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Title : Revue de l'histoire des colonies françaises / Société des l'histoire des colonies françaises

Author : Société française d'histoire des outre-mers. Auteur du texte

Publisher : Honoré Champion (Paris)

Publisher : Émile Larose (Paris)

Publication date : 1925

Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32857372f

Relationship : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32857372f/date

Type : text

Type : printed serial

Language : french

Format : Nombre total de vues : 11005

Description : 1925

Description : 1925 (A13,T18,N49)- (A13,T18,N52).

Rights : Consultable en ligne

Rights : Public domain

Identifier : ark:/12148/bpt6k106251j

Source : Bibliothèque nationale de France, 8-Lc12-293

Provenance : Bibliothèque nationale de France

Online date : 23/09/2008

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NF 43-1 20-6

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SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

Au siège de la Société 28, rue Bosaparte. EN VESTE AUX

ÉDITIONS LEROUX, même adresse.

REVUE

DE

TREIZIÈME ANNÉE 1923

I" TRIMESTRE

PARIS


REVUE DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES Souscription annuelle 3o francs.

l»iix du Numéro 7 fr. 5O

SOMMAIRE DU N" 4g

Pages

La succession Benoît Dumas, par Paul Olagnier. i- 10 Les origines du Dépôt des Papiers publics des Colonies, Le Dépôt de Rochefort (1763-1790), par Paul Roussieu. 21- 50 L'établissement des Français dans le Haut-Sénégal (1817i8aa), par Paul Marty 5i-ii8 COMPTES RKNnus ET NOTES diverses 119-1G0 1. Comptes rendus et Notes bibliographiques. 1 19-140 II. Revue des Revues 1/10-157 III. Noies et Nouvelles 157-160

PUBLICATIONS

ne LA.

SOCIËTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

Revue de l'Histoire des Colonies Françaises. Années 1913 à 192A. Chaque année 3o fr. Premier voyage du Sieur de la Courbe fait à la Coste d'Afrique en 1685, publié par P. Cultiiu. lvih-3:so p.. 18 fr. JEAN Law DE Lauiiiston Mémoires sur quelques affaires de l'Empire Mogol 41756-1761), publiés par A. Martineau. uxv-590 p 30 fr. La Mission de la « Cvbèle en Extrême-Orient (1817-1818), Journal de voyage du capitaine A. de Kergariou, publié par Pierre de Joinville. xxi-2/18 p i5 fr. La Relation sur le Tonkin et -ochinchine de Mf de la Bissachère 11807), publiée par Gu. B.-Maybon. 186 p. 10 fr. Instructions aux Gouverneurs français en Afrique occidentale. T. I: 1763-1831, publiées par Chr. Schefer. xxxhA96 pages. Prix. 3o fp.


L'HISTOIR~D~bLONIES FRANÇAISES Tome XVIII

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ABBEVILLE. IMPRIMERIE F. PjULIART'


SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

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l/IIIMUlfiK DES COLONIES FRANÇAISES

TREIZIEME ANNÉE Tome XVIII

1925

PARIS

Au siège de la Société 38, rue Bonaparte. BIf VENTE AUX

ÉDITIONS LEROUX, même adresse.


13" Année 1925 1" Trimestiie

REVUE

) DE

L'HÏSTO&POTLONIES FRANÇAISES

LA SUCCESSION BENOIT DUMAS

Le ig mai 1777, mourait à Paris dans son hôtel de la Tue Neuve des Capucines, à l'âge de 70 ans, Gabriel Olivier Benoit Dumas, écuyer, Conseiller Secrétaire du Roi, Maison et Couronne de France honoraire, ancien Receveur Général des finances de la Généralité d'Orléans, seigneur châtelain de Villequoy. de Dangeau, seigneur de 1a baronnie de Bullou et autres lieux, veuf en premières noces d'Angélique Elisabeth Tartarin, et en deuxièmes noces de Françoise Adrienne Puissant,

11 était inhumé le surlendemain à Saint-Roch en présence de Jacques Charbonnier de la Robolle, Secrétaire du Roi, Maison et Couronne de France, Avocat Général de Monseigneur le Comte d'Artois, et de Jean Daniel Marquet de Montbreton, Receveur Général des Finances, son gendre, veuf de sa fille Marie Elisabeth.

