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Titre : Les chansons lointaines : poèmes et poésies (2nde éd.) / par Juste Olivier ; 2nde éd. rev. et augm. ... d'un portr. par M. Charles Gleyre, de grav... par M. E. Willmann d'après les dessins de MM. Gleyre, Staal, Jules Hébert... [et al.]
Auteur : Olivier, Juste (1807-1876). Auteur du texte
Éditeur : J. Cherbuliez (Paris)
Date d'édition : 1855
Contributeur : Gleyre, Charles (1806-1874). Illustrateur
Contributeur : Willmann, Edouard (1820-1877). Graveur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb38943006n
Type : monographie imprimée
Langue : français
Format : XI-380-24 p. : ill., mus. ; in-8
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Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k205979c
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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CHANSONS LOINTAINES
POEMES ET POÉSIES
LES
PAR
JUSTE OLIVIER
1 I.c i 1 I~ 1
CHANSONS LOINTAINES POÈMES ET POÉSIES
REVUE ET AUGMENTÉE D'UN CINQUIÈME LIVRE
ENRICIIIE D'UN PORTRAIT DE L'AUTEUR
PAR M. CHARLES GLEYRE
DE GRAVURES SUR ACIER PAR M. E. WILLMANN
MM. GLEYRE. STAAL. JULES HÉBERT. GUSTAVE ROUX & FRITZ BERTHOUD
DE MÉLODIES MÉDITES PAR M. KURZ
PUBLIÉ PAR ED. MATHEY, ÉDITEUR, A BERNE
J. CHERBULIEZ, LIBRAIRE
PAR
JUSTE OLIVIER
SECONDE ÉDITION
D'APIIEb LES DLSSINb ORIGINAUX DE
ET D'AIRS POPULAIRES
PARIS ET GENÈVE
~MJSA~iME
DELAFONTAINE ET C"
18SS
LES
Imprimerie Attinger, à Neuchâtel.
PRÉFACE.
Le premier morceau de ce recueil en explique le titre Les Chansons ~ot~aMtcs. Toutes, cependant, ne sont pas des chansons; il faut plutôt y voir, dans l'ensemble, de petites pièces ordinairement divisées en strophes, et renfermant une pensée, une scène ou un récit.
Le quatrième livre principalement contient des essais d'un genre à part et nouveau, mais basé sur d'anciennes formes de poésie populaire, qui se sont longtemps conservées dans la Suisse française, comme chez ses voisins de même langue et de même race. Ces formes ont un fond d'inspiration et des effets qui leur sont propres elles offrent surtout l'avantage, éminemment poétique à notre avis, de parler a l'âme sans lui tout dire, de susciter des pensées et des tableaux que l'imagination,
volontiers rêveuse de sa nature, peut achever ou poursuivre à son gré.
L'auteur n'ignore point que c'est là, en fait d'art, une manière de sentir et de juger peu française. L'esprit français, par habitude ou par goût, aime mieux en général les c~a~s que les ombres, le devant que le fond de la scène, les premiers plans que ces lointains où l'on ne voit, comme on H/y est vu, qu'à demi cette manière de sentir ne saurait pourtant lui être absolument étrangère, puisque, après tout, elle est AM)KenMe, et qu'on la retrouve, avec les formes poétiques qu'elle affectionne aussi bien dans les chants populaires de la France que dans ceux de toutes les autres nations. Au surplus, ces formes naïves, et le genre de compositions qu'elles supposent, l'auteur ne se flatte assurément point d'avoir toujours réussi à les renouveler, ni à les approprier à une poésie plus moderne, comme il l'aurait voulu et comme elles le mériteraient.
M y a longtemps qu'on l'a remarqué un auteur est comme un père ce sont souvent ses enfans les plus faibles envers lesquels il se montre le plus. faible aussi. Tel est un peu notre cas, s'il faut l'avouer, à l'égard de quelques chants de famille, ou chansons ~eM/(MM. que l'on pourra s'étonner à bon droit de trouver ici couchés tout au long sur du beau papier et en beaux caractères d'imprimerie mais le lecteur, s'il est père
à son tour, nous entendons cette fois de la seule bonne manière, et non pas de l'autre, qui est toujours plus ou moins mauvaise, en ce cas, disons-nous, le lecteur, la lectrice encore mieux, nous pardonneront ces en fantillages, ou ces en fances, comme on voudra les appeler.
Du reste, l'auteur aurait à faire, à propos de son livre, bien d'autres aveux que celui-là, et sans pouvoir y joindre d'aussi bonnes circonstances atténuantes que celles qu'il vient de plaider. Peut-être serait-il convenable en outre nécessaire même, d'ajouter quelques mots sur la publication de ce recueil, sur cette nouvelle édition en particulier.
La première, dès longtemps épuisée, parut en 18~7: par conséquent peu après l'origine de ces mouvemens révolutionnaires qui, du dehors, semblaient n'agiter que la Suisse, et qui étaient au contraire pour l'Europe un avertissement, un signal. Si, au lieu de quitter son pays à un âge où l'on ne s'expatrie pas volontiers, l'auteur avait pu y continuer sa carrière, il n'eût probablement jamais livré l'ensemble de ces poésies à la publicité il en aurait mûri quelques-unes en silence, il aurait abandonné les autres au courant des choses qui les lui avait inspirées mais, à son départ, il s'était engagé envers ses amis à leur laisser ce souvenir d'un temps désormais passé et déjà bien loin pour eux et
pour lui. Ainsi s'explique, sans toujours se justifier, !a composition du recueil, et de là vient aussi qu'on y a laissé subsister des morceaux qui, ayant dû figurer dans la première édition, manqueraient peut-être encore à leurs anciens et indulgens lecteurs s'ils ne les trouvaient plus dans la seconde. On a sans doute tâché de mettre à profit les critiques, surtout celles de M. Vinet; mais il est telle feuille si légère, que par sa légèreté même, on le comprend, elle ne supporte pas d'être beaucoup retouchée de vouloir y remettre la main d'un peu près, n'aboutit qu'à la faire tomber-en poussière. Toutefois, on a rejeté dans les notes deux ou trois chansons dont le caractère local ou de circonstance est déjà devenu trop marqué. Lors de leur publication, quelques-uns voulurent y voir des allusions personnelles, notamment dans Un petit rot. L'auteur doit protester contre cette interprétation il n'a entendu faire, et n'a fait en réalité allusion qu'aux partis et aux événemens.
Parmi ses anciens compagnons d'étude et de jeunesse, vieux amis pour lesquels et avec lesquels il chantait autrefois, il en est qui auraient désiré voir réunir dans cette édition toutes ses chansons de ce temps-là, dont plusieurs sont encore éparses dans divers recueils mais leur amitié en a gardé un souvenir que sans doute elles sont loin de mériter; et puis,
pour avoir voulu comme de folles brebis, sortir les premières du bercail, elles se sont si bien égarées, que le berger lui-même ne saurait pas toujours où les aller reprendre aujourd'hui.
Pour répondre cependant au désir de ceux qui ne les ont pas tout à fait oubliées, on en a reproduit ici quelques-unes, par exemple, la chanson d' KxoKer et celle de J~Mo. Alpinula. Dans un autre genre, ils y retrouveront aussi le Sapin, écho plus grave du même temps. Il est. signé, ainsi que quelques morceaux inédits, des initiales C. 0., celles du second auteur des Deux Voix. Enfin, le petit poème des Campagnes, dont la publication dans ce dernier recueil date pareillement de cette époque (Lausanne, i835), a été retravaillé et complété, surtout au troisième chant.
A ces exceptions près, les morceaux assez nombreux ajoutés à chacun des quatre premiers livres, et le cinquième livre tout entier, paraissent pour la première fois.
Les chansons proprement dites peuvent se chanter la plupart sur des airs connus, qu'on n'a pas cru toujours nécessaire d'indiquer. D'autres, les~etWorn~cMes, la Clé des champs, Finaut ou la ~mo~ ~M berger, ont été composées sur des airs de rondes villlageoises ou enfantines; d'autres encore ont trouvé des musiciens habiles, surtout le Chant de paix, les Devers Com-
battans et la chanson Helvétie Ne~é~e qui doit à un air très-beau et très-expressif une assez grande popularité. M. Kurz, de Neuchàtel, a bien voulu se charger de revoir la musique, et de noter, comme échantillons, quelques mélodies populaires. Dans les airs qui sont de lui, on remarquera bien vite son inspiration facile et heureuse, pleine de douceur, de vérité et de sentiment. Les dessins et les gravures sont dus, de même, à un concours ami, sans lequel on n'eût jamais pu songer à une édition aussi artistement illustrée. M. Cbarles Gleyre, MM. Staal et Gustave Roux, M. Jules Hébert, M. Fritz Berthoud pour les dessins, M. Edouard Willmann pour les gravures, tous aimant la Suisse, la plupart même y étant nés, ont rivalisé de dévouement et de soin pour faire de cette édition une véritable œuvre d'art, d'un intérêt national, et certainement elle le sera du moins grâce à eux. M. Attinger a cherché aussi à répondre à ces vues, avant tout par la netteté de l'impression et une correction scrupuleuse. Enfin, c'est dans le même sentiment que l'éditeur, M. Edouard Mathey, a voulu se charger d'une entreprise qui, assez considérable partout, l'est beaucoup en Suisse, à tel point qu'elle y a encore aujourd'hui le mérite de la nouveauté. Après tout ce que ses amis ont fait pour son livre, et pour vaincre par là sa répugnance à le remettre sous les yeux du public, l'auteur aurait, certes, bien mau-
vaise grâce à vouloir en dire du mal. Parvînt-il, d'ailleurs, à se maltraiter en toute franchise, sans l'arrièrepensée ou la vanité d'une fausse modestie, à quoi cela servirait-il? Il aurait beau prétendre que le sourire paternel n'est pas nécessairement et absolument aveugle, qu'il peut être mêlé d'inquiétudes fondées, et même de tardifs regrets on approuverait sa critique, mais en jurant bien que, pour lui, il n'en pense pas un mot voilà tout ce qu'il gagnerait à ce jeu. Il se contentera donc simplement d'ajouter, qu'ayant tâché de rendre à sa manière ce qu'il entendait du chant infiniment varié de la vie, et comme il l'entendait, il serait amplement récompensé s'il se trouvait l'avoir exprimé en quelque chose pour d'autres que pour lui.
Paris, novembre 854.
LIVRE PREMIER
LE LIVRE DE JEUNESSE
L'homme est étrange en sa faiblesse, Toujours changeant, capricieux,
Toujours tourné vers d'autres cieux, Vers d'autres bords, sans trouver mieux, Toujours regrettant ce qu'il laisse. Quand il est jeune, il se croit vieux, Et lorsque l'âge enfin le presse,
Il a toujours devant les yeux
Les vieux songes de sa jeunesse.
LIVRE 1
LES CHANSONS LOINTAINES
Au loin,
Au loin,
A l'aurore, à la nuit penchante, Est-ce un oiseau qui, sous le foin,
Sous l'herbe chante, Sans nul témoin?
Voix incertaines,
Voix des buissons
Ou des grands chênes Chansons, chansons
Lointaines.
Un chant
Un chant
Oui, c'est un chant qu'on croit entendre,
Léger parfois, parfois touchant,
Moqueur ou tendre, Jamais méchant.
Des monts aux plaines, Portez vos sons,
Fraîches haleines,
Chansons, chansons
Lointaines Refrains,
Refrains
Du temps passé, refrains que j'aime, De vos bouquets de romarins
J'ai pris moi-même Deux ou trois brins. Aux marjolaines Entrelacons
Lys et verveines. Chansons, chansons
Lointaines. Amour
Amour!
Est-ce ta voix qui pleure et prie,
Au dan' de lune, au point du jour,
Dans la prairie
Ou vers la tour?
Larmes soudaines, Charmants soupçons, Doux airs de reines. Chansons, chansons
Lointaines. Enfans
Enfans
Est-ce une mère, fleur cachée, Qui se récrée à vos beaux ans,
Sur vous penchée,
En soins touchans?
Bonheur sans peines, Sans noirs frissons,
Sans fiel, sans liaines. Chansons, chansons
Lointaines. Plus fort, Plus fort,
En sous guerners le chant s'étevc,
Comme la vague sur le bord
N'est-ce qu'un rêve, Qu'un écho mort, Les voix hautaines De vos gazons,
Vieux capitaines? Chansons, chansons Lointaines.
Un jour,
Un jour,
Un jour nouveau pour l'homme britte. Beau moissonneur, avec amour
Prends ta faucille, Entre à ton tour,
Entre à mains pleines Dans les moissons Où tu nous mènes. Chansons, chansons
Lointaines. Des cieux, Des cicux,
Lyre d'or aux cordes d'étoiles,
11 vient un chant mélodieux,
Sous les saints voiles Chœur glorieux 1
Quand sur nos chaînes Nous gémissons,
Chansons sereines, Hautes chansons.
Lointaines. Tout bas, Tout bas,
Le chant s'en va, le chant déctinc; Rien ne se montre on n'entend pas,
Sur la colline,
Un souffle, un pas: Seules et reines
Près des maisons, Jasez, fontaines Chansons, chansons
Lointaines. -?
revois,
Je vois
Des monts la haute galerie,
J'entends le chant, le chant des bois,
De la patrie
0 douce voix
Alpestres scènes, Bleus horizons,
Images vaines
Chansons, chansons Lointaines.
ANCIENNES AMOURS
Ne me parlez plus de la fée
Qui m'enseigna dans les vallons
Et me doua, rustique Orphée,
D'un luth aux naïves chansons
Je dois la fuir, me rire d'elle
Tout oublier de nos beaux jours
Et la gronder quand elle appelle, Gronder mes anciennes amours.
Elle me crie « Ecoute écoute » C'est moi qui chante dans les airs; » L'astre qui luit sur notre route, )' Viens entendra seul nos concerts. » Sens-tu le vent qui me soulève? » Suivons ce nuage en son cours. » Mais moi j'ai chassé comme un rêve, Chassé mes anciennes amours.
Je l'entends qui revient encore,
Plus près, ici, dans le jardin.
« Vois, reprend-elle, c'est l'aurore » Je suis la fille du matin
)) Du sentier dans le pâturage
» N'aimes-tu plus les longs détours? » J'aurais, je crois, battu de rage,
Battu mes anciennes amours.
<( Il est vrai, dit la délaissée,
)) Je suis petite, et j'ai des sœurs
» Dont la taille est plus élancée,
» Dont la joue a plus de couleurs; Mais je suis Gère gaie et tendre, » Sans chaînes d'or, sans faux atours. » Je pleurais, et je crus entendre
Pleurer mes anciennes amours.
Je rassemble enfin mon courage;
Je prends mon masque de docteur Et, dans un savant équipage,
Je m'achemine avec lenteur.
« Cessez de hanter ma demeure, » Lui dis-je, « on m'attend à mon cours'
L'auteur était alors professeur a l'Académie de Lausanne.
» Laissez-moi passer, voici l'heure
)) Passer, mes anciennes amours. »
Narguant alors mon noir délire,
Elle ôta son petit chapeau
Et, partant d'un éclat de rire,
S'enfuit soudain comme un oiseau
Mais en chaire, ah piéges indignes Je la vois, aux bancs les plus sourds, Qui s'assied et me fait des signes
Des signes d'anciennes amours.
Triste et rêveur au pied d'un hêtre
J'ouïs une voix qui disait
« Je vous prends, mon seigneur et maitrc !)' » C'était elle qui m'embrassait.
Ce jour-là, penchés l'un vers l'autre Jurant de nous aimer toujours,
Oh! quel doux revoir fut le nôtre,
Un revoir d'anciennes amours
LES BRUITS DU MONDE nu
L'INSOMKIEDEMAMÈRE
(E~ins,i8H.)
Mon père et moi, l'autre soir, et ma mère, Nous étions seuls au foyer nous chauffant; Lui me contait ses souvenirs de guerre Elle, mes tours et mes exploits d'enfant. Et moi, tout bas, je leur faisais entendre Quelques échos du monde et de son bruit. Ah pauvre mère, et si bonne et si tendre Tu n'en pourras fermer FocU, de la nuit. Le croirais-tu? Lorsque tu vois mon père Teiller le chanvre, effilé sous sa main,
J'en sais plus d'un qui, se disant bon frère, Se fait sa toile aux dépens du prochain. Contre la trame on a beau se défendre, Un fil vous tire, un autre vous conduit. Ah pauvre mère, et si bonne et si tendre Tu n'en pourras fermer t'œit, de la nuit. Le croirais-tu? Comme rit ton aiguille Dans ce gilet qui lui doit maints hivers, Tel s'applaudit et rit dans sa famille D'avoir piqué tel autre à mots couverts. Si tu voyais comme il sait bien s'y prendre, Comme il accroche, égratigne et s'enfuit! Ah pauvre mère, et si bonne et si tendre, Tu n'en pourras fermer t'œit, de la nuit. Le croirais-tu? Quand nous disons à peine Que nous aimons, tant nous le savons bien! J'en connais un qui, sans reprendre haleine, Le dit vingt fois, n'en pense jamais rien. Geste sourire, il a su tout rapprendre, D'autant plus faux qu'à présent il reluit. Ah! pauvre mère, et si bonne et si tendre Tu n'en pourras fermer t'eeit, de la nuit. Le croirais-tu? la flamme qui serpente Est moins que tel preste à se faufiler
Est moins subtile et guette, moins rampante, Tout ce qui peut la repaître et l'enfler Flamme il monta, fumée il va descendre, Fumée éteinte, et que le vent poursuit. Ah pauvre mère, et si bonne et si tendre Tu n'en pourras fermer t'œit, de la nuit. Le croirais-tu? Regarde, à la muraille Le vieux Laharpe' et son front redressé Il demandait ou justice ou bataille
Ah qu'on en voit d'un esprit plus sensé Lutter au jour? Non doucement surprendre Et doucement écarter qui vous nuit.
Ah! pauvre mère, et si bonne et si tendre, Tu n'en pourras fermer t'œit, de la nuit. Le croirais-tu? De ces rayons nocturnes La tremblotante et blafarde clarté
Est un soleil sur nos champs taciturnes, Un plein soleil d'amour, de vérité.
Sus! levons-nous, marchons sans plus attendre. L'Ombre nous mène et le Chaos nous suit. Ah pauvre mère, et si bonne et si tendre, Tu n'en pourras fermer t'œit, de la nuit.
Voir la seconde chanson après celle-ci.
Le croirais-tu? Non, tu ne peux le croire Mon père et moi sommes de grands rieurs Qui t'aurons fait quelque méchante histoire Pour te gronder de tes chères frayeurs. Eteins le feu, clos-le bien sous la cendre C'est le destin où maint brave est réduit. Ah pauvre mère, et si bonne et si tendre, Tu n'en pourras fermer l'ceil, de la nuit.
LE BON VIEUX TEMPS HELVÉTIQUE
Autrefois, on aimait en Suisse A rire, à vivre bonnement;
On n'allait pas chercher malice Dans chaque pauvre événement; On était gai, content, traitable On s'oubliait par-ci par-là;
Maintenant on est. !amentabte Hélas qu'y faire?. enfin, voilà! Quand on aimait, sans phrase aucune On le disait bien tendrement,
On n'allait pas faire à la lune
Maint triste et mauvais compliment. On aurait su fort mal décrire
Son coeur, dire au long ce qu'il a; Mais on ne pleurait pas pour rire. Hélas! qu'y faire?. enfin, voilà! Fallait-il chanter une ronde?
Tous l'entonnaient fort bravement. Et l'on disait 0 belle blonde,
Prenez-moi donc pour votre amant 1 Et verduron et verdurette
Et larirette et Ion lan la 1
Ils chantaient comme l'alouette. Hélas! qu'y faire?. enfin, voilà! Leurs histoires n'étaient point sottes Ils avaient le petit Poucet.
Nous, nous avons presque ses bottes, Et nous en sommes fiers, dieu sait! On court, on arpente, on embrasse Toute la terre. Après cela,
Gros-Jean se retrouve à sa place. Hélas! qu'y faire?. enfin, voilà! i Oui, c'est fini tout dégénère.
Notre vieux monde est tout gâté Il entre dans la nouvelle ère
Où l'on s'ennuie en liberté.
Dès qu'on fit les rois en fabrique, Celui d'Yvetot s'en alla.
H n'est resté que sa bourrique. Hélas! qu'y faire?. enfin, voilà! 0 Gravité Pédanterie
Filles d'Ennui, soyez nos dieux. De votre main rude et flétrie
Bénissez-nous, à qui mieux mieux. Déjà la vie en nous s'arrête;
Déjà nous radotons déjà
Nous branlons doctement la tête. Hélas! qu'y faire?. enfin, voilà! Plus d'amitié, plus de franchise, De belles phrases plein un sac De bons vins, une chère exquise, Mais plus de dents, plus d'estomac; Force pompons, force dentelles; La paysanne en falbala
Mais ma foi! bientôt plus de belles. Hélas! qu'y faire?. enfin, voilà! Il en est une. Sur sa joue
Deux baisers (c'est le droit commun) M'étaient dus elle fait la moue, Au lieu de deux je n'en ai qu'un. Nous chicaner sur nos tendresses! Le beau système et l'on y va Des égales, plus de maîtresses Hélas! qu'y faire?. enfin, voilà Qu'y faire, hélas! ô triste vie
Où toute chose n'a qu'un temps, Où l'on regrette, où l'on envie, Où l'on n'a pas toujours vingt ans; Où ces petits vers supportables Dont ma muse vous régala. Vous les trouvez donc détestables? Hé)as! qu'y faire?. enfin voilà
LE VIEUX LAHARPE 1
Le vieux Laharpe ainsi dit avec grâce Le peuple, ami du surnom familier,
Comme l'on dit vieux chêne', vieille race De ces cœurs forts que rien ne fait plier. Il est assez de roseaux sur la plage
Qu'au moindre souffle on voit tous se pencher Ah dans nos temps de faiblesse et d'orage, Il faut le chêne assis sur le rocher.
Fréderie-Cësar Laharpe, l'instituteur d'Alexandre et le tribun de la révolution helvétique. Le peuple l'appelait ainsi Le vieux Laharpe, moins à cause de son grand âge ou pour le distinguer des autres membres de sa famille, que pour marquer, par cette désignation familière, qu'il était une vieille connaissance pour lui. Ces couplets furent chantés à Ro)te, sa ville natale, lors de l'inauguration de son monument. (Revue de Pnt't's et Revue suisse d'octobre ~8~t.)
Le vieux Laharpe ainsi t'ont vu nos pères, Antique et pur sous un front de vingt ans. A notre tour, nous l'avons vu, mes frères, Jeune de cœur, tout jeune en cheveux blancs; Et sa mémoire est comme un bel ombrage Où nos enfants aimeront à marcher.
Ali dans nos temps de faiblesse et d'orage, Il faut le chêne, assis sur le rocher.
Le vieux La/tarpe un vrai fils d'Helvétie Que rien ne doit vaincre et décourager Ni sur les monts tant de neige épaissie, Ni l'autre hiver qui sur tous vient neiger Fécond exemple, héroïque héritage
Que rien non plus ne nous doit arracher Ah dans nos temps de faiblesse et d'orage, H faut le chêne, assis sur le rocher.
UN PEU DE DISPUTE
(Lausanne, 18~.)
Un peu de dispute ranime.
Foin des gens toujours endormis
La discorde serait un crime,
Mais se disputer est permis.
Toujours d'accord! rien n'est plus fade Si personne ne soufflait mot,
Chacun en deviendrait malade,
L'homme d'esprit comme le sot.
Un peu de dispute ranime, etc.
Toujours d'accord! Voyons, compère, Vous eûtes tort le beau premier.
Moi? pas du tout! Alors j'espère Que vous aurez tort le dernier.
Un peu de dispute ranime, etc.
Toujours d'accord dans un ménage! Supposons-le par charité
S'en aimerait-on davantage?
Nul ne le sait; en vérité
Un peu de dispute ranime, etc.
Toujours d'accord entre confrères, Entre savans et beaux-esprits
Que deviendraient tant de libraires, Et de quoi vivraient les souris?
Un peu de dispute ranime, etc.
Toujours d'accord! point de chicanes, De mauvais sang, point d'airs malsains; Alors, adieu baume et tisanes
Que deviendraient les médecins?
Un peu de dispute ranime, etc.
Toujours d'accord, même au village, Dans tes cités, dans les Etats,
Au premier, au cinquième étage
Que deviendraient les avocats?
Un peu de dispute ranime, etc.
Toujours d'accord dans notre Suisse Ici pourtant, tenons-nous bien
N'allons pas dire une malice
Qui soit d'un mauvais citoyen.
Un peu de dispute ranime, etc.
Toujours d'accord! La terre et l'onde Disent aussi Le tien le mien.
La paix étoufferait le monde.
Mais le monde ne risque rien.
Un peu de dispute ranime.
Foin des gens toujours endormis La discorde serait un crime,
Mais se disputer est permis.
CHANT DE PAIX
(Musique de Wintcr. 1857.)
Dans la plaine un doux murmure S'éveille au vent du matin;
La nuit même, à peine obscure, Répète un concert lointain.
Vers la terre qui repose
Et fleurit comme une rose
Des hauts cieux voilés d'azur II vient un chant vague et pur. Chant de paix, fraiche harmonie Voix de l'âme à l'âme unie
C'est un hymne, chaque jour, D'espoir, de vie et d'amour.
Tout est calme et sans nuage.
Père, mère, enfans, aïeul,
Sont assis, après l'ouvrage,
Sur le banc, sous le tilleul;
L'arbre en fleur, de son grand dôme Rafraîchit l'air qu'il embaume, Et vers son feuillage noir
Bientôt monte un chant du soir. Chant de paix, tendre harmonie Voix de l'âme à l'âme unie!
Comme un cercle sur les eaux, Etends au loin tes échos.
Unis-toi, terre fleurie,
A cet hymne fraternel
Et formons de la patrie
Le chœur saint, universel.
Nous, ses fils, disons sa gloire Assurons-en la mémoire
Et jusqu'au sommet des temps Qu'elle monte dans nos chants Chant de paix, grande harmonie Voix de l'âme à l'âme unie 1
Ouvre au ciel ton aile d'or,
Au ciel porte un seul accord.
PROMENADE DE NUIT
Brùlans pensers du jour, éteignez-vous! Laissons, amis, tomber leurs noires flammes A ce vent frais laissons flotter nos âmes, Et dans les prés, dans les bois sauvons-nous Le lac d'argent soupire avec la nuit,
Un chant d'amour descend de la colline, L'air, qui s'embaume, effeuille l'églantine, Un astre pur nous voit et nous conduit. De la forêt qui vient de s'animer,
Sort une voix mystérieuse et tendre
Le ciel vers nous semble prêt à descendre, Le ciel nous dit aussi de nous aimer.
Pour qui nos chants, pour qui, répondez-moi,
S'élèvent-ils pendant la nuit sereine?
Où s'en vont-ils, quand le vent les entraîne? Reine des monts et des lacs, c'est vers toi Etait-ce toi, reine des lacs si doux,
Que sur les flots nous avons aperçue?. Mais tu t'enfuis, comme une blanche nue Fille des monts, viens encor viens vers nous 1 0 nuit pensive! Amitié! doux instans! De la Patrie ombre mystérieuse
Songes portés par la brise amoureuse Elans de l'âme! 6 Jeunesse! o Printemps! Je voudrais vivre au bois comme un oiseau Comme une fleur coucher dans la prairie, Et m'endormir, mêlant ma rêverie
Aux mots confus, chantés par le ruisseau. A flots légers, sous l'ombrage incertain, S'écoule encore un murmure de vie,
Faible soupir, rêveuse mélodie,
Que seule entend l'étoile du matin.
A MON AMI M* D"
Quand l'inquiet souci de la journée active A coups pressés vous a lentement accablé Quand la paix, le loisir, comme une aimable rive, Semblent fuir votre cœur, en faire un exilé Pensez à ce soleil qui se rit des tempêtes Et fondra le nuage amassé sur nos fronts, A tant de biens divers qui pendent sur nos têtes, Et qu'à l'heure opportune un jour nous cueillerons. Pensez au glacier blanc, étincelant et ferme, Où le ciel même aiguise et polit son azur, Et qui toujours souillé, se nettoyant sans terme Voit sur lui s'acharner quelque chose d'impur. Pensez au souvenir, pensez à l'espérance
A tant d'êtres si chers, desirés obtenus A leur égale part de lutte et de souffrance, A ceux que l'on peut perdre, à ceux qu'on a perdus. A qui veut nous sauver du ténébreux empire Où l'âme se tourmente et s'étourdit de peu, A celui vers qui tout, ici-bas, tout soupire, A celui-là pensez, ami, pensez à Dieu.
LA VISITE
(Pour Eysins. Janvier 1840.)
Lorsque le Soir, pensif et sombre, Met son manteau de pèlerin
Comme lui, je voudrais, dans l'ombre Franchir coteau, bois et ravin.
Je pars j'arrive à tire-d'aile;
Je ne crois plus rêver, déjà
Et de tout loin je vous appelle, Je viens, je frappe. Etes-vous là ? Que fait ma mère? est-elle encore Au jardin, près de l'abeiller ?
Malgré le poussin qui pérore,
Ferme-t-elle le poulailler?
Mon père est-il à la montagne
Depuis que l'aube étincela?
Dans les vallons la nuit le gagne. Tous, pour l'attendre, êtes-vous là? Le vieux Coq, secouant sa crête, Dit gravement sur le perchoir « Femme de coeur, femme de tête M Est celle qui vient chaque soir. )) Puis il s'endort; mais sa louange Que nul poète n'égala,
Vote de l'étable à la grange.
L'entendez-vous, êtes-vous là?
Le Sapin cause avec le Hêtre
Sur les monts, plus noirs que la nuit. Il lui dit K Vois-tu ce vieux maître )' Que mon ombre au loin reconduit )) Comme nous il eut ses orages, » Son coup de vent dont il trembla » Ainsi raisonnent nos deux sages. Mon père arrive. Etes-vous là? Autour du feu, dans la cuisine, Vieille, lustrée, aux murs brunis, Quand tout s'égaie et s'illumine,
Eniin vous voilà réunis.
Pauvre Chanson, que l'hiver glace, Qu'un peu de soleil réveilla,
Entre à présent, entre à ma place, Dis à ma place Etes-vous ta?
Chère maison, nous avons cru te dire Le long adieu qui reste au fond du cœur. Oh laisse-nous de ton rustique empire Le sceptre, au loin fort peu dominateur! Là les grands monts pour décor de théâtre Point de vain bruit pour distraire la foi; Mais seulement de la cloche du pâtre
Rouvre sur nous ta porte à moitié close Tu le savais, mais tu n'en as rien dit Notre tutin, dans son foyer morose,
LA MAISON
APRÈS AVOm CRU LA QUITTER
(Eysins. 1~6.)
Le chant d'automne autour de toi
De ce départ restait tout interdit.
Mais il nous garde aussi, le long de t'atre, II saute, il danse à petits pas pressés, Et tourne au son de la cloche du pâtre Qui chante un air des temps passés. Voici la place où notre table ronde, Non d'ais sculptés mais vieille et de sapin Boiteuse même, accueille tout le monde Offrant d'abord et le sel et le pain.
Moins âgé qu'elle un seul flacon noirâtre La réjouit, et verse en longs ébats
Mille propos où la cloche du pâtre
Vient aussi faire écho tout bas.
Un jour de plus retourne à son Arbitre. Le feu s'amuse avec ce jour mourant, Comme un enfant, collé contre la vitre, Y suit son rêve au crépuscule errant. La terre immense et riche amphithéâtre, Pâlit, s'efface et se perd dans les cieux. On n'entend plus que la cloche du pâtre Qui parle aux cœurs silencieux.
Maison du ciel, invisible demeure
Où n'entre rien de souillé ni d'impur,
Fort de celui qui se repent et pleure Pour le rebelle abîme vide, obscur! 1 La terre au loin, éclair triste et bleuâtre Passe un moment dans ton éternité, Tandis qu'au son de la cloche du Pâtre S'assemble ta postérité.
Des vieux soleils, des étoiles perdues, Ceux dont la mort ne rive point les fers Viendront en foule apportés par les nues Comme la feuille au rivage des mers. Laissons dormir notre monde idolâtre Et, sur les flots où l'autre bord nous luit, Prêtons l'oreille n la cloche du Pâtre Qui nous appelle dans la nuit.
AMOUR SIMPLE ET PUR
Je t'aime ainsi parée
De tendresse et d'émoi,
Et j'ai l'âme enivrée
D'être assis près de toi.
Comme une douce haleine Tu souffles sur ma peine Et dans l'air qui sourit
L'Eden pour moi fleurit.
Je sens comme une larme L'amour baigner mon cœur Et tout, d'un même charme, S'unir à mon bonheur;
Ce chêne où tu t'appuies, Cette onde, ces prairies Ne sont-ils pas heureux,
Heureux avec nous deux?
Voici les bien-aimées
De l'oiseau des buissons, Les fleurs qu'il a charmées D'amour et de chansons. Mais toi, blanche anémone Mon chant et ma couronne Mon amour et ma foi,
Tout m'est venu de toi.
Le bonheur où me plonge Un rayon de tes yeux
M'entraîne dans un songe Calme délicieux.
En toi je sens ma vie
Transformée et ravie
Moins immense et moins pur Est l'Océan d'azur.
CHANSONS D'ENFANS
1
Que j'aime le sourire
De l'enfance aux yeux bleus Flot limpide où se mire
Un ange aux blonds cheveux Lorsque l'ombre est venue Sur notre cœur troublé
Riez, enfans et sous la nue
Le soleil a brillé.
Tendres espiègleries, Regards vifs et touchés Fines coquetteries
Et petits airs penchés C'est l'âme toute nue
Dans un rayon perlé.
Riez, enfans et sous la nue
Le soleil a brillé.
Aimez, enfans la vie; Savourez ce beau ciel; Aimez! et sans envie Butinez votre miel La fleur, à votre vue, Rit dans son nid mouillé.
Riez, enfans et sous la nue Le soleil a brillé.
II
COQUINS D'ENFANS
AtB. Mon vieil habit, etc.
Coquins d'enfans qui nous faites la guerre Depuis le matin jusqu'au soir,
Si l'on vous aime, on ne vous aime guère, Mais vous allez, vous allez voir 1
Ça, qu'on m'écoute je sermonne
Et je tiens mes deux poings fermés.
Mais bon! jamais écoutent-ils personne? Coquins d'enfans. chers petits bien-aimés!
C'est un tapage à ne pouvoir plus dire Qui de vous sait le mieux crier.
L'un pour tambour a pris la poêle à frire, Et l'autre souffle au cendrier.
Heureux encor si, du grimoire
Amateurs déjà consommés,
Vos doigts n'ont pas sondé mon écritoire Coquins d'enfans. chers petits bien-aimés! Quand vous chantez, autant vaudrait, je pense, Entendre une forêt d'oiseaux.
Plus bas, plus bas, plus bas encor. Silence! Alouettes et passereaux
Allons et que nul ne raisonne,
Ou je. si vous n'êtes catniés,
J'em. brasse l'un, l'autre, je le. chiffonne,
Coquins d'enfans. chers petits bien-aimés. N'ètes-vous pas, dans l'ombre au loin morose Où se dérobe le chemin,
Ces Enchanteurs à la baguette rose
Nous transformant d'un tour de main? Que ferez-vous de notre vie,
Dans le cercle où vous l'enfermez,
Gais nécromans qui nous l'avez ravie, Coquins d'enfans. chers petits bien-aimés?
EN VOYAGE
DeZcrmatt,aupicddtiMont-Rose, on l'auteur était enfermé par les neiges.
Que fais-tu pendant que ma vie Se perd tristement loin de toi?
A quelle espérance infinie
Se reprend ton cœur plein de foi? A défaut d'un azur sans voiles Cherches-tu, par delà les cieux D'autres mondes, d'autres étoiles, D'autres soleils plus radieux?
Et loin de nos ombres mortelles, Dans ta pensée, où tu souris
Me dis-tu « N'est-il pas des ailes » Pour franchir l'abime surpris?
)) Dans la lumière où tout s'allume )' Gravis, ne fût-ce qu'un moment; Et repousse du pied la brume » Comme on repousse un vêtement. )) Sur les cimes d'une autre aurore )) Par un divin souffle emporté, » Au lieu des fleurs qu'un jour dévore M Cueitte les fleurs d'éternité. » Ainsi me parle ainsi m'exhorte Ta voix perçant le mur neigeux. Ainsi ton âme, tendre et forte, Me suit sur les monts nuageux. Ou bien, le soir douteux et pâle Egarant le fil sous tes doigts,
Rappelles-tu de l'autre salle
Les enfans exilés cent fois ?
Quel tapage ils courent ensemble Autour de la table en criant
Le chat s'enfuit, le plancher tremble Et tu les grondes en riant.
LA CHANSON DE JULIA ALPINULA' i
Près de mon père, oh que mes jours sont beaux Par le bonheur je marche couronnée
Mais si le Ciel tranchait sa destinée,
Au lieu d'un seul on verrait deux tombeaux. Eloignez-vous de mon âme peureuse,
Sombres pensers dont j'entretiens l'ennui Auprès de lui que sa fille est heureuse Coulez, mes jours, coulez auprès de lui. Aux champs pourquoi vais-je, à l'aube du jour, Cueillir des fleurs ainsi qu'une bergère? FiUe de Julius Alpinus, chef lielvétien mis à mort par les Ro-
mains dans les révolutions de l'Empire. (Tacite, Histoires, livre I.) Selon la légende, sa fille mourut de douleur après lui. L'auteur a publié autrefois, sur ce sujet, un poème en deux chants, où se trouve cette chanson quelques personnes ont desiré la voir dans ce recueil.
C'est pour orner la tète de mon père. Il dormira jusques à mon retour.
Il a payé ma course matineuse
Lorsqu'une larme en sa paupière a lui. Auprès de lui que sa fille est heureuse Coulez, mes jours, coulez auprès de lui. Comme un vieil aigle en son nid retiré, Lorsqu'il se voit balancé par l'orage, Sent tout à coup frissonner son plumage Et s'élargir ses ailes par degré
Mon père ainsi, d'une ardeur généreuse, Pour son pays brûle encore aujourd'hui. Mais près de lui que sa fille est heureuse Coulez, mes jours, coulez auprès de lui.
LA CHANSON FYZOLIER' i
Pauvre Yzolier, détache donc ta voile, C'est le moment; n'attends pas à demain. Tâche d'avoir une petite étoile
Qui te conduise en ton obscur chemin. Et quelques fleurs, sur le courant, peut-être A les saisir viendront te convier.
De ses destins l'homme n'est pas le maître, H faut partir, pauvre Yzolier!
Lorsque mon lac, vers la côte écumeuse, Roulant ses flots, sourdement mugira; Lorsque, le soir, d'une vapeur brumeuse L'herbe des prés au loin se voilera;
Qu'un passant frappe à ma porte légère,
4 Personnage d'un poème de l'auteur, /a Bataille de Grandsoit. Voir la note précédente.
Et le grillon, blotti sous mon foyer, Répondra seul à la voix étrangère. H faut partir, pauvre Yzolier
De mon pays j'emporte au moins l'image, Et dans mon âme elle vivra toujours. En quelque lieu que me pousse l'orage Son souvenir sera mon seul recours Et fatigué d'une longue souffrance, Sous le fardeau si je me sens plier, A son nom seul renaîtra l'espérance. Il faut partir, pauvre Yzolier
PRÉLUDES
(Aux étudiants de Lausanne. 1839.)
Comme autrefois que je m'asseie encore
A vos banquets! reconnaissez ma voix.
Que l'Amitié soutienne, écho sonore,
Echo du cœur, mes chants, comme autrefois Aux verts rameaux le Printemps se balance; De feuille en feuille on l'entend palpiter Quand de l'Hiver tout rompt le froid silence Les chants sont doux. mais puis-je encor chanter ? Que le rameur, ployé sur sa nacelle,
Sente des eaux le branle courroucé,
Il mord sa lèvre, et sa voix qui chancelle, Laisse mourir le refrain commencé;
Mais dans ton golfe où l'Aquilon expire,
Heureux Clarens, qu'il vienne à s'abriter, Il se rassure, et le flot semble dire
« Les chants sont doux mais puis-je encor chanter? L'âpre sentier qui rampe vers la cime
Glace nos fronts de muette pâleur
Mais, au sommet qu'enfin le pied s'imprime, Les chants sont doux sur la montagne en fleur., La terre au loin fuit dans la vapeur rose Et jusqu'à nous son bruit ne peut monter. Sur la montagne, où le cœur se repose,
Les chants sont doux. mais puis-je encor chanter? Ites du ciel, montagnes d'empyrée,
Ports de lumière, astres obéissans!
De vos feux purs la blancheur éthérée
Tombe sur nous comme des flots d'encens. L'âme vers Dieu se retourne et l'appelle, S'élance et veut dans ses bras se jeter.
Aux bords sans fond de la Source éternelle~ Les chants sont doux. mais puis-je encor chanter? Je chanterai ta bonté, Père tendre
Je chanterai ta sagesse et tes lois;
Je chanterai, pour qui voudra l'entendre Le cœur de l'homme et ses sombres exploits Je chanterai l'helvétique montagne,
L'étoile à suivre et la cime à dompter; Je chanterai votre voix m'accompagne Les chants sont doux; je puis encor chanter.
LE TEMPS S'EN VA
(Chanson pour mon père et pour Eysius. 1838.)
Voici trois jours que des flots de nuages,
Brumeux déluge, engloutissaient l'azur;
Mais, comme un vol d'aigles aux blancs plumages, Les monts enfin planent dans le ciel pur Ainsi le Temps, brouillard au vent funeste, Voile où se perd l'immortelle beauté,
Le Temps s'en va, mais l'Eternité reste, L'Eternité l'Eternité
Plus de chansons, plus de couples fidèles
Dans le tilleul, chauve comme un vieillard Au bord du toit, déjà les hirondelles
Forment leurs rangs et sonnent le départ.
Toujours montant vers le portail céleste, Traînant au seuil le Monde épouvanté, Le Temps s'en va, mais l'Eternité reste, L'Eternité l'Eternité
Notre sentier dans le gazon serpente, Là, d'une ronce en passant écharpé, Luttant, ailleurs, contre une aride pente, Ou d'une fosse, hélas! bien mieux coupé. Marcheur vaillant, dont chaque pas s'atteste Par une tombe au sol ensanglanté,
Le Temps s'en va mais l'Eternité reste, L'Eternité l'Eternité
De maux présens et de peines passées Quel sombre amas, quel douloureux trésor Sans les tarir que de larmes versées Et, jusqu'au bout, que de chagrins encor! L'homme avec Dieu sans fin ruse et conteste, Puis, recueillant notre cœur tourmenté, Le Temps sen va, mais l'Eternité reste, L'Eternité l'Eternité
En vain se dresse, aux lieux que nul n'évite, Le noir rocher de l'antre de la mort
C'est un jalon, ce n'est pas la limite, C'est du chemin le souterrain enbrt. Notre œil s'arrête à ce bord qu'il déteste; Mais au delà brille l'Immensité.
Le Temps s'en va, mais l'Eternité reste, L'Eternité! l'Eternité!
Dans le tombeau le Passé dort encore, Et l'Avenir, en ses abîmes sourds, N'est du Néant qu'une incertaine aurore Le Présent seul existe, il vit toujours Contre lui-même ainsi plaide et proteste Ce Temps qui meurt en immortalité. Le Temps s'en va, mais l'Eternité reste L'Eternité! l'Eternité!
Verbe infini qui façonnas les mondes, Qui dans le vide assemblas l'univers, Et qui jetas à l'écume des ondes,
Comme des fleurs, les îles sur les mers Toujours la vie en toi se manifeste Le ciel fût-il par ton soumc emporté, Le Temps s'en va, mais l'Eternité reste, L'Eternité l'Eternité
JEUNE HELVÉTIE
(Musique de M. Mascheck. <8<)2.)
Jeune Helvétie, à toi notre espérance
A toi nos vœux, notre amour et nos bras Aux jours de force, aux jours de défaillance, A toi la gloire, et pour toi nos combats Si le rocher qui borne tes campagnes
Réduit ta part du lot universel,
Tu peux encore, ô terre des montagnes Grandir, mais du côté du ciel.
Le ciel, c'est l'âme et les fortes pensées, Des citoyens les dévoucmens pieux,
L'OEuvre et la Foi qui, les mains enlacées, Montent toujours pour toujours chercher mieux;
Le saint amour du frère pour le frère, Flamme qui doit de l'helvétique autel, Comme l'encens des cimes de la terre, Grandir avec toi vers le ciel.
Elève-toi par ton libre courage!
Gravis tes monts, suis ton rude sentier, Et que ta robe, entre le noir nuage,
Brille plus blanche au loin que le glacier Là, sur la terre, à tes pieds déroutée Jette en tout sens un regard fraternel,
Heureuse et fière, et bientôt consolée
De ne grandir que vers le ciel.
LES DERNIERS COMBATTANS
(Musique de Spœth.)
Peut-être, un jour, nous verrons dans la plaine Des fils du Nord les sinistres essaims.
Leur vol grondant fait frissonner nos seins, Comme du soir une pesante haleine.
Gardons nos coeurs de toute lâcheté
Notre Helvétie est à la liberté.
Venez, venez sur l'antique montagne Un souffle impur ne nous y suivra pas. Ici l'air libre, et l'étranger là-bas,
Avec son roi que la mort accompagne.
Pour un moment qu'ils se disent vainqueurs Notre Helvétie, à nous, est dans nos coeurs. Vallons dormant au pied des blanches cimes, Humbles chalets, tentes du haut azur,
Riant asile, abri terrible et sûr,
Fort crénelé, ceint de remparts d'abîmes C'est à nous seuls que Dieu vous dévoila Notre Helvétie, à nous, est encor là.
Chère patrie ici pour te défendre,
Déjà tu vis arriver nos aïeux.
De monts en monts nous nous cachons comme eux. Comme eux aussi nous saurons redescendre. Armes drapeaux ne vous inclinez pas Notre Helvétie, à nous, est dans nos bras. S'il faut encore un plus grand sacrifice Sur le glacier, notre dernier espoir,
Nous combattrons vaillamment jusqu'au soir; Puis, l'âme à Dieu, le corps au précipice, Nous cesserons nos belliqueux accords,
Et 1'Helvétie au moins nous aura morts.
Notre cercueil, c'est le profond abime Notre linceul le nuage qui fuit
Notre épitaphe un éclair dans la nuit Et notre tombe, une Alpe au front sublime. Là nous disons parfois, en grand courroux Notre Helvétie, elle n'est qu'avec nous.
LES VIEUX CHÊNES
L'ombre du chêne à ces landes arides
Tient !icu de source, et d'herbe, et de printemps. Là de nos fronts pour détendre tes rides, Ensemble, amis rêvons quelques instans. De nos matins tes plus fraîches haleines
Semblent renaître en nos cœurs accablés. Chantons, amis chantons sous les vieux chênes, Le souvenir des beaux jours envolés.
Du souvenir tes cloches argentines
Font dans notre âme un murmure tremblant; Sur le roc sombre ainsi tes égtantines
Filles des monts, jettent leur voile blanc. J'aime, la nuit, le babil des fontaines;
J'aime un bruit vague aux endroits désolés. Chantons, amis chantons sous tes vieux chênes, Le souvenir des beaux jours envolés.
Songes d'azur qui, planant sur nos fêtes, Y répandiez comme un souffle enchanté, Vous avez fui, découronnant nos têtes, Printemps en fleur par l'orage emporté! Mais dans les airs, mais dans les voix lointaines, N'est-ce pas vous qui tout bas appelez? Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes Le souvenir des beaux jours envolés.
Autour de nous sur la terre durcie,
Tombent déjà, du premier froid des ans, Jeunesse, g)oire, avenir, poésie,
Rameaux de fruits à peine mûrissans.
Le vent d'hiver sèmera-t-il leurs graines? Nous verrons-nous en eux renouvelés?
Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes Le souvenir des beaux jours envolés.
Perçant la brume où les chênes confondent, Vieux compagnons, leurs vieux bras fatigués, Des cris jaloux sourdement se répondent, Voix de corbeaux dans le brouillard ligués. L'aigle retourne à ses hauteurs sereines; L'oiseau se tait dans les bois dépeuplés. Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes Le souvenir des beaux jours envolés.
Nous avons pris l'aile de l'espérance
Pour retomber à l'horizon qui fuit
Nous avons eu notre part de souffrance, Notre nuage avant d'avoir la nuit
Et, dans la lutte, au sable des arènes, Nos derniers pas sont déjà nivelés.
Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes Le souvenir des beaux jours envolés.
Rien n'est propice à qui ne sacrifie
Aux nouveaux dieux, ivres de l'encensoir; Sous notre pied, qui déjà se défie,
Rien ne grandit que tes ombres du soir. Avant d'entrer dans les pâles domaines Du noir faucheur dont nous sommes tes Mes, Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes Le souvenir des beaux jours envolés.
FtNDUPMmERUVRE.
LIVRE DEUXIÈME
LIVRE II
LE LIVRE MOROSE
En avançant dans ce livre morose,
Si les oiseaux et si les fleurs de mai
Y chantent moins ou d'un accent moins gai, Ne dites pas L'auteur seul en est cause Car de la vie, en sa métamorphose,
Le livre aussi va bien s'assombrissant Chacun, hélas! l'apprend en avançant. En avançant dans ce livre morose.
0 ciel toujours serein, Alpes toujours plus belles, Doux printemps qui nous viens eiueurer de tes ailes, Jeunes soupirs des airs, brise où la vie éc)ôt A l'âme qui fléchit, qu'apportez-vous d'enhaut?
LES VOIX DU PRINTEMPS
Moi, je murmure Pour t'apaiser
Vois la verdure
Renaitre pure
A M. Ch. S.
LE POÈTE
LE RUISSEAU
Sous mon baiser.~ Flot qui s'écoute,
Au lit qu'il foule
Joyeux, se roule
Pour mieux jaser
Ou reposer.
L'OISEAU
Ecoute ma chanson, ma chanson amoureuse; Suis de FœU dans l'azur ma course aventureuse; Le caprice avec moi voltige au bois charmé Et le bonheur aussi j'aime, je suis aimé. Avril chasse la neige et l'ondée inhumaine; L'oeil plus gai du printemps rayonne sur la plaine; A la fenêtre, ami, ne mettez plus de pain, Car le saule pUant'verdit près du sapin.
LE VENT
Avec les parfums que je porte J'ai passé les rocs du midi,
Et voilà que la branche morte S'éveille à mon souffle attiédi. Vite, je vais là-bas, sur l'onde, Danser avec la voile ronde
Du pêcheur qui dort sur son banc,
Ou bien lutiner les images Des montagnes et des nuages, Eparpiller leur bandeau blanc.
LES CLOCHES
La Paque nous chantons nos chants de bonnes fêtes. Le choeur d'airain s'ébranle et passe sur vos têtes, Le chœur qui pleure et qui bénit;
Qui chasse les démons et qui voudrait surprendre Ce que l'homme a gardé d'espoir sublime et tendre, Vibrant dans son coeur de granit.
