et de les vaincre ou de périr.

Oui, mais pendant que nous serons aux armées, les royalistes délivreront les prisonniers, ils massacreront nos femmes et nos enfants.

Que faire ?

Que devenir?

Telles étaient les conversations qu'on entendait sur les places publiques, pendant que le tocsin sonnait toujours et que l'on tirait le canon d'alarme.

Tout le monde pensait à la violence, mais peu nombreux furent ceux qui y eurent recours. <[ Les massacreurs, en commençant, n'étaient pas cinquante et (4) Dernier tableau de Paris, [t, Peltier.

(2) Iliatoire parlelllentaire, XVII, 332. t3.

*0*


quelques recrues qu'ils fissent, ils n'altèrent jamais qu'à trois ou quatre cents'. »

On commença par tuer à l'Abbaye, où eut lieu le véritable carnage puis les assassins allèrent, le 2, aux Carmes, au Chatelet, à la Conciergerie, le 3 à la Force, aux Bernardins, à Saint-Firmin le 4, ils sortirent de Paris et se rendirent à la Salpêtrière et à Bicêtre. Nous allons suivre ces énergumènes dans les diverses maisons où ils se rendirent armés de sabres, de piques et de haches. Parmi eux, se trouvaient des fédérés marseillais et avignonnais, quelques garçons bouchers, de tout jeunes gens à qui l'expérience de la vie avait manqué et qui n'avaient pas eu encore le temps d'acquérir de la bonté. Au milieu de cette tourbe on rencontre de petits commerçants, horloger, limonadier, charcutier, fruitier, savetier, boulanger, marchand de toile, tailleur, minces négociants que les événements ont ruiné, réduits à la misère ou, ce qui est pis, à la faillite et qui, ayant tout perdu, se vengent sur le premier ennemi qu'ils trouvent, sur ceux à qui ils font remonter la responsatité de leurs désastres. La surexcitation de Paris est extrême.

Tout à coup, vers deux heures de l'après-midi, on voit passer six nacres qui partent de l'Hôtel de Ville, escortés par des fédérés marseillais, et se rendent aux prisons de l'Abbaye, en suivant les quais, le Pont Neuf etla rue Dauphine. Ce sont vingt-quatre prêtres arrêtés pour refus de serment.

La foule s'informe.

Ce sont les conspirateurs qui devaient égorger (1) Michelet, III, 391.


nos femmes et nos enfants, tandis que nous serions à la frontière.

Les portières des voitures sont ouvertes, et la foule qui s'amasse se met à injurier les prisonniers ceuxci veulent fermer les portières, mais on s'y oppose bientôt on passe des injures aux actes, un des prêtres reçoit un coup de sabre sur l'épaule, un autre est blessé à la joue, un autre au-dessous du nez. Les fédérés de l'escorte ne bougent pas et ne repoussent pas cette populace en fureur.

Dans la dernière voiture se trouve un prêtre qui tient une canne tout à coup, surexcité par cette foule hurlante, il se penche hors de la portière et veut frapper un de ceux qui l'ont insulté, celui-ci se retire et se dérobe le coup de canne vient atteindre, sur la tête, un des fédérés de l'escorte'; furieux, celui-ci tire son sabre, monte sur le marchepied et traverse la poitrine de son agresseur; les fédérés se ruent sur le véhicule, et, quand on arrive à l'Abbaye elle ne renferme plus que des cadavres.

Les six voitures entrent dans la grande cour de l'Abbaye où se trouve déjà une foule nombreuse, stationnant devant la salle où le comité de la section des Quatre-Nations tient ses séances.

Le premier fiacre s'arrête un prêtre descend et il tombe aussitôt, égorgé par quelques-uns des forcenés qui ont suivi le cortège un second descend et subit le même sort, de même pour un troisième, un quatrième saute en bas de la voiture et se met à courir autant que la foule le lui permet, du côté de la salle du (i) La Vérité tout entière, par Mélée fils (témoin oculaire).


Comité il est frappé d'un coup de sabre, mais il peut se réfugier derrière le bureau. Les agresseurs, croyant qu'il n'y a plus personne dans la première voiture, se précipitent vers le deuxième fiacre, laissant l'abbé Sicard te successeur de l'abbé de l'Épée -qui s'est blotti dans un coin. Le prêtre s'élance alors de la voiture et se précipite dans la salle, en criant 1 Oh! Messieurs, sauvez un malheureux. Tout d'abord les commissaires le repoussent. Allez-vous-en, lui disent-ils, voulez-vous nous faire massacrer?

Mais l'un d'eux le reconnaît.

Ah t s'écrie-t-il, c'est l'abbé Sicard; entrez, nous vous sauverons, autant que nous pourrons. L'abbé entre avec celui de ses camarades qui, blessé, s'est sauvé; une femme les a vus entrer; elle court lep dénoncer aux égorgeurs qui continuent le massacre et ne laissent pas un seul prêtre vivant.

Leur besogne terminée, les forcenés viennent chercher leurs deux dernières victimes ils frappent rudement à la porte; on leur ouvre.

Les voici ces deux b. que nous cherchons, dit un homme à pique.

On s'empare du premier prisonnier qui s'était échappé et on lui plonge une pique dans la poitrine. On va s'emparer de l'abbé Sicard, quand un homme appelé Monnot, horloger, se précipite –Arrêtez, s'écrie-t-il, en se plaçant courageusement devant lui; c'est l'instituteur des Sourds-Muets 1 Mais au dehors la foule hurle, demandant sa proie l'abbé se montre alors à la croisée.

(t) Relation de <'ftM<f.S<mu-<<.


Chers amis, leur dit-il, je suis innocent! me ferez-vous mourir sans m'avoir entendu ?

Vous étiez, lui crie-t-on, avec les autres que nous venons de tuer, donc vous devez être coupable comme eux.

Ecoutez-moi un instant, chers citoyens, je suis l'abbé Sicard, j'instruis les sourds-muets de naissance; et, comme !e nombre de ces infortunés est plus grand chez les pauvres que chez les riches, je suis plus à vous qu'aux riches.

Il faut sauver l'abbé Sicard! s'écrie-t-on aussitôt i

C'est un homme trop utile pour le faire périr! Non il fait trop de bien pouf avoir le temps d'être conspirateur.

Aussitôt, le prêtre est enlevé, porté au milieu de la foule, qui l'embrasse et veut le reconduire chez lui en triomphe.

L'abbé, que les sourds-muets étaient allés, en délégation, réclamer à l'Assemblée, fut ainsi sauvé. Leségorgeurs continuèrent leur besogne il y avait d'autres prisonniers dans la prison et on alla les chercher pour les mettre à mort.

Maistous les effets des victimes, portefeuilles, mouchoirs, bijoux étaient respectés et apportés sur la table du comité 1, qui délibérait tranquillement pendant cette boucherie.

Tout à coup, un des forcenés, les bras retroussés, armé d'un sabrefumantde sang, entre dans l'enceinte où se tient la séance.

(t) Relation <h l'abbé Sicard.


Je viens vous demander, dit-il, pour nos braves frères d'armes qui égorgent ces aristocrates, les souliers que ceux-ci ont aux pieds. Nos braves frères sont nu-pieds, et ils partent demain pour la frontière. Les délibérants se regardent, et tous à la fois répondent

Rien n'est plus juste! accordé

A cette requête, en succède une autre

Nos braves frères travaillent depuis longtemps dans la cour, vient dire un des assassins; ils sont fatigués, je viens vous demander du vin pour eux. Le comité arrête qu'il leur sera délivré vingt-quatre pots de vin

Quelques minutes après, le même homme vient renouveler la même demande; il obtient un autre bon. Aussitôt entre un marchand de vin, qui se plaint de ce que l'on donne la pratique aux marchands étrangers, quand il y a quelque ((bonne fête. a < On l'apaise en lui permettant d'envoyer aussi de son vin aux braves frères qui travaillent dans la cour', w

II était cinq heures du soir; il y eut un moment de répit.

On appela Cazotte.

Un vieillard d'environ quatre-vingts ans parut; c'était l'auteur du Diable amoureux; un ancien magistrat, très opposé aux idéss révolutionnaires. Au momentoù Cazotte sortait du guichet, une jeune fille éplorée fendit la foule, se précipita sur le vieillard, en s'écriant

()) Relation de l'abbé Sicard.

0 Id.

(3) Id.


Pour arriver jusqu'à mon père, il faut que vous me perciez le cœur.

Le peuple, qui ne prenait pas part à ces exécutions, demanda grâce à la vue de ce spectacle touchant, et la vie fut accordée*.

Danscettejournéeaffreuse,ily y eut quelques hommes qui montrèrent du courage et du cœur parmi ceuxlà le député Dussaulx, et le procureur général de la Commune Manuel; ils vinrent à l'Abbaye; Dussaulx, vieillard énergique mais d'une constitution frêle, eut la voix couverte par les cris; Manuel plus vigoureux harangua la fouie.

Camarades, dit-il, votre ressentiment est juste. Guerre ouverte aux ennemis du bien public; c'est un combat à mort; je sens comme vous qu'il faut qu'ils périssent; mais si vous êtes de bons citoyens, vous devez aimer la justice. Il n'est pas un de vous qui ne frémisse à l'idée affreuse de tremper vos mains dans le sang d'un innocent.

C'est vrai, répond~ou de divers côtés.

Manuel continue.

-Eh bien, je vous le demande, quand vous voulez, sans rien entendre, sans rien examiner, vous jeter comme des tigres, sur des hommes qui sont vos frères, ne vous exposez-vous pas au regret tardif et désespérant d'avoir frappé l'innocent au lieu du coupable 2 ? Manuel fut alors interrompu par un des meurtriers qui tenait à la main son sabre teint de sang. Dites donc, Monsieur le citoyen, dit cet homme, si ces gueux de Prussiens et d'Autrichiens venaient à (t) Jourgniac de Satnt-Méard, Mon agonie <<< trente-huit heures. (2) La Vérité fOMf en<Mretur <M ~'oMm~M de Mp<enthfe, par M6i6e Ois.


Paris, chercheraient-ils aussi les coupables? Ne frapperaient-ils pas à tort et à travers, comme les Suisses du 10 août? Moi je ne suis pas orateur, je n'endors personne, et je vous dis que je suis père de famille, que j'ai une femme et cinq enfants, et que je n'entends pas qu'on les égorge pendant que j'irai à l'ennemi

C'était la crainte générale qui avait exalté Paris et dont cet homme du ~peuple se faisait l'interprète « Nous tuons ceux qui pourraient égorger nos femmes et nos enfants, quand nous serons à la frontière. ? » C'était le combat terrible pour l'existence humaine, la lutte pour la vie dans ce qu'elle a de plus effrayant.

Manuel essaie de continuer; mais à ce moment arrive un arrêté du comité de surveillance il est ainsi conçu

< AM nom du peuple,

« Camarades,

a Ii vous est enjoint de juger tous les prisonniers de l'Abbaye, sans distinction, à l'exception de l'abbé Lenfant, que vous mettrez dans un lieu tûr. « A l'Hôtel de Ville, 2 septembre.

« Paris

« SERGENT,

« Administrateur »

(t) La ~ert<<! tout entière.

(2) Histoire particulière des ~t~teme))~ qui ont ex lieu en France ptttdant tes <~e<< de juin, juillet, <t<Mtt et aeptembre 1792, par Matton de Lavarenne.


Cet arrêté venait justifier la thèse soutenue .par Manuel et il essayait de délivrer l'abbé Lenfant, confesseur du roi et dont le frère faisait partie du comité de surveillance l'abbé ne put être sauvé, mais l'idée de juger les prisonniers fut acceptée.

Idée humaine dans ce moment où les instincts sauvages étaient déchaînés, car si plusieurs victimes furent encore massacrées, du moins ce tribunal, tant sommaire fut-il, sauva quelques prisonniers et les arracha à la mort, sans lui ils auraient été immanquablement massacrés.

Mais comment former un tribunal en un pareil moment ? qui le nommera? Le peuple lui-même, par acclamation.

Le président d'abord.

Maillard, Maillard, crie-t-on de tous côtés. Maillard, l'ancien huissier, le vainqueur de la Bastille, celui qui avait conduit les femmes à Versailles, le 5 octobre n89, était précisément là, facilement visible pour tous, car avec sa haute taille, il dépassait la foule de toute la tète.

II accepta le mandat qu'on lui confiait.

Il fit nommer encore deux juges et douze jurés, qu'il choisit lui-même parmi les petits marchands du voisinage, et voilà le nouveau tribunal qui va fonctionner les prisonniers auront au moins la chance d'être entendus.

Maillard commence par se faire apporter le registre d'écrou, et il appelle chaque prisonnier à son tour. Au milieu de la nuit, le nom des prisonniers, lancé par les guichetiers, retentissait sous les vieilles voûtes, et on les conduisait devant ces juges improvisés, qui


furent moins féroces que ta foule stupide, cruelle et qui égorgeait. elle, sans phrases.

Jusqu'au moment où Maillard a été acclamé président, deux seuls prisonniers ont échappé à la mort l'abbé Sicardet Cazotte; à partir de la constitution du tribunal, il y eut des élargissements en assez grand nombre.

Le prisonnier amené, Maillard l'interrogeait, puis d'un regard il consultait le jury et prononçait la sen- = tence. S'il y avait condamnation, il disait ces trois mots « A la Force » On faisait sortir le malheureux, qui était égorgé. S'il y avait acquittement, on l'annonçait à haute voix et la foule criait Vive la Nation accompagnant avec des cris de joie celuiqu'elle eût égorgé sans pitié un moment auparavant. Quelques-uns même criaient

Chapeau bas devant l'innocent qui passe Et la foule lui livrait passage en se découvrant. L'humanité eut ses instants de triomphe instants trop rares dans ces sombres journées. Un homme entre dans les cachots de l'Abbaye et aperçoit un prisonnier qui avait l'air calme d'un malheureux résigné qui n'espère plus rien ici-bas. Vous paraissez un honnête homme, lui dit-il, que faites-vous ici ?

Je suis soupçonné, mais je suis innocent. Ça se voit je veux vous sauver.

Et il le sauvaen effet, avec l'aide de deux amis ce prisonnier royaliste, qui échappa ainsi à la mort, s'appelait Cahier de Gervitte~.

(t) Weber, Mémoires.

12) CArom~um de Paris, 7 septembre t799.


Un autre aristocrate, Jourgniac de Saint-Méard, ancien officier, est sauvé par sa franchise même. Ayant reconnu parmi lesmassacreurs un provençal, il lui demande à boire celui-ci lui apporte une bouteille

Baqui lou bin qué m'as démandat, beü. Saint-Méard avait déjà bu plus de la moitié de sa bouteille, lorsque le provençal l'arrêta en lui disant Sacrisdi, moun amie, como y bas n'en bouli per you à ta santat.

Et il but le reste.

Avant de le quitter, il ajouta.

Né paudi pas damoura damé tu pu lountens mé rappello té dé cé que té disi. Si ses un caloutin ou bé un counspiratou d'ou castel dé moussu Bétot, sios flambat; me sé né sios pas un trasté, naye pas po té respoundi dé ta bido.

Eh, moun amie, souy bien surt de n'estré pas accusat dé tout aco mé passy per estre un tantinet aristocrato.

Ouay, réqu' aco los jugés saven bé qui a d'ounestes gens per tout. Lou présiden es un homme qué n'es pas un sot

()) Mon agonie de trente heures, par Jourgniaa de Saint-Méard. (2) Voilà le .vin que tu m'as demandé, bois. Sacré Dieu, mon ami, comme tu y vas, j'en veux pour moi, à ta santé. Je ne peux rester plus longtemps avec toi; mais rappelle-toi de ce que je te dis Si tu es un calotin ou un conspirateur du château de M. Veto, tu es flambé mais at tu n'es pas un traltre, n'aies pas peur. je réponds de ta vie. Eh mon ami, je suis bien sûr de n'être pas accusé de tout cela, mais je passe pour être un tant soit peu aristocrate. Quoi ce n'est que cela les juges savent bien qu'il y a d'honnêtes gens partout, et te président n'est pas un sot.


Amené devant le tribunal, Maillard l'avertit que « le moindre mensonge peut le perdre. »

On m'accuse, dit Saint-Méard, d'être un des rédacteurs du Journal de la cour et de la ville; cela n'est pas.

Vous êtes allé à Coblentz, et vous avez fait des recrues pour les émigrés?

C'est une monstrueuse dénonciation.

Et il fournit des certificats, prouvant qu'il n'a pas quitté Paris depuis vingt-cinq mois.

Votre dénonciateur est alors un gueux, dit Maillard s'il était ici, on en ferait justice. Mais que vous reproche-t-on donc?

'Je suis franc royaliste, dit avec crânerie le vieil officier.

Ce n'est pas pour juger les opinions que nous sommes ici, dit Maillard'.

Et Saint-Méard fut acquitté.

A côté de ces exemples d'humanité et de clémence, combien de traits de férocité

Trente-deux suisses et vingt-six gardes du corps, qui avaient tiré sur le peuple dans la journée du 10 août, sont mis à mort. Vigne de Cusay, qui avait aussi tiré sur le peuple au Champ-de-Mars, est exécuté. L'ex-ministre Montmorin, Thierry, le valet de chambre de Louis_XVI, sont massacrés; après eux; des fabricants de faux assignats sont mis à mort 2. On tua ainsi, toute la nuit du 2; le lendemain, on continua l'épouvantable besogne.

(t) Jfon agonie de trente heures, par Stttnt-Mëard.

(2) La V~WM tout entière.


Un homme en cheveux blancs est amené devant le tribunal.

Innocent ou coupable, dit Maillard, je crois qu'it serait indigne du peuple de tremper ses mains dans le sang de ce vieillard

Unejeune 611e, commeavait fait M'~Cazotte, la veine, s'élance, enlace le vieillard et réclame la vie de son père, avec des cris et des larmes.

C'est Mlle de Sombreuil qui vient sauver son père. Ce courage, cette beauté, ces larmes, la pitié déjà manifestée de Maillard font décider l'acquittement, et le vieux royaliste est rendu sain et sauf à sa fille. La joie, l'émotion du danger qu'elle a couru, de celui, plus grand, auquel elle ~ient d'arracher son père font défaillir la jeune fille.

Un des hommes présents, la voyant près de se trouver mal, lui offre un verre d'eau dans lequel il tomba, au moment où il le lui présentait, une goutte du sang que l'égorgeur avait à ses mains

Sur cet incident touchant, les pamphlétaires royalistes ont brodé cette légende tragique, représentant M"" de Sombreuil obligée de boire un verre plein de sang, pour sauver la vie de son père.

C'est là une fable, une invention forgée après coup et malheureusement accueillie, sans preuves, par les historiens de fantaisie et répandue plus tard par d'autres historiens républicains plus consciencieux, mais (1) Le Patriote frànçais.

(2) M"* de Sombreuil racontait eUe-même cette scène telle que nous la donnons. Un témoin qui l'avait entendue de la bouche même de M"'de Sombreuil répéta le fait à Louis Blanc qui, un des premiers, a détruit cette légende à laquelle les esprits impartiaux et sensés ne croient plus aujourd'hui.


qui ont admis le fait comme vrai, par amour du pittoresque.

La vérité, nous l'avons dite.

M"°de Sombreuitia racontait elle-même. Un homme offre un verre d'eau à M'*° de Sombreuil près de s'évanouir, et cet homme, ayant les mains teintes de sang, en laisse tomber une goutte dans le verre; la goutte de sang épais se répand aussitôt dans l'eau et la teinte d'un léger filet rouge.

A côté des trois grandes causes d'excitations que nous avons essayé de résumer plus haut, il y eut des petits côtés et des excitations plus locales ainsi on vit, au cours des massacres de l'Abbaye, deux Anglais portant de longues redingotes qui leur descendaient sur les talons, l'un avecune redingote d'un vert clair tirant sur l'olive, et l'autre d'une couleur foncée tirant sur l'ardoise, tous deux offraient à boire aux massacreurs et les pressaient en leur portant le verre à la bouche.

Eh f. dit un des hommes, laissez-nous tranquilles vous nous avez fait assez boire, nous n'en voulons pas davantage

Quand on eut bien tué, on se mit à exécuter l'ordre de Panis et de Sergent, qui, comme administrateurs de la police, avaient écrit

(t) Nous retrouverons aussi un Anglais au pied de l'échafaud de Louis XVI et c'est lui qui fera passer un mouchoir au bourreau pour le tremper dans le sang du roi huit jours après le mouchoir flottait sur la tour de Londres. Pourquoi ? Est-ce qu'il n'y avait pas en Angleterre un grand parti favorable à la Révolution, et ne fallait-il pas ralentir l'enthousiasme pour les idées révolutionnaires, en exploitant les violences et le côté tragique.


« Vous ferez sur-le-champ enleverde votreprison les corps des personnes qui n'existent plus. Que, dès la pointe du jour, tout soit enlevé et emporté hors de Paris dans des fosses profondes, bien recouvertes de terre. Faites avec de l'eau et du vinaigre laver les en, droits de votre prison qui peuvent être ensanglantés, et sabtez par dessus. Vous serez remboursés de vos frais sur vos états. A la mairie, ce 3 septembre, une heure du matin. P. C. Employez des hommes au fait, tels que les fossoyeurs de l'Hôtel-Dieu, afin de prévenir l'infection'. »

C'est là une mesure de salubrité, prise, après le massacre, par les administrateurs de la police d'une grande cité.

Ce fut à ces charretiers et à ces fossoyeurs que la Commune paya un salaire, ce qui n'était que justice, et c'est de'là que sont partis certains historiens pour oser écrire que la Commune solda les massacreurs pour tuer les prisonniers.

Ce que la Commune paya et ce qu'elle devait payer, ce fut le travail des ouvriers qui, une fois les assassinats commis, enlevèrent les cadavres et lavèrent les cours.

C'est à ces ouvriers, et non pas aux massacreurs, que Billaud-Varennes, délégué de la Commune, dit de ne pas toucher aux objets des morts, de les remettre au conseil, ajoutant qu'on leur remettrait ce qu'on leur avait promis

(t) Les Fastea de la Révolution.

(2) M. Thiers a admis l'erreur (!) des royalistes sur ce point et Michelet l'a reproduite avec complaisance. Louis Blanc a fait justice de cette accusation.


Une étude attentive des relations de ces journées, écrites par des royalistes pourtant, et un examen attentif des comptes de la Commune, ne peuvent laisser dans tout esprit non prévenu le moindre doute à cet égard.

AUX CARMES.

A l'église des Carmes de la rue de Vaugirard, il y avait cent quatre-vingt-six prêtres et trois laïques enfermés le libraire Duplain était du nombre de ces derniers il parvint à s'échapper, en prenant une paire de pistolets et en se faisant passer pour un des égorgeurs'.

Ici. les assassins se trouvent être des « hommes bien vêtus, armés de fusils de chasse, appartenant sans aucun doute aux classes aisées de la société Les meneurs commencèrent à demander aux prêtres s'ils voulaient prêter le serment.

Ils refusèrent bravement, disant

Nous aimons mieux mourir que nous parjurer On les faisait sortir alors, les uns après les autres et souvent deux ensemble et on les tuait à coups de fusils « mais, sur l'observation d'une multitude de femmes qui étaient présentes, que cette manière était (4) Histoire e~a~e et impartiale, t. IV, p. i09 t. II, p. !!49. (!) Louis Blanc, t. VII, p. 9)4.

(S) Histoire générale et impartiale.


trop bruyante, on se servit de sabres et de baïonnettes' s Un des prêtres échappa à la fureur des meurtriers. C'était un vieil ecclésiastique aux cheveux blancs, portant le costume laïque, comme presque tous les prêtres de cette époque. Un des hommes qui prenaient part à la tuerie fut touché par l'aspect de ce vieillard. Prenez mon fusil et suivez-moi, lui dit-il. Le prêtre obéit.

Dans la cour, il dit encore

Criez avec moi Vive la Nation 1

Le prêtre pousse ce cri on le croit de l'expédition, on ne s'occupe pas de lui, et il est sauvé Détail particulier à deux cents pas des Carmes, une compagnie de la garde nationale faisait tranquillement l'exercice ces soldats ne songèrent même pas à se déranger pour défendre les prisonniers des Carmes, et cela leur eût été facile 3, tant l'idée du massacre était acceptée par ceux-là même qui n'y prirent aucune part.

AU CHATELET.

Ici, jusqu'à un certain point, la conscience sent un soulagement, car, s'il y eut de nombreuses exécutions, ce furent celles de prisonniers de droit commun et il (1) Hialoire des hommes de proie, par Roch. Marcandier, ancien zecrétaire de Camille Desmoulins il passa a la contre-révolution quand il écrivait sa brochure, il était devenu royaliste forcené.

(2) Id.

(3) Id.

T. IV. 26


n'y eut pas un seul détenu politique 4 c'étaient des condamnés pour vol, et c'est ce qui prouve bien qu'on égorgeait les prisonniers, non par haine d'opinion, mais par peur de les voir massacrer les femmes et les enfants,tandisqueleshommes valides seraient aux frontières on craignait autant et plus les fureurs des prisonniers de droit commun que celles des insermentés et des aristocrates aussi fut-on sans pitié au Châtelet, et, sur deux cent trente-trois détenus, à peine y en eut-il quarante-quatre d'épargnés; cent quatre-vingt-neuf furent mis à mort.

A LA CONCIERGERIE.

Le peuple commença par relâcher les femmes puis soixante faux monnayeurs qui s'exerçaient à imiter les assignats furent mis à mort.

Lamartine a ramassé dans un pamphlet royaliste de Roch Marcandier l'histoire du prétendu supplice que la foule aurait infligé à une marchande de fleurs surnommée « la belle bouquetière » 3. Il n'est pas possible de reproduire les détails ignobles sur la mutilation qu'on aurait infligée à la victime. H est plus que probable que ce meurtre ne fut pas commis. Quand on consulte le livre d'écrou de la Conciergerie, on ne trouve aucun nom se rapportant à cette fleuriste, et il ne figure pas davantage sur la liste de (1) Histoire parlementaire, t. XVII, p. 415.

(2) Ht<<ot'repa''<t<'M<Mre<<M ~nentett<p.40t.

(3) Michelet avait d'abord rapporté le fait dans les premières éditions de ses livres en prévenant néanmoins, par une note, le lecteur que ce fait n'est pas très sûr Michelet a fini par abandonner sa première réserve, puisque la note a disparu dans les-nouvelles éditions.


Prudhomme. On peut donc considérer cette scène comme une exagération ajoutée par les royalistes, qui n'avaient pourtant pas besoin d'assombrir le tableau pour le rendre repoussant.

A LA FORCE.

Un tribunal s'était constitué dans le genre de celui qui fonctionnait à l'Abbaye, sous la présidence de Maillard.

On avait adopté comme formule d'exécution celle-ci: < Elargissez Monsieur. x Quand ces deux mots étaient prononcés, on conduisait le prisonnier hors de la prison et il était exécuté.

Quand un des détenus était acquitté, on voyait la joie éclater de toutes parts, et on le portait en triomphe en criant Vive la Nation t

La Force contenait un grand nombre de femmes, la plupart retenues pour dettes la Commune envoya des délégués qui les délivrèrent et qui mirent aussi en liberté Mmede Tourzel, gouvernantedu Dauphin,sa fille, trois femmes de chambre de la reine et une domestique de la princesse de Lamballe quant à la princesse elle-même, on la laissa en prison, et cette malheureuse fut suppliciée dans des circonstances atroces que nous aurons à raconter.

Parmi les prisonniers mis à mort à la Force citons de Laschenay, l'organisateur de la défense des Tuileries, au 10 août, etl'abbé de Bardy, accusé d'avoir, de (t) Toutes les narrations du temps sont d'accord sur ce point.


concert avec sa concubine, assassiné et coupé son frère en morceaux

Plusieurs acquittements furent prononcés, notamment celui du frère de l'ancien ministre, Bertrand de Molle ville.

A peine acquitté, il fut empoigné, hissé sur leurs épaules par deux gaillards qui lui firent traverser la foule qui applaudissait en criant Vive la Nation 1 Quand il fut hors de danger, de Molleville offrit aux deux hommes une poignée d'assignats.

Non, dirent-ils en refusant, le bonheur de vous avoir sauvé vaut mieux que ça

Ils insistèrent même pour l'accompagner chez sa belle-sœur où il se rendait, disant

Ça nous fera bien plaisir de vous voir contents l'un et l'autre

L'avocat Matton de la Varenne fut tout aussi heureux, quoique l'aventure ait assez mal commencé pour lui entre deux guichets il entendit un fédéré marseillais s'écrier

Triple nom d'un D. Je ne suis pas venu de cent quatre-vingts lieues pour ne pas f. cent quatrevingts têtes au bout de ma pique

On le conduisit devant le terrible tribunal et, tout en traversant les couloirs, il entendit un des hommes armés de sabres et de haches lui dire en passant (1) Ma fdmffectKMt, par Matton de la Varenne.

(~ Mémoires particuliers de Bertrand de Molleville, t. II, ch. xxtï, p. 216.

(3) Id., p. 217.

(4) Tous les détails de cet tnctdent sont empruntés à une brochure, Ma r~Mrrtctton, publiée par Matton de la Varenne luimême en 1795.


\~a, Monsieur de la peau fine, je vas me régaler d'un verre de ton sang.

Après l'avoir questionné sur ses nom et prénoms, le juge dit à haute voix, tout en examinant le livre d'écrou

Je ne vois absolument rien contre lui. < Alors toutes les figures se déridèrent, et il s'éleva un cri de Vive la Nation 1 qui fut le signal de la délivrance.

