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Titre : Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie

Auteur : Société des antiquaires de Normandie. Auteur du texte

Éditeur : Derache (Paris)

Éditeur : Didron (Caen)

Éditeur : Hardel (Rouen)

Éditeur : Le Brument

Éditeur : Société des antiquaires de NormandieSociété des antiquaires de Normandie (Caen)

Date d'édition : 1896

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb345348597

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb345348597/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 23325

Description : 1896

Description : 1896 (T18)-1898.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Basse-Normandie

Description : Collection numérique : Fonds régional : Haute-Normandie

Description : Collection numérique : Bibliothèque numérique de Rouen

Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k200018r

Source : Société des antiquaires de Normandie

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE NORMANDIE

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BULLETIN \p£

DE LA

DELA

SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE NORMANDIE

–––

TOME XVIII

ANNEES 1896, 1897 & 1898

CAEN

HENRI DELESQUES, succr DE F. LE BLANC-HARDEL RUE FROIDE, 2 ET 4

HOU EN, Lestrinuant, SUCC' DE Cii. Métérie

PARIS, Honoré CHAMPION, QUAI VOLTAIRE, 9 1898


SÉANCE PUBLIQUE

DU 5 DÉCEMBRE 1895 Présidence de M. Jules FÉLIX,

Conseiller à la Cour d'appel de Rouen, président de la Société Rouennaise de Bibliophiles.

Le jeudi 5 décembre 1895, la Société des Antiquaires de Normandie a tenu sa séance publique annuelle dans la grande salle de l'École de droit, sous la présidence de son directeur, M. Jules Félix, conseiller à la Cour d'appel de Rouen, président de la Société Rouennaise de Bibliophiles.

Aux côtés du directeur avaient pris place MM. Langlois, président; le général Chambert Lebret, maire de Caen et député du Calvados; le comte de Marsy, ancien directeur de la Société, Guillouard, Travers et de Beaurepaire, secrétaire. MM. le Premier Président, le Préfet du Calvados et Monseigneur l'évêque avaient, ainsi que M. le Procureur général, exprimé leurs regrets de ne pouvoir assister à la réunion.


Sur l'estrade se pressaient les membres de la Société, titulaires, résidants et non résidants; un public nombreux remplissait la salle. Comme d'habitude, une délégation des élèves du Lycée occupait la tribune.

Le programme était ainsi conçu

Discours d'ouverture, par M. le Directeur;

Rapport sur les travaux de l'année, par le Secrétaire

De quelques fausses attributions du Musée de Caen, par M. Fernand Engerand;

Le manoir de Quilly, par M. Albert Pellerin; Philippe Le Cat, poème, par M. Émile Travers. Le temps a manqué pour donner lecture du travail de M. Pellerin, sur le manoir de Quilly; tous les autres morceaux ont été lus dans l'ordre porté au programme et ont été favorablement accueillis par la réunion.


« Je serais bien effronté si je n'étais pas modeste », devrais-je avouer avec un des valets de Marivaux mais, pour aujourd'hui, vous m'avez interdit l'exercice de cette vertu facile et l'honneur insigne que vous m'avez conféré m'impose l'illusion, dès demain déçue, de le supposer justifié. Aussi quels que soient sur ce point délicat les doutes dont s'alarment les scrupules de ma conscience, mon amour-propre complaisant se refuse prudemment à les éclaircir, et son intérêt lui commande impérieusement de se dérober à toute comparaison entre les mérites qui distinguaient mes prédécesseurs et les titres que votre excessive indulgence a cru découvrir en m'appelant à leur succéder.

A cette place en effet, après votre digne diocésain, hôte assidu de ces fêtes de l'intelligence, dont la

DISCOURS DE M. J. FÉLIX

MESDAMES,

MESSIEURS,


douleur fraternelle daignera agréer le respectueux hommage de notre profonde sympathie, vous avez accueilli avec une reconnaissante vénération des prélats au cœur français comme le sien, l'un vous rappelant le patronage sacré, étendu sur le mont jalousement cher aux Normands et toujours victorieux des assauts de la mer ou des attaques de l'ennemi, un autre, empressé à prodiguer les plus touchants témoignages de sa pitié attendrie et de sa ferveur patriotique à la naïve paysanne soldat de Dieu, dont le dévouement libérateur s'obstina jusqu'au martyre. Vous savez s'il pratiquait ce double culte, l'esprit généreux, juvénilement épris de toutes les gloires et sensible à tous les revers de son pays, qui avait, débutant comme un maître, jugé les « effrois » de la Jacquerie avec une sereine impartialité et semblait, soit qu'il mît au jour la chronique de la vieille forteresse monastique, soit qu'il contât l'enfance de la vierge lorraine ou la jeunesse de Duguesclin, se délasser par la variété de ses recherches du rude et opiniâtre labeur auquel l'astreignait sa belle édition de Froissart, brusquement arrêtée par la mort qui fauchait l'infatigable commentateur en pleine maturité de l'âge et du talent. En inscrivant leurs noms à côté de celui de l'érudit pour lequel la guerre de Cent-Ans n'avait plus de mystères, vous avez consacré la sagacité persévérante de l'investigateur qui avait surpris dans les carnets de Mazarin le secret de la poli-


tique du grand ministre, comme vous applaudissiez au succès de l'écrivain qui popularisait l'héroïsme de Jeanne d'Arc et flétrissait les hontes de la justice révolutionnaire. Vos suffrages enfin n'encourageaient-ils pas à de nouvelles infidélités le transfuge repentant, qui, pour un temps trop court, sacrifiant la société du dieu du commerce à la fréquentation plus aimable de la muse de l'histoire, cédait à l'irrésistible séduction de Louise de La Vallière, et lorsqu'ils se fixaient sur l'éminent administrateur de notre Bibliothèque nationale, ne les incliniez-vous pas devant l'étendue des connaissances les plus diverses unie au charme de la plus exquise et féconde bienveillance ?

La présomption la plus robuste n'oserait, en regard de ces existences si remplies, mentionner une vie obscurément confinée dans l'exacte observance du devoir professionnel et dont les loisirs seuls se sont dépensés en ces distractions littéraires ou artistiques, qui attirent ceux que bientôt elles captivent et passionnent. Études aimées je leur devais trop de joies intimes et de pures jouissances pour ambitionner d'autre récompense que les faveurs dont elles comblent ceux qui s'y adonnent, et ma reconnaissance ne résiste pas à la tentation de s'approprier l'invocation connue du publiciste au tact subtil, à la plume acérée, de Prévost Paradol, qui, contre une défaillance momentanée, a oublié de réclamer leur fortifiant secours« Saint, lettres


« chéries, douces et puissantes consolatrices, vous « êtes comme les sources limpides cachées à deux « pas du chemin sous de frais ombrages 1 celui qui « vous ignore continue à marcher d'un pas fatigué; « celui qui vous connaît, nymphes bienfaisantes, « accourt à vous, rafraîchit son front brûlant et « rajeunit son coeur ».

L'amateur est au savant ce que le touriste est à l'explorateur, et vous n'avez pu, en daignant accorder quelque attention à ses timides excursions sur le domaine qui vous est familier, vouloir vous exposer à encourir le soupçon de partialité pour une œuvre dont, à plus juste titre que lui, vous auriez le droit de revendiquer la paternité. A vous lire, à écouter les leçons qui tombent de ces chaires occupées souvent avec éclat, toujours avec conscience et distinction, la vivacité de mon goût pour les plaisirs de l'intelligence s'est maintenue et développée. Pour être anciens, mes souvenirs ne sont pas moins fidèles; ils me reportent à plus de vingt-cinq ans en arrière, je m'imagine fêter des noces d'argent ils me rappellent les jours d'antan, où, dépouillant hâtivement son costume officiel pour se ranger derrière d'autres robes plus gracieusement portées, qui attestaient, elles l'attestent encore, que dans l'Athènes normande l'amour des lettres n'est pas un apanage exclusivement masculin, le magistrat, redevenu volontiers étudiant, entendait discuter quelque thèse historique avec la


gravité et la ferme précision d'un langage soigneusement châtié, ou suivait dans ses détours ingénieux l'analyse déliée de la pensée de nos écrivains nationaux, exposée par une parole alerte et élégante, ne refusant ni la pointe d'une piquante ironie, ni le sel d'une allusion malicieuse, parfois mordante, au critique exercé dont les auditeurs restaient convaincus qu'il eût rapatrié du midi au nord, de Provence en Normandie, si jamais il s'était envolé loin de vos murs, « cet esprit fin et railleur qui est naturel à Caen », au dire de votre compatriote Huet. Comment à l'heure où, dans sa mémoire demeurée constante, réapparaît l'image de cette docte génération, dont les survivants sont entourés d'un respect si légitime, l'avocat général de 1867 pourrait-il ne pas évoquer, en cette enceinte son nom ne saurait s'effacer dans l'oubli, la grande figure du jurisconsulte illustre, parleur aussi disert que souple écrivain, dont l'enseignement a été la gloire de votre Faculté de droit et qui a laissé à la science et à la pratique juridiques, avec un livre classique, des élèves dignes héritiers, à l'école et au barreau, de son talent et de son savoir?

Par une de ces attentions délicates dont le cœur seul recèle le secret et suscite l'inspiration, vous m'avez donné, mes chers confrères, – je n'accepte pas d'autre explication de votre désignation flatteuse, l'infinie satisfaction d'adresserà cette élite intellectuelle dont s'enorgueillissent votre pays et


votre société, professeurs, savants, lettrés, artistes, archéologues, historiens, le public hommage de notre commune gratitude; désireux de vous exprimer plus complètement la mienne, j'ai songé que vous n'entendriez pas avec indifférence le récit de quelques épisodes, extraits de l'histoire de cette grande Université de Caen, dont plus d'un parmi vous entretient avec honneur les traditions quatre fois séculaires.

Créée par Henry VI, roi d'Angleterre, en 1431, dotée en quelques années de ses cinq facultés de droit canon, droit civil, théologie, arts et médecine, entourée des collèges qui se rangeaient sous son adoption, des ordres religieux qui s'agrégeaient avec un empressement quelquefois suspecté, on le vit pour les Oratoriens et les Jésuites, à un corps rapidement devenu puissant et auquel son fondateur avait concédé de précieux privilèges, l'Université de Caen jouit bientôt d'un renom mérité qui ne fit que s'accroître avec la durée de ses services, et si, au XVIe siècle, le recteur qui le premier s'est inscrit sur son Matrologe, Pierre de L'Esnauderie, empruntait, en la comparant au Paradis, le langage biblique de Salomon pour l'appeler « amie, « fille choisie, épouse, reine », l'un de ses successeurs veillait soigneusement, en 1769, à consigner sur les registres les paroles échangées lors de sa visite à Mgr de La Rochefoucauld, l'archevêque de Rouen, « pour dissiper, » écrivait-il, « les faux et


« frivols préjugés de ceux qui s'imaginent que « l'Université de Caen est la fille et non la sœur « de celle de Paris ». La grande sœur semblait d'ailleurs concéder l'égalité qui devait régler ses rapports avec sa parente provinciale, en lui communiquant les censures ou les opinions qu'elle émettait sur les publications alors si contestées de Mably, Buffon, Raynal, Jean-Jacques Rousseau. L'Université survécut à l'expulsion des Anglais qui l'avaient établie, et la royauté française, non moins zélée pour la noble cause qu'elle représentait, confirma ses privilèges sous forme de création nouvelle. L'Église avait tenu aussi à s'associer à une œuvre dans laquelle son immixtion était autorisée par sa surveillance sur l'enseignement théologique, et, dès 1439, la papauté qui n'a, non plus que nos monarques, jamais cessé de s'intéresser à l'existence d'une institution destinée à favoriser le progrès de la moralisation des individus et de la civilisation des peuples, instituait comme chancelier de l'Université l'évêque de Bayeux. C'est ainsi que le vice-chancelier choisi par ce diocésain (plus tard, l'official réunit toujours cette fonction à la sienne) devint le conservateur des privilèges apostoliques conférés à ceux qui composaient la famille universitaire, tandis que le bailli de Caen, commis dès 1445 « pour congnoistre et décider de leurs causes « tant en action personnelle comme réele », était constitué conservateur des privilèges royaux, double


courant d'influences rivales entre deux pouvoirs souverains que l'on rencontre à chaque pas dans notre histoire nationale, et qui n'a pas peu contribué à féconder les débuts et le développement de ces grands séminaires de la science protectorat religieux ou civil soumis à la surveillance de l'évêque, ou fonctionnant sous l'œil du parlement auquel cette mission était dévolue en dernier ressort, il était considéré non comme un titre purement honorifique, mais comme le devoir d'une charge dont le bailli Thomas Sever eût à revendiquer la prérogative, lorsque, sur sa réclamation énergique, son collègue de Rouen dut abandonner la prétention de s'attribuer la connaissance des procès de l'Université.

Elle grandissait sous ce patronage, dont l'ombre recherchée couvrait non seulement professeurs et élèves mais tous les familiers, fonctionnaires 1 suppôts ou officiers attachés à son service attirés par les exemptions d'impôts ou autres faveurs équivalentes, ils formaient un ensemble imposant dont le détail, je n'ose encore pas affirmer que la nomenclature en est complète, vous semblera sûrement excessif: recteur, chancelier ou vice-chancelier, syndic ou procureur général, avocats et promoteurs des privilèges apostoliques, procureurs, notaires, scribes de la juridiction des privilèges apostoliques, appariteurs, avocats et procureurs ecclésiastiques, avocats et procureurs civils, scribes


généraux ou greffiers, greffier-secrétaire qui réunit plus tard son office à celui de receveur, gardes de la librairie et bibliothécaires cartiers, claviers, sonneurde cloche, écrivains, enlumineurs, orlogeur, imprimeurs, libraires, messagers, papetiers, parcheminiers, relieurs. On avait cependant tenté, au début, de réduire à un chiffre plus rationnel le nombre des privilégiés mais l'on avait promptement dépassé ces limites, tracées le 3 février 1449 par la sagesse. du roi Henry VI « que ung avocat, « ung procureur, ung sonneur de cloques, deux « libraires, deux parcheminiers, deux enlumineurs, « deux relieurs de livres, six bedeaulx, cinq huis« siers à chascune des cinq facultez ung et sept « messagiers à entendre à chascun dyocèze de « nostre dit duché ung, vous, jusquez à icelluy « nombre de familliers et serviteurs d'icelle nostre « Université, vous tenés ou facés tenir quittez et « exens desd. tailles, aides et octroys ». Parfois, sans doute, l'honneur d'appartenir à une corporation considérée avait été l'unique mobile qui avait provoqué les démarches des titulaires de ces emplois c'est ainsi qu'en 1769, l'on voit une libéralité du comte de Faudoas, mestre de camp de cavalerie et sous-lieutenant de gendarmerie, lieutenant général en 1789 de la milice nationale, précéder, à un court intervalle de temps, sa nomination à l'office de messager de Rouen. L'année précédente, de Renault, seigneur et patron d'Argouges, avait


été investi des mêmes fonctions en 1766, le messager de Bayeux était Pierre-Charles Le Vicomte, chevalier, seigneur et patron de Villes, et six ans auparavant, du Touchet, chevalier, seigneur et patron honoraire d'Arbois, avait prêté serment entre les mains du recteur pour l'office de portemasse des facultés des droits. J'aimerais à penser que ces ambitions étaient assez désintéressées pour n'offrir point de prétexte aux reproches formulés en 1618 et 1609 par les échevins, qui dénonçaient nommément des drapiers investis' d'offices de relieurs, libraires ou imprimeurs, bien qu'ils n'en eussent jamais appris les métiers, et s'élevaient en ces termes indignés contre des pratiques illégales et préjudiciables à leur gestion financière « Il n'y « a gros marchand qui n'ait un office de l'Univer« sité sans l'exercer, mais seulement pour frauder « et frustrer les droits du Roi et du public sous « l'exemption du privilège ils ne cessent de tra« fiquer et vendre de ces offices par 3 ou 400 écus « chaque, et plus. » Le contentement d'être classé dans une catégorie supérieure à celle où figurait la masse de ses concitoyens ne suffisait-il pas souvent, indépendamment de tout bénéfice matériel, à une époque aussi amoureuse que la nôtre de toutes les distinctions sociales, si l'on en juge par ce fait que les professeurs, auxquels leur titre seul assurait de complètes immunités, étaient appelés, en 1657, à défendre devant la Cour des Aides une noblesse que l'on prétendait usurpée? 9


Des garanties sérieuses étaient pourtant imposées par des statuts émanés de l'autorité civile et religieuse et une succession périodique de règlements qui se multipliaient en proportion de la fréquence des réclamations. L'élection des recteurs avait été organisée en vue d'écarter les entreprises de la brigue ou les intrigues de l'amour-propre. A Paris, ce fonctionnaire était élu par quatre « intranls » ou docteurs représentant les quatre nations comprises dans l'établissement scolaire, ainsi qu'en témoignait un de ses clercs au XIVe siècle Quan on fait un recteur et qu'on le doit eslire,

Es quatre procureurs gist vérité planière

De le nomer recteur de nostre mère chière.

Le cérémonial de son élection à Caen, transmis par des documents datés de 1439 et 1457, se trouve tout au long reproduit dans un procès-verbal des 24 et 25 avril 1767, conservé aux archives de la Seine-Inférieure. Cinq « augures » la gravité universitaire leur enjoignait-elle de se regarder sans sourire ? – élus chacun par une des cinq facultés parmi ses docteurs et régents, réunis dans la salle du Chapitre des Cordeliers, après avoir prêté serment de voter en conscience entre les mains du vice-recteur, qui leur adressait une allocution en latin, se rendaient dans l'église du couvent où ils entendaient une messe, à l'issue de laquelle, dans une chapelle adjacente, laissés seuls pour éviter


tout soupçon de pression ou de subornation, ils devaient procéder à l'élection pendant le temps, une heure ou une heure et demie, que se consumait une chandelle de cire, prescription que rappellent les formalités modernes de nos ventes aux enchères. Puis l'on rentrait dans la chambre capitulaire, où le nouveau recteur, serment prêté, recevait le sceau, les clés, le livre destiné à inscrire ses actes et, revêtu des insignes de sa dignité, prononçait à son tour un discours en latin. Un compte du 28 juin 1515 confirme ces détails, en mentionnant la dépense de 2 sous 6 deniers pour la célébration de la messe et 3 deniers pour la chandelle de l'élection. Malgré d'aussi sages précautions, une enquête faite en 1583 et qui aboutit à la publication du règlement de 1586 « sur les disciplines libérales de l'Université » avait signalé comme recteur un futur conseiller au parlement de Normandie, Anne Du Buisson, fils et frère de professeurs en droit, âgé seulement de 19 ans et reçu maître aux arts depuis quatre ou cinq ans. L'intervention répétée des magistrats de la Cour, conservateurs avec le bailli des privilèges royaux s'explique donc par la réitération des abus qui motivaient leurs voyages et leurs investigations. En 1521 déjà, le conseiller commissaire Jessé Godet semblait avoir réussi à rétablir l'ordre, si l'on en croit le récit élogieux où il est comparé à « Philo« mêle qui excelle entre tous les oiseaux » et aux


deux plus célèbres orateurs de la Grèce et de Rome, en faisant accepter par la savante assemblée ce que, dans un langage qui n'a rien de cicéronien, le matrologe appelle « diffinitivam sententiam Parlementi ».

Des imperfections inhérentes à toute institution humaine n'avaient pu néanmoins porter une grave atteinte à la prospérité de l'Université, assurée par le renom incontesté de ses maîtres, le nombre et le zèle de ses élèves, la faveur publique; les critiques qu'elle avait encourues, si elles avaient parfois révélé un relâchement momentané de la surveillance, ou quelques négligences dans l'enseignement, avaient motivé la promulgation de prescriptions qui traduisaient sous une forme plus précise des obligations qu'elle s'efforçait de remplir, et son repos n'était menacé par aucune hostilité ouverte .ou occulte, lorsqu'en 1657 il fut, assez injustement selon toutes les apparences, troublé par l'un des siens, adversaire réchauffé dans son sein, le mot s'applique au physique comme au moral, pour qui a lu les vers tracés sous le portrait de ce personnage bizarre

Affublé de huit bonnets gras,

Botté de huit paires de bas,

D'un vent coulis la sourde atteinte

Me fait encor frémir de crainte.

« C'est ici, dit Huet,.« une figure à deux visages »,


et si archéologues et philosophes n'ont pu réussir jusqu'à présent à s'accorder sur l'authenticité des bustes de Platon, l'on n'éprouve pas un moindre embarras à vouloir fixer avec une ressemblance impartiale les traits ridiculisés par la caricature du héros burlesque de la Mandarinade. Ayant rencontré aux eaux de Bourbon le fameux médecin Delorme, ce malade imaginaire n'avait-il pas cru servir les intérêts de l'humanité souffrante en faisant imprimer le résultat de leurs conversations sous le titre alléchant de « Moyens faciles et éprou« vés par M. Delorme pour vivre cent ans » Il n'y a qu'un pas de là à la plaisanterie par laquelle on lui aurait persuadé qu'à la lecture du livre, le roi de Siam l'avait nommé mandarin et, soucieux de recevoir ses soins, avait donné l'ordre de l'amener, fût-ce par la violence, jusqu'en sa cour, honneur périlleux auquel il ne s'était soustrait qu'en sollicitant d'un des plus savants professeurs de la faculté de médecine, Maheust, sieur de Vaucouleurs. Un certificat de son ignorance de l'art de guérir, un orgueil excessif s'accommode aisément d'une naïve crédulité, et l'on serait d'autant moins entraîné à suspecter la vraisemblance de l'anecdote, qu'au siècle suivant, l'on surprend l'auteur d'une agréable comédie, le Cercle, demeurée inscrite au répertoire du Théâtre-Français, le littérateur Poinsinet, accoutumant ses jambes à supporter l'ardeur d'un brasier, pour se rendre apte à acquérir la charge d'écran


du roi, ou, victime confiante et prématurée de sympathies internationales dont notre temps a salué la consolante éclosion, apprenant, avec une application couronnée de succès, le bas-breton substitué à la langue russe par des mystificateurs qui l'avaient berné de l'espoir d'être reçu à l'Académie de SaintPétersbourg.

Il serait pourtant rigoureux, comme vous le faisait naguère remarquer un confrère érudit et spirituel qui a recueilli dans l'héritage paternel le talent de rendre la science aimable, de limiter à cet unique aspect la physionomie exacte de Michel de Saint-Martin, et la justice commande de constater qu'une incommensurable vanité, la susceptibilité rancunière qu'elle engendre habituellement, des préoccupations hygiéniques dont la minutie confinait à la manie et qu'il avait empruntées au médecin Delorme, signalé aussi à la raillerie contemporaine par l'exagération de ses précautions contre le froid, l'importance solennelle qu'il attribuait à la moindre de ses paroles ou de ses actions, et qui lui dénonçait comme une atteinte portée à sa dignité le rire même d'un passant, la complaisance outrée avec laquelle il appréciait sans vergogne les écrits de sa plume prodigue, ont terni de réelles qualités, altéré un caractère rendu ombrageux et irascible, fait oublier des connaissances variées, sinon profondes, et laissé méconnaître une générosité hruvante. mais sincère.


Après quelques voyages accomplis en Europe, l'abbé Michel de Saint-Martin reçu docteur en théologie en l'Université de Rome, s'était fait, en 1650, agréger à la faculté de théologie de l'Université de Caen, dont il avait même été élu recteur en 1653. Investi des privilèges que lui assurait cette incorporation, tout en étant, on ignore pour quel motif, dispensé d'enseigner, il employa une partie des revenus que son père avait acquis dans le négoce à satisfaire aux devoirs de la reconnaissance, en même temps qu'à son goût pour l'ostentation, par des dons importants et des travaux profitables à l'utilité publique, créant en faveur des Oratoriens une chaire de théologie, plus tard transférée aux Jésuites, entreprenant à ses frais les réparations de l'école de théologie, élevant pour l'embellissement de la ville des monuments et des statues, fondant des prix pour le Palinod, instituant au collège du Bois des récompenses, dont un joli quatrain latin de Moisant de Brieux nous a transmis le souvenir, mais veillant avec un scrupule inquiet à inscrire dans les contrats et sur les murailles la mention de largesses, dont il se fût abstenu si elles avaient dû rester anonymes partout, en effet, les armoiries de ce fils de marchand entiché de noblesse, étalées avec son nom et ses titres, annonçaient urbi et orbi la munificence du bienfaiteur de la cité, du « réparateur des écoles » il était de ceux qui aiment à signer leurs libéralités.


Mais quel qu'en fût le mobile, si elles ne lui donnaient pas un droit de contrôle sur l'administration scolaire, ne l'autorisaient-elles pas à exiger l'exécution correcte des conditions auxquelles elles étaient subordonnées ? Membre de l'Université, n'était-il pas d'ailleurs intéressé à la cessation d'abus nuisibles à sa considération? Des discussions peu courtoises avec ses collègues, de futiles querelles de préséance n'avaient pas tardé à aigrir des rapports déjà tendus la patience était la moindre de ses vertus, et il n'hésita pas à produire ses récriminations d'abord au tribunal du bailli et, sur appel, au Parlement. Le conseiller Sallet, commis par la Cour, passait pour avoir opéré une médiation heureuse entre deux cents gentilshommes dela province, qui avaient pris rendez-vous pour vider leurs différends les armes à la main, succès assurément plus facile que la tâche d'apaiser l'humeur batailleuse de cet enfant de Saint-Lô, qui avait à son service deux scribes, dont l'un pour ses procès, émule anticipé de votre intendant Richer d'Aube, Qu'une ardeur de dispute éveillait avant l'aube

et apte à toujours dire, avec une plaideuse émérite Tous mes procès allaient être finis;

Il ne m'en restait plus que quatre à cinq petits.

Ces lignes, écrites en 1654 au recteur, la veille de


l'audience, dévoilent bien, par le ton emporté dont elles sont empreintes, la passion qui animait l'irascible lutteur « Les écoles, quand j'y suis venu, « estoient comme une grange, et il y a trois fois « plus d'écoliers qu'il n'y avoit, voire sixfois, depuis « que j'ay fondée ma chaire et cependant vous « voiés comme on me traite. Je vous envoie cy « dedans une partie de ce qui fut dit en Sorbone à « celuy qui fonda une sixième chaire qui n'estoit « pas si utile comme celle que j'ai icy fondée et « s'il avoit fait rebastir les écoles, on eust dit toute « autre chose. Il fera beau ouyr demain tout cela « au Présidial »

L'on plaida donc, et les pièces analysées avec de si intelligents développements dans le consciencieux inventaire de vos archives départementales, les articles proposés, au nombre de quatre-vingt, par Saint-Martin et la réponse de Le Bidois, principal du collège des Arts, représentant l'Université, qui font partie du dépôt des papiers et registres judiciaires confié à Rouen à un autre titulaire dont le nom, synonyme de savoir et d'obligeance, votre secrétaire me permettra de le rappeler devant lui, est doublement cher à tous les amis de la science, fournissent sur la discipline, l'enseignement et l'état des bâtiments universitaires des renseignements, dont l'intérêt me fait espérer le pardon de longueurs excusées déjà par votre inépuisable indulgence.

Les concierges remplissaient-ils exactement leurs


fonctions, et par suite les sorties nocturnes ou irrégulières étaient -elles rendues impossibles ? Le Bidois l'atteste et en affirmant, à l'encontre des insinuations de son adversaire, que l'on opère les inspections prescrites dans les chambres pour y découvrir armes ou livres défendus, il remarque malignement que celui-ci n'en a fait aucune durant son rectorat. Le port des armes, longtemps autorisé à Orléans, surtout hors de l'enceinte scolaire, s'y justifiait par la présence d'étudiants, souvent gentilshommes, appartenant à la nation de Germanie, professant la religion réformée et qui, circulant de France en Allemagne, pouvaient demander à leur épée, signe apparent de leur noblesse, une protection efficace contre les attaques auxquelles les exposaient leur origine et leur culte. Il était interdit à Caen, où, malgré des habitudes de tolérance dont les traces se retrouvent dans les délibérations relatives à l'établissement du collège des Jésuites, le catholicisme exerçait aux écoles une prépondérance assez exclusive pour que, le 28 juin 1656, l'on proposât de priver de son office le papetier, accusé, ainsi que le parcheminier, de pratiquer le protestantisme. La messe, d'ailleurs, était dite chaque matin à six ou sept heures, suivant la saison, et contrairement à une tradition, à des prescriptions même datées de 1586, qui paraissent avoir été de bonne heure intentionnellement négligées par la sage direction des écoles caennaises, l'assistance


des élèves y était constatée par le principal, et non par un condisciple chargé d'une surveillance, toujours suspecte à ses maîtres, infailliblement odieuse à ses camarades. L'on agissait de même pour assurer l'exacte observation de la règle qui interdisait de parler « françois tant en l'églize, salle, « chambre, classe, court, que autres lieux », défense qui explique la facilité de nos pères à exprimer couramment leur pensée en latin. C'est ainsi que Montaigne s'était, grâce aux précautions paternelles, « latinisé sans art et sans peine », et Madame de Genlis, qui se loue d'avoir, pour l'éducation des princes d'Orléans, appliqué cette méthode à l'enseignement des langues vivantes, en devançant un usage universellement adopté de nos jours, aurait triomphé avec moins d'orgueil, si elle s'était souvenue que rien n'est nouveau sous le soleil. J'omets volontiers les critiques dirigées contre le costume des professeurs, qui ne paraissent pas fondées, et les reproches faits aux étudiants de porter, au lieu de « manteaux à manches vestues « ou passées avec la ceinture par dessus et de « toques ou bonnets », des « chapeaux et manteaux « sans manche, n'ayant pas la commodité de faire « la despense » je ne m'arrête pas davantage à l'allégation démentie que l'on ne représenterait pas deux fois l'an, au collège des Arts, « les églogues, « dialogues, comédies ou tragédies », visés par les règlements, et je relève un grief plus sérieux qui a


trait à la présence de femmes dans les écoles. Le factum de l'adversaire de l'Université contient à ce sujet des articulations dont on est contraint de reconnaître la précision une fille qui aurait demeuré au collège du Bois en serait sortie enceinte, le collège du Cloustier logerait des femmes et le collège des Arts, gouverné par Le Bidois, donnerait asile à une matelassière, sans compter une femme occupée au service du principal, qui « doibt estre faict « par de pauvres garçons qui pouroient par ce « moyen profiter aux lettres » des marchandes y seraient admises et un enseignement commun aux deux sexes y serait donné. Il faut avouer que ces récriminations ne sont pas absolument contredites par les réponses du mandataire de l'Université, qui reconnaît « qu'au colège du Bois il y a des maisons « dont l'ouverture est sur la rue, dans lesquelles « maisons ont demeuré et demeurent encore des « gens de mestier qui ont des femmes et servantes. « A ouy dire qu'il y eut une fille de l'une desd. « maisons qui eut un enfant, laquelle fut inconti« nent expulsée, il y a du moins six à sept ans et « depuis n'a cognoissance qu'il y soit arrivé aucun « scandalle ». L'explication relative au collège du Cloustier n'est guère plus satisfaisante, et Le Bidois déclare « qu'il ne sçait quelles personnes y. de« meurent et s'il y a eu du désordre, le d. de « Saint-Martin comme recteur l'a deub corriger « led. oolège estant sous la direction du recteur ».


Il repousse plus péremptoirement les autres reproches, en disant « qu'il ne demeure aucune femme « dans la maison qu'il est bien vray qu'une femme « de soixante et dix ans pour le moins vient quel« ques fois aider à son valet au mesnage de sa « maison, sans jamais y avoir couché; dict aussy « qu'en une classe qui sert de sixième, dont la « porte ouvre sur la rue et où l'on enseigne les « plus petits enfants croid qu'il y a peu venir quel« que petite fille de quelque honeste maison voi« sine; méconnoit avoir jamais loué aucune chose, « mais luy a permis charitablement à une paouvre « fille dévote qui sert et a travaillé chez led. de « Saint-Martin de reserrer dans un grenier quelque « peu de layne et luy a racommodé des matelas « dans led. grenier et que lors qu'il a esté deub « quelque argent à des boulengères ou paticières, « ilz ont peu le venir demander et mescognoit qu'il « y ayt jamais eu aucun scandale. » Le soleil luimême a ses taches, et l'on doit juger sans rigueur les légères négligences d'une Université qui a eu la gloire de former, entre autres disciples, les poètes Malherbe, Chandeville, Garaby de La Luzerne, remis au jour par l'un de vous, Sarrasin, l'historien de la maison d'Harcourt André de La Roque, Iluet, dont la reconnaissance pour ses maîtres s'épanche en une effusion si sincère, et son devancier dans la rédaction de l'histoire locale, Charles de Bourgueville, qui nous apprend avec une naïve satisfaction


comment, au collège du Bois, la mère vénérée prodiguait à ses nourrissons le pain du corps avec l'aliment de l'esprit « Me recorde que pour lors « étions bien soixante pensionnaires et ceux de « la plus grande pension ne payoient que trente « francs, qui estoient traictez comme au plat des « Régens et trois fois la sepmaine du rotty à « souper, mouton, poullets ou pigeons ». Admis à jouir de ce régime réconfortant, après un examen de capacité renouvelé au changement annuel de classe, l'écolier étudiait les humanités, pour suivre ensuite les cours d'une ou plusieurs des cinq facultés, jusqu'au moment où, muni de lettres « testimoniales » attestant le « commencement et « continuation d'estudes en Université fameuse », il se présentait pour prendre ses degrés. Le travail d'ailleurs ne subissait guère de chômage et, sans craindre de surmener les élèves, les leçons partaient du 10 octobre, lendemain de la Saint-Denis, des « dionysiales », disait-on, avec l'affectation de latiniser qui était alors à la mode, en risquant une confusion entre les fêtes de l'évêqueet du dieu païen des vendanges; sauf pour les écoles des droits, où elles se terminaient au mois d'août, elles cessaient le 7 septembre, ne laissant qu'un mois de vacances aux étudiants, et ne réservant le congé du lendemain ou « crastinum' » qu'aux solennités de Pâques, de la Pentecôte et de Noël.

Le jeudi parait cependant, excepté quelquefois


pour les examens, avoir été de longue date un jour affecté au repos. Un arrêt du Parlement, rendu le 1er février 1512, maintenait comme légitime l'observance en l'Université des lois d'Orléans du jeudi (diei Jovis), que les étudiants avaient coutume d'appeler lejour de Justinien (festum Justiniani),et dans un calendrier scolaire du XVe siècle, conservé aux archives de votre département, mention est faite de l'absence de leçons, lorsqu'il n'y aura aucune fête dans. la semaine, « ubi non erit festum in « ebdomadâ, die Jovis non legetur ». C'était le jour naturellement choisi pour les assemblées de l'Université les doyens, le recteur et les professeurs composaient ces réunions, appelées « Jovialles », d'où sortaient, sous le titre de « conclusions », les délibérations qui intéressaient le corps enseignant. Leur assistance était, comme dans certains conseils ou comités contemporains, rémunérée par une somme, sorte de jeton de présence, dont l'abbé de Saint-Martin fixe à 4 livres l'importance, réduite à « un sold marqué » par son adversaire, qui ajoute qu'on s'en est souvent privé en considération du peu de revenu dont on disposait.

Comment des auditeurs nombreux et assidus ne seraient-ils pas accourus à la voix de maîtres, dont la renommée perpétuée jusqu'à nous atteste le soin scrupuleux apporté à leur recrutement le plus souvent opéré par l'épreuve du concours Antoine Halley, notamment, qui partagea avec son frère


Henry, professeur des droits, l'honneur d'initier Huet à la connaissance des lettres et de la science juridique, ou Jean Rouxel, qui l'avait devancé dans l'enseignement de l'éloquence comme dans la composition de poésies latines d'une lecture encore agréable, provoquant peut-être ainsi la vocation de l'illustre lyrique né dans vos murs, auquel un éminent professeur d'une de vos facultés consacrait naguères des pages si attachantes et méritant du savant évêque d'Avranches cet éloge digne même aujourd'hui de tenter l'ambition d'un sage « Son « cabinet fit ses délices et les affaires publiques « firent son aversion ». Ne professait pas d'ailleurs qui voulait à l'Université de Caen, et le recueil d'arrêts annotés par l'avocat Le Normand que possèdent les archives de la Seine-Inférieure mentionne, à la date du 7 mai 1658, une décision par laquelle, après que Me « Hallé, docteur professeur, tant pour « lui que pour ses collègues, eust faict ung plaidoyer « en latin, mais tout à fait docte et élégant », les deux candidats à la chaire de droit vacante, par le décès de Michel Le Boucher, ayant été écartés par les docteurs et professeurs, le Parlement dit « qu'avant de faire droit sur les appellations et con« clusions des parties, seroient faictes tout de nou« veau disputes publiques le lundy d'après l'As« cension par devant les conseillers commissaires « qui seroient à ceste fin députés par la Cour, « auxquelles seront reçues toutes sortes de per-


« sonnes qui voudroient aspirer à ladite chaire, et « seroit aussi proposée une consultation de droit « aux contendants, et ce en la présence des doc« teurs professeurs de l'Université de Caen, lesquels « estoient invitez de s'y trouver ».

Parfois des embarras pécuniaires, dont la responsabilité remontait à la ville ou au gouvernement, venaient entraver le fonctionnement régulier de l'institution, et l'on était réduit à avouer l'absence d'un maître de mathématiques, ou l'abandon fréquent de la chaire de théologie par le P. Boulay, qui, n'arrivant pas à toucher exactement et intégralement son traitement, on aura soin en 1662 d'exiger de son successeur, le P. Chaluet, l'engagement de ne pas l'imiter, se consacrait aux fatigues plus rémunératrices de la prédication le grec même, pour l'amour duquel aucune faveur spéciale n'était sans doute octroyée, semble aussi être tombé en disgrâce, comme si revivait le souvenir du dicton attribué au jurisconsulte Accurse « du grec, on le passe graecum est, non legitur ». Mais la pénurie excusait des lacunes passagères « la dureté des temps ayant diminué le nombre des « escoliers, les régents ont peinne », répondait-on aux critiques d'un adversaire au courant de cette situation, « à subsister pour le peu de revenu de « leurs classes», et Le Bidois ajoutait que la somme de ses gages avait « souvent esté diminuée ^tantost « d'un quartier, tantost de deux, quelques fois de


« trois et mesmes en l'année 1646, le parlant ny « aucun des autres prpfesseurs n'en touchèrent « aucune chose et à présent n'en sont lesd. pro« fesseurs payez que de trois quartiers et on paie « l'ordinaire deux ans après les termes écheus ». Les repas usités lors de la reddition des comptes ou de l'installation du recteur avaient été plus d'une fois supprimés à cause de l'insuffisance des revenus, et le principal du collège des Arts rappelle malignement au conseiller qui l'interroge à ce propos « que lorsqu'on eut la pensée d'élire pour recteur « led. sieur de Saint-Martin, on l'advertit quelques « jours auparavant qu'il y avoit aparence qu'on luy « donneroit lad. charge de peur qu'il ne luy arri« vast quelque disgrâce s'il luy eust falu faire un « remerciement en latin, et sur cet advis il fit grand « bruit dans toute la ville qu'il voulloit traister « splendidement l'Université et néansmoins ceux « qui pensoient trouver un festin d'Assuérus n'en « trouvèrent qu'un de Diogène » La dépense arrêtait moins les bacheliers, licenciés ou docteurs qui prenaient leurs degrés, et la collation de leurs grades se passait rarement sans être accompagnée de dîners, distributions de dragées ou aubades de « flûtes, rebecs et tabourins d'Allemant. » Les droits d'examen et de diplôme étaient d'ailleurs modiques (21 livres pour le titre de maître aux arts) mais la consignation préalable de ce prix, «honorarium », était généralement imposée aux candidats, sauf


restitution en cas d'échec, « ce qui est un grand « abus, d'autant qu'on a peine à rendre l'argent « reçu, ce qui fait qu'on reçoit des personnes inca« pables », remarque le conseiller commissaire Sallet, qui aurait dû, ce .semble, apprécier plus équitablement l'excuse invoquée par l'ancien recteur Le Grand, racontant « que plusieurs fois est « arrivé qu'après que led. degré avait été conféré « à quelques-uns, ils se retiraient adroitement sans « payer, ou bien quelquefois baillaient de l'argent « faux que l'on n'avait pas loisir de faire voir » et, loin d'être une défaite, le motif assigné en dernier lieu à une précaution nécessaire trouvait son ample confirmation dans ces vers que Molière ne craignait pas de produire sur la scène

De nos faux monnoyeurs l'insupportable audace

Pullule en cet état d'une telle façon,

Qu'on ne reçoit plus rien qui soit hors de soupçon. Quant aux examens, ils étaient subis dans l'école, mais la salle des arts étant souvent remplie par les personnes de distinction invitées à y assister, une partie des docteurs présents se plaçait dans les « écoutes », pièce voisine, séparée seulement par des jalousies au travers desquelles l'on pouvait voir et entendre. Après quoi, dans les facultés des droits civil et canon, de médecine et des arts, le nouveau docteur était proclamé par ses pairs, tandis qu'en la faculté de théologie, son bonnet lui était remis


par l'évêque de Bayeux, chancelier, ou son official, vice-chancelier, le plus souvent dans la maison de ce haut dignitaire de l'Université et du clergé. Admirable prétexte saisi par Saint-Martin pour reprocher à l'abbé Dauge, ancien recteur et vicechancelier, l'absence de publicité que comportaient ces réceptions de gradués en son domicile et l'accuser sans preuve de ne donner sa bénédiction, officielle qu'aux maîtres ès arts, à l'exclusion des autres facultés 1 Tentative infructueuse pour s'offrir la satisfaction d'une rancune aussi vieille qu'injustifiée, en se laissant entraîner à des personnalités dont sa vanité, aisément ulcérée, avait contracté la fâcheuse habitude Et quel avait été le tort de l'inoffensif ecclésiastique ? Il avait lu probablement les lignes où le dominicain Guy d'Évreux, opposant au moyen âge l'humble monture de Jésus Christ aux brillantes chevauchées des évoques, s'indignait de ce faste tapageur. Telle n'était pas l'opinion du noble docteur romain, qui, dans sa biographie du curé de Notre-Dame de Caen, M. de Guerville, signalait comme un insigne mérite sa bonne tenue sur le coursier qu'il maintenait toujours au galop, « comme doit aller tout prêtre gentilhomme, parce « que cela fait honneur à l'Église ». Dauge avait éprouvé quelque hésitation à approuver ce passage du livre soumis à sa censure, et l'auteur mécontent ne s'était pas oru assez vengé en signalant au dédain du public, comme soutenant mal sa


dignité de recteur, le personnage effacé dont le cheval n'allait qu'au pas, au trot tout au plus, « allures ignobles, et qui ne conviennent qu'à des « marchands de bœufs ».

L'on conçoit avec moins de peine que, fondateur d'un prix au Palinod, l'intraitable lutteur se soit préoccupé de l'exécution des conditions de sa donation et qu'il ait amené l'Université à confesser que, par suite de la rupture des coins servant àleur fabrication, les jetons distribués aux vainqueurs étaient remplacés par de l'argent monnayé récompense, hélas due souvent à l'indulgence plutôt qu'à la justice, si l'on s'en réfère à la réclamation jugée au Parlement le 4 février 1656, sur l'appel du sieur de Villeneuve de Falaise, dont le feu poétique, brûlant sans doute aussi peu que celui de la lanterne apocryphe de ses concitoyens, ne l'autorisait pas à dire

Et moi, je vous soutiens que mes vers sont fort bons, mais l'enhardissait à prétendre que, moins mauvaise que celle de ses rivaux, la pièce par lui présentée en 1654 avait droit à obtenir en conséquence des suffrages sagement refusés à tous les concurrents. Des critiques assez futiles étaient encore émises par ce terrible censeur à propos de l'emplacement de la bibliothèque reléguée, disait-il, dans un grenier transportée, répondaient ses collègues, d'une


chambre basse, cédée à la faculté de médecine pour Son enseignement, à un étage supérieur, « y ayant « peu de personnes .qui en demandent l'ouverture « pour n'y avoir que fort peu de bons libvres » circonstance assurément favorable à la suppression de la mesure qu'une méfiance prolongée à travers les siècles avait prise à l'encontre des bibliophiles trop zélés d'enchaîner les ouvrages confiés à leur lecture, et dont témoigne l'attribution au scribe de 15 deniers, consignée d-ans un compte du 28 juin 1515 « pro duabus clavibus quas fecit fabricare « pro cathenis quibus sunt libri bibliotece conca« thenati ».

Parlerai-je, après lui, de la cloche qu'un suppôt, désigné sous le titre de « puisa tor campanae », devait mettre en mouvement pour annoncer les exercices scolaires, signal religieux qui symbolisait le patronage protecteur de l'Église, et auquel l'emblème martial du tambour se substitua naturellement dans l'Université, réorganisée au commencement de ce siècle par un général victorieux? Son mutisme n'était que trop justifié par l'insuffisance des ressources « Pour la cloche appelée l'ordinaire, il y a « quelque temps qu'elle ne sonne point, y en ayant « eu procès entre l'Université et les trésoriers de « la paroisse de St-Sauveur, sur lequel il y a eu « transaction par laquelle ilz se sont obligez de la « faire sonner à l'advenir, parce que l'Université « payera le tiers de ce qu'il a cousté à la refondre,


« ce que l'Université n'ayant encore peu faire à « cause de sa pauvreté, elle ne sonne pas encore « à présent et à cause d'icelle cloche les prestres et « trésoriers de St-Sauveur jouissent des privilèges « de l'Université. »

Guère plus sérieuses n'étaient les plaintes relatives aux masses des.facultés et à la chaîne qui fermait la rue des Écoles pendant les lectures ou leçons. Sur ce dernier point, le censeur, chagrin, qui notait soigneusement toute irrégularité, avait beau jeu et pouvait donner amplement carrière à sa malveillance barrières, clôtures, poteaux étaient, en dépit des règlements édictés les 27 août 1440 et 20 septembre 1521, incessamment renversés ou arrachés par les charretiers dont ils barraient le passage, et la chaîne, « raccoustrée notamment en 1574, 1589, 1592, 1656, était un obstacle assez peu respecté pour que, par une conclusion du 6 novembre de cette dernière année, l'Université se vît contrainte de menacer, infructueusement comme toujours, les coupables d'une poursuite en justice, « en cas qu'il « arrive rupture par force, violence ou quelque « autre attentat que ce soit ». Quant aux masses d'argent qui, dans les cérémonies officielles, devaient être portées par les bedeaux devant les facultés de droit civil, des arts et de médecine, celles de théologie et de droit canon n'ayant qu'une « baguette « de balayne ornée de quelque peu d'argent », il était aisé de répondre qu'exceptionnellement elles


avaient pu être, sans infraction et surtout sans scandale, confiées à « des honnestes escoliers pour « l'absence ou empeschement de quelques offia ciers ». Un siècle plus tard, cette pomme de discorde n'eût pas assez mûri pour engendrer le renouvellement fréquent de semblables débats, auxquels la Révolution coupait court. Sur le refus par l'Université de prêter le serment civique, à raison de sa répugnance à admettre la constitution civile du clergé, elle était interdite de ses fonctions, et, l'année suivante, sous l'empire de préoccupations plus politiques que pratiques, l'on demandait au département l'autorisation de déposer les masses des bedeaux sur l'autel de la patrie, tandis que les chaînes qui fermaient la rue des écoles étaient offertes aux citoyens municipaux pour être converties en piques.

Tout prétexte était bon pour entretenir des hostilités envenimées par l'aiguillon de la passion, et, sans reculer devant le caractère malséant, s'il n'était burlesque, d'une question qui lui attira cette verte riposte qu'on s'en rapportait à lui de savoir où et dans quel état était l'édicule dont il parlait, ses collègues n'ayant jamais eu la curiosité de s'en informer, Saint-Martin ne s'était-il pas avisé de s'enquérir du motif de la démolition des retraites discrètes construites, au collège du Bois, sur l'Odon, consacrées à la commodité scolaire par d'inconscients précurseurs de la théorie de tout à


l'égout, et que la pruderie contemporaine, inhabile à les désigner par une enseigne latine dont Rabelais aurait eu le courage de publier la traduction, déguise sous une appellation anglaise, ou décore d'un nom champêtre emprunté aux habitations alpestres d'une république sœur t

La conservation et la réparation des bâtiments devait surtout intéresser un homme toujours en quête d'un édifice, pourvu que son blason de fraîche date et des inscriptions commémoratives, gravés sur les parois, transmissent son souvenir à la postérité. Admis au bénéfice des privilèges universitaires, il avait dû considérer ses dépenses pour l'amélioration matérielle et l'embellissement des écoles comme le rachat de la dispense d'enseigner et de participer aux autres exercices scolaires. Et voici qu'il signalait les ruines du collège des Arts, les murailles prêtes à s'écrouler, la faculté de droit canon privée d'une salle indispensable aux cours des professeurs et dégradée par le séjour d'un sculpteur qui y était installé 1 à quoi l'on répondait que depuis la confection à la faculté de théologie d'un lambris qui ne lui avait pas coûté plus de 200 livres, et quoiqu'il se fût targué du titre de restaurateur des écoles, il n'avait plus rien tait pour mériter ce nom. Les bâtiments étaient des constructions commencées de toute ancienneté et, faute de ressources, restées inachevées les travaux même, dont il avait été l'organi-


sateur, avaient produit les désordres qu'il accusait et dont on entendait au besoin le rendre responsable n'avait-il pas fait « coupper les sommiers « qui tenoient la charpente et les murailles des « escolles de théologie et des arts en estat, depuis « lequel temps lesd. murailles se sont ouvertes et « seroient cablées s'il n'y eust esté aplicqué des « liens de fer pour les retenir? » Quant à la faculté de droit canon, lorsqu'après la révolte des nupieds, Gassion était entré à Caen avec son armée, il y avait placé un corps de garde, et les soldats ayant brûlé la chaire et les bancs, ses docteurs faisaient leurs lectures dans la salle de la faculté de droit civil. Protestant contre ces imputations sciemment erronées, l'Université constatait que le sculpteur logé dans cette école était employé par SaintMartin, qui avait fait élargir les murailles pour la sortie des ouvrages qu'il lui avait commandés la faculté de théologie, dans sa conclusion du 25 octobre 1654, demandait qu'il fût contraint de faire disparaître les « armoiries qu'il a fait apposer en « trois endroits les plus éminents des écoles, sans « pouvoir ni ordre de la faculté avec des nuditez « indécentes, messéantes et honteuses, dont plu« sieurs personnes d'honneur et de probité auroient « esté scandalisées », et l'année suivante, le recteur Le Grand, son adversaire d'alors, appréciait la faveur accordée au collègue chagrin, qui s'en montrait si peu reconnaissant en ces termes ironiques


« Cette dispense a pour prétexte quelque despense « de deux ou trois centz franz qu'il devoit faire, « soit en statues et marmouzetz, soit en lambris « mais qui es-ce qui a jamais entendu que des « statues ou marmouzetz ou un lambry de bois « tiennent lieu et place d'un docteur de théologie « si cela avoit lieu, toutes sortes de gens, pour un Il peu d'argent, seroient telz docteurs, et ainsy il « y auroit à craindre que cette faculté ne fust un « jour appelée la faculté de docteurs en statues et « marmouzetz ». Ce danger fut conjuré mais l'éveil avait été donné sur le délabrement des locaux affectés aux études et, sur ce point, s'il fut tardif, le résultat des débats suscités en 1654 fut du moins utile et décisif; en 1693, une visite faite par un expert, sur l'ordre de l'intendant Foucault, aboutit à un devis et à une adjudication prononcée le 2 août 1694 en 1700, l'on adjugeait les travaux complémentaires, et en 1701, le bâtiment des grandes écoles achevé offrait au personnel universitaire l'asile convenable dont une gravure, donnée par l'un de vous aux archives du Calvados, nous a conservé l'exacte représentation.

Ce fut là le seul dénouement utile à consigner ici, qui mit fin à des différends d'autant plus regrettables, que leurs frais absorbaient une notable partie des fonds dont on eût pu faire un emploi plus avantageux. Cette fois, du moins, on n'eut pas à ajouter à cette dépense des gratifications abusi-


vement imposées au receveur qui avait dû antérieurement se résigner, en semblables circonstances, à un sacrifice imprévu, comme le constatent les comptes de 1586, où figure un déboursé de 22 sous 16 deniers pour faire présent d'un bonnet au greffier du bailli, afin d'obtenir communication d'une procédure, et ceux de 1781 où l'envoi d'un pâté à un protecteur pour les privilèges est coté au chiffre de 24 livres, 14 sous.

Dans cette lutte, où des griefs sans gravité alternent avec des négligences insignifiantes, comme dans toutes les querelles où les questions personnelles s'abritent et se cachent sous l'apparence de la défense d'intérêts généraux, l'ardeur des contendants ne connut point de mesure et ils échangèrent les imputations les plus injurieuses. SaintMartin avait commencé l'aggression et, dès le début deshostilités, surexcitépar les railleries d'adversaires peu soucieux de ménager sa vanité, il n'avait pas craint de formuler contre eux les inculpations les plus blessantes, les calomnies les plus acerbes, les soupçons les plus outrageants, allant jusqu'à les accuser de corruption dans la collation des degrés et se livrant même, sur leur fortune personnelle et les garanties qu'elle offrait, pour leur gestion administrative, aux investigations les plus déplacées. Il était mal venu à se plaindre de la vivacité avec laquelle ses coups lui étaient rendus. A Le Grand, curé de Saint-Julien et recteur, qui avait joué à ce


gentilhomme improvisé le tour impardonnable de rappeler qu'il était fils d'un bourgeois de Saint-Lô, qui n'avait pas dédaigné de remplir l'office de messager de l'Université au diocèse de Coutances, il avait reproché d'être venu à Caen en habit de toile et d'avoir, avant d'être accepté comme précepteur des enfants d'un procureur en vicomté, été « ballieur de classes », lui attribuant, lorsqu'il avait quitté le rectorat, cet adieu discourtois dont l'insolence atteignait autant les professeurs que le fonctionnaire « Messieurs, il y a un an que je vous sertz « de vallet, s'il vous plaist d'en prendre un autre, « qui est un signe manifeste des mespris qu'on « avoit faictz de sa personne ».

L'intervention de Henry Halley, le professeur de droit, aurait été plus courte, en revanche plus brutale. N'avait-il pas à venger des offenses d'autant plus blessantes qu'elles effleuraient l'honneur de toute la famille ? Outré des insinuations insultantes lancées contre son frère Antoine, le principal du collège du Bois, qui occupait avec tant d'éclat la chaire d'éloquence, il s'emporta jusqu'à. comparer le docteur en théologie de Rome au quadrupède dépeint par le vers banal

Il n'est pas belliqueux, mais il est agricole,

ajoutant à ce nom, dont la rime pourtant serait l'adjectif pacifique, une épithète commençant aussi


par la lettre b, qui contraste absolument avec le ton du plaidoyer « docte et élégant », cité par l'avocat Le Normand et qui est assez rude aux oreilles timorées pour qu'un humoriste, en cette occurrence doublé d'un casuiste, Sterne, ne l'ait placée sur les lèvres de deux nonnes arrêtées dans leur voyage par la halte d'une mule entêtée, qu'en leur sauvant, par un ingénieux partage, la honte de prononcer un mot effrayant pour leurs scrupules, chacune d'elles n'articulant qu'une des deux syllabes dont se compose ce vocable mal sonnant. Interpellé par Sallet, le conseiller commissaire, Le Grand joua le rôle de ces témoins qui ne sont ni à charge, ni à décharge il nia le propos qu'on mettait dans sa bouche et déclara n'avoir pas entendu les paroles grossières qu'on prêtait à Henry Halley, figurant avec quelque ressemblance par la réserve peu compromettante de son attitude le héros de l'opuscule historique intitulé « Le Normant sourt, muet et aveugle ». A des fautes réciproques, quelle sanction d'ailleurs imposer, et ne convient-il pas de compenser des torts mutuellement commis et dénoncés en leur appliquant la leçon de modération enseignée par une anecdote du siècle dernier ? Le maréchal de Duras menait des dames à l'Opéra mais il ne parvenait pas à les placer; toutes les loges étaient remplies. Une restait, gardée par un laquais qu'il contraignit à sortir pour y faire entrer la société qu'il conduisait. Forcé


de subir momentanément cette violence, le locataire évincé assigna le guerrier au tribunal des maréchaux de France, où, plaidant lui-même sa cause, il dit « qu'il était bien malheureux d'être obligé de « se plaindre de l'un d'entre eux qui de sa vie « n'avait pris que sa loge » après quoi, il demanda justice. « Vous venez de vous la faire », lui répondit le président.

Je me suis attardé, Messieurs, et j'ai retenu votre attention trop patiente en lui imposant la revue de ces détails variés qui m'ont, je le confesse, assez vivement intéressé pour que je m'y sois étendu avec une complaisance dont la manifestation prolongée a pu vous paraître indiscrète. Je n'aurais pas eu la témérité d'esquisser, même par un exposé sommaire, le tableau des faits accomplis durant la longue existence du corps savant dont je vous parlais; mais, en essayant, dans une causerie sans doute bien libre et familière, de tracer quelques traits saillants de l'image à peine ébauchée de votre vieille Université, en glanant à l'avance quelques gerbes éparses de la riche moisson qu'un avenir prochain, je l'espère, récoltera, en constatant l'attrait dont on ne se défend pas dès qu'on aborde l'examen, même superficiel, de ses curieuses annales, je désirais surtout me rendre l'interprète d'un vœu depuis longtemps formulé par les amis des lettres en cette province. C'est à vous qu'il appartient de l'exaucer, à vous qu'il incombe, à l'aide


des documents que possèdent nos archives normandes et en complétant les études substantielles de nos confrères MM. Cauvet et de Bourmont, de conter l'histoire d'une institution digne de cet honneur par son origine, sa durée, ses services, les souvenirs et les noms qu'elle évoque. Faire revivre ces témoins de l'ancienne France, c'est continuer à parfaire l'œuvre saine et utile à laquelle vous avez voué vos efforts et, en servant la science, bien mériter du pays dont le patrimoine intellectuel se grossit du résultat des travaux poursuivis avec un dévouement si désintéressé. L'étude approfondie du passé n'éclaire-t-elle point le jugement impartial du présent et, sans nous inspirer le dédain, ni le fétichisme de ce qui n'est plus, ne nous fait-elle, pas apprécier équitablement et, pour les bienfaits qu'il nous a apportés, aimer le temps où nous vivons? Les pages écrites sur un de ces grands établissements que nous a légués l'initiative hardie et féconde (le nos pères ne font-elles pas partie de ce livre toujours ouvert où se groupent en un faisceau compact et harmonieux les incidents de notre histoire provinciale, mêlés aux événements dont la décisive -influence s'est exercée sur les destinées d'un peuple qui a si laborieusement conquis, et qui, au jour marqué par la justice éternelle, recouvrera son indestructible unité? 9

Aussi, quel que soit le but où tendent vos investigations, que Ips anciennes civilisations, les pre-


miers temps du christianisme, le moyen âge, les vestiges préhistoriques, les inscriptions, les fouilles, les chartes, les documents imprimés se disputent vos préférences, antiquaires, historiens, archéologues, persévérez, j'ose à peine dire persévérons Malgré les railleries banales ou les vulgarités d'un prosaïsme qui se prétend pratique, opposons à la marée montante des appétits matériels, bientôt balayée par le reflux, les aspirations qui élèvent et purifient les âmes sectateurs du beau et du vrai, gardons-nous, quoiqu'en pense le scepticisme contemporain, d'abdiquer l'enthousiasme, cette vertu française, qui inspire les hautes pensées et provoque les grandes actions; conservons pieusement, réveillons au besoin le culte de l'idéal, et entretenons sur son autel un foyer de chaleur et de lumière toujours rayonnant, comme le feu que la superstition païenne confiait à la vigilance de la vestale, comme le flambeau de la vie que, dans le vers d'un poëte philosophe, les coureurs antiques se transmettent tour à tour, comme la flamme inextinguible, spontanément allumée au monastère de Kildare, sur le tombeau de sainte Brigitte, et dont l'éclat symbolique, sans cesse ravivé par la piété des humbles femmes qu'elle appelait ses filles, semblait, en luisant pendant de longs siècles sur sa terre natale, promettre à l'illusion de l'Irlandais, persécuté et traînant la vie du vaincu, le triomphe toujours rêvé de sa foi religieuse et de ses espérances nationales.


RAPPORT

SUR

LES TRAVAUX DE L'ANNÉE Par M. E. DE BEAUREPAIRE.

MONSIEUR LE DIRECTEUR,

MESDAMES,

MESSIEURS,

Je viens vous présenter le compte-rendu sommaire des travaux de notre Société pendant l'année 1895 comme vous le verrez, l'activité de nos membres titulaires et correspondants ne s'est pas ralentie. Pendant cette période, en effet, nous avons pris communication d'un certain nombre de mémoires importants, touchant aux diverses branches de la science archéologique. Qu'il nous soit permis d'en énumérer quelques-uns.

M. Pierre Carel nous a donné lecture d'une note très attachante, qui paraîtra d'ailleurs dans le prochain Bulletin, sur les Boucherville au Canada. L'exemple donné sur cette terre lointaine par le chef d'une famille distinguée qui compte encore


en Normandie des représentants, est, tout à la fois, instructif et réconfortant; il explique, mieux que ne pourraient le faire toutes les dissertations, le rôle éminemment moralisateur joué par la colonisation française, les résultats qu'elle a produits, les souvenirs qu'elle a laissés.

Les personnes étrangères aux études linguistiques, qui habitent notre pays, ne se doutent certainement pas des discussions passionnées auxquelles le nom de Caen a donné lieu. Les étymologies proposées sont innombrables parmi ces interprétations, il y en a de sérieuses, il y en a d'amusantes, il y en a même de grotesques. Leur énumération nous entraînerait trop loin. Que seraitce s'il nous fallait les apprécier et les discuter. A toutes ces explications, notre savant confrère, M. Charles Joret, professeur à la Faculté des lettres d'Aix, vient d'en ajouter une nouvelle. Je n'ai pas besoin de vous dire que celle-là est très sérieuse, cela va de soi; mais elle paraît de plus rigoureusement scientifique, et, dans tous les cas, elle est abondamment documentée. Ralliera-t-elle tous les suffrages? Nous l'espérons, sans trop y compter. Nous savons par expérience que c'est surtout en matière étymologique que les discussions s'éternisent et que les conversions sont difficiles. Quand notre ancien directeur, M. le marquis de Chennevières, entreprenait sa croisade généreuse en faveur des anciens peintres provinciaux, in-


connus ou injustement dédaignés, il ne se doutait certainement pas que toute une légion de travailleurs se lèverait à sa voix, et que sur tous les points de la France notre passé artistique serait exploré, fouillé et mis en lumière avec le zèle le plus empressé et le plus consciencieux. La semence avait été lancée par une main vaillante et avisée; presque partout elle a germé, et à l'heure actuelle elle nous donne la plus abondante, la plus fructueuse des moissons. Le succès a dépassé les espérances pour l'honneur de nos villes et au grand profit de la justice et de la vérité. M. Fernand Engerand est un des disciples les plus agissants et les plus convaincus du maître; ses efforts ont eu déjà d'heureux résultats. Grâce à lui, nous sommes en possession de renseignements précieux, non seulement sur La Champagne la Faye, l'auteur des cartons des tapisseries des Bénédictines, mais sur tout un groupe d'autres artistes caennais dont les noms méritaient de sortir de l'oubli.

C'est aussi de la vie provinciale qu'il est question dans les lettres piquantes de Daniel Huet, éditées et commentées avec un soin judicieux par M. Armand Gasté. Quelles vives lumières, quand on sait la lire, jette cette correspondance sur l'état social, sur les habitudes du temps, sur le personnel ecclésiastique et aussi sur le caractère très particulier du prélat. M. Gasté a déjà rendu bien des services à notre histoire normande cette communication,


avec les explications qui l'accompagnent, en est un nouveau que nous nous plaisons à enregistrer ici. Votre Secrétaire vous a entretenus des pierres tombales de l'église de l'abbaye de la Trinité, d'après l'album de dessins conservé à la collection Mancel, de La Bataille-Auvray. Ce mémoire, auquel avaient été jointes des photographies dues à l'obligeance de M. le comte d'Osseville, a été présenté au Congrès des Sociétés des Beaux-Arts, en même temps que le travail de M. Fernand Engerand, sur La Champagne la Faye.

Au Congrès des Sociétés savantes, M. Raulin, délégué de notre compagnie, a donné lecture d'une étude sur le droit de plancage, qui a été très favorablement accueillie par la réunion.

Un de nos membres correspondants les plus distingués, M. Swen Sondeberg, professeur à l'Université de Lund et conservateur du musée archéologique de cette ville, nous a communiqué un mémoire sur l'origine de l'ornementation animale dans les bijoux de l'époque mérovingienne. Les observations de ce savant antiquaire, qui a étudié avec beaucoup de soin les fibules de notre musée, sont d'autant plus intéressantes pour nous, qu'elles s'appliquent à la décoration animale dans les modillons et les chapiteaux de l'époque romane.

Notre président, M. Langlois, en nous rendant compte de certains ouvrages publiés par la Société de l'Histoire de Paris, nous a signalé d'assez nom-


breux passages d'inventaires de libraires contenant des indications précieuses pour l'histoire de l'industrie et du commerce de la ville de Caen au XVIe et au XVIIe siècle.

M. des Hameaux nous a donné lecture d'une monographie étendue sur une commune rurale du département de la Manche et sur les particularités architecturales qui se remarquaient dans son église, particularités déjà signalées par M. de Caumont. Nous ne nous sommes pas absorbés d'une manière exclusive dans les questions de pure théorie. Saisis par la Commission des antiquités de la SeineInférieure des réclamations auxquelles donna lieu le projet de démolition de la Chapelle du Lycée Corneille à Rouen, nous n'avons pas hésité à protester énergiquement contre une mesure que rien ne justifie et qui diminuerait sensiblement le patrimoine artistique de la ville de Rouen. Notre démarche a eu tout l'effet que nous pouvions en attendre. Elle a obtenu l'adhésion, non seulement de la presse locale, mais encore des organes les plus importants de la presse parisienne. Il faut donc espérer qu'en présence de cette manifestation significative des archéologues, des artistes et de tous les gens éclairés, le projet qui nous avait émus ne recevra pas d'exécution.

Nous avions protesté également, il y a quelques années, contre l'enlèvement de la pierre tombale de Jean Baillehache, à qui est due la conservation


du chœur de l'église Saint-Étienne. Cette injustice est sur le point d'être réparée. Prochainement, l'épitaphe de cet homme d'intelligence et de cœur sera rétablie sur une plaque de marbre placée dans la chapelle où il dort son dernier sommeil. Les frais de cette restitution seront supportés par M. le curé-doyen, par la Société française d'Archéologie et par la Société des Antiquaires de Normandie.

Pendant toute ̃sa vie, M. de Caumont n'a pas cessé un seul instant de s'intéresser à la vieille église de Thaon, dans laquelle il voyait un des plus précieux monuments de l'art roman en Normandie. On connaît les doléances insérées par lui dans le premier volume de la Statistique monumentale du Calvados, à propos de la construction de la nouvelle église de cette commune. Sur ce point, la Société des Antiquaires de Normandie partageait les sentiments de son fondateur.

A plusisurs reprises, elle est intervenue auprès de l'administration préfectorale et des ministres pour conjurer sa ruine. Aussi est-ce avec une réelle satisfaction que nous avons appris tout récemment que des travaux de réparation allaient être faits au vieil édifice, sous la d irection de M. Benouville, architecte du gouvernement. C'est la conservation du monument assurée. C'est le salut. Malheureusement, la quote-part dans la dépense mise à la charge de la commune dépasse


considérablement les ressources de son modeste budget. Pour aider M. le maire de Thaon à y faire face, nous lui avons alloué une somme de cent francs.

Pendant le mois d'août, alors que la plupart des membres de notre Société étaient en villégiature, nous avons reçu la visite de la ghilde de SaintThomas et Saint-Luc. De concert avec M. le comte de Marsy, nous avons fait aux archéologues belges, au nombre de cinquante, les honneurs de la ville de Caen, et nous avons mis à leur disposition la salle de nos séances. Dans la réunion qu'ils y ont tenue, notre président, M. Langlois, a souhaité la bienvenue à nos hôtes, et nous avons pu constater, par leurs propres témoignages, le juste renom de nos monuments à l'étranger et la grande autorité qui s'attache toujours aux ouvrages de notre illustre compatriote, M. de Caumont.

Dans ce même mois d'août, plusieurs d'entre vous ont pris part au Congrès de l'Association Normande à Carentan nous ne parlerions pas ici de leur intervention très appréciée dans les excursions et dans les enquêtes, si une question posée au programme, et qui est un peu de notre Société, n'avait eu un véritable retentissement. Il s'agissait de la détermination de l'emplacement exact de la cité de Crociatonum. Pour élucider ce problème, beaucoup de congressistes ont pris la parole, et M. Travers, s'appuyant sur un ensemble


de considérations très plausibles, a émis l'opinion que Crocialonum devait être cherché, non à Carentan ou à Sainte-Mère-Église, mais du côté d'Odouville. Or, pendant que l'on dissertait ainsi, un archéologue bien connu de la Mayenne, M. Liger, croyait reconnaître la mystérieuse cité sous les monticules des herbages de Beuzeville-au-Plain. Tous les journaux ont parlé de cette découverte, et tout naturellement M. Liger ne doute en aucune façon de sa réalité. Il est possible qu'il ait raison. Mais, comme jusqu'ici aucune fouille n'a été faite sur le point qu'il indique et que l'on ne connaît aucun objet antique en provenant, il est prudent jusqu'à nouvel ordre de se tenir sur la réserve. C'est surtout quand il s'agit des problêmes si délicats de la géographie ancienne que les systèmes s'échafaudent rapidement et s'écroulent de même. Attendons, par conséquent, avec patience et résignons-nous à rester encore quelque temps sans être absolument fixés sur l'emplacement de Crociatonum.

Comme les années précédentes, vous avez offert des médailles aux élèves qui, dans les sept lycées de l'ancienne circonscription de la province de Normandie, ont obtenu le premier prix d'histoire dans la classe de rhétorique.

Les élèves qui ont bénéficié de cette distinction sont MM. François Jean, pour le Lycée de Caen; Henri liasiu, pour le Lycée d'Évreux; Gaston


Guesdon, pour le Lycée de Cherbourg; Ernest Robine, pour le Lycée de Coutances; Couppel du Lude, pour le Lycée d'Alençon Henri Poidevin, pour le Lycée de Rouen Ferdinand Langlois, pour le Lycée du Havre.

Pendant l'année qui vient de s'écouler, nous avons admis au nombre de nos membres titulaires le R. P. Jossaud, M. Le Pelletier, le curé-doyen de Saint-Etienne, M. Auguste Léo, publiciste à Paris. Nous avons nommé également un certain nombre de membres correspondants étrangers. Malheureusement, pendant cette même période, nous avons perdu six de nos membres titulaires MM. Blanchetière, de Larturière, Boulatignier, le chanoine Nicquet, le duc d'Harcourt et M. le sénateur de La Sicotière.

M. Blanchetière, entré dans nos rangs le 2 décembre 1851, avait senti sa vocation archéologique s'éveiller au contact de M. de Caumont. On lui doit des travaux estimables sur les pierres tombales de Notre-Dame-sur-1'Eau et sur le château de Domfront. Ancien conducteur des ponts-etchaussées, M. Blanchetière s'était fait une situation importante à Domfront par sa capacité et par la droiture de son caractère. Il avait été pendant quelques années maire de la ville et s'était concilié la sympathie générale.

M. de Larturière, qui faisait partie de notre Société depuis le 2 janvier 1874. avait été fort


longtemps maire de Vire. Comme administrateur, il s'occupa avec une prédilection marquée du développement de l'instruction primaire et de l'organisation de la Bibliothèque municipale qu'un de nos confrères, M. Fédérique, dirige avec tant de dévouement.

Pendant qu'il était à la mairie, il présida des expositions industrielles et des expositions rétrospectives d'objets d'art et de curiosité, qui attirèrent beaucoup de visiteurs et qui firent honneur, tout à la fois, à la ville de Vire et à ses édiles. Appartenant à la vieille noblesse du pays, M. de Larturière, par ses relations, était au courant de tout ce qui concernait les familles de l'arrondissement. Tous les événements qui s'étaient passés dans le Bocage, pendant la Terreur, lui étaient parfaitement connus, et nous savons que, sur cette période, il a pu fournir à nos historiens locaux les renseignements les plus circonstanciés et les plus sûrs. Il ne s'était jamais désintéressé de ces recherches et nous nous rappelons encore que ce fut à l'occasion de la publication par M. de Neuville des mémoires de Michelot-Moulin, qu'il nous écrivit ses dernières lettres.

M. le chanoine Nicquet, que la mort a frappé récemment, était curé (le Villers-Canivet lorsqu'il fut nommé membre titulaire le 2 juin 1873. Il nous appartenait non seulement par l'intérêt qu'il portait à nos monuments religieux, mais encore par la


communauté des goûts et des études. L'histoire du clergé du diocèse de Bayeux, pendant la tourmente révolutionnaire, avait été de sa part l'objet des recherches les plus longues et les plus persévérantes. Malheureusement, M. le chanoine Nicquet poussait la conscience et l'amour de l'exactitude jusqu'au plus extrême scrupule. Il ne pouvait se décider à rien publier quand il lui restait encore un point à élucider, un document à consulter. Hélas sur un événement quelconque, qui peut se flatter de pouvoir composer un dossier réunissant toutes les pièces officielles, tous les articles de journaux, tous les témoignages contemporains M. Nicquet a été victime de cet amour exagéré du complet. Il a amassé toute sa vie des documents, laissant à d'autres le soin de les utiliser.

M. Boulatignier n'était ni un antiquaire, ni un historien: c'était un jurisconsulte éminent, que son labeur opiniâtre et sa connaissance approfondie du droit administratif portèrent aux plus hauts emplois. Devenu conseiller d'État, M. Boulatignier n'oublia jamais son pays d'origine, la Normandie, et s'associa chaleureusement à toutes les manifestations intellectuelles qui s'y produisaient. C'est sous l'empire de ce sentiment qu'il tint à faire partie de notre compagnie; il y entra comme membre titulaire en 1853 et, pour répondre aux sympathies qui nous étaient ainsi témoignées, sur la proposition de M. Charma, nous l'appelâmes aux fonctions de directeur en 1855.


Le discours qu'il prononça à la séance publique est intéressant à lire, on y retrouve les préoccupations habituelles du jurisconsulte et du conseiller d'État mais, à côté d'observations sur les textes, concernant l'ancienne administration française M. Boulatignier a eu l'heureuse idée, en fouillant dans sa mémoire, « de nous apporter des souvenirs personnels sur quelques-uns des membres fondateurs de notre Société, passés aujourd'hui à l'état d'ancêtres » Ces esquisses ne manquent ni de charme, ni de relief; on en jugera par les lignes suivantes relatives à un homme de premier ordre, qui fut la grande illustration de la Faculté des Lettres de Caen et le trait d'union véritable entre l'ancienne Université et la nouvelle, M. l'abbé De La Rue

« Dans cette réunion des maîtres de l'enseigne« ment supérieur, dit M. Boulatignier, un homme, « dont la chevelure flottante était déjà blanchie par « l'âge, se faisait remarquer par son activité toute « juvénile et une certaine verdeur de tempérament « qui semblait attester celle de son esprit. Sa « physionomie était ouverte le sourire errait vo« lontiers sur ses lèvres, mais son regard vif et « perçant était tout plein d'une finesse malicieuse « en le voyant, il n'était pas difficile de deviner « que la science avait en lui un joûteur aguerri, « qui savait au besoin décocher un trait piquant. « Si ma mémoire n'est pas trop infidèle, ni mon


« crayon trop inhabile, vous aurez reconnu à ces « traits le professeur d'histoire de la Faculté des « Lettres, M. l'abbé De La Rue, qui avait rapporté « de l'exil un amour passionné pour les souvenirs « de sa terre natale Affligé et indigné de la des« truction et de la mutilation des vieux monu« ments de la Normandie, de la dispersion ou de « la lacération des titres anciens, et plus encore « de l'oubli où étaient tombées l'histoire et la « langue de nos ancêtres, il entreprit de nous ra« mener à l'étude des monuments, des titres et des « livres de nos aïeux, quand on pouvait encore « en recueillir les débris. Cette idée l'occupait tout « entier. A Paris, où l'appelaient des relations « considérables, il profitait de ses séjours pour « faire des prosélytes. »

Nous nous arrêterons ici, Messieurs. L'esquisse tracée par M. Boulatignier est dessinée d'un trait vif et net; elle a, de plus, le mérite d'être ressemblante. Et, à cette occasion, permettez-moi une réflexion. Nous parlons volontiers de décentralisation, de la rénovation de l'esprit provincial, de la résurrection des anciennes Universités. Mais, trop souvent, nous laissons dans l'oubli les hommes qui ont personnifié la province de la manière la plus éclatante. Nous avons, à l'occasion, le buste facile; mais, dans cette Université normande, qu'avonsnous fait pour l'abbé De La Rue, je pourrais ajouter, en reportant ma pensée sur une illustra-


tion contemporaine qu'avons-nous fait pour M. Demolombe? 9

Un nouveau deuil nous était réservé. A la veille même de cette réunion, nous apprenions la mort de M. le duc d'Harcourt. M. le duc d'Harcourt, qui faisait partie de notre Compagnie depuis le 2 août 1872, avait été attaché comme capitaine à l'état-major de l'armée pendant la campagne d'Italie; plus tard, il avait représenté le Calvados comme député à l'Assemblée nationale. Mais ceux qui ne connaissent de M. le duc d'Harcourt que le militaire et l'homme politique ne le connaissent pas tout entier. Il y avait en lui, ce que l'on ne soupçonnait guère, un écrivain remarquable et un penseur original, très personnel, très dégagé de préjugés, d'une sincérité et d'une indépendance absolues. L'auteur se révéla tout à coup par la publication d'un volume de Considérations sociales, qui fut suivi plus tard d'une étude sur l'Egypte et les Égyptiens. M. le duc d'Harcourt ne jure sur la parole d'aucun maître il marche seul, sans compagnon et sans guide, dans une voie qu'il s'est tracée lui-même, et, dans sa franchise extrême, il ne s'inquiète ni des conventions sociales, ni des opinions accréditées, ni du pharisaïsme ambiant. J'aurai plus tard à revenir sur les rares qualités qui distinguent ces deux ouvrages; il me suffira, en rendant ici un dernier hommage à la mémoire de M. le duc d'Harcourt, de vous les signaler aujourd'hui.


La Normandie lettrée et les Sociétés savantes de la province ont fait, au mois de février dernier, une perte irréparable en la personne de M. de La Sicotière, sénateur, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats, ancien directeur de la Société des Antiquaires de Normandie, membre fondateur de la Société des bibliophiles normands, président honoraire de la Société historique de l'Orne, inspecteur divisionnaire de l'Association Normande. Nous ne saurions avoir la prétention de tracer ici la biographie complète de cet érudit laborieux qui a exploré tous les sentiers et qui, comme Auguste Le Provost, pourrait être appelé le Pausanias normand, tant ses connaissances étaient sûres, variées, nous dirions volontiers universelles; mais nous croirions manquer à un devoir véritable si nous n'apportions ici un dernier témoignage de notre souvenir et de nos regrets à cette chère mémoire, au nom de la Société des Antiquaires dont il était le doyen et dont, à deux reprises différentes, il fut le directeur.

Né à Valframbert, le 3 février 1812, d'une famille ancienne et considérée, Pierre-François-Léon Duchesne de La Sicotière, après de brillantes études classiques au collège d'Alencon, vint faire son droit à Caen de 1831 à 1834. Presque dès le début, il fut attaché au cabinet de M. ThomineDesmazures. C'est de cette époque que dataient ses relations avef .Jules Barbey-d'Aurevilly, avec


son frère l'abbé, avec Trebutien et aussi avec Georges Mancel.

