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Titre : Journal de la campagne d'Italie, 1859 / par le comte d'Hérisson

Auteur : Irisson d'Hérisson, Maurice d' (1839-1893). Auteur du texte

Éditeur : P. Ollendorff (Paris)

Date d'édition : 1889

Sujet : Italie -- 1859 (Guerre contre l'Autriche)

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34083049n

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : XII-312 p. ; in-18

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Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k107514h

Source : Bibliothèque nationale de France, département Fonds du service reproduction, 8-Lh4-1809

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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CAMPAGNE D'ITALIE

1859

LE COMTE D'HÉRISSON

PAUL OLLENDORFF, ÉDITEUR 28 &M, RUE DE RICHELIEU, 28 &M

DE LA

PAR

PARIS

1889

Tousdroitsréserrés.



CAMPAGNE D'ITALIE

JOURNAL

r'L\


/)~ A~rF~

HTODE SOR LA CHtNE COKTEMPORA!NR, ~8C4. L'ESPR!T CutNOtS ET L'EsmiT HUROPÉRN, i868.

LA RÉFORME DES HUMANITÉS, 18T2.

DESCRIPTION GÉNÉRALE DE L'ANCIEN BOURBONNAIS, 1875.

RELATION D'UNE MISSION ARCHÉOLOGIQUE EN TuNIS!E, i884.

L'EXPÉDITION DE CniNE, d'après la Correspondance confidentielle du général Cou.siN DE MoNTAUBAN, comte de Palikao. Ouvrage mis sous séquestre par « Raison d'État M, puis acquis par le Ministre de la Guerre, i883.

JOURNAL D'UN OFFICIER D'ORDONNANCE, 54'' édition, i vol. ~rand in-i8. 3 fr. 50 JOURNAL D'UN INTERPRÈTE EN CHINE, 28** édition, 1 vol. grand in-18 3 fr. 50 LE CABINET Noip. Louis XVI!. Napoléon. Marie-Louise. i9" édition, 1 vo!. grand m-~8. 3 fr. 50 LA LÉGENDE DE METZ, 20''édit., i vot.gr.in-18. 3 fr. 50 AUTOUR D uxE RÉvoLuiON, 10~ édition. 1 vol. grand m-<8. 3 fr. 50 ~OUVEAC JOURNAL D'UN OpFICIHR D'ORDONNANCE, i6'' édition, 1 vol. ~nmd in-18. :< f! :.0 En préparation

LE PRINCE IMPÉRIAL (~APOLÉON IV).

JOURNAL DE LA CAMPAGNE DE CR!MÉE.

LES CHASSES A L~HoMME (Gu~iTcs d'Afrique). Tons droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays. y compris la Suède et la Norwége.

S'adresser, pour traiter, a M. PAUL OLUMfDORFF, Éditeur, 28 bis, rue de Richelieu, Paris.


CAM~NE D'ITALIE

PAUL OLLENDORFF, EDITEUR 28 6<.?, RUE DK PICIIELIF'.U, 2S

JOURNAL

'–f Ï859

1.

PAR

LE COMTE D'HÉRISSON

PARIS

~889

Tous droits réservés.


n ft été f<?'~ de cet oMt'pv~c D:</< c-T~~p~~r'~ .<Mr ~< de ~fo/~7?~ MMW'0/{ « /'< ~)'<'S. (t <( ~0).


PRÉFACE

Me voici avec une 77< la C</?/ </7~/?<? sur les bras, devant !c grand public qui a fait à mes livres, parus ces dernières années, un accueil dont je lui suis profondément reconnaissant.

<~r,ce public n'a peut-être point oublie que. dans le <A~ 7~<? C~ je lui ai raconté. qu'engagé volontaire, pour la campagne d'îtalie.dans un re~imcntde hussards, j'étais reste pendant toute la durée de cette guerre, si rapide, au dép~t d'instructton a Tours et que j'avais pris, par conséquent, une part infiniment faible a l'abaissement de la « Maison d'Autriche en montant la ~arde dans une écurie.

Mes camarades, de la portion active du régiment, ne firent pas plus de mal que moi à l'adversaire du cardinal de Richelieu.

Ils ne virent pas l'ennemi, et tout leur rôle mili-


taire se borna à respirer l'air embaume de Florence, et à se promener par petites étapes, dans le « Jardin de l'Europe ou les femmes et leurs ncurs semblaient se disputer le plaisir de leur ouvrir leurs bras et leurs corolles.

Néanmoins, quand ils revinrent en France, la médaille d'Italie brillait sur leur dolman. En bonne justice j'aurais du la porter aussi: car, si ma mission n'avait pas été plus dangereuse que la leur, elle avait été plus insipide; et s'ils n'avaient combattu personne, j'avais eu a lutter contre un ennemi terrible, qu'ils n'avaient point connu l'ennui.

Je ne puis donc dire au lecteur, comme dans mes récits du siège, de l'expédition de Chine, et même de la Commune « Je vais vous raconter ce que j'ai vu )), carje n'ai pas vu la campagne d'Italie; mais un autre que moi l'a vue avec des yeux meilleurs que les miens. Et. non seulement il l'a vue, mais l'a photographiée, et il m'a transmis les clichés primitifs tirés par lui sur place, dont il n'a été donné, jusqu'ici, aucune épreuve.

Un officier faisant partie de la garde impériale. a écrit, au jour le jour, ses notes, ses impressions. C'est ce manuscrit, vivant et précieux, qui forme en quelque sorte le squelette du volume que j'apporte.

J'ai complété ce manuscrit par un procédé que


j'ai déjà appliqué, que j'ai emprunté, j'en fais l'aveu, au journalisme contemporain, qui a. à notre époque, toutes les faveurs du public et qui, je le crois, les mérite.

Ce procédé consiste a transformer l'auteur en juge d'instruction, établissant une enquête sur les faits historiques, comme on établit une enquête sur une cause judiciaire, évoquant les acteurs d'un drame, militaire ou politique, et recucillant leur témoignage, comme on évoque devant un tribunal les acteurs et les témoins d'un drame ordinaire. Je suis donc allé trouver la plupart des personnages encore vivants, qui ont pris une part prépondérante et active à la campagne d'Italie, dans ses préliminaires, dans sa marche et dans ses conclusions.

Je les ai interrogés, comme un magistrat; j'ai écrit leurs dépositions, comme un grcfiicr! De ces interrogatoires ou de ces ~c~'c~ comme on dit maintenant, j'ai recueilli des documents extraordinairement intéressants.

Cette besogne faite; ces matériaux rassemblés, il me restait à m'occuper de la forme qui pouvait être la plus agréable pour le lecteur.

J'ai pensé que.pour lui éviter les ennuis et les répétitions, ce que j'avais de mieux a faire, c'était de compléter, avec tous ces témoignages, le manuscrit primitif démon camarade. C'est ce que j'ai fait.


Il résulte de ce travail d'adaptation, un récit. dont tous les détails n'ont pas été vus par les mêmes yeux, mais dont tous les détails ont été vus sur place, par des yeux différents; dont chaque phrase pourrait être contrcsigné<' par des officiers, des généraux, des diplomates ou des princes. Si on me permet cette comparaison, je dirai que ce livre est une ruche, dont les abeilles auraient été remplacées par des hommes, apportant chacun sa déposition, comme l'insecte apporte son miel. Je n'ai fourni que la forme extérieure de l'enveloppe, les parois de la ruche.

La campagne d'Italie a été très populaire en France. Ce pays-ci s enflamme plus facilement pour les idées que pour les intérêts et pour les mots que pour les choses.

Napoléon III ne pouvait pas lui dire, qu'en jetant 300000 de ses enfants par-dessus les Atpes, il allait simplement acquitter un biHeta ordre souscrit par lui, dans sa jeunesse, au profit des carbonari et se mettre à l'abri des bombes et des poignards qui leur servaient à rappeler sa dette à un débiteur intimement disposé peut-être a laisser protester sa signature.

Les Français auraient réfléchi Il leur parla de liberté, d'indépendance, et ils ne réfléchirent plus. Lorsque ce souverain se rendit a la gare de Lyon, pour prendre le train qui devait l'emmener


en Italie, les ouvriers dételèrent sa voiture et la trainerent eux-mêmes: les évoques appelèrent sur l'Empereur les bénédictions du ciel, et nrent allusion, dans leurs mandements, aux « lauriers moissonnés sur ce sol classique », par le fondateur de la dynastie.

Quand l'Empereur et l'armée revinrent, victorieux, Paris lit a FKmpereur et a l'armée un plancher el un toil de ueurs.

Parts ne se doutait pas que ces triomphateurs n'étaient, hélas! J que l'avant-garde des troupes allemandes qui devaient l'investir. Les évoques ne se doutaient pas que la chute du pouvoir temporel du Pape allait être la conséquence nécessaire de nos victoires et des conquêtes du Piémont. La France ne se doutait pas qu'cHe venait de se créer une rivale, et qu'a côte de ce berceau ncuri, ou vagissait un ennemi naissant, aller se forger un berceau de fer surmonté de la couronne impériale de Charicmagnc.

La France ue se doutait pas que de l'Italie uninée allait sortir l'Allemagne unie, qu en traversant l'Adiré, elle perdait le Rhin, et qu'un jour viendrait où elle se débattrait dans l'étreinte combinée de l'Italie, et de 1 Allemagne créée par elle-même. C'est ce qui est arrivé pourtant, c'est ce que nous touchons, fortes' nous n'avons plus ni !c pouvoir, ni même la volonté de retourner en arrière. Per-


sonne en France ne songe à défaire l'Italie, et cela pour un tas de raisons, et il faut toute la mauvaise foi des hommes d'Etat de la Péninsule pour nous représenter comme des adversaires de la nation que nous avons enfantée dans la douleur et dans la victoire.

Mais si c'était à refaire, si on nous rajeunissait de trente ans!

Laissons ces rêves impossibles. L'expédition d'Italie a été une campagne de soldats encore plus que de généraux. Elle a mis en lumière les qualités guerrières de notre race et l'admirablc tempérament individuel du troupier français. Cela suffit pour qu'il y ait plaisir à la raconter. Ni les victoires, ni les défaites ne sont éternelles ici-bas, et c'est une œuvre utile et juste que de rappeler aux vaincus d'hier qu'ils ont été les victorieux d'avant-hier, et que, par conséquent, la gloire qui leur a été infidèle peut un jour, la grande capricieuse qu'elle est, leur rendre ses faveurs, lorsqu'ils les auront reconquises par la discipline, le travail et le patriotisme.

COMTE D'HËtUSSOX.


JOURNAL

CAMPAGNE D'ITALIE

1859

CHAPITRE PREMIER

L'attentat Or~ini. Suit'~de l'attentat.–L'Hmpfrom' a-t-t! eu peur' l'n'' lettre du t'aron de Hee'korcn. l'n act'' d'at'tthation. Carbonari et Frauc'–Ma''on<. I.'Entj'irf romain. Ae J~!<<~ < F/c~c' L'' secret de 1 Empercut'. Ce que pea-ait M. T!tou\'en''t. A~pcl au peuple itaUcn. L:t rec"nnaissance d'* 1 Italie.

On lit dans le .VoH~ 0/< du H janvier ÏS~8 « Ce soir, à huit heures et demie, au moment o't

LL. M~. l'Empereur et l'Impératrice arrivaient à l'Opéra, trois détonations, provenant d<' projectile"! crpux, se sont fait entendre.

« Un nombre considérable de personnes qui stationnaient devant le théâtre, des soldats de l'escorte et de la garde de Paris ont été blessés, deux mortellement. '< ~i l'Empereur ni l'Impératrice n'ont été at!eints. Le chapeau de l'Empereur a été percé par un projec-


ii): et te généra! !!oguet. aide de camp de Sa Majesté, qui s'' trouvait sur le devant de !a voiture, a été iégercment b!essr a la nuque.

<' Deux valets de pied ont été blessrs.

« Un rheva! de la voiture de Sa Majesté a été tué et la voiture brisre par tes projectiles.

<' L'empereur et l'tmpératrice ont '~t~ accueilUs, h'ur rn)!<~e dans la saHc d'~ !'0pura. par le plus vif f'))t!tousias!n<\ La reprcs''ntation n'a pas été intcrr"mpu<

Hn apprenant''et ~venem~nt, LL.A. II. le prmcc Jérôme Napoléon et te prince ~apo~éon, S. A. I. la princesse Mathitdc, LL. A. tes princes A!urat, les ministres, piusicurs maréchaux. le maréchat commandattt l'armée de Paris, plusieurs grands fonctionnaires. des membres du corps diplomatique, les préfets d~ ta Seine et de polic<\ le procureur général près la cour de Paris, le pro'-ureur imp'Tia!. se sont rendus auprès de Leurs Majestés. L'instructionacte commencée immédiatement.

Leurs Majestés ont quitté l'Opéra a minuit. Les boulevards avaient 't' spontanément illuminés, et une foute considérable a fait entendre, sur le passage de l'Empereur et de l'Impératrice, les acclamations les plus enthousiastes et tes plus touchantes.

« A leur arrivée aux Tuileries, L'ours Majestés y ont trouvé un grand nombre de p'-rsonnes. parmi lesqueUcs se trouvaient l'ambassadeur d'Angleterre, le président du Sénat, des membres du corps diplomatique et plusieurs sénateurs.


S. A. H. le duc de Saxc-Cobourg-G.'tha assistait alla représentation, dans la loge de Leurs Majestés Impériales.

Le .U" du la janvier ajoutait

« L'Hmpereur e) l'Impératrice sont s"rtis aujourd'hui en voiture découverte: et ont parcouru sans escorte les boulevards, où Us ont reçu les accueils tes plus enthousiastes. De !a. ils sont aUes à l'hôpital du GrosCaiUou, visiter les blessés qui faisaient partie de l'escorte d'hier au soir.

« L'attentat dont tout Paris frémit encore, et qui soulèvera l'indignation du monde entier, semble être le résultat d'un vaste complot trame a l'étranger. En effet, le gouvernement recevait de Jersey. d's le mois de juin dernier, les renseignements suivants ;< Le comp!"t consiste dans la fabrication de grenades fulminantes. HHes sont d'une puissance inconnue jusqu'à prient, et sont destinées n être jetées sous ta voiture de Sa Majesté Impériale, ou !eursimple choc contre le pave déterminera leur explosion et la destruction de la voiture.

t)'un autre côte. un nouveau manifeste de Maxxini paraissait le ''janvier 18~S, dans le journat de Gènes, </<?/

Hntin des rapports récemment parvenus de Londres a l'administration française purtaient ce qui suit « Un nomme Pierri. uriginaire de Florence, ancien chef dans !a Icgi<'n italienne, vient (te quitter l'Angleterre dans le but de mettre a exécution un complot


trame contre la vie de l'Empereur. Cet Italien est un homme de quarante a quarante-cinq ans, petit, maigre, brun, au teint maladif, parlant assez mat le français et avec un accent italien très prononce il parle très bien l'anglais. C'est un individu violent, mâchant, très détermina, et qui a fui son pays a la suite de meurtres, en !rc autres celui d'un prêtre. Avant de quitter l'Angtet''rre, Pierri a eu plusieurs entretiens avec les réfugies français a Londres. »

« Un rapport mentionne que Pierri a passe par Bruxelles, où il a vu plusieurs réfugies.

« H s'est dirige sur Paris en passant par Lille, accompagne d'un homme âgé qu'il a pris a Bruxelles, et portant avec lui une machine en fonte creuse, faite d'après le système Jacquin. On remarque <lu reste que cet individu voyage dans les voitures de f" classe, descend dans les meilleurs hôtels et parait avoir de l'argent.

« Ce même Pierri, dont le signalement était entre les mains des agents de l'autorité, a été arrête hier soir, près de l'Opéra, quelques minutes avant l'attentat. Il était porteur d'une grenade fulminante, d'un pistoletrevolver et d'un poignard. Malheureusement ses complices étaient déjà à Fœuvrc.et il n'a pas été possible de preveni''Icur coupable dessein.

« Le ministre de l'instruction publique et des cultes a adresse la dépêche télégraphique suivante à ~X. SS. les archevêques et évoques

« La Providence vient de préserver les jours de l'Em-


pereur et fie l'Impératrice menaces par un abominable attentat. Pour remercier Dieu de sa protection si éclatante, Sa Majesté désire qu'un 7p ~c~~< solennel soit chanta dimanche prochain dans toutes les (alises de France. Veuillez, Monseigneur, vous concerter, à cet efïet. avec le préfet de votre département. » «Immédiatement après l'attentat d'hier au suir.LL. MM. l'Empereur et l'Impératrice ont charge plusieurs officiers d'ordonnance d'aller recueillir des rcnseignsments sur les victimes, et ont donne l'ordre de leur porter tous les secours que réclamait leur ~tat. « Le nombre des victimes est malheureusement considérable. Dans les lanciers de la ~ardc impériale, douze hommes ont <~e atteints, dont sept, parmi lesquels se trouvent un maréchal des logis et un brigadier, ont reçu des blessures graves. Les cinq autres sont blesses légèrement.

« Onze militaires de la garde de Paris ont aussi été frappes, dont deux maréchaux des logis. Un des gardes est blessé mortellement. Cinq ont des blessures graves: les six autres ont des blessures légères. « Trois des valets de pied qui étaient derrière la voiture de l'Empereur ont été atteints de plusieurs projectiles. Leur état, quoique grave, n'inspire pas d'inquiétudes. Le cocher de la voiture de l'Empereur est également blessé. U a montré beaucoup de présence d'esprit. Dans le civil, le nombre des blessés connus s'élève a cinquante, dont plusieurs le sont grièvement. Un des blessés est mort en arrivant à l'hôpital de La-


riboisierc. Une petite fille de douze ans a eu le genou ouvert par un projectile.

« Le personne! de la préfecture de police ne compte pas moins de vingt-neuf blessas, parmi lesquels un commissaire de police, un inspecteur divisionnaire~ et douze ou quinze agents ont des blessures graves. « Les deux chevaux de la voiture de l'Empereur ont été tués, l'un sur le coup, l'autre a dû rtrc abattu. Vingt chevaux de lanciers ont été atteints. Deux sont restas sur la place, cinq sont mortellement blessés. « En outre des secours donnés aux agents de la force publique blessés dans la soirée du ii, l'Empereur a fait distribuer par le docteur Corvisart, un de ses médecins, une somme de 10000 francs aux victimes de l'attentat.

17 j.\xvt):n. Tous les généraux et officiers supérieurs de terre et de mer, présents à Paris, se sont t rendus spontanément, aujourd'hui, aux Tuileries. « An moment où Leurs Majestés sortaient de la chapelle, d'unanimes cris de « Vive l'Empereur! vive « l'Impératrice! ? les ont accueillies.

« L'Empereur et l'Impératrice s'étant places a l'une des extrémités du salon, tous les officiers ont passé successivement devant Leurs Majestés. L'Empereur et l'Impératrice se sont plus particulièrement entretenus avec les colonels des lanciers de la garde impériale et de la garde de Paris, s'informant de nouveau auprès de ces chefs de corps de l'état des soldats blessés le H. »


L'acte d'accusation lu à l'audience du 2') février à la cour d'assises de la Seine ajoutait les détails suivants

« Le cortège arriva vers huit heures et demie. La première voiture, occupée par (les cfticiers de la Maison de l'Empereur, avait déjà dépasse le péristyle du théâtre. Elle était suivie d'une escorte de lanciers de la garde impériale, précédant la voiture où se trouvaient Leurs Majestés, et avec Elles M. le général Roguct. Parvenue à la hauteur de l'entrée principale, la voiture impériale ralentissait le pas pour s'engager dans le passage réserva à l'extrémité du péristyle. A ce moment, trois explosions successives, comparables à des coups de canon, éclatèrent il quelques secondes d'intervalle la première en avant de la voiture impériale et au dernier rang de l'escorte des lanciers la seconde, plus près de la voiture et un peu gauche la troisième sous la voiture même de Leurs.Majestés.

« Au milieu de la confusion générale, le mouvement unanime de ceux qui n'avaient pas <~té trop cruellement atteints fut de constater par leurs acclamations que l'Empereur et l'impératrice avaient été préservés. Le ciel, en effet, les avait couverts de sa protection la plus visible, car le danger auquel ils venaient d'échapper se révélait autour d'eux par d'effroyables preuves.

« Dés la première explosion, les nombreux br*cs de gaz illuminant la façade du théâtre avaient été éteints par le seul effet de la commotion. Les vitres du péri-


style et celles des maisons voisines avaient toutes volé <'n éclats. La vaste marquise qui protège rentrée était perforée en plusieurs endroits, malgré son extrême solidité. KnHn, sur les murs, sur le pavé mciue de la rue Lcpcicticr. on remarquait des traces profondes laissées par des projectiles de toutes formes et de toutes grosseurs.

«Lavuiture impériale était littéralement criblée; elle a été atteiute dans ses diverses parties par 7t: projectiles, et des deux chevaux composant l'attelage. l'un, atteint de blessures, était mort sur le coup; l'autre, grièvement blessé. a du 'trc abattu. Plusieurs éclats avaient poutre dans l'intérieur de la voiture, et M. le général Roquet, assis sur la banquette de devant, avait reçu à la partie supérieure et latérale droite du cou, au-dessous de l'oreille, une contusion très violente, qui a déterminé un énorme épanchcment de sang. -s'étendant jusqu'à la clavicule, et accompagnée d'un gonflement considérable.

« L'Empereur et l'Impératrice ne sont descendus de voiture qu'après la dcrnicre explosion. Ils n'avaient cessé d'être calmes, et se montraient surtout préoccupés des secours a donner aux victimes. Sur le sol jonché de débris et inondé de sang, gisaient, en cSet, de nombreux blessés, dont plusieurs étaient mortellement frappés.

« Les constatations judiciaires, certainement encore inférieures a la vérité, ont établi que !5(< personnes avaient été atteintes; et le nombre des blessures également constatées par l'expertise médicale ne s'élève


pas à moins de 5! Dans cette longue liste de victimes on remarque 21 femmes, H enfants, 13 lanciers, 11 gardes de Paris et 31 agents ou préposés de la préfecture de police, »

Nous avons laissé la parole à l'organe officiel du gouvernement de cette époque, nous nous contenterons d'y joindre quelques brèves réflexions sur l'effet qu'aval! produit cet attentat dans le reste du pays. Un bruit se répandit partout avec la rapidité d'une trainéc de poudre IL A Eu PEUR' Tous les ennemis de la dynastie napoléonienne, durement muselés depuis le 2 décembre, le répétaient mystérieusement comme un mot d'ordre.

Pour bien comprendre la portée de ces quatre mots, il faut se rappeler que l'Empereur s'était conquis une réputation de bravoure à toute épreuve, lorsque, après le coup d'État, il allait seul, à cheval, se promener sans armes et sans escorte au milieu des ouvriers du faubourg Saint-Antoine, dont il connaissait les sentiments peu bienveillants. Cette cranerie ne désarmait pas leurs rancunes, mais elle leur imposait, comme celle de Sylla se démettant du pouvoir après avoir décimé tout le parti de Marius.

C'était une force et une force sérieuse, dont ses ennemis avaient grand intérêt à le dépouiller mettre son courage en doute, rien ne pouvait l'amoindrir davantage aux yeux de la nation.

L'Empereur avait-il eu peur? Qui le saura jamais? Rien n'est journalier comme le courage. Pour s'en as-


surer on n'a qu'a voir comment se comporte le plus souvent, dans une tempête, un vieux loup (!e terre qui n'a pas le pied marin.

Si l'Empereur a eu peur, il y avait bien de quoi, et que celui qui n'a jamais tremblé lui jette la première pierre..Mais il y a une dincrencc entre avoir peur et le laisser voir. On s'en amusa à celte époque, le duc de Saxe-Cobour~-G'tha l'a même répète dans ses mémoires.

Voici ce qu'a répondu à cet c~ard le baron de Heeckercn, dans le supplément du

<'c tt novembre !8S8, Pnns.

Mo~-tErn LK HHPACTEL'n,

Je me permets de vous soumettre une re'-LincaMon qui peut avoir une certain'' valeur, relativement au passade <tes Mémoires <)u duc '!e S;)XC-(.:obour:x-Gotha, que vous avez in~crc 'iansvot.tc ~tq'enx'ut du «' oovcnit'rc.

Cet extrait, sur F'f~ ~'Or~<~( est. un vrai )'«'j/~< Moi au<st,j'ai cb~ témoin ocuiairc de < tragique événement. Je me {'crmeLtrai donc d'opposer mes souvenirs, qui sont cnco)' <'<*s vivant, à ceux (Ju duc.

Je puis ~MPr qu'; l'Empereur et rhnp~rattu'e ont c<c a< ;)' /s .)< de t'Opéra des que ces derniers ont. eu t'onnaissance de t'attentât..

J'ai pu tacitement. pcneLrpr dans la loge de J'Empereur un des premiers après l'événement. Je l'ai trouvé <'a)me. Après m'avoir 'tonne la main, il m'a dit textoc~ement «J'yaie<'happemn'a''u)cusemcnt. Mais ieroi t.ouis-Phitippe a été I'oLj''t de dix tentatives, ~c n'eu suis qu'a ~M«~t~e;jai donc encore de la marge devant moi. » Ce ~e n'était certainement pas celui d'un homme


<< n! !teh<t< .<t;?!/p')<< ''f (/M 'M <M'C~<<, cotnxtc !e due, qui avait été reçu aux Tuileries avec une ~tâtxtc courtoisie, l'affirme dans ses Mémoires. YenHtex agréer. monsieur le rédacteur, l'assur.mcc < ma considération distingue'

!t"X )'H HKKCK!:)!HX,

Ancien ~tat'-ut'de IKn~'irc.

Aucun des trmuins que nous avons pu consulter n'a romarqn' ces gestes incoh'Tcnts. L'Empereur ''tait calme. l'hnp'ratncc fut superbe.

Ct'pendant il est pyrsumer que plus tard ce fut l'Impératrice qui dut avoir peur et inilucr sur l''s détcrmination-s de !'Empcrcur.

En ''fTet~ personne n'ignore qu'il avait pris vis-a-vis des sectes italiennes des engagements qu'il ne demandait qu'a et qu'il n'eût peut-être pas tenus s'il 1 n'avait été père de famille, car ils Etaient en contradiction avec ses devoirs les plus 'lemcntaircs envers le pays qui lui avait place une couronne sur la tête. Dans cette circonstance comme dans une autre qui n'en fut d'aiMeurs que la conséquence directe, il fit passer ses intérêts dynastiques avant ceux de la France.

Napoléon III ~tait carbonaro, c'est un fait parfaitement établi depuis longtemps, M~ de Ségur a dit a. M" de Pitray. sa sœur, avoir vu l'acte d'affiliation de l'Empereur, l'avoir tenu dans ses mains.

Je laisse parler M" de Pitray

3/< ~'</< 6<7~~<, )';H' ].t Yic"UitC~e Dg St~ARI' DU: rtTHAT,

née :SÉf.CK. Caume et C'


« Un drame, peut-être plus épouvantable encore, est arrive a Paris. L'ecclésiastique qui y joua le rôle de confesseur lu raconté /c a mon frère, lequel me l'a redit en m'en nommant le narrateur. Ce prêtre voulut lui fournir une preuve nouvelle montrant combien la lutte avec la franc-maconneric est nécessaire, cette association ne procédant que par le meurtre secret, et commettant dans l'ombre et le sitence ses monstrueux attentats

« Une après-midi, Il la nuit tombante, l'ecclésiastique dont il s'agit vit entrer dans son modeste logis un inconnu qui, dans des termes convenables~ le pria de raccompagner afin d'aller administrer les derniers sacrements a un homme qui allait mourir. Le prêtre le suivait sans défiance lorsque, arrive dans la cour, le visiteur l'arrêta en lui disant ces étranges paroles « –Ycus ne pouvez venir qu'à une condition c'est d'avoir les yeux bandés sans cela, l'homme dont je vous ai parlé mourra sans sacrements. »

« L'ecclésiastique, d'abord interdit, comprit vite quel était son devoir. Il accepta courageusement l'obligation qui lui était imposée, et put voir, tandis que l'inconnu préparait près de la porte cochère le foulard destiné a être pose sur ses yeux, une voiture de place attendant, la portière ouverte, et dans l'intérieur deux hommes assis sur la banquette de devant.

« Ils montèrent et le fiacre partit. Où alla-t-il? fit-il des détours dans le dessein de sembler faire un long trajet, ou alla-t-on réellement à un endroit éloigné? Le prêtre l'ignore: toujours est-il que la voiture roula


longtemps. On s'arrêta enfin, et l'on fit descendre l'ecclésiastique. les yeux toujours bandes.

« On entra alors dans une maison: mais au lieu de monter, on descendit longtemps. longtemps. 1/inconnu. s'arrêtant tout à coup. enleva le foulard qui était po~-é sur les yeux du prêtre, et celui-ci se vit dans un cachot au coin duquel un malheureux était enchaîna.– Cet homme, dit alors l'inconnu, a trahi les secrets de la franc-maçonnerie, il va être mure vivant ici mais comme il nous avait rendu des services, nous lui avons accordé, comme grâce dernicre. la permission de recevoir les derniers sacrements donnezles-lui.

« Rest'~ seul avec son pénitent.le pauvre prêtre terrifié, désolé, prodigua les secours de la religion à la victime infortunée de ces monstres à face humaine puis, lorsque les bourreaux revinrent, il se jeta :(. leurs pieds, demandant grâce et piti'\ offrant sa vie pour sauver celle du malheureux captif; larmes, prières. tout fut inutile, on n'émeut ni le bronze ni le diable; le prêtre eut la douleur de voir entrer, avant son départ, des misérables armées de truelles et de tout ce qui était nécessaire pour murer vivant celui qui, devenu traître à leurs yeux, était le martyr d'une indicible et implacable cruauté. L'ecclésiastique. les yeux bandés de nouveau, fut reconduit au logis qu'il habitait par l'inconnu~ qui lui défendit, avec les menaces les plus terribles, de rien révéler de ce qui venait de se passer.

« Mais le courageux ecclésiastique n'hésita pas à


courir chez le commissaire de police, lui racontant ce qui venait de lui arriver, et le suppliant de rechercher la victime! Le magistrat fut aussi embarrasse qu'ému parce récit. Ou chercher? Dans quel quartier? Aucun indice, hélas! ne pouvait faciliter sa tâche. Le crime resta donc secret et impuni. ici-bas! Combien d'autres horreurs ne doit-il pas faire supposer! C'était sous Napoléon III que se passa cette ténébreuse araire. Hélas! l'Empereur lui-même était de cette société secrète mon frère en a eu la triste preuve, et tint entre ses mains l'acte d'affiliation du souverain, alors simple prétendant, et dont le parrain était le père d'Orsini. « Quelle lumière ne jette pas sur ce règne la découverte d'un pareil document! On comprend alors la reculade politique de Napoléon III, la guerre d'Italie, Castclfidardo et l'abandon de Rome en !870. » Mais qu'est-ce qu'un <w~o, et en quoi diffèret-il d'un franc-maçon ?

C'est une question dont la réponse ne rentre pas dans le plan de ce livre, et nous ne pouvons que renvoyer les curieux au petit précis de M~ de Ségur sur la franc-maçonnerie, qu'on peut résumer de la sorte « La franc-maçonnerie est une armée dont la charbonnerie est l'etat-major. «

L'empereur Napoléon III a accordé a la franc-maconneric une situation quasi-ofucieUe qu'elle ne possède dans aucun autre Ktat de 1 Europe. Les listes des membres de ses Loges sont déposées dans toutes les préfectures, tout le monde peut les consulter.


Ses manuels courent aujourd'hui les rues, tout le monde connaît son rituel biscornu qui lutte de bizarrerie avec celui des religions les plus antiques, et nous nous sommes toujours demandé comment deux francsmaçons pouvaient se regarder sans rire, lorsqu'ils se livrent a la p!us compliquée des chorégraphies. Dans la charbonnerie, c'est autre chose, l'as de situation quasi officielle, pas de liste quasi publique pas de rituel, pas de chorégraphie, pas de ferblanterie, pas de mercerie. Rien qu'un serment dont la violation est toujours punie de mort. La charbonnerie est une force intime et occulte qui a existé dans tous les temps, dans tous les lieux, et ne sera pas supptimrc de sitôt. Dans l'ancienne société, il existait une foule de charbonniers de naissance, tous ceux qui. en vertu de leur rang héréditaire, étaient initias de droit aux secrets de l'État; aujourd'hui, cette classe n'existe plus en France, mais la force occulte des sociétés secrètes est impossible a supprimer, parce qu'on ne peut en saisir que les manifestations, sans pouvoir mettre la main sur ceux qui les dirigent dans l'ombre. De temps en temps, on apprend quelque exécution mystérieuse sur laquelle la police ferme les yeux, parce que t"utcs les précautions ont été prises pour dérout'T 1'~ public. M est si commode d'invoquer le suicide' C'est toujours le châtiment d'un serment violé.

Nous avons dit que la charbonnerie était un étatmajor sans troupes cependant, au commencement de ce siècle, elle avait recruté une armée a l'aide des grades inférieurs qui l'avaient rapprochée de l'organi-


sation maçonnique. Cette armée a été licenciée lorsqu'elle a été jugée inutile, et il n'est, pas probable qu'elle soit reconstituée, car la plupart des charbonniers étant aussi francs-maçons, ont leurs entrées dans les loges, ou ils peuvent recruter des soldats tant qu'ils en voûtent, en faisant miroiter a leurs yeux certains hochets qui ne manquent jamais leur effet sur les simples d'esprit. Ainsi s'explique comment la charbonncric est tout coup rentrée dans l'ombre, tandis que la ferblanterie maçonnique continue à resplendir du plus vif éclat, dans les deux hémisphères. On ne connait plus en France que deux <oy~ le prince Jérôme Napoléon et JI. Barthélémy SaintHilairc, l'apologiste de Louvel.

Le plus célèbre des carbonari modernes a été Maxxini, qui peut être considéré comme le type de l'ordre, avec ses allures cléricales Garibaldi représentait, au contraire, les allures guerrières delà francmaçonnerie. Ces deux hommes se haïssaient et se meprisaient; cependant, Garibaldi a toujours obéi à Maxzini.

Il c~t évident que les M~oy!~ forment, comme les maçons, une gigantesque société de correspondance universelle, mais complètement secrète.

Toutes les fois qu'ils se laissent entrevoir, c'est toujours dans des questions internationales, qu'ils subordonnent à un plan général et de longue haleine. Ont-ils un patriotisme local? Peut-être, car c'est à eux que l'on doit l'intervention de ce principe des nationalités dont ils se sont servis pour battre en brèche


l'organisation laissée à l'Europe par Cba ricmagnc partout ils poursuivent avec la même ardeur et. la mrmc persévérance. la sécularisation des biens des ordres du cierge. et leur asservissement à l'Ktat.

On ne saurait douter que l'unification de l'Italie et de l'Allemagne ne soit leur œuvre directe. Mais quel est leur but Unal?

Nous avons donne dans le C~w/ ~o/unc pièce qui tut soumise a l'approbation de Georges III, roi d'Angleterre, et qui était tout simplement un projet de rétablissement de l'empire romain dans les conditions suivantes

L'Italie limitée par les Alpes et les trois mers. avec Rome pour capitale et résidence d'un empereur. Ses armoiries seront celles des anciens Romains. Cet empereur sera choisi dans les familles qui régnent sur la Sardaigne, Naples, ou l'Angleterre. La Corse, la Sardai~ne, la Sicile, et toutes les îles de la mer Adriatique feront partie intégrante de l'empire romain. H sera formé un royaume d'Mlyric qui sera donné à la maison régnante de Sicile. Le Tyrol allemand sera code :) la Suisse, en échange des bailliages italiens de la Valteline.

Le roi d'Angleterre faillit signer ce projet, qui dut l'être plus tard par l'Empereur Napoléon III, alors prétendant. car ce fut certainement celui dont Orsini vint réclamer l'exécution et qu'ont poursuivi tous les hommes d'Etat qui se sont succède en Italie, depuis Cavour, avec une persévérance indéniable. Il s'y joint aujourd'hui des revendications sur le


littoral de l'Afrique qui achèvent de le mettre en contradiction avec tous les intérêts matériels et moraux de la France. Napoléon HI ne l'ignorait point et n'eut pas le courage de s'avouer que, dans dépareilles conditions, il ne lui restait plus qu'un parti raisonnable et honorable, renoncer à un tr'me dont la chute était aussi inévitable que la sienne.

M. Keller s'honora par son courage non moins que par son éloquence, en signalant au Corps législatif, dans la séance du U mars tSttt. la guerre d'Italie comme l'exécution du testament d'Orsini, et l'on sait avec quel acharnement le gouvernement chercha depuis lors à empêcher sa réélection, Mais la lumière de l'histoire s'est faite complètement, et. en 1874, le yo~M~ /'7«/v~cc a publié sur ces événements un récit détaille dont les principaux traits ont cte connus à l'époque, mais qu'il importe de placer ici dans son entier

« Le soir de l'attentat (H janvier ÏS58) l'Hmpereur montra, en présence du péri!, un sang-froid admirable. Comme lors des conspirations de l'Hippodrome et de l'Opéra-Comique en t8~3, de Pianori en ISo~, il méprisa d'abord l'implacable persécution de la secte italienne dont il était membre, mais qu'il avait résolu de renier pour se vouer à la prospérité de la France et a l'établissement solide de sa dynastie. « Mais vint bientôt la rénexion, et, avec la réflexion, cette frayeur rétrospective qui s'empare des âmes les 1. ApS .C~/M ~(~(' < lfi ~c' "M /</t< 'Vc ~< 'c/<par X. Di:sc!Mrs.Ou<!iQ frères, 880, t. If, p. 342.


mieux trempées et fait. leur supplice. Le prince impérial n'était qu'un petit enfant: que deviendrait l'Empire et que deviendrait ce prince héritier, si la secte qui avait juré la mort de Napoléon parvenait a réaliser son exécrable dessein?

« L'Empereur, en proie a des perplexités terribles, se souvint d'un conseil que lui avait donné sa mcre, la reine Hortcnse

« Si vous vous trouvez jamais dans un ~rand péri!, si vous avez jamais besoin d'un conseil extrême, adressez-vous en toute confiance à l'avocat X. il vous tirera du péril et vous conduira sûrement.

« Cet avocat, que je ne veux point nommer ici, était un exile romain que Napoléon lui-même avait connu dans les Romagnes pendant le mouvcm''nt insurrectionnel de l'Italie contre le Saint-Siège. Il vivait près de Paris dans un état qui n'était ni la fortune ni la médiocrité, cet état de mystérieuse aisance que la Maçonnerie assure à ses capitaines.

« Napoléon chargea M. d'aller le trouver et de l'inviter a. ventraux Tuileries.

« II y consentit, et rendez-vous fut pris pour le lendemain matin.

« (Juand il entra dans le cabinet de l'Empereur, celui-ci se leva. lui prit les mains et s'écria « (~n veut donc me tuer? qu'ai-je fait?

« Vous avez oublie que vous êtes Italien, et que des serments vus lient au service de la grandeur et de l'indépendance de notre pays.

« Napoléon objecta que son amour de l'Italie était


reste inaltérable dans son cœur, mais que, Empereur des Français, il se devait aussi et avant tout à la grandeur de la France. Et l'avocat. répondit que l'on n'empêchait nullement l'Empereur de s'occuper des affaires de la France, mais qu'il pouvait et devait travailler aux affaires de l'Italie, et unir la cause des deux pays en leur donnant une égale liberté et un même avenir. Faute de quoi, on était parfaitement décida a employer tous les moyens pour supprimer tous les obstacles, pour délivrer la péninsule du joug de l'Autriche et pour fonder l'unité italienne. « Que faut-il que je fasse? Que me veut-on? demandait Napoluon.

« L'avocat promit de consulter ses amis et de donner dans peu dp jours une décision.

« Cette décision ne se fit pas longtemps attendre. « La secte demandait à Napoléon trois choses « La grâce de Pierre Orsini.

« La proclamation de l'indépendance de l'Italie. « 3" La participation de la France a une guerre de l'Italie contre l'Autriche.

« On accordait un délai de quinze mois a Napoléon pour préparer les événements, et il pouvait, durant ces quinze mois, jouir d'une sécurité absolue. Les attentats ne se renouvelleraient pas, et les patriotes italiens attendraient l'effet des promesses impériales. « Ici, reprend le </oM~?a/ de F~~c<?, le mémoire accumule les documents connus qui marquèrent le revirement si brusque de la politique impériale et relièrent cette politique à la lettre à Edgar Ney.


« Le fait est que l'Empereur multiplia ses efforts pour réaliser la première demande de la secte. Il fit implorer la grâce d'Orsini par l'Impératrice, consulter ses ministres, h' corps diplomatique étranger. et ne trouva de résistance que dans un seul personnage; mais ce personnage, le plus porté à la clémence par état, ne crut pas que l'Empereur fût maître d'enchaîner le bras de la justice.

« Le cardinal Morlot lui dit

« Sire, Votre Majesté peut beaucoup en France, sans doute, mais elle ne peut pas cela. Par une miséricorde admirable de la Providence, votre vie a été épargnée dans cet affreux attentat; mais autour de vous le sang français a coulé, et ce sang veut une expiation. Sans cela toute idée de justice serait perdue, ct< ~MO/'«W /«~aW~MM.

« Napoléon avait compris. Il ne lui restait qu'une chose à faire, il la fit. Il alla trouver Crsini. « Quel fut l'entretien des deux adeptes de la vente de Cescnc? On ne le saura peut-être jamais. Ce que l'on sait pourtant, c'est que dans cet entretien Napoléon confirma les engagements pris en Italie dans sa jeunesse, renouvelés a l'avocat X. et qu'il jura, dans les bras de celui qu'il ne pouvait sauver. de se faire son exécuteur testamentaire.

« L'expression n'est que juste. Napoléon a été l'exécuteur testamentaire d'Orsini. Il fut convenu que celui-ci écrirait une lettre que l'Empereur rendrait publique, et dans laquelle le programme de l'unité italienne serait déclaré.


« On vit alors un des plus grands scandales de notre temps la lecture devant des ju.~esdc cette lettre-testament, et sa publication dans le .<w. « Le mémoire donne la lettre où ne ligure pas le passade du Pape, passage qui a été pourtant connu depuis !S7U.

<. J/v~' de l'idée italienne, Crsini monta sur l'ecbafaud avec la certitude que l'Italie serait une, que le Pape serait découronné, et il cria en présence de la mort

« r/ /a//c/ r/~ A/ »

Il est donc impossible de comprendre la politique de Napoléon m sans tenir compt'' des deux causes principales qui la lui imposèrent s'm ambition et ses engagements avec les carbonari. Ces causes, qui se combattaient souvent, c\pliqu''n! !<* i'i''tt et le mal qu'il a fait. Pour assurer son pouvoir et fonder sa dynastie, il voulait rétablir l'ordre. ?'cr /s ~o)!$ c/ /7'<? /c.9 ~< mais ses complices des Ycntes, que la protection intéressée qu'il accordait a la religion irritait, lui rappelaienl son serment et le contraignaient a suivre la route tracée.

Des son entrée eu scène', il obéit a la secte en ne votant pas l'expédition de Home. et lorsqu'il fut force de la terminer, comme président de la république. il ternit la victoire de la France par sa lettre à Edgar Ncy. il déclara que l'armée ne doit pas ~/< i. E. CARTtEU, ~MM«~7 <'< y'C'n'C~ p. 21:}.


M'c /~<~c~~<' el y)?'p/' y)/3.w/oM cl /)! </ la ?' /?c.

Comm'' condition au rétablissement dupouv'ir temporel, il demande /</?~.s~/Y' </cM'<7/<?. la ~c<<o/! <A' /<<<o~, /'«f~< < <c .V~/)'~w< f'/ M~ 'y<< /<

· Lcn<n''t'al Rustotnn,quinc\'oulu!,pas husscr publier aRomo cette insulte a !a papauté, fut disgrari~ et prive, comme gênera! Oudinot, d<'s honneurs qu'H méritait. Et pendant l'occupation française, combien d'exigences eut a pardonner la patiente bont~ de Pic IX' D's que le coup d'Htat du de''embre et les votes du suu'ra~e universel lui eurent donne pleins pouvoirs, il s'en servit pour réaliser le plan arrête par !"rd Palmcrston après !8t8 Abaissement de la Hussic qui menaçait la dévolution, formation d'un grand empire d'AU~mn~nc au protit d' la tousse, auaibtissemcnt de t'Aut riche qui protégeait !e Saint-Siège et orc-ation d'un royaume d'Italie qui s'emparerait des Htats pontincaux.

La gu'-rre de Crimée eut pour prétexte une difficulté que pouvait aplanir l'échange de quelques notes. La France en porta presque tout le poids, sans en retirer aucun avantage.

L'Angleterre, au contraire, en pr"nta largement, mais le h~n'{ice principal fut pour le Piémont. H avait et' admis a fournir un contingent très inutile d'ailleurs mais ce concours, que rien n'expliquait lui donnait le droit d'intervenir au Congres de Paris, où la guerre d'Italie fut préparée.


Le comte de Cavour, organe du Grand-Orient du Picmont maçonnique, présenta à ses compères, les ministres (le France et d'Angleterre, une note qui renouvelait toutes les insolences diplomatiques du mémorandum de 1831. On y dénonçait l'impuissance du Souverain Pontife à gouverner son peuple, le danger permanent du désordre dans le centre de l'Italie et l'extension de la domination autrichienne bien au delà de ce que les traités de !8!~ lui ont accorde'. On rédamait encore la sécularisation de l'État et le Code Napoléon, et on proposait, comme conclusion, l'affranchissement des Légations sous la protection des Puissances et la surveillance armée de la France.

Cette note fut dicutée malgré l'opposition de l'Autriche et de la Russie, qui ne reconnaissaient pas au Congrès le droit d'intervention dans les affaires intétérieures des souverains indépendants, et non seulement le Saint-Siège, mais encore tous ~OKu<T/?<c~ < la ~M/c ~a/~K/~c, furent blâmes publiquement, a la grande joie des révolutionnaires italiens. La guerre était décidée il s'agissait de la préparer et de la faire réussir.

La franc-maçonnerie comptait sur Napoléon 111, mais l'Empereur hésitait entre ses intérêts et ses engagements. Il craignait de compromettre son pouvoir et l'avenir de son fils, en s'aliénant les catholiques et en provoquant l'opposition de l'Allemagne et de la Russie. D'un autre côté, ses anciens complices lui rappe1. Les Soc~c/'c~M ~oc~7<f, t. II, p. 332.


laient ses serments. Le Grand-Orient, il est vrai, l'avait acclame, comme il faisait pour tous les gouvernements nouveaux; il avait soUicité sa protection et accepté pour chef le prince Murât, mais la partie la plus active de la franc-maçonnerie était toujours menaçante. La démocratie combattait le césarisme, et les sectaires, d'Italie surtout, exigeaient l'affranchissement de leur patrie. Sommation lui avait déjà. été faite par plusieurs attentats, lorsque éclatèrent les bombes d'Orsini.

Ce drame maçonnique éclaire d'une lueur sinistre les ténèbres des arrière-loges. Orsini, le liIs de celui qui, à Césène, avait initié le jeune prince et reçu de lui le serment de délivrer son pays et de renverser le pouvoir temporel du pape, est envoyé pour le punir d'être infidèle à ses promesses. Il vient le frapper au sommet de ses grandeurs, au milieu de ses plaisirs. L'Empereur comprend qu'il est condamné à mort; il a recours à un avocat que lui avait indique sa mcrc, la reine Hortcnse. C'est un réfugie italien, un de ces chefs mystérieux de la franc-maçonnerie, qui vient traiter d'égal à égal avec lui'. H lui promet, nous venons de le lire dans le Journal </<? /7<< la révocation de la sentence à trois conditions la grâce de Pierre Crsini, la proclamation de l'indépendance italienne et une armée pour faire la guerre a l'Autriche; un dc!ai de quinze mois lui est accordé. Napoléon acJe I';d connu ici à Paris. Quoique très réserve, il ne cachait pas l'innuencc occulte qu'il exerr~ut sur l'Empereur; il habitait alors un pied-a-tcrre dans la Cour des Coches.

2


cepte les conditions, mais il ne peut, malgré son désir, satisfaire à la première; trop de victimes ont été frappées à sa place Orsini doit mourir.

Alors a lieu dans la cellule de Maxas une scène qui révèle toute la puissance satanique de la secte. L'Empereur vient faire ses adieux à ~o~ <'o~M d'autrefois, et renouveler dans les bras de son assassin l'engagement de sa jeunesse. Orsini oO'rc sa vie pour l'affranchissement de son pays et le renversement du pouvoir temporel. II monte sur l'échafaud en martyr r de la liberté. Les Alpes répé teront son dernier cri « Vive l'Italie! vive la France! »

Napoléon se fit l'exécuteur testamentaire d'Orsini. Le -V<M~ publia la lettre qu'il lui avait adressée comme programme politique, et dans le délai nxé l'armée française entra en Italie.

~L L. Thouvenel, le fils de l'ancien ministre de Napoléon 111, a écrit'

« Il est impossible de ne pas reconnaitre que ce prince (Napoléon III), qui avait vu si juste dans les affaires intérieures de la France, et qui avait su tout d'abord donnera, sa politique extérieure un éclat digne des plus beaux jours de notre histoire, perdait pour ainsi dire contenance quand il tournait son regard voilé du côté de l'Italie. A n'en pas douter, il y a eu un s~'<~ /M~'<?~ comme il y a eu jadis un -s~ 7~ Faut-il voir dans cette double politique la raii. Z.~ ~<'c/-c< ~? ~'F/M~'e~ L. Tuo~-E~EL, 1S89. I" vol. page iv.


son déterminante des fautes commises? Il nous parait difficile, en tous cas, de ne pas attribuer à cette cause une lar.~e part dans la marche et l'issue des événements l'action souterraine paralysait l'action officielle en enlevant a cette dernière toute l'autorité qu'elle aurait dû légitimement avoir, aussi bien auprès des amis qu'auprès des ennemis. Du jourou M. Thouvenel fut bien convaincu de cette vérité, il quitta le pouvoir, renonçant à une tache ingrate, aux côtés d'un souverain qu'il aimait toutefois personnellement et qui le lui rendait. »

Quelle plus éloquente confirmation peut-on demander de ce que je viens d'écrire?

Trente ans après l'attentat du 14 janvier, dont la guerre d'Italie devait être la conséquence, le comité mazzinien de Londres adressait aux Italiens le manifeste dont voici la traduction'

Au ~c~p /eM

« C'~CITOYEXS,

« Trente ans de mauvais gouvernement et de prétendue liberté; le pays asservi aux Allemands; le Trésor public dilapidé les impôts oppressifs employés à enrichir une troupe de mendiants cramponnés au pouvoir; le commerce ruiné; l'émigration forcée; les <. /K~'a?M~ca7!~9juin iS~.


chômages et les dettes augmentes; l'or disparu et la pellagre toujours présente; la honte de Massaouah; des juges voleurs et des députes prévaricateurs tels sont quelques-uns des résultats que nous avons acquis après avoir tant combattu têts sont les avantages obtenus au prix du sang de tant de héros.

Une suprême honte nous était réservée par la faction royaliste, qui n'a pas hésité à nous l'inniger. « L'empire allemand ressuscité nous a envoyé un lieutenant impérial pour nous gouverner. Un Savoyard hussard d'outre-monts, prétendra donc guider les destinées de notre pays suivant les ordres qu'il plaira à son maître de lui envoyer de Berlin? Seronsnous assez vils pour supporter cela ? Et ne nous lèverons-nous pas tous, nous les opprimés, afin de nous débarrasser de nos oppresseurs ? Ceux-ci ne sont pas bien nombreux, et leur âme est lâche la lutte sera de courte durée.

« /<~o7<s de /w/ Tombé en faillite, le gouvernement royal disparaîtra dans la fange, sa digne sépulture; et alors nos Communes pourront se réorganiser en libres Républiques fédérées, neutres comme la Suisse, et comme elle désintéressées dans les querelles extérieures.

« Les États-Unis d'Italie coopéreront alors au progrès moral et matériel du peuple, possible seulement avec un budget qui ne passe pas un milliard. « LE COMITÉ MAZZIMEN DE LONDRES.

« 2 juin 18S9. »


II est évident que les carbonari n'ont pas encore atteint leur but.

Quant à la reconnaissance de l'Italie pour le sang français versé pour son indépendance, nous en avons eu la mesure en 1870. Le 6'o/s du 2 juin 1889 nous met à même de ju~cr qu'elle ne s'est pas accrue depuis cette époque.

(/~ M< CO~'P~O)~~ /CM~)

Rome, fer juin.

Le Roi est arrivé aujourd'hui, venant de Milan il a été accueilli par de nombreux cris « Vive l'Allemagne Vive Guillaume! Vive HumbertJ A bas la France! »

Les arrestations continuent à Milan.


CIIAPITHH II

Le marrns~ de I;' princesse C!o<i!e. Mission du prince Xapoicon auprès ')c t'Hmpercur <!c Russie. rt'einttioaircs de

poléoii -le 1'1-nipercur (le Russie. 1"t-éliiiiiiitiri,s de

guerre. D''p:'rt. cL' Paris. Les actions (le )'!nteud:mce et !a t'éa!ite. Le 2'' \'ohi~cur~ s'instaHc MesnaQi~o. Cavour aHachaitIa plus haute importance au mariage de la princesse Clotilde et du prince Napoléon. Fondre dans une union les intércts de la maison de Savoie et ceux des Bonaparte, qui disposaient alors d'une grande autorité en Europe, c'était non seulement obliger l'Empereur à tenir ses engagements vis-à-vis de l'Italie, mais encore créer à cette nation, dans la personne du prince Napoléon, un associé et un puissant auxiliaire, dont l'influence auprès de son cousin, Napoléon 111, serait à la fois déterminante et productive.

Cavour desirait donc ardemment ce mariage, qui, malgré ses intrigues politiques, traînait en longueur. Sans y être hostile, l'Impératrice Eugénie ne le


voyait pas d'un hon œil. Qu'était en effet M'de Montijo à côté de la fille de Victor-Emmanuel? Le prince Napoléon était un jour à Turin, dans le cabinet du roi de Sardaigne. On vint naturellement il parler du mariage.

Cela t'ennuie, n'est-ce pas, dit Victor-Emmanuel, tous ces préparatifs?

Silence du prince.

Voyons, parle franchement.

Pas précisément. Mais.

Eh bien, attends; nous allons brusquer et décider les choses.

Le roi était assis à son bureau, !c prince Napoléon marchait de long en large, tout en causant. Le roi sonne

Qu'on m'envoie la princesse Clotildc.

Quelques instants se passent et la princesse arrive. Sitôt entrée. le roi lui dit

–Je t'ai toujours dit que tu épouserais Napoléon. Tiens, le voilà.

Et la poussant entre les deux épaules

Embrassez-vous et finissons-en.

Stupéfaction et obéissance passive de la princesse, qui ne s'attendait pas a un si brusque dcnoûment. La princesse Clotilde avait, comme institutrice, une dame de bonne famille, M"' de Furesta, entichée de sa noblesse et surtout de tout ce qui était légitimiste. Elle avait une grande influence sur la princesse, qui lui était très attachée.

Cavour, en véritable homme politique, ne pensait


qu'au mariage, à l'alliance du sang, à l'argent de la France, dont on allait disposer pour l'unité de l'Italie. L'institutrice le gênait, il lui fit dire de faire ses paquets, prit des dispositions pour qu'elle ne put communiquer avec personne, et lui fit quitter l'Italie dans les vingt-quatre heures.

Quand il vint annoncer ce véritable coup d'État à Victor-Emmanuel

Ah! diable, dit le roi, que va dire Clotilde? Puis après avoir réfléchi un instant, il ajouta Puisque c'est fait. c'est peut-être encore ce qu'il y avait de mieux à faire.

C'est alors que se passa la scène que je viens de raconter, dans le cabinet du roi.

Huit jours plus tard l'union était célébrée dans la chapelle du château.

Napoléon I!I, qui sentait que ce mariage n'était pas agréable à sa femme et avait une profonde horreur des énervantes scènes conjugales dont l'Impératrice était prodigue, ne voulut pas la charger des ordres a donner pour le trousseau et le choix des bijoux destinés a la princesse. Il s'adressa à la princesse Mathilde.

Chargez-vous donc de tout cela, lui dit l'Empereur c'est pour votre frère, et vous ferez, je n'en doute pas, mieux que l'Impératrice.