Il fut immédiatement enlevé sous les aisselles, on le transporta dans la rue, où il dut prêter serment sur un monceau de cadavres nus, tachés de boue et de sang. Puis on le reconduisit, sous bonne escorte, en fiacre chez lui, et le trajet fut « comme une espèce de pompe, de marche triomphale. Sans cesse j'entendais des cris, des félicitations autour de moi Citoyens, disait l'un, voilà un citoyen qu'on avait enfermé pour avoir trop bien parlé pour la Nation. Voyez ce malheureux, disait un autre ses parents l'avaient fait mettre aux oubliettes pour s'emparer de ses biens. » Matton de la Varenne fut ainsi conduit chez son père, et ceux qui l'avaient accompagné ne voulurent « accepter qu'un simple rafraîchissement. » Nous avons dit qu'à la Force étaient enfermées les prisonnières politiques, les dames de la Reine arrêtées après le 10 août pendant vingt-deux jours elles vécurent mêlées avec les prisonnières pour dettes, les voleuses et les filles publiques. Toutes ces femmes, toutes, furent mises en liberté par les soins de la Commune une seule fut maintenue, la princesse de Lamballe, l'amie intime, la confidente de Marie-Antoinette.

36.


C'est une figure sympathique que celle de cette petite princesse, attachée jusqu'à la mort à la Reine, qui l'aima avecégoïsme,se servant de ce pauvre petit être, abandonné de tous, veuve très jeune et qui se donna à la première personne qui lui témoigna quelque intérêt, quelque affection. Quand la reine avait une mission pénible et difficile à remplir, elle la confiait à la princesse de Lamballe; ce futelle qui fut chargée d'aller apporter de l'argent à M" Lamothe à la Salpétriëre, après ta scandaleuse affaire du collier, argent qui était évidemment le prix du silence qu'on demandait à la condamnée pour éviter de honteuses publications.

Elle fut mal reçue par la Supérieure de la Salpêtrière, qui lui dit brutalement:

Madame de Lamothe est condamnée, mais pas à vous voir'.

L'argent arriva pourtant à destination.

Quand la reine, ramenée de Versailles à Pari? par les femmes, eut besoin d'un salon pour conspirer, pour réunir les députés de l'Assemblée qu'elle espérait corrompre, les journalistes qu'elle lançait en campagne, elle choisit le salon de M°" de Lamballe, qui se trouya ainsi toute désignée pour le jour dey violences et des assassinats.

Nous passons sur les bruits, répandus avec persistance et acceptés par beaucoup, sur les relations trop intimes de la reine et de sa favorite, bruits qui ne furent pas étrangers à l'acharnement qu'on mit à son assassinat. II. Une férocité obscène et féroce se mêlait (1) Michelet, Hr,p.400.


à la haine qu'excitait son nom seul et faisait désirer sa mort' »

On la conduisit devant le tribunal et voici son interrogatoire.

D. Qui êtes-vous?

R. Marie-Louise, princesse de Lavail.

D. Votre qualité ?

R. Surintendante de la maison de la reine. D. Aviez-vous connaissance des complots de la cour au 10 août? 2

R. Je ne sais s'il y avait des complots au 10 août, mais je sais que je n'en avais aucune connaissance. D. Jurez la Liberté, l'Egalité, la haine du roi, de la reine et de la royauté.

R. Je jurerai facilement les deux premiers je ne puis jurer le dernier, il n'est pas dans mon cœur. Un assistant, qui voulait la sauver, comme bon nombre de ceux qui étaient là, lui dit tout bas Jurez donc; si vous ne jurez pas, vous êtes morte. Elle ne répondit plus rien et se dirigea vers le guichet ses yeux tombèrent alors sur un cadavre nu, qu'un des hommes qui étaient là piétinait de ses souliers ferrés. La délicatesse dela femme se révolta: Fi l'horreur, s'écria-t-elle.

On se jeta sur elle l'un lui porta un coup de pique qui l'atteignit au front et fit couler le sang, l'autre lui asséna un coup de bûche derrière la tête et enfin on l'acheva à coup de hache.

Ici les historiens royalistes se sont plu à décrire des scènes abominables de sacrilèges féminins auxquels (1) Michelet.


on se serait livré sur le corps de la princesse mise à nu. Mais toutes ces versions sont contradictoires, écrites par des gens passionnés qui n'y assistaient pas. Michelet, qui accepte cette version, quoique ne reposant sur rien de certain, dit « Les observateurs obscènes se mêlaient aux meurtriers, croyant surprendre sur elle quelque honteux mystère qui confirmât les bruits qui avaient couru.

Tout cela est possible, mais ce n'est pas prouvé, et à quoi bon ajouter des détails répugnants, dont on n'est pas sur, à de si monstrueuses scènes de cannibalisme ? 2

« Il est certain seulement qu'on lui trancha la tête, qu'on la promena dans Paris au bout d'une pique et qu'onalla la porter autour du Temple ? » Les assassins de la princesse, portant leur sanglant trophée, se rendirent au Temple.

« Dans l'idée que Sa Majesté était encore à tabte, ils avaient placé la victime de manière qu'elle ne pût échapper à ses regards ? »

Au dehors, le peuple réclamait que leroi et surtout la reine parussent à la croisée, mais les municipaux de garde s'y opposèrent les prisonniers y allaient cependant, quand le municipal Mennesier se jette sur la fenêtre, tire les rideaux, repousse la reine 3. Le roi demande la raison de tout ceci.

Eh bien, puisque vous voulez le savoir c'est la tête de M"" de Lamballe qu'on veut vous montrer. (1) Bûchez et Roux, Histoire p~H-temottetre, t. XVH, p. 419. (3) Mémoires de Cléry.

(3, M<tf<e-.i)t<<)ttte«e, par de Goncourt.


La reine n'a pas un cri elle demeure debout, pétrifiée, semblable à une statue'.

Pourtant la foule restait toujours, menaçant d'enfoncer les portes du Temple et de promener la tête à travers les appartements, afin que Marie-Antoinette pût voir de plus près. Si elle était entrée, on ne sait pas ce qui aurait pu arriver la vie de la famille royale n'était plus en sécurité. La Commune eut alors l'idée d'attacher un ruban tricolore àtravers la porte d'entrée, et la foule s'arrêta devant cette barrière de soie Le cortège reprit alors sa marche du côté du Palais.Royal on obligea le duc d'Orléans, qui se trouvait avec sa maîtresse, M"" de Buffon, à paraître au balcon. M* de Buffon, épouvantée, s'écria

Grand Dieu, voilà donc comment on portera ma tête

AUX BERNARDINS.

Cette prison ne renfermait que soixante-douze détenus, qui tous avaient été condamnés aux galères pour crimes de droit commun et qui attendaient le départ de la chaîne ils furent tués, dans la journée du 3.

Les cadavres furent jetés à la rue, avec défense d'y toucher.

Un porteur d'eau, qui essaya de dérober une méchante veste, fut exécuté aussitôt.

(1) Récit de la duchesse d'Angouléme.

(2) Révolutions de Part). Journal de Cléry.

(3) Michelet, t. Uf, p. 388.


A SAINT-FIRMIN.

Ici étaient enfermés des prêtres, parmi lesquels de nombreux professeurs du collège de Navarre quatrevingt-douze prêtres furent massacrés.

Geoffroy de Saint-Hilaire, ancien élève du collège, jeune, âgé de vingt ans, montra pour ses maîtres un dévouement admirable 4.

Quand la nuit fut venue, il prit une échelle, escalada les murs, à deux pas des sentinelles, et fit évader douze prisonniers l'un d'eux se blessa en tombant, le jeune homme le transporta dans un chantier voisin et revint continuer jusqu'au jour sa pieuse besogne. A LA SALPÊTRIÊRE.

Des groupes d'égorgeurs se rendirent à l'hospice de la Salpêtrière, où se trouvaient des malades de tout âge et des filles publiques.Ils y vinrent le 3, mais furent repoussés par la garde nationale ils y retournèrent le 4, et, cette fois, ils forcèrent les portes, tuèrent cinq ou six vieilles inoffensives, puis ils mirent à mort trente filles publiques dont « ils jouirent, avant ou après la mort. Et ce ne fut pas assez: ils allèrent aux dortoirs des petites orphelines, en violèrent plusieurs, dit-on, en emmenèrent même pour s'en amuser ailleurs ?

A BICËTRE.

En quittant la Salpétrière, les septembriseurs s" (1) Michelet. t. III, p. 388.

?) Michelet, t. III, p. 4<2.


rendirent à Bicêtre, où le massacre fut plus long, parce que les prisonniers étaient plus nombreux. Il y avait à Bicétre un millier de prisonniers enfermés pour toutes sortes de vices, attaqués,ils se défendirent et on employa le canon pour les réduire. Mais la résistance ne fit qu'exciter la cruauté.

On tua même des petits garçons.

11 y avait là cinquante-cinq enfants mis à la correction par leurs maîtres ou par leurs parents les assassins en immolèrent trente-cinq et les autres ne furent sauvés que parce que des soldats les réclamèrent pour les amener au régiment et en faire des tambours.

Maintenant les prisons sont vides nous sommes au bout de ce sanglant récit il nous reste à compter les morts et les victimes.

Combien de malheureux périrent dans ces tristes journées ? `?

Huit mille, a dit Peltier avec une exagération évidente douze mille ont ajouté d'autres, renchérissant encore.

Si on compte approximativement en suivant, comme nous l'avons fait pour le récit,chaque prison, on arrive à quinze cents qui nous paraît être le chiffre exact. Quinze cents victimes dont beaucoup auraient été épargnées sans nul doute si la Commune, le ministère et t'Assemblée avaient tenté un grand efïort qui ne se produisit pas. La Commune se contenta de mettre en sûreté les femmes détenues à la Force le ministère adressa des lettres à Santerre, quand tout était fini, et


l'Assemblée envoya deux commissaires, dont un ne dit rien et l'autre, le brave Dussaulx, était trop vieux et avait la voix trop cassée pour se faire entendre. Si on jette un coup d'œil sur les journaux de Paris, qui avec une grande sobriété de détails rendirent compte de ces journées, nous n'en trouvons pas un seul pas un depuis le Patriote de Brissot jusqu'à ~MM du peuple de Marat, qui aient une ligne de blâme pour les assassins.

Le Moniteur approuve complètement les Révo.lutions de Paris trouvent que les massacres sont une œuvre de justice.

Les journaux Girondins, comme le Patriote, les Annales Patriotiques, la Chronique de Paris, non seulement n'ont pas un mot de blâme, mais encore emploient aussi le mot de justice. Le Courrier des départements, journal à la dévotion du ministère, appelle cet événement a justice terrible, mais nécessaire, du peuple ».

Marat n'en dit pas d'avantage sur « cette opération malheureusement trop nécessaire'. »

Terminons au plus vite ce chapitre, en relatant les massacres qui eurent lieu en province quelques jours après, comme si le contre-coup de la crise de la capitale s'était tait sentir dans les départements. Ces meur.tres eurent lieu surtout sur la route militaire qui allait de Paris aux frontières. A Reims, huit personnes furent tuées; à Meaux, sept prêtres et six condamnés aux galères furent massacrés à Lyon, on mit onze prisonniers à mort.

(t) ~e«m<t< de htA~H~w, 12 octobre.


Un dernier mot sur les massacres de Versailles. Un corps armé, de deux cents hommes, avait été chargé de ramener à Paris les quarante prévenus de la Haute Cour d'Orléans, pour la plupart des hommes ayant lutté avec ardeur et éclat contre la Révolution il y avait l'ancien ministre Delessart, M. de Brissac, ami personnel de Louis XVI, et amant de la Dubarry, chez laquelle il fut arrêté à Lueiennes.

Quand on connut les massacres de Paris, on décida de faire arrêter les prisonniers à Versailles, et on donna des ordres en conséquence au polonais Lazouski et à l'américain Fournier, les deux chefs de cette expédition. Malheureusement la ville de Versailles, d'ordinaire si paisible, était quelque peu agitée par la présence de six mille volontaires, non armés, non équipés, et attendant d'être dirigés sur la frontière. Ces jeunes gens. non encore disciplinés, désœuvrés, ardents, ayant rènoncé à tout pour le moment, partagaient les haines de Paris, auxquelles venaient s'ajouter tous les ressentiments personnels que les prisonniers pouvaient avoir laissés au temps de leur puissance. Les malheureux arrivent à Versailles le 9 mais, à peine le cortège était-il parvenu à la grille de l'Orangerie qu'une troupe mêlée l'attaque. Un jardinier, que M. de Brissac avait autrefois renvoyé, se précipite sur lui, en criant

Me reconnais-tu?

Et d'une main, il le saisit à la gorge pendant qu'il le frappe de l'autre avec un vase de grès.

D'autres assaillants imitèrent ce jardinier en vain le maire de Versailles fit-il des efforts désespérés pour sauver les accusés de la Haute Cour rien n'y fit, ils T. IV. S'7 i


furent massacrés jusqu'au dernier. Les assassins se rendirent ensuite à la prison de la ville, où ils mirent à mort une douzaine de prisonniers.

Nous avons enfin terminé le récit de ces épouvantaMes journées.

Aucun chapitre de cette histoire ne nous a coûté à écrire autant que celui-ci, et nous avons dû nous y prendre à plusieurs reprises pour achever notre pénible tâche.

Nous n'avons rien voulu cacher et nous avons tout dit avec une entière indépendance de conscience, suivant les assassins de prison en prison, assistant à leurs tueries, comptant, pourainsidire, les coups de hache; combien de fois notre cœur ne s'est il par soulevé d'indignation et de dégoût, en présence de ces barbaries et de ces atrocités nous avons vu du sang, des cadavres et nous nous sommes pris à pleurer sur le sort de tant de malheureux.

Nous sommes de ceux qui maudissent les assassins où qu'ils se trouvent nous maudissons les évoques catholiques, s'écriant au milieu des massacres de toute une ville a Tuez 1 Tuez toujours, Dieu reconnaitra les siens » nous sommes de ceux qui se détournent avec dégoût descharniers de la Samt-Barthétemy, où de misérables fanatiques, conduits par des prétn's et par des moines, frappaient à coups d'épée et de poignards pour la plus grande gloire de Dieu; de même nous nous détournons de ceux qui conduisent et approuvent les massacres dansles prisons de septembre.


Mais nous n'oublions pas que, si Paris laissa commettre ces crimes, c'est que la France avait été mise dans cette situation épouvantable de se voir à deux journées de marche de l'armée coalisée, commandée par ce même duc de Brunswickqui avait signé ce manifeste fameux, menaçant de passer tous les Parisiens au fil de l'épée et de raser la capitale.

Philosophe, nous gémissons sur les crimes de septembre historien, nous restons saisi d'effroi, en songeant qu'à un moment donné, les fautes, les menées, les crimes d'une aristocratie, conduisant l'étranger contre la patrie, peuvent pousser le peuple à laisser commettre de pareils attentats, sans s'y opposer et sans protester.

Ceux-là ne sont pas seulement coupables qui sont les auteurs de pareils crimes ceux qui tes provoquent et les rendent inévitables sont plus coupables encore.


Du 3 au 11 septembre 1792.

XLVI I

LA REDDITION DE VERDUN

Le lendemain des massacres. Paris est calme. Reddition de Verdun. Suicide de Beaurepaire. De l'audace Admirable élan de patriotisme de la France.- Le camp du Champ de Mars.- La candidature de Marat. Sa signification. Tracasseries cruelles contre la famille royale.

Les terribles événements de la veille ne semblent pas avoir modifié l'aspect de la capitale. « Les spectac)es, les restaurants également pleins, n'offraient que nouvellistes tranquilles. Toutes les menaces orgueilleuses des ennemis, nous ne les entendions pas. Jamais te peuplé ne fut intimidé, ni par la fuite du roi, ni par la prise de Verdun, ni par les manifestes de tous les rois de l'Europe. Le peuple continua d'aller paisiblement à l'Opéra. Le rideau se leva exactement à la même heure ? »

Ceci est la constatation d'un journaliste; voici l'impres-ion d'une bourgeoise, vivant paisible dans sa maison et qui connaissait les bruits du dehors par son mari, patriote faisant partie des assemblées populaires et des clubs.

(1) Mercier, Paris pendant la Révolution.


6 septembre. < Le Patriotisme est dans son triomphe les enrôlements, les départs des enrôlés, donnent une nouvette vie à la capitale, et une telle activité au commerce que les marchands doivent redevenir patriotes. La ga!té et la sécurité marchent au bruit du tambour On ne voit que fédérés, on n'entend que musique militaire. Les rues sont remplies de cette' immense population qui fait toujours croire que tout l'univers est dans Paris, et partout on crie à tue-tête Vive la Na'.i~n Nous n'avons pas l'air d'un peuple menacé, ni d'un peuple abattu, mais d'une grande famille qui est en liesse. Si l'on se fait de la capitale une autre idée. on ne connaît pas les Français » Cette constatation est rapportée par une femme instruite, pouvant bien apprécier les événements auxquels elle assiste, mais ne voulant nullement en imposer, puisqu'elle écrit pour des parents, et sans la préoccupation ou t'arriëre-penséede faire imprimer ses lettres, qui n'ont été mises au jour que près de cent ans après. Le journaliste et la femme d'intérieur se rencontrent pour décrire en termes identiques le même état de Paris. a On dirait une grande famille qui est en liesse. ))

Au milieu de ce Paris enfiévré, mais non pas surexcité, le 4 septembre, au soir, on apprit, par une lettre des administrateurs du département de la Meuse au Ministre de la guerre, que la ville de Verdun s'était rendue, l'avant-veille au soir.

Beaurepaire, ancien officier de carabiniers, placé à la tête des volontaires de Maine-et-Loire, comman(t) Journald'une bourgeoise.


dait la place il avait écrit à ses amis de l'Assemblée Na4ionale qu'il ne se rendrait pas et qu'il ne quitterait Verdun que « mort ou victorieux Quand on prononce de ces belles paroles il faut ou les tenir ou tomber sous le ridicule. Beaurepaire tint la sienne. Les soldats qui défendaient la place de Verdun étaient sous les ordres d'officiers restés de cœur attachés à l'ancien ordre des choses aussi comme lenrs camarades de Longwy ils furent tout heureux d'avoir un prétexte pour suivre leur opinion politique, en trahissant leur patrie.

Réunis en conseil de défense, ces officiers décidèrent que Verdun devait être livrée; Beaurepaire protesta

Messieurs, dit-il, j'ai juré de ne me rendre que mort. Survivez à votre honte, je suis Cdèle à mon serment.

Et dans la nuit, il se fit sauter la cervelle.

Beaurepaire était nouvellement marié à une femme jeune et belle qu'il aimait; en se tuant, il fit un doub!e sacrifice, à son honneur et à son bonheur ()) En 1835, on voulut élever une statue à Beaurepaire, à Coulommiers, en Brie, sa ville natale mais l'érection de ce monument aurait nécessairement ramené l'attention vers les jours où Louis-Philippe était le soldat glorieux de la Révolution, l'atde de camp de Dumouriez, ce qui contrariait le monarque aussi e)'AmM-<-t< de changer l'histoire, et fit-il publier que Beaurepaire était mort, non pas suicidé mais assassiné. Cela jeta du trouble dans les esprits et le projet de statue en resta là. Mais cette audacieuse falsification de l'histoire ne fut que momentanée la vérité a été depuis rétablie, et on ne peut pas douter que Beaurepaire ne se soit véritablement suicidé par amour de la patrie et pour ne pas signer une capitulation qu'il considérait comme une tacheté. Voyez une excellente


En apprenant cette nouvelle, qui sonna dans Paris comme un gtas. les patriotes redoublèrent d'énergie, d'activité et d'efforts.

La mort même de Beaurepaire servit de stimulant à ceux qui marchaient à la frontière, et on ajouta à la Marseillaise les deux couplets suivants qu'on chanta tous les soirs, à la sortie des clubs et des théâtres de Paris.

C'est toi, généreux Beaurepaire, Toi, le plus grand de nos soldats, C'est la vertu mâle et guerrière Qui doit nous guider aux combats.. Tout couvert de sang et de gloire, Nous t'entendons, digne héros, Crier, du séjour des tombeaux: La Mort, la Mort ou la V ictoire Aux armes, citoyens.

Nous le jurons, ombre sacrée Des rois qui nous ont outragés La terre sera délivrée,

Et tes mânes seront vengés 1 Si ton rival n'eut dans Utique Qu'un héritier de ses vertus, Chez nous un peuple de Brutus Va s'armer pour la République! Aux armes, citoyens.

Paris ne faiblit pas un seul moment il sait, quand ses morts tombent volontairement, tirer de ses malheurs même des exemples, pour encourager et exciter les vivants.

Danton, à l'Assemblée, dit à la France de ne pas étude, très documentée !e Suicide de JVtCo~H Beaurepaire, par E. Demangeot, Paris, Menu, libraire, 1885.

Beaurepaire a eu sa statue le t4 septembre t88~ La République a réparé l'incroyable injustice de Louis-Philippe.


désespérer et prononce un de ces tnots superbes qu'on lui a quelquefois reprochés, cntesdénaturant.dans les livres contre révolutionnaires, mais qu'on doit admirer, car c'est le cri d'un patriotisme ne voulant connaître ni faiblesse ni abattement.

Le tocsin qui va sonner, dit Danton, n'est pas un signa! d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour lesvaincre, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace; et la France est sauvée

Un camp s'organise au Champ de Mars on s'enrôle, on s'équipe, et on part. Douze commissaires, délégués par l'Assemblée et choisis parmi les députés, viennent tous les jours au camp et prennent part à tous les travaux.

Depuis le 2 septembre, jamais il ne partit de Paris moins de dix-huit cents hommes par jour on recevait plus de volontaires qu'on ne pouvait en équiper; et t'Assemblée fut obligée de rendre un décret pourobtiger les ouvriers de l'imprimerie nationale à rester à leurs ateliers; ils voulaient quitter le composteur pour prendre le fusil

L'Assemblée reçoit des plaintes, comme celle de la vingt-neuvième division de gendarmerie nationale, mécontente de ne pas x encore avoir reçu d'ordres pour voler aux frontières. »

Un cocher de place, Duchernin, admis à la barre de l'Assemblée, annonce qu'il abandonne le pavé de Paris et qu'il part le lendemain pour t'armée avec ses chevaux, qui sont toute sa propriété.

(i) Séance du 2 septembre, compte-r~ndu.

(2) ~OKt~tM-.


Un citoyen, Borie, apporte un fusil tout neuf, et immédiatement un père de famille. qui n'a pu armer à ses frais que deux de ses enfants, vient réclamer cette arme pour son troisième fils qui demande à s'enrôler. Les dons patriotiques continuent avec une merveilleuse générosité de riches propriétaires donnent la moitié de leur fortune les femmes de la halle apportent quatre mille livres.

Une mère, une mercière de la rue Saint-Martin, paraît à la barre de l'Assemblée, tenant une petite fille dans ses bras, et apporte une croix d'or et un dé en argent. L'enfant donne une timbale en argent. Cet exemple touchant arrache ce cri à Michelet « Ah trésor Et comment la France avec cela n'aurait-elle pas vaincu?. Dieu te le rende au ciel, enfant C'est avec ton dé de travail et ta petite pièce d'argent que laFrance va lever des armées, gagner des batailles, briser les rois à Jemmapes »

L'enthousiasme gagnait les femmes elles aussi et les églises étaient transformées en ateliers, où on cousait nuit et jour des uniformes, des sacs et des tentes, les femmes laissèrent même làle fil et la couture, elles s'enrôlèrent Dumouriez en signale deux au camp de Maulde: x Deux jeunes filles, l'une âgée de vingtdeux ans, l'autre de dix-sept, petites, délicates, bien élevées et modestes, suivant les détachements français, lorsqu'ils allaient au combat Elles étaient très braves, avaient autant de pudeur et de vertu que de courage, et les soldats les entouraient d'une amitié pleine de respect »

(t) Dumouriez, JMmou-«, t. II, p. 345~

~7.


Les élections continuaient pour les candidats à la Convention qui n'avaient pas été élus au premier tour descrutin.

Au club des Jacobins où se préparaient ces élections, Chabot monte à la tribune et s'emporte contre « des candidats, ou plutôt contre un seul candidat; je parle de Marat. J'en ai déjà parlé à plusieurs personnps qui ont levé les épaules à ce seul nom. On a reproché à Mârat d'avoir été sanguinaire, d'avoir, par exempte, contribué peut-être au massacre qui vient d'être fait dans tes prisons; mais en cela il était dans le sens de la révolution car il n'était pas naturel, pendant que les plus vaittants patriotes s'en allaientaux frontières, de laisser ici, aux camps. des prisonniers à qui on promettait des armes et la liberté pour nous assassiner. B Les Jacobins applaudissent ce langage de Chabot et les ét~cteurs du deuxième degré nommpnt Marat, qui ne répudie pas sa part de responsabilité dans les massacres'.

Tette est l'opinion de Paris au lendemain du 2 septembre.

Dans une telle atmosphère, la Commune se montrait soupçonneuse à l'excès à l'endroit de Louis XVI. Entendait on H')é. valet de chambre du roi. siffler l'air de Richard, ô mon roi, l'univers t'abandonne, l'on craignait quelque signal donné à des royalistes qui rôdaient autour du château, et on arrêtait le porte-clefs Durocher', on mandait Hué à la barre.

Le moindre propos causait de justes suspicions et"()) Journal du club des Jacobins, n* CCLXI.

(2) Chronique de forx.


on ouvrait une enquête, parce qu'on avait entendu le roi dire à la reine <j'ai vu quarante cinq ce à quoi Marie-Antoinette répondait « Et moi cinquantedeux. s

A partir de ce moment, en interdit au roi d'apprendre l'arithmétique à son fils on craignait qu'il ne lui apprît à parler, en chiffres, un langage secret t. Les princesses ayantterminé des fauteuils en tapisserie, voulurent les envoyer à la duchesse de Serent, mais on s'y opposa, de peur que ces dessins ne représentassent des signes convenus pour correspondre avec le dehors

La reine et M"" Elisabeth quittent alors la tapisserie pour le ravaudage, et ce n'est pas seulement une distraction, mais un besoin le linge est usé et le Dauphin couche dans des draps troués 3. Pendant que le roi est couché, les deux princesses lui raccommodent sa redingote usée aux manches, une redingote couleur-<: des cheveux de la reine ? D

Jusqu'au moment où on vint promener la tête de M" de Lamballe sous les fenêtres du Temple, la famille royale descendait se promener dans l'allée des Marronniers mais la fureur du dehors se traduisait par de cruellês tracasseries an dedans. Quand !a reine passait, les canonniers de garde s'amusaient à danser en rond en chantant le ça ira, « M°*° Veto à la lanterne On crayonnait sur les murs des potences ()) Journal de Cléry, p. 43.

(2) Id.

(3) Dernière, année: de Lottit X VI, par Hue.

(4) Six jours au Temple, par Maille.

(5) Journal de Clèry.


où était suspendue une figure, et au-dessous, ces mots: < Louis prenant unbain d'air. »

Pendant quelques jours, Marie-Antoinette resta sans descendre; mais les enfants avaient besoin d'air, l'admirable mère qu'était ia reine prit le dessus et affronta les quolibets, les rires et les injures, pour que son fils et sa fille pussent respirer l'aise pendant quelques instants.


Du 12 au ?0 septembre 1799.

XLVII

BATAILLE DE VALMY

Intrigues des émigrés. A Valmy. Le duc d'Orléans devient Philippe-Égalité. Vol du garde-meuble. Vols dans la rue. Vols dans les caves. Tentative de conciliation entre Montagnards et Girondins. Acerbité de Marat La fa- mille royale au Temple. Vote de l'Assamblée électorale de Meaux.

Pendant que la France, entraînée par un admirable mou vementd'énergie, d'abnégation et d'enthousiasme, volait aux frontières, les émigrés, à l'abri derrière les régiments de Brunswick, continuaient leurs misérables quereUes, qui n'avaient pointcessé depuis le premier jour de l'émigration.

Le comte de Provence en sûreté à Luxembourg faisait demander aux puissances le titre de Régent du Royaume, titrequ'il sollicitait depuis te commencement de la coalition; la Prusse le lui aurait accordé, mais l'Autriche s'y refusait, et des pourparlers étaient entamés sur ce grave sujet entre Luxembourg et le camp de Brunswick 1.

Du reste on comptait sur une prochaine et éclatante (1) M~MtfWt <ftM tomme <f<(et, t. I, p. 45:.


victoire de l'armée coalisée, dans laquelle on affectait le plus grand mépris pour ces régiments « de déguenillés et de savetiers ».

Toute la semaine, les deux armées se livrèrent quelques combats d'avant-garde sans importance; Dumouriez se porta sur Sainte-Menehould et se fortifia dans un camp demeuré célèbre sous le nom de Camp de la Lune; le 19, il opéra sa jonction avec Beurnonville et Kellerman, dont les troupes occupèrent les hauteurs de Valmy.

L'armée française était forte alors de cinquante-trois mille hommes; elle avait en face d'elle une armée à peu près du double.

Le 20 septembre, à trois heures du matin, les Prussiens et les Autrichiens, commandés par le roi de Prusse, en personne, se déployèrent, espérant couper l'armée française en deux; les positions étaient telles que les Français faisaient face à la France, tandis que les coalisés avaient derrière eux le pays qu'ils se proposaient d'envahir.