Reçu licencié à 22 ans, il se fixa à Alençon, où il ne tarda pas à conquérir au barreau une situation enviable et tout à fait prépondérante. C'était un bon civiliste, comme disent les Allemands, et un incomparable avocat d'assises. Personne ne plaidait plus utilement une cause criminelle non seulement pour le public, mais aussi et surtout pour le jury. Dans ce genre spécial, ses succès furent aussi nombreux qu'éclatants. Ils contribuèrent à lui créer cette grande notoriété départementale qui, sans brigue d'aucune sorte, en fit successivement un député et un sénateur. Arrivé sur le tard au Parlement, la voix brisée par les fatigues de l'audience et par une bronchite persistante contractée en regagnant la ville d'Alençon, sous la neige, lors de l'invasion allemande, M. de La Sicotière ne parut jamais à la tribune; mais dans les commissions son rôle fut considérable et très apprécié de tous. On a de lui un certain nombre de rapports remarquables. En annonçant au Sénat, en termes émus, la mort de M. de La Sicotière, M. le président ChallemelLacour a mentionné de la façon la plus élogieuse le rapport relatif à la situation de l'Algérie au moment de nos désastres, œuvre considérable qui ne comprend pas moins de 900 pages in-4° et qui éclaire toute une situation. Combien d'autres n'aurions-


nous pas à citer, attestant le sens judicieux et la compétence juridique de leur auteur. De tous ces écrits d'un genre un peu spécial, nous ne voulons en retenir qu'un seul le rapport sur les oiseaux insectivores, qui est tout un traité sur la matière et qui forme pour ainsi dire le préambule de la loi destinée à assurer la protection efficace des petits oiseaux, ces utiles auxiliaires de nos producteurs agricoles.

On a déjà beaucoup écrit sur M. de La Sicotière, on écrira beaucoup encore sans arriver à mettre complètement en relief tous les traits de cette mobile et attachante physionomie. Au Sénat, à la Société historique de l'Orne, aux Bibliophiles normands, des voix autorisées ont prononcé son éloge dans une revue bretonne, M. Louis Duval s'est occupé de ses travaux comme historien militaire de la Vendée; nous-mêmes, à l'Association Normande, nous avons essayé de faire connaître les services de toute sorte rendus par lui à cette compagnie pendant près d'un demi-siècle. « Pour en juger, disions-nous, il suffit de par« courir les tables des Annuaires. Jamais collabo« ration n'a été plus active, plus persévérante. « Non seulement il écrivait, mais il payait de sa « personne, prenant part aux enquêtes, guidant les « excursionnistes et intervenant avec sa compé« tence et sa bonhomie habituelles dans les dis« cussions. Aux Congrès d'Alençon, de Mortain,


« d'Avranches, de Conches, il se prodigua véritable« ment et contribua singulièrement au succès. » Ce que La Sicotière fut à l'Association Normande, il le fut, vous le savez, aux Antiquaires de Normandie, il le fut aux innombrables Sociétés historiques, archéologiques, héraldiques et bibliographiques auxquelles il était affilié, comme aux journaux, aux recueils et aux revues de toute couleur et de tout format auxquels quotidiennement et sans se lasser, il apportait le concours de sa plume alerte et toujours prête.

L'œuvre de notre ancien directeur comme littérateur, comme historien, comme archéologue, comme numismate et comme folk-loriste est considérable. Elle touche aux sujets les plus divers, elle a été disséminée à tous les vents du ciel Pour dresser le catalogue des productions d'un polygraphe aussi infatigable, il faudra les investigations consciencieuses et l'application soutenue de MM. Le Vavasseur et Appert. C'est une bibliographie étrangement compliquée, dont les éléments ne seront faciles ni à réunir, ni à classer. La Sicotière a en effet touché à tout, à l'économie politique comme à l'agriculture, aux monuments comme aux anciens textes, aux légendes, aux traditions, aux chansons populaires, comme à la biographie des hommes célèbres et à la discussion des problèmes historiques, littéraires et philosophiques. Mégalithes, monnaies, poteries,


sculptures du moyen âge l'attirent également, et il disserte avec la même ardeur et la même compétence sur les ruines romaines d'Oisseau, sur les stalles de l'église de Mortain, sur les vitraux de Notre-Dame d'Alençon, sur les faïences de Rouen et de Nevers, sur une infinité de personnages appartenant aux mondes les plus différents l'abbé de Rancé, Béranger, Charlotte Corday, MarieAntoinette, Mme Roland, Jean Chouan, le curé Pons, le curé Cantiteau, le patriote d'Héron, sans compter les négociateurs dans l'Ouest, les Rosières de BasseNormandie et les faux Louis XVII. Correspondant assidu du journal Le Droit et très appliqué aux choses judiciaires, M. de La Sicotière est en même temps un admirateur fervent des écrivains romantiques et un très actif zélateur du mouvement archéologique. Chez lui, l'érudit se double en outre d'un bibliophile et d'un collectionneur passionnés. Comment ne pas être un peu troublé par cette étourdissante variété d'aptitudes? Comment se reconnaître au milieu d'un pareil amoncellement de feuilles volantes, de livres et de brochures? Et ce qu'il y a de véritablement remarquable, c'est le soin méticuleux que cet homme, dont toutes les minutes étaient prises par des occupations professionnelles, apportait cependant à la rédaction de tous ces écrits, même les plus humbles notes, récits d'excursions, observations, rapports, comptesrendus. Quelques-unes des biographies qu'il nous


a laissées se distinguent par la précision des détails, la justesse des appréciations, l'abondance, la sûreté des informations. Nous citerons notamment les notices relatives à Valazé, au dominicain Piel, au graveur Godard au dessinateur Monanteuil, à Charles Vatel, l'amoureux de Charlotte Corday, au savant conservateur de la bibliothèque de Caen, Georges Mancel. Les Recherches relatives à Julien Riqueur, à Corneille Blessebois, à M"e Cosard, à là Cour de la reine de Navarre, en même temps qu'elles faisaient revivre sous nos yeux des épisodes piquants de notre histoire ou des personnages oubliés, témoignaient des mêmes qualtiés. Ces dispositions d'esprit se maintinrent jusqu'à la fin nous n'en voudrions, au besoin, d'autres preuves que les dernières productions auxquelles M. de La Sicotière a attaché son nom la notice sur Gaultier-Garguille, les Observations sur un plat de Nevers de sa collection, le mémoire si curieux sur Marie Dugué et sa complainte et, surtout, le discours qu'il prononça comme directeur de la Société des Antiquaires en 1894, et dans lequel, en quelques lignes, il dessine avec tant de conscience et de légèreté de main la physionomie de tous ses prédécesseurs au fauteuil présidentiel.

Quels intéressants recueils de Miscellanées il y aurait à faire avec tous ces fragments, qui ne seront probablement jamais réunis 1 Fort heureusement, M. de La Sicotière a écrit deux œuvres capitales qui


nous le rendent tout entier. Nous voulons parler de Y Orne archéologique et pittoresque, publié en collaboration avec Poulet-Malassis, et de Y Histoire de Louis de Frotté et des Insurrections normandes, couronné par l'Académie française. Dans le premier de ces ouvrages, M. de La Sicotière a dit tout ou presque tout sur l'histoire des communes du département de l'Orne, sur ses châteaux, ses églises, ses ruines, ses forêts et ses sites. On pourra exploiter, peut-être, quelques filons oubliés, mettre en lumière quelques détails laissés dans l'ombre, mais on n'ajoutera rien d'essentiel. Notre ami avait parcouru le pays dans tous les sens, il avait vu et étudié sur place et, avant de prendre la plume, il avait lu tout ce qui pouvait éclairer son sujet, depuis les in-folios vénérables jusqu'aux plaquettes les plus humbles, les plus dédaignées. « On est effrayé, « écrivait dernièrement Gustave Le Vavasseur, de la « somme de travail que représente cette oeuvre « considérable, aujourd'hui fort recherchée, qui « s'appelle: l'Orne pittoresque ».

Dans son étude sur les Insurrections no-rmandes, M. de La Sicotière s'attaquait à un ensemble de faits non moins importants, mais d'une constatation plus difficile. L'histoire de la chouannerie est en effet, si l'on peut parler ainsi, une histoire dispersée sans centre bien défini et se composant d'une infinité d'escarmouches, d'engagement^ de marches en avant, de retraites, de négo-


ciations, d'incidents de toute sorte qui se rattachent sans doute les uns aux autres, mais dont la liaison n'apparaît pas toujours nettement et n'est pas facile à dégager. M. de La Sicotière a su s'orienter dans cette obscurité et porter la lumière dans ces ténèbres.

A ce propos, M. Le Vavasseur a écrit quelques lignes excellentes, que nous hésitons d'autant moins à reproduire qu'elles sont comme la déposition d'un témoin ayant assisté à l'élaboration de l'œuvre depuis sa préparation première jusqu'à son achèvement.

« L'historien moderne, nous dit-il, est plus exi« geant que n'étaient les anciens. Il remonte aux « sources, il veut voir et toucher la pièce originale, « il ne cite jamais le document de seconde main. « Lorsqu'il s'attaque à un sujet dont le théâtre « garde encore les traces du drame accompli, quand « les acteurs ont laissé des témoins ou des témoi« gnages, quand la légende est encore assez « fraîche pour que l'on puisse espérer en dégager « le fait qu'elle dénature, il n'est sorte de peine « qu'il ne faille se donner et de recherches qu'il « ne soit nécessaire de faire, dût-on courir après « les infiniment petits, et jeter au panier le docu« ment futile conquis au prix de tant de fatigue. Il « fallait voir l'auteur de Frotté à l'œuvre, visitant « le théâtre des engagements, les bois, les mai« sons, les châteaux, les lieux d'embuscades,


« les cachettes, interrogeant les vieillards, recueil« lant les « on-dits sollicitant la communication « des papiers de famille, des correspondances, le « calepin dans une main, le crayon dans l'autre, « amassant d'innombrables notes, allant de Saint« Joué-du-Bois au Champ-de-la-Pierre, de Couterne « à Verneuil, puis s'enfermant aux archives du mi« nistère de la guerre, contrôlant les rapports, con« sultant les dossiers, ne faisant tort, ni grâce à « personne, dénonçant les trahisons des grands « rôles, rappelant les vilenies des comparses, ren« dant à certains calomniés la justice qui leur est « due suum cuique ». Nous ajoutons que M. de La Sicotière a su faire circuler l'intérêt et la vie dans deux énormes volumes bourrés de faits et où chaque affirmation est appuyée d'un témoignage, d'un document.

Nous pouvons être rassurés, l'Orne pittoresque, l'Histoire de Frotté et des insurrections normandes défendront victorieusement contre l'oubli la mémoire de notre vénéré confrère.

L'année dernière, quand M. de La Sicotière vint nous présider pour la seconde fois, dans cette séance où tous ses amis s'étaient donné rendezvous, nous le fêtâmes de notre mieux et nous savons qu'il fut profondément touché des sympathies chaleureuses dont il fut entouré. Quelques mois après, à Alençon, au congrès de l'Association Normande, nous le retrouvions avec sa chaude et accueillante


cordialité, toujours sur la brèche, prodigue comme autrefois de renseignements, d'encouragements, de communications. A la suite d'une excursion à SaintCéneri qu'il avait préparée, il voulut réunir à sa table tous les membres de notre compagnie. Jamais son entrain n'avait été plus joyeux, sa mémoire plus précise, sa conversation plus instructive et plus attachante. Qui eût dit que c'étaient là pour nous les dernières paroles, et que nous assistions au suprême adieu.

M. de La Sicotière est mort à Alençon le 28 février 1895. Ses funérailles ont eu lieu le jeudi 4 mars au milieu d'un concours énorme de population, où toutes les opinions politiques et toutes les classes de la société étaient représentées. Conformément aux volontés expresses du défunt, aucun discours n'a été prononcé sur sa tombe. Mais l'attitude recueillie des assistants montrait assez que tous comprenaient que l'homme que l'on conduisait ainsi à sa dernière demeure avait été l'honneur de la cité et du pays tout entier. Cette manifestation unanime et silencieuse n'est-elle pas, après tout, la meilleure, la plus digne, la plus expressive de toutes les oraisons funèbres? 9


LES PORTRAITS PRÉTENDUS

DE MME DE PARABÈRE DE CHAPELLE ET RACINE

AU MUSEE DE CAEN

Par M. Fernand ENGERAND.

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MESSIEURS,

Si. vous êtes allés au musée de Caen, vous y avez assurément admiré deux toiles qui font la gloire de ses galeries et où le catalogue veut voir les portraits de Mme de Parabère, de Chapelle et Racine vous me permettrez d'essayer de vous ôter quelques illusions à leur sujet.

Le premier de ces tableaux est justement célèbre jadis il appartenait à l'ancien hôtel de Franqueville à Caen et la ville vers 1825 l'acheta je


crois, 200 fr.; il montre au milieu d'une guirlande de fleurs, une jeune femme, jolie plutôt que belle, mais dont la grâce et l'esprit font le charme inoubliable sa chevelure noire découvre un front de déesse, les yeux gris-vert, d'un extraordinaire éclat, illuminent le visage, les joues sont naturellement roses sans nul recours au fard, la bouche petite est fine et souriante vêtue d'un corsage bleu, qui fait ressortir les avantages de la taille et laisse à découvert dans tout son développement un bras du galbe le plus exquis, la jeune femme prend des fleurs dans une corbeille qu'un nègre lui présente et les dispose en guirlande.

Les fleurs sont traitées avec une finesse, un éclat, une vérité, que Seghers, ni Van Huysum n'avaient point égalés elles se détachent, sortent de la toile à donner la complète illusion de la réalité quant au portrait c'est une simple merveille l'harmonie est parfaite entre les fleurs et la femme dont les beautés rapprochées se complètent, et le tout forme un ensemble dont la perfection ne saurait être dépassée.

Sur une plinthe à droite, isolée de la guirlande et bien en vue, on relève une signature tracée en fortes lettres elle porte le seul nom de Fonlenay. Les divers catalogues du musée de Caen ont toujours identifié le portrait avec celui de Mme de Parabère, la maîtresse du Régent; tant qu'à l'attribution, ils ont admis une collaboration réservant


à Fontenay la seule guirlande, et donnant le portrait à Boulogne d'abord, puis à Antoine Coypel. Cette double affirmation me semble des plus contestables et jusqu'à ce qu'un document certain soit venu prouver le contraire, je pense que l'attribution totale du portrait doit d'abord être donnée à Fontenay, et qu'ensuite l'identification à Mrae de Parabère ne peut être maintenue. Que penser d'une collaboration d'Antoine Coypel cl de Fontenay?

Je reconnais que cette attribution est des plus séduisantes cette peinture, dans chacune de ses touches, rappelle la manière du peintre favori de la Régence, et son rapprochement du n° 742 du Louvre Jeune fille caressant son chien, semble en corrob'orer l'exactitude il n'est donc pas étonnant que personne jusqu'ici ne l'ait contestée. Après mûre réflexion, cependant, elle ne me parait pas vraisemblable et je crois qu'on a été chercher bien loin ce que l'on avait sous les yeux.

D'abord il est bien établi que l'attribution à Coypel ne fut pas toujours admise je n'ai pas retrouvé dans les budgets municipaux l'ordonnance de paiement qui signale l'acquisition de ce tableau et en indique les auteurs présumés mais M. Mancel, le rédacteur du catalogue du musée de Caen, qui était à même d'être bien renseigné., attribuait, en 1835, ce portrait à Boulo-


gne (1) ce qui indiquerait que c'est à cet artiste que la tradition le rapportait. Des experts vinrent qui le donnèrent à Coypel, ce qui était plus vraisemblable. Mais ces suppositions, si brillantes soient-elles, ne sont-elles pas démenties par la signature même du tableau je pense donc qu'il est prudent, jusqu'à preuve péremptoire du contraire, de s'en tenir à ce qui est écrit et de restituer l'œuvre entière au seul Fontenay.

La dualité d'artistes ne saurait, en effet, s'expliquer que de deux façons ou le tableau fut fait en collaboration, ou le portrait fut inscrit après coup dans la guirlande (la pose de la femme ne permet pas d'admettre que la guirlande ait été ajoutée). Peut-on ainsi admettre la collaboration de Coypel et de Fontenay? Certes on observe parfois, à cette époque, de ces collaborations d'un portraitiste et d'un peintre de fleurs en voici un exemple pris à un inventaire des tableaux de Meudon en 1733 « un tableau de Batiste (Monnoyer), « représentant une figure grande comme nature, « appuyé sur une balustrade de marbre, portant « un plat de fruits, portant la livrée de M. le duc « d'Orléans les figures sont de M. Houasse. » Une telle collaboration s'expliquait par ce fait que Monnoyer n'était exclusivement apte qu'à la pein(1) Revue de la Basse-Normandie, novembre et décembre 1835.


ture de fleurs; mais tel n'était pas le cas de Fontenay, qui montra parfois qu'il pouvait sortir du genre où il s'était confiné c'est ainsi qu'au salon de 1699 il exposait un grand tableau de fleurs, fruits et vases avec un More, et qu'en 1714 les Bâtiments du Roi lui payaient la première pièce de la fameuse tenture de Don Quichotte, qui devait immortaliser le nom de Coypel, et non point simplement la bordure, mais bien le modèle principal, ce qui prouve que la peinture d'histoire lui était également familière, puisqu'une commande aussi importante lui était faite à titre officiel (1). Mais quand il y avait collaboration de deux peintres, ou ils ne signaient point l'oeuvre ainsi faite, ou ils la signaient tous les deux. Est-il admissible que pour un morceau comme celuici, où la part du fleuriste est réduite à un simple accessoire, alors que le portraitiste fit le tableau presque entier (la jeune femme et le négrillon), est-il admissible que l'auteur d'une œuvre aussi réussie, titulaire du nom triomphant de Coypel, ait renoncé à toute prétention sur un tel chef-d'œuvre, et que ce soit le peintre de fleurs (genre très inférieur et dont l'exclusive pratique interdisait à ses adeptes le professorat à l'Acadéil) Voir à ce sujet, dans la Chronique des Arts de juillet 1896, mon travail sur Charles Coypel, compris dans la série des Cumulandes offiri files de tableaux au X VIII' siècle.


mie) qui ait seul signé, et comment? en lettres hautes, isolées et nettement détachées de la guirlande pour bien revendiquer la totale paternité de l'oeuvre.

Il faudrait alors concéder au portraitiste une modestie qui n'est vraiment pas dans la nature humaine.

Peut-on prétendre maintenant que le portrait de la jeune femme fut inscrit après coup dans la guirlande de fleurs? Alors il faudrait supposer que la place de la dame aurait été occupée par quelque buste, vase ou mascaron; en ce cas le négrillon eût été également ajouté, ce qui équivaudrait à dire que l'oeuvre fut complètement refaite; comment donc l'artiste de seconde main n'eût-il pas mis son nom à côté de celui de son prédécesseur ? L'harmonie de la composition contredit au reste semblable hypothèse l'existence de ce négrillon, la direction de son regard sont des indices assurés de la présence incessante de la dame, comme l'interruption des fleurs de guirlande, au point où il paraît, dénote celle du nègre lui-même; et ce regard du More ainsi dirigé vers le centre de la composition, sur qui se porterait-il sinon sur la personne à qui la guirlande est présentée? Enfin il est évident que le portrait est le motif principal du tableau et sa raison d'être la pose générale de la jeune femme, l'aisance avec laquelle elle se meut dans la composition établissent clairement que les fleurs dans ce


tableau furent faites pour elle et que ce ne fut pas elle qui fut après coup inscrite dans cette guirlande faisant office de passe-partout. Au reste la toile ne décèle aucune trace de repeint, l'unité en est absolue.

Ainsi donc, jusqu'à ce qu'un témoignage précis soit venu établir le contraire, il serait prudent de laisser au seul Fontenay la totale paternité de cette œuvre. On sait encore très peu de choses de cet artiste son origine provinciale et sa qualité de protestant sont des indices certains que l'enseignement Mu portrait lui fut donné, puisque c'était le seul genre dans lequel un artiste provincial de la religion réformée pût gagner sa vie; au reste n'est-il pas démontré qu'un artiste bien doué peut réussir dans tous les genres et quel peintre ne fit point de portraits ne vit on pas un peintre de nature-morte comme Chardin, un animalier comme Desportes y exceller pourquoi en refuserait-on la faculté à un peintre de fleurs, alors surtout qu'il a donné des preuves de son indépendance professionnelle à ce sujet?

Une objection très forte peut être faite cette œuvre est digne des portraitistes les plus en faveur de ce temps, et si Fontenay eût été capable de cela, il eût mérité d'être reçu de l'Académie avec le titre spécial de peintre de portraits et de fleurs. Mais il me semble qu'on peut répondre qu'en 168G, quand Fontenay se présenta à l'Académie, il avait


intérêt à se faire recevoir presqu'exclusivement comme peintre de fleurs les commandes royales étaient alors la grande ambition des artistes, et tout espoir devait être laissé du côté du portrait sous le règne triomphant de Mignard et de Rigaud du côté de la peinture de fleurs, il y avait au contraire tout à attendre. C'était le beau moment des entreprises décoratives de Versailles et des maisons royales, et l'on sait quel rôle considérable y joua la peinture de fleurs. Le genre n'avait alors d'autre représentant que Monnoyer, qui, bien qu'aidé de son fils, n'eût pu suffire à des commandes aussi multiples il est tout naturel qu'il ait songé à son gendre Fontenay pour l'aider dans ses ouvrages, et le seul moyen de le faire agréer des Bâtiments, c'était de le faire recevoir de l'Académie spécialement comme peintre de fleurs.

Le portrait n'est pas celui de Mm° de Parabère. Clément de Ris, de Lescure, M. Buret dans une intéressante étude (1), en ont apporté des preuves multiples la plus valable est fournie par la confrontation du portrait du musée de Caen avec ceux connus de Mme de Parabère. Les principaux (1) Clément de Ris, Les Musées de province. De Lescure, Les Maîtresses du Régent Bulletin de la Société des Beaux-Arts de Caen, 6e volume, 2e cahier. De quelques tableaux du musée de Caen, par A. Buret.


furent exécutés- par Santerre, Rigaud et Van Loo (1).

Santerre, deux fois, représenta la Parabère, et chaque fois en compagnie du Régent, mais dans des postures combien différentes. Ce fut, d'abord, dans les personnages d'Adam et d'Eve. après le péché sans doute je n'ai pu voir ce tableau dont il existe, paraît-il, une esquisse dans la famille de Santerre et dont l'original serait actuellement au musée impérial de Vienne. L'autre portrait est à Versailles (n° 3,701). Mme de Parabère, suivant une tradition, y est représentée sous les traits de Minerve et conseillant le Régent l'accoutrement dont elle est chargée ne facilite guère une comparaison, mais il parait bien que le modèle soit tout différent de la jeune femme du musée de Caen. Le portrait par Rigaud ne laisse aucun doute il se trouve au château de Borand, en Oise, et appartient à Um" de Sancy-Parabère, jamais il ne quitta cette famille une lettre de Rigaud, qui en annonçait l'envoi en 1713, affirme son authenticité et il fut gravé par Valée (2). C'est (1) Largillière peignit aussi Mme de Parabère en grands atours. Son œuvre fut vendue 1250 fr. à la vente du comte d'Houdetot.

(2) La gravure de Valée est accompagnée des vers suivants

Sous le riant aspect de Flore

Cette beauté touche les cœurs,


un « portrait jusqu'aux genoux », comme on disait alors On y voit Mme de Parabère cueillant un œillet, un nègre lui présente une corbeille de fleurs. Dans ce portrait, Mme de Parabère a vingt ans; ce n'est pas le moins du monde la petite personne fluette et accorte du tableau de Caen, mais une beauté opulente et majestueuse (1); elle accuse d'incoercibles dissemblances avec la pseudo-Parabère qui nous occupe, et quant à la stature, et quant aux traits, et quant à la chevelure, et quant aux yeux gris-verts dans le portrait de Caen, noirs dans celui de Rigaud. Ces deux portraits, au reste, furent placés l'un à côté de l'autre, en 1878, à l'Exposition des portraits nationaux au Trocadéro, et alors la vérité apparut.

Enfin, le portrait par Van Loo, que grava Chereau, nous montre Mme de Parabère comme une Et par le contraste du More

Relève ses attraits vainqueurs.

Mais, que dis-je ? Des dons de Flore

Son teint augmente la fraîcheur,

Et la noirceur même du More

Tire un éclat de sa blancheur.

(1) Ce qui concorde tout à fait avec cette déclaration de La Palatine, touchant les amours de son fils le Régent et de Mme de Parabère « Mon fils a une sultane-reine, Mme de Parabère elle est de belle taille, grande et bien faite, elle a le visage brun et ne se farde pas, une jolie bouche et de jolis yeux elle a peu d'esprit peut-être, mais c'est un beau morceau de chair fraiche. »


très grande femme, au visage fort et allongé, aux yeux noirs, et dont la chevelure avance en pointe au milieu du front, tandis que cette pointe est, au contraire, rentrante chez la jeune femme du musée de Caen.

J'en étais là de mes recherches quand un concours imprévu vint me confirmer dans mes suppositions et me convaincre que je n'avais point fait fausse route.

Au cours d'un travail qu'il entreprenait sur le château de Pardaillan, dont Mme de Parabère avait été châtelaine, un érudit de Gascogne, M. Philippe Lauzun, avait été amené à s'occuper un peu de la fameuse maîtresse du Régent et le désir lui vint naturellement de placer dans son travail le portrait de cette dame.

Il détenait justement une gravure exécutée par Leguay d'après un portrait de Coypel, qui représentait Mme de Parabère sachant qu'il existait à Caen un autre portrait de Mme de Parabère par Coypel, il voulut confronter les deux modèles et à cet effet il s'adressa à notre confrère M. Émile Travers, qui eut l'obligeance de me transmettre cette demande, qui avait pour moi un si vif intérêt. L'examen de la photographie de cette gravure, moins décisif cependant que le portrait par Rigaud, établissait clairement la fausse identification du tableau du musée. La comtesse était représentée parCoyppl en toilette décolletée, avec une guirlande


de roses au corsage: au premier abord la ressemblance ne s'impose point avec la femme représentée par Rigaud la faute en est à l'attirail de toilette tout différent entre l'un et l'autre, et surtout aux libertés prises par les graveurs (c'est dans des cas semblables que la photographie est un aide indispensable et parfaitement probant). Vieillie et alourdie par Rigaud ou tout au moins par le graveur Valée, Mmo de Parabère est au contraire toute rajeunie et embellie par Coypel et très modernisée par le graveur Leguay; mais à bien examiner les deux modèles on leur retrouve même bouche mêmes yeux, même nez, mêmes particularités de chevelure, même opulence de formes.

L'essentiel serait de retrouver l'original de Coypel, d'après lequel fut exécutée cette gravure un point déjà est acquis, c'est que l'original jadis a dû appartenir au duc d'Orléans c'est là une indication précieuse et une piste qui peut mener au résultat souhaité.

Quoiqu'il en soit, il me semble absolument hors de doute que Mme de Parabère, beauté opulente et un peu sotte, n'a rien de commun avec cette gracile dame, ès yeux de qui luit un esprit affiné et qui vraiment ne fait nullement songer à une rouée de la Régence et de la sorte de la Parabère. Semblable figure oncques ne vit le Régent! 1

»


Le 23 octobre 1844, le maire de Caen recevait la lettre suivante

Etreham, près Bayeux.

Monsieur le Maire,

Je vous demande la permission d'offrir au musée de la ville de Caen un tableau de Tournières, peintre habile né à Caen même sous le règne de Louis XIV. Ce tableau représente une anecdote citée, je crois, dans les mémoires de Racine.

Il offre donc quelque intérêt à cause des portraits très soignés de Racine et de Chapelle faits par un peintre contemporain, leur ami, et sera avantageusement placé dans la ville où naquit Tournières. Le musée de Caen ne possède qu'une tête de cet artiste distingué.

Je serais heureux d'y ajouter une de ses compositions les plus remarquables parmi ses ouvrages assez rares. J'espère donc, Monsieur le Maire, que vous voudrez bien agréer mon offrande et je vous prie de recevoir l'expression de ma considération la plus distinguée. Comte d'HouDETOT, pair de France,

Membte de l'Institut et du conseil général du Calvados.

Cette offre généreuse fut accueillie avec reconnaissance et le rédacteur du catalogue de 1851, renchérissant sur la donnée de M. le comte d'Houdetot, consacrait à ce tableau la notice suivante, qui fut à peu près intégralement reproduite dans les éditions postérieures


Chapelle, le spirituel auteur du Voyage en Provence, avait un penchant particulier à l'ivrognerie auquel il se laissait entrainer facilement; mais il était fort éloquent dans l'ivresse et ses discours devenaient persuasifs et pleins d'onction. On raconte qu'étant un jour en tête à tête avec Racine, les deux convives, après avoir bu outre mesure, se mirent à moraliser sur les misères de la vie et les vanités du monde tant et si bien que Racine, pris d'un beau mouvement d'indignation, saisit les livres et les manuscrits qui l'ont rendu immortel et les foula aux pieds comme œuvres indignes et condamnables. C'est cette aventure que l'artiste a reproduite, et ce tableau y donne une certaine authenticité, puisqu'il est contemporain des deux poètes, et que les portraits sont très ressemblants, si l'on en juge d'après la comparaison avec les gravures du temps. Voici maintenant comment le tableau se présente aux yeux, non prévenus par la lecture du catalogue

Autour d'une table, sur le milieu de laquelle triomphe un ample flacon empaillé tenu dans un support d'argent, deux personnages sont assis sur d'excellentes chaises Louis XIII de cuir doré et laqué leur tenue à l'un comme à l'autre est des plus correctes. L'un d'eux, le héros du tableau dont les traits rappellent ceux de Racine d'après la gravure célèbre de Saint-Aubin, vêtu d'un habit bleu foncé, au côté duquel pend l'épée de gentilhomme, coiffé d'une ample perruque, désigne


d'une main le flacon, tandis que de l'autre abaissée il montre d'un doigt dédaigneux, épars à terre une douzaine de bouquins, sur les plats d'un desquels on lit Arisiolèles et sur lesquels il pose son pied, chaussé du soulier à talon rouge l'attitude de cet homme est d'un symbolisme très intelligible, il affirme la supériorité de la bouteille sur la science, et rien de plus 1 Son compagnon l'écoute, le coude appuyé sur la table et supportant du poing une tête goguenarde sa tête, privée de perruque, est enveloppée d'une sorte de turban à la mode au début du XVIII6 siècle sa mise négligée dénote que la scène se passe chez lui, d'autant qu'on peut voir difficilement, il est vrai, sur le fond poussé au noir de la composition l'épée et le chapeau du personnage appendus à la muraille, à droite, un dressoir avec l'attirail ordinaire, et près de la table un appareil jusqu'ici non cité dans aucun des dictionnaires d'ameublement un porte verres et bouteilles composé d'un casier à bouteilles, du milieu duquel part une tige de fer recourbée à sa partie supérieure comme un fouet de maître et terminée par un demi-cercle en fer pour suspendre les verres. Enfin un laquais à perruque, porteur d'un plateau, fait le service.

L'attitude apprêtée de ces deux hommes montre clairement qu'on est en présence d'un double portrait, de même que la disposition succincte et


correcte de la table écarte radicalement l'idée d'une scène de genre. Mais pour voir là Racine et Chapelle, il faut une singulière bonne volonté. M. le marquis de Chennevières fut le premier à s'insurger contre l'attribution du catalogue, et sa critique avisée et circonspecte vit dès 1851 que Chapelle ni Racine n'avaient rien à faire ici. Clément de Ris, au contraire, défendit l'opinion du livret, non sans combattre une de ses affirmations Tournières, remarquait-il, n'était nullement contemporain de ces deux écrivains, car il avait dix-sept ans à la mort de Chapelle (1686) et trente à celle de Racine il est de toute évidence qu'il avait plus de dix-sept ans quand il exécuta une œuvre de cette force. Clément de Ris aurait encore pu ajouter que les deux personnages du tableau de Caen portent chacun de trente-cinq à quarante ans, et que quand Chapelle avait cet âge-là, Tournières n'était pas encore né. Je me range sans crainte à l'opinion de M. le marquis de Chennevières, et ce m'est une joie de pouvoir, par des preuves nouvelles assez convaincantes, témoigner de la sûreté de jugement et de la perspicacité de critique de l'auteur des Observations sur le musée de Caen et son nouveau catalogue (un livre qui est en train d'acquérir la rareté du Pâtissier françois ou du Psautier de 1457, j'en avertis les bibliophiles).

Et d'abord, le personnage supposé de Chapelle


diffère radicalement des portraits connus de cet écrivain et notamment de celui peint par Le Brun, comme d'un autre gravé par Desrochers aucun doute n'est possible à cet égard, et le rédacteur du catalogue de 1851 n'avait assurément pas dû les voir, pour déclarer « que les portraits sont très ressemblants, si l'on en juge d'après la comparaison avec les gravures du temps. »

Comme je l'ai déjà dit, il y a une incontestable similitude entre l'autre personnage et Racine; mais il faut vite abandonner toute tentative d'identification en ce sens.

Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes en présence d'un portrait, et que ce personnage, où l'on cherche Racine, a posé devant Tournières quelle vraisemblance y aurait-il à admettre que Racine ait choisi pour se faire représenter une attitude aussi contraire à son caractère et à ses idées ultra-religieuses N'oublions pas encore que Tournières, quel que fût son talent, n'a pas pu exécuter cette œuvre avant vingt-cinq ans Racine alors en avait cinquante-six et le personnage en accuse de trente-cinq à quarante.

Il faudrait alors supposer que Tournières ait voulu faire œuvre satirique à l'endroit du poète hypothèse inadmissible, car cette critique ne reposait sur rien. En effet la légende de cette scène d'ivresse, à laquelle le catalogue fait allusion, s'est trompée d'adresse et l'examen du tableau devait en avertir le rédacteur.


« Racine-dit-il-dans un beau mouvement d'indignation, saisit les livres et les manuscrits qui l'ont rendu immortel et les foule aux pieds. » Mais où a-t-on vu tout cela dans le tableau? Les livres qui gisent à terre sont de respectables bouquins, compacts et antiques, tous d'assez grand format et les éditions des pièces de Racine sont de minces plaquettes in-12 détail infime, mais qui a son importance avec un artiste minutieux comme Tournières. On n'aperçoit le titre que d'un seul, c'est Aristolèles quant à des manuscrits, il n'en fut jamais

Mais enfin, il y a mieux ce n'est pas du tout à Racine qu'est arrivée l'humiliante aventure à laquelle il est fait allusion, mais bien à Boileau, illustre amateur de bonne chère, franc humeur de piots et bon coureur de cabarets.: il voulait moraliser Chapelle sur son intempérance et celui-ci, en l'écoutant, s'amusa à le griser. Avant cette légende accréditée par le catalogue du musée de Caen, il n'y avait aucune hésitation à ce sujet Louis Racine, dans ses Mémoires sur la vie de Jean Racine, met ce iait à l'actif de Boileau ainsi que les Bolœana (1) ou bons mots de M. Boileau et tous les dictionnaires, encyclopédiques, biographiques généraux ou non.

(1) Mémoires sur la vie de Jean Racine. Lausanne et Genève, 1747, in-12, p. 53. Bolœana ou bons mots de Boileau, Amsterdam, in-12, 1742, p. 99.


Et voilà bien l'histoire accoutumée des légendes le rédacteur du catalogue du musée, en identifiant de la sorte ce tableau de Tournières, a causé le plus réel préjudice à la mémoire du vertueux Racine. On s'est, en effet, basé sur le tableau du musée de Caen pour rectifier en ce sens l'histoire de sa vie les pédagogues maintenant content couramment aux apprentis-bacheliers que Racine s'enivrait souvent avec Chapelle, et des biographes sérieux (on me permettra de taire leurs noms) sont venus à la rescousse la preuve, ont-ils dit, que Racine avait de telles habitudes d'intempérance, c'est que Tournières, son contemporain, l'a représenté dans un état d'ébriété en compagnie de Chapelle C'est ainsi que s'écrit l'histoire

L'ombre délicate de l'auteur d'Esther doit être assurément fort affligée d'une pareille méprise mais l'ombre ironique de Boileau s'en doit esjouir prodigieusement.

Il faut donc renoncer à voir Chapelle et Racine dans ce tableau de Tournières attendons maintenant d'un bon hasard les noms de leurs remplaçants. J'y verrais plus volontiers les portraits de deux de ces épicuriens du Marais, de ces libertins comme ils s'intitulaient sous Louis XIV, de ces familiers de l'Hôtel des Tournelles qui, sous la direction lointaine de St-Evremond, avec Ninon pour Leontium, professaient à Paris les erreurs chères au bon Horace.


Quoiqu'il en soit des personnages, l'œuvre est de tout point remarquable, merveilleuse de finesse, d'une touche spirituelle, d'une justesse de ton admirable. M. le marquis de Chennevières la proclamait à la hauteur d'un beau Terburg l'éloge est significatif et parfaitement justifié.

Belin de Fontenay, Le Vrac de Tournières deux Caennais et deux artistes de génie, dont les œuvres tiennent une place d'honneur dans l'école Française. N'est-il pas désolant de constater que dans leur ville natale ces deux noms ne jouissent pas de la popularité, à laquelle ils auraient tant de droits. Avons-nous donc tant de gloires pour faire fi d'aussi considérables quand donc aurons-nous à Caen la rue Fontenay, la rue Tournières y


EXTRAITS DES PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE DU 6 DÉCEMBRE 1895.

Présidence de M. Ludovic LANGLOIS.

L'ordre du jour appelle le renouvellement intégral du bureau.

Sont nommés pour 1896

Directeur M. Edouard Corroyer, inspecteur général des édifices diocésains;

Président M. Richard Dubourg;

Vice-président M. Paul de Longuemare

Secrétaire: M. de Beaurepaire;

Vice-secrétaires MM. Gustave Le Hardy et Tony Genty

Trésorier: M. Charles Hettier;

Bibliothécaire-archiviste: M. Emile Travers; Bibliothécaire adjoint M. Liégard;

Conservateur du Musée: M. Huart;

Commission d'impression MM. Gasté, Raulin, de Formigny de La Londe, Guillouard, du Manoir


SÉANCE DU 3 JANVIER 1896.

Présidence de M. Richard Dubourg.

La société a admis au nombre de ses membres correspondants l'Académie royale des BellesLettres, d'Histoire et des Antiquités de Stockholm, la société des Lettres d'Upsal, et MM. Jules Helbig, abbé Delvigne et baron Bethune, vice-présidents de la Gilde de Saint-Thomas et Saint-Luc de Belgique.

Après une allocution du président et la lecture d'une lettre de M. Corroyer, directeur, le secrétaire communique deux lettres sur des inscriptions du château de Beneauville, commune de Bavent, et de la chapelle de la seigneurie de Bréville.

On procède ensuite à la nomination des membres qui représenteront la société des Antiquaires de Normandie aux « assises de Caumont », qui se tiendront à Rouen au mois de juin prochain. Sont délégués MM. Benoit, de Beaurepaire, Tony Genty, de Longuemare.

Sont ensuite délégués au congrès des Sociétés Savantes qui se tiendra à la Sorbonne pendant les vacances de Pâques, MM. Tony Genty et Fernand Engerand.

Le comte d'Osseville communique ensuite des


documents, accompagnés de photographies, sur l'église de Bahais et la chapelle des Pezerils. Puis M. Simon, au sujet des plaques de cheminée aux armes de la famille Hue, de Mutrécy, donne quelques détails sur cette famille; il communique ensuite des extraits du testament de M. JosephPierre Chibourg, médecin du siècle dernier. Enfin, lecture est donnée d'un intéressant travail de M. Albert Pellerin sur « saint Evremond et ses établissements de Fontenay ».

SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1896.

Présidence de M. Richard Dubourg, président

Après la lecture et l'adoption du procès-verbal de la précédente séance, le secrétaire communique les lettres de remerciement qui lui ont été adressées par MM. le chanoine Delvigne, le baron Bethune et le directeur de la Revue de l'Art chrétien, M. Jules Helbig, de Liège.

M. de Beaurepaire fait part à ses confrères de la mort de M. Charles Vasseur, qui fut, avec MM. Raymond Bordeaux et Georges Bouet, l'un des disciples les plus dévoués de M. de Caumont. L'expression des regrets de la société sera consignée au procèsverbal.

Parmi les ouvrages offerts, il y a lieu de signaler l'élogp de M. le baron Bethune, père de notre


nouveau correspondant, par M. le chanoine Delvigne, vice-président de la Gilde de Saint-Thomas et Saint-Luc le Protestantisme en Béarn, par M. L. de Panthou Colons bas-normands et créoles de Saint-Domingue, par Louis Duval, archiviste du département de l'Orne.

Le secrétaire a fait déposer sur le bureau de la société et appelle toute l'attention de ses confrères sur une magnifique aquarelle exécutée par M. Vasnier, élève de l'école des Beaux-Arts, et représentant une peinture murale récemment découverte dans la nef de l'église de Savigny, près Coutances. Cette reproduction, aussi remarquable par le fini du travail que par une exactitude rigoureuse, est d'autant plus précieuse qu'à raison de son état de détérioration il est absolument impossible de songer à photographier cette intéressante décoration.

Le secrétaire est chargé de transmettre les félicitations de la société à M. Vasnier.

M. E. Travers termine la séance en donnant lecture d'un mémoire des plus intéressants de M. A. Pellerin. Ce travail, où les réflexions humoristiques se mèlent au sens historique et à la description archéologique, reçoit de la société le plus favorable accueil.

Il sera inséré dans le XVIII" vol. du Bulletin. La société avait décidé précédemment qu'il serait constitué deux commissions l'une à l'effet de véri-


fier l'état des inscriptions commémoratives placées sur les maisons historiques et d'indiquer les maisons sur lesquelles des plaques de ce genre paraîtraient devoir être apposées l'autre à l'effet de signaler les actes de vandalisme malheureusement très nombreux, commis dans notre région et de provoquer au besoin les mesures propres à assurer la conservation des monuments et des œuvres d'art. Procédant à la nomination de ces commissions, la société a élu membres de la première commission

MM. Gasté, Tony Genty, Marie, architecte; Raulin et Emile Travers.

Et membres de la seconde commission

MM. le comte d'Osseville, du Manoir, Simon, Huart, architecte, et Alfred Liégard.

La société a entendu ensuite la lecture de deux mémoires de M. Desprairies, notaire à Carentan L'un est relatif à une inscription facétieuse rédigée en latin contre les hommes de loi et les médecins. Cette inscription originale figure audessus de la porte d'entrée d'une habitation située près de l'église de cette commune.

L'autre mémoire concerne les différentes marques apposées sur le papier timbré dans la généralité de Caen, depuis 1673 jusqu'à 1791 Le travail fort intéressant de M. Desprairies est accompagné de deux feuilles reproduisant ces différentes marques.


SÉANCE DU 6 MARS 1896.

Présidence de M. de Longuemare.

Le secrétaire, après la lecture du procès-verbal, signale plus particulièrement deux ouvrages parmi les envois déposés sur le bureau.

La Charité à Rouen, par M. Victor Duval, secrétaire de rédaction au Patriote de Normandie, et qui a dirigé autrefois avec une grande distinction Y Avenir du Calvados et a laissé dans notre ville les meilleurs souvenirs. Son travail, inspiré par les études analogues de Maxime du Camp sur la Charité à Paris, est d'une exactitude rigoureuse comme statistique et renferme les détails les plus attachants. Il a été honoré d'une approbation de Mgr l'archevêque conçue dans les termes les plus flatteurs. Il serait à souhaiter, ne fût-ce que pour montrer l'influence bienfaisante et civilisatrice du catholicisme parmi nous, qu'un travail de ce genre fût entrepris pour la ville de Caen, où la charité s'est toujours montrée si active et si ingénieuse. La seconde publication, la Sculpture et les Arts plastiques au pays de Liège et sur les bords de la Meuse, est due à la plume d'un des nouveaux correspondants de la société, M. Jules Helbig, directeur de la Revue de l'art chrétien, membre de la commission royale des monuments,


Indépendamment des descriptions écrites et des observations que les monuments provoquent, l'auteur a pu joindre à son texte un grand nombre de reproductions, grâce à une allocation du département des beaux-arts due à l'intervention bienveillante de M. de Volder, ministre de l'intérieur. Ces dessins et ces photogravures ont d'autant plus de valeur pour nous qu'ils peuvent être rapprochés de sculptures, de statues, de bas-reliefs et de reliquaires existant en Basse-Normandie. A ce point de vue, la belle publication de M. Helbig, en même temps qu'elle est d'une lecture très agréable, constitue un document très utile à consulter pour les archéologues normands.

Est ensuite décidé l'échange des publications de la société des Antiquaires de Normandie avec celles de la société d'Émulation des Côtes du-Nord. SÉANCE DU 5 JUIN 1896

Présidence de M. Dubourg, président.

Après l'adoption du procès-verbal de la précèdente séance le secrétaire signale parmi les ouvrages déposés sur le bureau le dernier n° de la Revue catholique de Normandie et tout un lot de nouvelles brochures envoyées par M. Léopold Delisle, qui feront l'objet d'un rapport ultérieur.


Il donne lecture d'une lettre de M. Ravenel annonçant qu'il se propose d'offrir à la Société un panneau peint représentant sainte Thérèse, qui parait être un fragment d'un tableau de confrérie provenant d'une église des environs de Falaise. Des remerciements sont adressés à M. Ravenel. Le secrétaire donne également lecture d'une lettre qui lui a été adressée par M"" Vasseur, veuve de notre regretté confrère. Dans cette lettre, Mme Vasseur fait connaître que plusieurs notes manuscrites laissées par son mari concernent la Normandie. Des démarches seront faites auprès de Mme Vasseur pour en obtenir connaissance.

Des renseignements sont demandés par M. l'abbé Angot, de Couterne, sur Jean de Feschal, gendre du sieur de Silly, capitaine de Caen en 1482. Le secrétaire prie ses confrères de lui remettre tous les renseignements qu'ils posséderaient à ce sujet, pour qu'il puisse les transmettre, en leur nom, à M. l'abbé Angot.

M. Alfred Liégard signale un carrosse genre Louis XIV, d'un très beau style, qu'il a eu l'occasion de voir dans les communs du château de Gavrus comme cette habitation appartient à M™" la marquise de Neuville, fille de M. de Glanville, doyen de la Société des Antiquaires, peut-être serait-il possible d'en parler à notre confrère pour assurer, dans la mesure du possible, la conservation de ce beau spécimen de la carrosserie de luxe au XVIIe siècle.


SÉANCE DU 3 JUILLET 1896.

Présidence de M. DUBOURG, président.

Le secrétaire rend compte des assises de Caumont auxquelles ont pris part plusieurs membres de la Société.

Il présente ensuite la photographie d'une sculpture sur albâtre qui lui a été envoyée par M. Durier de Vire.

M. l'abbé Masselin rend compte d'une visite qu'il.a faite avec MM. Huart et Simon dans les greniers du Musée et décrit les peintures qui décoraient la grande salle des Actes.

Cette communication est accompagnée de photographies prises par M. Huart.

SÉANCE DU 7 AOUT 1896.

Présidence de M. RAULIN.

Après la lecture et l'adoption du procès-verbal de la précédente séance, le secrétaire rend compte des assises de Caumont et fait connaître la part qu'y ont pris les délégués des sociétés savantes de la ville de Caen et en particulier les membres de la société des Antiquaires de Normandie.


Il est ensuite donné lecture de la partie archéologique du prochain congrès de l'Association Normande. Les membres de la réunion se proposent d'étudier les monuments de la ville de Vire, l'église abbatiale de Saint-Sever, aujourd'hui église paroissiale, l'église de l'Ermitage et un curieux mégalithe désigné indifféremment sous le nom de pierre couplée ou de pierre coupée.

Le secrétaire donne quelques renseignements sur les curieuses peintures murales signalées il y a déjà quelque temps par M. Chifflet, artiste peintre, qui.a fait depuis plusieurs années, de la peinture murale religieuse, sa spécialité. Il y a lieu d'espérer que ces peintures murales seront relevées par M. Vasnier, auquel on doit les reproductions si remarquées des peintures murales de l'église de Savigny, près Coutances, et de Saint-Sauveur de Caen.

SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1896.

Présidence de M. DUBOURG.

Après la lecture et l'adoption du procès-verbal, le secrétaire signale parmi les ouvrages offerts à la Société' 1° une note de M. Léopold Delisle sur les manuscrits originaux d'Adhémar de Chabannes; les Deux Dames de Joyeuse, par M. Louis Duval; enfin, un article de M. Degouin dans le Bulletin de la Commission des Antiquités d'art de Seine-et-Oise.


Le secrétaire fait circuler ensuite deux objets appartenant à M. Fernand Engerand, qui en a récemment fait l'acquisition le plus curieux est une agrafe de chape ornée de grosses verroteries qui doit être de la fin du XVIe ou du commencement du XVIIe siècle.

M. de Beaurepaire espère être à même de soumettre bientôt à la société le texte des statuts des Confrères de la Passion de Vire, un document curieux relatif à des fondations d'écoles de filles enfin, des détails complets sur les peintures de Bénouville.

On annonce la candidature de M. l'abbé Pichard, curé de BreLLeville-sur-Odon, présenté par MM. de Beaurepaire et Octave Biré.

M. Emile Travers lit une note sur le mot Testudo, pris quelquefois au moyen âge dans le sens de « voûte cintrée » ou de « voûte en berceau ». M. Emile Travers soumet ensuite et développe un projet de vœu relatif à l'église de la Trinité après un échange d'observations, la Société vote le vœu suivant

« La Société des Antiquaires de Normandie, ayant été officieusement informée que M. le curé de SaintGilles a tout récemment adressé à la municipalité et à l'administration des Hospices civils de la ville de Caen une demande tendant à obtenir pour la paroisse Saint-Gilles l'usage exclusif de l'église de la Trinité


Considérant que cette église est un des monuments les plus remarquables de la ville de Caen et l'un des plus précieux spécimens de l'architecture romane en Basse-Normandie, et que, pour sa restauration, l'État, le département du Calvados et la ville de Caen ont fait des sacrifices très importants Que la division actuelle de l'édifice en trois parties affectées à la paroisse Saint-Gilles, à la chapelle de l'Hôtel-Dieu et à la chapelle privée des religieuses .hospitalières, cette dernière partie inaccessible au public, est très regrettable au point de vue de l'effet artistique du monument Qu'à diverses reprises, les sociétés archéologiques ont, comme le font chaque jour des visiteurs éclairés, énergiquement protesté contre cet état de choses

Que, d'ailleurs, la cession de l'église entière de la Trinité à la paroisse Saint-Gilles n'aurait lieu qu'après la construction ou l'appropriation dans l'enceinte de l'Hôtel-Dieu de locaux à l'usage tant des religieuses que des malades pour l'exercice du culte

Considérant, d'autre part, que si la paroisse Saint-Gilles obtenait l'usage entier de l'église de la Trinité, son clergé n'aurait plus besoin de l'ancienne église Saint-Gilles pour les catéchismes et divers services accessoires;

Que la ville de Caen a depuis longtemps projeté la création d'un musée municipal archéologique


où seraient réunis, en outre de collections déjà formées, des fragments architectoniques provenant d'anciens édifices religieux ou civils et représentant une réelle valeur au point de vue de l'art Que l'ancienne église Saint-Gilles, devenue libre et demeurant à la disposition complète de la ville, se prêterait facilement et à peu de frais à l'organisation d'un musée, grâce à sa disposition et à son bon état intérieur

Qu'enfin cette affectation assurerait la conservation d'un monument intéressant,

Émet le vœu que la municipalité et l'administration des hospices civils de la ville de Caen accueillent favorablement la demande de M. le curé de Saint-Gilles.

Fait et délibéré à Caen, le 6 novembre 1896. » L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée.

SÉANCE DU 4 DÉCEMBRE 1896.

Présidence de M. Dubourg, président.

Après l'adoption du procès-verbal de la dernière séance, le secrétaire donne lecture d'une circulaire ministérielle en date du lor décembre, relative au congrès de la Sorbonne.

Soul délégués pour représenter la Société


10 M. Tony Genty M. Fernand Engerand, qui se propose .de lire un travail sur le portrait de Guillaume le Conquérant.

Parmi les ouvrages offerts à la Société, il y a lieu de signaler le dernier fascicule de la Revue catholique de Normandie, dont presque tous les articles, sans exception, intéressent la ville de Caen. Nous indiquerons notamment la correspondance de D. Huet et du P. Martin, par M. Gasté l'analyse du Caen illustré, par M. Travers; la notice sur M. Carel, par M. de Longuemare. M. de Beaurepaire donne lecture de deux lettres de M. Corroyer, desquelles il résulte que M. le directeur propose pour la tenue de la séance publique la date du 17 décembre.

Cette proposition est acceptée; en conséquence, la séance est fixée au jeudi 17 de ce mois. Le secrétaire dépose sur le bureau le texte des statuts de la Charité de la Passion à Vire, et une note de M. Charles de Beaurepaire sur le château de Fontaine-Étoupefour. Cette note est accompagnée de deux dessins du peintre Marc Restout, donnant au vrai le portrait de cette construction importante.

Il sera donné lecture des statuts de la confrérie de la Passion et de la note sur le château de Fontaine-Étoupefour à une prochaine séance. Le secrétaire fait ensuite passer sous les yeux de ses confrères des aquarelles exécutées avec le


soin le plus consciencieux par M. Vasnier et représentant les peintures murales, malheureusement fort détériorées, de l'église de Benouville.

Des remerciements et des félicitations seront adressés à M. Vasnier.

La séance est terminée par la lecture d'un rapport de M. Drouet.

M. Raulin fait connaître qu'une nouvelle inscription funéraire vient d'être découverte sur le mur de l'ancien cimetière Saint-Pierre. M. Raulin donne le texte de cette inscription et complète sa communication par de curieux détails sur le cimetière de Saint-Pierre et sur les inhumations dans l'intérieur de l'église.


LE MANOIR DE QUILLY Par M. Albert PELLERIN

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Notre vénéré maître, M. de Caumont, a, sous un titre humoristique, « Allons à Falaise, par Laize, Bretteville-sur-Laize, et la vallée de la Laize », publié jadis une intéressante brochure sur l'une des plus jolies vallées qui débouchent dans celle de l'Orne aux environs de Caen. Non moins curieuse pour le géologue que pour son frère puiné, l'antiquaire, elle offre à ce dernier, en même temps qu'à l'artiste, plusieurs monuments remarquables parmi lesquels notre savant fondateur place, avec juste raison, le château de Quilly (1).

C'est sur cet antique manoir que je veux appeler toute l'attention de notre société 1. Une ruine! (1) Il en a donné des vues et des dessins de détails dans la brochure précitée, dans sa Statistique monumentale, dans son Abécédaire d'archéologie, etc' etc. Voir aussi notre brochure Quilly et ses seigneurs, et la magnifique vue publiée dans la Normandie monumentale (Lemâle, le Havre, 1895), avec une intéressante notice de notre savant collègue, M. Ch. Hettier.


dira-t-on ? Soit; mais une ruine qui renferme des trésors avec des bâtiments de tous les âges, des appartements de la renaissance, encore décorés dans le goût des contemporains du sire de Gou• berville. Leur étude est le complément obligé de celle du journal inestimable où le vieux forestier du Cotentin consignait les détails de sa vie. Dans un intérieur, aujourd'hui peut-être unique, nous y retrouvons le XVIe siècle, non pas tel que nous le voyons dans les palais royaux, mais tel qu'il décorait les logis des seigneurs de moyenne fortune. Que mes collègues veuillent bien m'y accepter pour guide 1 Si je suis parmi eux le moins autorisé pour une semblable tâche, je puis m'offrir comme un enfant du pays dont le manoir seigneurial a fait le charme et l'étude de toute la vie.

Nous prendrons, en rêve, le tramway qui doit bientôt, depuis quarante ans déjà, réaliser le titre de M. de Caumont et nous mener à Falaise par la vallée de la Laize. Aussi bien, il sera fait demain, nous dit-on. L'affaire est dans le sac. Il n'y a plus qu'une douzaine de bureaux à franchir, à raison de six mois ou un an par bureau!

D'ici là, ses futurs riverains vivront d'espérances, boiront l'eau de leur Laize, si la ville de Caen leur en laisse, et paieront des impôts pour les chemins de fer. des autres (V. la note in fiiic).

Nous descendons à la première station, qui sera précisément à la porte de l'ancien parc de Quilly.


Avant de vous introduire dans un château, il est nécessaire de vous en faire connaître les maîtres qui vont vous recevoir. Tous ont imprimé leur cachet et leur date en quelque partie de notre vieux manoir.

Les premiers se perdent un peu dans la nuit des temps. Ce sont les Marmion, vicomtes de Fontenay, illustrés par Walter Scott, seigneurs aux XIe, XIIe et XIIIe siècles de tout le pays de Fontenay, qui s'étendait de Verrières à St-Sylvain et St-Germain-le-Vasson, et de l'Orne à Moulines, comprenant une grande partie de la forêt de Cinglais. Cette famille devint très nombreuse et essaima de bonne heure (1).

Ses branches se fixèrent dans les diverses paroisses de son territoire, et l'une d'elles s'installa dans Quilly, où l'un des Robert Marmion avait donné à (1) Nous avons essayé dans notre «Quilly et ses seigneurs», à l'aide du chartrier de Barbery et des analyses de chartes de M. Léchaudé d'Anisy, de reconstituer la généalogie des Marmion.

Nous avons eu la satisfaction de nous trouver à peu près d'accord avec celle que le savant archiviste de Monaco, M. le conseiller d'État Gustave Saige, correspondant de l'Institut, vient de publier avec le cartulaire de Fontenayle-Marmion, retrouvé comme par miracle dans les archives de sa principauté. Nous ne saurions trop nous féliciter de cette publication si précieuse pour l'histoire de notre contrée, due à la munificence de S. A. S. le prince Albert Ier, Prince souverain de Monaco.


l'abbaye de Barbery, par lui fondée, une église qu'il était en train de construire (1181).

Le château de Quilly fut jusqu'à la Révolution le chef d'un grand fief qui comprenait, outre la paroisse de ce nom, celle de Cintheaux et une partie de celles de Gouvis et de Cauvicourt.

Les Marmion disparurent de Quilly au XIIIe siècle. Ils nous paraissent avoir, même avant cette époque, abandonné leur surnom (de « Maremium, navire »), pour prendre les noms de leurs fiefs, Fontenay, Saint-Germain (du Chemin), Urville, Gouvis et Quilly.

Le dernier sire de Quilly vivait en 1235. En 1240, les Bateste sont seigneurs de Quilly et d'autres biens des Marmion dont ils sont héritiers, sans doute, par les femmes. Plus tard, ils s'allient aux d'Harcourt, voient leurs biens confisqués par les rois d'Angleterre, à cause de leur fidélité à la France, les recouvrent à la paix, mais sont ruinés et s'éteignent, après trois siècles, dans les premières années de la Renaissance.

Les mariages relevèrent toujours les seigneurs de Quilly, comme la maison d'Autriche cr Felix Austria, nubel. »

La dernière des Bateste, Christine, épousa vers l'an 1500, Guillaume Girard, homme d'armes de la cour de François Ier, 'qui parait avoir refait sa fortune. Leur fille épousa François de SainteMarie, et fut ainsi l'aïeule de notre aimable et


à jamais regretté confrère, M. le comte de SainteMarie de Laize.

Isabeau de Sainte-Marie porta les terres et château de Quilly dans la famille le Verrier du Repas. Elle fut ainsi la nièce, ou la cousine germaine, de la fameuse dame des Tourailles, Jeanne le Verrier, désormais immortelle, grâce à notre charmant poète, M. Gustave Le Vavasseur, qui a puisé dans la légende de cette mère aux vingt-quatre fils l'une des plus belles et des plus touchantes, pièces de vers de notre littérature contemporaine. La fille des Le Verrier de Quilly, Renée, dérogea quelque peu, en épousant Samson Sallet, modeste bailli de Saint-Aubert pour l'abbaye de Saint-Étienne de Caen, de noblesse petite et récente, qu'elle fit seigneur de la belle terre de Quilly. Leur fils, JeanBaptiste Sallet, fut conseiller et garde des sceaux au présidial de Caen, sénéchal de l'abbaye de SaintÉtienne, et mourut au moment où il venait d'être pourvu de la charge de premier président en la cour des aides de Normandie.

Nicolas, son fils, épousa Charlotte d'Harcourt en 1643, au grand scandale de Saint-Simon, qui ne revient pas de cette mésalliance d'une fille de si noble race avec « le fils du petit juge caennais ». Le hautain duc et pair ignorait que ce « petit juge », descendant des Marmion, des Bateste, des Le Verrier et des Sainte-Marie, familles alliées aux d'Harcourt, était peut-être de meilleure origine que les Rouvroy, si récents, de Saint-Simon.


Georges Sallet, autre fils de Jean-Baptiste, fut seigneur de Quilly et procureur général au parlement de Normandie. Mort de frayeur pendant l'insurrection des Nus-Pieds en 1639, il fut enterré à l'abbaye d'Ardennes, dont l'un de ses fils était abbé. Il passait pour avoir trempé au « monopole », comme on disait alors. Les chèques et les barbarismes qui en dérivent, n'étaient pas encore inventés dans ce temps-là. Mais l'auri sacra famés et la calomnie sont de tous les temps et de tous les régimes. La terre de Quilly passa à son fils, Alexandre, qui fut conseiller au parlement de Normandie et n'eut que des filles. Madelaine, l'une d'elles, épousa un autre conseiller au parlement de Rouen, Jacques du Moucel de Lourailles, qui fut de ce chef seigneur de Quilly et mourut vers 1699.

La terre de Quilly vint aux mains de leur fils, Jacques-Alexandre-Henry du Moucel de Lourailles, qui fut conseiller, puis en 1718, président à mortier au parlement de Normandie. Il mourut en 1767. Magistrat lettré, il fut un des membres les plus honorés de sa cour souveraine. Il avait hérité de la terre princière de la Rivière-Bourdet et de l'immense fortune de sa sœur, Mme la marquise Maignart de Bernières, célèbre par ses relations avec Voltaire, qui ne paraissent pas avoir été exclusivement littéraires et philosophiques.

Charles-Henry-Alexandre du Moucel, fils du précédent, lui succéda dans sa charge en 1745 et en


hérita en 1767. Il épousa une descendante de l'illustre président Groulard, dont cette dame lui apporta le domaine de Saint-Aubin-le-Cauf. Les pierres tombales de ces hauts personnages, où Quilly et Cintheaux figurent dans la longue énumération de leurs terres seigneuriales, ont été transférées de l'église de St-Aubin au musée archéologique de Rouen.

Ils n'eurent qu'un fils, Alexandre-Charles-Marie du Moucel de Torcy, qui fut à son tour président à mortier en 1781. Il mourut peu de mois après, laissant un fils unique, Marie-Alexandre-Louis du Moucel, marquis de Torcy, qui était encore enfant au moment de la Révolution.

Il épousa une demoiselle de Choiseul-Gouffier, et lui laissa toute sa fortune, en mourant sans enfants en 1818.

Sa mère s'était réfugiée avec son enfant au château de Quilly, pendant la Révolution. Elle y recueillit des prêtres et y fit célébrer la messe dans la grande salle du premier étage, longtemps avant la réouverture des églises. Les ci-devant seigneurs de Quilly ne furent point inquiétés dans leur manoir délabré, qui attirait moins l'attention que leurs terres magnifiques du pays de Caux.

Toutefois, le 3 ventôse, an IV, une bande de prétendus chouans se fit remettre les précieuses et très volumineuses archives du château de Quilly, ainsi que toutes les archives de la paroisse, et les


brûla dans les avenues, au grand dommage de l'histoire locale.

Mme la marquise de Torcy se remaria au duc de Fitz-James et mourut au château de la RivièreBourdet, le 4 mars 1862. Ses grands biens furent licités entre ses nombreux héritiers et pour la première fois, la terre de Quilly, toujours transmise par héritage depuis les Marmion, passa par le feu des enchères. Le noble château dérogea, et fut adjugé à M. le docteur Fouques, de Bretteville-surLaize. Ses terres furent achetées par M. le comte de Monttessuy, ministre plénipotentiaire, grand officier de la Légion d'honneur, au nom de sa femme, Mme la comtesse de Helfeinstein, fille du prince Paul de Wurtemberg. Quelques années après, cette dame eut le bon goût et l'heureuse inspiration de sauver le chàteau et le parc des Sallet de la destruction en les achetant des héritiers Fouques. Nous connaissons les maîtres de la maison. Entrons maintenant chez eux. Il ne faut pas nous attendre à y trouver des splendeurs, dignes de ces brillants seigneurs. Il a bien souffert, notre vieux manoir, de la grande fortune de ces derniers maîtres.

Depuis les Sallet, qui l'avaient abandonné à leur jardinier et à ses descendants, il marche vers sa ruine. Mais à quelque chose, malheur est bon. Grâce à cet absentéisme des propriétaires, nous allons retrouver intact un intérieur du XVIe siècle.


Entrons par l'avenue. Là se tenait jadis, sous les grands marronniers, à l'ombre du château féodal, la foire de Saint-Clair. Des pèlerins y baignaient leurs yeux malades à la source du saint, qui passait pour rendre la vue aussi claire que son nom. Ils s'en retournaient guéris. souvent, hélas de leurs espérances.

Nous franchissons la porte d'honneur. Les murs à droite et à gauche de cette porte, sont ornés d'élégantes balustrades, débris de terrasses à jamais regrettables qui décoraient le château.

Nous voici dans une vaste cour carrée. A droite, le logis primitif, plutôt ferme que château une bassecour creusée dans le coteau taillé à pic un grand bâtiment dont les contreforts romans annoncent le XIIe siècle. Au rez-de-chaussée, un pressoir, le plus ancien du pays, et un très vaste cellier. Ses voûtes en plein cintre sont encore garnies de nombreux crocs, destinés aux provisions de bouche, qui donnent une haute idée de la table des habitants du manoir. Au premier étage la chambre unique des seigneurs du moyen-âge, précédée (1) d'un vaste grenier, qui devait servir de salle commune. En équerre, s'élevait, paraît-il, sur le coteau, un autre corps de bâtiment.

Au milieu de la cour, un puits revêtu en pierre (1) La toiture de ce bâtiment a été remaniée et ornée de lucarnes au XVIe siècle.


d'un très bel appareil, qui semble roman, est aujourd'hui bouché.

A gauche, entre d'immenses écuries, des XVIe et XVIIe siècles, qui supposent un grand mouvement de chevaux, et peut-être un important élevage, les cinq arcades, avec colonnes romanes, de vastes remises semblent du même temps que le bâtiment du cellier.

Le château occupe l'angle est de la cour. A son angle ouest, presque au milieu de la cour, selon l'usage adopté pour les donjons du moyen-âge, s'élève une tourelle ronde, avec des cordons en pierre de taille, et un revêtis extérieur en ciment rougeâtre, selon le mode roman. Un contrefort du même temps est encore adossé contre le pignon nord qui nous offre un beau spécimen de l'architecture de la fin du XVe siècle.

Le mariage de la dernière des Bateste avec Guillaume Girard lui permit de relever de ses ruines le château de ses pères. La tour ronde fut, sans doute, couronnée de l'élégant toit en poivrière qui la couvre actuellement. Elle fut ornée d'une girouette, percée de trois trous ronds aux armes des Girard (de girus, cercle).

Ainsi que la tourelle de l'escalier, elle fut couronnée d'un épi en plomb, un chef-d'œuvre, aujourd'hui presque inestimable, que M. de Caumont a maintes fois reproduit.

La façade ouest, dans le plus pur style de la


Renaissance, nous offre, au-dessus de la fenêtre du rez-de-chaussée, une tête de femme où nous croyons reconnaître Christine Bateste, devenue veuve; car, sans cela, son portrait eût été accompagné de celui de son mari. Ce qui nous le fait penser, ce sont les armes des Bateste (1), si finement sculptées au haut des montants de la porte, qu'elles ont échappé aux iconoclastes de la Terreur. Elles datent cette partie du monument, la dernière des Bateste étant la seule de sa famille qui ait possédé le château dans le cours du XVIe siècle. La porte s'ouvre dans une vaste salle, destinée sans doute, aux hôtes et aux domestiques, et communiquant avec les cuisines, situées à l'est, par des guichets encore apparents.

Une immense cheminée décorait cette salle. On y voit les plus curieux bas-reliefs. Sur le panneau supérieur, un seigneur chasse à cheval, avec varlet et chiens, un cerf, près d'être forcé.

C'est la reproduction presque identique d'un basrelief du XV* siècle, publié par le bibliophile Jacob, dans ses « Mœurs et usages de la Renaissance » (p. 200). Sur le panneau inférieur, trois portraits une dame entre ses deux fils, évidemment la fille de Christine Bateste, Mme Henry de Sainte-Marie, née Girard, entre ses deux fils, Henry et Charles de Sainte-Marie. Elle aussi dut(1) D'azur à deux fasces d'argent.


être veuve de bonne heure. C'était trop souvent la coutume en ces temps de guerres civiles. De cette salle, nous entrons vers l'est dans un superbe escalier, construit en spirale dans une tourelle de style très ancien à l'intérieur, mais remaniée et rendue carrée, et somme toute défigurée à l'extérieur par l'architecte de la Renaissance. De cet escalier, un judas oblique permettait de surveiller la grande salle du rez-de-chaussée, et peut-être, de défendre, de cette salle, la porte d'entrée du chàteau primitif, encore apparente, quoique bouchée, dans l'escalier à la hauteur d'un premier étage. Cette porte communiquait probablement avec l'extérieur par un pont de bois, selon l'usage ancien.

Sur la salle du rez-de-chaussée, signalons un immense appartement jadis orné d'une très élégante cheminée de pierre, en style Henri II, aujourd'hui démontée et descendue dans la salle du rez-dechaussée, pour faire place à l'autel où Mme de Torcy faisait dire la messe pendant la Révolution. De là, nous passons dans un salon beaucoup plus petit, et partant plus confortable, que les trop vastes salles que nous venons de parcourir. Après l'intérieur du moyen-âge, voici celui de la Renaissance

La cheminée fort ornée, en pierre et bois, peinte et dorée, d'un goût un peu criard et provincial, porte avec la couronne comtale des Sainte-Marie, deslettres enlacées, initialesdesGirard-Sainte-Marie.


Les solives sont peintes d'élégants et délicats ornements, dans le style des anciens autels de l'abside de Saint-Pierre de Caen.

Les fenêtres offrent un agencement très remarquable de vitraux blancs, malheureusement en ruines. Les lambris étaient garnis jadis de panneaux peints avec sujets galants et devises à l'unisson. Nous n'en décrirons qu'un, suffisant pour donner une idée des autres un amour offre à un autre une bourse pleine, avec la devise: « AMOUR FAIT BEAUCOUP; ARGENT FAIT TOUT». Si le tableau est de la Renaissance, l'axiome est de tous les temps. Un aimable collègue qui vient de consacrer à notre manoir une spirituelle notice dans la Normandie monumentale, estime que ce salon était dangereux pour les vertus moyennes. Que nos visiteurs se rassurent! Mais que dis-je ? Il n'en est pas parmi eux de si faible vertu. D'ailleurs, ces panneaux qui ont inquiété notre grave collègue, ne sont plus à Quilly. Leurs galanteries, cédées par M. le docteur Fouques à M. le sénateur Paulmier, ornent aujourd'hui la salle de billard du château de Fresney-le-Puceux; et nous n'avons jamais ouï-dire qu'ici et là, elles aient fait des victimes. Il n'en reste malheureusement qu'un très petit nombre, et des plus inférieures, dans le petit salon du château de Quilly, que cet acte de vandalisme a bien défiguré.

Nous passons de là, dans la chambre de la dame de céans.


Les lambris, composés de petits compartiments carrés en chêne, étaient non pas peints comme ceux de la pièce voisine, mais couverts de tentures en étoffe, aujourd'hui disparues.

Toute la décoration de cette pièce est du même style que celle de la précédente, mais de meilleur goût et de facture plus habile, sans aucune galanterie. La cheminée est vraiment belle. Elle est surmontée d'un magnifique cadre ovale, sculpté et polychrome, dont on a eu le tort de retirer un portrait de femme du XVIIe siècle, probablement d'une dame Sallet. Signalons, au sommet du cadre, une remarquable tête de jeune fille, qui fut peut-être Isabeau de Sainte-Marie.

Au milieu du trumeau de l'alcôve, un beau portrait de femme, très expressif dans sa tristesse de veuve, où nous croyons reconnaître Mme de SainteMarie-Girard.

Les poutrelles du plafond sont peintes en bleu céleste, selon la mode du temps, avec les plus gracieux ornements de la Renaissance qu'il soit possible d'imaginer.

Les deux appartements, que nous venons de décrire, fourniraient, à eux seuls, un précieux album de dessins du XVIe siècle.

Au fond de cette chambre, une immense alcôve pouvait contenir deux vastes lits et servait de passage pour gagner un grand appartement à usage de garde-robe. Son plafond, ppint sur stuc, procédé


qui, au XVIe siècle, venait d'être importé en France par les artistes italiens, représente une énorme gerbe de fleurs qui ne sont pas sans mérite. Nous avons trouvé dans cette alcôve, et obtenu de M. le docteur Fouques, un énorme bahut en bois recouvert de cuir doré, avec dessins pareils à ceux des plafonds, couvercle bombé, lamelles et serrures de fer, et entrelacs aux deux bouts, dans le style du salon. C'est assurément une ancienne garde-robe des dames de Sainte-Marie (1).

Pour achever de connaître l'œuvre des seigneurs de Quilly pendant la Renaissance, il nous faut maintenant sortir des appartements, et évoquer le passé, tel que nous l'ont décrit les anciens du pays car des barbares ont passé par là.

Les deux appartements que nous venons de visiter s'ouvraient, ainsi que l'escalier, sur une terrasse qui, longeant un corps de bâtiment en façade sur la cour, détruit au commencement de ce siècle, mettait le château en communication avec d'immenses jardins, disposés au sud sur le coteau voisin.

Cette terrasse était bordée par les balustrades qui ornent maintenant les murailles près de la porte d'entrée. Elle était supportée par une série d'arcades élégantes, dont il ne reste plus qu'un (1) Pareil meuble se trouvait chez la comtesse de Sanzay « une grande garde-robe de sapin, couverte de cuir et bien ferrée, XVI L. ». (Journal).


spécimen dans la cour, sous l'escalier extérieur du pavillon du XVII- siècle. Cette loggia suivait le bord d'une vaste pièce d'eau rectangulaire, dont on voit encore l'emplacement.

Les Sallet trouvèrent surannée cette installation, à la mode italienne. Ils se firent construire un pavillon à, l'angle opposé de la cour. On y voyait encore, il y a peu d'années, leurs armes sur les plaques des cheminées. Le faux goût de leur temps s'yinstalla en maître dans d'immenses appartements au nord, inhabitables en hiver.

Faisons toutefois une exception pour un petit corps de bâtiment, appliqué à l'extrémité nord du pavillon des Sainte-Marie, qui communiquait avec le nouveau pavillon par l'ancienne terrasse, transportée du bord de la pièce d'eau, dans l'intervalle des deux châteaux. Au premier étage de cette applique, se trouvait un boudoir, orné d'un plafond peint par un artiste de talent, évidemment postérieur au moins d'un siècle à ceux qui avaient orné les appartements des Sainte-Marie.

Sous les badigeonnages, imposés par la Terreur, nous avons vu revivre les armes des Sallet, celles des Maignart de Bernières et des Turgot, gendres d'Alexandre Sallet. C'est donc à ce dernier qu'il taut attribuer cet élégant appartement.

Le médaillon central représente trois génies l'un porte une balance, l'autre un globe, et le troisième un phylactère avec cette devise tirée de l'Écri-


ture « In, semita justitiœ vita ». Nous sommes donc bien dans le « buen retiroi: d'un haut justicier, dans le monde de l'ancien Parlement de Normandie. Le vieux château n'est pas la seule curiosité de la terre de Quilly. Il ne faut pas manquer d'en parcourir le parc, vaste et sombre, bien surnommé « le parc noir », heureusement épargné de la hache, comme les anciennes chambres, du marteau. Il conserve les larges avenues droites, imposantes, du siècle des Sallet, qui, vraisemblablement, le plantèrent. Rien de plus seigneurial, mais aussi de plus mélancolique que ce noble abandonné, où les noirs feuillages d'énormes sapins semblent porter le deuil des belles dames qu'ils ont ombragées au temps de la Fronde. Ils sont rares aujourd'hui les parcs de cette époque.

Nos compagnons d'excursion, comme aussi nos auditeurs, sont fatigués; sans cela, pour finir leur journée, nous leur ferions voir le riant château de la dame actuelle de Quilly qui, dans un site ravissant, domine notre vieux manoir du haut de sa colline, avec tout le dédain de la jeune France pour la vieillesse et les ruines, l'élégante flèche de l'église qui couvre de son ombre un vaste cimetière mérovingien, vierge encore de fouilles sérieuses, où nous avons pourtant recueilli des poteries samiennes, des scramasaxes, des boucles de ceinturons et autres débris romains et mérovingiens. Avec un peu plus de temps, nous conduirions nos aimables


hôtes, à deux kilomètres de là, soit à l'église romane de Cintheaux, la plus belle des Marmion, classée comme monument historique; soit dans la charmante vallée d'Outrelaize, où ils retrouveraient encore un curieux château de la Renaissance, restauré avec un luxe princier, au milieu d'un parc anglais qui est une merveille.

Mais il est des limites aux forces des excursionnistes, comme à la patience des plus bienveillants auditeurs.

Note de la page 2.

Écrit en 1895. Aujourd'hui, avril 1897, la douzaine de bureaux est franchie; et, dans un an, nos invités pourront descendre à la gare de Quilly-Bretteville-sur-Laize.


Pierre BOUCHER

Seigneur de Boucherville, au Canada .+.

Au commencement de l'année 1635 débarquait à Québec un enfant âgé de treize ans, originaire du Perche, Pierre Boucher.

Pierre Boucher passa d'abord quatre ans dans le pays d'Enhaut, chez les Hurons, pour y apprendre leur langue; puis il revint à Québec, il fit le service d'interprète dans la garnison; il devint sergent et prit part à plusieurs expéditions contre les Iroquois, dans lesquelles il se signala par sa bravoure il était à la suite de M. de Montmagny, gouverneur de la colonie, dans le combat livré à deux cents Iroquois, en 1643, sur la rivière de Richelieu deux ans après, il mettait en fuite sur le lac Saint-Pierre une bande de sauvages.

Nous le voyons, en 1649, capitaine des habitants du bourg de Trois- Rivières. « Ce bourg était enfermé « dans un carré d'environ 80 toises sur 100, mais « brisé à deux de ses angles, à cause des accidents « de terrain l'enceinte, formée de pieux avec trois


« redoutes aux angles et plusieurs bastions, renfer« mait l'église, la maison du gouverneur et une « trentaine de maisons, sans compter quelques autres « qui étaient hors de l'enceinte et protégées par un « moulin. Ce moulin, comme une sorte d'avant-poste, « avait été construit à 40 toises sur un plateau, qui « joignait l'enceinte, et sur ce plateau, on voyait des « pièces de canon et tout auprès une redoute isolée « pour protéger les artilleurs et leur servir au « besoin de lieu de retraite » (1).