Dès le commencement de 1859, après le discours du d'janvier au corps diplomatique, on s'attendait à 1~ guerre avec l'Autriche.


L'empereur, qui avait retardé, autant qu'il était en son pouvoir, l'exécution de ses engagements, avait finalement pris son parti. Ht c'est a Biarritz que furent décidées, entre lui et le prince Napoléon, les premières mesures préparatoires.

Le prince Napoléon était à cette époque ministre de l'Algérie et des colonies. Un désaccord était survenu entre lui et ses collègues, au sujet d'un cordon de douaniers que l'on voulait placer surtoute la frontière du Maroc. Le prince s'y opposait, trouvant la mesure inutile et destinée n charger, sans profit, le budget de l'État.

Vous voulez donc faciliter la contrebande anglaise ? lui disait-on.

Non, répondait le prince. La contrebande est insignifiante mes statistiques l'établissent créer des postes de douaniers sur notre frontière, c'est appliquer un remède pire que le mal.

On sait, je n'ai pas besoin d'insister sur ce point, qu'il était alors de bonne politique de se déclarer l'adversaire, presque l'ennemi du prince Napoléon. De tels sentiments a l'égard du Palais-Royal étaient quasi une obligation pour les courtisans et les familiers des Tuileries.

Nous analyserons un jour les sentiments qui avaient poussé l'Impératrice à laisser s'établir et même à encourager un tel état de choses. Contentons-nous simplement aujourd'hui de les constater.

La discussion s'était donc envenimée entre les ministres et le prince celui-ci, poussé à bout, avait fini


par écrire a l'Empereur que, s'il n'était pas le maître d'agir selon ses sentiments, s'il devait être en butte à des haines constantes, à des tracasseries journalières, il préférait se retirer en donnant sa démission. Cette lettre était arrivée à Biarritz, et l'Empereur répondait par dépêche, priant son cousin de se rendre immédiatement auprès de lui.

Muni d'une légère valise, le prince arrivait à Biarritz dans la nuit.

L'Empereur, vu l'heure avancée, s'était déjà retiré dans ses appartements.

Le prince ne put donc le voir immédiatement. Il donna l'ordre a son valet de chambre de le réveiller le lendemain matin à sept heures et demie, voulant avoir la satisfaction de prendre un bain de mer avant de se présenter à l'Empereur.

Le prince dormait profondément lorsque, vers les sept heures, son valet de chambre entra chez hu. Quelle heure est-il donc? Je vous ai dit de me réveiller à sept heures et demie.

C'est que, Monseigneur.

–Quoi?.

C'est que l'Empereur attend à la porte. Le v alet de chambre venait à peine de prononcer ces mots que l'Empereur, poussant lui-même la porte, s'approchait doucement et à tâtons du lit du prince, le valet de chambre n'ayant pas encore eu le temps d'ouvrir les fenêtres et les volets.

Bonjour, Napoléon, dit l'Empereur. J'ai reçu ta lettre, je t'ai télégraphie de venir. Je t'attendais donc.


Voyons, lève-toi. ma présence ne doit. pas te ~éner. Je ne suis pas une jolie femme puis, si j'étais une jolie femme, cela ne te ferait pas peur quand même. Le prince, assis sur son séant, tachait, maigre une situation si familière qu'elle en devenait critique, de montrer à l'Empereur cette respectueuse déférence que le fils du roi Jérôme conservait à l'égard du fils du roi Louis, devenu empereur dès-Français.

Napoléon H! avait été, en quelque sorte, un second père pour le prince Napoléon; ils s'étaient toujours tutoyés mais peu avant que le prince Louis fut élu président de la République, il y avait eu brouille entre les deux cousins germains. Le prince Napoléon avait boude quelque temps puis, lorsqu'il revint a l'Elysée, il crut devoir mettre de côté le tutoiement par trop familier. Devenu empereur. Napoléon III avait donc seul conservé cette façon affectueuse et familière de parler à son cousin.

Le prince s'était habillé à la hâte l'Empereur, s'appuyant sur son bras, l'avait entrainé sur la terrasse de la villa, éloignée de toute oreille indiscrète. Le prince racontait avec feu depuis quelques moments toutes les difficultés avec lesquelles il était aux prises cordons de douaniers, contrebande anglaise, statistique, etc..etc.; rien n'était oublié. Lorsque l'Empereur qui l'écoutait, ayant l'air de penser a tout autre chose, l'interrompant tout à coup

Oui, tout c'est très bien 1 Mais laisse donc ton Maroc, ta frontière, tes douaniers. Je t'ai fait venir pour te parler d'une chose autrement importante.


Ah! dit le prince, qui se tut aussitôt. J'écoute, Sire:

Oui, je t'ai fait venir pour te parler d'une chose dont personne ne se doute, et dans laquelle je veux que tu m'aides.

Puis, après un moment de silence

Je veux faire la guerre.

Alors, l'Empereur raconta avec une grande netteté d'idées, une grande justesse d'expressions, qu'il voulait faire la guerre à l'Autriche, affranchir l'Italie; qu'il y était absolument résolu, et qu'il attendait de lui, son cousin, son ami, le concours le plus large et le plus dévoué.

Il voulait en premier lieu le charger d'une mission délicate il fallait roir l'empereur de Russie et le mettre au courant de ses intentions, conformément au traité secret qui existait entre les deux souverains, et par lequel aucune des deux nations ne devait déclarer la guerre sans prévenir l'autre à l'avance.

L'Empereur Alexandre est à Varsovie. Il faut savoir s'il y reste encore assez longtemps pour que tu puisses te rendre auprcs de lui. Si tu as matériellement le temps, il faut partir pour Varsovie sans perdre un instant.

On expédia une dépêche chiffrée à l'un des aides de camp de l'empereur Alexandre, lui demandant si on aurait le temps d'envoyer à Sa Majesté un émissaire de l'Empereur partant de Biarritz.

Le service des souverains se fait avec autrement de rapidité que celui des particuliers. Cinq heures après,


non seulement la dépêche était arrivée a Varsovie, mais encore la repense chiffrée de l'empercurAlexandrc parvenait à la villa de Biarritz Elle était ainsi conçue « L'empereur devait partir ce soir, mais il attendra avec plaisir l'émissaire envoyé par l'Empereur. « Quel sera cet émissaire » o

Nouvelle dépêche de Biarritz à Varsovie

« C'est le prince Napoléon qui va se rendre auprès de Sa Majesté il part sans délai. »

Dernier télégramme de Varsovie à Biarritz « L'Empereur sera enchanté de recevoir le prince Napoléon et l'attend. »

La mission du prince Napoléon consistait, en premier lieu, suivant les conventions secrètes établies entre les deux souverains, a mettre l'empereur de Russie au courant des projets belliqueux de son bon /?'~v~ l'Empereur des Français puis, en second lieu, ce qui était fort délicat et demandait pour réussir une autorité et une diplomatie que Napoléon III savait ne pouvoir mieux trouver que chez son cousin, à obtenir de la Russie un traité d'alliance offensive et défensive.

Le prince Napoléon partit donc rapidement. Le train qui l'emmenait devant arriver à Varsovie le soir, le prince mit son uniforme dans le wagon. –II faut être, en Russie, d'une correction extrême. L'aide de camp a qui l'on avait télégraphié, attendait le prince àjla gare. Il lui dit de ne pas se déshabiller; car l'empereur. très intrigue sur l'objet de son voyage, pourrait désirer le voir immédiatement.


Kn effet, l'entrevue eut lieu de suite. Le prince nt part a l'Empereur des projets de Napoléon 111. Grande surprise.

Ce n'est plus un projet. Tout est bien décide? '? demanda l'empereur de Russie.

Oui, Sire.

Eh bien, moi, qui suis un autocrate, il faut pourtant. avant de vous répondre, que je consulte mon premier ministre.

L'Empereur s'absente, revient; nouvel entretien, toujours la même nuit. Enfin, après un long 'change de pensées, de réflexions, d'appréciations, le prince Napoléon obtient de l'empereur Alexandre un traité défensif.

Il repart pour Biarritz, ou Napoléon 111 l'attendait avec une telle impatience, qu'il était allé au-devant de lui sur la route de la gare. La gare de Biarritz était alors, comme on sait, assez éloignée de la villa impériale.

Sitôt que l'Empereur aperçut le prince Napoléon

Voyons, parle, dit-il. Que rapportes-tu? Pas tout ce que vous avez désire, Sire. Mais encore ?

Kh bien un traité défensif.

En effet, ce n'est pas tout ce que j'avais désire

.mais je te remercie c'est quelque chose. On parlait donc, je l'ai déjà dit, couramment de la guerre depuis le commencement de t8o~. A la cour, on en causait beaucoup. Kn avril, les choses parurent


décidées. Un soir, à son cercle, l'Impératrice émit l'idée que l'Empereur ne devait pas aller à l'armée, en cas de guerre. Il y eut discussion; elle prenait un ton vif lorsque l'Empereur entra, sa cigarette a la bouche. Quel tapage! Et pourquoi?

Ah Sire, réplique le général Espinasse, on dit qu en cas de guerre. vous ne prendriez pas le commandement de l'armée.

La guerre, si elle a lieu, c'est vous qui l'aurez voulue car tout le monde nous en dissuade. Alors, si vous ne vous mettez pas à la t'~tc de Farmce, il faudrait vous ranger dans la catégorie des rois fainéants, et nous vous connaissons trop pour croire que vous les imitiez.

Un grand nombre d'amis de l'Empereur le dissuadaient en effet de la guerre, et attaquaient ouvertement ses résolutions, entre autres Persigny, qui était décharné.

11 fallait pourvoir au gouvernement qui devait être installé à Paris pendant l'absence de l'Empereur. L:nty, ancien compagnon de Strasbourg, fut accepté comme ministre de l'intérieur. Au dernier moment, il fut remplacé par Arrigbi, duc de Padoue. Persigny avait conduit Laity chez l'Empereur pour recevoir ses dernières instructions, lorsque Napoléon dit:

J'ai changé d'idée je prends le duc de Padoue. D'un ton violent, Persigny dit à Laity

Allons-nous-en nous n'avons rien à faire ici. 6~ ~o<~ /~M~<e <~


Randon fut mis à la guerre à la place de Vaillant, pris en flagrant délit d'imprévoyance, au moment où on dirigeait les premières troupes au travers des Alpes. De major général désigné, Randon devint ministre; quant à Vaillant, il supplia l'Kmpcrcur de le prendre à l'armée par faiblesse l'Empereur accepta, et le nomma major général.

Le maréchal Vaillant était vieux, lourd, et dans ces fonctions devenait un embarras.

Avant le départ, il y eut une discussion vive entre l'Empercur et l'Impératrice. En lui confiant la régence, l'Empereur réservait il son oncle, le roi Jérôme, le commandement de la garde nationale et des troupes. L'Impératrice, à juste raison, dit qu'elle ne voulait pas d'une rc~e~ce <fe~~<gc, et il ne fut rien donné à Jérôme, qui était fort mécontent et ne cachait pas ses griefs.

26 AVRIL 1859. Nous avons reçu notre ordre de départ. Le l'et le 3" bataillon du voltigeurs de la garde quittent Paris à 2 heures du soir, prenant en passant le 2" bataillon en garnison à Fontainebleau. Nous arrivons a Marseille le 30, à 3 heures et demie du matin. Bivouac près de la gare, et le même jour, à 3 heures du soir, embarquement de tout le régiment au port de la Joliette.

L'état-major, tous les officiers supérieurs, 20 chevaux et 500 hommes du 3~ bataillon a bord de l'Inle 1~ bataillon et 2 compagnies du sur l'Osiris, le reste sur le


A ii heures du soir, un choc épouvantable me réveille, les talons dans les genoux, et les genoux dans le menton; 1' sous faible pression heureusement, vient de se heurter contre une roche à lleur d'eau. Je me lève en h.lte et monte sur le pont. La mer est calme, le temps superbe. La roche coupable s'étale tranquillement au-dessous de l'avant, duquel pendent des morceaux de bois et de fer déchires.

La cutc escarpée est à ou 300 mètres entre elle et le bateau émergent beaucoup d'autres rochers pointus. Le capitaine du bord crie

Machine en arrière! que personne ne bouge. Grâce à notre peu de vitesse, nulle voie d'eau. On 53 dirige sur Antibes, où l'on reste cinq heures à réparer les avaries.

En visitant la ville, je rencontre le commandant de r0~s, qui me prend pour le personnage le plus important du détachement. 11 s'excuse de l'accident en en rejetant la responsabilité sur sa compagnie, qui lui avait recommandé de ~c~w <ïM le rivage Eh! bien, commandant, lui dis-je, je vous fais mon compliment. à moins d'escaladc-r la côte, vous avez fidèlement exécuté les ordres que vous avez reçus. Et nous nous tournons le dos.

Il y a donc des économies de charbon qui pourraient coûter cher.

Le curieux de l'aûaire, c'est que le :!<- voltigeurs ayant perçu les vivres de terre pour la journée du 30, notre position réglementaire comme embarqués ne datait que du lendemain mai, ainsi que l'ouver-


turc de la campagne. De sorte que si, par suite de l'accident, nous avions été noycs le 30 avril, la chose aurait été considérée comme non avenue au point de vue administratif, tous les livrets des hommes et les 5' états de service des officiers donnant officiellement le t*~ mai comme date d'embarquement et d'entrée en campagne.

Le débat entre la fiction de l'intendance et la réalité du naufrage n'eùt pas manqué d'intérêt. Bref, on économise moins le charbon à bord. et 1' malgré ce retard, arrive presque en même temps que les camarades r/~M et le ~<~ à Gènes.

i2 M.\i. < Arrivée à 5 heures du matin. Hospitalité a~'a~' des Génois, quant au prix des tentes, des harnachements, des provisions, nourriture, etc. Palais, tableaux, musées, théâtres, promenades, voir les guides.

a MAI. Ordre de la division

« La division quittera Gênes demain, 6 mai. Le mouvement commencera à 7 heures du matin. Mon quartier général sera à Ponte-Decimo. »

~M~ :CAMOU.

En exécution de cet ordre, le 2** voltigeurs s'installe à Megnanigo, à 1 fou i5 kilomètres de Gênes. La route est belle, pittoresque. Elle longe tantôt la voie ferrée, tantôt le cours d'un torrent fort altéré pour le moment. Bientôt nous apparaît notre gîte, enfoui, perdu,


retrouva, selon les accidents de la route, à travers les rochers escarpés, ou les massifs d'oliviers et de chênes verts qui s'incrustent sur les pentes méridionales dr l'Apennin. On arrive, on s'installe; qu'il serait beau le village. s'il n'y avait pas de maisons. et les maisons agréables, s'il n'y avait pas d'habitants. et les indigènes charmants, s'ils étaient plus propres et moins pouilleux

A grand renfort d'eau et de branches vertes en guise de balai, nos ordonnances rendent à peu près habitable la chambre ou nous devions rester 8 jours, mon commandant et moi. Malgré les conseils du médecin-major et des habitants, quelques officiers, pour échapper aux fléaux domestiques, plantent leurs tentes sur les bords malsains du ruisseau; l'un d'eux, le lieutenant Boscary, jeune et charmant officier décore en Crimée pour sa bravoure et ses blessures, y continue la Ëèvre apportée de France. Il est évacué sur Gênes, puis sur Toulon par le premier bateau. Peu aprrs nous apprenons sa mort. Ce fut au régiment la première victime de la guerre, et la plus regrettable.


Départ de l'En'pcrcur.–P<'cw/f/'cr/ C//r/rcx/c/<Les proclamations ne sont pas prêtes. Une mission a Turin. Chez VIctf'r-EmmanucI. Ce que pense le maréchal Cann'bert. Le Procès du ministre de la guerre. –Renault. Trochu, Bourbaki. Situation critiqua du général Lcbœuf. Le Senarmont du second Empirc. Chez l'Empereur.

H M.u. L'Empereur partit des Tuileries le 10 mai 1859, a 5 heures, suivi de sa maison militaire. Au moment où il montait en voiture sous la voûte des Tuileries, Persigny lui dit « Je viens faire ma paix, et je vous accompagne de tous mes vœux. L'Impératrice était à côté de l'Empereur, en voiture découverte. Temps magnifique. Depuis la Bastille jusqu'à la gare de Lyon, ce fut une marche triomphale; acclamations enthousiastes du peuple.

Je crois devoir placer ici une anecdote relative au départ du général de Cotte, aide de camp de l'Empereur, anecdote assez curieuse, parce qu'elle montre à la fois la bonté et la généreuse indulgence de l'Em-


percur, la finesse malicieuse de son esprit, et aussi le caractère plein d'originalité du brave et regretté général, enfin la bassesse de quelques personnages de l'entourage des souverains.

Le 9 au soir, en sortant de table, le général de Cotte descendait au salon de service, avec le personnel du service f /r/~ pour y fumer une cigarette. Et sa cigarette à peine allumée, il disait tout haut, au milieu d'un franc éclat de rire, comme il en avait souvent: « Allons c'est bien décide! nous partons demain pour l'Italie ~'CH<?~ c/r/~c. C~'<~OM/ » Un quart d'heure ou une demi-heure après, il remontaitau salon de l'Impératrice. 11 était à peine entr~ que l'Empereur s'approchait de lui lentement, avec son bon et fin sourire sur les lèvres, et lui disait « Mon cher général, je respecte trop les~ idées des autres, même quand elles sont en contradiction avec les miennes, pour vous faire faire une guerre qui blesse vos convictions. Vous resterez auprès de l'Impératrice.

Le pauvre général resta consterné; il ne pouvait soupçonner en effet que sa boutade put jamais parveniraux oreilles de l'Empereur, encore moins s'expliquer qu'elle y fût parvenue avec tant de rapidité. II n'y avait pourtant aucun laquais au salon de service quand il l'avait laissée échapper, et il devait comprendre difficilement, lui qui était la loyauté en personne, qu'un homme portant un habit brodé pût être aussi digne d'en porter un galonné.

Mais l'ancien chasseur d'Afrique n'était pas facile a. désarçonner il ne souffla pas mot, et le lendemain 3.


il fit conduire ses chevaux et ses bagages a la gare de Lyon, s'y rendit lui-même en fiacre, monta seul dans un wagon du train impérial, et ne se montra qu'à la gare de Marseille.

L'Empercurl'accucillit avec le même sourire, en lui tendant la main, et le gênerai reprit le jour même son service d'aide de camp, à l'armée d'Italie.

Le train impérial avait quitté Paris a <' heures; on s'arrêta a Montercau, où l'on dina au buffet de la gare. L'Impératrice, qui avait accompagne l'Empereur, retourna à Paris après le dîner.

Le lendemain, 1 mai, l'Empereur s'embarquait à Marseille, pour Gènes.

On y débarqua au milieu d'un enthousiasme indescriptible. C'était le bonheur de l'Italie qui commençait. Représentations de gala, dîners, etc., etc. Le 11 au soir, mon ami et camarade le capitaine Brady, officier d'artillerie des plus distingués et officier d'ordonnance de l'Empereur, resté à Paris, partait à son tour pour Marseille, emportant le ballot de proclamations qui devaient être affichées à Gènes et à Turin, et qui n'avaient pu être prêtes à l'Imprimerie impériale pour le 10.

II avait été prévenu par une dépêche du général Fleury qu'un bateau l'attendrait sous vapeur; il put donc s'embarquer et arriver à Gênes sans retard. Il y était impatiemment attendu.

Le départ de Gênes eut lieu le lendemain de son arrivée, et l'Empereur lui donna ordre de le suivre et de rentrer en France par le Mont-Cenis, en passant par


Alexandrie, où il allait établir son quartier général et attendre l'arrivée des troupes et du matériel de guerre encore en route, ou en mer.

J'ai dit que le maréchal Vaillant, ministre de la guerre, avait cté destitué par l'Empereur et nommé major gênerai de l'armée. Voici grâce à quelles circonstances cette destitution avait eu lieu.

Le 28 avril t859, à It heures du soir, le jour même où je quittais Paris avec deux bataillons du '2'" voltigeurs, une lettre du colonel Toulongcon, aide de camp de service, prévenait le capitaine Brady, officier d'ordonnance de l'Empereur, qu'il était désigné pour une mission à Turin: le lendemain 29, à t0 heures, le capitaine allait prendre les instructions de Sa Majesté. L'Empereur, après lui avoir remis une lettre à l'adresse du roi de Sardaigne, lui donna les instructions verbales suivantes

« Vous verrez d'abord le maréchal Canrobert, qui est à Turin depuis huit jours, et vous me ferez connaître les premières dispositions qu'il a dù prendre de concert avec le Roi et le général de la Marmora, pour couvrir Turin, dans le cas où l'armée autrichienne tenterait une attaque de vive force sur la ville avant la concentration de mon armée. »

L'Empereur ajouta

« Plusieurs divisions sont en marche. La division ltenault, la première, doit être entrée en Italie. Celles des généraux Bourbaki et Trochu la suivent de près et doivent franchir le llont-Cenis en ce moment. Prenez auprès de ces généraux les renseignements les plus


détaillés sur la situation et les effectifs deleurs troupes, et vous me les rapporterez. »

Le ton sur lequel fut prononcée cette det'nicre partie des instructions de l'Empereur donna à penser que, comme le pos~c?'~MM d'une lettre, elle n'était pas la moins importante.

Le soir même, samedi 29, Brady quittait Paris après avoir pris les instructions particulières du général Fleury, qui le prévint qu'une voiture de poste l'attendait à Saint-Jean-de-JHaurienne pour éviter tout retard, et le conduirait à Suse pour le premier train, à destination de Turin.

Le passage du Mont-Cenis s'effectua pendant la nuit, et le lundi 1~ mai, vers 9 heures du matin, l'officier d'ordonnance arrivait au palais de VictorEmmanuel.

Des chevaux de selle attendaient dans la cour; un aide de camp de service le prévint que le Roi, qui achevait de déjeuner. le recevrait avant de monter à cheval.

Quelques minutes après, Victor-Emmanuel, suivi de son état-major, entrait dans le salon d'attente. Il vint trouver l'envoyé de l'Empereur et lui serra la main, avec cette bonhomie simple, militaire et princière à la fois, qui était un des traits caractéristiques de sa physionomie. Il prit la lettre de Napoléon III, la lut rapidement, et avec un regard brillant de satisfaction, qui ne laissait aucun doute sur le contenu de la lettre, il dit au capitaine

« Priez l'Empereur de m'excuser, si je ne lui ré-


ponds pas par écrit. Je pars à l'instant pour Casalc et je vais me mettre a la tête de mon armée. Vous verrez certainement le maréchal Canrobcrt. Priez-le de ma part de m'envoyer nn régiment. Je fais construire, en avant de Casale, quelques ouvrages de fortification et ~e ~ay u<~p des ~~M~a~y~ ~M parmi mes ~«~'S. »

En sortant du palais, le capitaine Brady se rendit chez le maréchal, qu'il trouva en conférence avec M. de Cavour ce dernier, fort agité, fort inquiet de la situation menaçante de l'armée autrichienne, et attendant avec une fiévreuse impatience l'arrivée des troupes françaises.

Après son départ, l'illustre maréchal changea brusquement de physionomie en se trouvant en tête à tête avec son ancien officier d'ordonnance de Crimée il lui dit en souriant, avec le léger accent gascon qu'il ne retrouve et ne reprend que quand il veut plaisanter, avec sa finesse d'esprit toute méridionale, pour l'abandonner aussitôt qu'il aborde les sujets sérieux « II n'est pas rassuré, le grand ministre. Il est vrai que si le général autrichien était un audacieux, il courrait prendre un maréchal de France et une division d'infanterie et ce serait un assez joli coup de filet au début de la campagne. Mais j'ai pris une première disposition qui le rendra circonspect et le forcera à réfléchir. Au lieu de chercher à couvrir Turin et à défendre le passage de la Dora Baltea, partout guéable et trop facilement abordable par les bois qui s'étendent sur sa rive gauche, je fais filer rapidement les divisions de


mon corps d'armée sur Alexandrie. Et là, enfermées dans le triangle fameux formé par le Pô, la Bormida et le Tanaro, où elles peuvent se défendre longtemps, elles menacent la gauche de l'armée ennemie, dans le cas où elle tenterait un mouvement offensif sur Turin. Néanmoins, il n'y a pas de temps à perdre, et il faut presser l'arrivée de nos troupes. »

Après avoir transmis au maréchal la demande du roi Victor-Emmanuel, le capitaine prit congé de lui. La première partie de sa mission était remplie. Hestait la seconde, qu'il pressentait non moins importante et pressée, car il avait quelques raisons de penser qu'il allait instruire le procès du ministre de la guerre. Mais il était résolu à faire son devoir avec une inflexible ponctualité et deux sentiments également impérieux le lui commandaient le patriotisme et son dévouement à l'Empereur. Il vit donc les trois généraux Renault.TrochuctBuurbaki.Il aurait suffi au capitaine Brady d'en questionner un seul, car la situation de leurs troupes était à peu près la même ces trois divisions qui appartenaient au corps d'armée du maréchal Canrobert et formaient l'avant-garde de l'armée française, franchissaient les Alpes sans e~?~ ni K~Msiles de campement, sans ca~o~~ et presque sans canons. C'est à peine croyable

Après avoir fourni tous les détails et tous les renseignements militaires qu'ils jugeaient nécessaire de faire arriver sûrement et directement aux oreilles de l'Empereur, les généraux Bourbaki et Trochu terminèrent en des termes que nous croyons devoir repro-


duirc textuellement ici, parce qu'ils sont assez empreints de l'esprit et du tempérament, des deux hommes de guerre.

« Pour me résumer, dit le général Bourbaki, je vous prie, mon cher Brady, de demander a l'Empereur si son ministre de la guerre est un traît re, ou s'i! est tombe dans l'imbécillité?

Quant au général Trochu, que le capitaine trouva a Susc, au milieu de la nuit, après avoir formule ses plaintes et ses urgentes réclamations il ajoute « Mon cher ami, on a pu voir une armée de sansculottes descendre en Italie sans souliers et sans chemises mais ce qui ne s'était jamais vu encore, c'est une armée française marchant a l'ennemi ~/?s <~/r/'e.9 p/ .<<M.s M/

Sur ces derniers mots, le capitaine prit congé du général et se hâta de repasser le Mont-Ccnis. H croyait sa mission terminée: mais cHe devait avoir une dernière rtapc. et en arrivant à Saint-Jean-de-Mauriennc, il trouva le général Lebœuf, commandant en chef l'artillerie de l'armée, aux prises lui-même avec des difficultés de toute nature.

L'officier d'ordonnance de l'Empereur était pour lui aussi une vieille connaissance: dès qu'il l'apercut il courut à lui, et avant d'écouter sa mission, ouvrit un carnet et lui dicta les renseignements qu'il devait porter à l'Empereur.

« Je suis ici, lui dit-il, pour presser et surveiller l'arrivée des batteries, qui sont presque toutes en retard sur leurs divisions. J'ai envoyé à Marseille et à Gènes


m on chef d'état-major, le colonel d'Ouvrier pour hâter les embarquements et tes débarquements du personnel et du matériel de l'artillerie. Il y a des retards partout. Partout les ordres du ministère sont incomplets. Partout l'artillerie manque de personnel et on attend l'arrivée des hommes en congé renouvelable, sans lesquels on ne peut compléter Ifs effectifs de la guerre. La formation c~ /w~ ?'<p, qui doit avoir lieu a Lyon, à Grenoble et à Marseille, est peu <~a~c<?.

« Cependant, f~.<~p!< </<OM~, la /?~c <?~M.T M~O~ y?OK~ C/P <ï/

« Les 3" et corps, Canrobert. Xicl. Me ~'OK< pas ~<<«s </e /eM?' a;-tillerie <ïu~M/ 5 p/ /M ~0 ~w< à ~M ~cs /)~r Gênes, M'y ~~?'~p~'o~~ /<* 0, les moyens <~w~a/~Mpw'?~ sont .~M/~MM~ « ~e< » Ici se place un fait presque invraisemblable que signala au capitaine Brady le général l'approvisionnement en munitions des canons de t rayés, qui allaient débuter en Italie et devaient contribuer si puissamment aux succès de la campagne, cet approvisionnement était incomplet, et le colonel Suzanne, alors directeur à Metz, avait dû confectionner, sans or<<! ~< w/Mi~r~ MMs <7!s<oM </M comité, en prenant la responsabilité de son intelligente initiative! Nous entrons ici dans quelques détails spéciaux à l'artillerie, parce que, plus encore que la situation de notre infanterie, celle de l'artillerie au moment de l'entrée en campagne trahissait notre imprévoyance


et notre légèreté, devenues habituelles depuis 70 ans, et montrait que nous avions encore néglige une des conditions capitales de tout succès à la guerre /</ ~'C/M~/M!.

Nous partions donc pour l'Italie avec un matériel nouveau et /M<«' ~o/~M, sans que ses approvisionnements eussent été prépares et confectionnés à l'avance; comme nous étions partis pour la Crimée, avec Iccanon-obusier de l'Empereur à peine éprouvé, et avec un parc de siège qui aurait été a peine suffisant pour démolir une bicoque: comme nous devions partir, onze ans plus tard, avec une bouche à feu inconnue, le canon à balles, qui ne fut livre aux régiments que la veille de l'entrée en campagne, et dont on fit presque partout, faute d'étude préparatoire, un faux usage et un si intempestif emploi.

Sans insister davantage sur les incuries et les somnolentes imprévoyances des bureaux de la guerre et du ministre, comme sur celles du comité d'artillerie, il faut signaler ici une cause d'un autre ordre et d'une bien autre gravité encore MO~'c ca~<v~'c Mo~'oM<z/. C'est que nous sommes tantôt des apathiques, tantôt des désorganisaLeurs c'est que nous sommes des révolutionnaires militaires, comme nous sommes des révolutionnaires politiques, et qu'un pareil tempérament. s'il peut de loin en loin engendrer de brillantes découvertes, de lumineuses innovations, n'admet guère le progrès avec ses lenteurs et ses études réfléchies, mais s'accomplissant dans une permanente sécurité.


Or, la science militaire, comme toutes les science repose sur des axiomes, et le premier de tous, c'est ~M'~ ne ~?M<Ï<S C~'C ~'<~ </M ~~O~M.

Voilà sous son beau jour le maréchal Lebœuf~ l'homme qui, dix ans plus tard, devait tomber dans les mêmes fautes, l'officier d'artillerie et l'homme de guerre.

Il avait toutes les aptitudes et toutes les brillantes qualités de soldat nécessaires pour être le Senarmont du second Empire; il n'avait pas celles qui sont indispensables à un ministre, encore plus à un homme politique.

-Des trois grandes circonstances dans lesquelles on a vu Lebœuf la Crimée, l'Italie et Metx, il ne faut garder qu'un souvenir et un sentiment de juste admiration pour un héroïque lutteur sur le champ de bataille.

L'opinion publique a été d'une fiévreuse sévérité pour lui elle ne lui a pas pardonné le défaut de préparation de la guerre de 70, qui a été une des principales causes de nos désastres. Mais l'histoire contemporaine n'est heureusement qu'une histoire provisoire et la générosité française aidant, il sera tenu compte plus tard au ministre imprévoyant du dévouement et de l'éclatante bravoure du soldat.

Le 4 mai à 6 heures du matin, le capitaine Brady àrrivait aux Tuileries, et l'Empereur prévenu sur-lechamp de son retour le recevait dans sa chambre à coucher.


Détermine plus que jamais à dire a l'Empereur la vérité tout entière, il lui lut les notes qu'il avait prises, ajoutant même quelques observations qui lui étaient personnelles il termina par la phrase que le gênerai Bourbaki lui avait recommandé de reporter textuellement a l'Empereur.

A ce moment, un sourire presque imperceptible se dessina sur les lèvres de Napoléon III, sourire bien fugitif, et qui fit place aussitôt à une apparence de profonde tristesse visible maître lui sur son impassible physionomie.

Se levant alors, et, par un geste qui lui était habituel, portant la main à sa moustache, l'Empereur dit:

«</e'o~ rc~e~'e: cc~ï Me ~PM~ ~we?'«;< /o~eM~. ./c u~ remplacer le ministre <A? la <y~y'~ (textuel!. Une heure après, un des officiers d'ordonnance de service, de Cadore, lieutenant de vaisseau, portait au maréchal Vaillant une lettre autographe de l'Empereur lui signifiant sa révocation.

Le courageux c!. consciencieux capitaine venait du même coup de se faire deux puissants et inflexibles ennemis le maréchal Vaillant, forcé d'abandonner les ~M y«c< de la rue Saint-Dominique et du jardin des Minimes; et le maréchal Randon, qui voyait lui échapper l'espoir, bien illusoire assurément, d'être le prince de Neuchâtel du second Empire.


CHAPITRE IV

A-Gènes. Plus de préoccupations historiques que de discernement personnel. –Imprévoyance et impéritie ministérielles. Par ordre de l'Empereur. Chez les ministres de la guerre et du commerce. M. Paris de la BoHardicrc. Retour à l'armée. Xo\i. Alexandrie. Les premiers blessés de Montebelle. Ëcalitc devant les balles.

Il y. avait à Gènes un petit café appelé la Co~cor~a, où se réunissaient les officiers. C'est là qu'on se rencontra avec le duc de Chartres, sous-lieutenant aux chevau-Iégers, pour la première fois beau garçon, blond allemand de !8 à 20 ans. Singulier rapprochement.

On s'occupa à Gênes de l'organisation de l'armée; et on se rendit bien compte de tout ce qui lui manquait. L'artillerie nouvelle rayée, dite de l'Empereur, et de Treuille de Beaulieu, n'était pas encore arrivée. Quelques jours après le retour de Brady de Turin, il était informé, par une lettre de service du général Rolin, que Sa Majesté l'avait désigné pour rester attaché, pendant un mois, à l'Impératrice régente.


Grand fut son désappointement. Il comprit qu'aucune réclamation n'était possible et il se résigna. Ces fonctions allaient être assez délicates, car il devait à la fois éclairer l'Impératrice sur la direction et les détails d'affaires purement militaires, auxquelles une femme est forcément étrangère, et servir d'intermédiaire entre la Récente et les ministres de la guerre et de la marine. Or il prévoyait que ses relations forcées avec le maréchal Randon seraient particulièrement difficiles.

L'Empereur quitta, je le répète, Paris le 10 mai, et ce fut le même soir que le capitaine Brady reçut l'ordre de repartir le lendemain pour porter à Genc< les proclamations dont nous avons parlé.

Après quelques jours passés à Gènes, l'Empereur se rendit à Alexandrie. Il était couvert à l'est par le corps de Baraguey d'Hilliers en avant par Montcbcllo; celui de Niel, sur les rives du Tanaro et du Pu; l'armée piémontaise à Casale.

On savait les Autrichiens à Plaisance. Le maréchal Niel dit « Le sort du Piémont se déc'dera vers Montebello. en avant de la StradeIIa. Giulay ne peut pas l'abandonner sans livrer bataille.

Le point de première concentration de l'armée ne pouvait être mieux choisi, et la plaine de Marengo, adossée aux Apennins et protégée par les cours d'eau qui en descendent et qui la ferment, permettait à l'armée d'attendre en toute sécurité le jour où elle pourrait prendre l'offensive.

Brady avait espéré qu'au milieu des graves préoc-


cupations du moment, il serait oublié pendant quelques jours, et pourrait peut-être assister a la première opérati'm de l'armée. Mais deux ou trois jours après .l'installation du quartier général, l'Empereur lui fit dire de se rendre auprès de l'Impératrice et de lui envoyer tous les renseignements qu'il pourrait recueillir pendant sa route.

Pendant ce peu de temps passé à Alexandrie, le capitaine n'avait pu se rendre compte que bien imparfaitement de nos positions et de celles de l'armée sarde, groupée autour de Casale. Il était d'ailleurs impossible d'apercevoir les positions de l'armée autrichienne, masquées par la nature accidentée du terrain qui ne laissait voir que sa ligne de tirailleurs, déployée sur la rive gauche du Pô, et échangeant des coups de fusil avec les nôtres. Cette ligne de tirailleurs permettait de croire toutefois que Giulay avait établi sa ligne de bataille en prévision d'un passage de vive force tenté par l'armée française sur la portion du fleuve qui s'étend de Valence Plaisance en longeant le défilé de Stradella. On savait, en outre, que le 11 un mouvement de retraite de l'aile droite ennemie s'était effectué rapidement des positions de Verceil et de San-Germano pour se concentrer à llortara. Toutes les apparences faisaient présumer que l'attention du général autrichien se porterait de plus en plus sur la défense des passages du Pô, et la reconnaissance offensive qu'il opéra le '20, sur Montcbello, l'indiqua plus clairement encore. Ces dispositions défensives prises par Giulay ~K/' la W~ f~'o~ cfn Tessin, et qui


semblent dénoter plus de préoccupation historique que de discernement personnel, étaient absolument défectueuses. En effet, lorsque le général Bonaparte franchissait le Pu en t7' par Stradella, il allait prendre à revers l'armée autrichienne qui l'attendait sur la r/c ~/<c 7~< et lorsque le Premier Consul en t800, le franchissait une seconde fois en sens inverse et au même endroit, il coupait le général Mêlas de sa ligne d'opérations en venant l'attaquer dans la plaine de Marengo.

Les conditions étaient bien différentes en 185~ et, quels que fussent les points où l'armée française et l'armée sarde effectueraient le passage du fleuve, l'obligation s'imposait dans tous les cas, pour le général ~!iulay, de repasser sur la rive gauche du Tcssin, gardant ainsi les deux lignes de défense qui couvrent Milan. Si l'Empereur se portait rapidement sur Verceil, en même temps que l'armée sarde, l'armée autrichienne, occupant encore la province de Novare, et gravement menacée sur son aile droite, était forcée d'exécuter un changement de front, l'aile droite en arrière, pour repasser sur la rive droite du Tessin, manœuvre toujours longue et difficile, à proximité de l'ennemi, pendant l'exécution de laquelle l'armée alliée pouvait passer ce cours d'eau, presque sans coup férir, et faire tomber ainsi une des principales lignes de défense de Milan. Tout semblait concourir d'ailleurs à rendre cette détermination la plus probable. Le capitaine Brady part.it d'Alexandrie le t6, emportant ses impressions et prévisionspersonnelles, conçues


bien à la hâte, et auxquelles une circonstance particulière ne devait pas tarder à donner plus de consistance.

En en'et, en arrivant à Saint-Jcan-de-Mauriennc, le 17 au matin, il trouva un sous-intendant nommé Rousseau aux prises avec de graves difficultés, qui accusaient, une fois de plus, les imprévoyances et les impérities ministérielles. Ce malheureux sous-intendant avait été envoyé c~M~e~cc à Saint-Jean-de-Maurienne, pour y recevoir des approvisionnements de toute nature en vivres, farines, biscuits et foins, qui étaient expédiés de divers points et principalement de Chambéry et de Genève, qu'il devait diriger, ~<< <fK)'~<Mc< sur Suse, par le Mont-Cenis. Il trouva bien, en arrivant, une partie de ces approvisionnements amoncelés en ~/<?M a/r, mais pas un magasin pour les mettre a l'abri, pas un soldat d'administration, pas un attelage de train et encore moins de voitures.

Le sous-intendant Rousseau, apercevant le capitaine et reconnaissant son uniforme, accourut à lui, et profondément troublé on l'aurait été à moins le supplia de demander au ministre, en arrivant a Paris, de rendre ses ordres exécutables. Le capitaine pouvait mieux faire et plus vite ayant deux heures devant lui, il écrivit aux consuls de Genève et de Chambéry, et il prit sur lui, en signant sa dépêche par o~'c de f~ï~VMr, de suspendre, jusqu'à nouvel ordre, les arrivages de v ivres il adressait en même temps une longue dépêche au général Fleury, dans laquelle, après avoir exposé l'état d'encombrement de la gare de Saint-Jean-


de-Maurienne, il proposait une solution rapide et pratique de la difficulté, en faisant réquisitionner dans les départements qui avoisinent les Alpes un ou deux mille des petits chariots qui y sont en usage, et y établissant un roulage permanent de la gare à Suse. La dépêche se terminait à peu près ainsi

« La ville de Suse peut, par sa situation, devenir une place de dépôt précieuse, dans le cas o~ /'<Mce ~'p/ïcf/ /*o~c e~ se portant ~o/~cwe/~ ~M?' haut Tessin, en raison de ses communications faciles avec r~'cc< par chemin de fer. » ·

Cela fait, et après avoir pris congé du pauvre sousintendant, absolument rassuré en voyant sa responsabilité mise n couvert, jusqu'à ce que ses foins et farines pussent y être, l'officier d'ordonnance de l'Empereur partit pour Paris, où le lendemain il reçut la réponse du général Fleury, ainsi conçue

« L'Empereur approuve toutes vos Entendezvous avec les ministres de la guerre et </M co~M~'c~. Envoyez-moi le livre de ZcwaMM sur la campagne de Charles-Albert de I84S, intitulé C~« ~'br<e. »

Pour qui a connu la merveilleuse intelligence et la finesse d'esprit du général FIeury, cette dépêche était toute une révélation.

Le capitaine se rendit sur-le-champ, après avoir pris les ordres de l'Impératrice, auprès du ministre de. la guerre à qui il exposa la situation en grands détails, mais absolument sans succès; le maréchal Randon ne voulut rien changer à la détermination qu'il avait 4


prise de diriger la plus grande partie des approvisionnements en munitions, matériel et vivres, sur Alexandrie, par /« uo/c de Gènes. Il se borna a diriger sur Saint-Jean-dc-Maurienne le détachement indispensable de soldats d'administration et le nombre de prélarts (toiles goudronnées) nécessaires pour couvrir les magasins en plein air.

Mais ce n'était pas sans raison que le général Fleury avait prescrit de s'entendre avec le ministre des travaux publics et du commerce. Ce ministre, en 1859, s'appelait Rouher, et sans vouloir contester les qualités particulières du maréchal Randon, le capitaine Brady était persuadé que sa seconde entrevue serait plus fructueuse que la première. En effet, elle ne fut pas longue, et le ministre l'arrêtant au milieu de l'explication qu'il lui donnait, dit

« C'est compris prévenez l'Empereur que je télégraphie à l'instant même aux trois préfets les plus voisins de Saint-Jean-de-Maurienne, en leur prescrivant de réquisitionner d'urgence, après quelques marchés passés, 2000 voitures avec chevaux et conducteurs, de les expédier par les voies ferrées et de les mettre à la disposition du sous-intendant Rousseau. Ce sera l'affaire de quatre jours. »

Il faut dire en passant que M. Rouher, placé à la tète du ministère des travaux publics et du commerce, était bien dans l'élément auquel s'adaptaient le mieux ses rares aptitudes aux <~Mres. En politique, l'éminent homme d'anaires cédait souvent le pas a l'éloquent orateur et avocat, et les entraînements de la


tribune obscurcissaient quelquefois les merveilleuses lucidités de ce grand esprit.

Vers le 10 ou le 12 juin, l'Empereur avait convoqué à Milan les généraux les plus rapprochés du quartier impérial, à un grand rapport. L'intendant général de l'armée, M. Paris de la Bollardière, y assistait après quelques questions adressées aux généraux, l'Empereur demanda à M. Paris des renseignements sur le service administratif et sur la situation générale des approvisionnements.

Voici ~.r~e~c~c~ la réponse del'intendant « Sire, je n'ai qu'une crainte, c'est que vos soldats ne meurent de pléthore. J'a: en ce moment 2000 voitures qui franchissent le Mont-Cenis nuit et jour, des magasins considérables à Suse, et je n'ai qu'à étendre la main pour les faire arriver, »

L'Empereur ut un geste de satisfaction, sourit et se remit a causer avec les généraux.

Hâtons-nous de dire que l'intendant Paris était un homme d'une réelle valeur, et d'ajouter C'est ainsi que beaucoup de choses se passent a la guerre. Le 21 arrivait la dépêche annonçant le combat de Montebello et le premier succès de l'armée d'Italie, puis le 31 celle du combat de Palestro.

Il restait encore au capitaine Brady dix jours de service à faire auprès de l'Impératrice; mais le 31 au soir, Sa Majesté, prenant un air sévère sur la sincérité duquel il était permis de se tromper, et l'interpellant au milieu des personnes de son service, lui dit Brady, je suis fatiguée d'avoir devant les yeux


votre figure de mauvaise humeur. Vous pouvez faire vos préparatifs pour aller rejoindre l'Empereur. Vous partirez demain.

Puis, avec un sourire, Sa Majesté fit signe au capitaine d'approcher, et lui remettant une lettre ~cMchetée ajouta

Vous porterez cette lettre à l'Empereur vous pouvez la lire. Hcrivez-moi quand vous le pourrez, et donnez-moi des nouvelles de nos braves soldats. Le capitaine remercia l'Impératrice du fond du coeur, et le lendemain matin se mit en route. Mais ne voyageant plus que comme simple capitaine et non comme officier d'ordonnance de l'Empereur, il n'y avait plus ni berline de poste commandée à SaintJean-de-Mauricnne, ni bateau à vapeur attendant dans le port de Marseille, et quelque diligence qu'il fit, il ne rejoignit l'Empereur que le soir de Magenta, San-Martino.

Quant à la marche de l'armée d'Alexandrie a Verceil, on pourrait dire que les trois grandes conditions qui assuraient toujours le succès des fameuses marches de ûanc de Frédéric II, le ~c<?, Fo~'e et la ~M~, n'y avaient pas présidé.

Je reviens à mon journal

15 MAï. C~~Mo-M/a. Par décret du 5 mai, M. Stroitz est nommé chef de bataillon au 91~ de ligne, 1~ corps, division Forey. Le colonel me charge de porter sa lettre de service à cet officier de grand'garde avec sa compagnie. Il est fils du général baron


Stroltz, dont le nom est inscrit sous les voûtes de l'arc de l'Étoile.

d6 M.\i..Voï~. Je visite le champ de bataille illustré par la journée du 15 août 17~. Un petit homme sec, alerte, ancien notaire, s'empare de ma personne et se constitue mon guide dans cette excursion historique. H avait H ans en 17~9. il se rappelle parfaitement Joubcrt, Moreau, puis Souwaroff.

Dans un français suffisamment éclaire par ma connaissance superficielle de la langue italienne, il m'explique les péripéties de la bataille, et le désastre final, 1 orsque, au ravin du Riasco, notre droite fut attaquée et tournée par les 30000 hommes de troupes fraîches amenées par Gortschakoff, «le BIùcherde la journée", me dit-il. Il complète son amabilité de cicérone par une invitation a dîner, que je refuse à mon grand regret pour cause de service.

16 MAI..4/e.r<w~'<c. –Je suis logé chez le colonel du génie piémontais chargé de protéger, de surveiller et d'augmenter les fortifications créées par le général français Chasseloup-Laubat. Le colonel s'est acquitté de son devoir avec zèle, et les abords <!e la ville menacée d'un coup de main, ainsi que les rives du Tanaro, sont couverts de traverses, de chevaux de frise, d'estacades, de toutes les ressources de la fortification passagère.

Le théâtre, fermé pendant l'été, s'ouvre pour offrir à Leurs Majestés une représentation de jolis airs nationaux, actes coupés je ne sais où. mes yeux étant plus occupés que mes oreilles.


Pendant un cntr'acte, un monsieur habillé de noir, cravate de blanc, vient réciter et surtout mimer une tondue, longue pièce de vers, de laquelle je ne comprend:; pas un traître mot, tant il met de feu et de prosodie dans son intonation.

L'effet produit est énorme, et éclate à chaque strophe en acclamations enthousiastes.

Le roi Victor-Emmanuel ne me paraît point trop changé depuis les fêtes de Paris de t8o5. C'est toujours la même belle prestance militaire, les grosses moustaches, s!«~<?~'M, s'étendant jusqu'aux oreilles, les mêmes mouvements de tête droite, tête gauche, saccadas pour les salutations. Beaucoup de fleurs, de drapeaux unis, d'acclamations et de rayonnement sur les figures de LL. MM. Impériale et Royale. Je visite à cheval, en touriste, le champ de bataille de Marengo et le vieux musée formé par un admirateur de la grande époque. Vrais magasins de bric-à-brac, ornements, débris d'armes, buste de Desaix, statues de généraux et surtout de Bonaparte, dans le jardin. dans la maison; et partout des inscriptions au crayon, au couteau, quelques-unes fort irrévérencieuses, selon le gré et les sentiments politiques des nombreux visiteurs. J'admire la bonne volonté, sinon le goût du créateur.

21 MAI. En flânant par la ville, où nous retient le service assez compliqué dû à la présence des hôtes couronnés ctdcs généraux, j'assiste à l'arrivée despremiers blessés évacués du champ de bataille de Montebello. La victoire est connue depuis la veille. Quelques mai-


sons étaient même illuminées. Une foule nombreuse accompagnait les prolonges et les cacolets sur lesquels reposaient côte à côte les blessas des deux nations. L'émotion des assistants était générale, sérieuse, de bon aloi. Les femmes pleuraient. les blessés doivent être satisfaits et consolés par l'accueil franco-italien. Mon cœur se serre néanmoins devant ces contrastes de joie et de souffrances, les draps et les matelas en'sanglantés qui arrivaient, et les drapeaux enguirlandés de.fleurs et de verdure, attaches a toutes les fenêtres. Puis un sentiment complexe m'absorbe regrets de notre absence à ce premier baptême, espérance que le tour de la garde arrivera bientôt.

Je rencontre un ancien camarade de Saint-Cyr, d'Houdetot, capitaine adjudant-major au grenadiers de la garde. Envisageant la guerre italienne au point de vue des intérêts peu poétiques, mais positifs, il m~apprcnd 1° qu'Alexandrie était renommé pour ses nougats et ses fruits confits ou glacés '2" qu'en quittant Paris, il avait emporté l'espérance, presque la certitude du grade supérieur. La balle qui, quelques jours plus tard, troua son bonnet à poil et son front à Magenta, ne lui laissa pas le temps de réaliser son espoir, et peut-être de finir les choses exquises dont il avait rempli sa cantine. Ses services antérieurs, son ancienneté de grade, son mérite personnel, auraient certainement justifié cet avancement, outre sa qualité de neveu du général de division comte d'Houdetot, ancien aide de camp du roi Louis-Philippe-Egalité. Égalité. surtout devant les balles.


CHAPITRE V

Une lettre du général d'Autemarrc. Le lieutenant-colonel Mangin. Le devoir est de marcher au can~'n. Attaque soudaine. Appréciation de M. de Moltke. Trop de responsabilité. Pourquoi les subalternes manquent d'initiative. Le général Dizaine veut marcher au canon. La légende.

Je demande au lecteur la permission d'interrompre

pendant quelques instants le ./bw~~ de notre vail*lant et très érudit capitaine. Je crois devoir transcrire une lettre que M. le général d'Autemarre d'Ervillé m'a fait l'honneur de m'écrire. Elle me permet de reproduire deux documents qui ne sont pas sans intérêt, le lecteur en jugera.

« Paris, 18 mai 1888.

« MONSIEUR,

« Je regrette de ne pouvoir mieux réaliser votre attente, et vous donner des détails inédits sur le rôle du 5c corps et de la division que je commandais pendant la campagne d'Italie de 1859 à 1860.


« Ce rôle. Monsieur, a été bien effacé. et peut se résumer en de simples itinéraires, que je n'ai plus, mais que vous trouverez sans doute facilement. Le 5~ corps a constitué un véritable corps de réserve, et nous allions certainement faire mieux que des marches quand ont été signés les préliminaires de la paix. Ma division avait surtout pour mission d'attirer les Autrichiens vers la Vénétic, en leur faisant croire à une invasion de notre part et à notre désir de recommencer la victoire de Macdonald à la Trebbia, tandis que la véritable direction de l'armée était tout autre. Nous avons opéré une diversion, et rien de plus. « Ma division, composée de cinq régiments venant d'Afrique, a F effectif de HOO hommes par bataillon, fut formée a Gcnes, tandis que la seconde du corps d'armée, celle du général Uhrich, était formée plus tardivement à Florence avec l'état-major général du prince Napoléon.

« Il est résulté de cette situation que j'ai toujours agi isolément à l'extrême droite de l'armée, à un ou deux jours de marche, et recevant le plus souvent les ordres directs de l'Empereur.

« C'est dans ces conditions que deux de mes régiments ont pu se signaler le premier bataillon du 93" de ligne, commandé par le lieutenant-colonel Mangin, a pris une part honorable au combat de Montebello et le 3" zouaves, colonel de Chabron, aujourd'hui sénateur, a eu presque a lui seul l'honneur de la journée de Palestro. Je n'étais malheureusement à aucune de ces deux affaires.


« Le combat de Palestro est bien connu S. M. Victor-Emmanuel a du reste rendu pleine justice aux services du zouaves, qui lui avait conféré par acclamation le grade de f~or~ <f~

« Quant à la conduite si honorable du lieutenantcolonel Mangin le jour de MontcbeIIo, elle est précisément racontée dans un article du journal le 7~ du 1~ de ce mois.

« Le récit est exact, à une erreur et à une omission près. L'erreur, c'est que .c'est au général Bazaine et non au commandant du i" corps que Mangin a demandé si on ne marchait pas au canon, et a répondu qu'il n'avait pas a demander d'ordres au maréchal Baragucy d'Hilliers, ne faisant pas partie de son commandement. L'omission, c'est qu'après le combat, le vainqueur a embrasse Mangin avec effusion en le remerciant, mais l'a oublié presque complètement dans son rapport et tout à fait dans ses propositions. « Ce que je dis ici, c'est pour rendre hommage ce remarquable officier, qui est mort trop jeune et qui était fils du préfet de police sous la Restauration. « Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération la plus distinguée.

« Général D'AuTEMARRE.

Voici le récit du Temps dont le général d'Autemarre reconnaît l'exactitude sauf une erreur et une omission. Le fait en lui-même est généralement connu, mais les détails le sont moins, et ils ont cependant leur importance, comme on va le voir.


« Reportons-nous au début de la campagne d'Italie. en 1859. Le 93' régiment d'infanterie (ancien t S" léger), depuis longtemps en Algérie, avait été classe dans la division d'Autemarre, la première du 5*' corps d'armée commandé parle prince Napoléon. Ce corps, qui avait dans le plan de la campagne une destination spéciale, n'était pas encore organisé lorsque le mouvement offensif des Autrichiens amena le commencement des hostilités; mais les bataillons qui <'n faisaient partie commençaient à débarquer à Gènes l'état-major gênerai résolut de les utiliser pour remplacer, à l'extrême droite de l'armée, les troupes du i~ corps qui allaient participer au grand mouvement tournant opéré vers la gauche, et masquer ainsi ce mouvement, en retenant l'armée autrichienne dans ses positions et en couvrant la ville de Gènes. « En conséquence, le i~ bataillon du 93", débarqué depuis le 10 mai, venant d'Alger, reçut, l'ordre de partir le 20 mai, a 6 heures du matin, par la voie ferrie qui va de Gènes à Stradella. Il devait quitter cette voie à Voghera pour se diriger sur Varzi et Bobbio. Le lieutenant-colonel Mangin, officier des plus vigoureux, devenu plus tard général de brigade et mort prématurément après la guerre du Mexique, marchait avec ce bataillon, qui se trouvait ainsi place sous ses ordres. La voie ferrée avait été coupée près de Tortone, au pont sur la Scrivia: la colonne dut alors parcourir à pied la distance de 17 kilomètres environ, qui sépare ce point de Voghera.

« Arrivé à 2 kilomètres à peu près au delà de


Pontecurone, c'est-à-dire à t kilomètres et demi en deçà de Voghera, on entendit tout à coup le canon en avant et sur la droite. Le lieutenant-colonel prescrivit alors a l'adjudant-major du bataillon de prendre le galop et de se rendre à Voghera le plus rapidement possible afin de le renseigner. L'adjudant-major trouva sur la place de Voghera un officier supérieur faisant partie de l'état-major de la division Forey, lequel paraissait inquiet. Son général, chargé de pousser une reconnaissance avec sa division, la première du corps du maréchal Baraguey d'Hilliers, s'était heurte a des forces supérieures; il était vivement engagé et sa ligne d'opérations se trouvait menacée. Il avait envoyé demander du secours au maréchal qui ne semblait pas disposé à lui en donner, soit qu'il ne voulût pas engager l'affaire plus qu'elle ne l'était déjà, soit quil reprochât à son lieutenant de s'être compromis au delà de ce qui était nécessaire. L'officier d'état-major envoyé à Voghera connaissait le lieutenant-colonel Mangin, sa valeur et son énergie; il parut heureux de sa prochaine arrivée et le dit à l'adjudant-major qui, tournant aussitôt bride, alla retrouver le bataillon à 1 ou 2 kilomètres de Voghera.