Le canon commença à tonner dès le matin; on en tira vingt mille coups, et la journée conserva le nom de journée des canonnades t. La plupart de nos jeunes soldats voyaient le feu pour la première fois, et ils se conduisirent comme de vieux guerriers, attendant l'ennemi de pied ferme; puis, au commandement de Kellerman, les lignes s'ébranlèrentet coururent sur l'ennemi en le chargeant à la baïonnette, poussant les cris mille fois répétés de Vive la Nation.! Vers sept heures du soir, les Prussiens battirent en retraite, laissant les Français maitres du champ de bataille. Kellerman avait eu son cheval tué sous lui


et chaque armée avait perdu un millier de soldats environ.

Cette victoire, peu importante en elle- même, eut des résuttats considérables: c'était te premier combat livré par les engagés volontaires, les conscrits de l'an II et cette heureuse journée donna de la confiance aux recrues, en même temps qu'elle doubla l'ardeur des nouvelles légions qui marchaient à la frontière. La bataille de Valmy fut, en quelque sorte, le don de joyeux avènement offert par les conscrits à la Convention qui tint, le lendemain, sa première séance, et ce fut le premier pas des jeunes armées de la nouvelle République, proclamée le lendemain.

Le jeune duc de Chartres plus tard Louis-Philippe prit part à cette journée, comme officier supérieur.

Pendant que le fils se battait vaillamment, le père, le duc d'Orléans, demandait au Conseil généra) de la Commune un nom plus en conformité que ne t'était le sien avec les principes qu'il professait. La Commune lui choisit le nom d'Égalité, qu'il adopta par la même occasion, le duc débaptisa le Palais Royal, qu'il appela le Jardin de la Révolution. Cette nouvelle de l'abdication de son nom par le duc d'Orléans ne surprit personne en revanche, Paris apprit avec stupéfaction que, dans la nuit du 16 au 17, le garde-meuble avait été enfoncé et qu'une partie des diamants et des bijoux de la couronne avait été volée.


De fausses patrouilles avaient circulé, pendant que les voleurs, très bien armés, enfonçaient les portes et enlevaien' les diamants et les bijoux. –Les auteurs de ce vol audacieux furent arrêtés et montèrent sur t'échnfaud.

Les partis, soupçonneux comme ils le sont toujours dans les moments de crise, de mauvaise foi comme ils le sont, la plupart du temps, quand ils luttent pour obtenir ou conserver le pouvoir, s'accusèrent l'un l'autre d avoir été de connivence dans ce brigandage à main armée. Mais l'histoire, dépouillée de toutes ces vilaines passions et de ces outrageants parti-pris, doit venger les uns et les autres de ces soupçons injustes Girondins et Montagnards étaient heureusement purs de toute participation à cette criminelle expédition.

Les voleursavaient, du reste, à la faveur des troubles publics, pris une audace inouïe. Des ma)faitnurs arrêtaient en plein jour les citoyens, les contraignant à leur donner leurs bourses et leurs bijoux, sous prétexte de les offrir à la Patrie.

Comme la police était un peu lente à agir pour réprimer ces brigandages, plusieurs citoyens se firent justice eux-mêmes, et trois voleurs eurent la tête coupée par le peuple une femme, à qui on voulait arracher ses boucles d'oreille, sur le Pont-Neuf, tua son agresseur d'un coup de couteau.

Au Carrousel, on envahit les caves des maisons en démolition, par suite du siège des Tuileries du 10 août, et plusieurs &'enivrèrentdans les caves quelques-uns emportèrent des bouteilles de vin cacheté. excités du reste par des hommes bien vêtus, qui achetaient ces


bouteilles jusqu'à cinq livres, bien au delà de leur valeur'.

Ces désordres furent enfin réprimés, et les hommes politiques purent songer à l'ouverture de la Convention Nationale, qui allait avoir lieu le lendemain. Comprenant le tort que faisaient aux idées les divisions intestines, Girondins et Montagnards essayèrent de se réconcilier; des réunions eurent lieu à ce sujet. Pétion était à la tête des Girondins et Robespierre conduisait les Montagnards de sages résolutions furent proposées. On devait abandonner ces accusations réciproques, aussi iiijustesque dangereuses, cesser de se rejeter mutuellement la responsabilité des massacres de septembre, voter une constitution et s'appliquer à rendre la France libre, après avoir prononcé sur le sort de Louis XVI.

C'était le langage de la raison.

Mais la raison guide rarement les hommes politiques. quand leur amour-propre est en jeu on ne put pas s'entendre, et on se sépara sans avoir pris aucune résolution.

Marat jetait toujours de t'huite sur le feu et, dans son dernier numéro de l'Ami du Peuple, qui va être remplacé par!e JoMfMCt! de la ~pMbttgMe/~otMcaMe, le nouveau conventicnnel se plaint de la faiblesse de Pétion. ~) qui il dit « Quelques sages, surpris de vous voir si bien frisé dans ces temps d'alarmes, me prient de vous faire souvenir du prix du temps, surtout pour un premier magistrat municipal dont tous les moments appartiennent au peuple. » Marat continue en (i) Lettre de Pétion a t'Assemblée nationale.


lui reprochant ses liaisons dangereuses avec les Girondins.

C'est au milieu de cette agitation et de ces discussions des partis que fut prononce par tej')ge de paix le premier divorce entre <: )e sieur Bouchez, tailleur, et la demoiselle Cécile-Hélène Caux, son épouse, sur le motif que leurs humeurs etcaractèresn'ëtaient pas compatibles' ». Tous ces événements et ces incidents ne faisaient pas oublier au peuple les prisonniers du Temple des détachements de Marseillais et de fédérés se rendaient en plein midi, sous les croisées de la prison pour chanter des chansons contre la reine Les ouvriers qui se trouvaient dans le jardin se vantaient tout haut d'abattre, avec leur outil, la tête de la reine

Quand la reine, obsédée de tous ces cris, remonte dans sa chambre, on la poursuit avec la chanson très à la mode

Madame à sa tour monte,

Ne sait quand descendra

Mais la malheureuse femme n'est même pas à l'abri de ces violences dans la tour; sur les murs, des inscriptions sont fraichement crayonnées au charbon, et on y lit « Madame Veto la dansera e (i) Chronique de fartt.

J:2) M..

(3) Récit de Madame.

(4) Fraf«t<t At<<<Mt~«M sur la captivité de la famille royale à la tourdu Temple, recueillis par M. de Clery.

(5) /M<)-)M< de CMry.


Ces brutalités ne sont que l'écho des sentiments d'animosité et de haine, bien compréhensibles éclatant au dehors, et que traduisait un vote de l'assémblée électorale de Meaux, portant « qu'il ~era fondu une pièce de canon du calibre de la tête de Louis XVI, afin qu'en cas d'invasion, on puisse envoyer à l'ennemi la tète de ce traître 1 ».

(1) m<<Mr<p<t<<me)t(<K;-<, XVH, 45t.


XLVI11

L'ŒUVRE DE LA LÉGISLATIVE

De l'oeuvre de la Législative il y a peu à dire, peu de résuttats obtenue à enregistrer.

Cette assemblée avait tout ce qui peut former les Parlements illustres du talent, du désintéressement, de la probité, un désir évident de bien faire et de )a conviction dans les idées de liberté; mais il lui manquait la volonté d'agir, la fermeté bien trempée, la promptitude de décision, quaiités sans lesquelles on ne peut gouverner.

Monarchique, la Législative l'était dans sa presque totaHté.

Sa première démarche le prouve tei" octobre 1*?91, elle commence par une visite au roi, visite prévue par la Constitution; à peine installée, son bureau se rend auprès de Louis XVI qui, maladroit comme toujours, fait dire qu'il ne peut recevoir. Le devoir de politesse était rempli, les députés auraient pu en rester là et se contenter de cette impertinence royale; ils n'en firent rien; le tendemain, sans que rien les y obtigeât cette fois, ils retournèrent auprès du monarque qui fut bref, lourd, bourru, cassant, et qui les congédia en deux phrases.

A ce moment, si la Royauté avait vo'))u, même après Varennes respecter la Constitution, accepter


le fait accompli, elle aurait pu encore se sauver une majorité très forte n'eut pas mieux ~demandé que de l'y aider. Mais les royalistes voulurent quand même avoir raison de la Révolution c'est ce qui les perdit. La cour remplit les clubs de motionnaires soldés, la rue d'espions, les sections de faux patriotes; tous les matins et tous les soirs, les petits vendeurs de journaux parcouraient tes rues de Paris, criant ces nombreuses gazettes encore humides de l'encre d'imprimerie, soudoyées par lé roi, et daits tesquette.3 des écrivains pleins d'esprit, d'insolence et de maladresse, pointaient t'épigramme, attaquaient les patriotes avec une audace inouïe, soutenaient la Royauté, un peu comme la corde soutient te pendu.

Un moment, la Cour essaie de se contraindre et fait semblant d'embrasser le seul parti raisonnable, ~etui qu'elle aurait dù prendre avec loyauté., si elle avaitété bien conseillée et si elle avait compris ses vrais intérêts elle fait semblant de !?e rallier franchement & ta Constitution elle appelle un ministère patriote à la tête duquel elle place RoDand. Ce bon et habile mouvement n'est pas de longue durée au bout de deux mois et demi de cet essai, Rolland est congédié, et on eu revient aux habiletés éventées, aux roueries percées à jour à ce jeu dangereux de duplicité et de mensonges, qui devait aboutir au 10 aoùt, après avoir causé le 20 juin.

Dans l'Assemblée législative, en dépit du baiser Lamourette, du 7 juillet, se dessine la division entre modérés et avancés, entre Girondins et Montagnards, division devant séparer, dès le début de la Convention, les républicains en deux, et elle trace les lignes de ce


large fossé qui, creusé plus tard, devait servir de tombeau à la Liberté et à la République.

Les groupes se modèlent déjà. bien tranchés, avec Brissot, Isnard, Guadet, Vergniaud, Gensonné marchant au premier rang des modérés, avec Bazire, Chabot à la tète des avancés; ce sont les Girondins et les Montagnards, comme on les appellera demain, qui se trouvent face à face. Entre les deux partis se placèrent ceux qui avaient des idées mal établies et des aspirations non encore bien fixées, comme Fauchet et Rœderer, et qui oscillaient tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, ne satisfaisant personne, mécontentant tout le monde.

Cette division se manifesta surtout quand vint en discussion la grave question de la déclaration de guerre.

La guerre, le roi et la Gironde la voulaient; la Montagne, où se reflétaient les idées des Jacobins et de Robespierre, la repoussait avec énergie. Chacun avait ses motifs Le roi désirait disposer d'une force armée considérable, non pour lutter sérieusement contre l'Autriche et la Prusse, puissances avec lesquelles il entretenait une correspondance secrète des plus amicales, mais afin d'avoir prêts, àun moment donné, des régiments obéissants et dont il pourrait se servir pour détruire t'œuvre de la Révolution et rétablir son ancien, pouvoir. La Gironde poussait le pays à la guerre, afin de dompter les nattons voisines, elle ne douta pas un seul instant de la victoire pour que


la nouvelle Constitution imposât le respect de la force au dehors et devint indestructible au dedans, en réduisant au silence ses adversaires qui n'oseraient pas combattre un gouvernement victorieux des armées étrangères. Les Jacobins, au contraire, se refusaient à déclarer la guerre, parce qu'ils y voyaient un danger pour la liberté, quelle que fût l'issue des combats. Si nos soldats étaient vainqueurs, le roi profitait de leur gloire et pouvait retrouver une popularité dans le succès de nos armées; s'ils étaient vaincus, c'était le prestige de la Constitution qui disparaissait; enfin une guerre leur semblait un danger intérieur, car elle mettait la force armée entre les mains du ministère, et le roi nommait seul ses ministres; d'où la possibilité d'un coup de force dont les Jacobins redoutaient Féventualité.

La guerre fut déclarée, et les événements ne permirent pas aux craintes des uns, ni aux espoirs des autres, de se réaliser.

Dès ses premières séances, la Législative, tout infiltrée d'idées de royauté constitutionnelle, se trouva en présence de deux dangers qui menaçaient à la fois la sécurité de la France et le succès de la Révolution les prêtres et les émigrés.

Au commencement de novembre 1791, elle vote un décret contre les émigrés; et, le même mois, un autre contre les prêtres insermentés; le roi oppose son veto aux deux iës députés ne se cabrent pas, ils attendent. Au mois de mai 1792, nouveau décret contre les prêtres, nouvettes difCcuttés. Le peuple se lasse de tout ces atermoiements qui aboutissent au renvoi de Rolland et de ses collègues, et le 30 juin est fait. C'est


alors que Lafayette, irrité contre peuple, mécontent des députés, les régente d'abord, les menace ensuite, et va jusqu'à quitter son armée pour venir, caparaçonné de feuillantisme et d'orgueil, les admonester à la barre, en faisant sonner les éperons de ses bottes et son sabre de commandement. L'Assemblée passe par-dessus tout et innocente Lafayette, qu'elle ne mettra'en accusation que beaucoup plus tard, sur l'injonction des sociétés populaires et des clubs; ce vote, qui renvoyait indemne le général, provoqua un déchaînement d'impopularité et, à la sortie de la salle, on poursuivit les députés dans les carrefours, en les huant avec des quolibets et des sifflets.

La rue fut pourtant à peu près calme durant la Législative et, à part les deux explosions de colère du 20 juin et du 10 août, quand l'ordre fut troubté à Paris ou en province, ce fut par suite de la disette, de la famine menaçante et de la misère si du,re aux malheureux qui, habilement poussés du reste par les soudoyés royalistes, se révoltaient de temps à autre réclamant la liberté pour le lendemain et du pain pour le présent.

Quand Pétion, maire de Paris, fut suspendu de ses fonctions et que le roi eut demandé à l'Assemblée de se prononcer, elle n'osa ni btàmer, ni approuver timidement elle passa a l'ordre du jour.

A un moment donné, au iOaoût. la Législative, qui n'avait jamais été bien énergique, faiblit encore alors Danton se remue, agite les esprits, soulève les


patriotes dans les clubs échauffés, et les Tuileries sont prises d'assaut. La Royauté vaincue vient abriter sa faiblesse au milieu de cette assemblée pusillanime. Le manque d'énergie et d'initiative augmenta encore, et dans tous les cas fut mis en relief durant les massacres de septembre si les députés avaient su vouloir, ces épouvantables malheurs auraient pu être évités.

Si la Législative fût résolument descendue <ur la place publique, si des groupes de représentants du peuple, ornés de leurs insignes, étaient allés M placer, décidés, aux portes des prisons, nul doute que la poignée de misérables qui, éparpillée dans les vieux quartiers, dirigeait les assassinats eût été maîtrisée; mais l'Assemblée ne sut pas et ne voulut, du reste, pas prendre cette (1ère attitude qui pouvait tout sauver elle continua à délibérer tranquillement, protestant quand tout était fini, quand les crimes étaient consommés, croyant, mais en vain, échapper à sa part de responsabilité et non pas des moins grandes, responsabilité assumée du reste par la ville de Paris tout entière, qui laissa faire, par une sorte de consentement tacite, ce qu'en somme il eût été très facile d'éviter. L'Assemblée eut le pouvoir, elle ne l'exerça pas. Un jour, un prêtre, l'évoque Tôt né. monte à la tribune et propose à ses collègues de se montrer dignes de leur rôle, de s'emparer véritablement du gouvernement, de s'emparer de la dictature; cette fois encore, la Législative ne put, ne sut, ou n'osa pas profiter de l'occasion, elle manqua de vigueur et passa à l'ordre du jour, suivant son habitude dans les circonstances graves.

T. IV. 28


Le véritable pouvoir résidait aux Jacobins, où on discutait avec passion, où on votait des motions vigoureuses que l'on imposait quelquefois à t'Assemblée quand cela arrivait, la Législative n'en avait pas le bénéfice, car elle ne faisait que sanctionner, au vu et au su de la France entière, une idée ne lui appartenant pas, qui était née ailleurs et dont elle ne gardait ni les honneurs ni les profits.

De même qu'elle se laissait parfois guider par les Jacobins, de même la Législative plia en présence de la Commune devant laquelle elle s'effaça après le 10 août, en attendant la Convention qu'elle avait créée pour faire face aux événements nouveaux. A partir de ce jour, l'Assemblée mourut moralement, et son agonie lente, silencieuse, pénibte. se termina par une abdication de forme un peu puérile, quand son bureau, le 21 septembre, alla s'humitier, par une sorte de démarche, devant la Convention qui se réunissait à peine.

La Législative expira après un discours bien contrit de son dernier président, François deNeufchâteau, avocat disert, poète aimabJe, philosophe sentimental incarnant bien cette assemblée qu'il présida le dernier, ayant hâte de disparaitre comme elle et refusant de se laisser nommer à la Convention. refusant même le ministère de ta justice où it avait été étu.

Un seul sentiment grand, fort, élevé, anima sans cesse la Législative et ne la quitta jamais, c'est son pro<


fond attachement, son amour toujours en éveil pour la patrie.

Les orales s'amoncelèrent, les coa)isés marcheront aux frontières, les dangers extérieurs enserrèrent la France d'une gigantesque ceinture de baïonnettes, les députés trouvèrent alors une ardeur qu'on ne leur connaissait pas; redressés, ils donnèrent du courage à la Nation proclamant la patrie en danger, jurant de sauver la France, tout en organisant la victoire du lendemain.

A son dernier jour, ces efforts sont couronnés de succès et la Le~istative lève sa dernière séance au moment où Paris apprend le succès de la bataille de Valmy, qui jette comme une auréute sur la fin de l'Assemblée, qui se disperse au milieu des cris de victoire de nos jeunes conscrits, aux clapotements des drapeaux frissonnants devant ~e:-que~s les ennemis battent en retraite, tandis que nos tambours battent aux champs et que les cuivres de nos bataillons claironnent des airs vainqueurs.


2< septembre t792.

XLIX

LA HÉPUBLIQUE PROCLAMÉE

La Convention dans son ensemble. Montagnards et Girondins. Les députes de Paris. Trois étrangers élus. Première séance privée dans les salons des Tuileries. Bureau. Girondin. Dernière séance de ta Législatite. Première séance publique de la Convention. Collot d'Herbois et Grégoire proposent l'abolition de la royauté. Vote unanime. Les ministres jurent Cdéiité i la République. Enthousiasme général.

Tandis que les fiers conscrits de 1792 remportaient la bataille de Valmy, ce même jour, 20 septembre, les sept cent quarante députés formant la Convention nationale se réunissaient aux Tuileries dans une séance préparatoire.

Des le premier jour., on vit nettement deux courants se dessiner: l'influence de Paris d'un côté. celle de la Gironde de l'autre.

Paris avait nommé des hommes d'énergie, d'action et d'opinions tranchées ses deux premiers députés étaient bien dignes de représenter ta glorieusecapitale ce furent Danton et Robespierre, dont la double nomination fut accueillie par les applaudissements des Jacobins. Après eux, étaient sortis du scrutin: Camille Desmoulins, un des plus grands écrivains qu'ait


possédés la France; David, le peintre célèbre; Fabre d'Eglantine, dont les comédies peuvent tenir un rang honorable après celles de Molière et de Regnard; le boucher Legendre, l'avocat Panis, l'artiste Sergent, Billaud-Varennes, le procureur syndic de la Commune Manuel, le comédien Collot-d'Herbois, Robespierre jeune et Philippe-Egalité puis venaient trois journalistes Marat, Fréron et Robert.

A ce groupe d'hommes, tous célèbres par le talent ou Faction, la province joignit Philippe le Bas, député d'Arras Joseph Lebon, ancien curé de Neuville, député du Pas-de-Calais Aurillac avait envoyé Carrier, dont le proconsulat de Nantes devait conserver si misérablement la mémoire citons au passage: Couthon, l'abbé Grégoire, Lepelletier de Saint-Fargeau, et enfin un jeune homme, Léon de Saint-Just qui, malgré les protestations du président de sa section électorale, avait été élu avant d'avoir atteint sa majorité électorale il n'avait que vingt-quatre ans. En face, la Gironde est forte par ses orateurs à la parole élégante, ardente et passionnée, mise au service d'idées modérées, défendues avec une conviction sincère et un zèle poussé jusqu'à l'abnégation. Voici Vergniaud, Condorcet, Guadet, Brissot, Gensonné, Lasource, Isnard, Lanjuinais, Buzot, Rabaud SaintEtienne et Barbaroux, qui avait continuellement dans les yeux et dans la voix les pétillements du soleil du Midi.

Dans un groupe a part, non encore enrégimentés, on doit signaler le grand chimiste Fourcroy, le poète Chénier, le jurisconsulte Merlin de Douai, Cambacérès.

te futur prince de l'Empire; l'abbé Sieyès, Romme et


le comte Barras, élu par le département du Var. Trois savants étrangers, à qui la Législative avait accordé le titre de citoyen français, furent élus: Anacharsis Clootz, par l'Oise, Thomas Paine, par le Pasde-Calais. et Priestley, par l'Orne. Ce dernier seul refusa, alléguant qu'il ne connaissait pas la langue française.

Tous ces hommes réunis dans une même assemblée, où ils allaient s'immortaliser à des titres divers, ne parvenaient pourtant pas à satisfaire les patriotes avancés, et, le lendemain de l'élection, Prudhomme écrivait < Jamais nous n'avons eu un plus grand besoin d'hommes au-dessus des événements, et jamais une disette n'en a été plus grande'. B

Le jeudi 20 septembre, les nouveaux députés se réunissent en séance privée dans les salons des Tuileries. La Gironde enlève le bureau sans difficulté. Pétion est nommé présiient, avec Condorcet, Brissot, Guadet, Vergniaud, Rabaut Saint-Etienne, Camus et Lasource, comme membres

En même temps, l'Assemblée législative tenait sa dernièreséance dans la grande salle du Manège, sous la présidence de François de Neufchateau, e< elle décidait de se rendre tout entière au près de la Convention, pour « l'assurer de son profond respect et de sa soumission à ses décrets *').

Le lendemain, vendredi 21, la Convention entre en séance publique au Manège.

Manuel monte le premier à la tribune et propose (i) L<< R<iM)!M<t<m< de Paris, n« tM.

(t) BM<'))fe~ar!eatm<<ttre, XVIII.

<3) N<Mtt<<mf.


que a te Président de t'Assemblée soit logéaux Tuileries et que « toutes les fois qu'il ouvrira la séance, tous les citoyens se lèvent. »

Cette proposition est fort mal accueillie. < Hors de cette salle, s'écrie Tallien, le Président est simple citoyen. Si on veut lui parler, on ira le chercher au troisième ou au cinquième étage; c'est là que loge la vertu. a

A l'unanimité, la motion de Manuel est rejetée. Après cette escarmouche, Couthon, touten boitant, arrive à la tribune.

-J'ai entendu parler, dit-il, non sans horreur, de .la création d'un triumvirut, d'une dictature, d'un protectorat. Ces bruits sont, sans doute, un moyen de trouble imaginé par les ennemis de la Révolution mais quelques absurdes qu i)s soient, il est du devoir de la Convention de rassurer le peupte. Eh bien jurons tous la souveraineté du peuple; vouons une exécration égate à la royauté, la dictature, au triumvirat. Dans le même esprit, Bazire fait passer une motion générale, ainsi conçue:

« La Convention nationale déclare qu'il ne peut y avoir de Constitution que lorsqu'elle est acceptée par le peuple. »..

Ceci n'est que le préambule Collot d'Herbois va prononcer les paroles qui sont au fond de toutés les pensées.

Voici le jeune député parisien qui demande la parole, et, avec une magnifique prestance, apparaît à la tribune, la tête rejetée en arrière; sa voix sonore, scandant et découpant, comme à l'emporte-pièce, chacune de ses phrases


Vous venez de prendre une délibération sage, dit-il;.m ais'il en est une que vous ne pouvez différer un seul instant, sans être intidële au vœu de la nation c'est l'abolition de la royauté.

A ces derniers mots, les tribunes elles députés éclatent en applaudissements.

En vain Quinette essaie, en quelques paroles timides, d'obtenir le rejet de cette proposition; Grégoire la reprend, demandant que a par une loi solennelle, on consacre l'abolition de la royauté o.

L'Assembtée entière se lève dans un même mouvement d'acclamation.

Bazire voudrait au moins que « la question soit discutée, etnonacceptéedansunmomentd'enthousiasme. a Et qu'est-il besoin de discuter, quand tout le monde est d'accord ? riposte Grégoire. Les rois sont dans l'ordre moral ce que les monstres sont dans l'ordre physique; les cours sont l'atelier des crimes et la tanière des tyrans; l'histoire des rois est le martyrologe des nations. Dès que nous sommes tous également pénétrés de cette vérité, qu'est-il besoin de discuter? La Convention n'en veut pas entendre davantage, et, à l'unanimité, elle adopte le décret suivant a La Convention nationale décrète que la royauté est abolie en France. t

· Pendant un quart d'heure, les acclamations et les cris de Vive la Nation s'entrecroisèrent les tribunes, debout, applaudissaient, pendant que les Conventionnels étaient en proie à une sainte émotion patriotique. A quatre heures et demie, la séance fut levée (t) Dans te compte-rendu que donne le Jf<m«<«ron a oubUé


A la séance du soir, les ministres se présentèrent & la barre: Monge, ministre de la marine, prit ta parole en leur nom, et jura fidélité à la République. Diverses députations dénièrent ensuite, venant féliciter la Convention.

Paris, les départements et l'armée accueillirent avec enthousiasme la proclamation de la République « La nation, soulagée du poids du trône, crut respirer, pour la première fois, l'air libre et vital qui devait la régénérer ? »

de donner le texte du décret rendu par la Convention et qui est ainsi conçu

« La Convention nationale décrëte que tous les actes publics seront désormais datés de l'an I" de la République /f<tttj'<KM. Le sceau de l'Etat portera un faisceau surmonté du bonnet de la Liberté avec ces mots en exergue La République Française (Archives Nat.).

(il Z.)marit)M.


X'!6eptembrel7M.

L

LE PREMIER JOUR DE LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE

Nous voici au 22 septembre 1792 je voudrais rendre l'atmosphère de ces premières heures grisantes de la Révolution et vivre avec vous tout une journée la vie intime d'un Parisien de ce temps là.

Donc, le catendrier marque le 22 septembre 1792, samedi, jour de saint Maurice.

La veille, sur la proposition de Billaud-Varennes et de Grégoire, la Convention nationale a, par son premier vote, aboli la royauté, vers trois heures de l'après-midi.

Le soir, le décret, transmis aux quarante-huit sections, est lu à haute voix dans les rues et sur les places de Paris, qui a ittumiué; on a dansé dans les carrefours, et une farandole de Méridionaux est allée, en dansant, sous les croisées du Temple, proférant, contre la famille royale, des cris de mort entremêtés de ce cri « Vive la République B que les prisonniers avaient déjà entendu vers quatre heures et demie,


quand, au bruit des trompettes, le municipal Lubin était venu, de sa voix de stentor, proclamer le gouvernement nouveau.

Le soir même, Cléry, ayant besoin d'une paire de rideaux pour le lit du dauphin car les nuits commencent à être froides est forcé d'effacer cette phrase « Le roi demande pour son fils une paire de rideaux et de la remplacer par cette autre Il est nécessaire pour le service de Louis-Charles Capet de se procurer une paire de rideaux B

On obligea même Marie-Antoinette et M°" Elisabeth à démarquer les couronnes brodées qui surmontaient les lettres de leur lingp les princesses obéirent et commencèrent dès le 22 septembre, au soir; en même temps, pendant que le roi était couché, elles raccommodèrent la redingote de Louis XVI, cette bellé redingote couleur a cheveux de la reine a qu'il portait depuis le retour de Versailles et qui, maintenant, commençait à bâitter aux coudes.

Le 22 septembre, à neuf heures et demie du matin, à à l'heure où le soleil arrive à t'équinoxë vrai d'automne, en entrant dans le si-ne de la Balance 4», comme disent les faiseurs de calendriers, commence le premier jour de la première République.

(t-X) Journal de Cléry.

(3) Six ;<)ttft passés au Temple. (4) L'Enteruphile, par Millin.


Paris estcalme' oui, la villequivit, ilyadix-neuf jours, les massacres épouvantables de l'Abbaye, des Carmes, de Bicêtre et de la Salpêtrière, ce Paris est dans la tranquillité. La population « n'a pas l'air d'un peuple menacé, ni d'un peuple abattu; mais d'une grande famille qui est en liesse e, comme l'écrit une bourgeoise du temps

Les Prussiens sont en Champagne; l'ancien ordre des choses vient d'être changé, et le calme est partout. Les restaurants, les spectacles, les cafés sont pleins, et les rues bourdonnent comme d'habitude 3. Tenez, suivons ce jeune homme qui, une badine à la main, descend la ci-devant rue Royale, aujourd'hui rue de la Révolution.

Ce sera notre guide pour toute ajournée, à travers le Paris du 22 septembre 1792 nous ne le quitterons que ce soir. vers neuf heures, à la sortie du spectacle. C'est un jeune patriote, un éiégant révolutionnaire ses cheveux sont coupés ras, à la Titus; il ne porte ni poudre, ni frisure. Son habit est de drap noir, cannelé par deux petites raies lisses; ses cutottes sont de drap anglais bleu il porte des bas blancs bien tirés, et sur ses souliers vernis brillent des boucles d'acier, ses boucles d'argent ont été, depuis longtemps, offertes en don patriotique pour l'entretien des armées 1

A son chapeau rond, en forme de melon un peu pointu, brille la cocarde tricolore, en soie. (i) /«Mf)t<tt <f<m dtudiant MM la Révolution, publié par Maugras. (2) Journal <ft<M bourgeoise, puMté par E. Lockroy. (3) Journaux.