La vie de Gabriel Olivier. Sa vie s'était écoulée en .deux phases bien distinctes il avait passé la première


aux colonies avec son frère aîné Benoit Benoit Dumas de 1727 à 17^1, la seconde à Paris ou dans ses terres de 1742 à sa mort.

Il avait été nommé en 1727, à l'âge de vingt ans, troisième conseiller au Conseil Supérieur de l'ile Bourbon, avait suivi son frère aux Indes lorsque celui-ci avait remplacé Lenoir en 1735 comme gouverneur de Pondichéry, laissant à Mahé de la Bourdonnais le gouvernement des îles de France et de Bourbon.

A une époque et pendant une durée que nous ne pouvons préciser, Gabriel Dumas avait été commandant de « l'isle Moka » en Arabie. Mais, pendant tout le temps des séjours de son frère à Pondichéry, il n'avait été revêtu d'aucune autre fonction d'état, et s'était consacré au commerce d'Inde en Inde.

Suivant toujours le sillage de son aîné, il avait quitté Pondichéry avec lui le 19 octobre 1741, et avait débarqué à Lorient le 3o mai 17^2, rapportant une fortune amassée dans son commerce.

Aussitôt après son arrivée à Paris, il s'était préoccupé de s'établir et de se créer une situation en vue. Grâce à son frère, devenu directeur de la Compagnie des Indes, il épousa Angélique Elisabeth Tartarin, fille de Pierre Tartarin, Avocat Général de la Reine et d'Anne Elisabeth Louise Orry, cousine de Philbert Orry, Contrôleur Général des Finances, directeur général des bâtiments et jardins du Roi.

Aux termes de' son contrat de mariage, passé le 1er octobre 17^2, il apportait une somme de ioo.ooo livres destinée au paiement d/un office de Secrétaire du Roi, Maison et Couronne de France dont il avait traité plus i. Voir sa notice biographique par M. Martineau (Revue de l'Histoire des Colonies Françaises, VIII [1920], p. i46-i6a).


une somme de 100.000 livres qu'il avait « entre ses mains » composée de io.ooo livres faisant le principal de 5oo livres de rente constituée sur le Domaine de la Ville de Paris, et 90.000 livres en billets, promesses, obligations et deniers comptant enfin 200.000 livres « à lui appar« tenant que le sieur Dumas, Directeur de la Compagnie « des Indes, son frère, reconnaît lui devoir et promet lui « payer pour être employées en acquisition de terre, mai« son ou charges ou partie d'icelles. »

Le mariage était célébré en grande pompe le 10 octobre suivant à Saint-Jean de Grève les témoins étaient pour le marié, son frère et d'Hardancourt, Directeur de la Compagnie des Indes pour la mariée, Guillaume Tartarin, Trésorier de France en la Généralité de Paris, son oncle paternel, et François Claude Peillot de la Garde, Auditeur en la Chambre des Comptes.

La mère des deux Dumas, Marie Philippe, n'assistait ni à la signature du contrat ni même à la messe de mariage de très humble origine, elle aurait détonné au milieu de ces hauts personnages de robe et de finance aussi le 4 octobre, elle avait comparu par devant Maîtres Meny et Bouron, notaires à Paris, pour donner son consentement au mariage de son fils. Dans cet acte, elle est qualifiée de « Veuve de Pierre Benoist Dumas, bourgeois de Paris, y demeurant rue du Four Saint- Honoré, paroisse SaintEustache. »

De ce mariage naquirent trois enfants une fille, Marie Elisabeth, née l'année suivante, qui épousa en 176a le comte de Montbreton et mourut sans enfant la même année -un fils, Pierre Gabriel, né en 1745, mort le i4 octobre 1763 et enfin un second fils, Gabriel Clément, né en 1750 et mort le a mai 1752.