« Instruit de ce qui se passait, le lieutenant-colonel n'hésita pas un instant et fit presser le pas à sa troupe. « Le bataillon, dit-il. ne s'arrêtera pas à Voghera, nous avons le devoir de marcher au canon, nous pouvons être utiles. Si on n'a pas besoin de notre aide, nous reviendrons simplement sur nos pas; nous n'en sommes pas à quelques kilomètres près. II faut dire


que la distance de Voghera Montebello. où se battait la division Forey, est de 7 kilomètres et demi. C'était donc une marche supplémentaire de !5 kilomètres seulement qu'il s'agissait d'imposer au bataillon qui, venant de faire un séjour de cinq ans en Afrique, était parfaitement entrainé.

« Cependant le maréchal Baraguey d'HUliers se trouvait en deçà de Voghera, avec la deuxième division de: son corps d'armée, dont les soldats. l'arme au pied, frémissaient d'impatience au bruit du combat engagé si près d'eux. Apercevant un bataillon qui marchait dans la direction de Voghera lorsqu'il avait donné l'ordre de ne pas bouger, il s'étonna, voulut savoir ce que signifiait ce mouvement, et envoya chercher le lieutenant-colonel Mangin. Aux questions qu'il lui adressa,'celui-ci répondit que le bataillon placé sous ses ordres faisait partie de la division d'Autemarre et appartenait au 5~ corps, qu'il avait pour instructions de se diriger sur Yoghera et qu'il s'y rendait. Le maréchal lui expliqua qu'avant de continuer son mouvement, il ferait bien d'attendre le résultat de la reconnaissance du général Forey; mais le lieutenant-colonel du ~3° tint bon, et. s'inclinant respectueusement devant le maréchal, déclara qu'il accomplirait quand même sa mission. Pendant ce colloque. les officiers du bataillon causaient avec ceux du l~xouaves.qui ne dissimulaientpasicurmécontentement du rôle auquel on les réduisait.

« On prit une allure plus vive et l'on traversa rapidement Voghera, où se trouvait un aide de camp du gé-


néral Blanchard, commandant la 2~ brigade de la division Forey, qui cherchait du secours, et qui présenta la situation de son général comme absolument compromise s'il ne lui arrivait pas de renfort dans le plus bref délai. Donnant alors une nouvelle preuve d'initiative, le lieutenant-colonel Mangin prit une détermination dont il ne se dissimulait pas la gravité. Il fallait non seulement arriver sur le champ de bataille~ mais il fallait y arriver le plus vite possible il fit mettre les sacs à terre pour prendre le pas gymnastique, et envoya l'adjudant-major en avant pour prévenir le général Forey de son intervention; mais le général était trop loin, et le lieutenant-colonel dut se contenter de prendre les ordres du général Blanchard, d'après lesquels il prit immédiatement ses dispositions d'attaque. Cette attaque soudaine et audacieuse d'un bataillon pénétrant dans le flanc droit du corps ennemi fut couronnée d'un succès immédiat. Les Autrichiens se retirèrent précipitamment, pensant, comme le constata leur général dans son rapport sur cette affaire, que l'avant-garde d'un corps considérable venait prendre part à la lutte. « Après avoir cité cet exemple et constaté l'influence exercée sur le résultat du combat par le mouvement du 93", M. de Moltke, dans son historique de la campagne de 1859, ajoute '< Ce bataillon n'appartenait « pas au corps d'armée engagé; il était accouru au « bruit du canon, suivant le bel usage depuis long« temps en vigueur dans l'armée française. » Auraiton été en droit de s'exprimer ainsi après la guerre de


1870? Nous sommes bien forcés de répondre non à cette question. D'où venait donc. au milieu de tant de qualités qui rendent glorieuse encore la défaite des armées françaises,le manqued'initiative dont plus d'un commandant de troupe encourait le reproche pendant la dernière guerre? Je n'hésite pas, pour ma part, à lui assigner une double cause l'exagération du principe de responsabilité, et l'intervention trop fréquente de l'autorité supérieure dans les détails du commandement inférieur à tous les degrés. La responsabilité 1 on n'avait plus que ce mot sur les lèvres et au bout de la plume.

« S'il survenait un incident quelque peu regrettable, si quelque accroc se produisait dans l'exécution d'un ordre donné ou simplement dans le service journalier, on s'occupait beaucoup moins de remédier au mal et d'en prévenir le retour que de lui trouver un éditeur responsable, à blâmer ou à punir au besoin. Et ce mot de responsabilité, on l'appliquait aux plus élevés comme aux plus humbles, comme s'il ne tombait pas sous le sens qu'un chef est responsable de l'ordre qu'il donne, et comme s'il était besoin de le lui rappeler à tout propos.

« Voici un exemple bien remarquable à l'appui de l'observation que je me permets ici. Lorsque, au début de cette campagne d'Italie de 1859, dont je viens de citer un épisode, le 3'' corps d'armée commença a franchir les Alpes, la tête de colonne de ce corps d'armée fut arrêtée à Suse, et son commandant, qui n'était autre que le maréchal Canrobert, reçut l'ordre


d'en attendre la formation complète avant de se por ter en avant. Toutefois, au cas où le roi de Sardaigne viendrait à réclamer son aide, il était autorisé à marcher au secours de l'armée piémontaise, mais sous sa propre responsabilité. En bon français, cela voulait dire Le commandant du 3" corps d'armée n'est pas -forcé de déférer au désir exprimé par le roi il reste juge de la conduite à tenir en présence de l'appel qui pourra lui être adressé.

«Une instruction donnée en ces termes eût été suffisamment intelligible et sufnsamment précise; pourquoi donc y ajouter le mot de responsabilité qui allait de soi ? Par le fait, ce mot ne pouvait troubler un soldat de la trempe du maréchal et ne le troubla pas le cas prévu dans ses instructions se réalisa. Turin fut menacé par la marche en avant de l'armée autrichienne; le héros de Zaatcha, l'ancien commandant en chef de l'armée d'Orient, invoqué par Victor-Emmanuel, sut prendre à propos les dispositions les plus habiles pour faire échec à l'ennemi. Mais ce mot de responsabilité, à force d'être répété avec insistance, en a troublé bien d'autres depuis lors. En se préoccupant sans cesse d'engager et de déterminer les responsabilités, on en a fait comme un épouvantail, dont chacun a eu l'idée de se préserver en dégageant sa responsabilité, en se bornant à l'exécution stricte des ordres reçus, pour avoir le droit de dire après l'événement « Ce n'est « pas moi qui suis responsable. » Il est si simple et si facile de ne rien faire

« D'un autre côté, des chefs parvenus trop rapidement


aux grades supérieurs en pleine paix, sans autre droit à cet avancement prématuré que la présomption d'un mérite qui n'avait pas eu l'occasion de se démontrer, appelés à commander un bataillon ou un régiment avant d'avoir appris a bien commander une compagnie, pleins d'activité d'ailleurs et animés d'une noble ardeur, ont tué l'initiative chez leurs subordonnés à force d'intervenir dans leurs actes et de les réduire à l'état de machines obéissantes. On paraît aujourd'hui, à cet égard, imbu d'idées infiniment plus saines. Tant mieux' Un bon capitaine doit laisser ses lieutenants commander leurs sections; un bon colonel ne doit pas gêner ses capitaines dans le commandement de leurs compagnies. Chacun prend ainsi conscience de sa propre valeur et de l'importance du rôle qui lui est confié. Il acquiert le vrai sentiment de la responsabilité, conséquence naturelle de l'initiative. « Là où les subal« ternes ne montrent pas d'initiative, dit avec raison l'Allemand von der Goltx, dans la A~oK arwee, « la « faute en est d'ordinaire aux supérieurs. » « II faut que le commandement suprême pratique « une tolérance généreuse vis-à-vis des actes indépen« dants des subordonnés. » A la fin de la dernière guerre le général ManteuSel, chargé d'opérer contre notre armée de l'Est, prit sur lui, en raison des événements qui s'étaient produits, de modifier complètement le plan qui lui avait été tracé par le grand étatmajor. « Il a eu raison, » dit le maréchal de Moltke aussitôt qu'il en fut informé. Napoléon lui-même, ce maître si absolu, se montra à l'heure des revers


plein de mansuétude pour les fautes de ses lieutenants. Les maréchaux Ney, Oudinot, Macdonald, qui n'avaient pas su seconder ses projets et s'étaient laissé battre à Dennewitz, à Gross-Beeren, la Katzbach, ne reçurent de lui aucun reproche. « Il faisait la part « de la mauvaise fortune, » observe le duc de Fezensac dans ses curieux ~OM~!?~ militaires, « il excusait les « erreurs, il pardonnait même les fautes n.

« Général TnouMAS.

Ce ne fut donc pas, comme le dit fort judicieusement le général d'Autemarre, au maréchal Baraguey d'HiIliers, mais bien au généraIBazainc que s'adressa le lieutenant-colonel commandant le 1~ bataillon du 93". ,En rétablissant la vérité, j'ajoute que cet incident donna naissance à une de ces légendes qui, par malheur, s'incrustent trop facilement dans l'esprit des soldats.

Le maréchal Baraguey d'HiIliers n'était donc pas, comme le dit le général Thoumas, le 20 mai à Voghera, mais à Ponte-Curone. C'est Bazaine qui était à Voghera. En effet, l'ordre était de maintenir l'ennemi en éveil pendant que le gros de l'armée exécuterait le mouvement tournant qui devait aboutir à la victoire de Magenta. Défense expresse avait été faite de s'engager. Le général Forey, impatient d'euàcer les impressions fâcheuses qu'avait fait naître, à tort ou à raison, sa conduite en Crimée, avait dit bien haut qu'il ne manquerait pas l'occasion de prouver qu'il était brave, qu'il la ferait naître au besoin.


I! attaqua les Autrichiens àMontcbeIIo malgré les ordres formels de son chef.

Le général Bazainc ayant appris par le capitaine Piquemal, aide de camp du général Forey, que ce dernier était aux prises avec l'ennemi, courut aussitôt auprès du maréchal. le suppliant de le laisser partir pour l'appuyer.

Le maréchal Baraguey d'Il illiers, furieux de la désobéissance de son second, ne voulut rien entendre. Il n'a pas tenu compte de mes ordres, dit-il, tant pis pour lui. Vous êtes ma réserve, et je vous défends de bouger.

Bazaine cependant insista tant et si bien que le maréchal finit par lui permettre de partir, mais avec un régiment seulement, le 1 er zouaves et encore avec l'ordre ~?/a~ /o?'Mc/ de M<? ~<~ <yMo< <~M'~ <?'~< <?aMer Fo~c. On se battait à MontcbeIIo, à 6 kilomètres plus loin.

Bazaine, en arrivant à Voghera, arrêta donc son régiment et fit former les faisceaux sur le champ de manœuvres de cette place. Les officiers et les hommes, impatients de prendre part à ce premier combat de la campagne, se mirent à murmurer, ne comprenant pas qu'on les immobilisât pendant que se battaient leurs camarades.

Un bataillon partait à ce moment pour rejoindre. Bazaine, avec son coup d'œil habituel, prit sur lui d'engager le commandant de cette troupe à suivre, au lieu de la route, la chaussée du chemin de fer qui devait l'amener sur les flancs de l'ennemi.


Cet officier suivit le conseil mais lui et ses hommes trouvèrent étrange la conduite de ce général qui, au lieu de se rendre sur le lieu de l'action, se bornait a donner des avis, et restait à 6 kilomètres en arrière avec les troupes qu'il avait amenées.

De suite, avec le caractère si léger et si impressionnable du soldat français, prit naissance la légende que Bazaine n'avait pas voulu venir en aide à Forey avec le secret désir de le voir battre. Ce bruit absurde se répandait avec la vitesse d'une trainée de poudre et arrivait le soir même aux oreilles de l'Empereur. La bataille était gagnée mais Forey, n'étant pas soutenu, n'avait pu en tirer tout le parti que l'on était en droit d'en attendre.

Le lendemain 21 mai, l'Empereur voulut visiter le champ de bataille, sur lequel deux bataillons de la division Bazaine étaient occupés à rechercher les morts. Bazaine, qui n'avait pas été prévenu~ s'y trouva néanmoins.

Napoléon 111 l'accueillit avec sa bonté ordinaire, mais ne put s'empêcher de lui dire devant le marécha~ Baraguey d'Hillicrs qui l'accompagnait

Il est regrettable, généra!, qu'il ne vous ait pas été possible d'arriver à temps pour soutenir Forey 1 Pensant que le maréchal allait élever la voix pour le défendre, Bazaine ne répondit rien d'abord; mais voyant que son chef se taisait, il se trouva dans la nécessité de dire à l'Empereur que s'il n'avait pas dépassé Voghera, ce n'était qu'en vertu des ordres formels qu'il avait reçus.


L'Empereur eut alors une explication assez vive avec le maréchal Baragucy d'Ililliers, qui fut obligé de convenir du fait, mais qui ne pardonna jamais à Bazaine de l'avoir fait prendre, par le souverain, en flagrant délit de déloyauté envers un inférieur. Il l'a prouvé dans la suite.


CHAPITRE VI

Un M~Mor doMorf. Chevaleresque équipée. L'intendance à Xovare. Conséquences du passage des Africains. Le devoir n'esl plus de marcher au canon. Fausse alerte. Passage du Tessin. Un souvenir de jeunesse. On se débrouille. La Cascina ~o</r<?y/!a/!< Un malheureux capitaine de Tyroliens.

23 MAI. /~Mr< ~ow Occ~M~Mo. Depuis les coups

de canon de MontebeIIo, les journées me sont longues et lourdes dans cette forteresse d'Alexandrie, et les accents de nos clairons au départ me semblent une musique plus charmante que celle des concerts officiels, des augustes réceptions et des théàtres. En arrivant à Occimiano, je tombe dans une chambre où, assise sur deux chaises, et entourée de plusieurs femmes, une autre femme était péniblement en train de mettre au jour un futur enfant de l'Italie. Mes aiguillettes d'or me font prendre pour un ~~o?' <~o<~ore de l'armée sarde; je me sauve ahuri, en expliquant leur erreur aux commères attachées à mon uniforme. Ainsi va le monde là, la mort brutale,


inattendue, et la destruction ici, la naissance et la vie. Système des compensations.

'29 MAI. Casale. Grande et belle ville, beaucoup de fortifications anciennes et nouvelles. Le Pô. très large, mais semé d'îles, ne me paraît pas aussi majestueux que le Rhône a Lyon, et plus tard le Tessin avant Magenta. Soleil éblouissant, ville gaie. bien bâtie. Un groupe épais d'officiers stationne devant l'un des beaux cafés de Casale. Ils entourent un jeune officier portant l'uniforme de cavalerie piémontaise. Je remarque ses longues et blondes moustaches bien effilées. M s'exprime en français très pur, sans accent étranger. Bientôt, en dégustant un sorbet sur une table rapprochée de la sienne, j'apprends que ce jeune officier si entouré, si fêté, était le duc de Chartres, le deuxième fils du duc d'Orléans, le petit-fils de LouisPhilippe, que des camarades ont déjà vu à Gênes. Il combattait ses parents autrichiens à l'ombre des deux drapeaux réunis, et je vins à penser que si, plus tard, une de ces révolutions imprévues et habituelles à la France ramenait sa famille au pouvoir, le gouvernement autrichien pourrait bien lui garder rancune de sa chevaleresque équipée, sous les ordres du beaupère du prince Napoléon, l'allié de S. M. l'Empereur des Français, Napoléon III.

1~ JUIN..VbMrrp. Encore la voie ferrée jusqu'à Novare, ce qui, dans les autres corps d'armée, un peu jaloux des privilèges de la garde, accrédite la légende que celle-ci voyage toujours en chemin. de fer. J'admire le soin avec lequel les Autrichiens ont cru dé-


molir le chemin de fer. Les rails, religieusement déposés, soit isolément, soit par petits paquets sur les deux côtes do la voie. n'attendent que des ouvriers pour ëtrf replaces bout à bout et boulonnes pour un prompt et bon service.

Croyaient-ils donc repasser par là dans un prochain avenir?

Arrivée f). Novarc vers 5 heures du soir, changement de décors point de Heurs, silence complet, magasins fermes, quelques rares fenêtres ouvertes. Nous prendrait-on pour des ennemis? Cependant, à l'un des balcons, nous apercevons le superbe sous-intendant des voltigeurs. M. Viguier, lequel, en grand uniforme, ganté de blanc et fumant son A~< se donnait le plaisir de voir M <c~o/< défilant devant son palais.

Le lieutenant adjoint au trésorier, M. Adam, descend de cheval, et profite de cette rencontre heureuse pour aller lui demander l'heure et le lieu des distributions. Réponse fine et spirituelle de M. Viguier

Je serais bien heureux si vous vouliez me les faire connaître.

En écoutant cela, le colonel Douay lève les épaules-, et nous conlinuons notre chemin vers les remparts de la ville. A T heures du soir. mourant de faim, je finis par trouver uu celui des Trc 7?p, où, après une longue attente, on me sert une forte portion de A/j~~o, arrosée d'un jus qui sentait un peu trop le mouton màle.

A. B. J'avais dù payer à l'avance 1


On raconta dans cet hôtel que la garde a été précédée a Novare par le 2" corps (~ïac-~ïahon), presque entièrement composé d'Africains.

Les zouaves, les premiers soldats du munde–selon les uns ces premiers voyous de l'armée–scion les autres suivis de ces corps d'Iite qui s'appellent les turcos. Les denx régiments de la lésion étrangère avaient répondu au fraternel accueil des habitants par un véritable pillage des magasins, des cafés, etc. Ainsi me fut expliquée la morne et silencieuse attitude des Novarais.

Officiers et soldats, nous subissons les conséquences du passage des Africains. A 8 heures, pendant que j'engloutissais rageusement ]c plat de laxagna au jus de bélier. rct''ntiss<'nt tout à coup la J/<c/7/~c, la .W/M/s<~ qui des rues voisines avaient l'air de venir jusqu'à nous. C'était 1'' Roi qui rejoignait l'Empereur dans son palais afin de discuter les combinaisons des jours suivants; car tout sentait la poudre, et le canon des deux journées de Palestro retentissait encore à mes oreilles. Encore une victoire de perdue pour les voltigeurs 1 ~otre tourne viendra-t-il donc jamais? A Palestro la situation du roi Victor-Emmanuel fut un moment si critique, que le général Trochu crut indispensable d'avancer. Le maréchal Canrobert lui envoya un officier pour lui dire qu'il avait tort, que Palestro devait rester son objectif.

Le général fit observer que le roi était fortement engagé, qu'il était impossible au maréchal de se rendre aussi bien que lui un compte exact de la situation


que, sur ce qu'il en savait, il croyait de son devoir d'aller au secours du roi. H avait même déjà fait un kilomètre a droite, à travers champs, lorsqu'il fut rejoint parun second officier qui lui dit que le maréchal était très mécontent et avait répété à plusieurs reprises Vous direz à ce jeune généra! qu'il n'a pas à apprécier les événements, mais à exécuter les ordres qu'on lui donne.

Il n'y avait plus qu'à obéir.

Le général se voyait donc force de rétrograder, lorsque arriva à son tour un officier d'ordonnance du roi, a la disposition duquel avait été mis le 3' xouaves. Le roi demandait formellement du secours. Ait s'écria Trochu, gruce à Dieu, voila. qui met fin à toute hésitation

De son côté Canrobert envoyait enfin l'ordre de se porter au secours du roi: mais on avait perdu beaucoup de temps, et en route contre-ordre est donne, le combat est fini.

Les troupes n'étaient pas contentes de ces allées et venues, elles réprimaient avec peine un profond dégoût. Elles avaient été si près de l'ennemi, sans le voir, qu'un boulet perdu avait tué le chef de bataillon Duhamel et emporté toute une file du 88'' régiment. Ayant les T~'c Re suspendus au-dessus de ma tête, pensant qu'il n'y avait aucun péril en la demeure, je continuai mon modeste repas, et non sans peine, vers les 9 heures du soir, je retrouvai la tente où j'espérais trouver aussi le repos et le sommeil.


Vain espoir! A minuit, un tumulte effroyable, entrecoupe de cris stridents « Aux armes, aux armes! » Un réveil en sursaut, de vives lueurs intermittentes traversent le coutil de ma tente. En hâte, couchant botté, j'enfile ma tunique et je sors.Toutes les tentes-abris des voltigeurs étaient abattues, les hommes déjà prêts à se battre, et la pai!lc de leur couchage brûlait cà et h't. en petits tas, au risque de faire sauter les cartouchières.

Le colonel Douay, en caleçon, mais botté, nu-trte. tenant une bougie de chaque main, criait a ses soldats Voulez-vous bien rester tranquilles ? Ccuchexvous donc, tas de Et, m'approchant de lui pour prendre ses ordres

Que penscx-vous de tout (~a?

Je pense, mon colonel, que des deux côtés, ville et campagne, tout est calme, et que cela est ce qu'on appelle une panique bien caractérisée.

Allez donc voir ce qui se passe chez les grenadiers, me dit-il, et il continua son œuvre d'apaisement. Or, nous étions campes par inversions, par division les grenadiers étaient à notre gauche.

Je traverse les et voltigeurs, et comme le tumulte et l'effarement allaient y'/K/b/o de la droite à la gauche, j'entends des officiers supérieurs (s. v. p.~ de nos régiments qui crient « Prenez seulement vos cartouches et des biscuits, » Puis j'arrive a notre batterie d'artillerie, dont quelques chevaux sellés, bridés, s'apprêtaient à aller avertir les officiers qui, plus heureux uu plus adroits


que nous, avaient su trouver dans ~ovarc « bon souper, bon gîte et le reste »

Je m'approche du chef d'escadrons et je prends sur moi de lui dire « Ce n'est rien. le colonel Douay m'envoie prévenir les régiments. Si à minuit, vos chevaux galopent dans les rues, toute la ville et toute l'armée seront en révolution. »

Ce commandant, calme et de bon sens, donne aussitôt contre-ordre pour le départ, en prescrivant toutefois de laisser quelques chevaux sellés en cas d'éventualités.

A !~0 ou '200 mètres de la batterie, campaient les zouaves de la garde. La rumeur et le trouble n'étaient pas encore arrivésjusqu'à eux. Des cuisiniers faisaient t tranquillement leur popote, aides parleurs camarades voisins, les bonnets à poil. Je rause avec eux, je les mets rapidement au courant de la situation, en les mettant aussi soigneusement en garde contre tout ce qui pourrait survenir de trouble du côté des voltigeurs, m'en rapportant du reste à leur vieille expérience militaire. Puis je vins rendre compte au colonel de tout ce que j'avais vu, dit, fait, prescrit, etc. Le calme revenait dans les rangs les tentes se reconstruisaient le colonel me dit qu'un sous-officier du bataillon de chasseurs, sous l'influence bien excusable d'un rêve militaire, avait crié, tout endormi « Aux armes » et que ce malheureux cri, venant d'un seul, mais cent fois répété, avait produit l'alerte. Le curieux de la chose, c'est que d'autres criaient: « Aux arbres » de sorte que, jusque dans les fossés.


sans comprendre comment ils avaient pu descendre, on avait pu voir pas mal d'hommes juchés sur les arbres qui, comme d'habitude, font de ces remparts autant de promenades.

2 jL'iN. /~M~c </M 7'ss/ Départ de Novarc :). i« heures du matin. J'emporte avec moi le regret de n'avoir pu visiter le théâtre de la sanglante bataille du 23 mars 18~.

Nous suivons la route qui conduit droit au Tessin. Beaucoup de soleil, /< de poussière. Marche lente. On attend quelque chose qui finit par arriver. C'était un équipage de ponts piémontais. On s'arrête, on ouvre les rangs curieusement pour le laisser passer. Vers deux heures on est au Tessin. Large, rapide, profond, transparent, majestueux. Les bateaux sont à l'eau, attendant leur ordre de bataille; des chasseurs à pied les précèdent dans de petites barques. L'endroitchoisi pourjct~r le pont est selon les règles militaires. Notre rive droite domine la gauche.arive ennemie. Cependant celle-ci a le défaut d'être boisée et d'offrir ainsi un abri aux tirailleurs qui voudraient nous disputer le passage. Trois de nos pièces peuvent battre la rive opposée; de son côté, le colonel Douay dispose ses compagnies en conséquence. Mais nul ennemi en face de nous rien qu'un poteau noir et jaune avec l'aigle à deux têtes et près du poteau un seul et unique personnage en uniforme, coiffé d'un chapeau comme celui de nos gendarmes probablement un douanier.

Tout à coup retentit un de nos canons; puis un


deuxième. C'était notre demi-batterie qui, sur l'ordre du général Camou, faisait à ce malheureux douanier l'honneur de la première salve d'artillerie tirée par les canons de la garde.

Je vois, tout (~bubi, l'Autrichien qui disparaît; et pendant que !<' troisième coup s'apprête, j'entends une grosse voix, venant de l'aval, qui crie

Mais, général, vous n'y pensez pas. sur quoi tirez-vous donc? Vous avez la chance de n'avoir personne devant vous. vous voulez donc attirer l'ennemi et vous, lieutenant, vous /?a~ vos deux coups de canon.

C'était le général Lebccuf, commandant en chef de l'artillerie de la garde, qui adressait, en courant à pied, pâle, superbe d'indignation, ces foudroyants reproches à notre général de division. J'ignore si le lieutenant a payé sa dette; mais le général Camou, ahuri, courbait sa grosse tête sur son grand corps, et ne trouvait rien à répondre.

Alors, comme dans un éclair, je vins à me rappeler qu'en 1847, au café Napoléon, a Oran, le général Lamoricière disait à ses amis le colonel Bosquet, le commandantCharras, il. haute voix, sans se gêner « Ah ce vieux tambour-major! ah! ce produit de la popularité maniaque de ~OM~/ tout le monde lui attache un haillon à ce grand /)o~

jPoK/ c'était, à ce qu'il parait, le duc d'Orléans, la victime du i3 juillet i84~. Le grand poteau était l'immense général ou colonel Camou, le fin et rusé Béarnais, compatriote des Henri IV et des Bernadotte, et


les haillons, c'étaient les grades et les décorât ions que les gouverneurs successifs de l'Algérie attachaient au poteau, entraîné dans la filière des récompenses. J'étais jeune en 1817: je n'attachai pas grande importance à c<?s railleries je savais que ces messieurs de l'artillerie, du génie, de l'état-major, passés par vingtaines dans l'infanterie et la cavalerie, en vertu d'un article trop é!astiquc de la loi sur l'avancement. en cas de formation des zouaves, des turcos, ou des spahis, tenaient en médiocre estime leurs camarades sortis des rangs ou de Saint-Cyr. Comme si LouisPhilippe n'avait pas pu trouver, parmi ces derniers, des colonels ou des généraux aussi braves, aussi intelligents, aussi dévoués que ces légitimistes et ces républicains in mais aujourd'hui, avec l'~ge, la réflexion m'était venue avec un peu d'expérience. Je savais que notre généra! avait 67 ans; je savais par ses nombreuses inspections générales qu'il parlait français comme un /?~MC ~<~MO/: et cependant jusqu'alors, jusqu'à ces malheureux coups de canon, j'avais confiance dans cette vieille expérience du premier Empire. Avec leur fumée s'envolaient toutes mes illusions; et je me demandai, non sans un certain frémissement le long de mon épine dorsale, ce que nous pourrions devenir entre les mains d'un homme qui faisait tirer le canon sur un simple douanier surveillant son poteau jaune et noir. au moment d'une opération aussi délicate, aussi dangereuse que celle du passage d'un fleuve large, profond, impétueux. Cependant, peu à peu, bateau par bateau, le pont s'a-


chcvait sans obstacles nos tirailleurs étaient sur la rive gauche. Au 3'' voltigeurs revint l'honneur de passer le premier en c~~ sur le sol ennemi.

I! était environ << heures et demie du soir. Le colonel m'envoie alors en reconnaissance avec une douzaine d'hommes. ~ous avons devant nous un taillis touffu coupé de quelques sentiers. Je m'avance en fouillant les bois à 500 mètres du rivage. Le terrain est inonda, marécageux ce sera un campement difficile. Nulle trace d'ennemis; seulement un tas de paille foulée, le coucher probable du pauvre douanier que nous avions si brutalement accueilli.

De retour, pas de distribution rien à manger, toujours rien les soldats se débrouillent et moi avec eux. Impossible de dormir dans mon caban, à cause des moustiques. Je cours m'étendre près d'un feu de branclies vertes dont la fumée réussit à les éloigner, mais aux dépens de la blancheur de notre peau. 3 jc-ix. En route à 3 heures du matin, le 2*= voltigeurs arrive a Naviglio Grande, avec mission de trouver et de défendre un pont sur le canal.

Cet endroit s'appelle C~c/K~/M'c~'c~aMo; c'est une ferme, composée de deux maisons sur la rive droite, et qui fait, dit-on, partie du village de Robecchetto. Le pont est intact.les Autrichiens n'y ont pas touché. Seulement le colonel Douay reçoit l'avis qu'ils vont revenir pour réparer cet oubli. Deux compagnies, Barthet (1~) et Poilleux (~~ du t~ bataillon, s'installent dans les maisons de la rive droite, et les mettent rapidement en état de défense. Matelas aux fenêtres, meur-


trières, etc. Le reste du bataillon est sur la rive gauche, derrière les murs crénelas des jardins; d'autres soldats se couvrent en démolissant une grosse meule de fourrage dont ils se font des abris; nos chevaux affames sont heureux derrière la meule. plus heureux que nous. Il était temps Bientôt arrive une colonne de t <t 5000 hommes, précédée d'un bataillon de Tyroliens qui ouvrent le feu. On leur riposte des deux rives. Bref, nous comptons dans cette affaire 6 hommes tués, et une douzaine de blessés.

Ces Tyroliens tiraient bien toutes les blessures étaient à la tête et au bras, c'est-à-dire aux seules parties du corps visibles par moments et ajustables. Voulant voir ce qui se passait, j'allonge le cou pour regarder par-dessous la travée du pont. Aussitôt une balle vient s'aplatir près de mon oreille gauche, contre le mur de clôture auquel nous ctionsadossés, lecolonel, notre major, un lieutenant et moi. Je soubresaute quelque peu, le colonel se met à rire en me disant: Elle est bien à votre adresse gardez-la comme souvenir.

Incrustée dans le mortier, il était impossible de distinguer sa forme primitive. Elle ressemblait à une belle et large plaque étoilée d'un ordre quelconque. Pendant que nous échangions cette fusillade, le général .Mac-Mahon remportait la victoire de Turbigo. Son canon, éloigné d'abord, se rapprochait de nous aussi la colonne ennemie comprenant l'inutilité de son attaque. et craignant d'être coupée, se décide a la retraite. Il est 7 heures du soir. ~os tirailleurs suivent


les Tyroliens. On compte une trentaine de morts et quelques blessés, les autres ayant pu être emmener. Parmi eux se trouve un grand, un magnifique officier tout jeune, superbe dans sa veste blanche et sa culotte bleu clair. C'était l'adjudant-major, ou l'équivalent du bataillon de Tyroliens.

Pendant que, descendant de cheval, son pied décrivait en l'air la courbe voulue, une de nos balles était venue le frapper par-dessous, sortant par-dessus, et faisant une horrible bouillie de chairs, d'os, de tendons. Le pied n'avait déjà plus forme humaine. Pour obtenir un pareil hasard, il faudrait peut-être des millions de coups de fusil, et encore 1

On l'étend sur des couvertures amoncelées sur le foin. Il murmure tout bas quelques mots parmi lesquels je distingue avec peine celui-ci ~<&e/. Je comprends qu'il réclame son sabre,que le colonel Douay lui fait rendre aussitôt. Il le prend avec un vif sentiment de joie et retend sur son corps. « Pauvre jeune homme Il est perdu, me dit le docteur Gaullet, il est déjà trop tard pour faire l'amputation. le tétanos va l'emporter.» Qu'cst-il devenu ? Je l'ignore. On le conduisit dans une ambulance. et moi, ércinte, n'ayant dans le ventre que l'acide ~o~ du pays, je vais me plonger dans le fenil d'une des deux maisons de la ferme. Je ne me souviens pas d'avoir jamais goûté aussi vite un aussi profond sommeil.


CHAPITRE Vif

Le 2c voltigeurs prend les armes. Rectifiez la. position des guides. Mac-Mahon. Les tambours battent la charge. En'et moral. Deux chiens de iaience. Héros inconnus. Une ambulance. Comment on se défait d'un officier trop sévère.

{ juix. 3/a. Un ordre du jour apprend que depuis la veille la division des voltigeurs est à la disposition complète du général Mac-Mahon. En attendant ses ordres, le voltigeurs goûte, sur remplacement de la ville, les charmes d'une villégiature complète. Pèche à la ligne improvise, grand lessivage, bains dans le canal. rien ne manque à la fête, si ce n'est les Autrichiens. Où sont-ils?

Les voilà Entre 10 heures et d''mic et 11 heures, on entend quelques coups de canon en avant, à droite et à gauche de notre campement, bientôt accompagnés d'une fusillade. C'est la bataille; la poudre parle. Celle des voltigeurs est bonne, et a eu jadis en Crimée ses heures d'éloquence.


Tout le régiment prend les armes et passe sur la rive gauche du Naviglio. Là les trois bataillons reçoivent l'ordre de se diriger sur le clocher de Magenta, chaque bataillon formé en colonne par divisions serrées en masse, et a distance de déploiement les unes des autres. Il paraît que les trois autres régiments ont reçu le même ordre de formation, et le même objectif.

A notre extrême droite, le bataillon des chasseurs de la garde déploie des tirailleurs. Le terrain que le régiment doit parcourir est sec, débarrassé des rizières, avec une légère montée vers Magenta. La propriété paraît très divisée des champs de maïs, généralement sillonnes de lignes de mûriers reliés entre eux par des fils de fer; le long desquels grimpant des ceps de vigne.

Chaque champ particulier est séparé de son voisin par des haies d'acacia drues et piquantes. A travers ces hautes tiges de maïs, ces fils de fer et ces acacias, notre marche est lente, quoique la hache des sapeurs et le sabre-baïonnette des soldats fassent promptement justice de ces obstacles.

On s'avance avec résolution, quand tout à coup, au sortir de l'un de ces rideaux verts, retentit une voix bien connue

Halte rectifiez la position des guides. rectifiez les alignements

Cette opération prend un bon quart d'heure, et elle se renouvelle cinq ou six fois, c'est-à-dire aussi souvent qu'un espace découvert permettait au général


Camou de mieux voir les treize superbes bataillons -qu'il commandait.

A la troisième ou quatrième répétition de cette prudente mesure. le colonel Douay tire son épée, et je ne sais si l'éclair qui jaillit de ses yeux ne fut pas aussi étincelant que celui de la lame frappée par le soleil. Allons, dit-il, rectifions les alignements et les guides.

Le canon, qui s'était tu un moment, reprenait de plus belle, et parallèlement à notre front de bataille passaient dans l'air d'énormes projectile" ces fameuses fusées, espoir des Autrichiens.

3 heures. C'est le moment le plus chaud de la bataille. Nouveau et long temps d'arrêt.

Envoyez une compagnie en tirailleurs par bataillon crie le général.

Alors le colonel Douay, superbe de calme intérieur .et de fureur rentrée, réunit aussitôt les trois capitaines commandant ces trois compagnies.

Ah çà leur dit-il, ne faites pas de bêtises, dites bien à vos hommes qu'ils ont devant eux le corps, le corps Mac-Mahon qui nous sépare de l'ennemi. Ne tirez pas sur les culottes rouges.

Vers 4 heures et demie, émergeant brusquement des acacias et des mûriers, au galop, l'uniforme en désordre, apparaît le général Mac-Mahon avec trois ou quatre officiers d'etat-majur. Le bruit se répand rapidement que, pour nous rejoindre, il venait de courir des dangers, et que son escorte ~ayait dujcharger pour le dégager d'un escadron de unions. 7


Enfin, vous voila, général!

Puis après quelques mots échanges we~=a tv)cp, il disparaît aussi rapidement qu'il était venu, en montrant de la main à notre général le clocher de Magenta. Xous avions mis près de six heures pour faire 7 a 8 kilomètres.

Alors les tambours battent la charge, les clairons sonnent, les épées brillent. Mais, vers 5 heures, le canon ne tonnait plus qu'à de rares intervalles la fusillade même paraissait se ralentir en s'éloignant, et lorsque, après avoir parcouru 7 à 800 mètres, mon bataillon, le i~ du 2' voltigeurs, arriva à hauteur de la gare de Magenta, les coups de fusil étaient encore plus rares, encore plus éloignés, et quelques balles mortes tombaient autour de nous, sans force pour nous blesser.

Des que sonne la charge, je m'approche du colonel, et, le saluant de l'épée, avec le plus profond respect, je lui demande s'il ne serait pas convenable de laisser flotter au vent le drapeau emmailloté dans sa chemise de cuir?

C'est mon idée, me répondit-il, courez le dire au porte-drapeau.

L'aller et le retour me prirent cinq minutes, et les trois couleurs Hottèrent au vent, attendant les balles qui ne vinrent pas encore ce jour-là.

On nous dit, comme consolation, que l'ct~t-major autrichien, posté dans le clocher de Magenta, s'était décidé à battre en retraite à la vue de ces 13 bataillons, marchant lentement il est vrai, mais en bon


ordre, comme il convient à de vieux soldats, ft précédés de ce nom glorieux « La Garde. »

Sauf cet apaisement du canon et des fusils, sauf le déchirement de l'air par des balles défigurées par des ricochets, rien n'indiquait, sur le passage du f''bataillon le voisinage d'une lutte longue et terrible. Le terrain parcouru avait l'aspect honnête et calme des marches militaires ni cadavres, ni blesses, ni combattants amis ou ennemis. Il montait tout doucement comme un glacis de fortification vers le gros bourg de Magenta.

A 5 heures environ, nous arrivons à 150 mètres de la gare que nous apercevons de profil, toute criblée de balles. Bâtiment très ordinaire, surmonté d'une espèce de beffroi rectangulaire, assez élevé. Belvédère du haut duquel le chef de gare pouvait regarder, en chien de faïence, par-dessus les champs de maïs, son collègue piémontais de l'autre côté du Tessin, qui pouvait lui rendre la pareille. A Magenta, en effet, comme au Tessin, se terminaient brusquement, en attendant le trait d'union, les chemins de fer piémontais et autrichiens. Et ces vers de Lamartine me viennent à la mémoire L'égoïsme et la haine ont seuls une patrie;

La fraternité n'en a pas 1

Devant nous, la voie ferrée était profondément encaissée par un talus élevé en prévision de mouvements militaires. La rampe était piétinée par le passage des assaillants et des défenseurs. En y descendant, je remarque dans des enfoncements de terrain des amas


de corps, à peu près tous revêtus de l'uniforme français. Les boutons portaient les numéros du 65'' et du 70' il y avait aussi beaucoup de turcos. Tous ces braves gens avaient été tués ou mis hors de combat par les balles des Autrichiens retranches dans la gare et dans les maisons environnantes. Point de ces larges blessures, de ces flaques de sang, qui indiquent le contact brutal des obus, ou les duels à l'arme blanche.

Nous saluons respectueusement, au passage, ces centaines de héros inconnus, et nous arrivons à penser que si l'on avait économise les temps d'arrêt, les rectifications, les alignements, les déploiements en tirailleurs, on serait arrivé deux heures plus tut sur le champ de bataille, avec une grande économie de sang français.

Nous pénétrons dans le bourg et nous entrons dans son église. Tous les objets du culte avaient disparu, sauf de grands tableaux éraQés par les balles. Sur des amas de paille reposaient les blessés vainqueurs ou vaincus; une odeur de sang remplissait l'édifice. Les médecins étaient à leur besogne. Or, si, dans la chaleur de la lutte, la vue de ces misères excite encore l'ardeur et le courage, ce fut le cœur serré que nous quittâmes- cette ambulance où, avec la souffrance et la douleur visibles, palpables, tout nous rappelait le regret d'assister encore une fois, sans y prendre part, à ce drame sublime qu'on appelle une grande bataille. Car le régiment n'avait pas brùlé une seule~ de ses cartouches, et il en était de même, je pense,


pour I''s trois autres d<' la division, y compris les ti rameurs.

Lentement, accompagné <!c ses trois adjudant, qui, suivant son ordre, ne le quittaient jamais. le colonel Douay, procédant les compagnies de son régiment, traverse toute la petite ville semée de cadavres aux vestons blancs; puis, après un ~'o~e,Ies trois bataillons s'arrêtent a 000 mètres environ, dans des champs, des jardins, où on reçoit l'ordre de bivouaquer. 7 heures du soir. On bat à l'ordre tous les officiers sont présents, sauf un sous-lieutenant du ~"bataillon, un Core, nommé Coltelloni. C'était le seul homme manquant à rappel, et il avait été tué oit ? comment? par une balle? un coup de baïonnette? C'est ce que personne ne put ou ne ro~/M/ dire.

Eh bien qu'on I'o/ dit le colonel. Et ce fut toute l'oraison funèbre de ce pauvre diable qui, arrivé au régiment depuis trois mois, y était devenu prodigieusement suspect par la possession de nombreuses pièces d'or sentant la rue de Jérusalem, et encore plus prodigieusement détesté de ses inférieurs par sa morgue hautaine et sa dureté de mauvais aloi

Après une longue attente de nos bagages qui n'ar1. H est à remarquer que son nom ne figure même pas dans I'c/a< </c/tcr~ donné par le baron de Bazancourt, des pertes subies à Magenta par I:). garde impériale. Du reste, il en est de même pour l'escarmouche <tu 2'' voltigeurs, le ~) juin. ta <~c/Ma po~'c~MO. Comme tous les hommes d'action, le colonel Douay voyant tout, surveillant tout, n'avait pas le temps d'écrire. Et puis, il trouvait tout simple que chacun fit son devoir. Peut-être


rivent pas, je vais demander la table et le logis à une escouade de mon bataillon. Un repas sommaire est bientôt digéré une nuit par terre est bientôt passée. Celle du t au 5 juin fut des plus tranquilles. cette règle de conduite, poussée un peu loin, est-elle nuisible aux régiments commandés par des hommes de cette trempe et de ce caractère, surtout s'ils ont pour voisins et pour concurrents d'autres hommes plus amis de la plume que de t'ëpëe, et toujours prêts à tirer gloire et profit des plus petits événements, en les regardant par le bout grossissant de la lorgnette.


CHAPITRE VÏH

Napoléon III à Xovarc. Inaction de l'ennemi. Une mission auprès de Victor-Emmanuel et de Mac-Mahon. Rapport a i'Etnpercur. Une surprise désagréable. Vive inquiétude. Nouvelle mission auprès de Mac-Mahon. La Bicoque. Le champ de bataille. Premier rapport de Mac-Mahon. « Grande bataille, grande victoire.

Après Je combat de Palestro, l'Empereur se transporta à Novare et attendit des nouvelles de l'ennemie qui s'était retiré après son insuccès.

Arrivé à Novare, l'Empereur s'occupa a concentrer les troupes aux environs, de manière à pouvoir se défendre là contre une attaque de toute l'armée autrichienne, qu'on lui présentait comme probable. Trois officiers de l'état-major, le colonel Waubert de Genlis, le commandant Schmitz, le capitaine de Clermont-Tonnerre, passèrent la nuit à établir les positions des troupes, sur des feuilles destinées u. être envoyées aux commandants des corps d'armée. C'était, à proprement dire, le plan d'une bataille défensive sous Novare.


L'Empereur croyait que (!iulay s'inspirerait, des souvenirs de t~t9, et qu'il chercherait à nous infliger, :< Novare, une défaite dccisivc.

Hien ne survenant dans le sens d'un mouvement sur nous, l'Empereur Ht établir des ponts sur le Tessin, en avant de ce grand pont de pierre de Bunalora, à un endroit nommé la /~o~y!a (la douane~. Le général Lcbœufcn fit établir trois. Ils servirent immédiatement de passage au corps Mac-Manon divisions Espinassc, Lamottcrouge, puis à notre division, la division Camou.

Le jour même du passage, Mac-Mahon rencontra l'ennemi à Turbigo. Il y eut là une forte poussée. Les turcos délogèrent l'ennemi, qui céda assez promptement le terrain. Mac Mahon, dans le clocher de Turbigo, avec son aide de camp Borel, n'eut que le temps de descendre et de s'enfuir, avec son bon cheval, pour ne pas être pris par un parti de cavaliers qui envahissait Turbigo.

On était ainsi maître de la rive gauche du Tessin, à hauteur de la Dogana.

Les troupes de Mac-Mahon continueront à passer les ponts, ainsi que la division Camou, et s'établirent au fur et à mesure sur la rive gauche. La garde, moins la division des voltigeurs, reçut ordre de passer le Tessin sur le pont de Buffalora, qui avait été miné, mais dont l'explosion n'était pas complète. Il suffit de quelques madriers pour raccorder la solution de continuité entre deux arches.


Le roi était en arrière de la Dogana et devait passer les ponts rapidement après Camou, la division Fanti en tête, le roi en personne.

En arrière de h) garde, les autres corps de l'armée, à la hauteur de Novare, devaient se raccorder et la suivre, prenant la grande route de Milan qui passe par Trecatc, avant d'aboutir au pont de Buffalora sur le Tessin.

Voilà donc tout le mouvement offensif détermine; mouvement résolu en présence de l'inaction de l'ennemi, qu'on n'espérait plus voir nous attaquer à Novare.

Le juin à 6 heures du matin, l'Empereur lit demander le commandant Schmitz et lui donna des ordres précis

« Rendez-vous chez le roi. Faites-lui part de ma marche en avant; dites-lui qu'il se mette en mouvement et suive Camou sur la rive gauche.

« Revenez passer le Tessin, sur les ponts de la Dogana. J'en fais replier deux pour les amener à Buffalora et accélérer ainsi le passage de nos troupes, –Canrobert.~iel, Baraguey d'HiIIiers, –lequel sera long.

« Rejoignez Mac-Mahon, qui doit être déjà au delà de Turbigo demandez-lui ce qu'il compte faire, s'il a l'ennemi devant lui

« Instruisez-le de la marche et de la position de la garde, qu'il a à sa droite. J'arriverai à Trecate à midi précis de ma personne. Faites toute cette tournée et venez me rendre compte à l'heure précise. »


Le commandant ~Schmitz se rendit en effet auprès du roi et lui répéta les propres paroles de l'Empereur. C'est bien répondit Sa Majesté. Je vais me mettre en route.

Sire, il importe de ne pas perdre de temps il y aura un long défilé sur les ponts, peut-être n'en aurexvous plus qu'un seul.

Le commandant partit au galop, traversa le Tessin à la Dogana. Toute la division Camou était passée et encombrait la route deTurbigo.–Beaucoup de peine pour rejoindre Mac-Mahon qui fiait, disait-on, en tête de la colonne.

Enfin, à heures et demie du matin il se trouva en contact du général, qui marchait en tctc de la division Lamotterouge.

L'Empereur demande ce que vous comptez faire, si vous rencontrez l'ennemi?

Réponse « A l'heure qu'il est je n'ai pas encore de nouvelles; aucune attaque sur mon front; que l'Empereur soit tranquille, mes dispositions sont bien prises.

« A cause du peu de largeur de la route, je n'ai derrière moi que la division Lamotterouge. J'ai engage Espinasse sur une route concentrique à ma gauche, à une demi-heure de marche de moi. Il est à ma hauteur. Camou est derrière moi. Dites à l'Empereur que je compte être vers 2 heures à Magenta, à cheval sur la route de Milan.

Pas d'autres observations à faire, mon général? Non, aucune.


Je prends congé de vous pour rejoindre l'Empereur à Trecate à midi, où il sera en personne, et je lui donnerai de vive voix les renseignements que je rapporte de vous et du roi.

Ah et le roi ? .?

Il n'a pas encore commence le passage mais il marche derrière vous.

A il heures et quart, le commandant Schmitz repassait le Tessin et suivait son cours en aval de la Dogana pour aller à Trecate, point situé à mi-distance de Novare au pont de Buffalora. Sur tout son parcours il entendait Ip canon qui battait son plein en avant de Buffalora, et arrivait à midi précis à Trecate, au moment où l'Empereur descendait de voiture Sire, lui dit-il, rien encore chez Mac-Mahon; mais grosse affaire entre la garde et l'ennemi en avant du pont.

Oui, le canon indique que cela est sérieux. Que vous a dit Mac-Mahon?

Il sera vers 2 heures à Magenta, répondit le commandant.

Qu'on amène les chevaux; faites suivre l'escorte. Le général Fleury donna les ordres en conséquence, et à midi un quart l'Empereur était a. cheval à la sortie de Trecate.

Rapidement il arriva au pont de Buffalora, reçut les rapports de la garde violemment engagée, envoya demander les troupes en arrière, une partie du corps Niel, le maréchal Canrobert.


Tout l'état-major était au delà du pont, sur la route. Le combat de la garde toujours violent. Les troupes n'arrivaient pas; la route était encombrée. Enfin la brigade Picard apparaît sur le pont, Picard en tète.

Quelle e~t ma direction?

Le commandant Schmitz lui montre le remblai du chemin de fer, se raccordant avec le pont et à gauche de la grande route.

Marchez là-dessus entre les rails; vous n'en avez pas pour longtemps avant de vous déployer. Il était 3 heures. La canonnade de la garde–Bcrckheim –ctait engagée. L'Empereur fort inquiet voyait passer sur la route des files de blessés qui se retiraient, entre autres le général de la garde Wimpfcn, général de brigade, qui avait la tête couverte d'un mouchoir ensanglanté.

L'Empereur l'arrêta, l'interrogea. \Vimpfen était à pied; il donna toutes les indications, en disant que Mcilinet tenait toujours; mais qu'il fallait absolument du renfort et beaucoup.

L'Empereur, de plus en plus inquiet à la suite de ces renseignements, se tourne vers le commandant Schmitz et 1 li dit, pour la troisième fois

Mais, vous vous êtes trompe 1 Mac-Mahon ne vous a pas dit qu'il serait vers 2 heures à Magenta il est 4 heures et demie; je n'entends pas son canon; je n'ai aucun avis de lui.

Le commandant Schmitz, interpellé aussi vivement en présence du général Fleury, du colonel de Toulon-


geon, de l'officier d'ordonnance Champagny de Cadorc, répondit.:

-Fai l'honneur, pour la troisième fois. d'assurer l'Euipereur que je ne me suis pas trompa. lui ai rapporte !cs paroles textuelles du gênerai Mac-Mahon. (Juant a savoir où il est en ce moment. j'~ n'en sais rien mais je connais seul le chemin pour aller a. sa recherche.

Ce n'est pas possible. On se bat en avant, de nous sur les canaux: vous ne pourrez pas passer. Sire, mon cheval marche depuis <: heures du mat in. Si vous voulcxprierle généra! Fteury de m'en donner un, avec un cavalier pour cs''ortc,je vais repasser le Tessin a laDo~ana et. je trouverai le général Mac-Mahon. –Combien de temps vous faudra-t-il?

–Je n'en sais rien. C'est <r's loin. Il faut que je fasse un tour énorme.

rieury indiqua un grand '-heval au commandant qui l'enfourcha et s'éloigna au ga!op. repassa le pont. marcha sur la Dogana. où il rencontra le roi à <: heures du soir.

Comment, Sire. vous n'êtes pas cn'-ore de l'autre cùt<~

Non. Fanti passe en ce moment; le mouvement a ~)<retarde. C'est Canrobert qui est engage.n'est-ce pas? Non, Sire, c'est toute l'armée. Est-ce que vous n'avex rien reçu du général Mac-Mahon?

Oui. un avis au crayon, signe de l'aide de camp horel: mais pas si pressant.

–Sire. je vous en conjure; ne perde/pas un instant.

?


Pour moi, je marcherai jusqu'à ce que je rencontre le général. Je vous demande de me donner un officier pour que nous fassions route plus sûre ensemble. Un officier de l'etat-major du roi s'offrit de suite. On partit immédiatement.

Les p"nts d'' la Dogana étaient encombr's par l'infanterie piémontaise. Il y avait dans les ilcs des corps qui faisaient la soupe. la marche et la station, tout cela aux cris répètes de n~< qui accompagnaient la clameur du canon lointain.

La route sur Magenta suivie par le général MacMahon~ fort. étroite et resserrée, était encombrée de voitures, d'isolés.

Knfin. vers S heures du soir, au moment où le jour commençait à tomber, le commandant Schmitz arriva sur la voie ferrée de Milan, en avant de Magenta. Il y avait ia, sur le milieu de la voie, un corps recouvert d'un mant'au bleu. ~arde par un officier d'état-major en larmes.

Le corps ~tait celui du ~cn'rat de division Espinasse, qui venait d'être tue. ainsi que Froidefond des guides, aux premières maisons de Magenta. L'aide de camp en larmes, c'était le commandant d'Oman?.

La veille, le ~encrai Trocbuavaitoccup' la Bicoque, un hameau illustré par les guerres du premier Empire. Le général Espinasse vint a passer devant son campement. L"g'n<raITrochu l'interpella gaiement et lui dit


Tu es venu ici chercher ton bâton d'~ maréchal, tout le monde le sait, mais je viens t'annoncer que c'est moi qui "ccupe en ce moment l'endroit dunt tu porteras le titre. tu seras duc de la Bicoque. Quelle fut, le lendemain. la douleur du gênera! lorsqu'il se trouva en présence du corps d<' son vieil ami coucher cote de son ofncier d'ordonnance! Le général avait ctc tue par des chasseurs tyroliens. son ofncier d'ordonnance avait trouvé également la mort en essayant de le venger. H laissa ce soin aux xouavcs du '2' qui défoncèrent la maison d'uù était parti le feu et passèrent a la baïonnette les 300 Tyroliens qui la défendaient.

Autour de Magenta, sur nanc de la voi~ ferrée, il y avait un immense désordre blesses, mourants, morts entrcm'es. Uniformes français, étrangers, etc. On constatait combien la lutte avait été violente. Interrogeant, à chaque pas, les officiers et les soldats pour savoir oit i! pourrait rencontrer le général Mac-Mabon. le commandant Scbmitx n'obtenait que des réponses vagues. Il entra alurs dans Magenta et se dirigea, au milieu d'une fou!c de fantassins, sur t'endroit d'où partait une fusillade encore nourrie, très vive par instants.

Il arriva bientôt près de l'église, autour de laquelle on se battait encore.

Revenant sur ses pas, désespérant de rencontrer le général au milieu de cette mêlée, il appuya à gauche et tomba dans la division piémontaise Fanti, qui arri-


vait enfin sur le champ de bataille. se déployant. a notre extrême gauche.

!{'trogradant vers la droite, il finit par rencontrer le gênerai Mac-Mahon qui lui dit.

L'action est près d'être terminée une résistance obstiné dans le bout de Magenta va être brisée dans quelques instants.

.Mais que s'<'st-il passe, interrompit le commandant, depuis que je vous ai quitte? L'empereur est très inquiet. On n'a pas entendu votre canon vers les 2 ou 3 heures, au moment où la garde était si vivement ''ngag'c a Buffalora et sur le <w~c? –Vous donnerez a l'empereur l'explicalion de mes opérati"ns. Je marchais en tête de la division Lamotterouge. lorsque ma t~'te de colonne se buta à l'ennemi en avant du village de Bunalora. Les tiraill''urs algériens et le 4'~ de ligne attaquèrent avec violence. A ce moment j'étais débordé sur mon flanc droit par une énorme colonne autrichienne. Sentant bien que tout le péril venait de ce côte. j'ai fait de grands efforts pour arracher turcos et fantassins à l'attaque de Buffalora..l'ai eu grand'peine à les rallier à moi; ils ne voulaient pas lâcher l'attaque, apercevant les grenadiers du colonel d'Alton, qui étaient aux prises dans le village. Puis, j'ai fait arrêter toute ma colonne, prévenir Espinasse, à ma gauche, de faire un à droite pour venir me rejoindre.

« Me sentant enfin en communication avec la division des voltigeurs de Camou. je marchai à l'ennemi, qui fut pris dans un couloir de feu, entre Espinasse et moi.


«La résistance fut vive, presque' désespérée; mais j'en triomphai, et. redressant mes colonnes j'arrivai sur Magenta, dans lequel on se précipita tête baissée. « ~ous sommes tnaitres du champ de bataille. Je ne sais pas ce qu'il nous coûte. Je suis au milieu d'une confusion inextricable de tous !es corps en ce moment; i! ne m'est, pas possible de accorder tout cela pendant la nuit; mais demain, des !e point, du jour, je m'y reconnaitrai.