(4) Le Journal de la Mode et du CoX.

(5) B<t<!e~-)ne' mes h)tM'<M (brochure).


Le voità qui tourne à gauche, évitant la place de la Révolution, au milieu de laquelle gisent les restes de la statue de Louis XV; il arrive aux Tuitehes, traverse le jardin, où jouent de nombreux enfants gafdés par des servantes en grands tabliers blancs. Les aHées appartiennent encore aux bébés ce soir, il leur faudra céder la place aux filles qui viendront exercer leur honteux trafic.

Notre guide est arrivé au Palais-Royal, qui s'appelle jardin National depuis que le duc d'Orléans, il y a trois jours, s'est fait donner par ia Commune le surnom de Philippe-Egalité

Nous entrons dans les galeries par le passage du Perron; et nous nous mêlons à la foule qui va, vient, gesticule. discute les événements du jour; nous passons, sans nous arrêter, devant le café de Valois; il il est d'habitude fréquenté par les Feuillants mais aujourd'hui il est désert.

Nous entrons au café Corazza, qui regorge; à grand' peine parvenons-nous à trouver une table inoccupée c'est ici le café jacobin', et on y voit souvent Chabot, Collot d'Herbois, Danton, tout ministre qu'il est Camille Desmoulins; l'intègre Robespierre lui-même s'y laisse entrainer et y prend son moka avec les membres influents du club.

-Un verre d'eau-de-vie d'Hendaye dit notre jeune (t ) Patriote /fan!'<ttt.

(!) JeMmat d <t«M.c liardl.

(3) La Stx'MM /hMj:fttM pendant la JMM<«<Mtt, par de Goncourt T. rv 29


homme à l'un des garçons en tablier blanc à bavette, qui se promènent, empressés, à travers les tables. On verse au nouvel arrivé un verre de liqueur, qu'il déguste en faisant claquer la langue.

Sans qu'il ait besoin de les demander, on lui apporte les feuilles du jour, des journaux retenus par des baguettes qui permettent de les lire sans se fatiguer. Voici d'abord le Patriote Francais, qui contient l'article suivant

« Républicains comme les Romains, plus libres qu'eux, destinés à être aussi vertueux; imitons leur exemple; ne faisons précéder leur nom d'aMCMtt titre disons Pétion, Condorcet, Payne, comme on disait à jRowe~ Caton, Cicéron, Brutus. Si cette simplicité nous semble rudesse, si elle nous semble prématurée, c~on~oNS-Mt mais ajournons aussi la ~~pM&HgMe. t

Ah! ah se dit!e lecteur, nous arrivons à la véritable égalité, et bientôt. sans doute, le titre de <t monsieur)) sera partout remplacé par l'appellation de « citoyen e. De même les vous feront place au tu et au toi.

C'est l'égalité dans la politesse; elle est dans les mœurs. Hier, Tallien, à FAssembIée, a bien fait repousser la motion de Manuel, demandant que le président de la Convention fût logé aux Tuileries, en disant qu'en dehors de l'Assemblée, le président est un simple citoyen comme les autres; quand on voudra lui parler on ira le chercher à un quatrième ou cinquième étage; c'est là qu'habite la vertu (t)H«<eu-<par!<!m't)<<t!r<t.XtX.


Après avoir parcouru le journal de Brissot, le jeune patriote prend lés Révolutions de Paris, et, à la première page, il lit

« ~Vous ~OM!ons, nous, la ~epM&!tgMe, non pas à la manière des Grecs, des Romains; des Bataves, des Anglais, des Suisses, etc. Pour ne pas faire mieux que tous ces peuples., ce M'était pas la peine de réédifier à plusieurs reprises un gouvernement qui durait depuis quatorze Stockes. B

A la bonne heure, dit le lecteur, les temps nouveaux, que depuis longtemps on disait proches sont donc enfin arrivés.

Et il prend la Chronique de Paris, pour y chercher, non des articles de discussion, mais des nouvelles.

Après le compte-rendu de la séance de la veille, à la Convention, séance ou le rédacteur girondin égratigne Danton, tout en le complimentant, viennent des lettres d'Anacharsis Clootz, le. baron prussien devenu français depuis vingt jours par le décret de l'Assemblée législative accordant, sur la proposition de Chénier, la naturalisation à quatorze savants étrangers Clootz élu député à la faveur de ce décret par les départements de Saône-et-Loire et de l'Oise, opte pour ce dernier qui, <t en lui envoyant un exprès, à eu la priorité B.

La Chronique de Paris annonce ensuite qu'un soldat français, fait prisonnier parles Prussiens, a tiré sur le roi de Prusse et l'a manqué; condamné à mort, (1) ~oM«eMf.

('*) CArott~tte de Paris.


il a été passé par les armes. Le conseil générai de !a Commune vote une pension pour sa veuve. Puis vient un entrefilet: afettOM ne se lassepas de recommander l'union entre ses concitoyens et de les avertir de tous les maux que leur pfepen'erottt la dMcot'de. t

Plus loin;

« On a fait en Pensylvanie la proposition de former un corps de volontaires pour aller combattre les ennemis de la 2'V<Mtce. t

Le jeune homme est interrompu dans ses lectures par un crieur de journaux qui vend une feuille imprimée d'un seul côté, encore fraîche de l'encre de l'imprimerie.

Demandez la grande victoire de Dumouriez, crie-t-il les Prussiens écrasés. Deux sols Chacun se précipite; on s'arrache les feuilles. La nouvelle est exacte; la Répubtique est saluée, dès son premier jour, par. la triomphale canonnade de Vatmy.

Ah ah! Les coalisés ne se moqueront plus de notre armée de tailleurs et de savetiers

Beau début pour nos braves conscrits 1

Oui, oui, sans doute, fait un vieux bourgeois à la perruque démodée, au tricorne déformé et au long habit marron, et qu'à son .accoutrement on devine pour un vieux militaire. Sans doute, ça n'est pas mal (t) <Mt'e<««e<t< de Paris.


mais, de notre temps, voici comment nous aurions fait.

Un groupe s'est formé autour du vieux soldat qui crache, sans façon, sur le parquet

Tenez, dit-il, en élargissant, avec la canne, le cercle qu'il a formé; voici Valmy. Eh bien, si j'avais été Dumouriez, au lieu de faire donner les fantassins à la baïonnette, j'aurais laissé venir les Prussiens; j'aurais démasqué une aile; les ennemis se seraient précipités dans mon rond comme dans une souricière, et je les aurais écrasés comme ça, en un tour de main.

Les consommateurs trou vent ce stratégiste très fort; le vieux soldat se lève et s'en va dans un autre café recommencer ses opérations il sort, la taille cambrée, le tricorne posé sur l'oreille, jouissant de son triomphe.

Voilà comme nous étions autrefois! fait-il. I) pourrait Mien avoir raison, opinent quelquesuns, Dumouriez aurait pu faire comme a dit ce citoyen, qui doit être quelque vieux capitaine.

Lui, interrompt un garçon qui le connait, c'est un ancien vétérinaire aux armées.

Tout à coup, on entend un bruit d'arme à feu; c'est le canon du Palais-Royal, du Jardin national, veux-je dire, qui annonce midi Notre jeune homme paie son verre de liqueur, et sort du café Corazza pour aller déjeuner.

Il ne s'éloigne guère et entre au café Mirabeau, au (t) Journal à deux liarde,

(2) Tableau de Paris pendant la Révolution, par Mercié.


coin des rues Richelieu et Saint-Honoré, où t'en fait un excellent repas pour trois livres'. Un certain nombre de municipaux en écharpe dînent au milieu du fracas des conversations et des assiettes posées sur les tables de marbre.

Notre guide a bon goût du reste, il se paie, en supplément, d'excellent vin de ce c!cs Vougeot, autrefois exploité par tes moines et vendu onze cent mille francs; comme bien national. Son menu est confortable; une tranche de jambon de Bayonne, deux œufs sur le plat et une caille, un fromage de Pont-Lévéque et un raisin blanc de Fontainebleau

Quand il a terminé, il rentre au Palais-Royal, et, dans la galerie de bois il rencontre une jolie fille fendant la foule, en riant.

Elle est mise à la dernière mode une longue redingote de petit drap bleu avec une veste montante, couleur sang Foulon, et autour de la taille une longue ceinture de gaze rose à petits pois rouges a. Tiens, dit-elle au jeune homme qu'elle reconnaît, c'est vous..Vous seriez galant au possible en m'accompagnant.

Avec plaisir; mais où donc!

A la Convention, mon cher.

Avez-vous des cartes d'entrée?

Oui. Un jeune député du Midi, que je vis hier, m'en a fait tenir deux que voici.

Pour toute réponse, le jeune homme offre son bras ()) Feuille dx/oMf.

(?) Nouveau tableau du Patau-~o~.

(3) Journal de la Mode.


à la jolie fille, et ils sortent du Palais-Royal pour, se diriger du côté du Manège..

Voulez-vous prendre un cabriolet? La station est ici près.

Merci. Je préfère marcher.

En chemin, la belle Papillon', t la célèbre hétaïre o, l'impure à la mode, la rivale de Georgette et de Fanchon, explique à son cavalier, qui lui a offert le bras, qu'elle est enchantée de l'arrivée des députés ils sont jeunes pour la plupart, et aiment la patrie autant que le plaisir. Elle est patriote et montre avec fierté deux boucles d'oreille qui sont deux pierres de la Bastille polies, retenues par des montures en or Ah! si les jeunes Conventionnels veulent s'amuser et ils ont tout l'air de le vouloir ils n'auront que l'embarras du choix, car Paris malgré le départ des émigrés, qui s'étaient imaginé avoir emporté la gaieté à la semelle de leurs bottes, Paris est toujours la ville du plaisir, où des préoccupations patriotiques, les violentes émotions révolutionnaires ne font point oublier la gaieté et l'amour.

Les célèbres courtisanes, comme Latierce, la brune Saint-Maurice, la Sultane, l'Orange, la Bacchante et sa rivale, la Vénus, qui mit le comte d'Artois à la

()) Motte fhtcAt natA PaWt M Wt')<er (cité par de Gonoourt). (?) BM<o<~e des anniversaires t<e la j)~<<e de ta 7?<Mtt<te, par Ch Lecoq.

(3) Goncourt.

1


porte de son boudoir, offrent leurs splendides appartements pour se délasser des soucis des discussions politiques.

M'" Papillon et son compagnon sont arrivés au Manège ils exhibent leurs cartes, mais ils ne peuvent entrer; les tribunes sont pleines, et plus de cinq cents curieux attendent la sortie d'un auditeur pour prendre sa place. II n'y a pas moyen d'entrer aujourd'hui. Par les fenêtres, on jette dans la rue des carrés de papier, sur lesquels sont résumées les diverses discussions qui ont lieu dans l'intérieur de la salle 1. Pour satisfaire la curiosité de M"* Papillon, son jeune cavalier se précipite au milieu d'un groupe, et parvient, après bien des efforts et des bousculades, à s'emparer d'un de ces bulletins.

Bah! dit-il, la séance est grise on discute si en remplacera en masse les corps administratifs, municipaux et judiciaires.

Le couple s'éloigne, il est trois heures le jeune homme a hélé un cabriolet et conduit la belle impure au camp sous Paris, établi entre Clichy et Montmartre, et où, à côté d'ouvriers gagés des ouvriers sang travail, employés à des entreprises de ce genre les bourgeois et les bourgeoises viennent comme il y a deux ans, au Champ de Mars pour la Fédération bêcher et pêteverser à l'ombre du Moulin de la Galette qui tourne tranquillement sur sa butte.

Comme les autres Parisiens.venus ta en partie d'agrément, nos deux jeunes gens se procurent le plaisir de donner quelques coups de « pèle et à cinq heu(4) Les 7Mceht(<eM de Paris.

(t)M.


res, ils quittent ces parages éloignés, pour rentrer dans Paris.

La compagnie de la Papillon doit être attrayante, puisque lejeunepatriotelui offre à dinerchez Ficquet, au Rocher de Cancale, rue Montorgueit et, à sept heures il l'emmène au théâtre, où, jusqu'à neuf heures et demie, ils assistent la fin du spectacle, dans uneloge spacieuse, loge grillée où l'on est à l'aise sur le long divan qui permet les imprudences ettes familiarités Ils sont allés au théâtre de la Liberté, l'Académie de musique faisant relâche; ils ont assisté à. la Mort de César et aux Fourberies de Scapin; ils ont préféré ce programme à celui des Délassements-Comiques, où on donnait Brutus, et à celui du Théâtre Patriotique, qui jouait l'Enfant prodigue.

A la fin de la représentation, un acteur est venu réciter la Marseillaise, à laquelle on a ajouté deux couplets en t'honneur de Beaurepaire, qui s'est brû!é la cervelle à Verdun

Enfin, à dixheures, le jeune homme a reconduit chez elle M"' Papillon, qui l'a retenu à souper, pendant que, dans la rue, les citoyens, sortant des clubs, des réunions, des sections ou du théâtre, répétaient le refrain à la mode

La Patrie est en danger,

Aftligez-vous, jeunes (iUettes.

Ne croyez pas que l'étranger

Vienne pour vous conter fleurette

(i) Petites a~h-Aes.

(2) Journal des spectacles.

(3) Le suicide de ~Vt<:o<<M Beaurepaire, par Demangeot (broch., Paris).

(4) Allons ctt vat (chanson).

29.


Arrivée de Thomas Payne. Mort de Mirabeau-Tonneau. Les cartes civiques.- Fauchet exclu des Jacobins. –Démission de Servan. Girondins et Montagnards face à face. Séance du 23 septembre.– Attaques des Girondins contre Danton, Robespierre et Marat. La Gironde vaincue. Les députés à la Convention étaient tous arrivés. Le dernier à son poste fut Thomas Payne, qui venait d'Angleterre it fut reçu à Calais au bruit du canon. Le nouveau Français parlait, du reste, assez mal notre langue, la comprenait à peine et l'écrivait peu ou pas Pendant que la France accordait la qualité de citoyen à des étrangers et les nommait à la Convention, un ancien député de la noblesse aux Etats généraux, le comte de Mirabeau, frère du grand tribun, celui qu'on avait surnommé Mirabeau-Tonneau, mourait à Elchingen.

(i) Chronique de P«W<. Thomas Payne était né en Angleterre, à Thetford, en 1737. Il fut d'abord fabricant de corsets puis mai. tre d'école à Londres il passa en Amérique où il prit part au mouvement de l'indépendance après la victoire, on lui donna une place de secrétaire aux affaires étrangères et fut envoyé en France pour négocier un emprunt. En t79t il habitait Londres où il fut poursuivi pour avoir traduit en anglais La Diclaration <)« <<reth de i'Aomme il se réfugia en France où le Pas-de-Calais l'envoya à la Convention nationale.

Du 9t au t7 septembre t7M.

LI

PREMIÈRES DIVISIONS


Mirabeau-Tonneau s'en allait en regrettant la France et maudissant la Révolution, qu'il avait combattue avec achàrnement. Pendant que l'ancien constituant mourait en exil, l'Assemblée législative, le dernier our de son existence, rendait un décret qui fut par la suite une cause d'arbitraire et de vexations sans nombre elle décrétait l'usage obligatoire des cartes civiques.

Chacun fut obligé de porter sur lui une carte d'identité, mentionnant l'indication de son domicile, de sa profession on était forcé de la présenter à toute réquisition des officiers de police; et, si on ne pouvait la produire, on était conduit à sa section. Si là vous n'étiez pas reconnu, on vous enfermait pendant trois mois dans une maison d'arrêt.

La Révolution devenait soupçonneuse elle devenait en même temps injuste, même à l'égard de ceux qui lui avaient donné de nombreux gages de dévouement.

Le club des Jacobins excluait de son sein l'abbé Fauchet, pour avoir demandé, au Comité de surveillance, un passeport pour l'amant de M' de Staël, M. de Narbonne, passeport qui, au surplus, avait été refusé. Les Jacobins perdirent Fauchet, mais ils gagnèrent Thomas Payne, qui, sur sa demande, fut élu membre de la Société.

Les Jacobins, du reste, ne s'arrêtèrent pas à l'exclusion de Fauchet Brissot avait mal parlé, dans un journal, de Danton et de Robespierre, traitant leur parti de c désorganisateur il fut sommé d'avoir à venir s'expliquer à la barre du club.

Evidemment, on sentait la fièvre de la division ga-


gner la jeune République le ministre de la guerre, Servan, déjà très malade et « pouvant à peine signer sa nombreuse correspondance ne voulut pas aSronter de nouvelles luttes, et il donna sa démission.

Il n'était pas difficile de voir que les Montagnards et les Girondins ne tarderaient pas à en venir aux mains.

Les deux partis aimaient la liberté et voulaient la République, mais d'une manière différente. Les Girondins, bourgeois par l'éducation, par les mœurs et par leurs aspirations, voulaient une République où la classe bourgeoise aurait eu la place des nobles de l'ancien régime, avec les abus et les privilèges en moins, mais avec la part prépondérante, !a direction absolue, le peuple étant mis de côté et ne comptant presque pas dans la marche des affaires du pays.

Les Girondins désiraient la liberté, mais ils avaient horreur de l'égatité.

Les Montagnards, au contraire, avec Danton, avec Robespierre, se faisaient de la République une autre idée. D'après eux, tous les citoyens sans distinction, riches et pauvres, devaient concourir au gouvernement avec des droits égaux ils entendaient la République avec des lois égales pour tous, abolissant les classes et proclamant l'impérieuse loi de la fraternité sociale. Ils procédaient de Rousseau qui avait dit « les fruits sont à tous et la terre n'est à personne ».

Partant d'un point de vue si différent, ces hommes


ne pouvaient arriver au- même but, qui était, pour tous, le bonhenr de leur pays et la grandeur de la France. Itsse lancèrent dans l'arène, dès les premiers jours, la haine au cœur et l'injure à la bouche dans cette mêtée, la liberté devait sombrer et la République devait périr.

Unis, ils auraient consolidé la Révolution divisés, ils laissèrent la France abattue, affaiblie, désarmée, à la disposition du premier despote venu qui voulût l'asservir et l'enchaîner.

La lutte ne tarda pas à s'engager entre les deux partis, dès les premières séances mais l'attaque partit du côté des Girondins. Les Montagnards firent des efforts surhumains pour retarder la division qu'ils prévoyaient si funeste leurs avances furent repoussées, et Barbaroux, les dédaignant, disait « Il n'est pas possible que le vice marche jamais d'accord avec la vertu 1.

En vain, les esprits clairvoyants, comme Garat, disaient aux Girondins, prêts à se lancer contre leurs adversaires < On vous donnera peut-être un jour des larmes et des statues mais, si vous ouvrez des combats qu'il dépend de vous, je crois, d'éviter, on peut vous faire monter à Péchafaud »

Rien n'y fit ni l'intérêt personnel, ni l'intérêt de la liberté ne purent les arrêter, et ils se ruèrent, tête baissée, contre la Montagne.

Dans les séances des 23 et 24 septembre, les Girondins commencèrent en invectivant contre les Jacobins, (t) Durand de Maillane, p. 36.

(?) Mémoires de Garât.


voulant leur faire assumer la responsabilité du sang de Septembre, comme si tous, et modérés et avancés, ne s'étaient pas trouvés d'accord, dans ces journées fatales, pour ne rien faire, et pour laisser passer, sans essayer de l'arrêter, la fureur des meurtriers, ayant pour complice le consentement général, quoique tacite, de Paris tout entier. N'est-ce donc pas le ministre de l'intérieur des journées sanglantes, le girondin Roland, qui, le lendemain des massacres, disait « La colère du peuple et le mouvement de l'insurrection sont comparables à l'action d'un torrent qui renverse des obstacles qu'aucune autre puissance n'aurait anéantis. :il

II fallait jeter un voile sur ces sombres journées mais les Girondins se crurent assez forts pour faire glisser leurs ennemis dans la boue sanglante du 2 Septembre, et ils commencèrent l'attaque en frappant les trois têtes qui représentaient, à trois degrés différents, l'opinion de Paris Marat, Danton et Robespierre. La séance du 25 septembre fut la première séance où ces trois hommes furent pris à partie.

Merlin de Thionville, poussé par la Gironde, monta à la tribune, et, sous prétexte de combattre les ennemins de la République, il se fit l'écho des bruits qui propageaient la crainte du danger d'un triumvirat Je demande, dit-il, que ceux qui connaissent dans cette assemblée des hommes assez pervers pour demander le triumvirat ou la dictature, m'indiquent ceux que je dois poignarder. J'invite donc Lasource,


qui m'a dit hier qu'il existait dans l'assemblée un pouvoir dictatorial, à me l'indiquer, et je déclare que je suis prêta à poignarder le premier qui voudrait s'arroger un pouvoir de dictateur.

Lasource, assez embarrassé, répondit à Merlin, prétextant que les propos rapportés étaient -ceux d'une conversation particulière, dans laquelle il s'était occupé surtout de l'état général des esprits e Je ne désigne ici personne, dit-il, parce que, jusqu'à présent, j'ai vu les choses mieux que les individus. » Mais Rebecqui, étonné de tous ces ménagements, s'emporta dans une interruption brutale

C'est le parti de Robespierre. Voità l'homme que je vous dénonce.

Ce fut Danton qui, le premier, releva l'outrage. C'est un beau jour pour la nation c'est un beau jour pour ta République, que celui qui amène entre nous une explication fraternelle, commença-t-il. On avait essayé de tracer une ligne de démarcation entre les élus de Paris et ceux des départements « Aucun de nous n'appartient à tel ou tel département, s'écrie Danton, il appartient à la France entière. » Quant au triumvirat, il n'y croit pas < Portons une loi qui prononce la peine de mort contre quiconque se déclarerait en faveur de la dictature ou du triumvirat »

C'était fièrement répondre à une accusation personnelle mais le débat s'envenima, quand Robespierre monta à la tribune.

Robespierre, au lieu d'imiter la concision de Dan(!) Hu(o<reparteBMt<<nre.


ton, fut long, suivant son habitude il ne se contenta pas de répondre à la question ette-même, il essaya de terminer le débat d'un coup et remonta aux causes des attaques dont les Girondins venaient de se faire les interprètes. S'il se fût contenté de répondre par une dénégation, on n'aurait pas manqué de lui dire qu'une dénégation n'était pas une preuve it dut donc opposer l'exemple de toute sa vie en contradiction avec les accusations injustes tancées contre lui. Les Girondins l'interrompirent fréquemment par des cris, des rires, par le bruit des couteaux à papier frappant sur les pupitres, par des exclamations « Ce n'est pas la question Abrégez 1

A un moment donné, Osselin et Lecointe-Puyravau, se lèvent et veulent empêcher Maximilien de continuer.

Osselin. Robespierre veut-il finir cette longue querelle et nous donner en quatre mots une explication franche?

Lecointe-Puyravau. Robespierre, dis-nous simplement si tu as aspiré à la dictature et au triumvirat.

Robespierre, loin d'obéir à ces injonctions, continue son long raisonnement. L'Assemblée, irritée, lui coupe la parole par des murmures.

Quand l'Assemblée ne voudra plus m'entendre, dit Robespierre, elle me fera connaître sa volonté je sens qu'il est fâcheux pour moi d'être toujours interrompu.

Abrégez~ abrégez crie-t-on encore.

Je n'abrégerai point, riposte Robespierre, irrité, nerveux, colère.


Et le discours continue pendant une heute encore, haché par les cris, par les rires et par le bruit. Enfin, il conclut en niant énergiquement c Vous m'accusez de dictature t Où sont vos faits? où sont vos preuves? e

Barbaroux, impatient de se mesurer -avec un-si terrible adversaire, saisit au passage la question posée par Maximilien, mais il rabaisse la question à un misérable commérage de couloirs

Quand les Marseillais vinrent à Paris, dit-il, on nous fit venir chez Robespierre là on nous dit qu'il fallait se rallier aux citoyens qui avaient acquis de la popularité. Le citoyen Panis nous désigna nominativement Robespierre comme l'homme vertueux qui devrait être le dictateur de la France.

Panis proteste et cingle Barbaroux d'un énergique démenti t Je ne l'ai vu-que deux fois, dit-il, et j'atteste que, ni l'une ni l'autre, je ne lui ai parlé de dictature. »

Ce fut alors le tour de Marat, le troisième accusé de dictature, à venir protester.

Sa présence t !a tribune souleva un véritabte vacarme mais Marat toisa ses ennemis avec une assurance dans laquelle perçait le contentement de la réputsion qu'it inspirait aux Girondins.

il déclara crânement que Danton et Robespierre « avaient constamment improuvé l'idée d'un triumvirat ou d'une dictature s. Mais ce projet de dictature.


il l'avait eu, lui; il en réclamait la paternité, regrettant de n'avoir pu le faire réussir~

Ce fut Vergniaud qui se leva, au nom des modérés, pour répondre à Marat, dont l'audacieuse franchise avait surpris ses ennemis.

Vergniaud commença par une maladresse, reprochant à Marat d'avoir encouru, sans l'avoir subi, un ordre de prise de corps lancé par le Châtelet. Je m'en fais gloire, interrompt Marat. Les tribunes couvrent la voix de Vergniaud; les spectateurs en dehors de l'enceinte des députés sont pour Marat.

Il était aussi injuste que mal placé de reprocher à Marat un ordre d'emprisonnement, lancé par les juges du pouvoir royal; c'était reprocher à l'Ami du peuple les persécutions qu'il avait endurées contre le despotisme. Vergniaud, par cet écart, avait perdu sa cause. En vain lut-il des passages de Marat, excitant aux violences et aux massacres; les Girondins eurent beau manifester leur répulsion, les tribunes redoublèrent d'applaudissements en faveur de Marat, et, malgré les cris et le tumulte des modérés, l'effet moral de li victoire fut pour lui.

Une seconde fois, l'Ami du peuple, calme et souriant, reparut à la tribune, tandis que les Girondins l'accueillaient par les cris de <! A l'Abbaye à la guillotine )) Par son impassible contenance, il « parut avoir une véritable supériorité sur ses brillants adversaires

Il fut froid, hautain, provocant à son tour. ° .{0~<<<MMf~,t.i,p.98.


Les titres de réprobation qu'on a invoqués contre moi, dit-il, je m'en fais gloire; j'en suis fier. Quant à l'écrit incriminé, au fameux placard lu par Vergniaud, il est de dix jours antérieur aux massacres. « Je ne crains rien sous le soleil. o

En même temps, il tire un pistolet de sa poche, le pose sur la tribune et ajoute

Si le décret d'accusation eût été lancé contre moi je me brûlais la cervelle au pied de cette tribune. Je reste parmi vous pour braver vos fureurs t Et lentement, toisant ses adversaires, il remonte à sa place, sur les gradins de la crète de la montagne. L'Assemblée, étonnée, effrayée peut-être de son inutile violence vis-à-vis trois de ses membres contre lesquels on n'apportait que des rancunes, subissant aussi, sans doute, l'influence des tribunes, passa à l'ordre du jour. La Gironde avait perdu sa cause dans une assemblée où elle avait la majorité; elle s'avouait vaincue pour ce jour-là.

Cette séance creusa, dès le premier jour, un infranchissable fossé entre les deux partis, qui, unis, auraient rendu la République indestructible, et, divisés, la perdirent à tout jamais.


Du 28 septembre au 3 octobre 1792.

LÏI

LES PRUSSIENS ÉVACUENT LE TERRITOIPE Discussion sur l'incompatibilité. Mots de Danton contre M*' Roland. La garde prétorienne demandée par la Gironde. Manifeste de Thomas Payne. Les Français en Savoie. Cuftine s'empare de Spire. Négociation de Dumouriez. Retraite des Prussiens. Le Roi est séparé de la famille royale.

La division s'accentua encore à propos de la question des incompatibilités et, cette fois, elle fut doublée de t'âpreté des Girondins à vouloir se maintenir au pouvoir, âpreté excitée, non par une basse ambition personnelle, mais par le désir de conduire seuls la République vers la liberté rêvée, souhaitée, entrevue. Dans sa séance du 29 Septembre; la Convention avait décidé que les députés ne pourraient accepter aucune fonction, et notamment cellè de ministre; c'était prendre une sage mesure déjà décrétée par la Constituante. Permettre à des ministres de faire partie des assemblées délibérantes, c'est ouvrir la porte aux intrigues et se résignera l'instabilité gouvernementale.

Danton, avec son grand esprit politique, l'ayant très bien compris, donnait sa démission dès l'ouverture de ta Convention; mais les Girondins avaient un excel-


lent instrument en Roland, ministre de l'intérieur, nommé député par le département de la Somme, et ils ne voulaient pas abandonner cette chance de domination. Quelques députés du centre, de la Plaine, comme on disait, essayèrent d'abord de créer une exception pour Roland, dont le départ, s'écria l'un d'eux en pleine séance, serait: « une véritable calamité puMique x. On voulut t'inciter à rester député et minis~ tre; mais cette proposition, qui aurait convenu à la majorité, ne put être votée devant l'avis contraire de l'opinion publique, représentée par les clubs et les réunions.

Danton, en face de cette motion, se sentit pris d'une colère dédaigneuse, et, s'adressant aux députés de la Gironde:

Personne ne rend plus justice que moi, dit-il, à Roland; mais je vous dirai, si vous lui faites une invitation: faites-la aussi àM""Ro)and,cartouttemonde sait que Roland n'était pas seul dans son ministère; moi, j'étais seul dans le mien.