LA LUNE
Voici le soir. Je penche Ma tête aux frais vallons. Lève-toi, ma Pervenche, Sous l'aubépine blanche Où glissent mes rayons. Le Lutin dans la plaine, L'Ondine à sa fontaine, La Fée aux yeux de reine, Le Spectre des forêts,
Fantômes des nuages,
Follet des marécages,
Servans des pâturages
Nains des chalets sauvages, Tous viennent, tous sont prêts. Respectons ces mystères
Sous tes vertes paupières
Cache bien tes yeux bleus Afin qu'avant l'aurore,
Qui me chasse et m'abhorre, D'eux, ma fleur, j'aie encore Un regard amoureux.
LA PERVENCHE
Je te réponds, amour mélancolique, Amour des nuits, amour au vague émoi. Je vous comprends, univers fantastique Formes, idée, incertaine musique, Rêve sans nom flottant autour de moi. Ma tige chaste et qui n'est embaumée Que par l'abeille enivrée un instant, N'appelle rien que l'ombre accoutumée, Rien que la haie où le sort m'a semée, Où je me cache à la main non aimée, Où, quand je dors, ma verdure m'attend.
Le Servant est le nom du lutin familier dans l'Ilelvétie romane.
L'ÉTOILE
Chante sur ta guitare
Comme mes feux tremblans Ta voix faible s'égare
En des airs mous et tcnts. I! n'est que nous au monde! Tu me vois je t'entends.
Qu'une étreinte profonde
Illumine et confonde
Nos êtres palpitans
Ou bientôt, curieuses,
Mes soeurs viendront aussi, De tendresse joyeuses,
Te regarder ici,
Danser sous ta prunelle
Quand ta romance appelle. Jaloux est mon souci
Qu'à ton regard fidèle
Je sois la seule belle,
Car je le veux ainsi.
LE ROSSIGNOL
Attends je vais chanter pour toutes les étoiles, Pour le monde sans rive et pour le ciel sans voiles
Réveillons t'imini de son sommeil humain. Entre l'âme et les sens effleurons le chemin. A moi, suave esprit des vagues mélodies Viens souffler la musique en mes notes hardies.
La terre en mugissant répondit à l'oiseau Et le premier tonnerre ébranla l'arbrisseau. Un crêpe éteignait les étoiles.
L'ouragan agitait ses voiles.
La trombe, en noyant le ruisseau,
A pris tes jeunes fleurs sous l'eau.
Mais l'âme, relevée au vent de l'espérance, Aux orages de mort résiste avec puissance. Elle vole comme un ramier,
Pour trouver le rameau premier
Que le déluge encor balance,
Et sur lui se pose en silence.
Aux châteaux de nuage, aux cimes des grands monts Peuvent se prendre encor les pensers vagabonds, Comme à des ancres toujours sûres.
Et beaucoup de saintes figures
Descendent là-haut sur ces ponts,
Pour ouvrir des cieux plus profonds.
BOUTADE
Chaque montagne, avec sa croupe verte, S'efface dans l'ombre. La Nuit
Traverse seule, en éteignant le bruit,
La rue endormie et déserte. Sa main clôt les yeux vacillans; Sa robe la ceint de mystère, Et cache même ses pieds blancs, Qui glissent sans toucher la terre. Jour monotone, au pas pesant, Va dans l'abime où tout descend!
Mais ce n'est pas un amant qui t'invoque,
LA NUIT
0 Nuit dans des vers de pleurard Du vieil Amour, cet oiseau babillard,
Notre temps n'a plus que la coque. Ce n'est pas mieux quelque rêveur, Dévot à froid du moyen-âge Le sabbat n'est plus en faveur; L'homme et Satan font bon ménage. Non, ce n'est pas, ô farfadets Ce n'est pas vous que j'attendais.
La Nuit, pourtant, est bien mystérieuse Pour elle l'homme n'est point fait Souvent, le plus hardi tremble, en effet
Devant sa face sérieuse.
D'esprits plus dégagés, plus forts, La Nuit semble être le domaine Elle nous enlève à nos corps, 1 Hors de nous-mêmes nous promène Et nous fait planer au-dessus De bleus abîmes inconnus.
La Nuit est mère une vertu féconde Réside en elle lorsque Dieu
Lança le Temps en son chemin de feu,
C'est d'ette que jaillit le Monde. Toujours un souffle inspirateur Couve sous ses feux taciturnes Toujours un esprit créateur
Erre et chante aux brises nocturnes. Seul le poète entend sa voix, Secrète comme un chant des bois.
Mais que me font toutes ces rêveries Des antiques traditions?
De l'Orient nous portons les haillons
C'est un bazar de friperies.
Là dame Europe nez en l'air 1 Clignant les yeux, pédante et maigre, Achète au hasard, et pas cher, Ce que débite sa voix aigre.
Au coin du monde où nous trottons, Elle revend de vieux centons.
Seul si je veille et médite en silence Comme un avare à son trésor,
Ce n'est donc pas pour marmotter encor Des mots de l'humaine science,
Pour guetter quelque vérité
De loin paraissant toute nue, De près, tout voile et vanité, Ou se renfonçant dans la nue. C'est mon métier de chaque jour Pauvre, stérile et dur labour
J'ai bien assez aussi des controverses, Des vieux systèmes rajeunis,
Des grands mots creux, cetébrés ou honnis,
Qui tombent sur nous par averses. Un enfant souhaitait un fruit On le lui pèle; mais, sa mère Tournant les yeux l'enfant séduit Mange encor la pelure amère. Et c'est ainsi que maint cerveau Croit découvrir du fruit nouveau.
Je hais non moins cette froide atmosphère Où gè!ent ces mornes esprits,
Doublés de glace et de neige pétris.
Si le Monde était à refaire,
Ils retrancheraient le soleil
Et, dans l'horreur de toute flamme, Loin de tout rivage vermeil Construiraient un globe sans âme.
Dieu de l'Amour, du Grand, du Beau 1 Ils souderaient sur ton flambeau.
Humaine gloire ô bruit douteux et triste Echo faussé d'un chant trompeur Empoisonnée et cendreuse vapeur,
C'est toi, pourtant, que suit l'artiste Dans cette salle bien souvent, Jusqu'à l'approche de l'aurore J'ai tissé, marchant et rêvant, De mes vers la trame sonore. Le fil allait et revenait
Sur le métier qui résonnait.
Et je voyais s'animer sur ma toile Fleuves, vallons les lacs les mers; Un bel oiseau s'élançait dans les airs;
Des cieux descendait une étoile. A peine éclose et sa pâleur D'un rayon furtif colorée,
Elle glissait comme une fleur Le long de sa route azurée. 0 douce étoile ô bel oiseau, Jouant ensemble au bord de l'eau
Mais l'astre pur et son chantre fidèle Ont disparu de l'horizon
Tous deux tombés, couchés sur le gazon
Comme toute chose mortelle.
C'est là qu'ils dorment entacés L'astre, comme une fleur éteinte, L'oiseau, les yeux déjà glacés, S'endormant dans un chant de plainte. Etoile oiseau songes aHés
Songes brillans. puis envolés!
Heureux celui qui, dans sa longue veille Parle en esprit à l'Eternel,
A tout instant reconnaît son appel
Lui prête une docile oreille
Cette heure nocturne qui fuit Sur moi n'a pas ce doux empire, Et si je veille ainsi la nuit,
C'est que je veux pouvoir me dire. Me dire à moi, triste et moqueur, Tout ce que j'ai là sur le coeur. Aigle, <855.
PENSÉES D'ORA&Ë
1
-Que veux-tu, dis-moi, que veux-tu? Que cherche au loin ton oeit farouche? Pourquoi retomber abattu,
Comme un malade sur sa couche? Pour toi brillent toujours les cieux; La santé ne s'est point enfuie;
Si parfois se mouillent tes yeux, Plus d'une main te les essuie.
Un nuage en moi s'est g)issé Les portes du jour furent closes, Et mon esprit se vit lancé
Dans le noir océan des choses.
Pour te conter mes sombres vœux H me faudrait faire un gros livre. Ce que je veux, ce que je veux, Hc)as c'est le secret de vivre.
11
Ne me suis pas J'aime l'enfer, Le bruit de ses portes de fer Le cri de sa rage profonde.
Je me sens tomber à jamais, Tomber de sommets en sommets, Au fond de l'abîme qui gronde. Adieu jour pur et souriant Aurore perle d'Orient,
0 nuits de brise printannière Nuits où le ciel est un jardin Je roule dans la nuit sans fin Adieu, soleil! adieu, lumière! Débattez-vous, flots sans espoir Dans votre gouffre vide et noir, Faites bondir votre esclavage Criez l'enfer vit de combats. Pleurez on ne vous entend pas Là-haut, là-haut sur le rivage.
III
Ne crois pas que ma vie
Par une autre que toi
Soit charmée et ravie,
Ni que je me défie
De l'étoile bénie
Qui se leva sur moi,
Lorsque, du sein de l'onde, D'un océan de mort,
Où l'écume qui gronde
Roulait au gouffre immonde Mon âme vagabonde,
Tu m'amenas au bord.
Mais ancienne compagne, La tempête, un moment, Me soulève me gagne,
M'arrache à la montagne Et veut que je regagne
Le mobile élément.
Je roule encore et plonge Parmi des eaux sans fond. Je fais un triste songe
Et de plus d'un mensonge Mon naufrage s'allonge. Ta voix seule répond.
Mais le vent la fait taire Jusqu'à ce qu'au matin, L'Océan, moins austère, Bruissant solitaire,
Je me retrouve à terre Endormi sur ton sein.
ÉCRITE DE LA MONTAGNE
Sur ces calmes hauteurs où, seul, le ciel descend, Tu saurais mieux que moi, d'un cœur reconnaissant, T'inspirer et jouir, à sa source plus pure,
De la grave beauté de l'antique nature
De ces monts qu'une voix, parlant du haut des cieux, Fit sourdre, flots de pierre, en bonds prodigieux De ce léger soleil dont la flamme épurée
N'a pour toute vapeur qu'une fraîcheur dorée Du mélèze qui vibre au moindre appel des airs, Comme un vieux chantre aveugle et rempli de concerts, Quand le passé d'un souftle éveille sa mémoire Seul, se fait de ses chants un nombreux auditoire Du lac qui se déroule et se perd dans la nuit, Où sa vague s'endort sous l'étoile qui luit.
LETTRE
Mais moi, les vallons verts, Tempés silencieuses Que mes rêves jadis peuplaient d'ombres heureuses; Leur velours d'émeraude où, sur un sable noir, Roule une eau fraiche et sombre, honneur de l'abreuvoir; Le thymier dont j'ai fait cent couronnes aux Fées, Dans mes jeunes chansons, maintenant étouffées Les longs appels lointains, les hourras des bergers Blottis dans les parois, les échos mensongers L'ombre la paix du soir la flamme hospitalière Et dans le haut foyer la profonde chaudière Les vaches dont le sein ne contient plus le lait, Bellement, à grands sons, regagnant le chalet; Leurs noms dont aisément la rime se couronne Marjolaine, ou Niva, Blanche, ou Reine-Péronne; Le taureau sur la pente, en bramant, arrête Les chevreaux furetant, sautant de tout côté Les sentiers suspendus où le chamois hésite Les cimes que l'éclair ou le vent seul visite, Colonnades d'azur, marches de diamant,
Degrés rompus du seuil qui mené au firmament; Et la plaine sans bruit, dormante comme une onde, Qui semble au loin couler sous la forêt profonde; -Non, tout ce monde alpestre, amour de mes beaux ans, Ne sait plus m'arracher à mes songes pesans. De ces fleurs dont le miel enivra ma jeunesse,
11 ne me vient qu'un suc de doute et de tristesse. Ces monts doivent passer eux et moi nous mourrons; Le ver est dans leurs flancs, la glace est à leurs fronts. Partout germe le mal; la Mort, le mal suprême, Serpent de l'univers, ronge le ciel lui-même. Dans ce vide effroyable où le Temps croulera, Et la Terre et les Cieux oh! qui nous soutiendra?. Je sens s'ouvrir sous moi ce dévorant abime, Sans lumière, sans fond sans rivage sans cime; Trembler sous moi la vie et, dans l'antre béant, Mort sans être encor né gronder l'épais Néant. Durant ces visions de mes heures pensives, Que me font les forêts et leurs chansons plaintives? Elles ne savent plus endormir ma douleur. Que me fait du matin la vermeille pâleur?
Je cherche le rayon de l'aurore éternelle.
Et que fait une cime à qui demande une aile? z Mais si je te voyais assise auprès de moi,
Me parlant de la vie avec ta simple foi
Devant nous, les enfans, dans l'herbe chaude et tendre, Se détournant parfois pour rire ou pour entendre L'horizon reprendrait son calme transparent Vous le délivreriez de tout fantôme errant.
Plus patient, plus fort, sans secouer le voile Heureux d'apercevoir, au travers, une étoile, Je verrais, dans ce jour de terrestre beauté, L'ombre du jour d'en haut, du jour d'éternité. Chatets des Agîtes, août i838.
L'ENCHANTÉ
Dans un temps où se plonge Mon regard attristé,
Je fis un si beau songe,
Qu'hélas j'en suis resté
Comme enchanté.
Je songeai. mais à peine L'ai-je dit seulement,
Que le songe ramène,
Comme au premier moment, L'enchantement.
Je demeure immobile,
Sans voir et sans parler
Tout me semble inutile,
Tout me semble crouler
Et s'en aller.
Ma vie est étounée
Dans un sommeil de plomb. Il n'est Sages ni Fée
Qui, me touchant au front,
M'éveilleront.
Mais j'attends d'heure en heure; Comme, au fond d'un vieux fort, Le condamné qui pleure
Et ne sait pas s'il dort
Ou s'il est mort.
Je songeai. Mais qu'importe! Que nul n'en sache rien
Et si le vent l'emporte,
Mon rêve aérien,
Héias! c'est bien.
LA VIE EN PLEURS
Si j'étais seul tout seul au monde, Et sans devoirs je pleurerais
Tant, à la fin, que j'en mourrais. Oui, que ma vie en pleurs se fonde Coulez mes pleurs fuyez, mes jours D'un même flot d'un même cours. 0 tristes larmes bien-aimées
Emmenez-moi, prenez mon cœur Emmenez-le, comme une fleur
Les oudes qu'elle a parfumées.
Coulez mes pleurs fuyez, mes jours D'un même flot, d'un même cours.
Où va la fleur? où va cette onde? A l'océan dont tous les flots
Gémissent comme des sanglots,
Cherchant le bord qui leur réponde. Coulez, mes pleurs fuyez mes jours D'un même flot, d'un même cours.
ESPERE! 1
Espère et tiens-toi ferme Dans mon abattement.
Aucun mal n'est sans terme Espère seulement.
L'avenir diminue;
Le ciel s'ensevelit
Espère et, sous la nue, Vois le ciel qui survit.
Dans ces heures extrêmes Où le vent est plus fort, Espère et, si tu m'aimes N'espère pas la mort.
L'amitié nous regarde
Elle compte sur nous
Espère, et fais la garde, Espère pour nous tous. Les enfans te sourient; Mille rayons joyeux
Dans leurs yeux se marient Espère par leurs yeux.
Pardonne à ma souffrance De monter jusqu'à toi.
Contre toute espérance
Espère encor pour moi.
A UN PARFAIT AMI
Maigre la mort, maigre la vie, Je veux te suivre et t'adorer.
Malgré moi-même et ma folie,
Je me sens vers toi soupirer.
Tu me retiens, tu me captives, Quand je m'égare ou me distrais. A travers mes larmes furtives,
Quand je suis seul tu m'apparais. L'éclair, sondant la nuit profonde, Est moins perçant que ton regard L'orbe riant du vaste monde
M'embrasse moins de toute part. L'oiseau qui seul se fait entendre, Quand la nuit tout dort sous les bois,
M'appelle d'une voix moins tendre Que dans mon cœur ne fait ta voix. Elle me dit: « Je t'aime, écoute! n En moi tu peux tout retrouver. » Pourquoi me fuir? pourquoi ce doute? » Hors moi qui peut donc te sauver? » Je t'aime plus qu'on n'aime un frère.
» Tu sais ma demeure et mon nom. » Brise le noeud qui m'est contraire, » Et jamais ne me redis Non )) Ne me crains plus. Sois-moi fidèle.
» Je vais sans cesse à ton côté
» Mais, pour me suivre, garde une aile )) Car j'habite l'Eternité. »
AVEUGLEMENT
0 triste monde,
Qui ne voit pas
Qu'il n'est qu'une onde Dont le fracas,
Même ici-bas,
Ne dure et gronde
A grand tourment
Qu'un seul moment! 0 triste monde
Il s'étourdit,
II se promène,
II s'applaudit;
Mais, dans sa chaîne Et sa géhenne,
Comme il bondit Comme avec rage 11 se croit sage
H s'étourdit.
Pauvre mensonge Stupide erreur!
Comme il se plonge Avec fureur
Avec terreur,
De songe en songe Toujours tombant Dans son néant.
Pauvre mensonge
LE TORRENT NOIR
Comme sur le pic séculaire
Que bat la nue au foudre ardent, L'orage a versé sa colère
Sur mon front toujours imprudent. Soudain, de murmurantes ondes Ont ouvert leurs sources fécondes Dans ce terrain tout sillonné, Et, coulant à sa fantaisie,
Un noir torrent de poésie
Dans l'âme en pleurs a bouittonné. Où m'emportez -vous, onde amére, Onde sans rivage et sans port? Contenez ce bruit éphémère,
Et laissez reposer la mort.
Oh je voudrais sur la colline
Que le divin Soleil domine,
M'arrêter, me taire, m'asseoir,
Et voir en bas, sur l'eau profonde, Passer tous les débris du monde,
Et demeurer là jusqu'au soir.
Ou bien, pareille au coquillage
Plein d'un mystérieux accord,
Que ne fait point vibrer l'orage,
Ni la fraîche haleine du bord,
Que n'ai-je une intime harmonie,
Un discret et charmant génie,
Roi caché de mon cœur serein,
Où frémirait sa voix captive,
Roulant à l'oreille attentive,
Comme un bruit sourd, son chant d'airain. 0 rude destin du poète,
Rêve d'or chèrement payé
Si du moins la tourbe indiscrète
T'accordait silence et pitié
Si, lorsqu'il passe un chant sonore, Dont notre sein frissonne encore,
On n'en troublait pas les échos,
Ou que cette voix inspirée
Dans la poitrine déchirée
Pût dormir avec ses sanglots
Vains souhaits plainte inexaucée, Coupables murmures du coeur
Qu'est-ce que l'argile insensée
Pour lutter avec le Seigneur
A lui donc de compter nos peines, D'épargner les dures baleines
A l'agneau faible et sans toison
De retirer l'accord suprême,
Quand de la voix qu'il fit lui-même H ne veut plus ouïr le son
Oui, mon Dieu tant que sur ma bouche Ton doigt ne vient pas se poser,
Je vaincrai le besoin farouche
De me taire et ne plus penser.
T'abandonnant ma destinée,
La voulant comme elle est donnée, Sans plus contester avec toi,
Je la subirai sans la craindre
A toi seul aussi de me plaindrc
Et de te pencher jusqu'à moi
Qu'importe, en eH'et, si ma route Se perd dans l'horizon humain Plus d'orgueil, d'espoir ni de doute Je n'ai qu'à suivre mon chemin. Fussé-je la plus humb!e pierre
Dont se forme le sanctuaire,
L'œi! de Dieu m'y verra toujours Et le marbre de l'autel même
Ne saurait vouloir sans blasphème Que je me plie à ses contours.
Pourquoi, d'ailleurs, en l'édifice Tant de tourmente et de rumeur? Que la pierre vive obéisse
Que tout rende gloire au Seigneur A lui la voûte murmurante
Où montera l'hymne vibrante,
Alteluia de l'univers 1
A lui le pauvre grain de sable
Dont l'existence insaisissable
Se perd dans les divines mers
c. o.
LE RAYON DE LUNE
Déchirant un ciel noir, sans retlet, sans étoite, D'un large et seul rayon vers la terre penche, La lune, dans l'ether que son éclat dévoile, C'est le regard de Dieu dans la nuit du péché. Le sombre urmament se dégage en silence Des liens du nuage et de l'obscurité;
Et le cœur, traversé de soudaine espérance, Se blanchit tout entier dans l'éclair argenté.
C. 0.
LE VOLCAN ÉTEINT
Réponse, à Frédéric Momero)).
Qui voudrait se reprendre au soume du bel âge, Qui pourrait voir en soi renaître un ciel d'azur, Un beau ciel du matin, un air brillant et pur, Où la vie est légère et flotte sans nuage
Qui pourrait de son coeur rallumer le flambeau, Secouer le linceul de tant de fleurs fanées Qu'amoncelle sur lui le souffle des années, Et remettre le pied sur son propre tombeau Qu'il ne le tente pas Laissons dormir la cendre. Dans son vivant cercueil laissons l'âme descendre, Laissons-la disparaître en ce gouffre profond Qu'elle peut déchirer, mais où rien ne répond.
Tais-toi, volcan d'un jour dont la flamme est éteinte Pourquoi, dans ton cratère, à jamais effeuillé De ces roses de feu qui bordaient son enceinte, Réchauffer sans espoir quelque débris mouillé? A quoi sert de r'ouvrir sa prison mal fermée, De remonter au ciel par un dernier effort Quand on ne lance, hélas qu'une vaine fumée, Semblable, dans la nuit, au drapeau de la mort? Sur tes bords refroidis, sur tes pentes sécbées, Laisse venir en paix la vigne et la moisson, Les fleurs sous les sapins languissamment couchées Ce sera ta couronne en l'arrière saison
Au lieu de ces torrens d'une flamme rapide, Peut-être de ton sein tu verras naître au jour Un ruisseau clair et frais, dont le gazon humide Saura seul le mystère et la chanson d'amour. L'enfant rêveur viendra s'y remplir la mémoire Des flots aux pieds d'argent, l'oiseau du ciel y boire, Et le passant obscur, s'éloignant du chemin, Avec de doux adieux y trempera la main.
Puis, quelque vent du soir ayant frappé ta cime,
Les sonores sapins lui répondront des bois, Les gazons sur la pente, et les Heurs dans t'abîme Et tu croiras entendre un écho de ta voix. Ainsi tu dormiras, ô montagne fumante, Montagne au bleu linceul au sommeil gracieux 1 Laisse jaittir encor quelque flamme écumante, Et tu reposeras, couchée au bord des cieux. S'endormir en son âme, avec l'espoir d'un rêve Qui nous berce un instant dans sa blanche vapeur Voir de loin le rayon du soleil qui se lève, Mais ne pas s'éveiller à cet appel trompeur; Le soir, lorsque le ciel se mélange avec l'onde, Lorsque tout est azur, dans sa nacelle errant Abandonner la rame a la vague profonde Dont le sein qui se gonfle attire en soupirant; Alors que de la rive il nous vient sur la brise Un air lent et plaintif; qu'au milieu des blés mûrs Chante la moissonneuse, à son retour surprise Par la nuit qui descend dans les sentiers obscurs Et penser que cette onde, encor qu'elle sommeille, D'un effort assidu vous mené en son chemin;
Entendre un mot ami, si doux qu'il vous éveille; Sourire dans son rêve et se tendre la main, N'est-ce pas tout? La vie une fois la jeunesse Evanouie au gré des beaux jours peu constans, Peut-elle davantage? a-t-elle une autre ivresse? Et nous est-il permis de vouloir deux printemps? Ressemé le passé, me dis-je et tu recueilles Une pauvre moisson croissant pour se uétrir. Au tronc qui doit sécher s'il repousse des feuilles, Elles ne l'auront fait que plus vite mourir.
A MON AMI S.-B.
A son départ de Lausame.–Mai, 1838.
Aimez puisque l'amour est encor quelque chose Pour votre cœur blessé;
Bandez sa plaie encor d'une feuille de rose S'il en est apaise
S'il faut mourir encor, mourir pour qu'on guérisse, Aimez, un dernier jour
Aimez mais que ce soit ou Laure ou Béatrice Seules dignes d'amour.
Afin quand Elle aura passé dans votre vie, Qu'ayant tout coloré,
Elle n'y puisse en rien de rien être suivie
Que du rayon sacré 1
Vous soutiendrez ainsi de la vie enflammée L'intérieur assaut,
Jusqu'à ce qu'elle soit purement consumée Par un éclair d'enhaut.
Que ne puis-je moi-même, oh sur votre blessure, Ami cher et souffrant,
Verser en amitié quelques gouttes d'eau pure Ou de baume odorant
Du moins de ce printemps que nous vîmes ensemble Et qui fuit avec vous,
Laissez-moi vous passer, rameau de fleurs qui tremble, L'espoir mobile et doux.
Le lac ému, sans bruit, d'haleines matinales, Chante comme un oiseau.
L'âme à ces jeux se laisse aller par intervalles, Aller comme un roseau.
La neige sur les monts n'est plus qu'un fier sourire Pour braver le soleil
Et les pics, dans l'azur où tout nuage expire, Lèvent un front vermeil.
Bientôt l'ombre et le soir changent tout en fantômes
Au dehors, au dedans;
Mais la nuit se fatigue à remonter les dômes Des vastes cieux ardens
Et son dernier etan ne sert qu'a iaire tuire L'étoile du matin,
Où vous irex un jour, laissant le monde bruire, Aimer, aimer enHn.
aqni l'auteur offrit un jour, à Gencyc,des gentianes des Alpes, et qui le prit pour un jeune pasteur.
LA FLEUR BLEUE
Qui, moi? pasteur! je voudrais t'être. Pasteur d'humains ou de moutons? Les pasteurs vont-ns reparaître' Il n'en est plus dans nos cantons. Avec le sylphe, avec la fée
Et, Lien d'autres choses encor,
lis ont fui, laissant la contrée
Aux nains qui vont cherchant de t'or. Et des brebis et des ouaiucs,
A GEORGE SAKD,
En reste-t-il encor chez vous? Ici, se livrant des batailles,
Il n'est que des troupeaux de loups. Moi-même, il faut que je le dise, Neuf mois entiers pindarisant, Du haut d'une chaire, à ma guise', Je suis un loup dogmatisant.
Il n'en est point de pire espèce. Quand nous sortons de nos halliers En un ctin-d'œil on vous dépèce De pauvres agneaux d'écoliers. C'est grand'pitié! mais on s'amuse Ainsi, dans notre âge important, Et le dernier fils de la Muse,
Le bon Konrad, en fait autant~. Et GabrieP? (question folle
Qu'il veuille bien me pardonner!) N'aurait-il point goût à récote?. Je vois ses ailes frissonner.
Voir la note de la page 12.
Le chantre de Konrad ~(t!tcnt'0(t, Adam Mickiewicz, était alors attaché à l'Académie de Lausanne. Voir le morceau suivant. Gabriel, par George Sand.
Oui, je te pense, il a beau faire La )eçon au siècle grondant
Il ne saurait jamais s'y plaire I! ne peut être un bon pédant. Loin des cités, loin des campagnes Où partout l'homme élève un mur, Envolons-nous dans les montagnes, Sur les confins du haut azur.
Vous êtes riante et légère,
Avec des yeux profonds et doux. N'ayez pas peur d'être bergère, Les Alpes sont faites pour vous.
Je sais un vallon qui sommeille. On y respire dans les cieux.
Son maitre, un vieux pic, le surveille D'un air de bonté sérieux.
Il le protège, H le rassure,
Lui qui se joûrait du vallon
S'il secouait sa chevelure
Comme des vagues l'aquilon.
Au fond des gorges séculaires,
La sourde rumeur du torrent
Se débat, comme ces colères
Elles-mêmes se dévorant.
Ici, la jeune rèverie
Un gai silence, un frais repos,
Avec un souffle de féerie
Quand s'éveillent les longs échos 1 Un frisson parcourt le roc sombre. Sur le bord se montre un chamois, Qui regarde ou bien est-ce une Ombre Qui glisse le long des parois?
Toute la montagne s'écrie.
On cherche en vain d'où vient le son. Puis il se tait; l'Alpe fleurie
Reprend sa lente sonnerie
Et je vous chante ma chanson
LA FLEUR BLEUE
Autour de nous, vois dans l'herbe menue, Où l'eau babille et rit en s'enfuyant,
Ces fleurs qui sont, comme l'ether sans nue, Toutes d'azur brillant.
Le cict, un jour, descendit sur la terre, Dans sa grandeur et sa simplicité.
Le ciel est bon, malgré son voile austère, Le ciel n'est que bonté.
De monts en monts les troupes éthérées Portaient leurs pas nobles et gracieux, Libres, chacune, et jamais séparées
Du tout harmonieux.
D'un cœur enfant, d'une bouche divine, Les uns chantaient, assis dans les v allons Et de leurs voix, seule, l'onde argentine À garde quelques sons.
Dans les jardins des pics inaccessibles, Sur l'esplanade aux abords entassés D'autres, en chœurs rayonnans et paisibles, Erraient entrelacés.
De l'air qui joue à leur tempe vermeIHe, Notre Matin pâlirait tout honteux
Et pour la terre une fleur sans pareitte Tomba de leurs cheveux.
Puis, sous tours pas, elle semblait éclore
Dans le gazon légèrement foulé,
Et jusqu'ici le printemps voit encore
Cet azur étoilé.
Quand de la nuit l'engloutissant abîme
Gravit tes monts à flots silencieux,
Les Immortels reprirent, vers la cime, Les hauts sentiers des cieux.
Ils ont passé comme un flottant nuage
Qui s'évapore en montant les hauteurs « Ce n'est qu'un rêve, et rêver n'est pas sage,)' Nous disent tes docteurs.
Mais si la vie est tout entière un songe Qui nous prépare au spectacle éternel, Au lieu de croire à nos fleurs de mensonge, Croyons aux fleurs du ciel
Quand la montagne en est au loin semée, Et que, dans l'herbe éclate leur azur, J'y vois les pas de la céleste armée
Dans notre monde obscur.
A MIÇKIÉWICZ
A LAUSANNE
Consolez-vous, quand l'ardent météore Qui sert d'étoile au génie exilé
S'arrête et luit, quelques instans encore, Sur un désert monotone et voilé
Là, pour miroir, seulement des fontaines Un lac qui dort dans l'azur le plus doux; Point d'océan aux bondissantes plaines, D'horizons noirs sous leurs trombes soudaines, Ni de mirage aux tourelles lointaines Consolez-vous
Pauvre égaré dans nos fonds de vallées Où l'air du nord expire languissant
Vous souffrirez. Les corbeaux, par votées
Et les hivers vous diront en passant Allons allons, poète A la mêlée
D'un large essor fends l'espace en courroux! Vois-tu, la-bas? c'est la Gloire étoilée. Son piédestal de lave amoncelée;
Son auréole à la foudre mêlée.
Consolez-vous
Martyr, ici, du calme et des ombrages, Qui vous rendra l'orage accoutumé, Et sur la steppe, au gré d'un ciel sauvage, Les jeux sans frein du coursier bien-aimé? Dans nos vergers tout devient rêverie, Vague bonheur que l'on garde à genoux, Frais souvenir, souci de bergerie
Clos d'une haie ainsi que la prairie, Plaisirs du cœur que le cœur seul varie. Consolez-vous 1
Plus déliant du bruit confus d'oracle Qui vous émeut par son charme inconnu, 0 puissiez-vous, homme faire un miracle, Dire au repos Oui, sois le bien-venu! A l'amitié, (mi vaut mieux que la gloire, Au pâle honneur d'être adopté de tous,
Aux biens sans lutte, à la paix sans victoire, Aux jours heureux sans trace et sans mémoire, Comme au bonheur que l'on a sans y croire, Résignez-vous
c. o.
LE SAPIN
Ainsi qu'une grande pensée
Qui féconde un cœur désolé
Sur la cime étroite, étancée,
Se dresse un sapin exilé.
Jouant avec leur chevelure,
Le vent seul arrache un murmure A ses rameaux, fléchis en vain, Car nul rameau ne les caresse, Et la voix des forêts sans cesse
Roule autour d'eux son chant lointain. L'arbre a grandi, fier et sublime, Sur son piédestal glorieux,
N'aimant que l'aigle de l'abime, Le soleil la neige et les cieux.
H buvait la tiède rosée,
Les parfums qu'à l'herbe embrasée Enlève un souffle humide et frais Et d'air pur baignant ses feuillages, II s'enveloppait de nuages
Afin de s'endormir en paix.
Parfois sur la couche glacée
Où tombent ses fruits résineux,
Une empreinte rouge est tracée; Des ours la laissent après eux.
Ce sang, vermeil comme la rose
Sous les vents de la nuit éc!ose, Est la seule fleur du rocher;
Mais lorsqu'il parait sous ses branches, L'arbre y jette ses barbes blanches Et semble vouloir le cacher.
H hait aussi l'épervier sombre,
Quand il vient d'un vol tournoyant, Enlacer sa tige dans l'ombre,
Ou mesurer son front géant.
Au battement confus des ailes
Il mêle des plaintes nouvelles,
Et, froissant ses dards à grand bruit,
l! dresse ses bras, les balance, Frissonne, et mugit, et s'éianee. Epouvanté, l'oiseau s'enfuit.
Pourquoi souffrirait-il l'approche De quelque habitant du vallon? Il doit vivre seul sur sa roche, Que le temps lui soit court ou long I! doit tout ignorer du monde; Et, sans une voix qui réponde A ses vagues appels d'amour,
Il faut qu'il vieillisse, et supporte Ce que chaque an nouveau rapporte, Et les tourmens de chaque jour. Aussi, roidissant son courage, 11 revoit toujours, au matin,
Bondir l'avalanche sauvage,
Qu'éveille un murmure incertain. Il entend le glacier sonore
Longtemps après gronder encore, Imitant la foudre en courroux; Et sur la cascade trouhtée,
Quand tombe une roche écroulée, I) sait ce que font de tels coups.
Ne le plaignez pas, si la terre A fui son abri soucieux.
Il est malheureux, solitaire,
Oui mais sa tète est près des cieux. Qui sait quelle haleine bénie,
Ou quelle enivrante harmonie
A parfois bercé son sommeil? Ah pour lui les anges peut-être N'ont pas dédaigné d'apparaître Dans un blanc rayon du soleil. Un jour, luttant avec l'orage
Qui tourmentait ses longs rameaux, H gémit, et d'un cri sauvage
Salua des destins nouveaux.
Car la nue, agitant ses ailes,
Sur lui jetant des étincelles,
Semblait un céleste envoyé.
Et l'embrassant avec furie,
L'arbre au tonnerre se marie Puis il retombe foudroyé.
c. o.
LES CERISES DE MA GRAND'MÈRE
Quand ma grand'mère se fit vieille, Elle abandonna tout son bien,
Prés et moissons, vignes et treille, A ses enfans, sans garder rien; Rien qu'un verger de quelques toises, Borné, là, d'un buisson d'osiers, Ici, d'un bouquet de framboises, Mais planté de deux cerisiers.
Et ma grand'mère, le dimanche, Me disait, quand j'allais la voir « Tiens, je te donne cette branche; )' Mais c'est un dangereux perchoir, »
Bien haut la grappe tuisait-ettc,
Penchait-elle trop de côte ?
Ma grand'mère tenait l'échelle
Au bas, pour plus de sûreté.
Je vous laisse à penser la joie
De saisir le rameau flottant
Non sur les hauts remparts de Troie Ulysse n'en eut pas autant!
Et maintenant que, solitaire,
Je vois grandir l'ombre, à mon tour, L'ombre de mes pas sur la terre, Où cesse de grandir mon jour,
Lorsqu'au printemps, dans le feuillage, Une cerise qui mûrit
Se penche à son dernier étage,
Et me défie et me sourit,
Je revois souvent ma grand'mère, Avec ses yeux noirs, attristés,
Me suivant dans la vie amère,
Que j'essayais à ses côtés.
Je la revois! Elle est assise
A sa fenêtre où, du jardin,
Le long de la muraille grise,
Montent ses fleurs, son romarin. J'arrive, j'entre elle me presse Dans ses vieux bras si caressans, Et m'interroge avec tendresse,
Et m'inspecte dans tous les sens. M'a-t-on grondé dans la semaine? Suis-je propre, doux et soumis? Ou bien, quel lutin se démène
Dans ma cervelle et mes habits ? Ainsi disant, on s'achemine,
Elle à pas lents, mais droite encor Et nous prenons, de la cuisine, Par l'obscur et long corridor.
Voici la cour, voici la grange.
L'échelle est là dans ce recoin. Nous la dressons elle l'arrange Avec grand'peine, avec grand soin. Je pose un pied, puis l'autre, et saute Un échelon. j'en saute deux.
Plus la cerise est rouge et haute, Plus je l'appelle et je la veux.
Je m'élance, je tiens le faîte,
Je plonge au loin sur les prés verts, Et je sens sur ma jeune tête,
Pour couronne, les cieux ouverts. Plus haut plus haut la terre est belle. Je la domine, j'en suis roi.
Mais tout à coup tremble )'éche))e, Et mon rêve tombe avec moi.
Eysins, ~4.
QUATORZE ANS
AM'"A.)~)e"
A quatorze ans, c'est de la vie Le frais bouton, demi fermé, Qui s'ouvre à peine, et se replie, Et s'ouvre encor, tout parfumé. A quatorze ans, tout se colore, Même tes pleurs trouble incertain Ce sont les larmes de l'aurore, Les perles roses du matin.
A quatorze ans, sur la montagne, Tout n'est qu'azur et frais gazon; On ne voit pas l'ombre qui gagne Les bords lointains de l'horizon.
A quatorze ans, du vaste monde Les mille voix chantent dans l'air; On n'entend pas celle qui gronde Ou rit tout bas d'un rire amer. A quatorze ans', on n'est que belle Sans le savoir déjà trop bien
Et cependant, dites, Angè!e, A quatorze ans, n'en sait-on rien ?
AUX ENFANS
Air italien :?'t<~t!<tptt'(gettft'!e.
Les gazouillantes fontaines,
Le vent qui court sur les plaines, Des forêts les voix lointaines, Tout chante pour vous i
Pour vous, fraîche rosée
Sur ma route posée
De la vie embrasée
Matin si doux
Votre âme est une harmonie Où t'anégrcsse est unie
Avec la note infinie
Du mystère humain
Céleste rêverie,
Jeune coquetterie,
Ce qui brille et varie
S'y tient la main.
Mais votre vague tristesse,
Le prompt souci qui vous blesse, Qu'il est même à ma tendresse, Rapide et léger
Votre regard dispose
D'un beau voile de rose
Qu'il jette à toute chose
Sans y songer.
Que font à vos têtes blondes Les couronnes infécondes,
Et les épines profondes
Qui serrent nos fronts
Car la folie agile
En guirlande facile
Vous tend l'heure inutile
Dont nous souffrons.
A vous seuls est la nature
Dans sa (leur suave et pure Dans son matinal murmure,
Bel hymne naïf.
Votre voix argentine
Rappelle la colline
Où serpente et badine
Le flot furtif.
Oh que ta lèvre est joyeuse Que ta voix est gracieuse, Enfant! l'âme ténébreuse Y puise le jour;
Aube riante et vive,
Dont la mère attentive
Verse, émue et craintive, Des pleurs d'amour.
Oli brode ta fantaisie
De rêves, de poésie
Et de la couleur choisie
Amuse-toi bien 1
Que nul ô mon bel ange, N'ait de plaisir qui change, N'ait de bonheur étrange, Plus que le tien!
A toi tes fraîches années, Et les folâtres journées,
Et les heures destinées
Au doux nonchatoir
A nous l'avenir sombre
Qui te jette son ombre
Et les périls sans nombre
De notre espoir
Pour bénir votre sourire,
Et pour que ma peine expire, Venez, enfans venez dire
Quelque chose encor
A ce gardien suprême
Qui, bien plus que moi-même, Et vous suit et vous aime,
De son ciel d'or.
c. o.
DOULEUR PATERNELLE
Lyre dont le chant vole,
Malgré moi s'échappant,
Non, rien ne me console
Tu me distrais pourtant.
Pour un moment tu charmes Mon cœur, qui n'a qu'un cri Tu mêles à mes larmes
Quelques gouttes d'oubli.
Ce n'est pas de chimères
Qu'hélas mon cœur se plaint, Mais de flammes amères
D'un feu que rien n'éteint. 0 mon fils tendre gage
De mes derniers beaux jours Quel démon dans sa rage, T'a frappé sans recours?
0 douleur ô martyre
Effort pour moi trop haut Hélas j'ai beau me dire Il le faut il le faut
Je vois toujours, dans l'herbe, Jouer mon pauvre agneau, Quand le destin superbe
Le tient sous le couteau.
Il est si gai, si tendre,
Si sage et si content!
Il sait si bien attendre,
Et jouir du présent
Quand tout, hétas le pousse Vers l'abîme fatal,
Il a la voix si douce 1
H prend si bien son mal
Si pur est son sourire;
Et son pas, si tegcr
Plus que tes sons ô lyre
Ou les airs du berger
Du berger sur la rive
Qui chante sans penser,
Comme l'onde plaintive
Fuit sans se voir passer.
Mais à moi, mes pensées,
Sur mon cœur, tout au fond, Vainement cadencées,
Tombent comme du plomb.
Lyre, tu ne peux faire
Davantage pour moi
Ah qu'au moins je t'espère D'un plus puissant que toi!
Paris, ~)S.
LE CHAMP DE BATAILLE
De montagne en montagne, Un jour, je vis de loin
Une grande campagne
Où rougissait le foin.
Les faucheurs dans la plaine S'avançaient en tout sens, Coupant à perdre haleine Les guérets fleurissans.
L'un aiguisait son arme, L'autre la balançait
Et, sans regret ni larme Dans le foin l'enfonçait.
L'herbe, haute et serrée,
Tombait en gémissant
Sous la faux acérée,
Qui sifnait en passant.
C'étaient des têtes d'hommes Qui roulaient sous la faux, Car, hétas nous ne sommes Que des champs de roseaux. Les hommes par centaines Etaient fauchés soudain Et genêts et grands chênes Roulaient tous à l'andain. Oh quel champ de bataille, Morne, lugubre, affreux Comme la Mort travaille Ce champ cadavéreux
Une odeur sépulcrale
Affadissait les airs
Et d'un soleil plus pâle
Pâlissait l'univers.
Je descendis la côte
Avançant pour mieux voir
Une voix triste et haute
Sortait de ce champ noir.
Espérance et blasphème,
Regrets, soupirs, élans
Formaient un chœur suprême Un grand chœur de mourans. Et la Mort, invisible,
De l'un à l'autre bout,
Devant elle impassible
Allait renversant tout.
L'un, frappé par derrière; Un autre, par devant,
Touchant de la carrière
Le terme décevant
L'un, vedette perdue,
Vu du seul caporal
Ou la main étendue,
Un autre général
L'un, vieillard qui demande Un seul instant, un seul
L'autre, de sa guirlande
Se faisant un linceul;
L'un, mourant sohtairc
L'autre, bien entoure
Tous, baisant de la terre
Le sein décoloré.
Et je dis en moi-même
Quel vaste champ de mort Vers sa limite extrême
L'œit en vain fait effort.
11 se déploie immense
Douloureux, infini
Et se perd en silencc
Sous le ciel rembruni.
Et ce champ que féconde
La Mort aux mine coups,
Ce champ noir, c'est le Monde, Notre champ-ctos à tous.
LE SIFFLEMENT DES BALLES
.la ne )¿¡¡55£' au monde ~ur ~lr. nHHlr[ln~.
N¡xo:; uv, u'fivcn.n,.
Unebaue!uneba))e!
L'cntcndez-yous siffter?
Et front rose ou front pâle Soudain de chance!er.
Une baue une balle
A chaque instant, partout Sans mettre d'intervalle Et toujours un bon coup Sommes-nous à la guerre? Où donc est l'Ennemi?
L'Ennemi sort de terre, A nos pieds, le voici
L'Ennemi, dans la nue,
Plane au-dessus de nous. H nous vise il nous tue. Nous y passerons tous.
Tantôt l'un tantôt l'autre, Chacun à notre rang
Et l'Ennemi se vautre
Toujours dans notre sang. La guerre est commencée Depuis que le soteit,
De la mer nuancée,
Sort brillant et vermci)
Depuis que la nature
Fait un concert joyeux
Dont aucun son ne dure Deux instans sous les cieux; Depuis que sur la terre
Nous venons pour souffrir Depuis qu'à la lumière
Nous naissons pour mourir.
LA CHANSON DES VIVANS ET DES MORTS
1
LES VIVAIS
Ils n'ont plus rien qui les soucie Heureux les morts
Ils n'ont plus le poids de la vie, Le poids du jour, le poids du corps. Le ver les ronge, et non l'envie, Heureux les morts
Ils n'ont plus ni lutte, ni transe; Ils ne prennent plus l'apparence, Les beaux scmbiants, Ics faux dehors, Une ombre, un rien pour l'espérance. Heureux les morts
Rangés dans leur lit solitaire
Sous nos pieds qui foutent la terre
Et l'ébranlent de vains discords,
Ils dorment d'un sommeil de pierre. Heureux les morts
H ne sort jamais de leur bouche
Un cri, suivi d'un ris farouche
Ils n'ont ni regrets, ni remords
Ils ne pleurent pas sur leur couche. Heureux les morts
Ils en ont fini de l'orage;
Ils n'ont plus ni peur ni courage
Ils ne cherchent plus d'autres ports Ils ont fait leur dernier naufrage,
Heureux les morts
Ils sont une algue sur la grève,
La feuille à qui le vent fait trève
Même poudre, faibles ou forts
lis sont moins qu'un souftic et qu'un rêve, Heureux les morts
n
LES MORTS
Vivez de votre dernier rêve,
Vous qui vivez
Le flot de vos coeurs vous soulevé, Mais, ô mortels, vous ne savez Combien noire est la noire grève, Vous qui vivez
L'air qui circule en vos poitrines, Du jour les ondes purpurines
Ces flots de vie où vous buvez, Tout s'éteindra sur nos coltines, Vous qui vivez!
Pour vous la nuit même rayonne La nôtre est sans feux, sans couronne. Loin de ce ciel que vous bravez, Le vide obscur nous emprisonne, Vous qui vivez
Nos ombres tiennent moins d'espace Laissent dans les airs moins de trace, Pèsent moins aux vents soulevés
Que l'aile d'un oiseau qui passe. Vous qui vivez!
Ah si vous pouviez nous entendre Mais notre voix, terrible ou tendre, Dans ses efforts inachevés
N'a plus d'écho pour se répandre, Vous qui vivez!
Nous n'avons plus de l'existence Qu'un sentiment sans consistance; Et pourtant vers les biens rêvés Ce semblant d'être encor s'élance, Vous qui vivez!
Le regret du jour nous dévore Nous soupirons après l'aurore, Qui ne vient pas, que vous avez, Ou qui pour vous peut luire encore, Vous qui vivez 1
Aller a deux dans la prairie,
S'y tenir d'une main chérie,
Se sentir deux cœurs éprouvés, Voir un regard qui nous sourie, Vous qui vivez,
C'est le bonheur, c'est l'étincelle, L'ée!air du feu que tout recetc Ah! croyez-nous, et conservez
Votre part de vie immortcHc
Vous qui vivez
N'enviez pas notre rivage
Ne pressez pas votre passage
Vers nos bords aisément trouvés. Assez tôt finit le voyage,
Vous qui vivez
Votre plainte, courte et profonde, Toujours la même, toujours gronde. Nous, hetas premiers arrives,
N'avons que trop qui lui réponde, Vous qui vivez!
De rien la mort ne nous délivre. L'amer dégoût qui vous enivre, Cette mort que vous poursuivez, N'est qu'un plus grand désir de vivre, Vous qui vivez
Ce desir où l'orgueil vous plonge, Morts, ce desir encor vous ronge. La vie, en vain vous l'esquivez!
Hélas la mort n'est pas un songe, Vous qui vivez
Sentir en soi l'inextinguible,
Et de la vie, inaccessible,
N'être pourtant plus abreuves,
Voilà la mort, et le terrible!
Vous qui vivez!
Que notre exemple vous enseigne Dieu veut qu'on l'aime ou qu'on le craigne. Perdus sans lui, par lui sauves,
Telle est sa loi c'est lui qui règne, Vous qui vivez!
Il éprouve tous ceux qu'il aime.
Fuyez le doute et le blasphème,
Et dans vos cœurs nets et lavés
Sa main, pour vous, laboure et sème Vous qui vivez
SONNETS
1
Gémir, crier, pleurer comme on pleure au bel âge, Comme un ciel de printemps verse l'ondée en fleur; Debout, cheveux au vent, affronter sur la plage La vague qui répond aux flots grondans du coeur; Défier les torrens; dire « Viens! » à forage; Accueillir de l'éclair la sinistre pâleur,
Et sonder du regard, avec un ris sauvage, L'abime où le Néant dort dans la profondeur Tout cela, ce n'est rien ce n'est que la jeunesse, Chimère, fantaisie, idéal, volupté
Mais voir autour de soi que l'horizon s'abaisse,
Que froidement il dot son cercle redouté Voilà l'heure t'atate, et l'amère tristesse
On sent que le ciel tombe, et l'on n'est pas monté. Il
À )10.\ AMt SA~TK-UËLVt:,
l'Il l'épousc au sounet Pardon, cher Olivier, si vvtr'e udlreatre W dacc. Quel est cet Olivier, diront dans un autre âge Les critiques, vantant l'or fin de vos sonnets; Cet Olivier dont parle en pur et beau langage, Sainte-Beuve qui prit tant d'auteurs dans ses rets? Pourquoi cet inconnu dans ce noble entourage ? Pourquoi cette fleur pâle en ces brillans bouquets? Dans quel sentier perdu, sur quel lointain rivage L'a donc vu le poète? en quels vallons secrets? Oivicr?. diront-ils et la chanteuse rime, Harmonieux écho, seule leur répondra.
Olivier rien de plus; c'est tout ce qu'on saura. Mais peut-être l'un d'eux plus longtemps cherchera, Et, comme vous aimant, coeur penché sur t'ahime, I) ne pourra pas voir, mais il devinera.
in
A MADAME LA COMTESSE D'
qui avait lu le petit roman bocagcr Sylvestre Dlaiessert.
Vous que je n'ai pas vue et jamais ne verrai, Vous avez, cependant, sur.mon pauvre sauvage Arrêté vos beaux yeux; moi, d'orgueil enivré, J'ose vous adresser de loin cet humble hommage. C'est une fleur des bois que n'ai-je davantage Que n'ai-je à vous offrir d'un vallon retiré Le plus aimable sylphe et le plus à mon gré Vous seriez sa maîtresse, il serait votre page; Vous lui commanderiez d'un regard ferme et doux. La beauté sait si bien commander toute chose Tout lui serait charmant et facile pour vous Il déploirait soudain son aile blanche et rosé, Et, traversant les airs. Mais voyons! je suppose; Invisible, il est là que lui commandez-vous? IV
Mortels, nous naviguons sur la mer de ce monde Tantôt à pleine voile, au gré d'un vent flatteur,
Rasant les flots d'azur, d'une aile vagabonde, Ou de la vague en feu gravissant la hauteur Tantôt péniblement, contre le vent et l'onde, Rampant sur le front noir de l'océan trompeur, Et ne voyant jamais que l'abîme qui gronde, La nuit autour de nous, la nuit dans notre cœur. Maisvainqueurs ou vaincus, l'âme en peineou tranquille, Nous sommes emportés sur l'élément mobile; Puis, le navire éclate, ou sombre sans enbrts; Et nous sommes jet es, à nos rangs, sur la plage. Là, seton les pensers et le but du voyage,
C'est l'Ange ou le Démon qui retcve nos corps. V
Que faire, que résoudre, et qui pourra me dire Ce qu'il me faut vouloir, ce qu'il me faut penser? Formé-je quelque plan, je le vois traverser; Si je reprends espoir, contre moi tout conspire; Si j'implore le ciel avec larme ou sourire,
Je frappe en vain sa voûte, et ne la puis percer Sur la terre, mon pied ne sait où se placer; Ma main ne sait pas même où suspendre ma lyre.