Vingt jours avant la mort de son fils Pierre Gabriel, il


avait perdu sa femme le a4 septembre 1 763 son fils avait hérité toute la fortune de sa mère il hérita de son fils toute la fortune de sa femme.

Les fonctions de Gabriel Olivier. 11 avait été installé le 6 décembre 174a dans sa charge de Secrétaire du Roi en remplacement de Pierre Goislard de Villebresme, mais cette situation ne suffisait pas à son ambition si elle conférait la noblesse et donnait à son titulaire son entrée à la Cour, elle n'était guère lucrative.

Grâce aux 200.000 livres prêtées par son frère, il put acquérir de Jean Hyacinthe Davasse de Saint-Amarand la charge de Receveur Général des Finances de la Généralité d'Orléans par acte passé par devant Me Bricault, notaire à Paris, le 21 mai 1744, pour le prix de 697.000 livres, dont il paya le solde avec les revenus qu'elle lui procura. Le 6 juin 1744 il y était nommé par lettres patentes du Roi, qui rappelaient ses services comme Conseiller au Conseil supérieur de l'Ile Bourbon et comme Commandant pour la nation française « en l'isle de Moka a chose curieuse, le Roi rappelait les services rendus par le sieur Benoist Benoist Dumas son frère, dans les places de gouverneur et de commandeur aux Indes, qu'il a remplies « avec « tant de succès et tant d'habileté qu'en luy donnant « une place de Directeur de la Compagnie des Indes « nous l'avons honoré des privilèges de la noblesse et du « titre de Chevalier de notre ordre de Saint-Michel » Il semble qu'ainsi le Roi .avait voulu justifier cette nomination à un poste de première importance en considération des services de l'aîné plus encore que des siens propres.


Benoist Benoist Dumas. Celui-ci avait été anobli par lettres patentes données à Fontainebleau en octobre 1787 il avait été nommé en même temps Chevalier de l'ordre de Saint-Michel; enfin, il avait acquis, à son retour en France, une maison à Paris, rue Richelieu, et la seigneurie de Stains près de Saint-Denis le 26 avril 17^3. Mais il ne devait pas jouir longtemps de sa fortune et de ses honneurs. Atteint d'une maladie dont nous ignorons la nature, il avait fait son testament par devant Maîtres Angot et Fortier, notaires à Paris, le 10 octobre 1746. Par un codicille reçu par les mêmes notaires le a octobre, il réglait le sort des aidées d'Archivac et de Tondemanatom près de Pondichéry, qu'il tenait de la reconnaissance de Sabder Ali Khan, nabab d'Arcatte, en en léguant la propriété à la Compagnie des Indes et l'usufruit à sa femme Marie Vanzyll et à son frère Gabriel Olivier, à partager « par égale portion ».

Par son testament, il laissait à sa femme l'usufruit de sa fortune « à dame Marie Philippe sa mère, veuve de M. Benoist Dumas», 2.000 livres de rente en pension viagère à son secrétaire Alphonse Garvailler et à damoiselle Marie Guyet-Léauté sa femme, 600 livres de rente et pension viagère à chacun à La Violette, son domestique noir, et à Marceline sa femme, 600 livres de rente pour eux deux il faisait encore d'autres legs à son personnel domestique; laissait au curé de Saint-Roch 2.000 livres à distribuer en aumônes aux pauvres honteux de sa paroisse et i.ooo livres au curé de Stains à distribuer à ceux de sa paroisse enfin il instituait son frère son légataire universel, et deux exécuteurs testamentaires son collègue


Saintard, directeur de la Compagnie des Indes, et son notaire Mo Bellanger.