Cette allusion, non déguisée, à la grande influence exercée par M"" Roland fit bondir toute la Gironde; c'était une attaque inutile, mais qui blessa les amis du ministre au plus profond de leur attachement pour la femme de grand esprit et de grand cœur qui présidait leurs réunions intimes, auxquelles son savoir et sa hauteur de vues lui permettaient de prendre part. Enfin, après plusieurs jours de réflexion, Roland déclara qu'il renonçait au mandat de député, et qu'il gardait le ministère.

Ces débats, le mot amer de Danton, ne faisaient qu'exciter les passions qui divisaient la Gironde et la


Montagne l'effervescence augmenta encore avec la discussion du projet de Buzot d'entourer la Convention d'une garde de quatre mille quatre cents hommes, tirée des départements, et triés par les Conseils généraux de province. C'était une mesure de défiance que les représentants de la province voulaient prendre contre Paris, mesure injuste et que ne méritait pas la grande ville; c'était en outre une idée essentiellement monarchique. La Légistative avait dissous la garde du roi; et, maintenant que les Girondins avaient supprimé le roi et détenaient le pouvoir, ils voulaient s'entourer d'une garde prétorienne.

Robespierre écrivit contre ce projet une lettre énergique. Les Jacobins s'émurent, et les quarante-huit sections de Paris protestèrent. A la fin, il fallut y renoncer mais ce ne fut qu'après un mois de luttes à la tribune, de polémiques dans la presse, de discussions dans les.clubs, dans les sections, et après un mouvement des esprits, qui ajouta encore à l'effervescence générate.

C'est au milieu de ces froissements, de ces luttes, de ces tempêtes, que Thomas Payne !e nouveau Français écrivit une belle lettre, qui passa inaperçue, mais que l'histoire a le devoir de retenir. Thomas Payne poussait le cri de la fraternité universe!!e: Convaincu, disait-il, que la cause des Français est celle de toutle genre humain, et que ce n'est pas par de simples vœux que l'on peut acheter


la liberté, je viens, avec joie, partager les périls et les honneurs inséparables du succès, »

« Saluons l'étabnssement d'une ère nouvelle qui va effacer de la terre le despotisme et fixer sur des principes immuables de paix et de citoyenneté la grande République humaine. C'est maintenant la grande cause des peuples contre les rois », ajoutait-il en terminant. Les peuples acclamaient la France. Quand les Français, sous le commandement de Montesquiou, entrèrent dans Chambéry a toute la Savoie les reçut et les embrassa avec transport 1 ». Nice nous avait ouvert ses portes; la place forte de Montalban et celle de Villefranche s'empressaient de se rendre.

Cependant, le jour même de son entrée à Chambéry, Montesquiou était destitué, à l'unanimité, de son commandement parla Convention, sur la dénonciation de TaUien. lui reprochant d'avoir, avant le 10 août, publiquement manifesté des sentiments contraires à la Révolution Quand on apprit sa victoire, on voulut suspendre le décret, mais le général, blessé, refusa et s'obstina à ne pas reprendre le commandement. Custine, de son côté, se promenait dans le Palatinat. Il entrait, le 30 septembre, à Spire, et, la semaine suivante, dans Worms; de là, il alla mettre le siège devant Mayence, qui était mal défendue et qui capitula. C'étaient là des opérations militaires brillantes, mais peu utiles; elles furent pour résultat, néanmoins, de causer une vive satisfaction dans toute la France et de lui donner confiance.

La victoire souriait à la jeune République. (1) M~motrM du général Doppet, p. 68.


Pendant que Montesquiou plantait le drapeau trico.lore en Savoie, qu'Anselme faisait *)cc)amer la France à Nice, et que le général Custine se promenait triomphalement sur les bords du Rhin, Dumouriez, victorieux, parlementait avec les Prussiens et négociait leur retraite.

Dumouriez désirait se débarrasser des Prussiens, pour aller envahir les Pays-Bas. Danton encore membre du gouvernement, sa démission n'étant pas encore acceptée se déclarait partisan de ce projet, qui montrait l'armée prussienne battant en retraite devant les jeunes conscrits, et laissant la République libre de disposer de la destinée du roi aussi envoyat-it immédiatement une mission, composée de trois conventionnels Pneur de la Marne, Carra et Sittery, pour aider Dumouriez dans les pourparlers. Lea deux camps, prussien et français, communiquaient par les avant-postes, et les Français partageaient leur pain avec les ennemis, réduits à écorcher leurs chevaux morts et à les manger

Dumouriez, de son côté, apprenant que le roi de Prusse manquait de café et de sucre, iui en envoya quelques livres avec des fruits et du pain blanc 2. Les officiers, sous prétexte de missions militaires, s'entretenaient entre eux et dinaient même ensemble. Ainsi, un aide de camp du roi de Prusse, Massenbach, vint passer une journée à la table de Kellerman; là, on lui montra la situation de la France comme plus forte qu'elle n'était en réalité, et, sûr que cette confidence serait rapportée au roi de Prusse, le général <t-0) ~~MtfM <6'.0«t)MX)-M, t. IH, p. M.


Dillon glissa à Massembach ces paroles à voix basse Avertissez ie roi de Prusse qu'on travaille à Paris à un projet d'invasion de l'Allemagne, parce qu'on sait qu'il n'y a pas de troupes allemandes sur le Rhin'.

D'un autre côté, le duc de Brunswick désirait fort cette retraite, qui fut enfin arrêtée, et à laquelle le roi de Prusse se décida, quand il eut appris que la Suède et l'Angleterre refusaient d'entrer dans la coalition. Le 29 septembre, l'armée prussienne commença à rétrogader, et, le 10 octobre, elle avait complètement évacué le territoire.

La Prusse était venue, sur la promesse de l'Autriche de lui donner l'Alsace et la Lorraine, sur les assurances des émigrés que la campagne ne seraitqu'une promenade militaire de Berlin à Paris. Le roi de Prusse était enfin poussé par le désir de sauver Louis XVI et son trône il espérait ainsi faire une bonne action à son point de vue, en délivrant un souverain, et une bonne affaire pour lui-même, en agrandissant son territoire. Mais, quand il vit les alliés lui laisser le gros de la besogne, quand il vit son armée vaincue à Valmy par les bataillons de Dumouriez, et qu'il reçut la nouvelle que Custine se promenait sur le Rhin en prenant les villes, il abandonna Louis XVI à son malheureux sort, laissa les émigrés à leurs intrigues, et, acceptant les propositions de Dumouriez da ne pas l'inquiéter dans sa retraite, St lever le camp et quitta la France.

(t) Mémoires tirés des papiers d'ttt Homme d'E(<t<, t. I, p. 502. T. IV. 30


Louis XVI, sacrifié par le roi de Prusse, n'était plus guère soutenu à Paris que par de maladroits amis, venant, la nuit, dans les maisons voisines du Temple, jouer sur le flageolet les airs favoris de la reine, poussant le zèle intempestif jusqu'à se réunir par groupes pour crier « Vive le roi » Ces imprudences inutiles éveillaient l'attention toujours inquiète de la Commune, qui prenait des mesures plus sévères contre les prisonniers, afin d'empêcher la réussite de quelque complot d'évasion.

Le 25 septembre, on sépare les prisonniers on emmène le roi coucher dans la grosse tour. Le lendemain, la reine et Mme Elisabeth, oubliant toute la fierté des jours précédents, ne se souvenant plus qu'elles sont princesses, mais seulement qu'elles sont femmes, et femmes de cœur, supplient les municipaux, en pleurant, de les laisser avec Louis XVI. Un d'eux est touché.

Eh bien! dit-il, ils dîneront ensemble aujourd'hui demain, nous verrons

Devant la douleur de ces deux pauvres femmes, devant ce grand malheur et ces sanglots, Simon luimême, le dur Simon, se sent ému.

Je crois que ces b. de femmes me feraient pleurer! 1 dit-il.

Et la Commune tolérait que, jusqu'à nouvel ordre,

(1) Chronique de Paris. (2) Journal de Cléry.


les prisonniers prissent leurs repas ensemble, à la condition que pas une parole ne serait dite assez bas pour échapper à l'oreille des commissaires 1. Pendant un de ces repas, la famille royale apprit, par un marchand de journaux qui, à l'instigation des royalistes, venait crier les nouvelles sous les fenêtres, la mort d'un ancien serviteur dévoué, de Cazotte, ancien commissaire de la marine, et que sa fille avait sauvé de la hache des massacreurs de l'Abbaye, le 2 septembre. Repris quelques jours plus tard, il fut condamné à mort par le Tribunal criminel pour conspiration, ayant entretenu une correspondance avec les émigrés malgré ses soixante-dix ans, il fut exécuté et mourut avec sang-froid.

La justice régulière venait de se montrer plus sévère que la vengeance des septembriseurs. La fille de Cazotte, cette admirable enfant de dixhuit ans, qui avait disputé la tête de son père aux assassins de septembre, l'accompagna jusqu'au pied de l'échafaud, et, les yeux pleins de larmes, adressa un suprême adieu au courageux vieillard qui & partait pour'un monde meilleur. t

()) A'f)< de Madame.


Du 4 au 10 octobre 4792.

LUI

ELECTION DE DEUX MINISTRES

Placard girondin contre Marat. Garat élu au ministère de la Justice Pache à celui de la Guerre. Siège de Lille. Exécut.ion d'émigrés. Obsèques de Meusnier. L'épouse de Lavergne aux Jacobins. Au Temple. Marie-Antoinette grisonne. L'hiver approche. Patriotisme en province.

C'est encore la violence de la Gironde contre les Montagnards qui remplit cette semaine naturellement ceux-ci ripostent, et les discussions s'enveniment. N'ayant pas su choisir un terrain favorable pour lutter contre Marat, à la tribune de la Convention, les Girondins avaient recours àt'afBche, et, le 9 octobre, au matin, les murs de Paris furent couverts d'un énorme placard, signé par tes députés des Bouches-du Rhône; Barbaroux, Rebecqui, Durand-Malliane, Granet, Bayle, Duperré, Duprat et Pélissier.

Dans ce placard, Marat était violemment pris à partie on l'accusait d'avoir <f constamment prêché la dictature » puis venaient des invectives violentes, mais sans articulation d'aucun fait précis.

Marat, à qui on faisait décidémment la partie belle, répondit dédaigneusement « Les députés des Bou-


ches-du-Rhône viennent d'afficher contre moi un énorme placard tant mieux pour le marchand de papier et pour l'imprimeur. »

Le ton des polémiques violentes se retrouvait dans les discussions des Jacobins qui, il y avait quinze jours, avaient mandé Brissot à la barre. Brissot avait répondu qu'il viendrait, lorsque la Convention lui laisserait une soirée libre mais il n'en avait rien fait et le club vota la radiation. Le même soir, Danton fut élu président à la place de Pétion.

Au ministère de la justice, la Convention voulut d'abord donner, comme successeur à Danton, François de Neufchâteau, ancien membre de la Législative' mais le nouvel élu envoya, le lendemain, sa (1) Il s'appelait François tout court et était né à Neufchâteau dans les Vosges il prit le nom de sa petite ville pour se distinguer de ses nombreux homonymes. Il rima de bonne heure, et à quatorze ans il envoyait des vers à Voltaire qui lui répondait une lettre terminant par ces deux vers

Il faut bien qu'on me succède

Et j'aime en vous mon héritier.

Le patriarche de Ferney exagérait dans ses louanges mais il était coutumier du fait. A quinze ans de Neufchâteau publia son premier recueil de vers. Il vint étudier le droit à Paris, se fit inscrire au barreau d'où il fut rayé pour ai oir épousé la fille d'un danseur de l'opéra, une honnête personne du reste qui mourut un an après son mariage. Il fut envoyé comme procureur général au Cap, où il resta trois ans à son retour il fut nommé député à l'Assemblée législative. Vers la fin de 1793, il fit jouer au Théâtre français Paméla, une pièce en cinq actes et en vers dans laquelle il prêchait la modération cette comédie fut cause que le théâtre fut fermé, les acteurs détenus aux Madelonnettes, n'échappèrent au Tribunal révolutionnaire que grâce au dévouement de La Bussière, un employé du Comité de Salut public qui avait autrefois joué les jocrisses dans les théâtres de Société. En 1797 François de Neufchâteau fut nommé ministre de l'Intérieur, puis membre du Directoire en

.30.


démission, en rappelant que sa santé l'avait déjà forcé à refuser le titre de député. A sa place, on nomma alors Garat, littérateur distingué, patriote éprouvé, esprit modéré mais ferme, qui refusa de servir d'instrument à la Gironde ou de s'inféoder aux Montagnards, et ne cessa, mais en vain, de conseiller la conciliation aux deux partis.

A la place de Servan, démissionnaire, on élut, comme ministre de la guerre, Pache, par 441 voix sur -560 votants, Quand il s'était agi de la démission de Roland, celui-ci avait déjà désigné Pache pour son successeur le ministère de l'intérieur restant occupé, on plaçait Pache à la guerre.

Pache était un employé modeste, mais laborieux une sorte de secrétairegénëra!, quivataitàiui seul dix bureaux I) avait tot~temps vécu en Suisse, et était rentré en France au moment de la révolution, rendant le brevet d'une pension que lui servait le duc de Castries. Entré dans les bureaux du ministre de l'intérieur, on l'avait tout de suite remarqué pour son application. H apportait son repas dans sa poche et ne sortait même pas du bureau pour aller déjeuner. Roremplacement de Carnot, et enfin de nouveau ministre de Fin. térieur. En i804, it présidait ie Sénat et trouva cette phrase à l'adresse de Napoléon I" Dieu protège la Francé, sire, puisqu'il vous a créé pour elle. U fut créa comte de l'empire et nommé de l'Académie française. En i8i4 François de Neufchateau se ralllaà LouisXVHI qu'il aborda par ces mots 'Je salue en vous un père tutélaire qui nous est. enfin rendu. Durant sa jeunesse, de Neufchâteau fut ce que l'on appelle un homme à bonnes fortunes it mourut en i828 il s'était retiré a~ta campagne où it composait des vers it s'éteignit un matin de printemps, en se promenant dans son jardin, comme il se chaunait aux premiers rayons d'avril.


land le tenait en grande estime et il l'avait cité à Servan pendant les mois d'août et de septembre, durant lesquels Pache continua à travailler avec persévérance. Servan parti, Roland proposa Pache comme ministre il fut élu et bien accueilli par tout le monde par les Girondins, qui espéraient avoir une créature facile à manier, et par les Jacobins, vis-à-vis desquels le nouveau ministre s'était montré employé plein de déférence.

Quand Pache prit possession du ministère de la guerre, il eut à s'occuper du siège de Lille, bombardée parles Autrichiens.Malgré une canonnade de plusieurs jours, nourrie comme un feu de file, les habitants résistèrent avec courage et se défendirent avec intrépidité. La Convention décréta que la ville de Lille et sa garnison avaient bien mérité de la patrie. Les ennemis furent obligés de lever le siège pour aller se faire battre par l'armée de Dumouriez, après avoir détruit le quartier Saint-Sauveur, le plus peuplé de la ville, et démoli plus de cinq cents maisons. Pendant le siège, la sœur de Marie-Antoinette, l'archiduchesse Christine, avait voulu venir jusqu'au pied des batteries pour contempler le spectacle d'une ville française incendiée par les boulets.

Tout en combattant contre l'étranger, on avait pris plusieurs émigrés les armes à la main neuf d'entre eux, conduits à Paris, furent condamnés à mort et exécutés. Le peuple accourut à ces exécutions, comme il accourut aux obsèques du membre de la Commune


Meusnier, patriote obscur, mais jouissantd'une bonne réputation de quartier, tué dans une échauH'ourée en faisant des visites domiciliaires. C'était un des vainqueurs de la Bastille. Son cercueil fut porté par douze forts de la halle et douze membres de la Commune. Le cortège s'arrêta sur la place de la Bastille, où Tallien prononça l'éloge du défunt, et Manuel un discours, d'où émerge cette phrase bien dans le style de l'époque a Il n'y a point ici de prêtres, où plutôt nous sommes tous.prêtres, et nos larmes servent d'eau bénite. »

Meusnier laissait sans fortune une veuve, à qui les Jacobins votèrent des félicitations. Ce même club assista à un spectacle touchant, provoqué par une autre femme, l'épouse du commandant Lavergne, qui avait rendu Longwy elle se présenta en habits sombres,accompagnée de son père, qui lut un long mémoire, tendant à disculper le commandant de Longwy. Le président, un patriote ardent, mais obscur, ne trouva que ces deux paroles à répondre à la touchante démarche de cette femme, qui venait plaider pour l'honneur de son mari

Citoyenne dit le président, la nation jugera Lavergne. En attendant, les Jacobins lui doivent la vérité: il eût terminé sa carrière, s'il eût'aimé l'honneur de son pays.

La malheureuse femme releva la tête, et fit une réponse comme, seul, un cœur blessé peut en dicter Il aurait terminé sa vie, s'il n'eût espéré la vendre chèrement ailleurs.

La Convention se montra .plus humaine que les Jacobins, décidant, dans la séance du 9 octobre, que


les pensions des religieuses, dont le montant n'excédait pas mille livres, seraient payées d'avance. Déjà, le 4 octobre. !'AssemMée avait voté cinq cent mille livres pour l'entretien de la famille royale au Temple. A'ce sujet, la Commune était informée que, malgré les précautions prises, des personnes bien mises se mettaient aux croisées des mansardes des maisons voisines où l'on croyait apercevoir des signaux. On décida que la porte extérieure serait fermée jour et nuit.

An dedans, on observait sévèrement la consigne, qui défendait aux prisonniers de parier bas pendant le temps de leur repas, le seul temps où ils se trouvaient maintenant réunis. M" Elisabeth oublia, un jour, cette prescription, et dit doucement, quelques mots à son frère.

Le municipal de garde se mit en colère

Les secrets des tyrans, dit-il, sont des conspirations contre le peuple. Parlez haut ou taisez-vous la nation doit tout entendre.

Malgré cette étroite surveillance, trois anciens'employés des cuisines du roi, fidèles à leur maître dans le malheur, Turgy, Marchand et Chrétien, en affectant un patriotisme exagéré, étaient parvenus à s'introduire au Temple comme servants et rendaient de petits services à la famille royale ils procurèrent, notamment, un crayonà Marie-Antoinette, etunàM"~ Elisabeth, qui toutes deux déchirèrent des pages blanches de leurs livres de prières et purent ainsi faire passer cinq à six billets au dehors, et notamment à la marquise de Roigecourt, ancienne dame d'honneur. Les souffrances avaient fait grisonner les beaux che-


veux blonds de la reine en blanchissant, le malheur semblait mettre une auréole autour de cette femme autrefois si puissante, si adulée, et aujourd'hui dans les souffrances et l'angoisse, en butte aux brutalités et aux grossièretés des guichetiers, auxquels la Commune eut le tort de ne pas imposer la retenue et le respect que l'on doit à l'infortune.

L'hiver approchait on approvisionna le Temple de charbon et de bois.

Cette question de l'hiver préoccupait les ménagères, qui se souvenaient de n'avoir pu, l'année précédente, allumer du feu, pendant les grands froids, faute de combustible.

On fit publier un avis, informant les Parisiens que l'approvisionnement était assuré on ajoutait que la consommation serait moindre cette année, « attendu que les grands brûleurs sont émigrés, a

Les habitations des émigrés étaient vides en effet, et les scellés apposés sur leurs maisons coûtaient environ douze mille livres par jour pour les gardiens, somme considérable aussi la Commune adressaitelle une pétition à la Convention pour empêcher ces dépenses énormes.

Au milieu de ces incidents, on apprenait d'excellentes nouvelles du dehors à Niort, on avait installé un atelier dans la maison commune, où l'on travaillait à l'équipement des armées les femmes de la ville venaient concourir aux travaux, pendant que la


musique jouait des morceaux guerriers et que le maire lisait le bulletin des victoires de t'armée'. A Valensales, en Provence un petit propriétaire avait envoyé ses cinq fils à la frontière it partit, lui sixième. Comme il lui restait une fille, elle s'habilla en homme et alla rejoindre ses frères.

Exemple peu rare de cette pétulance méridionale qui provoque le courage, constaté par les annales, des enfants de Gascogne et de Provence, (1-2) Chronique de Pari*.


LIV

DUMOURIEZ A PARIS

La République mise au-dessus de toute discussion. Aversion des Girondins pour Paris. Dumouriez à Paris. Il ae rend à la Convention et au Ciub des Jacobins. Marat et Dumouriez. Le Générât au théâtre. M"" Roland fuit Danton. La Gironde et la Montagne se trouvèrent d'accord pour repousser la proposition d'un conventionnel qui, dans la séance du 16 octobre, demanda que l'établissement de la République fût soumis à la sanction du peuple.

Buzot se prononça contre cette idée, et Danton la combattit avec chaleur.

La République, s'écria le tribun, est déjà sanctionnée par le peuple, par l'armée, par le génie de la liberté qui réprouve tous les rois. Ne nous occupons plus que de faire une constitution qui soit la conséquence de ce principe.

C'était décréter que la République était au-dessus des discussions et des agitations. Pour proclamer ce principe, les modérés et les avancés se rencontrèrent dans un mouvementunanime de patriotisme etd'amour de la liberté.


Malheureusement, cette union de tous ces cœurs ardents, de ces esprits élevés, durait peu, et la division recommençait, quand il s'agissait de savoir quelle direction on donnerait à cette République, sur le principe de laquelle ils étaient tous d'accord.

Les Girondins en voulaient surtout à Paris, à cause de ses députés; ils montraient de la défiance contre la grande et noble cité, et, le 12 octobre, Buzot s'écriait du haut de la tribune:

C'est peut-être une faute que nous avons commise de ne pas nous saisir, des le commencement, de la police de Paris 1

Prudhomme répondait dans son journal « Ce n'est pas tant une garde que vous désirez en ce moment, que l'occasion et le prétexte de sortir de Paris, dont la surveillance active vous gêne, vous importune et vous blesse. n

Quitter Paris les Girondins l'auraient désiré; mais il n'y fallait plus songer, et ils durent se résigner à siéger dans la capitale, dont l'effervescence n'était pas sans les troubler.

C'est dans cet état d'esprit que Dumouriez trouva tes partis, quand, après la retraite des Prussiens, il vint à Paris, sous prétexte d'exposer au ministère ses plans d'invasion de la Belgique; mais, en réalité, pour se rendre compte de la situation politique dont il auràit désiré profiter, si c'eût été possible.

Il arrive, le dl au soir. Dès le lendemain, il se rend à la Convention, accompagné de plusieurs officiers. L'Assemblée interrompt ses travaux pour recevoir le général victorieux, qui paraît à la barre. Dumouriez parle crânement


La liberté triomphe partout, commence-t-il elle parcourra l'univers; elle s'assiéra sur tous les trônes, après avoir écrasé le despotisme 1

Puis il fait un tableau très vivant du camp qu'il vient de quitter, ajoutant que « les chants et la joie auraient fait prendre ce camp terrible pour un de ces camps de plaisance où le luxe des rois rassemblait des automates enrégimentés pour l'amusement de leurs maîtresses et de leurs enfants. »

On attendait le serment de Dumouriez à la République mais le malin général évita de se prononcer. Je ne vous ferai point de nouveaux serments, finit-il je me montrerai digne de commander aux enfants de la liberté, et de soutenir les lois que le peuple souverain va se faire à lui-même par votre organe. Ces paroles sonnaient bien; mais elles ne contenaient pas une adhésion nette et catégorique à la République. Néanmoins, Dumouriez fut vivement applaudi, et, après avoir reçu les félicitations du Président, les honneurs de la séance lui furent décernés.

En sortant de t'Assemblée, Dumouriez se rendit au ministère de l'intérieur, où il apporta un bouquet à M" Roland qui, tout en le complimentant, lui déclara qu'on le jugeait royaliste, et lui montra que la Gironde se défiait de lui on n'avait pas oublié que Dumouriez, alors ministre de la guerre, avait fait chasser les Girondins du pouvoir, il y avait quelques mois à peine. Le 14, Dumouriez, accompagné de ses deux amis, Santerre et Danton, alla assister à la séance du club des Jacobins; il reparut à cette même tribune, où il


avait arboré le bonnet phrygien, le soir où il avait pris possession du ministère de la guerre.

Ayant aperçu Robespierre, le général courut l'embrasser. Après un discours aux « frères et amis », Dumouriez fut complimenté par Danton et par Collot d'Herbois, dont le discours sur la demande même du général fut imprimé et envoyéaux départements. Tandis qu'on fêtait le général, Marat selon son habitude essayait de diminuer l'homme par des attaques passionnées. Ayant appris que Dumouriez avait puni le bataillon de Mauconseil qui se trouvait à la frontière, il courut au Comité de sûreté générale et dénonça le général. Le Conseil chargea Montaut, Bentabole et Marat de demander des explications à Dumouriez.

Voici ce qui s'était passé

Le bataillon de Mauconseil, qui avait pour lieutenantcolonel l'insipide Palloy, le démolisseur de la Bastille, avait pris quatre émigrés et les avait massacrés. Pour le punir, Dumouriez avait condamné les soldats à être dépouillés de leurs uniformes, de leurs armes et de leurs drapeaux.

Marat, chargé par le Comité de sûreté générale de demander compte de ce fait, se mit à la poursuite de Dumouriez qui, à ce moment, assistait à une soirée que lui offrait Talma. Celui-ci avait réuni, dans sa maison de la rue Chantereine, des artistes, des jolies femmes et quelques hommes politiques. Ce soir-là, Vergniaud, Brissot, Kersaint, Lasource, Ducos, Joseph-Marie Chénier, Gorsas, se trouvaient réunis on voyait aussi, faisant leur cour aux élégantes en costumes de bal, l'acteur républicain Dugazon et Santerre.


M"' Candeille, la jolie maîtresse de Vergniaud, jouait du piano, et les groupes dansaient, tandis que d'autres entouraient Dumouriez.

Pendant ce temps, Marat courait les spectacles de Paris, espérant y rencontrer le général et lui demander compte de la mesure prise vis-à-vis du bataillon parisien. L'Ami du peuple se rend au théâtre des Variétés, mais Dumouriez venait de sortir; on lui apprend là qu'il se trouvait rue Chantereine, chez Talma. Il y court, toujours accompagné des patriotes Montaut et Bentabole.

Mafat arrive, trouve les environs de la maison de Talma encombrés de voitures, d'équipages et de détachements de la garde nationale, venus pour faire escorte au commandant général Santerre.

Marat, quoique en costume négligé, la tête enveloppée de son légendaire madras, entre, traverse les salons éclairés et garnis de fleurs, et, suivi des deux autres délégués, va droit à Dumouriez.

Je suis chargé pour vous d'une mission, dit-il celle d'avoir des renseignements sur la conduite des bataillons Mauconseil et Républicain.

La soirée s'était arrêtée net la musique avait cessé, les conversations s'étaient interrompues, et chacun envisageait ce spectacle étrange de Marat, venant relancer Dumouriez dans Un bal, pour lui poser des questions.

Dumouriez toisa Marat et lui dit:

Ah c'est vous qu'on appelle Marat?

Oui; je demande des renseignements (t) La suite du dialogue est rapportée par Marat. lui-même dans son journal.


Les pièces sont au ministère de la guerre. J'ai couru tous les bureaux, et je n'ai pu en avoir aucune.

J'ai mon rapport à la Convention et je m'y réfère.

Oh Monsieur, vous ne vous en tirerez pas de cette manière; le Comité de surveillance n'a aucune pièce.

Je suis sllr qu'il y en a.

Dites donc où elles sont?

Je crois, Monsieur, que je mérite croyance, quand je parle.

Si vous méritiez une confiance entière, nous n'aurions pas fait la démarche que nous faisons en ce moment; il y a un dessous de cartes dont il faut connaître le fond. A qui persuadera-t-on que douze cents hommes se livrent à des excès sans motifs ? On dit que les personnes massacrées étaient des émigrés? Eh bien Monsieur, quand ce seraient des émigrés ?

Les émigrés sont des rebelles à la patrie, et vos violences envers les bataillons sont d'une rigueur impardonnable.

Oh vous êtes trop vif, Monsieur Marat, pour que je parle avec vous.

Et Dumouriez tourna les talons à l'Ami du peuple.

Marat s'en prend alors à la société ette-meme, qu'il appelle < un ramas de contre-révolutionnaires et de concubines f.


Talma intervient

De quel droit, dit le tragédien, viens-tu insulter ma femme et ma sœur ?

Marat sortit furieux, toujours accompagné de ses deux acolytes; il se rendit au Comité de surveillance, qui retrouva effectivement les pièces au ministère de la guerre.

Mais Marat ne se tint pas pour battu il alla au club des Jacobins, soutenant que les quatre victimes du bataillon Mauconseil a étaient quatre Français, émissaires des émigrés, qui venaient feindre de s'enrôler pour trahir la patrie. »

Le club ne voulut prendre aucune mesure. Marat continua alors la campagne dans. le Journal de la République, qui avait remplacé !A}Kt du Peuple.

Il prit violemment à partie Dumouriez « qui abandonnait son armée pour venir courir les théâtres, se livrer à des orgies chez des acteurs, avec des nymphes d'opéra. » « On connaît le goût de Dumouriez pour le libertinage, ce Sardanapale. »

C'était beaucoup dire pour une soirée charmante, passée en compagnie de jolies femmes et de gens d'esprit, chez un acteur dé talent.