Au mois d'août 1653, alors que le gouverneur de Trois-Rivières, M. de la Poterie, était en congé à Québec pour quelques mois, et que Pierre Boucher le suppléait dans ses fonctions, cinq cents guerriers de la tribu des Agniers se jetèrent sur le fort afin de s'ouvrir, en le rasant, la porte de la colonie. Ils disaient « Brave entre les braves et honoré « entre tous sera chez les cinq nations, celui qui « rapportera la chevelure du jeune chef pâle de « Trois-Hivières ». Pierre Boucher n'avait à ses côtés que 46 hommes; il les disposa sur les points les plus menacés, barricada solidement les portes, et reçut vaillamment l'assaut des sauvages à coups de canon et de mousquet les Agniers s'enfuirent laissant une grande quantité de morts sur le terrain ils se vengèrent en brûlant les maisons et les (1) Histoire de la colonie française en Canada, par l'abbé t'aillon.


granges hors de la portée du canon. Trois-Rivières était sauvé. Les sauvages envoyèrent quelques uns des leurs avec « une espèce de pavillon blanc », pour demander aux vainqueurs de conclure la paix. C'était le soir, et comme Pierre Boucher craignait quelque ruse iroquoise, il ne voulut point les entendre et les remit au lendemain. Après huit jours de délibération, il saisit les trames d'un complot, dans lequel les ennemis avaient résolu de surprendre le fort sous prétexte de paix. Il ne fut pas dupe de cette fourberie et il leur fit accepter ses conditions de paix. « La paix fut arrêtée, dit-il « lui-même dans une sorte de mémorial, aux con« ditions qu'ils me rendraient tous les prisonniers « qu'ils avaient fait dans leur armée, tant français « que sauvages, qu'ils iraient chercher ceux qu'ils « avaient dans leur village, et même les amèneraient « dans quarante jours, et que les plus considérables « des nations iroquoises viendraient à Québec avec « des présents, demander la paix à de M. Lauzou, « notre gouverneur, et la conclure ce qui fut « exécuté en tout point, et en partant ils me lais« sèrent en otage six de leurs enfants ».

Pierre Boucher fit des présents à Teharihogen, premier chef de guerre des Agniers, pour obtenir la mise en liberté du Père Poncet, jésuite, fait prisonnier au cap Rouge.

Les Iroquois furent fidèles à leurs engagements et revinrent quelque temps après avec leurs prison-


niers, entre autres le P. Poncet et un Français nommé Mathurin Franchetot.

M. de la Poterie étant revenu à Trois-Rivières, Pierre Boucher lui remit le gouvernement et partit pour Québec.

Le gouverneur de la colonie le reçut avec joie et lui manifesta sa reconnaissance. « Ha 1 que vous « avez eu de bonheur, lui dit-il en l'embrassant, « d'avoir si bien conservé votre poste, car sy les « ennemis eussent pris Trois-Rivières, tout le pays « était perdu ». Il lui exprima son regret de ne pouvoir récompenser ses services. Mais la colonie était si pauvre « qu'il n'avait pas de quoi payer les officiers ». « Tout ce que je puis faire pour vous, ajouta-t-il, c'est de vous donner le commandement de la ville que vous avez sauvée. » Dès lors, des commissions de gouverneur de Trois-Rivières furent expédiées à Pierre Boucher.

Après cette nomination, il fut chargé d'une importante mission à la Cour de Louis XIV, par le gouverneur de la colonie, qui était alors M. d'Avancourt, « pour supplier le Roy de prendre sous « sa protection une colonie qui se trouvait absolu« ment abandonnée et réduite aux abois ». Le Roi lui fit un accueil bienveillant il écouta avec faveur le récit des misères, des besoins, des luttes incessantes de la colonie.

« Sa Majesté témoigna beaucoup de surprise, « en apprenant qu'un si bon pays eût été si


« négligé. Elle nomma ensuite M. de Mons pour « en faire la visite et y intimer ses ordres, et com« manda qu'on y e.ivoyàt incessamment 400 hom« mes de ses troupes pour y renforcer les garnisons « des postes les plus exposés » (1).

A son retour, Pierre Boucher composa un ouvrage intitulé Histoire véritable des mœurs et productions du pays de la Nouvelle France. Il le dédia à Colbert. L'épître dédicatoire est datée de la ville de l'roisRivières le 8 octobre 1663. L'auteur y déclare son désir de faire connaître « ce qui est de la gloire du roy et des intérêts de la France et de répondre plus au long aux nombreuses questions que Sa Majesté lui a faites sur le Canada durant l'entretien de trois quarts d'heure qu'elle a bien voulu lui accorder. »

Il rassure les Français qui craignent le froid, en disant qu'il y est « un peu aspre », mais qu'il n'est pas désagréable, que c'est un froid « guay ». Il exalte les beautés du printemps, la fécondité de la terre, l'abondance du gibier. « Les gens de bien peuvent vivre ici contents, conclut-il, mais pas les méchants, vu qu'ils y sont éclairés de trop près; c'est pourquoi je ne leur conseille pas d'y venir, car ils pourraient bien être obligés de s'en retirer. » « L'Intendant Talon, en récompense de ses servi(1) Histoire de la Nouvelle France, par le P. de Charlevoix.


« ces, lui donna, accorda et concéda la seigneurie de « Boucherville ayant 114 arpents de front sur deux « lieues de profondeur à prendre sur le fleuve St« Laurent, bornés des deux côtés par le Sr de « Varennes, avec les Iles nommées Percées, pour « jouir de ladite terre en tous droits de seigneurie « et de Justice. » En 1661, Louis XIV lui avait déjà accordé des lettres de noblesse.

Pierre Boucher n'eut plus dès lors qu'un désir se retirer de la vie publique. Il se démit de son gouvernement de Trois-Rivières et s'établit dans sa seigneurie. Il bâtit un manoir qu'il entoura de palissades pour se prémunir contre les attaques des sauvages, une chapelle et une petite redoute. Dans un manuscrit émanant de sa main et qui est en la possession des Ursulines de Québec, il donne les raisons qui l'ont engagé à s'établir dans sa seigneurie de Boucherville

« lere raison. C'est pour avoir un lieu dans ce pays consacré à Dieu, où les gens de bien puissent vivre en repos et les habitants faire profession d'une façon toute particulière. Ainsi toute personne scandaleuse n'a que faire de se présenter pour y venir habiter, si elle ne veut changer de vie, ou elle doit s'attendre à en être bientôt chassée. « 2e raison. C'est pour vivre plus retiré et débarrassé du fracas du monde qui ne sert qu'à nous désoccuper de Dieu et nous occuper de la bagatelle, et aussi pour avoir plus de commodité de


travailler à l'affaire de mon salut et de celui de ma famille.

« 3e raison. C'est pour tâcher d'amasser quelque bien par les voies les plus légitimes afin de faire subsister ma famille, pour instruire mes enfants en la vertu, la vie civile et les sciences nécessaires à l'état où Dieu les appellera et ensuite les pourvoir chacun dans sa condition.

« 4' raison. – C'est qu'il me semble que j'auray plus de moyen de faire du bien au prochain et d'assister les pauvres que dans le poste où je suis, où mes revenus ne suffisent pas pour faire ce que je voudrais, ayant d'ailleurs une grande famille. Peut-être dans la suite, me trouverai-je en état d'exécuter les sentiments que Dieu me donne conformément à ce que j'ai vu pratiquer à un grand homme de bien. »

Sur la seigneurie de Boucherville s'éleva un petit bourg qui à la fin du XVIIe siècle comptait trenteneuf familles.

Aujourd'hui la petite ville de Boucherville a une population de deux mille habitants.

P. C.


BIBLIOGRAPHIE ET NOUVELLES DIVERSES

Bibliographie. La Confrérie de Saint-Nicolas à l'église de Noire-Dame d'Alençon Essai historique sur le cidre et le poiré, par M. Louis Duval, archiviste de l'Orne. Le traité du vin et du cidre, de Julien de Paulmier, traduit par Jacques de Cahaignes, édité pour la Société des Bibliophiles normands, avec une introduction, par M. Emile Travers. Le patois normand. Introduction à l'étude des parlers de Normandie, par M. Charles Guerlin de Guer.

Les études sur l'histoire du théâtre, toujours en grand honneur, se multiplient en ce moment de tous les côtés. Déjà, nous avons eu l'occasion de signaler l'intéressant volume de M. Paul de Longuemare sur le Théâtre à Caen. D'un caractère un peu plus général, les notes de M. Lumière sur le Théâtre pendant la Révolution auraient pu être rappelées à cette occasion. Voici, maintenant, que M. Louis Duval fait paraître La Confrérie de Saint-Nicolas ou les origines du théâtre à Alençon. Ce titre n'est pas absolument exact et le volume nous donne plus que cette énonciation ne promet. Le savant travail de notre confrère s'applique non seulement aux origines du théâtre à Alençon, mais aussi et par extpnsinn à Falaise, àSéeset


à Caen. Est-il utile d'ajouter que cette abondance d'informations ne fait qu'ajouter à l'intérêt de la publication. L'auteur nous apprend qu'il existait, en l'église Notre-Dame d'Alençon, une Confrérie de SaintNicolas, ancienne et puissante. Elle n'avait pas moins de sept chapelains. Elle ne s'occupait pas de marier les demoiselles, comme eût dû l'y inviter cette pieuse invocation à l'adresse de son patron

Grand saint Nicolas,

Qui mariez les filles,

Grand saint Nicolas,

Ah Ne m'oubliez pas

Mais si, sur ce point, d'autres Confréries se montrèrent plus préoccupées du sort du sexe faible en allouant aux pères et mères des subsides pour les aider à établir leurs filles, elle ne négligeait rien, tout au moins, pour honorer convenablement le saint évêque de Mjre, dont Wace avait rimé l'histoire, et qui était dans le pays en très grande vénération. La Saint-Nicolas y était célébrée avec éclat et donnait lieu à une cérémonie extra-liturgique dans le genre de celles qui se sont perpétuées fort longtemps à l'abbaye de la Trinité à Caen et à la cathédrale de Bayeux le jour des SaintsInnocents. A Bayeux, on intronisait un petit évêque; à Caen, une petite abbesse. A Alençon, le jour de la Saint-Nicolas, les écoliers élisaient un roi que l'on s'empressait d'habiller en évêque.

L'abbé Belard, curé de Notre-Dame d Alençon, mort en 1729, dans son Inventaire des titres et papiers concernant la cure, n'a eu garde d'oublier ce détail.


« Comme saint Nicholas. écrit-il, est le patron des écoliers, anciennement il y avoit un roi parmi les « écoliers, quiétoit un enfant qualifié de la ville, qu'on « habilloit en évêque on a continué cet usage d'avoir « un roi qui donne un pain bénit, mais on ne l'habille « plus en évèque ».

S'appuyant sur un ensemble de faits ingénieusement groupés, M. Louis Duval présume que la Confrérie de Saint-Nicolas dut se livrer à quelques essais dramatiques, mystères et moralités, dans l'église ou dans ses dépendances. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce fut un chapelain de la Confrérie, nommé Richard Auvray, qui donna le jeu d'un mystère, le premier en date, sur un théâtre dressé par ses soins près la porte de Sais, sur une place publique d'Alençon. Le mystère nous racontait le commencement du monde. La chose se passait en 1520, l'année même où les Caennais avaient eu le régal de la représentation du mystère d'Abraham et Isaac.

On trouvera, dans la brochure de AI. Louis Duval, beaucoup d'autres détails non moins piquants sur quelques autres dramaturges sacrés. C'est d'abord Thomas Lecoq, auteur d'une tragédie représentant « l'odieux et sanglant meurtre commis par le maudit Caïn à l'encontre de son frère Abel, extrait du chapitre 4 de la Genèse ». Thomas Lecoq fut successivement curé de Sainte-Trinité de Falaise et de NotreDame de Guibray. Puis viennent Nicolas Chrétien, sieur des Croix, d'Argentan, qui composa Amnon et Thamar, et M"e Cosnard, de Sées, qui donna au public les Chastes Martyrs, écrivains singuliers dont MM.Gus-


tave Le Vavasseur et de la Sicotière nous ont laissé la très amusante biographie.

Il y a encore, dans la brochure, un ensemble de renseignements sur lesquels nous aimerions à nous arrêter. Ils ont trait aux cérémonies extra-liturgiques qui, quelquefois, se produisaient à l'occasion de la Fête-Dieu. Citons les fêtes de la Convention ou de la Frarie des Prêtres d'Argentan, qui rappelait le grand Sacre de Villedieu, dont la physionomie était la même et qui n'eut guère moins de réputation. C'est là tout un coin qu'il y aurait encore, après M. Duval, profit et plaisir à explorer.

En même temps qu'il s'occupait de recherches sur les origines du théâtre en Basse-Normandie, M. Duval mettait la dernière main à un travail sur le cidre et le poiré. Le traité, tout à la fois historique et économique, s'adresse aux érudits et aux agronomes; il convient tout aussi bien aux membres de l'Association Normande qu'à ceux des Antiquaires de Normandie. Indépendamment d'une introduction et d'un épilogue, le volume, édité par Doin, à Paris, comprend dix chapitres

1° Origine du pommier et du poirier.

2° Le cidre ou pommé, le poiré et le cormé dans l'antiquité.

3° Le cidre en Gaule depuis l'époque romaine jusqu'à la fin du XIIe siècle.

4° Le cidre en Normandie du XIIe au XVe siècle. 5° Le cidre en Normandie au XVI* siècle.

6° Le cidre en Normandie au XVIIe et au XVI IIe siècle. 7° Le cidre à Paris et à Versailles. Impôts divers dont il était frappé.


8° Le cidre dans les différentes provinces de France. 9° Le cidre anglais.

10° La corporation des faiseurs d'eau-de-vie et des bouilleurs de cru.

On peut voir, par cette simple énumération, avec quelle ampleur le sujet est traité. Il nous est impossible de donner ici une analyse détaillée d'un ouvrage aussi touffu dont chaque chapitre exigerait un examen particulier. Les amateurs du cidre trouveront là une collection curieuse des opinions de tous les vieux docteurs sur la valeur médicinale du cidre et sur ses merveilleuses propriétés au fait de la santé. Ils y verront que t'en buvait, autrefois, beaucoup de cidre à Versailles et à Paris. M. de Contades, qui a l'heureux privilège de mettre la main sur des pièces de haute curiosité, a même découvert une annonce-réclame tout à fait suggestive à ce sujet. Voici, en effet, ce qu'on lisait dans une feuille d'annonces intitulée Journal des avis et des affaires de Paris.

« Boisson normande.

« Du lundy 7 septembre 1686. Tout le monde n'est « pas né pour le vin. Les uns aiment la bière, les « autres chérissent le cidre comme un remède même « salutaire pour le corps humain. Ceux qui auront « donc cette inclination pour ce dernier, on en scait « de bon au milieu de la ville et qui vient des meil« leurs endroits de la Normandie, sans aller chercher « si loin vers la porte Saint-Denis. On scaura le nom « dans le bureau d'adresses et le nom de la rue quand « on en aura besoin ».


La partie la plus neuve, peut-être, de l'ouvrage de M. Duval, consiste dans l'analyse exacte des documents administratifs relatifs à la production cidrière et aux variations de la législation fiscale. Aux agriculteurs, nous recommanderions volontiers la lecture du chapitre sur le cidre anglais, et à tous nos compatriotes sans exception, celle du dernier chapitre sur les faiseurs d'eau-de-vie et les bouilleurs de crû. La question est étudiée sous toutes ses faces l'auteur connaît le dernier travail de M. le comte de Colb,ert-Lâplace et il trouve le moyen de citer, en passant, d'après Jules Tirard, la silhouette du brûleur ambulant du Bocage normand, séjour de prédilection de ces pauvres bouilleurs de crû, qui ont résisté à bien des orages, mais dont l'existence a été singulièrement tourmentée. Au nombre des apologistes du cidre, l'un des premiers en date et des plus autorisés est, à coup sûr, Julien Le Paulmier, qui maniait avec autant de facilité la plume que le bistouri et qui devint successivement médecin de Charles IX et de Henri III. Les éloges de ce célèbre praticien n'étaient pas absolument désintéressés, s'il est vrai qu'il débitait le cidre en petites fioles, comme une sorte de panacée universelle, aux Parisiens de sa clientèle, à bons deniers comptants. Les malades guérissaient-ils ? C'est un point sur lequel ses confrères émettaient bien quelques doutes, mais le bénéfice était honnête et les affaires de notre Normand ne s'en trouvaient pas plus mal. Il faut, d'ailleurs, observer que Le Palmier n'était pas seul à faire l'éloge du cidre au point de vue médicinal. Sans parler de


Gouberville, qui le donnait aux malades, un pharmacien de Coutances, nommé de Renou, n'hésitait pas, dans ce même XVIe siècle, à caractériser les propriétés du cidre en ces termes

« II ne faut s'étonner, écrit-il, si on fait si grand « cas de ce syrop de pommes pour atténuer et dimi« nuer l'humeur mélancholique qui prédomine dans « le corps, pour provoquer la sueur, pour la gué« rison des palpitations, tremblements et faiblesses « de coeur, voire même, si nous croyons ce que dit « Messie, pour les syncopes et les lypothymies » Il est vrai que pour produire ces effets étonnants, le cidre ordinaire ne suffisait pas il fallait employer un cidre spécial dont la préparation était vraisemblablement le secret du pharmacien qui le débitait dans son officine.

Mais Le Paulmier avait un disciple qui n'était pas moins convaincu que lui de l'excellence de l'emploi du cidre pour la curation des maladies c'était Jacques de Cahaignes, recteur et professeur de médecine de l'Université de Caen. Le Paulmier avait publié en latin le traité deVino et Pomaceo; Cahaignes en donna unetraduction avec de notables additions sous ce titre Traité du vin et du sidre, par Julien Le Paulmier, traduit en français par Jacques de Cahaignes. Ce petit volume est aujourd'hui le livre de chevet de tous les cidrophiles et il est le fondement le plus assuré de la réputation de l'auteur Julien Le Paulmier et de son traducteur, Jacques de Cahaignes. Aussi, la Société des Bibliophiles a-t-elle été bien inspirée, après s'être décidée à donner une réimpression du Traité du vin et du cidre,


d'ajouter à son tirage réglementaire de cinquante exemplaires, destiné à ses sociétaires, un autre tirage sur papier différent destiné au commerce, conciliant ainsi les intérêts de ses membres et les intérêts du public. Elle ne nous paraît pas avoir été moins bien inspirée en confiant le soin de cette édition à M. Émile Travers. Non seulement le texte a été établi avec le soin le plus scrupuleux, mais le volume a été précédé par ses soins d'une introduction qui en fait ressortir la valeur et qui est un traité complet sur la matière. Sur Julien Le Paulmier, sur sa biographie, sa famille, sa descendance, M. Travers a dit tout ce qui pouvait être dit et n'a rien laissé d'essentiel dans l'ombre. Il s'est occupé avec la même compétence et la même sûreté d'informationsde l'ouvrage en lui-même et s'est attaché à mettre en lumière tout ce qui avait trait aux origines lointaines du cidre, à l'introduction du pommier en Normandie, à l'extension de cette culture au XVIe siècle. Sur ce point tout particulièrement intéressant, le tableau est complet et nous pouvons dire définitif. Nous signalerons encore tout ce qui a trait aux diverses espèces de pommes cultivées. Cette liste dressée avec une attention minutieuse, peut être consultée avec profit et est appelée à rendre de véritables services.

Il y a quelques semaines, dans un long article consacré à l'appréciation de la publication des Bibliophiles normands, un homme fort compétent, M. Héron, formulait son opinion en ces termes

« M. Émile Travers a épuisé son sujét et n'a rien « laissé à dire à ceux qui viendront après lui. »


L'éloge est significatif et il est mérité.

La réédition du Traité du vin et du sidre, par M. Travers, l'Essai historique sur le cidre et le poiré, par M. Duval, paraissent à leur heure. L'accueil favorable qu'ils ont reçu s'explique facilement. Ce sont des opuscules qui conserveront toujours leur valeur et qui ont leur place marquée dans toutes les bibliothèques normandes.

La Société des Antiquaires de Normandie a dès son origine manifesté un goût prononcé pour l'étude des patois provinciaux; elle a encouragé de tout son pouvoir ce genre de recherches, et l'on peut remarquer qu'elle a compté au nombre de ses membres la plupart des auteurs qui ont publié soit des dictionnaires de patois, soit des monographies sur le même sujet. MM. Edélestand et Alfred Duméril, auteurs du Dictionnaire de patois normand qui parut à Caen, chez Mancel, en 1849, appartenaient à la Compagnie l'un d'eux en fut même le secrétaire. Julien Travers, qui édita avec de nombreuses additions, vers 1856, le Glossaire du patois normand de Louis Dubois, fut président de la Société MM. Edouard Le Héricher et Henri Moisy en furent pendant de longues années membres actifs enfin, celui qui a apporté dans ces investigations difficiles le plus d'esprit critique et de rigueur scientifique, M. Charles Joret, professeur à la Faculté des Lettres d'Aix, est encore l'un de nos collaborateurs les plus zélés et les plus appréciés. Il convient d'ajouter que deux savants danois, Mil. Worsaee et Fabricius, qui avaient entrepris de rechercher dans les noms de lieux


les traces laissées par les hommes du Nord en Normandie, avaient été inscrits sur nos listes comme membres correspondants étrangers.

Les patoisants ont toujours été ici l'objet d'une faveur particulière c'est dire que la brochure de M. de Guer, par cela même qu'elle traite des façons paysannes de parler, devait piquer notre curiosité et ne pouvait passer inaperçue. Cet opuscule de 75 pages a pour titre Le Patois normand. Introduction à l'étude des parlers de Normandie. Il a pour nous le mérite d'être bien écrit et d'exposer les faits avec méthode et clarté. C'est, à vrai dire. une sorte d'introduction à une œuvre plus considérable sur l'ensemble des parlers de Normandie. D'après les indications du titre, on nous donne aujourd'hui un programme dans le but d'arriver à réunir les informations nécessaires pour la rédaction de la publication définitive. Chacun est invité à apporter sa pierre pour la construction de l'édifice en projet. L'entreprise est délicate, elle a certainement ses grandes difficultés, mais nous la considérons comme tout à fait digne d'encouragement.

Les patois ne sont pas en effet ce qu'un vain peuple pense

« La région de langue d'oil, dit très bien M. de Guer, «se subdivisait en trois groupes étroitement âppa« rentes le dialecte du Nord-Est ou dialecte Picard « celui de l'Ouest, ou Normand; celui du Centre-Nord, « ou Poitevin; celui du Nord, ou Bourguignon; enfin, « au milieu, le dialecte du duché de France, ou Fran« çais proprement dit. Tous ces dialectes eurent à « l'origine une importance égale, une valeur littéraire


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«effective. Mais le Français, pour les raisons que l'on « sait, prit le pas sur ses congénères; il se substitua « par tout le pays d'Oil, dans les relations commer« ciales, politiques, sociales. aux autres dialectes et re« vendiqua pour lui seul la dignité de langue littéraire. « Toutefois. les dialectes détrônés ne cessèrent pas « d'étre parlés. Il n'y eut plus à vrai dire de littérature « normande, picarde, etc.. il y eut toujours un parler « normand, un parler picard, et ces parlers sont dits «patois.

« Les patois sont donc les frères, les petits frères du « Français ils ont assisté à la croissance de leur aîné, « ils l'ont vu s'ennoblir, s'enrichir, souvent se défor«mer, suivre les vaines fluctuations des modes litté« raires et des engouements des salons. Pour eux, « moins fortement troublés par ces contingences, sans « perdre leur belle pureté phonétique, ils continuent « souvent d'obéir aux règles de leur évolution natu« relle. »

Nous pouvons nous arrêter ici et conclure que les patois et le patois normand en particulier nous offrent des formes dialectales anciennes fidèlement conservées par le parler des paysans et qui sont contemporaines du vieux français, bien loin d'être la déformation barbare et grossière de la langue d'aujourd'hui. Cette considération suffit pour faire comprendre l'ardeur que l'on met à l'heure présente à en déterminer les éléments dialèctoniques et l'intérêt que présentent les résultats de ces recherches lorsqu'ils sont sérieusement et scientifiquement constatés.

C'est pour arriver à ces constatations que M. de


Guer, sans s'arrêter aux raisonnements a priori, sollicite le concours de toutes les bonnes volontés. Nous ne pouvons entrer dans toutes les recommandations de détail inscrites dans l'instruction préliminaire nécessaire d'une pareille enquête, mais nous voudrions essayer de faire savoir en quoi consiste l'originalité du mode d'investigation préconisé par M. de Guer.

Tout d'abord, il a limité à un territoire peu étendu et nettement défini le champ de ses opérations. Ce point bien établi, il n'a exigé des collaborateurs dont il a sollicité le concours, ni longue préparation, ni connaissances spéciales. Toute personne habitant la campagne et vivant au milieu des paysans peut devenir un patoisant de grand secours, de grande utilité. JI suffit, pour cela, d'écouter, de recueillir les mots et les formules tels qu'on les entend, en notant toutes les particularités, même les plus légères, de la prononciation. Un peu d'attention et une absolue sincérité dans la transcription des formules et des phonèmes, tout est là. C'est cette simplicité de procédés qui rend pratiquement possible l'entreprise tentée par M. de Guer.

« L'auteur, écrit le rédacteur du Journal des Débats, c s'adresse aux adeptes des études patoises pour exciter « leur zèle et solliciter leur coucours en vue de re« cherches communes dont les résultats seraient cen« tralisés dans un Bulletin des parlers du Calvados. « L'idée semble excellente et mérite d'être propagée « et mise à exécution dans toutes nos autres pro« vinces. » (V. Journal des Débats, 18 janvier 1897).


La lettre de M. Gillieron met d'ailleurs en pleine évidence le caractère exact de ces investigations, en en indiquant les chances de succès

fi Meinisberg, le 12 septembre 1896.

« Cher Monsieur,

« Il m'est bien agréable de vous voir embrasser avec « autant d'ardeur la cause des patois.

« Dans l'entreprise telle que vous la proposez, vous « évitez deux écueils qui ont contribué, pour une large « part, à l'insuccès .de la Revue des patois gallo« romans.

« En vous limitant à l'exploration d'un petit do« maine, vous embrassez peu pour mieux étreindre et « vous devez exciter un intérêt bien plus immédiat « auprès de votre publie d'autre part, en n'exigeant « point de vos collaborateurs une longue préparation « scientifique, vous vous en assurez de précieux qui « nous ont manqué, en même temps que vous rendez « le Bulletin des parlers du Calvados accessible à « tous.

« Vous présentez au public l'étude des patois dans « des conditions d'investigations nouvelles.

« Puisse votre entreprise avoir plus de succès que « celles qui l'ont précédée. Je le souhaite de tout cœur. « Tout à vous,

« J. Gillieron. »

La lettre du savant professeur de dialectologie gallo-romane pose nettement les données du problème. Nous n'avons rien à ajouter.

E. B.


NOUVELLES DIVERSES

Campanologie normande

Les Recherches de M. Louis Régnier. Notre confrère, M. Louis Régnier, a publié récemment un très intéressant travail sur la Campanologie. Ce travail, accueilli dans le Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques, est intitulé Cloches et fondeurs de cloches. Notes recueillies dans les départements de l'Eure, de l'Oise, de Seine-etOise.

Ces recherches, où se retrouvent l'esprit critique et la méthode dont l'auteur a déjà fait preuve dans ses précédentes publications, s'attachent plus à la personne des fondeurs qu'à leurs œuvres. Elles permettent de reconstituer ces familles de fondeurs qui ont disséminé leurs cloches, clochettes et carillons dans un rayon de territoire assez étendu. Tous ces noms, que l'on retrouvera certainement ailleurs, M. Régnier les a relevés avec un soin scrupuleux, et ce n'est pas là un des moindres mérites de son travail. Il y en a un autre qui nous frappe peut-être davantage il consiste dans la reproduction des légendes qui, pour le XVI8 siècle tout au moins, présentent une certaine originalité. Dans la région M. Régnier a circonscrit ses investigations, il n'a eu à signaler que trois cloches du


XVe siècle, dont la plus remarquable, celle du PetitAndely, qui porte le nom de Carel comme fondeur, a été décrite déjà par M. Léon Coutil et par M. Brossard de Ruville mais les cloches du XVIe siècle sont infiniment plus nombreuses, et presque toutes se recommandent à nous par la teneur de leurs inscriptions. La plus curieuse, à coup sûr, est, celle de Pont-Audemer. Non seulement on remarque dans son ornementation l'empreinte d'une monnaie à l'effigie de François Ier, tête de profil, regardant à droite, imberbe, et coiffée d'un chapeau avec la légende

FRANÇOIS DE VALOIS ROI PREMIER DE CE NOM

mais l'artiste anonyme y a fait figurer à plusieurs endroits la salamandre avec cette autre devise

NUTRISCO ET KXTINGUO.

Enfin, il a ajouté à tous ces éléments décoratifs un médaillon circulaire de 37 millimètres de diamètre représentant un sujet qui a donné lieu aux interprétations les plus contradictoires.

On y aperçoit, dit M. Régnier, une femme vue à mi-corps et tenant un enfant sur ses genoux. Près d'elle se dresse une branche de lys ou. peut-être, un autre arbuste. Autour du cercle on lit

E I- SUIS QUI DIS LA BONNE AVENTURE. M. Canel, parce que la femme est coiffée d'un turban à l'orientale, y a vu une Égyptienne disant la bonne aventure.


M. Régnierécarte cette manièrede voir, etaprès avoir cru y reconnaître une représentation de la Vierge à l'enfant, par cela seul que la femme est coiffée d'un turban oriental et n'a pas de nimbe, il a pensé que l'on avait voulu, par cette figuration, faire seulement allusion au rôle de la cloche dont l'une des missions les plus importantes est d'annoncer les jours de fête, les cérémonies de l'église et de célébrer les événements heureux. Sans rejeter cette explication, tirée du rôle de la cloche auquel fait évidemment allusion la légende, nous croyons que le groupe représente bien la Vierge et l'enfant Jésus, signifiant ainsi que la Vierge, par la venue du Sauveur, annonce au monde la bonne nouvelle de la rédemption. La mère, l'enfant, la branche de lys, gravés sur un objet affecté au culte, forme un ensemble trop significatif pour que le doute à cet égard soit permis, d'autant qu'en 1522, sous l'influence des modes de la Renaissance, il n'y a guère à s'étonner de la coiffure orientale donnée à la Vierge et de l'absence du nimbe sur 1a tête de la mère et de l'enfant. La Sainte Famille de Quentin Varin, à Avignon.

Quentin Varin, le maître de Poussin, appartient en cette qualité à la Normandie. C'était un peintre habile qui était resté assez inconnu et que les recherches de M. le marquis de Chennevières ont commencé à remettre en lumière. Depuis, M. Boullanger s'en est


occupé fructueusement dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie.

Varin était fils d'un cordonnier de Beauvais, Antoine Varin, et de Jeanne Blochet. Il eut pour premiers maîtres Jean-François Goget, chanoine, et un capucin, le P. Bonaventure, qui l'initia aux lois de la perspective.

M. l'abbé Requin nous apprend diverses particularités de son séjour à Avignon. Il passa un contrat de fiançailles avec Marguerite Ricaud, mais ces futurs époux ne se montrèrent pas très pressés de contracter mariage et se rendirent leur liberté par acte passé devant le vicaire général de Mgr François Bordini, archevêque d'Avignon.

C'est de cette époque que date une Sainte Famille, dont quelques parties sont vigoureusement traitées, mais qui manque essentiellement de sentiment religieux. Cette composition, peinte sur bois, mesure 18 centimètres sur 14; elle est datée de l'an 1600 et comporte quatre personnages la Vierge, l'enfant Jésus, saint Joseph, saint Jean-Baptiste. La Vierge, coquettement coiffée, a les cheveux d'un blond ardent; elle se présente de face et son regard assuré n'a rien de virginal. Le tableau, qui appartient à M. l'abbé, Requin, a son importance au point de vue de la biographie de Quentin Varin et de l'histoire de l'art. L'Artiste a donné une bonne reproduction de cette peinture intéressante.


Plaques de Cheminée

Le travail considérable sur l'ornementation du foyer depuis l'époque de la Renaissance, de M. Léon MaxWerl y. demande à être rapproché de l'étude magistrale sur les plaques de foyer publiée dans notre Bulletin par M. le comte de Marsy.

On lira, avec intérêt, les développements dans lesquels M. Max-Werly est entré sur les plaques en poterie, absolument inconnues dans notre région, ainsi que sur les belles séries de plaques de foyer protestantes ou de plaques de foyer jansénistes.

En règle générale, pour la décoration de leurs foyers, les protestants empruntent leurs sujets à l'Ancien-Testament or. peut faire la même remarque pour beaucoup de revêtements en faïence de Delft et beaucoup de plaques formant tableaux destinées à être placées dans les appartements ce qui ne veut pourtant pas dire que des plaques ou des céramiques à décoration pieuse empruntées aux livres sacrés soient toujours et nécessairement des plaques protestantes. Il y aurait, évidemment, exagération à ne reconnaître comme taques catholiques que celles à sujets profanes. Bien que l'application des lois révolutionnaires et surtout le changement des mœurs aient amené la disparition de beaucoup de ces petits monuments, ce qui s'est passé à Nancy et à Bar-le-Duc devrait être pour nous un avertissement. La plaque isolée a peu de valeur, et par sa forme et ses dimensions elle ne se prête guère au


classement dans une collection particulière. C'est dans les musées que les plaques peuvent recevoir l'hospitalité et prendre en étant groupées ensemble, l'importance qui leur appartient. Nous avons aujourd'hui de belles collections de plaques lorraines et de la région de l'Est. Quand aurons-nous à Caen, par exemple, une collection de plaques normandes digne d'être placée sous les yeux des étrangers. La formation d'une série de ce genre est encore facile aujourd'hui avec l'esprit de destruction qui sévit un peu partout, elle sera impossible dans quelques années.

Mort de M. Gouellain

M. Gustave Gouellain, ancien président du Tribunal de commerce de Rouen, chevalier de la Légion d'honneur, officier de l'Instruction publique, commandeur de Saint-Grégoire-le-Grand, est mort à Rouen le 23 janvier dernier. Il était né le 29 janvier 1836.

M. Gouellain était l'un des céramographes les plus connus de la Normandie. 11 avait été chargé d'éditer avec M. l'abbé Colas et Raymond Bordeaux le grand ouvrage d'André Pottier sur V Histoire de la faïence de Rouen. Plus tard, il publie de nombreuses brochures sur la faïence et la porcelaine. L'une de ces brochures: l'Assiette à la guillotine, attira particulièrement l'attention et donna lieu, dans le monde de la curiosité, à de très vives controverses.

M. Gouellain était membre de la Commission des antiquités de la Seine-Inférieure.


Mort de M. Chifflet

Le 25 mars est mort, à Saint-Loup de Bayeux, M. Louis Chifflet, artiste peintre et archéologue. Membre de la Sociétédes Beaux-ArtsdeCaen, M. Chiffletavait été chargé de très importants travaux de décoration dans plusieurs églises de notre région. Nous ne saurions oublier la part qu'il prit, lorsqu'il était encore attaché à la maison de MM. Francis et Aimé Jacquier, à la découverte et à la restauration des peintures murales de l'église de Vaucelles. Plus tard il reproduisit, grandeur d'exécution, sur un panneau qui fut justement remarqué les fresques de Saint-Sauveur de Caen représentant saint Augustin et saint Ambroise. C'est encore M. Chifflet qui, il y a quelques années, appela le premier l'attention sur les peintures si curieuses de l'église de Bénouville.

M. Chifflet était âgé de 45 ans.

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SÉANCE PUBLIQUE

DU 17 DÉCEMBRE 1896 Présidence de M. Édouard CORROYER,

Membre de l'Institut

Le jeudi 17 décembre 1896, à 3 heures de l'après-midi, les membres de la Société des Antiquaires de Normandie se sont réunis dans la grande salle de l'École de droit, sous la présidence de leur directeur, M. Édouard Corroyer, membre de l'Institut.

Avaient pris place au bureau, aux côtés de M. le Directeur M. Richard Dubourg, président de la Société; M. le Premier Président; Mgr Hugonin, évêque de Bayeux et Lisieux M. Bruno-Lacombe, procureur général M. de Longuemare, vice-président M. l'abbé Goudier, vicaire général M. de Formigny de la Londe, ancien président de la Compagnie; M. Émile Travers, bibliothécairearchiviste M. E. de Beaurepaire, secrétaire. M. le Préfet et M. le Général avaient exprimé leurs regrets de ne pouvoir assister à la séance.


Sur l'estrade, on remarquait la plupart des membres de la Société.

Le public occupait les gradins de la salle des chaises avaient été réservées auprès de l'estrade pour les dames comme d'habitude, la tribune avait été mise à la disposition d'une délégation des élèves du Lycée.

Le programme était ainsi composé

Discours d'ouverture, par M. E. Corroyer, membre de l'Institut, directeur

Rapport sur les travaux de l'année, par M. E. de Beaurepaire, secrétaire;

Les sculptures de l'église de Campigny, par M. Georges Villers

Recherches sur le nom de l'auteur d'un tableau du musée d'Avranches, par M. Charles de Beaurepaire, membre correspondant de l'Institut; L'archéologie au théâtre, par M. Émile Travers. Toutes ces lectures ont eu lieu dans l'ordre indiqué au programme et ont été très favorablement accueillies. Nous les reproduisons ci-dessous à l'exception du mémoire sur Y Archéologie au théâtre, dont le texte ne nous a pas encore été remis par M. Travers.


DISCOURS DE M. Edouard CORROYER MONSEIGNEUR,

MESDAMES,

MESSIEURS,

MES CHERS CONFRÈRES,

Avant d'aborder les sujets dont je désire vous entretenir, permettez-moi d'acquitter la dette de reconnaissance que j'ai contractée envers notre Société des Antiquaires de Normandie, personnifiée par notre digne président, par notre érudit et vigilant secrétaire et les membres du Bureau qui ont si bien maintenu les traditions de notre Compagnie.

Je veux vous remercier, mes chers confrères, pour le grand honneur que vous m'avez fait en m'attribuant la dignité de directeur de notre Société des Antiquaires de Normandie pour 1896. C'est un honneur dont je sens tout le prix, non seulement par la satisfaction profonde que j'ai éprouvée en recevant l'expression de vos bienveillants suffrages, mais encore en songeant aux savants


qui m'ont précédé et dont vous avez tenu à reconnaître les grands mérites scientifiques parl'hommage que vous leur avez rendu en les appelant au Directorat suprême.

Je veux vous remercier très particulièrement parce que vous m'avez fait connaître la douceur de vos sympathies. Elles ont effacé l'amertume des luttes de la vie, comme un vif rayon de soleil dissipe les nuées orageuses et fait oublier leurs menaces.

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Parler devant vous, mes chers confrères, d'architecture, et aussi d'archéologie, me semble tout naturel c'est d'ailleurs rendre un juste tribut d'éloges à ceux qui m'ont précédé, car l'étude de cette science admirable a été souvent l'objectif de ceux de nos anciens qui se sont illustrés par leurs travaux d'Archéologie monumentale. Parmi les plus connus de nos confrères, il est juste de citer M. de Gerville, un des fondateurs de notre Société des Antiquaires de Normandie, qui eut l'honneur d'être l'auteur d'une proposition ayant pour objet de désigner une des périodes les plus intéressantes de l'histoire de l'architecture, idée ingénieuse qui a fait le tour du Monde. savant.

Par respect pour les travaux de nos savants, il faut citer et louer la dénomination architecture romane


adoptée et consacrée par l'usage depuis plus de soixante ans; mais pour l'amour de la vérité il faut bien dire que la qualification romane, appliquée à l'architecture, n'est pas contemporaine de de la construction des monuments dits romans. S'il est vrai que l'origine du grand art de l'architecture remonte à la plus haute antiquité, il est non moins certain que le mot roman, désignant une période architectonique, est moderne, puisqu'il n'existe que depuis 1825. C'est à cette époque que M. de Caumont, un de nos plus illustres Antiquaires, l'a fait prévaloir; lui-même le tenait de RI. de Gerville, qui avait proposé aux Antiquaires de Normandie d'appeler ainsi l'architecture postérieure à la domination romaine et antérieure au XIIe siècle. Cette architecture, que chacun baptisait à son gré de Lombarde, de Saxonne, de Byzantine, parut à M. de Gerville devoir être appelée d'un nom qui ne fût pas celui d'un peuple, attendu qu'elle avait été pratiquée dans toute l'Europe occidentale et sans intervention prouvée des Lombards, ni des Saxons, ni des Grecs. Comme le terme de roman était dès lors appliqué à nos anciens idiomes; comme l'emploi d'éléments romains était, de l'aveu général, aussi sensible dans l'architecture qu'il s'agissait de qualifier, que la présence des radicaux latins dans les langues dites romanes; comme enfin on pouvait dire que l'une était de l'architecture romaine abâtardie, de même que les


autres étaient du latin dégénéré, M. de Gerville conclut à ce qu'il y eût une architecture romane au même titre qu'il y avait des langues romanes. L'idée est juste, mais les conséquences qu'on en tira et les applications qu'on en fit le furent beaucoup moins; car on voulut délimiter étroitement la période pendant laquelle les monuments devaient être appelés du nom de roman, comme s'il était question de faits historiques dont il est possible de déterminer les dates précises, aussi bien de l'origine que de la fin. On fit des classifications absolument arbitraires qui n'ont existé que dans l'imagination de leurs auteurs, excités par des découvertes prises par eux pour des inventions personnelles, qu'il leur était permis de qualifier à leur guise. Ces qualifications étaient trop précises, trop absolues, car il est bien évident qu'aux premiers siècles de l'ère chrétienne, époque à laquelle il est prudent de faire remonter l'origine de la période architecturale et architectonique désignée sous son nom de baptême archéologique, c'est-àdire l'architecture romane, les artistes constructeurs, les architectes en un mot, suivirent les méthodes des Romains et des Byzantins, comme ceux-ci avaient suivi, en les perfectionnant, les traditions laissées par leurs ancêtres. Ils construisaient les monuments suivant les usages de leur temps, ou bien ils modifiaient selon les transformations des idées religieuses.


On n'invente rien de toutes pièces, surtout en architecture on découvre, on ajuste certaines formes selon les idées du moment on les modifie en se les appropriant; mais une architecture nouvelle ne naît pas immédiatement d'un état social nouveau. Ce fait est visible dès les premiers temps de l'Église. Les basiliques civiles, admirablement disposées pour contenir un grandnombre d'hommes, devinrent le lieu de réunion des adeptes de la nouvelle religion, sans autres modifications que la suppression des emblèmes du Paganisme expirant et leur remplacement par les images du Christianisme naissant.

Les églises, élevées en grand nombre à cette époque, sont bâties sur le plan des basiliques romaines avec les adjonctions nécessitées par les rites sacramentels, et si, plus tard, elles se transforment sous l'influence orientale, on retrouve au même temps, en Occident, et jusqu'au XIe siècle, les traces indélébiles dela tradition romaine, manifestée par les dispositions particulières aux temples profanes modifiés, ou construits dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, comme si le plan basilical avait été la forme hiératique imposée par la religion du Christ.

Si l'on veut trouver l'origine de l'architecture romane, il faut la chercher bien au-delà de la fin de la domination romaine et étudier à Rome les basiliques civiles transformées on tpmples chrétiens


dès l'origine du Christianisme. Il faut faire en Orient, et particulièrement dans la Syrie centrale, une excursion qui est facilitée par le très bel ouvrage de M. le marquis de Vogüé résumant les savantes et précieuses découvertes qu'il a faites si heureusement pour l'histoire de l'Art.

Dès les premières années du IIe siècle après Jésus-Christ, la Syrie devint une province romaine et fut le centre d'un mouvement architectural extraordinaire dont les effets ne firent que s'accroître jusqu'à la fin du VIle siècle.

Les découvertes de M. de Vogüé ouvrirent des vues nouvelles sur l'architecture chrétienne primitive, du IVe au VIP siècle.

On est transporté au milieu de la société chrétienne on surprend sa vie, non pas la vie cachée des Catacombes, mais une vie large et opulente dans de grandes maisons en pierre, parfaitement aménagées et entourées de beaux jardins plantés de vignes. Les églises reproduisent les dispositions et les formes des basiliques de Rome; le style de ces constructions est romain; mais tout en gardant le souvenir très marqué de leur origine, on sent les modifications apportées par l'emploi judicieux des matériaux que les architectes avaient à leur disposition, circonstance qui a imprimé à leurs œuvres un caractère très particulièrement original. On voit même sur plus d'un point des églises, du V* et du VI' siècle, entièrement voûtées et surmon-


tées au centre d'une coupole, imitée des Perses et dont les essais, timides encore, marquent cependant les étapes d'un mode de construction qui devait prendre, à Constantinople d'abord, plus tard dans l'Europe occidentale et particulièrement en France, un si grandiose développement.

L'influence exercée par les écoles orientales sur le développement des arts en Occident n'est plus contestable; les travaux de Vitet, de J. Labarte, de Waddington et de Melchior de Vogüé ont surabondamment prouvé que Constantinople a été un grand foyer d'art, du Ve au XI. siècle, alors que l'Occident se débattait sous les rudes étreintes des Barbares, et songeait à se défendre bien plus qu'à cultiver l'architecture, l'art de la paix par excellence. L'an 1000 est une date célèbre dans l'histoire des terreurs superstitieuses du moyen âge; c'était une croyance universelle au Xe siècle que le monde devait finir l'an 1000 de l'Incarnation. L'angoisse de cette effroyable attente du jugement dernier s'accrut encore par les calamités qui précédèrent cette date fatidique. Mais lorsqu'elle eut passé sans tenir ses sombres promesses, l'humanité se sentit revivre et son premier sentiment fut un élan d'amour et de reconnaissance pour Dieu qui ne l'avait pas anéantie. Alors d'innombrables pèlerinages commencèrent aux Lieux-Saints, et aussi à Constantinople, qui rayonnait encore de sa magnificence byzantine. De ce grand mouvement de foi religieux sont


nés, en Occident, de superbes édifices inspirés par la civilisation orientale.

Il est nécessaire aussi d'étudier les monuments d'une époque que les savants ont appelée si juste- ment La Renaissance de Charlemagne.

C'est le désir, la nécessité, de voûter les églises qui ont obligé les constructeurs à abandonner les dispositions anciennes des basiliques latines, afin de bâtir plus solidement leurs édifices religieux, si souvent détruits par le feu. C'est vers la fin du Xe siècle que l'architecture, dite romane, s'affranchit peu à peu des traditions latines pour créer des proportions nouvelles dès les premières années du XIe siècle, en conservant d'abord, de la basilique la nef centrale en charpente et en ne voûtant, par des voûtes d'arête en pierre, que les bas-côtés; puis par la construction, plus hardie, des voûtes en berceau, réminiscences des constructions romaines du I" siècle, qui restent encore au Nymphée de Nîmes enfin par des voûtes en berceau continu couvrant la nef principale et dont les poussées sont maintenues par les demi-berceaux, en quart de cercle, des nefs latérales, principe del'arc-boutant. Il est surtout nécessaire d'analyser les édifices à coupoles sur pendentifs, construits savamment en pierres appareillées, exemple importé d'Orient, mais modifié en France, ou plutôt en Aquitaine, à cette époque, et dont le principal caractère est de reporter les charges des voûtes sur quatre points


d'appui, constructions d'un art achevé qui sont restées de véritables chefs-d'œuvre de stéréotomie et qui sont les premières applications d'un système de construction qui devait avoir de si étonnants développements dans les édifices dits gothiques.

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La revue rapide que je viens de faire devant vous de l'architecture dite romane, nous démontre combien il est difficile, impossible même, de déterminer par un mot, aussi judicieux qu'il paraisse tout d'abord, une période d'Art qui a été renfermée dans un cadre trop étroit, puisqu'elle a des origines plus anciennes et des ramifications nombreuses avant et après les dates qui lui ont été assignées arbitrairement.

Cependant, si l'histoire du mot « roman » est curieuse à suivre, celle du mot « gothique » est particulièrement intéressante.

La dénomination gothique, désignant la transformation architectonique qui s'étend du milieu du XIIe siècle à la fin du XVe, est purement conventionnelle. Cette expression ne peut s'appliquer à l'architecture des Goths ou des Visigoths, puisque ces peuples, vaincus par Clovis au VIe siècle, ne laissèrent aucune trace monumentale de leur passage sur notre sol, et par conséquent, n'eurent


aucune influence sur l'Art. Elle est radicalement fausse au double point de vue de l'Histoire et de l'Archéologie, car elle ne repose que sur une erreur, contre laquelle il faut protester en essayant de faire cesser une équivoque qui a duré trop longtemps.

Singulière fortune de ce mot gothique, qui n'était au siècle dernier qu'un qualificatif ironique, synonyme de barbarie, et qui est devenu, malgré son origine germanique, le vocable adopté, depuis soixante ans, pour désigner l'époque la plus civilisée du moyen âge et, précisément, l'une de celles dont l'Art national peut être le plus légitimement fier.

L'architecture romane ou, plus exactement, l'architecture qualifiée « romane », en vertu de la convention archéologique de 1825, a emprunté aux Romains et aux Byzantins des éléments constitutifs que les architectes du temps se sont assimilés et qu'ils ont perfectionnés dans l'Europe occidentale mais la période architecturale, du XIIe siècle à la fin du XVe, qu'on a baptisée injustement du nom étranger de « gothique », est absolument française, puisqu'elle est née dans les provinces qui ont formé la France moderne. C'est dans l'Aquitaine, dans l'Anjou, dans le Maine, qu'elle a ses origines incontestables c'est dans le Domaine royal, et principalement dans l'Ile-de-France, qu'elle a accompli ses transformations les plus


étonnantes, et c'est du cœur même de la France qu'elle a si brillamment rayonné sur l'Europe. La dénomination d'architecture gothique est d'ailleurs absolument arbitraire, tout autant que celle d'architecture ogivale passe encore si on disait augivale acceptée par des auteurs admettant que l'arc-brisé, improprement appelé « ogive », est le caractère particulier de l'architecture dite gothique,

Il existe encore sur ce point une erreur de fait, sur laquelle il convient de s'expliquer, car on s'est mépris sur le mot en lui donnant une signification qu'il n'a jamais eue.

L'ogive, ou plus exactement « Vaugive » suivant l'orthographe ancienne, est l'arc-diagonal employé dans l'architecture dite gothique; il est le plus souvent en plein-cintre et ne doit pas être confondu avec Y arc-brisé, improprement nommé ogive. L'arc-brisé, qui se compose de deux courbes opposées se coupant sur un angle plus ou moins aigu, était connu bien longtemps avant son application systématique au Caire, dès le IXe siècle de notre ère; auparavant en Arménie, et encore plus anciennement en Perse, où les constructeurs n'ont pas employé d'autres cintres depuis les derniers Sassanides. C'est un expédient, un moyen de donner plus de résistance à l'arc en diminuant ses poussées latérales; mais les architectes des XIIe et XIIIe sièclos ne se sont pas servis de l'expression ogive


pour désigner la forme de l'arc-brisé, forme qui varie à l'infini, qui n'est plus déterminée par les proportions classiques, les canons pour ainsi dire, de l'arc plein-cintre et ne connaît plus d'autre loi que la nécessité. On voit, en effet, l'arc-brisé se rapprocher du plein-cintre au XIIe siècle, puis s'en éloigner, s'aiguiser de plus en plus à la fin du XIIIe siècle et pendant tout le XIVe siècle, alors que les édifices prennent une élévation plus considérable par des dispositions d'une hardiesse inquiétante et souvent aux dépens d'une solidité parfaite.

Au surplus, il importe peu que l'architecture du XIIe au XVIe siècle soit qualifiée gothique ou ogivale; nous savons que ces deux qualificatifs ne sont pas plus exacts l'un que l'autre.

Le point capital auquel il faut s'attacher, c'est de démontrer que la filiation établie et prouvée par l'architecture dite romane s'est continuée lentement, mais sûrement, en suivant les progrès de la civilisation dont l'art de l'architecture est une des manifestations les plus évidentes. L'architecture dite gothique n'est pas le produit d'une génération spontanée elle est la continuation ininterrompue, régulière, logique de l'architecture dite romane, de même que celle-ci n'a fait que suivre, à son origine, les traditions antiques pour les transformer successivement selon les besoins et les usages du temps.


C'est ainsi que la coupole, d'origine orientale, traduite en pierres appareillées par nos ancêtres Aquitains, dès la première moitié du XIe siècle, a donné naissance à la voûte sur arcs-ogifs ou croisée d'ogives c'est-à-dire aux arcs-diagonaux dont le germe existe à Saint-Front de Périgueux, dans les pendentifs de ses coupoles du XIe siècle, par le report des charges des voûtes sur quatre points d'appui, mode de bâtir d'une science achevée, qui est le principe même de la construction dite gothique.

Les grandes églises qui s'élevèrent, vers le milieu du XIIe siècle, dans les richissimes provinces de l'ouest, voisines de l'Aquitaine, étaient déjà voûtées par des croisées d'ogives sur plan carré, comme les coupoles aquitaines, non pas à l'état d'essais timides ou rudimentaires, mais avec toute la sûreté acquise par des architectes expérimentés en possession de puissants moyens d'exécution et, dès la seconde moitié de ce même siècle, le nouveau système avait remplacé, dans l'Europe occidentale, tout autre mode pour la construction des voûtes. Les architectes du Domaine royal et surtout ceux de l'Ile-de-France, avaient adopté, les premiers, la croisée d'ogives et, vers la fin du XIIe siècle, familiarisés avec le nouveau système, guidés par leur hardiesse professionnelle, ils inventèrent Varc-boutant.

La croisée d'ogives, succédant à la coupole dont


elle procède, fut la conséquence directe des traditions antiques le parti adopté était une des étapes de la marche des idées, un perfectionnement logique accompli sans s'écarter de la voie que les Romains, tout aussi hardis mais plus prudents constructeurs, avaient sûrement tracée. La croisée d'ogives n'est donc, elle-même, qu'une conséquence des principes romains, perpétués par l'usage et perfectionnés par l'expérience, tandis que l'arc-boutant, ou plutôt le système de construction dont l'arc-boutant est le caractère très particulier, accomplit à son tour une révolution radicale dans l'art de bâtir au XII" siècle. La stabilité, assurée dans les anciennes constructions à l'aide des masses formant les culées des arcs et des voûtes, était remplacée par l'équilibre des charges, système d'une hardiesse surprenante, dont les architectes du temps ont tiré des effets merveilleux mais, en même temps, innovation dangereuse, parce qu'elle a pour conséquence de reporter au dehors les organes principaux, essentiels, vitaux, que les anciens avaient toujours préservés en les établissant, sagement, au dedans. Aussi faut-il constater que, si la voûte sur croisée d'ogives s'était généralisée en moins de cinquante ans dans toute l'Europe à l'Occident et même en Orient, le succès de l'arc-boutant fut beaucoup moins rapide dans sa propagation et plus restreint dans son application.


Alors que, dans le Nord, pendant le XIIIe siècle et une partie du XIVe, on édifiait ou même on réédifiait en grand nombre les monuments religieux selon les formules de l'art nouveau, on élevait au même temps dans le Midi de grandes églises chrétiennes suivant les principes antiques.

Au Nord, les constructeurs, hardis, avaient adopté avec enthousiasme les nouvelles dispositions des églises à plusieurs nefs, toutes voûtées sur croiséed'ogives et dans lesquelles les voûtes surélevées de la nef principale étaient contrebutées par des arcsboutants extérieurs.

Au Midi, soit par résistance à l'entraînement ou réaction contre le mouvement novateur, soit encore par fidélité aux traditions anciennes, les architectes prudents donnaient à leurs édifices religieux une nef unique, large et haute, dont les voûtes, également sur croisée-d'ogives, étaient maintenues par des contreforts puissants construits au dedans du vaisseau et dont on utilisait les saillies intérieures en disposant des chapelles dans les intervalles. Ce dernier mode de construction, d'une grande sagesse, parce qu'il est d'une solidité parfaite, rappelle celui de la basilique de Constantin, ou du Tepidarium des Thermes romains de Caracalla. Il assure la constante stabilité de l'édifice et il parait être, d'ailleurs, une protestation contre les miracles d'équilibre si fort en faveur, alors, dans les pays du Nord.


Du reste, le nouveau système des voûtes arcboulées, qui n'apparaît dans le Midi qu'exceptionnellement et comme une importation, ne s'était pas établi, même dans son berceau originel, sans de grandes difficultés, car de graves mécomptes avaient signalé son avènement. En l'absence des sciences mathématiques, qui ont apporté de si puissants leviers aux architectes modernes, il fallait aux constructeurs du XIIIe siècle une habileté et une expérience étonnantes pour construire des voûtes intérieures et surtout neutraliser l'énergie des poussées par des arcs-boutants réduits à leur véritable fonction d'étais permanents, les poussées de ces voûtes et les forces résistantes de ces arcsboutants étant essentiellement variables, suivant leurs portées et la résistance des matériaux. Il fallut de longs tâtonnements pour transformer en règles, à peu près fixes, les formules, nécessairement empiriques, des constructeurs novices; ce n'est que vers la fin du XIIIe siècle, et surtout dès les premières années du XIVe, qu'on voit se résoudre ce difficile problème de construction. Et encore la solution ne fut-elle pas généralement acceptée, car ce qui était relativement facile dans les contrées où la pierre abonde, devenait difficile, sinon impossible, dans celle, où la brique, par exemple, était l'unique ressource des constructeurs. Malgré tous ces obstacles, la fortune de l'architecture dite golhique fut considérable, si grande


même que des symptômes de déchéance, nés du succès trop rapide, se manifestèrent dès le XIVe siècle. L'abus de l'équilibre; la diminution excessive des points d'appui aggravée souvent par la hardiesse des porte-à-faux l'insuffisance des fondations et l'exagération de hauteur la mauvaise qualité des matériaux, jointe à leur appareil défectueux par suite de l'empirisme des méthodes la rapidité de l'exécution, excitée par une émulation malentendue, la pénurie des ressources, conséquence des convulsions sociales et politiques, compliquées par les malheurs des guerres, sont autant de causes qui peuvent expliquer la ruine d'un art qui a brillé d'un si vif éclat, et l'on peut aussi en trouver la cause initiale dans l'abandon des traditions antiques. Suivies sans interruption pendant toute la période dite romane, ces traditions avaient préparé l'avènement d'un art séduisant sous sa forme nouvelle s'affranchissant du passé, en suivant les idées du temps; mais dont le déclin fut aussi rapide que l'ascension. A son aurore sous Louis le Gros et parvenu à son apogée pendant le règne de saint Louis, l'Art dit gothique semblait être en décadence profonde avant la fin du XVe siècle.

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L'analyse que je viens de faire sommairement de l'Art dit yuthique, après avoir passé une revue


rapide de l'époque dite romane, prouve l'insuffisance des méthodes pour étudier et dénommer exactement les diverses formes de l'architecture. L'invention du mot roman a rendu de très réels services lorsqu'il fut proposé par un de nos érudits confrères pour commencer la classification d'édifices trop longtemps oubliés.

Il aurait fallu suivre le mouvement afin d'identifier les magnifiques monuments, construits si savamment du XIIe au XVIe siècle, et les désigner autrement que sous un qualificatif étranger, qui n'a aucun rapport avec notre Art national et qui n'arrive pas même à indiquer la filiation qui a existé sans interruption depuis les Romains jusqu'à l'époque dite de la Renaissance française.

Tout en rendant justice aux efforts qui ont été faits si généreusement par nos devanciers, animés du même esprit d'investigation sincère, il semble que l'on pourrait s'approcher de la perfection, en désignant sous ce titre

« L'ARCHITECTURE DU MOYEN AGE », la période monumentale comprenant les diverses manifestations de l'Art depuis le Ve siècle jusqu'à la fin du XVe.

La nécessité s'impose d'adopter et d'appliquer ce qualificatif. Il aura, non seulement le grand avantage d'être simplement d'accord avec l'Histoire, mais encore de faciliter l'étude méthodique des divers caractères de l'architecture dans leur


ordre chronologique. Il permettrait de chercher plus sûrement les origines de ce grand Art, d'en étudier les origines, la filiation, les pénétrations, par suite des influences civilisatrices les transformations et les progrès vers la beauté parfaite. Il ferait voir, surtout, les causes de décadence; c'est un enseignement tout aussi puissant et plus fécond que l'apologie de la grande prospérité, parce qu'il doit, en faisant connaître les fautes, indiquer les moyens de les éviter.

La Société des Antiquaires de Normandie, qui a rendu de si grands services à notre Art national, est préparée à souhait pour faire prévaloir l'idée que j'ai semée; elle germera si la science, jeune encore sinon nouvelle l'Archéologie, lui prête son concours. Il n'a jamais manqué à ceux qui, comme nous, cherchent avec passion la solution vraie des problèmes archéologiques.

L'archéologie est, en effet, une science toute moderne que les Grecs et les Romains n'ont pas connue.

Le moyen âge n'a pas connu davantage l'archéologie, et si la Renaissance l'a pressentie en admirant et en imitant les œuvres de l'antiquité classique, elle a, par une sorte d'ingratitude, oublié son origine et dédaigné l'étude de nos Antiquités nationales, et si complètement, qu'on les considérait, au XVIe siècle, comme des monuments barbares, gothiques, indignes d'être conservés.


Mais avec le XVIIe siècle les progrès de la critique se manifestèrent; les Bénédictins, réorganisés en 1618 et connus depuis cette époque sous le nom de Bénédielins de Sainl-Maur, contribuèrent puissamment, par leurs travaux historiques, à réagir contre l'oubli qui enveloppait les arts du passé. Les recherches historiques deMabillon, de Ruinart, des frères jumeaux Sainte-Marthe, qui commencèrent, en 1659, la Gallia christiana, amenèrent les membres de la nouvelle congrégation à discuter l'âge d'un grand nombre d'édifices et à recueillir les documents écrits propres à en expliquer les origines. Du Cange, publiant, en 1678, son Glossaire, d'une importance si considérable pour l'histoire du moyen âge, apporta son précieux concours pour l'étude des monuments et l'interprétation des textes. Gaignières, par sa collection dans laquelle Montfaucon trouva les éléments de son ouvrage sur les monuments de la Monarchie française, rendit de grands services à l'Archéologie, en attirant l'attention sur un grand nombre d'oeuvres du moyen âge. Enfin l'abbé Lebeuf, mort en 1760, posa les premières bases scientifiques de l'Archéologie française. « L'abbé Lebeuf n'avait pas formé d'élèves, nous dit Quicherat, une des plus hautes intelligences de notre temps et qui fit faire un si grand pas à la critique historique. -– Pendant les trente premières années qui suivirent la mort du savant abbé, personne en France ne sembla s'in téresser à l'Archéo-


logie. Ce n'est que vers la fin du XVIIIe siècle, au moment même où éclatait cette Révolution qui fut fatale à tant d'oeuvres anciennes, que l'on vit un petit groupe d'hommes, éclairés et dévoués, prendre en main la défense de toutes les richesses artistiques que nous avait laissées le moyen âge, s'attacher à les conserver et à les étudier. Le plus zélé de tous, celui qui, par son activité, sa persévérance, par le courage même qu'il sut déployer dans les circonstances difficiles, rendit les plus signalés services à la science archéologique, ce fut Alexandre Lenoir. Prévoyant les conséquences désastreuses que la suppression des corporations religieuses devait avoir pour nos monuments, il s'efforça d'intéresser l'Assemblée nationale à la conservation des œuvres d'art que contenaient les établissements sécularisés. Ses efforts, joints à ceux du peintre David et de l'évêque Grégoire, contribuèrent beaucoup à faire instituer ces commissions qui furent chargées par l'Assemblée nationale, et par la Convention, de sauver de la destruction tout ce qui pouvait intéresser l'Histoire ou les Arts. »

Nommé, le 6 janvier 1791, conservateur du dépôt des Petits-Augustins où s'élève aujourd'hui notre École des Beaux-Arts dépôt qui était spécialement destiné aux sculptures et aux tableaux les autres dépôts des Capucins, des Grands-Jésuites et des Cordeliers étant affectés aux livres et aux manuscrits, Alexandre Lenoir sut réunir tous les


objets recueillis dans les anciennes abbayes ou dans les châteaux des émigrés. Il eut le talent d'intéresser à son œuvre les autorités publiques du moment et de transformer son dépôt provisoire en un musée où les principaux chefs-d'œuvre de notre Art national trouvèrent un abri.

Le Musée des Monuments français, ouvert au mois d'août 1796, provoqua le revirement du goût public qui éclata un peu plus tard. Cependant, avec la Restauration, la réaction qui se produisit contre toutes les œuvres de la Révolution se manifesta par un décret du 18 décembre 1816, qui ruina le Musée des Monuments français, sous le fâcheux prétexte de rendre les pièces qui le composaient aux édifices qui les possédaient. Une grande partie de ces édifices étant détruits, on déposa tous ces objets dans les magasins de l'abbaye de SaintDenis, dans les cours et les caves des PetitsAugustins, où p'resque tous ces objets furent oubliés, puis mutilés et perdus.

Pourtant, les efforts d'Alexandre Lenoir ne furent pas stériles d'abord les six volumes de ses catalogues du Musée des Monuments français, puis les travaux de Millin, les recueils de Willemin, etc., etc., contribuèrent, avec le Musée des Petits-Augustins, à appeler l'attention publique sur nos monuments historiques français.

Des recherches archéologiques amenèrent plusieurs savants anglais à visiter la Normandie afin


d'étudier les rapports existant entre nos édifices et ceux élevés, après la conquête Normande, de l'autre côté du détroit, par des savants normands qui eurent une si grande influence sur l'Art en Angleterre dès le XIIe siècle.

La Société des Antiquaires de Normandie avait suivi l'exemple donné par l'Académie celtique, constituée en 1805, qui devint, en 1817, la Société royale des Antiquaires de France dont les premières séances se tinrent au musée créé par Alexandre Lenoir, rue des Petits-Augustins. A l'exemple de sa sœur aînée, la Société des Antiquaires de Normandie entreprit avec une grande activité l'étude spéciale de l'architecture, que le regretté Courajod désignait sous le nom de féodale. Elle compta dans ses rangs M. de Gerville, dont j'ai parlé déjà en signalant sa proposition faite en 1825, relative à l'invention et à l'application du mot roman. Elle fut illustrée par les travaux de M. de Caumont, qui peut être considéré, parmi les savants de son temps, comme l'un de ceux qui ont rendu les plus grands services à l'étude de l'archéologie nationale. Dès 1823, dans le premier volume des mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, il établit les bases de la doctrine archéologique il publia en 1825 un Essai sur l'architecture du Moyen âge, et ensuite un grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels l'Abécédaire archéologique se distingue par un rare esprit de méthode de classifica-


tion chronologique. M. de Caumont fonda, à Caen, de 1830 à 1832, un cours public d'antiquités monumentales, dont il sut tirer le premier et l'un des meilleurs manuels d'archéologie nationale. Il établit la Société française pour la conservation des monuments il fonda le Bulletin monumental et organisa des Congrès, tenus dans les principales villes de France, qui éveillèrent et propagèrent le goût des études archéologiques.

Louis-Philippe institua, en 1836, le Comité des Arts et Monuments et, en 1837, -la Commission des Monuments historiques. La Revue archéologique et les Annales archéologiques augmentèrent encore, par leur activité l'impulsion donnée par M. de Caumont.

Alors les travaux relatifs à l'Histoire de l'Art du moyen âge se multiplièrent considérablement et, dans l'impossibilité de les citer tous, il faut au moins rappeler les noms des savants qui ont été les principaux initiateurs de la connaissance des œuvres du moyen âge Mérimée, Vilet, Didron aîné, Lassus, architecte archéologue, qui se fit connaître par les grands travaux qu'il exécuta à la Sainte-Chapelle du Palais et surtout à Notre-Dame de Paris, en collaboration avec son illustre confrère Viollet-LeDuc, qui a résumé sur les œuvres du moyen âge des notions aussi ingénieuses que neuves dans son précieux dictionnaire de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, popularisé en Europe par


ses incomparables dessins. Enfin Quicherat, qui professa pendant trente ans à l'École des Chartes, où il établit le seul cours d'archéologie qui se fasse en France, et qui, pendant un demi-siècle, a consacré sa haute intelligence à mettre en vue nos gloires nationales et dont le nom restera associé aux conquêtes les plus importantes de l'Archéologie française.

En terminant ce discours, trop long peut-être, je veux vous citer les paroles du Maître-archéologue dont je viens de vous parler.

Quicherat, dans les dernières années de sa vie, me disait « Un de mes regrets, c'est de ne pas avoir assez étudié l'Architecture, non pas l'architecture si belle et si variée dans ses formes extérieures, mais bien la science de la construction même, celle des modestes, mais illustres maçons du moyen âge; car je suis persuadé que j'ai passé à côté des documents architectoniques les plus précieux, qui auraient facilité considérablement mes études et mes recherches archéologiques. »

Et, cependant, nul plus que Quicherat n'a mieux contribué à l'avancement de la science archéologique. S'il avait l'érudition profonde par la connaissance parfaite des textes les plus compliqués, il avait senti, plus et mieux que personne, la nécessité absolue d'étudier à fond les édifices lorsqu'il s'agit d'Archéologie monumentale.


L'enseignement qui se dégage de ces sages réflexions, c'est que les Antiquaires, de Normandie ou d'ailleurs, sont obligés d'étudier, simultanément, l'Architecture et l'Archéologie, ces deux belles sciences qui doivent, non se combattre, mais se prêter un mutuel appui, et dont la connaissance est, pour eux, absolument indispensable.

C'est un fait qui n'a pas besoin d'être démontré, parce qu'il est vrai c'est la vérité même


RAPPORT

SUR

LES TRAVAUX DE L'ANNÉE Par M. E. DE BEAUREPAIRE.

MESSIEURS

Depuis notre dernière séance publique, l'activité de la Société ne s'est pas ralentie, ainsi que vous allez pouvoir vous en convaincre par le rapide compte-rendu que je vais avoir l'honneur de vous présenter.

N'oubliant pas que nous avons pour mission de veiller à la conservation des monuments de notre art national, nous avons contribué, de concert avec la Société française d'Archéologie, aux frais de réparation de l'église de Thaon, que tous les archéologues considèrent comme l'un des édifices s romans les plus remarquables de notre région. Nous espérons bientôt être en mesure, grâce à la coopération de îlot*"1 dévoué confrère, AI. Huart,


de restituer à Jean de Baillehache, qui empêcha la démolition du chœur de Saint-Étienne, l'inscription funéraire qui rappelait son nom à notre souvenir et à laquelle il avait tant de droits. Il y a quelques jours à peine, à la suite d'une communication relative à la découverte d'une ancienne inscription mortuaire par M. Douin, un de nos confrères, M. Raulin, émettait le vœu qu'une plaque commémorative fut placée dans l'ancienne chapelle de Sainte-Croix, aujourd'hui chapelle de la Vierge, pour indiquer aux visiteurs que là fut ensepulturé le premier historien de Caen, Charles de Bourgueville, sieur de Bras.

C'est dans le même esprit de respect pour les gloires du passé, que la Société a constitué dans son sein deux Commissions, destinées l'une, à lui faire ,connaître les actes de vandalisme, trop nombreux, qui se commettent dans la région l'autre, à lui signaler l'état des inscriptions consacrées, dans notre ville, à certaines de nos illustrations locales et à lui indiquer, en même temps, les maisons que rien ne révèle aux regards du passant et que recommandent pourtant soit la naissance, soit la longue résidence d'un personnage célèbre.

La Commission des Inscriptions parisiennes poursuit le même but et, en rendant justice à tous, elle fait, à la fois, acte d'équité et de patriotisme. C'est aussi en se plaçant au point de vue des conve-


nances archéologiques que notre Compagnie, sur la proposition de M. Émile Travers, a émis le vœu de voir, plus tard, l'église de la Trinité tout entière affectée au culte paroissial.

Les études monumentales peuvent réclamer les recherches qui se portent, en ce moment, un peu de tous les côtés sur les fragments de peintures murales existant encore dans nos églises. Après avoir été entretenus des fresques de Saint-Céneryle-Gerei, de Périers, de Saint-Sauveur de Caen, de Saint-Michel de Vaucelles, de l'abside de Savigny, la Société a pu étudier à loisir la reproduction d'une grande composition qui représente la Cène et couvre l'un des murs de la nef de cette dernière église. Jusque dans les derniers temps, une couche épaisse de badigeon la dérobait aux regards. C'est pour cela qu'elle était restée ignorée et que l'attention s'était portée exclusivement sur la décoration de l'abside. L'aquarelle, de tout point excellente, qui nous a été soumise est l'œuvre d'un élève de l'École des Beaux-Arts, M. Vasnier, qui a obtenu cette année même, pour cette étude, une mention honorable au Salon des Champs-Élysées.

Les fresques de Savigny, de l'abside aussi bien que de la nef, présentent les caractères du XIII* siècle.

Beaucoup plus près de Caen, M. Chifflet, artiste peintre, qui s'occupe avec succès de la décoration murale des églises, nous avait signalé à Bénouville,


il y a environ deux ans, des restes de peintures malheureusement fort détériorées mais ayant encore un certain intérêt. Nous avons eu la satisfaction de pouvoir mettre sous vos yeux une aquarelle qui en donne les plus minces détails, avec une exactitude saisissante. Cette reproduction dans laquelle M. Vasnier a encore fait preuve de son habileté ordinaire, permet de se rendre compte des sujets que l'artiste anonyme avait été chargé de représenter. On y reconnaît la légende des trois vifs et des trois morts, et une vue de l'enfer avec l'étonnante variété de ses supplices, digne de la sombre imagination de Dante ou des fantastiques inventions de Callot. Des inscriptions accompagnent toutes ces scènes et ajoutent à leur intérêt. Les fresques de Benouville appartiennent au XVI' siècle.

On savait depuis longtemps que la grande Salle des actes, au collège du Mont, était ornée de peintures décoratives exécutées à l'époque où les Jésuites dirigeaient cet établissement. Une communication de MM. l'abbé Masselin, Eugène Simon et Huart nous a donné des renseignements précis sur l'ensemble et sur les détails de ces compositions.

Avec les retables, nous ne quittons pas encore l'ecclésiologie. La photographie d'un retable en albâtre appartenant à M. Durier, de Vire, a soulevé une fois de plus la double question de la prove-



nance et de la date de ces sculptures, que l'on rencontre plus souvent aujourd'hui dans les collections particulières et chez les marchands d'antiquités que dans les églises. La sculpture de M. Durier est un fragment d'un retable reproduisant les diverses scènes de la Passion il représente la Mise au tombeau et rappelle complètement le retable de Pervenchères, dont un bon dessin a été publié dans l'Orne pittoresque, Ils datent l'un et l'autre du commencement du XVIe siècle. Le point ne saurait faire difficulté. Quant à leur provenance, le problème est infiniment plus délicat; des enquêtes sont ouvertes en ce moment dans différentes Sociétés et il convient d'en attendre les résultats avant de se prononcer d'une manière ferme. En archéologie, rien ne doit être négligé. Tous les monuments, même les plus simples, tous les objets mobiliers, si modestes qu'ils soient, ont leur importance. Aussi est-ce avec intérêt que nous avons entendu la lecture d'une note de M. Eugène Simon sur une plaque de foyer aux armes de la famille Hue de Mutrécy, ainsi que d'un mémoire de M. le comte d'Osseville sur l'église de Bahais et la chapelle des Pezerils. Ce mémoire était accompagné d'une photographie de l'église de Bahais. D'autres communications nous ont été faites sur des sujets plus exclusivement historiques. Nous citerons les curieuses monographies de M. Albert Peilenu &ur le châleau de Quilly et sur les établis-


sements à Fontenay de Saint-Evremond la note de M. Desprairies sur les diverses marques du papier dans la généralité de Caen les remarques de M. Travers sur la signification, en architecture, du mot Testudo enfin, l'exposé, par M. Charles de Beaurepaire, des incidents d'un procès assez compliqué relatif au curage des fossés du château de Fontaine-Étoupefour. Ce débat judiciaire, qui fut porté devant le Parlement, est d'autant plus digne d'attirer notre attention que, parmi les pièces de la procédure, se trouvent deux dessins du château dus au peintre Marc Restout, nommé par la justice pour opérer comme expert dans cette affaire. Les membres de lar Société ont pris une part active au Congrès des Sociétés savantes et des Sociétés des Beaux-Arts. A la réunion des délégués des Sociétés des Beaux-Arts, des mémoires ont été lus par MM. Armand Gasté, Paul de Longuemare, Fernand Engerand et Eugène de Beaurepaire. Nous avons été également représentés aux Assises Arcisse de Caumont à Rouen et aux enquêtes archéologiques du Congrès de l'Association Normande, tenu à Vire au mois d'août dernier. Souvent, nous sommes heureux de le constater, nous avons à enregistrer des dons faits par des particuliers à notre Musée. Cette année nous devons exprimer toute notre gratitude à M. Ravenel, qui a bien voulu nous offrir un tableau de confrérie sur bois provenant de l'église Saint-


Gervais de Falaise. Cette peinture, intéressante par sa date, par ses inscriptions et par le sujet qu'elle représente, n'est pas dépourvue de mérite au point de vue de l'art et prendra prochainement place dans nos collections.

Pendant l'année 1896, nous avons admis dans nos rangs MM. Jules Helbig, directeur de la Revue de l'art chrétien à Liège le chanoine Delvigne curé de Saint-Josse à Bruxelles; le baron Béthune, vice-président de la Gilde Saint-Thomas et SaintLuc à Bruges Maurice Habet, bibliothécairearchiviste à Maëstricht.

Malheureusement, dans la même période, nous avons perdu un de nos anciens directeurs, M. le sénateur Eugène de Rozières; quatre membres titulaires résidants, M.\J. de Grandclos, le comte de Sainte-Marie, de Tailly, Carel; trois membres titulaires non résidants, MM. Vasseur, Desprairies, Gustave Le Vavasseur.

M.Jacques-Louis-Marie-Eugène de Rozières, que sur le tard la politique enleva à l'érudition, est mort à Paris le 18 juin dernier. Il était né le 3 mai 1820 et venait par conséquent d'entrer dans sa soixante-dix-septième année.

Petit-fils de Pardessus, gendre de Giraud, le savant inspecteur des Facultés de Droit, M. de Rozières se trouva tout naturellement engagé dans


l'étude de nos antiquités juridiques. Il enseigna le droit non seulement à l'École des Chartes mais encore au Collège de France comme suppléant de Laboulaye. Il fut un des fondateurs et un des rédacteurs habituels de la Revue historique du Droit français.

Parmi ses nombreuses publications, on remarque le Recueil général des formules employées dans l'empire des Francs, du au X' siècle, et le Liber diurnus des pontifes romains qui parut en 1880 et dont nous avons donné un compte-rendu détaillé dans le Bulletin. La magistrale introduction qui précède le texte est l'œuvre capitale de M. de Rozières, dont le rôle scientifique a êté indiqué avec une grande précision le 19 juin par le président de l'Académie des' Inscriptions et BellesLettres, M. Selilumberger.

C'est en 1866 que M. de Rozières, qui était alors inspecteur général des Archives, fut notre directeur. Le discours qu'il prononça à la séance publique/a été ainsi apprécié par M. de la Sicotière « 1866. Directeur, M. Eugène de Rozières, « membre de l'Institut, inspecteur général des « Archives, aujourd'hui sénateur.

« Intéressant et remarquable discours sur les « services que l'histoire du droit ancien rend à « l'étude et à l'application du droit moderne. Im« portance capitale, à ce point de vue, de cet an« cien grand Coutumier de Normandie, mieux


« connu,- disait-il avec une malice spirituelle, des « bibliophiles que des jurisconsultes ».

Le 8 juin dernier nous apprenions la mort de l'un de nos confrères les plus estimés, M. AlfredAlexandre de Grandclos, décédé chez son gendre, M. le Tourneur d'Ison, au château de Coupigny, à l'âge de 65 ans.