Il mourait le 29 octobre, et le lendemain était inhumé, selon le désir exprimé par son testament, «sans aucune pompe ny cérémonie », dans la cave de la chapelle de la Sainte Vierge de l'église Saint-Roch, en présence de son frère et du beau-père de celui-ci, Pierre Tartarin.

Les héritages de Gabriel Olivier. Sa mère Marie Philippe, se trouvant trop mal partagée par la modeste rente viagère de 2.ooo livres qu'il lui laissait, attaqua le testament mais celui-ci fut validé et Marie Philippe fut déboutée par une sentence du Parc civil du Châtelet en date du 22 décembre 1746. Marie Philippe s'inclina devant cette décision et par acte passé le 16 mars 1747, la situation fut régularisée Marie Vanzyll sa bru lui promettait de payer cette rente durant son usufruit, et son fils Gabriel Olivier promettait à son tour de la payer en qualité de légataire universel à l'extinction de l'usufruit de sa bellesœur.

Marie Philippe, « veuve de Pierre Dumas, bourgeois de Paris », mouraitle 2 mai 1751 et était inhumée le lendemain à l'église Saint-Eustache en présence de son fils' Gabriel Olivier et du caissier de celui-ci, le sieur Claude Voillerault, bourgeois de Paris.

Après la mort de sa belle-sœur Marie Vanzyll, Gabriel Olivier avait réuni à sa nue propriété l'usufruit de la succession de son frère.

Ayant perdu son frère, sa mère, sa femme et ses trois enfants, resté seul au monde, il épousa en secondes noces, au mois de janvier 1764, Françoise Adrienne Puissant,


fille de Adrien Jacques Puissant, fermier général et Secrétaire du Roi, Maison et Couronne de France il avait 57 ans. Celte-ci mourait à son tour sans enfant au mois de juin 1776.

Les acquisitions de Gabriel Olivier. Après la mort de son frère, grâce à ses économies, à ses placements à la grosse aventure, aux bénéfices de sa charge de Receveur Général des finances d'Orléans et à sa part des revenus des aidées de l'Inde, Gabriel Olivier voyait sa fortune s'accroître de jour en jour mais il n'était pas heureux sa noblesse de fraîche date, sa vanité de parvenu, et probablement son avarice, lui valaient sinon des avanies, du moins un éloignement marqué de la part des gens de la Cour.

Ne pouvant se faire accepter, il résolut de les accabler par le nombre de ses domaines. Le 3i juin 17*19, il achetait de M. de Fontanieu moyennant 3o3.ooo livres le château de Villequoy en Beauce, tristement célèbre par les crimes de la marquise de Brinvilliers, qui y avait empoisonné son père et son frère. Il achetait le 3o décembre 1769. au comte de Tessé la châtellenie de Meigneville pour 162.000 livres au baron de Tubeuf la seigneurie de la Berthaudière pour 36. 000 livres le 3 janvier 1775, la baronnie de Bullou à Jacques de Serres de Saint-Roman pour 3oo.ooo livres au duc de Luynes pour 554. 000 livres le marquisat de Dangeau le i4 juin et pour 70.000 livres la seigneurie de Sonnay le i4 juillet 1775. Enfin, pour avoir une maison de campagne dans les environs de Paris, il avait acheté le 2 avril 1775 pour 5o.ooo livres, le domaine de la Brosse, à Ville-d'Avray, à Marc Antoine Thierry, valet de chambre du Roi.


Ce n'était pas tout il était en outre seigneur de Villarceaux, de Mortainville, de Chavernay-le-Grand, du Plessis en Chavernay, de fiaucé, de la baronnie de Brou. Et nous en oublions peut-être.