Je retourne auprès de l'Empereur, .te vais lui rendre compte de vos cn'orts, de votre immense succes. Vous devez être en ce moment en contact avec la ~arde, qui n'a pas dû abandonner ses positions sur la grande route. Encore un m"t. Qui voulex-vous pour remplacer !c général de division Kspinasse?. –Ait! "ni; i! m'en faut un, drs demain matin. Il y a aux voltigeurs de la ~arde Manequc et Dccaen.

~tanequc est plus ancien, admirable soldat mais avec la bes'~nc que j'ai a faire, j'ai besoin d'un homme a moi. Demandez Deca''n a l'Emp''reur. B"nsoir. mon général.

Comment rejoindrez-vous l'Kmpercur?

J<' n'n sais rien; nuit noire, mais j'arriverai. Je vais prendre a droite, sur votre front.

Bonne chance.

A t() heures et demie du soir. après une course au milieu d''s ténèbres, le Commandant Srhmitx se trouva sur la rive gauche du Tessin. au miticu d'une prairie, près du pont de Bun'alora, et tomba comme


par fortune au bivounc de l'état-major de la garde, où il trouva le généra! Rcgnauld de Saint-Jcan-d'AngéIy, commandant en chef, et !c colonel Raoult, son chef d'état-major. I! leur raconta d'où il venait, ce qu'avait fait Mac-Mahon. que la bataille était gagnée, par cet accord des deux partis.

L'un et l'autre ne /<c~ <<c/~ l'intervention de Mac-Mahon, et croyaient presque avoir gagn~ la bataille a eux tout seuls.

A H heures et demie du soir, le commandant était sur la rive droite, à la port' d'un petit cabaret. en avant du pont, était loge l'Empereur. Il descend de cheval, entre dans la salle basse, est reçu par le maréchal Vaillant, qui lui dit que l'Empereur repose au premier et qu'il ne faut pas le réveiller. Le commandant ne tient aucun compte de cette défense, grimpe l'escalier, ouvre une petite porte basse et se trouve en présence de l'Empereur, couché tout habille, sur une mauvaise couchette de cabaret, avec une chandelle sur une table.

Sire, vous avez gagné la plus grande bataille qui ait été livrée en Italie. Voici le récit du gênerai MacMahon.

L'Empereur se leva, appela ses télégraphistes et envoya à l'Impératrice la dépêche reçue a Paris le lendemain, 5 juin

« ('rande bataille, grande victoire. ')


cn\prnu:

r.~iuond''l'armée.–Knt!u"deX:)j)o!eonH!ct'!eYic~t"Kmma.nu<('ommr'nt.M;tC-M;')tOtit'm t'ait <)uc et man-~h~) de t't'am'e. Le ~ncral H'n:u)M < ~:nnt-.ït'an-(r.).Iy est. n"<nm<' m:'t'cha!. LU !'ain hy~n'tuqnc. Les pr")i[s dune ')''f:ute.– Essais tar~il's. l~e marquis d''C:i')"t'c.–L'Hmpereu:' est .)/ Htl'~t. m"rnl. t'n r~mb~t </tr< Le ~ie.re d'Alexan'h'Ie. C'nt'ercuccs miluaircs.

Le juin au soir. aprc~ la bataille, il y avait, sur la rive gauche du Tessm. le corps (~un'obcr!, la division Vinoy dt'oitc, les grenadiers de la garde sur la route de Milan: au centre de l'armée de bataille. le corps Mac-Mahon les voltigeurs Camou autom- de Magenta.

La division piémontaise Fanti, tout a fait a ~auci! L'armée piemontaisc continuant à passer les p'tnts a la Dogana.

L'Empereur, de sa personne, dan~ un cabaret, au pont de Bufïalora. sur la riv'* gauclic du Tessin. Dès le matin du 5, l'Empereur envoya a la recherche

I\


du roi. On le trouva dans un petit moulin, sur le bord du Tessin, entre !aDoganactBu!faIora.!Ietai) encore sur le ht du meunier, au-dessus de la roue. Sa Majesté se leva promptcmeut et se dirigea sur !e quartier gen'ral.

L'Kntpereur le reçut avec une froideur carartrrise' se plaignit du retard apporté a l'exécution d<' ses ordres, dcplora l'inaction de l'armée piemontai-~c dans la bataille de la veille.

Le roi reçut ses reproches avec soumission, s'inclina respectueusement devant son chef. et promit qu'il ferait tout pour réparer c''tte mauvaise journée pour lui et son armée.

Pendant que Mac-Mahon raccordait ses troupes. les réapprovisionnait, et que la garde en faisait autant. le corps Haragucy d'Hilliers et tout l'attira.il de l'armée passa I'' pont de BuHalora; 1'- passage dura près de vingt-quatre Tout cela avait pour direction la grande route de Milan.

Toute la journée, à son quarti'T général, devant sa maison. I'Emp''reur regarda défiler les troupes, recevant les uns et les autres.

On apprend qu'une des fractions de l'ennemi s'était séparée du gros et avait appuyé a gauche, vers la montagne. HIlc était, commandée parUrban. La cavalerie Dcsvaux –chasseurs d'Afrique–poursuivit cette retraite, et le 6 au matin. l'Empereur debout devant la porte d'une auberge, de l'autre côté du pont de Bunalora, voyait défiler le corps MacMahon, qui se dirigeait a la poursuite d'Crban.


Le général Mac-~lahon <Uait eu tête. ayant a. ses cot6s le g/'neral Lebrun, son dtci d'etat-majur. n dcsccuditdc dtcval.se précipita vers l'Empereur, qui l'emmena dans la salle du rex-de-haussec et lui dit:

–.h' v"us rpm'Tcic de ce que vous a\x t'aiLJe vous n"muie marochal de Franco et duc d'' MagcnLa. C'csL ainsi, et non auh'cincnt., qu<- ~!ac-~ahon fut uns en possession de ses nouvelles di~nit.es. Mac-ahun remonta a chcva!, et reprit sa marche au milieu de sa truupc, qui acclamait rKmpereur au passage.

A peine était-il parti que le général Fleury parlant en particulier à l'Empereur lui dit

–~sous attendons de Votre Majesté qu'elle se récompense dans la personne de sa garde, qui a vaillamment combattu. Il ne serait pas juste que le général MacMahon fùt seul récompense.

~!ais que voulez-vous que je fasse de plus Sire, vous avez le devoir de nommer également le commandant en chef de la garde, maréchal de France.

Après un instant d'hésitation, l'Empereur dit « Oui, vous avcx raison.

Fleury, sans perdre une minute, monta à cheval, et, accompagné du capitaine Brady, alla trouver l!cgnauld de Saint-Jean-d'AngeIy a. son bivouac, près du pont, et l'informa de son élévation a. la dignité de maréchal. Tout cela fut accompli en moins de temps qu'il n'en faut pour le raconter.


Ainsi que je l'ai dit plus haut, l'extrême concentration de tous les corps d'arméc français et de l'armue sarde, autour de Novare. devait nécessairement rendre difficile leur déploiement en bataille, produire des encombrements et amener des retards.

La marche du corps fut longtemps entravée et il n'entra en ligne que vers heures du soir.

Pour qui connaît le tempérament et la bouillante ardeur du maréchal Canrobert. il était certain qu'il allait rt'-parer autant qu'il le pourrait, par la violence de ses attaques, le retard déplorable cause par la confusion désordres de détail du grand état-major général. L'objectif principal du 3" corps était Ponte Vccchio di Magenta.

Le maréchal l'aborda à la tcte de quelques batailIons, se tenant, selon son habitude, de sa personne, au milieu des tirailleurs. Le village fut pris et évacue plusieurs fois. et. dans un des retours offensifs de l'ennemi, le maréchal fut enveloppe un instant et faillit être pris dans une charge d'un régiment de cavalerie hongroise. Le colonel de Scnneville, son chef d'état-major, fut tué le cheval de son vieil aide de camp, le colonel de Cornc'Iy, renversé, et le maréchal échappa presque miraculeusement a la bagarre.

Dans les drames les plus émouvants, viennent quelquefois s'intercaler quelques scènes comiques, et c'est à ce titre que la singulière aventure de l'intendant du corps peut trouver une petite place ici.

Le maréchal Canrobert a toujours eu une grande affection pour ses anciens compagnons d'Afrique et il


avaitchoisi, pour in tondant de son corps d'armée, l'intendant Mallarmé, qu'il avait eu sous ses ordres comm'' capitaine, quinze ans auparavant.

L'intendant Mallarmé, qui avait été et était encore un brave soldat, se régnait difficilement a rester a la ~ardc de ses approvisionnements de vivres et suivait partout le maréchal, en se mêlant à son ctat-major. Blessé légèrement dans !a charge hongroise et n'ayant t pas le temps de remonter à cheval et de repasser le pont, il prit une résolution désespérée et se jeta dans le canal. Mais comme il n'avait aucune chance de le traverser sans être fusille, il saisit des deux mains une branche de saule, qui n'avait rien du laurier dans cette circonstance, cL plonge jusqu'au cou dans l'eau fraîche, cachant sa tête sous l'escarpement de la rive, il resta dans cette position pendant toute la bataille, résolu ne l'abandonner que par la force des baïonnettes autrichiennes.

Ce n'est que le soir, et après la retraite deimitivc de l'ennemi, que le pauvre intendant commença à pousser des cris désespères, jusqu'à ce que quelques soldats émus, et riant en même temps de sa plaisante situation, vinssent le repêcher.

Quel rôle avait joué la division Trochu dans 5 la journée'? Quelle part avait-elle prise au combat? on va le voir; mais je dois constater auparavant, une fois de plus.–et c'est malheureux a dire,–que jamais armée ne fut plus mal éclairée que celle de la France pendant cette guerre d'Italie. On ne savait jamais ou était


l'ennemi, le succès ne fut dit qu'a des circonstances fortuites, qu'à d'houreux hasard'- le talent militaire des chefs n'entrait pour rien :e lu) peut-être un malheur qu'il n'en ait pas ('-te autrement. Si nous avions subi une dotai! qui n'aurait peut-être pasutc tropdesastrcuse~ car les Autrichiens n'étaient pas organises eu\-memes pour en tirer parti, nous aurions et< débarrasses de l'unité italienne, et l'unité aIL'mande ne se serait pas faite. I! arrive très souvent qu'une défaite protitc plus qu'une victoire on n'a qu'a. lire l'histoire d'Italie. II s'en fallut de bien peu à Mag''nta que les Autrichiens ne nous rendissent ce singulier service. La veine au soir, on ne savait pas si fuulay s'était retire l'Empereur avait passe la nuit aXovarc,jc t'ai déjà dit, préparant un plan de bataille pour Novare même. L'ennemi était, disait-on, a 1~ lieues de là, et cependant le lendemain gênerai Trocbu en marche entendait le canon. Qu'est-ce que c<la pouvait signifier? Le canon redouble, on rencontre un ofiicicr qui faisait boire son cheval.

Nous aussi, dit-il, nous avons cru qu'on se battait mais c'est le général Lcbœuf qui essaye ses nouveaux canons.

Non, repondit le gênera!, quand on fait l'essai, le canon ne tonne point ainsi ces pièces ne sont point chargées a poudre, on se bat.

C'était encore une des funestes manies de l'Empereur de ne donner aux troupes une arme perfectionnée que sur le champ de bataille, et comme on n'avait pas appris a s'en servir, un en perdait tout l'avantage.


C'est, ce qui arriva pour les mitrailleuses en !s70. En ttalie l'artillerie française venait d'être pourvue des premiers canons rayés. Certes i)s firent merveille :L Solferino. ou leurs obus. succédant aux boulets pleins des anciens canons, nrent une véritable marmelade do la superbe cavalerie autrichienne et décimèrent les réserves par-dessus les c"mb:utants. ~lais ces résullats se dessineront tardivement, parce que. si bonne que soit une arme. il faut encore en connaitre le maniement, <'t ce n'' sont pas des expériences à i'aire sur un champ de bataille.

Pendant que ~cn~ral se livrait, j'aime à le croire, à ces n'-tlexions. le canon tonnait toujours et aucune méprise n'était plus possible: c'était une bataille de plus en plus acharnée. On avait rte surpris par les Autrichiens.

Kniin on rencontra, allant à Xovare. nn oHicierbIcu de ciel. qui était la couleur de la maison de l'Empereur. Il avait cela de particulier qu'il ctait sans moustaches, ce qui lui donnait quelque chose d'anormal. En eH'et, c'était un l'eutcnant de vaisseau. !c marquis de Cadore, passe récemment dans l'etat-major de l'Empereur. –Ah: sY-cria-t-i!. mon ~encrai 1 <Juel!e surprise effroyable f Au moment où il s'y attendait le moins, l'Empereur s'est trouvé aux prises avec les Autrichiens. ?\ous sommes presque vaincus.

est Mac-Malion? demanda précipitamment le gênerai.

Mac-~ahon a reçu l'ordre de marcher, quoi qu'il arrive, sur le clocher de Magenta.


Alors, rien n'est encore perdu. Mac-~Ialion n'est pas un César, mais c'est, un entête. Si on lui a dit de marcher sur le clocher de Magenta, il y marchera quand même, et s'il roussit à eucctuer son mouvement, c'est nous qui aurons tourne l'armée autrichienne. Mais il n'y a pas de temps à perdre, il faut se porter en avant.

Immédiatement le général fait prendre le pas gymnastique a sa division, l'artillerie derrière. 11 savait qu'à cette allure forcée, il éparpillerait sur la route six bataillons sur neuf qu'il possédait; ceux qui arriveraient t seraient nécessairement des troupes exceptionnelles qui seraient capables, malgré leur petit nombre, de décider du succès.

En effet. arrivé an Tessin, il n'avait plus avec lui que trois bataillons.

Quelle dut être sa stupéfaction de se trouver face à face avec l'Empereur, tout seul, à pied, devant la petite maison à volets verts du garde du pont.

L'Empereur ~<< sc«//

II fallait que le péril eùt été bien grand pour que le souverain d'un puissant Etat eùt envoyé dans toutes les directions les nombreux officiers attaches a sa personne, et se trouvât, réduit a la solitude la plus complète. Cette apparence d'abandon avait quelque chose de navrant.

Le général mit pied à terre et, s'approchant. lui dit Sire. j'ai appris ce qui se passe. J'arrive au trot avec trois bataillons, les autres vont me rejoindre d'ici une demi-heure. Veuillex donc m'indiquer ma direc-


tion. J'arrive inopinément, sur le champ de bataille avec des troupes fraîches et admirablement, entraînées je puis assurer le succès de la journée.

Le générât attendait une réponse qui ne venait pas. Etonne de ne pas la il jeta les yeux sur l'Empereur et vit qu'il était, blanc comme une feuille de papier. Cet homme. quijusquc-Iàavait passe pour être impassible au moment, critique, avait en ce moment la langue tellement sèche, qu'il lui était impossible d'articuler une seule parole.

Enfin, après d'incroyables efforts, il lui m"ntra le pont et murmura d'une voix presque inintelligible: Passez

Ce fut tout.

Le général avait rallié tous ses batail!ons. Il passa. Le gênerai Regnauld de Saint-Jean-d'Angcly à un kilomètre au delà du Tessin, l'engage a se réserver pour la bataille du lendemain. Plus loin, le général de Martimprcy lui montre le village de Pont'' Vecchio di Magenta pris et repris plusieurs fois. et qu'il faut absolument '.enir.

Le générai Trochu savait par expérience qu'après une lutte aussi opiniâtre, des troupes, si vigoureuses qu'elles soient, ont perdu toute valeur militaire, et ne tiennent pas contre des troupes fraîches. Aussi, au lieu de recourir à la force, il voulut achever de démoraliser l'ennemi par une démonstration plutôt morale que matérielle.

11 confia le commandement de sa colonne d'attaque à l'un de ces officiers bornes, aussi incapables d'ima-


giner un ordre que de ne pas l'exécuter à la Icttr' C'est une espèce trop dédaignée aujourd'Itui dans nos années, où l'on se préoccupe trup de la théorie de la guerre et pas assez de la pratique.

Le colonel en question reçut l'ordre de marcher sur le village, fusi! sur t'épaule, clairons sonnants, au pas accélère. Il était interdit de repondre an feu de l'ennemi. Un capitaine et quelques hommes furent Lien atteints par les Autrichiens, mais cette attitude martiale et sûre de son fait les intimida au point qu'ils se retirèrent définitivement pour ne plus revenir, ce fut le couronnement de cette sauvante journée. A minuit, le maréchal Canrobert fait demander au général Trochu, par son aide de camp Clémeur, s'il sera le lendemain matin en état de tenir'!

Le général répond que c'est l'ennemi qui ne tient pas, que toute sa division sauf son artil!ric non arrivée prend en ce moment en avant du village son ordre de bataille convenu, et qu'il attaquera à la pointe du jour.

En cnct, à heures du matin il attaque l'ennemi qui se défend vivement, surtout par le feu de son infanterie mais les échelons arrivent successivement sur lui, l'ennemi se replie, il est poussé jusqu'à t kilomètres de rente Vecchio di .Magenta. Il abandonne des milliers de fusils et de havresacs.

La lutte avait été pour Trochu relativement facile, car les pauvres diables n'en pouvaient plus, ayant durement combattu la veille. Le général n'eut là que 229 lués ou blessés.


Partout ailleurs que devant lui ne se voyait un Autrichien.

Alors la victoire prenait les proportions et militairement ~vï/.s~M qu'on sait.

fut entendu qu'on ne < ?'/c// de ce petit engagement~ et de ce silence, que le général Trochu approuva d'ailleurs pleinement, ses troupes furent dédommagées par une pluie d'' croix

Mais l'ennemi avait été surpris par I'* déploiement régulier, en échelons, de i'OUO hommes qui marchaient sur lui. il crut que le gros de l'année 'tait la. Il évacua précipitamment Abbiaie Grasso et (:astelletto il s'était solidement établi. Kt quand, le juin, avec le et le {''corps– ~'O OUO hommes– on se présenta la pour le déloger, il n'y avait plus personne. En équité el au fond, l'honneur de la bataille revient a. la garde impériale, surtout aux grenadiers dont la résistance, dans la surprise, fut ~.so/~M''M/ /M<c et permit aux autres troupes a portée, notamment à celles du général Mac-Mahon, de marcher, d'arriver et d'agir.

La Providence fit le reste.

On a rendu un juste hommage ;'<. l'attaque de Ponte Vecchio di Magenta, où le général Trochu a montré autant de talent que de courage, ce qui n'est pas peu dire. Peut-être est-il intéressant de narrer, en remontant pour quelques instants au début delà campagne, quelle ffit jusqu'à un certain point la raison de l'admirable précision de ses troupes ce qui fit dire à


plusieurs historiens qu'elles manœuvraient sur le champ de bataille comme surun terrain de manœuvre. Parti de !~aris te !S avril, le générai Trochu arrivait à Lyon. ou le maréchal de Castellane lui déclarait que ses troupes cheminant, par étapes ne serai''))! pas réunies a Briancon avant. le l* mai. Les autres divisions, en chemin de fer jusqu'aux Alpes de Mudane, arriveraient bien auparavant. t.emarrchal''st tr's mécontent du désordre où est son commandement. Ce n'est pas ainsi, répétc-t-il sans cesse, que l'on fait la guerre.

Du reste il y croit a peine, et lit a plusieurs officiers < < Moniteur y~ c~ ~s~/<< /?~ De Driançon. le général Trochu passe à Oulx et a Susc, et prend le c"mmandcm''nt de la division Bouat qu'il r'-joint a Atcxandric le 4 mai.

Yictor-Etnmanuel se trouve à Alexandrie, et le gênera! assiste a un premier Conseil de guerre présidé par !c fondateur du royaume d'!ta!ie.

C'était un grand et gros homme, aux manières vulgaires. aux moustaches phénoménales et paraissant très excité, car il venait d'être avis<' que les Autrichiens se trouvaient a une très petite distance de la viHe. L'avis était faux, le Roi n'en soutenait pas moins qu'il se trouvait à la merci d'un coup de main, qu'il fallait mettre les remparts en état de défense et procéder à ces travaux, toute affaire cessante.

Le général Trochu Ht ubservcr respectueusement que, quand même les Autrichiens se trouveraient à proximité, ce dont il doutait grandement, ils n'avaient


aucune préparation pour faire un siège: il considérait comme tout a fait illusoire t'~ut mouvement de troupes contre une enceinte bast.ionncc. était donc inutile de faire des préparatifs de défense, car la position rendait la défaite certaine pour un assaillant. attaquant a découvert.

Ces observations d'un officier expérimente s'il en fut, ne calmèrent pas le Hoi, qui s'excitait de plus en plus et exigea que l'on procédât imntcdiaiemcnt a des préparatifs spéciaux de défense.

Le général français dut s'inclincrdevant cette volonté souveraine, mais cette scène ne dut pas lui laisser une haute idée des talents militaires du futur roi d'Italie. Les Autrichiens notaient pas là. et le général. se trouvant avoir d's loisirs, pria le syndic de la ville de mettre a sa disposition s"n th'-atre, pour se mettre en communication avec son corps d'ofnci<*rs et lui formuler son jugement sur la manière d'envisager la guerre. exemple qui devrait, être suivi par tout chef de corps au dcbut d'une campagne.

Il y eut dune une réunion générale avec démonstration au tal)l'*au.

D'âpres le général Trochu, a la guerre, moins il y a de manœuvres, mieux ça vaut, toute opération faite sur le terrain de manœuvres est excellente p~urlY'ducation des troupes, mais plus qu'inutile sur le champ de bataille. '< Simplifiez donc vos mano'uvres autant que possible, ajoutait l'illustre stratégiste. Nous ferons. dans toute cette campagne, trois mouvements toujours les mêmes ~t'~cc~ ~'< ~c< par ordre cchc-


tonne. tantôt la droite en avant, tantôt la gauche. Vous savez d'avance la place que doit occuper chaque bataillon,et jcn'ai qu'avons dire,uncfoispourtoutes, celle où chacun de vous doit se rendre.

Cette conférence, qui. nous le répétons, devrait devenir réglementaire, eut pour résultat de simplifier de la façon la plus heureuse cet amalgame diffus de théories hétéroclites, dont on a l'habitude de farcir la cervelle des pauvres officiers. Sur le champ de bataille elle fut une des principales causes qui permirent au général de faire manœuvrer sa division avec une précision telle, que. je le répète, plusieurs écrivains militaires ont dit que la division Trochu était arrivée sur le terrain et y avait manœuvre avec la précision qu'on ne rencontre généralement que sur le champ de mano'uvrcs.

Malheureusement le gênerai Trochu n'était qu'une exception parmi les omcicrs généraux de cette époque. On le considérait comme un révolutionnaire qui gâtait le métier, et troublait cette d'~ucc insouciance dans laquelle on se complaisait en attendant tout de l'initiative du soldat, ni plus ni moins que, non pas dans les guerres, mais les <s- /M/c d'Afrique. Ce fut du reste pendant la campagne d'Halte qu'on put constater cette indinercnec et ce manque de solidarité des généraux qui faillit tout perdre, et nous mit si souvent a deux doigts d'un Sedan anticipé.


CHAPITRE

in-utnsance et inaptitude du grand t'tat-niajor. Le service d'espionnage. Une plaisanterie de l'Empereur. Le detaut d'impartialuë. Attaque de HuU'alora. Les généraux de Lamotteruu~, Espinasse. Mac-Mahon raconte ta. ~'at:uHc de Magenta. Une grande perte pour Xapo)éon UI. l'n rapport intcrminat'te. Le commandant Schmitz :( t<'ug !es c'mra~es. –Hecompensetn~ritce.–Us sont superbes! Mort de r/<

Qu'on me permette maintenant quelques reitcxions générales sur la bataille de Magenta.

Le juin, r empereur prenait donc ses premières dispositions tactiques en vue d'une bataille qui paraissait imminente.

Se réservant le commandement de tous les corps qui devaient forcer le passage du NavigHo Grande et enlever les positions fortement occupées par l'ennemi, positions qui avaient pour solides appuis BufÏalora et Magenta– il avait confie au général Mac-Mahon une opération qui devait puissamment seconder les allaques directes des armées alliées, et il avait mis à sa

x


disposition la division des voltigeurs de la garde, qui devait lui servit' de réserve.

La tache d)! 2'* corps était longue, difficile et périlleuse. Elle se c'~npiiquait de deux passades de cours d'eau a la suite desquels il devait se rabattre sur sa droite, pour concourir aux attaques des positions retranchées que l'empereur devait aborder.

La division Espinasse, qui devait former l'aile gauche de la ligne de bataille, avait donc a exécuter un long mouvement circulaire, pour venir se drployer en face de Magenta.

Enfin le général Mac-Mahon n'avait /<~~c~ sur les dispositions de l'ennemi et sur les forces qu'il allait avoir devant lui.

L'insuffisance et les inaptitudes du grand état-major se signalaient d~ja et ne devaient pas se démentir pendant toute la durée de la campagne.

Il y avait bien un bureau politique et topographique, mais on peut dire que sa qualité dominante fut la discrétion, et que rien de ses opérations n'a jamais transpire.

Un semblable bureau avait été constitue dans l'étatmajor particulier de l'Empereur. Il avait pour président un officier d'artillerie, écrivain militaire ~7<</«< qui faisait, comme ses deux adjoints, sa première campagne.

De ces deux officiers, l'un était un capitaine d'étatmajor, débutant comme son président, et l'autre un ofnci'rde marine, distingue, mais qui se trouvait, moins encore que ses deux collègues, dans son élément.


Quant au personm'l d'espionnage. il se composait d'un pauvre diable d'Italien, a qui on avait donné un cheval, une carriole, avecIaqucHc il se promcnaitdans nos cantonnements, s'' gardant bien de dépasser les lignes de nos avant-postes. 11 lui serai) probablement arrive comme aux espions de Charles-Albert. qui lui apportaient des rapports c' des renseignements écrits, au bas desquels se trouvait le ~c /?~A' Ce )<auvre bureau politique, dont les membres étaient de bons et aimables camarades, eut a subir souvent n"s plaisanteries. pendant toute !a campagne, et il les acceptait gaiement.L'Empereurlui-memc s'en mêla, pendant le retour en France.

Le train imprriat s'était arrête a Montercau,rEmp<'renr déjeuna avec toute ta maison militaire. A peine était-on assis, que l'Empereur faisan! si~ne a un valet de pied de s'approcher, lui dit quctques mots à ForciIIe.

Le valet de pied sortit et, rentrant presque aussitôt, dit a haute voix. « X.j'ai oublié le nom de l'espion demande a parler sur-le-champ au colonel Pave.') Ce dernier, en bon courtisan, voulant assurer le succès de la plaisanterie de l'Empereur~ se leva de table, et fit semblant de se diriger vers la porte, au milieu d'un rire général.

On était gai. au retour d'Italie~ parce qu'il nous était permis a tousd'ëtrc heureux '-t fiers du succès éclatant de nos armes; pourtant je n'afiirmerais pas que quelques-uns d'entre nous ne se disaient au fond de leur cœur: Tout est bien qui finit bien, mais.


Apr~'s celte digression, dans laquelle je me suis laissé entraîner pour raconter l'anecdote de Montereau, je r'~vieus :) mon sujet.

Le j, à San Martine, tou~ les visages rayonnaient de joie, et pendant quelques jours la glorieuse et heureuse journée du t fut le sujet de toutes les conversations.

Dans une relation de la guerre d'Italie dont j'ai déjà parlé, qui est empreinte d'une sévérité exagérée et d'une partialité presque systématique', le maréchal Mac-Manon est l'objet de critiques qui ne peuvent s'expliquer, de la part d'un écrivain qui cherche a être véridiquc et consciencieux, que par une confiance aveugle dans des renseignements qu il a dû puiser des sources qui ne présentaient pas toutes les garanties nécessaires d'impartialité. Nombre de ses documents sont pris dans des relations ostensiblement favorables a l'armée autrichienne, celles du maréchal de Moltk'~ et d'un capitaine suisse. D'autres, pris incontestablement auprès de généraux français, sont empreints de ce sentiment regrettable de rivalité et de cet esprit de dénigrement dont ne se défendent pas toujours les hommes de guerre.

Le même défaut d'impartialité, les mêmes appréciations erronées se retrouvent dans l'o~'e Co~c/ c~' /j~'e et ont la même cause et la même origine. Enfin il est peut-être hardi et trop présomptueux, quand on ne s'appelle pas Turenne ou NapoAu--tu:D Dcm:ET, ~r/-<'tf7~«/ 18~').


léon I' de croira que des arrêts prononces, du tond d'un cabine de travail, sur des <v<nements de guerre auxquels on n'a pas assiste, peuvent ou doivent toujours avoir force de loi.

Cette science de la guerre est une terrible science, et si elle a, comme toutes les autres, ses axiomes, ses principes et ses règles, elle a aussi cette particularité, qu'elle laisse à un gênerai hahile le droit de les modifier selon les convenances, quelquefois même de les enfreindre.

L'archiduc Charles, qui était un savant général et qui avait donné a la stratégie des règles presque géométriques, a été souvent battu, pour s'y être trop rigoureusement conforme. Il serait plus exact de comparer cette science redoutable aux immenses nuages qui recèlent la foudre et dont le vent peut changer à chaque instant la forme. Ce vent, c'est tantôt l'imprévu, tantôt le souffle de l'inspiration subite, celui du génie des grands capitaines.

Je crois pouvoir affirmer tout d'abord que le général Mac-Mahon, en attaquant brusquement les positions de Bufalora et ses alentours, avec la division de Lamottcrougc, se conformait strictement aux instructions très correctes et trcs précises qu'il avait reçues de l'Empereur, puisque Buffalora était 1'~ premier et sérieux obstacle contre lequel Napoléon III allait se heurter à la tête de son armée. Protégée par le grand canal, cette solide position ne pouvait tomber ~/M</c/?< que sous les feux convergents des deux attaques simultanées. Or, pour qui connaît le caracs


terc du maréchal, cette fougueuse ardeur dans l'attaque, que le bastion de Malakofl' a si glorieusement consacr<e, il était certain qu'il ouvrirait le feu a l'heure qu'il avait fixée.

L<' général de Lamottcrougc était d'ailleurs capable en t'~us points de conduire et d'accomplir l'audacieuse entreprise qui lui était connue, et une fois maître de Buffalora. il aurait été bien difficile a l'ennemi de l'en déloger. Divisionnaire de la vieille école, correct et méthodique, brave comme son épéc, adore de ses soldats, il avait montre un<' certaine ressemblance avec Henri IV, et il pouvait leur dire. comme le vaillant roi. avec une petite variant'' de ~c<' « Suivez mon panache vous le trouverex toujours, etc. )) Le général de Lamotterouge avait les cheveux et la barbe de la couleur signalée par son nom.

Quel brave homme citait, dans toute l'acception que Vauban donnait à cette qualification

J'ai rapporté dans un chapitre précèdent les propres parol''s du général Mac-Mahon, relatives a cet épisode de la bataille.

Les turcos et le 4~ en t'tc de colonne, ayant Buffalora devant eux occupe par l'ennemi, l'attaquèrent résolument et, pendant qu'ils étaient aux prises avec ses défenseurs, le général Mac-Mahon s'aperçut qu'une colonne autrichienne s'introduisait entre la division Espinasse a sa suite et la division Lamottcrouge à sa gauche.

Comprenant tout le danger de cette situation, Mac~lalton arraclia les turcos et le 4~ à l'attaque de Buf-


falora il eut. beaucoup de peine à leur faire lâcher prise. Mais il '~tait de toute nécessite qu'Us vinssent se rallier sous son commandement immédiat, pour concourir à Faction qu'il allait entreprendre contre cette colonne autrichienne, qui avançait, toujours. Mac-MaIion ne l'attaqua a fond que lorsqu'il ''ut. les voltigeurs de Camou sous sa main pour servir de réserve.

D'ailleurs, Bunalora fut pris par les grenadiers de la garde du colonel d'Alton.

La t!" division, en effet. n'était pas encore entrée en ligne, son mouvement n'était, pas achevé, et l'attaque de Magenta n'avait pas rLc prononc'e.

Le brave et intelligent général qui était à la tête ne peut pas être non plus rendu responsable de ce retard, en raison de la longueur des mouvements qu'il avait à effectuer et des difficultés qu'il pouvait rencontrer.

Son caractère et son expérience militaire le mettent en outre à l'abri de tout soupçon d'hésitation ou d'inhabileté. Ce jour-la, comme toutes les fois qu'il mettait l'Apec à la main, le général Espinassc devait avoir mis ses /<~c~ et ces lunettes, quand il les braquait sur les obstacles qu'il avait devant lui. devenaient des microscopes.

Il y eut donc, à un moment donne, un temps d'arrêt !br<'e dans les opérations du général Mac-Mahon, et je ne peux mieux faire pour l'expliquer, que de donner encore la parole au maréchal lui-même, qui, quelques jours plus tard. fit, à un de mes camarades et amis,


officier d'ordonnance de r~mpereur que j'ai déjà. eu plusieurs fois la bonne fortune dp pouvoir mettre en srcnc, l'honneur de raconter une partie' du plus grave et du plus émouvant, épisode de la journée du t juin. i

Le maréchal Mac-Mahon est heureusement toujours vivant.: l'ofucier d'ordonnance. aujourd'hui colonel, l'est (''gaiement, rien n'est donc plus facile que de leur demander si mon récit, est conforme à la plus scrupuleuse vérité.

Ce jour-la, c'était vers le juin, l'Empereur, après avoir indique à son officier d'ordonnance la marche que devaient effectuer les et corps, Im avait donne l'ordre de se rendre au quartier général du maréchal ~lac-Mahon, et de prendre auprès de lui des renseignements sur les positions qu'il avait choisies pour y établir ses troupes. <~t aussi sur celles que pourraient occuper les corps autrichiens qu'il avait devant lui.

La course était longue, et la route suivie par le corps, entre l'O~lio et le ~aviu.lio délia Citta, ~tait encore occupée par les troupes en marche. Au moment où le capitaine Brady arrivait au quartier général, a Roh'~cco, petite ville située non loin de l'OgIio. le. maréchal descendait de cheval dans une auberge ou il devait passer la nuit.

Le maréchal s'assit sur un banc, fit signe à l'envoyé de l'Empereur de se mettre près de lui, et lui dicta les détails qu'il devait reporter à Sa Majestr. Le capitaine saisit cette occasion pour féliciter Mac-


Mahon sur son élévation a la dignité de maréchal de France et. sur la part glorieuse qu'il avait, prise à la victoire du ~ct voici a peu prcs textuellement c'~ que lui répondit le nouveau maréchal

<~ Je me suis trouve dans une situation asscx critique a un certain moment de la journée. Nous recevions d'-s coups partant de plusieurs directions a la fois. Une fumée épaisse couvrait toute la plaine, et I' ~tait telle, dans la division de Lamotterou~c, que j'ai pu voir ce fait singulier ~~M/ r~<y< ~c/'(~' /'c~ f~ /c ~?~/), un autre qui croyait se replier, et qui marchait à l'ennemi.

« !!eso!u a. suspendre l'attaque pour attendre l'entrée en )i-?ne de la division Espinassc, c'est le dernier que j'arrêtai.

« Je me portai alors rapidement a ma gauche pour donner l'ordre à Espinassc d'attaquer .ManaUo et Magenta qui nous prenaient d'echarpe. le plus promptementpossible, et j'attendis les premiers coups de canon pour reprendre l'attaque d'' Buffalora.

« A cet instant seulement, je fus complètement rassuré, car la fumée s'étant dissipée, je pus voir mon vieil ami Camou dont la division de voltigeurs était déployée derrière m"i. ~7/o~ ~/A'S (/ f/6~/0/(.

Le capitaine Urady prit alors con~é du maréchal et, remonta a cheval un peu choqué de ce que pas un de ses aides de camp ne lui eût oifert le moindre rafraîchissement, après une course de <' ou 7 lieues. 8.


On était plus hospitalier que cela, non seulement à Fétat-mnjor de l'Empereur, mais chez bien des généraux.

Pendant son retour il put constater que la colonne en marche n'avait guère avance. Il retrouvait le colonel Cambriels, du 1~ corps, exactement à l'endroit où celui-ci était avec son régiment lorsqu'il 1 avait rencontre une première fois. Cette colonne était partie de grand matin, avait fait 3 ou 4 lieues, et il était à peu près -4. ou 5 heures de l'aprcs-midi

En rentrant au quartier impérial et après avoir lu les notes qu'il rapportait, l'officier d'ordonnance crut devoir faire connaître à l'Empereur I<'s difficultés regrettables du mouvement des f'' et ~corps d'armée s'avançant sur une seule route~ et la fatigue excessive qui en résultait; l'Empereur sembla réfléchir un instant et répondit

C'est vrai, c'est très fâcheux, mais. c~a ne ~C«< <?/~6!6WC~.

Dans ces quelques mots se manifestait clairement une pensée de l'Empereur, qui a évidemment préoccupé son esprit pendant toute la durée de la campagne, celle d'avoir constamment son armée w~cc, et presque la 7~/M, en prévision d'une attaque brusque et inopinée de l'ennemi.

En adoptant ce système de concentration à coup sûr excessive, Napoléon 111 ne se rendait pas assez exactement compte qu'il n'évitait des difficultés s~c~Mes sérieuses, que pour rencontrer des difficultés ~<M~ non moins graves.


En effet, s'il est difficile de concentrer p~ o/)/~v:M une armée dont les éléments manœuvrent isolément à ~Y~e~s ~M//cs, il est non moins difficile de déployer, à proximité de l'ennemi, des colonnes trop profondes, dont la situation trop rapprochée gêne toujours et arrête souvent complètement les mouvements de manœuvre.

Seconde par son état-major généra! dont la précision des ordres de détail pouvait éviter la plupart des difficultés des marchés. l'Kmpcreur n'aurait pas été forcé, comme cela lui est arrivé à Magenta, d'engager une partie de ses plus précieuses réserves des le début. de la bataille, et d'opposer au premier choc de l'ennemi l'inébranlable fermeté de ses admirables grenadiers.

Mais les traditions du prince de Ncuchatcl étaient à l'état de lettre morte pour le grand état-major général de l'armée d'Italie.

Le 5, l'Empereur quitta San-Martino, et vint s'établir a Alagenta.

L'Empereur passa devant une maison qui faisait face au chemin de fer. Ses murs étaient percés de meurtrières et déchiquetés par les trous de projectiles. C'est presque au pied de cette maison que furent tués le général Espinasse et sun officier d'ordonnance, le lieutenant de guides, de Froidefond, qui ctait son parent.

Toutes les traces du passage de la première brigade de la division attestaient la violence de l'attaque


et l'impétuosité avec laquelle elle avait été conduite par le vaillant général. dont la mort. fut une grande perte pour l'armée, et un deuil pour tous ceux qui l'avaient connu.

Les barrières du chemin de fer, renversées par le choc de ses terribles fantassins, gisaient, à terre, et toutes les maisons avoisinantcs, encore fortement occupées, avaient et' enlevées par eux, les unes après les autres, a. ta baïonnette.

La mort du général Hspinassc fut une perte non moins grande pour l'empereur, qui avait en lui un aide de camp intelligent, instruit, loyal. sincère et dévoué, dans lequel Napoléon II! pouvait avoir la plus grande conilancc. 11 détendait toujours~ dans les discussions militaires, ses idées personnelles avec une entière indépendance, et ne comptait pas parmi ceux qui plaçaient leurs intérêts de courtisans avant les devoirs de leur conscience, soit. en cachant la vérité à leur souverain, soit en approuvant, sans réserve toutes ses idées militaires, qui n'étaient pas toujours incontestables; courtisans d'ailleurs maladroits, qui n'avaient pas su reconnaître que D'jupcrcur aimait passionnément la vérité et la cherchait toujours dans la discussion, admettant, avec sa douceur et sa bonté légendaires, autant qu'avec son jugement et son intelligence, toutes les contradictions.

Le 6, dans la soirée, l'Empereur convoqua tout le grand état-major et sa maison militaire pour entendre le rapport du major général sur les événements qui


venaient d'' s'a'-compnr si rapidement, depuis le départ d'Alexandrie.

La lecture fut faite par leco!"nel de Castemau, aide de camp du maréchal YaiHant.

Consciencieusement établi, il était trop l"m. ce rapport: y avaitia des nécessites d'explications tccitniques qui ne pouvaient pas natureUement intéresser le pays attendant avec impatience re'-it des débuts de la campagne.

L'Empereur sembla s'en apercevoir ''t prit cntin la par"!e, pour demander si quelqu'un n'av.tit pas des observations a présenter sur ledit rapport.

Le s"urire un pO! malicieux qui accompagna cette question donna à penser à quelques-uns que l'Empereur t'avait ecou~ avec sa b'mte habitueHe. et que, moins indu!ent. il eut intcrr"m:)u !a lecture, plus souvent encore qu.~ !e gênera! R"naparie n'avait interrompu M. de Cobcntxel, pendant la lecture du traite de Campo-F"rmi'). par ces muts, restes lr:.cndaires ''t historiques: =

Kna<-ex cela.

Il y avait beaucoup de généraux dans cette réunion. et aucun d'eux, même le ~cn'a! F!cury. ne voulut. par déférence pour le maréchal VaiHanL ibt'muter la moindr'~ critique. Mais il y avait, daus les ran~rs inférieurs de la maison militaire de l'Empereur, un officier que la prudence et la circonspection n'ont pas toujours arrête dans sa vie, quand il jugeait utile ou nécessaire d'inverser la formule « La parote est d'argent et le silence est d'or. »


Ce fut lui, le commandant Schmitz, qui prit. la parole. et «.s~ dir'' à l'Empereur: « Sire, je trouve le rapport ~/e// mais. a un rapport <A\ il faut un résumé et une conclusion, et il n'en a pas. Il me semble qu'il faudrait y ~'o~ c~ /<M~ « Ainsi dune. en huit jours, après trois combats et une grande bataille, l'Empereur et l'armée étaient arrivés aux portes (le Milan et l'armée autrichienne, en pleine retraite, était forcée d'évacuer la Lombardic. » L'Ëmpcrcurapprouva sans hésitation et tout l'audit'ire lit naturellement comme l'Hmpcreur. Le lendemain matin, le ancrai Fteury s'' rendait jusqu'au quartier générât du ~encrât !{e.L;nauld de Saint.-Jean-d\\na~!y. qui il allait annoncer, de la part de l'empereur, son élévation a la dignité de maréchal de France. Le gênerai ctai) sous sa tente, écrivant a la comtesse sa femme. Inutile, je pense, de dépeindre sa physionomie. lorsque le généra! Fleury, avec sa courtoisie et son bon c<j'ur, lui annonça en termes émus qu'H Yenait. de la part de l'empereur, lui notiuersa nomination de maréchal.

La plume tomha de sa main, il se leva, paliL, et prenant les deux mains du général, il lui dit

Ah mon cher je n'avais jamais pensé un seul instant de ma vie que je serais digne d'une pareille récompense'

Il y avait. dans cette exclamation, autant d'étonnement et de modestie que de joie et de bonheur. Tenez, ajouta-t-il, j'écrivais a. ma femme, je vais vous lire ma lettre, et vous verrez combien je m'atten-


dais peu a la distinction dont l'Empereur daigne m'honorer.

Dans cette lettre en cH~L que la maréchale doit. avoir encore, il racontait en grands durits !a journée de Magenta, la part curieuse que ses officiers et. ses soldats y avaient prise. le puissant concours que le général Lcbœuf lui avait prête avec son artillerie. Beaucoup de noms étaient cites; un seul n'y ngurait pas, << /c ~'c~.

Lorsque le gênerai et l'ot'ucier <}ui l'avait accompagné prirent congé (le lui, il leur tendit les mains de nouveau et dit au général FIcury.avec un bon sourire

–$/ ~/< /s~M~ ~<~ A'c. Dites à l'Empereur que. maréchal de France comme grnéral, je continuerai a servir mon pays et m"n souverain avec tout mon cœur.

Dans le courant de la journée du lendemain S. la division de grenadiers traversa Magenta se dirigeant sur Milan. l'Empereur vint se placer à pied devant la maison qu'il occupait, et la division dénia d'-vant lui.

Rien ne peut dépcindre l'attitude uere et imposante de cette troupe incomparable, qui avait si bien attesté. deux jours auparavant, que si le caractère national et les qualités de cœur font la valeur exceptionnelle de nos soldats, ce sont aussi les institutions militaires qui font les soldats d'élite.

Lorsque la tête de colonne du régiment arriva à


hauteur de l'Empereur, faisant, quelques pas en avant et levant s'm képi, il dit au colonel Metman qui marchait a sa tête, d'une voix forte mais étranglée par rémotion

Ils sont superbes

il en reste encore, répondit le colonel, en montrant de la pointe de son épée la forêt de bonnets à poils qui marchait derrière lui. Reproduisant, dans un sentiment de tristesse et de regret, et non dans celui de cruelle indilférence qui l'avait dictée a son prédécesseur, la réponse du général Cohorn a Napoléon 1~, qui lui reprochait d'avoir inutilement prodigue le sang de ses soldats à la prise d'assaut d'Ebersberg « .S~'c, il y < a c~w<? //o~' /b~. »

L'Empereur quitta Magenta dans la soirée pour aller passer la nuit à San Pictro dcll' OImo, dernière étape avant Milan!

Dans la soirée, une mauvaise nouvelle vint contrister le général Fleury. /7~ venait de mourir subitement d'une indigestion de fourrage vert, et c'était le lendemain que devait avoir lieu l'entrée à Milan! /~<7</).s était cet admirable cheval alezan brûlé que Empereur montait à toutes les revues. Trop nerveux et trop impressionnable pour être un cheval de guerre, c'était un superbe cheval de cérémonie, et naturellement il avait sa place marquée le jour de l'entrée triomphale de Napoléon 111, à la tête de son armée, dans la capitale de la Lombardie. L'Empereur dut se résigner à monter Z?«<w, autre cheval alezan d'un beau modèle, mais froid et impassible,


comme le souverain qui le montait, et marchant avec le calme et la dignité d'un archevêque

1. En temps de paix te service des écuries de la mal~n de l'Empereur Napoléon !!I ctalt divisé en cinq services particuliers

la Les cochers du corps.

2" Les cochers de Daumont.

3" La poste.

4" Le service particulier de la Maison aides de camp. officiers d'ordonnance, etc.

5" Les poneys (le l'Lnpëratrice, les chevaux de sdie de l'Empereur.

Pendant !a guerre d'Italie, deux de ces services suivaient l'armée. Trente chèvaux d' selle étaient anectés tant atu: besoins de l'Empereur iui-méme qu'a ceux des officiers de sa Maison. Ennn le service de la poste était composé également de trente chevaux, servant indistinctement l'Empereur et sa Maison. L'Empereur avait quatre chevaux de sell'que, naturellement, personne autre que lui ne mont.tit. Son prenn~r chev.t! :H)g-tis Philips, mourut. )<* \'iens de le dire, des suites d'une Imprudence de son palefrenier, qui. après une longue marche, était entré .tnam:' dans un cabaret et avait laisse la pauvre Letc se repaître à son tour d'herhe fraîche elle en mangea tant, qu'elle gonHa et creva.

Les autres chevaux personnels a l'Empereur se nommaient T~cA-t~yA~ cheval anglais, .< et !o~r< cheval Irlandais.

A Mairent.'t. l'Empereur montait .</<ï.r: /~c/?!/y/<~</< aSoIférIno; il fit son entrée a Milan, lautc du pauvre P/< sur /~<c~<y~~?)!.

En 1S70. /?Mt7.f/ n'était pas mort, et <tt encore partie des chevaux personnels de l'Empereur. Qu'est-il devenu dans les désastres


CHAPITRE XI

Chez l'apothicaire.–Le champ de bataille. L'arc du Simplon~ Milan. Entrée triomphale. 7'<* D~/M:. Une heure de détente. Singulière guerre. Les drapeaux de Magenta. Le nonce du Pape. Une dépêche de l'Empereur. Ignorance politique de" ministres de Napoléon III.

5 juiN. Révcii à 3 heures. Sous le fallacieux prétexte d'aller aux provisions, je demande au colonel la permission de courir à Magenta.

Je pénètre de force dans la noire boutique d'un apothicaire qui, levant au ciel des bras désespérés, s'écrie en me voyant A'<c/ /e/ Je lui demande tout doucement du papier, une plume et de l'encre, et j'écris sur un papier épais, qui devait singulièrement augmenter le poids de ses médicaments, une lettre pour la France, pour la famille. Je cours la porter dans la boîte spéciale du quartier impérial, en lui disant tout bas

7. ~/o le )7?//<M~/ et MMr.r

w~~ oM~«', c/c'

1. Va ou te portent tes p!cds et les vents

Va sou$ de:: auspices favorables.


La journée se passe dans un /<p/ complet, sauf le train ordinaire des distributions, des nettoyages, des appels, etc. On creuse de longues tranchées pour enterrer les morts. Nos soldats, en fouillant les maisons désertes et peut-être les caves de Magenta, découvrent a chaque instant des blessés de a veille et des combats précédents. Quelques-uns sont t lhorribles avoir, avec leurs plaies béantes, tuméfiées. déjà remplies de vers.

Ces malheureux croyaient évidemment qu'il n'y avait pour eux aucune différence entre être tués ou prisonniers. Ils paraissent surpris et touchés des soins qu'on leur prodigue.

Les bagages nous rejoignent, et je goûte, sur ma peau de mouton, les douceurs d'une sieste réparatrice. Ni grand'gardes, ni avant-postes pour le régiment de voltigeurs.

6 jnx. Vers 7 heures je retourne par ordre a Magenta en suivant cette voie ferrée, théâtre des plus sanglants épisodes de la bataille.

En rentrant à '< heures, je trouve les tentes abattues et le régiment parti; je me lance à la poursuite de ma compagnie. De temps autre sur mon chemin des terres fraîchement remuées, d'où émergent et la des lambeaux d'uniformes français et autrichiens, et peut-être des débris humains recouverts en h.Ue d'un peu de terre. Sur un amas informe de choses sans nom, armes brisées, gibernes trouées, sacs éventrés, guenilles sanglantes, je remarque une main noire,


desséchée par les ardeurs du soleil. la main d'un turco. superbe pièce anatomique, et j'ai la tentation. non suivie d'exécution, de ramasser cette triste épave du champ de bataille.

Je rejoins mon bataillon sur la route de Milan. Nous côtoyons un instant le grenadiers son colonel raconte au nôtre les péripéties de la bataille a laquelle son régiment a pris une grande et belle part; puis en le quittant, a haute voix

Oui, nous avons été superbes, magnifiques, et si j'avais eu !00 hommes tués de plus. j'étais générale Ce qui fit sourire le colonel Douay.

Fils d'un général de division du premier Empire, ce brave colonel avait tort de desespérer.

Il fut nommé brigadier le 10 juin, malgré les 100 hommes tués en moins.

Le régiment campe à 2 ou 3 kilomètres de Milan, dans un terrain coupé de ruisseaux, de petits canaux, à demi inonde. Le corps a déjà, nous dit-on, rapidemen traverse la ville.

7 jux. Les adjudants-majors de la division de voltigeurs vont reconnaître. dans l'intérieur de Milan, les emplacements de leurs régiments respectifs. Ils se donnent l'immense, la colossale satisfaction de passer sous cet arc du Simplon, commencé par Napoléon 1~ en l'honneur des gloires françaises, terminé par son beau-père en souvenir de nos défaites, et par lui modestement dédié à la Paix. Le marbre dont il est bâti est redevenu italien les inscriptions et


les bas-reliefs relatant les victoires autrichiennes de Leipsick. de Paris, etc., sont effacées par le sang de Montebelto, de Palestre et de Magenta.

Leur entrée n'a rien eu de théâtral quelques acclamations. quelques fleurs; on réserve les unes et les autres pour la journée du lendemain.

Lc2° voltigeurs doit bivouaquer sur les remparts au nord de la ville.

Au camp, on nous a lu l'ordre de service venu de l'état-major générât de la garde, je remarque la menion suivante « Un officier et 32 hommes de garde au palais Bonaparte. » L'Empereur y avait installé son quartier générât comme, cinquante-neuf ans auparavant, le Premier Consul après Marengo et depuis quatre jours le palais avait repris ce nom qui avait été le sien pendant les quinze ans de la domination française.

Voici toute l'armée en marche sur Milan. Baraguey d'Hilliers en tête, Mac-Mahon et le roi à gauche, a la poursuite d'Urban.

L'ennemi avait tout évacue et dépassé Milan. Au bivouuc du 7 juin, l'Empereur reçut à son arrivée une députation des notables de Milan accompagnée de musique et do fanfares, jouant sans trêve la .MM< C'est la première fois que nous l'cntendimes. On convint de l'entrée à Milan, qui eut lieu le lendemain 8.

L'Empereur et le roi se réunirentà l'arc de triomphe, porte ouest de Milan.


8 juix. ~~c d .V/7~ La garde, cavalerie, infanterie, artillerie, précède et suit l'Empereur sous l'arc triomphal.Notre musiqucattaquepoHmcntIa.V~M~p. Afflucnce énorme, enthousiasme ~ew. Grêle de balles et d'obus la veille, pluie de fleurs aujourd'hui; et. dans le lointain, a peine entendues de quelques oreilles attentives et réfléchies, les plaintes des blessés et les larmes des mères qui ne rcverront pas leurs enfants.

L'Empereur traversa toute la ville et revint au /< qu'on avait mis a sa disposition. Baragucy d'Millicrs et Mac-Mahon avaient dépassé Milan et suivaient l'armée autrichienne, qui s'était t retirée en partie par la route de Marignan.

Le soir même de l'entrée de l'Empereur à Milan, Haragucy d'HiUiers livra la bataille de Marignan, la division Bazaine en tête, avec le f''de zouaves. C'est là sur la chaussa, en avant de la ville, que fut tué leur colonel, Paulxe d'Yvoy.

Baragucy d'HiHiers n'avait pas attendu le mouvement de Mac-Mahon, et sa '2° division, celle de Forey, attaqua de front et perdit beaucoup de monde, ce qui lui fut vivement reproché.

9 juix. Dans ses plus beaux atours le régiment forme la haie dans une rue étroite d'abord, plus large ensuite, qui va de la cathédrale au palais Bonaparte. Le milieu de la voie est libre: derrière les rangs circule une foulo agitée, névrcuse, dont les ~< continuels couvrent le son des fanfares et des musiques des


régiment? alliés. C'est bien le peuple italien, plus co~c~<<?, plus ~r/~e encore que le peuple français. Toute la ville est dans les rues parcourues par le cortcge, toutes les fenêtres sont occupées par des dames en tenue de gala, bras nus, décolletées, couvrant chaque état-major d'un orage de fleurs. En face de moi, au ler étage, l'une d'elles, superbe avec ce teint mat et ces grands yeux noirs, peu rares en Italie, mais toujours admirables, se fait remarquer entre toutes par un enthousiasme échevclé. A l'arrivée d'un régiment de cavalerie guides ou chasseurs la bretelle étroite qui reliait, par-dessus sa magnifique épaule, l'avant à l'ar rière de son corsage, se brise ou se détache, sous l'dan impétueux d'un bras qui lance des fleurs, et alors. ahl alors, apparaît a la lumière tamisée par les stores suspendus au-dessus des têtes, ce que le soleil n'avait sans doute jamais vu.

D'un mouvement brusque, irréfléchi, admiratif, je tends les deux mains comme pour recevoir ce que j'avais le plaisir inappréciable d'apercevoir. Mais les attaches étaient, robustes, solides. La dame. un peu confuse, mais souriante, se retire afin de réparer le désastre, tandis (lue près d'elle, une jeune fille se méprenant sur les intentions de c'~s deux mains levées en l'air, me jette une ffcur superbe de magnolia. Son parfum citroné arrive à propos pour combattre les odeurs mélangées des fleurs d'orangers, des jonquilles, des tubéreuses, qui. montant du pavé échauffé par le soleil, remplissant l'air, commençaient me porter


violemment à la tête. Notre attente, peut-être longue, ne me parut point telle.

Enfin apparaissent les escadrons d'avant-garde, puis les cent-gardes, puis les calèches impériales, royales, etc., avec toutes les splendeurs des riches uniformes militaires et civils, puis les escadrons d'arrière-garde piémontais, français.

La cérémonie finie, les compagnies reforment leurs rangs et regagnent avec grand plaisir les verts ombrages de leur campement.