M. de Grandclos était un humaniste distingué, très au courant du mouvement littéraire de notre époque et très versé dans la connaissance des classiques latins. De toutes ces réminiscences, sa conversation prenait un tour piquant et un agrément particulier. Dans les recherches monumentales, ce qui le touchait, surtout, c'était le côté artistique, et, sur ce point qui a bien son importance, il intervint souvent dans nos discussions et nous apporta un contingent sérieux d'observations. Il faisait partie de notre Société depuis le 8 mai 1882. La mort de cet excellent confrère a laissé parmi nous d'unanimes et très vifs regrets. M. le comte de Sainte-Marie, après avoir pris sa retraite comme receveur particulier des finances, était venu, en 1888, se fixer dans son château de Laize-la-Ville, et dès le 3 mai 1889 il était admis dans notre Compagnie comme membre titulaire. Bien qu'il n'ait rien publié à notre connaissance, il avait un goût prononcé pour les études archéolo-


giques et était fort au courant de l'état actuel de la science et des découvertes récentes. C'est pour un des siens qu'avait été décoré ce curieux château de Quilly, qui a trouvé, dans M. Pellerin, son historien.

Notre confrère, qui était aussi modeste que distingué, a été frappé par la mort le 18 octobre. Il était âgé de 63 ans.

Le 24 octobre, dans le même mois, nous avions la douleur de perdre M. Louis-Edmond d'Arodes de Tailly. Après avoir dignement rempli les fonctions de vice-président du Conseil de préfecture pendant de longues années, M. de Tailly avait honoré la fin de sa vie en se consacrant, avec un entier dévouement, aux œuvres de charité et de bienfaisance. Bien qu'il fût gravement atteint, il resta jusqu'à la fin l'un des membres les plus assidus à nos séances, témoignant ainsi de l'intérêt qu'il prenait ànos recherches et s'associant à nos efforts pour la défense et la conservation des monuments de notre art français,

M. de Tailly était âgé de 72 ans; il faisait partie de notre Société depuis le 3 mai 1878.

Le 15 juillet, à la suite d'une longue maladie, une mort brusque et imprévue nous enlevait M. Carel, alors qu'on reprenait espoir autour de lui et que l'on pouvait croire qu'il touchait à la convalescence.


M. Carel, dont il m'est impossible de prononcer ici le nom sans émotion, était âgé de 63 ans. Ce n'était pas un antiquaire, mais il avait trop de portée dans l'esprit et une culture intellectuelle trop large et trop complète pour ne pas comprendre l'importance des études historiques et archéologiques. Il s'était d'ailleurs rangé dès le début parmi les plus fervents adeptes des idées de décentralisation, ne se contentant pas d'en parler comme bien d'autres le font, mais prouvant la sincérité de ses convictions par des actes. C'est ainsi qu'il apportait, sans compter, avec l'expression de ses sentiments de sympathie, le concours de ses souscriptions personnelles à toutes les œuvres indépendantes qui lui paraissaient propres à secouer la torpeur des esprits et à favoriser le progrès de la science en province. Sur ce point, il partageait la manière de voir d'un des plus nobles esprits de notre temps, Jules Simon, qui s'était affilié à la plupart des Sociétés savantes de la Bretagne et qui resta même jusqu'à la fin de sa vie membre titulaire de quelques Sociétés normandes. C'est sous l'empire de sentiments analogues que M. Carel entra dans notre Compagnie en 1855 et en accepta la présidence en 1872, dérobant ainsi, pour nous les consacrer, quelques instants aux occupations impérieuses dont il était accablé.

Avant tout, et nous n'apprendrons ici rien à personne, M. C'tpI était un avocat, mais c'était un


avocat incomparable. Sur le terrain judiciaire, il était l'un des maitres de la parole contemporaine. Il était à la hauteur de toutes les causes il n'avait à redouter la comparaison avec aucun adversaire. C'est une justice qu'on lui rendait partout, à Paris aussi bien que dans les barreaux de nos grandes villes de province. Comme le disait autrefois Cosmenin d'un autre orateur « La nature l'avait traité en favori. Elle lui avait donné une prestance superbe, le geste noble, la physionomie expressive et, par dessus tout, la voix au timbre d'or, cette première des beautés pour les acteurs et les orateurs ». A ces qualités extérieures, M. Carel joignait l'éloquence la plus sincère, la plus émue, la plus communicative. Il avait la force et il avait le charme.

Par un préjugé qui était assez répandu quand il débuta au barreau, quelques personnes étaient portées à assigner à la langue du droit des formules d'une barbarie surannée et à confondre l'obscurité avec la profondeur. Par son exemple, M. Carel a contribué, pour sa part, à dissiper ces vues fausses et étroites en exposant à la barre, dans les termes les plus corrects, les plus simples et les plus clairs, les théories les plus ardues, les détails de procédure les plus compliqués. Le jurisconsulte, ce qui se rencontre rarement, était chez lui à la hauteur de l'orateur; le professeur ne le cédait en rien à l'avocat.


Faut-il ajouter que, toute sa vie, M. Carel fut l'Homme du devoir, et que jamais personne ne porta plus loin les légitimes susceptibilités de l'honneur professionnel.

Nous n'en dirons pas davantage. La presse, sans distinction d'opinion, a loué comme il convenait celui que l'on a appelé justement le grand Caennais. A l'audience de rentrée de la Cour d'appel, M. l'avocat général Vaudrus dans une autre enceinte, M. Mabilleau et AI. Laisné des Hayes ont exprimé les regrets de tous en termes qui ont été justement remarqués. Dans quelques jours, à l'ouverture de la Conférence des avocats stagiaires, le bâtonnier des avocats, M. Guillouard, dira à son tour, avec la compétence et l'autorité qui lui appartiennent, ce que fut la vie de cet homme éminent, qui peut être proposé comme un modèle, et qui a porté si haut la réputation du barreau de notre ville. Nous ne pourrions rien ajouter à ces hommages, mais nous avons cru qu'il était permis au secrétaire de la Société des Antiquaires, qui n'a pas oublié les impressions anciennes du magistrat, de saluer ici, avec une profonde sympathie, la mémoire de ce confrère, qui fut en même temps un grand avocat, une âme généreuse et un homme de bien.

C'est assez tardivement que nous avons été informé"» de la mort de M. Charles Vasseur, décédé


au château de Siorac (Dordogne), dans le courant du mois de février dernier. Les feuilles locales qui nous ont été adressées témoignent des regrets qu'il a laissés et de la considération dont il était entouré. Proche parent de Raymond Bordeaux, ami intime de Georges Bouet, Charles Vasseur ne tarda pas à marcher sur les traces de ces habiles archéologues. Ses publications sont nombreuses et concernent presque toutes l'arrondissement de Lisieux, son pays natal. Nous citerons

Quelques réflexions sur l'enceinte gallo-romaine de Lisieux; Recherches sur les léproseries de Saint-Clair et de Saint-Biaise à Lisieux; Notes historiques sur l'Hôtel-Dieu et les Mathurins de Lisieux; Études historiques et archéologiques sur la cathéd?'alc de Lisieux; Les archives municipales de Lisieux. Il faut y joindre des travaux exclusivement historiques l'Ermitage de SaintCristophlc; les Moulins féodaux; – la Charité de Surville et un certain nombre de comptesrendus d'excursions et de biographies Les "peintures d'Auvillars – Trois jours à travers champs; De Lisieux à Pont-Audemer, itinéraire pour les archéologues de l'Association Normande; De Normandie en Nivernais; Notices sur le docteur Billon, l'ami des cloches et des clochers; Nolice sur Raymond Bordeaux.

M. Vasseur a un autre titre à notre reconnaissance. Nous ne saurions, en effet, oublier qu'il a


collaboré de la manière la plus active et la plus utile aux deux derniers volumes de la Statistique monumentale du Calvados de M. de Caumont. Il suffit, notamment, de comparer le cinquième volume, relatif à Lisieux, avec les volumes précédents, pour se rendre compte de l'importance de la contribution en observations de toutes sortes et en renseignements divers que Charles Vasseur avait apportés au grand archéologue.

Notre confrère était né à Lisieux le 11 avril 1831 il faisait partie de notre Société depuis le 26 mars 1863.

Il y avait plus d'un trait de ressemblance entre M. Charles Vasseur et M. Desprairies, qui nous a été enlevé dans la force de l'âge et du talent le 7 août dernier. Tous deux avaient la même ardeur au travail, le même goût de l'information exacte tous deux aimaient à remonter aux sources et à consulter les documents originaux.

M. Desprairies, connu déjà par quelques essais historiques, n'était encore que clerc de notaire lorsqu'il fut reçu dans notre Société. Depuis, il avait acheté une étude à Carentan et n'avait pas tardé à se faire, dans cette ville, une situation considérable par sa capacité et son honorabilité. Nous avons publié de lui des mémoires sur les Assemblées du général de la parole dans le Colentin, et sur VÉtal de l'Instruction primaire wus VAndcn Régime aux evrimns de Carentan.


Tout récemment, il nous avait envoyé un travail fort bien fait et très complet sur les diverses marques du papier dans la généralité de Caen. Au Congrès de l'Association Normande, tenu en 1895, à Carentan, M. Vasseur avait pris une part justement remarquée aux enquêtes historiques et archéologiques.

M. Desprairies nous avait déjà donné beaucoup; nous étions en droit d'attendre davantage de cet esprit appliqué et judicieux. La mort est venue briser ces espérances. M. Desprairies était âgé de 45 ans.

Gustave Le Vavasseur était né à Argentan le 9 novembre 1819. Il était fils de Michel Le Vavasseur, inspecteur d'Enregistrement, et de MarieCélestine Renault de la Rênaudière, femme supérieure par l'esprit et par le cœur qui devait exercer sur son fils la plus heureuse, la plus décisive influence. L'enfaul commença ses études au collège d'Argentan, dont il avait gardé bon souvenir et où il se lia avec Philippe de Chennevières le futur directeur des Beaux-Arts il les continua avec grand succès à Juilly et il vint faire son droit à Paris, dans cette étrange pension Bailly où il rencontra Ernest Prarond, le poète d'Abbeville, Dozon plus connu sous le pseudonyme de d'Argenne, et Baudelaire qui songeait déjà aux Fleurs du Mal. L'amour de la rime les rapprocha si bien qu'il s'en


fallut de très peu que l'on ne vit paraître un volume de vers portant réunies ces quatre signatures. Au dernier moment, Baudelaire se récusa. Les détails de cette rencontre ont été ainsi racontés par Gustave Le Vavasseur

« Là aussi se trouvait Ernest Prarond, venu t d'Abbeville. Prarond faisait des vers, moi aussi; « nous nous liâmes d'amitié tendre, surtout Bau« delaire et moi. Cela devait être, ayant les goûts « les plus différents les allures les plus dissem« blables et l'aspect extérieur le plus complè« tement opposé.

« Il était brun, moi blond, de taille moyenne, « moi tout petit, maigre comme une ascète, lui « gras comme un chanoine, propre comme une « hermine, moi négligé comme un caniche, mis « comme un secrétaire d'ambassade anglaise, moi « comme un vendeur de contre-marques, réservé, « moi bruyant, libertin par curiosité, moi sage « par indolence, païen par réyolte, moi chrétien par « obéissance, caustique, moi indulgent, se tourmen« tant l'esprit pour se moquer de son cœur, moi « laissant les deux trottiner comme une attelée ». Le passage est à retenir. Avec le temps, certains traits de ce portrait s'étaient modifiés. Quand j'ai connu Le Vavasseur, il y avait belle heure que ses cheveux n'étaient plus blonds, et je dois avouer que la tenue soignée du châtelain de la Londe, conseiller général de son canton, sentait son grand


propriétaire et rappelait fort peu celle de l'étudiant romantique de 1839 mais malgré ces changements purement extérieurs, le fond était resté sensiblement le même, si bien que le poète continua à rêver tranquillement au gré de sa fantaisie comme autrefois, en laissant trottiner dans une attelée son cœur et son esprit. Il ne s'en est pas trouvé plus mal.

Mais Le Vavasseur, ce qui étonnera peut-être bien des personnes qui m'écoutent, a fait autre chose que des vers. Après une Vie de Pierre Corneille, qui date de 1843, il a donné successivement une Notice sur les trois frères Eudes des études sur quelques petits poètes normands contemporains de Malherbe, sur le rôle de quelques poètes pendant les guerres de Religion, sur les dramatiques ornais; des biographies d'Horteiise Desjardins et de Bertaut; des critiques d'art à propos d'oeuvres de sculpture et de peinture exposées aux Salons par des artistes normands des comptes-rendus, des dissertations philologiques: Il faut ajouter, à cette énumération, des romans, sans grande intrigue peut-être, mais qui révèlent de remarquables qualités d'observation Dans les herbages, qui a été couronné par l'Académie française la Vengeance d'Ursule, que l'auteur aimait davantage et qui eût moins de succès Les vingt-huit jours du caporal Ballandard, en collaboration avec Paul Harel, pochade amusante empruntée à la vie des


réservistes. Quant aux articles disséminés un peu partout, nous ne chercherons pas même à les indiquer, pas plus que les journaux, revues et almanachs que notre ami fonda ou soutint de son argent ou de sa plume.

C'est par acquit de conscience que nous sommes entrés dans ces détails on ne courrait pas, en effet, grand risque de se tromper, en affirmant que c'est surtout comme pcHe que Le Vavasseur verra son nom passer la postérité.

Nous n'ignorons pas que des critiques professionnels, aristarques sévères, ont parfois regretté qu'il ait attaché tant d'importance aux toasts et aux vers composés pour des réunions académiques. Il serait juste de faire observer que le toast, comme le comprenait Le Vavasseur, avec les développements moraux, économiques et fantaisistes qu'il avait l'habitude d'y introduire, avait une physionomie à part et une valeur spéciale que l'on ne saurait méconnaître. C'était un petit domaine où notre compatriote régnait sans conteste et dont le sceptre, ne passera maintenant à personne. Il faut avoir assisté aux banquets agricoles ou aux séances des Sociétés savantes, dont ses vers formaient en général le plus grand attrait, pour se faire une idée de la fascination qu'il exerçait. Lorsqu'après le. défilé des dissertations scientifiques ou des toasts officiels Le Vavasseur se levait à son tour, les applaudissements éclataient avant même qu'il


eût ouvert, la bouche ils soulignaient, pour ainsi dire, chacune de ses strophes, et se transformaient, aux derniers vers, en une véritable ovation. Comme on l'a justement remarqué, par le fait de sa venue, ce petit homme, qui était un grand poète et un merveilleux diseur, avait tout transformé autour de lui en jetant sur un fond parfois terne et morose les fleurs largement épanouies de ses rythmes éclatantes. Nous serions inexcusables si nous avions oublié ces belles séances où il nous lisait La Juslice de Rollon, Sonnets rustiques, Inscriptions et Belles-Lettres, Éphémérides normandes, Épîlre aux vivants et aux morts, Fin d'automne, et ce magnifique récit, aux allures d'épopée, dans lequel passe un souffle héroïque La dame des Tourailles, que nous entendions, pour la première fois, le 28 novembre 1889, et qui fut accueilli avec un indescriptible enthousiasme.

Mais, s'il n'y a pas lieu d'écarter du recueil de Le Vavasseur les toasts et autres pièces du même genre, nous nous hâtons d'ajouter qu'il y a autre chose que cela dans son œuvre. Le poète a promené sa muse dans bien des pays, et c'est aux sources les plus diverses qu'il est allé chercher ses inspirations.

Qnelle distance entre ce badinage galant Dnns le Jardin de l'Évèché,

Buckingham vit-il la reine Anne? i


ou les variations brillantes sur le Pont d'Avignon, et ce sonnet religieux, d'une superbe envolée, intitulé Assomption 1 Quelle gerbe délicieuse on ferait de toutes ces compositions aux formes multiples, épîtres et ballades d'une forme si achevée et imprégnées d'une tendre sympathie pour les petits, pour les humbles, pour les miséreux. Il y a là tout un large courant d'apitoiement chrétien et de solidarité charitable que l'on ne saurait trop remarquer et qui, chez Le Vavasseur, alla toujours en se développant

Mais quand on va au fond des choses et que l'on veut préciser, on reconnaît aisément que ce poète à tendances humanitaires et philanthropiques est essentiellement un poète rural, normand et normandissime, par-dessus le marché, comme le disait récemment le rédacteur du journal protestant le Signal. Ernest Millet, l'un des meilleurs élèves de Le Vavasseur, ne s'y est pas trompé. La plupart des critiques ont exprimé le même sentiment. « Notre ami, écrivait La Sicotière, sera le « Brizeux de la Normandie. Ce don de surprendre « et de manifester l'âme des choses, que possé« daient à un .si haut degré les maîtres flamands « et qui fait la gloire de nos paysagistes français, « ce n'est pas seulement à la description des lieux « et des monuments qu'il l'applique. Ses peintures « d'hommes, d'animaux, ses scènes d'intérieur, « ses tableaux de la vie rustique, ont le même


« mérite, le même coloris, la même profondeur, « comme la même vigueur et la même finesse « d'exécution. Relisez donc ses sonnets sur la « terre, sur le blé, sur le fumier. Sainte-Beuve les « aurait magnifiquement goûtés I »

Il est impossible de voir plus juste et de mieux dire.

Comme M. de La Sicotière beaucoup d'écrivains, à propos de Le Vavasseur, ont prononcé le nom de Brizeux. Il ne pouvait, en effet, en être autrement. La comparaison entre les deux poètes s'impose. Il importe pourtant de remarquer que si le poète breton a chanté les paysans de l'Armorique, il a aussi chanté Marie. Le Vavasseur, plus exclusif, n'a jamais chanté que les paysans de sa province il n'y a pas de Marie dans ses vers. Pour cela l'émotion n'est pas absente de ses poésies, les nobles pensées pas davantage mais pensées et émotions jaillissent du sol même et du spectacle de la vie rurale prise sur le vif, sans vaine déclamation, sans sentimentalisme affadissant. Personne ne s'est inspiré plus profondément du relief, du coloris, de la senteur de la terre normande. Ce raffiné de la forme, ce styliste dont la prestesse technique faisait l'admiration de Banville et de Baudelaire, est un rural pour de bon, vivant en intime et profonde familiarité avec la terre. Ce caractère est tellement saisissant que tout le monde en a été frappé, et c'est là, peut-être, la


grande originalité de Le Vavasseur, le secret de l'influence qu'il a exercée.

Le poète normand a, en effet, fait école. Il a groupé autour de lui une véritable phalange de poètes ornais Paul Harel Germain Lacour Charles Pitou Ernest Millet Florentin Loriot Wilfrid Challemel, Achille Paysant et beaucoup d'autres.

Jamais le département n'avait présenté une pareille réunion de chanteurs et, à la fin de ce siècle, il nous a été donné de voir naître une nouvelle pléiade. Gustave Le Vavasseur s'est trouvé, du coup, chef d'école, et c'est à ce titre qu'il a été fêté et célébré en vers et en prose, en vers surtout, dans un festin solennel, présidé par le duc d'Audiffred-Pasquier, auquel assistaient, avec La Sicotière, tous les jeunes poètes ses disciples et ses amis. Ça été son triomphe officiel et ses noces d'or.

Le Vavasseur ne songea qu'assez tard à donner une édition de ses œuvres complètes jusque dans ces derniers temps ses vers avaient été disséminés en volumes de formats différents ou dans des tirages à part de revues, de mémoires de Sociétés savantes, de journaux ou même d'almanachs. Les quatre premiers volumes de cette édition définitive parurent assez rapidement l'impression du cinquième ne fut terminée que dans les premiers mois de cette année. A cette date, il était déjà


gravement malade il n'en mettait que plus d'ardeur à achever l'entreprise.

Au mois de février, il m'écrivait d'Amiens « L'impression de mon cinquième volume va « doucement j'ai encore une dizaine de feuilles « à corriger, .mais j'espère toujours arriver en « mars ».

Le délai ne fut pas sensiblement dépassé et, dès le mois de mai, j'étais en possession du précieux volume. J'en rendis compte immédiatement, et, comme l'Annuaire où l'article avait été inséré ne devait paraître que beaucoup plus tard, je lui envoyai les bonnes feuilles à La Lande-de-Lougé. La réponse ne se fit pas attendre. Le 7 août, je recevais la lettre suivante, que je crois devoir reproduire, parce qu'elle nous renseigne sur son état de santé, sur sa force d'âme, et aussi sur ses pressentiments.

« La Lande-de-Lougé, 6 août 1896.

« Mon CHER Ami,

« Je reçois le tronçon d'Annuaire. Ce n'est « qu'après l'avoir flairé, retourné et autopsié, que « j'ai trouvé la moelle de l'os.

« Merci mille fois de l'oraison. Est-ce une épi« taphe ? Qui sait ? Et quand ce serait, merci tout « de même et surtout.


« J'allais bien. Je déconcertais la faculté et mon « médecin m'avait complimenté d'un état qui, non« seulement, constituait pour lui un modus vivendi « fort acceptable, mais presque une convalescence, « lorsqu'en compagnie fort agréable et fort res« pectable d'ailleurs, je suis allé, l'autre vendredi, « subir une averse dans les allées de mon bois. « Cette promenade malencontreuse détermina le « retour du mal, qui tomba sur ma pauvre car« casse comme un prophète sur une ânesse. « Je ne suis encore qu'à moitié remis et je tâte « le sentier de la vie comme un chat qui marche « sur la crête d'un toit.

« Le Conseil général se rassemble lundi en huit. « Pourrai-je y aller? y faire même une simple ap« parition ? J'en doute, et cela me chiffonne. En « tout cas, je ferai. pour y montrer mon nez le « possible, et j'irai aussi loin que je le pourrai, « jusqu'au bout du chemin de la prudence. Si je « reste chez moi, ce sera contraint et par ordon« nance du médecin. Si je risque l'aventure, j'en « reviendrai peut-être malade, probablement fati« gué et incapable d'un nouvel effort. C'est vous « dire qu'il me semble chimérique de compter sur « moi ».

Et, après sa signature, il ajoutait

« Mente et corde valens quamvis sim corpore languem. » l'ar scrupule de conscience, il se rendit au Cuu-


seil général, mais il dut renoncer au Congrès de Vire. Toutefois, par une délicate attention, il tint à écrire le toast en vers qu'il eût prononcé et à nous l'adresser comme un souvenir ou comme un adieu.

Cette poésie était accompagnée de ce billet « Mon bien cher et très honoré Directeur,

« Je pars demain pour le Conseil général. Bien « que je ne compte y rester que deux jours et « n'aller picorer chez personne, c'est un ennui « pour moi, et sans un certain respect pour le « devoir et l'accomplissement d'un mandat, je res« terais chez moi. Il est donc chimérique de penser « que je puisse m'échapper, fût-ce un jour, pour « aller à Vire. Je sens que l'on me défendra cette « escapade et que j'obéirai de peur de reproches. « A tout hasard, je vous envoie mon toast. Vous « le garderez en portefeuille ou vous le lirez, à « votre choix. Il est un peu nébuleux. Mais je suis « déjà bien fier d'avoir retrouvé assez de verve « pour le mener à bien, sans dégoût et sans « fatigue ».

Ce toast fut lu au banquet du 29 par M. de Longuemare et accueilli parles plus chaleureux applaudissements mais, pendant ce temps, la maladie implacable suivait son cours, ainsi que notre con-



frère prenait lui-même la peine de m'en informer le 1er septembre.

« Mon cher ami, la Providence qui arrange « toute chose à son gré et le moins mal quand elle « ne juge pas à propos de donner le mieux, ne « croyait pas ma présence utile à Vire, car, avec la « pluie et l'humidité, elle m'a envoyé la plus belle « crise de troubles gastriques, pimentée de rhuma« tismes. J'en suis encore abasourdi, ahuri, as« sommé, et hier. j'aurais été incapable de vous « écrire. Aujourd'hui, je suis vide comme un « discours de distribution de prix, et mon médecin « fait la navette de Briouze à La Lande. Je com« mence à comprendre la morphinomanie, palliatif « agréable et décevant qui laisse le soulagé dans « un demi-coma dont il a peine à se relever. « Assez sur moi.. La prochaine sera moins lu« gubre ».

Cette lettre devait être la dernière. Neuf jours après, une crise foudroyante, cette fois, enlevait le grand poète et plongeait dans le deuil le monde lettré de Normandie.

Le toast de Vire est la dernière production de Gustave Le Vavasseur. Les vers adressés à M. Charles Pitou, pour l'inauguration du monument de Rémi Belleau, sont antérieurs dune quinzaine de jours. Le toast a été écrit dans un moment d'accalmie passagère, entre deux crises, dans la nuance H'ins-


piration doucement résignée qui règne dans quelques-unes de ses lettres et dans certaines pièces de son dernier volume. Vers de vieillesse, disait-il, qui ont le parfum des fleurs d'arrière-saison. Dans la poésie qui porte ce titre significatif Ultima Verba, et qui clôt le cinquième volume, on lit cette déclaration caractéristique

C'est ainsi que mon âme et mes sens sont d'accord Et que le serviteur obéit à son maître.

Il travaille, dût-il succomber à l'effort.

Et quand on vous dira, sans grand regret peut-être, Le poète se tait. Répondez Il est mort

Voici maintenant, en regard, la strophe finale du toast de Vire

On descend la vie en rimant,

Des vaux de Vire aux vaux de Bures,

Sous l'œil de Dieu tranquillement

On descend la vie en rimant,

Et jusqu'au seuil du monument

On boit aux vendanges futures.

Il est doux d'aller en rimant

Des vaux de Vire aux vaux de Bures.

Le poète a tenu parole la douleur n'a pas réussi à sceller ses lèvres et, jusqu'au seuil du monument, avec une sérénité tranquille, 'il est resté fidèle au culte des muses et de l'idéal sacré.


NOTICE

SUR

Un Tableau du Musée d'Avranches Par M. Ch. de BEAUREPAIRE

>*<

Parmi les documents les plus intéressants à consulter pour l'histoire d'une ville il faut ranger les plans, qui en font connaître la topographie, et les tableaux, dessins ou gravures, qui en représentent les principaux édifices.

Pour Avranches, je crains qu'il n'ait point été conservé de plan qu'on puisse dire véritablement ancien car je n'oserais qualifier de tel celui que le hasard me fit rencontrer, un jour, chez un libraire du pays, et qu'à défaut d'un meilleur, je considère comme assez précieux. Il n'est, en effet, antérieur que de peu d'années à 1776, époque où l'on ouvrit la route de Bretagne, qui, dans son parcours sur le territoire de cette ville, porte le nom de rue de la Constitution, et le long de laquelle s'alignent des maisons bien bâties et confortables, contrastant,


par leurs dimensions et par le caractére de leur construction, avec celles des anciens quartiers. Mais si cette ville est mal partagée en fait de plans, elle a droit, en revanche, de s'estimer heureuse de posséder un tableau qui n'a point d'analogue dans les musées de beaucoup de villes plus considérables. Il est daté de 1649, et nous offre la vue de ce qu'était alors Avranches dans la partie de son enceinte fortifiée, à laquelle se rattachent le plus de souvenirs historiques.

Le tableau en question est signé Les Papillons, nom auquel l'artiste a joint, comme merc ou marque, un papillon volant. C'est ce qui a fait croire jusqu'à ce jour (et il n'y avait guère moyen de se former une autre opinion) que Les Papillons était un nom d'homme. C'est cependant une erreur. Les registres du tabellionnage d'Avranches, que M. Leconte-Laprairie m'a permis de compulser, m'ont révélé le nom patronymique du peintre, nom tout différent de Les Papillons, lequel devait désigner une propriété aux environs d'Avranches, d'acquisition récente, certainement de faible importance, mais cependant assez chère à son possesseur pour qu'il s'en qualifiât de sieur dans des actes officiels. ne crois pas qu'en cela il affectât une singularité ridicule. Qu'on possédât, en effet, quelques vergées de terre ou un grand domaine, qu'on fût noble, bourgeois ou paysan, on était sieur de son bien et conséquemment autorisé à en prendre le nom


sans prétention aristocratique (sentiment étranger aux gens de la campagne), mais simplement par estime de la propriété, peut-être aussi par l'avantage qu'on trouvait à distinguer ainsi les différentes branches des familles, dans un pays ou, adonnées, commes elles l'étaient, exclusivement aux travaux des champs, elles n'avaient guère moyen de s'éloigner de leur lieu d'origine. Il suffit, du reste, pour constater la généralité de cet usage et aussi pour comprendre sa raison d'être, de feuilleter les registres des anciens tabellions. Notre peintre n'avait fait que s'y conformer en se disant sieur des Papillons, de même qu'il avait suivi l'exemple de beaucoup de ses confrères en adoptant un papillon comme marque, en guise d'armoiries. De son nom véritable, il s'appelait Nicolas Gravier. Il n'était pas originaire d'Avranches. Mais on peut considérer qu'il y acquit droit de bourgeoisie en s'y fixant à demeure, en s'y mariant avec une fille du pays, et en y faisant souche d'une famille dont il ne serait peut-être pas difficile de retrouver les représentants actuels. C'est là ce qui résulte clairement de quelques actes notariés dont je me bornerai à donner ici une courte analyse

14 février 1649, traité de mariage entre Nicolas Gravyer, peintre, natif d'Orléans, tils de défunt Nicolas Gravyer et de Marthe Le Lièvre, originaires de la ville d'Orléans, et honneste fille Marie Iluard, fille et héri-


tière, en sa partie, de défunt Jean Huard, sieur de la Fardinière, et de Catherine Auvray. Présents Charles Périer, chanoine de la cathédrale Jean Huard, sieur de Plainemare François Huard, sieur du Chastelier, frères de la dite Marie Gédéon Bellier, Nicolas Gaudin, écuyer, sieur de Beaumont, lieutenant général criminel du bailli de Cotentin en la vicomté d'Avranches. Signature de N. Gravyer, merc de la dite Huard, future épouse, et autres signatures.

(Contrat reconnu devant notaires, le 8 juillet 1649, date à laquelle il est classé).

25 avril 1651, accord entre Nicolas Gravier, peintre, sieur des Papillons, ayant épousé demoiselle Marie Huard, et Gédéon Bellier, sieur des Vergées, ayant épousé damoiselle Françoise Huard, sœur de la dite Marie. Signatures de N. Gravier et de Bellier. 11 décembre 1671, traité de mariage entre Gidon (pour Gédéon) Gravier, fils de défunt Nicolas Gravier et de damoiselle Marie Huard, d'Avranches, d'une part, et honnête femme Jeanne Esnault, fille de défunt Jean Esnault et d'Elisabeth Thomas, et veuve de feu Jean Herpès (ou Harpes), maître étamier résidant à Avranches, originaire de Villedieu, d'autre part. Signature de Gravier. Marques de Marie Huard et de Jeanne Esnault.

1" avril 1672, acte par lequel Gédéon Gravier, bourgeois d'Avranches, fils et seul héritier de défunt Nicolas Gravier et de Marie Huard, en cette qualité et comme se disant avancé en la' succession de la dite Huard, dis-


pose d'une rente hypothécaire de 22 1. 10 s. sur la succession de défunt Gédéon Bellier, son oncle par alliance, et vraisemblablement son parrain, à en juger par l'identité de leurs noms de baptême.

On voit, par ces actes, que Nicolas Gravier était décédé antérieurement au 11 décembre 1671, qu'il n'avait laissé pour enfant qu'un fils, Gédéon, issu de son mariage -avec Marie Huard, laquelle lui avait survécu.

Les noms et les qualités des témoins qui avaient signé à son contrat de mariage nous autorisent à penser qu'il n'était pas sans jouir d'une certaine considération dans la ville où il était venu s'établir. Le seul tableau de lui que nous connaissions, précieux pour nous principalement comme document historique, parait avoir été fait sur commande de l'évêque d'Avranches, Roger d'Aumont, et pour servir à la décoration d'une des salles de l'évêché. Aussi le peintre s'était-il préoccupé de représenter à peu près uniquement la cathédrale et l'hôtel épiscopal avec ses jardins, bornés par la place Baudange, nommée, aujourd'hui, place Littré, au grand regret de ceux qui, sans méconnaître les titres des hommes marquants à la gratitude de leurs concitoyens, attachent quelque prix à des désignations que leur longue durée a rendues respectables. La vue avait été prise d'un des jardins situés au-dessus de la rue Sauguière (encore un


nom mal à propos sacrifié), entre la rue des Courtils et le boulevard de l'Ouest (ancienne rue des Capucins), au lieu dit Holbiche, surtout connu parce que ce fut de là que le duc de Montpensier, gouverneur de la Normandie, fit, en 1591, tirer le canon sur la cathédrale, afin de venir à bout de la résistance de l'évêque Péricard, l'un des plus chauds partisans de la Ligue contre Henri IV. Il est aisé de vérifier que, pour tout ce qui est de l'évêché et de ses dépendances, le tableau de Gravier est d'une exactitude parfaite.

On remarque, sur le premier plan, une maison dont une partie subsiste encore sur la rue Sauguière et se trouve comprise dans la propriété de M. Jourdan, ancien notaire.

Mention en est faite incidemment, dans un contrat du 18 décembre 1628, par lequel l'évêque d'Avranches, François Péricard, fieffe à rente et pour y bâtir, à Julien Guérin, sieur de la Costardière, avocat du Roi au bailliage d'Avranches, 12 à 13 pieds de terre en carré à prendre au jardin du Vieil Evêché, proche et joignant la maison dudit Guérin et celle du secrétaire dudit sieur. Cette désignation de Vieil Evêché n'est pas indifférente (1) Elle permet de conjecturer qu'antérieurement à la donation faite par saint Louis à l'évèque d'Avranches des fossés de la ville pour en faire des jardins, nos (1) Tabellionnage d'Avranches.


évêques possédaient, le long de la rue Sauguière, un manoir plus agréable que ne devait l'être l'hôtel épiscopal, resserré, comme on sait, entre la cathédrale et les remparts dont il faisait en quelque sorte partie.

On distingue encore, dans le tableau de Gravier, deux tourelles qui accompagnent le toit assez élancé de l'hôtel épiscopal du côté des jardins. Ces tourelles ont disparu, et le toit qui -se présente de nos jours n'a plus son élévation primitive, ce qui est assez dire qu'il a beaucoup perdu de son élégance. Ce changement, nécessité sans doute par le mauvais état de la construction, doit être rapporté àl'épiscopat de Mgr de Malide. Je trouve, en effet, que ce prélat se fit autoriser, par lettres-patentes du 24 mars 1768, vérifiées au mois de juin suivant, à faire démolir le toit, les trois tourelles de la maison de l'évêché, le château et autres bâtiments (1). Je suppose que, par le château à démolir, il faut entendre les constructions qui s'appuyaient sur la haute muraille qui allait de la tour de l'évêché à la tour de la porte Baudange, muraille plus tard notablement abaissée, et au» pied de laquelle on forma une allée de tilleuls qui subsiste encore.

Après la cathédrale, cette porte était l'édifice le plus connu de la ville, et il est à regretter qu'elle ne fût pas placée de manière à figurer dans le tableau (1) Arch. de la Seine-Inférieure. F. du Parlement.


de Gravier. Des actes nombreux la signalent comme le point de départ de la rue qui conduisait au puits de Livet, d'une autre qui conduisait au carrefour de Saint-Saturnin, à Notre-Dame-des-Champs et au Palet, d'une troisième qui menait à Sauguière, d'une quatrième qui passait le long des fossés, se rendait au carrefour de la Pomme-d'Or et venait aboutir à la porte de Ponts (1).

L'espace vide que, dans les derniers temps, on désignait sous le nom de place Baudange, sorte de (1) Rue tendant de la porte Baudange au carrefour de Livet, 24 sept. 1616, 2 nov. 1631, 17 mai 1633 rue tendant de la porte Baudange à Saint-Saturnin, 26 sept. 1614, 6 juin 1615; allant de devant la porte Baudange au Palet, 7 nov.1621, 3 déc. 1629 à Notre-Dame-des-Champs, 26 janv. 1630, 12 déc. 1653; au Pot d'Estain, 29 juillet, 30 oct. 1617; de la porte Baudange au grand marché par la Pomme d'Or, 18 juillet 1628; au grand marché, 29 août 1636, 23 août 1651 d'au devant de la porte Baudenge au carrefour de la Pomme d'Or, 17 avril 1653, 29 mars 1656, 22 janvier 1657 à la porte de Ponts, 12 mars 1625, 16 avril 1626, 23 mars 1651, dernier août 1653, 29 mars 1656. Rue tendant de la porte Baudenge à Sauguere, 17 déc. 1579 chemin tendant de la porte Baudenge à Pont Gilbert, 20 déc. même année (Tabellion. d'Avranches).

Pour avoir été quérir en la conciergerie du bailliage la personne de Jean Godard, l'avoir conduit et mené hors de la porte Baudenge et l'avoir lié et attaché au collier l'espace de 3 heures ». Compte du Domaine de la Vicomté d'Avranches, 1651 (Arch. de la Seine-Inférieure. F. de la Chambre des Comptes).



baile comme il en existait à l'entrée de tous les châteaux fortifiés, n'eut point, pendant longtemps, de nom particulier, ou, s'il en eut, à partir du milieu du xvne siècle, il l'emprunta à la porte Baudange « Le plain de devant la porte Baudange », comme on lit dans un contrat du 4 février 1615, et autres indications de même genre.

Les comptes du Domaine de la Vicomté d'Avranches, conservés aux Archives de la Seine-Inférieure (F. de la Chambre des Comptes), nous apprennent que c'était sur cette place que se faisaient les exécutions capitales. Mais les fourches patibulaires étaient aux Landes-le-Roi, en dehors de la ville, lieu assigné pour la sépulture des suppliciés. Une fontaine décorait cette place. Celle que figure le tableau de Gravier ne devait pas être ancienne. Je croirais volontiers qu'elle avait été établie par les soins du Conseil de Ville, tout récemment institué.

Jusque vers le milieu du xvii* siècle, la ville d'Avranches avait été administrée par des officiers royaux et principalement, sinon uniquement, par le Gouverneur qui était, en même temps, lieutenant du Roi au bailliage du Cotentin.

C'est ainsi que nous voyons le marquis René de Carbonnel, revêtu de cette double fonction, fieffer, pour le bien de S. M., du public et de la ville et pour les urgentes affaires qui y étaient, tant pour


la réfection des murailles que autres choses nécessaires, plusieurs places inutiles étant au-devant de la porte Baudange et notamment, le 18 janvier 1624, à un nommé Pierre Collin, marchand, « une petite portion de terre estant au costé de l'abrevoir dépendant de la ville, vis-à-vis de la maison où pendoit pour enseigne l'Image N.-D., contenant 2 perches de terre, entre l'abrevoir et le chemin allant de la porte de la ville (la porte Baudange) à la longue rue (la rue Sauguière), moyennant 15 s. de rente pour l'entretien dudit abrevoir » (1).

Mais, en 1643, les habitants d'Avranches obtinrent des lettres-patentes portant création d'une mairie et d'un échevinat (maire annuel, 4 échevins nommés de 3 ans en 3 ans) avec octroi pour la réfection de leurs portes, ponts, canaux, réparation des murailles et fontaines. Ces lettres furent enregistrées à la Chambre des Comptes, le 7 juillet 1643, et au Parlement, vers le même temps (2). En conséquence de cette constitution de municipalité, la Cour des Aides de Normandie, ayant à vérifier les lettres de confirmation de noblesse de Nicolas Gaudin, sieur de Beaumont, astreignit celui-ci à payer à la ville d'Avranches, comme droit d'indemnité, la somme de 400 1., à employer en tra(1) Tabellion. d'Avranches

(2) Arch. de la Seine-Inf. F. de la Chambre des Comptes et du Parlement.


vaux communaux. Le 20 décembre 1654, les échevins reconnaissaient l'avoir reçue de lui et l'avoir affectée, « dans leur urgente nécessité, à la réparation des ruines arrivées aux voûtes et piliers des deux premières arches du pont de pierre de la porte Baudange et au pavé entier du pont, lequel autrement fût tombé ».

Cependant, postérieurement à la création d'un hôtel-de-ville à Avranches, le Gouverneur resta chargé de l'entretien des fortifications, et ce fut pour parer à cette dépense qu'il fut autorisé à fieffer, successivement et par petites portions, les terrains qui bordaient les fossés, avec permission aux preneurs d'y bâtir des maisons de peu d'élévation, et avec cette réserve qu'elles pourraient être rasées en cas de besoin.

Les contrats de fieffe, conclus parle Gouverneur, sont nombreux. Je n'en citerai que deux. L'un est celui par lequel, le ler mars 1667, Hervé de Carbonnel baille à Jean-Jacques Fontaine, chirurgien, une portion de jardin à herbes, située proche la petite porte de la ville allant au Bourg-l'Évêque, sous la plate-forme de la ville, depuis la fontaine Saint-Aubert à venir rendre à la porte dudit jardin. Le prix de la fieffe devait être employé à la réparation des ponts et couvertures du château. Cette fontaine se voit encore sous la plate forme, près du boulevard du Nord; mais le nom deSaint-Aubert, qui lui avait été donné, ne sert plus à la désigner, et je ne saurais dire à quelle tradition il avait dû son origine.


Plus tard, et ce fut la fin de l'histoire de la forteresse, par un autre contrat, on fieffa à un particulier la porte Baudange à charge d'y loger les soldats de passage par la ville (1).

Je reviens au tableau qui fait l'objet de cette notice. A l'époque de la Révolution, il fut confisqué, compris dans le mobilier national et aliéné. Par bonheur, il tomba en des mains qui en comprirent la valeur, et, par suite du don qui en fut fait à la Ville par AI. le docteur Sauvage, homme aussi généreux qu'intelligent, il a été rétabli dans l'hôtel même pour lequel il avait été composé, c'est-àdire dans le musée d'Avranches, installé dans l'ancien évêché.

Il existe deux copies de ce tableau, l'une à Vire elle provient de la succession de M. de Bremesnil, ancien maire d'Avranches l'autre à Coutances celle-ci a été exécutée par un habile peintre d'Avranches, M. Fouqué, pour M. le chanoine Pigeon, antiquaire distingué, auteur de savantes recherches sur son pays natal. La conservation de ce précieux document est donc assurée. Elle le serait, cependant, mieux encore par de fidèles reproductions, au moyen de la gravure, de la photogravure ou de la lithographie. Les amis de notre histoire locale sont nombreux dans l'Avranchin, et il me sera permis (1) Tabellion. d'Avranches. Dès la fin du XVIe siècle, le Gouverneur louait à des particuliers les chambres au. dessus de la porte Baudange.


d'espérer que cette satisfaction leur sera un jour donnée.

J'espère aussi qu'en prêtant plus d'attention qu'on ne l'a fait jusqu'à présent aux tableaux qui décorent les contretables des églises de ce pays, on rencontrera quelque part de nouvelles signatures du peintre orléanais Nicolas Gravier. Je ne puis croire que son talent n'ait point été apprécié de ses contemporains ni que son œuvre, jusqu'à ce jour anonyme, se soit bornée à un petit nombre de toiles. Je ne pense pas, tout en me faisant une idée très avantageuse de son mérite, qu'il soit allé chercher fortune dans une autre ville plus importante et plus riche, et, par conséquent, plus favorable à la culture des arts. Il y avait à cela un obstacle presque insurmontable. Là où il y avait une jurande, les peintres-sculpteurs, formés en communauté, lui eussent opposé sa qualité d'étranger, ou l'eussent obligé à passer par un long apprentissage chez l'un d'eux avant de l'admettre aux privilèges de la maîtrise. Un débutant pouvait se soumettre à cette épreuve, mais non un artiste dont la réputation était déjà faite.

Je serais très surpris que Nicolas Gravier ne fût pas mort à Avranches ou aux environs. C'est cependant pour moi un sujet de regret de n'avoir pu découvrir son acte de décès et d'en être réduit à proposer une conjecture, qui, si plausible qu'elle me paraisse, est loin d'équivaloir à une preuve positive.


DM SCULPTLBES RELIGIEUSES DU MOYEN AGE

La Trinité de Campigny La Passion de Surrain Par M. G. VILLERS.

Beaucoup d'églises du diocèse de Bayeux, remarquables par leur architecture, due à l'excellence des matériaux, se recommandaient aussi par leurs sculptures. Le ciseau des ymagiers s'exerçait facilement sur la pierre calcaire des carrières d'Orival (près Creully), d'Allemagne (près Caen), et de la Maladrerie.

La sculpture, dans les édifices religieux, remplissait deux rôles elle décorait, elle enseignait. « Depuis le IX" siècle de notre ère, jusqu'au XVIII6, le Christianisme », a dit Didron (1), « a fait « sculpter, graver, peindre, une innombrable « quantité de statues et de figures dans les cathé(1) Didron Histoire de Dieu.


« drales, les églises de paroisse et les chapelles, « dans les collégiales, les abbayes et les prieurés. « L'instruction du peuple et l'édification des «fidèles, continue le savant archéologue, « sem« blent avoir été le but principal et général que se «proposait le Christianisme, en adoptant ce mode « curieux d'ornementation historique.

« Des textes de toutes les époques témoignent « que c'était la pe sée qui a présidé à l'exécution « et à l'ordonnance des figures et des statues qui « remplissent les monuments religieux »

Aussi, sous l'empire de cette idée, saint Jean Damascène, qui vivait au VIIIe siècle, se faisait-il l'apologiste des images. « Elles parlent, disait-il, « elles ne sont ni muettes, ni privées de vie comme «les idoles des payens. Toute image ouvre le « cœur et l'intelligence elles nous engagent à « imiter d'une façon merveilleuse et ineffable les « personnes qu'elles représentent ».

Ces scènes sculptées, nombreuses autrefois, sont devenues rares aujourd'hui l'action destructive du temps, les ravages des iconoclastes de la Réforme, le mauvais goût du XVII" et du XVIIIe siècle et aussi la substitution de dévotions nouvelles aux vieilles croyances de nos pères ont amené leur disparition. Aussi, à cette heure, le chiffre des sculptures du moyen âge est-il m'alheureusement fort restreint.

On doit donc savoir gré à ceux qui retrouvent,


conservent et restaurent pieusement les épaves de cette branche de l'iconographie chrétienne et signaler leurs efforts pour remettre en lumière ces débris religieux des siècles, où la foi inspirait et guidait le ciseau de l'habile ymagier.

Deux découvertes de sculptures de ce genre ont eu lieu récemment dans l'arrondissement de Bayeux: l'une à Campigny, canton de Balleroy, l'autre à Surrain, canton de Trévières; nous avons cru devoir les signaler

SCULPTURES DE L'ÉGLISE DE CAMPIGNY

L'église de Campigny, chef-lieu autrefois du doyenné de ce nom, est un édifice curieux, auquel M. de Caumont a consacré un long article dans le troisième volume de sa Statistique monumentale du Calvados. Cette église, assez ordinaire, au point de vue de l'architecture, dont une partie dénote le XIe et le XIIIe siècle, renferme une grande chapelle seigneuriale, accolée au mur méridional et datant du XIVe ou du commencement du XVe siècle. Cette chapelle, classée au nombre des monuments historiques renferme le caveau sépulcral des Hamon, seigneurs de Campigny, qui prenaient le titre de maréchal hérédital de la ville et château de Bayeux.

Sur ce caveau se trouvent trois tombeaux ornés de quatre statues, dont trois appartiennent au XIV",


la quatrième au XVe siècle. Ces tombeaux, d'une riche ordonnance et d'une belle exécution, attestent qu'à l'époque où ils furent faits, la sculpture était en grand honneur dans la contrée.

Tout près de l'église, l'ancien château des seigneurs de Campigny, édifice coquet de la Renaissance, confirme pleinement cette opinion. Cette habitation renferme une cheminée, ornée de moulures, peinte et dorée, que l'auteur de la Statistique monumentale du Calvados, avec beaucoup de raison, a qualifié de bijou.

Une découverte récente, due au zèle éclairé du curé actuel de Campigny M. l'abbé Amiard, a permis de constater que, dans la paroisse dont il est le dévoué pasteur, la sculpture, autrefois, avait payé aussi son tribut aux croyances religieuses. En examinant avec soin toutes les parties de son église, il remarqua, encastrée dans une reprise moderne, faite dans l'ancienne baie géminée du chevet de la chapelle seigneuriale, une pierre, en carreau de Caen, qu'il crut reconnaître pour une sculpture ancienne, ne présentant plus qu'un fragment de personnage assis mais qui lui sembla, quoique mutilée, offrir de l'intérêt. L'ayant fait dégager avec précaution, il fut heureux de constater qu'il ne s'était pas trompé, sa perspicacité avait remis au jour un groupe de la Trinité; telle que la symbolisait souvent au moyen âge la foi de nos pères.


Au premier rang des dogmes sur lequel se base le Christianisme est celui de la sainte et indivisible Trinité.

Affirmée dans le Credo du concile de Nicée, proclamée de nouveau, comme une vérité essentielle dans la déclaration du concile de Florence, la croyance à ce dogme a toujours été considérée comme une des vérités essentielles de la foi. Aussi, pour faire pénétrer, par les yeux, dans l'esprit des masses cette croyance, le ciseau des ymagiers et le pinceau des peintres s'étaient mis au service de l'iconographie chrétienne, afin de rendre en quelque sorte palpable ce mystère, en le matérialisant. La représentation symbolique de ce dogme a emprunté bien des formes, variant suivant les temps, et aussi suivant les opinions, plus ou moins exemptes d'hérésies, qui, quelquefois, ont attaqué l'essence et la personnalité du SaintEsprit.

Mais à partir du XIIe siècle, suivant le savant auteur de l' « Histoire de Dieu », on représente ordinairement le PÈRE en pape, assis sur un ar-enciel et soutenant dans ses mains les bras de la croix, ou est attaché le Fils.

Toujours dans cette figuration on voit le SaintEsprit sous la forme d'une colombe, allant du Père au Fils ou du Fils au Père.

C'est à cette personnification, nous pouvons dire liturgique, qu'appartient le groupe de Cam-


pigny, représentant la Sainte-Trinité, si heureusement remis à jour. Ce groupe, taillé dans un bloc de calcaire de Caen, a 1m 40 de hauteur et 0m 50 de largeur à sa base.

Conformément à la donnée orthodoxe, il représente les trois personnes du dogme chrétien. Le Père, assis sur un siège rectangulaire, est coiffé de la tiare et est barbu. Il est revêtu d'une tunique bleue, recouverte par une chape blanche, ornée d'un semis rouge formé des lettres composant le monogramme du nom de Jésus-Christ. Les revers de cette chape sont de couleur amarante.

Le fond de la tiare est blanc, chargé de fleurons d'or et de cabochons.

Les cheveux et la barbe sont châtains.

Le Fils, placé sur la croix, dont le Père tient l'extrémité des bras, et dont le pied repose sur la boule du monde, que baignent les flots bleus des mers, a les cheveux et la barbe blonds châtains. La draperie, qui ceint ses reins, disposée comme celle des christs byzantins est blanche la tête est entourée du nimbe crucifère attribut de la Divinité. La couleur du fond de ce nimbe est rouge, avec croix et bande à deux ors.

La croix est de la nuance du bois.

Le Saint-Esprit est figuré par une colombe blanche la tête de l'oiseau divin est placée en bas, et repose en quelque sorte sur la t£»e du Fils. F,es


ailes sont étendues, l'oiseau paraissant s'envoler de la bouche du Père. L'arrière du siège sur lequel le Père est assis est recouverte d'une inscription en caractères gothiques de six lignes. Cette inscription est illisible, beaucoup de mots ayant disparu. Cependant, au commencement, on lit aisément la date de 1401 on va voir que ce chiffre est celui de l'inauguration. Les draperies du personnage principal du groupe sont traitées avec ampleur et facilité. Elles sont bien dans le goût du XIVe siècle.

Cette œuvre sculpturale était probablement placée sur le milieu de l'autel, dont elle devait surmonter le retable; l'existence de l'inscription, sur le derrière de la base, atteste que le groupe n'était pas adossé à la muraille et qu'on circulait librement à l'entour.

Cette représentation de la Trinité rappelle, à quelque chose près, le même sujet traité dans une peinture sur bois du XVe siècle et appartenant à l'abbaye de Saint-Riquier. Cette peinture, dont M. Didron a donné le dessin, diffère du groupe de Campigny, en ce sens que le Père y est coiffé d'une couronne au lieu d'une tiare; que le Fils est dépourvu du nimbe crucifère; que le Saint-Esprit a les ailes ployées et a la tête en haut, annonçant ainsi qu'il procède du Fils, tandis qu'à Campigny la colombe divine a la tête en bas, procédant ainsi du Père.


Ce fut au XIIIe et XIVe siècles que s'introduisit et se propagea (toujours suivant Didron), ce type de la Trinité, représentant le Père, tenant dans ses bras la croix, sur laquelle est étendu le Fils et la Colombe, procédant de l'un ou de l'autre et représentant le Saint-Esprit. La figuration, en trois personnages, du dogme de la Trinité, réunissant les trois personnes en une seule, fut incontestablement un usage fort répandu dans le diocèse de Bayeux.

L'art et l'iconographie durent y déployer leurs ressources pour décrire et représenter ce mystère. Aujourd'hui, dans notre contrée, pour les causes ci-dessus indiquées, cette figuration y est devenue d'une rareté excessive.

En fait de figuration peinte, nous ne connaissons que la Trinité qui se trouve sur le fond de l'autel géminé de la chapelle Saisit-Thomas, du transept sud de la cathédrale de Bayeux, et le même sujet, traité en fresque, dans le fond de l'arcade du tombeau de la crypte, du même édifice.

Ces figurations de la Trinité, exécutées au XVe siècle, se rapportent au type du groupe sculpté de Campigny.

Mais quelle est l'histoire de cette œuvre sculpturale ? 9

Quelles vicissitudes ont marqué son existence ? Quel ymagier dégagea du bloc de pierre ce symbole fondamental de la religion fhrétifinnp ? 9


A ces questions nous ne saurions répondre, mnis nous constaterons que le groupe de Campigny est la seule figuration sculptée de la Trinité que nous connaissions dans le pays.

Nous terminerons cette notice par des renseignements que M. l'abbé Amiard a bien voulu mettre à notre disposition et qu'il a très probablement puisés dans le riche chartrier du château de Campigny.

Ce groupe de la Trinité fut placé dans l'église de Notre-Dame de Campigny, le 25 décembre 1401. Mutilé au XVIe siècle, comme les anges des tombeaux des membres de la famille Hamon, qui se trouvent dans l'église et qui subirent les outrages des novateurs, il fut l'objet, en 1748, d'une désastreuse réparation qui amena sa disparition. Retrouvé par le zèle intelligent du curé actuel, M. l'abbé Amiard, et grâce à la générosité d'un des prêtres les plus distingués du diocèse, M. l'abbé Legrand, curé de Saint-Julien de Caen, qui, originaire de Campigny, a voulu donner à sa paroisse natale une marque de son affection, cette œuvre sculpturale artistique a pu être restaurée par un artiste habile et consciencieux, M. Emile Guillot, sculpteur à Bayeux, ancien élève de l'École des Beaux-Arts.

Réparé avec le soin consciencieux dont il a été l'objet (1), ce groupe a été replacé, le 25 juin der-.(1) La partie picturale de la restauration avait été confiée


nier, dans l'église de Campigny où, avec les tombeaux ses contemporains, il sera une des curiosités iconographiques et d'où, il faut bien l'espérer, il ne sortira plus.

Émettons ici, pour finir, une opinion toute personnelle, c'est que ce groupe pourrait fort bien être dû au ciseau d'un des ymagiers, auteur de l'un des remarquables tombeaux de l'église de Campigny (t). SCULPTURE DE L'ÉGLISE DE SURRAIN LA PASSION L'église de Surrain, assemblage assez intéressant de constructions de différentes époques, a été, à M. Marquet, peintre verrier à Bayeux, qui s'est fort bien acquitté de sa tâche.

(1) Près du groupe, la notice suivante, rédigée par M. le curé de Campigny, en rappellera l'origine, ainsi que la générosité à laquelle on doit sa restauration

Notice

Le groupe de la Trinité fut placé dans l'église de Notre-Dame de Campigny, le vingt-cinq décembre de l'an mil quatre cent-un.

Mutilé, comn:e les anges des tombeaux, pendant les guerres de religion, cet intéressant monument de la foi catholique subit en mil sept cent quarante-huit une désastreuse réparation.

Enfin, grâce à la générosité de M. l'abbé Legrand, originaire de Campigny et curé de Saint-Julien de Caen, il a été restauré, puis replacé en notre église, et bénit aujourd'hui vingt-cinq juin de l'an de grâce mil huit cent quatre-vingt-treize.

Henri AMIARD,

Curé de Campigny


depuis une douzaine d'années, l'objet de restaurations exécutées sous diverses directions. Ces travaux, qui ont eu pour résultat d'en faire une église coquette, ont porté, dans ces derniers temps, sur le chœur auquel a été donné un aspect ogival d'un bon effet.

Cependant, dans le cours de cette restauration, une inscription latine du XI" siècle, qui se trouvait gravée sur l'archivolte et le linteau d'une porte existant entre la nef et la tour, a disparu, nous ne savons au juste à quel moment. Cette inscription se trouve reproduite dans la Statistique monumentale de M. de Caumont, mais sa destruction n'en est pas moins très regrettable.

Un autel en pierre, fort convenable, ayant été substitué l'an dernier à l'autel en bois dressé contre la fenêtre du chevet qui a été entièrement dégagée, on dut enlever les marches de cet autel et les remplacer.

Dans cette opération, on remarqua que deux d'entre elles avaient été sculptées et que la face travaillée avait été tournée contre terre.

Cette constatation faite, M, l'abbé Farolet, curé de Surrain, s'empressa d'enlever ces pierres avec précaution et les fit porter au presbytère pour empêcher leur destruction.

Ces débris, rapprochés l'un contre l'àutre, donnent une longueur de un mètre trente centimètres (1m30), sur une hauteur de quarante-quatre cen-


timètres (0" 44). Ce sont incontestablement les éléments d'un bas-relief sculpté, en pierre de Caen qui, comme frise, décorait l'autre et qui dût être renversé avec lui, quand, au XVIIe ou au XVIIIe siècle, on le remplaça par un autel en style du temps.

Ce bas-relief, qui avait été peint et porte même encore des traces de dorure, est encadré dans des moulures et est surmonté à la partie supérieure d'une garniture de feuillages.

C'est un travail du XVe siècle exécuté avec hardiesse.

Le sujet de cette sculpture est la Passion. La représentation de ce grand drame liturgique était divisée en scènes séparées les unes des autres et formant autant de panneaux.

La première scène représente le Jardin des Oliviers.

Conformément au récit évangélique, la tourbe qui vient pour s'emparer de la personne de Jésus, tombe la face contre terre. Judas donne au Maître le baiser de la trahison, et Simon Pierre, armé d'une épée, coupe l'oreille à Malchu qui, dans sa chute, laisse échapper sa lanterne. Les Juifs sont bien reconnaissables à leurs coiffures; un certain nombre d'entre eux sont munis de lanternes enmanchées au bout de longs bâtons.

Le deuxième panneau a pour sujet la Flagellation.


Jésus, dépouillé de ses vêtements, est attaché à la colonne. Un des bourreaux serre les cordes qui lui lient les jambes à la hauteur des genoux; les autres frappent leur victime avec des lannières. Ces deux panneaux sont d'une bonne conservation.

La troisième scène est plus détériorée. Elle nous a paru être le Portement de la croix. On y voit Simon soutenant l'instrument du supplice. Deux des saintes femmes accompagnent. Les draperies de ces personnages sont bien comprises et largement exécutée^.

Le quatrième panneau est plus haut que les précédents; il occupait la partie centrale du basrelief et devait être comme le couronnement du retable. Il représente Jésus sur la croix, ayant à ses côtés saint Jean et sa sainte Mère, sujet dramatique qui a inspiré tant d'artistes.

Trois autres statuettes, dont deux sont mutilées, devaient appartenir au cinquième panneau, dont le motif était probablement la Mise au tombeau. Le bas-relief devait se terminer par un sixième compartiment, dont le sujet était vraisemblablement la Résurrection, dernier acte du grand drame évangélique.

Les bas-reliefs religieux, du genre de celui de l'église de Surrain, n'étaient pas rares dans les édifices religieux du diocèse de Bayeux.

La vue journalière des sujets de piété, que ces


sculptures représentaient, était pour le peuple un enseignement fructueux rentrant pleinement dans l'esprit de l'Église.

En effet, en 1025, un synode tenu à Arras déclarait « que les illétrés contemplaient dans les « linéaments de la peinture ce qu'ils n'avaient pas « appris en lisant et ce qu'ils ne pouvaient voir « dans l'Écriture (1).

La cathédrale de Bayeux possédait elle-même, outre les sculptures des tympans de ses portes, des sculptures intérieures destinées aux autels. Lorsqu'il y a une trentaine d'années on fit disparaître le jubé moderne qui avait succédé au pupitre du XV siècle placé entre la nef et le chœur nous recueillîmes dans les matériaux des débris de bas-reliefs, œuvres de sculpteurs du XVe siècle et se rapportant à l'histoire de Jésus-Christ. Ces basreliefs avaient certainement appartenu aux deux petits autels qui flanquaient à chaque bout, du côté de la nef, la clôture ou jubé alors désigné sous le nom de pupitre et renversé au XVIe siècle, lors du pillage de cette église en 1562, par les Protestants.

Au double point de vue de l'histoire de l'art et de l'iconographie chrétienne, les sculptures de l'église de Surrain, quoique incomplètes et mutilées, offrent un intérêt relatif.

(1) Didron, Histoire de Dieu.


Il serait donc à désirer qu'elles pussent être réparées et encastrées dans la muraille du sanctuaire.

Cette mesure n'entraînerait pas une dépense bien considérable, et elle préserverait d'une destruction inévitable des vestiges respectables du passé.


EXTRAITS DES PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE DU 2 JANVIER 1897

Présidence de M. DE Longuemare.

Après le dépouillement de la correspondance et l'énumération des objets offerts, il est procédé au scrutin pour l'élection de M. l'abbé Pichard, curé de Bretteville-sur-Odon, présenté par MM. Biré et de Beaurepaire comme membre titulaire non résidant.

M. l'abbé Pichard, ayant réuni le nombre voulu de suffrages, est proclamé membre titulaire de la Société.

Le Secrétaire donne lecture du texte des statuts de la Confrérie de la Passion de l'église NotreDame de Vire, communiqué par M. Gilbert, et dont il a été déjà question à la précédente séance.


SÉANCE DU 2 FÉVRIER 1897

Présidence de M. DE Longuemare.

Le Secrétaire fait connaitre qu'il a reçu de Londres une lettre de M. Watson remerciant la Société de l'avoir admis au nombre de ses membres titulaires non résidants.

Il donne ensuite lecture d'une note détaillée sur les peintures murales de Bénouville, reproduites à l'aquarelle par M. Vasnier.

Ces peintures paraissent avoir été exécutées d'après des cartons très soignés. Ces détails sembleraient avoir été inspirés par des descriptions des supplices des damnés, prises dans la Divine Comédie.

Un autre fragment de ces peintures reproduit la Légende des trois vifs et des trois morts, très reconnaissable encore, bien que la plus grande partie de la composition ait disparu.

Le même membre donne quelques détails sur les tableaux de profession religieuse et sur les lettres de profession dont une curieuse collection existe à la Bibliothèque de Caen.

M. Emile Travers fait connaître qu'il s'est procuré récemment une lettre de ce genre.


SÉANCE DU 5 MARS 1897

Présidence de M. Ch. HETTIER.

Le Secrétaire communique deux lettres de M. de La Rocque sollicitant l'intervention de la Compagnie pour prévenir, s'il est possible, la démolition dont l'abside romane de Rény-sur-Mer est en ce moment menacée.

A la suite d'une longue délibération, la Société a pris la résolution suivante

La Société des Antiquaires de Normandie, réunie sous la présidence de M. Charles Hetlier, vice-président, pour sa séance mensuelle, après avoir pris connaissance d'une lettre adressée à son Secrétaire par M. de La Rocque. architecte du Gouvernement, l'informant d'un projet de démolition du chœur de l'église de Bény-sur-Mer

Après avoir entendu le rapport qui lui a été présenté sur la question par M. de Beaurepaire et les observations de plusieurs de ses membres

Vu les photographies du chœur de l'église de Bénysur-Mer et le plan en élévation du chevet du chœur et de la façade est du clocher;

Considérant qn* Ip ftirsur de l'église de Bény-sur-


Mer, avec la simplicité voulue de sa décoration extérieure, est un type excellent de l'architecture religieuse du XIIe siècle; qu'elle appartient au même style que le clocher et qu'elle forme avec lui un ensemble pittoresque du plus heureux effet

Considérant qu'il serait déplorable de briser cet ensemble en démolissant, en tout ou en partie, le chœur roman de Bény-sur-Mer, qui est en parfait état de conservation, pour lui substituer une construction nouvelle dont rien ne démontre la nécessité et qui, quoi qu'on fasse, s'harmoniserait toujours assez mal avec le clocher

Proteste énergiquement contre le projet de démolition du chœur de Bény-sur-Mer et émet le vœu que l'arrêté ministériel, classant le clocher de Bény au nombre des monuments historiques, soit complété de manière à y comprendre, en même temps que le clocher, le chœur de l'église qui fait pour ainsi dire corps avec lui.

Cette délibération a été prise à l'unanimité et le Secrétaire a été chargé d'en transmettre le texte à M. le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.

M. Tony Genty, au nom de M. l'abbé Bourrienne, donne lecture de nouvelles recherches relatives à la vie de Malherbe et, en particulier, à un testament du poète dont le texte n'a pas encore été mis au jour. La communication de M. l'abbé <1JI"


Bourrienne sera prochainement insérée dans le Bulletin.

M. Raulin lit à son tour le compte-rendu d'un très singulier procès qui fut intenté, vers le milieu du XVIIIe siècle, par une dame de Gouvets, à Me Viel, curé de la paroisse de Vernix, au diocèse d'Avranches. Il s'agissait d'un banc dont jouissait la dame de Gouvets et que le curé avait arbitrairement déplacé pour la plus grande commodité du prédicateur. La difficulté, portée devant le bailliage d'Avranches, fut résolue en faveur de la dame de Gouvets. Le récit amusant de ce curieux litige a terminé la séance.

SÉANCE DU 2 AVRIL 1897

Présidence de M. DE Longuemare.

Après la lecture et l'adoption du procès-verbal de la séance, le Secrétaire fait connaître que lés efforts tentés pour sauver l'abside romane de Bény de la destruction n'ont pas obtenu le résultat qu'on pouvait espérer il communique ensuite une lettre de M. de La Rocque, architecte du Gouvernement, qui déplore ce nouvel acte de vandalisme que réprouveront certainement tous les hommes de science et de goût.


M. Eugène Simon donne lecture d'une note laissée par M. Georges Bouet, notre savant et regretté confrère, sur les arcades que l'on observe très souvent à Caen dans les murs mitoyens des habitations du XIVe et du XVe siècle. M. Bouet cite plusieurs exemples de cette particularité de construction réglementée par la législation ou par la coutume.

La communication de M. Simon provoque quelques observations. Comme conclusion, la réunion émet le vœu que l'on dresse avec exactitude la liste de toutes les arcades de ce genre dont l'existence peut encore, présentement, être constatée dans la ville de Caen.

SÉANCE DU 7 MAI 1897

Présidence de M. DU MANOIR.

Après avoir rendu compte des lectures faites par des membres de la Compagnie, tant au Congrès des Sociétés savantes qu'au Congrès des Sociétés des Beaux-Arts, le Secrétaire fait connaitre qu'une délégation de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne s'est rendue dans notre ville, pour étudier nos monuments, sous les auspices de la Société des Antiquaires de Normandie:


La délégation a été reçue par MM. de Longuemare et de Beaurepaire, qui l'ont accompagnée dans sa visite à la Bibliothèque municipale, aux Musées et aux monuments de la ville de Caen.

A l'occasion de cette visite, la Société a conféré le titre de membres correspondants à M. Ulysse Chevalier, chanoine de la Primatiale de Lyon, membre correspondant de l'Institut; à MM. Fernand Pottier, président de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, et de Montbrison, membre de cette Société, ainsi qu'à M. Marbot, vicaire général d'Aix et membre de la Société archéologique de cette ville.

Parmi les ouvrages offerts à la Société par M. Léopold Delisle, le Secrétaire signale une brochure intitulée Lespapiers de Hervé de Longaunay, gouverneur de la Basse-Normandie. Ce mémoire, qui nous apporte de nouveaux et précieux renseignements sur l'histoire des guerres religieuses, contient un éloge mérité, qui sera très remarqué, du grand ouvrage de notre compatriote, M. Gustave Dupont YHisloire du Cotentin et de ses îles. M. Eugène Simon communique, avec une note de M. l'abbé Masselin, un texte curieux d'une prose ancienne en l'honneur de saint Sébastien. Des proses de saint Sébastien, en français, étaient chantées dans la plupart des Charités, notamment dans les diocèses de Lisieux et d'Evreux. D'après M. l'abbé Masselin, la rédaction de la prose sou-


mise par M. Simon à l'examen de la Société des Antiquaires, remonterait aux premières années du XVIIe siècle.

M. Armand Gasté donne lecture d'une lettre de cachet décernée contre un jeune protestant nommé Martingrey. En vertu de cet acte de l'autorité royale, Martingrey était confié à un sieur Bouttard, chargé de l'élever dans les principes de la religion catholique. Ce qui résulte de plus clair des pièces jointes à la lettre de cachet, c'est que le jeune homme n'était guère disposé à se convertir et que le sieur Bouttard avait fort peu de goût pour le rôle de convertisseur qui lui était imposé. M. Fernand Engerand met sous les yeux de la Société le texte d'une lettre inédite de Jouvenet, et entre dans différents détails qui lui permettent de fixer la date de l'exécution d'une des toiles les plus intéressantes de ce grand artiste normand. M. Engerand annonce ensuite à la Société qu'il a été assez heureux pour découvrir un opuscule rarissime de l'abbé de Saint-Martin Le Livret des Voyageurs de la ville de Caen. On connaissait deux exemplaires du supplément du livret. Un de ces exemplaires est une des raretés les plus appréciées de la collection Mancel. Mais quant au livret lui-même, personne, jusqu'ici, n'avait été assez heureux pour le rencontrer. Depuis longtemps on avait même renoncé à sa recherche, et quelques bibliophiles avaient même émis l'opinion que le


Livret des Voyageurs n'avait jamais existé. C'était là une hypothèse erronée à laquelle il faut renoncer, puisque M. Fernand Engerand a eu l'insigne bonne fortune de découvrir ce précieux livret dont il se propose de nous communiquer très prochainement le texte.

-4.


PROSE ANCIENNE

En l'honneur de saint Sébastien

Vous pouvez tous nous conserver, Et de tout mal nous préserver, Si ce mal si contagieux

Nous vient attaquer en ces lieux. Ayez donc égard à ma foy,

Et de tout mal préservez-moy, Aussi bien que mes bons amis Qui tant de péchés ont commis.


On sçait bien, grand saint, qu'en tout lieu Vous pouvez obtenir de Dieu

Et de Marie toute faveur;

Si nous vous prions de bon cœur.

Ni elle ni son fils Jésus

N'ont jamais fait aucun refus

A quiconque par chacun an

Prie le fameux saint de Milan.

Zoè qui ne pouvait parler

Par lui fut guéri sans tarder

Et renvoyé à son mari

Sitôt que son mal fut guéri.

l'est lui qui par un saint transport

Comblait les martyrs à la mort,

A ces martyrs, ses bons amis,

Leur promettait le paradis.

0 grand martyr Saint Sébastien,

Procurez nous le même bien;

Grand saint si charitable et doux,

Demeurez toujours avec nous.

Surtout dans ce tems si fatal

Gardez nous de peste et de mal,

Afin qu'avec vous dans les cieux

Un jour nous puissions être heureux. Je vous en prie à jointes mains,

Pour le bien de tous les humains

Et pour ceux qui auront toujours

Confiance en votre secours.

Amen.


SÉANCE DU 4 JUIN 1897

Présidence de M. DE LONGUEMARE.

Après la lecture et l'adoption du procès-verbal de la précédente séance, le Secrétaire présente à la réunion, au nom de M. Fernand Engerand qui l'a découvert, le texte du curieux livret de l'abbé de Saint-Martin Le Livret des Voyageurs de la ville de Caen.

La Société, prenant en considération la rareté insigne de cet opuscule et son intérêt pour l'histoire de notre région, décide qu'il sera publié dans le Bulletin avec une courte introduction par le Secrétaire et une note bibliographique sur les ouvrages de l'abbé de Saint-Martin, par l'abbé de Saint-Martin, pour le cas où la Société des Bibliophiles rouennais ne se chargerait pas de cette réimpression.

M. Engerand signale à l'église de AJaltot la disparition d'un tabernacle en pierre d'une sculpture très délicate, longuement décrit dans la Statistique Monumentale du Calvados, de M. de Caumont. D'après les renseignements donnés à notre confrère, ce tabernacle, qui eût dû être conservé avec le plus grand soin, aurait été vendu il y a quel-


ques années. Il serait désirable que l'administration supérieure et l'autorité diocésaine intervinssent pour empêcher le retour d'actes aussi profondément regrettables.

M. de Beaurepaire donne lecture d'une lettre en date du 4 juin, par laquelle M. Charles de Guer sollicite l'appui de la Société pour lui faciliter l'étude, dans le département, des vestiges encore subsistants de l'ancien langage. Pour témoigner tout l'intérêt qu'elle prend au développement des études patoises, la réunion décide après un échange d'observations entre plusieurs de ses membres, qu'elle autorise M. Charles de Guer, s'il le juge convenable, à faire suivre le titre du Bulletin des Parlers du Calvados, qu'il doit prochainement publier, de la mention suivante « Enquête encouragée par la Société des Antiquaires de Normandie ».

M. de Formigny, qui est en ce moment provost de la Charité de Freneuse, fait passer sous les yeux de ses confrères, avec le fac-similé d'un ancien placard de cette association, des photographies représentant la fête patronale de la Charité et le costume de ses membres.


SÉANCE DU 2 JUILLET 1897

Présidence de M. DE LONGUEMARE.

Après la lecture du procès-verbal de la dernière séance, le Secrétaire communique une note de M. F. Engerand sur deux sculptures conservées dans la sacristie de l'église de Tessel l'une représente une Vierge assez grossièrement traitée, l'autre une femme nue, vue à mi-corps et paraissant sortir d'une sorte de tonnelet. Il semble que ce dernier fragment devait appartenir à un groupe de sculptures dont la plus grande partie a disparu. Dans son état actuel, il est assez difficile de donner une interprétation satisfaisante des débris que nous avons sous les yeux.

A propos de la publication récente d'un ancien recueil de pièces palinodiques, le Secrétaire donne quelques détails sur l'institution et appelle l'attention de ses confrères sur les Vierges ouvrantes que l'on voyait dans quelques églises et dont une représentation figure précisément dans le volume de palinods publié par la Société des Bibliophiles normands.

M. l'abbé Masselin commence la lecture d'un travail très documenté sur l'ancien collège du


Mont et ses dépendances. La monographie de ce célèbre établissement d'instruction publique contient une description détaillée de ses bâtiments et de leurs transformations qui présente un très vif intérêt.

La lecture de M. l'abbé Masselin sera continuée à une prochaine séance.

SÉANCE DU 6 AOUT 1897

Présidence de M. RAULIN.

Le Secrétaire communique une circulaire du Ministre de l'Instruction publique et des BeauxArts fixant l'ouverture du prochain Congrès des Sociétés savantes au 11 avril 1898. Cette circulaire est accompagnée d'un programme indiquant les questions à discuter dans chaque section. Il est ensuite donné lecture 1° d'une lettre du marquis de Guerra de Lorca, de laquelle il résulte que le général don José Lachambre y Dominguez, dont il a été question dans la guerre des Philippines, serait d'origine normande et se rattacherait à la famille des Lachambre de Vauborel 2° d'une lettre de M. Fernand Engerand relative à des chapiteaux des églises de Colombelles et de Thaon. Les chapiteaux de l'église de Thaon ont été mis en


lumière par les réparations qui s'y exécutent en ce moment, sous la direction intelligente de M. Bénouville, architecte du Gouvernement. On sait que la Société française d'Archéologie et la Société des Antiquaires de Normandie ont accordé à la commune de Thaon des subventions pour contribuer aux réparations de la vieille église. Le Secrétaire fait connaître qu'il a reçu de M. le comte de Blangy la copie d'une pièce importante faisant partie d'un dossier conservé dans le chartrier du château de Juvigny. Cette pièce est le procès-verbal d'une conférence tenue à Paris le 30 juin 1639, chez M. Justel, à l'occasion de l'Histoire de la Maison d'Harcourt, par M. De La Roque. A cette conférence assistaient MM. Le Laboureur, Du Chesne, de Longueil et Daniel Huet. Cette communication donne lieu à d'intéressantes observations de la part de MM. Emile Travers et Gaston Le Hardy.

M. Gasle lit différents documents qui lui ont été adressés par M. Dolbet, archiviste du département de la Manche. Ces pièces constatent que le nom de Basselin était assez répandu aux environs de Vire, dans certaines paroisses du Mortainais, notamment. On y rencontre aussi un certain nombre d'individus portant, comme le célèbre foulon, avec le nom patronymique de Basselin, le prénom d'Olivier.

M. de Beaurepaire appelle l'attention sur les


peintures murales de l'église Saint-Sauveur de Caen, qui ont été si souvent décrites et dont une reproduction à l'aquarelle, faite par M. Vanier, a été justement remarquée au Salon de 1896. La fresque de Saint-Sauveur représente deux des grands docteurs de l'église latine saint Ambroise et saint Augustin. Mais il est à observer que ces docteurs sont généralement représentés au nombre de quatre. Peut-être le défaut d'espace a-t-il amené l'artiste anonyme de Caen à éliminer les deux autres saint Jérôme et saint Grégoire, à moins qu'il ne les ait représentés de l'autre côté de la chapelle et que ces figures n'aient été grattées par la suite. Dans tous les cas, le saint Augustin et le saint Ambroise de Caen présentent de telles analogies avec les représentations de ces deux saints sur les vitraux des cathédrales de Bourges et de Reims, qu'on est porté à penser que le peintre caennais a eu à sa disposition un calque de verrier pour l'exécution de sa fresque. Sur la présentation de MM. Travers, Leclerc et de Beaurepaire, MM. Le Roi-White, propriétaire au château de Rabodanges (Orne), et M. l'abbé Porée, curé de Bournainville (Eure), ont été nommés membres titulaires non résidants de la Société.


SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 1897

Présidence de M. DE LONGUEMARE.

Après le dépouillement de la correspondance, la Société fixe au 9 décembre, conformément à la demande de M. de Contades, la séance publique annuelle.

Le Secrétaire fait connaitre que d'intéressantes découvertes ont été faites récemment par M. le Curé de Savigny, près Coutances, dans l'intérieur de son église. Ces découvertes consistent en une statuette en briques vernissées et en fragments de peinture murale décorative. Il est donné lecture d'une lettre de M. Fernand Engerand, qui poursuit l'étude de la décoration des chapiteaux de l'époque romane dans le Calvados. Indépendamment de quelques spécimens de chapiteaux, M. Engerand soumet à ses confrères une photographie d'une statuette en albâtre représentant Dieu le Père portant une couronne de feuillage. M. Pernelle, maire de Vimoutiers, communique une photographie, à l'appui d'une note explicative sur un rétable où sont sculptées les différentes scènes de la vie de la Vierge. Ce rétable se trouvait dans l'ancienne église de Vimoutiers, aujourd'hui abandonnée. Il était masqué par une con-


tretable aujourd'hui démolie. Le rétable sauvé par M. le Maire de Vimoutiers ira prendre place dans le Musée municipal.

M. de Beaurepaire donne quelques détails sur une hachette en jadeïne trouvée aux environs de Coutances, et sur un mégalithe de forme singulière, nommé la Chasse-Berthe, qui existe dans la commune de Refuveille et qui est, paraît-il, menacé de destruction.

M. Raulin rend compte d'une œuvre d'imagination due à un ecclésiastique distingué du diocèse de Coutances, ancien supérieur du petit séminaire de l'Abbaye-Blanche, M. l'abbé Gillot, curé-doyen de Tessy. L'ouvrage est intitulé Elvina Munroë. M. Raulin passe légèrement sur la fable romanesque et s'étend particulièrement sur le tableau de la civilisation et des mœurs dans l'Avranchin au moment de l'introduction du christianisme dans notre région.

SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1897

Présidence de M. DE LONGUEMARE.

Le Secrétaire annonce la mort de M. l'abbé Le Cointe, curé de Cormelles, et demande que l'expression des regrets de la Société soit consignée au procès-verbal.


Cette proposition est adoptée. Il est ensuite donné lecture d'une lettre de M. Fernand Engerand sur la croix du cimetière d'Authie, laquelle, d'après une tradition qu'il serait utile de contrôler, ne serait autre que la « Belle Croix » élevée primitivement au carrefour Saint-Étienne, à Caen, par l'abbé de Saint-Martin.

M. de la Thuillerie donne de nouveaux détails sur la statuette en albâtre de Fontaine-Henry. D'après lui, la statuette porterait non une couronne de feuillage, mais une couronne formée de fleurons alternant avec des croix. Il rend ensuite compte de l'aspect extérieur de la vieille église de Thaon, depuis les travaux exécutés par M. Benouville. Ces travaux, comme l'a déjà dit M. Engerand, ont mis en évidence toute une série de curieux chapiteaux de la nef en même temps qu'ils dégageaient les fondations des collatéraux, démontrant ainsi que ces collatéraux n'avaient pas seulement existé en projet, mais avaient réellement été élevés pour être démolis plus tard, à une date et dans des conditions qu'aucun document ne permet d'indiquer.

Sur la proposition de son Conseil d'administration, relativement à la demande d'une souscription formée par le barreau de Caen dans le but d'élever, dans l'enceinte du Palais-de-Justice un monument à la mémoire de M. Carel

La Société, considérant que M. Carel, qui fut


président de la Société des Antiquaires de Normandie, a honoré le barreau et la ville de Caen par son talent oratoire, par sa science juridique et par la dignité de son caractère

Décide qu'elle contribuera pour une somme de cinquante francs à l'érection du monument projeté et autorise son trésorier à verser cette somme entre les mains du secrétaire du Comité d'organisation. Sont nommés membres de la Société M. du Mesnildot, ancien député, au château de Tourps, à Ammeville-en-Saire (Manche) M. Charles, propriétaire, rue des Chanoines, à Caen, et M. l'abbé Grente, licencié ès-lettres, demeurant à Percy (Manche).

A ppendice à la séance du 2 Avril 1897. Dans le journal La Liberté, M. Fernand Engerand, qui a mené une si louable campagne en faveur du chœur roman de l'église de Bény-sur-Mer, a signalé une conséquence désastreuse et assez inattendue de cette démolition. L'église de Bény possédait une très belle contretable époque Louis XIV, qui était, dans son genre, un spécimen intéressant de ce style aujourd'hui peu en faveur. Elle a été enlevée en même temps que


le chœur était abattu et, maintenant, les débris de ce maître-autel sont à vendre pour le prix de 200 fr., affirme M. Engerand.

En agissant ainsi, M. le Curé de Bény ne nous a pas paru avoir tenu suffisamment compte des prescriptions des circulaires épiscopales recommandant aux ecclésiastiques le respect le plus absolu des œuvres d'art qui se trouvent dans leurs églises. A cet égard, Mgr Turinaz a écrit de fort bonnes choses qui ont conservé présentement toute leur opportunité. De pareils agissements sont en contradiction manifeste avec les principes qui dominent la législation des cultes et qui se trouvent résumés dans une circulaire de la Direction des Cultes du 22 septembre 1892, enjoignant aux préfets de veiller à ce que « les parties des immeubles destinés au culte qui présentent un intérêt archéologique soient mises à l'abri de toute déprédation ». Le rédacteur, M. Flourens, y insistait plus particulièrement sur la jurisprudence relative à la conservation des objets d'art des églises.

(La Liberté, n° du 12 septembre 1897).


PROCÈS

A PROPOS D'UN DROIT DE BANC Dans une église de l'Avranchin

1743-1744

Par M. T. R AU LIN

Je voudrais vous soumettre, Messieurs, en rapporteur fidèle, un assez curieux procès qui fut jugé, il y a environ cent cinquante ans, au bailliage d'Avranches, et dont j'ai retrouvé tout dernièrement le dossier complet dans des papiers de famille.

De même que pour l'affaire de Saint-Pierre de Caen, qui fut plaidée en 1780-1782 au parlement de Rouen, et dont vous avez lu l'intéressant récit dans l'un des derniers Bulletins de notre Société (1), l'objet du litige est un banc d'église mais là s'arrête la ressemblance.

(1) T. XVI, année 1894, p. 82 à 1U1.


Ici, en effet, la scène se passe dans une paroisse rurale du diocèse d'Avranches, et non dans la capitale de la Basse-Normandie. Le banc en question, à la différence de ceux de Saint-Pierre, n'est ni enlevé ni détruit; il est seulement changé de place. Au lieu des trésoriers de fabrique et des plaideurs aussi nombreux que qualifiés de Caen, les juges d'Avranches n'auront devant eux que le curé et une dame noble, sa paroissienne. Enfin, la sentence sera bien frappée d'appel, mais cet appel n'ayant pas été relevé, il n'y aura ni plaidoiries nouvelles, ni arrêt de la Cour de sorte que le tout se terminera en moins de cinq mois et à fort peu de frais, tandis que l'autre procès dura, vous vous en souvenez, deux années, et entraîna d'énormes dépenses.

Avant d'entrer dans les détails de la procédure, il convient de faire connaître la paroisse et l'église où fut commis l'acte incriminé, ainsi que les noms, les prénoms, les qualités et, autant que possible, les antécédents des parties.

La paroisse, située à trois lieues d'Avranches, dans l'ancien doyenné de Tirepied, maintenant dans celui de Brecey, s'appelait et s'appelle encore Vernix. M. Le Héricher (1) avoue que ce nom, qui a été écrit Vernils et latinisé en Verniltia, semble présenter deux éléments latins, ver, (1) Avranchin historique et monumental, I, 325.


printemps, et nix, neige, dont une interprétation locale, d'ailleurs assez poétique, prétend donner la raison Quand l'hiver et la neige attristent encore les coteaux et la croupe du Cliâtellier qui dominent Vernix, le printemps s'égaie et rit sur les bords de la Sée, au fond de la vallée. Mais il fait aussitôt remarquer qu'il y a toujours un peu de mensonge au fond de la poésie, et que les Romains étaient trop positifs pour s'amuser à créer des expressions aussi bucoliques qu'enfin le mot celtique de ver, rivière, explique l'étymologie; comme celle de Vernon, de Verneuil et de cent autres. M. Lecanu, historiographe diocésain, est aussi du même avis.

Tout en s'inclinant devant cette « savante » étymologie, M. l'abbé Goron, curé actuel de Vernix, dans une Notice aussi piquante que bien documentée (1), exprime pourtant le regret que l'interprétation poétique ne soit pas reconnue la vraie. « En parlant à l'imagination, écrit-il, elle peint si « bien la réalité et, pour tout dire, si la première « syllabe du mot Vernix m'est expliquée par son « origine celtique, la terminaison nix est encore « pour moi un mystère. Il est vrai, conclut-il avec « une légère pointe de malice, que je ne suis « point un savant » a

(1) Vernix, Notice historique. Avranches, chez H. Gibert, 1889.


Quant à l'église de Vernix, qui est bâtie sur un tertre, tout près de la Sée et en face du Châtellier, M. Le Héricher la fait remonter à l'époque romane, partie à la fin du XIIe siècle, partie au XIIIe ou au XIV. Il résulte, d'ailleurs, d'une inscription placée au-dessous d'un écusson fruste, que le chevet fut reconstruit en 1609, et du procès-verbal d'une visite épiscopale du 8 juillet 1721, que l'édifice tout entier était alors en très mauvais état. L'église était à la présentation du chapitre de Cléry et dédiée à saint Martin, auquel une ordonnance épiscopale de Mgr Daniel a substitué, comme patron, saint Louis, roi de France. En 1698, elle valait 700 livres et avait deux prêtres, outre le curé. D'après le Mémoire sur la Généralité de Caen, les paroissiens taillables, au nombre de quatre-vingt-quinze, payaient 667 livres de taille. C'est en 1721 qu'apparut à la cure de Vernix maître Jean Viel, l'un des deux futurs acteurs de notre petit drame judiciaire (1), et son séjour, dit M. l'abbé Goron, ne fut agréable ni à la paroisse, ni au pasteur. Dès son arrivée, un procès s'engagea (1) La Nolice de M. l'abbé Goron mentionne, au temps de la Révolution, plusieurs « citoyens » de Vernix portant le nom de Viel entre autres J.-F.-F. Viel, qui était second officier municipal en 1790 et devint maire en 1791 jusque sous le Consulat, où il fut seulement adjoint. Cette similitude de nom pourrait faire supposer que la famille de M. le curé Viel était originaire de Vernix.


entre lui et les paroissiens, à l'occasion du presbytère que la proximité de la rivière rendait presque inhabitable, et que les habitants de Vernix se refusaient à reconstruire. Ce procès arrèta aussi les travaux qu'il avait entrepris pour la restauration de l'église. Après la mort de M. Viel, en 17^7, il fut continué par son successeur, M. Bouillet, qui finit pourtant parle gagner et put, en 1750, mener à bien les réparations de l'église mais la reconstruction du presbytère n'eut lieu qu'en 1771. En 1743, l'année même où commença l'affaire du banc d'église, M. Viel tomba malade et la paroisse fut desservie jusqu'à sa mort par M. Delacour, l'un de ses vicaires, lequel, du reste, n'eut point à intervenir aux débats.

La partie adverse du curé est ainsi qualifiée dans les actes de la procédure Noble dame Marie de Gouvets, veuve de Jean-Baptiste du Saussay, écuyer, sieur de la Rouillerie, héritière en sa partie de Louis-Éloi de Gouvets, écuyer, sieur de Gouverville, et de Pierre de Gouvets, son frère, stipulée par Julien du Saussay de la Rouillerie, son fils (1).

(1) A la Révolution, Julien du Saussay, écuyer, nommé premier notable de Vernix le 8 février 1790, donna sa démission le 12. Le 26 août 1792, il fut secrétaire provisoire, puis troisième scrutateur dans l'assemblée primaire appelée par la loi du 12 août à désigner par la voie du scrutin les électeurs titulaires et suppléants qui nommèrent les députés à la Convention nationnlp Sons la Terreur, on le retrouve d'abord greffier, puis membre de la municipalité de Vernix (Notice htst. précitée).


La terre des Gouvets fit partie, jusqu'à la Révolution, de la paroisse de Vernix, dont l'église fut le lieu de sépulture de la famille, et possède encore quelques pierres tombales, employées à son pavage. Des papiers, appartenant à un autre dossier, qui est relatif à un procès criminel et non plus civil comme le nôtre, nous apprennent qu'en 1697 Pierre de Gouvets, dont il vient d'être parlé, avait été traduit devant la Chambre du Conseil du bailliage d'Avranches par le procureur Bertrand Larcher, sieur du Valdeceds (sic, évidemment pour Val-de-Sée) (1). La plainte relate, à la charge du gentilhomme, des injures atroces et scandaleuses, telles que celles de b. de coquin, de voleur, des menaces et un coup de main étendue sur le visage du plaignant, de telle force qu'il lui avait fait tomber son chapeau et sa perruque le tout en jurant et blasphémant le saint nom de Dieu, en plein auditoire royal, par haine et ressentiment de ce que ledit Larcher occupait alors pour la dame Anne Tesson, mère de l'inculpé, qui était en procès avec elle. Quelque temps après, les deux adversaires se trouvaient à l'hôtellerie des Trois-Rois, à Avranches (2), avec plusieurs amis qui, pour les accommoder, avaient condamné le sieur de Gou(1) C'était une ancienne sergenterie dans laquelle la Recherche de Montfaut cite, entre autres nobles, en 1463, Guillaume Mahias, de Vernix.

(2) Cette hôtellerie, qui existe toujours, était autrefois la plus renommée de la ville.


vets à payer, à titre de réparation, 50 livres au sieur Larcher. Tout à coup, le premier, sous prétexte d'embrasser l'autre, le mordit à l'oreille jusqu'à effusion de sang, en jurant qu'il aimerait mieux lui bailler 50 coups de bâton que les 50 livres. Les faits parurent assez graves pour que la victime fût « autorisée à faire procéder à la fulmination d'un monitoire (1) ». Mais les informations traînèrent en longueur jusqu'en 1701, où furent rendues plusieurs sentences interlocutoires, dont l'une est relative à une plainte reconventionnelle du (1) Les ordonnances n'autorisaient ce redoutable mode d'information que pour des crimes, ou pour des scandales publics comme c'était ici le cas. Les lettres monitoriales, délivrées par l'officiai diocésain, étaient publiées par le curé ou le vicaire au prône de la messe paroissiale en trois dimanches consécutifs. Elles enjoignaient aux fidèles d'avoir, sous peine d'excommunication, à révéler avant l'expiration du terme fixé, les faits dont ils avaient la connaissance, et dont la partie plaignante demandait justice, à moins qu'ils ne fussent eux-mêmes proches parents ou alliés de l'inculpé, ou qu'ils n'eussent été consultés par lui en qualité d'avocats, notaires ou hommes de loi. Même exception en faveur des confesseurs. La révélation devant être faite au juge qui avait autorisé le monitoire ou à son délégué, mais nullement au prêtre en confession, ainsi que n'avait pas craint de l'avancer M. Ed. Laboulaye, dans son cours de 1865 au Collège de France (Revue des cours littér., du 14 oct., p. 749). C'était une très grave erreur; elle fut relevée comme elle le méritait par V Intermédiaire des Curieux (T. XXI, col. 129,186, 330, 369, 524 et 622), quand elle lui eut été signalée en 1888. Le secret de la confession, qui est d'obligation absolue dans la doctrine de l'Église catholique, n'a jamais eu rien à démêler avec les Monitoiros


défendeur, plainte qui semble dénuée de fondement, sans qu'on puisse, du reste, faute de documents, savoir quand et comment se termina cette longue et grande querelle.

Ce qui paraît certain, c'est que si le vindicatif, le brutal gentilhomme eût encore été de ce monde, lorsqu'au mois d'août 1743, le curé de Vernix s'avisa de toucher au banc familial, celui-ci y eût regardé à deux fois. Quant à la dame de Gouvets, sa sœur et héritière, était-ce parce qu'elle était absente, ou bien à cause de l'approche des vacances judiciaires ? 9 Toujours est-il qu'elle laissa s'écouler les mois de septembre et d'octobre tout entiers avant d'envoyer du papier timbré à l'auteur de ce que son avocat qualifiera plus tard de « voie de fait »

En effet, la première pièce du procès est un exploit d'ajournement signifié, à sa requête, à Me Jean Viel par l'huissier Thomas Trochon le 1 3 novembre 1 743 La requérante s'y plaint « d'avoir été, au mois d'août précédent, troublée en la jouissance d'un banc, dont elle était en possession, ainsi que ses ancêtres depuis plus de deux cents ans, dans la nef de l'église de cette paroisse, et qui a été tiré, par ledit curé, de sa place ordinaire ». En conséquence, celui-ci « est assigné à comparoir, dans la huitaine franche, par devant M. le bailli ou son lieutenant au siège d'Avranches, pour voir ordonner qu'il sera tenu de remettre ledit banc en son lieu accoutumé, avec défense de troubler la


demanderesse au temps à venir dans sa jouissance, avec condamnation tant aux dépens qu'aux intérêts de ladite dame ».

Le 25 du même mois de novembre, Ale Le Chault, procureur, fonde pour la demanderesse, suivant exploit de Le Chartier, huissier- audiencier. Dès le 29, Me Tesnière, procureur de discrète personne Me Jean Viel, fait signifier, par l'huissieraudiencier Broüard, les défenses de son client, rédigées par l'avocat Foubert, à savoir « Que le sieur Curé ayant apporté, au nom de la paroisse. quelque changement aux deux autels qui sont au haut et de chaque côté de la nef de l'église, il s'est trouvé dans l'obligation de changer aussi la chaire de la place qu'elle occupait du côté de l'Évangile, et de la faire mettre au-dessous de l'autel Saint-Michel, du côté de l'Épître, pour sa commodité et celle des prêtres qu'il requerra de prêcher, observant que dans la place où elle se trouvait ci-devant, elle était vis-à-vis de la porte, ce qui était fort incommode par rapport au vent et au bruit de ceux qui entraient et sortaient, de sorte que le prédicateur était sujet ou à s'enrhumer ou à être distrait; qu'il v en a même plusieurs qui s'en sont plaints. Il convient que, par rapport à ces changements, on a été obligé de reculer d'environ deux pieds un grand banc fermé qui était proche l'autel Saint-Michel chose très licite et permise, vu que les patrons des églises


eux-mêmes sont obligés de placer leurs bancs de façon que le clergé n'en soit incommodé ni le service divin aucunement empêché, ce dont la demanderesse ne peut disconvenir.

« Il y a plus le banc en question est réclamé par un autre que par elle, qui ne s'appuie que sur une possession, et quand même cette possession serait réelle, elle ne pourrait servir de titre, ni faire acquérir un droit au possesseur, au préjudice de l'Église, laquelle n'accorde le droit de séance, banc et sépulture qu'aux patrons fondateurs ou bienfaiteurs. Or, aucune de ces qualités n'est même prétendue par la dame du Saussay qui, loin de justifier du droit de banc par elle réclamé, n'a allégué qu'une prétendue possession, sans faire attention qu'on ne prescrit point contre l'Église et de pareils droits.

« C'est pourquoi, le défendeur a pu changer la place de la chaire et reculer le banc qui en aurait incommodé et empêché l'accès, sans être même obligé d'entrer dans l'examen de ceux à qui il appartient, ni de savoir s'ils avaient eu le droit de le placer où il était ci-devant. Il soutient donc devoir être déchargé de l'action à lui intentée, et ce, avec intérêts et dépens, sauf à prendre plus amples conclusions, s'il y a lieu. »

La procédure resta en l'état depuis la fin de novembre 1743 jusqu'au 8 février 1744, où fut signifiée la réponse de la demanderesse à


l'écrit du défendeur. Dans cette réponse, qui, à coté de la signature de son avocat, Me Mathieu, porte celle de son fils, Julien du Saussay de la Rouillerie, comme stipulant pour elle, il est dit « qu'en vain, pour tâcher de colorer la voie de fait commise envers la noble dame de Gouvets, le sieur curé veut insinuer que c'a été pour placer commodément la chaire, parce qu'il est certain qu'il n'y a en cela que malice de sa part qu'en effet on ferait la preuve, s'il était nécessaire, qu'il a dit hautement qu'il mettrait le banc hors de l'église on voit donc bien qu'il n'y a dans son procédé qu'une envie de chagriner ladite dame que sur la fin de son écrit, il semble vouloir lui contester son droit de banc; mais il n'a qu'à prendre les voies convenables pour cela; on l'y attend, et l'on saura que lui répondre. En attendant, comme il n'ose méconnaître d'avoir, de son seul mouvement, tiré le banc de sa place, et de l'avôir transporté ailleurs, on soutient qu'il sera condamné à le remettre ou faire remettre dans sa place ordinaire, et aux intérêts de ladite dame, outre les dépens, ne pouvant, ledit sieur curé, faire une plus grande injure, surtout à une dame de condition » Dix jours après, le 18 février, le procureur de la demanderesse signifia à celui du défendeur, que la cause pendante entre leurs parties serait portée à la prochaine audience, c'est-à-dire à celle du 22 de ce mois. M. Vivien, lieutenant général civil et


criminel, se trouvant absent, l'audience fut présidée par le lieutenant particulier, M. NicolasJoseph Badier, sieur de la Busnollière, qui prenait en outre les titres de Conseiller du Roi et de subdélégué de M. l'Intendant de la Généralité de Caen.

Me Mathieu, pour Mme de Gouvets, reproduisit à la barre à peu près les mêmes arguments qui figurent dans les exploits du 13 novembre 1743 et du 8 février 1744. Il y ajouta toutefois quelques aménités à l'adresse de l'adversaire, celle-ci par exemple « Qu'il était certain que depuis que le « sieur Viel était devenu curé, la chaire de vérité « avait été changée quatre ou cinq fois de place, « ce qu'il a coutume de faire quand il veut faire « peine à quelqu'un ». Passant ensuite à l'allégation relative aux patrons des églises, l'avocat dit que « quand même cela serait vrai, un curé « ne pouvait, de son autorité privée, tirer le banc « patronal, avant de prendre les voies convena« bles. Finalement, il s'en remet à justice pour « faire l'application des intérêts au cas apparte« nants ».

Dans sa réponse à ce rude plaidoyer, M" Foubert crut devoir donner de plus amples développements à ses premières conclusions du 29 novembre, en s'attachant surtout à disculper le curé de toute intention mauvaise à l'égard de sa noble paroissienne.


« Ma partie, s'écria-t-il, a l'avantage que la « dame de Gouvets n'ose disconvenir que la place « où est actuellement la chaire ne soit la plus com« mode, parce que ce serait constaté par un procès« verbal que justice serait, dans ledit cas, requise « d'en dresser. Elle n'ose encore disconvenir qu'il « y a eu nécessité, en plaçant la chaire dans le « lieu où elle se trouve, de reculer son banc « d'environ deux pieds et demi. Ainsi, c'est mal à « propos qu'elle impute au sieur curé d'avoir agi « par un esprit de malice et pour lui faire injure. « Au reste, quel sujet de plainte a-t-elle? Son « banc n'est-il pas, dans l'état présent, le premier « de son côté?.(l) Oui, sans qu'il y ait aucun autre « banc intermédiaire entre le sien et la chapelle « Saint-Michel. On n'a donc pas eu dessein de « l'offenser en reculant son banc de deux pieds « (on voit que l'avocat abrège un peu la distance), « et cela ne doit pas être regardé comme une « voie de fait. Autre chose serait si le curé avait « fait réduire le banc, ou qu'il l'eût fait placer « au-dessous de quelque autre. On convient « que pour lors il y aurait eu nécessité de s'y « faire autoriser par justice, quand bien même « la demanderesse n'aurait eu d'autre titre que la « simple possession. Mais, dans l'espèce présente, (1) D'après Berault et Godefroy, sous l'article 142 de la Coutume de Normandie. la place la plus honorable pour un banc dans la nef était d'être le premier du côté de l'Epttre. Traité des fiefs par M. de la Tournerie. page 472.


« il y avait nécessité d'un côté et aucun préjudice « de l'autre, qu'on ait un peu reculé le banc. La « dame de Gouvets trouve même son avantage de « l'avoir maintenant vis-à-vis de la chaire. « En vain, pour rendre le sieur curé défavo« rable, avance-t-elle qu'il a dit hautement qu'il « mettrait son banc hors de l'église, car le fait est « par lui méconnu et il en donne tout lieu de « preuve. En vain, aussi, prétend-elle qu'il a « changé plusieurs fois la chaire de place, vu que « cela a été occasionné par les changements qui « ont été apportés aux deux chapelles qui sont « dans le haut de la nef. Enfin, le défendeur ne « prétend pas entrer dans la discussion de la « question de savoir si la dame de Gouvets est « bien fondée ou non à réclamer un droit de banc. « Son unique but est de conserver sa chaire dans « l'endroit le plus convenable, et l'intérêt parti« culier doit céder à l'intérêt public ».

En conséquence, M* Foubert conclut « à la dé« charge de l'action intentée à son client, avec « dépens ».

Les raisons invoquées en faveur du curé de Vernix ne paraîtraient peut-être pas sans valeur au point de vue juridique, si l'on se bornait à les comparer avec celles que les trésoriers de SaintPierre de Caen devaient présenter à la justice environ quarante ans plus tard, car eux aussi agirent inopinément, sans crier gare, même « dans les


« ténèbres de la nuit », en s'appuyant uniquement sur l'inaliénabilité absolue des biens d'Église, et s'étorinant grandement qu'un jurisconsulte eût osé parler d'une possession immémoriale pour établir un prétendu droit de banc lorsqu'on n'était ni patron fondateur de l'église, ni seigneur hautjusticier. J'ajouterai que Danisart cite plusieurs décisions conformes, sous les mots Bancs des égtises et droits honorifiques.

Considérée au point de vue du fait, la cause du curé de Vernix pourrait encore sembler plus favorable que celle des trésoriers caennais, puisqu'en 1743 il n'y eut que déplacement, et non destruction ni enlèvement comme en 1780 à Caen qu'enfin ces derniers gagnèrent leur procès devant le Parlement de Rouen, en arguant d'un simple embellissement pour leur église, tandis que M. Viel assurait n'avoir songé qu'à l'intérêt de la prédication, craignant de ne plus trouver de prédicateurs, à cause des vents-coulis et du bruit de la porte, s'il laissait la chaire en face de cette porte, c'est-à-dire du côté de l'Évangile.

Mais la vérité m'oblige à dire que cette crainte devait être, pour le moins, fort exagérée, car d'après une lettre que M. le curé Goron a bien voulu m'écrire à ce sujet, il est constant que la chaire a été maintenue par tous les curés au bas du chœur, côté de l'Évangile, vis-à-vis de la porte des hommes, jusque vers 1874 ou 1875, où son


prédécesseur, M. Guyot, faisant édifier de nouveaux bancs pour les hommes, en profita pour la placer 'r à la suite de ces bancs. Il est évident qu'on n'eût pas attendu aussi longtemps pour opérer un déplacement, soit d'un côté de la nef soit de l'autre, si la santé du prédicateur y eût été véritablement intéressée.

En tout cas, l'argument n'eut pas l'heur de faire impression sur l'esprit des juges d'Avranches et leur président intérimaire sans prendre la peine de motiver la sentence par le moindre considérant ou attendu, se borna à prononcer le dispositif qui suit

« Sur quoi, parties ouïes, ensemble le procu« reur du roi par Me Lottin, conseiller et avocat « de Sa Majesté, de l'avis du Conseil, nous avons « condamné le dit sieur iel à remettre le banc en « question à la place où il était auparavant l'en« treprise dudit sieur curé, et icelui curé condamné « aux frais curiaux (1) ».

Un point, c'est tout, à en juger du moins d'après le texte qui est sur la grosse, immédiatement suivi de la formule exécutoire habituelle « Si mandons, etc. ».

Pour hâter cette exécution, le procureur de la partie gagnante s'empressa, dès le 3 mars, de (1) Le mot curial provient à la fois de cure paroissiale et de Cour du Roi ou de Justice. Les droits curiaux sont les droits d'un curé les frais curiaux sont les frais de justice.


faire sommer celui du perdant par l'huissier Fontaine, « de recevoir tout présentement en communication les qualités de la sentence qui venait d'être rendue, afin par le dit sieur Curé d'y faire mettre le plaidoyer de son avocat dans le délai porté par l'ordonnance, déclarant que, faute à lui de rendre icelles qualités dans le dit délai, la dite dame entend délivrer la dite sentence sur les qualités et plaidoyer de son propre avocat ». Le même jour, en réponse à cette sommation, le procureur du curé fit signifier et déclarer à l'adversaire, suivant exploit de l'huissier Tesnière, « que le dit sieur Curé est et se porte appelant de la sentence du 22 février dernier, pour causes et moyens qu'il déduira en temps et lieu, lequel appel il soutient dévolu tif et suspensif à toutes poursuites et diligences que la dame de Gouvets voudrait faire contre lui et au préjudice d'icelui, qu'il entend relever quand et où il appartiendra, sous toutes réserves et protestations de fait et de droit». Cela est signé « Viel », d'une écriture tremblée. L'appelant d'un bailliage à la Cour avait trois mois pour faire ce relèvement et empêcher son appel de « tomber en désertion » de même qu'il pouvait y renoncer, s'il le jugeait à propos, dans la huitaine, sans encourir aucuns dépens (1). Quelle était, au fond, l'intention du condamné ? 9 (1) Fothier. lraité de Procéda i <; •ivilc, t. I, p. 312.


Suivant toute probabilité, il ne voulait qu'une chose gagner du temps -et reculer le plus possible le moment fatal où, à sa grande confusion, il .serait obligé de s'exécuter coram populo, en faisant rapporter le malencontreux banc à sa première place. Ainsi, du moins, le pensait la dame de Gouvets, car la huitaine ne fut pas plus tôt expirée que, dans le but d'abréger le délai de trois mois dont je viens de parler, elle fit présenter requête à la chancellerie du Parlement de Rouen par le procureur Joseph Dudeser, pour obtenir ce qu'on appelait des «lettres d'anticipation ». Ces lettres, qui lui furent délivrées sur parchemin le 18 mars, portent

« Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et « de Navarre, au premier notre huissier ou ser« gent sur ce requis Nous te mandons (1) qu'à la « requête de noble dame Marie de Gouvets, veuve « de Jean-Baptiste du Saussay, écuyer, sieur de « la Rouillerie, tu ajournes et anticipes bien et « duement maitre Jean Viel, prêtre, curé de la « paroisse de Vernix et tous autres dont requis « seras, à comparoir, aux délais de l'ordonnance, « en notre Cour de Parlement de Rouen, pour y « procéder par anticipation sur l'appel que le dit « sieur Viel a interjeté et non relevé, de sentence (1) On a peine à comprendre, dans nos mœurs démocratiques, ce tutoiement des huissiers et sergents des cours et tribunaux par nos anciens rois, mais ainsi le voulait le protocole d'autrefois.


« rendue en Bailliage à Avranches le vingt« deuxième jour de février dernier, résultant de « cas civil Car tel est notre plaisir. Donné à « Rouen, etc. ».

La signification en fut faite le 26 mars par Marc Thoubaii, huissier royal audiencier héréditaire en l'élection d'Avranches, exploitant par tout le royaume de France, au dit sieur Viel, en sa maison presbytérale à Vernix, et parlant à sa personne le tout avec intérêts et dépens. L'exploit porte la signature Marie de Gouvets, en grosses lettres et d'une main peu exercée. Le lendemain, 27 mars, était délivrée par le greffier Basselin (1) la grosse de la sentence sur six feuilles de parchemin, au nom de « messire' Henry Le Bersier, chevalier, seigneur marquis de Fontenay, patron de Saint-Marcou, Ozeville, Érneneville et autres lieux, conseiller et chambellan ordinaire du Roi, grand bailli du Cotentin, mestre(1) Ce nom, qui rappelle le joyeux et patriote chansonnier virois, a été longtemps encore après sa mort tragique, très commun dans l'ancien diocèse d'Avranches, surtout dans le Mortainais, et chose curieuse, plusieurs de ceux qui le portaient au XVIe siècle, avaient son prénom d'Olivier et sa profession de foulon. Ces particularités ont été signalées par M. Dolbet, archiviste de la Manche, à M. A. Gasté qui, on le sait, à l'exemple de M. E. de Beaurepaire (T. XXIV des Mém. des Antiq. de Norm., p. 15), a ôté au foulon-poète tout un recueil de chansons, pour le rendre à son véritable auteur, l'avocat virois Jean Le Houx, mais qui, par ses nombreuses et savantes publications, a plus contribué qu'aucun des éditeurs ses devanciers, à la renommée, je dirai même à la gloire du « Père du Vdu-de-vire ».


de-camp de cavalerie, commandant pour le service de Sa Majesté à Cherbourg et sur les côtes du Cotentin » (1).

Il y est dit, à la suite du mandement d'exécution, que la minute, demeurée au greffe, signée du président Badier de la Busnollière et de l'avocat du Roi, Lottin, a été taxée sous leurs seings, savoir par le premier, à 30 s. et par le second, à 20 s. Qu'il a été perçu pour le

contrôle syndic 22 s. et pour les épices 7 s. 6 d. Que la délivrance a coûté 7 1. 10 s. Le scel et le contrôle 50 s. Le contrôle ancien. 50 s. Ce qui fait un total de.. 16 1. 9 s. 6 d. (1) Le marquis de Fontenay, né le 7 avril 1677 à Cherbourg, mourut le 28 décembre 1762. Pourvu de sa charge le 25 octobre 1726, il s'en démit en 1753 au profit du marquis de Blangy, qui avait épousé sa nièce. M. L. Delisle (Mém. des Antiq. de Norm XIX, 119) en fait le 76« et avant-dernier bailli du Cotentin, tandis que M. L. Quenault (Annuaire de la Manche, 1866) l'inscrit sous le 75, et lui donne deux successeurs du nom de Blangy, au lieu d'un seul, jusqu'en 1789 ou 1790. Ces hauts dignitaires, dont les attributions militaires, financières, administratives et judiciaires, étaient autrefois* comparables à celles des gouverneurs de Province et des intendants de Généralité, avaient beaucoup perdu de leur importance à l'époque où se place notre procès. Toutefois un arrêt du Conseil du 16 décembre 1759 rappelait encore qu'ils devaient être nobles de nom et d'armes.


Report. 16 1. 9 s. 6 d.

En y joignant la taxe des der-

nières conclusions de Me Ma-

thieu » 1. 20 s. » d. et de Me Foubert. » 1. 20 s. » d. Le coût des lettres d'antici-

pation » 1. 29 s. 6 d. Leur collation » 1. 9 s. 6 d. et leur signification à domicile,

mémoire 1. » s. » d. Les deux significations du

3 mars 1744, mémoire » 1. » s. » d. Celle du 18 février 1744.. » 1. 2 s. » d. Les premières conclusions

de M" Mathieu » 1. 15 s. » d. Leur signification du 8février » l."3 s. » d. L'exploit de Fontaine du

3 mars » 1. 3 s. » d. ̃.< L'inscription de 14 s. 6 d. et

de 5 sous en marge, sans ex-

plication, soit » 1. 19 s. 6 d. L'exploit de Tesnière, à la

même date, mémoire. » 1. » s. » d. Celui du même huissier, daté

du 29 novembre 1743, mémoire » 1. » s. » d. Celui de Le Chartier du

25 novembre 1743 » 1. 9 s. 8 d. Enfin, l'exploit du même

huissier du 13 novembre 1743,

mémoire 1. » s. » d. On n'arrive qu'à une somme de 22 1. 11 s. 2 d.


laquelle ne serait pas sensiblement augmentée par le coût des quatre articles portés pour mémoire, simples significations généralement taxées à quelques sols, ni par les faux frais, tels, par exemple, que les voyages du curé à Avranches et le rétablissement du banc au haut de la nef. Assurément, le plaideur qui perdrait un semblable procès aujourd'hui, ne s'en tirerait pas à aussi bon compte 1 Quoi qu'il en soit, si, comme on l'a dit, l'affaire de Saint-Pierre de Caen n'est pas sans quelque analogie avec la querelle à jamais fameuse du Lutrin, l'affaire de Saint-Martin de Vérnix y ressemble tout à fait, non seulement par son objet, mais encore par son issue, puisque, à l'exemple du « prélat terrible » du poème, la dame de Gouvets sut triompher de son adversaire de sorte qu'au lieu d'un compte-rendu en vile prose, tel que je viens de le faire, un poète pourrait, marchant sur les traces de Boileau, emboucher la trompette héroï-comique pour chanter, mutatis mutandis, les « exploits » et la noble héroïne

Qui, dans une humble église, exerçant son grand cœur, Fit enfin replacer son banc tout près du chœur.


APPENDICE

Droits de bancs d'église jugés par Daniel Fluet, évêque d'Avranehes, à Saint- FI ilaire-du-Harcouët, en 1696.

L'opuscule qui précède était entièrement imprimé, lorsqu'a paru, vers la fin du mois de janvier 1898, le tome XIII des « Mémoires de la Société d'Archéologie, Littérature, Sciences et Arts d'Avranches et de Mortain ». Parmi les documents inédits qui y sont contenus, se trouve la copie d'environ la moitié d'un manuscrit intitulé « Registre des visites pastorales faites par Monseigneur l'illustrissime et révérendissime PierreDaniel Huet, évesque d'Avranches » (1).

Ce registre, qui se trouve malheureusement égaré aujourd'hui, était écrit de la main du secrétaire de l'évêché, mais portait sur plusieurs de ses feuillets la signature du prélat, ainsi que nous l'apprend M. Hippolyte Sauvage, l'auteur de la copie en question. C'est là une preuve que notre savant compatriote, qu'on se représente toujours renfermé dans la bibliothèque de son palais épiscopal, se faisait un devoir de (1) i'ages 26U à 313.


visiter en personne les paroisses de son diocèse, au lieu d'en confier le soin à ses archidiacres, comme le faisaient la plupart des princes de l'Église de son temps. Or, au cours de ses visites dans l'archidiaconé de Mortain, l'évêque d'Avranches eut à statuer sur plusieurs litiges relatifs à des droits de bancs dans l'église de Saint-Hilaire-du-Harcouët, et cela non comme juge ecclésiastique, mais en vertu d'une délégation verbale de la juridiction laïque compétente, tant la magistrature avait de confiance dans ses lumières et la droiture de son jugement.

Voici donc comment les choses se passèrent, d'après le récit même de l'illustre visiteur « Le Rocher. Du samedy 28e jour de juillet, «an 1696, sur les 8 heures du matin, nous sommes « partis du presbytère de Barenton avec notre suite (1), «pour nous transporter à la paroisse du Rocher, « faubourg de Mortain, où nous sommes arrivés sur a les 10 à 11 heures et logés au presbytère où le clergé « nous est venu saluer.

« La messe finie, nous sommes appliqués à donner « le sacrement de confirmation à une grande affluence «de monde jusques au nombre de 1410 personnes, t depuis midy jusques à 4 heures du soir. (1) La cure de Barenton était alors occupée par l'abbé Pierre Crestey, originaire de diocèse de Séez, ancien condisciple de Daniel Huet à Caen, et qui mourut en i703, après avoir doté sa paroise d'un hopital tlorissant.


« A notre retour de l'église au presbytère, y avons « trouvé Messieurs les Officiers du baillage et vicomté «de Mortain, qui nous y attendaient, venus en corps «et en habit de judicature pour nous complimenter «et après les avoir remerciés et entretenus sur plu« sieurs affaires de conséquence, leur avons déclaré « que nous avons remarqué par notre mandement le « mercredy premier jour d'aoust, pour faire notre 1 visite à l'église de S'-Hilaire, pour régler sur des con« testations qui se trouvent entre le s' Curé, la Dam"' « de Boisbunon et autres, pour des places de bancs, où « avons convié Mrs de la justice de se trouver en leur « présence pour décider la question et terminer le « différent de tout quoy ils nous ont déclaré se rap«porter à nous.

« Saint-Hilaire. Du mercredy premier d'aoust « 1696, sur les 8 heures du matin, sommes partis de «l'abbaye de Savigny, et sommes arrivés au bourg « de Saint-Hilaire-du-Hascouët, sur les 9 heures, et « descendus au presbytère.

« Sur la contestation d'entre le curé etparoissiensdud. «lieu, d'une part, et la Dl|e de Boisbunon d'autre, pour «une place de banc prétendue par lad. D"e, qui estait « placé anciennement au lieu où est maintenant la « chaire du prédicateur, avant que pour la commodité «du service divin l'on eust fait des chaises et alongé le « chœur, et par la sanction de lad. D"° disant que ses


1 ancestres ont toujours eu droit de sépulture dans la c place où est à présent le chœur, avons préalablement t ordonné qu'iceluy chœur sera achevé de clore et sé< paré de la nef par un balustre, et que le banc de lad. « D"* sera placé immédiatement le premièr au-dessous « dud. balustre et clôture, du côté de l'évangile, et t qu'à cette fin les autres bancs qui occupent lad. 1 place seront descendus successivement, et qu'elle 1 aura sa sépulture dans led. chœur, sans attribution « néanmoins du droit là où elle ne représenterait tiltres valables pour la justification de ses droits et « sera notre ordonnance exécutée à la diligence du t marguillier es frais du thrésor.

« Sur la remonstrance qui nous a esté faite par le c sr de Percontal qu'ils ont droit de sépulture dans la t partie du chœur qui a esté alongée, et qu'ils ont aussy droit de banc dans la chapelle du Scapulaire, « avons ordonné qu'ils seront conservés dans leurs droits de banc et de sépulture, suivant leurs titres, 1 si aucuns en ont, et non autrement.

t Se sont aussy présentés les héritiers de Guillaume Cordon, écr sr de la Faucherie, lesquels nous ont aussy remontré que par contrat passé devant Pierre € Le Tourneur et Pierre Serrant, tabellions à St-Hi- laire, le i" février 1583, dont il se disent saisis, ils auraient aussy droit de sépulture dans led. chœur et place de banc devant l'autel St-Fiacre, qui estoit au-dessus du pilier où est à présent la première chaize du chœur, du côté de l'épistre avons orc donné qu'ils seront conservés dans leurs droits de 1 banc et sépulture; et attendu que la place du


« banc est à présent occupée par lad. chaize du chœur, < il sera placé immédiatement après icelle, du côté « de l'épistre en représentant leurs titres justific catifs. »

D'après ces textes, il semble bien que si, par impossible, le curé de Vernix avait été jugé par Mgr Huet, il eût eu gain de cause, puisque son adversaire n'avait argué que d'une possession de plus de deux siècles, sans représenter aucuns titres de propriété.

T. RAULIN.


SAINT ÉVREMOND

ET SES ÉTABLISSEMENTS DE FONTENAY, Par M. Albert PELLERIN

Le Bulletin de la Société renferme, dans son n° des 1" et trimestres de 1865, une controverse entre le savant abbé Do et l'auteur de ces lignes, relative à l'emplacement des établissements religieux de saint Évremond, ermite et abbé en Basse-Normandie vers la fin du VII" siècle. Nous soutenions que ce saint appartenait à notre diocèse de Bayeux, comme fondateur de l'abbaye de Fontenay-sur-Orne et d'ermitages sur le territoire d'Exivise, aujourd'hui Exévilliers, dans la commune de Cintheaux (1). Notre regretté (1) Le vrai nom est Sainteaux, de Sanctellis, Sanctella, Sancella, selon Ordéric Vital, et non pas Sanclelli, comme on l'a cru longtemps. Sanctella, pluriel neutre, et non féminin singulier, comme l'a employé un épigraphiste dans l'église de cette paroisse.


collègue estimait, au contraire, que ce saint appartenait exclusivement au diocèse de Séez son abbaye ayant été fondée à Fontenay-les-Louvets, dans la forêt d'Écouves, près d'Alençon. L'enjeu du débat était le maintien ou la radiation de l'office du saint dans le propre du diocèse de Bayeux, dont la révision s'opérait alors. Supprimé dans le projet, il y fut rétabli, à la suite de notre discussion. Nous avions gagné notre procès Aujourd'hui, il nous est venu des scrupules et nous devons à la Société la rectification d'importantes erreurs, commises par l'un et l'autre adversaire dans la discussion que nous venons de résumer.

Dans ces derniers temps, en effet, la question a fait un très grand pas, grâce aux curieuses recherches de M. l'abbé Blin, dans ses vies des saints du diocèse de Séez, t. II, p. 1 et suiv., art. Saint-Evremond. Ce consciencieux hagiographe nous a renvoyés dos à dos, M. l'abbé Do et nous, en démontrant de la manière la plus irréfutable que saint Evremond avait fondé son abbaye, non pas à Saint-André de Fontenay-sur-Orne, non pas davantage à Fontenayles-Louvets, mais bien à Montmerrey, Mons Majéris ou plutôt, Mons Mariw, Mary, en anglais, près de Séez, où il fonda trois églises, la première en l'honneur de saint Martin de Vertou, la seconde en l'honneur de la sainte Vierge, et la troisième en l'honneur de la sainte Croix. Les emplacements


de ces églises ont été péremptoirement déterminés par M. l'abbé Blin. Il n'est pas jusqu'à celui de l'église de Saint-Didier, consacrée par saint Évremond, d'après sa légende à une demi lieue de son monastère, dont nous ne retrouvions le nom, à peine défiguré, à cette même distance de son abbaye de Montmerrey, dans la bruyère de SaintHivier et le village de Saint-Hivière. Quant à Fontenay-les-Louvets, il est absolument hors de combat. Il ne reste rien à l'appui de notre contradicteur qu'une allégation de l'abbé d'Expilly, dans le dictionnaire de Moréri d'après lequel saint Évremond aurait été de. son temps l'objet d'un culte à Fontenay-les-Louvets, ce qui est absolument faux aujourd'hui, et dont il a été impossible de retrouver le moindre vestige, soit à l'évèché de Séez, «oit à Fontenay-les-Louvets. Or, un culte à un saint qui ne peut être rendu que sous la surveillance et avec la permission de l'évêché, ne peut avoir existé, puis avoir disparu, à une époque relativement récente, sans laisser des traces authentiques. L'allégation de l'abbé d'Expilly est donc absolument controuvée et démentie par les découvertes de M. l'abbé Blin.

Si ce savant hagiographe a fait table rase de la thèse de M. l'abbé Do sur Fontenay-les-Louvets, il n'a pas mieux traité la nôtre, en ce qui concerne la fondation de l'abbaye de Fontenay-sur-Orne. Malgré tant de savants auteurs sur lesquels elle


s'appuyait, nous devons reconnaître aujourd'hui que saint Évremond paraît y avoir été étranger. Tout au plus aurait il fondé là un de ces ermitages dont il avait couvert le pays de Fontenay, avant d'avoir fondé son abbaye de Montmerrey.

Mais en ce qui concerne ces ermitages, rien n'est venu ébranler notre thèse qui les place sur le territoire à'Exuviœ, Exivice, c'est-à-dire d' 'Exivillicrs et de Sainteaux.

Sur ce point, nous ne pouvons que renvoyer nos lecteurs à notre mémoire précité de 1865.

Nous devons seulement faire remarquer combien notre thèse est corroborée par l'élémination du débat de Fontenay-les-Louvets. Il demeure certain que les premiers ermitages de saint Évremond furent fondés dans un pays de Fontenay, par conséquent, pas à Montmerrey. Ce ne peut pas être dans le diocèse de Séez. On va voir que ce ne peut être que dans le diocèse de Bayeux.

Les hagiographes modernes n'ont pas remarqué que, d'après les légendes, Évremond s'établit, d'abord, à Exuciw ou Exicidi dans le pays de Foutenay. Elles emploient le mot vicus, que Ducange interprète par pagus, au XIIe siècle, précisément à l'époque de la rédaction de nos légendes, et que l'abbé Hermant traduit par canton. La Gallia chrisliana dit « in desertum quod Fontanetum dicilur ». Et comme ce désert était couvert de bois, on vait qu'il s'agit d'une forêt du nom de Fon


tenay, d'un territoire et non d'un village, ce qui achève d'exclure Fontenay-les-Louvets.

Les historiens de Séez, Mveuglés par les besoins de leur cause, ne se sont pas aperçus que les légendes plaçaient Exuviie, Exiviw, dans le vicus ou pagus de Fontenay, tandis que, d'après eux, c'eût été Fontenny qui eût été dans Écouves, le contenant dans le contenu

Ce vicus, ce pays de Fontenay, nous le retrouvons dans le voisinage d'Exivilliers, et cette fois, à l'état de contenant, comme dans la légende. Il n'est pas possible de ne pas le reconnaître dans les trois Fontenay juxtaposés Fontenay-le-Marmion, chef de fief féodal, Saint-André-de-Fontenay, Saint-Martin-de-Fontenay. La forêt primitive qui couvrait le territoire de Sainteaux, lequel joint celui de Fontenay-le-Marmion, était sans doute la forêt de Fontenay, puisque son territoire relevait encore, au XIIe siècle, des Marmion, vicomtes de Fontenay, et jusqu'aux derniers siècles de leur ancienne juridiction, transportée d'abord au Thuit, puis de là à Saint-Sylvain.

Évremond, d'une famille noble de Bayeux, établit d'abord ses ermitages sur ses terres de Fontenay et d'Exiviae. Elles portent encore aujourd'hui les mêmes noms, et nous y retrouvons la mare Saint-Ber, de saint Bermond ou Ébermond, et le pré Marie, fialum Mariœ, comme l'abbaye de Saint-Évremond s'appela plus tard Montmerrey, mous Mariœ.


Grâce à M. l'abbé Blin, saint Évremond, abbé, appartient désormais sans conteste au diocèse de Séez. Mais, comme fondateur d'ermitages, des Sanclella de Sainleaux, il appartient au diocèse de Bayeux, à la paroisse de Cintheaux, dont il a le mérite d'avoir, le premier, reconnu et défriché le fertile territoire.


NOTE

SUR

FONTAINE ÉTOUPEFOUR 1671

Par M. Charles de BEAUREPAIRE

-Ii>

Fontaine-Étoupefour était un demi-fief de haubert, sis en la paroisse du même nom et relevant directement du Roi à cause de la châtellenie d'Évrecy ou de la vicomté de Caen.

On conserve aux Archives de la Seine-Inférieure, dans le fonds de la Cour des Comptes de Normandie, les aveux rendus pour ce fief, par Louis Le Valoys, notaire et secrétaire du Roi, 26 février 1567 (copie) par son fils aîné, Jean Le Valoys, '13 septembre 1604 ;-par le fils aîné de celui-ci, Tanneguy Le Vallois, 16 février 1642 – par Anne de Vallois, pour elle et pour ses sœurs Françoise et MarieAnne de Vallois, filles dudit Tanneguy, 1678; par Pierre-François Le Viconte, baron châtelain


de Blangy, en sa qualité d'héritier de sa mère, Marie-Anne de Vallois, 10 mars 1736.

Le manoir seigneurial de Fontaine-Étoupefour était entouré de larges et profonds fossés dont le curage était une charge assez lourde pour les tenants de ce fief.

Peu de temps avant sa mort, Tanneguy Le Vallois avait fait assigner ses vassaux devant le sénéchal de sa seigneurie pour être présents à la bannie ou adjudication au rabais des travaux à faire pour le curage et le talutage des mottes et des bieux de son château, ce qui nous donne lieu de faire observer que, depuis longtemps, cette servitude féodale, de personnelle qu'elle était à l'origine, avait été convertie en une contribution en argent. Le prix d'adjudication fut de 1.197 livres pour l'entrepreneur on avait espéré un plus grand rabais. Aucun des vassaux, cependant, ne songea à se récrier, si ce n'est Adam Maxuell, sieur du Mesnil, bourgeois de Gaén, lequel contesta la légitimité du droit de talutage et soutint contre Françoise Cottard, veuve de Tanneguy Le Vallois, un procès qui fut porté devant le bailli de Caen et, par appel, devant le Parlement de Normandie (1669).

Il avait réussi à faire diminuer sa part contributive qui avait été fixée à 314 livres, mais il ne put voir sans dépit qu'on lui réclamât les frais de l'expertise qu'il avait provoquée. Il fit donc assi-


gner en 1672, en Parlement, en réduction de taxes, Jean Blondel, sieur de Tilly, lieutenant particulier civil et criminel au bailliage de Caen, et Marc Restout, peintre en cette ville, auquel il avait fallu avoir recours, parce qu'en ce temps-là il n'y avait point encore d'ingénieur à proprement parler. C'est ainsi qu'à propos d'une contestation pour les limites de leurs paroisses respectives entre les deux curés de Saint-Godard et de Saint-Patrice de Rouen, ce furent des peintres de cette ville qui furent chargés, à défaut d'hommes spéciaux, de lever le plan, ou, comme on disait alors, de faire le portrait de l'emplacement du vieux château, objet du litige. Il est plus que probable que Marc Restout n'eût pas demandé mieux qu'on le laissât à ses travaux ordinaires sans l'exposer aux récriminations d'un plaideur peu endurant. Obligé de se défendre, il rédigea, d'accord avec le procureur Bourrienne, le mémoire suivant, qui contraste, par sa clarté et sa précision, avec celui de la partie adverse.

Bourrienne, procureur de Marc Restout, M" peintre, bourgeois de Caen ayant communiqué à son Conseil la requeste présentée par Adam Maduel, sieur du Mesnil, le cinquième de ce mois, dont luy aurait esté délivré copie ce huit,

Dit qu'il n'a aucun intérest au proceds d'entre les parties et que mal à propos il a esté approché en cette cause sur le prétexte que le juge des lieux lui a accordé


un exécutoire de la somme de soixante livres pour ses peines, sallaires et vaccacions d'avoir dressé un plan du lieu descordable entre lesd. parties, car ledit Restout est prest de faire foy à la Cour qu'il a esté deux jours entiers pour prendre le dessein, hauteur et mesure du manoir de Fontaine, qui est le lieu descordable et des mottes et bieuz qui sont allentour, et, outre ce, que pour dresser le plan et son procès- verbal, il a vacqué douze jours entiers pour cet effet,, pour lequel travail ne luy ayant esté alloué que lesd. soixanie livres, ce n'estoit pas la moitié de ce qui luy appartenoit légitimement, ayant quitté sa profession pour entendre à cette seule affaire, où il a perdu plus de trois fois davantage, qu'il n'auroit fait s'il avoit travaillé à sa profession de peintre.

Mais pour contenter entièrement ledit Maduel ou plus tost la femme d'iceluy, qui est l'une des plus grandes plaideuses du Palais, ledit Restout demande, soubz le congé de la cour, la représentation dudit plan et élévacion d'iceluy, ensemble son procès-verbal d'inspection et explication qu'il en a délivré aux parties et, ce fait, que l'on convienne d'experts à ce connoissans pour par eux, après le serment presté, donner leur attestation de ce qu'il faloit légitimement audit Restout pour ledit travail, peines, sallaires et vacations, sauf après cela à prendre par ledit Restout telles conclusions qu'il avisera bien estre, et, à faute par ledit Maduel de le vouloir accepter, soustient ledit Restout que dès à présent ledit Maduel doit estre évincé de son mandement et requeste avec intérest.

MARC Restout.

BOURRIENNE.


A ce mémoire, conservé dans les archives du Parlement, sont joints onze croquis à la plume, de la main de Marc Restout, exécutés évidemment à la hâte, et naturellement sans la moindre prétention artistique, puisqu'il ne s'agissait que de constater les mesures des mottes des fossés.

Deux de ces croquis, cependant, me paraissent mériter d'être reproduits. Ils peuvent, je crois, servir à compléter la description que M. de Caumont, dans sa Statistique monumentale du Cal vados, a donnée du château de Fontaine-Étoupefour ainsi que le dessin, joint à cette notice, qui représente la porte principale de ce curieux édifice. Peut-être aussi trouvera-t-on que le nom de Marc Restout, peintre caennais distingué, prête quelque intérêt à ce mémoire et aux croquis qui l'accompagnent (1).

(1) Consulter, sur cet artiste et sur les divers membres de sa famille, le mémoire de M. de Formigny de la Londe « Essai sur les principes de la peinture, par Jean Restout, peintre ordinaire du roi Louis XV », Caen, 1863; et les Recherches sur la vie et les ouvrages de quelques peintres provinciaux de l'ancienne France », de M. Ph. de Chennevières-Pointel, t. III., p. 257-287.


NOTES

SUR

LES CONFRÉRIES A VIRE Par M. Louis GILBERT

o

Confrérie de la Passion

Au XIIIe siècle apparaissent, à Vire, les premières Confréries dont cette ville fut richement pourvue.

Celle qui fut fondée sous le titre de la SainteTrinité, Mort et Passion de N.-S.-J.-C., parait la plus ancienne.

L'original de ses statuts fut perdu ou brûlé avec tant d'autres choses quand les Calvinistes pillèrent la ville de Vire. Charles des Humières, évêque de Bayeux, en approuva en l'an 1618 une copie qu'on lui présenta.

Il n'y a qu'un majeur, dans cette Confrérie, qu'on nomme échevin.

On lui donne un prévôt pour lui aider. Sa fonc-


tion ne dure qu'un an et le prévôt lui succède. Les bourgeois nomment tous les ans un prévôt, qui est ordinairement un marchand, devant le juge qui préside au bailliage.

Cette Confrérie a neuf chapelains, tous à la nomination de l'Échevin. Ils disent tous les matins, chacun à leur tour, une messe basse, et tous les derniers dimanches du mois une haute messe. Elle a encore douze frères serviteurs qui ont soin de faire les fosses pour enterrer les morts et les porter à l'église.

Extraits des statuts

Si aucuns des frères tombaient malades, tellement qu'ils ne pussent aller ouïr la messe à l'église, l'Échevin sera tenu et sujet faire visiter un chacun, chaque dimanche, en leur maison, aussitôt qu'il en aura connaissance, pourvu toutefois qu'ils soient dans la paroisse de Vire, par l'un des chapelains de la Confrérie, et. sera obligé de lui dire une messe sèche, donner de l'eau bénite et faire du pain bénit.

Item est ordonné que si aucun paroissien de Vire, frère ou serviteur de ladite Confrérie, tombe malade de la lèpre, tellement qu'il fût obligé de se rendre à la Maladrerie, le jour qu'il y sera rendu, il lui sera dit une messe basse et fait le service et suffrage comme à un autre quand il sera décédé; puis, sera envoyé par l'Échevin ou prévôt douze frères avec la croix et la bannière jusqu'au lieu de la dite Maladrerie, et lui feront de plus donner des biens de cette Charité la somme de dix sols, et il ne sera plus tenu désormais


de payer aucuns deniers à la dite Confrérie, s'il ne lui plaît.

Item si aucuns des frères ou serviteurs dudit Vire voulaient visiter la Terre-Sainte, Rome ou Saint-Jacques en Galice, il leur sera dit une messe basse en l'église dudit Vire, et l'échevin, prévôt et douze frères seront tenus et sujets les convoyer avec la croix et bannière jusqu'au lieu accoutumé.

Item est ordonné que toutefois que l'échevin, prévôt et douze frères, ou aucun d'iceux, seront comparaissants aux services et choses susdites, seront obligés de porter des chapperons de livrée moitié rouge et moitié blanche.

Item est ordonné que si aucuns desfrères et serviteurs de la dite Confrérie avaient des filles à marier, l'Echevin sera tenu de donner à chacune fille la somme de dix sols tournois quand leur grâce viendra.

Et si aucuns frères ou serviteurs de la dite Confrérie perdaient leurs biens par fortune, sans leur pourchat ou malice, l'Échevin sera tenu leur donner pour une fois la somme de une livre. Et si aucuns des frères ou serviteurs tombaient en maladie, qu'ils ne pussent gagner leur vie, n'ayant de quoi subsister, ledit Échevin sera tenu leur donner la somme de cinq sols. Et si aucuns des frères ou serviteurs étaient excommuniés à l'heure du trépas et qu'ils n'eussent pas de quoi s'en faire absoudre, l'échevin leur donnera cinq sols.

Cette Confrérie a environ 440 livres de revenus pour satisfaire aux charges auxquelles elle est obligée.


La Confrérie possédait encore des joyaux et de précieux reliquaires dont elle fut dépouillée. Le manuscrit auquel l'extrait des statuts est emprunté admire « la droilure et la bonne foi du comte de Montgommery, qui ne voulut pas prendre les joyaux et les reliquaires de la Confrérie de la Passion, sans en donner acquit à l'Échevin de cette Confrérie. » (Prise de Vire par les Protestants en 1562-15G3). L'Angevine.

Vers le même temps (XIIIe siècle), les habitants de Vire établirent encore une autre Confrérie qu'ils appelèrent Angevine, parce qu'elle est fondée en l'honneur de la Nativité de la Vierge, dont la fête ayant commencé d'être célébrée en Anjou, a été nommée Angevine dans plusieurs églises de France.

Cette Confrérie est desservie par neuf chapelains qui sont obligés de chanter tous les jours une messe de la Vierge à 7 heures en été et à 8 heures en hiver; de chanter aussi la musique aux fêtes solennelles. Ces chapelains sont en possession depuis très longtemps de porter l'aumusse. Ils sont nommés par des majeurs que la Ville établit tous les trois ans pour cet effet. Le revenu de la Confrérie est d'environ 700 livres de rente.

Les Confréries étaient « si fort au goût » des


habitants de Vire, que chaque métier voulut avoir la sienne en particulier, ainsi que son patron et sa fête.

Les pelleliers prirent saint Jean-Baptiste. On trouve un contrat de donation qui lui a été faite dès l'an 1388.

Les merciers prirent saint Michel. Une donation leur fut faite en 1438.

Les tanneurs ont pris la Purification de la Vierge ou Chandeleur. Ils sont saisis d'une donation à eux faite dès l'an 1400. On tient par tradition que ce sont les premiers ouvriers qui se sont établis à Vire dans la rue du Valhérel, qui est sur la rivière la Vire, proche le Château. Ils ont une charte de Henri III, donnée à Avignon le 7 janvier 1575, qui confirma leurs statuts et les maintint dans les droits et privilèges accordés à leurs confrères établis de temps immémorial dans l'église de Vire, dont les anciennes chartes ont été brûlées par les gens de guerre du comte de Montgommery qui prirent d'assaut la ville de Vire.

Les bouchers ont pris l'Annonciation de la Vierge. Ils ont une charte de Charles VI, de l'an 1412, qui oblige ceux qui voulaient exercer le métier de boucher à Vire, de payer le vin et bienvenue au taux, regard et conscience des anciens. Ils firent approuver leurs statuts devant noble homme Jean Fouquet, lieutenant du bailly de Caen en la vicomté de Vire, l'an 1518.


Rang des Confréries aux Processions. Les Confrères des Confréries sont obligés d'assister aux processions qui se font à la Fête-Dieu et pendant l'Octave tous les jours ce qu'on appelle le Sacre, qui est une cérémonie qui ne s'observe qu'à Vire et à Angers. Les marchands et les artisans vont tous deux à deux dans le rang de leurs Confréries ils ont à la main une torche à laquelle est attachée l'image du métier ou du saint de la Confrérie les majeurs de chaque métier ont, par distinction, un chaperon sur l'épaule. Pour les majeurs des autres Confréries, ils vont, la torche à la main où est attachée l'image de leur saint, et le chaperon sur l'épaule, immédiatement après le Saint-Sacrement, à la réserve de la Fête-Dieu et des jours de l'Octave qu'ils sont précédés par les douze frères serviteurs de la Confrérie de la Passion qui, vêtus de robes de chambre avec des tapis en écharpe, représentent les douze apôtres ils ont derrière la tête une couronne de rayons, et dans leurs mains l'instrument du martyre de l'apôtre qu'ils représentent.-

Les Confréries des marchands et artisans sont encore obligées de fournir douze Confrères qui, avec leurs torches ou flambeaux, marchent devant le Saint-Sacrement lorsqu'on le porte aux malades.


Ces notes sont tirées à peu près textuellement d'un manuscrit inédit qui a pour titre « Les Antiquités de la ville de Vire ».

Il contient 160 pages le dernier fait qu'il mentionne est daté de 1787. L'auteur, resté inconnu, semble avoir fait une compilation plutôt qu'une œuvre originale.

Il a puisé surtout dans les II. Remarques et Antiquités de la ville de Vire, tirés et extraits du papier terrier de l'an 1544 », en exécution de la Déclaration du Roi de l'année 1540.

M. l'abbé Marivingt, curé de Notre-Dame de Vire de 1872 à 1883, a eu cet intéressant manuscrit entre les mains et avait pris soin de le copier presque intégralement.

Cette copie est aux archives de la fabrique de l'église Notre-Dame de Vire.


ÉGLISE NOTRE-DAME DE VIMOUTIERS NOTICE

SUR

UN ANCIEN RETABLE

Par M. PERNELLE.

– «Qt – –

En démolissant le groupe de terre cuite qui surmontait le maitre-autel de l'ancienne église NotreDame de Vimoutiers, on a découvert une suite de sculptures qui se trouvaient masquées sans qu'on ait pu, un seul instant, supposer leur existence. Ces sculptures, qui accusent le XV. siècle, occupent un panneau en pierre dure mesurant 2m 30 de largeur sur lm de hauteur.

Le soubassement mouluré supporte six pilastres dont le fût a 0m 50 de hauteur. A cause de leur saillie, les décorateurs du temps (1830) n'ont pas laissé trace de leur ornementation toutefois, il est possible de voir que les chapiteaux étaient surmontés de vases d'où s'échappaient des flammes.


Entre les pilastres se développent des niches à coquilles ornées et à fond d'or de 0m 20 de rayon et servant comme de couronnement à plusieurs épisodes de la vie de la Sainte Vierge.: l'Annonciation, la Visitation, la Nativité, l'Adoration des Mages et la Circoncision.

Le motif du sujet occupe une largeur de 0m 30 sur 0m 50 de hauteur. Chacun d'eux, au-dessous de la coquille qui le surmonte, est abrité sous une sorte de draperie divisée par une cordelière à gland et de laquelle se détache un rideau d'angle formant décor.

§ I. L'ANNONCIATION.

A gauche, un ange aux ailes éployées et dorées descend du ciel, tenant de la main gauche un bâton royal fleurdelisé autour duquel s'enroule une banderolle à droite, la Vierge, assise, appuie la main droite sur un livre ouvert devant elle, et la main gauche sur sa poitrine le milieu du panneau est occupé par un vase antique d'où s'échappe une fleur de lys. A gauche, derrière la Vierge, on aperçoit un lit à baldaquin carré orné de draperies. § IL LA VISITATION.

A droite, la Sainte Vierge se rend auprès de sainte Élisabeth qui se trouve du côté opposé. La figure de la Vierge, la tête haute, est d'un dessin assez remarquable.


§ III. LA NATIVITÉ.

Deux anges ailés entourent le berceau de l'Enfant Jésus. La Sainte Vierge, à genoux, le surveille, tandis que saint Joseph domine le sujet, ayant les mains croisées sur la poitrine. Le bœuf et l'âne s'aperçoivent derrière la Vierge.

§ IV. L'ADORATION DES Mages.

La Sainte Vierge, assise à droite, tient l'Enfant Jésus sur ses genoux. A gauche, un des Mages à genoux à droite, un autre qui se découvre le troisième, au milieu, offre des présents à l'angle gauche, l'étoile du berger a conservé toute sa dorure.

§ V. LA CIRCONCISION.

La Vierge tient l'Enfant Jésus sur le bras les sujets qui l'accompagnent et qui occupent la partie droite du panneau sont assez mutilés.

Au-dessus des coquilles règne une frise de chérubins ailés, alternés avec des écussons qui ont dû renfermer des armoiries le tout est doré. Le motif central qui surmonte la Nativité, montre un chérubin ayant les mains jointes il est dans un parfait état de conservation.


NOTE SUR UNE DÉCOUVERTE

DE

MONNAIES FRANÇAISES Faite à TOUR, près Bayeux

Par M. G. VILLERS

H 1--

A peu de distance de la croix de Mosles, située sur le bord de la route nationale de Paris à Cherbourg, se trouve, séparé en deux par le chemin d'Étréham, un hameau portant le nom de Fumichon, appellation qu'on retrouve sur plusieurs points du département du Calvados (1).

Ce hameau de Fumichon, aujourd'hui réduit à quelques maisons, était, dit-on, autrefois considérable. Suivant une tradition, il aurait même possédé une chapelle.

Dans les derniers jours du mois de juin 1896, (1) Un hameau de Fumichon existe à Vaux-sur-Aure, commune voisine il y existait une chapelle. Des Fumichon se trouvent aussi dans le Pays d'Auge.


un ouvrier, travaillant sur la partie dépendant de Tour à la démolition des fondations d'un vieux mur, rencontra sous sa pince un petit rouleau métallique oxydé. L'ayant recueilli et examiné avec soin, il reconnut que c'était un rouleau de monnaies fort minces, dont le possesseur, en les confiant à sa cachette avait fait ce qu'on nomme vulgairement une cartouche, dont l'enveloppe avait disparu.

Informé de cette découverte, nous nous rendîmes à Tour où, par la bienveillante intervention de MM. de Courson et Guesnon, nous obtinmes communication du petit trésor.

Les pièces d'argent qui le composent sont au nombre de vingt-sept, de deux modules différents dix-sept de l'un et dix de l'autre.

Ces monnaies, de deux types uniformes, appartiennent toutes au règne de Charles VI, roi de France.

Celles de la plus grande dimension, c'est-à-dire les dix-sept, sont des monnaies connues sous le nom de Blancs, dits Guénars.

L'avers porte un écu dépourvu de couronne et orné de trois fleurs de lys. Autour, règne cette légende

KAROLUS FRANCORUM REX.

Au revers, une croix cantonnée de deux fleurs de lys et de deux couronnes autour

SIT NOMEN DOMIN1 BENEDICTUM.


Les dix petites pièces présentent le même type, mais diffèrent par la dimension. Ce sont des demiblancs, comme les autres en argent de bas titre. Ces blancs, d'argent à l'origine, en billon argenté plus tard par suite de l'altération des monnaies, sont demeurés longtemps dans la circulation en Normandie. Au commencement de ce siècle, ils remplissaient le rôle de doubles liards et, dans le langage populaire, à Bayeux, deux sols et demi se nommaient six blancs.

Sans être rares, les monnaies de Charles VI de cette catégorie ne sont pas très communes dans le Bessin, et, en général, quand on en trouve, elles sont en assez grande quantité. Elles constituaient alors un petit trésor que, pour des raisons personnelles, son possesseur avait confié à la terre. A qui appartient le petit dépôt trouvé à Tour, dépôt dont nous venons de constater la découverte ? 9 La réponse à cette question est impossible à faire.

Cependant, certains indices peuvent donner naissance à quelques suppositions.

Lorsque, profitant de la démence de Charles VI et des désastres de la France, Henri V d'Angleterre se fut fait nommer régent du royaume de France, son usurpation rencontra en Normandie de nombreux opposants.

La commune de Tour (celle dont il s'agit) en compta trois qui mirent au service de la cause na-


tionale leur influence, leur fortune et leur vie. Ce furent Michel, Jacques et Pierre de Marguerye, qui possédaient le château de Vaulaville et d'autres domaines situés à Tour, et refusèrent de se courber devant le vainqueur d'Azincourt.

Par une charte datée du château de Caen, le 1er mai 1418, Henri V les déclarant brigands, confisqua sur eux le domaine de Tour, dont il fit don à Thomas Warde, chevalier arrêt de proscription qui, plus tard, devint pour les Marguerye fugitifs un titre de gloire.

Il ne serait donc pas impossible que les blancs trouvés à Fumichon en 1896 eussent appartenu aux Marguerye en 1418 ou à quelques-uns de leurs partisans, comme eux obligés de fuir pour sauver leur vie ou au moins leur liberté.


CONFERENCE

Faicte à Paris en 4659

Touchant la généalogie de la Maison de Harcourt

(Texte communiqué par M. le comte de Blangy)

Ci)

PROCEZ VERBAL

Le lundy trente iesme de Juin Monsieur de la Roque ayant convié plusieurs personnes doctes, mais principalement celles qu'on reconnoist plus versées en la science de l'Histoire et de la Généalogie des grandes Maisons pour deposer a leur censure l'Histoire genealogique de la Maison d'Harcourt qu'il a composée la compagnie fut encore accrue et illustrée de quelques gents de qualité qui en eurent advis, et qui en retournerent si plains de satisfaction, qu'ils firent regretter a plusieurs des plus Illustres du Royaume la perte d'une occasion jusque» la fort nouvelle, mais que


le succez fist juger fort importante, tant pour conserver aux familles nobles et anciennes les droicts de leur naissance, que pour empescher qu'on abuse a l'advenir de la connoissance de l'Histoire, et qu'on ne derobe les cendres des lieros des premiers siecles pour faire des ancestres a des phantosmes de la fortune. C'est pour cette raison que l'assemblée jugea qu'il estoit a propos d'en laisser un acte, et je receus d'autant plus volontiers l'ordre de le dresser que j'avois esté chargé de lire les titres et d'en faire le rapport devant l'Assemblée. Elle se tint au Faux Bourg sainct Germain au logis de Monsr Justel, secretaire du Roy, personnage aussy scavant qu'il est recommandable par toutes les autres qualitez d'esprit et de vertu qui'luy sont héréditaires, et dont le nom suffit pour tout eloge. La compagnie se trouva si complette qu'il ne resta rien a desirer que la presence de Mre de Vion s. de Herouval, Auditeur des Comptes a Paris qui en fut détourné pour des affaires importantes et de Monsieur du Rouchet qui estoit malade, tous deux fort nécessaires pour rendre la conference plus solennelle, M. de Herouval principalement ayant fourny pour cet ouvrage icy non seulement les pieces les plus importantes a la gloire de la maison de Harcourt, mais encore a la preuve des deux branches qui en restent, lesquelles il a tirées sur les principaux originaulx de la Chambre des Comptes de Paris, et qu'il a com-


muniquées a l'autheur avec la mesme generosité et la mesme affection qui rendent son secour necessaire a tout ce qui s'entreprend pour l'Illustration de l'Histoire de France, Monsieur de la Roque fist l'ouverture de la conference par le recit de son dessain et de l'ordre qu'il avoit suivy et il s'offrit de prouver toute la suitte de la Maison d'Harcourt et de faire voir qu'elle n'a pas seullement donné des Comtes de son nom si celebres dans nos histoires par leurs grandes actions, par leurs dignitez et par leurs alliances, mais encore que les Comtes de Meulant, les Comtes de Warwich et de Leicestre en Angleterre, les seigneurs de Beaumont le Roger, depuis érigé en comté, et les barons du Neufbourg en estoient issus en ligne masculine. On respondit a cela qu'on ne doubtoit point de la grandeur de l'extraction des anciens comtes de Harcourt qu'on tenoit pour les plus Illustres et les plus qualifiés seigneurs de la Province de Normandie, ny des branches qu'elle avoit poussées tant dedans que dehors le Royaume soubs des noms et des Armes differentes par ce que cela se prouvoit mesmes par les Histoires, non plus que celle des seigneurs de Bonnetable fondue en la Maison de Soissons, et des seigneurs d'Escouché, Barons d'Olonde, qui subsiste encore, mais qu'on désireroit seulement d'estre informé de la descente des Marquis de Beuvron. Plusieurs dirent a ce subject que ce u'estuit pas qu'ils fussent prévenus d'aucune upi-


nion au desavantage d'une Maison si pleine d'honneurs et de dignitez, et qui avoit produit de si eccellents hommes, mais qu'ils estoient contraincts d'advouer que l'ignorence ou la calomnie en avoient faict courir des bruicts contre lesquels il estoit important d'estre eclarcy, pour avoir de quoy confondre deux ennemies, d'autant plus redoutables qu'elles trouvent ordinairement plus de support a la Cour que la science a la vérité Pour satisfaire a une si juste curiosité Monsr de La Roque pria qu'on voulust examiner toute la descente de Philippe de Harcourt, seigneur de Bonnestable, fils de Jean cinquieme Comte d'Harcourt, mary de Catherine de Bourbon, sœur de Jeanne de Bourbon, Reine de France, femme du Roy Charles cinquieme, que de Jacques de Harcourt, baron de Montgommery, il justifia sa filiation par tiltres publics et authentiques en original, que je leus en presence de l'assemblée qui reconneut que nos Roys avoient continué aux descendants de ce Philippe et de Jeanne, Dame de Tilly, de Beauft'on et de Beuvron, la qualité de Cousins dont ils avoient honoré leurs ancestres et leurs collateraux a cause de leurs alliances avec la Maison Royalle. Enfin elle reconneut encore que du mariage de ce Philippe avec la dicte Jeanne de Tilly sortit Girard de Harcourt qui espousa Marie de Graville, Baronne de Lougé, et en eut deux enfans, entre autres qui furent Jean de Harcourt seigneur de Bonnetable, baron de


Lougé, et Jacques de Harcourt, baron de Beuvron, dont la postérité sera traittée apres celle du dit Jean son aisné qui espousa Catherine d'Arpajon et en eut cinq enfants, de l'aisné sont issus les seigneurs de Bonnetable fondus en la Maison Royalle par le mariage d'Anne Contesse de Montasier avec Charles de Bourbon Comte de Soissons, et du dernier, qui fut Jacques seigneur d'Auvricher, et d'Elisabeth Bouchart d'Aubeterre, sa femme, Dame d'Olonde, sortit Charles de Harcourt baron d'Olonde, mary de Michelle de Longueval, et pere de Pierre aussy baron d'Ollonde, allié a Catherine de Mainteville, dont autre Pierre de Harcourt baron d'Ollonde et seigneur de Fierville, a cause de Marie de Briroy sa femme, qui a laissé plusieurs enfants, dont l'aisné est Mre Jacques de Harcourt, baron d'Olonde, de Nehou etc. A present chef du nom et des Armes de Harcourt, et marié avec Dame Françoise de SI Ouen. Jacques de Harcourt Baron de Beuvron et de Beauffon cy devant mentionné, frere puisné de Jean, seigneur de Bonnestable fut marié avec Marie de Ferrieres, de plusieurs enfans qu'il eut l'aisné seul a continué sa postérité jusques a présent qui fut Charles de Harcourt, baron de Beuvron, de Beauffon etc. duquel et de Jaquelline de Vierville nasquit entre autres enfants François de Harcourt, après luy baron de Beuvron et de Beauffon et viconte de Caen qui ne degenera en rien de la grandeur et du courage do ses an-


cestres, et qui ne contracta pas une moins illustre alliance en la personne de Françoise de Gaillon, heritiere des baronnies de Macy, Croisy et autres terres de laquelle il eut entre autres -Gui de Harcourt baron de Beuvron et de Beauffon etc. allié a Marie de S' Germain qui le rendit pere de plusieurs enfants, de l'aisné desquels Pierre de Harcourt, Marquis de Beuvron et de Beauffon a de Gillonne de Matignon fille de Jacques, Comte de Thorigny, Maréchal de France, sont issus entre autres François d'Harcourt, marquis de Beuvron, mary de Renée d'Espinay, fille de Thimoléon seigneur de S' Luc, Maréchal de France, pere de Mons' le Marquis de Beuvron, a present vivant, du Marquis de Thury, du chevalier de Beuvron, et de la Duchesse d'Arpajon, Odet d'Harcourt comte de Croicy, et Françoise de Harcourt Duchesse de Bouillon La Mare. Tout cela fut prouvé par titres originaulx en bonne forme, et ce qui est encore plus remarquable, c'est que les plus importants pour justifier la filliation sont des jugements de la Cour des Eschiquiers de Normandie et des Arrests de Parlement donnez en reprise de procez, a cause de succession qui expliquent toute la Généalogie, et qui servent encore pour establir toutes les qualités des deux branches qui restent qui ne l'ont cédé qu'en richesses et en grandes 'terres a celles des Comtes de Harcourt et d'Aumalle, et des Comtes de Montgommery fondus par alliance dans


les Maisons de Lorraine, et d'Orleans, Longueville, si bien que toute l'Assemblée, sans ecception d'aucun, reconneut publiquement la vérité et trouva bon qu'il en fust dressé un acte authentique, dont elle me chargea, comme celluy qui avoit faict la lecture des preuves cy dessus, pour servir au dit sieur de la Roque d'un tesmoignage public, non seulement de la verité, mais de la beauté de son Histoire qu'il a traittée avec tout le scavoir, tout l'ordre et toute la dignité que merite un si grand subject, et qu'il a de plus illustree de plusieurs pieces tres rares et tres avantageuses a l'Histoire generale de la Province de Normandie, et a la gloire des plus grandes maisons qui en sont issus. Faict a Paris ce trentiesme Juin mil six centz cinquante neuf et signé par nous LE LabouREUR, D'HOZIER, JUSTEL, DU CHESNE, HUET, DE LONGUEIL, et PHILIPPE.


BIBLIOGRAPHIE ET NOUVELLES DIVERSES

BIBLIOGRAPIIIE. Notice sur une croix funéraire de Notre-Dame-de-Bondeville. La conquéte et les conquérants des Iles Canaries. Nouvelles recherches sur Jean de Bethencourt et Gadifer de la Salle le vrai manuscrit du Canarien, par Pierre Margry (article publié dans le Journal des Savants par M. Léopold Delisle). Le Théâtre au collège de Valognes, par M. Léopold Delisle. Le général Lecointe, étude biographique, par M. Léon Tyssandier. Inventaire sommaire des archives départementales du Calvados; archives ecclésiastiques. Série H. Supplément. Hôpitaux de Lisieux et de Bayeux, rédigé par M. Armand Bénet, archiviste, et M. Jules Renard, premier employé. Essai historique sur Moulineaux et le château de Robert-le-Diable, suivi d'une Notice sur le fief de la Vacherie-sous- Moulineaux par M. Charles Bréard.