Finalement, Marat eut raison dans cette affaire les armes et les drapeaux furent rendus au bataillon Mauconseil, qui se trouva ainsi pardonné du crime d'avoir massacré quatre prisonniers'sans défense. Les soldats du Mauconseil avaient seulement cette excuse c'est que le crime avait été commis à la suite d'une rixe (i) Souvenirs <fM)te<M<ft'c< (M" Louise Fugït), t. 1, eh. xi.


survenue dans un cabaret entre les émigrés et les patriotes.

Pour Dumouriez, le plaisir et les chaudes réceptions ne s'arrêtaient pas; Danton l'accompagnait la plupart du temps. Le général aurait voulu opérer un rapprochement entre la Gironde et Danton il ne put y parvenir. Il aurait fallu faire oublier à M" Roland l'épi"gramme lancée parDanton dans une précédente séance, et la grande inspiratrice de la Gironde, blessée dans son amour-propre, s'y refusa.

Un dernier soir de son séjour à Paris, Dumouriez alla à l'Opéra, et le rapprochement faillit avoir lieu. Dumouriez occupait une loge à gauche de celle du ministre; il était suivi par plusieurs 'officiers; aussi, lorsque Danton, accompagné de sa mère et de sa femme, arriva, il ne trouva pas de place, et il se fit alors ouvrir la loge où il avait l'habitude d'aller quand il était ministre, il y avait quelques jours à peine, celle de son collègue le ministre de l'intérieur. M* Roland, donnant le bras à Vergniaud, vint un peu plus tard, accompagnée de sa fille. o: J'aperçois alors, dit-elle, la grosse figure de Danton, celle de Fabre et de trois ou quatre femmes de mauvaise tournure. Le spectacle était commencé; ils fixaient le théâtre Danton s'inclinait sur la loge voisine pour causer avec Dumouriez, que je reconnus, le tout d'un clin d'œit, sans que personne de la loge m'eût vue. Je me retirai subitement en poussant la porte B

En se retirant, c'était peut-être la paix et l'union (i) ift~MM-M de if" Roland, t. I, p. 387.


entre la Gironde et la Montagne qu'elle laissait dans cette loge.

Si eUe avait eu moins de rancune contre le mot de Danton, eUe serait entrée, elle aurait vu que ces dames, qu'elle qualifie de « femmes à mauvaise tour.nure après un clin d'oeil furtivement jeté à travers une porte entr'ouverte, étaient dés femmes de cœur et d'esprit. « Elle se fût liée malgré eUe, et elle aurait été touchée »

Tout porte à croire que ces femmes, se rencontrant, auraient, avec cet admirable instinct féminin, plein de cœur et de finesse, ménagé pour le lendemain des rapports, qui auraient émoussé les haines et amorti le choc des divisions.

Mais M"* Roland ne le voulut pas, et son amourpropre froissé fut cause peut-être d'incalculables malheurs.

A quoi tiennent souvent les destinées d'un parti et d'un pays

Dumouriez regagna l'armée, sans avoir obtenu de résultat, et bien persuadé que, s'il avait été bien reçu par les Montagnards comme par les Girondins, il n'en avait conquis aucun.

Pendant que Dumouriez s'éloigne pour rejoindre son armée, on cétëbre le mariage du premier divorcé qui eût usé de la loi nouvelle du 20 septembre, n'exigeant plus qu'une publication, un dimanche, avec affiches pendant huit jours.

(t)Mtchelet,t.IH,p.57.


Ce divorcé n'avait du reste pas perdu de temps. Ce jugement de divorce qui était le premier rendu en France l'avait été par le juge de paix de la section de 1792, le 12 septembre, « entre le sieur Bouchez, tailleur, et la demoiselle Cécile Caux, son épouse, sur le motif que leurs humeurs et caractères n'étaient pas compatibles. Pour éviter les longueurs et frais d'un partage judiciaire de leurs biens, ils l'ont partagé eux-mêmes par moitié pour chacun. Ces époux n'avaient point d'enfants'. t

Bouchez prend le temps de chercher une autre épouse, dont l'humeur lui paraisse plus accommodante, et se présente devant l'officier de l'État civil, qui le marie.

C'est Chaumette qui célèbre ce mariage et qui prend la parole

Jeunes époux, dit-il, qu'un tendre engagement a déjà unis, c'est sur l'autel de la liberté que se rallument pour vous les flambeaux de l'hymen; le mariage n'est plus un joug, une chaîne; il n'est plus que ce qu'il doit être l'accomplissement des grands dessins de la nature, l'acquit d'une dette agréable que doit tout citoyen à la patrie.

(1) Chronique de Partt, 25 septembre 1792.

(2) Journal de Perfet, octobre 1792.


Du 18 au 24 octobre H92.

LV

LES CONCUSSIONS DE DANTON

La Convention demande une constitution. Marat réclame encore pour le bataillon de Mauconseil. Danton invité à rendre ses comptes.- Ses explications. Les dépenses secrètes. Pourquoi il n'avait pas de quittances. Conclusion. Sages paroles du patriote Gonchon. Les souliers des soldats. Condamnation des voleurs du garde-meuble. Politesses révolutionnaires.

Après avoir repoussé l'idée de soumettre la République à la sanction du peuple, après en avoir mis le principe au-dessus de toute discussion, la Convention nomme immédiatement le comité chargé d'élaborer le plan de la nouvelle Constitution.

De ce comité furent étus Siéyës, Thomas Payne, Brissot, Pétion, Vergniaud, Gensonné, Barrère, Danton et Condorcet.

La Convention invita tous les amis de la Liberté à communiquer, en toutes langues. les idées qu'ils croiraient propres à servir de matériaux pour la Constitution.

En attendant, Marat, qui n'avait pas encore obtenu satisfaction pour les soldats du bataillon de Mauconseil, porta la question à Convention.


HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 551 Son apparition à la tribune fut saluée par de véritables huées.

Mais lui, sans se déconcerter

Je vous demande, président, du silence. J'ai, comme la clique qui m'interrompt, le droit d'être entendu 1.

Ayant obtenu un calme relatif par cette insolente sortie, répondant à une attitude inconvenante de l'Assemblée, Marat s'indigna contre la mesure prise contre les soldats du bataillon parisien, et représenta les quatre émigrés massacrés comme des espions qui « conspiraient peut-être avec Dumouriez. sLe mot « peut-être était bien honnête de la part de Marat, peu habitué à garder de pareils ménagements vis-à-vis de ses adversaires.

La conclusion fut la demande d'un décret d'accusation contre le général Chazot, qui avait fait le rapport à Dumouriez pour avoir calomnié indignement les deux bataillons de Paris; ils ne sont point coupables de l'assassinat de quatre déserteurs prussiens, mais de la mort provoquée de quatre émigrés français qu'on voulait soustraire au glaive de la justice. ? » Marat appelait « le glaive de la justice l'assassinat de quatre prisonniers désarmés par des centaines, de soldats surexcités

Un député de la Plaine, indigné, Boileau, monta à la tribune pour parler contre « l'agitateur dont le nom fait frémir d'horreur demandant « qu'on ne s'occupe plus de lui et quand il parlera à cette tribune, qu'elle soit à l'instant purifiée.

(i) Httfotrc Parlementaire. t. XIX, p. 330.


La Convention passa à l'ordre du jour. Mais nous avons dit que Marat finit par obtenir raison et par faire rendre aux deux bataillons leurs uniformes et leurs drapeaux.

On passa immédiatement à la lecture du compte administratif du ministère de l'intérieur, pour sa part dans les millions mis à la disposition du conseil exécutif (loi du 2 août 1792).

Ce compte fut approuvé, et un député de Marseille, Rebecquy, se tournant vers Danton, dit au milieu des applaudissements « Je demande que tous les ministres rendent compte comme Roland. ))

Danton, visé, répondit, sans aucun embarras, que le Conseil n'était comptable qu'en masse. H D'ailleurs, il est telle dépense qu'on ne peut pas dénoncer ici; il est tel émissaire qu'il serait impolitique et injuste de, faire connaître; il est telle mission révolutionnaire que la liberté approuve et qui occasionne de grands sacrifices d'argent. s

Danton avait reçu 408,482 fr. pour son ministère; comme il le disait, il avait employé des fonds secrets à des missions secrètes, et « pour la plupart de ces dépenses, j'avoue que nous n'avons pas de quittances bien légales. ? c Tout était pressé, tout s'est fait avec précipitation. e

C'est ce qu'approuva Cambon, qui reconnut qu'il <f ne faut point, pour des dépenses secrètes, demander un


compte public. Ces dépenses sont sujettes à un mode particulier de comptabilité. »

Danton avait rendu compte de ces dépenses pour espionnages et autres du même genre, à ses collègues du ministère et, quoique Roland n'eût pas assisté à la séance où les ministres s'étaient mutuellement expliqués sur ces faits d'un genre particulier, il n'en est pas moins certain qu'une vérification fut faite en commun.

Dans une séance postérieure, après que Roland et la Gironde eurent pu s'informer, prendre tous les renseignements et au besoin faire toutes les constatations et vérifications nécessaires, la Convention passa à l'ordre du jour sans qu'il s'élevât une seule protestation.

On peut donc conclure que, pour les 408,482 fr. reçus par Danton, comme ministre, c'est une affaire réglée les Girondins avaient alors la majorité et le désir de perdre Danton s'ils l'avaient pu; ils ne le purent pas et la Convention donc jugea les dépenses faites comme régulières et sincères.

La discussion ne pouvait porter évidemment que sur les dépenses secrètes et extraordinaires du Conseil exécutif. Quant aux comptes particuliers de son ministère, Danton les établit et les déposa sur le bureau de l'Assemblée, lorsqu'il lui remit le portefeuille de la justice

Nous avons le droit de dire que, sur ce point, aucune des accusations portées contre la probité de Danton ne peuvent être retenues par un observateur im(i) DtM<on,–<fe'HOtres:M' sa vie privée, par le Docteur Robinet, p. 141.


partial; plus tard, nous verrons que les accusations formulées à propos de la gestion financière de la Belgique n'ont pas non plus de portée mais, nous cantonnant dans le compte-rendu des dépenses de son ministère, on peut affirmer hautement que sa probité est intacte.

Nous avons dit en effet, avec M. le Docteur Robinet, divisé les comptes en deux parties les comptes publics déposés sur le bureau de la Convention le jour où Danton se démit du pouvoir et les comptes secrets.

Pour ces derniers, Danton reconnaît ce qui est tout naturel qu'il ne peut en justifier par des quittances régulières, mais qu'il en a rendu compte à ses autres collègues.

A ce moment, la Gironde détient le pouvoir; elle a la majorité dans la Convention, par conséquent tous les moyens d'information possibles. Huit jours se passent; les ennemins de Danton et ils sont aussi nombreux qu'acharnés –durent s'enquérir auprèsdes anciens ministres, dans les bureaux, et, quand la question revient après huit jours de cet examen entrepris par des ennemis passionnés, pas une protestation ne se fait entendre et on passe à l'ordre du jour. Pour nous, la question est résolue pas le moindre reproche ne peut être adressé à Danton.

Comme le dit très justement Michelet: « Danton, en réalité, tenait dans la main toutes les grandes affaires secrètes qui intéressaient le salut de la France; ces affaires de diplomatie et de police où un homme politique est obligé de jeter l'argent et ne peut compter. »


Danton ne compta pas; il avait à sauver la patrie, et il la sauva. Il employa des agents secrets d'une moralité douteuse, hommes d'affaires mêlés aux conspirations. Pouvait-il faire autrement? comme il le disait lui-même. « Et qui voulez-vous que j'envoie? seraient-ce des demoiselles? »

C'est lui qui négocia la retraite des Prussiens c'est lui qui fit échouer l'entreprise des émigrés de Jersey, qui devaient aller rejoindre les Bretons de la Rouërie, et dont il déjoua les plans par l'entremise de Lasouche, un jeune médecin qui soignait le chef breton c'est lui, enfin, qui acheta d'un Loligant Morillon les secrets des conspirateurs de Coblentz.

Tout cela coutait de l'argent; et il ne retira pas de quittance de ces dépenses secrètes.

Il nous semble que nous en avons assez dit pour démontrer que Danton sortit du ministère avec la conscience d'avoir rendu les plus grands services à sa patrie, sans qu'on puisse lui reprocher comme on le fit plus tard la moindre dilapidation.

Et, on ne saurait trop le répéter, si un reproche eût pu être adressé à l'ancien ministre, la Gironde, très excitée contre Danton, n'eût pas manqué de le lui faire. Depuis l'ouverture de la Convention, il était en butte à ces députés <( qui ne parlaient pas, passaient de longues séances les yeux fixés sur leurs adversaires, maigrissant à les regarder, blémissant et s'épuisant à les deviner, croyant pénétrer leurs pensées, et, sur un


mot, sur un geste, se créant les plus terribles systèmes 1. »

Ces divisions alarmaient les patriotes, et, de tous côtés, le peuple se demandait quand tout ceci finirait. Le faubourg Saint-Antoine envoya son orateur habituel, un brave homme, un peu simple, mais de gros bon sens, Gonchon, qui se rendit, le 21, à la barre de l'Assemblée, au nom de son faubourg, pour parler le langage de la raison.

Dans une forme ampoulée, suivant le style général de l'époque, il vint déclarer que « celui qui calomnie le peuple est un tyran, mais celui qui le flatte veut le devenirs. Puis, s'adressant aux deux partis a Emoussons le glaive de la démagogie, mais n'aiguisons pas celui du modérantisme il a déchiré le sein de la patrie. Les représentants de vingt-cinq millions d'hommes ne peuvent, sans honte pour eux et sans danger pour les autres, s'abandonner aux vents des factions et négliger l'intérêt de la République pour s'occuper de haines particulières. » « C'est avec douleur, continua Gonchon, que nous voyons des hommes faits pour se chérir et s'estimer, se haïr et se craindre autant et plus qu'ils ne détestent les tyrans. Et n'êtes-vous pas, comme nous, les zélateurs de la République, les fléaux des rois et les amis de la justice? On s'attribue mutuellement des torts imaginaires. Imposez silence à l'amour-propre, et il ne faudra qu'un moment pour éteindre le flambeau des divisions intestines. S'immoler pour le bien de la patrie, ce n'est pas mourir; c'est prendre le chemin le plus court pour l'immortalité. »

(1) MicheIet, t. IV, p. 31.


Ce discours fut interrompu plusieurs fois par des acclamations, la péroraison excita l'enthousiasme de toute la salle, et l'impression de l'adresse du faubourg Saint-Antoine fut votée à l'unanimité. Mais ce beau zèle pour des paroles de conciliation n'empêcha pas les divisions de s'aviver; elles ne s'apaisaient ou plutôt elles ne sommeillaient que lorsqu'il s'agissait de l'intérêt de la République ou du salut de la patrie. Le 19, on approuvait le nouveau ministre de la guerre, qui pressait les marchés pour fournir aux troupes les souliers dont elles commençaient à avoir besoin.

-Le 23, le tribunal criminel prononçait la peine de mort contre un Joseph Picard et une fille Louise Leclercq, pour le vol du garde-meuble ces deux accusés n'obtinrent un sursis à l'exécution qu'en révélant des détails qui amenèrent l'arrestation et la condamnation de nombreux complices.

A côté des graves discussions viennent se placer les minces controverses sur la mode et les usages. Cette semaine, c'est le Patriote français qui demande qu'on proscrive le titre de « citoyen qui avait déjà remplacé l'appellation de « Monsieur (i) C'est ce que Dupin, président de la Législative en 1849, traduisait en rappelant ce vers

Appelons-nous messieurs et soyons citoyens.

Le vers exact est

Appelez-vous messieurs, mais soyez citoyens.

Il est d'Andrieux dans le Dialogue eH<r«<eM:oMma<t<<et.


« Républicains comme les Romains, plus libres qu'eux, destinés à être aussi vertueux, imitons leur exemple ne faisons précéder les noms d'aucun titre; disons Pétion, Condorcet, Paine, comme on disait à Rome, Caton, Cicéron, Brutus. Si cette simplicité vous semble rudesse, si elle vous semble prématurée, ajournons-la; mais ajournons aussi la République. » Un patriote écrivait à la Chronique de Paris pour que le tu remplaçât le vous dans la conversation enfin, un autre proposait que, désormais, pour saluer, « au lieu d'ôter leurs chapeaux, lorsqu'ils se rencontreraient, les Français portent la main droite à leur cœur, en signe de bienveillance et de cordialité. »


Uu 25 au 3t octobre i792.

LVI

LOUVET CONTRE MARAT

Reprise d'Tpttt~nfe à l'Opéra. Les cochers de fiacre. Contre la sainte Ampoule. Les Marseillais à Paris. Leurs tracasseries. Rapport de Roland. Robespierre attaqué. Réquisitoire de Louvet. Au Temple.

La semaine dernière, on réclamait des modifications dans les appellations des particuliers cette semaine, les villes demandaient à changer de nom, et la ville de Port-Louis, dans le Morbihan, introduisit une pétition dans ce sens devant la Convention, qui lui donna le nom de Port-de-ta-Liberté.

A t'Opéra, on supprimaitles couplets faisant l'éloge des reines, et à la reprise de l'Iphigénie, de Gluck, on retranchait le chœur bien connu, que les royalistes étaient venus si souvent applaudir

Chantons, célébrons notre reine.

Autrefois, on avait bissé; aujourd'hui, on proscrivait cet air changement de temps 1

Ce qui ne changeait pas, en dépit de la Révolution, c'étaient l'insolence et les exigences des cochers. Sous


prétexte de liberté, les cochers de fiacre poussaient le sans-gêne jusqu'à ne vouloir conduire les voyageurs qu'après leur avoir demandé l'endroit où ils voulaient aller, et quand la course leur déplaisait, ils ne marchaient pas ou demandaient des prix exagérés. La Commune dut intervenir pour rappeler aux cochers les règlements de police et les tarifs. Cette licence des cochers était un amour de la liberté mal entendu, comme c'était un patriotisme mal entendu aussi, ou tout au moins un peu puéril, que celui qui poussait Alexandre Beauharnais à demander à la tribune du club des jacobins de Strasbourg que la sainte Ampoule fut portée à Paris, et qu'en présence de la Convention, l'huile qu'elle renfermait fût brûlée avec la plus grande solennité.

Les Rémois évitèrent cette mise en scène un peu théâtrale, en laissant briser, en place publique, la sainte fiole d'huile qui avait servi au sacre des rois (1) La sainte Ampoule a une histoire et une légende. La légende veut que le jour du sacre de Clovis leclercportant le saint chrême ne pouvant entrer dans l'église à cause de la foule, saint Remi leva les yeux au ciel et une colombe vint se poser sur son épaule apportant a son cou une fiole remplie d'un baume céleste. Cette fiole et son contenu n'auraient été autre que la sainte Ampoule.

Les vieux chroniqueurs tels que Grégoire de Tours, Ffédégaire, Avitus, Flodoard ne parlent pas de ce miracle. On ne voit apparaître pour la première fois la sainte Ampoule qu'au couronnement de Louis VII.

La sainte Ampoule de Reims était une petite Sole de couleur blanche ayant 40 millimètres de haut, sa circonférence était de 15 millimètres le baume qu'elle contenait était roux, peu liquide et sans transparence. Placée dans un reliquaire, elle était enfermée dans le tombeau même de saint Remi dans l'abbaye de ce nom. Quand on avait besoin de la sainte Ampoule poat un couronnement, l'abbé l'apportait lui-même et quatre


A Paris, la Gironde se gardait bien de modérer son ardeur un bataillon de sept cents Marseillais arrivait avec les idées les plus belliqueuses, venant pour combattre « les agitateurs et les hommes avides de tribunat ou de dictature. On dit que cette garde qu'on vous propose p eut devenir une garde prétorienne; nous ne répondrons qu'un mot Nous y serons. » Ce bataillon, appelé à Paris par Barbaroux et les députés des Bouches-du-Rhône, était composé de fils de famille, bourgeois riches, qui s'étaient équipés à leurs frais et avaient formé une sorte de masse où chacun avait apporté mille livres.

Dès leur arrivée ils se signalèrent par leurs violences ils se mirent à la poursuite des marchands qui vendaient le journal de Marat, et affichèrent au café de Chartres, au Palais Royal, un placard sur lequel on lisait Il faut pendre Marat. B Au bas on avait placé cet avis « Quiconque enlèvera cette affiche sera pendu sur-le-champ. p

II fallut que la Commune intervînt pour faire enledes plus grands seigneurs restaient en otage a l'abbaye. Quoi. que la fiole fût très petite, son contenu durait longtemps car l'évêque consécrateur n'en prenait qu'avec une aiguille d'or et mêlait cette parcelle au saint chrême.

Dans l'inventaire des chasses de Reims, qu'on dressa le 13 novembre 1792, it n'est pas parle de la sainte Ampoule qui avait été mise de côté par M. Seraine, curé de Saint-Remi. Mais le conventionnel RM, en mission dans la Marne, ayant appris l'existence de la sainte Ampoule, se la fit apporter et la brisa à coups de marteau en présence de tout le peuple sur les degrés du piédestal de la statue de Louis XV. Plus tard, en 18i9, on prétendit que l'abbé Seraine, avant de livrer la sainte Ampoule à Rut, avait gardé une partie du liquide miraculeux on recueillit précieusement cette parcelle ou ce qu'on disait être tel et on la fit servir au sacre de Charles X.


ver cette affiche, qui aurait pu être la cause de troubles, si les amis de Maratavaient voulu répondre par les mêmes moyens à ces fougueux bourgeois de Marseille.

On le voit, les Girondins,qui reprochaient à Marat son intolérance, employaient les mêmes moyens que lui. A l'Assemblée, c'était bien pire. Dès qu'un Montagnard voulait parler, on essayait de lui fermer la bouche par lea cris, les interruptions, les rires et les huées.

Ils en étaient arrivés à présenter un projet de loi, punissant ceux qu'ils appelaient « les provocateurs du meurtre ?, désignant ainsi les Montagnards, et jusqu'à demander une loi contre les écrits qualifiés séditieux ce à quoi Danton ripostait par cette interruption « La liberté de la presse ou la mort 1 On voit tout de suite quelle arme terrible les Girondins réclAmaient; c'était le droit d'interpréter la pensée, de poqrsuivre les tendances c'était l'arbitraire dans ce qu'il avait de plus tyrannique.

Pour arriver à enlever le vote de cette loi, on demanda au ministre de l'intérieur un rapport sur l'état de Paris, et Roland le fournit tel que ses amis le désiraient c'était la réédition des accusations de la Gironde contre Paris et la Commune. Pour compléter la mise en scène, Roland intercala une lettre qu'il s'était fait adresser, et dans laquelle on le prévenait que les massacres de septembre allaient recommencer contre c Vergniaad, Lasource, Barbaroux, Brissot. Les


provocateurs au meurtre « ne veulent entendre parler que de Robespierre, et prétendent que seul il peut sauver la patrie. o

Ah le misérable s'écria un membre de la Plaine, en entendant le nom de Robespierre. Immédiatement on proposa l'impression du rapport et son envoi à tous les départements.

Robespierre, personnellement pris à part, mis en cause, s'élance à la tribune. Le président Guadet veut lui tracer le plan de ce qu'il doit répondre, Je n'ai pas besoin de vos officieuses intentions, riposte Maximilien.

Alors, les cris elles interruptions couvrent sa voix indigné, Danton s'écrie

-Président, maintenez la parole à l'orateur, et moi je la demande après il est temps què tout ceci s'éclaircisse.

Au moins, écoutez ce que je veux dire, dit Robespierre.

Nous ne voulons pas le savoir lui crient plusieurs voix.

A bout de patience, Robespierre prend la majorité à partie

Si vous ne voulez pas m'entendre, si les choses qui vous déplaisent sont des raisons pourm'interrompre si le président, au lieu de respecter la liberté des suffrages et des principes, emploie lui-même des prétextes plus ou moins spécieux.

Le tumulte redouble; mais, comme Robespierre refuse de quitter la tribune, on se décide à faire un peu de silence, et le député de Paris, après avoir montré le danger de ces accusations incessantes jetées contre


les représentants, termine en demandant au moins qu'on articule des faits précis contre lui.

Ce fut Louvet qui se présenta pour <: accuser Robespierre a, suivant ses expressions.

Louvet était l'auteur de Faublas, « manuel du libertinage élégant* Robespierre, qui exigeait chez les autres la même rigidité de mœurs qu'il professait, avait autrefois, en 1790, demandé l'expulsion de Louvet des Jacobins. Celui-ci s'était alors tourné du côté de Brissot, et il écrivit la Sentinelle pour le compte de Roland.

Louvet se présenta à là tribune avec un discours qu'il avait préparé depuis longtemps et qu'il portait sur lui depuis plusieurs jours, concerté en commun dans le conciliabule de M"*° Roland

C'était donc la rancune préméditée, réOtéchie, dé la Gironde qui allait se manifester,

Louvet était « petit, frêle, la vue courte, habit négligé courageux comme le lion, doux comme l'enfant »

Pour Louvet, toute la salle devient silencieuse. Il annonce qu'il « va dévoiler une conjuration ». On s'attend, enfin, à des relations, et tout le monde l'écoute dans le plus grand silence.

(i) Lamartine.'

(2) Lamartine.

<3) ~AMe<r<-t de M'" Roland.


Il demande à la Convention & de punir les crimes de Robespierre. f

Quels sont donc ces crimes?

Nous allons l'apprendre, sans doute, puisqu'il continue & Je vais dénoncer leurs complots. » H y a une heure que Louvet occupe la tribune, et il n'est pas encore sorti des généralités, annonçant qu'il va « toucher juste ))et il n'a encore rien articule. 11 se décide enfin à préciser:

Robespierre était coupable, parce que. Vraiment on a peine à ne pas sourire. <t Quoique personne ne dût avoir de privilège, on vit un homme vouloir toujours parler, parler sans cesse, exclusivement parler. » Ensuite: On n'entendait parler que de son mérite, des perfections, des. vertus sans nombre dont il était pourvu, et qui, après avoir vanté la puissance, la souveraineté du peuple, ne manquait jamais d'ajouter qu'il était peuple lui-mème, ruse aussi grossière que coupable ruse dont se sont toujours servis les usurpateurs, depuis César jusqu'à CromweM; depuis Scylla jusqu'à Masaniello.

Ce n'est pas tout.

Non. Robespierre, ayant refusé d'être accusateur public, accepte.les fonctions d'officier municipal. Un jour, Robespierre vint, à la tête d'une députation de la Commune, et signifia à l'Assemblée législative que, si elle ne prononçait pas la dissolution du Directoire, on ferait sonner le tocsin. Enfin, il avait < accusé les représentants du peuple d'avoir vendu la France à Brunswick ».

Et puis ?

Et puis Louvet conclut c J'insiste pour que vous T. IV. 32


rendiez tout à l'heure le décret d'accusation contre un homme dont les crimes sont prouvés, et, croyez-moi, pour votre honneur, pour le salut de la patrie, ne vous séparez pas sans l'avoir jugé. »

En résumé, ce discours, un des plus jolis comme forme littéraire, qu'ait entendus la Convention, n'était qu'une longue déclamation où on ne pouvait préciser aucun fait grave, mais où l'on insinuait que Robespierre avait fomenté lesjournéesde septembre. Calomnie pure et qui est réfutée par les faits euxmêmes.

Il était six heures.

Robespierre aurait pu répondre en quelques mots; niais il eut l'habileté de vouloir mettre un délai entre sa réponse et l'accusation, afin que l'opinion publique pût apprécier. « Apprécier un semblable réquisitoire, c'était en faire justice. »

L'Assemblée fixa le lundi 5 novembre, pour entendre la réponse de Maximilien.

« Louvet n'avait rien appris à la Convention, rien donné que des allégations

Pendant qu'on se querelle à la Convention, on pleure dans la prison du Temple.

Le 26 octobre, on sépare définitivement Marie-Antoinette de Louis XVI; ils ne pourront plus communiquer. Le roi restera au second étagQ de la grosse tour, et la reine, accompagnée de M"" Elisabeth et de sa Elle, habitera le troisième; quant au Dauphin, provi(1) Mtchetet.


soirement, il couchera la nuit chez le roi, et montera le jour chez la reine.

La Commune a donné, aux appointements de six mille livres annuelles chacun, & attendu l'importance et le danger de leurs fonctions' 1 », les époux Tison pour gardiens au couple royal; gardiens grossiers, pleins de brutalité et augmentant les tourments de la prison de ce que peut inventer une cruauté préméditée, servie par un fanatisme patriotique intéressé.

Sur le cadran de la pendule qui se trouvait sur la cheminée de la chambre de Louis XVI on lisait Le Pautre, horloger du roi, on efface le mot roi, qu'on remplace par celui de république 2, puérilités qui n'étaient que des tracasseries inutiles contre ce pauvre monarque dont le procès allait commencer. Mais ce qui dut le plus blesser Marie-Antoinette dansles nouvelles mesures prises, ce fut d'être séparée, la nuit, de son fils, qui coucha, jusqu'à nouvel ordre, dans la chambre de son père les mères comprendront cette privation de la malheureuse femme on la priva du plaisir de border les couvertures du petit être, en attendant, immobile et retenant la respiration presque, que le sommeil eût clos ses paupières, comptant au souffle régulier de l'enfant qui sommeille les palpitations de ce cœur tant aimé; cette joie sainte des devoirs de la maternité qui éclairait ses souffrances d'un rayon de bonheur fut arraché au cœur de MarieAntoinette, et ce ne dut pas être la moindre de ses douleurs.

(d) Chronique d, Paris.

(!) Ibid.