Avec les pétales blancs et satinés du magnolia qui n'avait pas été lancé au hasard, mais bien à mon adresse, j'emporte la vision radieuse de la dame aux yeux noirs, aux bras et aux seins nus, aux cheveux épars, comme celle de l'Italie elle-même vivante d'une vie nouvelle, ressuscitée par nos victoires. Mais. je m'aperçois que je meurs de soif, et, sauf mon magnolia, je donnerais une corbeille de fleurs pour un verre d'eau fraîche que nul indigène de rez-de-chaussée ne songe à nous offrir.

Avec l'autorisation de mon chef de bataillon, je me dirige vers la cathédrale à travers une foule immense, une mer vivante par la houle et les mugissements. Des drapeaux tricolores, bleus, blancs, rouges; d'autres verts, blancs, rouges des guirlandes, des écussons, des pavoisements sur la façade, à croire que Godillot et Cie étaient passés par là.

J'ai certainement déjà vu ces décors à Paris à l'arrivée de S. ~1. Victor-Emmanuel, roi de Sardaigne, de Chypre et de Jérusalem.


Dans l'intérieur on éteignait les cierges, dont les fumées acres se mêlaient au parfum de l'encens. J'arrive avec peine, latéralement, jusqu'à la hauteur d'un Saint-Barthélémy devant lequel je m'arrête. Adossé à un des piliers de l'église, plus grand que nature, écorché vif, il tenait suspendue sur l'un de se? bras sa dépouille humaine pliée en deux, les mains sanglantes rejoignant en bas les pieds saignants.

J'ai su plus tard que j'avais eu devant moi un chefd'œuvre, mieux placé dans une salle de dissection, dans un musée secret, que dans la sainteté d'une cathédrale.

Fatigué, je cesse ma visite et je rejoins ma tente. Un groupe de colonels, de généraux, s'entretenaient vivement d'une nouvelle victoire remportée par le 1~ corps à Melegnano. On commentait non sans d'àpres critiques, àtort ou a raison–l'élan intempestif de son chef qui, n'attendant pas l'effet certain de l'artillerie, aurait obtenu à coups d'hommes un résultat plus facile et moins coûteux à coups de canon. Comme d'habitude les fantassins ont payé la victoire, et chèrement!

Singulière guerre On se bat près de nous,et nous, la Garde, depuis trois jours nous sommes à Milan comme dans une ville de fête, de thé<itres,avec quelques gardes aux postes et sans plus penser aux Autrichiens que s'il s n'existaient pas. De fait. depuis le commencement de la campagne, sauf la courte apparition un soir d'un bataillon de Tyroliens et les cadavres du bourg de Magenta, pouvons-nous dire sérieusement Je les ai vus? 9.


<M ~'c/y6'.<< <?/M/~ //<e/Mw.je m'endors en me demandant si je fais Lien la grande guerre, et en rêvant que notre tour viendra sans doute un jour. L'Empereur, avant de quitter Milan.désigna son officier d'ordonnance, le commandant Schmitz. qu'il nomma lieutenant-colonel, pour aller a Paris porter les drapeaux pris Magenta.

Le commandant fut reçu à Saint-Cloud par l'Impératrice et lui en ut la remise dans l'un des valons. Sa Majesté daigna d'mner l'accolade au lieutenantcolonel, et demanda à l'Empereur (le garder cet officier supérieur pendant quelques jours auprès d'elle. La vie de l'Impératrice à Saint-Cloud était tout entière livrée a la réception et à l'envoi de dépêches à t'armée. Elle ne recevait guère que Walevski,ministre des aSaires étrangères, en particulier.

Son attitude était fière, digne du haut rang qu'elle occupait, remplie d'ardeur pour le succès de nos troupes, accueillant avec avidité le moindre renseignement (lui pouvait mettre l'Empereur en grande lumière. Les jours passaient pas de nouvelles rencontres avec l'ennemi.

Attente iebrilc de grands événements. Vers le i5 juin, le nonce du pape, ayant reçu audience de l'Impératrice, lui dit

Madame, vous m'assurez que le prince Napoléon, en Toscane, ne touchera en rien aux Ëtats Romains; cependant le Saint-Père a la certitude que, pendant que votre ministre ici,à Paris, luidonne ces assu rances,


"n distribue des armes à Bologne et on excite les populations. Si l'Empereur ne change pas immédiatement cet état d'~ choses, j'ai l'ordre du Saiut-Përc de <mitter Paris.

L'Impératrice fut très émue de ce discours. Elle ne savait rien] de ce qui se fomentait au delà de la Toscane, mais prit pour vrai tout ce que le nonce lui disait.

Elle télégraphia a l'Empereur, qui lui répondit d'une manière évasivc.

Alors, prise d'un violent accès d'~ résolution, elle télégraphia de nouveau a l'Empereur « qu'elle allait partir pour son quartier général clandestinement, qu'elle ne resterait auprès de lui que quelques heures mais qu'eHc avait absolument besoin de le voir, pour lui faire partager son indignation de la conduite à double effet qu'on tenait vis-a-vis du Pape, et obtenir de lui des résolutions. »

Cette dépêche arriva sur l'empereur comme un coup de foudre.

Savoir Hmpératricc à sa poursuite, abandonnant la Régence, Paris et son enfant

Saisi d'une grande émotion, il répondit par un télégramme chiffré à l'Impératrice, « qu'il lui défendait absolument de quitter Paris ».

Les termes qu'il employait étaient tellement blessants pour la MM<ï~<?, la w~'e et I'c/)OMse, qu'elle éclata en sanglots lorsqu'elle eut déchiffré la dépêche. Elle se soumit aux ordres de son mari.

Qu'est devenue cette dépêche chiffrée ? C'est M. Ro


bert, du Conseil d'État, que l'Empereur avait attaché à son cabinet en Italie, qui l'a chiurée.

Qu'est devenu .M. Robert, fidèle serviteur de l'Empereur ?

S'il existe encore, il a parfait souvenir des termes de cette dépêche, que nous ne reproduisons pas ici. Pendant que l'Empereur accélérait sa marche en Lombardie, qu'il passait successivement FAdda, rOglio, Walevski, ministre des affaires étrangères, resté à Paris, était tout à fait en dehors des visées de l'Empereur et du prince Napoléon témoin cette conversation qu'il avait avec l'Impératrice à Saint-Cloud, au moment de la communication du nonce du Pape Nous voici maitres de la Toscane et on veut révolutionner les États du Pape. Où s'arrêtera la convoitise de la maison de Savoie ? dit l'Impératrice. Walevski répond

Oui, c'est nous qui occupons en ce moment la Toscane mais que la maison de Savoie l'ait en sa possession après la guerre 7o~a~/l'Apennin est une barrière que nous ne laisserons ,/owa~ franchir. Que peut-on dire de la perspicacité du chef de la diplomatie française?


CHAPITRE XII

Succcs et échec. Le maréchal Bara~uey d'HHliers. Une relation de la campagne de t8M. Voici /~M/rc la vérité. Le maréchal Lefebvre. A la ~ca/a. La cathédrale.–Place du Dôme. Une visite de nuit a ];t cathédrale. Diver, sentiments <)e !a p~.uj~tion milanaise. Le syndic de Gor gonzola. Treviglio.

Nous avons légèrement anticipé sur les événements à la fin du chapitre précédent, revenons un peu en arrière pour dire ce que nous pensons aujourd'hui, avec l'âge et l'expérience, du combat de Melegnano. L'opinion a peu près générale dans l'armée d'Italie. opinion qui se rapproche de la vérité, fut que l'aûaire de Melegnano avait été à la fois un succès et un échec. Un succès, parce que quelques vaillants régiments français s'étaient emparés de vive force d'un village mis en état de défense, crénelé, barricade et bravement défendu un échec, parce qu'une brigade autrichienne, imprudemment laissée aux prises avec trois corps d'armée, avait pu leur échapper, après une résistance qui lui faisait le plus grand honneur.


Avec les instructions précises que le maréchal Baragucy d'JHUiers avait reçues, avec I~s moyens d'éxecution formidables que l'Empereur, dans sa préoccupation constante de la supériorité numérique, avait mis dans sa main, le village de Melegnano devait être cerne, et la brigade qui l'occupait, fatalement amenée à mettre bas les armes.

C'est ainsi qu'à la guerre, une opération bien conçue peut quelquefois aboutir à une déception. La plupart du temps, c'est dans le défaut de précision des ordres de dctail, dans les mouvements mal coordonn's en un mot, dans les fautes de manœuvres qu'il faut chercher les causes d'insuccès. Mais quelquefois aussi, c'est dans le caractère, dans le tempérament du général qui dirige, qu'on les trouve. Il est bien rare, en effet, que les actes ne portent pas fatalement l'empreinte d'une particularité dominante du caractère.

Chez le maréchal Baraguey d'Hilliers, c'était la brusquerie. Tout était brusque en lui, allure, geste, ton et parole.

Général imposant, soldat magniRque, de haute stature, portant noblement un glorieux nom militaire. il était en tous points capable d'electriser par son aspect, et plus encore par son exemple, des soldats aussi impressionnables que les nôtres. Mais. c'était un cavalier.

Le général Foy, dans son //<s~'c de la ~M~c de la Péninsule, donne, sous forme d'allocution, une définition superbe du général de cavalerie, et dit


« Si vous ne montex pas a cheval comme un centaure si vous n'avez pas le coup d'œil d'un aigle et le courage d'un lion, retirez-vous. vous êtes incapable de conduira un ouragan de cavalerie. )'

Le maréchal Baraguey d'Ililliers pouvait, dans une certaine mesure, satisfaire à ces conditions, mais il n'avait assurément pas toutes les qualités, plus nombreuses et plus délicates, qui font les bons généraux d'infanterie, les savants, méthodiques et ponctuels tacticiens. Emporté par sa fougueuse nature. il supportait difficilement !es retard- qu'il faut toujours prévoir, et avec lesquels il faut compter, quand on fait mouvoir et manoeuvrer des troupes il pied.

Encore moins pouvait-il coordonner avec la précision nécessaire les mouvements et les rôles (le trois corps d'armée réunis.

Je crois que cette petite affaire de ~elegnano suffit a. elle seule mettre en relief les insuffisances que je signale ici, -avec tout le respect dû à un brave et brillant soldat qui portait sur son bras mutile à Leipsick le certificat glorieux de sa vaillance personnelle. Le maréchal avait à sa disposition </<c ~< de cavalerie qu'il pouvait confier sans hésitation au général Desvaux. Appuyées par leur artillerie a cheval, ces deux divisions pouvaient déborder rapidement la position de l'ennemi, et lui fermer toute retraite. Quant à son artillerie divisionnaire et de réserve, son rôle n'était pas moins indiqué, non seulement pour réduire au silence le peu de canons qu'elle avait devant elle, mais encore pour détruire ou incendier les


obstacles et les maisons qui abritaient l'ennemi. Ni l'une ni l'autre des deux armes n'ont concouru efficacement à une opération dans laquelle toutes deux avaient un rôle assigné à l'avance, et le maréchal a ~yM~Mc une attaque de vive force, sans I'avoir~~w< et a sacrifié ainsi sans nécessité une partie de sa brave et précieuse infanterie.

Quant à croire, comme on l'a écrit depuis, que le général Decaen a marqué le pas volontairement, avec la 2'' division du 2'' corps, dans des prairies humides; que le général Niel est resté, volontairement aussi, immobile à Carpiano: que le général de Ladmirault enfin a marché au feu en se /M/~M~, je m'y refuse absolument, et j'aime mieux croire que, dans la rédaction des ordres donnés aux 3'* et 4~ corps, la carte géographique et la montre du maréchal Baraguey d'Hilliers n'ont pas tenu la place importante qu'elles devaient occuper.

J'aime mieux croire aussi que l'activité et la vigilance de l'état-major général du 1" corps n'ont pas suppléé au défaut de précision des détails d'exécution, insuffisamment accentués. Si iM. Duquet, par exemple, l'auteur d'une relation de la campagne de !859, avait, comme moi, <~ yeux u!< comment le général de Ladmirault, déjà sorti de Metz avec le 4" corps, et en retraite sur Gravelotte, exécutait une contremarche sans or< puisqu'on n'en recevait jamais à l'armée de Metz pour courir au canon de Borny comment, après avoir fait déposer les sacs, il repassait la Moselle au pas de course, et venait se jeter sur l'aile


droite du général Stcinmetz. qu'il mettait en désordre et forçait à une retraite précipitée, il se serait abstenu de toute critique, et sa réputation d'historien militaire ne s'en serait pas plus mal trouvée.

Toucher à celte d'un pareil général, formuler nn doute sur le dévouement d'un pareil homme, c'est blesser le sentiment unanime de l'armée et ne pas contribuer à éclairer le jugement de l'histoire. La vérité, la voici ~cï~-c~'e sur cette affaire de Melegnano.

Si, au lieu de donner au maréchal Baraguey d'Hilliers le commandement de trois corps d'armée pour si mince besogne. l'Empereur, plus exactement renseigné sur les forces que le maréchal allait rencontrer, soit à Mel~gnano. soit àLodi, lui avait simplement adjoint le général Lcbœuf~o:~ ~K/, les choses se seraient probablement passées tout autrement.

Ils se connaissaient, et le maréchal aurait écouté avec bienveillance car il y en avait sous la brusquerie de son caractère, les avis du général d'artillerie que le général Niel, devant Sébastopol, appelait le ~'<~ M'M/e de l'armée, parce qu'il jouait assez agréablement d'un terrible instrument où les tuyaux d'orgue étaient représentés par 4 ou 500 bouches à feu.

De son côté. le général Lebœuf aurait respectueusement réclamé pour l'artillerie le plan de bataille qui lui est assigné aussi bien dans l'attaque d'un village, que dans le siège d'une place forte.

L'attaque par l'artillerie divisionnaire entraînait


forcement. le mouvement tournant et convergent des deux brigades de la division Desvaux, et la brigade autrichienne, canonnéc et enfermée dans illele-nano, était perdue.

Mais ce que pouvait faire le général Lebœuf, le général Forgeot, commandant l'artillerie du t'~ corp~, n'avait ni l'autorité, ni la personnalité, ni même la compétence nécessaire, pour le faire, et le maréchal Baraguey d'Hillicrs lança sur Melegnano, presque baïonnette baissée, ses héroïques bataillons, comme il aurait lancé une colonne d'assaut sur une muraille, avant que le canon en eût rendu la brèche praticable. L'affaire de Melegnano donne donc à l'impatient maréchal une place méritée dans la classification des généraux en chef établie par Marmont, dans son livre De /*6~'< ~s ~s~~b/M ?/!<7<es.' colle des généraux qui achètent trop chèrement des résultats trop bornés. Nos pertes :). Melegnano furent douloureusement disproportionnées avec l'importance de l'opération, 900 hommes environ.

Après avoir dit ce que je pensais de la conduite du maréchal Baraguey d'Hillicrs dans cette circonstance, je suis amené par mes souvenirs a faire un rapprochement entre ce maréchal et un maréchal du premier Empire, reste légendaire, autant par les naïvetés de son esprit que par les vivacités de ses reparties, et plus encore par sa bravoure et son dévouement militaire le maréchal Lefebvre.

Pendant le long siège de Dantzick, où son impatiente ardeur de soldat fut mise à une cruelle épreuve, a


toutes les objections, à toutes les lenteurs que lui opposait et lui imposait le général de ChasseloupLaubat, le brave maréchal répliquait invariablement Vous voila encore avec vos ~o~~c et vos cava~'e~ de ~W!C~c.Je n'y comprends rien, il faut en finir, et demain ~c M~c/'<~ ~'ass~ à la tête de mes grenadiers.

Le général de Chasscloup écrivait alors des lettres eplorécs :). l'Empereur, lequel adressait de très douces remontrances au général Lefebvre, qui le calmaient instantanément.

« Écoutez Chasseloup, écrivait-il, c'est un savant homme qui ne peut vous donner que de bons avis. )' La prise de Dantzick valut à Lefebvre son brevet de duc de Dantzick. et on peut dire que le général de Chasseloup en avait fourni le parchemin.

Encore une fuis. je le répète, il est regrettable qu'à Mcicgnano le général Lebœuf n'ait pa- été le Chasseloup du bravo maréchal Baraguey d'Hillicrs. 10 jutx. Rien à faire; mais je ne veux pas per- dre ma journée. A midi je suis à Milan. Étant de service, je n'ai pu assister a la représentation de gala offerte aux souverains. Mais ayant vu celles de Gcnes et d'Alexandrie, il m'est facile de reconstituer avec un peu d'imagination tout le grandiose de la cérémonie., Un cicérone, concierge ou employé, me conduit poliment dans ce théâtre qui est un monde. On démolissait les apprêts de la fête.

Par les fenêtres ouvertes s'échappent des flots de


poussière et entrent des flots de soleil. Mon guide me conduit partout, ou à peu près coulisses, scène, loges d'acteurs, salons particuliers, etc.

En faisant le tour de la première galerie, réservée aux grands, aux riches spectateurs, on déclouait une espèce de baldaquin, sous lequel avaient dû être installés, en guise de trônes, les fauteuils de Leurs Majestés.

On secouait les admirables tapisseries qui décoraient l'ensemble; eus la curiosité de peser un instant sur un dôme fort élégant par ses palmes et ses armoiries dorées, et je pus me convaincre qu'il n'y avait rien de nouveau sous le soleil que, depuisFEcclésiaste, tout était vanité des vanités, et rien que vanité. Cette dorure recouvrait un sapin absolument pareil au sapin doré du trône de Louis-Philippe, brûlé aux Tuileries le ou le 25 février 1848, et dont je possède, dans mes archives, une assez curieuse relique. Les ciceroni italiens se contentent de peu. Ma visite à la Scala ne me coûta qu'un franc; je regrettai d'autant moins cet argent que je visitais à fond. pour la première fois, les mystères d'un théâtre, et pour ce début j'avais eu la main heureuse.

Je m'abandonne aux chances plus ou moins favorables d'un itinéraire imprévu, négligeant volontairement les palais, les musées, ne visitant que les églises, autres musées.

Dans l'une d'elles, un sacristain m'offre de tirer un rideau qui cachait les charmes d'une femme adultère, ou d'une chaste Suzanne.


La vue du chef-d'œuvre était estimée un écu français, cinq francs. Je fais la sourde oreille, ne jugeant. pas à propos de faire découvrir, dans une église, un tableau que l'on trouve convenable de cacher. Enfin, après beaucoup de tours et de détours, je finis par retrouver la place du Dôme, la cathédrale, et son voisin le palais royal ou impérial, récent séjour de l'archiduc Maximilien.

Le maréchal Vaillant, le major général de l'armée, y avait installé ses bureaux et son état-major. L'occasion était bonne d'avoir des nouvelles; mais un capitaine d'état-major, mon collègue, auquel je m'adresse. reste boutonné jusqu'aux moustaches inclusivement. Peut-être ne savait-il rien lui-même ?

Le sergent de planton de mon régiment, brave sousofficier décore de la croix de Saint-Grégoire, à Rome en 18~9, du Medjidié en !835 et de la médaille militaire aussi en iS55, est plus expansif.Je m'assure que depuis midi. heure de son service, il n'a porté aucun ordre au voltigeurs, et que, réciproquement, il n'est venu aucun planton du régiment.

Ce témo'guag.3 non suspect suffit a ma tranquillité. et je continue mes pérégrinations scicuttiiqucs, artistiques et autres. J'achève dans la cathédrale une visite interrompue la veille au Saint-Barthélémy. Peu de monde, sacre ou profane. Un petit homme en culotte courte, avec un petit manteau noir tout plisse dans le dos, veut me montrer, moyennant un écu /y'~c~, il paraît qu'on y tient. la chapelle souterraine où repose, dans sa chasse d'or, le corps de


saint Charles Borromée. Je le remercie de sa complaisance les mausolées, les tableaux, les statues de bronze, de marbre, ou d'argent du rez-de-chaussée suffisent grandement et gratis à mon admiration. Je sors enfin, ébloui, écrasé, ércinté de tant de chefs-d'œuvre, tout en remarquant que certaines voûtes, imitant l'architecture d'arceaux plus ou moins. gothiques, ne sont que du trompe-l'oeil, des grisailles peintes, et que le splendide monument a besoin encore de quelques millions pour goûter le repos d'un achèvement définitif. Les trouvct'a-t-il chez ses nouveaux possesseurs ou locataires? C'est la grâce que je lui souhaite.

J'achète sur la place du Dôme la lithographie de Victor-Emmanuel, MM~co c~o~/e =~a~, en turban, en culotte, sac et jambières, appuyé sur un fusil, et je regagne le campement.

Rien de nouveau, si ce n'est un ordre général que informe la garde que, « lorsque, par suite des éventualités de la guerre, l'administration ne pourra faire distribuer ni pain ni biscuit, les hommes recevront en échange une ration de riz élevée à 350 grammes, et que dans ce cas la ration de viande sera portée à 350 grammes ». C'est toujours autant de gagné; mais les Italiens doivent être satisfaits nous nous faisons tuer ou estropier pour eux; et de plus, nous allons consommer leur riz qui est excellent, et leurs petites vaches qui sont un peu trop maigres! ~< /a /~MCM/

Il n'est que 8 heures et demie, les officiers supé-


rieurs sont absents, sauf mon commandant qui, sous sa tente, correspond avec sa jeune épouse. Je l'informe à la fois de ma rentrée au bercail, et de mon désir de continuer des excursions qui n'ont que peu de rapports avec le service en campagne. Et je pars. Des deux centres principaux de la vie active à Milan, les places de la Scala et du Dôme, cette dernière est la plus rapprochée. C'est vers elle que je me dirige. Temps superbe. La vie italienne, un peu suspendue pendant les chaleurs du jour, a repris toute son activités surexcitée encore par les événements, les bruits, les nouvelles qui se croisent nombreuses, discutées, contradictoires. On crie en français, en italien, les ordres du jour impériaux, royaux, à l'armée, les proclamations des souverains à leur bonne ville de Milan, les réponses de la municipalité délirante de reconnaissance, d'amour, d'adoration.

Et tout cela est officiel. Je relirai plus tard, sous ma tente, toutes ces feuilles qui ne coûtent qu'un sou. Je regarde l'intérieur des boutiques, des cafés dont les tables s'étalent jusqu'au milieu des rues. L'absence de voitures particulières ou publiques me frappe. A pareille heure, les boulevards et les grandes rue< de Paris seraient d'un parcours dangereux. J'arrive sur la place du Dôme et je reste cbloui. La lune frappe de face la façade de Fédificc et l'inonde d'une lueur bleuâtre. Toutes les délicatesses des sculptures se détachent vivement sur un ciel à peine étoile, et paraissent plus élevées encore en se prolongeant dans la pénombre qui les suit.


Par une porte latérale sort un homme, un sacristain vêtu de noir comme celui qui m'avait guide le jour. Une idée singulière me passe par la tète et s'y incruste. Ex tï~'M;~ je lui propose une ascension au haut du monument, demande qui naturellement doit le surprendre, et le surprend. Des pourparlers s'engagent je comprends que l'armée française est loin de faire à ses yeux une œuvre méritoire; il n'a point t trop d'horreur pour les tyrans autrichiens dont il me semble regretter l'absence; puis s'enhardissant peu à peu « Sans doute, nous n'étions pas tout à fait libres sous la domination /<~c~<?;m:us ils n'étaient pas trop ~'«~: ils avaient de l'argent, tandis que nous allons être dcvorés par les ~M/e~.r /)/~o~a~. »

Bref, il accepte un écu français, c'était un argument <M~oM<eM sans réplique, et nous entrons dans l'église.

Elle était presque sombre des cierges achevaient de brûler devant des saints privilégies, et les rayons de la lune, maigre leur éclat, ne diminuaient que peu l'obscurité, en traversant les vitraux des fenêtres et des rosaces. Mon guide allume dans une sacristie une de ces lanternes dorées qui, en Italie comme en France,accompagnentcertaincscérémonicsdel'Èglise; puis il ouvre une petite porte, et l'escalade commence. Le cœur me bat très fort en suivant mon guide, plus fort que suivant mon drapeau, vers 5 heures du soir à Magenta, et nous montons encore, nous montons toujours.

Malgré toutes mes précautions, mon sabre heurtait


parfois une marche ou une paroi des murs, et ce bruit de ferraille, le seul qu'on entendît pour le moment dans remise, semblait grandir encore en montant dans la cage sonore de l'escalier..Ma seule préoccupation est d'empêcher ces heurts qui nie semblent autant de sacrilèges.

Enfin le jour se fait un peu, jour lunaire-, mais qui semble radieux au sortir des ombres, et nous arrivons sur une plate-forme d'où partent des centaines de clochetons portant autant de statues.

Arrivé la, mon guide me dit « C'est assez. )) Je suis de son avis, quoique près de moi. à ma droite, la grande aiguille, qui porte la statue de la Vierge, semble m'inviter à une ascension nouvelle, p!us haute encore. vue de près. que tout le monument vu du pavé de la place. Eilet d'optique. Il me guide vers le côté nord de la cathédrale à travers un dédale de petites marches, de couloirs, de décombres, où un étranger courrait risque de s'égarer, jusqu'à une balustrade à jour où il m'arrête en me disant « C'est là, regardez. )) Et je regarde.

En bas, une partie de la ville laissant remonter jusqu'à nous les pales effluves de son gaz, et les échos amoindris des bruissements d'une grande cité: audessus, le monde des statues perchées sur les clochetons, et comme cadavérisées par les bleuâtres rayons de la lune; et dans le lointain, vers le nord, le nordest. oh! c'était beau! une portion des Alpes lesquelles ? je l'ignore~ et je n'ai jamais voulu savoir les noms doux ou rudes que l'homme leur avait donnés,


-déroulait comme un arc de cercle, se diminuant aux extrémités, un rideau blanc frangé ça et là, tantôt de pics pointus, tantôt de masses arrondies, découpées comme à remporte-pièce, sur un ciel presque noir parle contraste et la profondeur.

Au premier aspect, cet horizon semblait fixe, immuable dans sa blancheur immaculée, et cependant des teintes différentes se glissaient, tantôt mollement, tantôt brusquement, sur le fond toujours blanc de l'immense rideau. Tout cela vivait. Je n'avais qu'à admirer et j'admirais, sans penser a. mesurer le temps. Je sens une main qui cogne mon épaule, et j'entends une voix qui médit « Il fait /o~ ~<'CM</oyM. » Une brise assez froide, en effet, ayant peut-être traversé ces blancheurs lointaines, passait en ondes sonores à travers les dentelles des clochetons. Mais je ne m'en apercevais pas. Rappelé paf le contact, par la voix, aux choses de la vie réelle je vois, ô miracle que les statues cadavéreuses, elles aussi, se remuaient, vivaient, sous les diuercntes incidences des rayons lunaires. Et me voici en bas. sur la place, loin du ciel, reprenant le chemin du campement, sans voir, sans sentir la foule qui me coudoie, sans entendre ses cris, ses c~dontquelques-uns s'adressent peut-être à mes épaulettes, à mes aiguillettes françaises, isolées au milieu des indigènes. Et tout en marchant, lent, absorbé, donnant un dernier regard au colosse de marbre, je viens à penser que si les cieux, les astres. même les Alpes neigeuses racontent la gloire du Dieu créateur; d'autre part, ces blocs dé-


tachés brutalement de leur carrière, il y a sept ou huit cents ans, avant la poudre, avant la vapeur, pour être changés en cathédrale, donnent une fière idée de lu puissance et de la volonté de l'homme, la créature. J'arrive à ma tente et je m'endors, content de ma journée. Il est minuit.

11 jutN. Toujours rien. La journée se passe à recevoir des coups de soleil, présage assuré d'ondées torrentielles. Ces alternatives se sont déjà présentées deux ou trois fois. Maigre de petits travaux de fortifications passagères, les piquets des tentes cèdent à l'effort du ruisseau qui délaye ce terrain sablonneux, et, de jour ou de nuit. ma peau de mouton est inondes. Mon commandant et moi, nous renouvelons une première tentative infructueuse, afin de trouver, au moins pendant la nuit, un gîte plus sain dans les maisons voisines.

Comme la première fois, nous sommes reçus ainsi que </cy c/~c~.s ~?.s ycK <~ </M/ Le rex-de-chausséc de ces maisons, assez bien bâties, est occupé par des cabarets, de petites boutiques qui, suivant l'usage des boulevards éloignés, trouvaient chez les soldats autrichiens une clientèle assurée. Les étages supérieurs, auxquels nous adressons notre requête polie, semblent habités par des propriétaires, par des commis, des employés de l'administration, qui paraissent redouter 1 inconnu amené par nos victoires elles ont peu de prestige à leurs yeux. Ils sont loin d'être enthousiastes et là encore retentit à mon oreille la phrase


concernant les wp/!6~aM~ piémontais. ~sous échouons misérablement, et n'usons pas du droit de la force. Il y a donc, nous le constatons à notre surprise, un double courant bien caractérisé dans les actes, dans les idées de la population milanaise tous deux voulus par les intérêts particuliers.

En haut, les nobles, les avocats, qui crient, qui se démènent, qui veulent des places et des honneurs; en bas, les humbles, qui ont peur de souffrir, et, dans le fond inconnu de ce double courant, un clergé ennemi, qui pressent l'avenir, et préfère l'Autrichien catholique et conservateur au Piémontais envahisseur, fortement suspect de libre pensée. Quant aux paysans des campagnes traversées depuis f'ênes. ils sont en Italie, comme en France, silencieux, sournois, inquiets, surveillant leurs biens et leurs récoltes, vendant cher leurs poules, leurs œufs, leurs fromages et leurs cabris, sans grand enthousiasme pour ce qui se passe. Le délire officiel n'a pas de prise sur ces gens-là, ou n'en a que bien peu.

Assis sur ma cantine, je mets au courant les notes de mon séjour à Milan, puis je visite les camarades des régiments voisins.

Je les trouve en train de fortifier leurs tentes contre l'ennemi, le seul ennemi du jour, l'inondation; et comme ils n'ont pas tué le temps, cet autre ennemi, par des visites diurnes ou nocturnes, à la Cène, à la Scala, au Duomo, le séjour de Milan leur semble prodigieusement long, humide, ennuyeux, et tous désirent un prompt départ. C'est aussi mon avis et mon espérance.


12 juix. Rien à faire. La journée est à moi. L'; départ est annoncé pour demain matin. Un ordre ult érieur indiquera l'ordre et les dispositions à prendre. Puisque la journée est a moi, je la consacre à l'étude de tous les chefs-d'œuvre de peinture et de sculpture que possède .Milan.

13 juix. ~o~o/7y?~o. Enfin, nous voilà partis. et lorsque, suivant les contours de l'enceinte bastionnée, nous arrivons près de la porte orientale, la musique attaque vigoureusement la marche dédiée par Sellenick, son auteur, au colonel du 2<* voltigeurs. En avant. et ~r~/M co/'<

Route de Bergame. Bientôt nous franchissons I') Lambro.

Singulier pays, découpé en carres de damier par de nombreux canaux venant du NavigIio-Grande, du Lambro, du ruisseau qui passe à ~ïilan, et retournant à leur origine. Ainsi le veut la culture du riz. Les gens du pays sont en habits de fête, les femmes surtout. Nous arrivons à Gorgonzola.

Les accents fortement nasals ou nasaux d'une cornemuse nous annoncent un bal champêtre qui réjouira nos yeux et nos oreilles. Vain espoir! à notre approche les danses cessent. Nous sommes entourés par de nombreuses, et jeunes, et jolies femmes ou CIIes, avec des corsages de soie rouge ou verte, et les bijoux nHgranés dont j'ai quelque peu étudié la fabrication à Milan. Des épingles, surtout, d'un pied de long, terminées par de grosses boules d'argent du plus io.


curieux travail, consolident sur les tètes un énorme édifice de cheveux noirs et de rubans multicolores. Nous prenons auprès du syndic les renseignements voulus pour le campement du régiment; je crois devoir le féliciter sur les toilettes pimpantes de ses administrés dont je fais honneur aux défaites autrichiennes et aux victoires franco-sardes. Il n'a pas l'air de me comprendre et me regarde d'un air étonné. J'insiste de plus belle en lui parlant de Magenta, de Palestro. etc., et de la joie civique si bien exprimée par la musique, les danses de son village en fête. Je songe à lui lancer a la face la célèbre apostrophe du général Foy Il Il y a de l'écho dans ce pays, quand on parle d'honneur et de patriotisme. ') Lorsque, soulevant un grand diable de chapeau, et faisant un non moins grand signe de croix

C'est aujourd'hui la fête de Saint-Antoine le Padouan, le saint vénéré qui fait retrouver ce qu'on a perdu.

M. le syndic avait fini par compre ndre. Moi aussi.. je rengaine pour une autre occasion l'apostrophe du général Foy, et nous continuons vers Inzago, village à 3 ou 't kilomètres plus loin, affecté au campement du voltigeurs.

14 jux. 7rc!~<o. Passage de l'Adda à Cassano. Ces noms historiques de nos victoires ou de nos défaites dansent dans ma mémoire une lugubre farandole.

Sans remonter plus loin que sous Louis XIV, Villars,


le prince Eugène, Morcau, Souvaroff, réapparaissent entourés de leur auréole sanglante. Si le sang de toutes les armées qui, depuis quelques siècles, ont arrosé ces plaines, français, espagnol, allemand, italien, russe, pouvait être condense dans le lit des torrents qui descendent des Alpes, n'en ferait-il pas déborder les rives? Ht comment alors reconnaître, dans l'uniformité de la couleur et de la souffrance, tous ces peuples venus du Nord, du Midi. de l'Est, de l'Ouest. et jetés les uns sur les autres dans le meurtre et le pillage, sous prétexte de religion, de politique, d'hérédité, par les Rois, les Papes, les Empereurs et les Républiques ?

Trcviglio est une ville importante. A notre passage, sur une grande place, les cuirassiers de la garde nous offrent rapidement les agréments, improvisés sur de longues tables, de verres d'absinthe ou de sirop, gracieusement offerts, gracieusement acceptés. Le régiment traverse Treviglio pour camper au delà, dans une campagne magnifique couverte de vignes et de champs de blé. J'entends autour de moi les soldats qui disent

C'est un bon pays, le vin n'y est pas cher.


CHAPITRE XIII

Plus heureux que sage. La popote de Gamaclie. Travagliato. Un nouveau colonel. Premier rapport. Un bavard. Grave erreur du bureau militaire. Brescia. Chez le comte Martinen~o. A la bonne franquette. Le musée.

15 juiN. 7<'ow<MO. Il fait chaud, très chaud, poussière étouffante.Les voltigeurs chantent.Toutàcoup, sur notre gauche, a travers champs, on entend le galop précipité d'un cheval; aussitôt les soldats d'accompagner cette allure emballée de ces a, < M/ a, o~ < bien connus de ceux qui ont parcouru l'Algérie. Cheval et cavalier s'avancent à travers la poussière, et bientôt on aperçoit le spencer rouge et les brandebourgs noirs d'un lieutenant de spahis. « Tiens, mais c'est GalliffetiM dit une voix répétée par cent autres; et aussitôt le nom de Galliffet en musique remplace sur toute la ligne les a, < (~/ arabes.

Arrivé à hauteur de l'état-major du 2~ voltigeurs, le lieutenant saute un fossé, met son cheval.au repos, et s'avance en saluant vers le colonel Douay. Voici une


partie du dialogue échangé entre ces deux personnages.

Que faites-Tous donc là. Galliffet?

Ma foi, mon colonel, je'n'en :-ais trop rien. Mais encore. voyons. vous avez un poste. un emploi? II y a donc des spahis avec nous?

Non, mon colonel, et vous me voyez dans un fier embarras. J'ai demande à Alger une permission de 15 jours pour aller a Paris. A Paris, je me suis présenté à l'Impératrice afin d'obtenir l'autorisation de rejoindre l'armée d'Italie. Elle m'a renvoyé au maréchal Randon, au ministre de la guerre, qui a envoyé promener ma demande comme impossible à accorder. Ma foi, j'ai pris le chemin de fer, toujours avec ma permission de 15 jours qui va finir. et me voilà sans position aucune. Je vais trouver l'Empcrcurpour en avoir une.

Eh! mais, ça se trouve bien, dit alors le colonel Douay je viens d'apprendre que je suis nommé général du 10 juin. je n'ai pas d'officier d'ordonnance; si vous voulez~ je vais vous demander?

Ah' mon général, vous me sauvez la vie! C'est ainsi que le ~voltigeurs apprit la nomination de son colonel, qui ne fut officielle que le 18, et c'est ainsi que le lieutenant de spahis, marquis de Galliffet, fit la campagne d'Italie, sans peur, comme c'était son habitude, et sans reproche.

16 JC! Calcio. J'entends dire que le grand quartier impérial est installé dans ce village, mais rien dans le service habituel ne vient confirmercet on-dit. Depuis


le Te Z~w de Milan, nous n'avons pas vu l'Empereur, ni appris, officiellement du moins, les faits et gestes de Sa .Majesté.

Ridant comme le lion affamé, cherchant le poulet ou le cabri, de quoi dévorer enfin, je tombe dans une belle ferme où, sous un grand hangar, est installée la popote dite de Gamache de l'état-major d'une division de la garde.

On écrit, on étudie des cartes, on cuisine fort. Soupçonnant mes intentions hostiles, les officier: préposés à ce dernier service la cuisine me pourchassent avec vigueur. Je résista avec la rage désespérée d'un ventre creux qui n'a point d'oreilles, et je finis par conquérir prix d'or cinq œufs et deux oiseaux plumés peut-être des pigeons que j'emporte, triomphant, dans mon mouchoir.

Désespoir et regards furieux des parties adverses, contentement intime de mon individu, cris de joie de notre Vatel réduit aux dernières et rares extrémités du riz et du biscuit officiels.

!7 jL-ix. 7/'<ï~r//a~Apres avoir traversé l'OgIio sur un pont de chevalets un peu court, nous arrivons à Travagliato, bourg important si j'en crois ses.monuments vus de loin.

Deux ordres généraux nous apprennent les nominations suivantes

1" Le gênerai Picard remplace à la brigade de la garde le général Decaen nommé général de division 1. Tué à Metz.


2° Le général Niol remplace a la ï~ brigade df's grenadiers le général Cler tué a l'ennemi, à Magenta 3° Le colonel de Courson de Villeneuvc 's'c~ est nommé au 2** voltigeurs en remplacement du colonel Douay promu général de brigade sans dire où ? Le colonel Douay fait de courts et rapides adieux en serrant la main aux officiers qui le félicitent, et nous apprend qu'il prend le commandement, en toute hâte, de la 1~ brigade du l*~ corps, division Ladmirault. t8 juix. –Deux ordres particuliers du régiment Le colonel Douay nous rappelle que depuis cinq ans, lieutenant-colonel et colonel, il a été associé aux travaux de paix et de guerre du régiment. En termes émus, il évoque le souvenir de son organisateur, le brave et regrettable général de MaroIIcs, tué a l'assaut de Sébastopol il nous invite à reporter sur son successeur, le colonel de Courson, l'affection, l'estime et le dévouement dont ses prédécesseurs ont été honorés. etc., etc. Cette lecture renouvelle nos sentiments de joie pour la récompense acquise et méritée par notre digne colonel, et nos regrets pour son départ. Nous ne demandons pas mieux que de suivre ses derniers conseils.

Le deuxième ordre est ainsi conçu

« L'Empereur vient de m'appeler à commander votre beau et bon régiment, tïcureux et fier d'un pareil choix, je m'efforcerai de m'en wo?: Vous me trouverez en toute circonstance disposé à m'en


M6'M/~?' digne, et a faire valoir vos droits. Décidé à marcher sur les traces de mes <?es prédécesseurs, je fais appel au dévouement et au bon concours de chacun. Il me sera alors facile de maintenir au 2" voltigeurs la belle réputation qu'il ajustement acquise. « Justice et loyauté telle est ma devise.

« ~~MC COL RSO\. »

Malgré quelques répétitions, dues sans doute à une improvisation trop rapide, les promesses que l'ordre contient partent d'un bon naturel et sont bien accueillies. La devise qui le termine est courte, noble et Hère. Nous avons bon espoir dans le nouveau chef dont. nous saluons l'avancement.

~<?~ ~'M:< ?')o~. L'heure est solennelle si les subordonnés sont avides de connaître l'homme, le chef, qui, pendant quelques années, tiendra au bout de ses qualités ou de ses défauts, de ses passions bonnes ou mauvaises, des caprices de sa santc, des préjugés de son éducation première, -l'avenir, l'honneur, la vie de plusieurs milliers d'hommes de tout âge et de tout grade; si, plus fort qu'un maréchal de France, il a le pouvoir absolu, réglementaire, de nommer, de choisir, de casser, en justifiant ce choix ou cette cassation par des notes, résultant souvent, s'il est faible ou novice, des cancans mesquins, inavouables de coteries féminines, mais toujours soigneusement cachés surtout les mauvais aux heureux et aux malheureux qu'elles intéressent, il me semble d'autre part que, malgré une habitude déjà longue du


commandement dans ta ligne, maigre les apprêt étudiés de l'attitude, des premières paroles, un chef doit trembler de comparaître pour la première fois devant le tribunal de ses subordonnés, quand ces subordonnés s'appellent les voltigeurs de la garde, ayant tous, ofCciers. sous-officiers et soldats, une ou plusieurs croix et médailles sur la poitrine, et ayant eu l'honneur incomparable d'avoir obéi à ces chefs illustres qui s'appelaient de MaroIIes et Douay.

On sait par son ordre du jour qu'il est arrivé, on entend battre au sergent-major, et tout d'un coup. -?orti de je ne sais où, paraît le nouveau colonel, gros. court, rouge de figure, blanc de cheveux et de moustache, une grosse nuque dénudée couvrant le col de la tunique malpropre, non parla poussière et la boue des grand'gardes et du bivouac, mais par la cras-.c d'un long usage.

Il s'avance d'un air délibéré, comme chez lui, prenant possession du voltigeurs comme de sa ferme un gros propriétaire, et résolu d'en exploiter vigoureusement tous les avantages.

Il me rappelle vaguement S. M. Louis XVIII rentrant aux Tuileries en 18 H, et datant les ordonnances de la i9'' année d'un règne imaginaire, et je vois mon chef de bataillon faire un geste de surprise et de désappointement dont je me propose de lui demander l' la cause.

Le cercle est formé de tous les officiers présents, des sergents-majors, etc., etc.. et soixante paires d'yeux sont braquées sur le nouvel arrivé. Celui-ci ajuste son n


pince-nez, tire son mouchoir de couleur. se mouche, essuie son front, et prend le rapport régimentaire des mains émues du fourrier de semaine, écrit rapidement pendant la nuit, sur une caisse à biscuits en guise de table.

Ce rapport n'était pas. il faut l'avouer, un modelé de caUigraphie. malgré ses longs jambages et ses capitales ornées. Le colonel le parcourt lentement de ses petits yeux gris, puis lançant un regard vif et un sourire gracieux sur le cercle qui l'entoure, il commence ainsi sa premicrc oraison

H va surles pyramides .?'d'Hgyptc de fort belles figures (long détail des belles figures). Mais, malgré leur bcaut' personne n'a encore pu les déchiffrer, etc. Yl en est ainsi d<~ récriture de ce rapport (longue comparaison entre l'~s figures des pyramides et les lettres du rapport). Puis par des transitions hardies, mais longuement. verbeusemcnt formulées, il arrive à une longue, longue profession de foi militaire qui se termine peu près ainsi « On a beaucoup vante Cambronnect sa phrase légendaire à Waterloo.Moi, je n'aurais pas fait comme lui. Il était inutile de faire massacrer tant de braves gens. il aurait bien mieux valu les conserver a la France.

Puis, sans remarquer la surprise causée par ce cvnismc toujours souriant. la lecture continue, compagnie par compagnie suivant l'usage, lecture souvent interrompue par d'interminables et oiseuses digressions.

Enfin les ordres se donnent, le service se commande,


la cérémonie s'achève; elle avait duré une heure et demie en plein soleil, tandis que le colonel Douay l'expédiait en un quart d'heure les rangs sont rompus. et j'entends mon adjudant dire au sergent-major son voisin cette appréciation sommaire, mais juste, de ce qu'il vient d'entendre « ~ous sommes f. le colonel est un bavard. »

Il devait être bien autre chose, malgré la justice et la loyauté de sa devise.

Le colonel se retire, suivi de tous les officiers comptables, des caporaux cordonniers, des tailleurs, de ceux qui ne se battent pas ou peu, et dont il devait faire désormais sa société habituelle.

Alors je prends le bras de mon commandant, et lui demande l'explication de son geste remarqué deux heures auparavant.

Il y a, paraît-il, un autre Courson que j'ai connu aux chasseurs a pied; il a fait de longues et rudes campagnes en Algérie, celles dramatique de la Crimée et romantique de Rome; j'ai cru que c'était notre colonel. Je me suis trompé.

Cette erreur avait été celle du bureau militaire attaché à l'armée d'Italie. C'était bien l'autre Courson, le bon serviteur, que l'on croyait nommer dans la garde; mais l'erreur, due à la rapidité forcée du travail, était faite~ irréparable, et son bénenciaire se gardera bien de réclamer contre elle. Pauvre voltigeurs Dans ces réflexions tristes nous allons déjeuner. Mais nous n'avons plus d'appétit.

d8 juiK (~~ jour). ~'Mc/o. Charmante prome-


nadc militaire. sans même une pointe d'avant-gardc. La ptaine mon"tone cesse, et sur la gaurt)c s'étaient des masses de verdure, beaucoup de mûriers. Brescia!!avi!!cduprcuxcl!evatierl{ayardctdu farouche mare''i)a! t!:tynau. Entrée simple. honnêtement sympathique: tes )!curs et le délire ont 6te épuises sur les rcgtmcnts qui n«ns ont précèdes, pf t<ur les pcrsonm's de Leurs Maj'~tcs impériale et royal' !hi''s tongucs, étroites, peu peuple' b"rdecs de mur:, et d'h'MeIs qu'on aperçoit à travers de grands arbres. Ce quartier est. à ce qu'il parait, le faubourg Saint-Germain de Hrescia.

Ceneraux, colonels, intendants, se logent a l'envi dans !<'s palais publics ou particuliers. Pour mon compte, je ch"isis celui (lu comte Martinen~o.dans l'espoir d'y trouver ce que je n'ai pas eu depuis Alexandrie un b"n lit en échange de ma peau de mouton.Je suis reçu avec plus de curiosité que de plaisir. sHencieusement. par une grande femme, noire, aux traits secs et durs. de à 5<t ans, puis par un jeune homme qui, avec le même accueil, me dit cire l'intendant de la maison.

La langue italienne n'est plus ici ccHe d'Alexandrie, de ~ovare, de Milan; la conversation est difficile. Je comprends que le maître de céans, le comte Martincngo. s'est ~7/ Je traduis cM?~ en me rappelant l'un des personnages de la Chartreuse de Parme, ce marquis del Dongo. ami des Autrichiens, ennemi des Français et des libéraux italiens.

Peu soucieux des causes de cette absence, je m'ap-


pliquc a c<'nqu'rir les bonnes grâces do l'intendant ''n lui disant que je suis sent, avec de temps :i autre un domestique; il paraît satisfait, et surtout i!att< lorsque j'admire de contiance les nombreux tableaux qui décorent te' appartements. H m'apprend qu'ils sont du Morcttu. l'une des foires de !{r<-scia, et que je verrai les "'uvrcs de ce maître dans toutes les églises, dans tous les musées bref. il m'octroie une chambre petite, un p?u sombre, mais suffisamment meublée, avec un lit que je sonde d'un oeil scrutateur et ravi, et d'autres tableaux qui, ceux-là, sont du célèbre Canaletto. Ils représentent tous des vues des principales villes italiennes, et se relient entre eux par des fresques fort ingénieusement ménagées, qui ont l'air de continuer les paysages terrestres ou lacustres du Canaletto.

J'exagère un peu mon admiration réelle, mes connaissances approximatives en peinture, et nous vidons ensemble -sans toasts une franche bouteille d'un excellent vin blanc, récolté dans les propriétés de M. le comte, sur les bords du lac d'Iseo.

Puis il met à ma disposition une bibliothèque remplie de vieux livres, vieilles reliures, couverts d'une vénérable poussière ainsi qu'un petit parc, parsemé de petites pelouses vertes et de carrés de fleurs, et planté de grands lauriers-rosés, et de catalpas plus grands encore.

Cette fois, mon admiration est sincère, et je presse cordialement la main du jeune intendant, qui me rend cordialement aussi ma politesse.


La grande femme noire nous avait suivis dans la visite des appartements et du jardin, et parait moins mécontente de ma présence. Elle s'apprivoise. Elle me confie une clé qui me permettra d'entrer dans le palais et d'en sortir, en me montrant la façon mystérieuse de l'employer le soir, après 10 heures. Tout va bien.etjecompte,en songeantaulit de ma chambre, que je n'abuserai pas de cette liberté. A 9 heures, en effet,- heure française je dormais d'un bon et profond sommeil.

19 juty. Ordre du régiment

« Par décret du 17 juin, sont accordées au régiment les récompenses suivantes

« Une croix d'officier. Commandant l'cychaud, fléchois comme le colonel Courson.

« Six croix de chevaliers, cinq officiers et un sergent; vingt médailles militaires, »

J'avais aperçu le matin des régiments réunis a l'occasion de la remise solennelle de récompenses semblables. Notre colonel, lui, se contente de donner les nôtres à leurs destinataires, au rapport, de la main à la main, tout bourgeoisement, à la bonne franquette.

Sans désirer la chose, nous pensons que ce séjour de Brescia lui donnera l'occasion de faire connaissance avec ses officiers, en leur offrant le punch ~'a~«9M/!p/. Nous nous trompons. Le punch de présentation ne fut jamais offert de part et d'autre. Les frais de représentation du colonel ne furent jamais entamés par des dépenses aussi inutiles, et tandis que,


par groupes, nous nous réunissons dans les cafés, dans les hôtels de Brescia, lui s'esquive rapidement, sans long bavardage, ayant trouvé chez son hôte l'invitation de boire et de manger gratis.

it heures et demie..S~'f/cp t~c, c'est-à-dire, rien à faire.

Je commence l'inspection des curiosités de la ville par une visite au musée principal, fort habilement installé, Mr et <A~ les ruines d'un temple romain. Les salles, admirablement éclairées par un soleil savamment ménagé, m'étaient les proportions de leurs richesses plus antiqu es que modernes, surtout cette admirable Victoire ailée. qui,, me dit un gardien, a reçu le matin la rapide visite de l'Empereur, avec l'ordre d'en faire un moulage pour les galeries du Louvre. Nombreuse collection de médailles de toutes les époques, de tous les pays. Parmi les modernes, je remarque celle frappée par les /~<~ à l'occasion de /CM7' grande victoire sur les bords de la ~!osko\va. Bronze superbe de 8 a K) millimètres. Légende russe et latine. Avisant, parmi les nombreux visiteurs du musée, le général Edgar Ncy 'duc de la .Moskowa), aide de camp de l'Empereur, je me permets de la signaler a son attention.

Il me remercie en me disant qu'il ne la connaissait pas, tout en croyant avoir dans son cabinet les médailles françaises ou étrangères intéressant son père.

Et je continue ma visite.


CHAPITRE XIV

La. bibliothèque du comte Martinen~o. Une généalogie. Un diner chez le comte de Santa-A. Triste dépêche. Départ <tc Milan. Montechiaro. Les pressentiments du capita.lm' Dupont. Un souvenir.

t!0 jui\. II n'y a pas de temps à perdre. A 5 heures du matin, je me plonge tout entier dans les délices de la bibliothèque. Au rez-de-chaussée reposent les in-folio, les in-t", comme qui dirait la grosse artillerie des livres puis, s'étageant successivement vers les régions supérieures, les volumes montent en diminuant leur format, de sorte que les in-12, les in-t6, les in-32 touchent la voûte, et ne sont accessibles qu'au moyen d'une échelle double.

Ce rang de taille constitue le seul classement des o ou t) 000 volumes qui composent la bibliothèque. Tous les genres sont confondus sciences, histoire, littérature, religion, etc. cependant, les livres français, qu'elle renferme pour un bon tiers, forment une division à part.


Dans les angles, au pied des fenêtres, sont de grands cartons contenant, sans ordre, de vieilles et belles gravures.

Une inspection sommaire m'apprend que, pour ce qui concerne la France et peut-être les autres nations, l'aiguille de l'horloge littéraire s'est arrêtée court & 1789. Le comte MarUncngo, qui ilorissait à cette époque, ou son bibliothécaire, devait être un amateur spécial de cette littérature galante, grivoise, u. la mode sous les dernières années de Louis XV et les premières de Louis XVI Crebillon fils, Marmontel, Dorat, Cubiercs, la comtesse de Beauharnais, R.estif de la Bretonne, etc., avec de solides reliures, et les charmantes gravures de ces artistes qui s'appelaient Gravelot, Moreau le jeune, Eisen, Saint-Aubin, de GhendL etc., si recherchées aujourd'hui. Tout en haut, beaucoup d'cizévirs dans les rayons du centre, les classiques du rëgne, Voltaire (édition de Kehl) et toute l'Encyclopédie.

Il faut choisir dans ces trésors mais que de poussière Elle m'envahit, me happe au nez, aux yeux et à la gorge. Je suis surpris de la conservation des livres qu'elle recouvre peut-être les vers n'osent-ils attaquer cette épaisse cuirasse? C'est un préservatif à soumettre a messieurs les conservateurs de la bibliothèque de la rue Richelieu, si Je<~e/ occasio. Un in-folio énorme, de plus d'un pied ~'épaisseur, attire bientôt mon attention. C'est la généalogie complète et manuscrite de la famille ~lartinengo. Sur la première feuille, les armoiries suivantes ii.


De gueules, au chevron d'or, chargé au sommet d'un croisant de sable, surmonté d'une étoile d'or, et accompagné de trois cornettes de même, deux en chef, une en pointe. La deuxième feuille m'apprend que la famille descend en droite ligne d'Ancus Martius, quatrième roi de Home.

Ce monarque avait-il déjà les armoiries des Martincngo actuels? Dans le doute, l'écusson est resté blanc. Peut-être oui, du reste. Au xvn" siècle, un savant jésuite de Lyon ne nous a-t-il pas minutieusement décrit les armes de Noc et de ses enfants, ainsi que celles des douze tribus? Toutes les pages sont couvertes d'enluminures à la plume et au pinceau, dues a la patience de plusieurs générations de moines, charges de tenir à jour les mutations et les alliances de la noble famille. C'est un enchevêtrement, un fouillis, parfois très élcgant, de fleurs, de rameaux et d'arabesques qui encadrent les arbres généalogiques et les écussons peints avec le plus grand soin mais, par une anomalie bizarre, les personnages représentes sont couverts, au temps d'Ancus et de ses descendants, de l'armure des chevaliers du moyen âge et de la renaissance, taudis que, en arrivant successivement aux temps modernes, les supports des écussons offrent le costume et les armes convenus pour les Grecs et les Romains de Marathon, d'Arbelles, de Cannes et de Pharsale, en unissant par le simple habit d'Adam après la pomme, avec une massue en plus dans la main dextre ou senestre. C'est vraiment admirable Mais il est 7 heures! Je replonge tout le clan


des Martincngo dans la vénérable poussière; un savonnage rapide, un coup de brosse, et je cours pour connaître !e rapport.

Au rapport, rien de nouveau, rien à faire. Donc tout va bien. Départ probable pour demain

Je suis invite par !<' comte Santa-A. chez lequel loge un de mes camarades. Diner à 6 heures, réunion à 5 heures. Le comte n'a pas ~)/~o, n'a pas 'migré: partisan déclaré de l'indépendance italienne, ennemi acharné de l'Autriche, son hôtel a été dévasté en t:sH~ parles soldats de Haynau, à la reprise de Brescia; et pour entretenir sa foi politique et sa haine, il nous montre un petit salon religieusement conservé dans l'état l'ont mis les Croates. Glaces brisées à coups de crosse, tableaux lardés de coups de sabre, rideaux, tentures déchires en lambeaux ou à demi brûlés » c'est complet, sauf les ordures lavées à grandes eaux. Le pauvre comte pleure encore des larmes de rage en nous montrant ce théâtre d'une sauvagerie sans nom, et en nous racontant les ignobles traitements subis par sa famille on sent qu'il ne dit pas tout, et que, s'il avait pu oublier la dévastation des meubles et le sang des défenseurs, il y a, dans un coin de sa mémoire et de son cccur, le souvenir de choses ignobles que je devine et qui font frémir.