M. Pierre Le Verdier a édité l'année dernière, à quarante exemplaires, une Notice sur une croix funéraire de Notre-Dame-de-Bondeville, suivie de quelques Notes sur l'ancienne fabrication du papier dans les environs de Rouen.


Le texte de cette curieuse plaquette, destinée par M. Le Verdier « à quelques bibliophiles amis », est de M. Charles de Beaurepaire. Elle est ornée d'une aquarelle et d'un dessin de MM. Georges de Beaurepaire et G. Morel. L'aquarelle représente la croix funéraire; le dessin, l'église de Notre-Dame-de-Bondeville. Si l'espace ne nous était pas strictement limité, nous aimerions à signaler les constatations de l'auteur sur les anciennes fabriques de papier, sur les établissements céramiques, de terre émaillée et de faïencerie, qui existèrent certainement à Rouen ou aux environs, de 1542 à 1645, c'est-à-dire de l'époque de MassiotAbaquesne. l'auteur des magnifiques carreaux émaillés du château d'Écouen, à celle de la fabrication de Potterat. Nous voudrions aussi mentionner, au moins en passant, les renseignements qui nous sont fournis sur l'interdiction formelle, édictée par l'autorité ecclésiastique, de faire figurer l'image de la croix dans la décoration des pierres tombales, pour ne pas exposer le signe de la rédemption à être foulé aux pieds et à subir ainsi une sorte de profanation.

« Les hommes de l'ancien temps exposaient sans « scrupule, sous les pieds des fidèles, ces longues dalles « où sont représentés des prélats et des ecclésiastiques. « Les uns portent la mître et la crosse, d'autres tien« nent un calice sur leur cœur aux angles ou sur les « côtés, des orantes prient, des anges agitent dans « leurs mains des encensoirs, symboles des bonnes « œuvres ou des prières que l'on offrait à Dieu. On « pouvait marcher dessus sans inconvénient, aussi bien « que sur les armoiries des chevaliers mais la croix


« était traitée avec un souverain respect et l'exposer à être foulée aux pieds eût paru une véritable profa« nation ».

Les statuts synodaux de Mgr François de Harlay contiennent cette disposition

« Qu'il ne se fasse aucune croix sur le pavé des « églises ni en lieu où elle puisse être foulée aux « pieds ».

Mais nous avons hâte de quitter ces observations préliminaires pour arriver à la découverte qui fait l'objet même de la notice. Cette découverte est ainsi exposée dans les premières lignes de la brochure « Au mois de juillet 1891, en abattant le lambris de « la nef de l'ancienne église de Notre-Dame-de-Bonde«ville, près Rouen, les ouvriers découvrirent fixés au «mur, sur du plâtre, des carreaux de terre émaillée « qui figuraient une croix funéraire. Quatre carreaux « manquaient, mais le plus intéressant était conservé. « C'est celui qui porte l'inscription et donne la date « de ce petit monument.

« Ailleurs, peut-être, ces carreaux auraient été « considérés comme des objets sans valeur, ou bien, t sauvés par hasard, seraient-ils allés, loin de leur « lieu d'origine. se perdre dans quelque collection « particulière. Par bonheur, la paroisse de Notre« Dame-de-Bondeville a pour curé M. l'abbé Patry qui « veillait sur les dépouilles de l'église abandonnée, « afin de ne rien laisser perdre de ce qui pouvait < être utilisé. Il avait près de lui, pour le seconder, € M. Pierre Le Verdier, qui joint à un grand talent « archéologique une parfaite connaissance de l'his-


« toire du pays. Grâce à l'un et à l'autre, cette croix a « été respectée elle a été complétée par l'habile fabri< cation de quatre carreaux aisés cependant à re« connaître, et tout récemment on l'a placée avec « honneur dans la nouvelle église de Notre-Dame-de« Bondeville, à la construction de laquelle la famille « de M. Pierre Le Verdier. Mme Henri Rondeaux, no« tamment, a généreusement contribué ».

Quant à la croix funéraire, voici quelques détails qui permettront de se rendre compte de son aspect général et d'apprécier le caractère de son ornementation.

La hauteur totale de ce petit monument, piédestal compris, est de 1 m. 16 les carreaux qui la composent sont au nombre de vingt-sept ils ont environ 10 c. 1/2 de chaque côté.

La décoration est des plus simples, c'est à l'intersection des deux bras de la croix une couronne d'épines d'émail vert ayant au centre une croix d'émail jaune bordée de bleu. Les quatre carreaux environnants sont ornés d'une fleur de lys d'émail jaune.

Au milieu du piédestal se voit un cartouche élégant de couleur jaune au centre duquel se détache l'inscription tracée sur fond blanc. Cette inscription est ainsi conçue

SIGYST ISABIAU BARDON EN SON VIVANT FEMME DE ROMIANT PER ROCHEO QUI DE | CEDA LE 10 JOUR DE MAY 1S59. En dehors des ornements que nous venons d'indiquer, la couleur des carreaux est uniformément bleue. L'émail est assez tendre et suffirait à lui seul


pour montrer que cette croix funéraire n'a jamais fait partie du dallage de l'église, mais devait originairement être attachée à la muraille, à la place même où elle a été rencontrée.

L'intérêt qui s'attache aux productions des céramistes rouennais nous paraît justifier les détails un peu minutieux dans lesquels nous sommes entrés. L'auteur de la notice termine par quelques considérations que nous reproduisons, parce qu'elles trouvent leur application aussi bien dans les diocèses de la Basse-Normandie que dans ceux de la Haute-Normandie.

« Disons, en finissant, qu'en sauvant la croix funéraire de Notre-Dame-de-Bondeville et en l'installant comme ils ont fait, M. l'abbé Patry et M. Pierre Le « Verdier ont donné un bon exemple fort utile à proposer à une époque comme la nôtre, où l'on bâtit, « où l'on restaure, où l'on transforme tant d'églises. « Si cet exemple était généralement suivi, on n'aurait « pas à gémir sur tant de pertes regrettables dont t profitent, aux dépens des fabriques, les magasins de « brocanteurs et les cabinets d'amateurs. L'élégance « de la construction, la propreté, une certaine harc monie dans la décoration des églises ne sont pas « des avantages à dédaigner. Mais c'est souvent les acheter trop cher que de sacrifier, pour les obtenir, « l'intérêt qui s'attache aux souvenirs et qui prête aux c monuments un charme que rien ne peut complè« tement remplacer ».

M. Léopold Delisle a publié récemment, dans le


Journal des Savants, à propos d'un ouvrage posthume de M. Pierre Margry, un article que nous devons tout particulièrement signaler à raison de son importance au point de vue de notre histoire provinciale. L'ouvrage de M. Margry porte le titre suivant « La conquête et les conquérants des Iles Canaries. « Nouvelles recherches sur Jean II de Bethencourt et « Gadifer de La Salle. Le vrai manuscrit du Canarien, « par Pierre Margry ».̃

Ce que nous savons sur cette étonnante aventure de la conquête des Iles Canaries reposait jusqu'ici à peu près exclusivement sur le texte d'une relation contemporaine intitulée Le Canarien, dont Gautier de Bethencourt, conseiller au Parlement de Rouen, fit préparer une copie en 1625 et qui fut publiée par les soins de Bergevin en 1630.

L'édition n'était pas absolument conforme au texte original. Aussi, grâce à la communication qui en fut faite par les héritiers du conquérant, deux nouvelles reproductions de ce registre domestique furent-elles données l'une à Londres, par M. Major, pour la Haklugt Society, en 4872; l'autre à Rouen, en 1874, pour la Société de l'Histoire de Normandie, par M. Gravier.

Mais en 1889 on apprit que le Musée britannique venait de faire l'acquisition d'un nouveau manuscrit du Canarien remontant au XV. siècle. Cette découverte devait amener, comme par une sorte de coup de théâtre, un changement assez notable dans la physionomie des faits qui s'étaient passés aux Canaries, et dans l'appréciation du rôle de Jean de Bethen-


court et de l'un de ses compagnons, Gadifer de La Salle.

A s'en tenir au manuscrit possédé par les héritiers de Mme de Montruffet, la conquête eût été l'œuvre à peu près exclusive de Jean de Bethencourt; d'après le manuscrit du Musée britannique, à côté du nom du chevalier normand, il y aurait lieu d'inscrire celui de Gadifer de La Salle, dont le rôle aurait été des plus importants. Il y a plus. Ainsi qu'il résulte des nombreux rapprochements faits par M. Léopold Delisle du texte des deux manuscrits, il est indubitable que le manuscrit du Musée britannique est le manuscrit original et que, chose plus grave, le manuscrit conservé dans les archives de la famille de Bethencourt est une copie de ce même manuscrit dans laquelle on a opéré des modifications et des retranchements ayant pour but d'attribuer à Jean de Bethencourt la gloire de l'expédition et de réduire singulièrement le rôle de Gadifer. Ce double fait de l'antériorité du manuscrit du Musée britannique et des interprétations que présente le manuscrit Bethencourt est démontré par la publication de M. Margry et ressort de la manière la plus significative de l'analyse décisive présentée, avec citations à l'appui, par M. Léopold Delisle. Il ne faudrait pas, cependant, exagérer la portée de ces constatations. Si le texte du manuscrit de Londres publié par M. Margry devient la principale source que l'on devra désormais consulter pour la première partie de la conquête et de la colonisation des Canaries, de 1402 à 1404, c'est seulement par le manuscrit de la famille de Bethencourt, publié par M. Gravier, que


nous possédons des renseignements authentiques sur la seconde partie de l'expédition, à partir de la rupture qui finit par éclater entre les deux chefs de l'expédition jusqu'au retour en Normandie de Jean de Bethencourt, après avoir nommé son neveu, Massiotde Bethencourt, gouverneur des Iles.

Les lignes par lesquelles M. Léopold Delisle termine l'étude qu'il a consacrée à cette question sont à retenir. Elles résolvent un problème historique qui a ses difficultés et elles déterminent la part d'honneur qui revient à chacun avec autant d'exactitude que d'équité. « La comparaison, écrit-il, que, grâce à M. Margry « et à M. Gravier, nous pouvons faire aujourd'hui des «deux textes du Canarien, nous oblige à user avec « quelque précaution de la version contenue dans le « manuscrit de la famille de Bethencourt. C'est un i témoignage qui manque d'impartialité, ou plutôt «c'est un plaidoyer qui a pour but d'assurer sans « partage à Jean de Bethencourt l'honneur d'avoir «conquis les Canaries et d'y avoir établi une colonie « française. Assurément, l'auteur est allé trop loin, « mais il serait injuste de trop rabaisser la gloire du « chevalier normand qui, au milieu d'une des plus « tristes périodes de notre histoire, a reculé les limites « dans lesquelles s'exerçait l'influence des étals chré« tiens de l'Europe. Jean de Bethencourt continuera « donc à figurer avec honneur dans nos annales. «Seulement, à côté de son nom, il conviendra désor« mais de placer celui de Gadifer de la Salle dont le « courage et la clairvoyance ont largement contribué « à la conquête des Canaries ».


Nous avons a mentionner encore un autre opuscule de M. Delisle, fort intéressant pour nous, mais d'une physionomie très différente. La brochure est intitulée Le Théâtrmiu collège de Valognes.

Quand, en 1893, nous nous occupâmes du Théâtre au collège d' A vranches, nous pûmes recueillir quelques indications relatives à des pièces dramatiques représentées au XVIIe et au XVIII' siècle dans cet établissement, et nous eûmes la bonne fortune de rencontrer dans les livres et papiers provenant de la bibliothèque de M. de Vanville, chanoine d'Avranches, l'argument et le programme de l'Apollon français, du Malentendu et des Philosophes à la mode, joués en 1696 de Caton d'Utique et de Thomas le Misanthrope, qui sont de 1722; enfin, de Maurice, empereur d'Orient, et d'Agapit, martyr, tragédies suivies de deux petites pièces L'Éducation négligée et Les Incommodités. de la grandeur, données un peu plus tard.

Toutes ces compositions, tragédies ou comédies, ontelles été imprimées ? Nous ne saurions le dire dans tous les cas, le texte d'aucune d'elles n'est arrivé jusqu'à nous. La perte de l'Apollon français, qui probablement est toujours resté manuscrit, est d'autant plus regrettable que la scène se passait dans un bocage, aux environs d'Avranches, et que, sous les traits d'Apollon, l'auteur nous y présentait le" panégyrique du savant évêque Daniel Huet.

Au point de vue des divertissements scolaires, le collège de Valognes présentait quelques analogies avec le collège d'Avranches la physionomie des autres établissements de cet ordre ne devait guère être différente.


M. Léopold Delisle, qui a étudié avec un soin pieux tout ce qui touche à sà ville natale, nous donne sur ce sujet de très curieux détails. Jean de Virey, gentilhomme du pays, qui habitait le manoir du Gravier et qui servit sous les ordres de Matignon, était poète dramatique à ses heures. Il composa entre autres deux tragédies La Machabée et Jeanned'Arques. La première fut imprimée à Rouen, chez Raphaël du Petit-Val, en 1603, sous ce titre La Machabée, tragédie des sept frères et de Salomone leur mère. La seconde avait paru chez le même libraire, en 1661. Nous savons positivement que La Machabée fut jouée à Valognes, et M Léopold Delisle incline à penser que la Jeanne d'Arques eut le même honneur.

Les œuvres dramatiques de Jean de Virey nous conduisent, par une transition naturelle, à celles qui furent représentées au collège, d'autant qu'elles eurent pour auteur le principal de l'établissement, qui était le neveu ou le fils du seigneur du Gravier, et qui, comme lui, se nommait Jean de Virey.

De l'une de ces pièces scolaires, nous ne connaissons que le titre David; de la seconde, jouée en 1657, il nous reste, à défaut du texte ou d'une analyse du texte, un livret de quatre feuillets petit in-4°, imprimé chez Marin Yvon, à Caen, et nous faisant connaître avec le titre, qui était La Désobéissance punie ou Absalon, une très curieuse épître dédicatoire à la marquise de Bellefonds, ainsi que diverses pièces liminaires à la louange du marquis de Bellefonds, gouverneur de Valognes, et de la marquise; le tout signé par des professeurs du collège, les abbés Le Tellier, Le Maistre et Jean Laurent.


Au XVIII* siècle, le collège fut réuni au séminaire. Les représentations théâtrales ne furent pas pour cela interrompues. Un livret publié à Valognes chez Jacques Clamorgam, imprimeur et libraire, nous apprend en effet qu'on y joua La mort de César, tragédie, avec, pour intermède, Le bonheur de la France sous le règne deLouis XV, plus, comme petites pièces: Les fourberies de Scapin et le Mariage forcé. Dans les derniers temps, l'exercice à la mode était le plaidoyer; il en était ainsi à peu près partout. M.Delisle a pu nous donner quelques renseignements sur celui qui eut lieu en 1790. La solennité fut égayée par la représentation de deux comédies dont nous avons la distribution des rôles. Le travail si intéressant de M. Léopold Delisle, sur le collège de Valognes, est un modèle dont pourront utilement s'inspirer les érudits qui s'occupent à reconstituer les annales des anciens établissements d'instruction publique dans notre province.

bl. Léon Tyssandier, dont nous avons eu l'occasion de signaler, dans les Figures parisiennes, une très attachante notice sur Lottin de Laval, et, quelques années plus tard, dans une feuille locale, une esquisse vivement enlevée de Julien Travers, où revit avec une exactitude saisissante l'homme et l'écrivain, vient de consacrer tout un volume à écrire la vie du général Lecomte, notre compatriote, qui a eu le double honneur d'avoir été le premier gouverneur militaire de Paris et d'avoir commandé en chef devant l'ennemi.

La carrière militaire du général méritait d'être racontée. Son biographe en a parcouru, pièces en main,


toutes les étapes et a appuyé comme il convenait sur son rôle à l'armée du Nord, dans cette rude et héroïque campagne où s'illustra le général Faidherbe. La renommée du général Faidherbe a absorbé toutes les autres, et le peuple, qui est simpliste, n'a guère retenu que son nom. Il était juste, dans cette lutte glorieuse, de faire au général Lecomle la part qui lui était due, et c'est à quoi s'est attaché M. Léon Tyssandier. Ce volume, toutefois; touche à des événements si récents que nous ne nous en serions pas occupé si M. Tyssandier n'avait eu, à raison des origines du général à nous entretenir des Caffieri et de la famille du conventionnel Buzot. Tout ce qui concerne Buzot, dont le rôle fut si important, a pour nous un intérêt considérable, et les pages qui le concernent ne sont pas les moins attachantes de cette intéressante publication.

Il n'est guère de documents plus utiles à consulter, pour l'étude de nos annales provinciales, que les Inventaires sommaires d'archives; malheureusement il n'en est pas de plus réfractaires à l'analyse et au compte-rendu. Ces réflexions nous venaient à l'esprit en parcourant le volume in-8°, de 398 pages, que M Bénet, archiviste du Calvados, vient de consacrer aux archives hospitalières de Lisieux et de Bayeux (Série H supplément, t. 1, Hôpitaux de Lisieux et'de Bayeux, art. 1-1320).

Nous nous bornons à indiquer cette publication à tous ceux qui s'occupent des origines de nos établissements hospitaliers. Dans sa première partie, relative à


la ville de Lisieux, elle pourrait servir à contrôler, compléter et rectifier au besoin l'étude sur les Mathurins de Lisieux, de notre regretté confrère M. Charles Vasseur. Mais ce serait une grave erreur de croire que ces indications sommaires de pièces ne touchent qu'à l'histoire des établissements hospitaliers proprement dits. On y trouve des renseignements de la nature la plus diverse, qui nous éclairent sur les questions les plus inattendues; ils tiennent à l'économie politique, au commerce, à l'état des mœurs, à l'industrie. Contentons-nous de citer, à raison de l'abondance des mentions que l'on y rencontre, les paragraphes relatifs à l'industrie de la dentelle, quelques détails épars çà et là sur le régime des prisons à Lisieux et à Bayeux, et sur l'abus du droit de geôlage; enfin, le précieux inventaire des objets d'art et des tableaux garnissant le palais épiscopal et le château des Loges, du temps de Mgr de Condorcet. Déjà ces descriptions, malheureusement bien défectueuses, avaient attiré l'attention de Louis Dubois, qui en avait montré toute l'importance; on la comprendra encore mieux en se reportant au texte du procès-verbal et à l'introduction du volume. Notre confrère M. Charles Bréard vient d'ajouter à ses nombreuses publications un volume intitulé Essai historique sur Moulineaux et le château de Robert le Diable, suivi de notes sur le fief de la Vacherie sous^ Moulineaux.

L'étude magistrale de M. Bréard, indépendamment d'un avant-propos et de soixante-huit pièces justificatives, comprend les chapitres suivants: I. Le village


et la paroisse de Moulineaux; II. Le château de Moulineaux III. L'église de Moulineaux; IV. Le fief de la Vacherie; V. Les religieux de Grammont, les Gosselin, les Le Plastrier, les Lambert, les Du Val de Bonneval. Sur tous ces points, M. Bréard a recueilli et consigné tout ce qui méritait véritablement d'être retenu. Nous connaissons, grâce à lui, le résultat des fouilles entreprises par M. l'abbé Cochet dans le territoire de cette commune; nous avons la description archéologique de l'église classée à juste titre comme monument historique enfin, après avoir lu ces pages substantielles, nous sommes éclairés autant qu'on peut l'être sur l'histoire et la légende du château de Moulineaux, et sur la date probable de sa construction, sur les vicissitudes de ses annales, sur son abandon et sa ruine. Ce n'est pas la faute de M. Bréard si bien des obscurités persistent et si Robert le Diable et son château tiennent plus de la fable que de la réalité. Le chapitre relatif au fief de la Vacherie, qui renferme bien des détails nouveaux, est très abondamment documenté. Grâce à l'un de ses derniers propriétaires, la commune de Moulineaux a comme une sorte de renaissance. « En 1825, écrit M. Bréard, Mrae de Vauréal vendit la t Vacherie à M. Pierre Cosserat. négociant à Rouen, qui, «ayant acquis en 1837 deux autres lots du même dot maine, réunit entre ses mains la presque totalité de «l'ancien fief de la Vacherie sous Moulineaux. Homme «de bien autant qu'homme de goût, M. Cosserat se plut « à embellir cette propriété, qui passa en 1883 à M. Cos« serat, d'Amiens. C'est à M. Léon Cosserat que la com« mune doit la construction de son presbytère, son réta-


t blissement comme paroisse, la réouverture de son c ancienne église. » La publication de M. Bréard, imprimée à petit nombre, sur papier de luxe, avec de nombreuses photogravures a complété l'œuvre de rénovation. A cette publication, la famille Cosserat n'est pas d'ailleurs encore restée étrangère, ainsi que M. Bréard nous l'apprend à la fin de son avant-propos. « II nous reste à exprimer nos sentiments de grati« tude à M. 0. Cosserat, d'Amiens, pour avoir mis à « notre disposition les papiers et les titres anciens qu'il conserve. Nous manquerions à un devoir si « nous n'ajoutions que les amis de l'histoire normande « devront aux traditions libérales de la famille Cosserat « la publication des présentes recherches. » E. de B.


La Normandie monumentale

La Normandie monumentale, publiée au Havre par M. Lemale, ne saurait être passée sous silence dans la Revue bibliographique de ce Bulletin. Elle a même une importance telle et un caractère si particulier, qu'elle mérite autre chose qu'une simple mention et que nous croyons devoir lui consacrer une notice plus étendue. Maintenant surtout qu'après des difficultés de plus d'un genre, l'achèvement de cette grande entreprise parait assuré, il convient de dire avec quelle physionomie elle nous apparaît et quels services elle est appelée à rendre pour notre province de Normandie, aux études artistiques et aux recherches archéologiques. Cette publication n'est d'ailleurs pas isolée. Pour bien la comprendre et en fixer la valeur, il convient de la rapprocher de celles qui l'ont précédée. L'ancien régime, préoccupé surtout des productions de l'art antique, se montra assez dédaigneux pour les œuvres du moyen-âge. Il les jugeait à peu près comme Fénélon jugeait les cathédrales. Le goût et l'intelligencede notre art national ne se manifestèrent guère qu'après la Révolution. Architectes, sculpteurs, peintres, verriers avaient couvert notre sol d'oeuvres mer-

NOUVELLES DIVERSES


veilleuses, mais il semble que l'on n'en ait senti seulement le prix, après la tourmente révolutionnaire, lorsque beaucoup d'œuvres d'art eurent été détruites et jonchèrent la terre de leurs débris. Après le retour de l'ordre, les choses changèrent et le Génie du Christianisme exerça une influence décisive, non seulement dans les idées morales, mais dans les directions littéraires et artistiques. Ces modifications profondes opérées dans l'esthétique contemporaine n'ont pas eu un caractère éphémère. Elles répondaient à un sentiment plus vrai et à une compréhension plus large et plus exacte de la réalité; aussi, loin de s'affaiblir, se sontelles affirmées et accentuées de plus en plus. C'est par ce courant d'idées que s'explique le besoin que l'on constate presque partout de rechercher, d'étudier, d'inventorier, de cataloguer les objets d'art de toute nature, dont nous pouvons si légitimement être fiers. Les Voyages pittoresqnes dans l'ancienne France, publiés sous les auspices du baron Taylor, sont en ce sens l'une des manifestations les plus caractéristiques que nous ayons_à enregistrer.

Il serait impossible de citer pour. chaque province les publications de tout genre qui se rattachent à ce mouvement. Sans parler des monographies d'églises, de villes, d'édifices civils, nous ne saurions oublier pour la Normandie le recueil de belles planches de Cotman et, à une date plus rapprochée, le grand ouvrage de Ruprich-Robert sur l'art roman en Normandie, au XIe et au XII' siècle. Mais la publication qui, par son objet et ses développements confine de plus près à celle dont nous nous occupons, est incon-


testablement La Normandie, éditée à Nantes par M. Charpentier, avec la collaboration des principaux savants de la province. Ces deux grands volumes in-folio, grâce à leurs belles lithographies, ont gardé leur valeur et méritent encore aujourd'hui d'être consultés. A côté de cette publication il convient de signaler l'Orne pittoresque auquel MM. de la Sicotière et Poulet-Malassis ont attaché leur nom.

Il nous semble certain que M. Lemale a voulu s'en inspirer avec la préoccupation très vive d'arriver à dresser, de nos richesses d'art, un répertoire plus complet pour toute la province et d'appliquer à la reproduction de nos monuments toutes les ressources que la photographie met à notre disposition.

Comme M. Charpentier, pour la rédaction de son ouvrage, M. Lemale dut solliciter de nombreuses collaborations. Nous ne voulons citer aucun nom, mais si l'on prend la peine de parcourir les tables des volumes, on constatera immédiatement que M. Lemale a obtenu les concours les plus utiles et les plus précieux. On y rencontre des savants placés à la tête de nos grandes bibliothèques, de nos dépôts d'archives, des professeurs de facultés, des présidents et des secrétaires de Sociétés savantes, d'autres écrivains ayant acquis comme archéologues et comme érudits une notoriété incontestable. Nous ne voulons pas dire que toutes les notices se valent mais si quelques-unes, soit par l'intérêt restreint de certains sujets, soit par l'absence de renseignements, sont assez insignifiantes, que d'autres l'on pourrait mentionner qui, par la sûreté et l'abondance des informations, la précision des détails arché-


logiques, la qualité du style, constituent des monographies instructives, agréables et de haute valeur. Vi. Lemale a fait quelques tirages à part avec couvertures élégantes nous connaissons le Mont-SaintMichel, de M. l'abbé Bossillet, et Saint-Cénery, qui sont très réussis, dans des genres différents. Le procédé eût pu être appliqué à certaines villes, à quelques monuments de premier ordre et même à des groupes d'édifices similaires.

Les photogravures suggèrent une réflexion que nous avons déjà eu l'occasion de faire à propos de quelques notices. Nous n'hésitons pas, en effet, à reconnaître que si certains châteaux, dont on nous offre l'image, attestent le développement de la richesse générale, ils n'ont, en somme, au point de vue monumental, qu'un intérêt assez limité. Mais, cette réserve faite, nous ne croyons pas qu'il existe ailleurs, pour notre province, pareille série de reproductions de monuments et de détails architecturaux. Tout le monde sait que l'on s'occupe beaucoup en ce moment de photographies monumentales, ou, d'une manière plus générale, de photographies documentaires. L'année dernière, à Caen, lors de l'exposition photographique qui y fut organisée, une section spéciale avait été réservée à la photographie documentaire. Dans cette section, la belle suite d'épreuves exposée par M. Henri Magron excita l'admiration générale. Or, toutes ces remarquables photographies ont été prises par l'habile artiste pour servir, soit à l'illustration du département de l'Orne, soit à celle du Mont-Saint-Michel. Beaucoup d'autres photographies, dues à d'autres spécialistes,


sont dignes des mêmes éloges. Quant à l'interprétation de tous ces clichés, elle a été confiée, pour la plus grande partie, à M. Dnjardin, ce qui nous dispense de toute appréciation.

M. Lemale avait voulu mettre sous les yeux de ses lecteurs avec plus d'abondance que ne l'avaient fait ses devanciers, les richesses d'art monumental existant en Normandie, les plus connues et aussi quelquefois les plus ignorées. L'entreprise, avec les développements qu'elle reçut, était audacieuse, peut-être même téméraire. Dans tous les cas, le résultat pour les érudits, pour les artistes, pour les archéologues sera des plus profitables, en ce sens qu'il permettra désormais de consulter, rendus avec une fidélité rigoureuse et un relief admirable, tous les types les plus remarquables de l'architecture romane, de l'architecture ogivale et de l'architecture de la Renaissance.

Malgré les quelques défectuosités que nous n'avons pas cherché à dissimuler, la Normandie monumentale restera une belle œuvre. Elle honore grandement tous ceux qui y ont pris part, elle honore surtout celui qui en a conçu le plan et qui en a poursuivi la réalisation, au prix de dépenses considérables et au milieu de difficultés de toute nature.


Les Plantes dans L'antiquité et au moyen âge

Histoire, usages et symbolisme. 1" partie. Les plantes dans l'Orient classique l'Égypte, Chaldée, Assyrie, Judée, Phénicie, par'Charles Joret, correspondant de l'Institut.

L'auteur est un Normand, resté invinciblement attaché à notre province, bien que, par une fatalité singulière, ses fonctions dans l'enseignement public l'en aient toujours tenu éloigné. C'est de plus l'un des membres de la Société des Antiquaires les plus distingués et les plus dévoués. Toutefois, comme le volume publié par M. Charles Joret ne rentre pas dans le cercle de nos études normandes proprement dites, nous n'aurions pas à en entretenir nos lecteurs. Mais l'ouvragè, par l'attention qu'il a excitée et par le succès qu'il a obtenu, a été véritablement un événement, et à ce titre, tout au moins, nous croyons devoir le signaler à nos lecteurs.

Nous ne voulons pas insister sur les comptes-rendus des journaux et sur les appréciations élogieuses des érudits d'outre-Rhin, mais parmi les jugements portés sur l'ouvrage par les critiques français, il nous sera permis


de citer ceux de deux maîtres dont l'autorité ne saurait être contestée M. Maspéro et M. Gaston Paris. M. Maspéro, dans un article très étudié inséré dans le Journal des Savants, livraison du mois d'août 1897, analyse de la manière la plus complète et la plus minutieuse l'ouvrage de M. Joret. Il en signale les aperçus nouveaux et ingénieux, l'exposition lumineuse. Dans un ouvrage de ce genre, sur un terrain si peu exploré, jusqu'ici les chances d'erreur sont nombreuses, et si avisé qu'il soit. il est impossible qu'un auteur n'en commette pas quelques-unes. Cela était fatal et inévitable.

M. Maspéro s'exprime à ce sujet dans les termes suivants

« M. Joret a commis des inexactitudes et des erreurs, « cela va de soi, mais la plupart ne lui sont pas impu« tables, elles sont le fait des orientalistes qu'il a con« suites et dont il n'avait pas le moyen de contrôler les « traductions. C'est merveille de voir comment il a su « s'orienter au milieu de leurs travaux et de leurs a dires, leur en suggérer de plus vraisemblables. Le « livre est d'ailleurs bien composé. Les mille menus « faits qu'il comporte s'y agencent de façon si judi« cieuse, qu'on n'y sent nulle part la confusion et l'en« tassement, l'exposition y est toujours claire, le style « toujours net. On éprouve, en terminant, le regret de « ne pouvoir attaquer le second volume immédia« tement. » Le compte-rendu magistral publié dans le Journal des Débats, du 24 septembre dernier, par M. Gaston Paris, est peut-être plus intéressant encore. Dans une


analyse attachante, il nous fait connaître l'économie générale du travail en nous en indiquant les particularités saillantes et en rattachant les arbres, les céréales, les fleurs, les plantes dans leur ensemble à la vie des peuples et au mouvement de la civilisation. M. Gaston Paris ne s'en tient pas là, et après nous avoir parlé du volume, il esquisse rapidement la vie scientifique de l'écrivain

« L'auteur réunissait et cela n'est pas commun t toutes les conditions nécessaires pour remplir un si «riche programme. A la fois botaniste, historien, lin« guiste, folkloriste, versé dans l'histoire des littéra« tures étrangères, doué en outre d'une pénétration qui a triomphé de bien des obstacles, il a pu écrire un livre qui fera le plus grand honneur à la science « française.

« Ce n'est pas le seul qu'on lui doive ou qu'on lui « devra. Peu de savants ont porté sur des sujets aussi « divers une curiosité aussi éveillée, toujours dirigée « par une méthode scientifique. Il débutait presque à «la fois, il y a vingt-trois ans, par un ouvrage sur le c « dans les langues romanes, qui était la première tentative faite depuis Diez, pour embrasser dans une étude scientifique l'ensemble des dialectes néo-latins, et par une étude sur Horver, dont la valeur a été re«connue en Allemagne et qui a mérité d'avoir une « seconde édition. Il a depuis publié des études d'un « gra~H intérêt sur la Flore populaire de la Nor« mandie, sur le voyageur Tavernier. »

II n'est pas dans la nature de M. Joret de se reposer. Il prépare déjà le second volume de son grand ouvrage


sur les plantes, et il poursuit simultanément la rédaction d'une oeuvre capitale dont il s'occupe depuis plus de trente ans, et qui sera le couronnement de sa vie littéraire l'Histoire des rapports intellectuels de la France et de l'Allemagne.

Les résultats déjà obtenus par M. Charles Joret sont considérables, et ils sont d'autant plus méritants que l'auteur est attaché à une Université de province mal dotée et éloignée des grands dépôts d'archives et des grandes bibliothèques. L'auteur, comme l'a remarqué M. Gaston Paris, pour se procurer les matériaux de ses livres, a dû déployer une activité, une ardeur au travail, une persistance de volonté qui peuvent être proposées comme exemple à beaucoup de ses collègues. Nous ne voulons pas insister, mais en relisant l'article si intéressant et si suggestif de M. Paris, il nous a été impossible de ne pas regretter, une fois de plus, qu'il n'ait pas été permis à M. Joret de terminer sa carrière professorale à la Faculté des lettres de Caen. Les Sociétés savantes de notre ville, auxquelles l'auteur du livre des Plantes a adressé de nombreuses communications, y auraient certainement gagné, et sa grande notoriété scientifique n'eût pu qu'ajouter un lustre à notre jeune Université.


La question d'Olivier Basselin au Congrès de l'Association Normande, à Vire, en 1896.

Il y a bien longtemps, lors d'un congrès de l'Association normande, si je ne me trompe, M. de Beaurepaire, sans contester le rôle glorieux et patriotique du poète populaire Olivier Basselin, se permit de soutenir que les Chants nouveaux du Vaudevire qui lui étaient attribués étaient bel et bien l'œuvre de Jean Le Houx. La thèse, qui était alors assez nouvelle, fit scandale et l'hono- rable secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie fut traité par le rédacteur d'une feuille locale de rêveur téméraire et de contempteur de nos gloires nationales. Depuis, la situation a bien changé. Les idées émises avec quelque réserve par M. de Beaurepaire, ont été affirmées énergiquement par M. Armand Gasté; elles ont été fortifiées par de nouveaux arguments et complétées par un ensemble de considérations décisives, si bien que, grâce aux publications successives du savant professeur de l'Université de Caen, l'attribution à Jean Le Houx du livre des Chants nouveaux du Vaudevire ne fait plus aujourd'hui de doute pour personne. Basselin n'y a rien perdu, et Vire y a gagné de compter un poète de plus.

A la dernière session de l'Association Normande, la question du Vaudevire et d'Olivier Basselin est revenue


sur le tapis. Non seulement, à la tête des membres de la compagnie, le directeur de l'Association a tenu à se rendre en pèlerinage à la maison plus ou moins authentique du célèbre foulon, mais encore, au banquet, il a porté en son honneur un toast qui a produit une assez vive impression. On pourra en juger par l'extrait du compte-rendu officiel du banquet que nous reproduisons ici.

« A sept heures du soir, un banquet de trois cents couverts réunissait dans les salles des fêtes de l'Hôtel de Ville, les membres de l'Association Normande, les membres des divers jurys et les lauréats.

M. Chénel, maire, présidait, ayant à ses côtés M. de Beaurepaire et M. Bouffard, secrétaire général, en face de lui M. le Sous-Préfet de Vire; M. Delafosse, député; M. Duchesne-Fournet, sénateur.

Au nombre des invités: M. Tillaye, sénateur; M. Havard, adjoint; M. de Longuemare, secrétaire général; M. Bataille, trésorier de l'Association Normande; M. de Balliencourt, maire de Mortain; M. Poupion, inspecteur, et les autres membres de l'Association; M. Hardouin, juge suppléant; les chefs des diverses musiques; M. Fédérique; les Conseillers généraux Heudiard et Gaillard; M. Lerot, maire; M. Jouenne, adjoint d'Aunay M. Delouey, maire de Bény; M. Legendre, maire de Vassy; plusieurs conseillers municipaux de Vire, etc. Au champagne, M. le maire de Vire a salué ses hôtes et bu aux idées qui avaient inspiré, conduit et mené à bien ces fêtes de l'agriculture.

M. le Secrétaire général porte alors la santé du chef


de l'État, ajoutant que ces fêtes n'étaient pas les seules pouvant réunir les bonnes volontés de tous, qu'il en serait encore de même le jour prochain où l'Empereur de Russie mettrait le pied sur le sol français. M. le sénateur Tillaye fait appel aux mêmes sentiments que n'envenime pas la i hideuse politique ». Il rappelle d'une façon plaisante l'ascension de M. le Maire, et finalement boit au pays de Vire, peuplé de braves gens.

M. de Beaurepaire se lève à sou tour et porte le toast suivant

« Messieurs,

Je porte un toast à M. le Maire de Vire, à la ville de Vire.

« Je ne saurais rien ajouter à tous les éloges qui ont été adressés à M. Chénel, en termes si éloquents par M. le Secrétaire général, par M. le sénateur Tillaye. Il nous sera cependant permis de dire que c'est à l'intelligente et infatigable activité de M. le Maire que nous devons ces fêtes splendides et inoubliables qui se sont déroulées sous nos yeux et qui ont été pour nous un perpétuel enchantement.

« Nulle part nous n'avons trouvé de si chaudes et si franches sympathies. Nulle part nous n'avons rencontré un accueil plus cordial et plus empressé. Nous en sommes profondément reconnaissants. Aussi est-ce de tout cœur que nous disons à M. Chénel merci.

« Nous remercions aussi M. Havard, premier adjoint, de l'obligeance infinie avec laquelle il nous a guidés


dans notre visite aux monuments de la Ville et dans notre excursion à Saint-Sever, et nous adressons les mêmes remerciements au dévoué conservateur de la Bibliothèque municipale, M. Fédérique, à M. le Président de la Société d'Horticulture, à son zélé secrétaire, à MM. les Membres du Comité d'organisation de l'Exposition d'objets d'art et de curiosités, qui nous ont fait avec une parfaite bonne grâce les honneurs de collections qu'ils avaient réunies au prix des efforts les plus louables et du labeur le plus persévérant. Tous ont contribué au succès de la fête de l'Agriculture Tous ont droit à la reconnaissance publique.

« Qu'il nous soit permis maintenant, Messieurs, de quitter un instant le présent et d'évoquer le souvenir du passé.

« Vire a produit beaucoup d'hommes distingués dont elle a le droit d'être fière de toutes ces illustrations je, ne veux en citer qu'une seule, le vieil Olivier Basselin, le père du Vau-de-Vire, le foulon patriote du XVe siècle. « Basselin avait au cœur deux passions: l'amour de la France, la haine implacable de l'envahisseur étranger. Il importe peu que nous ne connaissions aujourd'hui d'une façon certaine aucun des Vaux-de-Vire qu'il composa. Nous savons qu'il chanta, qu'il combattit, qu'il mourut pour la France. Sa destinée ressembla à celle de ce harpeur cherbourgeois, Philippe le Cat, dont' notre regretté Siméon Luce a reconstitué la tragique histoire. Comme on le voit, la biographie de Basselin est courte. Je n'en connais pas pour ma part de plus touchante et de plus noble.

« Aussi, en arrivant dans notre ville, notre première


pensée a-t-elle été de descendre le sentier pittoresque qui conduit aux Vaux et d'aller faire une sorte de pèlerinage à la maison désignée par la tradition comme ayant été sa demeure. Hélas! la maison de Basselin est aujourd'hui dans le plus triste état de délabrement, et c'est à peine si l'on peut lire sur la plaque de marbre qui s'y trouve placée, l'inscription que des mains pieuses y avaient autrefois gravée.

« Vous ne laisserez pas, Messieurs, cette glorieuse mémoire dans cet affligeant abandon. Basselin est la grande illustration du Bocage. A l'une des époques les plus douloureuses de notre histoire, il a été la personnification la plus vivante, la plus populaire, la plus expressive du patriotisme virois, du patriotisme normand.

t Dressez, Messieurs, je vous en conjure, sa glorieuse effigie sur l'une de vos places, et vous aurez accompli une grande œuvre et donné à tous le plus salutaire, le plus viril, le plus fortifiant enseignement.

« C'est un vœu que je recommande au patriotisme bien connu de M. le Maire de Vire, si passionné pour les intérêts de sa ville, au patriotisme de M. le Secrétaire général, dont nous venons d'applaudir la parole éloquente et élevée, au patriotisme des représentants de nos grandes assemblées parlementaires. MM. les sénateurs Duchesne-Fournet, Tillaye, M. le député Delafosse, au patriotisme de vous tous, enfin, Messieurs, qui me faites l'honneur de m'écouter et dont le cœur, j'en suis convaincu, bat à l'unisson du mien. ̃ « Je lève mon verre en l'honneur de M. le Maire de Vire, de la ville de Vire et du vieil Olivier Basselin. »


M. Chénel répond que l'idée d'élever une statue à Olivier Basselin tombe sur un sol fertile, que luimême l'a caressée au début de son administration et que le moment semble venu d'y donner suite. Il promet à cette entreprise tout son concours, déclare que l'œuvre va être commencée sans retard, et d'ores et déjà, retient officiellement M. de Beaurepaire pour le jour de l'inauguration.

Les paroles de M. le Maire de Vire, qui est un homme d'initiative, n'ont pas été promesses vaines. La maquette du monument projeté a déjà été faite par notre éminent compatriote, le sculpteur Leroux, et tout permet d'espérer que l'œuvre ne tardera pas être exécutée. Un mot seulement pour signaler une lacune qui nous a frappé. Dans cet hommage tardif rendu par la ville de Vire au poète foulon, nous souhaiterions que son successeur ne fût pas oublié. Pourquoi, sur le piédestal qui supportera le buste de Basselin, ne pas placer le médaillon de Jean Le Houx? 1

L'auteur des Chants nouveaux du Vaudevire est une gloire normande, il était avocat de sa profession. Nous recommandons ses intérêts à M. Chénel, qui appartint, pendant de longues années, lui aussi, à ce même barreau de Vire.


Lettre de Daniel Huet au P. Martin M. Armand Gasté vient d'achever, dans la Revue catholique, la publication des lettres de Daniel Huet au P. Martin. Ces lettres, qui renferment beaucoup de détails curieux sur la vie des deux écrivains, nous font connaitre le soin minutieux avec lequel le savant évêque composa le livre des Origines de Caen, l'ardeur infatigable de ses investigations et les renseignements incessants qu'il sollicitait chaque jour de la complaisance du P. Martin. L'intérêt de cette correspondance à cet égard avait déjà été signalée par un bon juge, le marquis de Chennevières, membre de l'Institut, directeur honoraire des Beaux-Arts.

Monument à la mémoire de M. Carel Le, barreau de Caen a adressé au monde judiciaire et aux nombreux admirateurs du grand avocat normand, la circulaire suivante

« Monsieur,

« Notre Barreau vient d'être autorisé à ériger, au Palais de Justice, un monument pour honorer et per-


pétuer la mémoire d'un homme de bien, s'il en fut, qui a été l'une des gloires du Barreau français, Monsieur CAREL.

« La sympathie et l'admiration, qui lui ont survécu, nous permettent d'espérer que vous voudrez bien vous associer, par une souscription, à l'hommage rendu à un tel maître de l'éloquence judiciaire.

« Veuillez agréer, M l'assurance de nos sentiments de haute considération.

« MM. Guillolahd ♦, Bâtonnier; Lanfiunc

DE Panthou Guernier; Laisné

DES Hayes && ENGERAND; Coquehet;

Morin; Liéoaud; Biré, Secrétaire. »

La Société des Antiquaires de Normandie, dont M. Carel avait été président, considérant que notre regretté confrère avait honoré la ville de Caen par son éloquence, par sa science juridique et par son caractère, s'est empressée de répondre à l'appel qui lui a été adressé par le barreau de Caen.

Les fonds nécessaires à l'exécution du projet ont d'ailleurs été promptement souscrits, et nous croyons savoir que le monument sera inauguré dans le courant de cette année, probablement vers la fin du mois de juillet.

Le monument sera élevé par MM. Francis et Aimé Jacquier, sur les dessins de M. Nicolas, architecte du département; l'exécution du buste a été confiée à un artiste distingué, bien connu dans notre ville, M. Le Marquier.


Une nouvelle publication sur la ville de Rouen, de M. Charles de Beaurepaire, correspondant de l'Institut.

Depuis quelques années, M. Charles de Beaurepaire a fait paraître des volumes de notes sur la ville de Rouen et sur les monuments des environs. Ces volumes reproduisent des communications faites par le savant archiviste de la Seine-Inférieure, à la Commission des Antiquités, dont il est le vice-président. Cette année il nous donne un nouveau volume composé d'éléments analogues.

La multiplicité des sujets qui y sont traités ne permet pas d'en tenter l'analyse. Il renferme neuf notices relatives à la cathédrale de Rouen, dix-huit relatives à des églises ou chapelles de Rouen, vingt relatives à des maisons, édifices civils, industries et artistes de Rouen, quatorze relatives à des édifices des environs de Rouen, seize échappant à toute classification et roulant sur des sujets divers.

Pour donner une idée de la variété des sujets traités, nous transcrivons ici les titres des articles concernant la cathédrale de Rouen: Autel du chœur; Grand portail, travaux d'architecture de 1502 à 1514, et nouveaux travaux, 1626-1787 Portail latéral sur la rue du Change, en 1463; – Chape de Georges d'Ain-


boise, porter, pour la cérémonie du mariage de Charles IX; Ornements du cardinal d'Estouteville, détruits en 4627 Gravures pour marquer le point des chapitres; Portraits prohibés dans la cathédrale comme représentations de saints; enfin, Sépulture des d'Amboise.

Les habitants d'Avranches qui ont donné à l'une des places de leur ville le nom de leur évêque Jean de Saint-Avet, qui s'intéressa à Jeanne d'Arc, auront plaisir à lire la notice qui concerne ce prélat patriote. Devenu suspect aux Anglais, il fut détenu en 1452 dans l'abbaye de Saint-Ouen, où il mourut l'année suivante en 1453.

Nous recommandons aux archéologues les notes relatives aux antiquités mérovingiennes de Saint- André-Épinay, aux canons d'autel, aux hanaps de madre, aux poteries acoustiques, aux moules à hosties, aux usages funéraires, aux images de confrérie. Dans un récent voyage fait à Rouen, un archéologue anglais exprimait le regret que les volumes de notes archéologiques et historiques recueillies par M. Charles de Beaurepaire sur la ville de Rouen et si intéressants à consulter, fussent absolument introuvables. Le volume que nous annonçons continue dignement la série, mais comme les précédents, il a été tiré à très petit v nombre et sera également fort difficile à rencontrer. M.


Exposition d'Alençon

Une exposition nationale du Commerce, de l'Industrie et des Beaux Arts doit s'ouvrir à Alençon, le 1er juin de cette année. Elle comprendra une exposition rétrospective d'objets d'art normands et percherons.

Les articles 1 et 2 du règlement de cette exposition sont ainsi conçus:

ARTICLE PREMIER. L'exposition nationale qui doit s'ouvrir à Alençon, le 4 juin, comprendra une Exposition rétrospective de l'Art normand et percheron. Cette exposition aura une durée de deux mois et pourra être prolongée, si le Comité en décide ainsi.

ART. 2. Elle comprendra tous les objets anciens, statues, peintures, gravures, tapisseries, meubles, faïences, armures, livres, bijoux, manuscrits, etc., soit qu'ils aient été fabriqués ou trouvés dans la région, soit qu'ils se rapportent à son histoire. L'admission sera prononcée par un Comité spécial.

Parmi les membres d'honneur de l'exposition rétrospective, nous relevons les noms de deux de nos anciens directeurs: M. le marquis de Chennevières, directeur


honoraire des Beaux-Arts, membre de l'Académie des Beaux-Arts, et M. le comte de Contades, président de la Société historique de l'Orne. Parmi les vice-présidents du Comité actif se trouve notre confrère M. Louis Duval, directeur de la Revue illustrée normande et percheronne.

Mort de M. Almagro

M. Almagro est mort à Laigle, le 4 septembre 1897. D'origine espagnole, M. Alinagro était arrivé très jeune en France, où il était devenu pour ainsi dire un fils adoptif de la grande famille française. Après avoir terminé ses études, il s'était établi comme pharmacien à Laigle et s'était livré avec une ardeur passionnée h des recherches historiques et archéologiques. Il le* poursuivit jusqu'à la fin de sa vie. Membre fondateur de la Société historique de l'Orne, il collabora à la Revue normande et percheronne illustrée. Il publia aussi dans des feuilles locales des notes très précise* et très détaillées sur les particularités de l'histoire de Laigle. M. Louis Duval a donné, dans la livraison de janvier et février 1898 de sa Revue, une biographie très curieuse de ce travailleur modeste, qui a droit à notro souvenir.

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SÉANCE PUBLIQUE

DU 9 DÉCEMBRE 1897 Présidence de M. le comte de CONTADES, Président de la Société historique de l'Orne

Le 9 décembre 1897, à deux heures et demie de l'après-midi, la Société des Antiquaires de Normandie a tenu sa séance publique annuelle sous la présidence de son directeur, M. le comte de Contades, président de la Société historique de l'Orne.

Aux côtés du directeur siégeaient au bureau M. Paul de Longuemare, président; Mgr Hugonin, évêque de Bayeux et Lisieux; MM. Hendlé, secrétaire général; l'abbé Goudier, vicaire général, doyen du chapitre; le comte de Marsy, ancien directeur; Hettier, vice-président; Émile Travers, bibliothécaire; E. de Beaurepaire, secrétaire. Un public nombreux et élégant remplissait la salle. Des chaises au pied de l'estrade avaient été réservées pour les dames.

La tribune était occupée par une délégation des élèves du lycée.


L'ordre du jour avait été ainsi arrêté

Discours d'ouverture: Georges Brummell à Caen, par M. le comte de Contades, président de la Société historique de l'Orne, directeur;

Rapport sur les travaux de l'année, par M. Eugène de Beaurepaire, secrétaire

Placard d'imprimerie affiché en 1555 à la porte de l'église de l'abbaye du Mont-Saint-Michel, par M. J. Couraye du Parc, de la Bibliothèque Nationale; Lecture de Carême, par M. le comte de Marsy, directeur de la Société française d'Archéologie; Les Sphinx du château de Pavilly, par M. de Longuemare, président;

Les Peintures de la salle des Actes au collège des Jésuites de Caen, par M. l'abbé Masselin. Toutes les lectures ont eu lieu dans l'ordre indiqué au programme et ont été favorablement accueillies par le public.


DISCOURS DE M. LE COMTE DE CONTADES. MONSEIGNEUR,

MESDAMES,

MESSIEURS,

MES CHERS CONFRÈRES,

Avant de parler de George Brummell à Caen, je tiens à vous dire, au début de cette séance, combien je ressens vivement l'honneur qu'ont bien voulu me faire les membres de la Société des Antiquaires de Normandie en m'attribuant la dignité de directeur. Je suis quelque peu embarrassé, je dois l'avouer, en me trouvant à une place qu'ont occupée tant de littérateurs, tant d'érudits éminents. Aussi je ne veux, de ce grand honneur qui m'est fait, retenir pour moi qu'un témoignage de bienveillance et de sympathie qui me va au fond du cœur. J'y vois surtout une marque de bonne confraternité vis-à-vis d'une société voisine dont vous avez, en moi, élu le


représentant la Société historique et archéologique de l'Orne. Et je n'en suis pas surpris, car il me semble qu'entre les travailleurs normands, les plus étroitement unis sont ceux de Caen et d'Alencon. Ces liens qui les rapprochent comme issus de la même branche dans notre grande famille provinciale, vous les avez encore reserrés, mes chers confrères, en appelant à la direction de votre société deux de mes collaborateurs ornais, mes maîtres très regrettés, Léon de La Sicotière et Gustave Le Vavasseur. Je sais combien, parmi vous, ils comptaient d'amis fidèles. Et je suis assuré, en m'autorisant de leur très cher souvenir, d'obtenir aujourd'hui votre bienveillante indulgence. Je la réclame pour traiter un sujet un peu frivole. Les Anglais qui visitent à Saint-Étienne la dalle recouvrant les restes de Guillaume le Conquérant, grandia ossa, vont parfois chercher, sous les arbustes du cimetière protestant, la tombe où, dans un mince cercueil de vieillard, furent apportés les petits os de George Brummell. Le nom de ce dandy typique est lié à celui de Caen dans une histoire de splendeur et de misère dont voici les derniers chapitres.


George Brummell à Caen

Le 5 octobre 1830, une chaise de poste, annoncée à grands coups de fouet, s'arrêtait à Caen, devant l'hôtel de la Victoire, près de l'église Saint-Pierre. L'hôtel de la Victoire était, depuis de longues années déjà, patronné par les Anglais résidents et voyageurs. L'homme qui descendit de la chaise de poste, pendant que son valet indiquait un amoncellement de colis à décharger était un Anglais, d'une élégance suprême. Après avoir demandé la meilleure chambre, le meilleur diner et le meilleur Bordeaux, il mit son nom sur le registre de l'hôtel George Bryann Brummell, consul de Sa Majesté Britannique.

Le titre de consul impressionna l'aubergiste assurément beaucoup plus que le nom de Brummell. Et pourtant ce nom brillait, dans le monde de la mode, d'un incomparable éclat, et il allait vivre à jamais dans le monde des lettres, grâce à la géniale réclame qu'il reçut d un Normand, de


Barbey d'Aurevilly (1). De magistrales cravates, commentées en un petit livre, en voilà assez, semblet-il, pour devenir immortel. Et humainement, cela doit-il nous surprendre ? Nos âmes sont si étroitement enserrées dans nos misérables corps et nos pauvres corps dans nos misérables âmes 1 Ces guenilles chères à si bon droit, n'est-il pas naturel que nous voulions nous en draper de notre mieux. Tel est le but, l'art du costume, d'autant plus important qu'il contribue à établir la physionomie, qui livre toujours quelque chose de notre âme. Livraison, hélas! souvent frauduleuse, mais le plus souvent au détriment du fraudeur. Il en fut ainsi pour Barbey d'Aurevilly, dont les redingotes à corset et les manchettes à revers frappaient injustement d'une marque de snobisme celui qui avait conçu, avec une puissance vraiment shakespearienne, l'Ensorcelée, le Prêtre marié, le Chevalier Destouches. L'auteur de ces œuvres, qui nous ont ensorcelés tour à tour par le charme des vieux salons fleurant l'iris, par la terreur des grandes landes hantées, je voudrais ici en parler plus longuement, tant je dois à ce grand Normand (1) Après avoir cherché, pour écrire cette étude, dans le petit volume de Barbey d'Aurevilly: Du Dandysme et de G. Brummell, l'essence du dandysme, nous avons rencontré dans les deux gros volumes du capitaine Jesse The Life of George Brummell, Esq. commonly called Beau Brummell, biographie beaucoup trop délayée, de très curieux détails relatifs au séjour de George Brummell à Caen.


d'heures d'émotion profonde. Mais il me faut revenir à l'un de ses modèles, au sujet disséqué par lui en une très subtile analyse du dandysme. Et je dois tout d'abord dire quelques mots de l'existence de Brummell avant son exil et ses jours de Normandie.

Son histoire peut être rapportée en quelques lignes. Un grand-père, confiseur dans Bury Street; un père, secrétaire particulier de lord North, ayant acquis une véritable fortune, mais insuffisante pour briller, en Angleterre, au premier rang ou même au second. Chacun de ses enfants reçut trente mille livres sterling. Mais Brummell reçut un bien autre capital, qui semblait inépuisable, de beauté, de goût et de séduction. Il fut remarqué par le plus élégant des princes, ce prince de Galles dont le deporlment légendaire excitait l'admiration du Turveydrop de Dickens (1). S'appuyant sur sa faveur et moins embarrassé que lui par le rang, Brummell fut, pendant vingt ans, le roi absolu de la mode en Angleterre. Et en matière de mode masculine, puisque mode masculine il doit y avoir il faut reconnaître que les empires et les républiques des deux hémisphères n'ont été et ne sont encore que des colonies britanniques. Puis un caprice de ce prince, qui avait fait de Brum(i) Dickens, Bleak Home, ehdji. xiv. Déportaient.


mell un impérial dandy, le jeta à terre et le repoussa d'abord à Calais où il végéta quatorze ans, puis à Caen où il séjourna dix années dans une véritable agonie de costume, d'esprit et de corps. Je voudrais omettre ici les anecdotes trop connues. Il faut cependant en rappeler deux relatives à l'élévation et à la chute du favori de George IV. Sa fortune naquit en une pastorale, mais en une pastorale fashionable, comme il convenait. Une tante de Brummell, nommée M's Stearle, possédait à l'entrée de Green-Park, une laiterie modèle, sorte de Petit Trianon d'Outre-Mer. Princes et ladies venaient là en parties rustiques et pour y trouver des sensations saines, comme en quelque paroisse de Wakefield. Or, un jour que le prince de Galles, en compagnie de la belle marquise de Salisbury, regardait traire des vaches par des laitières en cottes de satin, il aperçut près d'elles un jeune homme souriant, beau comme un Apollon brun, et qui, depuis deux jours, était arrivé d'Eton. Le prince demanda son nom. Il s'appelait George Brummell et il désirait entrer au service. Le visiteur royal, comme marque de sa faveur, lui promit une commission de cornette au 11e hussards (1). Mais le jeune dandy, dès qu'il fallut quitter Londres, envoya promener et cornette et (1) The Reminiscences and Recollections of captain Gronow, t. II, p. 227.


commission, se sentant mieux bâti pour le frac que pour le dolman. Il conserva toutefois la faveur du prince de Galles. Elle fit de lui en peu de temps l'homme le plus en vue de toute l'Angleterre et méritant de l'être par la sûreté de sa doctrine en matière d'élégance et par l'impeccable mise en pratique de ses théories de mode. Ayant des vices, car il était débauché, joueur et buveur il savait les tenir entre ses mains finement gantées et les arrêter court, dès que la disposition de sa coiffure ou le prestige de sa cravate pouvaient être compromis. Et cela sans raideur, avec des abandons, des familiarités, des folies, dont son tact instinctif lui fixait la juste mesure. Une fois, il la dépassa, et le fait quoique démenti n'en reste pas moins authentique, il dit au prince de Galles, alors que le vin manquait: « George, sonnez donc 1 George, ring the belll »

George sonna, mais le fit jeter à la porte, c'està-dire hors de l'Angleterre, hors de l'élégance, hors de la vie 1 Le pauvre Beau pouvait-il supposer que celui qui se laissait appeler Big Ben, du nom du suisse de Mrs Fitzherbert, ressentirait à ce point une offense d'après souper? Le prince de Galles s'obstina dans sa rancune, heureux peut-être d'avoir trouvé un prétexte de briser un jouet qui ne lui plaisait plus. Et quand plus tard, devenu roi, il traversa, dans un voyage à Hanovre, Calais, où le dandy manquait presque de pain, il ne trouva


pas une parole de clémence pour son ancien favori. La pitié d'un ministre, ancien camarade de club, obtint enfin à Brummell le consulat de Caen, et c'est là que nous allons regarder celui que la grave Westminster Review appelait, en ce tempslà, le Jfarius du dandysme.

I.

George Brummell ne fit que passer à l'hôtel de la Victoire. Il loua, huit jours après son arrivée, un vaste appartement dans l'hôtel de Mme de Guernon de Saint-Ursin, situé rue des Carmes. Le bureau de son chancelier, nommé Hayden, était situé près de là, dans la même rue. En entrant dans l'hôtel de Mme de Saint-Ursin, Brummell trouvait le cadre convenant le mieux à sa figure. Et il fit briller le vernis de souliers incomparables sur des parquets à larges feuilles, gardant encore le reflet des derniers talons rouges. Une lettre de lui adressée au consul d'Angleterre à Calais, nous livre ses premières sensations de Normandie

Mon cher Marshall, Vous eussiez assurément reçu de mes nouvelles, si je n'eusse été troublé dans la passivité de mon existence habituelle par de laborieux


efforts d'installation. Après m'être arrêté une semaine à Paris, je suis arrivé à ma destination. J'y ai eu à subir toutes les horreurs de l'exploitation la plus éhontée dans un des pires hôtels qui puissent exister au monde. Pendant sept jours, j'ai rongé, en ce charnier, des os sur des torchons indescriptibles. Enfin le destin m'a conduit vers un merveilleux appartement, la moitié d'une maison appartenant à une vieille dame, la plus proprette, la plus obligeante, cousine de Guernon-Ranville, le ministre, qui vient d'être condamné; meubles confortables, délicieux jardins, deux chats d'Angora, et un perroquet que j'ai déjà presque étouffé de friandises.

Grâce à des lettres que j'ai apportées pour le préfet, le général et trois ou quatre gros bonnets, lettres émanant de personnages tels que Mole et Sébastiani, je me suis trouvé ici, presque sans un sou, un monsieur fort important. J'y ai été très magnifiquement fêté, et j'y ai été reçu membrede la société ou cercle sans ballottage, honneur jusqu'ici refusé à tout Anglais. A ce club, tous les journaux et presque toutes les revues. Du whist, de l'écarté et du billard à vingt sous la partie autant que l'on en peut vouloir. Quant aux membres du cercle, tous très bien bonne éducation, façons agréables, fortunes très solides. Point d'aigrefins et presque pas de gâteux. Grand tra-la-la demain chez le préfet où je dois dîner avec le député, M. de la Pommeraye, dîner pour lequel je prépare un joli toast à la prospérité commerciale des deux nations. Nos nationaux sont en très petit nombre à Caen et deux seulement reçoivent, MM Villiers et Rurton. Leurs maisons qui sont, sans


exagération, larges comme Devonshire House à Londres ou l'Ambassade d'Angleterre à Paris, s'ouvrent souvent à cinq heures et demie pour un excellent dîner, suivi d'une réception à laquelle se rendent les Français du meilleur monde. Un violon s'y trouve à point pour faire danser la jeunesse. Je me multiplie pour plaire à tous ces gens-là; je dis oui avec les uns, je dis non avec les autres. Et quant à ceux de ma nation, je leur fais à tous des visites poignées de main à monsieur, compliments à madame, caresses attendries aux enfants les plus morveux. En vérité, mon cher Marshall, que puisje faire de plus avec mes faibles ressources ? (1). Lettre humoristique, mais présentant bien le terrain sur lequel le dandy avait à évoluer et à achever de vivre.

La société française était à Caen, comme dans toutes les villes de province cette époque, très nettement divisée en deux fractions ennemies; légitimistes d'une part, et, de l'autre, fonctionnaires et orléanistes. Brummell, au début, fut donc un peu tiraillé, à droite, comme le plus élégant des hommes et qui avait vécu si près de la royauté 1 à gauche, comme consul et personnage officiel. Mais le Beau, sans hésiter, se laissa entraîner à droite et prit dans les salons où l'on pleurait sur les lis ses habitudes mondaines. D'abord, chez sa (1) Jesse, The Lire uf Beau Brummell, T. II, p. 29. Toutes les lettres et les fragments transcrits dans cet article sont extraits de ce volume.


noble propriétaire, Mrae de Guernon de Saint-Ursin, née Aimable-Ange Vastin et d'origine hollandaise, ce qui expliquait la propreté minutieuse de sa demeure, où nul grain de poussière ne s'attachait aux lambris. Adoptée par deux vieilles demoiselles de Guernon-Ranville, elle avait épousé un de leurs cousins, M. de Guernon, et une parenté avec le ministre de Charles X donnait à sa fidélité un petit reflet de martyre (1). Elle avait une fille charmante, nommée Aimable comme elle, qui devint bientôt la petite amie du dandy. Pour complaire à son hôtesse, aux anniversaires des triomphes de juillet, Brummell ne faisait arborer le drapeau britannique qu'à la sorte d'échoppe occupée par son chancelier, là bas au bout de la rue, épargnant ainsi à la demeure de Mm0 de Saint-Ursin toute profanation gouvernementale. Un autre hôtel fréquenté par le consul était celui de la marquise de Sérans. C'était une femme de l'esprit le plus délicat, sachant conserver tout le charme du temps passé à un salon qui, toutefois, n'était en rien un Cabinet des Antiques. Elle avait émigré comme Mme de St-Ursin, et elle s'étonnait des revirements de la fortune qui amenaient chez elle ce beau Brummell, jadis roi (1) Le 25 octobre 1834, le ministre, prisonnier à Ham, écrivait dans son journal « M"' de Saint-Ursin m'a mandé que l'effet de mon refus de demander avait été fort bon à Caen. » V. Journal 1 d'un ministre (œuvre posthume du comte de Guernon-Ranville), publié par M. Julien Travers, p. 351.


dans Saint-James, alors qu'elle grelottait, ellemême, dans un lodging de Soho.

Les Français savaient très bien que Brummell, en Angleterre, avait été un modèle d'élégance, ce qu'ils eussent, en leur langage, appelé la fleur des pois. Mais ils n'avaient sur le dandysme, dont Barbey d'Aurevilly n'avait pas encore tracé la théorie magistrale, que d'incertaines notions. Chateaubriand, qui eût fait plus sagement de ne point parler de mode, avait bien écrit ceci « Aujourd'hui, le dandy doit avoir un air conquérant, léger, insolent; il doit soigner sa toilette, porter des moustaches ou une barbe taillée en rond comme la fraise de la reine Élisabeth, ou comme le disque radieux du soleil; il décèle la fière indépendance de son caractère en gardant son chapeau sur sa tête, en se roulant sur des sophas, en allongeant ses bottes au nez des ladies assises sur des chaises devant lui (1). Mais Brummell n'avait rien de ce dandy mal élevé et surtout imaginaire, que dans leur savoir-vivre, les clubmen de Caen, MM. de Saint-Quentin, de Vauquelin, de Sainte-Marie, de Roncherolles eussent traité de Jeune France et de polisson, tandis que les façons de Brummell les ravissaient, bien que son costume leur causât quelque surprise. Regardons-le passer. Il porte (1) Chateaubriand, Essai sur la littérature anglaise [Œuvres complètes, t. XI, p. 763).


un surtout marron au col de velours de couleur un peu plus sombre; un gilet de cachemire à palmes et à fond blanc, tiré d'un châle, qui a coûté cent guinées un pantalon de nuance foncée sur des bottes très pointues. Puis, au-dessus de tout cela, repoussé par l'ampleur d'une triomphante cravate sous les frisons d'une perruque et les grands bords d'un chapeau à forme évasée, un masque malicieux, au nez retroussé, aux yeux vifs. De bijoux, point ou peu une simple bague au doigt une chaîne d'or dont deux anneaux brillent seuls sur le gilet à la main, un stick ou un parapluie, dont la pomme d'ivoire représente la tête de George IV, sur laquelle le dandy tape parfois rageusement. Les Anglais s'étonnaient moins d'une tenue si singulière en des entêtements de mode. Mais le nombre, chaque année, en diminuait, emportés qu'ils étaient loin de Caen par leur humeur voyageuse. Brummell nous a nommé les Villiers et les Burton. Les autres, il nous l'a laissé entendre, n'étaient guère a fréquenter et tout devait se borner, entre leur consul et eux, à des relations d'affaires et de chancellerie. Parmi eux se trouvait cependant un M. Armstrong, sorte de gênerai agent, caméléon commercial, s'occupant un peu de tout, de fret et de commission, d'importation de thé et d'exportation de champagne, de vente d'immeubles et, surtout, d'avances de fonds. Or, dès le lendemain de son arrivât à Oaen. Brummell.


en une convoitise d'écus, fut aux pieds de cet agent comme aux pieds du dieu Plutus. Il faut convenir que, vis-à-vis du dandy exigeant et dépensier, Armstrong se conduisit non seulement avec honnêteté, mais encore avec une touchante et déférente sympathie. Et, sur le terrain des procédés délicats, le consul fut assurément battu par le boutiquier.

D'ailleurs ce titre de consul, qui le faisait le premier à Caen parmi ses compatriotes, George Brummell ne devait pas le garder longtemps. Fait inconcevable, la faute en fut à lui-même. En réponse à l'on ne sait quelle circulaire de lord Palmerston s'informant du nombre d'affaires qu'il avait traitées dans l'année, Brummell insista sur le peu d'importance du consulat de Caen. Il démontra l'avantage, au point de vue économique, de le transformer en un vice-consulat, très suffisant dans une ville où les sujets britanniques étaient chaque jour moins nombreux. Était-ce un scrupule? Était-ce une ruse ? Était-ce honte de son oisiveté ou désir d'obtenir, en échange du consulat de Caen, celui du Havre ou de Livourne? Qui le sait ? Mais son désintéressement ne fut pas récompensé et son calcul, si calcul il y avait, avorta. Le consulat de Caen fut, en effet, supprimé, mais Brummell ne reçut nulle compensation. Il resta à Caen, simple gentleman, près de son consulat déclassé sans profit pour lui. Et, dès que l'écusson


soutenu du lion et de la licorne eût disparu de sa porte, les créanciers alarmés vinrent y sonner de toutes parts.

II

Au mois de septembre 1832, Brummell, lassé peut-être d'une semblable obsession, avait cessé d'être le locataire de Mme de Saint-Ursin et s'était installé à l'hôtel d'Angleterre, en quelques chambres du troisième étage. L'hôtel d'Angleterre avait alors supplanté l'hôtel de la Victoire dans la faveur des étrangers et des habitants de Caen. Il avait été ouvert dans de vastes bâtiments, autrefois le siège du bureau des finances. Le Beau, pensionnaire du premier hôtel de la ville, semble avoir réussi, grâce à l'assistance d'Armstrong, à détacher les créanciers de ses sonnettes et avoir obtenu quelque répit sur la voie de la détresse. Il se prit à vivre en un petit regain d'élégance et avec quelques distractions d'esprit et de sentiment. Brummell qui, selon Barbey d'Aurevilly, aurait été, à Londres, un sultan sans mouchoir, en trouva-t-il un à Caen pour le jeter à quelque odalisque de Basse-Normandie ? Il pressa bien un peu vivement dans ses lettres l'une de ses correspondantes, car il eut toujours des correspondantes et des amies. Mais


il nous semble que celle-ci prit trop d'effroi d'ardeurs épistolaires et de feux artificiels. Feuilletons donc les lettres de George Brummell. Nous y rencontrerons de l'esprit, de la manière, beaucoup de sentiment personnel, corrigé parfois par une phrase de tendresse, rare comme une larme sur la joue parcheminée du vieux buck.

Les plus compliqués vont souvent vers les plus simples. La première des correspondantes normandes du dandy avait été, alors qu'il habitait l'hôtel de Saint-Ursin, M"" Aimable, fille de sa propriétaire. M"6 de Saint-Ursin recevait de Brummell, entre deux leçons d'anglais il ne payait guère son appartement qu'en monnaie de grammaire de petits billets pleins d'esprit et de gaité. Nous n'extrairons que quelques lignes de ces lettres adressées à une pensionnaire. Les unes, tout emplies de mélancoliques regrets, ont été tracées en une veille de Noël « Comment 1 Vous songez à prendre une leçon demain. Christmas day 1 Quelle époque de joie et de réjouissance ce temps de Noël était jadis pour moi, selon les coutumes de mon pays natal Tandis que, maintenant, je n'ai plus des fêtes passées que le douloureux souvenir. » Et sans doute, par delà la rue boueuse de la ville, il revoyait une large mansion anglaise, toute décorée de gui et de houx, dont les larges baies jetaient sur la neige des pelouses les lumières de la Noël. Les autres lignes, extraites de cette enfan-



tine correspondance appartiennent au chapitre des animaux. Car cet amour des animaux, très doux, mais qui n'est souvent qu'un trompe l'œil de sensibilité à l'usage des égoïstes, était ressenti excessivement par Brummell. « Dear miss Aimable, Il est sans doute bon d'étudier l'anglais et l'italien, mais il ne faudrait pas, pour cela, négliger ses devoirs de cœur. Voilà plus d'une semaine que je n'ai vu de paille fraîche dans la corbeille d'Ourika, tandis que Tigre a toute permission de persécuter le perroquet au point de l'en faire mourir. Il vaut mieux remplir ses obligations vis-à-vis des animaux, nos compagnons muets, que de faire des devoirs dans tous les langages du monde. » Cela est à demi vrai mais, pour ses devoirs de cravate, combien le dandy n'avait-il pas dédaigné et contristé jadis d'affections humaines

Passons de ces petites hypocrisies de sentiment à la sincérité de malicieuses critiques littéraires. Elles se trouvent dans des lettres adressées à une anonyme, à un bas-bleu de Caen, et fournissent, sur les écrivains anglais, de curieuses appréciations « Avez-vous lu le voyage en Amérique de Fanny Kemble? Je commence à être lassé de sa sensibilité factice et surtout de tous ces moi qui encombrent ses souvenirs. » N'est-ce pas un peu la paille et la poutre? Et, d'ailleurs, le dandy, dans son grand moi à lui, est impitoyable pour ses remplaçants sur la scène de la fashion; particulièrement


pour lady Blessington, la protectrice de ce beau comte d'Orsay, qui tenait alors entre ses mains gantées de jaune, le sceptre de la mode. « Son roman, Les Deux Amis, vous fera périr d'ennui. Lady Blessington, au déclin de sa beauté est, comme toutes les pénitentes aristocratiques, devenue par trop sainte. Elle abuse du cilice et vous étouffe à la lettre sous le poids de ses sermons. » Voilà la correspondance d'esprit; voici maintenant la correspondance de cœur, si le cœur, jamais, fut pour quelque chose en ces transports de vieux fat. La correspondante est a young favorite, appartenant à une famille anglaise de la colonie de Caen. Elle passait plusieurs mois d'été à Luc-surMer, et le pauvre dandy, retenu dans la ville par une pénurie d'argent, lui adressait l'expression d'une passion entretenue par de longues rêveries sur le cours Caffarelli «Ah 1 que ne me suis-je borné, écoutant la prudence la plus élémentaire, à vous saluer quand vous passiez dans la rue, moi qui, depuis tant d'années, évite ce que je regarde comme de très périlleuses distractions me voilà, en dépit de ma circonspection, amoureux de vous et pour tout de bon. Mais je saurai mettre à un amour semblable une camisole de force et, quand ainsi le calme sera revenu pour moi, je fuirai vers le désert et je m'y ferai hermite. Addio, ben amata I » « J'aurais bien voulu aller à Luc pour un jour, mais je ne me sens pas assez de force


pour cela; car je vous y retrouverais, source et objet de mon tourment. Je crains bien, hélas 1 que votre cœur ne soit de marbre comme votre visage est de neige. Et pourtant, je veux rester immuablement à vous en ce monde et dans l'autre, s'il est permis d'y garder votre mémoire. » Mais le ̃ Beau, s'échauffant à ce jeu de galants billets, paraît avoir offensé sa jeune favorite par l'ardeur excessive de quelque phrase et aussi ce qui n'aurait nulle excuse par quelque indiscrétion échappée à sa fatuité « C'est dans l'angoisse du repentir le plus profond et dans la plus sincère affliction de mon cœur que je vous demande pardon. Je ne saurais survivre à la douleur de vous avoir offensée. Sauvez-moi donc, au nom de celui que nous adorons tous les deux, et qui, pourtant, m'a délaissé dans toutes les tribulations. Sauvezmoi de la mort qui est devant moi, sauvez-moi de moi-même! » La jeune amie pardonna, mais sut se sauver elle-même, employant alternativement, pour éloigner le vieux Beau, sans qu'il eût trop à souffrir, des effets de courroux et de compassion « Je vous remercie dit-il enfin de votre bonne lettre elle m'a délivré d'un remords, qui eût empoisonné ma vie. Je veux vous en récompenser par une affection dévouée, m'abstenant de tout ce qui pourrait mériter votre colère. Le soleil a donc dissipé ces nuages, qui s'étendaient sur notre amitié, et nous nous retrouvons, mains et cœurs ouverts,


comme aux beaux jours de jadis. » El, en réalité, ils redevinrent amis, comme ils l'étaient au temps de leur amitié vraie. Amitié très sincère et très compatissante chez la jeune favorite, ce qui ne l'empêcha point de régler fort nettement, même sur le papier à lettres, l'expression des sentiments de son pauvre vieux dandy.

Brummell, alors parait s'être retourné vers les distractions de l'esprit. Il correspondit plus fréquemment avec les bas-bleus de la ville et leur révéla même des versiculets de son cru. Car il avait rimé, aux jours de sa jeunesse, en l'honneur de la belle comtesse de Rutland et de lady Tankerville pauvres vers de dandy, guindés, lustrés, fleurant le musc. Et il transcrivit, pour un bel esprit de Caen, le meilleur produit de samuse, un petit poëme, Les Obsèques du papillon

O vous, qui, hier encore, étiez folâtres et gais,

En ripailles au banquet du papillon

Vos fêtes et vos jeux sont terminés,

Car le papillon, l'âme du banquet, est mort.

Ni mouches, ni fourmis ne se hâteront plus

Pour rejoindre leur compagnon au bal de la sauterelle. Voyez donc, son corps léger git en leur recoin favori Et la sauterelle est en deuil de son pauvre camarade. Les abeilles arrivent. Écoutez leur lamento.

Le scarabée qui les suit, vient aussi très solennel, Et là bas, où les verts roseaux, si doucement ondulent, La taupe est à préparer la fosse du papillon.


Le ver quitte la coque de noix et vient se joindre au cortège. Il conduit lentement avec lui le ver de livre.