J'ai prié, j'ai lutté, j'ai, le front abattu,
Hanimc mon regard, j'ai redressé la tète.
Rien ne m'a répondu qu'une voix de tempête. Jusque sur ceux que j'aime, hélas! t'ombre s'arrête, Et j'en suis demeurè sans force et sans vertu. Oh! que veux-tu, mon Dieu! que veux-tu? que veux tu?
VI
Mes enfans mes enfans ô triste et chère peine! 0 mes pauvres enfans, vous aussi dispersés! Vous aussi, verts rameaux du jeune et faible chêne Qui se réjouissait de les avoir poussés
Mais les vents sont venus Leur brusque et noire haleine Amoncelant la nuit dans les airs oppressés, Longtemps avant l'automne a balayé la plaine, Et l'arbre et ses rameaux en ont été froissés. Héias! hé)as! mon Dieu! plus de ces gaités franches, De ces voix du matin gazouillant sous les branches; Plus de chant de midi, quand le grillon s'endort; plus de chant du soir, doux, innocent et tendre fus qu'un tronc languissant, qui doit souffrir, attendre; Peut-être demain un silence de mort.
De l'espoir, de l'espoir oh ténébreux orage Qui va s'épaississant autour de mon chemin Qui me cache le ciel et, comme un lourd ombrage, Me fait toujours la nuit, la nuit sans lendemain J'ai marché vaillamment, j'ai tendu mon courage Comme un archer son arc, sans relâcher ma main; De flèches en tout sens j'ai percé le nuage; J'ai vidé mon carquois, mais je l'ai fait en vain. Oh le jour une étoile, une petite étoile Qui de ma route obscure entr'ouvre au moins le voile Qui me dise C'est là, quoiqu'il fasse encor noir! Mais rien ne peut lever, pas même la tempête, Ce couvercle d'airain qui pèse sur ma tête. 0 lumière, ô clartés air divin de l'espoir VIII
Vil
Pourquoi dire
Aux échos
Mon martyre
En grands mots ?
Oh chasse ces pensers, ô mon Dieu ces murmures Qui me laissent dans l'âme un vague et noir effroi! Oh chasse ces pensers, ô mon Dieu soutiens-moi Dans ma lutte où toi seul me conduis et m'assures. Dis-moi qu'il est encore, où s'envole la foi, L'aile tendue et ferme au choc des nuits obscures, Un abri sans tempête et, dans les sphères pures, Un ciel inattaquable où tu nous veux à toi. Dis-moi que des enfans et leurs voix argentines
De ma tyre
Les oiseaux
Pourraient rire; Et les sots
Sachons taire,
Solitaire,
Mes douleurs
Que personne
Ne soupçonne
Que je meurs
IX
Sont comme l'eau qui rit sous des buissons d'épines, Comme l'oiseau qui chante au milieu d'un vain bruit. Dis, oh dis a mon cœur que pour eux il espère, Que moi, je suis ton fils toi, leur plus tendre père Et que nous t'avons mieux alors que tout nous fuit. X
A MADAME Il. B.
Quand vous serez un jour bien lasse, et que la vie Vous paraîtra de plomb; quand vous vous assiérez, Ne voulant plus rien voir, n'ayant plus même envie Ni de l'air frais des eaux, ni de la fleur des prés; Quand vous direz Je fus comme un autre ravie Du grand spectacle ou'ert à nos yeux enivrés, Je m'éfaneai, mais rien hélas ne m'a suivie, Rien que l'ombre où je vais m'enfonçant par degrés Oh parmi le brouillard et la froide tempête, Qui peut voiler l'azur, mais ne l'atteint jamais, Pour respirer encor l'air des divins sommets, Pour rentrer dans le chœur de l'éternelle fête, Pour reprendre courage et relever la tête, Pensez aux jours heureux que vous nous avez faits. Paris, <MS.
LES POÈTES
CHAKT A DEUX VOIX
Amant alterna Camœnæ.
1
Quand !e soir vient tracer, dans le ciel d'un btcu sombre, Le grand profil des monts,
Qui pressent dans leurs bras et couvrent de leur ombre Le val que nous aimons;
Près du torrent grondeur au tournoyant dédate, Qui nous jette en passant
Un adieu que la rive, avec sa large dalle
Accueille en frémissant,
Nous allons plus bercés par l'onde qui soupire, Que les saules du bord
Plus émus que ta <ochc où l'angelus expire, Plus vibrans qu'un accord
Plus rêveurs que l'étoile écartant, trop pressée, Les voiles de la nuit,
Par le blanc crépuscule un moment repoussée, Mais qui persiste et luit.
Et tu mêles alors à mes graves attentes
De ce qui va finir,
Quelques-uns de ces mots où les âmes ardentes Dévorent l'avenir.
Ou triste amèrement de ce qu'au cœur nous sommes, Tu dis « 0 vanité
Combien Dieu doit souffrir de voir ce que tes hommes Font de l'humanité
» Regarde les plus forts de lumière et de vie Et, sinon les plus grands,
Ceux qui marchent, comblés de bravos et d'envie, Devant les premiers rangs.
» Les poètes sont là Dieu fie à leur sagesse, Dans l'espace inconnu,
Le vaporeux contour où s'avance sans cesse Notre camp pauvre et nu.
» Mais en ont-ils souci? savent-ils du génie Le sublime devoir?
Savent-ils seulement la hauteur infinie
Dont ils se laissent choir?
» Les voit-on, gravissant les cimes éternelles Du rocher de la foi,
Dire à l'homme averti par ces voix sotenncUes « Cherche plus haut que toi
» Dieu te laisse souffrir, tant qu'au fond de l'abîme » Où tu t'es abattu,
» Tu crois être debout sur quelque mont sublime, » Debout dans ta vertu. ))
« Non ils ont beau tenter des routes inconnues, Aigles audacieux;
L'œi) tourné vers la terre, ils montent dans les nues, Mais non pas dans les cieux.
» Aucun n'a prononcé la vivante parole
Qui nourrit l'univers,
Et nous aurons passé comme le son qui vole Un moment dans les airs.
» D'un effrayant pouvoir léger dépositaire,
On porte le flambeau
Pour dessiner son ombre et marque)' sur la terre Ses pas vers le tombeau.
» Et moi, lévite obscur en ce grand sacerdoce Du Vrai dans sa beauté,
Je suis comme un vivant cloué dans une fosse, Et le ver au côte.
)' Je vois ce qui nous manque, et je n'ai pour l'atteindre Espace ni moyen
L'étincelle qui reste en ce feu va s'éteindre Mais nous n'y pouvons rien. »
Alors, triste et riant, je réponds « Qui s'arrête A ce monde, s'y perd.
Rclève un peu les yeux; regarde sur ta tête Ton sépulcre est ouvert.
» Pour l'exilé d'enhaut qui se souvient et pleure Il n'est point d'horizon
Où s'élargisse assez la terrestre demeure
C'est toujours sa prison.
)) Là le rcptilc impur le harcelé, et travaille A l'avoir tout vivant,
Et, lui souillant le sein, le provoque, le raille Mais ne va plus avant
» Que si, livrant son âme aux murmures impies, Arbitre de son sort,
L'exilé n'ouvre point ses ailes assoupies,
Et préfère la mort.
» Donc, remplissons notre œuvre, ami, sans défaillance, Comme un message saint
De celui qui dans tout, par le bruit, le silence, A son but, et l'atteint.
» L'inflexible Justice, éloignée ou prochaine A la haine d'en bas
La charité d'enhaut entrelaçant sa chaîne; Leur lutte pas à pas;
» Le spectacle infini du drame de ce monde Dénoué sur la croix;
L'homme se dégageant d'une gtèbe inféconde, Mais pliant sous le poids;
» Sur le passé qui tombe, un autre âge à refaire, Qui n'ait jamais été,
Tout cela, n'est-ce rien, parce que le mystère N'en a pas éclaté?
» Qu'importe la faiblesse, et qu'importe la vie, Au sentier détourné;
Que vers l'ombre ou le sable à l'écart il dévie, PéniMe ou fortuné?
» Qu'importe le chemin si le but nous rassure, Si, devant nous marchant,
En colonne de feu, comme en nuée obscure, Dieu veille sur ton chant »
c. o.
Aie)p.<837.
II
Ainsi tu me parlais et je viens de relire
Après quatre ans passés,
Ces vers où ton amour s'efforçait de me dire Espère c'est assez.
Que de soucis dès lors d'aveugle inquiétude, D'oubli du vrai soutien,
De travaux entassés de veilles et d'étude,
Pour voir qu'on ne sait rien
L'homme a beau creuser l'onde, ou l'azur, ou le sablc, Et retourner son nid
Il ne saisit jamais ce fond insaisissable
L'infini l'infini!
C'est comme un jeu pour lui que le tour de la terre Oh te hardi vainqueur
I! ne laisse échapper aucun lieu solitaire,
Et ne fuit que son cœur.
Mais ce grand conquérant, tournant partout ses voiles Sur les mers d'ici-bas,
Déjà prêt à rêver l'empire des étoiles,
Ne se possède pas.
Ou, sur l'aile des vents, qu'une graine nouvelle Tombe et lève partout,
Il s'admire en son œuvre et la croit immortelle, Mais Dieu l'attend au bout.
Que de fois le soleil a vu sur la colline
Mûrir des épis d'or,
Qui pourtant n'étaient pas cette moisson divine Que l'on attend encor
Pour nous, bien revenus des altières pensées, Nous contentant de peu,
Nous cheminons toujours, nos deux mains enlacées, Ne croyant plus qu'en Dieu.
Nous-mêmes nous portons notre léger bagage, Ainsi que des soldats,
Et chantant nos chansons, nos chansons de voyage, Nous allons pas à pas.
Les enfans, sur le bord de la route poudreuse, Vont dénichant pour nous
Quelque fleur, puis au fond de la vallée ombreuse Dorment sur nos genoux.
(<8'<2.)
F~ nu DEUXIEME HYRC.
LIVRE TROISIÈME
LIVRE III
LE LIVRE HELVÉTIQUE
Il est, Amis, une terre sacrée
Où tous ses fils veulent au moins mourir Du haut des monts dont eUe est entourée Lequel de nous la vit sans s'attendrir? Cimes qu'argente une neige durcie,
Rocs dans les airs dressés comme des tours, Vallonsfleuris, Hetvétie! Helvétie!
C'est toi c'est toi que nous aimons toujours! La Liberté, depuis les anciens âges
Jusques à ceux où flottent nos destins, Aime à poser ses pieds nus et sauvages
Sur les gazons qu'ombragent tes sapins. Là, sa voix forte éc)atc et s'associe
Avec la foudre aux longs roulemens sourds. A cette voix Helvétie Helvétie
Nous qui t'aimons, nous répondrons toujours.
Nous qui t'aimons, nous qui de cime en cime, Etions si fiers de ton rude sentier,
Si nous pleurons, nous penchant sur l'abîme, Que tu te plais parfois à défier;
Si nous rions dans ta nue épaissie,
Comme l'on rit quand on crie au secours, Tu le sais bien, Helvétie! Helvétie!
Nous qui t'aimons, nous t'aimerons toujours.
L'AVENIR
Aux étudians de Lausanne
PROLOGUE
Le pacte est la voix de rame
Dchante,il il écoute, il répond.
Qui sait de quel écho profond
Tressaillent ses lèvres de namme Souvent lui-même ne voit pas
Tout le secret de ses pensées,
Qui lui viennent entrelacécs
Ou, comme un songe, nuancées. Uri esprit le suit pas à pas,
Un esprit lui parle tout bas,
Et guide l'invisible trame;
Puis, à leur tour, les chants s'en vont Parler au cœur qui les réclame.
Le poète est la voix de l'âme
Il chante, il écoute, il répond.
1*
(<85i)
1
Frères, Amis, qui voulez que je chante, Dites l'oiseau tremblant avec son nid, Conserve-t-il sa voix pure et touchante, Lorsque le ciel gronde et se rembrunit? Mais c'est en vain que la forêt profonde Frissonne, pousse un sourd mugissement, Et de l'orage attend l'embrassement. A votre voix que la mienne réponde Bientôt, peut-être, à peine on l'entendra. Le vent qui vient, au loin l'emportera.
n
Oh je voudrais chanter d'une voix forte, Comme un prophète Alors je vous dirais Que du passé l'oeuvre épuisée est morte,
Nous réimprimons, sans y rien changer, ce morceau publié a part en ~83t, et dont l'édition était depuis long-temps épuisée. L'auteur y a fait, en i84S, une suite qui est inédite, et que l'on trouvera plus bas. (Note de la première édition des Chansons J~omi«!')tes.~ .)
Morte à toujours que l'avenir est près Sur le présent, croulant comme le sable, Que le fou seul bâtira sa maison. L'abîme est là sous le plus vert gazon Une eau puissante y roule intarissable. C'est le torrent qui jette à l'avenir Tous les débris de ce qui va finir. m
Les temps prédits par des bouches divines, Sont enfantés de nouveau tout renaît Des fleurs d'amour germent sur les collines Fleurs que l'impie, aveuglé, méconnaît; Et d'un Pasteur au céleste sourire
J'entends les pas se rapprocher de nous. Heureux celui qui le prie à genoux
Et qui l'attend et croit à son empire 0 Liberté l'on t'adore aujourd'hui Mais tu mourras, si tu n'as son appui.
IV
Aussi, vraiment, quel sujet de satire Dirait-on pas une œuvre de Satan Alors qu'on voit tout un peuple en délire
Qui se dit !ihrc, être esclave et tyran? Esclave, certc et dans ses nouveaux maitrcs J'en sais plus d'un pire que les anciens. Tyran? –H veut des droits pour tous les siens, Et jette ceux d'autrui par les fenêtres. 0 peuple fou, qui se laisse flatter,
Comme un cheval par qui veut le monter v
Ma foi n'est pas en ces faiseurs de codes De la sagesse écoutent-ils la voix?
Depuis trente ans nos lois changent de modes Nous revenons à celles d'autrefois.
L'avenir seul, que nul ne peut comprendre, De la patrie assiéra lé destin.
Puisqu'il fait nuit, attendons le matin. Mais en tout temps nous pouvons la défendre. Oui, la défendre et nous seuls contre tous Car l'étranger vient pour lui non pour nous. VI. 1.
Jeunes Vaudois, que vous dirai-je encore? C'est bien assez, si vous m'avez compris.
Quand vous voyez ce que le temps dévore Quand le présent lui-même a ses débris Ne craignez rien c'est une œuvre sublime Qui s'accomplit sous d'invisibles pas.
Vers le passé ne vous retournez pas.
De l'avenir déjà brille la cime.
Ainsi nos monts ont leurs pieds dans la nuit Que leur sommet, tout seul, s'enuamme et luit. vu
Montez, un soir, sur ces tours crénelées, Dont le front gris penche au bord des coteaux.Vous embrassez d'un coup d'œi!, nos va!)ccs Villes et bourgs, prés et champs, vieux châteaux; La nuit commence à déployer ses ailes
Et du soleil éteint les derniers feux;
L'astre expirant jette encore dans les cieux Des flocons d'or, des gerbes d'étinceHes Et le Léman, toujours beau toujours pur, Dort recouvert de sa robe d'azur.
V!U
Là c'est WufHens et sa tour bourguignonne; Ici, Chillon et ses murs savoyards.
La vieille Avenche, aux débris de colonne, Garde en son sein l'empreinte des Césars. Où sont, Vaudois, nos titres, notre gloire? Qu'avons-nous fait? que dit notre passé? Notre nom même à peine y fut tracé. C'est le moment de fonder notre histoire. Sinon, rayés du rôle des vivans
Nous passerons, poudre jetée aux vents. fx
Pendant qu'ainsi ma voix se fait entendre, L'orage accru lance au loin ses éclairs. Du trône aussi Rome devra descendre, Rome, deux fois reine de l'Univers.
Du haut des monts où la neige polie
A l'horizon flotte comme un drapeau,
Applaudissons à ce soleil nouveau
Dont la lueur réveille l'Italie.
Clé du Midi, barrière pour le Nord,
D'un double choc soutiendrons-nous t'cnbrt?. x
Peut-être, amis, la forêt dépoui!)ée Verra nos nids et ses rameaux brisés.
Longtemps heureux sous sa verte feuiilée, Pauvres oiseaux, nous serons dispersés. Quand pareil jour inclinera nos têtes, Si nous savons en soutenir le poids, Ma voix encor, chantant le long des bois, Sur nos buissons, flétris par les tempêtes, Annoncera, soleil de l'Avenir,
Qu'à tes rayons ils doivent rajeunir II*
(<84S.)
)
Jeunes amis, la tempête est. venue, Et sur nos fronts, touffus ou dépouillés Comme un torrent la voilà descendue, Voilà du nid tes brins éparpillés.
Mais de ma voix enfin qui se réveille, Et se sent forte, heureuse de chanter, Voici pour ceux qui voudront l'écouter, Un chant sorti de celui de la veille. L'éclair tonnant qui déchire les cieux, Perce leur voile et nous les montre mieux.
Ce morceau, composé en mars 845, fait suite au précèdent, compose et publié en mars <83i.
n
0 ma Chanson, prends ton vol vers les cimes Que n'atteint pas un vers plein de langueur. Fi de vos luths, chantres aux fades rimes, Hélas! plutôt, chantres au fade cœur
Restez à l'ombre au sein des molles plaines, Près des roseaux qui vous rendent tout bas Un son moqueur que vous n'entendez pas Nous, pour les pins, tes rochers et les chênes Pour les cœurs hauts, pour les libres sommets, Chantons un chant qui s'y grave à jamais m
Consolez-vous, âmes tristes et fières,
Qui refusez de vous joindre aux faux dieux, Qu'ils aient pour temple ou châteaux ou chaumières, S'il faut voiler sa face devant eux
S'il faut prier à l'autel du mensonge
S'il faut se faire une bouche de miel,
Flatter la terre et maudire le ciel,
Creuser l'abîme, et, quand l'homme s'y plonge, S'il faut toujours, loups, bergers et moutons Toujours descendre, et dire « Nous montons!
)V
<( 0 monts sacrés, libre éther, blanches cimes, » Nous vous quittons pour le brouillard impur. » Adieu, chemin d'enhaut sentiers sublimes » Nous aimons mieux le précipice obscur. )' Nous aimons mieux, quand le Pasteur des mondes » Gravit d'étoile en étoile, et du ciel
» Nous montre au loin le pacifique autel, » Nous aimons mieux, sous nos voûtes profondes, )) Suivre le jour douteux et sépulcral
» Où tout se mêle, et le bien et le mal. »
v
Consolez-vous La Vérité demeure, Gardant l'abîme et la porte des cieux, Toujours veillant, certaine de son heure, Toujours debout, guerrier silencieux. Un glaive nu dans sa droite flamboie; Comme un éclair il perce l'horizon. Des raisonneurs confondant la raison, Le Temps lui chasse et lui livre sa proie. Consolez-vous! le jour, le jour viendra Devant lequel tout faux jour s'enfuira. i2
Vt
Systèmes vains, de l'esprit vains fantômes Qui vous donnez pour des créations, Droits sans dévoirs, républiques, royaumes, Poudreux amas, lois, constitutions!
Eievez-vous paraissez dans l'espace Durez un jour! un jour vous détruira. Qui se croit maître a son tour passera; Qui prend un siège, un autre t'y remplace. De la Fortune, au pied vague et traînant, L'antique roue est ce globe tournant.
Vil
Sortez sortez! vivez aussi votre heure Songes nouveaux de notre âge en débris, Qui nous ferez une terre meilleure
De ce Umon dont nous sommes pétris. Taillez brisez! au compas, à la règte, Mesurez-nous et la terre et les airs 1 D'un autre orage étouffez les éclairs, Et dans la nue enchaînez le Grand Aigle Si le compas en vos mains tremble un peu, Dites « Ce n'est que le souffle de Dieu! <)
VIII
Jeunes amis, je vous répète encore
Vers le passé ne tournez pas vos yeux; r Ne dites pas « 0 vienne enfin l'aurore D'un jour tranquille et constamment joyeux! H Nous sommes nés sous un ciel de tempêtes; L'une suit l'autre, et toujours plus épais, Plus menaçant, même en parlant de paix, Le noir essaim se suspend sur nos têtes. 0 siècle dur au visage de fer,
Marque pourtant d'un prophétique éclair tX
C'est bien La brise embaumée et légère Caresse l'âme et la berce et t'endort H faut veiller Sur la terre, étrangère H faut que l'âme ailleurs cherche le port! Il faut, debout, et couverts de poussière, Mêlés au peuple incertain soupirant, Il faut marcher et combattre à son rang, U faut sauver, jusqu'au bout, la bannière. H faut savoir vivre pauvre et souffrir, U faut savoir rester libre et mourir
x
Mieux que le vent aux ailes voyageuses, Quand nous serons délivres de nos corps, Nous franchirons les plaines nuageuses, Nous élevant, chantant l'hymne des forts. Des profondeurs de la céleste armée, Soldats du juste, adversaires du mal, Nous jetterons un regard filiàl
Sur les vallons de la patrie aimée, Et du brouillard nous la verrons enfin Libre, monter a l'éternel matin.
EPILOGUE
Ainsi du ciel et de la terre
Un chant se mêle et se confond. Ainsi d'une âme s6)itaire
Une âme entend t'echo profond, Et, se cherchant comme la flamme, L'une vers l'autre elles s'en vont. Le poète est la voix de Famé H chante, il écoute, il répond.
LA DERNIÈRE RONDE (t837et<8'tS.)
1
C'était le temps des fêtes helvétiques. L'air était pur, mais les cœurs enuammés. On se reprit à nos danses antiques
Pour varier les jeux accoutumés.
Le vieux refrain amena dans la ronde Une inconnue au regard fier et doux. Son noble sein palpitait de courroux, Flot soulevant la neige de son onde. Celui qu'elle aime est par elle choisi H vint près d'elle, et chantèrent ainsi
« Nous n'irons p~MS <tM~O!'s, 4~ ~Mn'et's ~ott< /!ë<rts, Nos aïeux nous ront appris,
L'honneur est mensonge.
Dansons donc sur leurs débris La patrie est un songe.
Il
» Nous faisons bien de parler de nos pères. Que leur mémoire a nourri de grands coeurs Entre nos mains l'âge a rendu prospères Les biens venus de ces hardis vainqueurs; Fut-il jamais des grappes mieux dorées, Des chants plus gais au soleil du matin? De plus de grâce et de plus beau satin Vit-on jamais nos grand'mères parées? » Noble héritage ô biens que nous aimons, Paix et sommeil, couronne de nos monts! »
III
Fixant les yeux et les pas de la ronde, Longtemps encore ils restèrent ainsi. Avec leur voix, de leur peine profonde Le triste écho se prolongeait aussi. Pâle, muet, tout ce peuple de danse Les laissait dire et, par eux dominé, Sous le refrain tournoyait entrainé. Elle chantait, imprimant la cadence,
Et lui, puis fort, reprenant son discours « 0 jours heureux! disati-it, heureux jours
IV
)) Où l'on méprise et l'amour et la gtoire Où s'enrichir est l'unique talent;
Où l'on ne veut que manger, rire et boire; Où l'on ne sait plus agir qu'en parlant; Où l'on sait mieux se courber que se taire; Où les puissans sont subtils et couards Et les petits, arrogans et bavards
Où l'on s'applique à renchaîner la terre; )) Où l'Helvétie a rajeuni son front
Pour mieux garder les marques de l'affront.
V
» Les loups, les loups sont entrés en campagne, Jeunes et vieux, louves et louveteaux,
Hurlant de faim de montagne en montagne Mordant la terre aux flancs nus des coteaux. Tout a péri, la biche et la cavale;
Le sol à peine en garde un ossement,
Et des agneaux le dernier bêlement
Vient d'expirer sous leur dent glaciale. )'
«Que reste-t-il qui puisse être mangé? » Que reste-t-il qui puisse être rongé?
Vt
» Eh quoi la terre est déjà dévorée
) Dans sa carcasse il n'est donc plus de chair?)) Disant ainsi, les toups, troupe altérée, D'un œil sanglant croisent le fauve éclair. A son contact l'obscurité s'allume.
De part en part la sinistre clarté
Perce le val au détour abrité,
Et le roc sombre enterré sous la brume. » Pays des lacs, pays des monts si grands Voici les loups qui passent les torrens.
VII
)) Redresse-toi, Taureau de la montagne Car ils t'ont vu que sert de te cacher? Leur gueule écume, et déjà leur pied gagne Le seul point faible où cède le rocher. Ce roc vaillant, il voudrait te défendre II se roidit ou s'enfuit sous leurs pas, Et, terrassé, te couvre de ses bras, Ainsi qu'un père et courageux et tendre.
» Redresse-toi, Taureau! tends les jacrets Et chasse encor les loups dans leurs forets.
VIII
» Le vieux lutteur, sentant sa corne usée, Philosophait sur le monde inconstant,
Et ruminait dans sa lourde pensée
Qu'il fait bon vivre, et qu'on ne vit pas tant. A ces hurleurs, grinçant d'impatience, Qui, langue au vent, léchaient déjà le ciel, II dit -Pour moi, cette herbe aux fleurs de miel! Pour vous, ce roc de gloire et de vaillance » Et leur œil fauve et leur regard impur Tournaient autour de la cime d'azur.
)X
» Laissez, laissez la tribune sonore,
Beaux harangueurs qui parliez tout le jour, Qui dissertez, qui pérorez encore
Quand'ennemi vient parler à son tour. Que les renards et leur haute éloquence Ont bien servi le taureau somnolent
Lui se réveille, et répond en beuglant –K Voyons, renards montrez votre science »-
» Mais, comme un son qui dans les airs s'en va, Les harangueurs ne se trouvent plus là.
x
)) Non les voici pour ameuter des frères, Pour leur crier « Vengez-vous vengez-vous Ne cédez rien de toutes vos colères
H Rien, pas un droit, un vote, un mot jaloux Vous ne formez qu'une seule famille H Petite, à part c'est pour vous mieux haïr M Qu'une maison c'est pour vous mieux trahir. M Tirez le glaive, et qu'en vos mains il brille, H Ce fer dormant, à la fin réveillé
x Dans votre sang à la fin dérouille M
xi
Faudrait-il dire un jour Plus de patrie! Pour nos enfants plus d'antique berceau! Et pour l'aïeut, sur la pente fleurie
Plus d'humble toit, plus même de tombeau! Nul souvenir, plus d'héroïque histoire!
Rien qu'un long crêpe à jeter, l'œil en pleurs, Sur nos discords, sur nos communs malheurs, Linceul aussi de notre vieille gloire
M 0 sort amer ô triste aveuglement 0 haine ô crime ô juste châtiment XII
» Maist'Hetvétie est toujours belle et grande! Lui fallût-il renier ses enfans,
N'a-t-ette pas de ses monts la guirlande, Toujours debout, dans le ciel triomphans? Que lui fait l'homme? il n'est pas digne d'elle. Rentre au désert, rentre au désert sans bruit, Fille des monts rendors-toi dans la nuit, Sous le dais blanc de ta neige éternelle. » Sans souvenir et sans postérité,
Tu jouiras, seule, de ta beauté.
xm
» Pourquoi la terre est-elle donc si triste? Chaque printemps vient rajeunir son sein; Quand tout s'en va toujours elle subsiste; Jamais son vol ne s'arrête incertain. Paix dans le ciel et le haut pâturage; Paix ici-bas. Pourquoi la terre en deuil Ressemble-t-elle au vaste et froid cercucil Où s'est couché le rêve de notre âge?
» Rêve sublime, oh r&ye immense et, beau Son trait &)tat veut nous suivre au totnbeau.
X)V
» Etoile d'or qui brûlais sous, la nue, Dernier rayon d'un songe qui s'éteint, Des cieux ouverts messagère inconnue, Lueur d'espoir que le brouillard atteint Toi dont le nom, par la bouche qui t'aime, Ne sera plus qu'en secret prononcé 1 D'un peuplée pauvre et d'un pays glacé, Adieu! fleur pure adieu, seul diadème » Mais du rocher, ton immortel séjour, Fleur du matm, tu renaîtras un jour. M
xv
Le peupb ému tes écoutait encore
Que dans la foule ils s'étaient éclipsés Jeunes et fiers tous les deux; on tgnore Leur nom, leur vie et leurs songes passes. La lune, au loin, sur tes basses coHines Montait, plus froide et pâle qu'un glacier. Le vent du nord souffla sur le laurier, Crispa le ciel, resserra les poitrines,
Et d'ombre en ombre il répétait un air,
Un air de ronde, avec sa voix de fer
« Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont /?e<r~, Nos aïeux nous l'ont appris,
L'honneur est mensonge.
Dansons donc sur leurs débris
La patrie est un songe. »
LES HÉROS HELVÉTIQUES
AM.tw)}e!'M):)U!i (i8<)S)
Oh les temps héroïques, Où sont-ils? où sont-ils?
Hommes des jours antiques, N'avez-vous plus de fils?
D'Erlach dans la campagne, Où donc est le cimier?
De Têt), sur la montagne, Où, le siffiant acier ?
D'Arnold sur le rivage,
Où, le bras saint et fort,
Faisant un grand passage De victoire et de mort?
Où, Léman, sur ta grève, La voix de Berthelier,
S'écriant Pour Genève Je mourrai le premier? )'
De Davel âme auguste,
Où, le libre échafaud,
Trône d'un homme juste, Succombant le front haut? J'entends des voix amères Longuement discourir
Où sont, comme leurs pères, Ceux qui savent mourir? Des tribuns, par centaine Chacun poussant les siens Mais où sont, dans la plaine, Où sont les citoyens?
Pourtant, guerrier sublime, Schwytz est là toujours, Là, debout, sous la cime Aux imprenables tours
Cime de sang trempée,
Qui lui sert de drapeau
Lui, ceint de son épee,
La main sur le pommeau! Et dans son vert domaine Au bord du torrent sourd, L'Ours, toujours, se promène De son pas ferme et lourd Bête puissante et sage,
Aux durs et uns regards
Lion par le courage,
Renard pour les renards.
Et toujours, sur !es ondes Du Léman argenté,
Sort des grottes profondes *Un éhant de liberté.
Il s'é!ève, il s'e!ève
Il fait frémir les eaux,
Et Ja montagne achève,
Avec ses mille échos.
H dit « Suisse nouvelle,
» Renais c'est le signal
» Sur la neige éternelle
» Pose un pied virginal.
» Comme-eue blanche et pure, » Viens sur le pic vermeil » Des fleurs à ta ceinture, » Sur ton front le soleil » Mais le chant monte encore H monte jusqu'aux cieux, Avec le soir qui dore
Les glaciers radieux.
Et dans les rougeurs sombres Des nuages flottans
On voit passer les ombres Des héros du vieux temps. Ils viennent, grands, suMimes, Mais le chef incliné
Comme, au bord des abimes, Un pin déraciné.
Et leurs fronts, hauts et mâles Ridés comme la mer,
Lancent des éclairs pâtes, Qui se croisent dans l'air.
Là, du sein de la nu~*
Jusqu'au creux des vallons Ils percent l'étendue,
De leurs regards profonds. Ils voient tout tes vallées Qui cachent leurs tombeaux, Et les tours écroulées,
Nommant des lieux nouveaux. Mais leur regard s'étonne H cherche, il cherche en vain Comme l'aigle en automne, Planant sur le ravin
Aiors qu'à la montagne
Dit adieu le troupeau,
Qui lentement regagne
La plaine et le hameau
Et que l'oiseau superbe,
Sur les monts las d'errer,
Ne voit plus rien, dans l'herbe Passer ni respirer.
Le chant, le chant qui monte, Ils l'écoutent pourtant
Mais ils n'en tiennent compte Hétas ce n'est qu'un chant Comme un bruit de tempête H expire auprès d'eux;
.Mais ils hochent la tête,
Et regardent les cieux.
Ils soupirent, ils passent, En espérant encor,
Et dans la nuit s'effacent
Avec les astres d'or.
Oh tes temps héroïques,
Où sont-ils? où sont-ils?
Hommes des jours antiques, N'avez-vous plus de fils?
UN BON CONSERVATEUR
Je ne suis pas de ceux qui ne respirent Qu'orage, trouble et révolution.
De lutte en lutte ainsi nos maux empirent. J'aime la paix, je hais l'ambition.
Pourquoi ce bruit qui toujours me réveille? Mon lit est fait Dans un songe flatteur J'y dors si bien sur l'une et l'autre oreille. Conservez-moi! je suis conservateur. Mon lit est fait et ce n'est pas sans peine Comme l'oiseau j'ai tressé brin à brin Plume, duvet, fil de soie et de laine, Et le voilà je m'y repose enfin.
Vents, bercez-moi d'une aile fraîche et pure Avec l'ombrage, avec le flot chanteur Terre, et vous, cieux, et toute la nature, Conservez-moi! je suis conservateur.
Mon lit est fait je n'empêche personne De faire aussi le sien comme il l'entend. Tel n'en a pas, du moins je le soupçonne, Mais j'ai le mien, c'est le point important. Qu'on le dédouble, on en fera peut-être Trois, tout au plus, de moyenne hauteur Mais ce serait un acte bas et traître.
Conservez-moi! je suis conservateur.
Tel qui descend, le matin, dans la rue Ne sait où prendre, hélas son pain du soir. La faim le presse, it cherche, il s'évertue Presque toujours it finit par l'avoir.
Oh l'appétit est un bon chien de chasse Moi je n'ai plus celui d'un sénateur;
Pourtant je dine et prends ma demi-tasse. Conservez-moi je suis conservateur.
Mais quoi! j'entends comme un flot qui se lève, Comme une voix qui retentit dans l'air N'ai-je pas vu se mêler sur la grève
La pâte écume avec le pâle éclair?
Suis-je un rêveur, un rimeur, un poète? Non, non; c'est bien, terrible en sa lenteur, De flots humains c'est bien une tempête Conservez-moi je suis conservateur.
Nos chefs, bctas! nos chefs n'ont rien su faire Que se voiler le front de leur manteau. Contre l'orage et le flot populaire
Ils étaient seuls rôle d'autant plus beau! S'ils avaient su mourir pour notre gloire, Ils auraient eu mon vote approbateur, Et j'aurais, moi conservé leur mémoire. Conservez-moi, je suis conservateur.
Eh citoyens, écoutez-moi, de grâce Un petit mot, bien sage, par ma foi
Mais, en riant, l'un après l'autre passe Je crois, parbleu! qu'ils se moquent de moi. Bons citoyens, calmez votre furie;
Rentre en ton lit torrent dévastateur Je cours à vous pour sauver la patrie, Conservez-moi! je suis conservateur.
Je ne suis pas de ceux qui ne respirent Que faux bonheur, fausse tranquillité.
C'est dans la paix que nos malheurs empirent L'ordre publie corrompt la liberté.
La nuit, mon rêve est que le monde ploie D'un pôle à l'autre, et tombe avec fracas. Puis, je m'éveille avec ce cri de joie
<( A bas
A bas à bas! ce mot seul peut me plaire Je le savoure et j'en sens la douceur;
Non rien de tel qu'un beau jour de cotère On frappe, on brise, on casse avec bonheur. Quoi le soleil toujours après la pluie
Toujours ces biens qui font notre embarras Toujours ces fleurs, ces fruits cela m'ennuie. A bas
A BAS!
0 Liberté nous avons pris ta lance, Mais pour en faire un levier dans nos mains, Un fort levier qui secoue en silence
L'arbre du monde, aux feuillages humains. Vois-le déjà, des pieds jusqu'à la cime, Trembler, gémir sous l'effort de nos bras, Vois-le pencher sa tête vers l'abime A bas!
Tombe aux accords de nos lyres sauvages Arbre vieilli, planté par nos aïeux 1
Va t'engloutir dans le torrent des âges Et dans ses flots qu'il t'emporte avec eux Tes longs rameaux ni ta noueuse écorce Du noir destin ne te sauveront pas
Déracinons, déracinons à force
A bas!
II est tombé, le cèdre au large ombrage, Sa gloire est morte, et chacun le honnit. L'aigle, qui dort le front dans le nuage, A son sommet ne fera plus son nid
Le pèlerin, les pieds blancs de poussière Ne pourra plus y détourner ses pas; Ni les bergers, ni la gent moutonnière. A bas!
En attendant qu'un autre arbre s'élève, 0 Liberté là nous dressons le tien Mât pavoisé, mais qui n'a point de sève, Point de racine, et ne pose sur rien. Aucun oiseau ne se fie à ses branches Même il en est qui, prenant leurs ébats, Disent aussi, voix malignes et franches K A bas M
LES PÈLERINS SUISSES
Chacun disait « Terre plus douce Ne sourit au regard de Dieu;
Au pied des chênes, sur la mousse, Plantons nos tentes en ce lieu. M Mais la tempête au vol sonore
A fait ouïr sa voix d'airain,
Et nous devons reprendre encore Le bâton blanc du pèlerin.
Les montagnes, comme une tente Dressaient leurs cimes vers les cieux. Les prés fleuris, l'onde éclatante Tour à tour récréaient nos yeux. Mais tout est sable, et le rivage Tremble sous un choc souterrain. Nous avons pour tout héritage
Le bâton blanc du pèlerin.
Bâton d'honneur et de justice Emportons-le dans le désert
Nous graverons le mot de Suisse Sur son bois, qui restera vert. H fut cueilli sur la montagne,
Un jour d'adieu, de noir chagrin Et partout il nous accompagne, Le bâton blanc du pèlerin.
Quels noms y mettrons-nous encore, Sur ce bâton, notre humble autel ? Des noms que la droiture honore Ceux de LAHARPE et de DAVEL Ils sont à nous laissons à d'autres Ceux des faux tribuns au cœur vain. La patrie a ses vrais apôtres
Au bâton blanc du pèlerin.
Non la Suisse n'est pas perdue Elle nous suit, la tête en deuil. Une voix nous dit, de la nue
» Je fais revivre le cercueil
» Je fais refleurir dans la plaine )) Les prés, les bois, le jour serein; » Je fais reverdir comme un chêne » Le bâton blanc du pèlerin.
LE CHAPEAU
CHANSON CO~TRE-RÉVOUJTtO~AtRE
De grâce. Amis, tirez-moi d'un problème Où je me perds comme dans un grand bois. Le mois passé, tel me saluait même Que je voyais pour la première fois; Mais à présent, juste à pareille place, I! passe et fuit, le nez dans son manteau. Que voulez-vous quand on a l'âme basse, Pour se grandir on n'a que son chapeau. Vous le savez, je ne suis qu'un poète, Qui ne fus onc ni riche, ni puissant. Humble chardon, à l'écart je végète, Brouté parfois des ânes en passant.
Ah disaient-ils, me souriant en face
H est voisin du chêne et de l'ormeau
Que voulez-vous! quand on a l'âme basse, Pour se grandir on n'a que son chapeau. Et maintenant, quand, du bout de la rue, Pour son malheur, mon ancien courtisan Me reconnaît, il devient pâle, il sue,
Et voudrait bien être au cap Matapan. Il tord le col il fait laide grimace
Regarde en t'air, voit si le temps est beau. Que voulez-vous quand on a l'âme basse, Pour se grandir on n'a que son chapeau. Mais il en est qui, pour monter au faîte, A deux genoux s'accrochaient des deux mains; Et les voilà sur la tranchante arête,
Fiers et debout, en sénateurs romains. A la descente, avec la même grâce,
On les verra saluer de nouveau.
Que voulez-vous quand on a l'âme basse, Pour se grandir on n'a que son chapeau. Pour moi, je reste au jardin populaire, De limaçons fût-il un peu sali.
Je les regarde, et je m'amuse à faire
Expérience in anima vili.
L'oiseau du ciel, quand son aile est trop lasse, S'en vient chanter sur mon petit rameau. Que voulez-vous! il n'a pas l'âme basse; I) a pourtant belle plume au chapeau.
A MON AMI HENRI EULER
Vous n'avez ni champ, ni maison Qui brit)e au loin dans la campagne Point de tapis de vert gazon;
Point de chalet dans la montagne Point de place point de soutien Point de valet, point d'entourage; Mon cher ami, vous n'avez rien. Que de l'esprit et du courage.
Quoi donc! au lieu de bons écus, Des bons mots, quelque chansonnette! Pour tous biens, pour tous revenus, Vos pinceaux et votre palette
Il est vrai que vous narguez bien Le puissant, qui tout bas enrage. En attendant, vous n'avez rien. Que de l'esprit et du courage.
Vous n'avez pas, pour le vainqueur, Comme tant d'autres, t'àme tendre; Vous vous donnez de fort grand cœur, Mais vous ne savez pas vous vendre. Dès qu'on vous montre le lien,
Vous décampez comme un sauvage. Mon pauvre ami, vous n'aurez rien Que de l'esprit et du courage.
Ah votre sort me fait pitié
De l'honneur; mais peu de prudence; De l'estime, de l'amitié,
Mais nul crédit, nulle importance; Un front libre, un joyeux maintien Est-ce là tout votre héritage?
Mon cher ami, vous n'avez rien. Que de l'esprit et du courage.
Puis savez-vous? dans nos cantons, L'esprit, c'est la méchante langue; Le courage, c'est, aux moutons,
Tenir quelque grosse harangue.
Pour être un jour grand citoyen
Vous faites trop peu de tapage.
Rien rien du tout! vous n'avez rien. Ni cet esprit, ni ce courage.
LE CHANT D'UN Ë&ALITA1RE
« Mort, sois mon bien » s'écriait un poète Qui cependant gardait à son côté
Sa coupe d'or et, sur son cœur muette Lui souriant, une blanche beauté.
Moi, je contemple aussi le jour qui tombe, Mais je n'ai point de bizarre transport; J'applique a tout même loi même tombe Egalité, fraternité. la mort.
Les amoureux nous vantent la nature, L'humide aurore, et le chant des oiseaux, Le nid tranquille et son toit de verdure, La Poésie errant au bord des eaux.
Moi, j'aime aussi, j'aime un oiseau dans l'ombre, Un bel oiseau qui chante haut et fort
Le rouge éclair à l'aile d'un feu sombre. Egalité, fraternité. la mort.
« Semez le vent, répètent de faux sages » Quelle récolte enrichira vos monts?. » Bien! lève-toi, noire moisson d'orages! C'est, justement, celle que nous aimons. Gais moisonneurs, à nous le champ du monde! Comme il ondoie et tombe sans effort
Sous notre faux que la foudre seconde Egalité, fraternité. la mort!
Qu'est-ce, au désert, que le chant du Cosaque Auprès du nôtre, à tous les vents jeté! H prend sa lance, il arrive, il attaque Mais nous déjà, nous tenons la cité.
Dans ses jardins, moderne Babylone,
Elle s'enivre, et s'oublie, et s'endort.
Tous, tevons-nous frappons-la sur son trône Egalité, fraternité. la mort!
Disparaissez, monumens d'un autre âge! Ne soyez plus que des lieux désolés
Où le renard, curieux et sauvage,
Se montre seul sur vos murs écroulés.
De salle en salle il erre, il se hasarde,
Par la fenêtre, ouverte au vent du nord, Passe la tête, et longuement regarde. Egalité, fraternité. la mort!
Fraternité! ton jour enfin se lève.
De quel rayon il éblouit l'éther!
Rayon de pourpre; on dirait un long glaive D'où le sang coule et dégoutte dans l'air. Embrassons-nous! plus de pensers contraires, Etablissons l'universel accord
Fraternisons en étounaut des frères
Egalité, fraternité. la mort!
La Liberté, dépouillant tous ses voiles, Se montre enfin belle et nue à nos yeux, Escaladant le palais des étoiles,
Frappant du pied sur le trône des cieux. Dernier tyran, qui de Saints et d'Apôtres Tiens là ta cour, tremble aussi dans ton fort; Vieux roi du ciel tombe comme les autres Egalité, fraternité. la mort!
Courage, amis! cette bastille immense, Notre prison, l'univers vient en bas.
Courage, espoir le Chaos recommence, De la raison il affranchit les pas
L'Esprit humain le couve de ses ailes A notre image un nouveau monde en sort Qu'on nous adore, et guerre aux Inndè!es Egalité, fraternité. la mort!
Tout est fini De l'un à l'autre pôle
Je ne vois plus qu'une grande Ombre et moi. Elle a posé sa main sur mon épaule,
Son oeil de glace est sans vie et sans foi. Le jour qui brille à l'éternelle voûte
Me cherche en vain comme un lointain remord L'Ombre me garde et lui ferme la route. Egalité, fraternité. la mort!
LA GRANDE AURORE
La voyez-vous, la grande aurore,
Fleur qui des monts semble germer! Voyez des cimes qu'elle dore
Tous les fronts chauves s'enflammer! Oui mais déjà l'ont vu nos pères, Ce même ciel plein de mystères.
Si pourtant,
Si, pourtant!
Mais l'homme est encor trop méchant. Quoi vous n'admirez pas ces gerbes De flamme rose dans l'air pur,
Ces rocs brillans, donjons superbes, Jardins de la cité d'azur?
Oui mais je vois leurs flancs sauvages
Couver toujours mêmes orages.
Si pourtant,
Si, pourtant!
Mais l'homme est encor trop méchant. Libre, la terre enfin respire.
Peuples, dressez votre étendard.
A vous le sceptre, à vous i'empirc
Chacun aura la même part.
Oui, mais je crains qu'il ne survienne Lion toujours voulant la sienne.
Si pourtant,
Si, pourtant
Mais l'homme est encor trop méchant. A l'un pourquoi, d'or et de terre, Plus qu'il n'en faut pour le nourrir? A l'autre, pourquoi la misère,
Cent fois plus qu'il n'en peut souffrir? Oui; mais, riche ou pauvre, qui n'aime Cent fois autrui moins que soi-même? Si pourtant,
Si, pourtant!
Mais l'homme est cncor trop méchant. Femmes, vous serez vraiment reines; Vos mauvais jours sont écoulés.
Pour vous, pour nous plus d'autres chaînes Que vos cheveux longs et bouclés.
Oui; car l'amour est trop fidèle Ce pauvre enfant n'avait point d'aile! Si pourtant,
Si, pourtant
Mais l'homme est encor trop méchant. Nature et vie ô joie immense
Les fleurs ombragent le chemin
Un plaisir fuit, l'autre commence
La terre n'est qu'un grand festin.
Oui; mais la vieille conviée,
La Mort, l'auriez-vous oubliée?
Si pourtant,
Si, pourtant
Mais l'homme est encor trop méchant. Si pourtant l'homme, vraiment sage, N'était pas son propre ennemi
S'il ne rêvait pas le nuage,
En ne s'éveillant qu'à demi
0 terre, ô cieux, ô fleurs nouvelles Oh sous nos pas fleurs immortelles Si pourtant,
Si, pour tant
Mais l'homme est encor trop méchant.
PARDONNONS-NOUS 1
(J8<tS.–i8SO?–i8..?)
Dans la nuit, loin du port, loin des verts promontoires, Quand des flots, seul, l'éclair sonde la profondeur, Pour sauver le vaisseau l'un jette aux vagues noires Ses trésors, l'autre un mât, l'autre un canot sauveur He)as moi, je ne puis y jeter qu'une fleur.
Est-ce trop tôt pour dire Plus de haine Plus de défis, plus d'injustes clameurs? Non, non, j'en crois cet esprit qui m'entraîne Et qui demande a rapprocher les coeurs. Vents! soutenez, de vos fûtes contraires, Mes chants de paix encor mal aucrmis!
Pardonnons-nous plus de guerre entre frères Guerre aux seuls ennemis
Tous nous avons, de fautes et d'injures Tous une part à nous reprocher, tous Ah c'est aux mains qui firent les blessures A leur verser le baume le plus doux.
Oublions-les, oublions nos cotères,
Et soyons forts, l'un à l'autre soumis.
Pardonnons-nous plus de guerre entre frères Guerre aux seuls ennemis
Flots bouillonnans des discordes civiles Sombre miroir où chacun, de son bord, Ne voit sur l'autre, avec des yeux hostiles Que des fronts noirs de vengeance et de mort Disparaissez, infernales chimères
Viens, souffle pur et qui déjà frémis. Pardonnons-nous plus de guerre entre frères Guerre aux seuls ennemis
De tous fléaux l'orage, est-ce le pire? Son aile en feu couve le froid sillon;
La terre, alors, plus ardemment soupire Et devient mère au sein du tourbillon.
Mais il lui faut des cieux, des vents prospères
A cet enfant que l'orage a promis 1
Pardonnons-nous plus de guerre entre frères Guerre aux seuls ennemis
Que le vainqueur n'outre pas sa victoire; Que le vaincu n'outre pas sa fierté
Ou nous dirons, peuple un jour sans mémoire « Que sommes-nous, et qu'avons-nous été )' » Ah la vengeance a des coupes amères, De lents poisons, d'àge en âge transmis. Pardonnons-nous plus de guerre entre frères Guerre aux seuls ennemis
Quel avenir de bonheur et de gloire
Si nous savons le garder de nos coups 1 Chemins où fuit une aile ardente et noire, De tous côtés fumant, volant vers nous Monts jusqu'au ciel semés par des mains uères Et pour le pauvre un lot sur et permis. Pardonnons-nous plus de guerre entre frères Guerre aux seuls ennemis
Guerre à l'injuste, au mal, à l'ignorance, Aux oppresseurs et de l'âmeet du corps Déjà, déjà cette guerre s'avance!
Préparons-nous, unissons nos efforts.
Pour ne pas voir, secoué par nos pères, L'antique joug à sa place remis,
Pardonnons-nous plus de guerre entre frères Guerre aux seuls ennemis.
Nous dont les champs se baignent dans ton onde, 0 bleu Léman, nous, peuple cordial Ah que la paix nous revienne profonde Comme tes flots de liquide cristal
Mais qu'au doux bruit de tes vagues légères, Nous n'allions pas retomber endormis Pardonnons-nous plus de guerre entre frères Guerre aux seuls ennemis
A DE JEUNES AMIS
Ne dites point que tout meurt, que tout passe, Vapeur d'un jour qui se dore et s'enfuit, Edair moins prompt à jaillir de l'espace Qu'à retomber dans l'éternelle nuit.
L'oeuvre de l'homme est légère et fragile Toujours reprise, et toujours à finir.
Ce qui périt, c'est le moule d'argile
Le bronze reste, et passe à l'avenir.
Nous avons vu comme on voit en automne Tomber la feuille au front ridé des bois, Jonchant le sol, tomber sceptre et couronne, Tomber aussi des peuples et leurs droits. Serait-ce donc notre moisson dernière?. Non; mais, pour l'heure où Dieu la veut bénir,
Un autre attend, ta, dans cette poussière Le germe reste et croit pour l'avenir. Si, devant nous, le rayon de l'aurore Pâlit déjà, cède au rayon du soir,
Pour vous, amis, le matin dure encore, Et de longtemps il ne fera pas noir.
Soyez heureux gardez la sainte uamme, Le feu sacré que rien ne doit ternir Vase d'un jour, le corps tombe, mais l'âme, La flamme reste, et tuit dans l'avenir.
Fj!\nUTROtSmMEUVRE.