Les débats autour de la succession. Voulant à tout prix cacher son origine des plus modestes, car lors de son baptême à Saint-Eustache le 3 juin 1707, son parrain, r Gabriel Jonquet, était un simple menuisier et sa marraine, Marie Bernardin, ne savait pas signer, – il avait toujours déclaré qu'il n'avait aucun parent; on ne lui connaissait donc pas d'héritiers.

Il n'avait pas fait de testament. Il n'avait laissé que deux codicilles, l'un, daté du 25 mai 1770, par lequel il laissait à Lafée, son premier domestique, une pension viagère de 600 livres; l'autre, daté du 16 février 1774, par lequel il léguait au sieur Le Butteux et à un certain Chemassé une pension viagère de 3oo livres à chacun, et une somme de 2o.ooo livres à son caissier Voillerault. Aussi, le lendemain de sa mort, sur l'ordre de la Chambre du Domaine, les scellés avaient été apposés tant dans son hôtel à Paris que dans ses châteaux -de Villequoy, de Bullou et de Dangeau, et un arrêt de cettechambre rendu le 27 mai 1777 huit jours après son inhumation, avait adjugé sa succession au Roi à titrede bâtardise. De son côté, la Chambre des Comptes avait fait croiser les scellés « attendu sa qualité d'ancien comptable » et ordonné qu'il serait procédé par des commissaires de la dite Chambre à l'inventaire, vente et adjudication des biens, meubles et immeubles de la succession. D'autre part, les officiers du Bureau des Finances de la Généralité d'Orléans avaient fait apposer les scellés sur


les biens situés dans l'étendue de la Généralité et prétendaient faire procéder à la vente de ces biens. Enfin, la Cour des Aides, par arrêt du 20 juin 1777, avait évoqué à soi toutes les contestations nées et à naître entre les créanciers et héritiers de la succession.

On voit d'ici les complications inouïes qu'engendraient ces procédures. Le Roi étant en son conseil y mit fin le i3 avril 1777 en évoquant « à soy et à son Conseil toutes « contestations nées et à naitre au sujet de la succession « du sieur Dumas en quelques cours et juridictions qu'elles « soient portées » et les renvoya devant la Chambre du Domaine pour y être jugées sur l'appel de la Grand'Chambre du Parlement.

Sa Majesté ordonnait enfin que tous les scellés seraient t levés, et qu'il serait procédé, sur les diligences du Receveur Général des Domaines de la Généralité de Paris, Geoffroy de Montjay, à l'inventaire et à la vente des meubles et immeubles de la succession, en quelque endroit qu'ils furent situés.

L'arrêt de la Chambre du Domaine qui adjugeait la succession au Roi à titre de « bâtardise était de nature à détruire les prétentions des deux catégories de personnes qui avaient des intérêts dans la succession, c'est-à-dire les héritiers éventuels et les seigneurs hauts-justiciers desquels dépendaient les domaines de Dumas.

Aussi les oppositions ne manquèrent pas.

Comme l'acte de baptême du de cujus le disait fils de « Pierre Benoist et de Marie Philippe sa femme », les membres d'un certain nombre de familles dont le nom patronymique était « Benoist » revendiquèrent la sucession comme héritiers.

D'autre part les seigneurs hauts-justiciers invoquèrent le droit féodal de « déshérence » qui leur permettait de se