Qui, pleurant le destin du pauvre ami décédé,

Improvise une épitaphe à inscrire sur sa tombe En cet endroit, où les verts roseaux ondulent,

Nous nous sommes inclinés sur la tombe du papillon. C'est ici que nous avons célébré les obsèques de la beauté Et avons béni le monticule où reposent ses cendres. Ici la pâquerette et la violette fleuriront,

Et le lis ouvrira son calice de neige,

Pendant que, sous la feuille, dans les soirées de printemps, Pleurant encore son ami, chantera la cigale (1). Les obsèques de la beauté Le Beau ne songeait guère, alors, qu'à ses funérailles, à lui, n'assisterait pas même un scarabée fashionable, et que, près de ses cendres de papillon-dandy, nulle cigale ne chanterait ses ailes éblouissantes. III

Par une belle matinée de mai 1835, le poète dandy eut de très singuliers assistants à sa toilette. Il lui sembla être encore en un cauchemar, quand (1) Jesse, l'he Life o\ Beau Urummell, T. 1, p. 228.


il aperçut à son chevet un huissier et deux gen darmes. C'était une fort déplaisante réalité. Il fallait aller en prison pour expier la dette d'une quinzaine de mille francs, dus à un M. Leveux, banquier à Calais. Mais il y avait une réalité immédiate, plus douloureuse encore celle de s'habiller devant ces sbires, en une sensation de l'amoindrissement de la personne, au saut du lit, avant la toilette. Brummell, sans sa cravate, était comme un Louis XIV dépouillé de sa perruque par quelque révolution. Et, pourtant, la Révolution française, qui avait négligé d'abattre les bastilles pour dettes, laissa le beau Brummell, tout vilain et tout piteux, se vêtir entre deux gendarmes. Puis, la toilette faite, en fiacre et en route pour la prison 1 Le pauvre dandy, qui ne connaissait encore les cachots que par les décors d'opéra, ayant souri de quelque loge infernale à la felter dance du capitaine Mac-Heath entre Lucy et Polly (1), regarda la prison de Caen comme un véritable bagne. L'on croirait d'ailleurs difficilement aujourd'hui, qu'en 1835, le répugnant contact des malfaiteurs de tout un département ait été imposé à des prisonniers pour dettes. Cela n'en est pas moins vrai et, si nous nous en rapportons aux mie prigioni (1) La scène du Beggar's Opéra de Gay, présentant le capitaine Mac-lleath en prison, entre Lucy et Polly, a été employée à satiété, au cours de ce siècle, par les caricaturistes et les humoristes anglais.


de Brummell, la prison de Caen, située dans le quartier Saint-Martin, était à la fois le Clichy, le Mazas et la Sainte-Pélagie du chef-lieu du Calvados. Les criminels pouilleux et déguenillés semblèrent au dandy des habitants de l'enfer. Il se réfugia du côté des politiques et il parait s'en être heureusement trouvé. Un certain M. Godefroy, sur qui étaient tombés toutes les amendes, tous les mois de prison, infligés à un organe légitimiste, l'Ami de la Vérité, était alors dans les fers. Vainement, le 7 mars 1835, un avocat, M' de Valroger, s'étaitil écrié, en défendant le gérant de la petite feuille « M. Godefroy n'est point un mannequin politique, n'est point mis en avant par des hommes qui se cachent derrière lui. Ce n'est point un mannequin que l'homme courageux qu'une longue captivité ne rebute pas, que l'homme qui n'a jamais fléchi devant les rigueurs du parquet, devant les déclarations du jury. » Tous, en dépit de ces éloquentes paroles, n'en regardaient pas moins M. Godefroy, sinon comme un mannequin recouvert du drapeau blanc, tout au moins comme une sorte de gérant émissaire. Il ne manquait, d'ailleurs, ni de conviction, ni de cœur, ni d'esprit, et Brummell n'eut qu'à se louer d'avoir à partager ses chaînes. M. Godefroy, qui avait, à titre de client politique de la prison, un appartement presque réservé, le partageait, le jour, avec Brummell. Le soir, pour éviter une odieuse promiscuité, l'ancien consul


devait dormir dans un étroit corridor. La vue que l'on avait de l'appartement des captifs était, si l'on en croit le dandy, assez lugubre. A travers les barreaux, à gauche, le préau des femmes qui, pour filer des quenouilles, n'en paraissaient pas moins de sanguinaires tricoteuses en face, le minuscule jardin de la pistole à droite, le bâtiment appelé la Paille, puis les hauts murs extérieurs de la prison. A peine, entre les toits des maisons avoisinantes, Brummell apercevait-il la cime de quelques ormeaux, verdoyant sous un radieux soleil, comme jadis il voyait à Londres, au soleil de la season, verdoyer les grands arbres de Kensington. Le dandy, toutefois, avait évité l'horreur d'une chambre commune, pire qu'aucune salle de workhouse à Londres. Mais, combien d'autres petits tourments n'avait-il pas à subir? Celui du valet, d'abord un tambour, Paul Lépine, arrivant d'Afrique et expiant par quelques mois de prison de menues peccadilles, qui fripait les cravates et ternissait les chaussures. Puis celui de la table, en dépit des méticuleuses instructions données par Armstrong au meilleur traiteur de Caen. « Je dois dénoncer lui mandait le beau courroucé le festin qu'hier l'on a osé me servir une unique côtelette, de la largeur d'un écu, et un squelette de pigeon, soutenu pas six pommes de terre desséchées. » Et cela n'était rien auprès du supplice du linge, du contact rugueux des torchons les plus


éraillés. Aussi le Beau écrivait-il à une de ses correspondantes comme du fond des abîmes « Je respire encore, et, pourtant, je ne suis plus du nombre des vivants. »

Cependant, qu'avaient fait ses amis et ses amies? Les femmes lui furent très compatissantes et lui adressèrent à l'envi, dans sa prison, des provisions pour l'esprit et pour le corps, livres et victuailles. Les hommes semblent avoir assez mollement agi, appuyant mal une demande de transfert à l'hôpital, que l'état de santé de Brummell justifiait suffisamment. Le préfet, M. Target, visitant un jour la prison, y rencontra, sans trop de déplaisir, peutêtre, l'ex-consul qui avait abandonné ses salons pour ceux d'une société factieuse. « Il a osé me dire écrivit rageusement Brummell qu'il ignorait que je fusse ici et osé me demander si je m'y trouvais bien. Oh! le mécréant de préfet! » Enfin le fidèle Armstrong sut tirer le dandy de peine. Il se rendit à Londres pour y faire appel, dans les cercles de Saint-James's Street, à la pitié des anciens compagnons de cercle du Beau. Le banquier Leveux avait bien compté là-dessus. L'appel d'Armstrong fut entendu au-delà de toute espérance. Le duc de Beaufort et lord Alvanley accordèrent leur patronage à une souscription, dont le montant permit non seulement de désintéresser le banquier Leveux, mais encore de payer à Caen les dettes du prisonnier, dont les chaînes furent définitivcment rompues.


Quand il dut s'en aller, la chambre de M. Godefroy fut le théâtre d'une de ces scènes joyeuses, si fréquentes à Clichy, dans lesquelles, au milieu des rires, partaient les bouchons des bouteilles de champagne. Brummell n'avait noué de relations, dans la sélection très restreinte de la prison de Caen, qu'avec le gérant de Y Ami de la Vérité et un certain Bassy, ancien maître d'hôtel. Mais, vers la fin de son séjour, il vit arriver un prisonnier magnifique, le baron de Brémesnil, qui, hissé sur son tilbury, avait osé crier: vive Henry V 1 presque à la face du préfet. De là, cinq jours de prison, cinq jours de fêtes, dont l'une fut donnée en l'honneur du Beau libéré. Un diner, commandé chez Longuet, le Chevet de Caen, réunit à la même table l'exconsul d'Angleterre, le publiciste normand, l'ancien maître d'hôtel et le gentilhomme campagnard. Le Chambertin, le Lafitte, l'Aï mousseux, délièrent bientôt les langues et ouvrirent tous les cœurs. Le vieux dandy extasié oublia qu'à Carlton-House l'on commençait par le champagne pour finir par le claret. Un ami des détenus, le comte de Roncherolles, avait bien envoyé une bouteille de son incomparable eau-de-vie de Dantzig, mais elle arriva demi-vide, par la faute, peut-être, du tambour Lépine, dont les doigts tapaient allègrement la muraille, pendant que ces messieurs, les flûtes à la main, buvaient à la santé des rois de France et d'Angleterre et de tous les rois que l'on peut ren-


contrer au pays de l'ivresse légère qui, seule, convient à de parfaits gentlemen.

IV.

Le dandy libéré revint à l'hôtel d'Angleterre et tenta d'y reprendre ses habitudes. Mais il ne devait jamais être l'homme pourtant si diminué qu'il était avant son emprisonnement. Il le sentit et, aigri, devint très promptement ingrat, ne témoignant que d'un façon insuffisante sa reconnaissance à ceux dont la sympathie avait adouci ses jours de captivité. Il fit toutefois une exception en faveur de M. Godefroy qu'il avait laissé dans sa prison perpétuelle (1). Il lui adressa, avec un pâté de perdreaux, une belle lettre en français, y saluant une dernière fois le tambour Lépine « L'on a vu dernièrement perché sur une diligence, notre cidevant Laflèur, le tambour Paul Lépine qui, gai comme la voiture qui l'emportait, l'Hirondelle, entourait de son bras d'Achille la taille d'une princesse de sa trempe, dont la tête auguste était couronnée de trois plumes aussi rouges que ses (1) M. Godefroy ne sortit de prison que le 1" septembre 1835, apres avoir fait Uoule-aix mois et treize jours de captivité.


joues. Ainsi se relèvent les héros de votre belle patrie. »

Dernier éclat de rire 1 La misère chaque jour étreignait davantage le malheureux dandy et, c'étaient, à toute heure, de petits sacrifices de table et, surtout de table de toilette, incessantes et insupportables taquineries du destin. L'argent qu'Armstrong avait rapporté de Londres avait été dépensé jusqu'à la dernière guinée. Et, moins le Beau en avait, plus ses besoins de friandises, de delicatessen étaient pressants. Chaque après-midi, comme l'a fait depuis le duc de Brunswick, ce Brummell manqué, le dandy se rendait chez un pâtissier voisin de l'hôtel d'Angleterre, M. Madeleine, et là prenait à droite, à gauche, avec une goinfrerie féline, des dragées et des biscotins.

Et, digne petit-fils du confiseur de Bury Street, il mangea à la lettre, en massepains et en pralines, sa dernière tabatière, payée jadis mille écus. Bien plus, lui qui avait autrefois l'épouvante des cokneys et du vulgaire, il en vint, pour mériter un verre de Champagne, à flagorner les derniers Anglais de table d'hôte.

Puis, du côté de la table de toilette, c'étaientbien d'autres douleurs. Ses flacons d'argent et toutes les menues pièces d'un incomparable outillage de dressing avaient disparu en un besoin de quelques irancs. Réformées, mais avec quel déchirement de cœur! les essences préférées et surtout une cer-


taine eau de Cologne, le sang de son dandysme. Enfin, la misère s'en prit aux habits du Beau, et il dut avoir recours à mille artifices, non plus, certes, pour briller, mais pour sortir décemment. Ses vêtements n'étaient plus que des haillons de haute coupe. Et un petit tailleur de Caen, mû d'une compassion touchante, les réparait pour rien, avec une sorte de respect pour cette lamentable et glorieuse défroque d'hiver. Brummell la recouvrait d'un grand manteau moins râpé. Et il retrouvait son maintien, et il portait beau encore. Deportment, Sir, eût dit M. Turveydrop

La cravate restait et sa grande autorité; un peu atteinte par des dénis de blanchissage, mais soutenue encore par un art si magistrall Un matin, devant l'ire d'une blanchisseuse impayée, le dandy ne trouva dans sa poche que quelques sous. Il fut alors silencieusement héroïque. Il laissa tomber sur le sol, en un geste d'abdication, un flot de mousseline jaunie et noua à la diable autour de son col l'on ne sait quelle étoffe noire. Puis, traçant sur une page d'album, pour l'une de ses amies, un petit cupidon vieillot, au-dessus d'un arc brisé, il équivoqua en anglais dans cette légende the broken bow, l'arc, le beau brisé.

Et il était certes bien brisé, le beau Brummell, car, à la déchéance du costume, la déchéance du corps avait promptement succédé. Il avait été déjà partiellement atteint, et. un matin, il avait vu gri-


macer dans le miroir cette face qui avait jadis rayonné sur tout un monde. Puis, un jour, son être fut frappé tout entier comme l'avait été son masque, et ce fut une continue et dégradante descente vers l'idiotisme. Il tomba, lui qui s'était élevé audessus des premiers des hommes, dans cette abjection physique, au-dessous des derniers goujats. Et, dans ce corps honteux, une intelligence éteinte, une mémoire engourdie, avec, parfois, des rappels étranges et véhéments.

Ses compatriotes ne l'avaient point oublié et plusieurs évoquaient ce spectre de dandy comme pour rentrer eux-mêmes en une vie très ancienne. Un jour le malade sortait encore de sa chambre une étrangère, d'une distinction suprême, demande à Fichet, le maître de l'hôtel d'Angleterre, si Brummell vit toujours chez lui. « Oui, madame, il doit descendre dans un instant et je l'arrêterai à l'entrée de votre chambre. » Ainsi fut fait, et quand Fichet rentra dans la chambre de l'inconnue, pendant que Brummell descendait gloutonnement vers son dîner, il la trouva étendue sur le sol, le visage baigné de larmes. Qui était-elle ? Lady Jersey, lady Stuart de Decies? Peu importe. En tout cas, l'une de ces reines d'Alniack ou de Carlton House, qui avaient jadis cherché une petite flamme d'amour dans ces yeux aujourd'hui atones et demi-morts.


Une autre fois le Beau ne quitte plus sa chambre c'est un Anglais, grand seigneur par l'apparence, qui demande à être introduit auprès de lui. Le dandy a placé sa perruque sur son genou et, en une hébétude, la graisse d'huile antique. L'étranger, désireux d'animer cette face qu'il avait vue jadis briller d'une telle splendeur, crie au malade une nouvelle déjà ancienne, mais bien faite pour l'émouvoir: « M. Brummell, M. Brummell, le roi George IV est mort. » Rien. « George IV, le prince de Galles » Rien encore. « Le prince de Galles, Big Ben! » Toujours rien. Et, hochant doucement la tête en manière de démenti, l'ancien Beau continuait à oindre sa perruque.

Et, en vérité, pour lui, George IV n'était pas mort. Car, dans une hallucination de souvenir, il faisait parfois allumer quatre bougies dans sa pauvre chambre d'hôtel il rangeait les fauteuils contre les murailles, il ouvrait toute grande sa porte numérotée. Et alors revivaient en lui toutes les splendeurs de Saint-James et du Royal Pavilion. Il voyait accourir à cette fête du néant tous ses anciens sujets du royaume de la mode. Il les annonçait, il les saluait à haute voix « Son Altesse Royale le prince de Galles, lady Conyngham, lord Yarmouth, lady Jersey, la comtesse de Rutland et Sa Grâce sa divine grâce autant par le charme que par le titre la belle Georgiana, duchesse de Devonshire a «r Ah ma '•hère duchesse, quelle


bonté d'être venue sur une invitation aussi tardive Je vous en prie, enfoncez-vous dans cette bergère que m'a donnée la duchesse d'York. » Et il recommençait « Lord Alvanley, lord Petersham, lady Worccster. » Puis, c'était un merveilleux buck, au frac à boutons d'or, au gilet de piqué blanc, la jambe moulée dans un pantalon étroit, la tête relevée par des enroulements de mousseline, avec de petits yeux vifs ouverts sur le monde, en une expression dictatoriale. Alors le pauvre vieillard, aux yeux demi-éteints, annonçait comme en un effroi: « George Bryan Brummell Et il retombait sanglotant sur son fauteuil, rejeté dans la honte et dans la misère par l'apparition de sa triomphante jeunesse; aussi morte, hélas 1 que les Georgiana et les Evelina d'antan, qui n'étaient plus que poussière dans leurs cercueils de velours, sous les voûtes seigneuriales.

V.

Puis, ce fut le dénouement. Un prêtre de cœur, l'abbé Jamet, avait fondé à Caen un vaste établissement de piété, le Bon-Sauveur. Quand l'ancien Beau, dans une incurable déchéance, eut atteint le dernier degré de la hideur, 1 on songea pour lui



à cet asile ouvert à toutes les détresses, misères de gueux et misères de gentlemen. Il ne devait certes pas être fermé pour le dandy idiot mais qu'il était difficile de l'y conduire I

L'on eut recours alors à la ruse habituellement employée, une promenade en voiture par un beau jour de soleil. Et le malade sans méfiance, de bonne humeur, s'en va avec gaîté vers la tombe des vivants. Mais il ne devait point en être ainsi pour le malheureux Brummell. Un matin de mars, Fichet entre dans sa chambre. « M. Brummell, la voiture est à la porte. Le pauvre dandy, un blaireau à la main, couvrait sa perruque de crème de savon, comme s'il voulait en raser les boucles, derniers fleurons de sa couronne de fashion. Et, dérangé « Quelle voiture, Fichet ? » « Celle qui doit nous conduire au Cours. Vous m'avez promis d'y venir avec moi. » « Mais pas aujourd'hui, Fichet, pas aujourd'hui. »*Et comme il s'entêtait, il fallut appeler deux garçons de l'hôtel pour violenter ce grêle et pauvre corps, et le jeter dans un fiacre.

La voiture partit. Avec une enfantine versatilité, le dandy passa de la colère au calme et du calme à l'enjouement. Il eut même une reprise de coquetterie. L'un de ses amis, M. de Sainte-Marie, avisa la voiture près de la Place Royale. Et le Beau qui était en robe de chambre, se drapant comme en un péplum dans sa dernière guenille « Oh 1 M. de


Sainte-Marie, s'écria-t-il, s'il me voyait comme cela »

Nous appelions tout à l'heure la tombe des vivants l'asile où l'on abrite les intelligences mortes. Jamais tombe ne fut plus soignée et plus fleurie que celle de l'ancien dandy. Le soleil de mars y jetait de clairs rayons sur les floraisons naissantes et les premières verdures. Brummell était logé dans un pavillon isolé, que Barbey d'Aurevilly nomma magnifiquement le Pavillon de Hanovre de sa folie (1). Les fenêtres du pavillon s'ouvraient sur un parterre tout empli de fleurs, aux allées sablées et bordées de petits buis, en une méticuleuse propreté 'de béguinage. A travers ces allées, l'on promenait le vieux Brummell dans la petite voiture de sa seconde enfance. Et si ces dernières sorties firent naître en lui des visions suprêmes, il ne revit sans doute ni le club à l'heure du jeu, ni le palais à l'heure du vin, mais quelque pelouse très verte de l'Angleterre, où il se retrouvait un tout petit garçon. Enfin, il s'alita pour ne plus se relever. Une sœur du Bon-Sauveur priait près de (i) « Vu les fenêtres du pavillon qu'habita Brummell dans les derniers temps de sa vie, le pavillon de Hanovre de sa folie. L'historien et le médecin de cet homme qu'avait aimé George IV et qu'avait envié Byron étaient là à trois pas du dernier théâtre de ce dieu de la mode. Et le médecin donnait à l'historien des détails si dégradants pour l'ancien Beau que même ici, dans ce mémorandum intime, il est impossible de les répéter. » (Barbey d'Aurevilly, Premier Mémorandum).


son chevet. A la dernière heure, il se retourna vers elle en une instante demande d'intercession. Et il s'endormit doucement, sans terreur, comme ayant placé entre lui et son juge, pour obtenir le pardon de toute une vie d'égoïsme, la plus sublime des vertus, l'abnégation chrétienne.


RAPPORT

SUR

LES TRAVAUX DE L'ANNÉE Par M. E. DE BEAUREPAIRE.

MONSEIGNEUR,

MESSIEURS,

Pour me conformer à notre règlement, je viens, cette année, comme les années précédentes, vous rendre compte des travaux de notre Société, pendant l'exercice 1896-1897.

Depuis quelque temps, il semble que les discussions générales soient épuisées et que tous, historiens, critiques d'art et archéologues, laissant de côté les théories toujours un peu vagues, portent, de préférence, leur examen sur des questions spéciales, sur des problèmes strictement limités, dont la solution a le double mérite de la netteté et de la précision.

Cette tendance, qui domine un peu partout, s'est fait sentir dans notre Société, comme ailleurs. Les


controverses sur le caractère de tel ou tel style, de telle ou telle école, de telle ou telle époque n'ont plus trouvé d'écho, et les recherches se sont à peu près exclusivement concentrées sur des catégories d'objets d'art trop négligées jusqu'ici. De là tant d'études sur les retables et les restes de sculptures du moyen-âge, sur les peintures murales à moitié effacées, sur les dalles tumulaires, traitées avec tant de soin par nos artistes tombiers et que, presque partout, l'on s'est attaché à détruire avec tant d'entrain.

Parmi celles qui nous ont été conservées, on peut citer la pierre tombale de May-sur-Orne, sur laquelle votre sollicitude a été plus d'une fois appelée, et la belle série des sépultures d'abbesses à la Trinité, que l'on ne peut plus, hélas! apprécier que par les dessins d'un des plus curieux manuscrits de la collection Mancel.

Les peintures murales, ou pour parler plus exactement les fragments plus ou moins considérables, plus ou moins détériorés, qui existent encore dans nos églises, ont été de votre part l'objet des plus sérieuses investigations. Les années précédentes vous vous étiez occupés des fresques de Saint-Sauveur de Caen, de Saint-Michel de Vaucelles, de Périers, de Savigny près Coulances. Cette année, vous avez pu étudier, sur des aquarelles peintes avec le plus grand soin par M. Vasnier, élève distingué de l'école des Beaux- Arts, les décorations murales,


d'un grand développement, de l'église de Bénouville. Elles sont d'autant plus intéressantes que leur auteur, s'inspirant des sombres imaginations du Dante, a représenté avec un luxe de détails inouïs, les supplices des damnés dans l'enfer l'artiste a complété son œuvre en nous offrant l'image de la Roue de Fortune et la figuration de la Légende des trois vifset des trois morts avecles détails habituels. Si nous en avions le temps, l'histoire des retables serait des plus curieuses à raconter. Après avoir constitué, pendant plus de deux siècles, un élément quasi nécessaire de la décoration des autels, ce genre d'ornement finit par être abandonné. A raison des scènes d'un réalisme jugé trop naïf qui s'y trouvaient représentées, quelques rétables furent supprimés par l'autorité ecclésiastique; les autres, malgré la finesse de leur travail, étaient à peine tolérés et ne répondaient plus au goût du jour. La vogue extraordinaire des contretables à colonnes torses et à entablement dans le style classique, au XVIIe et au XVIIIe siècle, leur porta le dernier coup. Aujourd'hui les contretables sont proscrites à leur tour. Souvent même la réaction est aussi injuste que violente. Elle démolit sans scrupule des œuvres très estimables de l'époque de LouisXIV et de Louis XV pour les remplacer parfois par des imitations gothiques du genre le plus faux et le plus prétentieux. M. de Caumont n'a jamais cessé de protester contre ce désordre. Comme lui, Messieurs,


nous ne nous lasserons pas de recommander le respect des œuvres de toutes les époques et de proclamer que la beauté a des formes multiples et que l'idée religieuse n'est pas inféodée à un style unique et asservie à un genre d'architecture limitativement déterminé.

Grâce à l'obligeance de M. Pernelle, maire de Vimoutiers, nous avons pu mettre sous vos yeux la photographie d'un retable du XVIe siècle, placé au-dessus du maître-autel de la vieille église, aujourd'hui abandonnée. Ce retable était dissimulé aux regards par une contretable, et c'est en la démolissant que le retable a été ramené à la lumière. Cette sculpture, qui n'est pas sans mérite, représente diverses scènes de la vie de la Vierge. Elle sera placée dans le musée municipal de Vimoutiers. Pourquoi faut-il qu'en enlevant la contretable les ouvriers aient brisé à coups de marteau une statue en terre cuite du XVIIe siècle, qui ne manquait ni de mouvement ni d'expression? Averti trop tard, M. Pernelle n'a pu intervenir à temps pour empêcher ce désastre.

Nous n'avons pas été plus heureux en associant nos efforts à ceux de l'architecte du gouvernement, M. de la Rocque, pour essayer de sauver l'abside romane de l'église de Bény-sur-Mer. Peut-être nos démarches eussent-elles eu un meilleur succès si l'arrêté, qui classait la tour de Bény, n'eût omis de comprendre dans son énoncé l'abside de l'églis^;


et n'eût, par suite, abandonné sans défense cette partie de l'édifice aux fantaisies des autorités locales. Les esprits éclairés n'en déploreront pas moins la disparition d'un type intéressant d'architecture romane, que la construction nouvelle ne fera certainement pas oublier.

Nous restons encore sur le terrain archéologique avec M. Fernand Engerand. Après avoir passé successivement en revue les débris sculptés de Tessel, de Maltot, les chapiteaux de Thaon, de Beuville, de Colombelles, notre jeune et laborieux confrère a déterminé la date d'exécution d'une des toiles les plus séduisantes de Jouvenet, à l'aide de lettres inédites de ce grand artiste; il vous a appris, en même temps, qu'il avait découvert un exemplaire du Livret des voyageurs de Caen, qui avait échappé jusqu'ici à toutes les recherches des bibliophiles. Cette découverte est d'autant plus importante qu'elle pourrait modifier les idées reçues sur l'auteur des décorations sculpturales de l'hôtel d'Écoville, en confirmant, en partie tout au moins, l'opinion émise à ce sujet, dans ses Essais historiques,[par l'abbé De la Rue.

M. de la Thuillerie, à son tour, s'est occupé de quelques-unes des questions traitées par M. Engerand. Après un examen minutieux, fait sur place, il vous a donné des détails précis sur la statuette en albâtre ou en marbre blanc de Fontaine-Henry, et vous a rendu compte des répara-


tions exécutées à l'église de Thaon par l'architecte du gouvernement. Ces réparations ont permis de constater, par le déblaiement des fondations, que l'église de Thaon avait eu autrefois des collatéraux, démolis plus tard dans des circonstances qui nous sont restées inconnues. C'est un point qui était jusqu'ici assez obscur et qui se trouve définitivement éclairci.

M. Raulin, après nous avoir dit quelques mots d'un testament d'un certain bourgeois de SaintPierre nommé Grestoin, très désireux de venir en aide aux pères de famille pour le mariage de leurs filles, vous a fait le récit d'un procès relatif au droit de banc dans une église. L'affaire engagée entre la dame de Gouvets et Me Viel, curé de Vernix, se termina devant le bailliage d'Avranches, à l'avantage de la dame demanderesse. C'est à propos d'un incident, en apparenceinsignifiant, un piquant tableau des mœurs judiciaires dans l'Avranchin à la fin de l'ancien régime. Vous devez encore à M. Raulin un bon compte-rendu d'un roman historique composé par M. le curé doyen de Tessy, qui rentre un peu dans notre compétence, à raison des éléments historiques et archéologiques qui s'y trouvent mis en œuvre.

M. Gasté, le savant professeur de la Faculté des lettres, dont le dévoûment à notre Société jie s'est


jamais démenti, a fait passer sous vos yeux de nombreux documents, dus à l'obligeance de M. Dolbet, desquels il résulte que le nom de Basselin était très commun aux environs de Vire, au XVIe et au XVIIe siècle, que certaines personnes joignaient à leur nom patronymique de Basselin le prénom d'Olivier et exerçaient la même profession que le célèbre foulon. Il est inutile d'insister sur la valeur de ces constatations.

Les travaux de M. l'abbé Bourrienne sur les points obscurs de la vie de Malherbe sont bien connus. Ils lui ont valu les plus hautes approbations. Au nom de notre confrère, M. Tony Genty nous a fait connaître le résultat de ses recherches récentes sur les testaments du grand poète normand. M. Émile Travers, qui s'est fait depuis longtemps une spécialité des questions héraldiques, vous a, à l'une de vos dernières séances, apporté de nombreux renseignements sur les devises et les cris incorporés, en vertu d'autorisations spéciales, dans les armoiries de quelques grandes familles anglaises. L'une des plus significatives est, à coup sûr, celle qui porte les deux mots: Crécy, Caen, indiquant dans son laconisme, que le titulaire avait pris part à la bataille de Crécy et au siège et à la prise de Caen. M. Travers a cité plusieurs autres exemples


de devises faisant allusion à des faits militaires ou politiques.

Vous avez toujours attaché un grand prix aux documents de toute nature relatifs aux Charités, aux confréries, aux corporations, aussi c'est avec reconnaissance que nous avons reçu de M. de Formigny de la Londe, notre ancien président, des fac-simile de l'image de la Charité de St-Sébastien et St-Ouen, fondée à Freneuse-sur-Risle en 1511. Tout aussi intéressant pour nous est le texte du cantique de Saint-Sébastien, chanté dans une autre paroisse du diocèse d'Évreux. Ce texte avec musique, dont MM. Simon et Masselin nous ont fait hommage, demanderait à être rapproché de cantiques du même genre conservés encore aujourd'hui par certaines Charités de l'ancien diocèse de Lisieux ou du diocèse de Sées.

Avec l'aide de MM. Huart et Eugène Simon, M. l'abbé Masselin a entrepris l'étude de l'ancien collège du Mont et de ses constructions. Les fragments qui nous ont été communiqués ont vivement piqué notre curiosité et nous font espérer que nous aurons bientôt une monographie complète et définitive d'un des plus importants établissements d'instruction publique dans notre province. Pour être complet, permettez-moi d'ajouter que votre secrétaire vous a entretenus d'images de la Vierge


présentant des détails iconographiques assez singuliers, d'impressions anciennes du puy des palinods de Rouen, enfin des lettres et des tableaux de profession religieuse.

Pendant l'année qui vient de s'écouler, nous avons reçu dans nos rangs MM. l'abbé Pichard, curé de Bretteville-sur-Odon; Watson, archéologue et polygraphe anglais, demeurant à Londres; Leclerc, inspecteur de l'Association normande à Falaise; Lavinay, inspecteur d'Académie en retraite, demeurant à Caen; Le Roy White, propriétaire au château de Rabodanges (Orne) Charles, propriétaire, demeurant à Caen; l'abbé Porée, correspondant du Ministre de l'Instruction publique, curé de Bournainville (Eure) l'abbé Grente, licencié ès-lettres, demeurant à Percy (Manche); M. du Mesnildot, ancien député, demeurant au château de Tourpes, à Anneville-en-Saire (Manclie). Nous avons reçu également un certain nombre de correspondants nationaux et un correspondant étranger, M. Wrangel, professeur à l'Université de Lend (Suède).

Malheureusement un de nos nouveaux membres, M. l'abbé Pichard, n'a fait que passer parmi nous. Il nous a été enlevé, tout à coup, en pleine jeunesse, en pleine vigueur, laissant à sa famille, à ses amis, à tous ceux qui l'ont connu, d'unanimes regrets.


Nous avons eu à déplorer la mort de trois autres membres titulaires.

M. Osmont de Courtisigny, conseiller à la Cour d'appel de Caen, était entré dans notre compagnie le 6 mai 1860. Il était alors président du Tribunal de Falaise.

A l'audience solennelle de rentrée de la Cour d'appel, M. Mazières, substitut de M. le Procureur général, a tracé de notre confrère un portrait d'une exactitude parfaite. Nous ne croyons pouvoir mieux faire que de lui emprunter quelques lignes.

Après avoir rappelé brièvement les diverses fonctions remplies par M. de Courtisigny au début de sa carrière, M. Mazières continue en ces termes: « Le 29 avril 1870, notre collègue était nommé « au Tribunal de Falaise. Sa connaissance des « affaires civiles et criminelles et son esprit pra« tique le servirent heureusement dans ses nou« velles fonctions. Le 28 février 1884, il vint « prendre place parmi nous et fut bientôt désigné « pour la présidence des assises. Il resta dans nos « rangs, le magistrat laborieux, l'homme modeste « que l'on avait pu apprécier dans ses différentes « résidences. D'un caractère facile, de relations « sûres et d'un commerce agréable, notre collègue « ne comptait que des amis, dont la fidélité assu« rera le respect de sa mémoire et auxquels il


« laissera le souvenir d'un homme de bien, dans « toute l'acception du terme. »

Hâtons-nous d'ajouter que, bien qu'il ne fit jamais étalage de ses connaissances, M. de Courtisigny était un chercheur de la bonne école, méthodique et consciencieux. Il était au courant de toutes les particularités de l'histoire du protestantisme en Basse-Normandie et il communiquait volontiers les résultats de ses investigations. Plusieurs fois nous avons eu l'occasion de faire appel à son obligeance, et cette année même, à la veille pour ainsi dire de sa mort, il voulait bien nous fournir de curieux renseignements sur la sépulture de Georges Brummell, personnage étrange auquel, avec son érudition et son goût habituels, notre Directeur vient de consacrer une si attachante étude.

Au mois d'octobre dernier, nous apprenions la mort de M. Legrand, curé de Saint-Julien. La date de son admission dans notre Société remonte au 7 février 1882. Absorbé par les devoirs multiples du ministère paroissial, M. l'abbé Legrand ne put jamais se mêler activement à nos travaux, mais il était très au courant des questions archéologiques, et il le prouva quand il eut à s'occuper de la restauration de son église. Au moment où il fut appelé à la cure de Saint-Julien, l'église se trouvait dans l'état de délabrement le plus affligeant. Avec i'aide de M. Auvray, architecte municipal, et de


M. Francis Jacquier, il la réédifia pour ainsi dire pièce par pièce, en en respectant le caractère et la physionomie. Il renouvela avec le même soin tout son mobilier intérieur et l'enrichit d'un maîtreautel d'une grande richesse d'ornementation et d'une finesse d'exécution remarquable. Une restauration ainsi comprise honore M. le curé de SaintJulien et recommande sa mémoire au souvenir de notre compagnie.

Presque à la veille de cette séance, le 20 novembre, nous étions informé de la mort de M. l'abbé Lecointe. Il était né à Caen sur la paroisse de Vaucelles et était entré dans sa soixante-quatorzième année. Il était des nôtres depuis le 7 février 1868. Esprit judicieux, travailleur infatigable, il appartenait à cette phalange de prêtres érudits qui avait à sa tête le savant historiographe du diocèse, M. l'abbé Laffetay, qui comptait dans ses rangs le curé de Saint-Agnan, M. Noël, MM. les chanoines Do et Niquet, sans parler de quelques autres.

M. Lecointe a beaucoup écrit; nous connaissons de lui une notice sur l'église de Cintheaux, des brochures sur le lieu de la sépulture de Charles de Bourgueville, sieur de Bras, sur le chant 0 Salutaris; mais les ouvrages les plus importants sont une édition en deux volumes de la vie du II. P. Eudes, par le Père Martine, accompagnée d'une


étude sur le P. Eudes, et un travail sur la bataille du Val des Dunes et la confédération des barons normands contre le duc Guillaume. Ce dernier volume eut autant de succès en Angleterre qu'en Normandie. Il attira tout particulièrement l'attention d'un des meilleurs historiens anglais de notre temps, M. Freeman, qui, au moment d'écrire la vie du Conquérant, vint en Normandie et tint à parcourir, avec notre savant compatriote, le champ de bataille qu'il avait si consciencieusement exploré et si bien décrit.

Un autre deuil nous était réservé. Le 12 novembre, les journaux nous apprenaient la mort d'un de nos anciens directeurs, Mgr Germain, évêque de Coutances et Avranches. Les manifestations significatives de douleur qui se sont produites de tous côtés, au moment des obsèques, montrent assez quelle perte a faite en sa personne le diocèse de Coutances et l'église de France tout entière.

Mgr Germain était né dans le Calvados à SaintSylvain, le 4 avril 1823. Avant d'être aumônier du lycée de Caen, il avait été l'un de ses plus brillants élèves. Il faisait partie d'une année que l'on désigne encore sous le nom de la grande année, à raison du nombre exceptionnel d'hommes distingués qui se trouvèrent ensemble assis sur les mêmes bancs.


Mgr Germain que nous avons connu beaucoup plus tard, était un prélat d'une haute culture intellectuelle et d'une rare éloquence. Éloquent il le fut dès qu'il parut dans la chaire chrétienne; il le fut, permettez-moi de vous rappeler ce souvenir, dans l'admirable discours qu'il prononça devant vous sur la défense héroïque du Mont-Saint-Michel contre les Anglais, il l'a été encore et. surtout dans les exliortations pathétiques. qu'il adressa à son clergé quelques instants avant sa mort, avec une lucidité d'esprit et une force d'âme extraordinaires. Nous ne voulons pas insister. Il ne saurait d'ailleurs nous appartenir de retracer ici la vie du vénéré prélat. Mgr l'évêque de Bayeux, Mgr de la Passardière, évêque de Roséa, l'ont fait, l'un et l'autre, en termes touchants, qui répondaient bien à l'émotion générale. Nous ne pouvons que nous associer à leurs paroles en apportant à nore tour à la mémoire du grand évêque, qui fut notre directeur, l'hommage de nos respectueux et bien profonds regrets.


AFFICHE

Annonçant des indulgences en faveur des bienfaiteurs de l'Hôtel-Dieu de Paris dans le diocèse d'Avranches, en 1555.

Par M. Joseph GOURAYE DU PARC

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Depuis quelques années, l'attention des érudits s'est souvent portée sur des placards analogues à celui que je signale; leur extrême rareté et leur curiosité a plus d'une fois sollicité l'intérêt d'éminents bibliographes. Une liste provisoire de tous les exemplaires de ce genre de pièces qui, comme celui-ci, se rapportent à l'Hôtel-Dieu de Paris, a été donnée par M. E. Coyecque dans son important travail sur ce grand établissement de bienfaisance (1); depuis, de nouveaux exemplaires ont été signalés et la Bibliothèque Nationale a naguère (1) L'Hôtel-Dieu de Paris au Moyen âge, par E. Coyecque. Paris, 1891, 2 vol. in-8", 1, p. 142.


enrichi ses collections de plusieurs spécimens précieux de lettres d'indulgences et de placards annonçant leur promulgation (1). Je crois donc que la Société des Antiquaires de Normandie ne jugera pas sans intérêt de pouvoir en faire connaître un nouvel exemple.

Le fac-simile présenté à la réunion me dispense de donner une description détaillée de la pièce. Il faut cependant observer qu'elle se compose de deux parties la partie principale est une feuille petit in-folio de 42 centimètres sur 31 (2), elle contient 53 lignes, sans compter le titre; elle est imprimée en caractères gothiques de deux grandeurs et ornée de bois; les caractères, fort archaïques, rappellent, au dire d'un bon juge (3), ceux qu'employaient les imprimeurs parisiens Lerouge ou Levet, un demi-siècle plus tôt. Au milieu du XVIe siècle, l'usage des caractères romains était, on le sait, devenu très général pour l'impression des livres, mais on avait conservé les caractères gothiques qui servaient encore pour les impressions jugées de peu de valeur et d'un intérêt tran(1) Bull. de la Soc. de l'histoire de Paris, 1893, p. 9. Bull. des acquisitions de la Bibliothèque Nationale, 1891, janvier-février, avril. 1892, mars-avril. Cf. Bibl. de l'École des Chartes, 1892, p. 325.

(2) Le fac-simile est donc réduit à peu près de moitié. (3) M"' Pellechet, que je remercie d'avoir bien voulu me donner son avis. Une première enquête dans cette voie ne m'a pas donné de résultat.


sitoire. Un placard qui offre les plus grandes ressemblances avec le nôtre est conservé au Musée Carnavalet il est imprimé avec les mêmes caractères, présente la même disposition typographique, est orné des mêmes bois et est formulé à peu près dans les mêmes termes il est sans date et semble destiné au diocèse de Paris (1).

Notre placard présente une particularité digne de remarque. Il est surmonté d'une demi-feuille de la même largeur sur vingt centimètres de hauteur, donnant à l'affiche une longueur totale de soixante-deux centimètres. Cette seconde partie contient à pleine page les armes du pape Jules III (2), ayant les armes du roi à dextre et celle d'une princesse à senestre, gravées sur bois et grossièrement coloriées en violet, rouge et jaune elle a été lacérée et est ici très sommairement restaurée mais la partie conservée de l'écusson de droite montre qu'il n'appartient pas, comme on pouvait s'y attendre à Catherine de Médicis, alors reine; je n'ai pu déterminer à quelle princesse il faut l'attribuer; était-ce une bienfaitrice particulière que l'Hôtel-Dieu voulait honorer, ou plutôt l'imprimeur s'est-il servi d'un bois qu'il avait à sa (1) On en trouvera un fac-simile dans Briel. Collection de documents pour servir à l'histoire des hôpitaux de Paris, III. (2) Ciocchi del Monte. D'azur, à une bande d'or chargée de trois montagnes à trois coteaux de sinople et accompagnée de deux couronnes de laurier au naturel.


disposition sans y attacher de signification? Je laisse à d'autres la solution de ce petit problème. Aucun des placards d'indulgences que j'ai vus n'a conservé ce couronnement; des textes anciens y font allusion (1), mais je crois qu'on n'en avait encore retrouvé aucun spécimen (2).

Quel était l'usage de semblables pièces et dans quelles circonstances l'Hôtel-Dieu de Paris les faisait-elle imprimer? Un passage du livre de M. Coyecque (3) répond parfaitement à cette question et l'on me permettra de le citer entièrement. Une des ressources importantes de l'hôpital étaient les (t) Coyecque, loc. cit. I, p. 138, note 5. Legrand. Les QuinzeVingts, p. 248, note 8; dans les Uêm. de la Soc. de l'hittoire de Paris, XIII.

(2) Il faut se garder de voir dans notre affiche un spécimen d'imprimerie locale; il ne semble pas qu'Avranches ait alors possédé d'ateliers typographiques. L'année même de notre pardon, en 1555, l'évêque d'Avranches, Robert Cenalis, promulgua de nouvelles Constitutions synodales, et l'autorité diocésaine s'adressa pour les faire imprimer à Jean Georget, de Rennes; on trouvera à la Bibliothèque Nationale un exemplaire de ce livre rare, ayant appartenu à Daniel Huet (Rés. B. 2256); il est imprimé en caractères romains. A la vérité, l'imprimeur de Rennes, Jean Georget, usait encore de caractères gothiques à une époque voisine de celle où il imprimait les Constitutiones synodales Arboricenses et la Bibliothèque Nationale possède, imprimé par lui en gothique, sur vélin, un magnifique exemplaire de Jean Bouchet, Les triumphes de la noble et amoureuse dame, sous la date de 1541 il est à peine besoin d'ajouter que ces caractères n'ont aucun rapport avec ceux de notre placard.

(3) Loc. cil. I, p. 137, 139-141.


aumônes pour les encourager, il avait intérêt à y attacher des indulgences. « L'autorisation du sou« verain pontife était indispensable au maître de « l'Hôtel-Dieu pour publier le Pardon il devait « chaque année solliciter à cet effet l'octroi d'une « bulle. le maître la communiquait au chapitre, « avec le texte de l'affiche qui allait être collée « aux portes de toutes les églises et à tous les « carrefours.

« La bulle obtenue, le maître en faisait aussi« tôt des vidimus, qu'on enfermait dans des étuis « en bois. En même temps, on demandait aux « évêques dont on se proposait d'aller sermonner « les ouailles l'autorisation préalable, ainsi qu'aux « princes étrangers dans les états desquels on « voulait pénétrer la municipalité et le gouver« nement intervenaient le Parlement, à l'occa« sion, forçait la main aux prélats récalcitrants « qui refusaient de laisser sortir de leur diocèse « un argent dont ils prétendaient pouvoir faire un « aussi bon usage. On usait de prévenances on « envoyait au roi, de la bienveillance duquel on se « réclamait, un superbe « perpetuon », écrit en « lettres d'or et d'azur, orné de son écusson, « chef-d'œuvre de calligraphie et d'enluminure. « On réunissait d'autre part, une troupe de bons « prédicateurs, maîtres ou docteurs en théologie, « curdeliers, jacobins ou carmes, qui gagnaient « aussitôt la Normandie ou la Bretagne, « le Liège »,


« la Bourgogne ou l'Auvergne, la Champagne ou « la Saintonge, la Touraine ou la Picardie, etc. « Ils étaient suivis de près par un frère de « l'Hôtel-Dieu, choisi par le maître, approuvé par « le chapitre c'était le procureur général. La « mission consistait à recueillir les offrandes, « argent et linge il dirigeait celui-ci immédiate« ment sur Paris, par voie de terre ou d'eau « pour exciter son zèle, on lui accordait un neu« vième sur le produit de sa tournée, ses frais et « ceux de son monde déduits et rabattus; faisait-il « une affaire exceptionnelle, il recevait une gra« tification »

A cet exposé si caractéristique et où chaque mot est pour ainsi dire appuyé sur les documents les plus authentiques, j'ajouterai deux remarques; si les prédicateurs et les frères envoyés par l'Hôtel-Dieu de Paris dans les provinces, rencontrèrent quelquefois de l'opposition de la part de l'autorité diocésaine, ils semblent au contraire avoir reçu un accueil favorable à Avranches en 1555 notre affiche contient en effet une apostille manuscrite avec une signature peu lisible, mais évidemment émanée d'un notaire du chapitre d'Avranches, recommandant l'œuvre d'une manière spéciale et prenant des dispositions particulières pour en favoriser le succès. Cette note a de plus l'avantage important de fournir la date exacte du document, date qui est donnée suivant l'ancien style


Reverendus dominus Abrincensis episcopus hortatur omnes et singulos suos diocesanos porrigere manus adjutrices in favorem p[redicli] hospitalis domus Dei parisiensis, propter notoriam hujus loci, neressitalem ac operis pielatem, concedens omnibus p[resbyleris] aut ab eis commissis, facultatem absolvendi de casibus sibi rescrvalis. Hœc etiam sunt que vobii et populo declaranda mandantur, presentibus solum duraturis diebus supradictis. Datum Abrincis, anno 4554, die 40a martii. « L'église députée pour visiter et gagner les pardons est l'église de ceans », dit notre texte. Il s'agit ici, à n'en pas douter, du Mont-Saint-Michel. Rien de plus naturel qu'on ait choisi dans le diocèse d'Avranches, le sanctuaire préféré des pieux fidèles et où le grand concours de. pélerins qui s'y rendaient chaque jour devait assurer à l'oeuvre de nombreuses aumônes. De plus notre affiche a servi à doubler la couverture en parchemin d'un document rédigé au Mont-Saint-Michel. Un an après le Pardon, au mois d'avril 1556, le procureur de l'abbaye, Jacques d'Anneville, dut rédiger l'aveu de la baronnie de Saint-Pair (1) l'affiche se retrouva et fut employée à l'usage que je viens de dire. Elle subit ensuite le même sort que la pièce qu'elle recouvrait probablement conservée au (i) J'ai imprimé ce document dans les Mémoires de la Société archéologique d'Avranches, T XII, p. 45.


greffe du bailliage de Coutances, au XVIIIe siècle elle fut annexée aux pièces d'un procès au sujet d'un conflit de juridiction entre le sénéchal de la baronnie de Saint-Pair et le vicomte de Granville, François-Léonor Couraye du Parc, et est restée dans la famille de ce dernier (1).

q* LE GRAND PARDON GÉNÉRAL DE L'HOSTEL DIEU DE PARIS.

LE GRAND PARDON GÉNÉRAL DE PLANIÈRE RÉMISSION DONNÉ A perpétuité par noz sainctz pères les papez de Romme aux bienffaicteurs de l'hostel Dieu de Paris. Et confermé par nostre sainct pere le pape Julle III de ce nom, qui est à présent.

LES SAINCTZ pères les papez deument informez comme grande multitude de povres malades qui de toutes les parties du monde, chascun jour sont receuz au dict hostel Dieu de Paris, nourriz et alimentez, povres femmes grosses gesinées, povres (t) J'imprime le texte de l'affiche en respectant la graphie, mais en restituant les abrévations et en suivant l'usage moderne pour l'emploi des grandes lettres et la séparation des mots.


enfans orphelins gouvernez, les sacremens de saincte église administrez, les mors catholicquemenl ensepulturez. Et pour iceulx povres loger, nourrir et administrer, qui ordinairement y sont receuz de toutes les parties du monde. Et y a six grandes salles contenantes sept cens vingt et deux lictz. Pour lesquelz fournir et servir aus dictz povres et ensepvelir les trespassez, il y fault grande multitude de linge dont ce seroit aulmosne très charitable en y eslargir et donner à ceulx qui ont puissance de ce faire; car de présent, tant pour la multitude des povres malades, que pour avoir ensepvely les trespassez qui sont en grand nombre à raison de la peste et aultres maladies qui ont regné par cy devant et regnent encor de présent, et y a grande nécessité de linge pour servir aus dictz povres. Et sont quatre vingtz dames religieuses, sans les gens d'église et aultres serviteurs, qui se montent en nombre de huict vingtz persones. Aussi y a médecin, apoticquaires et barbiers pour administrer les médecines aux povres malades. Et générallement en icelle maison sont toutes les œuvres de miséricorde faictes et accomplies. Nos dictz sainctz peres ont donné et confermé aux bienffaicteurs du dict hostel Dieu, les indulgences, grâces et rémissions qui s'ensuyvent. ET PREMIÈREMENT, nos dictz sainctz peres ont donné faculté et puissance aux procureurs et commis du dict hostel Dieu, qu'ilz puissent nommer


deux jours par chascun an, telz qu'ilz vouldront, et église telle que bon leur semblera. Lesquelz tous feaulx chrestiens, vrays confès et repentans, qui visiteront du commencement des premières vespres de chascun des dictz jours nommez, jusques à la fin des secondes d'iceulx jours, finies et incluses, et donneront de leurs biens à leur dévotion eUvolunté, selon leur faculté et puissance, pour la substantation des povres et entretenement d'icelluy hostel Dieu, pour chascun des dictz jours, auront planière remission de tous leurs péchez, comme si personnellement visitoient le dict hostel Dieu, ès jours que le pardon est, ainsi qu'il est contenu ès bulles apostoliques.

ITEM veullent nos dictz sainctz pères que trois jours devant et trois jours après lesdictz jours nommez, iceulx bienffaicteurs se puissent confesser à leurs curez, vicaires ou commis de par eulx, lesquelz confesseurs les pourront absouldre de tous cas, crimes et delictz, tant soient grans et énormes, dont le sainct siège apostolicque n'en feust à conseiller. Et aussi les pourront absouldre de toutes sentences d'excommuniement, a jure vel ab homine, satisfaction précédente. Et seront les péchez oubliez desdictz bienffaicteurs, remis et pardonnez. Pour biens mal acquis.

Item tous ceulx qui ont des biens trouvez ou mal acquis par larcin, usure ou autrement, et ne scavcnt à qui restitution en doibt estre faictft. en les


envoyant au dict hostel Dieu pour l'entretenement des povres, en seront absoulx et demourront quittes. Pour faulte de divin service.

Item les dictz confesseurs pourront absouldre tous prebstres et clers séculiers ou réguliers, qui ont délaissé à dire leurs heures. ou failly en leur divin service, en donnant ou envoyant de leurs biens au dict hostel Dieu, pour l'entretenement d'icelluy et des povres.

Commutation de veux.

Item pourront les dictz confesseurs commuer tous veux que lesdictz bienffaicteurs ne pourroient bonnement accomplir, et au lieu d'iceulx veux, ordonner quelque aumosne à appliquer au dict hostel Dieu, selon leur discretion et non autrement. Excepté Hierusalem, Rome, Sainct Jacques, chasteté et continence.

Participation de tous bienfaictz de toute l'église militante, tant pour les vivans que pour les trespassez.

Item sont et seront les bienffaicteurs du dict hostel Dieu, leurs pères, mères, frères, seurs, parens, affinz et amys, avec les bienffaicteurs d'iceulx, vivans et trespassez, à tousjourmais participans et associez en toutes les messes, vigilles, prières, suffrages, aumosnes, jeusnes, oraisons et en tous les biens spirituelz qui sont et seront faictz en l'universelle église perpetuellement; qui est ung bien singulier pour le salut des ames.


Pour ceulx qui sont constituez en maladie: ITEM veullent nos dictz sainctz pères que toutes personnes constituez en maladie, en quelque temps que ce soit, et posé que les jours du dict pardon fussent passez, qui par testament ou aultrement lesseront ou envoyeront de leurs biens selon leur dévotion au dict hostel Dieu, ayent planière rémission de tous leurs péchez, participation de tous les bienfaictz de l'église militante, et se puissent confesser et estre absoulx comme si personnellement eussent visité le dict hostel Dieu les jours de pardon qui est un bien tres estimable que toutes personnes doibvent noter pour faire leur ordonnance de dernière volunté ou testament. Remission et absolution une fois en la vie. ITEM les dictz sainctz pères donnent faculté et puissance à tous ceulx et celles en quelque temps que ce soit, qui donneront ou envoyeront de leur bien au dict hostel Dieu, ou lesseront par testament ou aultrement, en reputant l'homme et la femme conjoinctz en mariage pour une personne, qu'ils puissent eslire confesseurs ydoines, qui les pourront absouldre de tous cas, crimes, excès, délictz, irregularitez et péchez quelconques, tant soient griefz et énormes, par eulx commis et perpétrez en quelque manière que ce soit, speciallement ou générallement réservez au sainct siège apostolicque, une fois en leur vie, et pareillement en l'article de la mort en leur donnant planière


rémission de tous leurs péchez, tant griefz et énormes soient ilz: Et aussi se d'iceulx n'avoient mémoire et se lors ils decebvoient, veullent nos dictz sainctz pères que la dicte rémission leur vaille au dernier article de la mort.

Excomunication pour les contredisans et les murmurans.

Item par nos dictz sainctz pères de Romme, sont excomuniez tous ceulx et celles qui destourberont ou empescheront la publication des dictes indulgences, ou aulcunes personnes de les acquérir, secretement ou publiquement, ou detiendront aucuns biens oultre le gré et volunté des maistres, frères ou commis de par eulx, de laquelle sentence d'excommuniement ne pourront estre absoulx que par le sainct siège apostolicque de Romme, fors en l'article de la mort.

ITEM révérend père en Dieu, monsieur l'évesque d'Avranches, nostre souverain prélat, donne aux bienfaicteurs du dict hostel Dieu, quarante jours de vray pardon, et commande à tous curez et vicaires de son diocèse, qu'ilz admonnestent le bon peuple chrestien et leurs parrochiens de gaigner et acquerir les dictes indulgences, et qu'ilz commettent quelque homme de bien pour faire la queste pour les dictz povres, parmy leur église durant les jours du dict pardon. Et que ung chascun prie Dieu pour la paix entre les princes chrestiens, pour le Roy nostre sire, pour monsieur le Dauphin


et pour tout le sang royal et entretenement de nostre foy catholicque.

Item le Roy nostre sire désirant le salut de son peuplé estre fait, a donné son mandement pour faire publier les dictz pardons et indulgences par tout son royaulme.

LES JOURS ORDONNEZ POUR GAGNER LES DICTZ PARDONS ET SAINCTES RÉMISSIONS commenceront la vigille de Pasques flories à vespres et le dict jour de Pasques flories. Et pour le second jour, recommenceront le Jeudy absolu à midy et le lendemain qui est le Vendredi sainct, pour tous les deux jours inclusivement.

L'église députée pour visiter, en laquelle sera le tronc pour mettre les aumosnes et gaigner les pardons, est l'église de céans.


UNE LECTURE DE CARÊME Par M. le comte de MARSY

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Je cherchais l'hiver dernier, dans ma bibliothèque, sur un de ces rayons poudreux où reposent d'anciens traités de théologie et des livres d'édification quelque ouvrage pouvant me servir de lecture pendant ce temps de carême.

Malheureusement, ma bibliothèque n'est point riche en ces matières et je n'y possède que peu de ces livres aux titres bizarres, si estimés aujourd'hui des bibliophiles, que l'on se dispute à prix d'or, tels que Le décrottoir de vanité, de Dumont (1581); L'oreiller spirituel nécessaire pour extirper les vices et planter la vertu (1599) La tabatière spirituelle pour faire éternuer les âmes dévotes; La poste royale du Paradis, très utile à chacun pour s'y rendre; La lampe de Saint Augustin et les mouchettes de celle lampe, etc. (1).

(1) Nous empruntons ces titres aux Curiosités bibliographiques de Ludovio Lalanne et à un article de Mgr Barbier de


Toutefois, je crus avoir fait une découverte en ouvrant L'abstinence de la viande rendue aisée (1700)(1).

Aujourd'hui que les rigueurs du carême ont presque entièrement ces^té et que, l'influenza aidant, l'Église a réduit, dans nos pays du moins, à la stricte obéissance à ses commandements les prescriptions de l'abstinence et du jeûne, il ne me semblait pas sans intérêt de voir, comment, il y a près de deux siècles, on envisageait cette question à une époque où le carême entier se faisait en maigre, où une seule boucherie restait ouverte pour les besoins des malades, et où bien des personnes avaient conservé l'habitude de l'abstinence durant l'Avent.

Montault (Œuvres complètes, t. XI, p. 37); quelques personnes prétendent qu'ils ont été inventés à plaisir par de gais prédicateurs ou des controversistes plaisants, mais nous pouvons tout t au moins garantir l'authenticité des suivants

« Les grands jours du Parlement de Dieu publiés par Monsieur S. Mathieu où tous chrestiens sont adjournés à comparaître en personne, 1615 (Bibliothèque Yémeniz, 274). « Les allumettes du feu divin, pour faire ardre les cœurs humains en l'amour de Dieu, par F. Pierre Doré, Paris 1638. » (1) Voici le titre complet de ce livre

« L'abstinence de la viande rendue aisée ou moins difficile à « pratiquer ou régime de vie avec lequel on peut prévenir ou « rendre moins grandes les incommoditez qui surviennent à ceux « qui font maigre, par le ménagement des tempéramens, le choix «et le bon usage des alimens maigres simplement apretez, etc. « par M. Barthélémy Lina.nd, docteur en médecine. A Paris, «chez Pierre Hienfnil, 1700, in-8°.


On n'était déjà plus cependant aux temps du moyen âge où au XIVe siècle, par exemple, les jours d'abstinence comptaient pour trois septièmes dans l'année (1).

Au lieu d'un livre de* théologie et malgré la dédicace à l'archevêque de Paris, Mgr de Noailles, j'étais tombé sur un traité d'hygiène et même sur un livre de cuisine, rédigé par un médecin pieux, soucieux de concilier les devoirs de conscience de ses clients avec les soins de leur santé et désireux de mettre l'observation des prescriptions de l'Église en rapport avec les besoins de leur estomac. A ce double point de vue, le traité de Linand, approuvé par trois des principaux docteurs régents de là faculté de Paris, Bourdelot, conseiller ordinaire du Roi, premier médecin de la duchesse de Bourgogne, Bourdelin, membre de l'Académie des Sciences, et Burlet, n'en est pas moins curieux à étudier.

Les deux premiers juges ne lui donnent qu'une approbation sommaire et l'un d'eux se borne à déclarer qu'il a trouvé dans ce livre « beaucoup de netteté et de bons conseils de morale chrétienne et d'hygiène qu'on ne saurait qu'approuver » mais Burlet est plus explicite et constate qu'il y a dans (1 ) C'est le chiffre établi par M. J. M Richard, dans son introduction du Cartulnire de l'hôpital Saint-Jean-en-1'Estrée d'Arras, Paris, 1888.


cet ouvrage beaucoup de bonne morale sur l'intempérance et le déréglement des passions.

« On y trouvera aussi, ajoute-t-il, beaucoup de préceptes de médecine sur le choix des aliments maigres et le bon usage qu'un chacun doit en faire dans les temps d'abstinence. Ce livre ne peut qu'être utile et édifiant et mériter l'impression. » Mais avant de parler du livre, disons le peu que nous savons de son auteur, Barthélemi Linand, docteur en médecine de la faculté de Paris à la fin du XVIIe siècle.

Il a publié en 1696 un Traité des eaux de Forges, qui lui suscita quelques polémiques et fut réimprimé en 1697. Il allait fréquemment à Forges et M. Bouquet, dans l'excellent volume qu'il a publié sur l'histoire de ces eaux, a fréquemment cité Linand, dont le premier conseil à ses malades était de commencer la journée en entendant la messe aux Capucins et en faisant l'aumône. Vous en dire davantage serait téméraire de ma part, je ne sais ni les lieux ni les dates de sa naissance et de sa mort, j'aimerais à vous dire qu'il est normand et qu'il est né non loin de Rouen ou de Louviers où on trouve des personnages de son nom aux XVIIe et XVIIIe siècles. L'orthographe diffère, me dit-on; l'orthographe c'est bien peu à cette époque où on se faisait gloire d'ignorer celle des noms propres. Mais qu'importe que Barthélemi Linand soit Ip parent do Guillaume Linant,


greffier de l'appeau au parlement de Rouen en 1698 (1), de Michel Linant, couronné par l'Académie française, d'autres Linant dont l'un fut du nombre des correspondants de Voltaire et était le précepteur du fils de Mme d'Epinay et d'un Linand, chanoine de Rouen, qui tous manièrent la plume et écrivirent en vers ou en prose, sur papier libre ou sur parchemin timbré.

Linand du reste a eu des précurseurs (2) et dans sa Bibliographie gastronomique (3), M. Georges Vicaire nous indique notamment un livre de Georges l'Apostre Traité s'il faut manger de la chair en caresme.

Imprimé à Caen en 1597, ce petit in-16 qui sort des presses de Benedic Macé, est dédié à Magdelaine de Montmorency, abbesse de la Trinité de Caen (2 mars 1597).

Il est aujourd'hui fort rare et j'ai pu seulement en consulter une réimpression de 1599 qui n'a pas la dédicace. C'est un ouvrage de controverse théologique, qui oftre beaucoup d'analogie avec les (1) Celui-ci avait pour armes: d'azur à un chevron accompagné en chef de deux étoiles et en pointe d'un aigle, le tout d'or (Armorial général, Rouen).

(2) Un titre alléchant est certainement Le Quadragésimal spirituel, imprimé en gothique, chez la veuve Michel Le Noir, vers 1521, mais, comme le dit M. Vicaire, ce n'est pas un livre de cuisine, mais un traité théologique dont toutes les comparaisons sont empruntées à la cuisine.

(3) Paris, Rouquette, 1890, in-8».


traités de Feuardent, son contemporain, dont il n'est peut-être que le pseudonyme.

« J'ai affaire, dit Georges l'Apostre, en commençant, avec un mauvais auditeur, le ventre qui n'a point d'aureilles et qui n'escoute jamais de bonne grace les remonstrances faites de l'abstinence. »

Le dernier point de son discours est sur la question de savoir s'il est loisible de manger de la chair en carême. « Non, répond-il, car c'est une maxime qu'on ne mange jamais de chair en temps de jeune et pénitence tel que le caresme. L'Église permet de manger du poisson en caresme et non de la chair pour plusieurs raisons. La première est que Jésus-Christ en mangea toute sa vie, la deuxième qu'il en mangea encore étant ressuscité, la troisième parce que les apostres l'ont aussi observé, la quatrième d'autant que toujours a esté la coutume. En dernier lieu, le poisson est permis, considéré que par son humidité, il n'eschauffe pas les eslans de nostre chair, comme fait la chair. » Les motifs allégués contre l'usage de la viande sont assez singuliers on y voit que Jésus-Christ n'en mangea jamais sauf en l'agneau pascal; et que saint Jean-Baptiste et saint Paul n'en mangèrent jamais.

Un autre écrivain, dont nous avons analysé il y a quelques années un des ouvrages, Nicolas Abraham, seigneur de la Framboisière, médecin d'Henri


IV, (1) consacre aux aliments maigres un des chapitres de son Gouvernement nécessaire à chacun pour vivre longuement en santé (Paris, Sonnius, 1600, in-8).

Mais revenons à Linand et à son ouvrage. La première partie du traité de Linand est consacrée à ceux qui ne gardent pas l'abstinence en Carême et les autres temps où elle est ordonnée parce qu'ils ne le veulent pas ou parce qu'ils ne le peuvent pas. Il nous suffira d'en indiquer le titre. Dans la seconde, l'auteur examine les causes qui produisent les accidents qui arrivent dans l'usage du maigre et s'efforce d'établir qu'ils ne sont pas dus aux aliments maigres, mais au mauvaises manières qu'on a de s'en servir et aussi à l'abus que l'on en fait.

« Car, comme les repas que l'on fait sont écartés les uns des autres, n'y ayant qu'une légère collation les soirs, quand on veut jeuner un peu régulièrement, on ne manque pas d'avoir bon appétit tous les jours à midi, ce qui fait qu'alors il semble qu'on veuille dédommager la nature de ce qu'on lui fera perdre le soir, c'est-à-dire qu'on mange le plus qu'on peut. Il y en a même qui, dans ces temps-là, se font servir à midi les mets qui feraient Je soupé d'un jour de simple abstinence; c'est-à-dire encore (1) Un traité d'hygiène compose à Reims en 1599. Arcis-surAube 1883 (Extrait de la Revue de Champagne et de Brie).


qu'ils mettent les deux repas en un. Comme si, dans les règles d'une morale bien chrétienne, le repas qu'on se refuse les soirs des jours de jeûne, ne devait pas faire ces jours-là le diner de quelques pauvres ».

Linand s'élève aussi contre l'abus que l'on fait dans le maigre du beurre, des purées épaisses, des aliments épicés et des salades.

« Qui est-ce qui garde quelques mesures sur l'usage et la manière de faire des soupes qu'on appelle de purée aux pois, aux fèves, aux lentilles et qu'on ne trouve bonnes ordinairement qu'à proportion qu'elles sont bien épaisses, pour me servir des termes, et qu'il y a encore avec cela beaucoup de beurre.

« Se ménage-t-on sur l'usage des aliments salés, des étuvées de haut goût, comme on dit, toujours bien épicées et où l'on n'oublie pas de mettre des champignons pour l'ordinaire ce qui fait qu'on est obligé de se donner toutes les après-dinées des espèces de question par la quantité d'eau qu'il faut boire pour éteindre la cruelle soif que ces mets ne manquent jamais de causer.

« Se ménage-t-on mieux encore par l'usage des salades qu'on mèle si mal à propos tous les jours avec toute sorte de laitages, les bouillies, les gruaux, le riz sur les fromages acides dont on mange avec excès.?

La troisieme partie du traité de Linand a pour


objet « de régler un régime d'aliments avec lesquels on puisse prévenir, ou rendre moins sensibles les incommodités qui arrivent à ceux qui font maigre en Carême, en Avent, quand on a la piété d'y pratiquer l'abstinence et dans tous les jours de l'année où elle est d'obligation. »

C'est, du reste, la partie la plus importante et aussi la plus étendue de l'ouvrage que nous analysons.

Après avoir dit qu'il ne s'adresse pas aux gens simples parce que ceux-ci ne souffrent jamais du maigre, Linand pose en principe que « l'intention de l'Église n'est pas de faire du temps de l'abstinence et du jeune des jours d'intempérance et de bonne chère en toute sorte d'aliments maigres; de manière que toute la mortification qu'il y aurait, serait uniquement renfermée dans le changement de nourriture et point du tout dans le retranchement de la quantité des différents mets qu'on peut se faire servir à ses repas, non plus que dans la manière simple de se les faire accomoder ». Puis vient la division de cette partie

« Comme la nourriture des jours maigres, de même que celle des temps où l'on fait gras, comprend trois sortes d'aliments, les potages, les mets qu'on sert ensuite et les dessert?, on parlera de tout cela aussi dans des chapitres séparés et avec autant de simplicité qu'on le doit. »

Ici nous entrons véritablement dans la partie


culinaire de l'ouvrage, mais nous ne pouvons tout citer et nous nous bornerons à en extraire quelques passages d'autant plus caractéristiques qu'ils nous initient à la manière dont on vivait dans le monde à la fin du XVIIe siècle.

Parmi les potages, à ceux faits de purées de pois, de fèves et de lentilles, notre médecin préfère de beaucoup ceux de gruau et d'avoine et recommande surtout le gruau de Bretagne, en y ajoutant un peu de lait et une petite teinture de safran; puis viennent les potages au lait d'amandes, au lait et aux herbes.

« On ne croit pas devoir parler ici, dit Linand en terminant ce chapitre, de ces potages au poisson si délicieux et si friands, de ces bisques succulentes, de ces soupes aux écrevisses et aux moules dont on fait tant de cas. On est persuadé que ces mets dont les apprêts si recherchés sont moins propres pour conserver la santé du corps que pour satisfaire l'intempérance des hommes, ne font pas la nourriture ordinaire de la plupart de ceux qui pratiquent fidèlement l'abstinence et qui sont dans la pénitence du jeune. »

Parmi les aliments maigres qu'on sert après les potages figurent d'abord les poissons. Mais, tous les poissons ne sont pas bons, de plus il faut savoir les accommoder, et, ce serait le cas de répéter ici que souvent la sauce fait manger le poisson or Linand condamne décidément le beurre et demande


que le poisson soit cuit simplement ou frit et que le goût en soit relevé par quelque chose d'aigret, ce que les Anglais pratiquent encore en servant du raifort rapé avec les soles. Si on était raisonnable, on se contenterait le plus souvent de joindre les racines aux potages, sinon tous les jours, mais les vendredis et samedis Nous rappellerons que le carême entier était en maigre. La pomme de terre n'existait pas ou du moins son usage ne s'était pas encore répandu et les racines que propose Linand sont le salsifis d'Espagne dit aussi scorsonère, le chervi, petite racine douce ou sucrée qui se servait frite, la betterave, les carottes, les panais, les navets, les raves, les poireaux et les oignons. A cette énumération, il faut ajouter les graines de riz, de froment, d'orge et d'avoine et, ce qu'on appelait alors les légumes, c'est-à-dire les fruits renfermés dans une cosse, pois, fèves et lentilles. Nous arrivons ensuite aux fruits des arbres et aux herbes fruitières, les amandes douces, les citrouille«, les potirons, les concombres, les artichauts et. les prunes, et terminerons par les plantes à manger, dont les plus communes sont les asperges, les épinards, les choux-fleurs, les cardes de poirée et d'artichaut, la chicorée et les laitues. Enfin, il ne faut pas oublier les œufs, et Linand affirme qu'aux jours où il est permis d'en manger, ils suffisent avec les potages pour faire vivre les gens du monde pendant quelques jours. Les


meilleurs sont ceux que l'on mange à la coque ou au lait. « Mais, comme il y a une infinité de façons différentes de les aprêter, chacun se les fera accommoder de la manière qui lui sera plus convenable et qu'il connaîtra par l'expérience qu'il en aura faite lui être moins contraire. C'est le vrai moyen de ne jamais rien faire en mangeant des oeufs, non plus que tout autre chose, dont on puisse se repentir. »

Ici je serais bien tenté d'ouvrir une parenthèse et d'offrir aux aimables dames qui veulent bien honorer la séance de leur présence la recette d'une omelette que j'ai trouvée dans la correspondance d'un de nos anciens directeurs, mais peut-être accuserait-on Auguste Le Prévost de gourmandise et moi d'indiscrétion.

Linand n'a pas oublié le chapitre des desserts qui forment le troisième aliment de quelque repas que ce soit et sont les mêmes pour les jours maigres que pour les gras. Il ne veut pas toutefois en donner le détail, car « combien de petits mets ne sait-on pas faire pour rendre cette partie du repas délicieuce à manger. Sans parler des fruits crus, combien de pâtes différentes n'a-t-on pas coutume de joindre à ces aliments simples, de confitures sèches et liquides, de gelées de toutes sortes de fruits, de conserves de toutes façons, de biscuits, de différents massepains, de macarons. On joint à tout cela les fromages de toutes espèces, les crèmes dans la


saison, les pâtisseries et je ne sais combien d'autres choses que nos pères plus tempérants que nous ne connaissaient pas. »

Après cette énumération sommaire Linand ajoute ce sage conseil

« Je ne dis ni bien ni mal en particulier de toutes ces sortes de mets. Ceux qui ne sauraient se passer d'en manger en continueront l'usage s'ils le veulent absolument. Je les avertis néanmoins en passant, qu'outre que ce n'est pas jeunerfort régulièrement, ni même demeurer dans les justes bornes de la frugalité où l'on doit vivre les jours d'abstinence qui doivent toujours être regardés comme des temps de mortification, que de se faire servir des mets si recherchés s'ils n'usent de tout cela avec modération, ils pourront bien s'en repentir.

« Toutes les sucreries se sont pas, comme tout le monde sait, un aliment fort sain, s'il est vrai qu'elles soient un aliment. »

Aussi engage-t-il ceux qui veulent suivre les règles de l'Église à manger seulement comme dessert quelques fruits crus ou cuits.

Je ne pousserai pas plus loin l'analyse de l'ouvrage de Linand qui met en opposition l'abstinence fantaisiste des gens du monde de son temps et celle si rigoureuse que s'imposaient les premiers chrétiens et que conservaient encore les religieux. Les conseils de Linand eurent-ils quelque effet,


il nous sera permis d'en douter si nous consultons quelques-uns des menus en maigre donnés par Massialot, dans son Nouveau cuisinier royal et bourgeois, (1742) où l'on est frappé du nombre et de la variété des plats. Le plus extraordinaire de tous est le « repas en racine pour le jour du vendredi saint avec six potages et quatre entrées, au premier service, et au second une suite de faux poissons imités avec des farces de racines, et représentant des soles, des turbots, des carrelets, etc. le tout rehaussé de sauces variées quant aux entremets, il n'y en a pas moins de quinze, et il n'est pas question du dessert.

Dans les soupers de Louis XV dont mon ami le baron de Bonnault vient de retrouver un élégant menu gravé dont je suis heureux de vous présenter la réduction (1) on trouve quatre-vingt-trois plats, dont quarante-sept pour le premier service (1739). Ce n'était pas seulement à la Cour que l'on voyait ce luxe et cette abondance; un siècle auparavant, en 1626 deux bourgeois de Reims, Jehan Maillefer et Gérard Roland mariant leurs enfants offraient des repas dans lesquels figurent tous les animaux de la création et dont le dessert composé de pâtisseries et de fruits se termine par du « pâté de venaison en tranches. »

(1) Le camp de Compiègne de 1739, suivi d'un menu royal extraits des manuscrits de Scellier avec introduction et notes par le barnn dp Bonnault d'Houfit. Compiètrne, 1897, in-8°.


Je citerai pour terminer, les dernières lignes de la conclusion de Linand qui sont encore aujourd'hui pleines d'actualité.

« Je n'ai plus qu'à demander à Dieu que tout ce qu'il a permis que j'aie dit ne soit pas seulement utile à ceux qui voudraient bien pratiquer l'abstinence, s'ils le pouvaient, ou à ceux qui ne la font qu'avec beaucoup de peine, mais que, répandant ses bénédictions sur ce travail, les vérités qu'on y dit fassent encore quelque impression sur le cœur des gens du monde qui ne gardent point l'abstinence parce qu'ils ne le veulent pas. »


LES SPHTNX DE PAVILLY Par M. P. de LONGUEMARE

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MONSEIGNEUR,

M. LE DIRECTEUR,

MESDAMES,

MESSIEURS,

On médit souvent des sociétés savantes il faut pourtant convenir qu'elles rendent parfois des services assez appréciables, notamment au point de vue des objets d'art dont elles révèlent le mérite à des gens qui ne le soupçonnaient pas et qu'elles réussissent quelquefois à sauver.

Nous en avons eu une preuve très décisive au dernier Congrès de la Société française d'Archéologie. Ceux qui suivirent les séances eurent la satisfaction d'entendre M. l'abbé Porée, curé de Bournainville, un savant et un artiste, leur apprendre la découverte de fragments de sculpture, dans lesquels avec un flair remarquable, il avait reconnu des débris du groupe de l'Hercule terrassant l'hydre de Lerne, exécuté au Vaudreuil pour


le marquis de Girardin, par le grand sculpteur Puget. Ce magnifique ensemble reconstitué a été acheté pour le compte de la ville de Rouen par M. Gaston Le Breton. Ceux qui l'ont vu au MuséeBibliothèque peuvent apprécier l'importance de cette découverte.

Le Congrès de l'Association normande, qui a eu lieu au mois d'août dernier dans la petite ville de Pavilly, a amené une révélation du même genre. Le programme de l'enquête scientifique portait la question suivante

« Indiquer les objets d'art existant dans la circonscription qui n'ont pas été signalés jusqu'ici ou qui ont été incomplétement décrits. »

Par une bonne fortune qui n'arrive pas toujours, il y avait parmi les congressistes un rédacteur du Journal de Rouen, M. Cabot, qui, non seulement suivit toutes les réunions, mais apporta aux enquêtes un contingent précieux. Sur cette question spéciale surtout il lit une communication des plus importantes, signalant dans le parc du château de Pavilly, deux statues, deux sirènes disait-il, d'un travail en tous points remarquable et dénotant la main d'un maître. Sans être affirmatif, M. Cabot prononçait le nom de Puget comme celui de l'auteur possible de ces œuvres, sur lesquelles auraient à se prononcer les membres de l'Association. Comme bien on pense cette communication avait attiré tout particulièrement l'attention du bureau



et comme conclusion elles provoquèrent une visite au parc de Pavilly dont le compte rendu fut ainsi donné par le journal déjà cité

« Il existe dans une allée du parc de Pavilly deux statues en pierre oubliées et négligées depuis un temps immémorial, posées au bord du chemin, exposées aux intempéries, envahies et dégradées par une végétation parasite, sans que jamais on ait paru se préoccuper de leur rare mérite. Il a suffi que le fait fût signalé par un membre occasionnel du Congrès, enfant du pays, à M. E. de Robillard de Beaurepaire, au cours de l'enquête scientifique, pour que le distingué président, ancien magistrat doublé d'un érudit de premier ordre, ait tenu à examiner ces œuvres d'art.

« Dans le pays, on les désigne tantôt sous le vocable de « syrènes », tantôt sous celui de « sphynx ». L'une et l'autre appellations sont manifestement inexactes. Une tête de femme sur un corps de lionne au repos, voilà ce que représentent les deux statues. Dans l'une et l'autre, la figure, d'un ovale allongé, est d'une grande noblesse qui apparaît encore malgré les injures du temps, et qui affirme l'étrange douceur des yeux. Elle est auréolée d'une opulente chevelure qui sé noue en torsades et en tresses magnifiques, piquée de fleurs et ornée d'un diadème richement ciselé. « Le buste repose droit sur les pattes de devant, allongées, et dont les puissantes griffes débordent


le socle. Il est orné d'un médaillon dont le dessin disparaît sous la mousse et qui s'attache par deux agrafes à une housse de toute beauté et d'une coupe harmonieuse qui couvre le dos de la bête. L'arrière-train est incliné sur le côté gauche, dans un mouvement d'une souplesse idéale et la queue, passée entre les pattes ramenées en avant, vient se recourber sur la croupe.

La pureté des lignes, la beauté des proportions, la majesté de l'attitude, et par-dessus tout la puissante structure des deux corps, attestent le ciseau d'un maître, et c'est visiblement le même artiste qui a sculpté ces deux œuvres, qui ne présentent que de très légères différences dans les dimensions et dans le détail. Quelqu'un a hasardé le nom de Puget l'avenir nous dira sans doute à qui l'on doit ces œuvres magistrales, qui doivent dater du grand siècle, et qu'il serait temps, de l'avis unanime, de mettre à l'abri des dégradations du temps. Si la visite des membres du Congrès de l'Association normande peut contribuer, à ce résultat, il faudra s'en féliciter. »

Ces lignes que nous avons tenu à citer textuellement disent l'appréciation collective des membres 4u Congrès. Nous avons voulu revoir ces magnifiques sculptures seul et dans le recueillement de la solitude. Notre impression, qui cette fois ne pouvait être influencée par l'opinion des autres, est restée identiquement la même. Elle n'est d'ail-


leurs que l'écho de celle de M. de Beaurepaire, il ne me contredira pas, je pense je puis donc l'exprimer librement.

Plus on examine les monstres fabuleux du parc .de Pavilly, plus ils se révèlent avec prestige et avec charme. Positivement, malgré les injures du temps et l'abandon des hommes ce sont là de belles choses, de véritables œuvres de maître, mais bien que Puget ait travaillé dans la haute Normandie et ait notamment séjourné quelque temps au Vaudreuil, nous n'avons pas de renseignements assez précis pour le lui attribuer. Ce que l'on peut dire, c'est que ces sculptures largement traitées par un ciseau sûr de lui et dédaigneux des ondulations tourmentées et des mièvreries dans lesquelles se complait le XVIII* siècle, remontent à une date antérieure. C'est le genre ferme, sain et robuste du règne de Louis XIV. On a beaucoup discuté pour savoir exactement ce que représentaient ces deux figures. A notre sens il ne saurait y avoir de difficulté. Ce ne sont pas des sirènes, nom sous lequel on les désigne dans le pays, par le motif que les sirènes mythologiques, qui habitent les profondeurs des mers, se terminent en queue de poisson. Ce ne sont pas davantage des centaures ou des centauresses, si ce mot est français. Ces monstres sont toujours représentés non pas couchés, mais en mouvement, et se composent d'un buste humain et d'une croupe de fheval. Ici il s'agit d'un corps de femme


soudé à l'arrière-train d'une lionne ce sont donc de véritables sphynx, traités avec une certaine liberté, mais appartenant à la tradition égyptienne. Qu'adviendra-t-il de ces statues? Nous sommes heureux de rassurer sur ce point ceux qu'inquiétait l'état d'abandon où elles se trouvaient. Avant son départ M. le directeur de l'Association normande, auquel l'art doit tant déjà, a voulu encore une fois faire œuvre utile il a vu M. le comte d'Auray, et comme le châtelain de Pavilly est un homme de goût et un homme d'esprit, il n'a pas eu de peine a en obtenir la promesse que ces pauvres abandonnées seraient rendues à la lumière et débarrassées du vêtement de lierre et de mousse qui les enveloppait à peu près complètement et qui, si on n'y prenait garde, pourrait devenir pour elles un véritable linceul.

Notre conclusion sera semblable à celle du Journal de Rouen.

Quand même l'Association normande n'aurait eu pendant tout son Congrès d'autre résultat que d'amener le sauvetage d'une œuvre d'art de cette valeur, nous croyons et vous croirez avec nous qu'elle n'eût pas perdu son temps.


UNE SALLE

DE

L'ancien Collège des Jésuites de Caen Par M. l'abbé M.-J. MASSELIN

MONSEIGNEUR,

MESDAMES,

MESSIEURS,

Ce n'est pas précisément un quartier très actif aujourd'hui que l'extrémité de la rue de Caumont où se trouvent et le vieux Saint-Étienne et ces bâtiments de l'ancienne préfecture, qui au XVII' et au XVIIIe siècle, s'appelaient le Collège Royal du Mont, Collegium Rêgiomonlanum.

C'est que les choses ont changé depuis deux siècles.