LIVRE QUATRIEME
LE LIVRE DES VfEUX REFRAINS
Les vieux refrains ont une voix qui charme. L'un nous reporte à ces chants du berceau Où notre mère, écartant le rideau
Nous souriait au travers d'une larme,
Dont son sourire était encor plus beau Et, comme alors, notre cœur se désarme. L'autre est si vieux, qu'il nous semble nouveau C'est le passé qui sort de son tombeau, Dans le présent sonnant tout bas t'atarme L'un, d'un seul mot, nous refait un tableau; L'autre n'en sait pas plus long qu'un oiseau Les vieux refrains ont une voix qui charme.
LIVRE IV
MA CHANSON
Quel est ce ruisseau qui cent fois Revient, serpente,
Tantôt perdu sous les grands bois, Tantôt des monts longeant la pente? C'est, comme l'onde au pied dansant, Courant à l'aise
En longs refrains s'entrelaçant
C'est ma Chanson, ne vous déplaise! Quel est ce nuage lointain
Qui vient et passe
Qui meurt au souffle du matin
Ou s'évapore dans l'espace?
C'est, dans les airs, c'est elle encor, Sans qu'ette tremble,
Ce hlanc rayon, ce flocon d'or,
C'est ma Chanson que vous en semble?
Quel est ce chant qui, frais d'abord, Jeune, rustique,
Tourne nia fin au chant de mort Laisse un adieu mélancolique? C'est de la vie et de ses flots,
L'un après l'autre
C'est le refrain. mouvans tableaux! C'est ma Chanson, et c'est la vôtre.
LE SOMMEIL DU LOUP
~M5.)
Le loup par la montagne
A rôdé si longtemps,
Qu'il ne sent plus ses dents
Tant le sommeil le gagne
Beau sire loup dormez, dormez bien fort
Dormez tout à votre aise Allons cueillir la fraise, Pendant que le loup dort. Il rêve en sa caverne. Jamais songe plus beau Il rêve qu'un agneau
Le mène et le gouverne.
Beau sire loup, dormez bien fort! Il rêve qu'une fille
Passe le long des bois,
Et qu'un jeune chamois
Sur le gazon sautille.
Beau sire loup, dormez bien fort! La fille est jeune et belle,
Et le chamois n'a pas,
Non de .plus légers pas,
Ni de plus grands yeux qu'elle. Beau sire loup, dormez bien fort! La bergèrese penche,
Cueille un peu d'herbe en fleur, Que le chamois, sans peur,
Mange dans sa main blanche. Beau sire loup, dormez bien fort! –KÂh! bergère, ah! la belle, Dit près d'elle une voix
Que ne suis-jé chamois
Si vous l'étiez? fit-elle. Beau sire loup, dormez bien fort!
J'ouMh'ais Ma patrie,
Mon Alpe et mon glacier,
Pour rester prisonnier
A ma crèche fleurie. »
Beau sire loup dormez bien fort Le berger, lâ bergère
S'en vont et, lès suivant,
Court et danse en avant
La chevrette légère.
Beau sire loup dormez bien fort Droit soTis sa forteresse
Le toup les voit passer,
Lé (oup tes voit danser,
II pleure d'allégresse.
Beau sire toup dormez bien fort 1 1) piëure! c'est mërvNUe!
Mais hélas! peut s~en faut
Que sur t'heurc, eh sursaut, De pleurer ne l'éveille.
Beau sire loup, dormez bien fort Sans que ta taitn le ronge,
Ainsi rêve le louf),
Qui s'applaudit beaucoup
Et fait maint autre songe
Beau sire loup dormez bien fort Les princes d'A))emagne,
Les princes du Japon,
Les Cosaques du Don
Et les Maures d'Espagne.
Beau sire loup dormez bien fort Les nés d'Angleterre
Agitant sur les eaux
Leurs ailes de vaisseaux,
Qui font trembler la terre.
Beau sire loup, dormez bien fort Et, sous le ciel qui gronde,
La France qui se tait.
Ah si le coq chantait,
S'il éveiuait le monde!
Beau sire loup dormez bien fort Cher !oup, rêvez encore
Rêver n'est-il pas doux
Même parmi les loups?
Rêvez jusqu'à l'aurore
Beau sire loup, dormez bien fort!
Sous votre front qui penche, Si vous dormez sans fin,
Nous mettrons un coussin, Un coussin de pervenche.
Beau sire loup dormez bien fort Sur vos épaules grises,
Pour les faire plier,
Nous mettrons un collier,
Un collier de cerises.
Beau sire loup, dormez bien fort!
Dans votre droite encore,
Qui pend d'un air coquet,
Nous mettrons un bouquet,
Un bouquet d'ellébore.
Beau sire loup, dormez bien fort Qui fit la chansonnette?
Trois chanteurs de renom
Une abeille, un grillon,
Et l'écho qui repète
Beau sire loup dormez bien fort
Tous les trois t'ont chantée Pendant les nuits de mai,
Quand ie ciét est si gai
Chantée et rechantée.
Beau sire loup dormez, dormez bien fort Dormez tout à votre aise
Allons cueillir la fraise, i
Pendant que le loup dort.
LES BŒUFS
A mot Frère
Ah le beau temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les boeufs Mon frère, bien souvent j'y pense! Non, pourtant, plus souvent que toi, Qui, j'en suis sûr, dis comme moi De nos vieux souvenirs d'enfance Ali le bon temps, le temps heuteux, Quand, la nuit, nous gardions les b(!eufs Dans )es grands jours de tàbottrage, Quand ils avaient bien retourné
Le dur siuon, bien chemine,
On les mettait au pâturage.
Ah le bon temps, le temps heureux Quand, la nuit, nous gardions tes bœufs! Nous étions là, sous un grand chêne, Allumant le feu du bouvier
Une pierre était le foyer;
Le bûcher, la forêt prochaine.
Ah le bon temps, le temps heureux, Quand la nuit nous gardions les boeufs Notre cellier, faut-il le dire?
Hélas c'étaient fait trop certain C'étaient les arbres du voisin.
Je ne puis y penser sans rire.
Ah le bon temps le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les bœufs Aussi, pourquoi, loin de sa vue,
A l'aventure au bout du champ,
Ses arbres venaient-ils cherchant
Nos cailloux qui cherchaient la nue? Ah! le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions tes boeufs!
Ou bien, ma foi dans l'ombre noire, Sus! à l'assaut! c'est plutôt fait.
Raisonnement suivi d'eflet.
Je raisonnais, mais dit l'histoire.
Ah le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les bœufs! Je raisonnais mais la pratique
Etait ton fort. Sur le gazon,
Poires et pommes à foison
Venaient répondre à ma logique.
Ah le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les boeufs! De ton pied nu le rameau frêle
Sentait le contact vigoureux,
Discret pourtant, et doucereux,
Pour que sans bruit tombât la grêle. Ah! le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les boeufs! Ces beaux grêlons, c'est toi, mon frère, Ces grêlons d'or, qui les tançais
Moi, pour ma part, je m'amusais
Seulement n les prendre à terre.
Ah le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les bœufs! Et vite vite, de la haie
Trouant, sautant le vert rempart,
Nous détalions comme un renard
Qui de son coup tremble et s'effraie. Ah le bon temps le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les boeufs L'œit bas, ilfuit dans les ténèbres: La poule prise, il en a peur,
JI la plaint même et, dans son cœur, Lui fait des oraisons funèbres.
Ah! le bon temps, le temps heureux, Quand, la tmit, nous gardions les bœufs! Ce néanmoins, renard la mange,
Renard la mange bel et bien.
Le cœur de l'homme, j'en convicn, Et des renards, est bien étrange Ah le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les boeufs Petits renards à notre gîte,
A notre rustique bivac,
Quand nous avions poires au sac,
Ainsi nous chantions leur mérite.
Ah! le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les boeufs
Et puis, artistement grillées
Sous la cendre bien mieux qu'au pot! Oh pour tout dire d'un seul mot Pommes-de-terre char6oM!s
Ah! le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les bœufs! Le mot n'est pas académique.
Alors, je m'eu souciais peu.
Depuis, j'ai vu bien autre jeu,
Car je fus aussi romantique.
Ah le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les bœufs Et les grands bœufs, couchés dans l'herbe Eu ruminant, nous regardaient:
Et leurs grands yeux nous répondaient Et notre feu brillait superbe.
Ah! le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les bœufs Et notre feu rendait plus sombre
Le noir lointain des prés tournans Et le long des bois frissonnans
Sa vapeur glissait comme une ombre. Ah le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les boeufs Dans notre âme simple et ravie,
Nous ne savions pas que les boeufs Deviennent parfois dangereux,
Qu'on en garde toute sa vie.
Ah! le bon temps le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les boeufs Le ciel était pur et sans voile.
La blanche lune se levant,
Comme nous veillait en rêvant.
Nous couchions a la belle étoile.
Ah le bon temps, le temps heureux, Quand, la nuit, nous gardions les bœufs!
LA GALÈRE D'AMOUR
En vous voyant, Madame, Qui sais si je serais
Maître assez de mon âme Pour ne pas dire après Mais que suis-je allé /a:re, Un jour,
Dans cette maudite galère D'amour?
Gatère aux voiles roses Aux câbles de fin o< Belle entre toutes choses, Pourtant ga!ère encor Mais que suis-je allé faire, Un jour,
Dans cette maudite galère
D'amour!
Galère où chaque tame Sourit à l'aviron
Mais pourtant on y rame, Que l'on le veuille ou non. Mais que suis-je allé /atr6, Un jour,
Dans cette maudite galère D'amour?
Non, Madame. Je reste, Et je veux tout braver. Déjà je vous déteste
Que va-t-il arriver?
Mais que suis-je allé /atfe, Un jour,
Dans cette maudite galère D'amour?
LA-HAUT
Oiseau, dis-nous, que rêves-tu là-haut? Sur ce rocher, sur cette pointe verte,
Battant de l'aile et la tenant ouverte,
Puis la laissant se refermer bientôt ?
Oiseau, dis-nous, que rêves-tu là-haut? Eh que rêver, eh que rêver là-haut? Je vois le monde et je l'ai sous mon aile, Mais à quoi bon ? ce monde qui m'appelle, Ce vaste monde est un vaste tombeau. Eh que rêver, eh que rêver là-haut? Pleures-tu donc, pleures-tu donc là-haut? Pourquoi pleurer? De ce torrent qui fume, Là sous mes pieds, pourquoi grossir l'écume? Les pleurs, voilà le peu que cela vaut. Pourquoi pleurer, pourquoi pleurer là-haut?
Que fais-tu donc, que fais-tu donc tà-haut? Ce que tu fais, et ce que fait la nue
Qui suit son cours, à la cime chenue
.Dort un moment, et repart aussitôt.
Ainsi je fais, ainsi je fais là-haut.
Où vas-tu donc ? où vas-tu donc là-haut ? Où tu t'en vas toi-même avec la nue, Tous engagés dans l'immense étendue,
Qui toujours s'ouvre et jamais ne se clôt. Ainsi je vais, ainsi je vais là-haut.
Quoi! toujours seul, toujours tout seul là-haut? Triste passant, que ta voix m'importune Va, si tu veux, interroger la lune,
Vous jaserez à vous deux comme il faut, Mais laisse-moi laisse-moi seul là-haut.
L'ÉCUREUIL
Triste et folâtre
Dans les prés verts, J'aime du pâtre
Les anciens airs;
Et l'alouette,
Et le grillon;
Et l'épinette
Du moucheron
Même la basse,
Que rien ne lasse,
Du gros bourdon.
Allez, mes frères Chantez, volez,
Sur les bruyères, Parmi les blés
Allez allez
Le monde tourne Avec nous tous.
Rien ne séjourne, Rien n'est à nous. Que savez-vous?
Parmi les branches, Ecureuil vif,
Qui fuis, te penches, Le pied furtif,
L'oeil attentif
De l'arbre antique Que nous dis-tu?
Un ver le pique.
L'arbre est fendu Et vermoulu.
Va, de la cime
(Toi seul le peux) Dans cet abîme
Noir, caverneux
Du chêne creux.
Dis-moi. j'écoute.
Est-ce bien long
Sous cette voûte,
Dans ce vieux tronc?
Qu'y vois-tu donc?
D'abord, des herbes, Du foin tressé,
Débris superbes,
Nid délaissé,
De Fan passé.
Ta découverte
Ira plus loin.
Une peau verte,
Là, dans un coin,
Git sur du foin.
Vas-y, de grâce
Marche en rampant.
C,'est,la cuirasse
Qui tombe et pend,
D'un vieux serpent.
Plus bas encore Sonde la tour.
Un rayon dore
Ce noir détour.
Est-ce le jour?
Non la caverne Va s'enfonçant.
C'est la lanterne
D'un ver-luisant
Mais pâlissant.
AHons courage, Brave écureuil!
Tu vois, je gage. –Hétas!j'ail'œi)
Sur un cercueil.
Là dort, je pense, Un vieux guerrier
Avec sa lance,
Son baudrier
Et son cimier?
Non sa vaillance Fut sans renom.
Il n'eut pour lance, Roi du vallon
Qu'un aiguillon;
Mais, dans sa bière,
Nul muscadin
N'a de suaire
Plus blanc plus fin
De plus beau lin.
0 gloire vaine!
0 vain labeur!
C'est du grand chêne,
C'est le vainqueur
Le ver moqueur.
Suis les racines.
C'est si profond
Sous les collines
Sous le vieux mont
Elles s'en vont.
J'entends tu n'oses. Je vois, je vois
Un champ de roses
De fleurs des bois,
Dormant, je crois.
Bon tu veux rire Des fleurs ià-bas,
Dans cet empire
Du noir trépas.
Et pourquoi pas? Fleurs eneuUIées,
Fleurs sans couleurs Lys des vaHées,
Vierges et Heurs,
Comme des soeurs, Sont là couchées
Dans le tombeau,
Et desséchées
Ce n'est ni beau,
Ni bien nouveau.
Sous le vieux chêne Un pré de mort,
De plaine en plaine, S'étend et dort
Nul bruit n'en sort Rien n'y bourdonne Brise du soir
Ni vent d'automne
N'ont nul pouvoir
Sur ce pré noir.
Ce pré, sous l'autre, Au loin s'étend;
Et tout, du nôtre,
Tout y descend
En gémissant:
Les fleurs les belles Aigles soldats,
Qu'on ait des ailes,
Qu'on n'en ait pas, Tout vient en bas
Tout vient, se couche Au grand sillon
Même la mouche,
Et le grillon
Et l'oisillon.
Là, l'onde pure
Est sans miroir,
Et la verdure
Est triste à voir;
Là, tout est noir.
La rose est noire
Noirs, t'œi! d'azur,
Le col d'ivoire;
Noir, le lys pur
Rien n'est plus sùr!
Et ce pré sombre,
Ce foin rouillé
S'étend dans l'ombre Noir et souillé
Là, sous ton pié.
Prends garde évite L'affreux cercueil.
Remonte vite,
Mon écureuil 1
J'ai l'âme en deuil.
Le vent de glace M'a pris soudain.
Adieu! je passe
Au noir jardin.
A toi, demain!–
Triste et folâtre,
Dans les prés verts, J'aime du pâtre
Les anciens airs; Et l'alouette,
Et le grillon
Et l'épinette
Du moucheron Même la basse,
Que rien ne lasse, Du gros bourdon.
LA MÈRE DU SOLDAT
(Historique.)
LA PAUVRE VEUVE
Elle me prit sur ses genoux @ Si bonne était ma mère
Elle avait un regard si doux, Le plus doux de la terre
Elle me chanta ma chanson. Si bien chantait ma mère
Sa voix avait un si doux son, Le plus doux de la terre
Elle me dit Mon pauvre enfant,
Hélas qu'aHohs-nous faire? Ma mère, quand je serai grand, N'ayez pas peur, ma mère
!t
LA VEILLÉE
Quand je fus grand, j'étais un soir, Un soir assis près d'elle,
Sans bois, au foyer triste et noir, Mais non pas sans chandelle. Le chandelier même était beau, Bleu tirant sur l'ébène,
Car la lune était le flambeau, La lune, au ciel sereine.
Si haut était ce chandelier
Qu'il n'en venait dans l'ombre
Qu'un seul rayon, dont le foyer Etait encor plus sombre.
Nous causâmes seuls bien longtemps Et d'elle et de mon père,
De mon père mort à trente ans, Mort dans ta grande guerre.
Mon fils, il faut te marier Nous la rendrons heureuse,
Heureuse à nous remercier,
Notre belle amoureuse.
Ma mère, vous avez bien dit! Commandez les carrosses.
Le tailleur me fait un habit,
Un bel habit de noces.
Ton habit est-il rose et blanc ? La mode en est passée.
Ma mère, il est couleur de sang, Comme ma fiancée.
Elle est vermeille en vérité, Comme, au miroir des ondes,
Le ciel par un matin d'été.
Et le bal et les rondes ?
Le bal est au son du tambour; Mon épouse est la Guerre.
Demain, je pars au point du jour. Embrassez-moi, ma mère
C'est bien assez, vous, de vous voir
Sans repos, sans ressource, Vous tuant du matin au soir Prenez donc cette bourse.
S'il vient à la belle un mari, Un mari digne d'elle
De mon argent achetez-lui
Collier, voile ou dentelle.
Gardez le reste et, pour l'hiver, A la foire prochaine,
Achetez-vous fût-il bien cher, Un bon manteau de laine.
Tous les trois ans je reviendrai, La campagne finie
Aussi longtemps que je pourrai. Vous tenir compagnie.
III
LE FILS ET LES OISEAUX
Couvrant la plaine de soldats, L'Empereur est en Flandre. Le roi de France ne veut pas Longtemps le faire attendre.
Petits oiseaux des verts buissons, Des prés, votre demeure,
Vite partez! c'est aux canons
De chanter à cette heure.
Dans l'air où passe un vent de Dieu, Vole d'un arbre à l'autre,
D'oiseaux de fer faite de feu,
En place de la vôtre.
Fuyez bien loin, partez! partez! Si quelque pauvre femme
Est seule et triste, alors chantez Pour consoler son àme.
IV
LES OISEAUX ET LA MERE
Qui chante là pendant qu'ici Toute seule je file?
Petits oiseaux, je chante aussi, Mais d'une voix débile.
Alouette quand je serais,
Je prendrais ma volée
Si haut, si haut que je verrais La terre tout d'emblée.
En bas je ne chercherais point Ni le Roi ni la Reine,
Ni l'Empereur le sceptre au poing, Ni duc ni capitaine.
Qui chercherais-je dans les rangs ? Hélas! mon cœur soupire.
Petits oiseaux, toujours errans, N'allez pas le lui dire.
Qui heurte-la? quel est ce bruit? Serait-ce lui peut-être?
Non, c'est la grêle, dans la nuit, Qui heurte à ma fenêtre.
v
LABATAtH-E
Si je n'avais à la maison
Quelqu'un là-bas qui pleure, Boulets, dirais-je, en ce gazon Creusez-moi ma demeure.
Quelqu'un qui pleure. Et cependant Notre belle à t'œit tendre,
Elle, dirait C'était prudent
De le vouloir attendre
Balles, boulets, voyez ta-haut Une main vous fait signe!'
Je ne suis pas ce qu'il vous faut. Suivez votre consigne.
SEULE, VIEILLE ET MALADE
Le verrai-je encor cet hiver ? Déjà blanchit l'automne.
Hétas pour ces hommes de fer, Toute saison est bonne.
Oh si je t'entendais venir,
Ce mal me ferait trêve.
Est-il blessé? je vais mourir. Oh mon rêve mon rêve
VII
EN ROUTE
Mère, ma mère en cheveux Mânes! Eh quoi nouvelle amère
Vos yeux et vos pas sont tremMans. Je viens, je viens ma mère
J'ai ma retraite, un peu d'argent, Déjà vieille moustache,
Vieille épaulette de sergent,
Et ce ruban sans tache.
Un peu de vin vous fait du bien; Nous en aurons, ma mère.
Et grondez-moi quand j'ai pour rien Chassé sur la bruyère.
Et grondez-moi quand je serai
D'une humeur un peu sombre,
Et que le soir je me tairai,
Au coin du feu, dans l'ombre.
Ainsi je marche avec gaîté,
Tant que le jour m'éclaire.
Je crois, parbleu! que j'ai chante, Pensant à vous, ma mère.
Encore une heure, et je serai Au bout de mon voyage.
Encor trois pas, et je verrai. Je vois mon vieux village
VIH
LE RETOUR
–Bonnes gens, d'où revenez-vous? Pourquoi cette civière?
Soldat d'un lieu d'où l'on est tous l Soldat 1 du cimetière.
Une vieille, sur son grabat,
Est morte solitaire,
Et veuve et mère de soldat
Nous l'avons mise en terre.
C'est ma mère je suis son fils Sur moi le malheur tombe.
Eh retournons, ô mes amis 1
Retournons à sa tombe.
Je veux la voir, eh mes amis Je veux revoir ma mère,
Et l'embrasser, je suis son fils. L'embrasser dans sa bière.
Toi qui sans larme et sans frayeur T'en vas avec ta pelle
0 fossoyeur, bon fossoyeur
Reviens un mort appelle. La noire fosse, en un moment, Rouvre son noir abîme;
La noire bière, lentement,
Gagne la verte cime.
Ma mère pour me recevoir (J'arrive tard, n'importe !)
Ma mère, venez vous asseoir, Hétas 1 quelle porte
Il souleva le blanc linceul
Puis la coiffe abaissée;
Et s'écriant Me voilà seu!
Il la tint embrassée.
La mère se mit à trembler,
Remua la paupière.
Dieu venait de la rappeler
De son sommeil de pierre.
Car elle n'avait que dormi,
Mais si fort, que son âme
Déjà s'essayait à demi
Sur ses ailes de flamme.
Déjoignant les mains elle dit
C'est mon fils qui m'appelle.
Pourrai-je sortir de mon lit?
RaHumer la chandelle?
Il l'emporta sur le gazon
Mère! qu'on se dépêche
De regagner notre maison
Car la nuit sera fraiche
Pourquoi restons-nous, mon ami, Si tard loin du village?
Ma mère, vous avez dormi
Là-bas sous cet ombrage.
Mon fils pourquoi ce long trajet De prairie en prairie?
-Pour vous cueillir un beau bouquet, Car vous êtes guérie.
Mon enfant, pourquoi passons-nous, Le long du cimetière?
Ma mère tranquiDisez-vous, Faites votre prière.
LA VIEILLE DAME ET SON FILS
(Historique)
Sur les degrés montent ensemble Un vieux soldat de Fontenoi
Avec sa mère, au chef qui tremble Du faix des ans, mais non d'effroi. Son fils est là que craindrait-elle? Sur le sien il règte son pas;
Et si parfois elle chancelle,
Il la soutient de ses deux bras.
La bonne dame, octogénaire,
Y voit à peine elle n'a plus
Sa tête; un peuple sanguinaire
La veut pourtant décrets sont lus.
Mais le fils, en vrai gentilhomme, Se tient là comme au champ d'honneur. La foule l'insulte et le nomme.
C'était le temps de la Terreur.
Il monte, grave et sans colère,
Sur l'échafaud, lugubre autel.
Où donc allons-nous? dit la mère, Ma mère, nous allons au ciel.
LA CHANSON DE L'ÉPÉE
TRAD~T DE L'ALLEMAND DE KOERKER
(Musique de Weber)
D'où te vient, 6 mon glaive!
Cet éclat, qui s'élève
Aussi doux qu'un regard? Que dit-il de ta part?
Hourrah
Quand un brave me porte, Luit ma flamme ainsi forte, Si pour la liberté
Je veille à son côté.
Oui libre ô mon epée
Je t'aime, ainsi trempée
D'un baptême de feux.
Comme amant je te veux.
A toi je suis. Ma vie,
Fer brillant se confie
A ton amour jaloux.
Quand serons-nous époux? Des l'aube où la trompette Ira, pour cette fête,
Les canons réveiller,
Nos noces vont briller.
Oh vienne la journée, Sublime et couronnée!
Bien-aimé! hâte-toi,
Sois fidèle et prends-moi Qui t'agite, ma chère? Toi, si ferme et si 6ère!
Et quel sauvage bruit
Fais-tu donc dans ta nuit? Je trompe, impatiente, Une mortelle attente
Je tressaille aux combats, Qui ne m'appellent pas.
Reste dans ta chambrette; Sois paisible et muette;
Laisse l'heure approcher Je viendrai te chercher.
Nais, ô jardin de roses Couleur de sang écloses
Où, sous le vent du sort, S'épanouit la mort.
Eh bien! l'heure est venue. Vers la. plaine connue
Sors avec ton époux,
Toi, mon bien le plus doux. L'air libre est si suave i A la noce du brave,
Le soleil, chaud et fier,
Se mire dans le fer.
Allons! vaillante race! Ton cœur est-il de glace? La fiancée est là
De ton bras serre-la
A ta gauche cachée,
C'est Dieu qui l'a touchée Et l'a, dans sa beauté,
Mise à l'autre côté.
Dans une vive étreinte, Aussi longue que sainte, w
Nous maudirons celui
Qui son épouse a fui.
Que ta voix bien-aimée Monte partout semée
Nous touchons le destin.
Voici le grand matin.
Hourrah!
e.o.
LE LUTH SAUVAGE
Je ne suis pas un grand poète, Mais j'ai pourtant, là, dans le cœur, Quelques chansons, que je répète Tristement, sur un air moqueur. A qui pourrais-je les apprendre? A t'écho seul, si je m'en crois Timide et fier, naïf parfois,
Sauvage et tendre,
Je n'ai qu'un luth au fond des bois. Pourquoi le monde est-il si triste? Pourquoi fait-il peur ou pitié?
Tout est miné, rien ne résiste; Partout un serpent sous le pié.
Dans la forêt, qui me recueille, Quand ont passé dames et rois,
Je laisse aller, monter ma voix De feuille en feuille.
Je n'ai qu'un luth au fond des bois. Quand, le soir, rentrent les familles Que le feu rit au noir foyer,
Et qu'en marchant, les jeunes filles Se parlent bas dans le sentier; L'une à l'écart chante, distraite, Un bout de refrain villageois,
Sans savoir qu'il fut une fois
Un vieux poète,
Qui le chantait au fond des bois.
LA DERNIÈRE RENCONTRE
1
Son coursier marche d'un pas grave Sur la rive où le soir s'endort.
Le maître est beau, le maître est brave; Son front est noble et sans remord; Mais un penser de fer y grave
Le froid anathème du sort.
Il est descendu sur le sable,
Flattant de la main son cheval
Il lui dit un mot amical
Et l'attache au tronc d'un érable, Qui vieillit, jaune et misérable,
Seul sur la rive, loin du val.
Il est debout sur le rivage,
Pâle, terrible et résolu,
Fixant un œil noir et sauvage
Sur la morne et déserte plage,
Sur les flots, sombres sans orage. Voici son heure il l'a voulu
Elle descend d'un pas rapide
Le plus court sentier du préau,
Femme au coeur fort, au pied timide, Regardant d'un œit intrépide
Sa prison, le pesant château
Qui fait ployer la terre et l'eau.
Sur les tours qui se vaporisent, Derrière des murs sans espoir,
Sous la voûte où les voix se brisent, Les piques, les poignards s'aiguisent, Et des regards jaloux s'instruisent A percer la brume du soir.
n
« Tu viens tu viens veux-tu me suivre? Me voir mourir ou me voir vivre?
Sous le ciel n'être qu'à moi seul?
Vivre cachés dans la montagne, Ainsi que l'aigle et sa compagne? Puis n'avoir qu'un même linceul? Dans le chalet, sur la montagne, Toi mon époux moi ta compagne Dans les forêts seul avec moi 1
Loin de ces tours aux durs visages Oh! n'évoque pas ces images!
Que je t'aime contente-toi.
Mon cœur tremble dans ma poitrine Comme un sapin sur la colline,,
Quand vient l'ouragan de la mort. Partons! ne m'es-tu pas donnée
Par toute chose aimante, aimée, Par la faute même du sort.
Quand tu rentres par la tempête, Sur mes genoux poser ta tête.
N'est-ce pas cela? mon amour
Je n'ai plus ni bonheur, ni joie
Et ne suis qu'une triste proie
Pendue aux serres d'un vautour. Je veux t'enlever! à sa vue!
Je veux t'emporter dans la nue Rire de lui, sous le ciel bleu.
Mon cœur à toi! va, je suis tienne, Quoique mon cœur seul t'appartienne! Mon corps à lui mon âme à Dieu Malheur! malheur! on t'a vendue Et tu ne peux m'être rendue!
Je sens qu'en moi tout se flétrit. Goutte à goutte la vie exprime La sève amère qui l'anime.
D'un coup la foudre la tarit. » Sur le bord tristement paisible,
Un cri d'adieu passa dans l'air,
Prompt et fatal comme un éclair, Chute d'un rêve doux et cher
Sanglot de l'âme, éclat terrible
Qui force et brise un cœur de fer. Il revint vers l'érable sombre;
On eût cru voir passer une Ombre Qui n'existait plus qu'à demi.
Le coursier lui jeta dans l'ombre Un triste et long regard d'ami,
Qui disait tout est donc fini!
ni
Par les bois où le loup se glisse,
Par les défilés tortueux,
Par les vallons mystérieux,
Par le sentier du précipice,
Par la roche qui se hérisse
Toute seule contre les cieux,
Il fuit! il fuit! muet, sauvage,
Fermant les yeux, toujours courant, Toujours tout droit, toujours mourant, Sans regarder ni le feuillage
Qui le pleure, ni le nuage
Seul avec lui dans l'ombre errant. Son coeur est mort, et sa pensée Hors de lui-même est dispersée.
Vole vole funèbre oiseau!
Voici ta roche, et pour ton aile
L'essor dans la nuit éternette
Voici, là-bas ton nid sur t'eau. Les rênes au coursier laissées,
Et sur son front les mains croisées. Oh! le lac s'ouvre en mugissant;
Et le serf, que ce bruit réveille, Tremblant, muet, prêtant l'oreille, Croit qu'une montagne descend.
IV
Dans la tour, la lampe et t'épée,
Se font un reflet dur et noir,
Seule clarté du vieux manoir
D'où venez-vous ainsi le soir? La dague de sang est trempée
La lampe n'en laisse rien voir.
Deux objets, deux rêves, deux ombres, Longtemps jouets des vagues sombres, Se rencontrent, errant sur l'eau.
Pour eux l'onde mélancolique
Fut un linceul étroit, unique,
Et le lac leur commun tombeau.
LE SERVANT i
Voici ma belle cheminée.
J'aime sa flamme sans fumée.
Sous la cendre chaude blotti
Là, je surveille le rôti;
Ou j'empêche que la châtaigne
Sur son lit de feu ne se plaigne, En éclatant avec un bruit
Dont le chat tressaille et s'enfuit. Je ris de voir le chien se tordre Vers sa queue, et la vouloir mordre, Moi qui la tire, et vais toujours Tournant, invisible, à rebours. C'est moi, dans la nuit, qui chemine De la grand'salle à la cuisine,
Nom du lutin, ou de l'esprit familier, dans la Suisse française.
De la laiterie au cellier,
Du fond de la cave au grenier,
Partout trottant quand minuit sonne, Sans me laisser voir à personne.
Je monte, en boitant, l'escalier;
Mes pas pesans le font plier;
Ou bien, suivant mon gai caprice, D'une rampe à l'autre, je glisse.
La servante, alors, dans son lit, S'éveille, m'entend et pâlit.
Puis, se tournant vers sa compagne Qu'à son tour cette frayeur gagne, K Ecoute dit-elle c'est Lui
Il est en colère aujourd'hui. »
Moi, d'une marche alerte et fine, Je m'en approche et les lutine.
De leurs fronts je tire les draps;
Doucement, le long de leurs bras, Je pose un doigt, puis deux, puis quatre, Au risque de me faire battre;
Mais prrst je gagne amont, sans mal A peine amont, je suis aval;
Je les chatouille, je les pince,
Et la marque n'en est pas mince.
« C'est Lm! » disent-elles tout bas,
A la fin sans autre embarras.
Puis, je m'en vais dans la prairie, Leur laissant pour toute féerie
Le rat grattant la boiserie.
Il fait beau! Les astres sont purs; A travers les rameaux obscurs
La lune tremble sur les murs.
Le jasmin et la marjolaine
Disputent d'amoureuse haleine
Aux vitraux de la châtelaine
Et de l'aile du firmament
Un astre glisse doucement
Pour la contempler un moment.
Moi, comme un soume au corps de rose Sur son front dormant je me pose Et baise sa paupière close
Un bruit, un rien me fait trembler Un soupir me fait reculer
Un seul mot me fait envoler.
Cachez-moi sous des violettes,
Vous, Rossignols, vous, Alouettes Sous les hautes herbes muettes,
Dans vos nids à mille réseaux,
Cachez-moi donc, petits oiseaux
Je vous cacherai de la faux. Silence silence silence
Tout est sommeil; la nuit avance. Au peuplier je me balance,
Je me balance au peuplier,
Et, si je veux, je fais ployer Les bras tortus du châtaignier. Je me baigne dans la fontaine Du lac une voix incertaine
M'apporte une chanson lointaine. C'est la Fée, au pied diligent, Qui vient, jouant et voltigeant, Danser sous le rayon d'argent. Elle est sauvage et bocagère; Et, quoique bonne ménagère, Son humeur est un peu légère. Pour moi, j'ai, suivant la saison, Le coin du feu, le vert gazon, Et j'aime, avant tout, la maison. De l'étable où le foin abonde, Soir et matin, je fais la ronde; Là, sans que la génisse gronde, Plein cette noix, mon gobelet, Plein ma grande noix, s'il me plaît J'ai de la crème de chalet.
Je surveille en été la grange, Pendant l'automne, la vendange; Si tout va bien, c'est ma louange Moi seul conserve le château Ce qu'il est, opulent et beau, Dominant sur la terre et l'eau.
Et, la nuit, quand personne
Ne veille encor,
Sur les créneaux c'est moi qui sonne Du cor.
C'est moi, sous la bannière
Du vieux manoir,
Qui chante une chanson guerrière, Le soir
Lorsque l'orage approche
Du haut beffroi
Pour capuchon qui prend la cloche? C'est moi
Mais, là mes mains crochues
Frappent trois coups,
Qui font grincer les dents aiguës Des loups.
Quand les nuits inquiètes
Rouillent ma voix,
Je tourne avec les girouettes Des toits.
Si quelque barque hostile
Vers nous voguait,
Je sais faire d'un œi! agile
Le guet.
Posté sur le mur sombre,
Jamais rêvant,
J'entends, je vois tout, même l'ombre Du vent.
J'ai le rayon fantasque
Pour destrier,
Et le nuage est à mon casque
Cimier.
Celui que je rancune,
Par moi surpris,
S'il se fourvoie au clair de lune J'en ris.
Mes limiers invisibles,
Meute aux cent voix,
Le chassent, aux détours horribles Des bois
Jusqu'à l'heure prochaine
Où, de la tour,
Je sens monter la fraîche haleine Du jour.
Et c'est moi, quand personne
Ne veille encor,
Sur les créneaux c'est moi qui sonne Du cor.
CHANSONS DE PRINTEMPS
PROLOGUE
C'est pour vous, jeunes filles,
Pour vous, jeunes garçons,
Pour vous, dans les charmilles, Pour vous, dans les buissons, Pour vous que l'oiseau vole,
Et pour vous que le vent
Autour de la gondole
Se berce au flot mouvant;
Pour vous, avec l'abeille,
Pour vous, sur l'Alpe en fleur, Que le printemps s'éveille,
S'éveille au fond du cœur;
C'est pour vous qu'il me gagne, Moi, pauvre vieux chanteur,
Qui descends la montagne,
Tout pensif et rêveur;
Pour vous, sur l'autre pente, Pleins de vie et de foi,
Oui, c'est pour vous qu'il chante, C'est pour vous, non pour moi.
1
BRISE MATINALE
Laissons fuir notre voile
Au gré d'un soume pur.
Le matin nous dévoile
Les cimes dans l'azur.
L'âme est joyeuse et pleine De cette fraîche haleine.
Nous n'aimons, nous n'aimons Que les flots et les monts.
Venez, charmantes reines
Des monts et des coteaux,
Venez en souveraines
Commander sur les eaux.
Tel qu'une jeune fille
Le lac joue et babille.
Nous n'aimons, nous n'aimons Que les flots et les monts.
La barque, aux flots tégère, Suit le bord fleurissant;
La blonde primevère
Nous regarde en passant,
Et sourit à nos belles
Fleur de printemps comme elles. Nous n'aimons, nous n'aimons Que les flots et les monts.
Chantons puis, en silence, Comme un flot gracieux,
Qu'un songe nous balance En nous montrant les cieux, Les cieux, les monts, les cimes Au fond des bleus abîmes Nous n'aimons, nous n'aimons Que les flots et les monts.
Il
LA CHANSON DU NIGAUD Oh le nigaud le nigaud Qui toujours s'attarde
Et toujours regarde
Oh le nigaud le nigaud Qui toujours regarde
Le fil de l'eau
Oh le nigaud le nigaud Qui toujours s'attarde Et toujours regarde
Oh le nigaud le nigaud Qui toujours regarde
Mon écheveau
Oh le nigaud le nigaud Qui toujours s'attarde Et toujours regarde;
Oh le nigaud le nigaud Qui toujours regarde
Si c'est trop tôt
III
MEME SUJET SUR UN AUTRE AIR
Sur ce banc elle était assise.
Sans la saluer je passai
Elle en parut un peu surprise Hétas si je l'avais pensé!
Tous les jours courant sur sa trace, Je ta suis comme un insensé.
Peut-être elle m'aurait fait grâce Hélas! si je l'avais pensé!
J'aurais dû me dire une chose Qu'un bourdon même est plus osé, Et qu'il s'approche de la rosé Hétas si je l'avais pensé
Je la vis, de mon pas sévère
Et de mon air embarrassé,
Rougir, mais non point de colère Hélas! si je l'avais pensé!
Il me sembla qu'en elle-même Elle disait «Qu'il est pressé! Doit-on fuir ainsi ce qu'on aime?» » Hélas si je l'avais pensé
Oh oui j'ai fait (bêtise pure Dont j'ai l'esprit tout renversé!) Fait le nigaud, la chose est sûre. Hé)as si je l'avais pensé
IV
LA FLEUR NOYÉE
Eh bien! la fleur des vertes cimes, Que j'ai cueillie en son jardin, Jardin penchant sur les abîmes Est-elle morte, morte enfin?
Elle vous plut (sa destinée
Etait d'avoir un doux trépas) Elle vous plut une journée
Ne riez pas.
Nous voguions sur une eau si belle Par un jour d'azur et de feu.
Pauvre fleur vous prîtes soin d'elle, Mais en la malmenant un peu.
Lorsqu'elle tournait avec grâce Au bout de vos doigts délicats, Elle rêvait une autre place
Ne riez pas.
Vous la faisiez courir sur l'onde Le long du bateau qui fuyait
On eût dit l'aile bleue et ronde D'un papillon qui se noyait.
0 douce vague soupirante!
Etait-ce donc la seule, hélas
Qui pût bercer la fleur mourante ? Ne riez pas.
v
DORMEZ-VOUS? 9
Dormez-vous, fleurs de la colline? Vos yeux bleus vont-ils se pencher? Dormez-vous, fontaine argentine, Dans la mousse au pied du rocher ? Dormez-vous, papillons dont l'aile, En passant, jette une étincelle?
Faut-il parler bas?
Dormez-vous? –Non je ne dors pas. Dormez-vous, dans les hautes herbes, Alouette et grillon jaseurs?
Dormez-vous, sur les pins superbes, Vieux milans, éperviers chasseurs? Dormez-vous, aquilons sauvages, Laissez-vous dormir les nuages? Faut-il parler bas?
Dormez-vous? Non, je ne dors pas. Dormez-vous, étoiles heureuses,
Tout dort-il dans vos palais d'or? Dormez-vous, ombres vaporeuses Comme nous rêvez-vous encor?
Et malgré ma chanson nouvelle Vous aussi, dormez-vous, ma belle? Faut-il parler bas?
Dormez-vous? Non, je ne dors pas. Dormez-vous, doux yeux de gazelle?. Dans mon cœur il n'est donc plus jour. Sous vos cils comme sous son aile Dort l'oiseau, dormez-vous d'amour? Dormez-vous, ou, si je hasarde Un coup-d'œil, faites-vous la garde, Vous moquant tout bas?
Dormez-vous? Non, je ne dors pas.
ME CROIRAS-TU?
Ne me crois pas quand je t'assure Qu'il n'est qu'une belle à mes yeux;
Ne me crois pas quand je te jure Que dans les tiens je vois les cieux; Mais si je dis l'adieu suprême
A cet amour trop combattu,
Où l'écho seul me plaint et m'aime, Me croiras-tu?
Ne me crois pas lorsque j'admire Ces traits charmans, tant de beauté, Et tant de grâce au doux sourire, Bien qu'unie à tant de fierté.
Mais si je venais à prétendre
Qu'on n'est point belle, est-ce entendu? Sans être bonne et même tendre, Me croiras-tu?
Ne me crois pas quand, refoulées, Mes larmes tombent dans mon cœur Ne me crois pas quand dévoilées, Ton œil n'en est que plus moqueur Ne me crois pas mais si ma vie, Comme un oiseau qui s'est perdu, N'a plus d'essor, tombe et dévie, Me croiras-tu?
VII
L'OISEAU DE MAI
Je chante et je babille;
Tout me semble si gai
Jeune oiseau, jeune fille
Je suis l'Oiseau de mai.
Vous avez beau le dire
Je soupire, c'est vrai
Mais comme l'eau soupire Comme l'Oiseau de mai.
Dans les prés, sur la rive, Venez nous serons deux Je ne suis point craintive Venez! car je le veux.
Au bord du bois sévère,
Pour mes boucles de jay, Voyez la primevère.
Je suis l'Oiseau de mai.
Si pourtant, quand on aime On est tranquille, heureux;
Si l'on reste le même,
Toujours bien amoureux; Si jamais, froid et sombre, On ne dit: Je m'en vai; Si l'on s'aime dans l'ombre.. Je suis l'Oiseau de mai.
EPILOGUE
Dans les bois, dans les bois, On entend une voix.
Est-ce l'oiseau qui chante, Ou l'onde qui serpente
Dans les bois ?
Dans les bois, dans les bois, On entend une voix.
Est-ce une jeune fille,
Ou le faon qui sautille
Dans les bois?
Dans les bois, dans les bois, On entend une voix
Un soupir de colombe,
Ou de feuille qui tombe
Dans les bois?
Dans les bois, dans les bois, On entend une voix.
Est-ce une Ombre éveillée Errant sous la feuillée,
Dans les bois?
Dans les bois, dans les bois, On n'entend plus de voix. D'arbre en arbre s'avance, Seul, tout seul. le Silence. Dans les bois.
CHANSONS D'HIVER
1
CHANSON SANS RIME, ÉCHO VOILÉ
J'ai vu dans la prairie, en un lieu secret, une
touffe de violettes. Elles se penchaient timidement vers le filet d'eau qui se glisse entre les herbes. Le nuage et l'azur passaient tour-à-tour sur leurs têtes. Elles brillaient; elles pâlissaient. Mais ni la vapeur sombre, ni l'ondoyant azur, ni rien dans le ciel, ni rien sur la terre, n'éteignait leur parfum, qui est à moi.
Il
La forêt se rangeait autour de la cascade à demivoilée. Les sapins y plongeaient leurs branches velues.
Le hêtre et l'érable entrelaçaient à l'infini les flots de leurs feuillages cascade de ramées qui descend dans la plaine. Les grappes du cytise parfumaient le torrent. Toute la forêt était remplie de légers murmures, doucement cadencés. L'oiseau que nous avons connu, l'oiseau que nous avons aimé, sautillait de branche en branche, à petits cris joyeux. Le pivert heurtait à la porte d'écorce du Génie des arbres; et je ne sais quoi de sonore lui répondait. Ce concert de bruits qui tous avaient quelque chose d'aimable et de doux, formait un chant d'une grâce infinie. De loin ou de près, il vous environnait comme l'air qu'on respire, et le silence même le faisait entendre encore. Qu'il effleurât ou qu'il sillonnât mon âme, elle tressaillait, elle résonnait profondément. Mais nul de ces murmures ne plaisait à mon cœur autant que celui d'une petite feuille, que ne ménageaient pas les vents. Elle rendait un son doux et clair qui montait au ciel.
III
Que je vous aime, sources fleuries quand d'un lit rocailleux vous soulevez gracieusement vos têtes. Votre humide chevelure se dénoue et roule sur le gazon des hauts pâturages. 0 lacs des montagnes, si dormans et si frais, répétez-moi votre sourire il est calme et
sûr. Les étoiles s'y baignent, le soir, et dansent sur ce pur cristal, au son des clochettes du troupeau. Mais il est une source, à l'écart; il est un lac profond, caché dans les solitudes et nuls flots n'ont pour mon âme plus de beauté, plus d'amour.
!V
Charmantes Fées, qui foulez les gazons, dites-moi? où est votre sœur? Vos petits pieds roses et blancs se posent sur la pointe des herbes, parmi les baisers vermeils des marguerites, et sur le sein pensif et velouté de la violette des Alpes. Votre sœur la plus belle, c'est moi qui l'ai dérobée. Bonnes Fées, où la chercherezvous ? Ni près de la violette des montagnes, ni près de la marguerite des gazons. Elle est sous un sapin que le torrent menace, et qui tomberait sans eUe elle est dans mon cœur.
v
Je suis allé au marché pour acheter des fleurs à celle que j'aime. L'hiver était arrivé; les fleurs étaient passées. Je vis des immortelles ressemblant à une opale légèrement aspergée de feu; des immortelles de la couleur des tentes de soie qui entourent le lit du soleil. -Marchande donnez-les-moi -Ce sont là les fleurs qu'il faut pour ma bien-aimée.
Vt
Les ctoches ont commencé leur chant du soir. Elles se répondent du haut des vieilles tours. L'air est joyeux; le ciel retentit. Une vapeur rose flotte sur la neige, aux sommets recourbés des monts. La brume se retire, pour dévoiler le lac qui brille sous les flammes pourprées. Mais qu'est-ce que tout cela auprès du sourire et de ta voix de celle que j'aime?
~n
L'hiver soume en vain sur mon âme mon âme est un printemps. Murmurez dans mon coeur, bois et montagnes! Fontaines cachées, souriez-lui! Par le chemin fleuri et secret que suivait mon rêve, je rencontrai la Muse qui venait à moi sans luth dans les mains, sans couronne d'or sur la tête. Sa voix était moins cadencée; mais elle n'en avait pas moins de grâce et d'amour. Je m'en revins donc avec une chanson sur les lèvres, une chanson de Nouvel-An pour ma bien-aimée.
n
CHANSON D'HIVER
DOUBLEMENT, TRIPLEMENT FOURRÉE DE RIMES Je veux rêver qu'on me couronne
Roi, mais des Fleurs donc, roi d'un jour. J'ai pour sceptre un lys, et pour trône L'aile des sylphes de ma cour;
Du feuillage où le vent s'égaie
J'habite les vertes maisons
Esprits légers, qu'un rien effraie,
A ma voix, sortez des gazons
Nous dansons,
Nous passons,
Au tournant des saisons.
Il n'est plus d'oiseaux dans la haie, Plus de fleurs parmi les buissons.
Ainsi j'irais sur la montagne,
Dans les grands bois je m'en irais Pour toi, ma fée et ma compagne, Bien haut, bien haut je volerais.
Troupe invisible, alerte et gaie,
Dans l'air qui tremble nous glissons; Déjà nous bourdonnons en Naye*, Tout au sommet nous nous posons. Nous dansons,
Nous passons,
Au tournant des saisons.
Il n'est plus d'oiseaux dans la haie, Plus de fleurs parmi tes buissons. Là, sommeillent tes fleurs perlées, Les fleurs d'argent, les fleurs de miel Les gentianes étoilées,
Au bleu profond comme le ciel.
De ses parfums chacune essaie
L'aile de feu, sous tes gtaçons;
La neige, que le vent balaie,
Les garde en ses chaudes cloisons. Nous dansons,
Nous passons,
Au tournant des saisons.
Il n'est plus d'oiseaux dans la haie, Plus de fleurs parmi tes buissons. En ce lit d'herbe et de ramée,
Cime des Alpes dominant le lac Léman du côte de Vevey. 20
Sur nous la lune veillera;
Couchons-nous, ô ma bien-aimée, Pendant qu'un oiseau chantera. Sous son rocher, le lac bégaie Lui-même aussi d'amoureux sons, Et l'étoile, au fond de la baie, Met une âme aux vagues chansons. Nous dansons,
Nous passons,
Au tournant des saisons.
Il n'est plus d'oiseaux dans la haie, Plus de fleurs parmi les buissons. J'aime ta chanson montagnarde Oiseau compagnon des pasteurs J'aime l'écho faisant la garde, Son qui-vive dans les hauteurs. Notre esprit s'envole, et se fraie Un chemin que nous connaissons Sur les astres d'or il s'étaie
Au bord des cieùx nous gravissons. Nous dansons,
Nous passons,
Au tournant des saisons.
II n'est plus d'oiseaux dans la haie, Plus de fleurs parmi les buissons.
Ici, pour toi, j'ai, ma compagne, Robes de fleurs châteaux d'azur, Eternel printemps de montagne, Souffle d'amour sur un front pur; Le chant de l'âme, ô note vraie Qu'au bruit de là-bas nous faussons Et cet air du ciel qui déblaie De la nuit les sombres moissons. Nous dansons,
Nous passons,
Au tournant des saisons.
Il n'est plus d'oiseaux dans la haie Plus de fleurs parmi les buissons.
Un grand vieillard, austère et tendre, Sous les neiges de son manteau,
Nous a pris, nous a fait descendre; C'était l'Hiver ou l'An nouveau
« Tous les cœurs, dit-it, ont leur plaie » Les plus belles fleurs leurs poisons; Au rossignol répond l'orfraie;
Au bonheur il faut des lecons. M
Nous dansons,
Nous passons,
Au tournant des saisons.
Il n'est plus d'oiseaux dans la haie, Plus de fleurs parmi les buissons.
III
SEUL AU FOYER AUTRE CHAKSOif D'mVER
Oh! sur tes yeux, sur tes yeux, quand le soir, A mon foyer, tout seul, je viens m'asseoir,
Et sur ta main, sur ta main fine et blanche; -Comme un oiseau volant de branche en branche Oh sur tes yeux, sur tes yeux, sur tes yeux Un seul baiser! ou bien dans tes cheveux!
Oh sur tes yeux, quand je suis à rêver
De nos amours si longs à retrouver,
Et sur ton front, sur .ton cou qui se penche; -Comme un oiseau volant de branche en branche
Oh! sur tes yeux, sur tes yeux, sur tes yeux Un seul baiser! pour m'endormir joyeux.
Oh! sur tes yeux, alors que, sans t'avoir,
Mon cœur, du moins, mon cœur te dit bonsoir, Et sur ton bras, qui s'enfuit sous la manche; -Comme un oiseau volant de branche en branche Oh sur tes yeux, sur tes yeux, sur tes yeux Un seul baiser! Le veux-tu?. Tu le veux.
DE LA MONTAGNE A LA PLAINE
CHAKSONDtALOGL'ÉE
Sur le vicil air Cent fuis dans la forét, j'ni sans rian Prendre.