mettre en possession de la succession et d'en percevoir les fruits jusqu'à ce que les héritiers se fissent connaître. Ces seigneurs hauts-justiciers étaient le Duc d'Orléans, le Duc de Luynes, le Premier Président de la Chambre des Comptes Masson de Meslay, la Comtesse et le Baron de Montboissier, les héritiers du Président Talon, le Baron de Tubeuf, le Premier Président de la Cour des Aides de Barentin, la dame d'Epernay, le Duc de la Rochefoucauld, les Religieux de Bonneval et le Chapitre de Chartres. Un arrêt de la Grand'Chambre du Parlement en date du 24 avril 1780 déboutait toutes les familles Benoist, dont aucune n'avait apporté une preuve quelconque de sa parenté avec le de eu jus mettait à néant l'arrêt de laChambre du Domaine adjugeant la succession au Roi à titre de bâtardise disait que celui-ci resterait en possession des biens de la succession situés dans la prévôté et vicomté de Paris, en tant que seigneur haut-justicier et à titre de déshérence seulement, et envoyait en possession à ce titre les autres seigneurs hauts-justiciers, à charge de justifier dans le délai de trois mois que « les fiefs, terres « et seigneuries sont mouvants de leurs hautes justices ». Le receveur des Domaines Geoffroyde Montjay, représentant le Roi dans l'instance, était condamné «à remettre les titres relatifs à la propriété desdits biens à chacun desdits seigneurs hauts-justiciers ».

La falsification de [acte de mariage des parents des deux Dumas. – Parmi les membres des différentes familles Benoist se prétendant héritiers figurait un certain Jean Benoist, entrepreneur de travaux publics à Lyon, à qui un homme d'affaires nommé Pétillot avait persuadé qu'il était héritier.


Pétillot avait découvert à l'église Saint-Pierre en Sentellé d'Orléans l'acte de mariage des parents de Dumas, célébré le 3i mars 1703; il avait falsifié cet acte, et avait fabriqué les extraits de huit autres actes prétendus existants à l'église de Saint-Etienne et Saint-Barthélemy de Montluel. Ces faux furent bientôt découverts Jean Benoit, Pétillot et un complice nommé Lorichon furent arrêtés s et écroués à Orléans le 16 juillet 1779 le curé, le vicaire et le sacristain de Saint-Pierre en Sentellé furent poursuivis avec eux. Pétillot seul fut condamné, d'abord par le Châtcletdc Paris à neuf ans de galères le 30 février 1781. Sur un malencontreux appel, la Chambre de la Tournelle du Parlement de Paris élevait la peine aux galères à perpétuité par arrêt du ig mars 1784.

La falsification de l'acte avait été opérée au moyen d'un corrosif qui avait fait disparaître l'écriture du texte de l'acte, texte qui avait été remplacé par un autre justifiant la prétention de Jean Benoist. Seules avaient été respectées les signatures de l'épouse Marie Philippe, du curé et des témoins celle de l'époux était transformée en « P. Benoist ». Ainsi le faussaire obtenait un double résultat en faisant disparaître le texte réel de l'acte, il enlevait aux véritables héritiers la possibilité de faire triompher leurs revendications dans l'avenir et il donnait une base certaine à la prétention de son client.

Le nom patronymique. Quel était le nom patronymique des deux frères Etait-ce « Benoist Il Etait-ce « Dumas » ? il

A l'exception de leurs actes de baptême où ils sont dits fils « Pierre Benoist » tous les autres actes les concernant


donnent le nom de « Dumas » aussi bien les lettres patentes leur confiant leurs différentes fonctions, que les actes notariés dans lesquels ils sont parties, leurs actes demariage et leurs actes d'inhumation.

Bien plus, leur mère Marie Philippe est désignée sousle nom de « veuve Dumas » dans le procès-verbal d'adjudication d'une maison sise à Paris, rue Sainte-Apoline, en date du 28 mars 1737, achetée au nom de son fils aîné alors à Pondichéry elle signe un bail authentique de cette maison le 4 avril 1737, toujours au nom de son fils, sous le nom de « Marie Philippe, veuve de sieur Pierre Benoist Dumas ). Elle donne son consentement au mariage deson second fils Gabriel Olivier le 4 octobre 1742 sousle nom de « Marie Philippe, veuve de Pierre Benoist Dumas ».

Dans son testament authentique, son fils aîné lègueune rente viagère de 2.000 livres « à dame Marie-Philippesa mère, veuve de Monsieur Benoist Dumas ». Enfin, elle est inhumée sous le nom de « Marie Philippe, veuve. de Pierre Dumas ».