A 6 heures, le diner est servi. Les différents vins italiens ou français sont excellents, les mets se succèdent nombreux dans un ordre qui n'est pas celui de nos festins habituels, et dont malheureusement le menu ne nous est pas donné. Il faut..manger de


tout, ou plutôt coûter à tous les plats. De ce côte, ma complaisance et mon estomac sont sans bornes, jusqu'à l'arrivée d'un certain mets intitulé ~u~ ~M y~~ et qui parait le triomphe de la cuisine brescianc. Ce sont des couches alternées de chicorée et d'un fromage particulier au pays, le tout assaisonna largement de condiments divers, parmi lesquels mon inexpérience culinaire croit reconnaître le goût de l'anis ou du fenouil.

~otrc amphitryon s'en régale ainsi que les autres convives italiens; mais mon estomac se soulevé à la première bouchée, refuse son service, et je cherche à me rappeler comment Brillat-Savarin, en pareille circonstance, aurait esquivé l'absorption d'une drogue que je souhaite pour le moment aux Croates passés de Haynau, aux Croates présents de Giulay. Tout, même en matière de cuisine, n'est qu'une affaire d'habitude; mais l'épreuve était trop forte, et je me déclare vaincu. Cependant la conversation allait /o, /)!<Mo, puis y~/M'o. Ces messieurs parlaient peu le français, mon ami et moi, fort peu l'italien, surtout celui des propos intimes, gais après hoire. et cependant nous nous entendions très bien.

Au dessert, les fruits, les sucreries avaient remplacé les moutons, pigeons, macaroni, cabri. et la chicorée au fromage le vin de Champagne coulait, entremêlé de toasts militaires et patriotiques, et de liqueurs nationales servies dans des verres un peu trop grands, lorsque, vers 10 heures du soir. on remet au comte de Santa-A. un billet, une dépêche qui vient tout gâter


et changer la joie en tristesse. Les Suisses du pape /w!~ avaient repris Pérouse, et traité les maisons, les habitants et surtout les habitantes, comme !cs Croates ceux et celles do Brescia en t8~ l'ordre était rétabli à Pérousc de la même façon que jadis a Varsovie, et le légat du saint-père, qui avait présidé a celte pieuse opération, avait pu dire dans cette malheureuse ville, comme un de ses prédécesseurs à Déxiers Dieu reconnaîtra les siens.

Grand, avec une belle iigure couverte d'une barbe grise et ombragée de sourcils noirs, le teint colore de certains Italiens du Nord, le comte de Santa-A. s'était levé. et lisait lentement, penché près du lustre, les deux ou trois lignes de cette dépêche dont nous ne comprenions que trop le sens. Sa voix tremble, ses mains s'agitent comme pour atteindre et repousser les Suisses, auteurs de ces abominations. Tous. nous nous levons aussi. Alors, l'éclair dans les yeux, les dents serrées, il nous prend les mains a nous, les deux capitaines français, placés à sa droite et a sa gauche, les serre avec force en étendant les bras comme pour nous unir avec lui dans un serment de vengeance, et ne lance que ces mots « Mort aux Autrichiens. Mort aux &w.s ~~M.t/o~e <'a/ »

Sans dire autre chose que deux mots de remerciements et d'adieu, comprenant que nous étions de trop dans une douleur intime, toute de famille, nous laissons notre hôte et ses amis à leurs impressions et aux calculs de leurs résolutions.

Parmi les dix convives italiens se trouvaient des


combattants de Garibaldi, venus des environs du lac de f'arde d'autres se disposaient à rejoindre les Toscans reunis, disait-on, au o" corps du prince Napoléon, dont on annonçait l'arrivée prochaine. Un domestique me reconduit au palais assex éloigne du comte Martinengo, et comme ma t'entrée était guette'' par l'intendant, je n'eus pas besoin d'utiliser la clef et son mystérieux usage.

~t juix. C~c~o. Mes loisirs de Brescia m'ont permis de mettre à jour les notes de mon calepin. J'a vais remarque, à plusieurs reprises, la grande femme noire attaché'' au service du palais, cherchant comme un objet perdu, dans les pelouses, sous les magnolias lorsque, à 8 heures du matin, après le vin et les gâteaux des adieux, après les remerciements et les mains serrées, comme j'allais partir, je vois cette brave femme accourir en hâte et me remettre un petit papier en s'écriant /</ /b~MMa </c//<z ~<< Il contenait une feuille de trei!c, non pas à 3, mais à 4 folioles, trésor rare, inestimable, comme tous les trésors, et du plus heureux présage pour l'avenir c'était ce qu'elle cherchait depuis deux jours dans l'herbe des pelouses, et sa bonne figure s'illumine d'une grande joie, lorsqu'elle me voit serrer dans mon portefeuille la précieuse amulette. Je l'ai encore aujourd'hui, bien desséchée et conservée au milieu d'autres reliques à peu près semblables.

Les dernières paroles de l'intendant sont celles-ci « Seigneur capitaine, si, ce qu'à Dieu ne plaise, vous


êtes blessé, rcvem'x chcx nous. Xous vous soignerons bien et vous guérirons. r~n souriant, mais avec une certaine émotion, je lui fais cette promesse, et j'eus plus tard le bonheur de la tenir.

Deux ordres du régiment nous apprennent Que par décision impériale en date (lu 17. les ofiicicrs de la garde promus dans les grades supérieurs passer"nt dans la Hgm' tandis que les sous-oHiciers promus ofliciers, et les onicicrs jusqu'au grade de capitaine inclusivement, seront maintenus dans la garde. '2° CcHc décision ne concerne que les vacances de l'armée d'Italie. et non celles qui pourraient survenir dans les bataitions restés au dépôt.

Pour ces derniers, la r'-gle était celle-ci, comme auparavant <~ Les sous-lieutcnants, nommes lieutenants, sont seuls maintenus.

2:ï j~. On pa-<se la Chicsc sans coup férir. On traverse la ville importante de Montechiaro sur la rive droite de la rivière.

Ce pays est sup''rbc et bien cultivé couvert de collines dont la défense combinée avec celle des villages et des ruisseaux serait facile.

On s'étonne de cette retraite continue des Autrichiens depuis Magenta. Avec sa petite armée en 1796, Bonaparte se battait tous les deux jours dans les pays que nous traversons; il est vrai que tous les deux jours il remportait de nouvelles victoires.

Le remuement utile de ces grosses machines de 200000 hommes aurait-il amené dans la stratégie,


même dans la tactique, de nouvelles règles qui se dégagent peu à peu de l'inconnu ?

Cependant, vers le soir, le bruit se répand que l'ennemi nous attend sur les hauteurs de Castiglione, où chaque année, sur ce terrain bien étudié et comme prévu dans l'avenir, les troupes autrichiennes livraient à un ennemi supposé de savantes batailles toujours victorieuses.

Lestons du pays nous affirment que ces hauteurs de Castiglione sont couvertes de fortHications passagères. Cependant rien, dans le service prescrit au régiment, ne nous donne l'indice d'un voisinage aussi rapproche de l'ennemi. Après tout, ce nom de CasLiglione est d'un heureux présage, et le duché est vacant depuis la mort d'Augcreau, son ancien propriétaire. Bruits du jour l'empereur François-Joseph aurait pris le commandement en chef de son armée Giulay disgracié de nombreux renforts attendus; les Romagnes, les duchés de Parme, de Modène, de Toscane, auraient fait leur ~'oM~c~o à l'arrivée du prince Napoléon, dont le corps d'armée n'est plus qu'à deux journées de marche du Mincie. Cependant, ces petits États, sauf ceux soumis à la domination et aux exactions du clergé.ne passaient pas pour être trop malheureux sous le gouvernement de leurs ducs ou duchesse; ils pouvaient dire, comme les gens de Brescia, de l'Autriche « A'M< c; ~(~o/a~ (elle ne nous embêtait pas), « et nous vendions bien toutes nos denrées. » Enfin, c'est de la politique et de la haute!

23 juix. Un de nos adjudants-majors, le capitaine


Dupont, destine de ses crayons surs et gracieux les différents paysans qui nous entourent. Sorti d<* Saint-Cyr le 1~ octobre tSjt, capitaine enjoin J8S~ à ~t ans, ncvu du maréchal Pélissicr, décuré, avec la Légion, de sept "u huit autres croix étrangères, Dupont est un officier du plus grand mérite. Je l'avais eu sous mes ordres comme sergent, lorsque j'étais moimême lieutenant al'KcoIe, et nos retationsetaientdes plus cordiales, 11 me dit en continuant son travail C'est probablement le dernier que je ferai. Je ne reviendrai pas vivant de la prochaine bataille. Pourqu"i, lui dis-je, avoir des idées semblables? ~'avcx-vous pas, en Crimée, vu la mort bien souvent et de bien près?. Vous n'avez même pas été blesse! (Jh me répondit-il, c'était bien din'crcnt: j'étais près de mon oncle, un de ses officiers d'ordonnance, et les balles et les obus n'arrivaient pas jusqu'à nous. Vous verrez, mon ami, que je ne me trompe pas. ï! y a donc, quoi qu'on dise, des pressentiments dans Famé humaine. 11 est vrai que l'on ne tient compte que de ceux qui frappent l'imagination et se réalisent, et qu'on néglige de noter les autres. Combien d'officiers ont pu faire, /~o. les mêmes réûexions que le capitaine Dupont, qui sont revenus intacts le soir des grandes batailles combien d'au très on t été tués sans avoir jamais songé a prévoir leur mort Peut-être le pressentiment, c'est-à-dire la pensée toujours tendue vers le même sujet, finit-il par amener une sorte d'attraction, de courant magnétique entre soi et ce que l'on craint ou l'on espère ?


Ces méditations, dignes de figurer dans les in-~ de Swedenborg, et qui y figurent peut-être, n'ont jamais été les miennes. Dans les grandes occasions de l'existence qui, un jour ou l'autre, à degrés divers, se présentent pour tous les hommes, je me suis contenté de cette courte formule un peu fataliste 7~ /M~/ Quoi qu'il en soit, le lendemain, a la première heure de l' assaut, parles voltigeurs, des rampes de Solferino, notre jeune camarade reçut dans la tête une balle qui réalisa ses prévisions et nos regrets.

Un souvenir de Brescia le ~!) juin. Exemple d'un rapport la veille d'une bataille

« Faire retoucher la marque des ?/< Le général de division (Camou) recommande de nouveau la régularité parfaite dans la tenue des hommes qui vont en ville. Je remarque qu'on ne se conforme pas scrupuleusement à cet ordre. Une caw~ plombée et entourée d'un tissu de fil a été donnée en garde à un conducteur de voitures de bagages ou à un cantinier, le 4 /< (Magenta), par le capitaine Maurice, prévut de la gendarmerie la rapporter à l'état-major de la division. Appel a midi comme d'habitude, revue comme d'habitude. »

Un capitaine de gendarmerie volé, c'est piquant' Mais quelle touchante sollicitude chez ses camarades Je l'état-major


CHAPITRE XV

Au delà de Castiglione. 7L<! S/a ~7/«/ Une surprise. En route. Un s~r~ent marte. Lf lieutenant Chassëri~ux. C'est a recommencer. Réflexion philosophique. La voix de !'En)[)crcur. Chocolat Mcnier. A l'assaut. Musique militaire.

2i jt; Départ à 5 heures du matin il n'est pas

question de bataille. Les adjudants-majors de la division vont comme d'habitude en avant, préparer le logement ou le campement au delà de CastigHonc. Les renseignements donnés par les gens du pays sont vrais le sol des hauteurs est bouleversé par les travaux autrichiens fosses-abris pour les défenseurs chemins coupés par d'autres fossés plus profonds pouvant arrêter net les canons, les caissons, au besoin l'infanterie. Sur les points avances, des buissons d'arbustes déjà desséchés –des arbousiers, je crois -ont été transplantés pour couvrir les sentinelles et les vedettes. Tout indique le séjour récent de troupes nombreuses. Feux de cuisine éteints, gourbis pour les


officiers, traces ignobles de ces détritus sans nom qui accompagnent toujours les grandes réunions des animauxhumains.

Les bctos féroces laissent moins, derncrc elles, de sales et misérables vestiges de leur passage ou de leur séjour. Cet admirable pays est dévasta piétiné, saccagé, incendié par places, pour satisfaire à tous les appétits de conservation, à tous les besoins de destruction qui sont le partage de la race humaine; mais pas un être vivant, et, aussi loin que la vue peut s'étendre, pas un soldat ennemi, à pied ou a. cheval, ne permet de soupçonner par sa présence celles de troupes dissimulées dans les plis du terrain accidente, dans les maisons, derrière les taillis.

Alors, pourquoi tous ces apprcts, si bien faits pour la défense et si peu utilisés?

Sur notre droite, une vaste plaine semée de fermes et de villages en avant ceux de Cavriana et de Solferino surmonté de cette tour féodale, à demi ruinée, qui domine, la vieille espionne, tout le pays environnant de la Lombardie et de la Vénétie. Son nom indique ce rôle observateur c'est la .S/~o ~V~a/ Les officiers d'état-major désignent les emplacements respectifs des régiments. L'ordre suivant est aussitôt communiqué au 2'' voltigeurs

« On formera les faisceaux; on posera les sacs à terre; personne ne s'éloignera, l'ordre de se mettre en marche pouvant être donné d'un instant à l'autre. En tous cas, service comme d'habitude. »

Cependant les rayons du soleil achevaient de dissi-


per une brume :<ssex intense qui, par plaques, montait des creux du pays. Signe à peu près certain d'orages pour la journée. Tout ù coup. des coups de fusils rares d'abord, bientôt nombreux, éclatent dans le lointain. Les avant-pustcs des deux armées sY'taient rencontres.

–Ah! dis-j'* à mon commandant, voila la bataille. Ça va être a notre tour. Et ma joie était mal dissimulée

–Bah! vousrcvex toujours bataille. c'est un engagement de grand'gardcs.

C'en était un, en effet, mais les batailles commencent toujours ainsi. et une nappe sonore s'étend rapide des hauteurs qui nous font face vers la plaine, à notre droite, sur une étendue de 6 à 8 kilomètres. Bientôt le canon mêle sa grosse voix à celle de la fusillade.

Cette fois, ça y est. c'est la bataille, vous dis-je, Mais lui, ~T(ï~s, ne me repond rien. Il avait reçu la veille. la nouvelle de la naissance d'une tille, le premier enfant d'un récent mariage, et la nature reprenait, chezcet homme d'une bravoure incontestée et qui figurr' sur le tableau de Malak'if, tous ses droits imprescriptibles, inaliénables, plus vifs encore aux heures solennelles.

Nous attendons des ordres dans un religieux silence, succédant aux cris, aux lazzis, tués par la poudre qui parle, des soldats couchés ou assis près des faisceaux. Tout à coup, venant de Castiglione, passe au grand galop l'Empereur suivi de son état-major, et la vision,


étincelante et rapide comme l'éclair, disparait vers la droite de notre brigade.

Peu de temps après arrive le général Camou, seul, à cheval il donne l'ordre de rompre les faisceaux et de se mettre immédiatement en route. Puis s'adressant à Commerçon, au capitaine adjudant-major de mon bataillon

Vous allez au galop porter le même ordre aux 3'' et f voltigeurs.

Le capitaine obéit en remontant le cours de nos trois bataillons qui étaient déjà l'arme au pied, sac au dos, comme par une intuition instinctive de ce qui allait se passer.

L'ordre du général de division est communiqué au colonel du 3° voltigeurs qui demande des explications, des renseignements. L'adjudant n'en sait pas plus long, si ce n'est qu'il doit aussitôt transmettre le même ordre au 4*' voltigeurs, et cet ofucier rejoint non sans peine au galop, à travers champs, son régiment en marche. Le brave cœur a peur de perdre une seule minute, un seul instant de la fête sanglante dont le prologue s'entend déjà.

Nous suivons, en colonne par demi-section, un chemin assez étroit qui longeait un charmant coteau, tout verdoyant de vignes et de mûriers; son rapprochement nous cachait les hauteurs peu éloignées de Solferino et de Cavriana.

La tête de colonne du régiment arrive à une étroite dépression de terrain 50 à 60 mètres qui reliait cette colline à une autre un peu plus haute, aussi gaie,


aussi verdoyante, sur laquelle nous apercevons l'Empereur et son escorte officielle.

Sans songer à mal, les sapeurs de l'état-major du régiment snirent toujours ce chemin qui se dirige vers la plaine, parallèlement aux hauteurs escarpées que la petite dépression de terrain nous permet alors de mieux apercevoir, lorsque tout à coup, sans crier gare, d'une distance de 5 a 600 mètres à vol d'oiseau. tombent sur nous sept à huit obus envoyés par une batterie bien visible postée au-dessous de la t.our de Solferino, Ah les Autrichiens connaissaient le terrain, et mettaient bien a profit leurs précé dentés études sur l'appréciation des distances!

Un sapeur tombe en nous éclaboussant de sang, et jamais, en le voyant tomber, je n'ai mieux compris toute la signification terrible de ces mots coupé en deux par un boulet

Derrière moi, un cri retentit « Ah mes pauvres enfants! ? poussé par le plus ancien sergent, le guide de droite de la 1~ compagnie.

On ignorait, ou l'on faisait semblant d'ignorer au régiment ce ménage interlope, assez commun chez les vieux sous-officiers de la garde, décorés ou médaillés, approchant de leur retraite. Celui-ci gisait à terre, avec une cuisse enlevée, et mourait presque aussitôt. Là aussi, en dépit de tous les raisonnements, de tous les sophismes accumulés, la nature, la famille, reprenaient leurs droits imprescriptibles. Le père de famille tombe en criant: « Ah mes enfants mes pauvres enfants!» Celui qui n'est pas marié crie


«Ah! mon Dieu! exclamation banale, et qui frappe moins ayant ~t<' entendue trop souvent.

Le cri déchirant du vieux sergent, ne pensant qu'a ses entants au moment suprême, est l'un des plus douloureux son'enirs de ma vie militaire.

Les obus se succèdent sans interruption, coupant les arbres, faisant voltiger en éventait les cailloux des vignes, presque aussi dangereux que leurs éclats. D'autres morts, d'autres blessas sont :'< terre, et, parmi ces derniers, M. Chasseriaux, lieutenant de la 1~ compagnie, excellent oflicier, fort aimé de ses camarades et de ses chefs. Le pauvre garçon avait reçu la veille. venant de Paris, un superbe bouquet de fleurs que ses amis déposeront le lendemain sur sa tombe.

Cependant le bruit et le mouvement inséparables de cette scène de carnage avaient attire l'attention de l'Empereur.

Un officier d'ordonnance nous donne l'ordre d'arrêter le bataillon dans la situation où il se trouve, c'est-à-dire, les deux compagnies de droite sur le coteau où est l'ctat-major impérial, et les quatre autres sur les pentes de felui que nous venions de longer, avec la recommandation de se mettre a l'abri du terrain pour se défiler des projectiles, en colonne serrée par pelotons. Le mouvement m'amène auprès de M. Chasscriauxqui soulève, en entendant ma voix, ses paupières alourdies par l'approche de la mort. C'est singulier, me dit tout bas le docteur ('aullet, médecin-major, je ne lui vois pas de blessures


pénétrantes. II a tous lcs membres brises comme s'il avait reçu le contenu d'une boite à mitraille. Il est perdu.

~on loin du croups impérial une batterie de la ~ardc se prépare à répondre aux politesses de la batterie ennemie. et je me dispose à bien regarder ce qui se passe près de moi, et loin de moi dans ia plaine que j'entends nommer d'une façon générale la plaine de Médole.

A trente pas de nous, séparé par des mûriers, formant avec ceux déjà par terre, les échalas et les ceps de vigne, un enchevêtrement si épais que la marche devient des plus pénibles, l'Empereur se détachant sur le ciel. presque sur la crête du coteau. Une de ses épaulcttcs pend sur son épaule. En ce moment, comme nous autres simples mortels, il mâchonne quelques brins de vi~nc. Autour de lui deux ou trois chevaux étendus, et a pied le médecin en chef de l'armée, le baron Larrey. que je reconnais parfaitement, semble examiner probablement un blessé. A pied aussi le beau colonel Vcriy des cent-gardes, que nous avions vu souvent à Versailles lorsqu'y fut formé en 185~ ce corps d'élite. Puis, a cheval, notre nouveau maréchal Regnauld de Saiut-Jean-d'Angély, les généraux de la garde Camou, Mancque, les aides d'' camp et les officiers d'ordonnance; parmi ces derniers plusieurs de mes camarades ou de mes recrues de Saint-Cyr, d'AndIau, Priant, La Pagcric, Davilliers, etc. enfin une douzaine de ceni-gardcs dont le casque et.la cuirasse étincellent au soleil.

i.!


L'Hmpcreur observe ce qui se passe dans la plaine le 2" corps Mac-Mahon plus rapproche de nou: est déjà en partie sur les hauteurs; plus loin, le corps Kiel.

Des régiments de cavalerie chargent notre infanterie formée en carrés. Ils s'arrêtent à '2 ou 300 mètres, tourbillonnent un instant sous le feu des canons rayés et des fantassins, puis, écrases, battent en retraite et disparaissent.

Ah dit tout à coup l'Empereur; voilà Morris qui se dirige trop à gauche. il va donc escalader la montagne. C'est à recommencer.

Un officier se détache au galop portant de nouveaux ordres au général Morris.

Commandant en chef la cavalerie de la garde, il avait mission de fermer avec elle le vide qui se formait entre le 2** corps, appuyant à gauche vers les hauteurs de Cavriana, et le f resté complètement dans la prairie. Puis l'Empereur dirige sa lorgnette en avant, sur le village de Solferino, attaqué vainement depuis le matin par le 1~' corps, dont nous formons plus spécialement la réserve.

De ce côté, je ne peux rien voir, le défilement cachant le théâtre du drame et le drame lui-même. L'homme est un animal bien singulier tandis que l'Empereur tient sa lunette braquée sur cette portion du champ de bataille qui m'était inv isible, et vers laquelle ses compagnons plus favorisés avaient tous tourné la tête, ad ~e~ ~.r~p/ à /'<?.M/Mp~ du pa<ro~ –je me considère comme étant de loisir, et aus-


sitôt un proverbe latin, flanqué d'un jeu de mots, se présente à ma mémoire 0/M/M /;</</ /M/~ o~w est, aut M~o~w. Tout </a/!s la vie ~~??!<ï~!C est loisir r~ ~f~'c.s;– et comme un proverbe en appelle un autre, a dit ce bon Sancho Panca, venant par hasard à jeter les yeux sur notre colonel, je fouille les plis de ma cervelle poury retrouver un aphorisme grec, qui, au besoin, justifierait sa critique un p''u sévère de la conduite de Cambronne à Waterloo. Un effort, relativement considérable dans les circonstances présentes, me le donne a peu près intact A'~c ~j- ?:x).~ ~X/Y~~TX~. /<'<?«' ~M/ /</ COM~a/ f/C ?!0~[M. Et je souris de ma trouvaille, sans juger à propos de la communiquer il celui qui en est hi cause. Une détonation assez forte se fait entendre en l'air, au-dessus de nos t'êtes, un peu a droite. C'est une fusée autrichienne qui éclate sans profit pour ceux qui nous l'envoient. Ma mobile attention vient de trouver un nouvel appât, et, avec une impatience comparable à celle des spectateurs trop cloipncs d'un feu d'artifice, qui n'en peuvent admirer que les hautes fusées, je guette dans les airs ces projectiles fantasques: ils ne me paraissent pas trop effrayants, le danger étant visible et connu. Je compte le passage d'une demidouzaine, dont mon œil suit la trajectoire dans sa vitesse irrégulicre, et j'arrive à cette conclusion qu'elles font plus de bruit que de besogne, et qu'elles sont loin de remplir l'office pour lequel elles sont créées et mises au monde. Puis soudain d'autres réflexions. Qu'arriverait-il si l'une d'elles, atteignant par aven-


turf son but qui est de fouiller l'inc"nnu. tombait juste au milieu du cortège impérial ?

Autres r<il<xions rapides. quelle responsabilité pour un chef que celle de diriger une armée qui se bat. comme la nôtre, sur un arc de rercle de t5 a ~0 kilomètres'Et quand cet homm< ce chef, n'est pas seulement un simple maréchal de France, mais bien le souv<'rain d'une grande nation, quelles pensées pcut-i! avoir drms certains moments de la bataille. dans les moments critiques, par exemple ? Heureux les humbles.. me dis-je en regardant ces soldats qui, ainsi que moi. n'ont d'autre responsabilité que celle d'' sauv'r leur peau le plus. honnêtement possible Machinalement, je tire ma montre. Elle marque i heures et demie.

/<< ~/)/7' A' ~«'<~pw~):< </c la <f/s/o~ T'y M< ~/ïe ~<y~</<? </c f<)/<y<s.

Maigre son calme et sa douceur, cette voix couvre pour le moment tout le vacarme de l'effroyable conversation a coups de canon, cn~a~ce dès le matin, depuis le lac de Garde jusqu'à Médoïc et au delà. C'était la voix de l'Empereur

Bientôt un brouhaha sourd, et comparable, toutes proportions gardées, au bourdonnement d'une ruche troublée dans ses paisibles travaux. Il est facile de lire sur les physionomies qui m'entourent les diverses interprétations de la parole impériale. Pour quelquesuns, le rayonnement entrevu éblouissant des récompenses futures. Pour d'autres, l'arrêt de mort prononcé inéluctable et lu entre chaque mot de la phrase


désormais historique. Pour le plus grand nombre, un immense soupir d'allégement en voyant se terminer une attente dont chaque minute doit entramer la-haut une lutte meurtrière, et qui, trop prolongée. peut amener, comme à Magenta, une issue sans profit, sans danger et sans gloire pour la division des voltigeurs. Je pense que toutes ces réflexions furent successivement l''s miennes; et de plu" sauf une tasse de café rapidement absorbée a heures du matin et quelques tiges de ~igne mâchées de temps à autre, je n'avais rien mang'~ depuis la veille.Bref, j'ai faim, et les charretées de pain qui. par les soins de l'intendance, pourrissaient en deçà et au delà du Mont-Cenis, eussent été Lien accueillies par le régiment tout entier. Ce problème me semble d'une solution difucile, quand je viens a penser, u bonheur' qu'au départ de Fontainebleau, le :!S avril, deux mois auparavant, afin de parer à quelques-unes des éventualités de la campagne, j'avais fourré dans le fond de ma grande sacoche, avec des bandes roulées et du diachylum, des tablettes de l'excellent chocolat Menier.

Alternativement desséchées par le soleil, réduites en pâte par les pluies orageuses, elles avaient résisté à toutes les épreuves, et résistent encore aux attaques vigoureuses d'un appétit excité par la /M <~M</Ml'une des faims les plus désagréables qui puissent affecter le soldat en campagne. Je profite du répit pour croquer l'une des tablettes, en recommandant gratis le chocolat Menier aux générations futures, civiles et militaires, et à celles qui ne sont ni civiles


ni militaires, MM. les fonctionnaires de l'intendance, par exemple.

Entre l'ordre impérial, sa transmission hiérarchique et son exécution, dix minutes se passent. Enfin les compagnies de mon bataillon s'ébranlent, et défilent devant l'Empereur aux cris répètes de « Vive l'Empereur! »

Il souriait et paraissait content de notre enthousiasme.

Nous montons, nous montons, et bientôt, dans l'éblouissement d'un soleil de Midi, nous apparait la terre promise, la tourde Solferino, puis derrière elle,~ gauche, le village et les hauteurs de Cavriana. Devant nous se tait le canon ennemi, sans doute écrasé par notre artillerie. Mais de nombreuses balles arriventen sifflant, et quelques fusées continuent leur vol inutile. Nous descendons la pente terminée par un petit chemin creux, presque un sentier, qui tourne et par de nombreux circuits se dirige vers Solferino. Les pentes directes qui y conduisent et qu'il faudra gravir, sont dures et ressemblent à certains paysages de la Provence. Des cascades alternées de pierres et de verdure depuis le bas jusqu'en haut. Près du village. à bras, poussée par nos voltigeurs, une batterie de la garde grimpe en se rapprochant de l'ennemi, et trouve un emplacement convenable pour battre, à 300 mètres environ à vol d'oiseau, les Autrichiens cachés dans ce pauvre village.

Les adjudants-majors descendent de leurs chevaux, désormais inutiles.


Sur le petit sentier, horde de haies, se démùne le colonel, rouge, suant

En avant, nies enfants! Courage, mes enfants! ~'aycx pas peur, mes enfants!

On le regarde avec curiosité, et je viens à penser que l'empereur avait ainsi termine une proclamation célèbre

« Je ne vous dirai pas Marchcx, je vous suis. mais Je marche, suivex-moi:

En ce moment apparaît, aussi à pied, le colonel. chef d'etat-major de la garde, calme, digne, suivant son habitude.

Le connaissant depuis dix ans, étant un peu connu de lui, je lui fais remarquer que, si nous escaladons tout de suite les escarpements de la colline, nos petits voltigeurs arrêteront certainement le tir de la batterie, forcément ires tendu a cause de la proximité, et j'ajoute, me rappelant Melegnano, qu'il serait peutêtre bon d'envoyer quelques obus sur le village avant d'en commencer l'assaut. Le colonel approuve cet avis qui est déjà le sien. et modère l'élan de nos soldats. Et la musique! quelle occasion su.pcrbe de gagner loyalement, bravement, militairement, une portion des toOOO francs que, bon an, mal an, elle coûte au budget de la guerre et à la cassette impériale.

Quel encouragement pour les braves, quel entraînement pour les hésitants, que ces marches ronflantes dédiées au colonel Douay, que cette J/a~c réservée pour les grands jours 1


La musique! Je la cherche ~'t ne la trouve pas. Le premier obus. qui avait coupé en deux le sapeur son voisin, avait évcntré du même coup la grosse caisse, clîbndré les gros ophicicïdes, les énormes saxotrombas, fait rentrer dans les poches les petites ilùtes et les clarinettes. Bref, nous nous passerons de musique: et. pour en finir avec elle, nous la retrouvâmes quelques jours plus tard sur les bords frais et parfumés du lac de Garde.

Nous sommes gagés, me dit alors l'un des artistes, et des meilleurs, pour jouer et non pour nous battre. Et d'ailleurs, comment souffler en cadence, lorsqu'on grimpe des hauteurs escarpées, presque inaccessibles?

Ce bon musicien avait raison il aurait bien plus raison aujourd'hui que les boulets portent à 15 et 18 kilomètres, et les balles à 15 ou tSOO mètres; ce qui n'empêchera pas de dépenser longtemps encore plus de 7 millions par an pour les seules musiques de terre, luxe inutile et encombrant en garnison, alors que le plus petit village a ses fanfares et sa chorale luxe encore plus inutile le jour des batailles, comme l'ont prouvé les guerres passées, et le prouveront encore, mais vainement. les guerres il venir.

Bientôt se font entendre nos canons rayés, et ce fut un spectacle atroce dont je m'accuse d'avoir joui avec une curiosité et un égoïsme abominables. Les toits volent en éclats. les murs s'écroulent. et personne en face de nous. fantassins ou artilleurs, pour répondre à cette destruction. Je compte les coups; au


dixième, qui sera bientôt suivi de deux antres, je regarde le culonc! chef d'etat-major de !a ~arde, qui, devinant ma pensée. nous crie à son tour En avant, h.'s voltigeurs, et vive l'Empereur!


CHAPITRE XVI

Un modeste héros. A bout portant. Deux blessures. Chcx M. le maire. Un drapeau. Chasse :t l'homme. Le« colonels Puech et Fournier. Xotre colonel. Panorama !:randiose. Cinq prisonnier' Une bonne prise. Un peu d'intrigue. Le capitaine Dupont. Un étrange collahorateur.

Nous étions cette fois partis pour tout de bon. Alors commença une course non pas au clocher,

mais à la tour, course dont le prix devait revenir aux jarrets les plus robustes, les plus solides. Avec les pieds, avec les mains, et je pense, Dieu me pardonne, avec les dents, on escalada ces masses rocailleuses, s'élevant parfois à pic, en s'accrochant aux rebords des pierres, aux branches des buissons, aux racines qui pendent.

Peu de chose a remarquer sur ma route quelques morts étendus çà et là, quelques blessés se soignant dans les abris, et sous un arbre, à droite, un chef de bataillon de chasseurs évanoui.

Nous montons encore, semant sur la route les moins


ingambes, ou les moins adroits. A gauche, sur une autre colline tout à fait nue et séparée de la nôtre par un profond ravin, se détache sur un ciel blanc a force de soleil, un tambour du 33" de ligne. Il est seul, mais il bat la charge comme u<~< d'une façon enragée Bravo, les voltigeurs! Ils se sauvent. Ah! les voilà qui reviennent. Non, ils se cachent derrière les murs. En avant, en avant

Avec sa caisse, son uniforme et sa casquette de lignard, ce petit tambour, enveloppé d'une auréole lumineuse, avait comme un éclat d'apothéose. Il me parait aussi grand, aussi beau, que derrière nous le Grand chef à cheval, auquel il fait un pendant majestueux.

Qu'est devenu ce brave petit troupier? A-t-il reçu la récompense méritée par tant de courage et de sangfroid ? Je ne songe pas et je rougis de cet oubli toutes les fois que je me rappelle les péripéties de la bataille à lui demander comment il s'appelle. Les balles qui jusqu'alors passaient par-dessus nos têtes commencent à s'abattre au milieu de nous. Encore un effort, un rude, et nous arrivons sur un terrain plat, récemment abandonné par la batterie autrichienne, celle qui nous avait été si funeste, ayant à notre droite la tour de Solferino, toujours impassible, et devant nous, un peu à gauche, un grand rectangle entouré de murs, ombragés par-ci, par-là de quelques arbres, et d'où pendent par endroits des guirlandes de lierre et de pampres.

Je n'ai pas eu le temps de vérifier.


Ce rectangle paraît, renfermer des maisons, un' église. Il en sort un bourdonnement confus de voix, de pas précipités, de cliquetis d'armes. La se trouvent l'ennemi et le danger, et n"us sommes six en tout pour le déioger! Une porte d'aspect un peu monumental, avec deux frontons triangulaires a droite et a gauche, est creusée dans Fépai~seur du mur de la plus petite face; mais. vue de profil, je me demande si elle est ouverte ou fermée?

Pendant que je rénéchis à cette importante alternative, j'aperçois par terre uncpetitc hache d'origincautrichiennc qui pourra me servir a résoudre le problème. Puis, consultant mes compagnons de route « II me semble, leur dis-je, que les gaillards enfermés !a dedans ont ptus envie de se sauver que de se défendre, sinon, ils seraient sur la porte et sur les murs, à nous fusiller. Profitons de leur bonne volonté, entrons. Les camarades vont arriver et nous aideront à la besogne. )) Aussitôt dit, aussitôt fait, et nous courons à Fentréc qui n'était ni fermée ni barricadée. --Une décharge formidable nous accueille, mais on s'y attendait. Je me sens à la fois comme vigoureusement pincé vers le tiers supérieur de ma cuisse droite: et une balle ricochée, ou un éclat de pierre, écrasant les franges de mon épaulette, vient meurtrir mon bras gauche qui, paralysé, laisse tomber la hache autrichienne. Une autre balle coupe la belière supérieure du fourreau de mon épéc~ qui,n'étantplus soutenu, s'accroche à mes jambes. et me fait tomber. .Fentends dire


Malheur le capitaine est mort

Pas encore, leur dis-je en me relevant; mais nous étions trop peu nombreux pour continuer l'offensive. Des maisons et de l'église s'échappent des tas d'Autrichiens qui courent vers une autre porte située dans le côté parallèle à celui par lequel nous sommes entrés. D'autres coups de fusil retentissent sans nous atteindre. Nous nous replions lentement derrière le mur et nous comptons nos blessés et nos morts. Ceux-ci néant; blessés moi à tout seigneur tout honneur. La cuisse droite percée par une balle, et déjà ma botte pleine de sang qui faisait uic-uac en marchant; le bras gauche meurtri et beaucoup plus endolori que la cuisse.

Le sous-lieutenant Bersin a les deux bras traverses par la même balle. Mort quelques jours après, mais plutôt de la ûèvre que de la blessure. Un autre voltigeur, le bas de la jambe également traversé par une balle. L'adjudant Poulard nommé souslieutenant et les deux autres camarades sont intacts dans leur personne, sinon dans leur capote. Bref, de jolies blessures, et je peux dire beaucoup de bruit pour presque rien.

Je frappe du pied la terre, et j'aperçois, non sans plaisir, que l'os n'est pas atteint. Ce qui me gêne le plus, c'est ce maudit fourreau d'cpéc qu'il faut soutenir de mon bras~ gauche impuissant; tant bien que mal je le passe entre mon ceinturon et ma maigre personne.

Mais, pendant ce temps écoulé plus rapide sur le o


terrain qu'à en tracer le souvenir sur le papier, des voltigeurs, sous-officiers et soldats, étaient arrives par petits paquets. sommes trente au moins. Sur les visages s'épanouit comme un foyer d'héroïsme trop longtemps contenu. H ne faut pas laisser l'ennemi le temps de se reconnaître, de nous compter, et peutêtre de revenir. Tous ensemble, nous nous présentons de nouveau devant la porte, et nous pénétrons en courant dans l'enclos,non pas en trombe serrée, mais en éventait, pour offrir moins de prise aux balles et paraître artificiellement plus nombreux.

Encore quelques coups de fusil, mais plus rares, mal ajustés. l'ennemi en a assez: il encombre la petite porte de sortie, et reçoit à son tour nos saluts à volonté. Bientôt il ne rc~te plus que les morts et des traînards blessés d'autres soins me préoccupent. Il est extraordinaire comme, à de certains moments d'émotion, dans les faits particuliers, isolés d'une bataille par exemple, tout se sait vite, ou se devine. J'apprends, comment? par qui ? je l'ignore, que M. le maire était logé dans l'enclos que nous venons d'enlever si facilement, et je me dirige vers sa mairie. Le sang continue d'inonder l'intérieur de ma botte, et si l'os est intact, peut-être une artère a-t-elle été atteinte ? Les fameuses bandes et le diachylum, réservés pour ce cas spécial, sont restés avec une partie du contenu de ma sacoche, qui s'est ouverte sans que je m'en aperçoive, sur les pentes que je viens de traverser.

Le syndic était à son poste, fort peu rassuré, trem-


blant, il y avait de quoi, et il a peine a comprendre ce que je lui demande non pas la bourse ou la vie, mais une serviette dont le nom italien m'échappe, un linge que je découpe presto, ~rcs/wo, à coups de canif; puis, sans respect pour la majesté du Keu, laissant tomber mon pantalon, mon caleçon, j'examine, je tâte, je sonde, et je constate, toujours avec un nouveau plaisir, que le liquide rouge coule, coule par-dessus et par-dessous en filet pur et tranquille, et non avec ces saccades bouillantes qui indiquentla coupure d'une artère. Je bande le tout le mieux possible en consolidant la chose avec quelques points de couture sur le caleçon, puis rendossant ma capote, ajustant mes épaulettes, je procède sans vergogne, selon les règles du service, à l'interrogatoire de monsieur le syndic, lequel, sans se faire prier, répond à mes demandes ainsi qu'il suit

Interrogé combien il y avait d'Autrichiens dans l'enclos au moment de notre ascension, a répondu Peut-être mille, mais certainement sept ou huit cents.

Interrogé si ces gens-là avaient tous vidé les lieux, a répondu

Qu'il devait en rester un certain nombre caché dans les caves et dans les greniers.

De ce côté j'étais tranquille, ayant donné des ordres en conséquence.

Interrogé à quels corps, à quels régiments appartenaient ces Autrichiens

A dit ne pouvoir répondre précisément à cette


question; mais qu'il a remarqué, sur les tuniques, des collets de couleurs rose, jonquille, bleu clair, ce qui indique évidemment des régiments différents. Interrogé. Mais à ce moment, le brave homme devient encore plus pâle, et crie tout effaré

/~<'o la mia ~!</«~Y/Voilà ma bannière, mon drapeau Je me retourne et vois un chasseur à pied qui s'esquivait en hâte, tenant à la main une hampe assez longue autour de laquelle était enroulé un morceau d'étoffe jaune.

Je reconnais tout de suite dans cet homme sans arme, couvert de platras et de toiles d'araignée, un de ces fricoteurs comme il y en a dans tous les corps, et qui sont partout, partout excepté là où le devoir les appelle. Celui-ci s'était donné la mission de fouiller les caves. et pendant que je me redresse sur ma jambe engourdie pour faire empoigner par mes voltigeurs ce larron d'honneur et peut-être d'autres choses qui ne lui appartenaient pas davantage, plus ingambe que moi, il disparaît, introuvable, rapportant peut-être à son bataillon ce symbole de paix, la ~M~r~ de la mairie, devenue comme un trophée de son indéniable bravoure.

Pendant que je pourchasse infructueusement le chasseur à pied, je. me sens vigoureusement saisir par mon bras malade ce qui m'arrache un petit cri et j'entends une voix bien connue me dire Ah mon cher ami, que je suis heureux de vous voir. On m'a dit que vous étiez tué

C'était le brave, l'excellent chef du 2" bataillon, le


commandant Caillot, qui échappa, ce jour-la, aux balles de Solfcrino pour trouver, onze ans plus tard colonel du 5~ de ligne, les balles mortelles de Saint-Privat.

Je lui explique aussitôt les regrets du syndic et ma vaine tentative pour les apaiser.

Bah me dit-il en riant; il n'y a jamais rien de perdu avec les chasseurs à pied. Nous retrouverons plus tard la bannière de la mairie sous le Dôme des Invalides.

Et nous passons à d'autrcs exercices.

On met de l'ordre dans les voltigeurs survenus en masse un piquet est délègue à la garde d'environ 3~0 prisonniers, devenus les fruits de la victoire. Un groupe de bons tireurs s'amuse à tirer sur la porte opposée, derrière laquelle défilent un à un, au pas de course, un assez grand nombre d'ennemis. Ces coups tires sur les passants n'atteignent que le vide. Alors les plus malins s'amusent c'est bien le mot à tirer dans ce vide de manière à atteindre au vol ceux qui allaient passer et qu'on n'ajustait pas. Et les voltigeurs de rire à cette cruelle chasse à l'homme exécutée de sang-froid, et aux cabrioles des malheureux atteints par ces projectiles envoyés au hasard. Et puis nous nous mettons en route sur quatre rangs, les files doublées, dans le chemin fort étroit qui conduit à Cavriana. On peut avoir besoin de notre aide dans ces nouveaux parages.

Le trajet est dangereux des maisons, disloquées par les obus de notre batterie, pendent des quartiers


de murs ou de toits qui s'effondrent de temps à autre. J'admire le pittoresque du prodigieux effet de nos canons rayés.

Sur une toute petite place se trouvent d'autres canons, mais ennemis ceux-là, et gardas par quelques voltigeurs. Leur prise a été un fait d'armes glorieux pour le lieutenant-colonel Puech, du régiment. Près d'eux~ assis sur le bord d'un fossé, était le lieutenant-colonel Fournier, qui a reçu une balle dans le ventre. Le docteur Gaullet examine et sonde sa blessure.

C'est bien, docteur; je sens que je suis perdu. laissez-moi assis. comme cela je souffre moins. Et comme je veux donner un mot d'espoir à ce grand et vigoureux soldat:

Ne me plaignez pas trop, mon capitaine. Je vous ai toujours dit que le plus beau jour de ma vie serait celui de ma mort.

Ce beau jour, le dernier, il le trouva le lendemain, lorsque les convoyeurs italiens et les soldats du train, afïbics par cette inconcevable panique que je décris plus loin, qui dépassa Brescia et courut jusqu'à Milan, jetèrent pcle-mele, dans les fossés des routes, les voitures, les chariots au moyen desquels on évacuait sur les hôpitaux de ces villes les blessés les plus grièvement atteints, amis ou ennemie. Pour se sauver plus vite, ils montaient sur les chevaux et les mulets dételés.

Jugeant que d'autres, et beaucoup d'autres, ont un plus pressant besoin des services de notre chirurgien-


major, je lui affirme que je me sens beaucoup mieux; mais le docteur veut. absolument visiter ma blessure (lui ne me fait éprouver qu'un immense engourdissement.. Je ne songe pas, peut-être à tort, à lui parler de mon bras.

H trouve le sang coagulé, le pansement fait à peu près comme il faut, et se contente d'ajouter un bandeau beaucoup plus large, en arrosant le tout d'un liquide cuisant, mais tr'-s odoriférant.

Notre colonel avait du suivre dans son ascension le petit chemin longuement tortueux, excessivement rocailleux, ~<p«.r que nous aviuns dédaigne pour prendre la ligne droite.

Il para!! en ce moment il était plus de 4 heures tout essouiue c! suivi de quelques fidèles. Il vient à moi encore la proi'' du docteur

Vous êtes blessée mon pauvre capitaine. ("M/ ~/e~ <~oM~p

Oui, mon colonel, mais légèrement.

Quelques jours de repos, dit le docteur.

Ne me parlez pas de r''pos, et surtout d'ambulance, docteur je n'en veux pas.

.!e vous ai suivi de loin, dit le colonel, je vous ai admiré. Comment vous appelex-vous ?

Lin peu surpris de cette ignoranc'' chex un chef avec lequel mon service m'a mis fréquemment en rapport depuis quelque jours, je lui dis mon nom. C'est bien. IL !<iME AVEC LE MŒX. Je nu vous oublierai pas.

Merci, mon colonel. VeuiHex me permettre de


vous féliciter. Vous voyez cette tour, –ctparun geste digne de Talma, je lui montre de la main le monument qui, à notre droite, domine tout le village, c'est elle qui baptisera la victoire. et c'est le '2*' voltigeurs, votre régiment ici présent, quiaural'honneur d'en être le parrain.

Le colonel, tout ébahie regarde alternativement la tour, et mon individu. et ne dit mot. Il a l'air de ne rien comprendre a ce lyrisme d'enthousiasme, bien justifié cepcndantpar tout ce qui vient de se passer. Et nous voilà repartis pour Cavriana.

Nos voltigeurs y sont déjà installés, mélanges a. ceux du ï~ régiment et aux chasseurs du bataillon de la garde. Comme Solferino, Cavriana est à nous. Des blessés~ des prisonniers, des morts, et sur les pentes vers le Mincio, dégringolant dans le lointain, des bandes ennemies dans le plus complet désordre. Nos balles les accompagnent.

De leur côté, devant nous, silence complet; mais vers Médole, sur notre gauche, et sur notre droite, du cote des Picmontais, la lutte parait continuer terrible. lutte inutile.

Le centre de l'ennemi est complètement enfoncé, et les hauteurs, clé de leur position, sont au pouvoir de la première brigade des voltigeurs de la garde. A cette pensée, ma jouissance est complète; l'orgueil de ma satisfaction, immense; et je ne ressens ni la faim, ni la soif, ni les sourdes ou cuisantes douleurs de mon bras mpurtri et de ma cuisse percée. Je m'arrête un moment pour bien graver dans ma mé-


moire le panorama grandiose étendu devant moi. Il était superbe sur la terre. et dans le fiel. Du côte de Mcdoïc, deux régiments de cavalerie légère chargent a fond de train l'infanterie autrichienne derniers accents d'une voix qui va tomber, d'une ardeur qui va s'éteindre s'~us les coups de l'orage qui approche. Avec une ténacité digne d'un meilleur sort, l'illustre maréchal Canrobcrt tient sa lunette braquée du côté de Mantoue, résolu a anéantir les 30000 hommes qui, depuis le matin, lui sont annoncés comme devant venir chercher querelle à notre aile droite. Tout a fait sur la gauche, du côté de Peschicra, des blocs de vapeurs blanches, de fumée bleue, se condensent dans les accidents du pays, s'élèvent, se disloquent, et courent sur nous, poussés par un vent assez violent. Le soleil darde ses rayons au-dessus de ces masses mobiles, et les colore à sa façon de toutes les nuances du prisme, de sorte que je dominc,comme du hautd'un ballon,ce mcrvciHeuxdecor. Un obus ami, un des nôtres, peut-être dévie dans 1. Ce ft:t cette charirc, héroïque sans d')u'.e. mais l'un des mille brillants épisodes de cette journée commencée :< 3 heures du matin, nnie à 9 heures du soir, et dans laquelle .0 000 hommes s'étaient rencontrés face à face, qui inspira a M?'' Fr~ppel, évéque d'Angers, l'idée de faire gagner la bataille de Sulferino par le capitaine de Sonis, :'< la tète de i20 ou 1:{0 cavaliers < son escadron. Les survivants des divisions Ladmirault et Forey, ceux des 1er et 2~ voltigeurs de la garde, s'il s'en trouvait parmi les auditeurs de l'oraison funèbre prononcée à Loi~ny le 22 septembre 1887 par l'éminent prélat, ont dù être bien surpris d(* son éloquence militaire, s'ils n'ont pas été un peu attristés par cette audacieuse tentative.

1~.


sa marche par la force du vent., ou bien ignorant encore que nous, les Français, sommes les maîtres de céans, éclate a ~0 ou 60 pas de moi. Sa culasse, projetée en arrière, tombe à 15 ou 20 pas. Elle est. curieusement découpée en grosses dents de scie, et pourrait s'utiliser comme presse-papier monumental, ou dessus de pendule historique.

Un lieutenant du train, qui passe avec une voiture, me propose de me conserver ce lourd et embarrassant souvenir de la journée. Ce brave camarade a bien tenu sa promesse, car il me le conserve encore.

Tout à coup, et tout d'un coup, un morceau d'ouragan s'engouurc dans la rue étroite ou je marche assez doucement, le pied droit me lissant littéralement dans le sang. C'est un fracas étourdissant, une nuée aveuglante de poussière mélangée de fcuitles arrachées aux arbres, de pierres et de tuiles arrachées aux murs et aux toits des maisons branlantes. Tout fuit. et sans s'armer d'un courage lunule

/~<~ /? <"):<r'y aussitôt, chacun cherche un asile.

Le mien se trouve être une pauvre maison sans étage. plus solide par conséquent que les voisines. A peine entré, se dresse devant moi, dans l'ombre, un superbe Autrichien,capitaine ou commandant, qui me présente par la poignce son sabre auquel étaient appcndus le ceinturon et la dragonne d'or. Surpris, je fais un pas en arrière en tirant a. demi mon épée du fourreau. Mais lui, calme, impassible, prononce quelques mots dans une langue que je ne comprends pas, et qui


n'étaient pas allemands; et aussitôt se l'-vcnt d'un coin de la chambre quatre soldats sans armes, nu-tetc et tout tremblants.

Ces cinq prisonniers sont bien a moi. c'est ma part de butin et de gloire de la journée.

Des voltigeurs passent dans la rue; je leur confie mes quatre soldats, puis rendant son sabre au capitaine, je l'engage de la voix et surtout du geste à suivre ses hommes, c'cst-a-dire à me laisser paisible propriétaire de mon humble réduit.

J'avais eu le temps de remarquer cependant que la dragonne d'or portait en broderie d'un côté l'aigle à deux trtcs. et de l'autre les lettres F. J., initiales du nom de l'empereur d'Autriche.

Accroupie auprès de son foyer à demi éteint, pleurait silencieusement une pauvre vieille femme. De ma voix la plus douce je lui demande du pain. des œufs, En invoquant la Madone, elle me jure qu'elle n'a rien, que les Autrichiens ont tout pris; alors j'invoque à mon tour l'Argent, l'argument suprême, et lui offre une pièce du pays, valant bien H sous, pour un œuf, un seul.

Elle me le donne en jurant de nouveau que c'est le dernier.

Je le fais cuire précieusement sous la cendre chaude, et le croque dur avec une jouissance infinie. Avec la tasse de café de 3 heures du matin, le chocolat de midi, c'était le troisième festin du jour de gloire qui m'est arrivé depuis le commencement de la campagne. L'orage avait disparu rapidement, comme il était


venu, hâtant et protégeant la fuite des vaincus, arrêtant la poursuite des vainqueurs, imposant le silence sur toute la ligne, excepta du cutu de Peschiera où les Sardes brûleront leur poudre jusque 9 heures du soir.

Le soleil reparait par intervalles, souvent recouvert de nuages gris qui s'échappent en une pluie assez fine. Appuyé sur un échalas, je reprends ma route, et j'arrive sur une place assez grande, bordée de maisons qui me semblent avoir échappe aux désastres de la lutte. Un portail s'ouvre à deux battants il en sort, tenu en main par un voltigeur, un cheval superbe dans ses allures effarouchées. Il est couvert d'une selle splendide, et d'un tapis de velours rouge tout brodé d'or, duquel pendent de grosses torsades également d'or. Le tout est accompagné d'un jeune capitaine d'état-major que je reconnais pour être bien en cour. On raconte qu'un colonel ou un général, un prince en ou en ~c~, s'est bravement fait tuer au premier assaut de Solferino par les divisions du 1~ corps, et que ce cheval était le sien.

Approximativement j'estime la prise 5 à 6 000 francs, et je pense que le voltigeur et son camarade de l'étatmajor n'ont pas perdu leur journée.

Le général Camou était là. Il savait mon nom, lui, et depuis longtemps. A ma démarche embarrassée, au sang noirci par l'air qui couvrait mon pantalon et ma capote, il devine l'accident

Vous êtes donc blessé, mon pauvre ami? j'espère que ce ne sera rien.


Peu de chose en effet, mon général je vous remercie.

Ainsi donc, colonel, généraux, je me plais à rassurer tout le monde sur mon compte. plus que je ne le suis moi-même. < oui, sot en trois lettres, ayant oublie ce salutaire avertissement, du ~<a/ de ~o~e/c

« C'est fâcheux a. confesser. mais un peu d'intrigue est indispensable autour du souverain. La modestie est presque toujours perdue.

Je m'aperçus bientôt que d'autres connaissaient la maxime, quoique ne l'ayant peut-être jamais lue, et d'instinct savaient la mettre en pratique.

En grande conférence aussi le général Manèque et notre colonel; le général s'éloigne en disant Tu sais. tu n'oublieras pas.

Et il fait de la main droite comme un simulacre autour de son cou.

Ce collier, indiqué par le geste, était tout simplement la cravate rouge de commandeur de la Légion d'honneur. Ils se connaissaient depuis la Flèche assez intimement pour se tutoyer même en public. Là, j'apprends la mort de mon pauvre camarade Dupont, dont le corps est déposé dans une maison voisine. Malgré la tentation d'un feu assez vif, allumé sur la place qu'il illumine de sa belle et saine clarté, malgré le froid pénétrant amené par la pluie et la souffrance, je vais lui dire un dernier adieu.

Une balle entrée par un coin del'œil, sortie derrière la tête, avait si peu altéré les traits de sa noble et che-


valcrcsque figure, que l'on eut d'abord peine à trouver l'endroit où il avait reçu le coup mortel. Je lui promets, non sans larmes, de rendre compte à son père de cette dernière entrevue.et cette promesse je l'ai tenue un peu plus lard dans le palais de Saint-Cloud, dont le capitaine de vaisseau Dupont était gouverneur. Hntin, je suis près de ce bon feu j'y retrouve le chirurgien-major Gaullet, bien fatigue, lui aussi, de sa pénible besogne. Enveloppe d'une chaude couverture d'infirmerie, je m'étends sur la terre humide; un sac d'ambulance à moitié vide soutient ma tête, et mes pieds, toujours bottés, sont tournés du côté du feu. Je me sens à mon aise, et j'attends. quoi? Des réflexions rêveuses peut-être. un sommeil bien mérité sans doute. Je crois plutôt qu< fatigué de me laisser vivre, je n'attends absolument rien.

Il est S heures, 8 heures et demie; malgré la longueur des jours au mois de juin, il fait presque nuit. Une petite pluie se remet a tomber, une et glaciale, et !e docteur, étendu près de moi, s'écne tout haut, sans réfléchir:

Ah voilà une pluie qui va singulièrement faciliter ma besogne de demain.

Je lui demande l'explication de cette collaboration incompréhensible.

C'est que, me dit-il, tous les blessés grièvement, ceux qui endurent déjà. la fièvre, seront tués par le froid demain matin.

Satisfait de cette réponse d'un vieux soldat endurci par vingt ou vingt-cinq campagnes, heureux de ne pas


me trouver dans la catégorie des grièvement blesses, devenu presque indifférent a tout ce qui se pas~e, la fatigue, l'épuisement, les veilles précédentes amènent enfin un !out'd sommeil, et en unissant ta mémorable journée et la grande fète du ;2tjuin !S~9. avant de m'endormir tout à fait, je vins a penser que c'était aussi dans l'almanach la mienne, celle de bien d'autres, et que, pour ma }'art, j'avais reçu ce jour-la un beau et splendide bouquet.