-Je m'en vais, je m'en vais dans les hautes montagnes Mais, si tu m'accompagnes,
Nul sentier n'est mauvais.
Je m'en vais, je m'en vais!
-Par deux anneaux d'amour, je demeure enchaînée, Et ma route est bornée
A la moitié d'un jour
Par deux anneaux d'amour.
Et quels anneaux d'amour, et quelle forte chaine T'enlacent dans la p)aine,
-Chers et doux enfançons l'un encor marche à peine Voilà plus forts qu'un chêne,
Sous l'oeil ardent du jour, par les gazons rapides, Par les gorges arides,
-Dormez, enfans! dormez! Dormez, la chambre estsombre Et je veille dans l'ombre
-Chantant son chant d'amour, l'oiseau de la montagne Sautille et m'accompagne
Enfans oiseaux chéris votre bouche naïve Suit ma chanson plaintive
Certaines cimes, dans les Alpes, portent le nom de tour.
Au pied du haut séjour.
Et quels anneaux d'amour?
Mes anneaux, mes chaînons.
Chers et doux enfançons
Je monte sur la Tour',
Sous !'œit ardent du jour.
Sur vous mes bien-aimés.
Dormez, enfans! dormez.
De détour en détour,
Chantant son chant d'amour.
Forêt où je le voi tends-moi ton noir branchage, Près de lui, sous l'ombrage,
C'est moi qui vous l'appris,
Enfans, oiseaux chéris
Cent fois dans la forêt, cent fois je t'ai nommée. L'écho, sous la ramée,
Avec moi soupirait,
Cent fois dans la forêt.
Près de lui porte-moi
Forêt où je le voi.
-Planant du haut des airs je guette en bas ma joie; Et l'aigle aussi sa proie,
Parmi les rocs déserts,
Planant du haut des airs.
Bel Aigte, cntève-moi mon bien-aimé m'appelle. Oh! je veux sur ton aile
M'envoler avec toi
Bel Aigle entève-moi
Au bord du lac Nervau j'ai vu la fleur cachée, Et la forêt penchée,
Et le couchant si beau
Au bord du lac Nervau.
H est un lac d'azur où mon àme est penchée, Où ma vie est cachée
L'amour profond et pur,
Voilà mon lac d'azur.
-Qu'as-tu fait de mon cœur? qu'as-tu fait de ma vie? Rien ne me fait envie,
Ni l'oiseau, ni la fleur.
Qu'as-tu fait de mon cœur?
-Ton cœur? il est à moi c'est moi qui suis sa garde. Dans le mien je regarde
Et j'y suis avec toi.
Ton cœur, il est à moi.
Chalets des Agites, < 838.
OU S'EN VONT LES JEUNES FILLES? Cantando lorlai.
Dnyre.
PROLOGUE
Fleurs des vallées,
Reines des monts,
Fleurs étoilées,
Vite effeuillées;
Lys des vallons,
Penchant la tête
Sur le lac pur,
Bordant la crête
Des pics d'azur;
Filles des nues',
Fleurs inconnues,
Je vous ai vues,
Briller d'amour,
Briller un jour,
Puis, fleurs mourantes,
Fleurs soupirantes,
Avotretour
Entrer dans l'ombre
Dans la grande ombre
Qui tourne autour
Du rocher sombre.
1
LA BELLE AU BOIS RÊVANT
Où va la belle
Toujours au bois rêvant? Qui cherche-t-elle?
Son chien noir court devant. Où va la belle
Toujours au bois rêvant?
Vêtu de soie
Passe un riche seigneur. Le chien l'aboie,
L'aboie et de grand cœur. Vêtu de soie,
Passe un riche seigneur. Le casque en tête,
Passe un fier chevalier. Le chien s'arrête,
Et mord le destrier.
Le casque en tête,
Passe un fier chevalier.
En scapulaire
Passe un moine savant.
Le chien le flaire
Et passe comme avant.
En scapulaire
Passe un moine savant.
Portant couronne,
Passe le fils du roi.
Le chien s'étonne;
La belle est sans effroi.
Portant couronne,
Passe le fils du roi.
Plus loin la belle
Au bois s'en va rêvant.
Qui cherche-t-elle ?
Son chien noir court devant. Plus loin la belle
Au bois s'en va rêvant.
Passe une dame,
Belle et d'un port altier, Qui, dans son âme,
Se met à l'envier.
Passe une dame,
Belle et d'un port altier. Passe une reine,
Que tous vont adorer, Et, souveraine,
Qui ne fait que pleurer. Passe une reine,
Que tous vont adorer.
Passe une fée,
Qui marmotte tout bas « Je t'ai coiffée
De rose et de lilas. ))
Passe une fée,
Qui marmotte tout bas. Passe une abeille,
Qui seule lui fait peur Lèvre vermeille
N'est-ce pas une fleur?. Passe une abeille
Qui seule lui fait peur. Plus loin la belle
Au bois s'en va rêvant.
Qui cherche-t-elle?
Son chien noir court devant. Plus loin la belle
Au bois s'en va rêvant.
Passe un nuage,
Qui la voit et s'enfuit.
Si blanc visage
Eclaircirait la nuit.
Passe un nuage
Qui la voit et s'enfuit.
Passe, invisible,
La Mort, toujours fauchant. L'arme terrible
Laisse une fleur au champ. Passe, invisible,
La Mort, toujours fauchant. Passe, bien tendre,
Un chant doux et léger On croit entendre
La flûte d'un berger.
Passe, bien tendre,
Un chant doux et léger.
Passe, dans t'ombre, Personne. aucun témoin Et, comme une Ombre, La belle passe au loin.
Passe, dans l'ombre, Personne. aucun témoin Passe un poète,
Qui fit cette chanson,
Tournant la tête,
En vain, comme un oison. Passe un poète,
Qui fit cette chanson.
Là bas sous ces ormeaux, je vois tourner la ronde, Et même le beau monde
Mais pour moi, je m'en vais, seule par les campagnes, Seule par les montagnes,
Adieu, ma mère, adieu Donnez-moi ma mantille Et mon collier qui brille;
Oiseau, mon bel oiseau, qui tà-haut fais la garde, Regarde au loin regarde
II
LA JEUNE FILLE ET L'OISEAU
Sur le vieil air Cent fois dans la frét.
Danse les airs nouveaux,
Là bas sous ces ormeaux'.
Et dans les bois épais.
Mais pour moi, je m'en vais.
Que je le mette un peu.
Adieu, ma mère, adieu
Sur la terre et sur l'eau
Oiseau, mon bel oiseau!
Voir aux notes.
–Hélas depuis cent ans moi-même aussi, la belle, Sur ce rocher j'appelle,
Je regarde et j'attends.
Hétas depuis cent ans.
in
MEME CHANSON
RETROUVEE DANS UN VIEUX MFRAtK
Sa mère est là, sa mère qui l'admire. La fille est belle et tristement soupire. Je m'en vas je m'en vas
Comment les passerai-je, solette, ces bois ? La fille est belle, et tristement soupire. Elle se peigne, hélas sans un sourire. Je m'en vas je m'en vas
Comment les passerai-je, solette, ces bois? Elle se peigne, hélas sans un sourire, Et se fait belle hélas mais sans rien dire.
Je m'en vas je m'en vas
Comment les passerai-je solette ces bois ?
Sa mère est là, qui se dit à part ette
Oh que ma fille, oh que ma fille est belle Je m'en vas je m'en vas f
Comment les passerai-je, solette ces bois? Oh que ma fille, oh que ma fille est belle A quoi me sert qu'on me dise la Belle? Je m'en vas je m'en vas
Comment les passerai-je solette ces bois ? A quoi me sert qu'on me dise la Belle, Si je m'en vas, si rien ne me rappelle? Je m'en vas je m'en vas
Comment les passerai-je, solette, ces bois? Si je m'en vas, si rien ne me rappelle, Et si je passe à la saison nouvelle.
Je m'en vas je m'en vas
Comment les passerai-je, solette, ces bois?
Et si je suis si je suis bientôt morte. Morte je suis. Qu'en la terre on m'emporte! Je m'en vas je m'en vas
Comment les passerai-je, solette, ces bois?
IV
BRUNE, BLONDE ET NOIRE
BRUNE
Hélas! il n'en est qu'une
Dont je sois amoureux.
Elle est brune elle est brune Brune avec des yeux bleus Des cils longs et soyeux.
Des cils longs et soyeux
Un jour, cherchant fortune, Je la vis jour heureux EUe est brune, elle est brune, Brune avec des yeux bleus. Et je dis Je la veux.
Et je dis Je la veux.
EUe reprit <t Quelqu'une
» Rirait de tels aveux. »
Elle est brune, elle est brune, Brune avec des yeux bleus. « Mais contez-moi vos feux.
» Mais contez-moi vos feux » Car je suis sans rancune
» Et point ne vous en veux. » Elle est brune, eUe est brune, Brune avec des yeux bleus Un lys dans ses cheveux.
Un lys dans ses cheveux.
Et lys et fleur commune
Sur son front brillent mieux. Elle est brune, eUe est brune, Brune avec des yeux bleus. Mieux que l'étoile aux cieux.
BLONDE
Elle est blonde, elle est blonde Mais blonde al'œu de feu.
Elle rit, elle gronde,
Elle se fâche un peu,
Par un doux jeu.
Elle est blonde elle est blonde Comme l'astre du soir
Qui se penche sur l'onde
Et sourit de se voir
Dans son miroir.
Elle est blonde, elle est Monde Il n'est, j'en suis certain,
Neige qui ne se fonde,
Ne pâlisse soudain
Devant sa main.
Elle est blonde, elle est blonde, Et se moque de moi.
« J'ai l'humeur vagabonde, » Me dit-elle, ô mon roi,
» Prends garde à toi »
Elle est blonde elle est Monde « Pourtant, dit-elle encor
» Dans sa douce faconde
» Tiens voilà ton trésor,
» Mes cheveux d'or. »
NOIRE
Ecoutez du nouveau Hé!as il faut le croire, Son sort ne fut pas beau; Elle était noire, noire, Noire comme un corbeau.
Son sort ne fut pas beau Au lieu de mains d'ivoire, Des mains couleur pruneau. Elle était noire, noire,
Noire comme un corbeau. Des mains couleur pruneau! Couleur pepin de poire,
Le reste de sa peau.
Elle était noire, noire,
Noire comme un corbeau. Le reste de sa peau.
Qu'on la montre à la foire, Criait maint étourneau Car elle est noire, noire, Noire comme un corbeau. Criait maint étourneau.
L'un dit « Je ne puis boire » Quand je vois son museau; » Tant elle est noire, noire, )' Noire comme un corbeau. » Quand je vois son museau. )' L'autre « Elle ferait croire
» Que le jour est noireau
M Tant elle est noire, noire, » Noire comme un corbeau. M Que le jour est noireau,
Ou, malgré son grimoire, )' Que le diable est plus beau. )' Oh qu'elle est noire, noire )) Noire comme un corbeau. )' Oui, le diable est plus beau. » Elle répondit « Voire » Ses yeux noirs tout en eau.
Elle était noire, noire,
Noire comme un corbeau.
Ses yeux noirs tout en eau,
Et son cœur, dit l'histoire,
Son cœur sous le couteau.
Elle était noire, noire,
Noire comme un corbeau.
Son cœur, sous le couteau Aussi blanc, pour sa gloire, Aussi blanc qu'un agneau.
Elle était noire, noire,
Noire comme un corbeau.
Aussi blanc qu'un agneau. EUe est morte. En mémoire, Mettez sur son tombeau ELLE ÉTAIT NOIRE NOIRE NOIRE COMME UN CORBEAU. Mettez sur son tombeau MAIS C'EST PÉCHÉ DE CROIRE QUE, DANS LE JOUR NOUVEAU, ELLE SOIT NOIRE NOIRE
NOIRE COMME UN CORBEAU.
v
LA BELLE, PASSANT AU SOIR
Ils disent, quand je passe, Quand je passe près d'eux Sans que rien m'embarrasse, Mais sans lever les yeux, Mais sans lever les yeux. Où va la beHe?
Où s'en va-t-elle?.
Mais sans lever les yeux, Sinon sur qui je veux.
Ils disent « La plus belle » (C'est assez disputé!)
» C'est elle oui, c'est elle M La perle de beauté,
La perle de beauté.
Où va la belle?
Où s'en va-t-elle ?
)) La perle de beauté »
On me l'a répété.
» Voyez sa tresse blonde
» Ses bras qui rendent fous » Les bergers à la ronde! » Voyez ses yeux si doux, » Voyez ses yeux si doux. Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
» Voyez ses yeux si doux, » Et c'en est fait de vous » »
Ils disaient et honteuse
D'avoir si bien saisi
Leur parole menteuse,
Je me sauvais ici,
Je me sauvais ici.
Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Je me sauvais ici,
Et retournais aussi.
Ah dans ce temps de rêve, Mais plus vite expiré
Qu'un beau jour qui s'achève, Qu'ai-je donc désiré,
Qu'ai-je donc désiré?.
Où va la belle ?
Où s'en va-t-elle?
Qu'ai-je donc désiré,
Tant, que j'en ai pleuré. Désiré d'être reine,
D'être reine à mon tour, Le soir, à la fontaine,
D'avoir aussi ma cour,
D'avoir aussi ma cour.
Où va la belle ?
Où s'en va-t-elle?
D'avoir aussi ma cour
Et d'être aimée un jour.
Un jour, c'est peu de chose Mais un jour je le fus.
H vint à la nuit close;
Il me dit. je le crus,
Il me dit. je le crus.
Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
H me dit. je le crus.
Et puis il ne vint plus.
Je m'en souviens à peine. I! était triste et beau;
Il me dit « Sois ma reine »
Et voilà son anneau, 1
Et voilà son anneau.
Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Et voilà son anneau,
Que j'emporte au tombeau. Son anneau, que j'emporte. Il ne m'a pas quitté.
Je voudrais être morte,
Ou mieux l'avoir été,
Ou mieux l'avoir été.
Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Ou mieux l'avoir été.
L'anneau seul m'est resté. Mais l'anneau. quel caprice Il était trop étroit
Et maintenant il glisse,
II glisse de mon doigt,
Il glisse de mon doigt.
Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Il glisse de mon doigt
Maigre, livide et froid.
Donnez-moi, tante Rose Mon oeillet tacheté;
Donnez, que je l'arrose, Comme au dernier été, Comme au dernier été. Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Comme au dernier été, Lorsque j'ai tant chanté. De quoi l'arroserais-je?. Seule, les seaux du puits, Comment les lèverais-je, Seule comme je suis
Seule comme je suis.
Où va la belle?
Où s'en va-t-elle ?
Seule comme je suis,
Avec mes bras détruits? Quand je tirais la chaîne, Sa main suivait ma main. Lentement, à grand'peine, Mais pourtant à la fin
Mais pourtant à la fin. Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Mais pourtant, à la fin
Arrivait le seau plein.
« Oh là, dans le puits sombre, » Voulez-vous donc me voir?') Disait-il et, dans l'ombre
Nous allions nous asseoir,
Nous allions nous asseoir
Où va la bette ?
Où s'en va-t-elle?
Nous allions nous asseoir
Moi, j'y vins seule un soir.
L'eau peut dormir tranquille
Au puits silencieux.
Moi, pour ma fleur débite,
A présent j'ai bien mieux,
A présent j'ai bien mieux.
Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
A présent j'ai bien mieux
Un ruisseau dans mes yeux.
Venez-voir, tante Rose
Mon oeillet, tout mouillé
De l'eau dont je l'arrose, Mon œillet réveiUé,
MonœutetréveiHe.
Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Mon œiuet, réveiHé,
Soudain s'est eu'euiHé.
Et puis que chanterais-je ? Serait-ce Oh bien, dis-moi, ) Belle, plus que la neige
M Plus blanche, par ma foi, Plus blanche par ma foi Où~alabeUe?
Où s'en va-t-elle?
Plus blanche par ma foi )) On se moque de toi M
Ou bien « Il en est une M Qui me rend amoureux. )) Allons faire à la lune
)' Une complainte ou deux, )' Une complainte ou deux. Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
)) Une complainte ou deux » Pour apaiser mes feux. Ou bien encor: « La fraise » Est mûre au bois, dit-on. »
La chanson est mauvaise, La voix n'a point de son, La voix n'a point de son. Où va la belle?
Où s'en va-t-elle ?
La voix n'a point de son, Mauvaise est la chanson. La chanson est mauvaise, Mauvaise est la chanson.
Quel chant peut mettre à l'aise Un cœur dans sa prison,
Un cœur dans sa prison. Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Un coeur dans sa prison,
Quand il meurt tout de bon! Oh baisez-moi, ma mère, Mais non pas sur mes yeux Leur blessure est légère
22
Ni sur mes longs cheveux, Ni sur mes longs cheveux. Où va la belle ?
Où s'en va-t-elle?
Ni sur mes longs cheveux, Qui n'enchaînent pas mieux. Ni sur ma joue éteinte,
Ni sur ma bouche, hé!as Qui murmure sa plainte, Ni sur mes pauvres bras, Ni sur mes pauvres bras. Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Ni sur mes pauvres bras, Non, ne me baisez pas Mais baisez-moi, ma mère, Quand d'autres danseront, Et qu'hélas dans ma bière Vos mains m'arrangeront, Vos mains m'arrangeront. Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Vos mains m'arrangeront, Baisez-moi sur le front.
Mère mère que vois-je ? Qui m'appelle en chantant? Faut-il aller? le dois-je? Il me presse, il m'attend, Il me presse, il m'attend. Où va la belle?
Où s'en va-telle?
Il me presse, il m'attend Il sera si content.
Nous danserons ensemble, Ensemble au bord de l'eau. Mettez-moi (ma main tremble) Mon collier, mon chapeau, Mon collier, mon chapeau. Où va la belle?
Où s'en va-t-elle?
Mon collier, mon chapeau, Ce que j'ai de plus beau.
D'ici, je vois leur ronde,
De mon lit soupirant,
Là bas, au bout du monde, Où les prés, en mourant,
Où les prés en mourant.
Où va la belle ?
Où s'en va-t-elle?
Où les prés, en mourant, Descendent au torrent.
Venez, venez, ma mère Montons sur le coteau.
Là parmi la bruyère Que voit-on de nouveau? Que voit-on de nouveau ? Où va la belle?
Où s'en va-t-elle ?
Que voit-on de nouveau ? Hé!as rien qu'un tombeau.
VI
LA CHÈVRE, LA FILLE ET LE PASSANT
FABLE-CHANSON
C'était une chèvre
De grand jugement, N'avançant la lèvre
Que bien sensément. C'était une fille
Dont la langue au vent Piquait comme aiguille, Et piquait souvent.
La chèvre remue
Sa barbe, en tirant
A soi la laitue,
Sans bruit l'effleurant. La fille vieillotte,
S'en va clabaudant, Et toujours chipote
A beaux coups de dent.
La chèvre regarde
S'il vient un passant. Elle se hasarde,
D'un air innocent.
La fille se jette
Tout à travers champ, Et, vieille coquette,
Prend un air touchant. La chèvre au pied leste Accourt en bétant,
Et se tient, modeste, Non loin du galant.
La fille s'abuse;
Son œn est brillant
Le passant s'amuse,
Lui parle en raillant. Le passant veut prendre La chèvre et, courant, L'entraîner, la vendre Au premier offrant.
La belle s'enflamme;
L'autre, l'écoutant
« Vous, dit-il, ma femme » J'en ai déjà tant »
La chèvre, moins folle
Soudain s'élançant,
Saute et cabriole
Au nez du passant.
C'était une chèvre
De grand jugement,
N'avançant la lèvre
Que bien sensément.
C'était une fille
Dont la langue au vent,
Piquant comme aiguille
La piquait souvent.
VII
LA MOISSONNEUSE
TABLEAU FLAMAND
Qui ne connaît la belle moissonneuse,
Parmi les blés chantant le long du jour, Prompte à l'ouvrage, alerte et matineuse, Mais, vers le soir, babillarde d'amour Qui ne l'a vue, au détour de la haie,
Debout, sa main écartant le buisson,
Suivre au sentier, d'un œil que rien n'effraie, Le voyageur si c'est un beau garçon Sur ses cheveux sa large coiffe ailée,
Deçà, delà, lui fait toujours faux bond, Et sur son cou, sur sa nuque hâlée,
Tresses par ci tresses par là s'en vont. Sa taille est droite ainsi qu'un jeune frêne, Mais ronde et souple, autant qu'à la moisson Le blé qui plie au moindre vent qui traîne Et son coeur bat. bat pour un beau garçon. Elle l'aborde, autant et plus vermeille
Que sous l'épi le pavot radieux
Sa lèvre en rit, mais ce n'est pas merveille, Car on en voit rire même ses yeux.
Elle l'agace, et fait la raisonneuse,
Lui jette au nez javelles à foison.
Vite, sans plus la belle moissonneuse, Qu'on la marie avec un beau garçon
vni
LE VOILE DE NEIGE
Elle s'en va dans les montagnes, La belle aux yeux bleus
Elle va seule, sans compagnes Et sans amoureux.
Oh qui me donnera, donnera Voile de neige,
Et long cortége?
A la noce! dansons!
Bergères, garçons!
Oh qui me donnera, donnera Voile de neige, et qui me l'ôtera? Sur la porte « Mère, dit-elle )) Je ne sais pourquoi
) Je suis triste et je me querelle » Toujours avec moi. M
Oh! qui me donnera, donnera Voite de neige, et qui me t'ôtera?
« Comme un brouillard ce mal me gagne » Je n'ai rien pourtant.
Mal et brouillard sur la montagne, » S'en iront au vent. »
Oh qui me donnera, donnera
Voue de neige, et qui mel'ôtera? 1 Elle s'en va; sans crainte aucune
Passe les grands bois,
Et le torrent et son eau brune,
A la forte voix.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me t'ôtera? Elle a franchi l'onde si nère,
Sur le pont tremblant,
Ou bien sautant de pierre en pierre, Comme un chevreau blanc.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Elle s'en va gravit la pente
Et le sentier vert
Qui tourne, retourne et serpente
Dans le haut désert.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera?
Elle s'en va; plus apaisée,
A l'air matinal,
Posant dans l'herbe et la rosée
Son pied virginal.
Oh! qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Elle s'en va tout d'une haleine
Souriant de voir,
Lorsque le vent y prend bien peine Son cou sans mouchoir
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Elle s'en va; sa chevelure,
Autour de son sein,
Roule et voltige à l'aventure,
Comme un jeune essaim.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Personne, là, qui la regarde,
Qu'un papillon bleu,
Qui vient près d'elle, se hasarde, Et lui dit adieu.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera?
Elle s'en va, comme une fée,
Qui fuit au matin,
Un peu triste, un peu décoince,
Vers un mont lointain.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me t'ôtera Sur la crête du pâturage,
Debout, elle voit,
Sous elle au fond, tout le village Nomme chaque toit.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me t'ôtera? « Oh! dit-elle, foulant, légère,
» Le dernier gazon
)) Aurai-je aussi, comme ma mère, » Un jour ma maison? M
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? « Je serais bien douce, bien tendre; » Mais lui, chaque soir,
Reviendrait, sans me faire attendre, » Près de moi s'asseoir. »
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me t'ôtera?
« Je me tiendrai sur notre porte,
» Et vite, à propos,
M Je rangerai tout ce qu'il porte,
» La hache, la faux. »
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera
« I! a soif, la chaleur l'accable;
» Mais, quand il parait,
)) Dans notre chambre et sur la table, Voilà, tout est prêt. »
Oh! qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera?
« Nous sommes deux, je lui répète
» Nos chansons d'amour;
)) Deux dans notre nid d'alouette,
» Trois peut-être un jour. »
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera?
« Mais qui m'aime ainsi, comme j'aime? » Je ne le sais pas.
~) Je ne pourrais dire moi-même
» Aucun nom, tout bas. »
Oh! qui me donnera, donnera-
Voile de neige, et qui me Fôtera?
« Seule avec moi je me querelle, » Toujours m'attristant.
» Nul ne me dit que je suis belle » Je le suis pourtant. »
Oh! qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera ? Ainsi, de montagne en montagne, La belle aux yeux bleus
S'en allait seule, sans compagne Et sans amoureux.
Oh qui me donnera donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Elle s'avance au bord des cimes, Le long du glacier.
Soudain tressaillent les abimes. On entend crier.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Mais le cri meurt, et l'avalanche, Lion rugissant,
Lion à la crinière blanche,
L'emporte en passant.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera?
Ils sont venus avec des pelles,
Des pics, des marteaux.
Neiges d'hiver, neiges nouvelles
Ouvrent leurs tombeaux.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Une heure passe, et puis une heure, Puis une autre, hétas
Sa mère est là qui prie et pleure Et se tord les bras.
Oh! qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Enfin enfin voilà la terre,
Une main qui sort.
Mais votre fille, ô pauvre mère Votre fille. dort.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera! Elle dormait pâle, étendue,
La main sur son cœur,
Sa tête blonde soutenue
Par la mousse en' fleur.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera?
Blanche, à l'air frais de la colline Le sein découvert,
On aurait dit une aubépine
Que reprend l'hiver.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Quand ils la mirent dans la tombe, Dur et froid coucher,
Moins blanc, le flocon glisse et tombe Le long du rocher.
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera? Puis s'en revint le noir cortége,
L'oeil triste, à pas lent.
Eue, l'hiver, dort sous la neige C'est son voile blanc.
Oh! qui me donnera, donnera
Voile de neige
Et long cortège?
A la noce! dansons,
Bergères, garçons!
Oh qui me donnera, donnera
Voile de neige, et qui me l'ôtera?
LA REINE DU BAL
Du bal dis-nous quelle est la reine, 0 toi le plus fin connaisseur,
Toi dont le regard se promène
Au bal sans y laisser ton cœur 1 Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour
Est-ce, !à-bas?. vois cette blonde, Ces bras si beaux, ce teint charmant Un air d'enfant et du grand monde C'est bien la rose à son moment. Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour!
Ou, là, cette autre, plus légère, Ptus sémillante qu'un oiseau;
Un air de fée et de bergère
Ou bien ce lys au bord de F eau? Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour!
Ce lys penché, rêveur et tendre, Aussi pur que le pur matin,
Mais qui demande et croit entendre Un chant d'amour toujours lointain? Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour
Ou bien encor cette autre belle A l'oeil de feu, prompt et jaloux? Ou bien, sous l'étoile immortelle, Ce front qui brille pur et doux?
Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour!
Dis-tu peut-être « La plus belle » Vous n'avez su la deviner,
)) Mais qui mieux aime, voilà celle » Que nous devons tous couronner? » Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour
Non toujours non? alors de gràce?. Amis, voyez là-bas au fond, Seule immobile et, de sa place, Sur nous jetant les yeux en rond. Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour
Voyez cette figure Même,
Ce regard terne et qui fait mal
A ceue-tà le diadème
Voilà notre reine du bal
Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour! w
Où donc? comment se nomme-t-elle? Le jour blanchit, ton oeil s'endort. Reine du bat mais cette belle Est invisible, et c'est la Mort.
Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour!
Triste plaisant moqueur sinistre Adieu, le plus fin connaisseur!
Et vous hautbois, Sûtes et sistre, Un dernier signal au danseur
Etre reine
Un jour,
Souveraine
D'amour!
ou
LA VISION DU BERGER
Sur le vieil air: Quand j'étais campagnol' vacher, Les foc~eson nt'ern'oyof< gurder.
Quand j'étais compagnon vacher, Quand j'étais compagnon vacher, J'allais sur le plus haut rocher Et je crie, et j'appelle
Ma belle,
Et je n'ai que mon chien
Il a faim, je n'ai rien.
Bien bien bien
Quoi? Finaut! hein?
Du pain.
FINAUT
Sur le plus haut rocher montant, (bis), Je vis un bel oiseau tout blanc.
Un bel oiseau qui vient à moi, Et me regarde sans effroi. Il me regarde et, s'envolant, Au ciel retourne l'oiseau blanc.
Dans le ciel il monte, et, bientôt, H disparaît tout droit en haut.
Tout droit en haut il chante encor Avec sa voix de. miel et d'or.
Plus que le miel plus que la fleur, Sa voix était douce à mon cœur.
Et mon cœur se mit à penser,
Lorsqu'un brouillard vint à passer. Un brouillard sombre, errant tout seul Qui me couvrit comme un linceul. Comme un linceul il m'entaça,
Et dans l'abime il s'enfonça.
Dans t'abime je blasphémais,
Pensant à celle que j'aimais.
Celle que j'appelais en vain
Toujours tombant, tombant sans fin. Toujours plus bas et plus avant,
Comme une feuille au gré du vent. Comme une feuille m'accrochant, Et le vent noir me détachant.
Mais du vent noir un noir esprit
Se rend visible et me sourit.
Il me sourit, et je pensai
Que d'être honnête est insensé
Que l'honnête homme est, dans les bois, Un cerf toujours mis aux abois;
Un pauvre cerf, un sot mouton
Promis, sans faute, au loup glouton. Je serai loup loup je serai
Comme les autres je tùrai.
Comme les autres bon voleur, D'un berger prenantla couleur. Berger et ma bergère aussi, Bonne louve. Point de merci! Et louve et loup, et louveteaux Vivront aux dépens des agneaux. Tendres agneaux, vous êtes faits Pour nous, je pense, tout exprès. Ainsi pensais-je, et le démon Me dit que le mal était bon. Le mal commence à me tenter, Et mon cœur faible à se vanter. A se vanter que même à Dieu Il forcerait la main dans peu. La main qui soutient l'univers, Comme un atôme dans les airs L'atôme donc, s'est soulevé, Et dans le vide il a crevé.
Vide, néaut, ouvrez, ouvrez Vos abimes décolorés
Dans vos abimes j'entrerai, Et jusqu'au fond je plongerai.
Et jusqu'au fond, sans nut en'roi. Finaut me dit Prends garde à toi M Prends garde à toi j'ai t'œi) perçant. )) Au fond que vois-je blanchissant? » Blanchissant comme un prompt éclair, x Qui bat la face de la mer.
M La mer en vain se lèverait
)) D'un coup l'éclair la dissoudrait. )) L'éclair, c'est Lui. Va jusqu'au bout, )) Tu le retrouveras partout.
» Partout Et l'on voudrait en vain H Même en tombant, fuir de sa main. H Fuir, comment fuir? N'est-il pas là? M Reviens le nuage s'en va. »
Le noir nuage me laissant,
Je sentis mon pied moins glissant. Mon pied, sur le bord du rocher, Recule, prêt à s'y pencher.
Et reculant, je vis je vis Un coin des célestes parvis;
r
Un coin du ciel où l'oiseau blanc Revient à moi, me consolant
Me consolant, et me disant
« Vois le gazon refleurissant.
)) Sur le gazon, qui vient là-bas
)) Et, souriant, te tend les bras?
» Ses bras, son front calme et joyeux, )' Ont la blancheur des monts neigeux )) Des monts neigeux, un jour d'été; M Du lys en un val écarté.
)) Mais lys, et neige, et blonds cheveux, )) Que sont-ils auprès de ses yeux?
» Ses yeux sont comme un lac d'azur .» Où ne surnage rien d'impur.
) Rien, sur le lac qui luit soudain, » Rien que l'étoile du matin
Et du matin, dans les grands bois, » Le chant n'a pas sa douce voix » Sa voix qui dit Non, plus d'adieu! M Aime et travaille, et vis de peu. » C'était ma belle qui, montant,
Me dit «Monsieur, soyez content M Soyez content j'ai dix moutons )) Avec les tiens nous les mettons. )' Avec les tiens, tout bien compté ) Cela fait quinze, en vérité
M Quinze moutons n'est-ce donc rien ? M Mon père dit C'est un beau bien. M C'est un beau bien, lorsque l'on est M Sage soyez-le s'il vous plait!
H Et s'il vous plait~je deviendrai, M Et s'il vous p[a!t, je deviendrai )' Votre femme, et vous aimerai. » Moi, je pleure, et ma belle
Appelle
Et caresse mon chien.
A nos pieds je le tien.
Bien bien 1 bien
Hein? Finaut! hein?
Du pain.
LE PÈRE ET SON FILS
Mange bien, disait un bon père
A son fils, bambin de trois ans Mange bien, grandis et prospère, Le jeûne est pour les pauvres gens. J'ai cinq veaux gras dans mon étahtc, Un agneau ne me coûte rien
Le pain, le vin sont sur la table; Mange bien.
L'âge vint d'entrer à Fecote
On doit, dit le père à l'enfant,
Apprendre, en ce siècle frivole, Ce qu'il permet, ce qu'il défend. Lis; écris meuble-toi la tête
Qu'elle serve à ton entretien
Il ne faut pas être une bête.
Mange bien.
L'enfant grandit ce fut un homme Fais ton choix, dit le père encor Mais ne donne jamais la pomme A ce qui brille et n'est pas or. Laisse les chimères à d'autres Garde-toi d'y fourrer du tien 1, Nous ne sommes pas des apôtres. Mange bien.
Un jour le fils mourut, le père Suivit, étouffé de chagrin.
On les mit dans la même bière; Les parens firent un festin.
Dieu visitait la fosse impure;
Mais, n'y retrouvant pas son bien, H dit au ver, sa créature
Mange bien.
ET JN ARCADIA
A MES AMtS SUR LA MONTAGNE
Et nous aussi, sur la montagne,
Nous avons eu notre rayon,
Avec l'Aurore pour compagne,
Et pour chemin le frais gazon
Ensemble, Amis, touchant le faîte Du pic, monarque souverain,
Et nous aussi, sur notre tête,
Nous avons vu le ciel serein
Et nous aussi, des hautes cimes
Nous avons vu le haut azur,
Vu s'éclairer leurs fronts sublimes Quand à leurs pieds, tout reste obscur
Nous étions là sur les vattées,
Et sur la plaine au loin fuyant
En sombres vagues déroutées,
Plongeait notre oeil calme et brillant. Nous étions là couchés dans l'herbe, Jeunes aiglons encore au nid,
Ayant pour notre front superbe
Trône de fleur et de granit.
Nous rêvions tout, pleins d'espérance Notre regard, sondant l'éther,
Jetait à tout, en assurance,
Jeune sourire et jeune éclair.
Et nous parlions de toutes choses Comme d'un bien semé pour nous Tandis que les brouillards moroses Prenaient la cime par dessous. Ils arrivaient, des gorges sombres Montant, poussés par le vent noir, Et nous lançaient déjà leurs ombres Que nous ne voulions pas les voir. Enfin il fallut bien entendre
Ce que disait leur triste voix!
Enfin il fallut bien descendre,
Et regagner le fond des bois
Mais, hélas d'autres, de la cime D'autres, plus mûrs ou plus troublés, Levant leurs ailes sur l'abime
Vers le ciel se sont envolés.
LÈBRE a franchi le noir espace.
Il est au céleste jardin,
Suivant, d'un pas que rien ne lasse, Les monts où luit le jour sans fin. Parmi les troupes infinies
Qui forment le choeur immortel, Se mêle aux jeunes harmonies
HENtu, l'aimable ménestrel.
Et MoNNERON, tout air, tout flammes, Dont l'œil en haut toujours montait, A revu son pays des âmes,
Qu'ici-bas même il habitait.
Mais nous, hélas loin de l'aurore, Rentrés sous le brouillard impur,
A tâtons nous suivons encore
De la terre le sentier dur.
MONNARD, en butte à la colère
D'un peuple injuste, aveugle, errant, Laisse, vieux chêne séculaire
Gronder à ses pieds le torrent.
VULLIEMIN fouille de nos pères
Les tombeaux cachés sous nos pas. ÂGASStz creuse les mystères
D'un temps où l'homme n'était pas. Tribun de la sainte parole
Qui, des cieux, nous appelle tous, ViNET nous guide et nous console Lui qui souffre bien plus que nous. Et moi, dans la cité lointaine,
Au bord du fleuve m'asseyant, Perdu dans la brumeuse plaine 0 mes Amis, je vais disant
Et nous aussi, sur la montagne, Nous avons eu notre rayon,
Avec l'aurore pour compagne,
Et pour chemin le frais gazon
LES MARIONNETTES
ÉPOPÉE
Sur l'air enfantin Ainsi ~bnt, ~jit, ~bnt ~eapetttc~monoHîtettM
Ainsi font, font, font
Les follettes
Marionnettes;
Ainsi font, font, font
Trois p'tits tours. et puis s'en vont. Mettez les poings aux côtés
Marionnettes,
Marionnettes
Mettez les poings aux côtés,
Marionnettes et sautez
1
0 toi qui t'en vas,
Jeune fille
Dont !'œit brille
0 toi qui t'en vas,
Un beau jeune homme à ton bras Jeune oiseau si gai,
Qui sautille,
Qui babille,
Jeune oiseau si gai,
Chantant sa chanson de mai
Jeune fleur d'un jour,
Qui voltige
Sur sa tige,
Jeune fleur d'un jour,
Jeune fille, et fleur d'amour
Ainsi font, font, font
Les follettes
Marionnettes,
Ainsi font, font, font
Trois p'tits tours. et puis s'en vont.
JI
Enfans, si joyeux,
Têtes blondes.
Mines rondes
Enfans, si joyeux
D'une fleur dans vos cheveux;
Chevreuils et chamois,
Troupe agreste
Au pied leste
Chevreuils et chamois,
Qui vous sauvez dans les bois;
Rians papillons
Dont chaque aile
Etincelle;
Rians papiuons
Trois p'tits tours dans les vallons Ainsi font, font, font
Les follettes
Marionnettes,
Ainsi font, font, font
Trois p'tits tours. et puis s'en vont.
lit
Laboureur, ouvrant
De la terre,
Notre mère,
Laboureur, ouvrant
Le sein noir, qui nous reprend Marchand très-expert,
Qui t'amuses
De tes ruses,
Marchand très-expert
A gagner où chacun perd;
Femme au grand babil,
Qui regrettes
Et caquettes,
Femme au grand babil
Trois p'tits tours ainsi soit-il Ainsi font, font, font
Les follettes
Marionnettes,
Ainsi font, font, font
Trois p'tits tours. et puis s'en vont.
IV
Dames qui menez,
Ah! comtesses!
Ah duchesses
Dames qui menez
Trois, quatre amans par le nez; Banquiers qui dînez
Comme quatre,
Sans vous battre,
Banquiers qui dinez
D'un peupte ou deux ruinés;
Héros en atours,
En moustaches,
En panaches,
Héros en atours!
Vite, allons trois petits tours. Ainsi font, font, font
Les follettes
Marionnettes,
Ainsi font, font, font
Trois p'tits tours. et puis s'en vont.
v
Grands hommes d'esprit,
A la peine,
A la gène
Grands hommes d'esprit,
Dont un sot triomphe et rit
Artistes rêvant,
Sous la nue,
Tête nue,
Artistes rêvant
D'amour, de gloire et de vent;
Vous qu'on applaudit,
Gens de phrase
Et d'emphase,
Vous qu'on app!audit,
Trois p'tits tours. et tout est dit. Ainsi font, font, font
Les follettes
Marionnettes,
Ainsi font, font, font
Trois p'tits tours. et puis s'en vont.
VI
Faiseurs de traités
Diplomates
En cravates,
Faiseurs de traités
Toujours inexécutés;
Potentats assis
Suruntrône
Grand d'une aune,
Potentats assis
Sur un trône de soucis
Soldats et tambours,
En bataille
A la mitraille
Soldats et tambours,
En avant trois petits tours Ainsi font, font, font
Les follettes
Marionnettes,
Ainsi font, font font
Trois p'tits tours. et puis s'en vont.
vu
César dont la main
Tient le glaive,
Le soulève.
César dont la main
Se desséchera demain;
Terre qui gémis
Dans l'espace
Où tout passe,
Terre qui gémis
Un moment, comme tes fils
Soleil radieux
Qui nous traînes
Dans tes chaînes,
Soleil radieux,
Trois p'tits tours de cieux en cieux Ainsi font, font, font
Les follettes
Marionnettes,
Ainsi font, font, font
Trois p'tits tours. et puis s'en vont.
vm
Peuples inconnus, Sylphes gnomes Et iantômes,
Peuples inconnus
Qui voyez sans être vus;
Esprits, qui, dans l'air,
Sur les cimes
Des abimes,
Esprits, qui, dans l'air,
Gambadez comme t'éctair
Astres éclatans,
Chœur du monde,
Vaste ronde,
Astres éclatans
Trois p'tits tours! et fin du Temps. Ainsi font, font, font
Les follettes
Marionnettes,
Ainsi font, font, font
Trois p'tits tours. et puis s'en vont.
Mettez les poings aux côtés, Marionnettes,
Marionnettes,
Mettez les poings aux côtes, Marionnettes! et sautez!
LE BOUT DU MONDE
«Avez-vous vu, me dit un jour,
Un enfant à la tête blonde,
Là-bas où les prés font le tour,
Avez-vous vu le Bout du Monde? Mon grand-père l'appelle ainsi
Ainsi l'appelait son grand-père,
Et le père de celui-ci,
Du temps qu'ils étaient sur la terre. Je m'en allai, tenant la main
De mon guide à la mine rosé,
Qui me nommait, par le chemin, Les monts, les bois, et toute chose. «Voilà dit-il c'est là voyez! » Et, de sa main petite et ronde,
II me montrait, juste à nos pieds Il me montrait le Bout du Monde.
Le Bout du Monde était un pré, Dont je voyais baisser la pente, Baisser la pente par degré,
Avec le ruisseau qui serpente.
H ne faisait pas grand détour,
Il n'avait rien de fort sublime.
Point de rocher, de haute tour; Point de caverne, point d'abime Quelques sapins, un court gazon Où le berger, pour sa génisse,
Peut faire une honnête moisson, Pourvu que le ciel la bénisse;
Et les prés, toujours, devant nous, Recommençant leur vague errante; Et les bois, retraites des loups Et l'étendue au loin mourante.
«C'est là, me dit encor l'enfant, En secouant sa tête blonde
D'un air naïf et triomphant
C'est là c'est là le Bout du Monde. )'
FIN DU QUMtHÈME LIVRE.
LIVRE CINQUIÈME
LIVRE V
LE LIVRE D'AUTOMNE
Le long rayon du soleil qui décline, Nous avertit doucement qu'il est tard. Il semble même, en montant la colline, A pas plus lents, ralentir son départ; Mais après lui monte aussi le brouillard, Trainant les plis de sa robe d'hermine. Ainsi l'automne a la meilleure part,
Mais la dernière. et l'hiver s'achemine. Ainsi le soir, entre amis à l'écart,
Lorsque la nuit s'avance clandestine, Qu'il faut partir, qu'on se lève, qu'on part Sur le seuil même on s'arrête avec art,
Le cœur serré, si la bouche badine Chaque oeil au fond se mouille et s'illumine, 1 Et de l'adieu retient le long regard. Le long rayon du soleil qui décline.
LE VIEILLARD
Que doucement il se promène.
Ce beau vieillard au pas réglé,
Qui pourtant compte en son domaine La terre et le ciel étoité
C'est le Temps, c'est l'antique chauve, Au menton de neige fleuri
Au regard souriant et fauve,
Au pas qui fait pousser un, cri.
L'herbe, te sable du rivage,
Les montagnes, les océans,
Il a tout dans son héritage,
H est le maître de céans. < Mais, d'abord, comme il vient et passe
Lentement, s'amusant d'un rien, D'un oiseau chantant dans l'espace, D'un bruit, d'un soume aérien Devant une fleur il s'attarde;
Elle croit déjà qu'il s'assied,
Rampe sous l'herbe se hasarde Et s'enlace autour de son pied. H s'y prête, d'humeur badine, Mais pour faire, comme en sursaut, Un plus grand pas qui déracine La fleur sous lui tombant plus tôt. L'Aurore vient, et même elle ose Caresser sa barbe d'argent
Il sourit, a ces doigts de, rose
Surtout à ce pied diligent.
Et le sien déjà se soulève,
A peine encor rasant le sol,
H semblait marcher comme en rêve, Mais maintenant il prend son vot,. 0
Sur ses épaules se dessine,
Croissant, ptus son vol devient fprt,
Une aile de plume si fine,
Qu'on ne s'en doutait pas d'abord. Aile dont l'immense envergure Se plie aux airs les plus flottans, Change de forme et de figure; Aile de la couleur du Temps;
Et par là d'autant plus puissante, Qu'elle vole sans aucun bruit,
Sans qu'on la voie, et que l'on sente Même !a ride qui la suit.
Tout ce que cette aile dépasse, Front sublime, front couronné, Front blanc de jeunesse et de grâce, Porte le signe, est condamné.
Vers le midi de toutes choses
Ainsi monte le Temps vainqueur Du matin s'éteignent les roses
Sous l'adieu de son œi! moqueur. Il semble enSn, comme un nuage Arrêté dans le haut azur,
Faire au milieu de son voyage Une halte sous un ciel pur.
Ne dirait-on pas qu'il hésite,
Qu'il suspend son vol inhumain, Ou si son aile encor palpite
Qu'elle ne fait plus de chemin? 1
Non c'est qu'il plane et qu'il tournoie, Des hauteurs du ciel se penchant, N'ayant plus qu'à suivre sa proie Au fond du rapide Couchant.
H monta comme l'hirondelle,
H descend comme le vautour;
Et le voilà d'un seul coup d'aile Sur les derniers confins du Jour. Son aile pâle et diaphane
Rougit aux feux mourans du soir, Et, dans le ciel quand tout se fane, Prend un azur livide et noir.
Mais ni la nuit, ni le silence,
Rien ne l'endort, ne la flétrit
On l'entend toujours qui s'éiance, Et le sombre vieillard qui rit.
LE SOMMEIL DU TEMPS
1
Quand le vent frais du soir, dans les rameaux du frêne, Passe avec le rayon du soleil qui s'enfuit,
Et courant sur les flots, de la lune sereine
Fait trembler te regard, qui sur l'onde nous suit; Vers l'espace éthéré quand l'esprit nous entraine, L'esprit qui vit en nous, qui nous parle sans bruit, Qui voudrait nous jeter dans la céleste arène Et franchir à grand vol les déserts de la nuit; En vain demanderais-je à la brise nocturne Mon printemps effeuillé sur moi le vieux Saturne Etend son aile blanche, et m'en couvre à demi. Nul vent n'en peut bercer les plumes argentées;
L'étoite y sent pâlir ses splendeurs attristées, Et près des lacs rêveurs il n'a jamais dormi. Il
Mais non! malin vieillard, il sommeille, j'y pense! Depuis le temps qu'il court it doit être si !as! De l'azur, qu'il embrasse au loin d'une aile immense, Antique pèlerin, quand it regarde en bas,
H a tant vu de noms, dans l'éternel silence, Rouler l'un après l'autre avec un grand fracas; Vu, s'il regarde en haut, orl'innni s'élance, Tant de mondes crouler, chutes qu'on n'entend pas! De fatigue it s'endort sa paupière s'abaisse Son aile sur sa faux et retombe et s'affaisse; Les songes en riant voltigent sous sa main Immobite, son pied n'agite plus l'espace. Mais it voit dans son rêve, et sourit avec grâce, Car it sait qu'en dormant it gagne du chemin.
LA BARQUE DU BONHEUR
La lune glisse sur les ondes;
Elle y fait un grand fleuve d'or. Un bateau suit ces vagues blondes Et les fend d'un paisible essor. Qui porte-t-il?. à qui sa voite?. Quels sont les heureux pèlerins Voguant ainsi, sous leur étoile A la clarté des cieux sereins?
Est-ce un poète, dont la Musc, En son amour capricieux,
Ne vient le voir, chaste et confuse, Que sur les flots silencieux?
On bien serait-ce de ta vie
Les plus fortunés voyageurs Un beau couple, qui fait envie, Qui rend les vieillards tout songeurs? Heureux amans elle est assise Près de son époux enivré.
Ses cheveux flottent à la brise Aussi blonds que le flot doré
Ils roulent sur un cou d'albàtre Et lui, jaloux de son trésor,
I) les dispute au vent folâtre,
Qui les dérange moins encor.
EUe l'arrête d'un sourire
Plus doux que le rayon des nuits; Ils se disent tout sans rien dire, Et joie immense et courts ennuis. L'onde les berce avec tendresse; Leurs mains se joignent sans détour, Et le flot vers le ftot se presse,
Moins que leurs cœurs gonflés d'amour. Ainsi, ta-bas, sur l'eau briuante, C'est donc la barque du bonheur,
Sur cette bande étiucetante.
Non c'est la barque du pêcheur. Pauvre barque à demi <e!ée,
Vieil.habit rapiécé cent fois;
Pauvre pêcheur, âme accablée, Corps fatigué d'obscurs exploits. Que lui fait l'onde qui scintille? Cet argent-là lui sourit peu
H lui faut nourrir sa famille;
Vivre, pour lui, n'est pas un jeu. Que lui fait le rayon limpide
Qui danse sur le lac serein?
Il ne voit que son filet vide
Et jure tout seul de chagrin.
Un soir d'hiver, soir de tempête, Son fils ne s'est plus retrouvé.
I! en secoue encor la tête.
Tout son bonheur, il l'a rêvé
Ainsi, dans la nuit de ce monde, Même sous un ciel tout en fleur La barque humaine errant sur l'onde N'est point [a barque du bonheur.
LA PLAINTE DES FEUILLES
Quand le soleil revient dans sa gloire automnale Illuminer l'azur, les Alpes et les bois,
Et du bosquet que j'aime, une dernière fois, Percer de jets dorés la voûte humide et pâte, Pourquoi frissonnes-tu, feuillage encor si beau, Peuplier jaunissant et vous, rouges guirlandes, Sur l'autel de l'année ô dernières offrandes Se plaint-on, lorsque ainsi l'on se penche au tombeau? Lorsqu'on s'en va paré de splendeur, d'innocence, Le front plus couronné, plus vif, plus éclatant, Sans pâle ver caché dans le sein palpitant,
Sans déclin, sans colère, et surtout sans souffrance?. Pourtant un souffle obscur vous émeut sourdement,
Et vous lui répondez par d'inquiètes plaintes Vos rameaux agités redoublent leurs étreintes, Et serrent un frisson dans chaque enlacement. De quoi vous plaignez-vous, sous la chaude lumière? Quelle frayeur vous gagne en un matin si doux? D'où vous frappe le vent dans un air sans courroux? Pourquoi ne pas jouir quand la vie est entière? 0 mes arbres chéris comme un cœur insensé, Seriez-vous donc en proie à de muets orages? Recevez-vous aussi les occultes messages
D'un pouvoir de matheur en vous-même ptacé? Cette hymne gémissante au ciel abandonnée Répond-elle au soupir que j'étouffe en pleurant? Et vos mondes cachés s'en vont-ils murmurant Comme fait te bonheur dans l'âme résignée?. c. o.
CONFIANCE
Petit oiseau sur ta montagne,
Chantant au bleu Sommet des airs, Seul et n'ayant d'autre compagne Que l'abeille des rocs amers!
Oses-tu bien risquer ton aile
Où le vent s'en ferait un jeu?
Voyageur, que la tienne est frêle Pour moi, je me confie en Dieu. Petite fleur sur la montagne,
Si j'en crois ton ruisseau d'argent, Au berceau de neige, et qui gagne La plaine d'un pas diligent,
Ici, l'hiver à ta corolle
Ne dit jamais un long adieu.
Voyageur, que ta crainte est folle Pour moi, je me confie en Dieu.
Petit berger sur la montagne, Malgré tes airs de petit roi,
La pauvreté, qui t'accompagne, Quand tu montes, monte avec toi. Voyageur, que le ciel t'assiste II faut savoir vivre de peu.