Si à cette époque nous fussions passés par là à l'heure de la suilie des classes, quelle anima lion 1


En 1677, 866 externes, en 1692, 932 externes, pour ne citer que deux chiffres, suivaient les cours du collège du Mont, où les Jésuites avaient succédé en 1609 aux Pères du Mont-Saint-Michel, grâce à la bienveillance et à la protection très spéciale du bon roy Henri. Jusqu'en 1762, date de l'expulsion des Pères, le collège royal des Jésuites de Caen fut non seulement le plus remarquable des collèges de l'Athènes normande, mais encore un des plus célèbres établissements de la Compagnie, en France. Que de gens illustres dans les lettres comme dans les sciences, dans l'armée comme dans la magistrature, se sont succédé en cette grande école dont le souvenir est à peine demeuré parmi nous 1 1 N'attendez de moi, pour l'heure, ni l'énumération de ces noms, ni la description du collège. Je suis seulement invité à vous servir de guide dans une des salles de cette ancienne et illustre maison. Entrons donc vite et ne perdons pas de temps.

i

La rue de Caumont qui donne aujourd'hui sur le boulevard Bertrand, s'appelait alors la Grand'rue Saint-Étienne et aboutissait à la porte SaintÉtienne qui donnait sur les Prés.

Le collège du Mont était la dernière maison à gauche dans la Grand'rue 'Saint-Étienne, tout proche la porte et les remparts.


Entrons.

Une jolie porte du XVe siècle donnait accès dans une sorte de vestibule d'où l'on avait un bon coup d'œil d'ensemble sur tout le collège.

A gauche, la grande cour des classes, qu'entouraient de trois côtés seulement les bâtiments de l'externat, tous reconstruits par les Pères au commencement du XVIIe siècle. Sur la rue, la grande chapelle; au centre et au fond, les classes.

A droite des bâtiments de l'externat, se trouvait e le logis des Pères, composé de remarquables constructions élevées, pour la plupart, en 1431 par Robert Jolivet, abbé du Mont-Saint-Michel. Au centre, une petite cour, la cour des Pères.

Maintenant que nous avons jeté un coup d'œil sur la maison, quittons le vestibule, traversons la cour des classes et atteignons le bâtiment du fond. C'est là que de nos jours la Société des Antiquaires de Normandie a son siège, son musée, sa bibliothèque, sa salle de réunions.

Au XVII* siècle, une -large porte s'ouvrait au milieu de ce bâtiment et donnait accès sur un grand escalier par lequel on montait aux classes du premier étage et aux deux salles du second.

Car, suivant en cela les dispositions adoptées dans un certain nombre de leurs collèges, et en particulier au célèbre collège royal de La Flèche, les Pères avaient ménagé à droite et à gauche de


l'escalier, sous les hautes charpentes des toitures du XVIIe siècle, deux grandes salles qui servaient, l'une, à droite, de bibliothèque, l'autre, sur la gauche, de salle des Actes.

Si vous le voulez bien, prenons à gauche. Nous voici dans la salle des Actes.

Cette ancienne salle du collège des Jésuites de Caen, dont je dois vous faire les honneurs à présent, n'est plus maintenant qu'un vulgaire, oh! très vulgaire grenier. Sous nos pieds, quelques pierres éparses çà et là, qui témoignent encore d'un ancien dallage à grands carreaux au fond, dans le gable, une très large fenêtre qui depuis longtemps déjà n'a plus, hélas, ni vitres, ni croisée, mais d'où l'on peut voir encore, en se hissant sur les vieilles boiseries, seuls vestiges d'une ancienne estrade, l'admirable flèche de Saint-Pierre et les vieux pignons des maisons XVIe siècle dont le quartier est encore rempli le long des murs, un vieux lambris en chêne à panneaux d'aspect minable; au-dessus du lambris, une fausse voûte en plâtre, appliquée sur les charpentes du toit et où, en regardant de très près, les observateurs curieux peuvent encore distinguer les restes de ce que vous, messieurs les savants, vous appelez des peintures murales, peintures aussi bien conservées que peuvent être des


fresques exposées depuis cent ans à toutes les injures du temps. Voilà tout ce qui reste de l'ancienne salle des Actes du collège des Pères. Les gens du peuple qui pourraient y pénétrer comme je l'ai pu faire moi-même, grâce à l'exquise bienveillance de M. le secrétaire général Bouffard, n'y trouveraient, certes, 'rien d'intéressant. Et pourtant, que de souvenirs 1

Une salle des Actes dans un collège du XVIIe et du XVIIIe siècle, réveille tout un monde d'idées. C'est là que se manifestait, aux jours solennels, l'admirable vitalité des écoles d'autrefois.

Les Jésuites du XVII' et du XVIIIe siècle savaient fort bien tout ce qu'ont de rude et de sombre pour l'enfance et l'adolescence, ces jours d'étude se succédant sans fin pendant dix mois, renouvelés pendant dix ans.

« L'art suprême des Jésuites dans les deux derniers siècles, je cite ici un membre de l'Institut, M. Charles Lenormand, dans ses remarquables Essais sur l'Instruction publique, fut de faire aimer à ces détenus le séjour de leur prison. Pour remplir cette tâche, ils descendirent jusqu'à la puérilité afin de s'accomoder à l'imagination de l'enfance. Qu'on prenne en pitié aujourd'hui l'appareil pompeux des exercices et des récompenses, qu'on juge


sévèrement leurs drames et leurs vers toutes ces opinions, fort justes en soi, manquent néanmoins d'équité et de discernement, si l'on s'obstine à juger les choses en dehors du but que la Société voulait atteindre. »

Tous ces exercices, ces Actes, comme on disait alors, n'avaient pas pour seul but, croyons-le bien, de distraire les élèves et de leur faire oublier l'ennui des longs jours d'étude. Les Jésuites en faisaient aussi des exercices de formation où l'élève apprenait, conformément à la lettre du règlement des études, le fameux Ratio studiorum, à bien parler et à bien lire en public, afin de n'être point trop novice quand ils paraîtraient dans le monde. C'est dans la salle des Actes que se tenaient les séances philosophiques et théologiques, ces joûtes intellectuelles dans lesquelles un élève soutenait une thèse importante de physique, de stratégie, de mathématiques, d'astronomie, de philosophie ou de théologie, où l'élite de la ville et des environs était invitée et pouvait soulever des objections auxquelles le soutenant thèse devait répondre. C'est là que se tenaient les séances littéraires où des étudiants venaient lire leurs meilleurs devoirs, leurs meilleurs vers, leurs meilleures compositions en grec, latin ou français. C'est là enfin que se jouaient ces drames, ces comédies, ces réjouissances de toutes sortes, où le bon goût et la saine critique ne trouvaient peut-être pas toujours tout


à louer, la perfection n'est pas de ce monde, mais où la vie coulait à pleins bords et où le vieil esprit gaulois trouvait, en somme, presque toujours son compte.

Je ne puis insister ici sur ce que ces réunions avaient d'élèves, et je me prends presque à le regretter. Si je pouvais seulement vous citer les conclusions de quelques-unes de ces thèses de physique, de fortifications à la Vauban, de mathémathiques soutenues en cette salle des Actes au XVII" siècle, et dont les manuscrits de la Bibliothèque nationale nous ont conservé le texte si je vous donnais quelques extraits de ces drames latins ou français, qui furent joués dans notre salle des Actes du collège des Jésuites, de 1682 à 1684, et dont un curieux manuscrit de la Bibliothèque de Caen nous a gardé la fidèle impression peut-être seriez-vous quelque peu surpris en voyant quel était alors le niveau des études au collège du Mont.

J'ose espérer, Messieurs, que vous ne m'en voudrez point, si je me prends ainsi à louer le passé. Pour être un bon antiquaire de Normandie ou d'ail- leurs, ne faut-il pas aimer beaucoup les choses d'autrefois ? 9

Je n'ai point, au reste, le loisir de tout vous dire, et je sais que vous n'auriez pas davantage celui de tout entendre.

Penuellez-mui dune seulement d'ajouter encore


quelques mots sur la décoration de notre ancienne salle des Actes.

La partie des murs et des voûtes recouverte de peintures ne comprend pas moins de 120 panneaux de style, genre et sujet complètement variés. Une trentaine environ se composent tout simplement d'inscriptions tirées de l'Écriture ou des Pères de l'Église, que le peintre a dessinées en grandes lettres rouges sur champ bleu, plus rarement en lettres d'or sur fond rouge.

Une quarantaine d'autres panneaux se composent de sujets divers monochromes, traités comme un camaïeu ou une sanguine, soit en bleu, soit en rouge.

Le reste comprend des peintures polychromes aux teintes peu nombreuses et peu variées, à part quelques sujets du centre qui semblent avoir été traités par des mains un peu novices et dont les bleus et les rouges rappellent, par la vivacité de leurs tons, les coups de pinceau de quelqu'un de ces spécialistes que nous nommons peintres en voitures.

Même variété parmi les sujets.

On y trouve du dogme, des conseils moraux, de l'Écriture sainte, de la mythologie et même de la géographie.

La première partie voisine de l'escalier, semble avoir été consacrée à l'éloge de la sainte Vierge. Elle renferme entre autres louanges, des déclara-


tions très nettes en faveur du dogme de l'Immaculée Conception, que cette insigne Université de Caen avait toujours si fortement défendu. Permettez-moi de vous citer quelques-uns de ces textes des panneaux.

Dans le premier panneau, on lit La pureté de la Sainte Vierge a toujours été telle qu'elle a été exempte de tout péché, soit originel, soit actuel. Talis fuit puritas quœ a peccato originali et actuali immunis fuit.

Au n° 7, on lit ce texte de saint Bonaventure: Cur mirum si omnis gralia ad Mariam confluxit, per quem lanta gralia in posleros defluxit Quoi d'étonnant, si toute grâce est venue en Marie, puisque c'est par elle que tant de grâces ont coulé sur la postérité.

Au n° 12, ces paroles de saint Augustin Excepta V. M. de qua propter honorem Dni nullam prorsus cum de peccatis agiter, habcre volo quœstionem. La vierge Marie doit être mise à part. Pour l'honneur de Dieu, quand on traite du péché, il ne saurait être question d'elle.

Entre ces inscriptions, des sujets en l'honneur de Marie, qui ne sont que le commentaire et l'explication d'un texte très court écrit sur une banderolle au bas du panneau. Par exemple au n° 10, on lit le mot de l'écriture Elle est comme le cyprès sur la montagne de Sion Quasi cypressus in monte Sion. Le peintre a représenté au dessous de la


banderolle une ville adossée à une montagne sur laquelle on voit quatre cyprès.

L'exécution des sujets est plus généralement médiocre. Cependant, je dois à la vérité de dire qu'au sommet de la voûte, il y a par ci, par là, des peintures de valeur.

Quelques têtes d'ange, en particulier, autour des rosaces du sommet, sont admirablement traitées. Le reste des peintures comprend beaucoup de conseils moraux sous forme de devises. On sait que les devises, très en honneur au XVIIe siècle étaient une sorte de tableau parlant, tiré d'une légende morale écrite sur une banderole et commentée par le peintre, Voici quelques exemples des devises de la salle des Actes.

Au n° 37, un étudiant, en costume du temps, en robe et ceinture, en rabat et manteau, implore la Sainte Vierge, qui lui tend les bras. La devise porte Fala docet, delet culpas. Elle nous apprend nos destinées, elle efface nos fautes.

Au n° 41, un personnage casqué est à bord d'un vaisseau. La mer est violente, les rames pendent aux flancs du navire. Dans l'eau, deux sirènes jouent du violon et chantent pour perdre le navigateur, qui se bouche les oreilles. Au bas cette belle devise Surdo canilis chantez, je n'entends pas. Plus loin, c'est la pensée de la mort qu'éveille un cimetière avec cette devise Hespice finem Pense à ta fin. Plus loin encore, c'est contre les


dangers du plaisir que veut nous prémunir le vieux proverbe Latent in floribus angues Prends garde. Il y a des serpents sous les fleurs. Ces exemples que je ne saurais multiplier sans crainte d'ennui, suffisent à vous faire voir et le genre et le but des peintures de la salle des Actes. Les Pères avaient vu là une occasion de plus de faire pénétrer, par les yeux, dans l'âme des jeunes gens, ce qu'ils s'efforçaient si bien d'y faire pénétrer par les oreilles.

Au reste, il n'y a pas besoin d'un très long examen pour voir que ces peintures sont bien les peintures d'une maison de la Compagnie de Jésus. Dans une devise au n° 85, l'Enfant Jésus dit à saint François Xavier Je serai toujours avec toi, Xavier. Semper ero tecum, Xaveri.

Au n° 90, la Sainte Vierge dit à un jeune homme Louis de Gonzague, entre dans la compagnie de Jésus.

Au n° 91, la Vierge fait embrasser l'Enfant Jésus à un jeune homme, en lui disant Vois comme je t'aime, Stanislas Kostka.

Plus loin, au n° 80, c'est Dieu qui dicte la règle à saint Ignace Scribe et doce, Ignati.

Saint Dominique, saint Norbert, saint Simon Stock sont aussi dans les devises.

Les panneaux sont séparés par une bande meu-


blée de monogrammes et de mascarons sans grande variété. Le monogramme qui revient le plus souvent est le chiffre de la Sainte Vierge représenté par M A R que les Jésuites du XVIIe siècle avaient presque uniformément adopté, en France comme ailleurs. Témoin l'admirable chaire de Sainte-Gudule à Bruxelles, qui provient de l'ancien Collège des Jésuitès de cette ville.

J'ai fini.

En 1684, notre salle des Actes cessa d'être la salle des Actes. Elle était devenue trop petite. Cette année les Jésuites venaient d'achever leur église, la Gloriette. L'ancienne grande chapelle du collège, étant dès lors inutile, devint la nouvelle salle des Actes.

De ce jour, notre salle fut mise dans un grand oubli; je m'estimerais heureux d'avoir pu aujourd'hui, pour un moment, l'en faire sortir.


EXTRAITS DES PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE DU 10 DÉCEMBRE 1897

Présidence de M. le comte DE CONTADES, Directeur. M. de Contades remercie la Société de l'accueil cordial et sympathique qui lui a été fait à Caen et dont il gardera précieusement le souvenir. L'ordre du jour appelle l'ouverture du scrutin pour la constitution du bureau de l'année 1898. Sont nommés

Directeur M. Gaston Pâris, membre de l'Académie française administrateur du Collège de France

Président M. Charles Hettier;

Vice Président M. Formey Saint-Louvent; membres du Conseil d'administration MM. Raulin, Gasté, de Formigny de la Londe, du Manoir, Guillouard.

Sont nommés membres titulaires de la Société MM. du Perré, à Feuguerolles Salles, sous-chef de section au chemin de fer; à Caen.


SÉANCE DU 7 JANVIER 1898

Présidence de M. Hettier, président.

Après la lecture du procès-verbal, M. le secrétaire donne lecture d'une lettre de M. Gaston Pâris, qui remercie la compagnie de l'avoir nommé directeur. M. Youf, notaire à Caen, présenté par MM. Travers et de Beaurepaire, est nommé membre de la Société.

Lecture est donnée d'un intéressant travail de M. Fernand Engerand sur quatre chapiteaux romans de l'église d'Amblie. M. P. Carel présente un curieux mémoire sur les prix de différentes denrées à Caen au XVP siècle; M. de Beaurepaire signale ensuite une rareté bibliographique caennaise, qu'il analyse; il s'agit d'un traité de morale, publié à Caen chez Dedouit, en 1806, et qui a pour titre « Sentiments sur Dieu, sur l'homme et sur les devoirs de l'homme »; l'auteur, grand admirateur de Napoléon Ier, s'appelle Garnier et a été successivement notaire à Chanu et à Mortain; il a dessiné pour son ouvrage un frontispice symbolique des plus bizarres, dont il a tenté de donner lesens dans une longue préface de dix pages.


Enfin M. Liégard communique le procès-verbal de l'élection de G. Brummell au « Salon » de Caen, c'est-à-dire au Cercle littéraire; cette intéressante communication vient très heureusement compléter un des passages du remarquable discours que M. le comte de Contades a lu à la séance publique sur le célèbre dandy.

SÉANCE DU 4 FÉVRIER 1898

Présidence de M. Hettier, président.

Le secrétaire dépose sur le bureau l' « Histoire du Musée de Cagn » de M. Fernand Engerand, puis donne lecture de deux notes de M. Engerand, l'une « sur un chapiteau de l'église de Tilly-sur-Seulles » l'autre sur « la tribune de l'église de Saint-Jean de Caen ».

M. l'abbé Lechale, doyen de St-Pierre-sur-Dives, est présenté par MM. Simon et Tony Genty. M. Émile Travers lit une note sur un mot employé dans le Bessin, et particulièrement dans le canton de Trévières, et que n'ont pas cité les auteurs qui se sont occupés du patois normand. C'est « darier », qui a le sens de valet chargé d'aller traire les vaches dans les herbages et, qui autrefois était chargé de battre le beurre. Il est très probable que ce mot


doit être rapproché de l'anglais « dairy », laiterie, qui est formé sur une racine anglo-saxonne. M. Gaston Le Hardy fait remarquer que ce mot « darier », employé dans le sens donné par M. Travers, est indiqué par Le Play comme d'un usage constant en Suisse de son côté, M. Le Roy se rappelle l'avoir souvent entendu prononcer dans le canton de Genève; il se trouve même dans le « ranz des vaches du canton de Fribourg, et il est porté en Suisse par plusieurs familles, alors que, en Normandie, M. Travers n'a rencontré aucune famille portant ce nom de « Darier ». Ces deux observations ne font, du reste, que corroborer l'opinion émise par M. Travers.

M. l'abbé Masselin offre à chaque membre présent une carte de l' « Armorique septentrionale du 1er au IIP siècle », et il la commente en s'appuyant sur les indications de la carte de Peutinger et sur les travaux de M. de Gerville et autres cette intéressante communication donne lieu à un échange d'observations entre MM. Travers, Le Hardy, etc. SÉANCE DU 4 MARS 1898

Présidence de M. HETTIER, président.

Après la lecture et l'adoption du procès-verbal, le secrétaire annonce le décès de MM. Francis de


Biéville et Marguerie la Société décide que l'expression de ses regrets sera consignée au procèsverbal.

M. l'abbé Quétier, curé de Saint-Gilles de Caen, est présenté comme membre titulaire par MM. l'abbé de Saint-Pol et de Beaurepaire.

M. Sauvalle adresse sa démission de. membre de la Société.

Lecture est ensuite donnée d'une lettre de M. Le Verdier, président des Assises de Caumont, qui fait hommage à la Société de dix exemplaires des publications des Assises ces exemplaires sont partagés entre les membres présents. On procède au vote sur la candidature de M. l'abbé Lechale, curé-doyen de Saint-Pierre-sur-Dives, présenté par MM. Simon et Tony Genty M. l'abbé Lechale est admis à l'unanimité.

Après avoir distribué aux membres présents une carte, dressée par lui, de la « Basse-Normandie du IVe au X° siècle »,M. l'abbé Masselin donne d'intéressantes explications sur les différents noms anciens inscrits sur cette carte.

M. Simon signale ensuite les fonts baptismaux de l'église de Cordebugle, qui présentent un curieux exemple de travail ouvragé en plomb; une reproduction de ces fonts baptismaux est distribuée aux membres présents.


SÉANCE DU 1" AVRIL 1898

Présidence de M. Hettier, président.

Le procès-verbal est lu et adopté.

M. l'abbé Quétier, curé de Saint Gilles, présenté par MM. de Beaurepaire et de Saint-Pol, est élu membre de la société.

M. de Longuemare est délégué à la réunion des Sociétés Savantes.

Lecture est donnée d'une note de M. Fernand Engerand sur le chapiteau du côté droit de l'arc triomphal de l'église d'Ouézy.

SÉANCE DU 6 MAI 1898

Présidence de M. HETTIER, président.

M. de Beaurepaire qu'une longue maladie avait empêché, depuis plusieurs mois, de prendre part aux travaux de la compagnie, assiste à la séance et reçoit les félicitations de ses confrères, heureux de son rétablissement.

M. de Beaurepaire se fait l'interprète des membres de la Société en exprimant les unanimes regrets causés par la mort de Mgr Hugonin, évêque de Bayeux, membre d'honneur et ancien directeur de


la Société. On décide que l'expression de ces regrets sera consignée au procès-verbal.

La Société libre d'agriculture de Bayeux se propose d'élever une statue à Alain Chartier et demande l'appui de la Société des Antiquaires de Normandie une somme de cinquante francs est votée. La Société regrette de ne pouvoir accueillir une demande de souscription faite par la Société du Vieux Honfleur.

M. de Beaurepaire explique le retard apporté à la publication du dernier fascicule du Bulletin par la maladie de M. de Contades, maladie qui l'a empêché d'envoyer le texte de son discours.

Complétant une note qu'il avait présentée à une précédente séance sur un certain Garnier, notaire et moraliste, M. de Beaurepaire établit que cet écrivain avait été notaire à Chanu et non pas à Mortain puis, à l'aide d'une note manuscrite de l'auteur, qui se trouve sur un exemplaire appartenant à M. Raulin, il nous montre le notaire moraliste si dévoué à Bonaparte à en juger du moins par son ouvrage témoigner un dévouement non moins vif à Louis XVIII après son retour.

On fait circuler la photographie des fameux sphinx de Pavilly, au sujet desquels M. de Longuemare a lu une notice au Congrès des Sociétés des Beaux-Arts.

M. Raulin donne lecture d'une note sur l'épitaphe et le tombeau de Nicole Langlois, inhume dans


l'église Saint-Pierre de Caen, et rétablit le texte de cette épitaphe inexactement reproduite par M. de Bras.

M. Travers donne quelques détails sur une carte « manuscrite » de Normandie datée de 1550 et récemment acquise par la Bibliothèque nationale. M. G. Le Hardy communique une pièce relative aux frais d'entrée en campagne d'un jeune seigneur allant à l'armée au temps de Henry IV; cette pièce se trouve au milieu des comptes de tutelle rendus par le marquis de Bréauté.

M. Le Hardy communique encore la liste des gentilshommes servant dans la compagnie de Charles de Longaunay en 1635.

Enfin M. Simon note d'anciens et curieux souvenïrs sur la Gobelinière, qui est bientôt appelée à disparaître.

SÉANCE DU 3 JUIN 1898

Présidence de M. DU MANOIR.

M. V. de Biéville, en son nom et au nom de notre regretté confrère, M. F. de Biéville, fait hommage à la Société d'une tête de mort en ivoire d'un travail des plus soignés et des plus curieux d'un superbe chandelier en faïence de Delft, véritable pièce de musée admirablement conservée d'une


série de hallebardes et d'une dague, sur la lame de laquelle on lit la date de 1414.

M. de Beaurepaire, se faisant l'interprète des membres de la compagnie, remercie M. de Biéville de ces généreux dons, qui ne seront pas les pièces les moins curieuses de notre musée.

M. de Beaurepaire entretient la Société de la découverte de sarcophages faite récemment à Fresné-la-Mère.

M. Simon fait circuler l'ouvrage du notaire moraliste Garnier dont il a été déjà plusieurs fois question il donne lecture de l'originale préface qui précède le volume et la commente.

M. Simon lit ensuite une note sur l'église de Thaon.

A noter dans cette communication le texte de l'inscription de la cloche, dernière en date, de l'église de Thaon et une explication, avec dessin de M. Salles à l'appui, d'un des chapiteaux de l'intertransept. M. Simon y voit une représentation de la luxure.

M. Gasté communique un arrêt du Parlement de Rouen en date du 30 mai 1850 l'évêché de Bayeux avait été pillé par les protestants et la plupart des titres des biens qui appartenaient à Tévèque de Bayeux avaient été perdus, les débiteurs en profitaient pour ne pas payer; le Parlement jugea que, en l'absence de titres, les débiteurs pourraient être executes sur le vu des lettres, journaux, etc.,


qui se trouveraient encore à l'évêché et qui serviraient à l'avenir de titres. Hermant, dans son histoire du diocèse de Bayeux (p. 423), signale cet arrêt sans en donner le texte, que M. Gasté vient de restituer.

Dans deux lettres de Huet à son neveu de Charsigné, il est question d'un tableau envoyé par l'évêque d'Avranches en 1704 pour l'église de Banneville ou Benneville Huet écrit tantôt d'une façon, tantôt de l'autre. M. Gasté qui signale ce fait, demande quel est ce Banneville s'agit-il de Banneville-la-Campagne, de Banneville-sur-Ajon, de Benneville, hameau de Cahagnes, ou de Benneville, hameau de Jurques? M. Gasté serait reconnaissant à celui de nos confrères qui pourrait l'aider à trouver la paroisse à laquelle Huet destinait ce tableau. Enfin, M. Gasté a consulté à la Bibliothèque de Chantilly le Chansonnier gothique de 1537, dont le seul exemplaire connu figure dans la bibliothèque du duc d'Aumale et il signale certaines variantes qui différencient le texte de quelques Vaux de Vire qui se trouvent dans ce chansonnier gothique des mêmes Vaux de Vire de l'édition donnée par Louis Dubois en 1821.


Liste des objets donnés par MM. Francis et Victor Le Cocq de Biéville à la Société des Antiquaires de Normandie.

10 Une tête de mort en ivoire du XV' siècle

2° Un chandelier bleu de Delft, XVIe siècle

30 Une dague portant la date de 1414

4° Une très belle hallebarde du XVIe siècle

5° Une hallebarde trouvée dans la ferraille du petit château de Caumont-sur-Orne, près Thury-Harcourt, ayant appartenu à l'un des ancêtres de M. de Biéville du nom de Guillaume Lepigeon, écuyer, sr de St-Georges ( Guibray), sénéchal de Henry d'Orléans duc de Longueville, gouverneur de la Normandie sous Louis XIII. Ledit Lepigeon descendait par sa grand'mère d'Isabeau de Croisilles, dame patronne de la seigneurie de Caumont-sur-Olne (sic), laquelle vivait sous Henry IV

6° Autre petite hallebarde ancienne

7° Un esponton d'officier

8° Une lance feuille de sauge Henry II

9° Une lance de la i" République.


A PROPOS D'OLIVIER BASSELIN ET DE

L'Édition des VAUX DE' VIRE (182 1), de Louis Dubois Par M. A. GASTÉ

–––––––––––––0–––––––––––

M. Eugène de Beaurepaire et moi, nous avons toujours soutenu que tous les Vaudevires publiés jusqu'en 1858 (édition du Bibliophile Jacob comprise), sous le nom du vieux foulon virois, Olivier Basselin, devaient être restitués à l'avocat virois Jean Le Houx.

Aucune objection sérieuse n'a été opposée aux preuves que nous avons données, M. Eug. de Beaurepaire, dans son Étude sur Basselin, Jean Le Houx et le Yaudevire Normand (Mém. de la Société des Antiquaires de Normandie, 1858, XXIII" vol.), et moi, dans ma thèse pour le doctorat ès lettres, Jean Le Houx et le Vau de Yire à la fin duXVP siècle (Paris, Ern. Thorin, 1874). Je dois dire, cependant, qu'un doute, très


léger (1), mais enfin un doute m'était resté dans l'esprit.

Au bas de la .chanson

Messieurs, voulez-vous rien mander ?

j'avais lu dans l'édition de Louis Dubois (p. 105, note 210). « Ce Vau-de-Vire est intitulé dans le recueil de 1537 Maistre Olivier tenant un verre de vin ».

J'avais lu également dans les notes manuscrites de M. Dubourg d'Isigny, conservées à la Bibliothèque de Vire, que- « dans un recueil gothique' imprimé à Paris, en 1537, et intitulé Belles chansons nouvelles et fort joyeuses, on trouve le Vau de Vire suivant Messieurs, voulez-vous rien mander, sous le titre Maistre Olivier tenant un verre de vin ».

Eh bien! si nous admettons que le recueil de 1537 contient la chanson « Messieurs, etc. » avec l'intitulé « Maistre Olivier, etc. » nous sommes par cela même forcés de convenir que ce vaudevire est l'oeuvre du vieux foulon virois, et non pas de l'avocat Jean Le Houx, qui a dû naître en 1545 au plus tôt.

Il s'agissait donc, pour vérifier le fait, de mettre la main sur le chansonnier gothique de 1537. (t) Je dis très léger, car le style de la chanson « Messieurs, etc. » est d'une Jdte postérieure au XV* siècle


Depuis longtemps je savais qu'un exemplaire (exemplaire unique) de ce précieux bouquin se trouvait dans la Bibliothèque du duc d'Aumale, à Chantilly mais comment en avoir communication ? `~

Depuis que le château de Chantilly et ses admirables trésors sont devenus la propriété de l'Institut, je me suis adressé à notre savant confrère, M. Léopold Delisle, dont l'érudition n'a d'égale que la bienveillance, et M. Léopold Delisle, le jour où je suis allé visiter le château de Chantilly (29 mai 1898), a bien voulu me confier pendant une heure le précieux chansonnier gothique de 1537. En voici le titre exact

Sensuiuet ^plusieurs belles Chansons «om= j| uelles | et fort io,yezzses 1 auec plu Il sieurs autres retirees des an Il ciennes impressions comme Il pourrez veoir a la table Il en laquelle sont com= Wprinses les pre/nie=\\res lignes des || chansons.

Mil cinq cens XXXVII

On les ved a Paris en la rue Neuf= Il ue Nostre Dame a Pesai de France.

J'ai feuilleté et refeuilleté ce petit volume, et j'affirme qu'il est complet et qu'il ne contient ni la


chanson « Messieurs, voulez-vous rien mander », ni, par conséquent, \e fameux titre « Maislre Olivier tenant un verre de vin ».

Chose étrange, une note manuscrite d'un des anciens possesseurs du chansonnier de 1537 (avant qu'il entrât dans la bibliothèque de Chantilly) nous dit que c'est justement cet exemplaire que Louis Dubois a consulté, avant de donner, en 1821, son édition des Vaux de Vire.

Que faut-il conclure ? Ceci, ou je me trompe. 1° Que M. Dubourg d'Isigny s'est contenté de copier la note de Louis Dubois

2° Que Louis Dubois, ou bien (ce que je n'ose admettre) a voulu mystifier ses lecteurs ou bien (ce qui est plus vraisemblable) qu'il aura trouvé ce titre dans quelque copie manuscrite sans valeur, oubliant qu'il n'avait rien vu de tel dans le chansonnier de 1537.


FRAIS

D'UNE ENTRÉE EN CAMPAGNE Par M. Gaston LE HARDY

:o:

Parmi les familles éminentes de notre province, la famille de Bréauté réalisait un type véritablement noble et chevaleresque. Son origine remonte aux temps héroïques de notre histoire, et son nom avait été porté par des compagnons du duc Guillaume à Hastings, par des compagnons de ses fils aux grandes aventures des croisades.

Son sang mêlé à celui des Crequy, d'Estouteville, de Dreux, de Monchy, d'Auxy, de Harlay, de Roncherolles, de Melun, etc., resta vaillant pendant la série de nos siècles historiques. On en trouve une douzaine morts sur les champs de bataille depuis celui de Gourtrai, en 1302, jusqu'à celui d'Arras, en 1654. La vitalité de cette race énergique finit par s'épuiser, et le dernier de ses fils mourut le 1er juillet 1716, âgé de 21 ans.


C'était le troisième marquis de Bréauté il avait hérité ce titre d'un cousin qui en avait hérité luimême d'un autre cousin. Il semble que le titre portât malchance à la postérité des vieux sires de Bréauté, châtelains et barons de Néville depuis le XIIIe siècle, vicomtes de Maineval, de Hotot en Auge seigneurs de Roumare, d'Héroudeville Tournetot, etc., etc.

Le premier, Adrien-Pierre, sire et marquis de Bréauté, châtelain de Néville,et du Port de Navarre, vicomte de Hotot, baron de Cany et Caniel, premier écuyer de la Reine Catherine, fut tué devant Breda en octobre 1624, âgé de 24 ans, et n'ayant pas d'enfants de Suzanne d'Auxy- Monceaux qui se remaria plus tard au marquis de Fonteney-Mareuil. Il avait été orphelin presqu'en naissant. Son père Pierre de Bréauté était mort encore plus jeune que lui, et sa mort avait entraîné de nombreuses procédures, desquelles l'une montre les frais d'entrée en campagne d'un jeune seigneur allant à l'armée et à la cour, sous le roi Henri IV. Pierre de Bréauté avait épousé Charlotte de Harlai, fille du dernier comte de Sancy, l'ambassadeur qui rapporta de Suisse le fameux diamant connu sous son nom.

Le mariage eut lieu le 17 décembre 1596, peu après ceux des deux sœurs de la nouvelle dame de Bréauté qui avaient épousé l'une le marquis de Villttroj, et l'autre Mouy de La Meilleraye.


Pierre de Bréauté, après avoir fait campagne en Flandre à la tête d'une compagnie levée à ses frais, venait de rentrer en France quand il apprit que l'officier qu'il avait laissé à la tête de ses troupes devant Bois-le-Duc, s'était laissé enlever par Grosbendonc, gouverneur de cette place. Bréauté revint vivement en Hollande, et envoya défier Grosbendonc de lui tenir tête dans un combat réglé à vingt contre vingt.

Le défi fut accepté et vingt-deux français contre vingt-deux espagnols armés d'épées et de pistolets se rencontrèrent en vue de Bois-le-Duc.

Les deux petites troupes se chargèrent vigoureusement. Bréauté tua de sa main le lieutenant de Grosbendonc qui s'était fait remplacer, et blessa encore un homme ses compagnons en avaient abattu trois autres, et les Français avaient deux morts et trois blessés.

Les deux pelotons avaient repris du champ pour se charger de nouveau quand Grosbendonc fit tirer le canon sur les Français. Devant cette attaque déloyale, une partie des cavaliers se tirèrent à quartier. Bréauté resté seul avec un de ses gentilshommes reçut vaillamment la charge des ennemis, il en blessa encore deux, mais son cheval fut tué, et lui saisi et entraîné dans Bois le Duc où il fut odieusement assassiné. 11 avait dix-neuf ans, neuf mois et onze jours.

A la nouvelle de sa mort, Adrien de Bréauté, son


jeune frère accourut en Hollande pour venger son aine. Il fallut les ordres du roi adressés à l'ambassadeur de France et au prince de Nassau pour obliger le jeune homme à rentrer en France. La jeune veuve de Pierre de Bréauté, Charlotte de Harlay entra aux Carmélites de Paris, où elle vécut jusqu'en 1655.

Ces souvenirs de gloires, de sang et de larmes sont derrière ces comptes de tutelle que dressait en 1600 le père du jeune mort.

L'an de grâce 1600 le 13e jour d'avril, au château et manoir seigneurial de Néville, de matinée, devant nous Jehan Toustain escuyer sieur de Palleuzemare et de Beaumont, conseiller du Roy, lieutenant au baillage de Caux au siège de Cany, présence de Me François Gasquerel greffier ordinaire de Mr le bailly de Caux au dit siège de Cany, s'est comparu en personne hault et puissant seigneur Adrien sire de Bréauté chevalier de l'Ordre du Roy, capitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances, conseiller du Roy en son Conseil privé dit d'estat, collonal général des arrière baons de Normandie, et chastellain du dit lieu de Néville et aultres terres et seigneuries, lequel à présence de noble dame Charlotte de Harlay veufve de feu noble et puissant seigneur Pierre sire de Bréauté, chevalier de l'Ordre du Roy, seigneur chatellain, viconte hérédital et haut justicier de Hautot-en-Auge, collonal du régimentde Normandie, tutrice principalle de Adrien de Bréauté soubzage, seul fils du dit feu sieur de Hotot, ung estat et mémoire en forme de


compte cy après pour estre par elle veu et accepté, présence du procureur du Roy, duquel compte et mémoire la teneur ensuit.

Mémoire des mises que j'ay { aides pour mon fils de Hotot depuis la consommation de son mariage. Premièrement j'ay baillé à Néville au fourbisseur pour la despence que mon fils avoit faicte à lesquier à Rouen quatre vingts escus.

A ung boucher de Poissy 105 escus.

Au mercier Doublet de Rouen dix escus.

Pour dix harcquebuses qui furent achaptés à Rouen 25 escus.

Baillé à Saint Amand pour des mousquets 20 escus. Plus baillé pour deux longues arquebuses appelées carabines, et deux fourreaux 20 escus 40 s.

Pour des bas de soye verds, et une ceinture en brouderie quinze escus.

Baillé à mon dit fils pour aller à Rouen six vingts escus.

Plus, baillé par ma femme pour avoir des armes, quatre cents escus.

Plus à Monsieur de Rouen pour despens qu'il a payé au logis de mon dit fils à Paris, soixante et quatorze escus.

Plus à un saincturier qui a fait le fourreau de sa picque, douze escus.

Plus pour restes d'arquebuses et ung mousquet, huict escus, 40 sols.

Au Cadet d'Avignon pour des passements qu'il avait


achaptés pour oustrer le manteau de mon fils et celuy de son paige, huit escus.

A Goupil cordonnier à Rouen dix escus.

Plus à Monsieur de Rouen pour bailler à ma fille, deux cents escus.

Plus baillé à mon dit fils dernièrement qu'il partit pour aller à l'armée, comprenant 52 escus, baillés au bailly de Hotot cent escus pour des chausses et bottes, des brousquins avec des passements d'argent, six vingts escus 40 sols.

Pour deux chevaux pour mettre en sa charette, cent escus

Pour la charette, colliers, selle et tout l'esquipaige, vingt escus.

Baillé à monsieur d'Escajeu pour aller à l'armée avec mon fils 300 escus.

Plus baillé à mon dit fils 20 escus.

Plus je envoye à mon fils en deux fois par ses tacquais qui le sont allé trouver en l'armée, dont il y avait 200 escus soleils à soixante et cinq sols pièce 416 escus et 4U sols, sans plusieurs aultres parties que j'ay oubliées, qui se montent à plus de 200 escus.

Plus à l'armeurier de Rouen vingt escus.

Baillé par le Fauconnier à Bouffay 100 escus. Par le Bucquet l'aîné, envoyé de La Murdraquière un sieur d'Eschajeul qui estoit au Vaudery.

Par Bunel lacquais de mon fils 30 escus.

Plus pour despences faites au Vaudery par ledit sieur d'Eschajeul, tant en vin que en viande que argent, sept escus.

Baillé au page de mon fils, à ung sergent et un cui-


sinier qui s'en allaient trouver mon fils à l'armée, par le recepveur du Vaudery 3 escus.

Baillé à Saint-Amand pour avoir des armes quarante escus.

Plus baillé au sieur d'Eschajeul pour aller trouver mon dit fils, et pour conduire ses compaignons 8 escus. Rendu à monsieur de Galleville qu'il avoit presté à mon dit fils estant à Argentan 10 escus.

J'ay baillé à mon fils 400 escus.

Baillé à ma fille étant au dit lieu d'Argentan deux cents escus.

Plus il a reçu de Monsieur Médavy 20 escus.

A deux de ses lacquais pour luy porter par deux fois son argent à l'armée, en chacun voyage 4 escus, font 8 escus.

Plus j'ay baillé à son charestier et à son maréchal pour aller en l'armée avec luy 6 escus.

Plus à son pifre et à ung suisse pour aller en l'armée 4 escus.

A ung sergent et à son paige 3 escus, qui passaient par Bouffay.

Plus payé par Monsieur de Rouen pour retirer ses hardes qui étaient dans une hotellerie 33 escus. Plus payé par Monsieur de Rouen à l'Hostel du plat d'étain à Paris, et à ung mercier du Pallais huit vingt escus.

Plus a été porté à Paris au logis de Mr de Sency par Le Bucquet l'aisné lorsque mon fils estait en Flandres avec Mr le M aréchal de Biron viron 500 escus. Pour le voyage et dépense du dit Bucquet d'aller et et venir 6 escus.


Plus pour les affaires de mon dit fils à Paris à Mr le Grand Prévost 321 écus.

Pour des passements pour faire des chausses à mon dit fils 25 écus.

Plus à Paris tant pour quérir des souliers, retirer son linge que bailler à ses lacquais, et par son commandement, par Le Bucquet l'ainé quatre écus dix sept sols. A son hote à Paris 10 écus.

A Néville, baillé à mon fils présence de sa femme, en deux fois 50 écus.

Plus à la SI Miehel 1598 pour son quartier, j'ai baillé à mon fils 600 écus, et à l'instant baillé à ma fille 200 écus.

Et au premier jour de l'an 1599 j'ai baillé à mon fils à prendre sur Monsieur de Rouen 200 escus. Et depuis à mon fils estant à Bouff'ay 400 écus sans, comprendre le voyage que je fis à Paris pendant que mon fils estait arrêté, où j'ai payé sa despense. Pareillement au voyage qui fut fait à Maule voir Monsieur et Madame de Sansy, de quoi je n'en compte rien. Plus pour le terme de Pasques 1599 j'ai envoyé à ma fille de Hotot à Paris, receu par ma damoyselle de Galleville 100 écus.

Plus à l'instant j'ai envoyé a Monsieur de Rouen, à cause qu'il avait prêté à mon dit fils et fille, dont il leur en a tenu compte 200 écus.

Plus, j'ai laissé à ma femme pour bailler à mon fils, premier qu'il partit pour aller en Flandres 300 écus. Plus pour le cartier de juillet 1590 a esté baillé à mon fils par les mains de ma femme que je luy ai renduc, 133 écus 20 sols.


Plus le 24' de juillet 1590 j'ai envoyé à mon dit fils en Flandres par le grand lacquais de ma femme 200 écus.

Et depuis par Bunel son lacquais 200 écus.

Baillé au lacquais de ma femme et ung autre qui allaient porter le dit argent, 4 écus.

Plus payé pour ma fille qu'elle avait emprunté pour aller aux bains 300 écus.

Pour deux paires de bas de soie, des jarretières, deux ceintures, une en broderie, et l'autre de buffe, le tout coute 27 écus.

A Bunel son lacquais pour lui avoir un accoustrement 4 escus.

Du troisième jour d'octobre 1599 envoyé à mon fils par son lacquais Bunel et le grand lacquais de ma femme 500 écus.

Au dit lacquais Bunel qui portait le dit argent 4 écus. Et le dit jour baillé à ma fille 100 écus.

Plus le premier jour de l'an 1600 pour son quartier, à lui envoyé 600 écus.

Du 12e jour de février 1600, baillé à Madame de Hautot 100 écus.

Somme, en tout 8335 écus 17 sols.

Plus payé à Monsieur de Liombrine que mon fils lui debvait 100 escus.

Plus 1800 écus précomptés par Mr de Sensy et non receus par Mr de Bréauté ayeul, dont il en baille quittance pour les avoir mis ès mains du feu sieur de Hotot. Plus pour 1050 écus de pertes payées par Mr de Bréauté en la prière de Mr de Hotot en la présence de madame sa femme et de monsieur Dambray, par pro-


messe faite par le dit sieur de Hautot de les défalquer sur les 20,000 écus.

Plus pour les obsèques et funérailles une somme de 800 écus.

Plus pour les frais du banquet nuptial 600 écus. Fait sous le seing du dit sieur de Bréauté le 13" jour d'apvril 1600.

Signé BRÉAUTÉ, ung paraphe.

Saint-Simon parle à plusieurs reprises des derniers Bréauté, rappelle celui « qui se rendit célèbre avant l'âge de 20 ans par son combat de vingtdeux contre vingt-deux, où il acquit tant de gloire, et ses ennemis tant de honte par leurs supercheries, que Grobendunck couronna en le faisant assassiner entre les portes de sa place en 1600. » « Ces Bréauté, dit-il ailleurs, étaient d'une forte ancienne maison de Normandie, illustrée par les alliances et les emplois, et dont plusieurs étaient pour aller loin, qui furent tués jeunes. » Le dernier marquis de Bréauté avait pour mère une Dunot, de la famille de notre ancien confrère le baron Dunot de Saint-Maclou, mort à Lourdes.


INCIDENTS

RELATIFS A L'APPLICATION D'UN

Règlement pour les Prisonniers d'État AU MONT-SAINT-MICHEL

(D'après un document conservé à la Collection Mancel) Communication de M. E. nE BEAUREPAIRE.

«ô.

Le Mont-St-Michel a été jusqu'ici l'objet de beaucoup de travaux entrepris à des points de vue différents mais nous croyons pouvoir affirmer, sans crainte d'un démenti, que l'histoire de l'abbaye, envisagée comme prison d'État, est encore à faire. Le volume publié par Fulgence Girard en 1850, et devenu aujourd'hui à peu près introuvable (1), bien que curieux à consulter, est avant tout un long pamphlet politique. L'époque ancienne, à laquelle quatre-vingt-une pages seulement sont (1) Ilistoire du Mont-St-Michel comme prison d'État avec les correspondances inédites des citoyens Barbès, Blanqui, Flotte, Martin Bernard, Mathieu d'Epinal, Berard, etc. Paris, Paul Germain, 1850, in-8° d.


consacrées, est traitée avec une extrême légèreté, et les récits de l'auteur relèvent beaucoup plus de l'imagination que de la science. J'ai déjà eu l'occasion de faire remarquer les assertions fantaisistes accueillies par l'écrivain normand, à la suite de M. Vérusmor, à propos de la captivité de Dubourg dans la cage de fer du Mont-Saint-Michel beaucoup d'autres passages, du même livre ne résisteraient pas davantage à l'épreuve d'une vérification sérieuse. Nous n'avons pas aujourd'hui l'intention d'entreprendre ce travail de contrôle, nous voulons simplement faire connaître un curieux document qui se rattache à ce sujet et que nous avons découvert dans la collection des manuscrits de la bibliothèque Mancel (1). Cette pièce a été adjugée en vente publique avec un lot de titres sur parchemin et d'autres papiers le 11 octobre 1838. Elle porte en marge l'indication suivante Réception d'un exilé par lettre de cachet 4770, formule inexacte qui ne donne aucune idée du contenu du document. C'est en effet la copie certifiée d'un procès-verbal dressé par un religieux de l'abbaye à l'occasion d'un différend qui s'était élevé entre un détenu et le prieur dom Surineau. La chose vaut d'ailleurs la peine d'être racontée. Au mois d'août 1770, la célèbre prison d'État renfermait dix-sept individus détenus en vertu de lettres de cachet onze, (1) Documents sur la Normandie. Recueil in-folio, t. II, pièce 11U.


MM. Stapleton, Poncet, Rebière, Berthe d'Ossonville, Millet, du Boberil, baron de Cherville, de Chauvallon, Hayet, Meslé et Bernier, habitaient le château proprement dit et jouissaient d'une liberté relative six autres étaient renfermés au lieu dit l'Exil ou les Exils et étaient soumis à une surveillance beaucoup plus rigoureuse. C'étaient MM. de Richebourg, Lanteigne, Soulanges, de la Barossière, Jean Tison de Rilly et le frère Denis de Matha. Il paraîtrait que dans les premiers mois de l'année 1770, Monseigneur Bertin avait arrêté les termes d'un règlement spécial applicable aux pensionnaires du roi renfermés au Mont-Saint-Michel. Nous ne saurions dire si ces modifications avaient été décidées par le gouvernement spontanément ou par suite de réclamations émanées des intéressés mais ce qui est certain, c'est qu'à la date du 25 août, Monseigneur Bertin faisait connaître officiellement ces nouvelles dispositions à M. de Richebourg, détenu à l'Exil et le plus remuant à coup sûr de tous les prisonniers.

Cette correspondance du ministre avec un détenu devait donner lieu aux incidents les plus singuliers. Le 25, en effet, le sieur de Richebourg s'appuyant sur les termes de la missive dont il avait été honoré, requérait impérieusement la mise à exécution du règlement, non seulement en ce qui le concernait, mais à l'égard de tous les autres pensionnaires détenus à l'Exil. Le 28, nouvelle sommation à la


suite de laquelle, dans une assemblée générale des pensionnaires et des religieux, nous assistons au singulier spectacle d'un prisonnier parlant en maître au nom de ses co-détenus et au nom du roi, et d'un pauvre prieur balbutiant des excuses et cherchant péniblement à concilier le règlement élaboré par Monseigneur de Bertin avec les instructions précises relatives à chaque détenu, qui lui avaient été transmises. Du reste, malgré la vivacité des propos qui furent échangés, tout se passa avec politesse et sans tumulte, les verbaux des uns et des autres furent recueillis avec une scrupuleuse impartialité, et comme le formalisme le plus irréprochable devait régner jusqu'au bout dans cette affaire, une expédition régulière du procèsverbal des dires et prétentions des punis fut remise au Prieur et au sieur de Richebourg le 31 août pour leur servir et valoir ce qu'il appartiendra. Voici maintenant le texte de cet étrange document

L'an mil sept cent soixante-dix le 28' d'aoust, Mr de Richebourg détenu par ordre du Roy et renfermé au lieu qu'on nomme Exil, ayant fait demander à nous Prieur de l'abbaye du Mont St-Michel qu'il auroit quelque chose à nous communiquer, qu'en conséquence nous aurions dit au nommé Baudry, veillant à la garde des prisonniers dans le dit lieu


de l'Exil, de l'amener dans notre chambre, que ledit prisonnier y etant entré, auroit requis, sans aucun préambule, qu'il avoit reçu des ordres du Roy par lesquels il luy etoit enjoint de me signiffier que j'eus à lire, en présence de tous les prisonniers, le règlement dressé, par ordre de Sa Majesté, concernant le gouvernement des prisonniers détenus dans le château, et ce en présance de tous les religieux de la maison, et ce sur les deux heures après midy, et nous aurions lu à haute et intelligible voix ledit réglement commençant par ces mots Usera' fourni, finissant par ces mots ou rester dans leur chambre. Ensuite nous aurions lu la lettre de Monseigneur de Bertin dattée du 20 du présent, concernant ledit règlement sur quoy nous avons interpellé ledit sieur de Richebourg qu'il eût à nous faire part de ses observations.

Lequel a dit que le Supérieur de l'abbaye du Mont St-Michel luy ayant remis samedy 25e jour du present mois une lettre de Monseigneur de Bertin cachetée et contresignée de ce ministre, ledit supérieur luy avoit demandé un reçu comme quoy il luy auroit remis ladite lettre, dans l'état cy dessus, lequel sieur de Richebourg, après avoir lu la ditte lettre, en son particulier, ledit supérieur luy a donné communication d'une partie du règlement fait par Sa Majesté pour les pensionnaires du Mont St-Michel, alors ledit sieur pensionnaire a dit au sieur supérieur que l'intention du ministre par sa lettre étoit qu'il eut lui et tous les autres pensionnaires communication et lecture publique du dit règlement et qu'il ne


donneroit le reçu audit supérieur qu'à condition d'en avoir presentement lecture entière, et non pour une partie, ou qu'il inséreroit dans le reçu le refus que ledit supérieur luy en feroit. Le reste de la visite du dit supérieur s'est terminée de sa part et du dit sieur de Richebourg avec toute la politesse et la tranquillité possibles. Depuis ledit samedy 25 jusqu'a ce jour qui fait trois fois vingt quatre heures revolues, ledit supérieur n'ayant procédé en rien à l'exécution tant des ordres receus de Monseigneur de Bertin que du règlement de Sa Majesté, fait pour le traitement des pensionnaires, et une grande partie d'eux ayant été informé de la lettre dont Monsgr. de Bertin a honoré ledit sieur de Richebourg, temoignant leur surprise de ce que les ordres annoncés par la ditte lettre du ministre, n'avaient point encore été exécutés, que ledit supérieur ne leur avoit pas même fait lire publiquement ni en particulier ledit règlement, alors ledit sieur de Richebourg, ne voulant prendre en rien sur luy, par un silence contraire à l'intention du ministre, des événements qui pouroient résulter de la désobéissance du dit supérieur au Roy a envoyé demander, par le garçon qui garde ceux qui sont détenus au lieu nommé l'Exil ou il est, permission audit supérieur d'aller luy parler, laquelle permission luy ayant été donnée, il s'est transporté chez le dit supérieur et luy a dit qu'après avoir attendu, avec respect et soumission, pendant trois fois vingt quatre heures, que le dit supérieur exécutat les derniers ordres du Roy en les faisant lire ainsy que le réglement publiquement devant


tous les pensionnaires, ledit supérieur auroit refusé et enjoignant audit garçon de l'Exil de reconduire ledit sieur de Richebourg audit lieu et de s'assurer de luy, corps pour corps, et qu'il n'eut aucune communication avec qui que ce fut ledit sieur de Richebourg, ayant vu.clairement par cet ordre que l'intention du dit supérieur étoit non seulement de ne point exécuter les ordres du Roy ny de son ministre, mais encore reduire ledit pensionnaire dans un état à ne pouvoir se faire entendre du ministre et à essuyer un redoublement de mauvais traitements, ledit pensionnaire a requis que ledit supérieur fit assembler tous les pensionnaires'suivant l'intention du ministre pour qu'il leur fit part du contenu de la lettre dont l'avoit honoré Monseigr de Bertin, en datte du vingt du present. Que ledit supérieur auroit témoigné qu'il y répugnoit fort par la crainte prétextée de tumulte ledit pensionnaire luy a demandé de faire assembler tous les pensionnaires et les religieux dans leur chapitre, engageant au surplus ledit supérieur de prendre et faire monter la garde pour sa sureté, s'il le croyoit necessaire; que ledit supérieur s'est contenté de faire assembler sa communauté et les pensionnaires détenus dans le chateau, refusant de faire monter et assister à ladite assemblée les sieurs Lanteigne, Soulanges, de la Barossière et frère Denis de Matha detenus et renfermés nuit et jour dans le lieu nommé Exil, qu'alors ledit supérieur auroit lu luy même ledit règlement et ladite lettre, se refusant ledit supérieur de prendre sur luy de ce qu'il n'auroit pas voulu faire


monter et communiquer publiquement lesdits ordres aux quatre pensionnaires cy dessus. Ledit sieur de Richebourg ayant témoigné que, dans sa démarche il n'avoit d'autre but que de remplir les intentions que Monseigneur de Bertyn luy avoit fait connaître par sa lettre et non pas de forcer ledit supérieur de mettre à exécution lesdits ordres, ce que ledit sieur de Richebourg a protesté nullement de prétendre, ledit supérieur luy auroit dit qu'il etoit un brouillon et qu'il demanderoit par le prochain courier que le ministre le fit transférer à Pontorson, en conséquence a demandé ledit pensionnaire acte de son present desbat et a donné lecture publique de ladite lettre dont l'a honoré Monseig. de Bertin le vingt du présent commençant par ces mots Le Supérieur de l'abbaye du Mont St-Michel jusqu'aux mots quant à ce qui vous regarde personnellement. Et en outre a demandé ledit sieur deRichebourg après itérative lecture faite du dit règlement par le sieur Millet l'un des dits sieurs pensionnaires que, conformément audit réglement, luy et les autres pensionnaires cy dessus, détenus actuellement à l'Exil, fussent le jour même elargis dudit lieu, et mis dans des chambres au chateau, et qu'il ne désire point au surplus, au cas que le supérieur veuille qu'il retourne audit lieu de l'Exil, y rentrer sans avoir auparavant fait une lettre pour Monseigneur de Bertin dans laquelle il luy rendra compte de cette présente démarche en la faisant certiffier par la signature des dits sieurs pensionnaires qui auront été présents à la confection du présent pmn.èç-verbal, requérant ledit sieur de Riche-


bourg que tous ceux qui ont été presens à laditte assemblée certiffient qu'elle s'est passée en bon ordre et sans aucun tumulte ce qu'il a signé apres lecture: Ainsy signé

de Richebourg.

Et par après ledit supérieur a interpellé et demandé aux autres pensionaires présens s'ils ont quelque représentation à faire, ont répondu unanimement et tous d'une voix qu'ils demandoient l'éxécution dudit règlement et que, pour que personne n'en put ignorer, qu'il soit affiché dans un endroit public du château et que les six pensionaires renfermés dans le lieu nommé Exil en soyent retirés et mis dans des chambres du château et que la ou il n'y auroit pas suffisamment de chambres dans ledit château pour les y transferer actuellement que ceux qui ne pouront, par cette raison, sortir du dit exil jouiront conformement audit reglement de la liberté dans le château et ont signé ainsi signé

Stapliton, Poncet, Rebière, Berthe d'Ossonville, Millet, du Boberil, Baron de Cherville, de Chauvallin", Hayet, Meslé, Bernier, Tison de Rilly. A quoy nous aurions repliqué, sans approbation toutes fois des dires du sieur dit de Richebourg, nous référant seulement aux demandes qu'ont fait plusieurs prisoniers, que les six detenus dans le lieu nommé l'Exil qui sont les sieurs de Richebourg, Lanteigne, Soulanges, de la Barossière, le sieur Jean Tison de Rilly et le frère Denis de Matha eussent à sortir du lieu nommé Exil et être placés dans le chateau et y jouir de la même liberté que ceux qui y sont maintenant, nous aurions dit que nous n'osions


prendre sur nous un tel arrangement, dans la crainte que les dits six prisoniers n'abusassent d'une telle liberté pour tenter une évasion d'autant plus 1° que les sieurs de la Barossière et Soulanges a qui nous aurions accordé une pareille liberté le 22 avril dernier se seroient toutes fois échapés du chateau la nuit du 21 au 22 may dernier, quoiqu'ils fussent enfermés dans une chambre, lesquels ayant été repris nous les aurions remis dans ledit lieu de Y Exil; 2° quant aux dits sls de Richebourg et Tison de Rilly qu'ayant du Ministre des ordres de veiller sur leur sureté, dans la crainte d'evasion, nous ne pourrions leur accorder une telle liberté; 3° par rapport au sieur de Lanteigne nous avions aussi pareil ordre de la part de sa famille 4° enfin quant au frère Denis de Matha nous avions aussi des ordres précis de la part de ses supérieurs de ne lui donner aucune liberté qu'au reste nous ne demandions et ne désirerions de plus en plus que les six prisoniers cy dessus dénommés jouissent de toute liberté possible soit dans le château soit dans la ville même pourvuque le Ministre daignat nous dispenser de leur sureté ce que ledit supérieur a signé après lecture. Ainsi signé F. Surineau Prieur.

A quoi ont répliqué les sieurs de Rilly, de Richebourg que les intentions du Roy étoient clairement expliquées par ledit règlement et les ordres reçeus réçemment par ledit sieur de Richebourg et par la dernière lettre que ledit Supérieur doit avoir reçue du Ministre et dont il a donné lecture et que le verbal dudit supérieur est une pétition de principes


qu'il peut éterniser que non seulement par les dernières paroles de Monseigneur de Bertin dans sa lettre au sieur de Richebourg il résulte que ce Ministre le regarde comme digne de jouir de l'effet dudit réglement et des douceurs qu'il accorde, mais même au delà ce que lesdits sn de Rilly et de Richebourg ont signé après lecture en persistant dans leurs demandes. Ainsi signé de Richebourg, Tison de Rilly.

Le present procès-verbal dressé par nous frère Yves Joseph Houel religieux de laditte abbaye les autres religieux et les prisoniers, dénommés audit procès-verbal, presens par leur signature certiffiant au surplus que tout s'est passé sans trouble et sans tumulte. Fait arrête et clos sur les 5 heures du soir des dits jour et an que dessus ce que nous avons signé conjoinctement avec les dits Prieur et autres Religieux ainsi signé F. Surineau prieur, Fr. Fr. Ragot sous-prieur, F. Mathurin Le Mercier, F. L. C. Teilluy, M. B. Fr. Fr. Maurice. Fr. Y. J. Houel. Nous soussigné Religieux de ladite abbaye qui avons dressé led. procès verbal d'après les dires et raisons des parties certifions que la coppie cy dessus est conforme à l'original, vers nous demeuré, sur lequel la presente coppie a eté delivrée aud. sieur de Richebourg pour luy valoir et servir ce qu'il appartiendra ce trente et un aoust mil sept cent soixante dix F. Y. J. Houel.


BIBLIOGRAPHIE ET NOUVELLES DIVERSES

BIBLIOGRAPHIE. Gilles Carbonnel, vicomte de Vire, et son fils Gilles Carbonnel, gouverneur de Vire, 1493-1536, par M. Hippolyte Sauvage. Une tombe dans l'église de Chasseguey, par M. le chanoine Pigeon (Bulletin archéologique dn Comité des travaux historiques, 1896). Une pierre tombale de l'église de Chasseguey, par M. Alfred de Tesson. président de la Société d'Archéologie d'Avranches (Extrait du Bulletin de cette Société. 1897). Histoire de Lonlayl'Abbaye depuis les temps les plus anciens, avec une monographie complète de l'ancienne église abbatiale et de l'église actuelle de Lonlay, par M. le président Le Faverais. Histoire du Musée de Caen, par M. Fernand Engerand. Un écrivain national au XV' siècle Alain Chartier, par Gabriel Joret-Desclosières.

Une pierre tombale qui fait en ce moment beaucoup de bruit, est incontestablement celle qui se trouvait autrefois dans le chœur de l'église de Chasseguey. Brisée en deux morceaux, elle fut signalée il y a une quarantaine d'années à M. de Caumont, par M. Eugène de Beaurcpairc, et, grâce à une subvention de la So-


ciété française d'Archéologie, elle put être relevée et assujétie à l'intérieur de l'église contre le mur, à l'aide de crampons en fer. La conservation de ce petit monument était ainsi assurée; il resta toutefois exposé à des frottements répétés qui ont eu pour résultat de faire disparaître en partie l'inscription qui s'y remarquait.

Lorsque M. de Beaurepaire s'occupa de cette pierre tombale, on y lisait distinctement le nom du décédé, Gilles Carbonnel, et la date du décès, 1502. Ce nom et cette date ont été relevés depuis par plusieurs autres archéologues du pays. L'un d'eux, M. Hippolyte Sauvage, qui a fait de la pierre tombale une étude spéciale, a donné de l'inscription le texte suivant LA MORUT ET TRESPASSA L'AN MIL Vcc

II.. (1502) LE V. DE. GILES CARB

ONNEL SIEVR DE CHASSEGVEY VI

CONTE DE VIRE CONS. CHAMBELLA

N. DV ROY NOSTRE SIRE. GIST

ICY.

M. Sauvage ne s'en tint pas à la publication de ce fragment d'épitaphe, mais, comme le décédé Gilles Carbonnel avait été vicomte de Vire, il demanda que la pierre tombale de Chasseguey fût estampée et qu'une épreuve de cet estampage fût placée au musée de Vire.' Il est fâcheux que la proposition de M. Sauvage n'ait pas été accueillie. Elle eût fait, pour tout le monde, la lumière complète et n'eût pas permis à la critique historique de s'égarer. C'est, en effet, ce qui est arrivé.


Comme l'inscription est devenue à peu près fruste, M. le chanoine Pigeon a pu soutenir que la sépulture recouvrait les restes d'un d'Argouges, et que Gilles Carbonnel devait être une mauvaise lecture. Quelque bonne volonté que l'on y mette, il est difficile de penser que l'on ait pu lire Carbonnel là où il y avait d'drgouges. Aujourd'hui, par suite de l'usure des caractères, la pierre tombale est muette et ne nous donne pas plus le nom de d'Argouges que celui de Carbonnel. Aussi l'opinion de M. le chanoine Pigeon se base-t-elle uniquement sur ce que les armoiries gravées sur la dalle tumulaire seraient celles des d'Argouges et non celles des Carbonnel. Malheureusement, l'attribution aux d'Argouges des armoiries inscrites sur la pierre tombale est absolument inexacte; ce sont incontestablement les armoiries de la branche des Carbonnel, à laquelle appartenait Gilles Carbonnel, sr de Chasseguey, lequel portait coupé de gueules et d'azur à trois quatre feuilles d'argent, deux sur gueules et un sur azur.

La démonstration de M. Alfred de Tesson sur ce point a paru tellement décisive qu'elle a eu pour résultat de convertir à cette manière de voir le principal intéressé, M. l'abbé Pigeon. Rarement discussion archéologique a produit de pareils effets 1

Mais, indépendamment de l'effigie du défunt, la pierre tombale nous présente, dans un compartiment spécial, semé de larmes, un médaillon représentant l'archange saint Michel terrassant le dragon; un objet de forme ronde, dans lequel quelques-uns ont vu un bouclier et M. le chanoine Pigeon un suaire; une bran-


che d'arbre coupée et un ver de terre largement étalé. Ce seraient là, d'après M. Pigeon, autant d'emblèmes funéraires. Certaines identifications proposées sont peut-être contestables; le prétendu suaire, notamment, nous semble assez difficile à reconnaître, mais nous nous empressons de déclarer que cette partie du Mémoire lu à la Sorbonne est fort intéressante et donne à la pierre tombale de Chasseguey une nouvelle valeur au point de vue de la décoration funéraire. M. Le Faverais, président honoraire du tribunal de Mortain, a, pendant de longues années, consacré les loisirs que lui laissaient ses fonctions à des recherches historiques sur notre province. Nous lui devons notamment une Histoire des communes du canton de Messey, qui remonte à l'année 1867; un Jfémoire sur Tinchebray, son château et son bailliage, qui date de 1880. Ces deux publications attestent de longues recherches et sont documentées avec le plus grand soin. Mais M. Lefaverais n'oublia jamais qu'il était né à Lonlay-l'Abbaye et dirigea de ce côté de laborieuses et fructueuses investigations. En 1892, il nous donna un volume intitulé Histoire de Lonlay-l'Abbaye, avec une monographie de l'ancienne église abbatiale et de l'église actuelle de Lonlay. C'est un ouvrage, tout à la fois archéologique et historique, dont nous avons eu déjà l'occasion de signaler le mérite. Il n'y aurait pas lieu d'y revenir si nous ne tenions à faire connaître que le volume de 1892 a été augmenté d'un appendice qui le complète de la manière la plus heureuse, par les textes anciens relatifs au sujet, qui sont


réunis pour la première fois et placés sous nos yeux. M. le président Le Faverais a recueilli un ensemble considérable de documents sur la ville et le pays de Dumfront, en vue d'une histoire définitive de la région. Nous souhaitons que ce projet se réalise, personne n'étant mieux indiqué que le président Le Faverais pour le mener à bonne fin.

M. Fernand Engerand a consacré au Musée de Caen un important travail, très agréable et très instructif, qui vient de paraître en volume, après avoir été inséré dans le Bulletin de la Société des Beaux-Arts. C'est l'histoire. avec documents à l'appui, de la collection. depuis l'arrêté du 14 fructidor an VIII, pris par le premier Consul, qui en a formé le noyau, jusqu'aux dernières augmentations dont elle a été l'objet. Les tableaux réunis, en effet, dans le Musée, proviennen: des communautés et des églises dépouillées de leurs richesses en vertu des lois révolutionnaires; d'un lot de tableaux qui lui fut attribué par l'arrêté du premier Consul des dons de l'État ou des particuliers; enfin, des acquisitions de la Ville. Pour chaque tableau, quelle qu'en soit la provenance, l'auteur nous renseigne fort exactement; non seulement il note, d'après des pièces officielles, l'origine de la toile, mais il relève, avec le même soin, les attributions fausses ou vraies qui lui ont été données.

L'administration des deux premiers conservateurs du Musée, MM. Fleuriau et Élouis, qui étaient d'ail leurs des hommes de goût et de dévouement et des artistes de mérite, comprend l'époque que ni'itis appelle-


rions volontiers héroïque de l'histoire du Musée de Caen. Elle a été traitée avec beaucoup de sollicitude par M. Engerand, qui a pris à tâche de montrer tout t ce que MM. Fleuriau et Élouis, dans des circonstances délicates et souvent difficiles, avaient déployé de zèle et la reconnaissance à laquelle ils avaient droit de la part de leurs compatriotes. L'incident relatif au Melchisédech de Rubens, qui fait l'objet d'un chapitre spécial tiré à 25 exemplaires, est d'une lecture très instructive à cet égard.

Nous savons un gré infini à M. Engerand d'avoir dédié son ouvrage à M. le marquis de Chennevières, membre de l'Académie des Beaux-Arts, directeur honoraire des Beaux-Arts L'auteur des Contes de Jean de Falout et de Y Histoire des Peintres provinciaux a tant contribué, par son magistral Catalogue du Musée de Caen, à le faire connaître et apprécier, qu'il avait tous les droits possibles à l'hommage qui lui a été ainsi rendu.

La ville de Bayeux jient d'élever une statue à Alain Chartier, l'un de ses plus glorieux enfants. M. Gabriel Joret-Desclosières, l'un des promoteurs les plus zélés du projet, a pensé qu'il était utile d'éclairer le public sur la vie et les œuvres du grand poète bayeusain. A côté de l'écrivain dont tout le monde, au moins par ouï-dire, connaît la valeur, il y a un patriote au cœur chaud, à l'âme généreuse, qui, le plus souvent, n'est pas même soupçonné. Et pourtant, quelles œuvres élevées et vraiment nationales que le Quadriloge invectif et la Ballade de Fougères! Alain


Chartier est un poêle véritable et par dpssus tout un bon Français, prêchant à ses compatriotes l'union, la concorde fraternelle et la haine irréductible de l'étranger. C'est ce côté de son œuvre que l'élégant volume de M. Desclosières a eu le grand mérite de mettre en pleine lumière. La prédication patriotique d'Alain Chartier adressée aux Français de son temps, s'adresserait également bien aux Français d'aujourd'hui, et elle lui vaudra la sympathie et la reconnaissance de tous ceux qui aiment le sol natal et qui veulent sincèrement la gloire, le bonheur et l'indépendance du pays.


NOUVELLES DIVERSES

Inauguration du monument élevé à la mémoire de M. Carel.

Le 4 juillet 1898 a eu lieu l'inauguration du monument élevé par souscription à la mémoire de M. Carel, sur l'initiative du Barreau de Caen

Le monument, placé sons le péristyle du Palais de Justice, est en marbre blanc et a été exécuté d'une façon remarquable par MM. Francis et Aimé Jacquier, sur les dessins de M. Nicolas, architecte du département. Le buste de M. Carel est d'une ressemblance expressive. C'est l'œuvre d'un artiste distingué, originaire de Caen, M. Le Marquier.

M. Guillouard, bâtonnier, et MM. Guernier, Laisné des Hayes, Coqueret, Morin, Liégard et Biré, membres du conseil de l'ordre, avaient pris place au pied du monument, en face duquel se trouvait la famille. M. le premier président et M. le président du tribunal de commerce étaient au premier rang; derrière eux se tenait la cour, puis M. le secrétaire général de la préfecture du Calvados et M. le recteur de.l'Université de Caen, ensuite le tribunal civil de Caen, le tribunal de commerce de Caen;

MM. les avocats du barreau de Caen et des tribu-


naux du ressort, la compagnie des avoués près la cour d'appel de Caen, la compagnie des avoués près le tribunal civil de Caen, un délégué des tribunaux civils de Vire et de Coutances, la Faculté de droit de Caen; MM. les notaires de l'arrondissement de Caen, la corporation des huissiers de Caen

MM. les délégués de la Société des Antiquaires de Normandie, de l'Académie des Arts, Sciences et BellesLettres de Caen, de la Société des Beaux-Arts de Caen, de la Société des Amis de l'Université de Caen, de la Société d'Agriculture et de Commerce de Caen, de l'Association amicale des anciens Élèves du Lycée de Caen, de l'Association des Étudiants.

M. Guillouard, bâtonnier, et M. Douarche, premier président de la Cour d'appel, ont prononcé d'éloquents discours, qui ont été très applaudis par l'assistance. Monument Gustave Le Vavasseur. Une souscription est ouverte en ce moment pour élever, sur une des places publiques de la ville d'Argentan, un buste à Gustave Le Vavasseur.

L'exécution de ce buste est confiée à Étienne Le Roux, compatriote et ami du grand poète normand. Tous les membres de nos Sociétés tiendront à s'associer à cet hommage rendu à l'un des hommes qui ont le plus honoré notre province.


Une publication de la Société des Bibliophiles Noritiands.

La Société des Bibliophiles vient de faire paraître un petit volume qui a, pour les Bas-Normands surtout, un intérêt particulier. Il s'agit de l'Entrée de Claude Auvry, évêque de Coutances, publiée avec une intéressante notice par M. de la Germonnière. L'ouvrage est dû à Hilaire de Mo*el. écuyer, conseiller du Roy, garde des sceaux au présidial de Cotentin. Il contient sur la ville de Coutances beaucoup de renseignements qui augmentent la valeur de ce petit livret.

Distinctions honorifiques.-

A la dernière réunion des Sociétés savantes, M. l'abbé Deslandes, chanoine de la cathédrale de Bayeux et membre de la Société des Antiquaires de Normandie, a été nommé officier d'Académie. Toutes nos félicitations à M. le chanoine Deslandes.

Au mois de janvier dernier, M. Eugène Chatel, archiviste honoraire du Calvados, ancien secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie, a été nommé


chevalier de la Légion d'honneur. Taus les confrères de M. Eugène Chatel, qui a laissé dans notre Compagnie de si sympathiques souvenirs, applaudiront à la distinction justement méritée qui vient enfin de lui être accordée.

Mort de Mgr Hugonin.

Mgr Hugonin, évêque de Bayeux et Lisieux, est mort à Caen, le 2 mai 1898.

Mgr Hugonin était membre d'honneur et ancien directeur de la Société des Antiquaires de Normandie. La plupart des membres de la Compagnie, spécialement convoqués à cet effet, se sont empressés d'assister aux obsèques du vénéré et regretté prélat, dont la mort met tout le diocèse en deuil.

Un souvenir à M. de Lierville.

On n'a pas oublié, aux Antiquaires de Normandie, le comte de Lierville, grand amateur de bibelots, grand collectionneur, et qui fut par surcroît l'un des plus généreux bienfaiteurs du musée Carnavalet.

Dans un article récent intitulé Le Nouveau Carnavalet, après avoir passé en revue les dilîérentes salles


du Musée municipal, l'auteur s'exprimait en ces termes

« Mais combien de salles encore 1

« Voilà la salle de Lierville, riche de tant d'objets « d'art, biscuits, peintures et portraits, parmi lesquels « celui de Théroigne de Méricourt, par Vassier. Ne « faut-il pas à ce sujet réparer une petite injustice en « rappelant ce nom de Lierville comme celui d'un des « plus généreux donateurs du Musée; ce dont on ne se « serait jamais douté jusqu'à ce jour. »

Enfin, on veut bien s'en souvenir aujourd'hui, et c'est justice


TABLE DES MATIÈRES

Pages.

Séance publique du 5 décembre 1895, présidence de M. Julien Félix, conseiller à la Cour d'appel

de Rouen, directeur. 1 Discours de M. Julien Félix 3 Rapport sur les travaux de l'année, par M. E. de Beaurepaire, secrétaire 45 Les Portraits prétendus de M™ de Parabère, de Chapelle et Racine au Musée de Caen, par

M. Fernand Engerand 69 Extraits des procès-verbaux des séances 89 Le Manoir de Quilly, par M. Albert Pellerin 104 Pierre Boucher, seigneur de Boucherville, au Canada, par M. Pierre Carel. 122 Bibliographie et Nouvelles diverses 129 Séance publique du 17 décembre 1896. présidence de M. Edouard Corroyer, membre de l'Institut. 149 Discours de M. Edouard Corroyer 151 Rapport sur les travaux de l'année, par M. E. de Beaurepaire 177


Notice sur un tableau du Musée d'Avranches, par M. Ch. de Beaurepaire 205 Deux sculptures religieuses du Moyen-âge la Trinité de Champigny, la Passion de Surrain, par M. G. Villers 218 Extrait des procès-verbaux des séances 233 Procès à propos d'un droit de banc dans une église de l'Avranchin, 1743-1744. par M. T. Raulin. (Appendice Droits de bancs d'église jugés par Daniel Huet, évêque d'Avranches, à SaintHilaire-du-Harcouët, en 1696) 25S Saint Evremond et ses établissements de Fontenay, par M. Albert Pellerin 282 Note sur Fontaine-Etoupefour, 1671, par M. Gh. de Beaurepaire 288 Notes sur les confréries à Vire, par M Louis Gilbert 293 Eglise Notre-Dame de Vimoutiers, notice sur un ancien retable, par M. Pernelle 300 Note sur une découverte de monnaies françaises faite à Tour, près Bayeux, par M. G. Villers.. 303 Conférence faicte à Paris en 1659, touchant la généalogie de la Maison de Harcourt (texte communiqué par M. le comte de Blangy) 307 Bibliographie et Nouvelles diverses 314


Séance publique du 9 décembre 1897, présidence de Al. le comte de Contades, président de la Société historique de l'Orne 351 Discours de M. le comte de Contades 353 Rapport sur les travaux de l'année, par M. E. de Beaurepaire. 388 Affiche annonçant des indulgences en faveur des bienfaiteurs de l'Hôtel-Dieu de Paris dans le diocèse d'Avranches, en 1555, par M. Joseph Couraye du Parc 402 Une lecture de carême, par le comte de Marsy 416 Les sphinx de Pavilly, par M. P. de Longuemare 431 Une salle de l'ancien collège des Jésuites de Caen. par M l'abbé M.-J. Masselin 437 Extraits des procès-verbaux des séances 449 A propos d'Olivier Basselin et de l'édition des Vaux de Vire (1821), de I.ouis Dubois, par M. A. Gasté 460 Frais d'une entrée en campagne, par M. Gaston Le Hardy. 464 Incidents relatifs à l'application d'un règlement pour les prisonniers d'Etat au Mont-SaintMichel. (D'après un document conservé à la Collection Mancel). Communication de M. E. de Beaurepaire 474 Bibliographie et Nouvelles diverses 485 Caen. Iran- H Delksques, rue Froiae. 2 & 4


MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE NORMANDIE. 1" série 10 volumes in-8» avec atlas, épuisée.

2e série 10 volumes in-4» avec planches. Quelques exemplaires des t. X, XI, XII, XIV. XVI, XVII, XVIII, XIX et XX restent encore dans les dépôts de la Compagnie. Prix le volume, 20 fr.

3' série, 10 volumes in-4» (t. XXI à XXX). Prix le vol.,20fr. 4e série, 2 volumes t. XXXI (30 fr.) et XXXII (20 fr.), et une livraison.

BULLES DE LA SOCIÉTÉ

Le t. I, in-8- de 578 p., pour les années 1860 et 1861. Épuisé. Le t II, in-8" de 688 pages, pour les années 1862 et 1863. Prix 8 fr.

Le t. III, in-8° de 564 pages, pour les années 1864 et 186ÎJ. Prix 8 fr.

Le t. IV. in-8" de 656 pages, pour les années 1866 et 1867, Prix 8 fr.

Le t. V, in-8° de 444 pages, pour les années 1868 et 1869, Prix 8 fr.

Le t. VI, in-8° de 428 pages, pour les années 1870, 1871, 1872 et 1873. Prix 8 fr.

Le t. VII, in-8° de 507 pages pour les années 1874 et 1875. Prix 8 fr.

Le t. VII supplémentaire, in-8° de xmv-450 pages 1875, Prix 8 fr.

Le t. VIII, in-8° de 526 pages, pour les années 1876 et 1877. Prix 8 fr.

Le t. IX in-8" de 576 pages, pour les années 1878, 1879 et 1880. Prix 8 fr.

Le t. X. in-8° de 544 pages. Prix 8 fr.

Le t. XI, in-8° de xvi-634 pages, pour les années 1881 et 1882. Prix 8 fr.

Le t. XII, in-8° du 674 pages, 1884. Prix 8 fr.

Le t. XIII, in-S" de 533 pages 1885. Prix 8 fr.

Le t. Xh in-8° de 558 pages, pour les années 1886 et 1887. Prix 8 fr.

Le t. XV, in 8° de 611 pages, pour les années 1888, 1889, 1890 et 1891. Prix: 8 fr.

Le t. XVI, iu-8° de 528 p. pour l'année 1892. Prix: 8 fr. Le t. XVII, in-8° de 512 pages, pour les années 1893, 1894 et 1895. Prix S fr.

Le t. XIX (Klude sur la baronnie et l'abbaye d'Aunaysur-Odon. par M. G. Le Hardy), in-8° de 438 p. l'rix 8 fr. S'adresser à MM. les libraires HKNRI Uulhsques Lestrinoant et Champion, ou au Secrétaire de la Compagnie >ri