Du )<r au 7 novembre t7M.

LVII

.BATAILLE DE JEMMAPES

Le 1" novembre au Temple. Drouet interroge la reine. Chambon élu maire de Paris. Le filsde Villette.- Un chant Mantchou. Manœuvres girondines. Robespierre répond à Louvet. Son triomphe. Pétion se sépare de Robespierre. Bataille de Jemmapes.

Le 1* novembre, une députation de la Convention vintvisiter le Temple: Chabot, Dubois-Crancé, Duprat et Drouet en faisaient partie. Chabot et Drouet s'assirent, pendant que les deux autres commissaires restaient debout. La députation venait demander aux prisonniers s'ils n'avaient besoin de rien.

Je ne me plains de rien, répondit le roi; je demande seulement qu'on fasse parvenir à ma femme et à nos enfants le linge et'les vêtements dont vous voyez qu'ils ont besoin.

Les députés descendirent. Au moment du départ, Drouet remonta seul au troisième .étage de la tour; il s'informa par deux fois, et avec insistance, si la reine avait àformuler quelques plaintes; elle le regarda sans répondre et alla s'asseoir avec sa fille sur le canapé. Drouet ne put en obtenir davantage. Quand il fut descendu, M"" Elisabeth dit à la reine


Pourquoi donc l'homme de Varennes est-il remonté' ? Est-ce parce que c'est demain le jour des morts?

C'était aussi le jour anniversaire de la naissance de Marie-Antoinette. Triste coïncidence

Pendant ce temps, commençait devant la Convention la longue et fastidieuse lecture des pièces du procès de Louis XVI. Le 8, Jean Maithe, député de la HauteGaronne, terminait son rapport et concluait à ce que Louis XVI fût juge par la Convention nationale. En attendant que ce rapport fût discuté, Paris procédait à ses élections pour remplacer Pétion, qui, réélu maire, avait refusé cette place pour rester à la Convention. Héraut de Séchelles avait aussi refusé pour le même motif. Aux premiers scrutins, Lefëvre d'Ormesson' arrivait avec la majorité relative; il déclara, par deux fois, qu'il ne briguait pas le mandat et ne l'accepterait pas s'il était nommé. Il en fut de même d'Antonnelle La lutte eut lieu alors entre (1) Ormesson (~e/em-e d'), qu'il ne faut pas confondre avec Lefëvre d'Ormesson son homonyme, président du parlement de Paris et qui fut ministre de Louis XV 1 la place de Fleury en t'783 d'Ormesson qui nous occupe était conseiller d'Etat avant la Révolution en 1789, il se montra favorable aux idées nouvelles, fut nommé commandant de la garde nationale et refusa la place de maire de Paris; il exerça des fonctions municipales sous le Directoire.

(~) ~ntonxeHe, maire d'Arles, lieutenant d'un régiment d'infanterie avant la Révolution. Revenu à Arles en 1789, marcha a. la tête des patriotes fut nommé maire d'Arles il fut élu a l'Assemblée législative en 179i envoyé le 11 août à l'armée de Lafayette pour annoncer la chute du roi, il fut arrêté à Mézières et conduit a Sedan où on le garda quelque temps comme otage, prétextant que ses pouvoirs n'étaient pas signés. Il était juré du Tribunal révolutionnaire lors du procès de Marie-Antoinette 32.


Luillier- 1 et Cliambon Ce dernier, qui représentait les idées modérées, l'emporta. Pour combattre le candidat des Jacobins, les Girondins usèrent de procédés singuliers. Luillier était avocat et exerçait les fonctions d'accusateur public près le tribunal révolutionnaire. Le Patriote Français le représenta comme suit: Luillier a été cordonnier il n'a fait aucune étude; il est ignorant, vindicatif; il parait s'adonner au vin. ? » Remarquons en passant que les électeurs de Paris se montrèrent assez i ndiS'érents dans cette circonstance. Déjà en 1791, Pétion qui fut élu maire de Paris à la place de Bailly n'avait obtenu que 6,000 voix sur 80,000 électeurs. Le 4 octobre 1792, après sa première démission, sur 160,000 électeurs, il y eut 14,135 votants et Pétion eut 13,746 voix. Pétion ayant donné une seconde fois sa démission, et de celui de Vergniaud. Il fut compromis dans la conspiration de Baboeuf mais acquitté. Élu député de Paris en 17M, ses deux élections furent annulées. Le premier consul l'exila et Antonnelle se réfugia en Italie l'empire l'éloigna de Paris et il se retira alors à Arles où il mourut en 4819 le clergé refusa d'accompagner son cercueil.

(t) Luillier, avocat, collabora d'une manière active à tous les travaux de la Commune sous toutes les formes et dénominations qu'elle prit; il la présida pendant la journée du 10 août; il remplit les fonctions de juge à la Force et fut un de ceux qui livrèrent M"' de Lamballe aux bourreaux. Après son échec à la mairie, il fut nommé procureur syndic. Arrêté avec les Dantonnistes et condamné à la détention jusqu'à la paix, il se poignarda dans la prison de Sainte-Pélagie dans un moment de désespoir.

(2) Chambon, médecin à Langres, vint s'établir à Paris en 1780; il était médecin en chef de la Salpétrière au moment de la Révolution esprit modéré mais patriote il se lia avec les Girondins qui le conduisirent à la mairie. Il donna sa démission le 2 février 1793 et rentra dans la vie privée reprenant l'exercice de la médecine il mourut en 1896.


on procéda à de nouvelles élections, il y eut 12,365 votants; 3.905 choisirent Luillier et 8,358 Chambon'.

C'était un douzième des électeurs à peine qui manifestait sa volonté et le succès ne répondait pas au bruit fait autour de cet événement.

Néanmoins il était incontestable que l'élection de Chambon, quoique nommé par un nombre de citoyens très restreint, était une victoire pour la Gironde elle le fit remarquer, se montrant fière de cet heureux résultat elle en avait le droit elle en profita pour injurier ses adversaires suivant un parti-pris déjà ancien. En revanche les modérés furent battus pour le renouvellement de la Commune du 10 août. Au milieu de ces gros événements, on avait encore le temps de prêter attention à la naissance du fils du député Villette que son père faisait inscrire à la mairie sous le prénom de Voltaire. Les petits côtés pointaient. du reste, durant ces journées mouvementées, et les journaux publiaient une annonce offrant aux amateurs « L'hymnetartare-mantchou, chanté à l'occasion de la conquête du Kintchaehn, traduit par Amyet, missionnaire à Pékin, et publié par L. Langlés, auteur de l'alphabettartare-mantchou, àParis, chez Didot l'aîné." On ne peut savoir si les acheteurs furent nombreux; mais une telle publication, en un tel moment, entre bien dans le caractère de Paris mettant toutes les fantaisies à côté des plus sombres réalités.

(t) Adolphe Schemldt, Parft *«M< ta Réeolution.


Les Girondins s'occupaient d'autre chose que de ces vétilles.

Ils avaient excité des dragons et des fédérés qui, au nombre de six cents environ, parcouraient la ville au galop de leurs chevaux, le sabre nu à la main, en poussant des clameurs menaçantes contre les patriotes désignés à leurs vengeances par Barbaroux et les amis de Roland. Sur les boulevards, ils s'arrêtaient devant les cafés chantant des couplets dont le refrain était:

« La tête de Marat, Robespierre et Danton,

« Et de tous ceux qui les défendront.

0 gué 1

Il faut reconnaître du reste, avec un journal girondin, que la plupart de ces soldats étaient avinés, et ils quittaient la table, titubant quelque peu, pour aller crier par les rues a Vive Roland A la guillotine, Robespierre B »

Toutes ces manœuvres étaient destinées à préparer l'opinion, qui allait juger la réponse que devait faire Robespierre au réquisitoire de Louvet, que Roland, avec l'argent du ministère, avait pris soin de faire répandre, à quinze mille exemplaires, dans les sociétés populaires des départements.

Comme il l'avait promis, Robespierre monta à la tribune de la Convention, que la foule avait envahie avec un empressement plus grand encore qu'à l'ordinaire. De nombreux citoyens avaient passé la nuit


aux portes de la salle pour entrer les premiers, et une foule considérable en encombrait les abords. Robespierre répondit à l'accusation qu'on lui avait lancée d'aspirer au pouvoir suprême, dictature ou triumvirat, et il n'eut pas de peine à pulvériser cette bizarre allégation, qui ne pouvait résister à un examen sérieux. <: Robespierre parvint à captiver son auditoire et à obtenir des applaudissements unanimes » Donnons encore l'appréciation d'un Girondin à ce sujet « L'inanité des accusations, la modération des conclusions de Robespierre, le besoin d'éteindre, s'il était possible, un feu qui menaçait d'incendier l'opinion publique, tout pressait la Convention de terminer Je débat '<

Quand l'orateur eut fini de parler, la salle éclata en applaudissements, et les tribunes acclamèrent véritablement Maximilien. L'envoi du discours aux quatre-vingt-trois départements fut ordonné. En vain Louvet et Barbaroux voulurent encore combattre, l'Assemblée refusa de les entendre. Barère proposa alors un ordre du jour portant que la Convention ne devait s'occuper que des intérêts de la République. Mais Barère avait fait précéder sa proposition de considérants presque injurieux pour Robespierre, qui lui cria

Je ne veux pas de votre ordre du jour, si vous mettez un préambule qui m'est injurieux. La motion de Barrère fut mise de côté et l'ordre du jour pur et simple demandé par Maximilien fut voté.

(1) Thiers.

(2) Lamartine.


Robespierre triomphait, et sa première bataille dans le sein de la Convention lui donnait une magnifique victoire le soir, il fut l'objet d'une véritable ovation au club des jacobins.

Pétion, qui avait préparé un discours pour être lu à l'Assemblée, n'ayant pu le prononcer, le publia. Tout en aftirmant qu'il ne croyait pas aux visées de Robespierre à la dictature, il le peignait comme étant soupçonneux et incapable de pardonner la plus légère injure, affamé d'applaudissements et courant après la faveur du peuple.

Jusque-là, Pétion avait été l'ami de Robespierre. Cette défection fut très sensible à Maximilien, qui répondit à l'ancien maire de Paris avec vigueur, mais sans acrimonie.

Désormais la scission est bien accentuée entre Girondins et Montagnards, et rien ne pourra la faire cesser de débat en discussion, les haines s'aviveront, et la liberté sombrera au milieu de ces divisions personnelles, entretenues par la calomnie, -les rivalités et la haine.

Le 6 novembre, le lendemain du jour où Robespierre prononçait ce discours à la Convention, les armées de la République remportaient une grande victoire près de Mons, sur les hauteurs de Jemmapes. Dumouriez, à son retour de Paris, avait envahi la Belgique et il venait de rencontrer les ennemis. Les Autrichiens n'avaient que vingt mille hommes pour lutter contre trente milleFrançais maisils avaientl'avantage


d'une position formidable placés sur une hauteur boisée, appuyés au village de Jemmapes d'un côté et à la chaussée de Valenciennes de l'autre. Le feu de cent pièces de canons plongeait sur nos troupes. Dumouriez lança ses soldats à l'assaut, et les jeunes recrues se ruèrent avec intrépidité mais, au milieu de l'attaque, ébranlée par le feu, notre colonne eut un moment d'hésitation. Dumouriez entonna alors la Mc[)'set!!<Mse, que les bataillons reprirent en chœur, et c'est aux accents de l'hymne national qu'ils emportèrent d'assaut ces terribles positions.

Deux mille Français furent tués ou mis hors de combat. Sur dix-huit cents volontaires des trois premiers bataillons parisiens, il n'en resta, du premier, que vingt-sept hommes; du second, trente-trois, et du troisième, cinquante-sept.

L'enthousiasme fut général à Paris et dans les camps; on salua avec transport cette grande journée qui fut la première de ces belles victoires des armées de la Révolution qui allaient promener le drapeau tricolore à travers l'Europe, en faisant retentir les vieilles capitales des accents de la Marseillaise.

La Convention commençait le procès du roi.


Du 8 au 14 novembre 1792.

LVIII

QUESTION DE VIE OU DE MORT

Dumouriez a Bruxelles. La famille royale est malade. Le roi soigne son valet de chambre. Tristesse de Maximilien. Les gardes du corps de Robespierre.- Le roi sera-t-il jugé par la Convention? Début de Saint-Just à la tribune. Quelle sera la peine ? La mort.

Après Jemmapes, l'armée française pénétra facilement en Belgique, et Dumouriez entra le 14 novembre à Bruxelles.

En Belgique, lesFrançais se trouvèrent en présence de plusieurs partis qui se disputaient le pays. D'abord le parti autrichien, le moins nombreux, et composé tout entier de militaires que Dumouriez venait de mettre en déroute; puis, en seconde ligne, le parti national, composé des nobles, des prêtres, des magistrats et de la bourgeoisie, soutenu par une partie du peuple, et qui, tout en repoussant la domination étrangère, voulait conserver les anciens États, les anciennes provinces et les anciens privilèges enfin, le troisième était le parti national, formé des patriotes belges, qui, d'accord avec les Jacobins de France, réclamaient l'application des Droits de l'Homme. Dumouriez essaya de composer un nouveau parti


avec la faction la moins avancée des nationaux et des patriotes mais il dut bientôt y renoncer, devant les difficultés de toutes sortes qu'il rencontra, et qui venaient autant de la Belgique que de Paris. Paris continuait à bouillonner, agité par les menées des Girondins et par les ripostes des Montagnards. Robespierre, après son grand succès de la Convention, se recueillit un moment et passa plusieurs jours sans même aller au club des Jacobins.

Il ne sortait presque plus de la chambre qu'il occupait chez le menuisier Duplay, où on l'entourait de soins affectueux car, après avoir été habiter quelque temps chez sa soeur Charlotte, rue Saint-Florentin, Maximilien était revenu chez Buplay a la suite d'une maladie où il avait, sans doute, autant d'indisposition physique que d'ennui d'être séparé de la famille du menuisier, où il avait ses habitudes, où il trouvait des petits seins, des gâteries et même un peu plus car, si Duplay le traitait en ami et l'admirait comme un sau~eor oe la patrie, si Mme Duplay avait pour lui des attentions de mère, si les trois plus jeunes filles de la maison,Henriette, Elisabeth et Sophie, leconsidéraient comme un ami toujours prêt à leur donner raison, ta fille ainée, Eléonore, éprouvait un sentiment plus tendre que Robespierre semblait partager, attendant que les luttes du moment lui permissent de trouver un instant de calme et de repos pour reconnaître, par le mariage, ce sentiment chaste encore à coup sûr, tout d'un amour permis, auquel il manquait seulement la consécration régulière de l'officier municipal pour cimenter une union désirée par son cœur. Pourtant, la violence déployée contre lui, l'achar-

T. IV,


nement qu'on met à le poursuivre et à le combattre, poussent Maximilien à la tristesse, à la mé)anco!ie son âme s'irrite et ses nerfs sont dans un perpétuel état d'excitation il ne sourit plus que par occasions, et le tic nerveux qui contractait sa figure s'accentue. Il devient sombre, hargneux, toujours prêt à voir un peu partout des ennemis prêts à le frapper.

Il n'était pas te seul à se croire poursuivi; beaucoup d'autres partageaient cette opinion à son endroit. Ses amis s'alarmaient, et, sans le prévenir, de nombreux partisans se mirent en état de le défendre. Parmi ceux-là, l'Histoire a retenu le nom d'un fort de la halle nommé Nicolas. Grand, bien bâti, découplé en hercule, Nicolas, à l'insu de tous, s'était donné 'à lui-même la mission de veiller sur Robespierre. Armé d'un gros bâton, il se rendait rue Saint-Honoré, devant la maison de Duplay, à l'heure où Maximilien devait se rendre à la Convention il le suivait de loin, s'arrêtait à la porte de l'Assemblée, attendait la sortie de Robespierre, qu'il accompagnait de nouveau chez Duplay, avec les mêmes précautions.

Nicolas n'était pas seul plusieurs admirateurs veillaient, comme lui, sur les jours menacés du jeune conventionnel.

Nous avons vu, tout à l'heure, Maximilien plein d'inquiétude et se laissant aller à l'abattement. Pour d'autres motifs, la tristesse avait envahi le Temple, où l'espoir commençait à faire défaut à mesure que la procédure contre le roi avançait.


Le froid et l'humidité qui régnaient dans la tour avaient fort éprouvé la famille royale, et chaque membre avait dû s'aliter tour à tour. Marie-Antoinette, prise d'abord par un rhume de cerveau, avait eu la figure congestionnée, la respiration oppressée et la poitrine embarrassée. La Commune s'était alors décidée à laisser pénétrer dans la prison l'ancien médecin du roi, Lemonnier. Les soins du docteur rétablirent vite la reine et Mme Elisabeth, qui avait été aussi fortement indisposée; mais le roi fut pris de fièvre, et quand il fut un peu mieux, vint le tour de Ctéry de s'aliter. Le vieux serviteur ne put se lever pour habiller le roi et le dauphin. Le roi fut obligé de laver, peigner et soigner son fils. Louis XVI apportait même à boire de la tisane à Cléry, se levant la nuit, pieds nus et en chemise, pour lui préparer un bol chaud des quatre fleurs.

Mon pauvre Oéry, lui disait-il, combien je voudrais à mon tour veiller auprès de votre lit maisvous voyez combien nous sommes observés. Prenez courage et conservez-vous pour vos amis.

Et cet ancien roi de France s'éloignait avec précaution, pour ne pas être surpris par le commissaire qui veillait dans l'antichambre.

Pendant que Louis XVI se trouvait dans cette situation, l'Assemblée, dans la séance du 13 novembre, discutait la question de savoir si le roi pouvait être Jugé.

Morisson parla le premier et soutint que a malgré l'atrocité des forfaits », le roi ne pouvait pas être jugé.

Alors parut pour la première fois/à la tribune de la


Convention, un jeune homme qui n'avait pas encore vingt-cinq ans, ayant été élu à vingt-quatre il était beau de figure, portait la tête droite et Sère, et avait son cou entouré dans une large cravate de mousseline cachant les écrouelles dont son cou était labouré. C'était Saint-Just.

Il soutint, avec autant de hardiesse que de calme, que les rois s'étant placés eux-mêmes en dehors de l'humanité, ne devaient pas être traités en citoyens. Ils étaient rois, donc ils étaient criminels. <: Régner même est un crime, dit-il, on ne peut régner innocemment. » Louis était rebelle c'était un ennemi, il fallait donc le juger comme tel et le plus tôt possible, car « il n'y a pas de citoyen qui n'ait sur lui le droit qu'avait Brutus sur César e.

La Convention, entraînée par ce langage véhément qui soufflait la haine contre la royauté, applaudit. En vain l'abbé Fauchet tenta un effort plus courageux qu'utile pour essayer d'arracher Louis XVI au jugement de l'Assemblée. Après une réplique de l'abbé Grégoire, les députés repoussèrent le principe de l'inviolabilité et décidèrent qu'ils jugeraient le roi. La question du jugement tranchée, restait celle de la culpabilité.

Cette culpabilité ne faisait de doute pour peraomne. Mais quelle serait la peine qui serait appliquée ? `? Serait-ce la mort? '?

Les Girondins hésitaient à répondre. S'il avait dépendu d'eux, ils auraient sauvé le roi. Ils voulaient bien le juger, abattre sa couronne, détruire le trône, mais ils reculaient devant l'échafaud. Pourtant, ils oraigMueat <te compromettre leur popularité, ~t ils


domptèrent facilement leurs scrupules ils se j'angèrent du côté de la mort, espérant, du reste, qu'en faisant tomber la tête du roi ils détruiraient la royauté du même coup.

Etrange erreur jamais une idée n'est morte avec l'homme qui la représentait.

Les monarques de l'Europe n'apprirent pas sans frayeur le vote de la Convention c'était bien la République qui bravait les rois en marche, et, suivant les fortes et terribles paroles de Danton, leur jetait, comme un défi, la tête de Louis Capet.


Du 15 au 21 novembre 1792.

LIX

MALADIE DE LA FAMILLE ROYALE

Tracasseries de la Commune. Dépenses de la famille royale depuis le 10 août. On répand le bruit de la mort du roi. Bulletins de santé. J'épot du rapporteur sur l'instruction. Principes généraux. Lettre de Thomas Payne. Elèves de l'école de Rome arrêtés. Une pièce royaliste.

Tandis que sa destinée se jouait ainsi dans les discussions préparatoires de la Convention, Louis XVI était repris par la maladie, et fortement éprouvé par les premiers froids. Marie-Antoinette demanda l'autorisation de le soigner la nuit elle lui fut refusée, comme on lui avait refusé, la semaine précédente, la permission de faire transporter dans sa chambre le lit de son fils malade. La Commune se montrait brutale dans les détails de la garde du Temple elle entourait d'une foule de formalités, de consultations et de délibérations les actes les plus simples. La reine demandait-elle de l'eau de Ville d'Avray, la seule que son estomac fatigué pût supporter, on exigeait l'avis du médecin d'abord, celui de Tison ensuite; on soumettait le cas au conseil de la Commune et on finissait par l'accorder comme une grande faveur. Les accessoires les plus intimes et les plus secrets de la toilette


d'une femme sont soumis à ce contrôle' parfois inhumain, mais qui ne va pas, comme on l'a affirmé '.jusqu'il refuser une couverture piquée que la reine demandait pour se garantir contre le froid 3. En effet, dans la séance du 18 novembre, on lisait à la Commune le rapport des dépenses particulières depuis le 10 août, tant en linge qu'en vêtements, et qui s'élevait à 25,513 livres. Parmi ces dépenses se trouvent une montre à répétition avec sa chaîne en or pour la reine, portée à 560 livres; 14 volumes du missel et bréviaire de Paris pour le roi, 86 livres les livres d'Église pour M" Elisabeth, 84 livres. Dans un de ces mémoires, un tailleur dit avoir employé 21 aunes de croisé dé soie pour doubler un habit et deux vestes nous remarquons, en outre, plusieurs paires de bas de soie, pour le roi, à 24 livres la paire ceux de la reine sont comptés 33 livres. Viennent ensuite une boîte de poudre à la fleur d'orange, 30 sols un pot de pommade, 6 livres trois corsets, l'un de 84 livres, l'autre de 120, et le troisième de 148 enfin un petit couteau à manche d'écaille pour le dauphin, 160 livres~. Les 19 et 20 novembre, on fit courir à Paris le bruit de la mort du roi; on voulait sans doute tâter l'opinion et savoir quel effet produirait parmi le peuple la mort de Louis XVI Il faut reconnaître que cette nouvelle émut le public et la Commune dut publier, tous les jours, les bulletins de santé, quelquefois même deux fois par jour.

(t) Catalogue d'autographes (12 mars t855).

(~) Jaucourt.

(3) J!eoue Rétrospective, vol. IX (2* série).

(4) Procès-verbaux de la Commune.

(5) Révolutions de Paris, n" i76.


Voici le premier bulletin daté du 20 novembre « Le petit lait a !acte !e t'eMt~e, et a pt'ocM~e M<t~ c~<MM6~M~ /<ïuofaë~e. 7! est sMt*MettM, ~tef <ïM soir, MM scu~MeMeMt de MM assez ctbond<Mtt qui a beaucoup soM!agfe ta tête, et procMfe dans <e poM<s MM soMZc~etMeMt on~cetttot~eMas. Les Mrmes sont deveMMea p!MS cïct~es. et ~e tetMt ~'a <~MCMtt oestre de ~<tMMtsse. Nous esppfOMs, eM eoMsë~MOtce, que <e Mtoc!<tde sera tMcessctM~ntcMf CM état d~ët~'e pMryë. e Fcttt ctM conseil ~Me~a~ dM Temple, d'ftp~es !'0)'t~tMa! dM ctto</e~ Le?MOMMter, son MedectM.

< Signé: Le Commissaire de service au Temple. n Le bulletin du 22 confirme ces premières prévisions. Le voici-dans sa brièveté

novembre.

« La préparation paraissant SM/~sctMte pour le

succès d'une médecine, nous avons décidé que lé malade la pre)tc!f<Mt.detMaw. La santé nous paraît à peu près rétablie.

a Le rhume de Mme ~Macbet/t dure encore, mais la toux est moins fréquente et !'eacpectorattott plus facile. »

L'obligation dans laquelle se trouvait la Commune de publier de semblables détaiis prouve la grande place qu'occupaient encore dans Paris Louis XVI et la famille royale.


Pendant ce temps des histoires, fausses la plupart du temps, toujours exagérées, couraient dans le public et commençaient cette légende qui s'est perpétuée de nos jours et qu'on a tant de peine à arracher de l'histoire vraie, qu'elle nous a si longtemps cachée. On représentait tes prisonniers comme des martyrs, résumant toutes les vertus, et en butte à toutes les persécutions; les rigueurs de la Commune donnaient prise à ces racontars et les rendaient vraisemblables.

A la Convention, le comité d'instruction se réunissait dans les bureaux et terminait son rapport sur l'éducation, qui devait être déposé la semaine suivante. Ce rapport reprenait les travaux de la Constituante, qui avait laissé un volumineux mémoire de TaHeyrand sur l'instruction en général, mémoire légué à la Législative, qui y avait ajouté une étude de Condorcet. Ce fut Lanthenas, un ami de Roland, qui se chargea de présenter un projet à la Constituante dans ce projet, on trouve, à peu près, toutes les réformes qui seront plus tard reprises par Lakanal.

Le Comité d'instruction commençait par établir l'instruction primaire gratuite pour tous; puis venait comme à présent, l'instruction secondaire et supérieure. Les instituteurs étaient élus par les pères de famille. Le prêtre ne pouvait devenir instituteur qu'en renonçant à la prêtrise. On proclamait la séparation de l'école et de l'Etat; les principes de religion n'étaient pas enseignés dans l'école, mais seulement dans les églises.

33.


La Convention travaillait en même temps à préparer le procès du roi, qui devait débarrasser le présent de ce prisonnier gênant, et à préparer les lois scolaires, qui devaient assurer l'avenir par l'éducation des jeunes intelligences, des nouvelles générations. Au milieu de ces travaux, Thomas Payne, l'ami de Franklin, publiait une lettre déplacée de forme sous la plume de ce nouveau Français autrefois accueilli avec faveur par Louis XVI, quand il était venu chercher six millions généreusement donnés par le roi à la jeune république américaine.

Thomas Payne fit lire cette lettre injurieuse et grossière, qui atteint seulement celui quit'avaitsignée. « Considéré comme individu, dit-il, cet homme n'est pas digne de l'attention de la République; mais, comme complice de la conspiration contre les peuples, vous devez le juger. A l'égard de l'inviolabilité, il ne faut faire aucune mention de ce motif. Ne voyez plus dans Louis XVI qu'un homme ;d'un esprit borné, mat élevé comme tous ses pareils, sujet, dit-on, à de fréquents excès d'ivrognerie, et que l'Assemblée constituante rétablit imprudemment sur un trône pour lequel il n'était pas fait. D

Thomas Payne concluait en demandant qu'on jugeât Louis XVI, non comme individu, non pas même comme roi agissant à part, mais comme membre de la conspiration formée contre la France révolutionnaire c par tes brigands couronnés de l'Europe, t L'idée pouvait être discutée– on n'eut pas le temps de le faire mais pour l'émettre, Thomas Payne aurait se dispenser de sa violence de langage et de l'inconvenance des expressions vis-à-vis de ce roi


dont il avait été l'hôte bien accueilli, et qui avait été le protecteur et le bienfaiteur de sa patrie.

On aurait dit, du reste, que les amis de Louis XVI ne laissaient échapperaucune occasion d'exciter la violence contre lui.

Ainsi, on apprenait tout à coup que le pape Pie VI venait de faire arrêter et emprisonner au château Saint-Ange deux jeunes peintres français, élèves de David, pensionnaires de l'École française des beauxarts de Rome, dont le directeur Menageot s'était enfui depuis quelque temps. Ces deux jeunes artistes, Rater et Chinard, n'avaient commis d'autre faute que d'être patriotes ardents et de le manifester dans leurs peintures.

Le Ministère fut chargé d'écrire au Pape, et il le fit dans une lettre trop longue, réclamant l'élargissement des Français, injustement détenus, « au nom d'une nation libre et généreuse qui dédaigne les conquêtes, il est vrai, mais qui veut faire respecter ses droits, et ne veut pas les laisser outrager par qui que ce soit, sur toute ~a terre. Telles sont aujourd'hui les maximes de la République française, trop puissante pour avoir recours aux,menaces, mais trop fière pour dissimuler un outrage; elle est prête à le punir, si les réclamations paisibles demeurent sans euet. » Le Pape ne se dérangea pas pour si peu.

Les deux jeunes artistes restèrent en prison, et ne furent délivrés que beaucoup plus tard, quand les troupes françaises entrèrent dans Rome.


A Paris, les royalistes se donnaient rendez-vous au théâtre du Marais pour applaudir Robert ou te Tribunal redoutable, une pièce où ils voûtaient découvrir des allusions. H s'agissait d'un gros drame bien vulgaire, avec des assassinats et des coups de poignards, mais où on voyait, au troisième acte, une tour dans laquelle une beauté intéressante gémissait injustement détenue. Au dernier acte, on découvre naturellement le vrai coupable de tous les crimes commis au cours de la pièce on le condamne à mort, mais on finit par le gracier. Une prière en faveur de la clémence, telle était la morale de Robert dans lequel la tour du troisième acte représentait la tour du Temple. Les royalistes applaudissaient naturellement cette demande de grâce mais les patriotes vinrent siffler et le directeur dut retirer la pièce. La foule ne partageait pas ces idées de clémence, et les sections ripostaient en votant des motions réclamant la mort de Louis Capet comme un acte de justice nationale.