Mon père dit La vie est triste Pour moi, je me confie en Dieu.
CHANSONS D'ENFANS
t
LE GRAND-PÈRE OU TOUTE LA MAISONNÉE
Chausott à. plusieurs personnages. s.
Sur le vieil air romand de coraute ou de ronde
<a M~~on trente-yot (Ils se mettent trente-et-un Por ~y 'na d~er&tt d'ordre.– Pour lier tmc gerbe d'orge.)
Chantez, chantez un air bien vieux Qui soit doux et prospère
Chantez tous, à qui mieux mieux, Chantez pour le Grand-Père
t.LEBLOKDDOUDOU.
Voici d'abord, Doudou le blond Un garçon redoutable,
Touchant presque le plafond, 1 Le plafond de la table.
tt. LB PEUT COUSIN ET LA PETtTE COMME Petit cousin! petit cousin!
Dis donc à ta voisine
« Quoi toujours pendue au sein Cousine, oh oh cousine »
U). UNE DES PETITES-FILLES-
Pour toi je veux sauter, je veux Gambader dans la crotte;
Ou peut-être aimes-tu mieux Que je couse et tricote?
IV. UNE AUTRE.
Je gambade aussi, pied joyeux, Chevrette montagnarde.
Bien peu t'auront vu mes yeux, 1 Mais mon coeur te regarde.
V. t/AlKÉ DES PETITS-FILS.
Ce que tu fais, ce que tu dis, J'en ai bonne mémoire,
Tu seras mon temps-jadis,
Et ma plus belle histoire.
Sur la troupe au grand-père Il me bourre quelquefois, Mais qu'y voulez-vous faire?
Yt. LE BOEUF.
C'est moi, le Bœuf Louange et paix Sur la troppe au grand-père
È me Mrrc gMô~M~ vaix,
Més qu'y voillive /ëre ?
Vn. LE MOUTON ET LA CHÈVRE.
Dansons dansons cabre et mouton, Des pieds et de la tête,
Dansons vite un rigodon
Pour celui que l'on fête.
VIII. LE COQ ET SA BANDE.
Il dort, ou bien s'en est allé.
Allons coq et poulaille
A la grange, aux chars de blé,
Allons guerre et bataille
!X. LE CHIEN CASTOR ET LE CHEVAL DRAGOK.
Castor suit pas à pas Dragon,
Au labour, à l'étable
Ami sûr, vrai compagnon
Ce n'est point une fable.
X. LES CANARDS.
Tu nous as souvent malmenés,
Malin malin grand-père
Nous parlons, dit-on, du nez;
Mais qMOMd? c'est notre affaire.
XI. LA GROSSE
Eh bon! hon hon dirait-on pas? Hon je suis belle ronde.
Hon bon bon quand on est gras, On tient sa place au monde.
XU. LE PETIT TONNEAU.
Tin tin tonnelet se réduit.
Qu'il est maigre et sonore? ¥
Mais, quoiqu'il fasse grand bruit, Il n'est pas vide encore.
XIII. L'mRONDEH.E
Je suis venue en ma saison, Volant à tire d'aile
Pour me!cr à la chanson Gazouillis d'hirondelle.
XIV. LE VIEUX HÊTRE.
Et moi, l'aïeul de ces forêts,
Pour lui, mot, le vieux hêtre, J'ai de l'ombre, j'ai du frais, J'ai des rêves peut-être.
XV. LA FONTAtNE DEVANT LA MAISON. Comme sa vie, à petit bruit,
S'écoule mon onde
Un flot tombe, un flot le suit, De la source profonde.
XVt. LA FLEUR DB LA GItAN&'MÈRB, AU <ARDM.
C'est pour elle que je fleuris, Au jardin, sans alarmes,
Pour elle que je souris
Pour elle, au cœur de larmes.
XVII. LA FLEUR DE LA TOMBE.
Hé!as j'ai dû fleurir aussi. Et dois fleurir encore,
Avant d'être, loin d'ici,
Fleur d'éternelle aurore.
XVIII. !ABE!LLER (le rucher).
L'abeiller compte maints hivers Mais toujours il bourdonne
Monsieur le faiseur de vers
Le sait mieux que personne. XIX. LE BONNET DE LA FETE.
Petit bonnet, bonnet tout rond, Sur cette tête grise,
Bonnet campé sur ce front Je combattrai la bise.
XX. LE MOINE DU LIT.
Parlez-moi d'un bon lit bien chaud Car, sans être chanoine,
En hiver, ce qu'il lui faut,
C'est le moine le moine
XXt. LA PETITE FLAMME DU FOYER.
Me balançant sur le brasier, Sans fumée, en silence
Moi, la flamme du foyer, Pour lui je danse, danse.
XXtt. LA MAISON.
Jusqu'au toit monte la chanson De fête et de veillée;
Et moi, la pauvre maison, J'en suis toute égayée.
Chantez, chantez un air bien vieux, Un air doux et prospère,
Chantez tous, à qui mieux mieux, Chantez pour le Grand-Père 1
n
PIMPON DE ROSE
Chanson pour les jeunes mères seulement.
Sur)'«ir<:nfMt!x:KmyonderM<
Pimpon de rose,
En tablier tout blanc
Bouche mi-close
Et petit œil brillant;
Les bras tout ronds
Pieds fanfarons!
Nous danserons;
Nous chanterons! 1
Pimpon d'or!
Les clochettes,
Les musettes
Dansez, chantez, dansez, follettes
Pimpon d'or
Danse, chante, et danse encor!
Pimpon de rose,
Sorti de la maison,
Court et se pose
Sur le plus fin gazon. La douce voix
Le doux minois
Allons au bois.
Tenons-nous droits.
Pimpon d'or
Alouettes,
Et fauvettes
Dansez, chantez, dansez, follettes! Pimpon d'or
Danse, chante, et danse encor Pimpon de rose
Dort en son nid de fleur, La douce chose
Nid formé d'un seul cœur, Maman deçà
Papa delà
Puis il s'en va
Or, écoutez, vous donc, petits enfans
Or, écoutez, vous donc petits enfans S'il en est de grands,
Sautant déjà.
Pimpon d'or
Bergerettes,
Et fleurettes
Dansez, chantez, dansez, follettes Pimpon d'or!
Danse, chante, et danse encor
III
LA CLEF DES CHAMPS CHANSON-FÉERIE
on dolvate·4u3t Gouple'" ot eu dix iabloaus.
(Se chante et ne se lit pas.j
Variations sur lo thème
Dans ce p't4t W d aavez-voua oe qu'il y a?
DÉDICACE.
S'il en est de grands,
De grands enfans d'amour, mesdames, S'il en est de grands,
Laissons-les rire à nos dépens.
t
LA FUITE
Dans not' verger savez-vous ce qu'on voit? (bis) Not' maison tout droit, (bis)
Au droit chemin d'amour, mesdames,
Not' maison tout droit,
Not' p'tit' maison et son. vieux toit.
Dans cett' maison savez-vous ce qu'on voit? Mettez que ce soit,
Qui que ce soit d'amour, mesdames,
Mettez que ce soit
Un p'tit garçon d'amour adroit.
Ce garçonnet, que voit-il en dedans?
La clef de céans,
Un' p'tite clef d'amour, mesdames,
La clef de céans,
Un' p'tite clef, la clef des champs.
Tournant la clef, que voit-il au grand jour? H voit une cour,
Un' p'tite cour d'amour, mesdames, H voit une cour,
Un' p'tite cour, un mur autour.
Dans cette cour, savez-vous ce qu'il fit? I! fit deux cabri.
Cabrioles d'amour, mesdames,
II fit deux cabri.
Deux cabrioles, c'!a suffit.
Cabriolant, qu'ajoute-t-il hélas?
Un pas, puis un pas,
Un petit pas d'amour, mesdames,
Un pas, puis un pas,
Un petit pas d'amour, tout bas.
Il
LE CRI D'ALARME
Ce petit pas, qui le voit sous les cieux? Nul qu'un petit vieux,
Qu'un p'tit vieux coq d'amour, mesdames, Nul qu'un petit vieux,
Qu'un p'tit vieux coq, de ses bons yeux.
Que dit le coq en le voyant ainsi ?
I) demande: Qui?
Quiqueriqui d'amour, mesdames,
Il demande: Qui?
Qui? qui, morbleu, s'enfuit d'ici?
Du mur qu'fait-il au coq qui reste au nid? Il lui fait la ni.
La p'tit' nique d'amour, mesdames,
II lui fait la ni.
La niq' d'amour, et te honnit.
Dix doigts de nique, hélas, c'est un peu fort J'en tombe d'accord,
Un p'tit accord d'amour, mesdames J'en tombe d'accord,
Mais le coq n'en tomba pas mort.
III
LE NID
Narguant le coq, et sautant comme un daim, Il voit un jardin,
Un p'tit jardin d'amour, mesdames,
Il voit un jardin,
Un p'tit jardin d'amour badin.
Dans ce jardin dites ce qu'il verra Il voit un p'tit rat,
Un p'tit rameau d'amour, mesdames, Il voit un p'tit rat,
Rameau d'amour prospérera.
Sur ce rameau que voit-il, parlez donc! Un p'tit nid tout rond,
Un tout p'tit nid d'amour, mesdames, Un p'tit nid tout rond,
Un p'tit nid de plume et de jonc. Dans ce p'tit nid, que voit-il là de neuf? Jt voit un bel œuf,
Un beau p'tit œuf d'amour, mesdames Il voit un bel œuf,
Un beau p'tit œuf d'amour, tout neuf. Mais ce p'tit œuf, en dedans qui le mord? Un p'tit bec très-fort,
Un tout p'tit bec d'amour, mesdames, Un p'tit bec très-fort,
Un tout p'tit bec d'amour qui sort. Après le bec, qui vient, qui prend son vol ? C'est un fin p'tit cot,
Un un p'tit col d'amour, mesdames C'est un fin p'tit col,
Un fin p'tit col d'oiseau tout fol. IV
LE COURSIER
Tendant le. col ouvrant le bec, l'oiseau,
Ouvre aussi, tout beau,
Ses p'tit's ailes d'amour, mesdames,
Ouvre aussi, tout beau,
Ses p'tit's ailes dans l'air nouveau.
Ailes en l'air, que dit-il à l'enfant?
I! dit en son chant,
En son p'tit chant d'amour, mesdames,
H dit en son chant
Frère, tu n'as pas l'air méchant.
» Non, point méchant! mais un peu fol je croi. » Si tu veux, ma foi
» Par ma p'tit' foi d'amour, mesdames,
» Si tu veux, ma foi
» C'est dit, je t'emmène avec moi.
» C'est dit, c'est fait! Comme tu n'es pas gros,
» Par monts et par vaux,
» C'est vot' chemin d'amour, mesdames, » Par monts et par vaux,
» Je vais t'emporter sur mon dos. » Sur son dos, vite, il n'en fait un ni deux, D'un élan joyeux,
Un p'tit étan d'amour, mesdames,
D'un élan joyeux,
L' voilà qui monte dans Les cieux.
V
LA TOUR D'AMOUR
Il monte, il monte, et si haut il monta Qu'une tour déjà,
Un' p'tite tour d'amour, mesdames,
Qu'une tour déjà
Ne lui semblait plus qu'un iota.
Plus qu'un iota! quoiqu'elle eût, les passant, De pieds plus d'un cent,
Cent petits pieds d'amour, mesdames, De pieds plus d'un cent,
Cent pieds de marbre éblouissant.
Cent pieds de marbre! une autre en compte autant D'ivoire éclatant,
Vos p'tits éclats d'amour, mesdames,
D'ivoire éclatant;
Mais il s'en va toujours trottant.
Toujours trottant, il découvre à la fin
Une tour d'or fin
De ce p'tit or d'amour, mesdames,
Une tour d'or fin
Que son coursier regarde en vain.
Son coursier passe, alors il tourne à dià Vers la tour du Dia.
La tour du Diamant, mesdames,
Vers la tour du Dia.
Où son coursier lui dit holà
VI
L'AIR EN SI BÉMOL
Sur cette tour il entendait ainsi Chanter la sol si
Un petit si d'amour, mesdames, Chanter la sol si
Un petit si, couci-couci.
Quand c'petit si se fut mieux éclairci,
H disait:–((Cher si.
» Cher p'tit sire d'amour, mesdames, » Il disait: ((Cher si.
» Cher p'tit sire d'amour transi.
» Si, disait-il, si, si tu sais aimer,
» Si faut-il fermer
» Fermer la tour d'amour, mesdames,
» Si faut-it fermer
» Sur toi la tour, et me charmer. )'–
Mais qui charmer? qui se montre à demi? C'était un p'tit mi.
Un p'tit minois d'amour, mesdames,
C'était un p'tit mi.
Un p'tit minois, point endormi.
Ce p'tit minois avait de blonds cheveux, Avec de p'tits yeux,
De grands p'tits yeux d'amour, mesdames, Avec de p'tits yeux,
De grands p'tits yeux d'amour, tout bleus. « -Viens! disait-il, quand l'autre s'approcha, » Viens! sois mon p'tit chat,
» Mon p'tit chagrin d'amour, mesdames, » Viens! sois mon p'tit chat,
» Mon petit chat, mon p'tit pacha.
» Mon p'tit pacha, tu seras mon destin, )' Et moi, ton lutin,
» Un p'tit lutin d'amour, mesdames,
» Et moi, ton lutin,
» Ton p'tit lutin d'amour mutin.
» Ton p'tit lutin du matin jusqu'au soir, » Mais sans nul trait noir,
)) Vos p'tits traits noirs d'amour, mesdames, » Mais sans nul trait noir;
» J'en fais serment par mon miroir.
)) J'en fais serment, je t'aimerai d'amour. » De même, à ton tour,
» A vot' p'tit tour d'amour, mesdames, » De même, à ton tour,
» Un an va te paraître un jour. »
vn
LE JAMD)i\ DES POMMES D'OR
Trois ans trois jours, notre amoureux garçon Vécut en prison
En p'tit' prison d'amour, mesdames, Vécut en prison,
Prison d'amour, point de rançon.
Trois ans trois jours mais le matin suivant, Il était rêvant,
Rêvant d'un autre amour, mesdames, Il était rêvant,
Rêvant d'amour, le nez au vent.
Le vent le prit et l'emporta soudain
Dans un autr' jardin,
Nouveau jardin d'amour, mesdames, Dans un autr' jardin,
Le jardin d'amour est sans fin.
Vaste jardin, car c'est celui de l'Air, Jardin que l'éclair,
Le moindre éclair d'amour, mesdames, Jardin que l'éclair
Laboure mieux qu'un soc de fer.
Jardin montant et qui n'est pas très-sûr, Sans tours et sans mur,
Sans un p'tit mur d'amour, mesdames, Sans tours et sans mur,
Sinon bâtis de fin azur.
Jardin planté (pour vous le peindre encor) Planté d' pommes d'or,
De p'tit's pommes d'amour, mesdames, Planté d' pommes d'or,
Planté d'étoiles, son trésor.
Son beau trésor, ah! mais qu'il faut souu'rir Pour le conquérir,
Un' p'tit' conquêt' d'amour, mesdames, Pour le conquérir,
Un' p'tit' heure avant de mourir.
Un' p'tit' heure on aura sur le front, Après maint affront,
Maints p'tits affronts d'amour, mesdames, Après maint affront,
Une étoile pour chaperon.
Ce chaperon fait suer sang et eau;
Mais on s' croit si beau,
Beau comme un p'tit amour, mesdames, Mais on s' croit si beau,
Qu'on y peut bien risquer sa peau.
VHI
LEFAfiTOME
« Ne risquant rien l'on n'a rien. A ce mot, Il part au galop,
C'p'tit galopin d'amour, mesdames,
Il part au galop,
Le vent lui prêtant son chariot.
Chariot qui fait belle course au clocher, Et dont le cocher,
Un p'tit cocher d'amour, mesdames,
Et dont le cocher
Sur le siège vient se percher.
Mais quel cocher Un long fantôme bleu, Qui lui dit « Mossieu
» Mon p'tit mossieu d'amour, mesdames, Qui lui dit « Mossieu,
» Vous voulez donc jouer gros jeu.
» Le jeu du vent, de la gloire et du bruit, » De tout ce qui luit,
» L'amour, c' p'tit ver-luisant, mesdames » De tout ce qui luit
» Mais pour retomber dans la nuit.
» Dans la nuit donc votre nom briuera "Faites votre pas,
» Vot' patatra d'amour, mesdames,
» Faites votre pas,
» Vot' patatra retentira.
» Retentira chez nos derniers neveux )).« Eh bien, je le veux,
(C'est le p'tit mot d'amour, mesdames,) » Eh bien, je le veux »
Dit notre jeune aventureux.
IX
LESAUTPÉMLLEtJX
Aventureux car la nue aussitôt
Lui fait faire un saut,
Un beau p'tit saut d'amour, mesdames, Lui fait faire un saut,
Un saut en bas, un autre en haut.
De bas en haut, l'éclair de même aussi Au corps l'a saisi,
Par son p'tit corps d'amour, mesdames, Au corps l'a saisi,
Q' son p'iit corps en est tout noirci.
Et tout noirci, l'éclair l' lance si haut, Qu'il en rest' tout chaud,
Tout chose (on l'est d'amour, mesdames), Qu'il en rest' tout chaud,
Tout chose, et sot bien comme il faut. Bien comme il faut le voilà, d'un seul bond, Qui saute au plafond,
Un plafond d' p'tits amours, mesdames, Qui saute au plafond,
Au plafond du ciel vaste et rond.
Vaste plafond d'azur tout lambrissé,
Et tout rehaussé,
Tout rehaussé d'amour, mesdames,
Et tout rehaussé
De p'tits clous d'or,–je l'ai pensé.
x
LA BONNE ÉTOILE
« Je l'ai pensé, » me dites-vous d'abord Mais que fit encor,
Encor c' p'tit bout d'amour, mesdames, Mais que fit encor
Un' p'tite étoite aux cheveux d'or?
D'un d' ses cheveux, rayon le plus subtil Elle tresse un fil.
Un p'tit filet d'amour, mesdames,
Elle tresse un fil.
Filet d'amour sans nul péril.
De ce filet., parmi les airs cherchante Elle va pêchant,
A la p'tit' pèch' d'amour, mesdames, Elle va pêchant
Not' p'tit voyageur trébuchant.
H trébuchait, son corps en deux plié, Pendant à moitié,
Une moitié d'amour, mesdames,
Pendant à moitié,
Ne sachant plus où mettre pie.
Mais par le pied voilà qu'il se sent pris Comme une souris,
Un' p'tit' souris d'amour, mesdames, Comme une souris
Qui trotterait dans les lambris.
Des hauts lambris du ciel au loin voûté, L'étoile a jeté,
D'un bon p'tit jet d'amour, mesdames, L'étoileajeté
Son p'tit filet tout argenté.
Filet d'argent, qu'elle retire à soi,
Et tout en émoi,
En p'tit émoi d'amour, mesdames,
Et tout en émoi,
Elle ajouta « Prends garde à toi » Prends garde à toi retourne en ta maison. » C'est une leçon,
» Un' p'tit' leçon d'amour, mesdames, » C'est une leçon
» Et ta mère en a le frisson.
» Ta pauvre mère, elle pleure là-bas, » Et te tend les bras,
» Les meilleurs bras d'amour, mesdames, » Et te tend les bras
» Cours t'y jeter, ne tarde pas. »
Et sans tarder lui prêtant un rayon
Ce léger wagon,
Léger wagon d'amour, mesdames,
Ce léger wagon
L'a déposé sur le gazon.
Sur le gazon quand il s'est retrouvé,
H dit: «J'ai rêve!)) »
Un p'tit rêve d'amour, mesdames,
Il dit « J'ai rêvé,
» Rêvé tout ce qui m'est arrivé.
xRévé. pourtant! mais si, mais oui, rnais non! ))Révé. pourtant! mais si, mais oui, mais non! » Ma mère, oh pardon
» Ma mère, oh pardon » »
Un p'tit pardon d'amour, mesdames
« Ma mère, oh pardon ))
Et c'est la fin de la chanson.
LA RECHERCHE
Je m'en allais triste et dolent,
La voix de mon coeur me parlant, Cherchant toujours, toujours allant. Mes pas, mes pas
S'en vont toujours, n'arrivent pas! Je regardais, sombre ou dormante La mer humaine, et sa tourmente, Soit qu'elle rie ou se lamente.
Mes yeux, mes yeux,
Quand verront-ils ce que je veux Oh! la beauté lys de blancheur; OEil du matin dans sa fraîcheur; Premier printemps, première fleur Mes pas, mes pas
S'en vont toujours, n'arrivent pas.
Elle sourit, et sur sa trace
Tout est rayon, sourire et grâce,
Eclair charmant. qu'un souffle efface Mes yeux, mes yeux,
Quand verront-ils ce que je veux 1
Sur le plus haut des pics déserts Je suis monté, mais dans les airs Montent toujours les cieux ouverts. Mes pas, mes pas
S'en vont toujours, n'arrivent pas. Là, j'ai beau suivre, en ma démence, Oh de la vie oh chaîne immense Ce qui finit et recommence. Mes yeux, mes yeux
Quand verront-ils ce que je veux! 0 toi, pourtant, qui le promets, Quand trouverai-je ces sommets Où l'on demeure pour jamais Mes pas, mes pas
S'en vont toujours, n'arrivent pas. Lumière encore inaccessible
Seul rayon vrai, fixe et paisible Oh quand verrai-je l'invisible
Mes yeux, mes yeux,
Quand verront-ils ce que je veux En vain tes yeux, toujours cherchant, Ont vu l'aurore et le couchant,
L'étoile au ciel la fleur au champ Tes pas, tes pas
S'en vont toujours, n'arrivent pas. Mais dans ton coeur regarde, écoute! Je suis la voix, je suis la route;
C'est là suis-moi mais point de doute Tes yeux, tes yeux
Verront alors ce que tu veux.
Sois attentif! regarde bien!
T'ai-je jamais failli sur rien?
Mais loin de moi, sans mon soutien, Tes pas, tes pas
S'en vont toujours, n'arrivent pas. Devant toi j'ôte ou mets l'obstacle C'est là le simple et juste oracle
De tous les jours c'est le miracle
Tes yeux, tes yeux
Voient déjà là ce que tu veux.
DANS LE SILLON
AVEC MON PÈRE
Quelle est ta pensée, ô mon père, A ton labour, par ce beau temps? Vivre est si doux et de la terre Les cieux même ont l'air si contens. Dans leur sourire elle est bercée, Tout le réuète autour de soi. Mon père, quelle est ta pensée
Dans le sillon où je marche avec toi.
Sous ta main ferme se balance, La charrue au rude éperon,
Qui mord le soi, part et s'élance Comme l'esquif sous l'aviron. Vaillans héros du labourage,
Sous le joug, leur force, et ta toi,
FROMENT, LioN font plus d'ouvrage, Dans le sillon quand je marche avec toi.
Ainsi cheminant côte à côte, Au bout du champ nous parvenons, Et, reprenant sans point de faute, A l'autre bout nous retournons. Sentier béni route prospère! Point d'abîme, de vague effroi Mon plus beau voyage, ô mon père,
Dans le sillon quand je marche avec toi Mon enfant, je pense au Qui vive
De la sentinelle du port
Où chacun, pour gagner la rive, Boit l'onde amère de la mort. Ton voyage à peine commence, Ton jour se lève; mais, pour moi, Je pense à l'ombre qui s'avance
Sur mon sillon, où je marche avec toi. A ce beau jour qui dit Espère A ce soleil brillant et doux
Souris pourtant, souris, mon père, Comme le ciel penché sur nous.
Dans nos cœurs et de monde en monde
Dieu sème la vie et la foi.
Crois-en ce bonheur qui m'inonde, Dans le sillon quand je marche avec toi. Eysins, 1839.
EPILOGUE
Ainsi disais-je; et puis vint l'age;
Et des )ors le soir a bruni
Mon sillon pauvre labourage!
Celui de mon père est fini.
Mais aux champs d'éternelle aurore,
0 mon pcre, je te revoi,
Et là je me retrouve encore
Dans un sillon où je marche avec toi.
Paris, i83~t.
LE CLAIR DE LUNE
ne'plenitunii seront Pant<'
AM'"Ccci)eC'"
Qui ? moi, que je redise encore
La lune en son plein radieux,
Jouant sur la plage sonore
Avec le flot mélodieux
Pour vous, pour ce front qui rayonne, Elle est à son plus haut sentier;
Mais pour moi, que l'ombre couronne, Elle est à son dernier quartier.
Pour vous, des nuits elle est la reine, Déesse au virginal essor,
Dansant à la clarté sereine
Avec ses soeurs aux cheveux d'or. Pour moi, c'est une vieille fée,
Passant le soir au coin des bois
Et d'une voix lente, étouSëe,
Murmurant des mots d'autrefois." De la feuille pâle et jaunie
Elle est coiffée, et ce rayon
Dont or. dirait qu'elle s'appuie,
Est sa baguette, son bâton.
Comme un voile, à son front qui penche Un iong nuage s'est fixé
H y creuse une ride blanche
Sillon stérile du passé.
Elle me dit pourtant des choses
Douces au cœur; oui, je l'entends Qui mêle à mes pensers moroses
Les images d'un heureux temps!
Avec elle je vois descendre
Sur les croupes des monts en fleur, Tant d'être chers, au regard tendre, Que je n'ai plus que dans mon coeur.
Ils ont, durant les nuits pensives, Ses blancs rayons pour blancs linceuls Et sur le lac joignant les rives,
Son chemin d'or, fait pour eux seuls. Amis, parens, mon fils, mon père Celle qui les reçut ici,
Du pauvre enfant seconde mère,
Et que mes yeux pleurent aussi;
Une autre encor, non moins absente De son hospitalier manoir,
A la lumière blanchissante
M'apparaissent ainsi le soir.
Ils me regardent, ils me disent
Ce que la mort ne peut ravir;
Et dans leurs yeux mouillés qui luisent, Je sens mon printemps reverdir.
Sur la grève ou sur la montagne, A leurs côtés je vais m'asseoir;
Mon doux enfant les accompagne, Et bat des mains de me revoir.
H découvre des fleurs si belles
Il les rapporte triomphant,
Et me les montre, puis à celles Qui l'accueillirent tout enfant.
Elles répondent d'un sourire
Dont les cieux sont tout éclairés, Comme au jour qui viendra nous dire « Vous ne serez plus sépares. » Et ce sourire, aube divine,
Courant dans les airs argentés,
Glisse de colline en colline
Jusqu'à ceux qu'elles ont quittés. Mon père les suit en silence
D'un oeil serein et cordial.
Leur troupe ainsi monte et s'étance, Nous saluant du haut du val.
Et là des cimes vaporeuses,
Prenant le lumineux chemin
Qui mené aux plages bienheureuses, Ils s'en vont, se donnant la main. La lune alors, l'antique fée,
Relève un front plus indulgent.
Je t'aime encore ainsi coiffée
Avec ses longs cheveux d'argent.
Elle me semble aussi renaître,
Comme moi, d'un passé lointain,
Et, comme moi, se reconnaître
Aux lieux qu'elle a vus le matin.
Enfin sur l'onde qui l'appelle
Elle glisse d'un pas si doux,
Que je la revois jeune et belle.
N'est-ce pas la voir comme vous?
Bury,prèsC)arc))s,
aoùt~8S2.
LES ANIMAUX MALFAISANS
AnMnfibEdouan)
Mon enfant, la forêt profonde
Nous entoure de toutes parts,
Vaste forêt couvrant le monde,
Pleine de loups et de renards.
Vois-tu briller parmi les branches,
Comme un éclair. regarde bien! Briller dans l'ombre ces dents blanches. Où, mon père?. où?.. je ne vois rien. Tu ne vois pas ces loups qui rôdent, Guettant l'agneau dans le ravin,
Ni ces renards qui toujours fraudent L'œi) du limier, tant soit-il fin
Tu ne vois pas dans sa malice
Avec son poison pour tout bien,
Cette vipère qui se glisse
Où, mon père?. où?. je ne vois rien. Mais là tu vois, là, qui circule,
Cette fouine au hardi museau,
Faisant main basse, sans scrupule Au jeune nid d'un pauvre oiseau?
Qu'il était gai, sous la feuillée,
Des bois l'aimable musicien,
Chantant dès l'aube à la veinée
Où, mon père?. où?. je ne vois rien. N'entends-tu pas l'atroce rire
D'une hyène sur les tombeaux?
Le crocodile qui soupire,
Comme l'enfant, dans ses roseaux? N'entends-tu pas au moins la pie
Qui se dit bon historien,
Et pense faire une œuvre pie?..
Où, mon père?. où?. je ne vois rien. Eh bien, tu ne tarderas guères.
Hétas trop tôt tu comprendras
Les sots et les méchants vulgaires
Les petits, les grands scélérats.
Combien de gueules pantelantes
Libres, sans cage et sans lien,
Qui manquent au Jardin des Plantes! Où, mon père?. où?. je ne vois rien.
OH LA LA!
Oh!à!à!ten]a)heurm'arrive.
A vingt ans qui m'eût dit cela?
Le sort fait donc de ces tours-là Sans crier gare ni qui vive
Oh là là
Palais, chaumières, champs et villes Ont l'habitude de cela
Passez par-ci, passez par-là
Sur vous il pleut, il pteut. des tuiles. Oh là là
Je ne veux du mal à personne.
Si j'en dis gros comme cela,
Je m'en repens; je suis bon là
Sur moi la gré)e aussi résonne.
Ohtàia!
Riche de quelque idée en tête,
D'un peu d'argent outre cela
Je suis pris pour dupe. et voilà Mais par un monsieur fort honnête. Oh là là
D'un ami je faisais ma joie.
Je lui disais ceci, cela
Tout. Mais j'apprends que là, puis là, De sa langue j'étais la proie.
Oh là là
J'en eus un autre il était triste, D'autant plus aimé pour cela.
Quand je lui dis « Viens m'aider là » Il répondit « Que Dieu t'assiste » Oh là là
J'avais rêvé de grandes choses,
Un beau livre, mieux que cela!
Mais tout s'en va de ça, de là
Couronnes de chêne et de roses.
Oh là là
Et cependant le jour plus pâle
Semble dire comme cela
)' Adieu! je pars, je vais par là » Où tu viendras, où tout s'exhale. Ohtà!à! 1
Méchanceté, sottise, envie,
Rires et pleurs sur tout cela
On nomme donc ce beau jeu-là Le jeu du monde et de la vie i
Oh là là
A MADAME DE S.
En lui envoyant les C/tfttMons foitttot'ncs.
Allez, Muse légère, et n'ayez point de peur! Je le sais votre voix n'est qu'un filet à peine, Un filet d'eau qui chante au détour de la plaine, Suivant à petits pas son petit bord en fleur. Vous n'avez ni l'éclat ni l'accent d'une reine; Le teint hà!é, pieds nus, au gré de votre humeur Vous marchez, vous rêvez et, la chose est certaine, Vous dites beaucoup trop ce qui vous pèse au cœur. Allez pourtant car celle à qui je vous adresse A souffert comme vous, en a mieux profité Son sourire n'a rien d'amer en sa tristesse Que d'indulgence unie à la sincérité
Que d'âme en son esprit, de charme en sa bonté! C'est l'aimable rayon sans aucun trait qui blesse.
AUTRE ENVOI
A M. Mesure
Voulez-vous donc, Ami, que je vous donne Ce peu de miel que j'ai pris ce matin Sur une fleur au calice argentin,
Coupe d'abeille où sa chanson bourdonne? La fleur croissait au bord d'un mont lointain. Mais, sur la pente effeuillant sa couronne, Le vent du soir l'emporte, et tourbillonne Elle eut son jour, elle a notre destin. Son miel pourtant, aux ailes de ta rime, Sonore abeille eu haut prenant l'essor, Trompe l'espoir du dévorant abîme.
Je vous l'envoie. Oh! que n'est-il tout d'or, Tout imprégné des parfums de la cime! Mais c'est le vôtre, Ami, qu'un tel trésor.
A MADAME MA FEMME
Si vous étiez, Madame, et moins belle et moins Sère Si vous aviez des yeux moins noirs, moins pénétrans, Un front moins couronné de tranquille lumière, Un moins simple maintien, des airs plus conquérans; Si vous aviez reçu, de moins pure matière, Cette beauté moins haute, aux secrets bien plus grands, Où l'art vient au secours de nature ouvrière Et, comme les habits, fait les corps différens; Si votre esprit de feu ne pouvait tout prétendre; Si votre cœur était moins profond et moins tendre; Si le bonheur qu'il donne était moins vif, moins doux, Vous ne me verriez pas noir, maussade, jaloux, Dur, méchant même enfin, dut-on me mener pendre, Incapable d'aimer aucune autre que vous.
CLAIRETTE.
Clairette, vous me permettez
De vous traiter comme ma fille De vous dire vos vérités
Comme un vieux grondeur de famille. Eh bien, je vous dirai d'abord
Que vous êtes beaucoup trop franche c Votre pensée a ce grand tort
D'être toujours en robe Manche. Pourquoi ne feignez-vous jamais? Est-ce le tout d'être discrète ?
Mentir vous ferait peur eh mais, Chacun ne ment-il pas, Clairette? On ment de la langue et des yeux, On ment de la voix et du geste. Le mensonge est si gracieux
Rien de si gauche qu'un Atcestc
Composez donc votre maintien C'est le grand art, le don suprême. On ment aux autres pour un rien; En tout, on se ment à soi-même. Ensuite, vous vous figurez
Le savoir une grande affairé
La grande affaire vous verrez, Clairette, c'est le savoir-faire.
Le moindre livre vous sourit,
Jaune, gris, bleu, les vers, la prose; Mais nulle feuille où l'on écrit, Ne vaut une feuille de rose.
Vous voudriez faire le tour
De la science et de l'histoire.
La Fontaine l'a dit un jour
« Tout ceta, c'est la mer à boire. 1) Vous aimez aussi les oiseaux,
Et toute espèce de musique,
Excepté ces grands airs nouveaux, Qui n'auront jamais rien d'antique. A ces morceaux tout brillans d'art, 29
Mais où l'idée est fort prudente, De Beethoven et de Mozart
Vous préférez le moindre andante Hsende! et Haydn sont vos amis. Allons! je vous te dis sans voiles C'est aimer, est-ce bien permis Le chant des fleurs et des étoiles. Vous allez même jusqu'au Bach C'est du vieil or pur que ses fugues; Mais sur le nom jugez du sac
Autant vaudrait s'appeler Hugues. Quelle idée encor, vers le soir,
D'aller, l'âme en paix et rêveuse, Sous les grands ormes vous asseoir, Avec la mousse pour causeuse Ou le matin dans les halliers,
En jeune biche reposée,
De ne craindre pour vos souliers L'herbe haute, ni la rosée
Ou bien, à toute heure du jour, Cherchant quelque fleur buissonnière,
De courir faire un petit tour
Au moins dans la genevrière
Avouez-le, n'ètes-vous pas
Assez folle, quand tout sommeille, Pour essayer d'ouïr tout bas
Ce chant qui n'est pas pour l'oreille? Quand tout s'efface à l'horizon, La nuit, sous ce grand ciel paisible, Il vous semble être en la maison Du Père et du Chef invisible.
La vallée où nous marchons tous, Pour vous est celle du mystère Vraiment, Oairette, y pensez-vous? Mais il fait grand jour sur la terre Ainsi, vous êtes, en un mot,
Trop sérieuse ou trop naïve.
Le monde est léger, triste ou sot Comme il vit il veut que l'on vive. Le clair ruisseau qui, dans les prés, Fait maint détour dont il s'amuse, Vaut-il des flots droits et serrés Se rengorgeant dans leur écluse?
Une abeille, en sou vot ta;:er,
Qui va, qui vient, et qui ti'avaiiie, Vous plaît mieux, j'en voudrais gager, Qu'une guêpe à la fine taille.
Dans tout cela, le compte est clair, Laissant à d'autres le solide,
Vous faites des rêves en l'air,
Tandis qu'ils en font dans le vide. J'ai vu l'oiseau, de ses chansons S'égayant seul, de branche en branche; J'ai vu la fleur, dans les buissons, Riant sous sa corolle blanche;
J'ai vu, cachée au fond des bois, Une source aimable et secrète,
Et c'est ainsi que je vous vois,
Mais c'est votre faute, Clairette.
Pour M"" Caroline et Thérèse Olivier, à Givrins, en Suisse.
Il est encor de par le monde
Un vieux berger, nommé Damon Qui de son troupeau fait la ronde, Mais ne lui fait pas de sermon Petit troupeau, toute sa joie,
Sa douce peine et son bonheur,
Qu'il conduit, non d'un fil de soie, Mais bien d'un fil secret du cœur. I! voit au loin sur la montagne, Toujours grimpant sans y songer, Trop haut pour qu'il les accompagne, Deux chevrettes au pied léger.
DAMON
Du regard ou de la pensée,
Jamais de vue il ne les perd;
Même en marchant tête baissée,
Il les suit d'un œi! très ouvert.
L'une, petite, à tête brune,
Se glisse dans tous les buissons,
Et s'y faufile que pas une
N'y met de plus gentes façons.
Elle en ressort tout inondée
De feuillage aux mille senteurs
Ainsi, du moins, dans son idée, La voit Damon sur ces hauteurs. L'autre, plus grande, et moins folâtre Mais t'œit aussi bien éveilié,
Debout sur la roche grisâtre,
Ou sur le fin gazon mouillé
De la petite fait la garde,
Tout en pensant au vieux Damon Resté là-bas, qui les regarde,
Les mains jointes sur son bâton. A ses genoux, couché par terre,
Son chien regarde aussi là-haut Ce que te maitre considère, <
Le devinant, ou peu s'en faut; La panetière, peu dodue,
Contient du pain et quelques noix, Et la musette, détendue,
N'a plus qu'un seul filet de voix. Pauvre musette à son aurore, Ces bois en ont aimé les sons;
Damon lui-même en tire encore Par-ci par-là quelques chansons. Et sur le buis, sans qu'il y pense, Voilà ses doigts tous à leur rang, Et son coude presse en cadence L'outre sonore au vaste flanc.
Sa voix tantôt monte ou s'abaisse, Semble se taire, et de nouveau C'est une onde qui passe, et laisse Passer après tout le ruisseau.
Les deux chevrettes, qui l'entendent, Lèvent la tète à ce signal.
De la montagne elles descendent Par !es rochers ceignant le val. Et lui toujours enflant sa joue Plus il les voit se rapprochant, Plus il s'anime, et mieux il joue, Mêlant un sourire à son chant. Mais il sourit comme en un rêve Qui détache l'âme du corps,
Et qui vous porte et vous soulève Au sein d'harmonieux accords. Au lieu donc de ses deux gazelles Il voit venir à ses pipeaux,
Non moins folâtres demoiseMes, Deux bergères en grands chapeaux. Immobile, l'aînée écoute
Le chant, d'un air plus attendri, Et son regard vous laisse en doute .S'il se mouille ou s'il a souri.
Mais la petite, d'un fou rire,
Poursuit Damon toujours soufflant, Et de sa barbe qu'elle tire,
Compte avec soin chaque poil blanc.
li la saisit enfin, la place
Sur ses genoux, comme jadis, Et là pour se venger, l'embrasse Deux ou trois fois, et même dix. Mais la musette tombe à terre Au nez du chien, moitié sur lui Et Damon reste solitaire.
Avec le chant le rêve a fui.
Plus de jeunes yeux de gazelles, De pas légers sur le roc nu
Les bergères ont pris des ailes, Tout est parti, rien n'est venu. Si loin, si loin est leur montagne, Qu'une hirondelle, en vérité, Même pour revoir sa compagne, N'irait pas là, d'un jour d'été. Damon, pourtant, fait ce voyage, Sur son bâton joignant ses mains, Plus vite encor que le nuage; On ne dit pas par quels chemins. Mais quelles sont ces deux bergères
Qu'il voit ainsi tes yeux fermés, Lui sur les rives étrangères,
Elles sur les monts embaumés?
Ce sont deux fleurs proches voisines, Dirait un auteur gracieux
Le fait est, qu'elles sont cousines Mais deux sdeurs ne se vont pas mieux. Et ce Damon ?. demande un autre, Peut-être même vous, lecteur.
Eh bien, c'est le serviteur vôtre, Que dis-je! c'est leur serviteur.
Paris, t8S4.
CHANSONS HISTORIQUES
BALLADES
ET POÈME
LA VIGNE ET LE ROSSIGNOL
LÉGENDE VAUDOISE
A mon fils AloJs
Aux premiers soirs d'automne, en jetant au foyer Le sarment qui le fait un instant flamboyer, Mon père, maintes fois, riant de ma demande, M'a conté cette histoire à la veine romande. Elle est de l'ancien temps, et mon père en savait Beaucoup d'autres ainsi; lui seul les conservait. Que n'ai-je, comme lui, le sens, le sel rustique, Avec le mot pour rire, à ta tournure antique, Et sa bouche parlante et de ses grands yeux bleus Le trait tombant à pic sans rien de sourcilleux!
Malin conteur, mais bon, franc, jovial et tendre, Il disait donc (hélas! je ne puis plus t'entendre) Jadis le Rossignol, tant fût-il damoiseau
Ne chantait que le jour, comme tout autre oiseau. Parcourant tes taittis, ses vertes promenades, Du matin jusqu'au soir il faisait des roulades, Qu'il débitait parfois, sans crainte des sergens, Musicien de passage, à la porte des gens.
S'arrêtant à sa guise en son libre domaine, It chantait son grand air, quand sa voix se démène, Qu'il se fâche, s'irrite, et qu'il semble, à genoux, Etre quelque amoureux, comme nous sommes, nous. C'étaient ces longs soupirs cette plainte qu'il pousse D'une force si tendre et d'une voix si douce, Puis ce fin battement où son bec est si gai Qu'on le dirait une aile.
Or, vous savez qu'en mai,
La Vigne aussi, parfois sans trop consulter l'heure, Prend ses ébats, tandis qu'en avril elle ~!eMfe C'est le mot, et, de vrai, .la,vigne en sa saison, Comme nous, par des pleurs commence sa chanson. Cette première larme où boutonne la vigne, Tient déjà, cependant, de sa liqueur maligne Et bientôt ette en tire, en jets capricieux,
Courant de çà de ta son fil malicieux.
C'est une originale, une fille très belle,
Mais coquette; il est bon d'être en garde contre elle Elle a de ces façons d'attirer les passans, Puis de, leur faire perdre et t'esprit et le sens.
Une nuit que, malgré le plus beau clair dé tune, Le rossignol dormait sans peur ni honte aucune, Car il se couchait tôt, comme un bon ouvrier Qui devance le jour sans se faire prier,
La vigne, cesoir-tà, d'une mouche piquée, Et de son humeur folle encor plus attaquée, Jalouse, ou par caprice ou par semblant d'amour, Se dit qu'au beau dormeur elle joûrait un tour. Rampant le long du bord, la mauvaise s'approche Et, déployant son rets, la voità qui s'accroche Aux branchages touffus, arrondis en berceau Sur le chanteur ailé dormant près du ruisseau. Ecartant doucement les feuilles, la coquette Se glisse, et s'insinue, et l'observe, et le guette, Puis, sûre du moment, laisse couler tout beau Son fil, comme un pêcheur sa ligne au fond de t'eau, Le guide vers le nid à l'étroite embrasure, Le tient d'aplomb, le tord, le replie, et mesure Juste le peu d'espace, et sous l'oiseau dormant,
Gardant de le toucher, finement, finement, Avance le dormeur secoue un peu son aite. Mais sans en retirer son bec ni sa prunelle; Et la traîtresse, enfin, lui passe autour du cou Son long fil recourbé, comme on passe un licou. I! s'éveille, il se tâte, il cherche à l'aveuglette, Veut fuir mais il se sent pris à la cordelette. II se tait; it écoute. et de tout son essor S'enlève mais dans l'ombre on le retient encor. H chante alors, il dit sa chanson la plus belle, Prie, accuse, gémit mais s'en rit la cruette'~ Et de nœuds redoublés, de tout un réseau vert Le nid, comme le maitre, est bientôt recouvert. Le pauvre prisonnier mordit en vain sa cage En vain l'aube éveittà tous les nids du bocage Point de porte! Le jour aUait même baissant, Lorsque la vigne enfin le tint quitté et passant A de nouveaux exploits, toujours folle et rusée, Dressa d'autre côté son piège et sa visée,
Si bien qu'elle s'éprit d'un jeune sansonnet Qui chantait sans rien dire, et qui déraisonnait. Dès lors te rossignol, ne croyant plus en elle, S'en méfie il dort moins pour mieux garder son aile.
Quand la terre est dans l'ombre, et que l'étoile luit, Levant la tête au ciel il chante aussi la nuit. Mon père, maintes fois, riant de ma demande, M'a conté cette histoire à la veine romande.
ADALBERT
ou
LE VIEUX GUERRIER FRANK' t
Assis à sa porte enfumée,
Adalbert, guerrier de cent ans
Se rappelait ses jours d'armée,
Et Charlemagne et les vieux Franks. « Viens lui disait, joyeux et leste, Un enfant, sautillant oiseau
Allons jouer! le temps est beau. )) « Non je te veux conter le reste. ))
«Grand-père, allons jouer sur le préau. )' Le moine de Saint-Gall qui, vers le dixième siècle, a écrit l'histoire populaire de Charlemagne, raconte qu'il tenait ses récits d'un vieux guerrier frank, nommé Adalbert, lequel le prenait, tout enfant, entre ses genoux, pour lui dire ses souvenirs du grand empereur «Mais je m'échappais etj'aimais mieux aller jouer ajoute celui qui nous les a conservés et qui, devenu chroniqueur, se repentit sans doute de n'avoir pas mieux prouté de la mémoire du vieux grognard carlovingien.
« Je te dirai de Charlemagne, De Charlemagne et de Roland, Comme ils allaient par la montagne, La lance au poing, l'épée au flanc. En vain sur nos têtes s'amassent Pics et glaciers, rempart nouveau Au sommet flotte le drapeau. )' « Voilà des papillons qui passent
Grand-père, allons jouer sur le préau. »
<( Nous descendons, peuple innombrable; Sa seule voix fait trembler l'air.
Sous le sapin et sous l'érable,
Partout résonne et luit le fer.
Le fer nos mains le fertilisent;
Plantons le fer sur le coteau
Le fer est notre noir rameau » «Voilà, là-bas des fleurs qui disent
Grand-père, allons jouer sur le préau. » « Je te dirai l'âpre furie
Du géant Cisher-le-Faucheur
Une armée était sa prairie,
Des guerriers, l'herbe à sa hauteur.
«Oh! que de fer! que de fer! ferrum, heu ferrumln ditle chroniqueur en parlant de l'armée de Charlemagne.
Trempé de sanglante rosée,
Dans les noirs greniers du tombeau I! jetait ce foin par monceau. »
« Vois la belle nue embrasée
Grand-père, allons jouer sur le préau.'M « A Rome un cri se fait entendre
GLOIRE ET VICTOIRE A L'EMPEREUR Les vieux morts tremblent dans leur cendre Les vivans meurent de terreur.
Rois et peuples, tous s'agenouillent, Et tous, sous le même niveau,
Baisent l'impérial manteau. »
« Voilà des oiseaux qui gazouillent!
Grand-père, allons jouer sur le préau. ') « Nous irons guerroyer le More, Soulever la terre et la mer,
Dans sa couche éveiller l'Aurore, Et lancer au ciel notre éclair.
Celui que célèbre ma bouche,
Le géant Cisher fauchait les hommes par centaines; quand il attait à la guerre contre les Wendes et les Bohèmes, il en rapportait huit ou dix sur son épaule, « enBtés à sa lance comme des grenouiUettes, disait-il, et murmurant M je ne sais quoi. Ce fut l'acclamation dont le peuple salua Charlemagne a son couronnement.
Brandit en ses mains le Oéau.
Qu'il est terrible qu'il est beau <( Voita le soleil qui se couche! Grand-père, allons jouer sur le préau. »
L'ËVËQUE BERTHOLD
(Historique)
Berthold, évoque de Lausanne, A convoqué tous ses vassaux. Dans le ctoitre aux légers arceaux, Chacun range sa pertuisane. L'évéque pieux et guerrier, Au chœur est encore à prier.
H va partir, il fait le grand voyage Des seigneurs, des serfs et des rois; Jérusalem est son pèlerinage
Berthold a pris la croix.
Aucun retard ne le surmonte.
Il a mis ordre à sa maison,
Ses ennemis à la raison,
Le baron, le duc et le comte. L'AHeman et le Savoyard
Laissent en paix son étendard. Voici le jour, voici l'heure fixée, L'instant appelé bien des fois! Berthold n'a plus qu'une seule pensée,
Berthold a pris la croix.
Ils s'embarqueront à Venise,
Franchissant d'abord monts et vaux. Après maints exploits, maints travaux, Ils verront la Terre-Promise.
C'est aujourd'hui qu'on doit partir; Tous l'ont juré sans repentir.
Ils voient d'ici, de la haute esplanade, Les pics neigeux, les cols étroits, Où montera, demain, leur cavalcade.
Berthold a pris la croix.
Le voilà de sa cathédrale
Qui sort, le regard ferme et doux. Il se met encore à genoux
Sur quelque pierre sépulcrale. Puis il revêt, en son château, Du pèlerin le long manteau.
Sous le portail sa blanche haquenée Hennit; et de briHans pavois
La cour profonde est tout IHuminée.
Berthold a pris la pris la croix. L'évêque s'apprête à descendre, L'oeil toujours grave et recueilli Mais soudain il a tressailli. Quelle rumeur se fait entendre?. On s'empresse inutile effort H pâlit; il tombe; il est mort.
Au jour 6x6 pour ce pèlerinage
Des seigneurs, des serfs et des rois, Dieu le rappelle et pour le grand voyage Berthold a pris la croix.
LE TROUBADOUR DU COMTE PIERRE
(Historique)
Air à compléter, d'après ce refrain de batelier Sur t'Mtt, sur le bord de l'eau.
Le vaillant comte Pierre Avait un troubadour,
Et quand la batelière
Passe au pied de sa tour, Peut-être elle répète
De l'antique poète
Un antique rondeau,
Sur ~COM,
Sur le bord de l'eau,
Un antique rondeau,
Sur l'eau.
Le vailtant comte Pierre Possédait maint vallon
Et, pour son nid de pierre, Le manoir de Chilien
Nid planté dans les ondes, Dont les lames profondes Bercent le vieux château Sur l'eau,
Sur le bord de l'eau,
Bercent le vieux château, Sur l'eau.
Autour de la muraille
Chante le flot d'azur.
Le souterrain tressaille
A ce chant libre et pur. Enchaîné sous la voûte, Le prisonnier écoute
A travers le barreau,
Sur l'eau
Sur le bord de l'eau
A travers le barreau,
Sur l'eau.
De Petit-Charlemagne
Ce comte eut le surnom, Et, toujours en campagne,
Le méritait, dit-on.
Ou bien, sur la tourelle Il faisait sentinelle,
Regardant, du créneau, Sur l'eau,
Sur le bord de l'eau,
Regardant du créneau,
Sur l'eau.
Sous son épaisse armure, Mieux que tout autre jeu, Du lac le frais murmure Le déridait un peu.
Sa barque armoriée,
L'aile au vent déployée, Volait comme un oiseau, Sur l'eau,
Sur le bord de l'eau,
Volait comme un oiseau, Sur l'eau.