Lorsque la succession de Gabriel Olivier fut ouverte, des avocats célèbres furent appelés à donner leur avis sur les droits des seigneurs hauts justiciers, pour appuyer leur prétention à la déshérence cette contradiction entreles actes de baptême, portant le seul nom de « Benoist », et les autres actes celui de « Dumas », ne leur avait pas. échappé.

Dans une consultation donnée à la Comtesse de Montboissier, Mo Carré écrit que « la qualification de Dumasne sera réputée qu'un surnom qu'il aura pris dans letemps pour cacher peut-être dans le monde la bassessede son origine ». Cette explication ne vaut rien, car le nom de Dumas est aussi commun et aussi roturier que-


«elui de Betioisl – et d'ailleurs l'Armorial de France mentionne trois familles Benoisl d'excellente noblesse, dont l'une remonte même aux croisades.

Dans la consultation donnée au Président Masson deMeslay, MM Boudet, Tronchet et Clément donnent une explication plus satisfaisante du changement de nom de Marie Philippe entre les baptêmes de ses enfants et son inhumation. « Cette différence, disent-ils, vient de ce que, dans l'intervalle, le père a pris le surnom de Dumas n. Ceci expliquerait en effet pourquoi les deux frères ont pris en même temps le nom de Dumas, mais n'explique pas pourquoi leur père aurait pris ce nom.

Losqu'ils ont donné ces consultations, les avocats de ces seigneurs ignoraient l'existence d'un mémoire que Benoist Dumas, alors gouverneur de l'île Bourbon, avait envoyé au Conseil du Roi le i5 décembre 1732 en réponse à la requête diffamatoire d'un officier révoqué nommé Marion, qui l'avait accusé d'être bâtard et né du commerce de son parrain Dulivier avec sa servante. Dans ce mémoire, il parle de son père « le sieur Pierre Benoist Dumas, marchand à Lyon » qui passa en Hollande « par rapport à ses affaires qui l'appelèrent auprès du sieur Jean Dumas son oncle, négociant en la ville d'Amsterdam ». Si l'oncle s'appelait Dumas, le père portait évidemment le même nom celui-ci ne l'avait donc pas pris comme on l'affirmait.

Par conséquent, pour avoir la solution du problème, il faut en changer la position il ne faut pas chercher à expliquer si le père des deux Dumas ou ceux-ci ont ajouté le nom de Dumas à celui de Benoist, mais si le nom de Dumas n'a pas été omis pour une raison quelconque sur «les actes de baptême des enfants.


L'acte de mariage d'Orléans. L'acte de mariage d'Orléans va éclairer cette énigme.

La signature de Marie Philippe est restée à peu près intacte. Sa comparaison avec celles qu'elle a apposées sur des actes authentiques postérieurs ne permet pas de douter que c'est la même main qui a signé ces actes et l'acte mariage. Nous sommes donc en présence de l'acte de mariage des parents des deux frères.

Si la signature de Marie Philippe est à peu près intacte, il n'en n'est pas de même de celle de son conjoint celle-ci a disparu mais a laissé des traces fort perceptibles, sous celle « P. Benoist », qui la recouverte.

D'abord il est certain que la signature de l'époux n'était pas « Benoist ), car du moment qu'il s'agissait de faire hériter Jean Benoist, on ne conçoit pas comment le faussaire aurait fait disparaitre la signature « Benoist » pour lui en substituer une fausse du même nom il l'aurait au contraire conservée avec soin.

Or, il a fait disparaitre la signature primitive, mais par les traces qu'elle a laissées, on retrouve le nom de « Dumas ». En effet le B de Benoist est manifestement fait avec un D le faussaire n'a pu faire disparaitre l'a pour le transformer en o, et l'i provient d'un s Ainsi sur les cinq lettres du mot Damas, on en retrouve trois le D, l'a et Vs. Enfin l'écartement entre le B et l'o est trop considérable pour les deux jambages de l'e et de l'n de « Benoist », mais se remplit au contraire parfaitement avec les cinq jambages de l'u et de l'm de « Dumas ».