CHAPITRE XVII

Mort du général de Cotte. Un enterrement militaire. Le soldat français. C'~ une ~'<yyt<~c <~<f/ Un peu de lumière. Perte d'une épaulette. Deux inséparables. Mission du capitaine Brady. Un drapeau autrichien.

L'Empereur arriva le 22 juin àMontcchiaro, suivant toujours de près l'armée dans sa marche offensive, et y remplaçant, avec la garde impériale, le 2" corps qui l'avait quitté le matin pour aller s'établir autour de Castiglione.

Pendant foute la durée de la campagne, un aide de c amp était toujours de service de nuit, et veillait dans une chambre attenante à celle de l'Empereur. Dans la nuit du 22 au 23, vers 2 heures du matin, une dépêche arriva au quartier impérial, et fut remise au général de Cotte par l'estafette. Je crois que cette dépêche annonçait que quelques détachements ennemis avaient été vus, pendant la journée, dans la plaine q ui s'étend de Castiglione à Volta.

Ce premier renseignement n'avait point d'autre ap-


parence que celle d'une reconnaissance faite sur les derrières de l'armée autrichienne, qui avait, repassé tout entière sur la rive gauche du Mincie quelques jours auparavant.

Le général de Cotte, après avoir décacheté le pli, approchait la dépêche de la lampe pour en prendre connaissance, lorsque, la laissant échapper de sa main, après quelques efforts pour la déchiffrer, il se renversa sur le dossier de son fauteuil et ferma les yeux. L'estafette, qui attendait derrière lui, après quelques minutes d'hésitation, croyant que le général avait cédé au sommeil, s'approcha pour le réveilicr. 11 (''tait mort~ 1

Pendant toute la journée du 23 et la nuit du 2o au 2~, des dépêches, de plus en plus accentuées, envoyées par les divers corps d'armée, signalèrent l'importance et l'apparence d'un retour offensif que prenaient les mouvements de l'armée autrichienne, dont la majeure partie avait dcja repassé sur la rive droite du Mincio. Toutefois un rapport du général Xiel ~<.< ~:c<e /)<cer des ~"M~'s sur les véritables intentions de l'ennemi.

Pendant cette journée, les divisions de cavalerie des 1~ et 3'' corps, les brigades des 2' et auraient pu éclaircir facilement ces doutes trop prolonges. Sans s'engager sérieusement, trois divisions de cavalerie t. La mort du gênerai de Cotte a été attribuée à ht rupture d'un anévrisme.

Le bruit s'est répandu néanmoins dans l'armée qu'il s'était suicidé.


soutenues par une artillerie à la fois puissante et légère auraient pu, je le répète, lever toutes les incertitudes, et le terrain accidenté qui s'étend de Lonato à Volta permettait d'apercevoir distinctement et de discerner une opération aussi importante que le passage d'une rivière par une armée de près de ~OOOOO hommes.

Les obsèques du général de Cotte curent lieu le 2t au matin, dans la petite église de Montechiaro. Les aides de camp et les officiers d'ordonnance de l'Empereur suiv.uentle cercueil, moins le générât Fleury qui était de service auprès de l'Empereur. Les honneurs militaircs étaient rendus par un faible détachement des grenadiers de la garde.

On prit place dans l'église, et les grenadiers formèrcn t la haie à droite et à gauche du cercueil. Mais déjà le canon se faisait entendre dans la direction de Castiglione, et il semblait douteux qu'on pût achever de rendre les derniers hommages au pauvre généra!, dont la mort si foudroyante et si imprévue avait attriste tout t le monde.

Un devoir plus impérieux allait s'imposer. En effet, vers le milieu de la messe funèbre, la porte de l'église s'ouvrait et le général Fleury venait dire à haute voix: Messieurs, l'Empereur part l'instant. Montex à cheval sur-le-champ, et rejoignez Sa Majesté à Castiglione.

Tous les officiers attachés à l'empereur sortirent sans bruit, en passant entre les deux rangs des grenadiers, et le silence de la triste cérémonie, qui d'ailleurs n'avait


pas été interrompue, ne fut troublé que par un loger frémissement qui courut dans les rangs de ces braves soldats, et par le retentissement des crosses de leurs fusils sur les dalles de l'église.

Leurs physionomies étaient curieuses à observer. Immobiles et impassibles quelques instants auparavant, elles avaient pris, a la voix du général Fleury, accompagnée par le grondement lointain du canon, une expression d'ardeur et d'impatience qui se lisait dans leurs yeux. Eux aussi devaient se dire « Notre place n'est plus ici. »

C'est que la guerre développe jusqu'à une irrésistible intensité le sentiment du devoir. Croire y manquer, môme involontairement, uffit a troubler la conscience. C'est qu'enfin, devant la toute-puissance de ce sentiment, tous les autres, même les plus précieux et les meilleurs, sans cesser d'exister, doivent momentanément s'effacer. Et je le dis avec une profonde conviction, si, dans le cœur du soldat, l'éducation ne lui a pas apporté tous ses raffinements, le germe de ce sentiment n'en a pas moins une telle vitalité, que la guerre le développe avec une rapidité prodigieuse. Disons-le donc hautement et fièrement. sans pour cela ctre suspectés d'un ridicule nationalisme, le soldat français. Di~cu'u~K ET .\GUHt!Ri, est le plus dévoué et le plus généreux des soldats. A l'appui de cette opinion bien arrêtée chez moi, je puis citer un exemple.

J'avais, en Crimée, deux hommes de ma compagnie, détachés en qualité d'ordonnances au quartier


général. L'un d'eux était un vrai type de gavroche parisien. Lorsqu'ils apprirent que leur corps faisait le service de tranchée, ils allèrent tous deux demander aux ofGciers dont ils étaient les ordonnances, à rentrer au corps, disant que leurs camarades se f. d'eux s'ils restaient au quartier général.

Tous deux furent tués le 8 septembre.

On sortit de l'église, les chevaux étaient prêts. L'Empereur fut rejoint par ses officiers au moment de son arrivée a Castiglionc.

L'infanterie de la garde, qui avait quitté de bonne heure ses bivouacs, marchait, de différents points, sur Castiglione, qu'elle traversait pour aller prendre sa place de bataille.

L'Empereur gravit à pied les pentes rapides d'un monticule, qui domine la plaine de Médoïc, ~'t après avoir dirigé sa lorgnette sur tous les points où on apercevait les longues lignes blanches de l'armée autrichienne, se retourna, et dit

« Ce n'est pas une reconnaissance, c'est une grande bataille. Ces quelques mots que plusieurs officiers. c~<wc u/ a~'9w<f/'M/, ont ~<~ /CM/~ ~c;} (~'c~/A'~ ainsi qu'il leur serait facile d'en témoigner au besoin, prouvent que, comme je l'ai dit plus haut, l'incertitude des commandants de corps d'armée aurait dû être levée vingt-quatre heures plus tôt.

Ce que je vais raconter, parce que certainement il n'en est pas question dans la relation ofScieIle. prouvera l'exactitude de cette observation.


J'ai entendu critiquer sévèrement, mais aussi ~<c~ /<e~tc~, par des officiers du grand état-major, une mesure prise par le maréchal Baraguey d'Hilliers, dans la nuit du 22 au 2~, mesure dont il a dit ?'c/?~'c <'ùM/)~Cy et dont le grand état-major aurait du se préoccuper, ce qui lui aurait permis d'en reconnaître l'M~c. Dans la journée du 22, le maréchal avait poussé hardiment ses avant-postes et grand'gardcs sur les hauteurs qu'il avait devant lui, et un bataillon du 1~ régiment de zouaves, sous les ordres du commandant Morand le plus jeune des fils de l'illustre divisionnaire de Davout occupait .~o/ w<~c. Mieux placé que personne pour découvrir toute la plaine jusqu'à la Volta, et pour suivre les mouvements 5~t!ca~/< de l'ennemi, qu'il observait avec une vigilante attention, il s'empressa d'en informer, dans la soirée, le maréchal, qui lui donna l'ordre de se replier, et je crois qu'il agissait sagement et prudemment. même avec la prévision qu'il faudrait reprendre le lendemain les positions abandonnées.

En examinant les lignes toujours ~)~ ~c~ des positions de l'armée française, puisque le 1~ corps avait deux divisions en arrière de Castiglione, occupé par le 2", puisque le 3° avait également devant lui une partie du en observant en outre que la majeure partie de l'armée sarde était encore autour de Lonato, on reconnaît que sa direction de Capenedola à Lonato était sensiblement oblique et défectueuse, par rapport à celle de l'ennemi, qui était marquée par Peschiera et Mantoue.


Le maréchal Baraguey d'Hilliers avait donc à choisir entre deux déterminations ou se porter en avant, dans la nuit du 2~ au ~.jusqu'aux positions occupées par ses avant-postes, ou les rappeler a lui.

Se porter en avant? D'abord, il n'en avait pas l'ordre du grand état-major général, toujours plus préoccupe de ses écritures, ~'o/~or~ e<~M~<o~s, que de son service actif, dont le premier et le plus rigoureux devoir était d'éclairer à la fois l'armée et le général en chef. De la l'incertitude coupable dans laquelle le maréchal Vaillant laissa l'Empereur pendant toute la journée du 23.

Pour prendre la responsabilité d'un mouvement en avant aussi grave, il fallait être sûr d'être suivi et appuyé. Or, le 1 er corps était bien rallié, ~'o~?w/c w~M~ au puisque deux de ses divisions Ladmirault et Bazaine –étaient en partie masquées parCastigIione; mais son aile gauche n'était pas dans les mêmes conditions, et un changement de front, -l'aile gauche en avant, n'aurait pu être effectué par le 1~ corps qu'autant que l'armée sarde, par une marche rapide, serait venue fermer l'espace vide laissé entre la gauche du corps et le lac de Garde. Il était évident en euet que l'armée autrichienne tout entière se déployant entre Peschiera et Mantoue comme point d'appui, ces deux places fortes avaient dù être solidement occupées.

C'est donc au roi Victor-Emmanuel que le reproche d'immobilité aurait pu être adressé, et non au maréchal Baraguey d'Hilliers. Pour moi,je n'hésite pas en-


tre les deux, et c'est le grand état-major, c'est son incurie pendant toute la campagne, que j'en rends responsable.

Après avoir été forcé de signaler, dans une autre circonstance, la témérité du bouillant maréchal, je suis heureux de constater que. dans cette dernicre. il a agi avec toute la circonspection d'un général qui sait qu'une faute de manœuvre de l'infanterie est toujours longue à réparer, que souvent même elle peut entraîner les plus graves complications.

L'Empereur descendit rapidement de son poste d'observation de Castiglionc, monta à cheval, et suivi i de son état-major, des cent-gardes et de son escorte de guides, se dirigea, à un ~alop /?/«~ ~/o~c et en droite ligne, sur la tour de Solferino.

Le résultat des observations faites du haut de Castiglione notait pas douteux.

C'est vers l'aile gauche de son armée que Xapoléon HI avait jugé que l'effort principal serait nécessaire, et prévoyant qu'il y aurait là une scrie de positions n enlever de haute lutte, il avait résolu d'y assister en personne, pour coordonner les attaques des l~et 2'' corps et les appuyer au besoin delà puissante réserve qu'il leur amenait et qui ne devait pas tarder à y prendre une glorieuse part.

Pendant cette course rapide a. travers des rixicrcs et des plantations de jeunes mùriers, buttés à leur pied, et contre lesquels les chevaux ~~c~ eux-mcmes à chaque instant, l'Empereur perdit une de ses épaulettes, qui ne put être retrouvée, et beaucoup de sol-


dats, dans le courant de la journée, remarquant comme je l'ai dit plus haut, cette incorrection de tenue, se demandèrent si l'épaulette impériale n'avait pas été enlevée par une balle tyrolienne. La remarque ne produisit donc pas une impression fâcheuse. Au reste, la supposition des soldats n'avait rien d'invraisemblable, l'Empereur s'étant tenu presque toute la journée à portée de mousqueterie, entouré de tout son état-major et suivi de l'escadron des cent-gardes, dont les crini''rcs blanches étaient faciles à apercevoir des positions dominantes de l'ennemi.

Quelques détails que je donnerai plus loin d'une conversation qui eut lieu u Vérone, entre le grand-duc de Hesse et le général Fleury, prouveront que les balles qui blessèrent quelques chevaux près de l'Empereur entre autres ceux du docteur Larrey et du lieutenant-colonel de Chambray étaient bien destinées :i Napoléon III.

Lorsque l'Empereur arriva à hauteur des colonnes, vers l'aile droite du 2'' corps, le maréchal MacMahon, qui avait mis pied à terre pour leur donner lui-mème leurs points de direction, s'approcha et fit observer que, forcé d'appuyer vigoureusement par sa gauche les attaques du maréchal Baraguey d'Hillicrs, qui avait une rude tache devant lui, il se voyait force de laisser un grand espace vide entre sa droite et la gauche du général Niel, dont le corps d'armée était déployé dans la plaine de Médole. Il demandait, en conséquence, à l'Empereur de fermer cette trouée avec de la cavalerie et d'ap-


puycr son aile droite avec la division de voltigeurs. Décidément, le général Camou n'était plus seulement ~M < du maréchal. Magenta les avait rendus inséparables, en face de l'ennemi. cela se comprend.

L'Empereur s'empressa de les réunir, en envoyant l'ordre à la division de voltigeurs de prendre la droite du '2" corps.

Elle ne tarda pas à être engagée, et la brigade Manèque i~ et voltigeurs et chasseurs à pied prit une part glorieuse à cette série d'assauts qui ne s'arrêta qu'au pied de la tour de Solferino, rivalisant d'ardeur et de bravoure avec les régiments de ligne du corps.

Je veux céder ici la parole au brave et intrépide capitaine Brady que l'Empereur charge alors d'une mission. 11 a plus d'autorite que moi pour juger avec impartialité les hommes et les officiers de mon régiment

« J'ai pu juger de l'irrésistible élan avec lequel ces admirables soldats, gravissant les pentes les plus escarpées. sous un feu violent auquel ils ne pouvaient pas toujours répondre, abordaient l'ennemi. « La brigade Manèquc, au milieu de terrains couverts~ ayant perdu un instant sa direction, l'Empereur me fit signe d'approcher, et me chargea de porter l'ordre au général Camou de la faire appuyer fortement Li droite, en donnant a son attaque, autant que possible, l'apparence, sinon la réalité d'un mouvement tournant.

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« Je descendis aussi rapidement que possible les hauteurs où l'Empereur s'était établi, et, persuadé que je perdrais un temps précieux à chercher le général Camou, après avoir demandé vainement à plusieurs officiers s'ils l'avaient vu, je me dirigeai au galop vers la brigade Manèque, qui commençait a s'élever sur les pentes dont les sommets étaient occupés par l'ennemi. .arrivai au milieu du '2° régiment de voltigeurs, que le colonel de Courson s'b~va~ ~'ay!<r/)e<~c de ~oet de ~~M~' pour éviter la rupture des rangs qui est toujours la conséquence d'une marche trop précipitée. Courant sur le front de son régiment, il leur répétait sans cesse «Doucement, mes enfants, ne « courez pas, restez alignés, et surtout ne tirez pas! » « Et pourtant le feu de l'ennemi, qu'on ne pouvait voir encore, et qui pouvait, lui, apercevoir ce torrent ascendant, était déjà vif et meurtrier. J'eus beaucoup de peine à me ~o~ par le brave colonel dont toute l'attention était concentrée sur son ardente troupe.

« Ordre de l'Empereur! lui répétai-je, mon colonel, d'appuyer à droite.

« Oui, capitaine, me répondait-il mais il revenait aussitôt à sa pensée dominante: maintenir ses soldats dans le rang, et alignés.

« Enfin il parvint à arrêter son aile droite, et la gauche continuant à marcher, toute la brigade prit la bonne direction. Je n'avais plus rien à faire et je redescendis les pentes du monticule. Mon cheval était blessé à la hanche, je mis pied à terre un instant, abrité


par le rayon qui reliait la côte à la plaine, pour m'assurer qu'il pourrait continuer à marcher, et, si court que fût l'examen de la blessure, je pus assister à une petite scène que je veux raconter, malgré son peu d'importance.

« Au pied de ce rayon, étaient assis les tambours du 2'' voltigeurs. Ce que je venais de voir m'expliquait assez que le colonel de Courson n'eut pas jugé leur présence nécessaire pour 6'y~. Le tambourmajor, me voyant descendre avec mon cheval couvert de sang, se leva, et s'adressant à ses hommes, les interpella PM CCS ~'MM.'

« Dites donc, vous autres? Est-ce que nous allons rester là comme des c.? Il ne manque pas de fusils et de cartouchières qui ~'a~c/ ramassons-les, et rejoignons les camarades.

« II n'y eut pas d'hésitation, et en un clin d'œil le peloton gravissait les pentes, à l'a~c du régiment. « Voilà ce qu'étaient les soldats de l'armée d'Italie Il est facile d'en conclure ce qu'étaient leurs officiers.

« Après m'être assuré que mon cheval n'avait aucune fracture, je repris le chemin qui me ramenait auprès de l'Empereur, et mon poste, après avoir changé de cheval. Au point que nous occupions, on pouvait suivre facilement l'attaque aux débuts de laquelle je venais d'assister. »

Le succès n'était plus douteux.

Tous les corps que l'Empereur avait sous la main


avaient été engagés avec à-propos, les uns en totalité, les autres partiellement, et les attaques des i~ et 2*= corps, bien combinées et bien reliées entre elles, fortement et puissamment appuyées par la garde impériale, devaient ctrc irrésistibles, malgré la bravoure et la ténacité avec lesquelles les Autrichiens avaient défendu leurs fortes positions.

De cette bravoure je veux donner, moi aussi, un exemple particulier, parce que, si c'est un devoir pour le narrateur militaire de mettre en relief les brillantes qualités de notre armée dans l'oSensiv~ c'en est un aussi de rendre hommage a la valeur ennemie dont elle a fini par triompher.

En avant et au sud de la tour de Solferino, en face, par conséquent, de la brigade Mancque, le terrain formait une sorte de saillant, dont la crète très élevée était occupée par un régiment autrichien. Les voltigeurs et les chasseurs à pied de la garde, déju. assez rapprochés, faisaient converger tous leurs feux sur ce promontoire auquel le régiment ennemi se cramponnait. Criblé de balles, il céda pied et se retira rapidement en arrière des crûtes. Mais elles ne restèrent pas longtemps dégarnies, et quelques secondes âpres, un officier, le colonel probablement, revenant en courant et portant un drapeau sur la crête abandonnée, l'y planta et le soutint fièrement de la main gauche pendant que, de sa main droite, élevant son cpée, il rappelait a lui ses soldats débandés.

Presque immédiatement aussi ces derniers vinrent reprendre leur poste de combat et rouvrirent leur feu


mais la position était devenue intenable, et une seconde fois ils l'abandonnèrent.

Une seconde fois encore le drapeau reparut et fut planté à la même place par la même main, mais il disparut presque aussitôt en même temps que l'intrépide officier qui le portait. Le glorieux signe de ralliement était tombé au pouvoir des chasseurs a pied de la garde. J'ai pu suivre avec admiration cet émouvant et suprême effort des défenseurs de S'ifcrino.


Fausse position du marcchal Canrobert. Attaques insuffisantes. Le c~néra! Nie!. Un révolutionnaire r"utinier. Pro:rrcssioti. mgt:')!Ction. Fusées de guerre. Retraite. ./<w~<' /t')'w~<'< Modérati-'n, lassitude. .<</(//<) c~'a 7~<ï//< B:t~me de surprise. Hpouvant:ul chimérique. Les ~nér:mx Rochef'Tt et Luzy-Pélissac. Marche en avant.

Un ora-r'

L'Empereur avait envoyé des ordres particuliers au maréchal Canrobert, des le début de la bataille. L'Empereur avait été prévenu, en effet, qu'une puissante et dangereuse diversion devait être tentée par l'ennemi, dans le courant de la journée, et qu'un corps d'armée autrichien enfermé dans Mantoue devait en déboucher pour prononcer une violente attaque sur notre aile droite.

Ceux qui ne connaissaient pas la teneur exacte des instructions envoyées au maréchal avaient pensé que, tout en lui prescrivant d'observer attentivement les routes de Mantoue à Marcaria, –Guidizxolo et Rebecco, elles lui- laissaient la latitude, en manœuvrant sur


notre aile droite, d'entrer en ligne avec ses trois divisions quand il le jugerait opportun. Mais ils s'étaient trompés, et les prescriptions trop précises, /<~ a~/w~ de l'Empereur, paralyseront longtemps l'initiative d'un des pins habiles tacticiens de notre armée, passivement obéissant aux ordres qu'il avait reçus et ne les enfreignant que pour prêter assistance au général Niel.

Bien des critiques se sont élevées, les unes entachées d'injustice, les autres inconsidérées, sur la part prise par le 3" corps u. la bataille. Je crois devoir m'abstenir de les réfuter, suivant l'exemple de ce glorieux soldat.

Ces critiques d'ailleurs ne tiennent pas debout, et, pour les mettre à néant, il suffit de lire attentivement le rapport du maréchal, plus attentivement encore celui du général Niel; ce dernier document est en contradiction fréquente avec les ~c~/s !«.r que, le lendemain, tous les officiers à la table de l'Empereur ont pu entendre le général donner à Sa Majesté pendant le déjeuner.

Le maréchal Canrobert a opéré avec une irréprochable correction, et j'ajoute avec une généreuse abnégation et un sentiment inébranlable d'obéissance et de discipline.

De tous les points élevés que l'Empereur avait occupés depuis le début de la journée, on avait toujours pu découvrir une grande partie de l'immense champ de bataille qui s'étendait dans la plaine de Médole, et suivre attentivement les différentes phases


de la lutte acharnée qui y était engagée depuis le matin.

Nous avions gagne tellement de terrain à l'aile gauche, que ce qui frappait le plus dans l'aspect de la plaine, c'était l'immobilité du 4'' corps, le plus rapproche de nous; il semblait que de ce côté les rôles des deux armées étaient intervertis, et que la nôtre s'était tenue systématiquement sur la défensive. Cette appréciation n'était pas exacte.

Toutes les attaques partielles, trop /M~c//M TMcMp, du général ~iel avaient été dirigées vers sa droite, presque invisible pour l'Empereur, sur Guidizzolo, sur les hameaux qui l'environnaient, et sur cette ferme de~asanuova si longtemps disputée. La plupart de ces positions, fortement occupées par l'ennemi, avaient été prises, perdues et reprises plusieurs fois pendant la journée, et ne furent définitivement conquises qu'à la suite d'une attaque sérieuse, irrésistible, savamment préparée et brillamment dirigée par le général Trochu a la tète d'une brigade du 3~ corps.

J'ai pu recueillir, auprès d'officiers que je tiens pour très bons juges, quelques renseignements que je crois absolument dignes de foi, et, sauf quelques nuances, ils peuvent se résumer en ces quelques mots. « Le général Niel a envoyé ses troupes~' ~'op petits paquets. Toutes ses attaques ont toujours été insuffisantes. »

Cette critique, confirmée d'ailleurs par un générai dont l'opinion et le jugement ont une grande autorité,


s'adressant à un soldat que j'ai eu l'honneur de connaître très particulièrement en Crimée, et que j'ai pu apprécier, je vais essayer d'en donner une explication que je crois plausible.

Le général Niel, que le siège de Rome avait commencé a mettre en évidence, et que le siège de Sébast opol, cinq ans après, porta à la tctc de son arme, était un ofHcicrdu génie consommé. Inielligcnt.studieux et instruit, d'un jugement droit, quand il <f<eil appliquait avec une rare sagacité, dans la direction des travaux d'un siège, la science de Vauban, dont il connaissait tous les secrets et les moindres détails.

Plus tard, comme ministre de la guerre, il devait se montrer un organisateur éminent et donner la preuve de sa clairvoyance et de sa prévoyance militaires. La lutte patriotique qu'il engagea, et dans laquelle il succomba, lui fait le plus grand honneur. Malheureusement, tous ses efforts pour révolutionner et développer en même temps notre "rganisation militaire insuffisante, devaient se briser contre une coalition criminelle aveuglée par la passion politique jusqu'à compromettre le salut de la patrie.

A la tête de cette coalition s'était placé, il faut le dire en passant et a sa honte, un homme que l'Empereur avait qualiCé d' « historien militaire illustre et national M, que ses études et les travaux militaires de toute sa vie avaient mis en contact presque permanent avec l'armée française, seul juge compétent dans une question de cette gravité au milieu d'avocats et de


rhéteurs ignorants, et c'est sur lui que doit retomber la pins grande part de responsabilité de nos désastres de t870.

« M. Thicrs n'a jamais été qu'un révolutionnaire routinier, disait un jour M. Rouher. » J'ajoute qu'il n'a jamais été non plus qu'un routinier militaire, et son attitude, depuis t870, en fait foi. A toutes les brillantes qualités que je viens d'énumérer, le général Niel joignait-il celles qui ne s'acquièrent que par une pratique progressive et continue du commandement des troupes, et qui exigent un séjour presque ininterrompu dans les rangs de l'armée? Non. le général Niel avait beaucoup lu et étudie doué d'un esprit très fin et d'une grande mémoire, il avait beaucoup retenu, et son érudition militaire était plus que suffisante pourqu'il fût souvent intéressant de l'écouter; mais dans la conduite et le commandement d'un corps d'armée en rase campagne, l'habitude des grandes manœuvres, la sûreté du coup d'œit, la précision des mouvements d'ensemble, l'appréciation exacte de leur opportunité etde leur importance devaient fatalement faire défaut. et une telle lacune chez un général de cette trempe et de cette valeur venait confirmer ce vieux principe d'instruction militaire que j'ai si souvent entendu répéter dans ma jeunesse

« Pas de progression, pas d'instruction. »

Là est, je crois. la véritable explication de l'insuffisance du décousu et des insuccès des attaques du 4'' corps contre les positions de l'ennemi, dans le cours de la bataille.


La journée avançait.et quoique Farmée autrichienne luttât encore énergiquement en face des 3~ et f corps, le succès de nos armes n'était plus douteux. A ce moment encore, un violent combat d'artillerie était engagé entre 7 batteries françaises ~2 pièces et l'artillerie ennemie, bien inférieure en portée et en précision.

Les batteries du corps et celles de la garde envoyaient en même temps leurs obus jusque dans les réserves au trichiennes.

Partout, notre légère artillerie de 4 rayé écrasait de sa supériorité celle de l'ennemi, et le général Lebœuf, qui dirigeait ses débuts, tenait fidèlement la promesse faite à l'Empereur devant les officiers de sa maison, de les rendre éclatants. Il ~7 ;)<«< Vers la fin de la journée aussi, l'artillerie autrichienne dirigea un instant un feu nourri de /<~eM de yMO'~ sur les villages occupés par les 3" et -i*' corps; mais nous étions fixés, je crois l'avoir déjà dit, sur son efficacité, et cette dernière tentative ne pouvait que nous rappeler un couplet de la chanson comique d'un de nos camarades, sur les mêmes fusées de guerre Pour les tirer, c'est malheureux,

Le tir en est f"rt dangereux.

Vous pointez vos fusées de guerre

Sens dessus dessous, sens devant derrière,

Mais elles !'e<?~e/ .M)' !*0!M

Sens devant derrière, sens dessus dessous.

La retraite de l'ennemi était déjà imminente, lorsqu'un violent orage, précédé d'un ouragan qui soule-


vait d'épais tourbillons de poussière dans la plaine et bientôt suivi d'une pluie torrentielle, sembla en donner le signal.

La canonnade cessa presque instantanément, et lorsque l'obscurité fit place aux dernières lueurs du soleil couchant, nous pûmes voir toutes les colonnes ennemies se retirant ~<~ <c et se dirigeant vers les ponts du Mincio.

Le passage du pont devait être, comme il l'est forcément dans toute situation semblable pour une armée qui est encore à portée d'un ennemi victorieux, le point dangereux de la retraite, et le terme de sa régularité. Nous sûmes en effet le lendemain qu'un désordre effroyable s'y était produit.

Une seule division de cette armée qui avait si énergiquement et si vaillamment combattu pendant une journée entière, resta comme une citadelle au milieu de la plaine, recevant encore les dernières salves de l'artillerie de la garde, et prête à recevoir aussi le choc de notre cavalerie, en cas de poursuite immédiate. Elle ne rejoignit l'armée que dans la nuit.

Chargée par notre cavalerie, elle eùt été fatalement détruite.

Mais l'Empereur était résolu à limiter à la possession du champ de bataille le succès d'ailleurs suffisamment éclatant et décisif de son armée, et lorsque plusieurs généraux sollicitaient les ordres de poursuite, il répondit sur un ton qui ne laissait aucun doute sur la fermeté de sa détermination

.Yo~ /ayo~ est ~e.


L'immobilité de l'armée française après la bataille de Solferino a été généralement jugée avec sévérité. Elle a soulevé les critiques les plus absurdes et les commentaires les plus erronés, comme tous les faits restés inexpliqués. Qu'il me soit permis, en terminant le récit de la bataille de Solferino, de dire à quelle haute influence, à quels sages et affectueux conseils l'Empereur Napoléon III a peut-être obéi, en limitant une incontestable victoire à la possession complète du champ de bataille.

Si, d'ailleurs, parmi les <<o/Y.t~</e/M<<~ ~o~yMe ~!<a~ qui l'ont arrêté, il y a eu place pour un sentiment de modération et de générosité envers un souverain malheureux et une brave armée, que les souvenirs d'EssIing et de Wagram nous avaient appris à respecter, qui oserait le blâmer?

La guerre a ses terribles nécessités, elle a aussi ses nuances et ses traditions, et en outre elle rciléte toujours exactement le caractère et les mœurs des nations, dont les armées sont la plus pure émanation. Enfin, er~ prenant la résolution de n'imposer à l'Autriche qu'une paix honorable pour ses armes. l'Empereur s'était sans doute rappelé que, en même temps qu'il donnait l'ordre de poursuivre l'armée autrichienne après la victoire de Wagram,–parce que les conditions de la guerre l'exigeaient, Napoléon I" faisait porter à l'archiduc Charles, son illustre chef, la croix de c~a~' ~3 la Légion ~o~Mc~

Or, l'armée autrichienne de iS59 s'était montrée digne fille de celle de \Vagram. Puis le but de Napc-

i5


léon III en entreprenant la guerre d'Italie n'avait pas été de chercher une gloire personnelle au détriment de l'Autriche. Après la journée deSolicrino, il pensait que le but qu'il s'était véritablement proposé était atteint. Rien ne vint donc trahir sur son visage, a la fin de la journée, la détente qui doit succéder aux poignantes émotions d'une bataille longue et meurtrière, encore moins la joie d'un général qui vient de remporter une éclatante victoire sur une vaillante armée qui la lui avait longtemps et bravement disputée.

Une expression de tristesse et de lassitude morale au contraire se dessinait plutôt sur cette impassible physionomie, et son entourage se l'expliquait par l'impression douloureuse que l'Empereur avait éprouvée pendant dix heures passées au milieu des blessés des deux armées, dont il entendait les gémissements et les plaintes.

La liberté de l'Italie coûtait cher

Napoléon avait subi, le jour même de la lutte, le sentiment de pitié et de douloureux regret que Napoléon 1~ ajournait toujours au lendemain, alors qu'il parcourait le champ de bataille pour veiller à l'enit'vement des blessés, pour leur adresser des paroles de consolation et d'encouragement, quelquefois même pour leur distribuer des récompenses.

Afiaire d'habitude de la guerre et du commandement des armées.

La nuit tombait lorsque l'Empereur quitta sa dernière position pour se diriger vers Cavriana. La maison


grande et spacieuse, précédée d'une vaste cour, qu'il alla occuper, était celle où l'empereur François-Joseph avait établi la veille son quartier général.

L'Empereur s'arrêta dans une salle et s'assit à une grande table recouverte d'un tapis vert, sur laquelle il appuya son front, paraissant succomber à la fatigue physique. Son entourage était immobile et silencieux autour de lui.

Ce silence, qui dura environ dix minutes, ne fut troublé que par la voix d'un valet de pied, qui vint annoncer que le diner était servi; les officiers de la maison trouvèrent cette voix d'autant plus harmonieuse. qu'ils allaient prendre leur premier repas de la journée. Vrai repas de jour de bataille d'ailleurs, où l'art culinaire n'avait rien a voir. On n'y fit pas moins grand honneur, ce qui semble indiquer que, quand le cerveau demande le repos, l'estomac n'en réclame pas moins ses droits à l'existence.

Pendant toute sa durée, on entendait le canon de l'armée sarde encore aux prises avec le corps de Benedeck sur le champ de bataille de San Martino, qui ne cessa son feu que vers 10 heures du soir. En gagnant ses appartements, l'Empereur passa devant une chambre assignée à l'un de ses officiers. Celui qui l'avait occupée la veille y avait écrit son nom à la craie, ainsi que ces trois mots Addio ca?'a /<ï. Triste attestation d'un officier autrichien qui n'avait plus un doute sur l'issue de la guerre.

Voici maintenant quelques éclaircissements sur ce


qui s'était passé entre le maréchal Canrobert et le général Niel et sur les mouvements d'une des brigades du générât Trochu mise à la disposition de ce dernier. Le 23 juin, la 2~ division, la division Trochu recevait l'ordre suivant de l'autorité supérieure « II paraît acquis que l'ennemi est au loin, de l'autre côté du Mincio.Demain 2~ juin,la 2~ division descendra le long de la rive droite de la Chiesc, passera la rivière sur un pont de bateaux jeté par les Italiens, et se dirigera sur Médoïc où elle s'établira et se réparera. »

Cheminant le long de la Chiese, le général Trochu entend tout à coup le canon de l'autre côté de l'eau. Un officier du commandant en chef lui dit « que c'est un tir d'instruction des pièces de 4 ').

Mais les coups se succèdent sans répit, c'est évidemment une ~<~er/esMr/Me comme à Magenta. Trochu court à Médole, où il trouve l'ordre de faire face, avec tout le 3C corps, a K)000 Autrichiens sortis à l'aube deMantoue. Sa ligne de bataille établie, il monte au clocher et voit Mantoue.

M'~ a ~~S M~ ~LM~C/«e?ï 6~ vaste plaine qui l'en sépare, il voit nettement que sa division et tout le 3" corps vont être immobilisés pendant la bataille devant cet épouvantail chimérique.

Dans cette étrange campagne, le grand quartier général a invariablement cru l'ennemi au loin quand il était a deux pas, et à deux pas quand il était au loin. Le chef de bataillon du génie Parmentier, aide de camp du général Niel, arrive au galop. Le 4" corps


d'armée, écrasé par des forces supérieures, ne peut plus tenir.

Le général Niel a demandé assistance au maréchal Canrobert, qui n'y inclinait pas.

Enfin, il a concédé une des deux brigades du général Trochu. Le commandant Parmentier vient la chercher et la conduire au point décisif.

Trochu en prend le commandement et laisse son brave brigadier Collineau, le héros de Malakoff, le futur héros de Takou, dont ce fut du reste la fortune pendant toute cette guerre -en face de la chimère de Mantoue. Marche rapide par une chaleur suffocante. Le général Trochu arrive sur le terrain de la lutte avec une troupe dont le bon ordre contraste avec les scènes d'indescriptible désordre dont elle est témoin.

Dans un pli de terrain il se rencontre nez u. nez avec le général de Rochefort, l'ancien directeur de l'école de Saumur qui commandait une brigade de cavalerie composée des 2** et 10'' régiments de chasseurs à cheval. Ses hommes étaient couchés dans les blés à côté de leurs chevaux, la bride au bras.

Qu'attendez-vous donc ici ? dit le général Trochu au général de Rochefort.

J'attends des ordres.

Joignez-vous a. moi, je rejoins le général Niel si ma brigade doit jouer un certain rôle dans cette dure journée, pensez de quel poids peut être l'adjonction de toute une brigade de cavalerie arrivant inopinément sur le terrain avec mes fantassins.


Mais le général de Rochefort ne croit pas devoir agir sans ordres de ses chefs.

Plus loin Trochu rencontre le général marquis de Luxy-Pélissac, tout seul, seul comme l'Empereur au pont du Tessin. Celui-là n'était pas un novice comme le général de Rochefort dont c'était la première campagne, il Cgurait au musée de Versailles ameuté du duc d'Orléans dont il avait été l'aide de camp; mais c'était lui qui venait de soutenir le premier choc des Autrichiens qui lui avaient mis i 95~ hommes hors de combat, de sorte que non seulement il était très ému, mais il avait encore perdu tout empire sur lui-même

Pourquoi êtes-vous tout seul? lui demanda le général Trochu.

Ah mon cher ami, lui répondit-il, j'ai perdu toute ma division.

Et vos officiers, où sont-ils?

Tous morts.

Et votre division?

Détruite.

Voyons, mon général, une division ne disparaît pas comme cela?

Si, tous perdus! bien perdus

Eh bien mon général, venez avec moi, je suis en marche pour rejoindre Niel. Je suis convaincu que nous allons retrouver votre division; elle peut être décimée, mais tous vos hommes ne sont pas morts.

Rien ne put décider le malheureux général à sortir de ce sombre désespoir des pleurs sillonnaient son


visage. Il n'y avait plus rien à en tirer. C'était un organisme détraqué.

Le général Xiel calme sous une canonnade très rive invite le général Trochu à pousser en avant avec Guidizzolo pour objectif.

En dix minutes l'invariable ordre de bataille échelonné est formé, l'artillerie est placée entre lui et la ligne des tirailleurs. La division est noyée dans une plaine immense de hautes vignes. On ne voit ni l'ennemi, qui est très près, ni l'ensemble de la troupe. Mais elle marche avec fermeté, comme une troupe organisée qui pousse devant elle des groupes désorganisés par neuf ou dix heures de lutte. Le jour est très avancé. C'est la reproduction du combat de Ponte Yccchio di Magenta mais en leur cédant le terrain, les Autrichiens couvrent de feu les Français, et leur général fait d'assez grosses pertes. triples de celles de Ponte Vecchio.

Le colonel Broutta, du 43' est mortellement blessé mais l'ennemi laisse sur un petit tertre 3 pièces et leurs caissons, sans attelages.

On ne distingue plus depuis longtemps entre les coups de canon et les coups de tonnerre. Une trombe d'eau chassée par le vent inonde tous les yeux, les aveugle, les fusils ne se chargent plus et ne tirent plus. Deux pièces franchissant une ravine retombent au fond, hommes, chevaux et matériel. C'est un désordre extraordinaire qui dure jusqu'à la nuit. La lutte a cessé sur toute l'étendue du champ d'~ bataille.


A 11 heures du soir, rapport des généraux autour du général ~iel. Celui-ci demande alors au général Trochu si, au jour, il sera en état de combattre? Ce dernier répond très affirmativement, ajoutant que, si on lui rend sa brigade retenue à Médole, il attaquera à fond.

Mais, au point du jour, il n'y avait pas un Autrichien en vue.

C'est alors que la Victoire emboucha sa trompette.


CHAPITRE XIX

Une panique. Mort du général Auger. tourelle panique. L'épopée de la poussière. A Saint-Cloud. Le maréchal Kiel. ?'<' DcwM. Aux Champs-Elysées. Négociations. Cavriana. Le général Niel chez l'Empereur. A Goito. La raison d'hkat.{<?~:?~6~ Fâcheux conflit. Généralement les récits de guerre se taisent sur les paniques, ou du moins sur certaines paniques, c'està-dire que chacun cache soigneusement les siennes et ne raconte que celles de l'ennemi. De même qu'il n'y a pas d'homme de guerre qui n'ait ses moments de défaillance, il n'y a pas d'armée, si brave et si bien dressée qu'elle soit, qui à un moment donné ne soit sujette à la panique. Dans une déroute on peut dire que c'est l'état normal du vaincu; mais, après une victoire, une panique est plus rare chez le vainqueur et ne peut provenir que d'ordres absurdes.

La bataille de Solferino a été suivie dans l'armée française de deux cas de panique on ne peut plus étranges, qui dénotent combien peu les Français se croyaient certains de la victoire.


La brigade de cavalerie Partouneaux avait été envoyée tout entière en reconnaissance dans un bois. Pour ceux qui connaissent l'emploi de la cavalerie, cet ordre était une monstruosité, car dans la cavalerie il y a deux éléments de panique le cheval et le cavalier.

Naturellement le cheval n'aime pas les bois, parce qu'il sait, sans avoir étudié l'art militaire, que tous ses moyens y sont paralysés; dans les pâturages où il a passé sa jeunesse, il se rappelle que le loup s'y embusque pour l'attaquer a l'improviste; aussi, en liberté, n'en approche-t-il point.

Le cavalier partage à cet égard les opinions de sa monture, et redoute tout spécialement les tirailleurs embusqués dans les arbres, qui le canardent sans qu'il puisse répondre. On doit donc éviter d'envoyer des cavaliers en reconnaissance dans les bois, surtout en nombre, car en cette occasion le nombre n'est qu'une cause de désordre de plus.

A la sortie du bois le 1~ escadron aperçoit quelques fuyards autrichiens qui n'avaient pas eu encore le temps de franchir le fleuvc. II s'imagine que l'ennemi est en force, et tourne le dos au pas. Sans savoir pourquoi, le 2~ escadron exécute le même mouvement au trot, le 3~ 1'accélère encore et part au galop; alors pour le ~c'est une débandade générale précédée par les ofSciers, parce que leurs chevaux sont meilleurs. Ce troupeau humain passe comme un ouragan, sans heureusement l'émouvoir, devant la division Trochu qui, désignée pour le siège de Peschiera, a tourné à


gauche, s'élevant vers les hauteurs, en longeant les fronts de bandière de l'armée, et en est a sa première halte, dans la plaine. Il sème l'épouvante et le désordre sur tout son passage.

Une panique de 2 000 chevaux

Le mouvement est donné et se propage de proche en proche. La trombe de cavaliers, dans un désordre indescriptible, balaie tout sur son chemin, porte le trouble, la terreur sur les derrières de l'armée où se passent des scènes que je ne veux pas redire ici, et l'efret s'en produit non seulement jusqu'à Brescia, où les habitants eQ'rayes retirent de leurs fenêtres les drapeaux français, croyant à un désastre, et les remplacent de nouveau par la bannière des Habsbourg mais encore jusqu'à Milan. Les chevaux essoufflés s'arrêtent enfin d'eux-mêmes.

Ce que je ne puis toutefois passer sous silence, c'est que l'artillerie avait coupé ses traits et abandonné ses canons! et les gens du pays, qui avaient été réquisitionnés avec leurs Toitures pour le transport des blessés, se sauvèrent au triple galop en jetant les blessés sur les routes.

Un grand nombre de malheureux périrent dans la chute, et ce fut ainsi que succomba le jeune général d'artillerie Auger, qui avait pris une part décisive à la victoire de la veille.

Il avait été amputé d'un bras, mais l'opération avait réussi et il y avait espoir de le sauver. Il mourut dans un des fossés de la route.

Le général Trochu, dont la division avait miraculeu-


sement échappe à la contagion, dont l'infanterie, ferme à son poste, n'avait même pas rompu les faisceaux, fit, séance tenante, un rapport pour réclamer le châtiment, par la voie de l'ordre général, d'un égarement militaire qui, en plein soleil et au lendemain d'une bataille gagnée, était sans exemple et plein de périls pour l'avenir de la campagne mais ses vues ne furent pas prises en considération. Ordre était donné de se taire, et le public n'eut aucune connaissance de cette humiliante défaillance.

Signalons en passant l'insuffisance, pour ne pas dire la barbarie du service des blessés, à une époque si rapprochée pourtant de la nôtre. Si la C/'OM' n)K~e avait existé à cette époque, le général Auger n'aurait pas été précipite sur la route,et nous ne citons que la plus illustre des victimes de la panique de Brescia. C'est cependant à l'initiative privée qu'on doit l'organisation du service actuel des ambulances.

II nous reste à conter une autre panique encore moins connue que la précédente, qui aurait rappelé celle d'AusterIitx, si le même général Trochu, dont je viens de parler, n'avait pas pris les mesures les plus énergiques pour en prévenir les désastreuses conséquences.

En effet, en plein jour, une débandade comme celle de la division Partouneaux ne peut avoir aucune conséquence militaire immédiate, surtout pour une armée victorieuse ou à peu près; mais il n'en est pas de même la nuit. En ce cas il arrive presque toujours que les fuyards sont pris pour des ennemis et reçus


à coups de fusil c'est ce qui arriva Austerlitz. Après avoir installé son bivouac, le général Trochu fut prévenu par un officier d'ordonnance que deux régiments de cavalerie devaient passer la nuit sur le front de ses troupes pour aller en reconnaissance. –Comment Is'écria-t-il,apreslapaniquc de ce matin, il vous en faut encore une autre de nuit? Est-ce le moment de faire faire des reconnaissances par de la cavalerie, et, qui pis est, par des régiments entiers? Mais c'est une folie' Ne savez-vous pas ce que c'est que la cavalerie la nuit? Les chevaux ne cessent pas d'être inquiets, les cavaliers ne sont pas sùrs d'eux-mêmes. Il suffit d'un pistolet qui tombe et qui part pour tout mettre en déroute.

C'est possible, mon général, répondit l'ofncicr, mais je n'y puis rien, je suis tout simplement chargé de vous prévenir.

Peu après, les deux régiments de cavalerie passaient, allant occuper la position qui leur avait etc désignée. Le général rentra dans sa tente et, sur sa cantine, rédigea immédiatement l'ordre du jour suivant « Soldats,

« Cette nuit on entendra probablement des coups de feu, des cris. des appels puis vous verrez passer une cavalerie affolée. Quoi qu'il arrive, je donne l'ordre exprès que les faisceaux ne soient point rompus, que, sous quelque prétexte que ce soit, les hommes ne prennent pas les armes, et je rends les capitaines personnellement responsables de l'exécution stricte du présent ordre du jour. »


Cet ordre fut immédiatement répandu et lu parmi les troupes. Officiers et soldats se demandaient quelle mouche avait pu piquer leur général.

A heures du matin, les hommes qui dormaient furent éveillés par un vacarme et des clameurs effroyables. Une avalanche désordonnée d'hommes et de chevaux se rua sur le campement au cri de Ils MOM s<M'~ Ils culbutèrent la tente du général, la plupart de celles des officiers, renversèrent hommes et faisceaux, et finalement se perdirent dans les tcnèbres de la nuit comme un cauchemar.

La brigade Partouneaux s'était brillamment conduite la veille, avec la division Desvaux, et avait chargé avec intrépidité la belle cavalerie hongroise. Hussards et chasseurs d'Afrique s'y étaient distingués à l'envi. Ce n'étaient pas non plus des novices que les fantassins du général Trochu, qui venaient d'avoir la gloire de terminer deux batailles, et cependant ils se ruèrent sur leurs faisceaux, nerveux et tremblants, et il fallut tout le respect de la discipline, toute la confiance qu'ils avaient dans un général ayant fait ses preuves sur tant de champs de bataille, pour ne pas sauter sur leurs armes et tirer au hasard.

Que serait-il arrivé s'ils avaient tiré? II en serait résulté dans la nuit une boucherie générale entre Français, que les Autrichiens auraient pu compléter s'ils n'avaient pas été eux-mêmes a ï lieues de là. Il est vrai que la paix était faite; mais qui le savait? L'Empereur seul.

Ainsi se termina pour le général Trochu cette cam-


pagne sanglante, dont la brièveté annonçait celle de Sadowa.

Quoique courte, elle fut excessivement pénible à cause de la chaleur, et surtout de la poussière que soulevaient les troupes en marche. Cette poussière formait des nuages opaques qui se distinguaient à des distances prodigieuses, et d'âpres la dimension de ces nuages on se rendait un compte très exact du nombre d'hommes qui les produisait. Aussi le général nommait-il la campagne d'Italie /~)o/)ce f/e ~e. Que se passait-il en France, à la Cour, pendant les événements que nous venons de raconter? Le voici Lorsque l'armée française était arrivée surlaChiese et n'avait pas trouvé l'ennemi en face d'elle par les hauteurs de Montechiaro, qui offrent un véritable champ de bataille à conquérir avant le passage du Mincio, considéré comme limite extrême de la Lombardie, l'Empereur avait télégraphié à l'Impératrice que la bataille désirée était certainement retardée, qu'il allait continuer sa marche et qu'il ne rencontrerait plus l'ennemi qu'au delà duMincio, probablement sur les positions de Casteinovo, en avant de Yalcggio, dans le Quadrilatère même.

La journée du 22 se passa à Saint-Cloud dans une attente fébrile; l'Impératrice, très énervée, ne recevait pas de dépêche après cette dernière si incertaine; elle ressentait une agitation de tous les instants. Pas de dépêche dans la nuit du 22 au 2~.

Pas de dépêche le 23.


Pas de dépêche le '24.

Ce jour-là, à minuit, on se sépara.

L'Impératrice avait les yeux brillants de fièvre; elle ne pouvait rester en place, et répétait a chaque instant

Soyez sûrs qu'il se passe de gros événements làbas. Quels sont-ils?. Que faut-il en augurer? A 3 heures du matin, le ~5 juin, l'Impératrice reçut enfin la dépêche de l'Empereur datée de Cavriana, qui lui annonçait le succès de Solferino.

Sa joie, l'éclat de ses transports remplirent le palais de clameurs d'ivresse.

Il faut se rappeler cette phrase qu'elle répéta Quelle joie pour le pays! pour l'Empereur! Vous savez que j'aimerais mieux le savoir mort qu'amoindri

Hélas

Des heures du matin, le lieutenan t-colonel Schmitz partit pour Paris, alla directement chez le ministre de l'intérieur, le duc de Padoue, qui devait faire afficher les dépêches

Chez le roi Jérôme

Chez le prince Murât

Chez la princesse Mathilde.

Les détails sur la bataille arrivèrent promptement. L'Empereur avait déjà dit, dans sa deuxième dépê-

che, que le général Niel s'était couvert de gloire en livrant bataille toute la journée dans la plaine de ~fe~o~, et qu'il le faisait maréchal de France. L'Impératrice accueillit cette nouvelle avec froi-


deur elle n'aimait pas beaucoup Niel. qui ne recherchait jamais que les conversations de l'Empereur, sans se préoccuper des impressions de l'Impératrice. Mais, dites-moi donc, s'adressant a un interlocuteur, comment expliquez-vous l'engouement de l'Empereur pour Ni cl?

Madame, c'est bien simple; le général Niel est un esprit distingue il parle de toutes choses avec facilité, compétence: c'est une encyclopédie vivante; de plus, il est fort solidement instruit; l'Empereur n'ayant autour de lui que des hommes dont la capacité est contestée et constatée, ne s'adresse plus eux quand il a besoin de renseignements, Niel les lui donne toujours sans hésiter.

Merci pour les autres du portrait que vous faites d'eux riposta l'Impératrice.

Paris était à la joie. Par cette belle saison de juin, le soleil éclairait aussi bien le paysage que les visages. On convint d'un Te /~?M à célébrer a Notre-Dame. L'Empereur avait recommandé à l'Impératrice de ne pas placer le Prince impérial dans sa voiture; prétextant qu'il ne fallait pas tout risquer en cas d'accident. L'Impératrice ne tint pas compte de cet ordre, et arriva à Notre-Dame ayant son enfanta côté d'elle. Elle était coiffée d'un chapeau ravissant de paille d'Italie, et les rubans tricolores, OM~ ~/c~w€$, encadraient le chapeau et le visage.

Effet merveilleux sur la foule, par ce jour de grand soleil. Fête complète. Mouvement immense dans Paris, jusqu'au milieu de la nuit.


L'Impératrice voulut s'y associer, sortant a pied des Tuileries, vers !0 heures du soir, avec le duc et la duchesse de Bassano, le colonel Schmitz et une dame du palais. On fit une promenade aux Champs-Elysées. Le duc de Bassano avait l'Impératrice à son bras. Elle ne fut pas reconnue.

A la suite de la bataille de Solferino, l'armée traversa le Mincio, et l'Empereur établit son quartier général à Valeggio. Nous voici en Vénétic, en plein Quadrilatère.

L'ennemi se retirait en arrière de Vérone et dans Vérone. On s'attendait à un retour ouensif. Des ordres furent donnés pour prendre un ordre de bataille sur les hauteurs de Castelnovo et de Custozza. On prit les armes le matin. A midi on rentrait. L'ennemi n'était pas devant l'armée.

A quelques jours de là, il vint un courrier autrichien de Vérone.

Le soir même, le général FIeury partait pour cette ville et était introduit en parlementaire auprès de l'empereur d'Autriche, qui lui parla de la paix à intervenir.

Les négociations préalables de cette paix boiteuse seront certainement racontées dans les mémoires du général Fleury.

Quoi qu'il en soit, en rentrant à Valeggio, il assurait à l'Empereur qu'il n'y avait plus qu'a la consacrer dans une entrevue entre lui et François-Joseph. Elle fut immédiatement décidée et réglée.


Mais avant de parler de la paix, suivons encore Napoléon III.

Le 25 juin, l'armée était restée sur les emplacements qu'elle avait occupés à la fin de la journée du 2~, et, en attendant les rapports des commandants de corps, l'Empereur avait préparé les ordres de mouvement de ceux qui devaient aller occuper les positions les plus rapprochées du Mincio, entre Peschiera et Mantoue. Pendant la journée, de nombreuses colonnes de prisonniers traversèrent Cavriana. L'Empereur ayant appris qu'une vingtaine d'officiers étaient réunis dans l'église, et qu'ils étaient dans le dénuement le plus complet, chargea le prince Murât et un de ses ofSciers d'ordonnance de leur remettre de l'argent et de leur faire porter du quartier impérial les vivres nécessaires.

Un certain nombre de ces officiers étaient assis dans les stalles du chœur, d'autres étaient étendus sur les dalles de l'église; tous paraissaient harassés de fatigue. Ils se levèrent à la vue des officiers français, et leur rendirent leur salut avec une politesse froide, triste et toute militaire mais lorsqu'ils apprirent que les visiteurs étaient envoyés par Napoléon III pour pourvoir à tous leurs besoins, les visages de ces jeunes officiers s'éclairèrent, et la glace fut rompue.

L'arrivée de plusieurs valets de pied à la livrée de l'Empereur, chargés de paniers remplis de provisions de toute espèce, acheva de les rassurer sur le but prémédité de la visite qui leur était faite, et qui n'avait rien d'une curiosité malséante.


Ces jeunes officiers autrichiens purent constater que dans l'~n~ec /)'fM~&e u~o?'~?~e les adversaires de la veille d'une bataille deviennent les camarades du lendemain. Tout près de l'église, sous un hangar, il y avait un petit attroupement de curieux. Sous ce hangar était étendu sur le dos un immense soldat croate, la tête appuyée sur son sac. Deux médecins français étaient occupés à le déshabiller, pour chercher une blessure qui n'existait pas. Son visage était violacé et ses dents tellement serrées qu'il était impossible de lui faire avaler quelques gouttes d'eau ou de cognac. Les yeux étaient hagards et la face complètement tuméfiée. Malgré tous les soins de nos braves médecins, toujours si dévoués, le pauvre diable mourut dans la soirée, et un des médecins admit comme possible qu'il était wor/ de ~'<w. N'avait-on pas dit, parmi les régiments autrichiens, que les turcos man~/Mf/~< ~Mr5 ~0~?! ?

Le '26 dans la matinée, le général Niel arriva au quartier impérial et fut reçu par l'Empereur qui le retint à déjeuner. Il était difficile de parler d'autre chose que de la grande bataille de l'avant-veille, et, pendant toute la durée du repas, le général Niel eut souvent la parole. Placé à la droite de l'Empereur, il lui raconta en grands détails la part prise par le corps aux événements du 2~, la glorieuse résistance aux efforts que l'armée autrichienne avait dirigés contre lui et fit ressortir brillamment et habilement à la fois l'inébranlable fermeté de ses généraux et de ses soldats.


Pendant qu'il parlait, il était intéressant d'observer attentivement la ûgure du maréchal Vaillant. Un sourire, dont la traduction n'était pas difficile, et un certain rictus des narines ne laissaient aucun doute sur son impression. Le général Niel était de la plus Haute Garonne, et son récit fait avec une éloquence séduisante et imagée avait malheureusement un cachet d'origine trop accentué. Plus malheureusement encore il se termina par des récriminations, qui finirent par prendre le caractère d'un véritable acte d'accusation contre le maréchal Canrobert, n qui il reprocha de ne lui avoir pas prêté toute l'assistance nécessaire et possible.