Quand il fut vieux et triste, Et qu'il ne pouvait plus De l'ours suivre la piste Sur les monts chevelus Sur l'onde une ballade
Calmait son cœur malade Au temps du renouveau,
Sur l'eau,
Sur le bord de l'eau,
Au temps du renouveau,
Sur l'eau.
Car, bien que sa rapière
N'eût aucun nœud d'amour, Le vaillant comte Pierre
Avait un troubadour,
Férald, dont le vieux comte, C'est tout ce qui s'en conte, Trouvait le chant plus beau, Sur l'eau,
Sur le bord de l'eau,
Trouvait le chant-plus beau y Sur l'eau.
Chantait-il les vaillances
Des héros d'autrefois,
Et les grands coups de lances, Et les brillans tournois?
Ou bien la jouvencelle
Assise en la nacelle,
Auprès du jouvenceau,
Sur l'eau,
Sur le bord de l'eau,
Auprès du jouvenceau, Sur l'eau?
Ou bien l'Alpe fleurie
Aux sommets de Jaman, Clarens et Meillerie,
Et notre bleu Léman?. Hé!as le flot de l'âge
N'a laissé sur la plage
Pas même son tombeau, Sur l'eau,
Sur le bord de l'eau,
Pas même son tombeau, Sur l'eau.
Et nous, fils de ces rives, Comme ce troubadour,
Sur les ondes plaintives, Allons à notre tour;
Sans laisser plus de trace, Allons au vent qui passe Chanter un air nouveau Sur l'eau,
Sur le bord de t'eau,
Chanter un air nouveau, Sur l'eau
CLARIMBORD
(Historique)
De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer J'ai lu ce trait d'helvétique vaillance. Le croira-t-on dans ce siècle de fer Qui ne croit rien à force de science? Tout autre était la mâle confiance
De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer. « Les ennemis dit Ulrich Bras-de-fer A Clarimbord son compagnon fidèle. Sans raisonner, partant d'un même éclair, Tous deux, armés, vont faire sentinelle. Car telle était l'amitié fraternelle
De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer.
Clarimbord dit <~Les voilà, Bras-de-fer, » Sous les rochers qui montent en silence Si du passage ils sont maîtres, c'est clair, » Tout le vallon est pris sans résistance; w Et l'on aurait mauvaise souvenance
» De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer. » « Oui, Clarimbord )' dit Ulrich Bras-de-fer. Et saisissant à deux mains leur épée,
Long espadon qui rayonne dans l'air,
Leur mine haute et leur jambe campée Font, dans la nuit, une roche escarpée De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer. En Clarimbord croit Ulrich Bras-de-fer En Bras-de-fer Clarimbord se confie.
Quand l'ennemi, se tordant comme un ver, Du défilé croit tenir la sortie,
Alors commence, à beau jeu, la partie De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer. Comme le blé, sous Ulrich Bras-de-fer; Sous Clarimbord, comme l'herbe tremblante, Les rangs coupés sentent le fil amer,
Le prompt tranchant de leur faulx ruisselante C'est là le foin, c'est la moisson sanglante De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer.
A Clarimbord sus vite à Bras-de-fer n Crie une voix réveillant la vallée,
Comme le vent qui réveille la mer.
Bourgs et hameaux, la Commune assemblée, Courent à l'aide, avalanche éboulée,
De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer. « Bien Clarimbord bien Ulrich Bras-de-fer Disent-ils tous, la bataille finie
« Bons ouvriers vaillans faucheurs sans pair )) )) On les ramène en belle compagnie,
Et chacun veut toucher la main bénie
De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer. Mais Clarimbord, mais Ulrich Bras-de-fer Tiennent toujours à deux mains leur épée. Le sang la colle et l'incruste en leur chair. Ce n'est, dit-on, qu'en l'eau tiède trempée Que se rouvrit la main rouge et crispée De Clarimbord et d'Ulrich Bras-de-fer.
EXPLOIT D'ENFANT
Quand nous étions petits, ma mère Nous faisait gardes du manoir. Notre consigne était assez légère,
Mais, sous son oeil de ménagère, Devenait plus grave, le soir. C'était d'aller fermer la porte. Oh je vous vois déjà railler
Si je vous dis que cette maison-forte,
A clore que nul n'entre et sorte, Hélas était le poulailler.
Petite voûte, basse, obscure, Tournant le dos à la maison,
Où le renard, en cherchant aventure, Eût fait grande déconnture,
Sans craindre de payer rançon.
L'affaire était donc sérieuse
Et quand venait mon tour, j'allais Héros suivant ma course glorieuse,
Mais la mine très-peu rieuse Je crois même que je tremblais, Il fallait longer la muraille
Deux vieilles tours, certain hangard,
Et voir au loin se dresser en bataille
La forêt, où mainte broussaille Cachait sans doute maint renard. Pendant que je faisais ma ronde, Je savais de l'autre côté
Valets, servante, enfin tout notre monde.
Nul ne me suit qui me réponde Car le chien même m'a quitté. Et la nuit descendait, rapide; La neige craquait sous mes pas,
Seule jetant une clarté livide
Sur les champs déserts, dont le vide Semblait seul me parler tout bas. Par la route la plus prochaine Je marchais, le front tout en eau,
Au dehors ferme, et tel qu'un jeune chêne,
Mais, à la moindre alerte vaine, Tremblant en moi comme un roseau, Vers un bout de pente voisine Parfois s'échappe mon regard."
Sur les prés blancs un point noir se dessine
C'est lui sans doute qui chemine, C'est lui pour sûr. maitre Renard, Vîte! vite! avant qu'il n'arrive, Courons au poulailler j'y suis.
Haussant mes pieds, haussant ma main craintive,
Je n'ai qu'à toucher, lisse et vive, La planchette. j'ai fermé l'huis. Mais les poules? terrible doute! N'en manque-t-il point là-dedans?
Ont-elles pu gravir, jusqu'à la voûte,
L'escalier qui leur sert de route, Sans attraper de coups de dents? Non à présent je me rappelle. Le coq était sur son perchoir,
Sans nulle crainte, et le bec sous son aile; Et notre poule la plus belle
En s'endormant, m'a dit Bonsoir.
Je puis partir. oh! mais qu'entends-je? Un bruit d'ailes comment? si tard; Quand tout repose, à Fétabte, à la grange
Oh! si j'avais, par cas étrange, Enfermé là maître Renard. Retenant ma voix, mon haleine Je soulève t'huis, mais très peu
Mon oeit s'y colle et dedans se promène.
Point de renard. Le coq à peine Me fait signe, et me dit adieu. Que j'étais fou plus de tapage Ils s'arrangeaient pour mieux dormir,
Si le renard croit sauter dans la cage,
Visage de bois bon voyage Mais encor je me sens frémir. S'il était là, près de la haie, Là, sur mon dos s'il m'attendait
J'entends crier la neige, que balaie
Sa longue queue. il vient, s'essaie, Il va sauter. s'il me mordait! Avec effort tournant la tête,
Je regarde. Rien mais le bruit
Comme d'un pas qui se traine et s'arrête,
Dans les buissons suivant sa quête, Et qui rôde pendant la nuit. Je n'en attends pas davantage, Je prends mes jambes à mon cou.
Tours et hangar semb)ent à mon passage
Courir aussi comme un orage Et s'en voter je ne sais où. Enfin j'arrive au seuil, je pousse La porte, et me voilà sauvé.
Plus de renard, plus de poule qui glousse
Mais de ma mère la voix douce, Et notre bon feu retrouvé.
Dans les champs, à plus d'une lieue, Pas plus de renard que de loup.
Peut-être, au pis, avais-je vu sa queue. Mais dans la ville et la banlieue, Depuis lors j'en ai vu beaucoup.
Elle est large, elle est haute, elle est sourde, elle est pleine, La gourde du forestier.
LA GOURDE DU FORESTIER
Etudes variées pour le cor des Alpes et le uagcotet. A mon beau-frère L. Ruchet,
en souvenir de nos courses alpestres.
Oh qui pourrait la vider d'une haleine
Oh qu'elle est lourde,
Et sourde, 11
La gourde!
Elle tient un setier.
Le forestier, dans l'ombre Où palpite le jour,
Monte du grand bois sombre La rampe au long contour. La gourde pleine
Le sac chargé,
Lui, de la plaine
Il prend congé.
Voici les verts érables
Voici des noirs sapins
Les barbes vénérables
Flottant sur les ravins
Ils se souviennent,
Et leurs bruits sourds
Les entretiennent
Des anciens jours.
Sahit, blancs sycomores, Des monts rois chevelus, Qui comptez tant d'aurores, Qu'on ne s'en souvient plus Salut et grâces,
Vont-ils disant,
A toi qui passes,
Fils du Présent
L'ombre s'est éveiUée,
Et le pied du Matin
Laisse sous la feumée
Un sillon argentin.
L'herbe fourmille
D'un téger bruit;
Le roc scintille
La cime luit.
Chaque feuille se dresse, Verte plume des bois,
Et chaque ai!e s'empresse Dans les nids pleins de voix. L'oisillon penche
Sa tête; il voit
La clarté blanche
Gagner son toit.
Vive, alerte, égriiïarde, Choisissant le moment,
La grive se hasarde
S'élance brusquement,
Frôle la toque
Du forestier,
Passe, et se moque
Parte sentier.
Jeune fille légère
Descend l'étroit chemin,
Son chapeau de bergère,
Plein de fleurs, à la main. –Où donc, charmante,
Seule, allons-nous?
Que je ne mente,
Je vais. et vous?
En haut, dans la montagne. Et moi, je vais en bas. Je cherche une compagne. Moi, je n'en cherche pas. Mais, ô la belle
Un compagnon?.
Non, lui dit-elle
Oh pour ça non i
Nul au bois ne se montre, Nu) berger, ce matin.
Avez-vous fait rencontre De mon mouton Robin?
Si, par fortune,
Un ours?. les loups?.
Sans crainte aucune,
Même de vous.
Tu cherches, tu regrettes, Tu soupires tout bas.
Je cherche des fleurettes, Je n'en écoute pas.
N'es-tu pas belle?
Vous dites bien.
Et moi, fidèle?
Je n'en crois rien.
Oh des filles moqueuses, La reine, c'est bien toi!
En paroles trompeuses, Oh vous êtes bien roi
Bouche vermeille,
Fraise des bois 1
Flatteuse abeille,
Une autre fois
Connais-tu la fontaine Qui se cache et qui dort
Sous la roche hautaine?
A voix basse elle en sort. Là, sans ombrage,
Sans rien donner,
Viens, et partage
Mon déjeuner.
Elle est large, elle est haute, à peu près sourde et pleine, La gourde du forestier.
Beau forestier, je chante, Je bois à ton bonheur,
Et je suis ta servante,
Et toi, mon serviteur.
Fais-moi, de même,
Raison, mauvais
Adieu, je t'aime,
Et je m'en vais.
Et dans les bois, tégère, Elle fuit comme un daim. Etait-ce une bergère,
Une Fée, un Ondin?
Plus rien personne
Seul il s'en va.
La gourde sonne
Un peu déjà.
Mais qui pourrait la vider d'une haleine
Oh qu'elle est lourde,
Et sourde,
La gourde!
Elle tient un setier.
II
H rit, et se redresse;
Il rit, en soupirant.
Allons plus de tristesse, Dit-il le monde est grand. Une compagne
Tient sous sa loi.
Sur la montagne,
Seul, je suis roi.
Et dans les gorges sombres Où le sentier se tord,
Sur les rocs en décombres, Il marche d'un pied fort. Le torrent saute,
Mordant son frein,
Roulant plus haute
Sa voix d'airain.
Puis l'altière prairie,
L'Alpe, s'ouvre, allongeant Sa pelouse fleurie
Et son ruisseau d'argent. C'est, sur l'abîme,
C'est le préau
Dont une cime
Est le château.
Comme une jeune fille
Dort en un val secret,
Des fleurs pour sa mantille, Pour rideau la forêt
Ainsi cachée
À tous les yeux,
L'Alpe couchée
Dort sous les cieux.
Seul sur elle se penche
De son antre inconnu,
Vieux Faune à barbe blanche Le pic chauve et cornu,
Qui lui décoche,
Vieillard narquois,
Les traits de roche
De son carquois.
Le forestier s'arrête
Vers les chalets fumeux.
Vachers, levant la tête,
L'appellent auprès d'eux. Leur voix le hêle
Il y répond.
La chèvre bête,
Court vers le pont.
H suit la demoiselle.
Il arrive; on lui tend
Une main fraternelle,
Et l'on cause un instant.
On rit, on glose;
Chacun médit
De toute chose
On applaudit.
Où vas-tu, de cette heure? Par les monts, jusqu'au soir. Là haut, la bise pleure, Que diable y veux-tu voir?.. Lire au grimoire
Des anciens temps?..
Etre à la foire
De tous les vents?..
Ainsi raille, et se gausse
De lui l'alpestre gent.
ït leur tient tête, et hausse Sa gourde au col d'argent.
Mais qui pourrait la vider d'une -haleine! Elle est large, elle est haute, à moitié sourde et pleine,
Lèvres sournoises,
De refuser:
Les plus matoises, 1
Pour mieux oser.
La gourde du forestier. Oh qu'elle est lourde, Et sourde,
La gourde
Elle tient un setier.
Il les quitte, il s'avance
Dans le pierreux désert, Dans l'éboulis immense
Où le sentier se perd
Cité courbée
De rocs sans noms;
Babel tombée
Du haut des monts.
Quittant leurs noirs repaires
Pour le marbre attiédi, Là, les froides vipères Se glissent vers midi.
De leur domaine
Seigneur rampant,
Uniacs'ytraine;
Autre serpent.
Le voyageur évite
Le lac morne et félon, Où son pied précipite, L'écrasant du talon,
L'affreux reptile,
Qui mord les airs,
Rage inutile
Puis les flots verts.
Allez bouches immondes Aux dards envenimés Eteignez dans les ondes Vos poisons enflammés Se faisant place,
Le pèlerin
Sourit et passe,
Le front serein.
Par des pentes plus rudes, Longues, déroutant !'œi!, Des hautes solitudes
Il gagne enfin le seuil. Ici l'abeille
Au chant léger
L'accueille, et veille
Sur l'étranger.
Bergère fine et sage,
Elle a, sur les hauteurs, Elle a pour héritage
Mille troupeaux de fleurs; Elle commande
En ces vallons
Même y gourmande
Les papillons.
Là sont des élysées
Inconnus et déserts,
D'alpestres colysées
Suspendus dans les airs; Là, tout s'élance
De l'âme aux cieux,
Dans un silence
Harmonieux.
Mais, comme dans un songe, Quelle invisible voix
S'échappe et se prolonge De l'angle des parois?
Voix fraiche et nette,
Suivant sans fin
Sa chansonnette,
Tout son destin.
C'est, sur la haute arcade, La fille du rocher,
C'est la blanche cascade, Que l'on voit s'y pencher, Tremblante émue,
Puis, s'enlevant,
Comme une nue
Danser au vent.
De ton urne légère,
Fille au sein virginal,
Mêle à ma gourde amère Un rayon de cristal.
Ma lèvre est noire
D'un feu mortel.
Je croirai boire
A l'arc-en-ciel.
Qui donc pourrait la vider d'une haleine Elle est large, elle est haute, encor sourde, encor pleine, La gourde du forestier.
H dit. L'onde irisée
Darde un long jet tremblant,
Cristalline fusée,
Dans l'outre au large flanc.
Plus fraîche flamme,
L'âpre liqueur
Lui rit à l'âme
Lui rit au cœur.
Oh qu'elle est lourde,
Et sourde,
La gourde
Elle tient un setier.
tV
Qui parle sur les cimes? Nains, géants ou démons?. Quelques races sublimes, t Habitant sur les monts?. La voix puissante
Passe à grand flot
Puis, décroissante,
Ne dit plus mot.
Mais après un silence
Profond, mystérieux,
Chut! la voix recommence, Et semble, dans les cieux, Plus en arrière,
Fuir, recu)er,
Avec prière
Semble appeler.
Le forestier s'étonne. Est-il quelqu'un là-haut?. Aux rocs il se cramponne, Ou les franchit d'un saut. La voix s'est tue.
Un pic désert!
Un ciel sans nue,
Tout grand ouvert!
0 chimère suprême!
Ce n'était, aux parois,
Qu'un écho de lui-même, Ces pas et cette voix.
Seule, la cime
Lui répondait,
Et, seul, t'abime
Les entendait.
Rien qu'une mer dormante Qu'un océan rocheux
Où la vague écumante
Se dresse en pics neigeux Les bonds énormes
Des glaciers lourds,
Roulant, difformes,
Comme des tours.
Rien que des champs de glace Déserts brillans et froids;
Plaines où tout s'efface
Les steppes du chamois,
Qui sur ce sable
Aux grains d'azur,
Insaisissable,
Pose un pied sûr.
Gazelle des montagnes,
Chevrette des glaciers
En vain tu sais, tu gagnes Les plus hardis sentiers
Ton pied se colle
A la paroi;
Mais le plomb vole
Là, mieux que toi.
Ou bien, au tournant brusque, Ton passage forcé,
Le fin chasseur s'embusque. Tu viens, le front baissé
Tu viens, rapide
Comme le vent,
Fière, intrépide,
Corne en avant.
C'est bien ta noire aigrette, Droite comme un roseau,
Puis recourbant sa crête,
Arquée en bec d'oiseau;
Mais là se pose
L'oeil du chasseur,
Et ton sang rose
Teint l'herbe en fleur.
Tu tombes. il s'étance. Mais, d'un suprême effort, Aux plis du roc immense
Tu te retiens encor.
Puis ton pied glisse
Et ne prend fond
Qu'au précipice,
D'un dernier bond.
Hé!as pauvre gazelle
Ses grands yeux sont fermés. Adieu la fleur nouvelle
Adieu les monts aimés
La blanche cime
Fut son berceau;
Le noir abîme
Est son tombeau.
II est triste, il est sombre, Le forestier vaillant.
Il voit s'allonger l'ombre
Du pic étinceiant
La- terre prendre
Son voile noir,
Les monts lui rendre
L'adieu du soir.
Point de roche plus haute. La nuit, ces fiers vallons
Elle est large, elle est haute, elle était sourde et pleine, La gourde du forestier
Ne souffrent aucun hôte.
Il faut partir! Allons!
D'une voix creuse,
La gourde, hélas!
Chante, menteuse,
Chante tout bas
Oh qui pourrait la vider d'une haleine
Oh qu'eHe est lourde,
Et sourde,
La gourde
Elle tient un setier.
v
Sur les rampes de neige, Derniers degrés des monts, Il se lance, il manège
En détours vagabonds.
Il glisse, il vole,
Comme l'oiseau
Dont l'aile folle
Bat l'air et l'eau.
Puis, les pentes herbeuses, Les grands bois endormis Puis, les passes douteuses, Les ponts mal affermis,
Il les traverse,
Seul et sans peur,
Et son oeil perce
La profondeur.
C'est ainsi qu'intrépide,
Des sentiers, sans y voir, H déméte, il dévide
L'écheveau long et noir D'une journée
Travail détruit,
0 destinée
Avec la nuit.
Mais quelle Ombre est assise Sous un morne sapin ?
Quelle forme indécise?. Serait-ce du matin
La blanche Fée,
Qui l'attendrait,
De fleurs coiffée
Et lui dirait
« Viens à présent! c'est l'heure. )) Personne dans les bois.
Si je mens, que je meure,
M Si je mens cette fois
» Oui, c'est moi-même.
» 0 mes amours,
? Quand je dis J'aime,
)1 Etes-vous sourds ?
» Je ne suis plus mauvaise
» Je ne ris plus; je veux
» Vous laisser à votre aise
» Regarder dans mes yeux.
x Viens que je pose
» Ton front jaloux,
» Ton front morose
M Sur mes genoux
Mais, au lieu de son rêve,
Qui soudain va croulant,
Une vieiUe se lève,
Se lève en grommelant.
Chargeant sa hotte
Et son bois mort,
Elle marmotte
Sa plainte au sort.
« Ho votre tâche est lourde, Lui dit le forestier
« Mais il reste en ma gourde » Un verre, le dernier.
w Tenez! la mère.
» Pour tous, hétas `
))Lavieamère,
» Revient en bas. »
Ainsi reconfortée,
Elle s'en va; mais lui
Sur la mousse argentée
Tombe de noir ennui;
Disant « Vain rêve
» Tout doit finir,
» Rien ne s'achève;
» Je vais dormir.
Et cependant les mondes
Roulent silencieux,
En des courbes profondes
Fouillent les vastes cieux
Sans que l'étoile,
Mieux qu'un mortel,
Perce le voile,
Touche l'autel.
C'est que le grand mystère Se cherche vainement
Aux sommets de la terre, A ceux du firmament.
Mais en toi-même
Descends. Au fond
La Voix Suprême
Parle et répond.
Dans l'ombre où tu reposes, Tu vas encor songeant.
La Nuit, sur toutes choses, Etend son dais d'argent. Diane chasse
Dans les vallons.
Ariel passe
Sur.les flots blonds.
Le forestier sommeille.
Quand s'éveittera-t-it?. Un chant, à son oreille Roule, clair et subtil
Concert étrange
Qui vient des bois;
Vague mélange
De toutes voix.
Elle est large, elle est haute, elle était sourde et pleine,
Feuille, oiseau, vent, cascade; Longs échos mensongers;
Chevrette sur l'arcade;
Bergère aux pieds légers,
Tout chante et danse;
L'outre au son creux
Fait la cadence,
Et dit comme eux
Oh! qui pouvait la vider d'une haleine!
La gourde du forestier. Qu'elle était lourde, Et sourde,
La gourde,
Qui tenait un setier
?
CHOEUR FINAL.
Avant que le jour gagne Les cimes au front blanc, Tu pars pour la montagne, L'oeil ferme, étinceiant, La gourde au flanc.
Tu dis « J'ai là pour boire, « En mon sentier,
« Jusques à la nuit noire, » 0 forestier
C'est bien ta gourde est pleine D'un feu de longue haleine; En avant!
Et pleine aussi ton âme
De jeune et vive flamme
Que tout prend, tout réclame, En avant!
Tout l'aube sur la cime, Et la fleur dans l'abîme
Rêve tendre ou sublime,
Et lutte magnanime;
En avant
Tout! l'étoile, et le ciel, et le monde, et la vie, Tout t'appelle, et toute ombre est de toi poursuivie. En avant!
En avant! 1
Tout! et ton pied s'élance;
Tout mais le jour avance
Déjà son aile immense
Se replie en silence.
Vite en bas 1
Et pensers pleins d'audace, Et longs jets dans l'espace~ Tout s'éteint, tout s'efface; Vite en bas
Et l'ombre qui t'accable, Te l'ordonne, implacable; Vite en bas
A grands pas!
Mais quoi! ton pied s'arrête. Et voilà sur ta tête,
Qu'en ses calmes hauteurs où son char la conduit, Seule voyant le Jour qui l'appelle et la suit,
Seule encor veille et luit La Nuit.
Et, ta force épuisée, Tu dors dans la rosée, Sur la mousse et le thym, Chasseur hautain
Tu reposes dans l'ombre,
Au tournant du roc sombre, Que tu vis le matin,
Tout argentin.
Et comme toi, dans l'herbe, Qu'elle embaume et rougit,
Ta gourde au vaste flanc, ta gourde au flanc superbe, Gît.
Oh qui pouvait la vider d'une haleine Elle est pourtant vidée, elle autrefois si pleine, La gourde du forestier.
Qu'elle était lourde,
Et sourde,
La gourde
Qui tenait un setier
LE FOU D'AMOUR
1
H me disait « Sur le rivage J'allais me promenant un jour, Au bruit sourd du torrent sauvage Ainsi m'entretenant d'amour )) Qui m'aimera? quel doux manège » Va me surprendre et m'enflammer? » Quel œil d'azur, quel sein de neige » Seront à moi? qui veux-je aimer? » Ah s'il était encor des fées, » J'irais dans leur antre, j'irais, » Pour mes tendresses étounëes, » Implorer leurs plus doux secrets. »
» Je vis alors frissonner l'ombre Des verts taillis, et s'avancer,
Et se moquer de mon air sombre, Et me sourire et m'agacer,
» Une beauté jeune et naïve,
Dont l'œil riait de mille feux
Mais elle était sur l'autre rive,
Et le torrent entre nous deux.
» Je la voyais de sa main blanche Cueillir des fleurs dans le pré vert, Et, comme un lis qu'un soume penche, Pencher son col plus découvert.
» Je lui chantai ma chansonnette, Bien tendrement, pour la charmer <( Be/as qu'elle est donc j'o~'eMe » Dites-moi? l'oserais-je aimer?» o « jRossMjfno~ du vert bocage,
» Prends ta volée! et, s'il te plaît, » Vole, dit-elle, à mon rivage,
» Vole, vole, rossignolet.
» Venez! nous chanterons ensemble
» Et, sans nulle fraude entre nous,
» Le mieux chantant, que vous en semble? )' Compte un baiser, qu'en pensez-vous?» » K Point de bateau sur cette plage Damoiseue, point de bateau! »
«Alors, passez donc à la nage,
» A la nage, beau damoiseau
» Nous danserons sur l'herbe tendre. » Au bord des flots les chants sont doux. » Venez je suis lasse d'attendre
» Vous dormirez sur mes genoux. )'
» Je m'élançai, j'étais dans l'onde.
Mon pied quitte le sable fin
Autour de moi le fleuve gronde,
En m'étreignant d'anneaux sans fin. » Elle s'enfuit, rouge, confuse
Mais je croyais encor la voir.
Si c'est un songe, qu'il m'abuse,
Oh! qu'il m'abuse jusqu'au soir!
» Pour toi je franchirais les ondes;
Pour toi je franchirais les mers;
Pour toi je franchirais les mondes
Et tous les cieux encor déserts.
» Pour toi! pour toi! Le flot m'entraîne; Je glisse au gouffre tournoyant
L'onde me tient comme une chaîne, Qu'il me faut suivre en me ployant. » En vain le fleuve a moins d'espace Plus tes rocs serrent son collier,
Plus il bondit, plus vite il passe,
Et plus on l'entend aboyer.
» Hâte-toi donc, torrent superbe!
Franchis d'un trait le hteu Léman,
Et roule-moi comme de l'herbe,
Comme de l'herbe à l'Océan.
» L'Océan s'ouvre il me consume. Au loin, sur l'azur argenté,
Je ne suis plus qu'un peu d'écume
Qui flotte dans l'immensité.
» Astres, fuyez! soumez, tempêtes! Faites trembler ta vaste mer,
Et que la vague aux blanches crêtes Me lance au ciel dans un éclair!
» Je ne suis plus, dans la nuée, Qu'un peu de vapeur et de vent, Ombre, des enfans saluée,
Qui change et tombe en se mouvant. » Ma vie, en vain, n'est que la trame Des plus légers fils du brouillard Le vent qui ballotte mon âme
Et la perce de part en part;
» Les fantômes, les voix funèbres, Les cris de l'aigle et du vautour, Les seuls qui hantent mes ténèbres, Ne peuvent rien sur mon amour. » De cieux en cieux, vole, ô Nuage! Là-bas, là-bas, de ce côté!
Ramène-moi vers ce rivage,
Ce rivage que j'ai quitté.
» Sur le bord elle est revenue,
Triste, éplorée; est-ce à dessein? Oh! laisse-moi tomber, ô Nue,
Comme une larme, dans son sein H
II
H se tut, le regard humide,
Mais fixe et tendu vers les cieux.
Pour en lasser le trait rapide,
En vain mes yeux cherchaient ses yeux; En vain, pour conjurer le charme,
J'appuyais ma main sur son bras
« Oh dans son sein, comme une tarme !)' » Murmurait-il encor tout bas.
Puis, de nouveau tout à son rêve,
A son voyage aérien,
« Nue, oh dit-it, fais-moi donc trêve, Car c'est elle je la vois bien.
» Sur les ondes, comme enrayée,
Elle arrête ses longs yeux bleus,
Sa main blanche à demi noyée
Dans l'or flottant de ses cheveux.
» Mais, reprit-il (sa voix vibrante
De plus en plus couvrant ma voix)
Toi qui me tiens, Nuée errante,
Sait-elle au moins que je la vois?
» Au gré du vent qui te dénoue, Oh laisse-moi, dans l'air subtil, Mouiller ses yeux, mouiller sa joue, Comme les premiers pleurs d'avril; » Comme la nocturne rosée~,
Sur la fleur, reine du jardin,
Qui meurt sous la nue embrasée, Mais qui refleurit au matin.
» Ou laisse-moi, comme le pâtre, Aux flancs de la gorge ramper, Ramper jusqu'à ses pieds d'albâtre, Et doucement l'envelopper.
» Qu'elle entende ma voix pleurante Dans les mélèzes lui parler,
Et chaque feuille murmurante Lui dire de me consoler
» Ou dans tes plis, de crête en crête, Qu'avec toi j'aille, sans témoins, Voile blanc de sa blonde tête, Sur elle me pencher du moins » Ou mieux encor; de la cascade
Prenant i'écharpe de cristal,
Laisse-moi, d'arcade en arcade,
Bondir près d'elle au fond du val.
» Ou laisse-moi, quand l'avalanche Gronde, et parcourt ses hauts déserts, Hérissant sa crinière blanche
Au bord des gouffres entr'ouverts, » Laisse-moi défier l'abîme
Vaincu de sommets en sommets,
Et mourir d'une mort sublime
Aux pieds de celle que j'aimais.
» Mais non vers la voûte sereine, Le vent qui monte du glacier,
Pousse le nuage, et t'entraîne,
Pauvre papillon prisonnier.
» Ah pour moi, que du moins ces roses Dont au loin rougissent les cieux,
Sous les baisers du soir éc)oses,
Pour moi lui fassent mes adieux!
» Dans l'espace, hélas! me suit-elle?. L'âme et l'amour ont un regard
Qui franchit mieux que l'hirondelle L'espace ouvert de toute part.
» Nuit sans mélange, nuit première, Linceul glacé d'un monde impur! Un seul rayon de sa paupière
Eclaircirait ton noir azur.
» Oh dans ton sein qui me soulève, Avec elle si je dormais,
Portés par un céleste rêve,
Et ne nous éveillant jamais
» Le vide morne et solitaire
Me roule aux pieds des astres d'or. De là, je ne vois plus la terre; Mais elle, je la vois encor.
» Le ciel le ciel ô sainte aurore D'un jour qui ne trompera pas Comment peut-on rester encore Là-bas, sur la terre, là-bas?
» Mon être, brûlé d'un feu tendre, Se transforme à ce divin jour.
Lyre du ciel tu fais entendre
Un hymne de vie et d'amour.
» Oui, le ciel est un chant suprême, Une harmonie aux justes loix
Mais à travers le ciel lui-même
J'entends encor passer sa voix.
» Cherchons d'étoiles en étoiles,
Montons le céleste jardin,
Et, franchissant les derniers voiles, Mon cœur, est-ce elle?. est-ce elle enfin? » A travers les courbes profondes
Du cercle enfermant tout milieu,
Au sommet du monde des mondes, C'est elle, à genoux devant Dieu.
» C'est elle, blanche et radieuse,
Plus que l'étoile sur les monts
Un lis du ciel, fleur merveilleuse.
C'est elle! et là nous nous aimons.
» Là, sous la droite paternelle
Courbés vers les sacrés parvis,
Là, je me tiens à côté d'elle
Mort ici-bas; mais là, je vis. »
III
Ainsi me racontant sa peine
Et son bonheur, il souriait,
Les yeux vers la céleste plaine,
Sur un nuage qui fuyait.
Il est malade m'écrié-je
Courez chercher le médecin
Comme sur l'eau tremble le liége Tremble son âme dans son sein.
Mais lui, reprenant son histoire
Et ses chansons, disait toujours « Elle était blanche en la nuit noire. » ~ffosez vos ~Mr~, mes amours » Que sur ton sein je me console » Sans toi, là-bas j'ai bien souffert, » Et je m'envole, vole vole
)' Au ciel au ciel, au ciel ouvert. » Le médecin vint assez vite.
I! l'entendit rire et chanter.
« Fort mal! dit-il que l'on évite » De répondre et de l'agiter.
» L'amour dont son âme est remplie, » Est un poison invétéré.
» C'est comme un charme, une folie. » Son cas est bien désespéré!
» Faites-lui prendre, d'heure en heure, » Autant d'absinthe, autant de miel. » II est à craindre qu'il ne meure C'est là le seul chemin du ciel. »
LES CAMPAGNES
LA FLEUR DANS LES BLES
Sur le bord d'un champ mûr, par les épis cachée, Considérant le ciel, ou, la tête penchée,
Assemblant des bluets qui, dans la moisson d'or, Sont comme des joyaux semés dans un trésor, Une fille est assise, et toute seule. Un frêne, En s'inclinant parfois, lui jette avec amour
Le voile fugitif de son ombre sereine,
Qui trembte au souffle d'un beau jour.
Assise et toute seule. Elle est faible et malade; Ses pas sont lents et courts ~les haltes, fréquemment, Doivent, triste repos, couper sa promenade, Et d'aucun bras le sien ne s'appuie un moment. En tous sens la moisson disperse les familles Le village est aux champs, époux, garçons et filles, Et les petits enfans, vol bruyant de glaneurs Qui tourne autour des moissonneurs.
1
Le chien lui-même, au pied d'un noyer solitaire, Non loin des travailleurs, surveille avec mystère Un grand panier couvert, leur espoir et le sien, Dépôt qui tente même un si probe gardien. Au sein d'une javelle un nouveau-né repose; L'animal vigilant, s'accroupissant auprès,
Lèche dans les épis la petite main rose
Du bel enfant qui dort au frais.
Tout est vie et labeur sur la plaine brûlante, Qu'un soleil rugissant mord de ses dents de feu; Mais la pauvre malade, avec sa main tremblante, Ne cueille que des fleurs et succombe à ce jeu. Ses doigts fiévreux et secs, sa lourde et chaude haleine. Flétrissent promptement les bluets qu'avec peine Elle arrache, en faisant un effort triste et doux Pour les tresser sur ses genoux.
Dans les modestes fleurs, à leur tête elle place Un pavot dont la flamme à l'azur s'entrelace, Et semble aussi trouver, dans cet amusement, Le langage muet d'un noir pressentiment.
K Voila ce que j'étais peut-être disait-elle Fraîche, avec des couleurs sur la joue et les bras; Voilà ce que j'étais jeune, riante et belle Et maintenant, que suis-je, hélas! »
Ou bien, d'un plus secret tourment, peut-être encore, Avec cette couronne elle entretient son cœur «Je l'aimais je l'aimais! que toujours il l'ignore Maintenant que je suis une ombre qui fait peur. H est le pavot rouge où la vie étincelle
Moi, je suis la fleur bleue, ou du moins je fus telle, Pâle à présent, fanée au moment découvrir, La pauvre fleur qui va mourir »
Soudain, par sa tristesse emportée, abattue, Comme pour se soustraire au penser qui la tue, Elle tourne la tête, et dans les blonds épis La plonge, et disparait sous leur morne tapis. Elle y resta longtemps et les tiges penchées, Par ce jour calme et chaud, s'étonnèrent de voir Des gouttes humecter leurs pailles desséchées, Sans que le ciel les fît pleuvoir.
Elle demeurait là, pleurant, la'pauvre fille! Sur sa vie envolée et son bonheur perdu, Sur ses rêves éteints de mère de famille, Quand elle aurait un fils à son bras suspendu, Qui vers son père au champ s'en irait avec elle, Sur la gerbe à son tour porterait la javelle, Et, le soir, à tous deux leur donnerait la main, En babillant par le chemin.
Un aigre sifflement interrompt sa pensée.
Les frissonnans épis, sous la faux balancée, Tombent, vaste forêt abattue à grands coups, Et que le faucheur range entre ses deux genoux. Elle dressa la tête, et se leva tremblante.
Les moissonneurs surpris s'arrêtèrent soudain. Sinon, comme une fleur de la moisson sanglante, Ils l'eussent roulée à l'andain.
Leur salut amical fut suivi d'un langage
Dur à son cœur. <t Il est bien tard pour être au lit, Dirent-ils en riant Voyons prenez courage Plus on se laisse aller et plus on s'affaiblit. » Elle, dans son dépit, prend, d'une main qui tremble, Un râteau sans emploi, le balance, et rassemble Quelques épis traînards. mais bientôt l'instrument Retombe et dort sans mouvement.
Sans rien dire elle part; et, bronchant dans le chaume, Elle atteint du noyer le frais et large dôme. Le nouveau-né jouait tout seul avec ses doigts, Ou faisait en riant un murmure de voix.
Comme il tendait les mains, en piétinant sa couche, II fallut la couronne à ce petit boudeur,
Qui lui sourit au moins; mais, pour le chien farouche, Il la reçut d.'un ton grondeur.
Inquiète, la mère accourut empressée,
Se reprochant tout bas d'avoir manqué de soin. Elle n'osa d'abord déclarer sa pensée,
Mais quand, bientôt après, la malade fut loin, A l'enfant, qui pleurait, elle ôta la guirlande. Des amigés on aime à suspecter l'offrande Et d'ailleurs c'est un mal, dit-elle en s'alarmant, Qui se ramasse promptement.
LE NANT DE LAYSELET
Timide, et se gonflant à peine dans l'orage, Un ruisseau, sous son voile et son dais de feuillage, Berce avec nonchalance une onde qui s'endort A l'ombre des taillis cheminant sur le bord. L'aune et le saule, en paix, y baignent leur racine, A côté des buissons de mûre et d'aubépine. Les jeunes peupliers y murmurent le soir. Parfois, du vert fourré s'élance un merle noir, Qui s'envole en sifflant son air grave et rustique. Seuls, de hauts châtaigniers, reste de l'âge antique, Dominent les arceaux où le flot mince et pur Glisse de creux en creux, comme un filet d'azur. Pour atteindre à son lit s'inclinent les prairies, Et les plus frais gazons lui font des broderies. Les ancêtres naïfs nommèrent ce ruisseau
Le NANT DE L'AYSELET ou du petit oiseau.
II
C'est là, sur l'herbe molle à l'ombre du bocage, Couchée, un grand chapeau protégeant son visage, Qu'une faneuse, un jour de printemps, sommeillait. A ses pieds, le ruisseau lentement s'en allait Comme s'il eût tremblé qu'une marche écumeuse Ne t'étoignat trop tôt de la belle dormeuse.
Laissant ses compagnons, à jeun dés le matin, Faire, accoudés en cercle, un rustique festin, Elle était là venue il lui fallait de l'ombre, Et la voilà qui dort sous le bocage sombre. La feuille froide étend sur son front la pâleur; De l'herbe tout son corps boit l'humide fraîcheur Et l'onde, au mol courant imprudemment ravie, Va glacer dans son sein la source de la vie. Et pourtant, quand baissée au bord du ruisseau frais, Qui pour lui mieux sourire un moment prit ses traits, A genoux, et son front effleurant l'eau tranquille, Elle y sentit passer comme un bruit d'aile agile Une sorte d'effroi la saisit; mais voyant
Ses longs cheveux mêler au cristal ondoyant Des flots d'un or soyeux qu'un indiscret branchage Avait sournoisement dérangés au passage,
Elle rit de sa crainte, et s'expliqua le bruit. Puis, d'une preste main quand elle eut reconstruit
La tresse en fins anneaux ses pieds déroulée, Elle baigna sa joue en cette onde troublée. Et pourtant c'était bien, sous les feuilles perdu, Un oiseau qui, battant de l'aile, et l'oeil tendu, Semblait vouloir lui dire, en ce muet langage Voilà mon bien à moi ma source et mon ombrage. Lorsqu'elle fut couchée, et son bras à demi Se dérobant sous l'herbe, et son sein endormi, Alors le jeune oiseau, sautillant et timide, Quitta d'un pied furtif son nid, sa grotte humide, Et, voletant de l'arbre aux pointes du gazon, A la belle faneuse il chanta sa chanson
« Je suis, je suis la voix dans les feuilles cachée » La feuille me répond quand le vent l'a touchée » Je suis, je suis dans l'air le soupir entendu, » Et le bruit incertain de l'azur descendu.
» Je vole tout le jour de l'aubépine aux chênes, » Aux dômes des tilleuls, des noyers et des frênes. » Je gazouille au matin, j'ai des refrains le soir, » Quand l'étoile à mes chants danse au fond du ciel noir. » L'étoile, c'est ma soeur. Je l'aime ~t je l'ai vue » Jusqu'au bord de mon nid descendre de la nue.
» Elle est btanche et rosée; elle m'aime, et souvent, » Je lui jette un baiser que lui porte le vent. » Mais j'aime mon taillis par dessus toutes choses, » Plus que l'astre d'argent, plus que le sein des roses, » Mon feuillage et mon nid qui se penche sur l'eau, » Et me berce la nuit au souffle du ruisseau. » Je veux t'aimer aussi, fille de la prairie, » Marguerite qui dors parmi l'herbe fleurie. » Viens je te donnerai mon bassin frais et pur, » Mon lit de mousse verte et mon bocage obscur. » On t'aura déjà dit que belle entre les belles, » Grandissant comme un lis parmi les fleurs nouvelles, » Personne n'a des yeux aussi parlans que toi'; » Mais personne, non plus, ne le dit comme moi. » C'est moi, lorsque pensive un jour,.au pied d'un saule » Tu t'arrêtas, c'est moi qui, frôlant ton épaule, » Jaloux du baiser d'or qu'osait fardent soleil, » Y fis soudain passer comme un frisson vermeil. » Ce matin, les faucheurs, marchant dans la rosée » Embrassèrent le pré de leur faux aiguisée » Et le ràle du foin, tombant vert et mouillé, )) Et le cri de la faux m'ont soudain réveillé.
» Puis, lorsque le soleil fut sorti du vieux chêne, » Je te vis arriver de la maison prochaine, » Un râteau dans !a main, sous le bras un panier, » Vive et comme un oiseau sautant par le sentier. » Ma belle matinée, alerte et bocagère,
» Me fut plus douce encor, mon aile plus légère,
» Comme si je t'avais emportée avec moi, » Et que mon vol brûlant dût frissonner sous toi. » J'ai fait le tour des prés, des nids de violettes, M Des troncs couverts de mousse où je sais des cachettes; )' Partout, sur mon chemin, la vigne en fleur nouait )) Le traître fil qui doit me rendre son jouet. )) Car tu sais que de moi la vigne est amoureuse, )) Et que cette folâtre à mon aile peureuse, w D'un lacet mince et vert qui va s'entortillant, )) Fait un piège, le soir, où je tombe en volant. H Mais je ne l'aime pas et me détourne d'elle H Car elle enchaînerait ma voix avec mon aile. )) Je t'aime, toi, légère et c'est ton chant lointain H Que j'ai seul entendu, de tout ce long matin. » Le feuillage frémit; les frênes s'inclinèrent, Les sveltes peupliers au vent s'abandonnèrent;
Le ruisseau fit entendre un murmure d'amour, Et de son flot d'argent ((Viens! dit-il à son tour, » Viens et nous t'aimerons ta petite voix douce » Est comme l'eau qui jase en dansant sur la mousse. » Les fleurs dirent aussi « Viens, notre soeur le soir, » Alors que les lis blancs fleurissent au ciel noir. »
La faneuse eut le cœur troublé de son beau rêve. C'était comme un parfum que le vent nous enlève. Elle en aimait le vague et fuyant souvenir, Miroir que tout penser menaçait de ternir.
Dans sa grotte sonore et de trèfle ombragée, Où le thym est un chêne à la cime étagée,
Le grillon, sous les prés longuement applaudi, Chantait à demi-voix sa chanson de midi.
Au fond des vastes cieux l'alouette perdue
S'ébattait, invisible, et partout entendue.
Le coucou répondait dans le secret des bois. Tout être avait son mot, le silence une voix. La fleur du souvenir et de la réverie
De ses yeux bleus voilés étoilait la prairie Et l'on n'entendait plus que ce bruit incertain, Comme un fleuve sans bord roulant dans le lointain Frémissement confus de vie et de lumière,
Rayonnante vapeur de la nature entière,
Lorsque l'air étincelle et que, limpide et pur, II semble bouillonner dans une urne d'azur. Tout vivait, tout brillait. Mais pourquoi, jeune fille, Es-tu si pâle, alors qu'autour de toi scintille, Comme un astre de feu, la terre à son réveil? Qui t'a touché le front pendant ce court sommeil? Hélas quand la moisson rassembla les familles, Que les hommes fauchaient, et que les jeunes filles Enjavelaient l'andain serpentant derrière eux, L'une pleurait, malade, et les trouvait heureux.
LA VEILLÉE
Au rouge éclat de la vive auréole
Qu'un soir d'automne allume dans les airs, La pâle fille a senti son épaule
D'un long frisson garder les froids éclairs. Vers le foyer que la porte branlante
Laisse entrevoir déjà tout embrasé,
Elle se hâte, y tombe chancelante,
Et, dans la uamme à l'haleine brûlante, Cherche un remède à son souffle épuisé. Dans le chemin passent de joyeux groupes Mais la cuisine est un muet désert.
Vaches, moutons, s'en reviennent par troupes. Le feu plaintif fait crier le bois vert.
Aux gais refrains tressaille la malade,
En regardant le sapin qui se tord
C'était naguère au vent de la cascade;
III
C'est maintenant en flamboyante arcade; Et l'arbre aussi dit sa chanson de mort. Voici la mère, et les sœurs, et les hommes, Bruyant essaim qui s'envole des champs Pour regagner la ruche, où nous ne sommes, Jamais, hélas! rentrés pour bien longtemps. Mais pauvre abeille, étrangère ou blessée, Qui voudrait fuir l'agile tourbillon
Elle retombe en leur foule pressée,
A chaque pas sent son aile cassée,
A chaque voix craint un coup d'aiguillon. Ainsi restait la pauvre jeune fille,
Triste, et le front penché sur ses genoux, Libre des soins qui mènent la famille Lasse à mourir, seule au milieu de tous. La table est mise, et la nappe bien nette; On va s'asseoir; il faudra regarder,
Répondre aussi la souffrance est muette. Mieux vaut le froid d'une mince chambrette Les pleurs au moins peuvent y déborder. Elle va donc, haletante, furtive,
Ombre qui passe au milieu des vivans. A son approche, une pitié craintive
Glace le rire aux cœurs des plus fervens. Mais quand la porte en criant s'est fermée, Comme une tombe où rentrerait un mort, Du gai repas la joie accoutumée,
A grands éclats, soudain s'est ranimée EUe va mieux, disent-ils; elle dort.
E!!e souSrait et respirait à peine;
Elle étouffait sous le mal et les pleurs.
D'affreux sanglots, brisant sa courte haleine, La soulevaient sur son lit de douleurs.
Vaincue enfin dans la lutte cruelle
Et se laissant aller à son destin,
Elle a plié sous sa langueur nouvelle,
Comme une fleur qui sent la faux près d'elle Et, frissonnant, s'incline avant la fin.
Elle revoit, dans sa fiévreuse veille
Les verts taillis le frais et clair ruisseau. Un chant d'amour résonne à son oreille; Mais ce n'est plus que le chant d'un oiseau. Puis elle entend les cloches du dimanche Tout est en fête, en habit de gâta;
Les prés, comme elle, ont mis leur robe blanche De marguerite aux rubans de pervenche. Puis un vent noir souille sur tout cela.
« Oh laissez-moi qui peut venir encore Me réveiller quand je n'ai pas dormi » «Ma pauvre enfant, quel chagrin te dévore, Qu'en me voyant tout ton corps ait frémi? Viens près de nous. H faudrait se distraire, Manger un peu, s'efforcer et vouloir
Pour se guérir c'est le plus salutaire.
Est-ce le temps de rester solitaire?
Quelqu'un, je pense, est venu pour te voir. «Que crains-tu donc? tu caches ton visage. Viens, lève-toi! le bruit t'amusera.
On va chanter pour égayer l'ouvrage,
Et puis, plus tard, peut-être on dansera. Tous nos voisins sont en bas. La veillée Sera joyeuse, et les mille propos,
Les bons récits te tiendront éveillée.
Eh quoi, ma main sur ton front s'est mouillée Que te faut-il? que veux-tu?~) «Du repos. t
» Soyez gais, vous~ moi, je n'ai plus envie Ni de chansons, ni d'airs vieux ou nouveaux. Tout est fini bien amère est ma vie.
Je ne veux rien que la fin de mes maux. Ah pourquoi suis-je au monde et pourquoi faire? Par quelle loi souffré-je seule ici?
Que pour mes soeurs l'existence est légère Moi, je saurai ce que pèse la terre
Que fouleront leurs danses sans souci. » Dites pourtant, dites à ceux qui rient, Qu'ils doivent rire avant que tour à tour, Sur le lit froid où les morts se marient, Ils soient couchés sans vie et sans amour. S'il en est un qui de plus loin écoute, Mais en causant avec ma soeur tout bas, Je le connais, il ne veut sur sa route Aucune épine où son pied bronche et doute Dites-lui donc qu'il ne se gène pas.
t
» Hé!as hétas serait-ce une chimère Qui dans le cœur me revient malgré tout? Guérissez-moi, guérissez-moi, ma mère Je suis si jeune, et ne puis être au bout. Oh qu'ai-je fait pour que si tôt je tombe Dites-le moi, vous qui m'aimez pourtant, Vous qui viendrez quelquefois sur ma tombe, Alors que ceux près de qui je succombe, Vont m'oublier bien mieux après qu'avant. » La mère alors se pencha sur la couche. Elle entendit un souffle moins heurté,
Et, rassurée, essuya de sa bouche
L'amer sillon sur la joue arrêté.
« Dors, mon enfant. Que ton humeur s'efface! Tu guériras. Laisse-là ces discours.
Que le sommeil te calme et te détasse
Adieu, sois sage et tu vois, je t'embrasse, Car, sage ou non, moi je t'aime toujours. » A pas bien doux quand elle eut joint les autres, Qui s'amusaient sans plus songer à rien « Ce soir ma fille a peur d'être des nôtres, Répondit-elle, et ne se croit pas bien.
Elle a parfois des momens de caprice,
Mais ce n'est rien je les connais assez. » Le chant renaît, sans que nul en pâlisse Et du refrain plus d'un écho se glisse
Vers la malade, en ses songes glacés.
Enfin l'on part; plus de bruit la cuisine Est vide, close, et le feu bien couvert. Seul au foyer, à peine se devine
Le chat dans l'ombre, où reluit son œil vert. L'étable tient tout son peuple à la chaîne; A la paroi pendent brides et mors.
Nulle clarté, ni proche ni lointaine;
Et le passant qui boit à la fontaine,
Pourrait se croire en la cité des morts.
Silencieux, le village repose.
Plus doucement la malade a gémi;
Mais à son front jaillit comme un feu rose S'éveitle-t-etle? aurait-elle dormi?
Qui peut le dire?. Elle voit des Sgures, Des anges blancs sur son lit se pencher, Prier pour elle, et, levant leurs mains pures, Dans l'air rempli d'harmonieux murmures, Lui faire signe et venir la chercher.