Du M au 2'J novembre <7M.

LX

L'ANGLETERRE ENTRE DANS LA COALITION Le roi demande des livres. Monnaies frappées & l'effigie de Louis XVI. Le brigadier concussionnaire– Beaumarchais décrété d'accusation. Mariage d'un évoque. Le catéchisme républicain. Prise de Maltnes, Anvers et Liège. Panique de l'Angleterre. Les Jacobins anglais envoient' 1,000 paires de souliers. Pièces patriotiques. Pétion et les médiocres.

La semaine commence par une délibération de la Commune de Paris, sur une demande de livres formée par Louis XVI pour lui et son fils. Le roi demandait trente-trois volumes, des ouvrages classiques pour la plupart, tant latins que français, depuis la Grenwmaire latine, de Lhomond, le Cornelius Nepos, les Fables de Phèdre, Quinte-Curce, jusqu'aux Fables de. Lafontaine. Dans cette liste, on remarquait, avec quelque étonnement, les Metamorphoses d'Ovide, ouvrage aussi peu classique que possible et d'un genre bien hardi pour les moeurs austères du roi. Cette demande donna lieu à une discussion assez longue plusieurs voulaient la refuser, faisant observer que <: la vie de Louis XVI ne serait pas assez longue pour lire tous ces volumes néanmoins, la liste


fut acceptée sans modification, et les 104 livres 12 sols nécessaires votés.

Le jour même où le roi était obligé de solliciter des volumes, on frappait à la Monnaie quinze mille doublelouis à l'ancien coin; à l'effigie de Louis XVI et au double écusson de France et de Navarre, à la date de 1792. Les nouveaux coins, à l'effigie de la République, n'étaient pas encore prêts, et on se servait de ceux de l'ancienne royauté abolie. Les patriotes réclamèrent~ et on dut suspendre la fabrication des double-louis. Ce détail ne préoccupait cependant pas beaucoup le peuple de Paris, inquiété surtout par les difficultés matérielles de la vie; ainsi, les faubourgs montraient une certaine émotion au sujet du renchérissement de la chandelle', le seul mode d'éclairage alors employé par le pauvre. L'agitation était assez grande pour que Santerre demandât à la Commune « de prendre cet objet en très sérieuse considération, soit avec le département municipal, soit avec le Ministre de l'intérieur. » On vivait à une époque d'extrême nervosité publique. On voyait un brigadier ayant abusé de la confiance de sa compagnie pour une somme importante, saisi par les cavaliers casernés à l'École militaire, dépouillé de ses habits d'uniforme et conduit en chemise à travers les rues de Paris, jusqu'à la place de Grève, où on lui fit demander pardon publiquement; puis, ses anciens camarades le conduisirent en prison pour être jugé par les tribunaux. Le spectacle était nouveau autant qu'inusité autrefois, ce genre d'escroquerie était aussi fréquent que toléré dans l'armée. (t) Lettre de Santerre à la Commune.


La sévérité était à l'ordre du jour. Le 27, le Tribunal criminel condamnait à douze ans de fers et à six heures d'exposition, Claude-François Thevenot. cidevant commissaire de la section de la butte des Moulins, accusé d'avoir abusé de ses fonctions pour requérir la force armée et arrêter arbitrairement plusieurs citoyens de s'être emparé d'une partie de leurs bijoux en or et en assignats.

La Convention décrétait Beaumarchais d'accusation, d'avoir perçu indûment une indemnité de 500,000 fr. Voici à quel sujet: Beaumarchais avait conclu, le 3 avril 1792, avec le Ministre de la guerre, une convention d'après laquelle l'auteur du Mariage de Figaro, qui ne dédaignait pas la spéculation, bien au contraire, devait fournir soixante mille fusils. Beaumarchais avait acheté ces armes, à raison de six livres chaque, à un négociant de Rotterdam. Comme il éprouvait des difficultés pour prendre livraison de la marchandise, il prétendit que les deux navires sur lesquels elle avait été chargée avaient été pris et confisqués par le gouvernement Hollandais il avait touché, prétendait-on, une indemnité d'un demi-million. Dénoncé, il fut décrété d'accusation.

Cette nouvelle étonnait un peu ceux qui avaient tant vu d'abus sous le régime précédent elle ne les étonnait pas davantage cependant que celle du mariage contracté par Lindet, l'évoque constitutionnel d'Evreux, annoncé par Manuel à la tribune de la Convention.


Le clergé constitutionnel se divisait, du reste, au point de vue théologique, sur cette question délicate du mariage des prêtres. Tandis que l'évoque d'Ëvreux luimême se mariait, donnant ainsi l'exemple, d'autres prélats, comme Grégoire, Sermet, évéquede Toulouse, refusaient à leurs prêtres la permission de s'unir par le mariage. Un vicaire marié de Seine-et-Oise dénonçait t'évoque de Versailles, parce qu'il lui avait refusé l'institution à cause de son union matrimoniale. L'Assemblée, se sentant peu apte à trancher ce cas de discipline ecclésiastique, passait à l'ordre du jour. Les nouvelles lois avaient, du reste, quelque peu modifié les façons d'agir des prêtres. Ainsi, l'abbé Lefèvre, curé d'Ainville, canton de Varennes, se mettait à enseigner le Catéchisme de la Déclaration des Droits de l'Homme à la place de l'ancien catéchisme religieux.

Les pédagogues s'occupaient à mettre les livres destinés à l'enfance d'accord avec les idées nouvelles, et le libraire Charbonnier publiait un ouvrage de luxe, à quinze francs, intitulé Alphabet Constitutionnel « rédigé à la portée des enfants de l'un et de l'autre sexe, pour leur apprendre à lire en peu d6 temps, et les élever dans les principes de la nouvelle constitution. Cet alphabet portait cette épigraphe a Pour Dieu et la Patrie B ])

Cette idée de patrie, qu'on développait dans les jeunes intelligences des enfants, était grandie pour tous par les nouvelles des armées.


La semaine précédente, nos soldats s'étaient emparés de Malines, prise importante à cause des armes et des poudres renfermées dans cette ville. et qui en faisaient l'arsenal de la Belgique les Français étaient aussi entrés dans Anvers, et les Autrichiens s'ètaient enfermés dans la citadelle, appelée le Château. Le général Labourdonnaie, commandant les troupes qui s'étaient emparé d'Anvers, se mit à organiser des clubs, ce qui déplut à Dumouriez, qui le remplaça par le général Miranda, riche péruvien, très patriote, qui avait mis son épée au service de la Révolution, et, grâce a l'amitié de Pétion, avait obtenu un haut grade dans l'armée française. Miranda s'occupa activement du siège du Château, dont il s'empara le 29. La veille, Dumouriez, parti de Bruxelles le 19, entrait à Liège, où la ville acclamait le drapeau tricolore et les soldats en qui ils incarnaient les idées révolutionnaires. Ces victoires en Belgique amenèrent l'Angleterre à entrer dans la coalition elle avait refusé à la Prusse, le 25 septembre, de faire partie de la ligue formée contre la France. Le 25 novembre, elle demandait à Vienne de l'admettre dans l'alliance contre la Révolution, et sollicitait une armée prussienne pour préserver la Hollande contre une invasion française. Tant que la France avait été victorieuse aux Alpes et sur les bords du Rhin, l'Angleterre n'avait pas bougé mais quand elle nous vit planter notre drapeau à Ostende, à Anvers, affranchir l'Escaut, le vieil égoïsme britannique se réveilla et le ministère anglais courut demander un appui contre un voisinage qui l'épouvantait.

Mais si le gouvernement Mtghis s'effrayait et


cherchait à combattre la Révolution, les Jacobins de Londres continuaient à nous témoigner leur amitié ils envoyaient'mille paires de souliers pour notre armée et, dans des réunions populaires, ils chantaient une sorte d'imitation du fameux God save. Voici la traduction de cet hymme

1

Dieu, sauve les droits de l'Homme donne-nous un cceM~ capable d'apprécier un bien si précieux fais qu'ils se répandent partout OM il y a des hommes, et qu'ci ce son chéri .leurs oreilles éprouvent le fŒVtsseMtettt du plaisir.

II

Fais qu'unis avec la France qui nous montre le chemin, nous concourions à ~e~dt'e ~ctMbert~œ l'univers; que lahorde sauvage des tyrans compte.avec orgueil sur le nombre des soldats. Puissant amour de la liberté, moque-toi d'eux!

111

Lorsque l'auguste sénat des Français, ayant brisé les He~M de l'esclavage et de la cor~MpiMM, eut juré de vivre libre ou de mourir, environné de cohortes menaçantes, sans armes, sans défense et conservant une tranquille dignité, il ne fut point alarmd. IV

Tel était leur amour pour la liberté, leur &Wt~Mt dest~* d'être libres. Que tespMtssattcesetnWoH-


nantes unies aux héros français, en portent les nouvelles de l'un à l'autre pô!e, jusqu'à ce que la liberté couronne le jour où le globeentier déploiera ses bannières

Tel était l'enthousiasme des patriotes anglais manifesté dans cette langue sobre, et sur l'air de l'hymne national anglais.

A Paris, on recevait ces nouvelles avec enthousiasme, et les mille paires de souliers avec reconnaissance.

On célébrait aussi dans la capitale les triomphes de nos soldats par des chants de victoire et par des pièces de théâtre.

Les Italiens et le théâtre de la rue Feydeau représentaient simultanément deux pièces sur le siège de Lille, dans lesquelles on retraçait, à l'aide d'une fiction dramatique, l'admirable défense de cette héroïque cité.

Au Théâtre-Français eut lieu la première représentation de l'Othello de Ducis, imité deShakspeare, et dans lequel Talma remporta un de ses premiers grands succès. Pour ne pas être en retard, le Vaudeville s'empressa de donner, quinze jours plus tard, une parodiede la tragédie, sous le titre d'Arlequin ~fMeMo. Magnifique époque, vraiment, où aucune des grandes qualités de l'esprit français n'était laissée inerte On remportait des victoires à la frontière la Convention s'occupait du procès du roi et de l'ins-


ttuction publique des acteurs de premier ordre s'imposaient au théâtre dans des œuvres d'une facture nouvelle, pendant que la vieille gaieté française pétillait au milieu des couplets du Vaudeville.

Cependant Pétion se plaignait, dans une sorte de manifeste, que la médiocrité envahissait tout et encombrait tout.

« On ne remarque pas assez, dit-il, que les luttes actuelles sont entre les !umières et les ténèbres, entre l'ignorance et le savoir la jalousie est la passion principale qui dévore les hommes médiocres, et la cause la plu's active de toutes les divisions, de tous les désordres.

< La nullité ne sait pas pardonner au talent. « J'avoue que rien n'est p!a~ alarmant, que rien ne menace plus prochainement !e salut de la patrie, que cet ascendant de médiocrité. La masse de ces hommes ignorants, ou ce qui est pis, de demi-savoir, étant énorme, se répandant partout, dominant l'opinion, déprave J'esprit public, aulieu d'en accé!érer les progrès, elle frappe, par cela même, jusque dans ses fondements le nouveau gouvernement que nous voutona étabtir, puisqu'il doit avoir nécessairement pour base la raison, la sagesse, la justice. »

Ces plaintes se reproduisent, aux différentes époques de notre histoire, sous des formes diverses, et prouvent que jamais une période historique n'est plus mal jugée que par les contemporaine.


Du 30 novembre au 5 décembre t792.

LXt

LIBRE-ÉCHANGE ET PROTECTION

Les 48 sections réclament le jugement du roi. Proposition de Buzot. On découvre l'armoire de ter. Renouvellement de la Commune. Discussion sur le maximum Troubles à propos des grains Intervention du clergé. On propose de supprimer te salaire des curés. Attitude de Danton et de RobespteM'e. Quatre commissaires partent pour la Belgique.– Apothéose de Beaurepaire.

Les nouvelles 'des victoires de l'extériear ne faisaient pas oublier aux patriotes les embarras de l'intérieur, et ils croyaient se dëbai*raeser de Tobatacle en essayant de !e supprimer. Ainsi, tes 48 sections envoyaient une députation à la Convention pour redamer lé jugement de Louis XVI. L'orateur, we déctarant l'organe du peuple de Paris, exprimait < l'impatience avec laquelle il attendait ce jugement et, anticipant sur la délibération de l'AsMmbtée, il proposait de poser ainsi ta question <Louia XVI mérite-t-il la mort? Est-il avantageux, pour la République et pour la liberté, qu'il périsse sur l'échafaud ? y

Devant ces sortes de sommations, surt~ pMpOBitien de Péiion, la Convention déclarait qu le roi serait


jugé, bornant là sa réponse à l'ultimatum présenté par les députés des 48 sections.

Robespierre demanda qu'on supprimât toute procédure et qu'on jugeât Louis XVI sans désemparer. Selon lui, les conventionnels n'avaientpasà se prononcer en juges, mais en hommes d'État. Louis n'était pas un accusé c'était un ennemi qui devait disparaître. Maximilien pensait que la sûreté générale exigeait cette mesure, en supprimant le monarque, on supprimait la monarchie. La Convention se rangea à un avis contraire et elle eut raison jamais les violences contre un homme n'ont amoindri les idées qu'il représente. I! fut donc décidé que le roi serait jugé, interrogé et défendu par des conseils de son choix.

Malgré la proposition de Robespierre, la déSance contre lui était telle, dans le camp girondin, que l'on y croyait que Maximilien et plusieurs de see amis voulaient se débarrasser de Louis XVI pour ptacef le duc d'York sur le trône, pour y mettre ensuite le duc d'Orléans, lui substituer enfin Marat ou Robespierre que devait plus tard supplanter Danton.

En ajoutant créance à ce projet absurde, les Girondins étaient de bonne foi, et l'un d'eux, Salles, exprima ses craintes à ce sujet au ministre de la justice, Garât.

Et de votre coté, vous êtes nombreux qui pensez ainsi ? demanda Garat.

Tous, ou presque tous, répondit Salles. Cet aveu, dont ta sincérité est hors de conteste, montre bien jusqu'où peut aller la crédulité quand ette est entrainée par la haine des partis.

Aussi, ne peut-'on s~étonner de la proposition faite


par Buzot, dans la séance du 4 Décembre, de punir de mort quiconque tenterait ou proposerait d'établir la royauté en France, proposition qui fut votée sans discussion, malgré les protestations d'une minorité qui ne parvint pas a se faire entendre et dont ou étouffa la voix sous les murmures et les interruptions.

Cette semaine, au moment où Louis XVI niait toute participation avec les étrangers et les émigrés, on découvrit la fameuse armoire de fer sur !es indications du serrurier Gamin., armoire contenant les preuves de l'entente du roi et des ennemis, et celtes de la duplicité de Mirabeau. Rhul fut chargé de faire son rapport sur les papiers ainsi mis au jour, et sa disscussion occupa toute la séance du 5 décembre du reste, le rapport ne mentionna que ce qu'il plut à Roland de lui faire dire, car le ministre avait eu le soin d'aller lui-même ouvrir l'armoire, et d'emporter les pièces qui lui avaient convenu, sans contrôle et sans inventaire.

Mais, tels qu'ils furent livrés par Roland, ces papiers constituaient des preuves accab)antes contre le roi, dont la duplicité, la trahison ressortaient de chaque document, qui seront autantde réfutations des démentis de Louis XVÏ.

Ces découvertes ébranlèrent tout à fait les derniers scrupules de nombreux modérés qui auraient voulu (t) Voir, pour les détails complets, plus haut, ch. xxtv.


sauver le roi. Le vent n'était, du reste, pas à la cté"mence nous avons vu les 48 sections venir demander qu'on jugeât Louis XVI. Les opinions énergiques, et parfois violentes, triomphèrent aux élections pour le renouvellement du Conseil général de la commune. Les Girondins étaient parvenus à faire nommer un des leurs, le médecin Chambon, comme maire de Paris; ils furent moins heureux au renouvellement du Conseil général, qui resta ce qu'il était la veille du 10 août. Le Jacobin Lullier, le concurrent malheureux de Chambon, fut élu procureur syndic du département. Chaumette, qui s'affubla alors du prénom d'Anaxa" goras, devint procureur de la Commune avec Réal et Hébert le fameux père Duchène pour substituts; seul, Réal, le futur préfet de police impérial, appartenait aux Girondins.

Ce n'étaient pas seulement à propos des personnes que se divisaient les députés, d'autres graves questions les fractionnaient en plusieurs groupes une des principales était, à coup sûr, celle des subsistances qui avait joué un si grand rôle depuis le commencement de la Révolution.

A la fin de 1792, quoique la récolte eût été bonne, le blé manquait tout comme au commencement de 1789. Il y avait à cela plusieurs raisons. Tout d'abord, les riches fermiers, craignant de voir leurs convois attaqués sur les grandes routes, comme cela s'était produit dans plusieurs endroits, n'apportaient pas de grains sur les marchés. Les producteurs avaient peur non seulement qu'on leur enlevât leur marchandise par la force, mais encore qu'on la leur achetât en leur donnant des assignats pour paiement.


D'un autre côté, à cause même de la disette, les riches et les municipalités désiraient faire leurs provisions, et moins il y avait d'offres, plus il se produisait de demandes.

Enfin une dernière cause de perturbation dans les marchés résidait dans le soin que prenait la municipalité parisienne d'acheter des quantités considérables de blé qu'elle revendait ensuitesur le marché de Paris au-dessous du prix de revient, afin de soulager les pauvres et d'empêcher le pain d'être trop cher. Mais 's les populations de la campagne, sachant qu'on vendait à Paris du blé au-dessous du prix d'achat, venaient essayer de se procurer un peu de ce grain dont l'administration avait tant de peine à se pourvoir. Tous ces éléments réunis crainte des fermiers, désir de s'approvisionner, discrédit des assignats, concurrence faite au commerce par la municipalité, augmentaient encore la disette à laquelle des désordres se mêlaient tous les jours.

En présence do cette situation difficile, les conventionnels se divisaient en deux groupes les libreséchangistes et les protectionnistes. c Laissez passer, disaient les premiers, les blés sortiront d'euxmêmes des greniers et afflueront sur les marchés. » De ce nombre était Saint-Just d'autres, au contraire, soutenaient, avec Robespierre, qu'on devait, <: dans l'intérêt de la société, constater la quantité de grains produite dans chaque contrée, et obliger les propriétaires à vendre sur le marchés, et à vendre à un prix déterminé par une taxe; c'était le matxiwwM, avec l'interdiction de la circulation des grains pour éviter les accaparements.

T. iv. 34


Sur ta proposition de Danton, l'Assemblée agit très sagement en repoussant le maximum, en autorisant en outre la circulation des blés, et en se prononçant pour la liberté du commerce, permettant à un département, ayant une provision trop grande pour sa consommation, de venir en aide à un autre département moins fortuné.

Proclamer la liberté du commerce du haut de la tribune était, assurément, plus facile que de la faire appliquer. La Convention ne tarda pas à s'en apercevoir. Des troubles ayant en effet éclaté dans le département d'Eure-et-Loir à propos de subsistances, on envoya deux députés pour faire appliquer la loi mais ils furent menacés par une foule d'un millier de paysans armés de fourches et de fusils de chasse, qui les obligèrent de signer !a taxe dès grains. Birotteau, l'un des commissaires, fit part de ce détail t Des curés, des prêtres, se trouvaient et parlaient au milieu des attroupements. Ils nous ont fait taxer les œufs et le beurre qu'on avait oublié de taxer sur les marchés. » La Convention désapprouva ses commissaires, déclarant qu'ils auraient dû mourir elle abolit la taxe et envoya des troupes contre les rassemblements. La question des grains avait montré une fois encore l'ingérence du clergé, et on se mit à discuter la question -du salaire des prêtres < Ceux qui voudront la messe la paieront, dit Cambon. »

C'était en somme demander l'application d'un principe d'égalité. Mais les circonstances ont une telle in-


fluence sur la question théorique, que la proposition de Cambon fut combattue par les jacobins les plus avancés, par Robespierre et Danton, jugeant le moment où l'on allait juger Louis XVI mal choisi pour soulever une pareille question dans les campagnes encore ignorantes, et où les paysans s'imagineraient qu'on faisait la guerre à leur religion si on s'en prenait au salaire des prêtres. De fait, la Convention ajourna ce débat qui mit en lumière le côté original de cette discussion, où tes modérés demandaient une mesure violente combattue par les plus avances. Ces graves préoccupations intérieures ne détournaient pas la Convention des événements extérieurs, et les nouvelles reçues de la Belgique commençaient à l'inquiéter des désordres s'étaient produits, les habitants se plaignaient des soldats qui se plaignaient des habitants. Les Belges consentaient bien à vendre aux armées françaises, mais ils voulaient être payés en or; nos soldats ne possédaient que des assignats qui, n'ayant pas cours en Belgique, étaient refusés d'où des mécontentements et des conflits. Quatre commissaires furent envoyés parla Convention pour se rendre compte de la situation. Ils partirent le jour même ce furent Lacroix, Gossuin, Camus et Danton. Quelques instants après ce vote, une députation de Thionville fut admise à la barre, apportant des boulets ennemis que le courage des habitants avait bravés. Le courage et le patriotisme étaient du reste loués un peu partout, dans les réunions et dans les spectacles, et le théâtre de la Nation joua l'Apothéose de Beaurepaire, pièce dans laquelle on représentait le transport au Panthéon des cendres du héros de Ver-


dun; le tout se terminait naturellement par des couplets en l'honneur de Beaurepaire et par La Marseillaise, qui devenait le chant national de la France, depuis qu'elle électrisait nos jeunes troupes sur les champs de bataille et décuplait leurs forces au moment du combat.


Du6aui3dëcembrel792.

LXH

LOUIS XVI A LA BARRE DE LA CONVENTION Au Temple. Louis XVI conduit & la Convention. Le trajet. Interrogatoire du roi. Son attitude Opinion de Marat. Retour au Temple. Proposition girondine. Accusation jacobine. M"' Roland à. la Convention. Les bustes de Mirabeau et d'Hetvétius brisés aux Jacobins. L'instituteur des petits ramoneurs. Bannissement de la famille d'Orléans. Indisposition de Vestris. Les cartes patriotiques. –L'histoire des papes. Notre flotte devant Naples. Les Apôtres chantants.

Troubles à l'intérieur, difficultés en Belgique, question des subsistances, manifestations patriotiques au théâtre, rien ne détournait l'attention publique du Temple. La commune redoublait de précautions et, en vertu d'un arrêté, on enlevait aux prisonniers .tous les instruments tranchants, tels que rasoirs, ciseaux, couteaux, compas, lancettes les petits accessoires de toilette ne trouvaient même pas grâce, et te secrétaire de la Commune les emportait avec le reste. Louis XVI avait envie de conserver un petit couteau qu'il avait l'habitude de placer dans la poche de son gilet on le lui refusa. Le roi n'insista pas; il remit le canif et haussant les épaules il dit

On n'a rien à craindre de moi


Marie-Antoinette ajouta

Il faut aussi enlever nos aiguilles, car elles piquent bien vivement.

Ces précautions prises pour mettre les prisonniers dans l'impossibilité de se suicider étaient bien inutiles; Louis XVI était mis à l'abri d'une pareille tentation par sa religion, à laquelle il croyait avec une foi qui faisait plier toute sa volonté.

Tandis que ces mesures minutieuses étaient appliquées au Temple, la Convention nommait une commission chargée de préparer les questions qui seraient adressées,au roi au momentde sa comparution devant I'Assemb)ée.

Le 11, ces questions étaient prêtes, et on décrétait que Louis XVI serait conduit à la barre de l'Assemblée.

Dans son rapport à la Commune, le citoyen Albertier, commissaire de service, trouve à propos de faire de l'esprit, et commence en consignant que « le ci-devant (roi) s'est levé à sept heures. Quoique sa barbe fût longue, sa toilette a été courte sa prière a pris près de trois quarts d'heure. »

Les alentours du Tempieretentissaient, ce matin-tà, du bruit du tambour, du piaffement des chevaux et de la marche des patrouilles, plus nombreuses qu'à l'ordinaire.

Louis XVI déjeuna avec son Ms. Le roi, impressionné par tout le bruit qu'il entendait, ne mangea pas, ce qui était le signe d'une véritable émotion. Lorsqu'on eut desservi, les princesses se retirèrent, et au lieu de donner une leçon de géographie au jeune prince, comme il en avait l'habitude, le monarque se


mit a jouer une partie de Siam avecle dauphin, qui ne pouvant aller plus loin que le point seize s'écria Le nombre seize est bi<*n malheureux Ce n'est pas d'aujourd'hui que je le sais, lui répondit son père.

Le hruit augmentait autour du Temple; on sépara le roi du Dauphin qu'on emmena, en annonçant à Louis XVI la visite du maire de Paris.

Avant de se séparer du jeune prince, le roi l'attira sur sa poitrine

Embrassez-moi, mon fils, lui dit-H, et embras-~ sez votre maman pour moi.

Pendant une heure, Louis XVI attendit la visite de Chambon il était nerveux, agité. Le maire monta enfin dans la chambre du prisonnier. Quandil fut entré, le roi dit au commissaire

Vous m'avez privé de mon fils une heure trop tôt.

Le secrétaire général de la Commune lut le décret qui mandait << Louis Capet à la barre de ta Convention <. Après cette lecture, le maire lui demanda s'il avait quelque observation à faire.

-Non, Monsieur. Mais je ne m'appelle pas Louis Capet mes ancêtres ont porté ce nom mais jamais on ne m'a appelé ainsi. Au reste, c'est une suite de traitements que j'éprouve, depuis quatre mois par la force.

Le maire l'invita à descendre. Arrivé dans la cour,


il monta en voiture et garda le silence pendant presque tout le temps.

Un moment, avant l'entrée du roi dans la salle, le Président de la Convention rappela aux députés et aux citoyens des tribunes que le silence le plus absolu était pour eux un devoir.

Louis XVI parut à la barre.

Le Président lui lut les décrets qui le mettaient en accusation il annonça qu'on allait lui lire l'acte d'accusation et que pendant cette tectureit pouvait s'asseoir. Louis XVI ne répondit pas un huissier lui apporta une chaise et le roi s'assit.

En voyant le monarque déchu à la barre de la Convention sur une mauvaise chaise de bois blanc, on ne peut s'empêcher de se rappeler l'ouverture des Ëtats-Généraux que Louis XVI dominaitalors de toute la hauteur du trône royal, tandis'que les douze cents députés écoutaient debout, nu-tète il n'y avait pas quatre ans de cela. Plus tard, à t'Assemblée nationale, on avait remplacé le trône par un fauteuil pareil à celui du président. Aujourd'hui, ce n'est même plus un fauteuil, c'est la chaise des accusés.

Après la lecture de l'acte d'aecusatioa, Ott procéda à son interrogatoire.

Louis XVI répondit tantôt qae les faits qu'on lui reprochait étaient antérieurs à l'acceptation de la constitution, tantôt que les fautes qu'on lui imputait devaient retomber sur les ministres il niait tous les faits personnels, toute participation avec l'étrangeret avec les émigrés. Le roi poussa même le mensonge jusqu'à affirmer n'avoir pas connu l'armoire de fer, et quand on lui présenta les pièces qu'elle contenait,


pièces écrites de sa propre main, il prétendit ne pouvoir reconnaître son écriture.

Cette partie de l'interrogatoire fut lamentable. Pourtant, dans son ensemble, cette comparution ne manqua pas d'une certaine dignité, et Marat écrivait le lendemain « H s'est comporté à la barre avec décence. Qu'il aurait été grand à nos yeux dans son humiliation, s'il avait été innocent e

Après ce premier interrogatoire, la Convention lui ordonna de se retirer.

Au sortir de la Convention, Louis XVI, accompagné du maire et du procureur de la Commune, Anaxagoras Chaumette, fut conduit dans la salle des conférences. Le maire lui demanda s'il désirait quelque chose le roi lui répondit que non. Mais, un instant après, voyant un grenadier tirer un morceau de pain de sa poche et en donner la moitié à Chaumette, Louis XVI en demanda à mi-voix un morceau à ce dernier qui, faisant montre d'une sévérité de parade que rien ne justifiait, se recula en disant

Demandez tout haut ce que vous voulez, monsieur.

Le roi reprit, en élevant la voix

Je vous demande un morceau de votre pain. Volontiers, St-i), et, lui présentant son pain tenez, rompez; c'est un déjeunerde Spartiate. Si j'avais une racine, je vous en donnerais la moitié, 11 était cinq heures, et Louis XVI n'avait encore rien mangé de la journée.


L'ordre vint de reprendre le chemin du Temple. Louis XVI remonta dans la voiture du maire, dans laquelle Chambon, Chaumette et le substitut de la Commune, Cotombeau prirent place.

Le roi ne mangea que la croûte de son pain il tenait la mie à la main

-Je ne sais qu'en faire, dit-il à Colombeau. Celui-ci la prit et la jeta par la portière dans la rue.

Ah fit le roi, c'est mal de jeter ainsi le pain, surtout dans un moment où il est rare.

Et comment savez-vous qu'il est rare ? interrogea Chaumette.

Parce que celui que je mange sent un peu la terre.

Il y eut un moment de silence, puis Chaumette ajouta

Ma grand'mère me disait toujours <: Petit garçon, on ne doit pas perdre une mie de pain vous ne pourriez pas en faire venir autant. »

Monsieur Chaumette, reprit Louis XVI, votre grand'mère était, à ce qu'il me par