L'impression produite par les dernières paroles du général fut pénible, et le silence glacial qui les suivit avait une signification non douteuse de désapprobation.

Ce silence, que d'ailleurs la présence de l'Empereur imposait, ne fut rompu que par l'Empereur lui-même, qui,s'adressant au général Niel, lui dit tristement ces nobles parobles

–<<H <rM ~o~; j'aurais dû penser et prévoir qn'en donnant à Canrobert des ordres trop absolus et trop précis, il n'oserait pas les modifier pour obéir à ses propres inspirations.

Le général Niel s'était-il laissé aller à des appréciations peut-être erronées? Ce soupçon travcrsa-t-il l'esprit de l'Empereur? Toujours est-il qu'après son départ, Sa Majesté fit appeler le capitaine Brady, qui avait assisté pendant le déjeuner à la scène que je


viens de raconter, et que l'Empereur savait avoir été pendant cinq années dans l'intimité militaire de l'illustre maréchal; il lui donna l'ordre de se rendre à Goïto, que le corps avait dû occuper dans la matinée, de voir le maréchal Canrobert, et de lui rapporter des renseignements exacts sur les dispositions qu'il avait prises sur la rive droite du Mincio, et sur les emplacements occupés par ses troupes. Le capitaine devait en outre réclamer du maréchal ses états de propositions de récompenses.

Le maréchal avait établi son quartier général dans un château placé à hauteur des positions occupées par les divisions Renault et Bourbaki, et la division Trochu, placée en réserve, occupait Cerlungo et Cattapone. Le premier objet qui frappa les yeux de l'envoyé de l'Empereur, en entrant dans le vestibule, fut un grand tableau sur lequel était dessiné à la plume l'arbre généalogique de la famille Bonaparte. On pouvait supposer qu'il était accroché là de fraiche date et qu'il devait être moins en évidence quatre jours auparavant, lors du passage de l'empereur François-Joseph et de l'armée autrichienne.

Le maréchal Canrobert était en conférence avec son chef d'état-major. Le capitaine Brady dut causer quelques instants avec le propriétaire du château, qui lui donna des détails sur le passage du Mincio par l'armée autrichienne, dans la soirée et pendant la nuit du 24 au 5o.

Il s'est produit, lui dit-il, un grand encombrement aux abords des ponts, et un effroyable désordre en est


résulté. Les rangs furent rompus, tous les numéros des régiments étaient confondus. La voix des ofticiers n'était plus écoutée, et tous leurs efforts pour rétablir l'ordre restèrent impuissants. Quelques-uns pleuraient de rage; d'autres, prévoyant et redoutant un affreux désastre. brisaient leur épée.

Poursuivie par notre cavalerie et canonnée par notre artillerie, l'armée autrichienne, en effet, acculée à un obstacle infranchissable, aurait été perdue et toute résistance aurait été impossible.

Tel devait ctre le dénouement de la bataille de Solferino, et si l'armée autrichienne y a échappe, c'est ~MK~w~ parce que l'Empereur Napoléon III /)<M ro! Toute autre appréciation est invraisemblable. Tout le monde sait avec quelle netteté étaient rédigés les discours officiels que l'Empereur adressait aux grands corps de l'Etat. Celui qu'il prononça à sa rentrée à Saint-Cloud devait affirmer que la guerre de 185:) avait pu avoir pour but l'amoindrissement territorial de l'Autriche, mais non l'affaiblissement de sa puissance militaire et encore moins sa destruction temporaire.

Une seule phrase de ce discours: «Croyez-vous qu'il ne m'en a pas coûté d'arrêter des soldats enivrés par la victoire. etc. » prouve que l'immobilité de l'armée sur le champ de bataille de Solferino et les jours suivants, a été la conséquence d'une détermination politique, que ni les avis des généraux français ni l'ardeur du roi Victor-Emmanuel, ardeur plus intéressée que toute autre, ne purent ébranler.


Le lendemain de la bataille de Magenta, la Diète germanique se réunit à Francfort. Elle y déclara que la Yënétie, appartenant à la Confédération, se trouvant menacée, elle allait appeler sous les armes la landwehr, en attendant la mobilisation du landsturm.

La nouvelle en arriva à notre ministre des affaires étrangères, M. Drouyn de Lhuys. Celui-ci s'empressa d'en donner avis à l'Empereur, en lui conseillant de faire immédiatement occuper la rive gauche du Rhin par les cent mille hommes qu'à Nancy commandait le maréchal Pélissier, ce vainqueur de Malakoff qui, se mordant les poings dans l'Est, ne demandait qu'à marcher.

La dépêche portée parunjeune'attaché d'ambassade qui depuis a fait parler de lui, le baron de Billing, arriva au camp français le jour de la victoire de Solferino, qui termina la guerre.

Nous avions alors dépensé pour l'Italie 500 millions de francs et 50000 hommes. Tout s'arrêta là; l'Allemagne, qui eût été aplatie, fut sauvée, et l'Italie, qui nous léchait les bottes, vit le commencement de cette unification dont la France souffre aujourd'hui. L'Empereur après Solferino a considéré qu'il avait rempli ses engagements vis-à-vis de l'Italie, qu'il avait payé ses dettes de jeunesse, et sa résolution d'arrêter son armée victorieuse fut une amère déception pour le roi de Sardaigne, forcé d'ajourner des espérances dont il avait pu voir la réalisation immédiate dans les plis du drapeau français. Il dut se rappeler ce vieux dicton « L'occasion n'a qu'un cheveu. »


Sept ans plus tard, en effet, ce même dicton devait se pré~ntcr plus amèrement encore à son esprit, alors que les rôles et les situations étaient intervertis, et que l'armée italienne, battue par l'archiduc Albrecht à Custozza, était rejetée dans une effroyable déroute sur la rive droite du Mincio Le rapprochement de ces deux dates aurait pu être matière à réflexion pour son fils et pour son premier ministre, si dans leur politique il y avait eu place pour ce seul mot, qui a été à la fois la devise chevaleresque et le dernier cri d'agonie de deux rois d'Angleterre T~wp~cr.

Mais le roi Humbert devait donner la préférence à un proverbe italien dont il a fait une maxime politique à son usage personnel T~~a/o ~cr/~Jo, gabbato il M~o (Le danger passé, on méprise le saint).

Dans ce cas particulier le saint s'appelle la France. Quant au proverbe, il pourra servir d'épigraphe à l'histoire du règne de Victor-Emmanuel. Je me hâte d'ajouter cependant qu'il n'a pas cours forcé dans <OM~ /'<o/~ de l'Italie unifiée, et que le peuple italien ne peut être rendu responsable de l'ingrate politique de son souverain.

Je reviens au récit de l'entrevue de l'officier d'ordonnance de l'Empereur et du maréchal Canrobert, dont je me suis trop écarté.

Introduit auprès de lui, le capitaine Brady écrivit sous sa dictée les renseignements que l'Empereur attendait, en relevant sur une carte toutes les positions qu'il occupait avec ses troupes. Puis le maréchal 16


parla de la bataille du 24, et raconta en détail la part qu'il y avait prise, les difficultés qui avaient résulté pour lui de l'obligation d'obéir aux ordres de l'Empereur, et de celle non moins impérieuse de porter secours au 4" corps, qui avait plusieurs fois plié sous les attaques réitérées de l'ennemi.

Le récit du maréchal était en tous points en contradiction avec celui du général Niel, aussi le capitaine n'hésita-t-il pas à informer son ancien chef de ce qui s'était passé au quartier impérial dans la matinée, le priant de venir à Cavriana et d'y établir les faits dans toute leur exactitude.

G est inutile, répondit le maréchal, tout ce que je viens de vous dire est consigné dans mon rapport, cela suffit.

En effet, le maréchal ne vit l'Empereur que deux jours plus tard, à son passage à Volta.

II était facile de se rendre compte que les paroles du capitaine avaient provoqué chez le maréchal une violente indignation; mais tout en redoutant les suites qu'elles pouvaient avoir, cet officier était convaincu qu'il venait de remplir un devoir et que l'Empereur avait voulu lui en faciliter l'accomplissement. Jusqu'à la fin de la campagne qui devait se terminer quelques jours plus tard, on n'entendit plus parler de ce fâcheux conflit, dont il ne faut pas hésiter à laisser toute la responsabilité au général Niel. Ce n'est qu'après le retour à Paris, qu'à la suite de commentaires et de bavardages imprudents, auxquels la presse eut le tort de prendre part, il reprit un caractère de


la dernière gravité, qui fit craindre un instant qu'il n~aboutît à une rencontre a l'épée entre les deux maréchaux de France!

Une pareille extrémité a pu heureusement être conjurée.


Le siège de Peschiera. Contre-ordre. Mécontentement. Le péucrat Fteury.–Le prince Napo~on.– L'' roi àMonzambano. Grande manœuvre. Un bâton de maréchal. Croyances physiologiques. Le général Trochu. Entrevue de ViMafranca.

L'Empereur quitta Cavriana le '7 ou le 28, et,

après s'être arrêté a Volta, vint établir son quartier général à Valeggio, dans la maison même où le général Bonaparte, pendant la campagne de\796, faillit être pris par un corps de cavalerie autrichienne. L'Empereur a systématiquement /< toutes ses guerres pour deux raisons la première, parce qu'il avait le périlleux fanatisme de croire à l'absolue supériorité de notre armée sur toutes les armées du monde; la seconde, parce que, résolu a faire la guerre malgré la solennelle promesse du début il entendait dissimuler sa résolution jusqu'à la dernière heure et paraître ne céder que par contrainte et force majeure à l'accomplissement d'un grand devoir d'intérêt public et de dignité nationale.


La guerre d'Italie, qui a été. entre toutes, !a caractéristique de cette politique, a, par son improvisation comme par l'étonnant décousu de son exécution, été la préface et l'avertissement, pour les clairvoyants, de nos désastres de 1870. Il n'entrait pas non plus dans la politique de l'Empereur de faire prévoir son intention de terminer la guerre après Solferino. Déterminé à faire la paix que l'attitude de l'Angleterre, de l'Allemagne surtout qui armait, rendait obligatoire, il laissa croire a son armée que la guerre allait naturellement continuer, et les dispositions furent prises en conséquence, quoique secrètement le général Fleury fùt chargé de négocier.

Des préparatifs d'une nature spéciale se poursuivaient donc, et un corps d'armée s'organisait, qui était destiné a mettre le siège devant Peschiera, et devait être placé sous les ordres du général Frossard. Des ordres avaient été envoyés pour presser l'arrivée du matériel de siège nécessaire. La place était du reste à peu près investie par deux divisions sardes. Le général Trochu fut désigné pour faire le siège de Peschiera. C'était un obsidional de Crimée; cette opération, dont il avait une grande expérience, lui allait mais à peine s'était-il mis en marche dans cette direction qu'il reçut contre-ordre, car l'Empereur avait annoncé une grande bataille, et sa division avait été chargée d'occuper deux grands villages sur le front de l'armée.

Suivant son habitude, le général Trochu s'empressa d'en escalader les clochers. C'était un magnifique 16.


spectacle que cette longue ligne de ~0000 hommes, qu'on pouvait, d'un coup d'oeil, embrasser tout entière. Allait-il assister à une de ces batailles rangées classiques, dont on lit la pompeuse description dans les livres d'histoire? En attendant il fortifiait les villages, et les crénelait avec amour, car pour un gênerai en campagne, c'est une bonne fortune incistimable que de pouvoir s'appuyer sur un village entre les mains d'un homme qui sait son métier, ce sont autant de forteresses presque imprenables.

0 déception! pendant que l'Empereur parlait de guerre, suivant son habitude, je le répète, il traitait de la paix; les deux souverains dont les armées s'égorgeaient sans pitic, en avaient assez. Napoléon 111 avait fait honneur à ses engagements, mais il n'était pas assez aveugle pour ne pas voir que c'était au détriment du pays qui lui avait confié ses destinées, et même de sa dynastie.

Le 6 juillet, toute l'armée avait reçu l'ordre d'être sous les armes avant le jour. La ligne de bataille était magnifique. La division Trochu avait devant elle les deux villages que son général avait fait fortifier, et se tenait prête à jouer une belle partie. Toute la matinée se passe sans recevoir d'ordres, sous un soleil accablant. Les soldats assoiffés par 3S degrés de chaleur sont très mécontents, n'y comprenant rien. Les chefs n'en savent pas davantage et forment, dans une ferme sur la grande route de Vérone, un petit club de généraux, discutant un état de choses qui semble inexplicable.


Tout à coup parait une voiture, les généraux supposent d'abord que c'est un parlementaire autrichien puisque cette voiture vient du côté de l'ennemi; mais quand elle fut près. on reconnut une berline a. la livrée de l'Empereur.

Le général Trochu s'avance et l'arrête sans façon. L'intelligente et souriante Hgure du général FIcury se montre à la portière.

H c bien'vous cmpcchexie service de l'Empereur! Sachez que je vous apporte un armistice et sans doute la paix. Vous allez être content!

Et la berline repart.

Dire quelle fut la stupéfaction des généraux, cela me semble inutile.

Un d'entre eux ne put s'empêcher de s'écrier Et les Italiens, à (lui nous avons, Milan, solennellement promis de les mener jusqu'à l'Adriatique' Au retour de Vcrone, et après avoir rendu compte a l'Empereur du résultat de sa mission, le général Fleury raconta quelques détails des entretiens purement militaires qu'il avait eus avec des généraux autrichiens, particulièrement avec le prince de HesseDarmstadt 1.

Je suis heureux, dans un sentiment de légitime orgueil, de consigner ici les termes exacts dont le prince s'est servi.

Vous avez, lui dit-il, d'admirables soldats, d'une bravoure et d'un élan irrésistibles. A un certain mo1. Non le maréchal de Hesse, comme le dit M. Duquet (/M Guerre d/e, /~J~).


ment de la journée, j'ai pu le constater lorsqu'ils gravissaient les pentes qui aboutissaient au plateau de Solferino, ils avaient à traverser une route qui contourne le Mancdc la montagne. J'avais placé sur cette route deux pièces chargées à mitraille. Elles firent feu au moment où vos tirailleurs et vos têtes de colonne y arrivaient. Croiriez-vous que cela ne les a pas arrêtes! [

« Pourquoi, ajouta le prince, l'Empereur Napoléon s'est-il toujours tenu sur des positions aussi découvertes ? Nous l'apercevions distinctement, et pendant toute la durée de la bataille une batterie et une compagnie de chasseurs tyroliens ont été spécialement chargés de tirer sur lui et sur son état-major. Nous nous en sommes plusieurs fois aperçus, répondit en souriant le général Fleury.

Le prince Napoléon était arrivé et avait déjà conféré avec l'Empereur. En sortant de chez Sa Majesté, il dit à voix basse à des officiers de la maison qu'il connaissait de longue date

Il ~f~'c~er, moment est ~c de ~< de la /)<ï<r.

Le prince Napoléon avait compris et approuvé les considérations politiques qui avaient interrompu les hostilités.

Placé entre l'ardent patriotisme dont il a toujours été animé, et les intérêts dynastiques de la maison de Savoie que son récent mariage pouvait l'entraîner à défendre, aucune hésitation n'était à craindre de sa part. Son sens politique et sa merveilleuse intelligence


suffisaienl d'ailleurs à le rallier aux avis de modération de l'Empereur.

Je voudrais et je pourrais peut-être m'arrêter plus longtemps sur la grande personnalité du prince Napoléon mais la fière et peut-être regrettable indifTércnce qu'il a opposée a toutes les injustices dont il a été abreuvé, me semble imposer le même silence a. ceux qui ont toujours été et sont restés ses amis. Que ceux qui ont égaré l'opinion publique. –qu'ils aient obéi à de coupables passions, ou qu'ils aient été incapables d'apprécier le caractère, le cœur, l'intelligence et l'esprit du prince, portent la responsabilité de leur mauvaise foi ou de la fausseté de leur jugement. Pendant le séjour de l'Empereur à Valeggio, le général Fleury fut envoyé une seconde fois à Vérone, et malgré le secret absolu garde sur les négociations des deux empereurs, il n'y avait plus guère de doute sur leur issue; une entrevue des deux souverains paraissait imminente.

Un jour. l'EmpereurntappeIcr le commandant Brady et le chargea de porter une lettre au roi VictorEmmanuel. Dans cette lettre l'empereur signalait quelques désordres et quelques actes d'indiscipline, maraude et pillage, qui s'étaient produits dans les divisions italiennes placées sous les ordres du prince Napoléon, et qui étaient composées des contingents de Parme, de Lucqucs et de Florence; il demandait que ces divisions, organisées à la hâte, fussent rattachées administrativement à l'armée sarde.


Il faisait, depuis l'arrivée a~ Yalcggio, une chaleur accablante. L'officier chargé de la missive de l'Empereur remonta la rive gauche du Mincio jusque Monzambano, où il trouva le Roi établi dans un cottage, abrité par de grands arbres et de frais ombrages. Le quartier général avait été habilement choisi et avait un aspect confortable fort différent de celui de l'Empereur.

Apres avoir pris connaissance de la lettre qu'on venait de lui remettre, le Roi, semblant se parler à lui-même, prononça ces quelques paroles

Pauvres gens' ils sont bien excusables. Ils sont partis de chez eux sans organisation régulière. II ne faut pas s'étonner qu'ils cherchent des moyens d'existence. /~<<W~ M ici ~M ?~M~/CM'?~. Puis, s'adressant au commandant Brady qui portait pour la première fois l'épaulette d'officier supérieur qu'il avait si brillamment gagnée

Approchez-vous du buffet, commandante et prenez quelques rafraîchissements pendant que je vais répondre à l'Empereur.

Le buffet pouvait donner une haute opinion du chef du service de bouche du roi de Sardaignc. Des viandes froides, des pâtisseries et des fruits de toute espèce; des flacons et des carafes plongés dans des glacières. On n'avait jamais rien vu de pareil au quartier général de l'Empereur.

Les quelques paroles prononcées par Victor-Emmanuel, après avoir pris connaissance de la lettre de l'Empereur, avaient été accompagnées d'un sourire


dont la signification était facilement lisible sur s~ physionomie. H était à la fois empreint de tristesse et de découragement ce n'était pas sans amertume que le Roi se voyait forcé de renoncer a la réalisation co~ï/)~~ de s'~s espérances à la possession de Venise et d'une partie des côtes de l'Adriatique.

Il y eut le lendemain une prise d'armes générale de l'armée. Depuis l'arrivée de l'Empereur à Yalcggio, le thermomètre était fixé entre 35" et i0°, et il était prudent, au point de vue de la santé des troupes, de ne pas les laisser dans une trop longue immobilité.

Cette prise d'armes eut donc tout le caractère d'une grande manœuvre, en même temps que celui d'une reconnaissance inoffensive du terrain accidente qui s'étend de la rive gauche du Mincio dans la direction de Vérone.

L'Empereur prit le commandement et la direction du mouvement, et toutes nos divisions déployées dans un ordre imposant vinrent couronner les hauteurs avoisinantes. On simula quelques préparatifs d'attaque, l'artillerie se mit en batterie sur plusieurs points, et, après un repos d'une demi-heure pendant lequel les soldats firent du café, l'armée se mit en retraite dans le même ordre et rejoignit ses bivouacs et ses cantonnements.

Quelques instants après le retour à Valeggio, l'Empereur parut sur une galerie couverte qui reliait au premier étage les deux pavillons occupés par Sa Majesté. 11 tenait à la main un rouleau enveloppé de


papier et fit signe à un de ses officiers, un commandant, de monter.

Ce rouleau contenait un bâton de maréchal de France qui venait d'arriver de Saint-Thomas-d'Aquin, et que le commandant devait remettre au maréchal Regnauld de Saint-Jcan-d'Angély.

En sa qualité d'ofticicr d'artillerie, cet honneur lui revenait presque de droit. A un caractère plein de droiture, de loyauté et d'énergie, le brave maréchal joignait les plus attachantes qualités de cœur, et il imposait, à tous ceux qui avaient l'honneur de servir sous ses ordres, la plus sincère et la plus respectueuse affection.

Le commandantcourut jusqu'a la porte de la maison qu'occupait le maréchal, et qui était peu éloignée du quartier impérial; introduit auprès de lui, il lui remit, de la part de l'Empereur, l'attribut de la plus haute dignité militaire.

Le maréchal, qui était très souffrant, le prit des deux mains, fit le geste de le porter à ses lèvres, balbutia quelques paroles d'une voix si émue qu'on l'entendait a. peine, puis, serrant la main de l'officier d'ordonnance de l'Empereur, il lui dit

Portez mes remereiments à l'Empereur.

Très ému lui-même, le commandant sortit à la hâte, se disant comme à une première entrevue à Magenta

Quel brave homme 1

En rentrant au quartier impérial, le commandant trouva encore l'Empereur sur la galerie couverte. En


montant pour porter a Sa Majesté les remercîments du maréchal, une particularité.. qui eut pour les autres, comme pour lui-même, presque !c caractère d'un phénomène, le frappa d'utonnemcnt: l'Empereur avait sa tunique <'y!/<<'MC/?/ ~~w/p s~' ~o//?'~c.

Cela ne salait jamais vu, pendant toute la campagne, non plus qu'au camp de Chàlons de 1857, et quelle que fût l'intensité de la chaleur, personne n'avait jamais pu apercevoir sur son visage, ou sur ses cheveux, la plus légère apparence de sueur. Cette remarque, que tous les officiers de l'entourage de l'Empereur avaient faite, semble confirmer jusqu'à un certain point une de mes croyances physiologiques les plus enracinées c'est qu'il y a entre le moral et le physique de la plupart, pour ne pas dire de tous les hommes, une corrélation presque indissoluble. II devait y avoir à la transpiration de la pensée de Napoléon III, y~c~c. un obstacle aussi infranchissable que l'était son épidcrme à la chaleur /~c/~c de son corps.

Dans le courant de la soirée. le général Trochu vint au quartier impérial pour la première fois les aides de camp de l'Empereur voulurent provoquer le récit de l'attaque de Casanuova et de Guidizxolo, si vivement, si brillamment exécutée par lui à la tète de deux régiments et du bataillon de chasseurs a pied de la brigade Bataille.

La parole du gênerai, si facile et si abondante sur d'autres sujets, prend un caractère tout diBerent dans le récit d'un glorieux fait d'armes. Elle devient


brève, précise et vigoureusement. militaire, et. pour me servir d'une expression qui lui est. familière. le tableau n'en est que plus M~M<

Il est de fait que. grâce à la façon toute spéciale dont le général Trochu avait su dresser ses troupes, la formation en ordre oblique de cette véritable charge d'infanterie s'avançant baïonnette baissée, sans tirer un coup de fusil, au son de '200 tambours battant. la charge, cLau chue irrésistible de laquelle les Autrichiens furent, forcés de plier en abandonnant de fortes positons définitivement conquises; il est de fait que cette action fut une des plus brillantes de la campagne d'Italie.

On apprit enfin le 11 juillet qu'' l'entrevue des deux Empereurs devait avoirlicu le lendemain a Villafranca, village situe à ~ou <' kiloni'tr<s environ de Valeggio. LeH au matin, l'Hmp<'reurmontaàchevaI.et, suivi de sa maison mUitaire. de quelques ofuciers d'~ l'étatmajor général, escorte par les cent-gardt's. arriva à <U b''ur''s précises dans Villafranca, sans rencontrer François-Joseph.

–L'empereur est un peu en retard, dit Napoléon 111 avec simplicité, marchons sa rencontre.

La route, après avoir dépasse Villafranca, fait un coude à gauche, dans la direction du Nord-Est, pour ~boutirpresquc en droite ligne a Ycronc.A partir de ce point, l''s terrains qu'elle parcourt, fortement ondules, ne permettent pas a la vue de s'étendre au delà de 2 kilomètres.

L'Empereur, après avoir traverse le village sans


s'arrêter, continua a s'avancer jusqu'à '2 kilomètres environ au delà du Villafranca. Arrivé a un point ~leve la route descendait dans uuu vallée pour remonter ensuite sur le plateau qui sY'tcnd jusqu'à Vérone, on aperçut la tète de colonne autrichienne, au moment elle apparaissait sur la crc'te opposée.

L'Empereur fit signe d'arrêter, et, mettant son cheval au galop, descendit la côte rapidement. 11 commençait a traverser le fond de la vallée lorsque l'empereur François-Joseph, qui avait commence lui aussi à descendre la côte opposée au pas, reconnaissant Napoléon 111, mit 'paiement son cheval au galop. et vint s'arrêter à sa hauteur.

Les deux souverains, après s'être salués militairement, se tendirent la main, et commencèrent à se rapprocher de l'etat-major français. L'escorte de cavalerie autrichienne avait rej"int rapidement les deux empereurs.

Napoléon 11!, avec le tact délicat et l'exquise courtoisie dont il ne s'est jamais départi, avait pris la gauche de l'empereur d'Autriche. Les officiers français se mirent en bataille sur le côte droit de la route, pour pouvoir se placer dans le même ordre par rapport à l'etat-majur autrichien.

~es ofncicrs s<' i'ec"n!iurcnt pour s être vus à l'aris dans des temps p!us tranquiHes.

Arrive a leur hauteur, l'empereur voulut présenter nominativement ses aides de camp à l'empereur d'Autriche mais après avoir numm~ le marcchal Vaillant, le gênerai de MonteheIIo, le général N''y et le général


Fleury, la mémoire lui fit complètement défaut, et il passa en riant devant les autres sans les nommer. Cette absence de mémoire momentanée s'explique aisément et l'instant était asscx grave et solennel pour que la pensée de l'Empereur fût absorbée tout entière par l'entrevue qu'il allait avoir, par h' traité de paix dont il allait, quelques minutes p!us tard, poser les préliminaires.

Les deux Empereurs reprirent la route de Vil!afranca, elles deux états-majors, les deux escortes marchant côte a cote, les suivirent a distance.

On fit halte devant la maison qui avait été choisie pour l'entrevue, et tout !e monde mit pied a terre. L'empereur d'Autriche présenta a son tour à l'Empereurdes Français les généraux qui l'accompagnaien t. Le premier fut le feld-xcugmcistcr baron de Hcss, chef d'état-major général.

En l'entendant nommer, l'Empereur lui tendit la main, et lui dit, avec un de ses meilleurs sourires Je suis ncr. maréchal, d'avoir pu faire la guerre en face d'un glorieux soldat de Wagram.

Le maréchal baron de Hess était un homme de petite faille. Ses traits un peu durs étaient empreints d'une rare énergie, et sa vigueur, sa vivacité d'allure étaient extraordinaires pour son âge.

Enfermé dans un uniforme de hussard ajusté comme celui d'un sous-lieutenant, dans une culotte et des bottes à la hongroise, il semblait n'avoir été qu'efUcuré par les cinquante années qui s'étaient écoulées entre Wagram et Solferino.


En entendant le flatteur complimt'ut que le neveu de ~apol'n t"' venait de lui adresse! il s'inclina profondément. puis s<- r')n'ssa brusquemeut dans une attitude pleine de fierté. Son visage. t'ut a. l'iieurc assoml)ri. s'était éclairé et avait pris une expression qui, si elle ne pouvait, etr'' celle de la joie dans un pareil moment, était assurrtncnt-cclh' d'une touchante émotion. Son l'r~ai-d, fixé sur celui de l'Empereur dont il tenait encore la main. avait perdu toute sa dureté, ses ép:'is sourcils froncés s'étaient, relevés, et l'on put croire qur. pendant quelques instants, le chef d'~tat-major autrichien oublia toutes les amertumes qu'une guerre malheurt'use laisse amoncelées dans le cœur d'un brave soldat

Lorsqu'* les deux Empereurs furent entres dans la modeste maison basse ou de si graves questions allaient être débattues, et où allaient être posées les conditions d'une paix dont les redoutables conséquences n'apparaissaient pas encore dans toute leur réalite, le maréchal de Hess s'approcha vivement d'un groupe d'officiers autrichiens qui s'étaient tenus à l'écart, et leur répéta avec un empressement bien compréhensible l'hommage que ~apol~on tlï venait de rendre a sa longue et glorieuse carrière. Quant aux oHiciers français, sentant qu'ils devaient faire b's premiers pas, ils s'approchèrent d'eux pour les saluer.

Ils furent accueillis a Villafranca comme à Cavriana par une froide, mais exquise politesse; la plupart des officiers français alors présents ont trop appris depuis


tout ce que leur situation vis-a-vis des vainqueurs pouvait avoir de douloureux et de pénible, pour ne pas reconnaître ce que leur attitude froide et réservée avait de louable et de respectable a la fois. Elle pouvait donner à juste titre la plus haute opinion du caractère et des sentiments de dignité des officiers autrichiens.

L'entrevue des deux Empereurs fut moins tondue qu'on ne l'avait prévu. Au bout d'unf heure environ ils sortirent, et. après avoir causé à l'écart pendant quelques instants encore, ils se serrèrent la main et se séparèrent avec toutes h.'s apparences d'une entente complète et d'un accord défmitif.

François-Joseph avait le visage altéré par rémotion, les yeux presque routes.

Les officiers français, après avoir échangé des saluts avec les officiers autrichiens, remontèrent à cheval et suivirent l'Empereur, qui ne reprit la route de Valcggio qu'après avoir accompagne l'empereur FrançoisJoseph jusqu'aux dernières maisons de Villafranca. A la sortie de Villafranca, l'Empereur dit La paix est faite. Je l'aurais désirée plus productive mais quand j'ai demandé la Yénétie, il a fondu en larmes et m'a dit Prenez ce que vous avez déjà; mais ne me demandez pas autre chose; mon honneur, plus que mes intérêts, me commande de résister. »

L'Empereur ajouta

J'ai consenti. J'avais affaire à un galant homme.


CHAPITRE

Devoir de l'historien. Le générât Martimprey. Le ~nérat Jarras.– L'annéf française.– Imprévoyance et duplicit'Préjuges funestes. Déception. Situation politique. Napoléon HL La préface de iS70. Ëtat-major pendra). Dénnssion d'~ Cavour. Froid sipnincatif. Saint-Cloud. Tel fut !c dénouement de la campagne d'Italie de t859, qui, malgré son improvisation et l'étonnant décousu de son exécution, malgré ses nombreuses fautes d'ensemble et de détails, fut incontestablement glorieuse pour l'armée française et peur l'Empereur Napoléon III.

Pour juger, dans leur ensemble, les opérations d'une campagne, leur conception. leur exécution pour attribuer au chef de l'armée et à chacun de ses lieutenants la part de responsabilité qui lui revient, une connaissance approfondie des faits et un inébranlable sentiment d'impartialité sont nécessaires; mais il ne faudrait pas croire que ces deux conditions sont toujours suffisantes pour mettre l'historien a l'abri de toute

XXI


erreur, et il est un ordre de faits qu'il ne saurait jamais aborder avec trop de prudence et de circonspection, sous peine de lc~ dénaturer ou au moins de les présenter sous un aspect qui n'est pas toujours la réalité. Je veux parler des événements du champ de bataille.

Pour ceux-là en particulier j'estime que le droit de les apprécier, de les exalter ou de les critiquer, appartient exclusivement a ceux qui en ont été les auteurs ou au moins les ~,wo!'Ms ocM/<~ c/ c~ à cc/? SOM~Ce que ~"S ?'CMSC<C~M~ présentent le plus de <yar<Mties d'exactitude et de ~c<~c.

Il est d'ailleurs une maxime qui semble avoir force de loi pour l'historien militaire, plus que pour tou t autre:

~Cn~M~<~ /!ay'cfM~ ~O/Ï <0~f/M~K/M'. J'ai dû plusieurs fois signaler l'impéritie, l'inactivité et l'imprévoyance du grand état-major général. Je dois justifier ce sévère jugement et préciser ma pensée.

Dans cet état-major, si incomplètement organisé, si peu et si mal dirigé, il y avait pourtant de bons éléments, des officiers vigoureux, actifs et intelligents; les uns ayant déjà une expérience de la guerre acquise en Afrique et en Crimée, les autres débutant avec le zèle et l'ardeur qu'inspire une première campagne.

A leur tête l'Empereur avait placé un brillant gé<. On écrit pour raconter, non pour prouver.


néral qui, ses qualités d'homme de guerre, enjoignait de plus rares encore, car il était l'homme de tous les dévouements et l'esclave de tous les devoirs. Seul et indépendant, il aurait et'' capable d'organiser. d<? régler et de mettre en mouvement cette machine de guerre, déjà compliquée alors, plus compliquée que jamais aujourd'hui, qui est a la fois le grand ressort et l'étoile polaire d'une armée..V~e~'c<~wc~, le général de Martimprey était un soldat ~<~ ~s~/)/r et ~'<~ o~sM~, et pendant toute la campagne il devait ctrc paralysé et presque annulé par l'inertie somnolente du maréchal Vaillant, qui resta au-dessous de la tâche redoutable <y(~ ~Mf<7 s<c!/c<~ comme il était resté audessous de celle de ministre, dans la préparation de la guerre.

Quant à la personnalité effacée du sous-chef d'étatmajor, le général .!arras, je n'en dirai rien que tout le monde ne sache. I! a été à l'armée d'Italie ce qu'il avait été à l'armée de Crimée, un rouage inutile, souvent nuisible, en attendant qu'il devînt onze ans plus tard, à l'armée de Metz, un homme fatal par son ignorance, son incapacité et son insolente outrecuidance. Il n'y a jamais eu en lui d'autre aptitude que celle d'un secrétaire de bureau, commis aux écritures.

Lorsque la guerre d'Italie succéda a celle de Crimée, cette dernière avait formé des soldats admirables, mais des officiers insuffisants. Quant a l'organisation générale de l'armée, c'était toujours celle de ï SI 5, elle n'avait pas avancé d'un pas. L'intendance surtout, malgré les brillantes qualités des officiers qui la composaient,


avait été constamment au-dessous de sa tache. Il est vrai que celle des Anglais en Crimée ne s'était pas montrée supérieure. Des deux parts, les officiers généraux avaient manqué de prévoyance, et plus d'une fois l'on avait été à deux doigts d'un Sedan anticipé. La fortune des armées alliées n'avait été ramenée que par la solidité des troupes, surtout celles des Anglais, a !nkermann, par exemple.

Que serait-il advenu si ces derniers n'avaient pas opposé aux Russes une résistance tellement acharnée, qu'après le combat on trouva des paquets de cadavres Russes dans tes tentes mêmes des Anglais? Jamais ne s'était trouvée mieux justifiée la remarque du maréchal Bngeaud qui disait d'eux:

« L'infanterie anglaise est la plus redoutable de l'Europe; heureusement, il n'en existe pas beaucoup."

II faut cependant rendre à la nôtre cette justice qu'elle avait lutté avec cl! de patience, de persévérance et d'obstination, dans cet interminable siège de Sébastopol qui mettait à l'épreuve le tempérament encore plus que les courages, et qu'à côté des soldats choisis d'outre-Manche, les nôtres, fournis au hasard par la conscription et apurés, par le remplacement, de leurs plus riches éléments. avaient fait preuve d'une solidité froide qu'on leur refusait généralement. On n'est porté à voir dans le Français que le Parisien, qui devient de plus en plus cosmopolite mais si l'on considère les divers éléments dont se compose la France, on constate qu'elle est composée dans son ensemble


de races douées de moins d'élan que d'obstination. Tels sont les Bretons, les Normands, les Flamands, les Gascons, les Auvergnats, les Cévenols, les Savoyards, les Francs-Comtois, etc.

Réellement la qualification de légers ne peut s'appliquer qu'aux Français d'une partie des bassins de la Seine et de la Loire les autres ne le cèdent en rien à tout ce qu'il peut y avoir de plus rancunier et de plus opiniâtre en Angleterre et en Allemagne.

Malheureusement, depuis le premier Empire, tous les gouvernements qui se sont succédé en France ont trop compté sur les qualités militaires qu'on ne saurait contester à notre race, sans se préoccuper suffisamment de ses défauts.

Le plus grand et le plus redoutable est l'imprévoyance inimaginable des classes dirigeantes. On ne saurait se rendre compte par exemple du désarroi du ministère de la guerre lorsqu'il fut question d'envoyer en Orient un corps d'observation de 35 000 hommes.

On saura un jour les immenses services que le général Trochu. chef du personnel an ministère de la guerre, rendit alors à sa patrie.

Malheureusement, a force d'imprévoyance on finit par lasser la fortune; c'est ce qui ne pouvait manquer d'arriver à l'Empereur Napoléon III, qui l'avait érigée en système.

Il y joignait une étrange duplicité vis-à-vis de ceux qu'il chargeait de l'exécution de ses ordres. Pendant la guerre de tS66 entre la Prusse et FAu-


triche, son attitude ne fut ni moins extraordinaire ni moins illogique, car il commit la faute surprenante de ne pas mettre de corps d'observation sur la frontière des belligérants, pour faire valoir les intérêts de la France si l'occasion s'en présentait.

Ce ne fut pas une négligence de la part de l'Empereur, mais il aimait à traiter en dehors de son ministère, et Bismarck, en négociant personnellement avec lui, avait obtenu qu'il renoncerait à toute action militaire, en faisant miroiter à ses yeux le rôle d'arbitre entre la Prusse et l'Autriche, rôle qui devait être payé de la cession de la rive gauche du Rhin. L'Empereurpartageaitlespréjugésde son entourage, et, on peut le dire, de la presque totalité des officiers supérieurs français,–sur l'efficacité du système militaire prussien. Personne ne croyait à sa solidité; on se figurait trop complaisamment que des soldats qui ne servaient que trois ans ne pouvaient être sérieux, on les considérait comme de vrais mannequins à ressorts, dont l'unique qualité était de faire correctement l'exercice. Quant au reste, ce n'étaient que des enfants bien dressés, incapables de supporter une campagne de six mois.

L'Autriche possédait au contraire une armée superbe dont on avait pu apprécier toute la solidité pendant la campagne d'Italie, tandis que les Prussiens n'avaient pas fait la guerre depuis 181 o. D'ailleurs, la question n'était pas là; la guerre durerait bien au moins six mois, pensait l'Empereur, et au bout de six mois les deux parties seraient tellement


affaiblies, tellement diminuées, que la France sans avoir brute une amorce devait s'en trouver grandie en proportion, et recueillir sans peine le fruit de l'arbitrage promis par M. de Bismarck. cette rive gauche du Rhin qui est destinée à être éternellement disputée entre la race germanique et la race latine.

Indescriptible ful la déception de toutes les hautes sphères gouvernementales lorsqu'une ~crie de victoires foudroyantes termina la campagne en quelques jours. La Prusse n'eut que faire du concours de Napoléon lit, M. de Bismarck imposa ses conditions à Sadowa, et, au lif'u de nous céder la rive gauche du Rhin, il ne songea plus qu'à y adjoindre l'Alsace.

Ce rôle d'arbitre qui avait leurré Napoléon III, ce fut l'empereur de Russie qui le joua avec un plein .succès, quatre ans plus tard, en déchirant le traité de Paris.

On avait voulu l'unité de l'Italie, on avait commencé, sans le vouloir, l'unité de l'Allemagne, Sedan paracheva les deux unités qui relégueraient à tout jamais la France au second rang, si l'accroissement démesuré de la puissance russe ne devait pas contraindre la race latine à suivre l'exemple de la race germanique, et à grouper ses 100 millions de catholiques latins, pour faire contrepoids aux 100 millions d'orthodoxes de la Russie.

Sinon, la race germanique, qui ne peut réunir en tout que 50 millions, serait dévorée la première. Aussi, du vivant même de M. de Bismarck, en est-elle


réduite à un rôle qui deviendra de plus en plus difficile et périlleux, celui de chercher des alliés pour résister à la Russie, dont seule elle ne peut plus soutenir le choc.

Tels ont été les résultats immédiats de ce système des nations années il était clair a /o~ que ce système, en assurant à la Russie une supériorité éphémère, ne pouvait finalement profiter qu'au nombre. La guerre d'Italie s'annonça bien plus longtemps à l'avance que celle de Crimée; aussi le général Trochu l'avait-il prévue malgré la duplicité proverbiale de l'Empereur, qui songeait toujours à la guerre quand il parlait de paix, et réciproquement on le vit bien à Solferino. Il avait donné pour devise à son règne: Z~w/xre ~'c~ /M~. Singulière paix, puisqu'il ne cessa point de faire la guerre.

A celle de Crimée succédèrent les guerres d'Italie. de Chine, dp Syrie, du Mexique et finalement la guerre avec l'Allemagne, sans compter les menus combats d'Afrique et de Cochinchine.

Nous n'insisterons plus sur les motifs de la guerre d'Italie le pay~ se laissa entraîner par les événements, mais pour l'Empereur ce ne fut, je le répète encore, que l'exécution d'un engagement de jeunesse. Napoléon IM avait 5! ans quand il entreprit la -campagne d'Italie; il était sain de corps et d'esprit, en pleine possession de ses facultés, montrant constamment une tendresse excessive pour le merveilleux pays, qu'il voulait rendre libre, des Alpes à l'Adriatique, et constituer plus tard en confédération.


Pendant toute la campagne, qui dura du 10 mai au 19 juillet. l'Empereur fit preuve d'une égalité d'âme qui n'eut de comparable que sa bienveillance de tous les instants envers les chefs de l'armée et sa sollicitudc pour les soldats.

Supportant la fatigue sans que personne s'en aperçût, qu'il fût a cheval ou dans son cabinet, dans les grandes villes enthousiasmées, comme aux plus humbles cantonnements, il était discret, courtois, n'ayant l'air d'avoir aucune préoccupation autre que celle de se conserver l'affection et le respect. Son esprit en travail continuel s'était promptement initie à la lecture de la carte, et s'il n'avait pas la pratique des choses militaires, il savait conserver la direction des opérations.

Il en donna une preuve non équivoque lorsque, après Montebello, il prit /M/ /a ~oA/~M de placer, par un énorme mouvcment.ioute l'armée sur la ?'o:~c

.WA~?.

Dans les deux grandes batailles livrées, il eut naturellement des instants d'inquiétudes. qui ne se traduisirent jamais en angoisses apparentes du moins. Si ce n'est, une fois. je l'ai déjà dit, au pont du Tcssin. Le soir de Solferino, il marchait de sa personne en tête des voltigeurs de la garde pour attaquer le village de Cavriana. où il voulait coucher.

Les batailles d'Italie ont été des batailles de rencontre. Ce sont les plus favorables au génie et aux aptitudes de l'armée française.

Notre armée a besoin d'expansion elle demande à


marcher, rarement, a s'arrêter. En cela toute différente de l'incomparable génie anglais que Wellington sut si bien mettre en lumière à Terres Yedras et à Waterloo et que plus tard nous retrouvâmes aussi caractéristique à la défense des positions d'Inkermann par la Garde anglaise (o novembre 185t).

Comme on le voit, la guerre de !859 était bien la préface de 1870. Heureusement pour nous, l'Autriche n'était pas mieux préparée mais le jour ou nous nous heurterions a un état-major visitant et consciencieux, notre sort était tracé d'avance.

La France n'avait alors aucune idée d'une mobilisation rapide; c'est un mot qui ne se trouve même pas dans le fameux ouvrage tout à fait prophétique, du général Trochu, publié en 1867, sous le titre /~4/w<?p /K<'a~ bien que la chose y soit traitée à fond, car la foudroyante campagne de Sadowa avait déjà. ouvert les yeux d'officiers d'un esprit moins pénétrant que le sien.

En rapprochant les deux dates de d8!5 et de 1859,il est difficile de ne pas reconnaître qu'il a été fait une double expérience pleine d'enseignements et d'avertissements pour l'avenir.

Pendant la campagne de !815, Fétat-major général comptait encore dans ses rangs beaucoup d'officiers ayant servi sons les ordres de Bertbier, ut formés à son école; et pourtant tous ces éléments, si perfectionnés par le prince de Wagram, fonctionnèrent mal, ou incomplètement, dans la main du maréchal Soult, qui n'avait ni l'expérience ni les spéciales et mcrvcil-


leuses aptitudes de son prédécesseur. Pendant la courte dm'~e de la campagn'\ sur le champ de bataille de Liguy, plus encore sur celui de Waterloo, les ordres de l'Empereur furent tantôt mal compris, tantôt mal transmis, partout mal exécutés. Là aussi avait fait défaut cette activité fiévreuse, qui avait amené Berthier, non seulement à transmettre les ordres du grand capitaine avec une prodigieuse rapidité, mais encore à les faire confjrmer par un <'u deux officiers, qui leur donnaient le caractère de précision et d'urgence si nécessaire a la guerre.

Bien que la vapeur et l'électricité aient pris rang, comme moyen de communication, entre les diverses fractions d'une armée, il n'en faut pas moins tirer conclusion de cette remarque historique.

La conclusion, c'est que l'état-major d'une grande armée, ce corps sans troupes, qui ne doit compter dans ses rangs que des officiers instruits et distingués, et qui tend a prendre chaque jour une plus haute importance. ne peut être placé que sous les ordres d'un général d'élite, possédant une science et une expérience profonde de la guerre, et dou~ d'un de ces rares et lucides esprits qui peuvent embrasser à la fois toutes les complications d'un pareil rôle, l'ensemble des grandes opérations et les nombreux et minutieux détails de leur exécution.

Il me parait donc difficile de disjoindre les fonctions de généralissime de celles de chef d'état-major général dans une armée républicaine, sans porter atteinte a l'unité de commandement.


Elles me paraissent, devoir être concentrées dans la même main, sous peine d'~ver autel contre autel et de s'exposer an plus dangereux antagonisme. Cette grave question n'existe pas pour les armées étrangères, où le commandement suprême, réel ou fictif, appartient de droit au souverain.

Pour nous seuls elle reste encore debout, avec toutes ses menaces et tous ses dangers.

L'Empereur résolut de quitter Valeggio pour rentrer à Paris immédiatement.

Le roi Victor-Emmanuel le devançait à Milan et a Turin pour l'y recevoir à son passage.

Déjà dans les conseils du roi deSardaigne tout était remis en question. Sa Majesté reçut la démission de Cavour, qui désapprouvait hautement la paix, se rapportant au programme annoncé

« L'Italie libre jusqu'à l'Adriatique. »

Le roi fit semblant d'être outré de la résolution de Cavour, lui représentant qu'il l'abandonnait au moment où il avait le plus besoin de lui. Rien n'y St. Cavour se retira.

Le roi ne lui épargna aucune épithète injurieuse dans ses conversations.

C'est au milieu de ce trouble que l'Empereur rentra a Milan. L'accueil fut bien différent de celui qu'il avait reçu après Magenta: mais on pouvait encore le considérer comme acceptable.

A Turin, il y eut un froid significatif. Après avoir été reçu au dîner de gala par le Roi, l'Empereur mon-


tait en wagon le juillet à 3 heures et demie du matin, et rentrait dans le parc de Sainj-CIoud le 19 juillet, par la grille qui le borde, en face de la porte Jaune.

L'Impératrice le reçut à la descente du wagon avec des témoignages de satisfaction et de tendresse très accentues.

On prit immédiatement ses ordres pour les réceptions des corps de l'Ktat qui devaient haranguer l'Empereur, après la proclamation on il cherchait à justifier auprès du Pape. de l'Italie et de l'Europe la résoluti'mquil avait prise d'~ r'-nonccra l'éxecution complète du programme.

Les harangues furent louangeuses, comme on devait s'y attendre.

Le Corps législatif. le Scnat. célébrèrent a l'envi les inspirations de génie de l'empereur.

H y eut un incident amusant au milieu de cette pompe officielle.

L'Empereur se rendait avec l'impératrice dans le salon de Saint-Cloud. ou le Sénat était rassemble. Tout en marchant, il boutonnait son gant et dit en souriant a l'Impératrice

Ce diable de Troplong m'embarrasse. J'ai connaissance de son discours: il me compare à Scipion.

L'éclat de rire de l'Impératrice fut interrompu par un malin ofucier d'ordonnance, qui la regarda et lui dit

C'est. Madame, le plus grand éloge que l'on


puisse faire d'un ~~<?m:/M <~o! Scipion était l'homme le plus tempérant de son temps.

On n'a pas dit si cette singulière interprétation avait reçu l'agrément des interess~

FtX


TABLE DES MATIÈRES

t'agex.

PREFACE. vit

CHArrrRR rn.EMfEt:. –L'attentat Orsini. Suites de l'attentat.– L'Empereur a-t-il eu pcur~ Une lettre du baron de Heeeker~n. Un nctc d'affiliation. Carbonari et i'rancs-macons. L'Empire rom.-un. .7o/< Je jF/o?' Le secret de 1 Empereur. Ce que pensait M. Thouvcnel. Appel au peuple italien. La reconnaissance de Htalie. 1 CHAfiTRE II. Le marine de la prmcesse Ctotilde. Mission du prince Napoléon auprès de l'empereur de Russie. Preluninaires de guerre. Départ de Paris. Les fictions de l'intendance et la réalité. Le 2*' voltigeurs s'InstaHe à Mcsrnanigo. ~0 CnAftTUF III. Départ de l'Empereur. Pr<</f/'c c~< C/~rc't~'?~ Les proclamations ne sont pa- prêtes. Une mission à Turin. Chez Victor-Emmanuel. Ce que pense le maréchal Canrobort. Le procès du ministre de la guerre. Renault, Trochu. Bourbaki. Situation critique du p'ën~ral I~cb<~ur. Le Senarmont du second Empire. –Ch~z l'Empert.'ur. H Cn.rtTRE IV. A Gènes. Plus de pt'Joccup;nions historiques que de discernement personnel. Imprévoyance et impéritie ministérielles.–Par ordre de l'Empereur.–Chez les ministres de la guerre et du commerce. M. Paris de la BoIIardière. Retour a l'année. Xovi, Alexandrie. Les premiers blessés de Montebello. Égalité devant les balles. 56

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CuAt'iTKE V. Une lettre du général d'Autemarre. Le lieutenaut-eolonel Mangio.–Le devoir est <Je marcher au canon. Attaque soudaine. Appréciation de M. de Mo!tkc. Tr"p de responsabUité. 1~'urquoi Jcs subalternes manquent d'initiative. L'' générât H;)X:'inc veut marciier au cau"n. La légende. US CtfAt'rnu: VI. Un .s'«' (~t'e. Chevaleresque équipée. 1/in~endatice a Xovare. C-'nséquenres du passage des Africains. Le devoir /MS de marcher au canon.– Fausse a)crt< Passa: du Tessin.– Un souvetm' de jeunesse. On s< débruuiH< /.<! C~c/< y~/<MM< Un malheureux capitaine de Tyroliens. M Cn.\t'HKK Yïï. Le vitigeors prend !e~ arn)e: Hcctinex la po~itloo des guidas. Mac-Mahon. Les tambours battent !a ctiarge. Hn'et mora).– Deux chiens de faïence. Héros inconnus. Une ambulance. Comment on se défait d'un officier trop sévère. CuAftTHE VI! I. Xapotëon IH a Xorare. Inaction de l'ennemi. Une missi"n auprès de Victor-Emmanuel et de Mac-Mahon. –Rapport a i'Kmpcrcur. Une surprise désa~rëabie. Vive inquiétude. Xunv~He mission auprès de Mac-Mahon. La Dicoqu' Le champ de bataHIe. Premier r;'pp<'t't de Mac-Mahon. « Grande bataille, grande victoire. t0~ CnAt'iTm: IX. Position de l'armée. Entrevue d'' Xapoléon III et deVictor-Hmmanne! Comment Ma<Maho!i fut fait duc et maréchal de France.–Le gênera! Re~nauld d': SaInt-Jean-d'AnircIy est nommé maréf'hat. Un bain hygiénique.–Les protits d'une défaite.–Essais tardifs. Le marquis de Cadore.–L'Empereur est~M~Ktret moral. Un combat //<<7. Le siège d'Alexandrie. Conférences mHitaircs. !!5 CuAriTRH X. Insuffisance et inaptitude du grand ëtatmajor. Le service d'espionnage. Une phusan'eriu de l'Empereur. Le. detaut d'imp:)rtiatité. Attaque de Huffa)(.'ra.– Les généraux <'e !,attto't'-ronge, Kspinasse. Mac-~lahon rac-'ntc lab:).taiHede Magenta.- Une grande perte pour Xapoléou 111. Un rapport ttHerminable. Le commandant Schmitx a tous les courages. Récompense méruée. Ils sont superbes. Mort de /<7~. t29 CtiAt'tTt~ XI. Chez l'apothicaire.– Le champ de bataille. JL~rc du. ~lmpJ"u. ~tUau. Eu~'éc triomphale.

p.-t~o.


TeDcw~ Une heure de détente.–Sinpuhèrc guerre.–Les drapeaux (!e Magenta. Le n"nce du Pape. Une dépêche de l'Rmpcreur. Ignorance politique '!cs ministres de Napoléon II! HH CtiAriTtu: XII. Succès et échec. Le marccha! Bara~uey d'UitH'-rs.– Une r.'Iation de la campagne de )S.t. Voici /'c~-e/e la. vérité. Le mar~chat !.et'*bvr< A ta ~<«. l'a cathédr.de. Phu'e du D-'one. Une visite 'ie nuit la cathédrale.–Divers sentiment s de ta population mih'naisc.–Le syndic de Gorgon/o)a. TrcvigHo. 157 CitAt'tTRH XIII. I'!us heureux que sa.rc. La popote de Camache. Trav.tirHato. Un n~tiveau colonel. Prenner rapport. Un f'avard. Grav.' erreur du bureau militaire. Hres<ia. Chex !e comte Martitien~o.–A la bonne franquette.– Le tuuséc. 176 Cn.\t'!TR.E XIV. La bihtiothëque du comte Martiaengc. Une :rénea!ogie. Un diner chcx le c"nue de SantaA. Triste dépêche. Départ de Mitan. Montechiaro. Les pressentiments (tu capitaine Dupent. Un souvenir !S8 Cn.\PtT! XV. An de]:) de Cnstii~if'ne. A</ .~M </V~<Une surprise. Kf rout' Im servent marie. I~e lieutenant Ct'as<ri:'ux. C'est a recoïnmeaccr. R~-nexion phih's'phi')ue.– La voix de l'Empereur. Chocolat Menier. A l'as-aut. Musique nntitairc.. D9 Cn.u'tTKE XV!. Un mode-te hen's. A )'"ut portant. Deux blessure. CItex M. le maire. U n drapeau. Chasse a l'homme. Les colonels Puech et Fournier. Notre colonel. Panorama grandiose. Cinq prisonniers. Une bonne prise. Un peu J'intrigue. Le capitaine Dupont. Uu étrange collaborateur. ~H Ctt.\riTR.K XVII. Mort du généra! deC"tte. Un enterrement militaire. Le s"!daf t't-anrais. C'c.~7 ?<~e 'yraM~c <'«/~<7/< Un p~t de !)U)th''r~. P<'rte d'un~ epaulett* Deux inscparabtes. Mi~si"n du capitaine i!rady. Un drapt.'au autrichien. 2:{2 CHAprrRK XV1H. Fausse position du marech:'t Canrobert. Attaques insuffisantes. Le général Xie!. Un révohnionnaire robinier. Pro~ressiun, instruction. Fusées de ~rre. Hetraite. .< /<'<'M/M<v. Modérati.'n. lassitude. J<~<'o <\<r« 7<«/w. HittaUle


de surprise. Épouvantai! chimérique. Les généraux r~ Rochefort et Luxy-PéHssae. marche en avant. Un 0~ 24'! CIIAPITRE XIX. Une panique. Mort du gênera! Auger. Nouvelle panique. L'épopée de !a poussière. A Saint-Cloud. Le maréchal Nie!. Te Pc'/w. Aux Champs-HlysL'es. Négociations. Cavriana. Le géoëral Xiel chez l'Empereur. A Go'ito. L') raison d'État. ~<'wpw~<'r. Fâcheux conflit. 2Ct CHAPITRE XX. Le siège de Peschiera. Contre-ordre. Mécontentement. Le général Fleury. Le'prince Napoléon. Le roi a Monza.mbano. Grande manœuvre. Un bâton de maréchal. Croyances physiologiques. Le général Tt'ochu. Entrevue de Villafranca 2SO CIIAPITRE XXI. Devoir de l'historien. Le général Ma.rt.!mprey. Le général Jurras. L'armée française. Imprévoyance et dupHcité. Préjugés funestes. Déception. Situation pohtiqu'\ Napoléon III. La préface de t87<). Ërat-major général. Démission de Cavour. Froid significatif. Saint-Clood:. 295

t

Puis" Typ. G. Chamerot. 19, rue des 2:.n;i.