«Oh! que c'est beau ') dit-elle et son œil brille D'un bleu qui semble au ciel même épuré. En toute hâte, à ce cri de sa fille,
La mère est là le cœur moins assuré. Son bras flétri plus tendrement la serre. Et la malade « Oh! je vous aime bien, » Mais, reprend-elle, oh! que c'est beau, ma mère, » Et qu'on est mieux là-haut que sur la terre » Tout s'y retrouve, on n'y regrette rien. » Elle se tait; mais son bras qui se lève, D'un blanc plus fin, d'un contour encor pur, Comme ses yeux semble suivre son rêve, Prendre avec lui le chemin de l'azur. Puis respirant d'une haleine insensible, On croit la voir, dans un tendre abandon,
Qui se remet son Père invisible, i
Ses longs cils bruns laissant à flot paisible Couler des pleurs d'amour et de pardon. Sa mère alors l'appelant enrayée,
Elle répond, mais d'un chant doux et bas « Que c'était beau j'étais bien éveiHée » Ils étaient là ne reviendront-ils pas? » Et poursuivant l'image fugitive
((Promettez-moi, mère, qu'ils reviendront! x Dit-elle encor, se rendormant plaintive. Sa mère enfin se'retire pensive,
Et, soupirant, la baise sur le front.
Avec le jour, active, elle se dompte,
Surveille tout, le foyer, le jardin;
Mais vers sa fille à toute heure elle monte, L'embrasse, et pleure, et redescend soudain. Pour lui complaire, à pas lents, la malade Reprend courage à marcher, à guérir,
Et ne fait plus de réponse maussade,
Lorsque sa mère encor se persuade
Que le printemps verra tout refleurir.
LE MESSAGER~
Un homme, à travers champs, se rend dans les villages. Partout les cerisiers rougissent leurs feuillages. Le hêtre prend la pourpre et le noyer jaunit, Dévoilant à son faite un reste de vieux nid. Du thymier qui se courbe en une frêle arcade, Les grappes de vermeil pendent sur la cascade. Oh! quelle douce paix repose sur ces prés! Et quelle paix aussi dans les bois diaprés L'herbe s'est résignée; elle cache sa tête
Rien ne l'agite plus, pas même la tempête. Les vergers, la forêt sont calmes et pensifs. Seulement dans leur sein quelques soupirs furtifs, Incertains, ignorés une feuitfe qui tombe Et qui montre à ses sœurs le chemin de la tombe; Un gland qui fait sonner un morceau de bois mort; Un oiseau qui s'enfuit; la sève qui s'endort. Toute chose a fini son œuvre et sa journée, Et s'incline sans bruit devant la destinée.
IV
S'acheminant toujours, l'honnête messager Reste sous sa nouvelle impassible et léger.
Il ne plaint ni le vent qui gémit dans la haie, Ni l'oiseau qui s'y cache et que le vent effraie, Ni ces feuilles sans nombre, infortunés troupeaux, Qui même dans la mort ignorent le repos.
N'a-t-il pas, en effet, son chapeau des dimanches, Son habit bleu qui vient expirer sur les hanches, Bonne mine, un teint frais, rasé dès le matin, Et de l'argent pour boire au cabaret voisin? It saute les fossés, enjambe les rigoles,
Descend dans les ravins et leurs taillis de saules, Chemine sans détours ni haltes; seulement Quelque champ de navets le retient un moment. Il le blâme ou le loue, et se dit en lui-même Le mien, certe, est plus beau; mais c'est moi qui le sème! Sur la pente des prés il voit à l'horizon
Le toit fumeux et brun d'une antique maison. ï) monte le verger. Les vaches curieuses
Le regardent passer, graves, silencieuses,
Puis, à la fin l'ayant contemplé longuement, Sortant de leur stupeur, appellent en bramant. D'un grand feu pastoral la rousse chevelure Flamboie au pied du tronc qui pleure sa verdure,
Et les petits garçons, les amis du bouvier,
Avec lui sont en cercle assis à son foyer
Ils surveillent bien mieux, sous la cendre cachée, La châtaigne rebette, à la fin dénichée,
Que la génisse, adroite, en ses circuits nombreux, A gagner du voisin le champ plus savoureux. Quelques pommes, longtemps du feuillage voitées, Mais par le vent d'automne, une nuit, décetées, Bordant la braise rouge, à son pétillement
Faisaient d'un chant plaintif un accompagnement. Ils se tournent aussi vers l'étranger qui passe. En lui je ne sais quoi les effraie et les glace. Ils restent interdits, sans trouver à leur tour, Pour lui, qui les salue, un amical bonjour. Et cependant il n'a rien d'extraordinaire
Son oeit est sans éclair; sa bouche, débonnaire. It cause avec chacun, à tout prend intérêt, Et s'informe, à la fois curieux et discret,
De t'étabte, des boeufs, du cheval de la grange Quelle fut la moisson, quelle fut la vendange; Et si des monts neigés le bétail descendu
A gagné dans la plaine ou bien s'il a perdu Ce que l'on sème ici du froment ou du seigle ? Avec quelle charrue et suivant quelle règle? C'est ainsi qu'il parlait sans honte et sans ennui Assaisonnant le sien du mérite d'autrui.
Lorsqu'il ouvrit la porte, un bon fagot d'épine D'un feu clair et léger égayait la cuisine; Assise auprès, la mère avait l'oeil au diner, Aux marmites qu'il faut tourner et retourner, Secouer, retirer de la braise trop haute,
Afin que tout soit cuit bien à point et sans faute. Mais cependant on voit, sur ce front triste et doux, Où la vie a laissé des marques de ses coups, Dans le calme sourire et la lèvre inclinée D'une bouche tremblante et pourtant résignée, Dans ce regard aimant que rien n'a fait vieillir, Une âme en de vils soins qui n'a pu s'enfouir. Une fille tricote auprès de la fenêtre,
Une autre est au lavoir; puis viennent à paraître Par une porte basse, entr'ôùverte en un coin, Et d'où l'on voit la grange et la paille et le foin, Le père et les garçons, grands, forts, aux yeux candides, Et lui robuste encore et joyeux sous ses rides. La mère, alors, voyant l'étranger sur le seuil Va pour le recevoir. Le messager de deuil « Votre cousine, hélas la nuit d'hier est morte Dit-il aux écoutans, en refermant la porte. » On l'enterre demain, à trois heures. Je viens » Inviter les parens; et vous êtes des siens.
» Sa grand'mère et la vôtre étaient, je crois, germaines. » Il faut se résigner tous n'ont-ils pas leurs peines? » Et cette pauvre fille, hélas a tant souffert!
)1 C'est quand il n'est plus temps que l'on sent ce qu'on perd. » On croyait qu'au travail elle était un peu molle; » Quand elle se plaignait, on la traitait de folle, » Et sa mère elle-même avait cru~ue c'était
)) Un chagrin, un dépit, mais non qu'elle en partait. » Ce n'est pas, toutefois, qu'on l'ait contrariée. )) Elle allait et venait. Seulement, la veillée,
M Elle devenait triste et prenait de l'humeur.
M Mais petit à petit s'accroissait la rumeur
» Qu'elle était très-malade. On s'inquiéta d'elle, M Car on l'aimait beaucoup; elle était bonne, et belle., M On essaya de tout; rien ne la put guérir.
» Sa mère se désole et demande à mourir,
Et s'accuse en pleurant de l'avoir tourmentée, M Ou de ne s'être pas plus tôt inquiétée;
)) Mais bien à tort. » Ainsi parla le messager, S'interrompant souvent pour boire ou pour manger. La famille écoutait, recueillie et pensive.
Chacun interrogeait. Mais la mère craintive,
Sur tous ces jeunes fronts, avec anxiété,
Cherchait des gages sûrs de force et de santé.
Comme de pâles fleurs que le tonnerre effraie, Et que sa seule voix fait pencher sur la haie, Belles, la joue éteinte, et les yeux gros de pleurs, Vers leur mère en tremblant se serrent les deux soeurs. H se leva, disant que, dans cette journée,
Des parens il devait achever la tournée,
Car à la pauvre morte on veut faire un convoi, Fit-il en s'éloignant, qui soit digne d'un roi. La mère le suivit, lui parlant à voix basse « -Pour le chrétien la mort est la suprême grâce » Est-elle morte en paix? Oh oui tranquillement. M Elle a passé sans bruit, sans aucun mouvement. « -Elle n'a pas souffert?-Non vraiment, que je sache. » Son pauvre corps maigri n'a ni ride ni tache; » Excepté, vers la bouche, un ou deux petits plis. » Mais ma femme la trouve aussi blanche qu'un lis. «-Ellen'apoint parlé?-Non; vers minuit, une heure, » Elle a dit seulement «C'est donc mieux que je meure! )) » Puis elle a joint ses mains retombant sur les draps; » Ses lèvres remuaient, mais on n'entendait pas. « -On n'a point appelé le pasteur auprès d'elle?. « –Qu'y pouvait-il? D'ailleurs, on craignaitque te zète, » Vous savez?. la venant effrayer de grands mots, » Ne t'achevât plus vite ou n'augmentât ses maux. »
Messager! messager, qui parcours la campagne, Et qu'un brouillard de mort par les prés accompagne, Ton bras est vigoureux, ton pied sûr et léger; Songes-tu qu~a ton tour, messager! messager! H était déjà loin, suivant par la vallée
La route qu'en leur temps ses pères ont foulée. La mère cependant demeura sur le seuil
Comme absorbée en soi dans un penser de deuil. Et quand elle rentra, d'une larme tarie
On voyait les sillons sur sa joue amaigrie.
LE FESTIN.
La terre froide et sourde avait, en retombant, Fait sortir du cercueil un son d'adieu suprême, Triste et dernière voix, bruit funèbre et glaçant, Qui semble faire encor souffrir ceux que l'on aime. Et le cortège noir revenait en causant.
Je m'en allai, cherchant la source et le bocage. Captive était son onde, envolé son feuillage. Sous te réseau de glace on voyait seulement Quelques gouttes d'azur passer comme une image Qui s'enfuit, et murmure, et sourit un moment. Les Alpes avaient mis leurs grands manteaux de neige, Dont les plis sans éclat dérobaient tout entiers Les gazons et les bois, les rocs et les glaciers. Sous de livides cieux qu'aucun souffle n'allège, S'endormaient les tombeaux, les vieux et les derniers.
v
Le cimetière allait retrouver son silence.
Il était calme et froid, sans bruit, sans espérance, Désert, abandonné même des fossoyeurs.
Seul, sur la tombe neuve un oiseau se balance; Mais quand je m'approchais, il s'envolait ailleurs. Un autre te suivait. Sous les feuilles séchées, Qui tapissaient partout le sol moussu des bois, Je les vis disparaître; et les feuilles couchées, Sonores, de leur aile ou de leur pied touchées, M'apportèrent long-temps des échos de leur voix.
Le village s'anime. Au travers de la brume D'une maison surtout resplendit le foyer;
Par les étroits carreaux on le. voit ondoyer. La table est préparée et la lampe s'allume.
On mange, on cause, on boit; car, selon la coutume, On a fait pour la morte un splendide festin, 1 Et la cave a cédé le meilleur de son vin.
C'est le dernier service; et les pâtes sucrées, Les brisselets cassans, les merveilles dorées
Arrivent empilés dans de grands plats d'étain. On donne aux assistans quelques débris des roses
Qui de leur pâle éclat couronnaient le cercueil. Les convives, alors, prennent des airs moroses, Et l'on fait au manger quelques petites pauses, Lorsque chacun reçoit ce souvenir de deuil. Pour de rustiques gens tous sont assez habiles A rider de leur front te tac calme et serein, A faire sur la mort quelques phrases faciles, Apprises dès long-temps, et, de détails futiles, Art favori du monde, à tromper te chagrin. « Au moins, dit l'un d'entr'eux au père, à la famille, » Vous avez bien soigné votre défunte fille, » Votre sœur; et jamais il ne lui manqua rien. » « C'est vrai répondent-its cela console bien. » Et chacun à son tour sur ce sujet babille.
La mère, une ou deux fois, se montra sur le seuil Ses cheveux gris sortant de sa coiffe de deuil, Ses yeux fixes tournés sur la table servie « Mangez! mangez! pour moi rien ne me fait envie, » Mangez! » leur disait-elle avec un morne accueil.
Je partis, cotoyant les vignes dépouillées. Un vent sévère et froid
Battottait dans les airs les feuilles envolées; Et j'en vis qui roulaient en troupes désolées Autour de la maison, et tombaient sur le toit. Un sombre tourbillon descendit sur la terre. On l'entendait frémir,
Et résonner surtout vers le haut cimetière, Où son souffle, heurtant quelque monceau de pierre, Y pouvait mieux gémir.
J'entendis un vieillard passant par les prairies, Qui, le front découvert,
Luttait contre le vent et, dans ses rêveries, Disait tout haut, marchant sur les feuilles flétries « On laisse le bois mort, on coupe le bois vert. » Etait-ce pitié franche ou vite consolée?
Je ne sais mais voici
Qu'avec ses blancs fuseaux, blanche fileuse ailée, La neige, d'un linceul, toile bientôt filée,
Couvre la plaine aussi.
Et les tombeaux anciens, et la fosse nouvelle, Les morts jeunes et vieux,
Tous ont même manteau, froid duvet de son aile, Tous, même sceau de marbre à la froide étincelle, Mais qui fond au soleil quand il ouvre les cieux.
Ainsi la mort, dernière et suprême froidure, Sous le rayon divin
Verra fondre sa glace, et, comme une onde pure, La vie, au jour nouveau, reprendra son murmure Et coulera sans fin.
FIN DES CAMPAGNES
ET DU CINQUIÈME LIVRE.
NOTES
PA~E 22. LE VIEUX LAHARPE.
Son monument est situé dans une petite ![e,en face de Rolle, sa ville natale, sur les bords du lac Léman. H se compose d'un obélisque avec diverses inscriptions et un médaillon par Pradier. PAGE 88. CHALETS DES AGITES.
Les Agites sont cette haute et verte esplanade que l'on découvre, du lac, an pied des Tours d'Aï, et dont l'Arvel, ou ce grand mur de rocs tout ravinés qui se dresse presque à pic derrière Villeneuve, forme comme la balustrade. L'auteur a dit quelque part autrefois Et le celtique Arvel, dont les replis profonds
Hébergent les brouillards qui gravissent les monts.
PAGES < 67 et 68.
Les deux premiers couplets du prologue de ce livre sont ceux d'une chanson qui se trouve déjà dans le recueil Les Deux Voix, publié par l'auteur en J85S. EUe se chante sur un air de Naegueli, devenu populaire en Suisse.
PAGE LA DERNIÈRE RONDE.
Ces danses appelées rondes ou ronds, dont la coutume s'est longtemps conservée dans l'Helvétie romane, « se chantent, avons-nous dit dans le tableau du Canton de ~auf!, et ont un certain pas, moi56
NOTES
tié balancé, moitié marché. Leur caractère est de pouvoir s'ouvrir à tous venans celui de la Coquille, espèce de fandango, est même de les aller chercher, et de ramasser à l'improviste tous ceux qu'elle rencontre dans ses sinuosités ambulantes. Grande risée et grands éclats si la chaîne, brusquement tirée ou repliée par celui qui la dirige, vient à se rompre, et surtout s'il en tombe quelques chaînons. Dans nos temps, la Coquille termine encore volontiers les grandes réunions patriotiques.
Bonde)' (dans notre dialecte roman, riondâ) c'était danser en chantant. Et le chant, les vers et la danse étaient organisés de manière à former deux chœurs qui se reprennent toujours une partie de l'air et des paroles en se répondant. De là le nom de coraula donné en plusieurs endroits a ces chants alternés, dont les strophes s'appellent coblla, comme chez les Provençaux. On les chante encore ainsi dans la partie occidentale de la Suisse romane; on ne les danse plus que très-rarement. Naguère, aux clairs de lune. d'été, ils entraînaient, mêlée dans la ronde, toute la population plébéienne et patricienne de l'endroit.
Allez-vous-en, ceux qui regardent,
Ou bien venez danser!
dit une de ces chansons de ronde. c
A Lausanne, qui, vers la fin du dix-huitième siècle, était un des principaux rendez-vous des touristes et un séjour à la mode ponr la société élégante, les messieurs et les dames, dit M. Vinet, se réunissaient les soirs d'été, sous les maronniers de la cathédrale, pour y danser des rondes. Une société beaucoup plus vulgaire y dansait, comme eux, aux chansons; les voix, les pas s'entremêlaient ces deux mondes, en tournoyant si près l'un de l'autre, semblaient se confondre, et à quelque distance on ne voyait qu'une seule ronde, comme on n'entendait plus qu'un refrain: Nous m'trons plus au bois, vieille et naïve chanson. D (A. Vinet, dans ses articles sur le ï'tMot de Charles Eynard, Revue Suisse, t. Il, p. H5.) Ordinairement la ronde suppose que l'un de ceux qui y prennent part, occupe le centre du cercle, d'où il appelle à lui, si c'est un homme, une danseuse, et si c'est une femme, un danseur. Ce couple isolé suit aussi la danse et le chant, dont souvent même le refrain s'adresse directement à lui, ou auquel il répond. PAGE <90. LES HÉROS HELVÉTIQUES.
Ce morceau, composé au début de notre révolution, parut alors
(novembre, 4845) dans la Revue des Deux Mondes, où on le donna comme traduit de quelque diatecte suisse, et avec la signature UN PAYSAN SUISSE.
PAGE <90. M. L'AVOYER NEUHAUS.
Alors le premier magistrat de la Suisse, et l'un des principaux chefs du parti radical, par lequel it ne tarda pas à être déborde. 11 mourut peu de temps après.
~M. ERLACH.
Le chevalier d'Erlach, générât des Bernois à la bataille de Laupen (<359), où ta féodalité, dans la Suisse occidentale, reçut son coup de mort.
Ibid. ARNOLD.
Arnold de Winkelried, à Sempach, embrassant les lances des chevaliers autrichiens (1586).
PAGE t9J. BERTHELIER.
Berthelier, qui, au commencement du seizième siècle, déjà avant la réformation, proclama la liberté de Genève, et fut mis à mort par l'ordre du duc de Savoie. Il disait au prieur Bonnivard (le Bonnivard de Chitton) Touchez-là, mon compère pour amour de la liberté de Genève, vous perdrez votre bénéfice (votre abbaye), et moi la tête;" 'lesquels tous deux advinrent, ajoute Bonnivard lui-même, qui nous a conservé ces paroles. Ibid. DAVEL.
Le major Davel, envoyé à l'échafaud par les patriciens bernois, en i 725, pour avoir appelé à la liberté ses compatriotes du Pays-de-Vaud, auxquels il proposa l'indépendance par une démonstration éclatante, mais en s'arrangeant, s'ils refusaient, de manière h succomber seul.
PAGEt9i.
Sehwytx est là toujours.
Dans la première édition, on avait fait, pour suivre la règle SchM~'fz d'une seule syllabe; mais vraiment c'est une pédanterie si ce mot n'a qu'une syllabe pour t'oeii, pourl'oreille il en a deux. Quant à sa situation, qui a vu Schwytz, assis fièrement sur la pente, au pied de cimes hardies, en aura eu quelque impression analogue à celle qu'on a essayé de rendre dans ces vers. PAGE i92. L'OURS.
Le langage et les poésies populaires disent ordinairement: l'Ours, se~Hexf Ours (T~en' JfoMt~, pour désigner Berne.
7&t(!. DU LÉMAN.
C'est des bords du lac Léman que sont partis tous les mouvemens révolutionnaires de la Suisse moderne.
PAGE 205. LAHARPE ET DAVEL.
Voir, au bas du texte, la note de la page 22, et ci-dessus celle de )apagei9i.
On a expliqué, dans la préface, que l'on rejetait ici, parmi les notes, trois chansons qui parurent lors de la révolution vaudoise de 4845. Elles font allusion, non aux individus, comme on avoulu le voir dans le temps, mais aux situations, aux tendances, aux partis et aux élémens divers de cette révolution. L'intérêt de ces petites pièces s'est naturellement beaucoup effacé, et s'effacera davantage encore avec le temps. Comme elles contiennent cependant quelques traits de mœurs et des détails historiques, on a dû les conserver pour les personnes qui n'ont pas la première édition. Elles y étaient placées dans le troisième livre. Les voici
Quiconque veut philosopher
Doit avoir un premier principe, 1
Jusque sur les yeux s~en coiffer,
Et prendre tout Je reste en grippe. Ce principe, enfin est trouvé,
OEuvre sublime du. génie.
Non non je ne l'ai point rêve:
C'est, Messieurs, c'est l'Académie. Un jour, l'un do nos trois Conseils, Le grand, le petit, ou le moindre, 1 A-t-il eu de fâcheux réveils
Et l'ennemi vient-il à poindre
On lui répond Tout est au mieux, Dans l'Etat, oui, tout fait envie
Sauf un seul point défectueux,
C'est, Messieurs, c'est l'Académie. Si Doctrinaires, Radicaux.
Nous gouvernant à tour de rôle
Se font le poing, même assez gros, Avec une mine assez drôle
Si, maintes fois, au Grand-Conseil Bâille la salle dégarnie,
Qui peut produire un fait pareil?
C'est, Messieurs, c'est l'Académie. LeVaudois,ce peuple madré,
Ne suit pas la loi de la Mecque
S'il a de tout temps préféré
Sa cave sa bibliothèque
Si d'être un Homère un Caton
Petitement il se soucie
Qui diantre a fait ce gros garçon ? C'est, Messieurs, c'est PAcadëmie.
Avant ta dernière révolution du canton de Vaud, i'academie ou l'université de Lausannc
fut en butte aux attaques les plus absurdes, mais débitées du ton le plus sérieux, et qui ne
tardèrent pas à porter les fruits qu'on en attendait. On se servit de son nom comme du famcux.
t'efra!n C'est la faute de Rousseau c'est la faute de ~bïtfttre.
De la Dole jusqu'à Jaman (montagnes du canton de Vaud).Ecoutez donc cette infamie Nous n'avons point eu de choux cette année. Cest ~cs~ieurs, c'ast rAcadëmic.
L'ACADÉMIE DE LAUSANNE' 1
Je n'ai pas, dit un orateur,
Messieurs, la langue bien pendue;
3lais, *en revanche, par bonheur,
Elle est on ne peut mieux pointue.
Les traits que je vais décochant,
En douceur je les ex.pêdie
Et l'on dit que je suis méchant!
C'est, Messieurs, c'est l'Académie. ~·
Messieurs je n'y comprends plus rien S'écrie un autre tout m'embrouille
Mais c'est mon droit de citoyen t
Et je bredouille je bredouille.
Sur tous si j'ai frappe frappé
A droite à gauche avec furie;
Sur tous si j'ai jappé jappé.
C'est, Messieurs, c'est l'Académie. ·~
C'est fort bien d'être indépendant ·~ Dit un troisième avec mystère
Mais moi je suis prudent, prudent, t
A petit bruit rasant la terre.
Une personne est dans un pas.
Un mauvais pas.. nul ne le nie
·~ Dlais moi je ne la nomme pas
C'est Messieurs, c'est l'Académie. ·~
Un autre encor dit Eh pékins
Tant de beaux mots ne font pas grêle. Vous êtes de pauvres coquins t
Je vois qu'il faut que je m'en mete.
Un mot toutseul fera cela,
Grêle orage foudre incendie
&tM les fla de Loyola!
C'est, Messieurs, c'est t'Acadctuic.
Messieurs, dit un bon campagnard,
Toutes les vignes sont getëes
Les blés furent semés trop tard
Nos forêts se sont envolées.
De la Dùlaz quanqu'à Dzaman,
EcMto-fet cel' tn/owtft'
~Vo n'ain meins eu dé tcoMS 8ti an.
C'e, Messieurs c'è r~coofoMtO'.
Altération populaire du' mot aristocrate, par laquelle les radicaux valnisaus désignaient leurs adversaires. Elle passa du Valais dans le canton de Vaud avec la révolution. Tous ceux qui n'approuvérent pas le mouvement, ou le sens-dessusdessous opéré en février 1845, furent donc aussitôt traités de riatoua ou d'aristocrates.
Le Grelot, espèce de Charivari, qui se publiait à Lausanne, a plus fait pour la révolution que les grands journaux.
plusieurs reprises des éloges aux Lémens on Vaudois, dontlés bataillons figurèrent
dans ces béroïques combats des Alpes qui préludèrent à la grande bataille de
Zurich.
LE MSTOU',
ou
LE NOUVEL ARISTOCRATE
Qui veut ouïr. qui veut apprendre Ce que je suis sans m'en douter? Hélas! je ne suis bon qu'i pendre Ou, tout au moins, à grelotter'. J'ai vieux chapeau vieille cravate Et vieil habit on ne sait d'où
Je suis donc un aristocrate,
Ristou'ristou'ristou'ristou!f'6K.~ Voyez! fort minceest mon mérite: Je ne sais pas,gagnant au jeu, Pour faire bouillir la marmite
Dans le peuple souffler le feu.
Peuple ou roi qui veut qu'on le flatte, Ne trouve en moi qu'un vieux hibou. Je suis donc un aristocrate
Uistou'ristou'ristou'ristou'~î'tsJ Contre la vertu, le génie
Faut-il aussi lâcher son mot?
Faut-il que je les calomnie?
Oh! franchement, je suis un sot. Pour condamner à mort Socrato Je n'eusse rien valu du tout.
Je suis donc un aristocrate
Ristou! ristou! ristou! ristou!(bis.) On me dit Vive l'ignorance A bas le culte des neufs sœurs J'ai du respect pour la science, Et même pour les professeurs.
Mais l'ine veut-il qu'on le gratte, Allons je ne suis pas si fou!
Je suis donc un aristocrate
Ristou! ristou ristou! ristou (bis.)
Je ne sais pas, sans frein ni borne, t Contre tons, d'un front menaçant, Toujours beuglant, lever la corne, Et faire fuir chaque passant.
Je ne vois pas tout écarlate,
Comme un taureau qui tord le cou. Je suis donc un aristocrate
Ristou ristou ristou! ristou f&M.~ Que tout le monde s'apauvrisse En quoi serai-je plus heureux?
Je ne crois pas qu'on s'enrichisse Quand tout le monde sera gueux. On dit qu'un nouvel âge éclate Ma foi! ce n'est pas le Pérou
Je suis donc un aristocrate
Ristou! ristou! ristou! ristou (bia.) J'ai quelque chose encor dans l'âme Qu'il faut que je confesse, hélas! Le croiriez-vous? j'aime ma femme; Serais-je le seul dans ce cas?
Le communisme est un pirate. Droit du seigneur? droit du bambou?. Moi, je suis un aristocrate
Ristou'ristou'ristou'ristou'~t'ts.~ Quand nous brisâmes nos entraves, Quand nous devînmes fils de Tell, Quand Masséna nous disait braves J'ai combattu sur le Grimsel 8.
J'ai sur mon sabre cette date,
Le sabre est lâ, pendant ait clou Et je suis un aristocrate!
Ristou'ristou'ristou'ristou'~ts.~
En 1799, époque de raf&anctusaement du pays de Vaud, Masséna donna à
Un petit roi bonhomme
Vivait non loin d~ici
Sans souci.
Il était bien en somme,
liaut d'un pouce et demi
J'en frémi!
Ah! comme il rit
Ah.! comme il rit
Comme il rit quand il dit
Je suis petit,
Petit, petit,
Tout petit, tout petit.
Plus que le roi de Rome
)]s*est montré vaillant,
En braillant.
Sa.voix, comme une pomme Qui sur la braise cuit,
Fait du bruit.
Et comme il rit, etc.
Il a, dans ses domaines
Qu'il parcourt en trois pas, L'arme au bras,
Deux cent mille douzaines,
On ne le croirait pas
D'échalas.
Et comme il rit, etc.
"Petit! mais tout le monde Dit-il, en se mirant,
JI N'est pas grand.
A moins que je ne ponde, Nul n'est petit, ma foi!
JI Comme moi. ~·
Et comme it rit, etc.
Que reimemi se montre
Que voulez-vous? pourquoi me plaindre?
Je reste pauvre, je suis vieux,
Lo jour travaillant sans rien craindre
La nuit dormant tant que je peux.
Je ne sais pas tendre la patte
Plier au besoin le genou
Je suis donc un aristocrate
Ristou! ristou! ristou! ristou! ~6)sj
UN PETIT ROI
Air de Guilleri.
"Jej~ecrases'itest
p Peu replet,
On bien, dans la rencontre,
"Je lui tourne le dos
"S'H est gros.
Et comme il rit, etc.
Hdit, et, sur sa porte
Campé d'un air moqueur,
Ce vainqueur,
Abête ou gens, n'importe*
Fait au moins, de son mieux,
Les gros yeux.
Et comme il rit, etc.
Son rire est long d'une aune,
Il éclate, il s'étend,
Il se fend.
Mais-,ôcieï'it est jaune,
Comme un bouquet choisi,
De souci!
Ah comme il rit, etc.
Il porte sur sa tête
Une plume en avant
A tout vent,
Rouge comme la crête
Qui pare le menton
Du dindon.
Et comme il rit, etc.
tf porte sur l'épaulc,
Pendant avec fierté,
De côté,
Pour epëe une gaule,
Dont il donne très-bien
A son chien.
Et comme il rit, etc.
Voulant être héroïque,
Il donna de travers,
Dans les airs,
Un coup de gaule, oblique, Dont il eut tout l'affront
Sur son front.
Et comme il rit, etc.
Oh! queUe grande lutte JI Cria-t-il en tombant
Sur son banc;
Puis, laisant la culbute,
Oh! dit-il, quel exploit "On me voit!
Et comme il rit, etc.
"C'est, dit-il,que la terre, C'est que tout vient en bas "Sous mes pas.
Je suis foudre de guerre: Qu'on pâlisse d'effroi
Devant moi
Et comme il rit, etc.
Ma cervelle est féconde Je vois dans mon tonneau n Tout en beau
Je vais changer le monde, En faire trait pour trait
Il Mon portrait.
Et comme il rit, etc.
Le monde, à mon image, Deviendra grand garçon, Tout de bon,
Et, changeant deplumage, Sera sur son vieux roc
Comme un coq. Il
Et comme il rit, etc.
Nous pavanant à l'aise,
Nous serons tous cgaux,
PAGE 254.- LA MÈRE DU SOLDAT.
Le fait qui a donné l'idée de ce petit poème et qui en forme le dénouement, est historique. Un soldat suisse, des environs d'Aigte au canton de Vaud, revenant du service et rentrant dans ses foyers, aurait ainsi retiré sa mère de la fosse, à ce que m'a raconté autrefois une personne fort au courant des souvenirs de la localité.
Tous nigauds;
Rouges comme la braise,
SouMant partout le feu
C'est le jeu
Et comme il rit, etc.
Nous avons plein nos poches, Et de toutes façons
Cent raisons,
Cent tours, centanicroches; Aussi, n*y cherchez plus
i, Des écus! Il
Et comme il rit, etc.
Noua ferons de la terre
Un nouveau paradis,
Je vousdis!
On ne s'y plaira guère
Mais qu'importe pour moi, J'en suis roi.
Et comme il rit, etc.
La Terre au petit homme
Fit un profond salut,
Qu'il reçut.
Et dès lors il se nomme
Quelqu'un sait-il son nom
Mn foi, non
Ah comme il rit, etc.
Pourtant il est bonhomme!
Aussi, se réveillant
En baillant,
Un jour, voyez-vous comme De son grand patatra
JI rira
Ah comme il rit!
Ah! comme il rit!
Comme H rit quand il dit
Je suis petit,
Petit, petit,
Tout petit, tout petit.
PAGE 366. LA VIEILLE DAME ET SON FILS.
Ce morceau n'a d'intérêt que par le mot qui le termine ce mot a ëté réeUement prononcé, et c'est encore ici un fait réel ii s'est passe dans une ville du midi de la France, au dire de celui à qui nous l'avons entendu raconter, feu M. Requien, d'Avignon, dont le nom est bien connu des archéologues et des naturalistes. PAGE 280. LE SERVANT.
On a tâche de reproduire dans ces vers quelques-uns des traits sous lesquels l'imagination populaire se représentait le Servant, ou le lutin familier dans la Suisse française entre autres, ses malices aux servantes de la maison, qui, le considérant comme un être unique en son espèce et toujours présent, se servaient seulement du mot Lui pour désigner ce personnage mystérieux.
PAGE 520.
La-bas sous ces ormeaux, je vois tourner la ronde.
Voir, ci-dessus, la note de la page ~8~.
PAGES 570 et S7<.
Qu'on nous permette ici quelques indications sur des noms d'amis, dont nous avons voulu rappeler et caractériser le souvenir, et parmi lesquels il y en a, d'ailleurs, de bien connus.
LEBRE. Adolphe Lèbre, d'origine française, mais élevé à Lausanne, étant venu à Paris, s'y fit remarquer des jugesles plus compétens par ses articles d'histoire et de philosophie, publiés dans le Semeur et dans la Jtectte des Deux Mondes. Il fut enlevé à la fleur de l'âge et du talent, en i84~, et lorsqu'il commençait à compter dans la presse parisienne.
Henri, l'aimable menestreL
HENRI DURAND, mort à Lausanne en 18~2, tout jeune encore et revêtu des plus aimables dons de la jeunesse. C'était bien, comme on le dit ici, un véritable ménestrel musicien et poète, les vers lui venaient en chantant. Ses Poésies ont été recueillies, et il y en a plusieurs éditions.
MONNEROt). Frédéric Monneron, mort aussi très-jeune, en 1857, était, à ne pas s'y méprendre, un poète de la plus grande race, comme on peut s'en convaincre par quelques-uns des fragmens inachevés qu'on a publiés de lui récemment. Voir ce qu'en a dit M. Sainte-Beuve dans son article sur M. Vinet, et notre notice sur lui dans la Revue Suisse, t. XV, p. M7.
MoNNAM. Charles Monnard, l'un des continuateurs de l'histoire suisse de Jean de Millier, longtemps professeur à l'académie de Lausanne, député à la diète, maintenant professeur à Bonn, l'un des citoyens dont s'est le plus honorée la Suisse de nos temps, et auquel rien n'a manqué de ce qui attend d'ordinaire le vrai patriote, la lutte pour ce qu'il estime le bien, la victoire, et la dépopularisation après le succès.
VULLIEMIN. Louis Vulliemin, historien non-seulement de talent et d'étude, mais de vocation, et qui a publié, sur plusieurs parties de l'histoire de la Suisse, sur le Moyen Age, sur la Réforme, des travaux pleins de recherches solides, de finesse et de sagacité. AGASSIZ. Louis Agassiz, aussi du canton de Vaud, l'un des premier naturalistes de notre temps. Jeune encore, ses travaux étaient déjà si remarquables, que l'illustre Cuvier lui remit des matériaux qu'il avait rassemblés pour l'histoire des poissons fossiles, le jugeant le plus capable de les continuer. Après avoir, pendant plusieurs années, jeté un vif éclat sur l'académie de Neuchâtel, il est maintenant professeur à l'université de Cambridge aux Etats-Unis.
ViNET. Alexandre Vinet, professeur à Bâle, puis à Lausanne, dans son pays natal, prédicateur, moraliste, théologien, publiciste et critique; toujours souffrant, mais toujours travaillant et secourabfe à tous; l'un des écrivains français protestans qui a eu le plus de renom et d'influence de nos jours. On achève de publier ses OEuvres complètes. Quand parurent les Chansons lointaines, dont il a parlé dans plusieurs recueils littéraires avec une indulgente amitié, nous pouvions le compter encore dans le nombre, déjà bien diminué, de nos amis d'ici-bas. Peu après (en 1847), il alla rejoindre ceux dont lui-même a si bien dit
Ils ne sont pas perdus, ils nous ont devancés.
PAGE 582. LE BOUT DU MONDE.
En plusieurs endroits, à Genève entre autres, si nous ne nous
trompons, dans la vallée du Rhône aussi, a Aigle, où ce nom nous avait frappé, l'imagination du peuple s'est rencontrée pour le donner à quelque lieu sauvage ou retiré.
PAGE 452. FROMENT, LION.
Les boeufs s'appellent fréquemment ainsi dans la Suisse française; ou bien Jaillet et Moutai, qui signifient, le premier, tacheté, moucheté, le second, étoilé au front, et surtout marqué de grandes taches de blanc et de roux. On a pu voir de même quelques noms de vaches à la page 86. Ce joli nom de ~V:ca~ qu'on explique par neigée, ou cendrée, n'est pasinventé non plus. On le donnait à une vache de la montagne où ces vers ont été composés.
PAGES 436 ET 438. `
Bu)y, près Clarens délicieuse maison de campagne, appartenant à la famille Couvreu. De sa haute terrasse, qui domine la route et le lac, on a vue sur tous ces bords enchantés.
Celle qui les reçut ici.
M* Emma C* femme aussi distinguée d'esprit que de cœur, enlevée prématurément à ses deux familles, la sienne propre et celle des aNigés et des indigens.
Une autre encor, non moins absente
De son hospitalier manoir.
M°"M*du Châtelard. L'antique donjon du Châtelard, ce vieux reste des âges féodaux, est bien connu de tous ceux qui ont visité ces beaux lieux, dont il est, pour ainsi dire, le point culmi.nant. Il l'est mieux encore de ceux, en grand nombre, auxquels le propriétaire actuel, M. Marquis, fait les honneurs de son château avec tant de largeur et cordialité. Que d'amis, que d'étrangers aimables et instruits, quelques-uns même célèbres, se sont rencontrés à la table hospitalière et dans la vaste salle du vieux manoir! M. Monnard, M. Vulliemin, MM. Charles et Edouard Secrétan, M. Melegari, aujourd'hui à l'université de Turin, M. Chambolle, un moment exilé après le Deux-Décembre, M. Jacques Dubochet, M. Charles Gleyre, M. Vinet, M. Emile Souvestre. Hélas! ces derniers noms nous le rappellent outre ses deuils de famille, cette magnifique demeure a aussi de funèbres et douloureux souvenirs.
PAGE 446.– CHARLES GLEYRE.
L'auteur du Soir de la vie ou des Illusions perdues, l'une des perles de la galerie du Luxembourg. D'autres tableaux de ce maître, le Départ des apôtres, la Pettfecote, le Déluge, le major Davel, Ruth, Nausicaa, l'Echo, les Bacchantes, l'amour profane, ou une femme conduite par un petit satire et chassant l'Amour,- sont des œuvres égales au moins et peut-être même supérieures à la première pour la perfection de l'exécution elles se trouvent éparses dans des collections publiques ou privées, en France et à l'étranger, à Lausanne, à Paris, à l'Escurial.
Tous les connaisseurs savent à quel point ce peintre, l'un des premiers assurément de notre époque, unit la correction du dessin, une couleur harmonieuse et d'une gamme savante, mais qui ne vise pas à l'effet, l'invention originale et l'art profond de la composition, au sentiment tout particulier du beau et de la grâce antiques, qui est son cachet. Notre édition même en fournit une preuve dans le sujet par lequel son amitié a aussi voulu y concourir, et qui, transporté depuis sur la toile, est devenu un de ses plus charmans tableaux. Dans le Sommeil du Loup, en effet, on admirera, avec cette fleur de beauté juvénile, cette grâce en même temps qui s'ignore, et dont un voile semblerait plutôt diminuer l'innocence et la pureté. Au reste, nous ne songions pas, en commençant cette note, à faire ici l'éloge inutile de notre peintre, nous voulions seulement dire qu'il est aussi, comme Léopold Robert, de la Suisse française, de Chevilly au canton de Vaud.
PAGE 4oi. LA GENEYRtÈRE.
A Mousseaux, près Châtillon-sur-Loing.
PAGE 458.
Le fait est qu'elles sont cousines.
La nièce et la fille de l'auteur, si l'on veut bien nous permettre d'ajouter encore, cette fois tout à fait en prose, ce petit détail de famille.
PAGE 466. ADALBERT.
Les notes au bas du texte rappellent les traits historiques empruntés au chroniqueur du dixième siècle. Le guerrier CtsAer, l'un des héros du chroniqueur carlovingien, vivait sur les bords de la Dura, comme celui-ci le dit en son latin, et avec la prononciation rude que les Attemands mettent souvent aud, c'est-à-dire, sur les bords de la Thur, et non de la Dore, comme traduit Châteaubriand car il est fréquemment question du Thurgau ou pays <!e la Thur dans le moine de Saint-Gall, et son abbaye était en effet située dans le voisinage.
PAGE 47~. L'ÉYÉQUE BERTHOLD.
Berthold de Neuchâtel, évêque de Lausanne, mourut réellement, selon l'assertion positive de la chronique, au jour précis qu'il avait fixé, après l'arrangement de ses affaires, pour se mettre en route et aller en Orient prendre part à la croisade. Sa mort eut lieu vers l'an 1820.
PAGE 475. LE TROUBADOUR DU COMTE PIERRE. Le comte Pierre, ou le Petit Charlemagne, est bien connu dans l'histoire et les traditions de l'Helvétie romane. 11 fut un des plus vaillans seigneurs de son temps, et activement mëté, pour son profit, aux affaires de l'empire et de l'Angleterre dont sa nièce, Eléonore de Provence, avait épousé le roi Henri !U. Il aimait beaucoup son château de Chillon y venait souvent, et y mourut (en <268).
« Or, dit la chronique, le comte Pierre étant retourné gaillardement au lieu de ChiUiong, là où il fust surprins d'une très-grande maladie, qui luy dura bien longuement; et tellement fust malade qu'il ne povoit, ne n'eust sceu partir de son chastel, sinon qu'il se faisoit aulcunes foys porter dessuz l'eau en une navire pour se y resjouir et prendre de l'air ».
Nos historiens, M. de Gingins, M. Vulliemin, ont découvert que le comte Pierre avait un troubadour, par lequel it se faisait accompagner dans ses promenades sur le lac. Mais tout ce qu'on a pu apprendre jusqu'ici, c'est que ce poète chevaleresque s'appelait ferrât (peut-être Ferrand ou Fernand), ou Féraldo, comme incline
à le croire M. Vulliemin (voyez son ouvrage sur CMtMt). On ne sait rien de plus sur lui.
PAGE 480.
Ce n'est, dit-on, qu'en l'eau tiède trempée
La tradition vent, en effet, que le sang et la fatigue eussent tellement collé les mains des deux héros à leurs épées, qu'il fallut, comme elle le dit naïvement, les mouiller d'eau chaude pour les détacher. Clarimbord et Ulrich Bras-de-fer étaient deux pâtres des vallées de la Gruyère. Le fait d'armes qui leur est attribué, et dont le souvenir se conserve encore dans leur pays, doit s'être passé eni348.
PAGE 493. L'ALPE.
Ici et aitleurs on s'est servi de ce mot au singulier, comme il est usité dans les Alpes mêmes, pour désigner un haut pâturage, un alpage. ~!pcr se dit des troupeaux qui passent l'été sur la montagne.
PAGE S52. LE NANT.
Ce mot, encore usité dans le dialecte roman de la Suisse française, où l'on veut qu'il se soit conservé du celtique, signifie un petit !ttt!SMtt.
PAGE 555.
Les 6rtMe!ets cassans, les men'e'Hes dorées.
Sorte de pâtisserie rustique fort en usage dansla Suisse française. Quant à l'usage de ces repas après les funérailles, usage d'ailleurs jusqu'à un certain point motivé dans les campagnes par l'étoignement des parens conviés à la cérémonie, il tend beaucoup à se perdre, et n'est plus ce qu'il était autrefois, où l'on y mangeait et buvait autant qu'à une noce ou à un baptême.
Ht DES NOTES.
Pages
Préface. v LIVRE I.
LE LIVRE DE JEUNESSE 5 Les chansons lointaines S Anciennes amours ~i f. Les bruits du monde, ou l'insomnie de ma mère i4 Le bon vieux temps helvétique i8 Le vieux Laharpe 22 Un peu de dispute. 24 Chant de paix 27 Promenade de nuit 29 AmonamiM*D** 5i La visite 55 La maison 56 Amour simple et pur 59 Chansons d'enfans
I. Que j'aime le sourire 41 II. Coquins d'en fans 42 En voyage 44 4
TABLE
La chanson de Ju!iaA)pinu)a 46 La chanson d'Yzolier 48 Préludes 50 Le temps s'en va S5 Jeune Hetvétie. S6 Les derniers combattans S8 Les vieux chênes. 61 LIVRE II.
LE LIVRE MOROSE 67 lrI Les voix du printemps 69 LaNuit. 75 Pensées d'orage
I.Qt<ew!M-ht?. 81 It.A'e<MeSM!'Sp<M. 82 in.~Vect'ot'spM~uemaM'e 85 Lettreécrite de la montagne. 85 L'enchanté 89 La vie en pleurs 91 Espère! 95 Aun parfait ami 9S Aveuglement 97 Le torrent noir 99 Lerayondeiune. 105 Le volcan éteint 104 AmonamiS.-B. 408 LaHeurbteue. 111 AMiçkiéwicz 117 Le sapin 120 Lescerisesdemagrand'mère 124 Quatorze ans 128 Aux enfans 150
Douleur paternelle i3t LechampdebataiHe. {57 Le sifflementdes bâties m La chanson des vivans et des morts 145 Sonnets:
I. Gémir, crier, p~eMfer. i49 II.~moMOMt!'Sa:M<e-B<*MM 450 ni. ~oMs~ue~'eK'otpos~tte. iSl IV. Mortels, nous KCt~MOKS iSi V. Que faire, que résoudre 1S2 VI.MeseK/aKh' dS5 VII. De l'espoir iS4 VIIÏ.PoM~MOtdtt'C. ~S4 IX. Oh! chasse ces pensers 4S5 X.AM°"H.B. 1S6 Les poètes, chant à deux voix iS7 LIVRE III.
LEMVmEHELYÉTf~nt! i67 L'Avenir:–Prologue 169 I.(i85i) 170 H.(i84S) i7S La dernière ronde. 18t Les héros helvétiques. i90 Un bon conservateur 196 A bas' 199 Les pèlerins suisses 202 Le chapeau. 20t A mon ami Henri Euter. 207 Lechantd'unégatitaire. 209 Lagrandeaurore. 2i5 Pardonnons-nous. 216 A de jeunes amis.. · 220
37
LIVRE IV.
LE LIVRE DES VIEUX REFRAINS 22S Ma chanson. 227 Le sommeil du loup 229 Les boeufs 23S La galère d'amour. 241 Là-haut 243 3 L'écureuil. 24S La mère du soldat 2S4 La vieille dame et son fils 266 La chanson de Fépée. 268 Le luth sauvage 272 La dernière rencontre 274 Le Servant 280 Chansons de printemps Prologue 287 î I. Brise matinate 288 II. La chanson du nigaud 289 III. Même sujet sur un autre air. 291 IV. La fleur noyée 292 V. Dormez-vous? 294 VL Mecroiras-tu? 29S VII. L'oiseau de mai 297 Epilogue Dans les bois 298 Chansons d'hiver:
I. Chanson sans rime.. 300 II. Chanson fourrée de rimes 304 III. Seul au foyer 308 De la montagne à la plaine 310 Où s'en vont les jeunes SDes Prologue 314 I. La Belle au bois rêvant 3iS II. Z.a-6MM!fsceso)'MteaMa' .320 III. Sa mère est là 321
IV. Brune, blonde et noire. 524 V. La Belle, passant au soir 550 VI. La chèvre, la (i)!e et le passant 341 VII. La moissonneuse 544 VIII. Le voile de neige 546 La reine du bat 3S4 Finaut, ou la vision du berger 5S8 Le père et son fils 366 Btt'M~fca~M. 568 Les marionnettes. 372 Le bout du monde. 582 LIVRE V.
LE LIVRE D'AUTOMNE 587 Le vieillard 589 Le sommeil du Temps 593 La barque du bonheur 39S Lap)aIntedesfeuiHes 398 Confiance 400 Chansons d'enfans
I. Le Grand-père, ou toute la maisonnée. 402 II.Pimponderose 408 IIL La clé des champs 410 La recherche 428 DanstesiMon. 431 Le clair de lune 454 Lesanimauxma)faisans 4M Oh là là! 442 Envoi Allez, Muse M~o-e, 445 Autre A M. Charles G!eyre. 446 Sonnet Si vous étiez, .M<K~MHe, 447 Clairette 448
Damon 4S5 CHANSONS HISTORIQUES, BAH.AMS ET POÈME: La vigne et le rossignol, légende 46i Adalbert, ou le vieux guerrier frank 1. 466 L'évéqueBerthoId. 470 Le troubadour du comte Pierre 475 Clarimbord 478 Exploit d'enfant 48i La gourde du forestier 486 Le fou d'amour Si5 Les Campagnes
I.–LaSeurdanstesbtés. S27 II. Le nant de l'Ayzelet 332 JH.-Laveiltée S59 IV. Le messager S47 V. Le festin SS4 Notes S6i
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Gravées par M. Ed. Willmann, et dessinées Page
t. Le Portrait de l'auteur, par M. Charles
Gleyre
II. Les Chansons lointaines, frontispice, par M. G. Staal S III. Le Sommeil du Loup, par M. 'Ch. Gleyre 229 IV. La Mère du Soldat, par M. Gustave Roux 254 V. Le Servant, par M. G. Staa! 280 VI. La Belle passant au soir, par M, Gustave Roux 350 VII. Le Voile de neige, par le même. 546 VIII. Finaut, par MM. Fritz Berthoud et G. Roux 5S8 IX. Damon, par M. Gustave Roux 455 X. Adalbert, par M. Jules Hébert 466 XI. La Gourde du Forestier, par M. Gustave Roux 486 XII. Les Campagnes, par M. G. Staal S26
Page 324, ligne Au lieu de Un autre, lisez Une autre. C'est en outre par erreur qu'au moment de tirer les gravures, on a mis un P. au lieu d'un C. au prénom de M. Ch. Gleyre, dans les signatures du portrait de l'auteur, et qu'on a écrit Methay, au lieu de Mathey, dans celles d'Adalbert, de Finaut, de Damon et du Sommeil du Loup. Ces deux fautes peuvent être aisément corrigées à la main, dans les exemplaires ou elles ne le seraient pas.
Erratum.
MUSIQUE
AUegromaMtoM.
Chant de paix. Pour 3 voix égales.
P.Winter.
Promenade de nuit.
Jeune Helvétie.
Les derniers Combattans.
Pour 4 voix d'hommes.
La vie en pleurs.
Quatorze Ans.
Dans les bois.
Pour voix de Soprano avec accompagnement
de Piano ou de.2 voix d'Alto, 2 Tenors et Basse.
Dans les bois, (bis)
On entend une voix:
Est-ce une ombre éveillée, Errant sous la feuillée,
Dans les bois? (ter)
2.
La Ronde.
La BeUe/passant au soîr.
3.
Dans les bois, (bis)
On n~ entend plus de voix D'arbre en arbre s'avance Seul, tout seul. le Silence Dans les bois. (ter)
Confiance.
Petite fleur sur la montagne,
Si j'en crois ton ruisseau d'argent.
Qui sort des neiges et qui gagne
Le vallon d'un pas diligent,
Ici, l'hiver à ta corolle < Ne dit jamais un long adieu. 1 (IS)
Voyageur, que ta crainte est fo!!et < Pour moi, je me confie en Dieu. { Petit berger sur la montagne,
Malgré tes airs de petit roi,
La pauvreté, qui t'accompagne,
Quand tu montes, monte avec toi.
Voyageur, que le ciel t'assiste! ) Il faut savoir vivre de peu. ) 18
Mon père dit: La vie est triste 1 < Pour moi, je me confie en Dieu. 1 lS
Pimpon de Rose.
La Recherche.
Le Troubadour du Comte Pierre.
MME.–TYPOMKAt'mKB.-t.HALLËhETEU.MMm.Y.