La signature de l'époux était donc certainement « Damas ».


Examinons maintenant les actes de l'état-civil concernant les enfants de Marie Philippe.

Il nous en reste cinq qui ont été reconstituées après les incendies de la Commune

1° L'acte de baptême à Saint-Nicolas des Champs de Marie Antoinelle, née à Paris le 29 mai 1691 elle est dite fille de Pierre Benoist, marchand, et de Marie Philippe sa femme, demeurant rue Saint-Martin le père absent. 2° L'acte de baptême à Saint-Roch de Benoist, né à Paris le ig mai 1696 il estdit fils de Pierre Benoist commis et de Marie Philippe sajemme, demeurant rue des Lavandières l'absence du père n'est pas constatée, mais elle résulte de ce qu'il n'a pas signé l'acte.

L'acte de baptême à Saint-Eustache de Marie Anne, née le 19 août 1698 elle est dite fille de Pierre Benoist marchand commissionnaire et de Marie Philippe sa femme, demeurant rue de la Truanderie le père absent. L'acte d'inhumation de Marie Anne dressé à SaintEustache le 9 septembre 1701 elle est dite fille de Pierre Benoist, bourgeois de Paris, et de Marie Philippe, demeurant rue Montmartre. La mention « sa femme » n'y figure pas, et l'absence du père n'est pas constatée, mais elle résulte de ce qu'il n'a pas signé l'acte.

5° L'acte de baptême à Saint-Eustache de Gabriel Olivier le 3 juin 1707 il est dit fils de Pierre Benoist officier et de Marie Philippe sa femme, demeurant rue Saint-Honoré le père absent.

Enfin nous savons par un jugement du Tribunal d'Appel de Paris du i3 fructidor an X, que Marie Philippe a eu une troisième fille, Louise née en 1692, morte le 29 juillet 1694 nous n'avons pu retrouver les actes la concernant.

Or, le mariage ayant eu lieu à Orléans en 1703, il en


résulte que quatre enfants sur cinq, Marie Antoinette, Benoist, Marie Anne et Louise, étaient nés hors mariage seul, Gabriel Olivier, néen 1707, était légitime, et que deux seulement survivaient à cette époque, Marie Antoinette et Benoist.

Cependant, le père n'est jamais présent, les témoins déclarent aux trois actes de baptême de Marie Antoinette, de Benoist et de Marie Anne qu'ils sont enfants de Pierre Benoist et de Marie Philippe « sa femme ». On doit con.clure, ou qu'ils ignoraient que les parents n'étaient pas mariés et qu'ils s'en rapportaient aux apparences d'une vie en commun, ou qu'ils faisaient sciemment une déclaration inexacte, ce qui semble le cas de Benoist Dulivier, parrain de Benoist et ami de son père. Ces constatations prouvent que les déclarations des témoins ont été inexactes quant à l'état des parents et qu'elles ne l'ont pas moins été quant au nom patronymique. Il est bien évident que les parents vivaient maritalement et qu'ils n'étaient connus à Paris que sous le nom de Benoist, mais l'acte de mariage d'Orléans, auquel l'époux était nécessairement présent, contient bien son véritable nom, car si des voisins pouvaient de bonne foi ignorer le véritable nom du père, ou tout moins le prétendre éventuellement, celui-ci ne pouvait se marier sous un faux nom, sans s'exposer à des poursuites pour faux. Ainsi donc, il est certain que le nom patronymique était « Dumas » et non « Benoist »

D'autres procès. Le mémoire du gouverneur de Pondichéry n'était connu d'aucune des parties à l'arrêt du Parlement du 24 avril 1780. Il ne le fut pas davantage de -tous ceux qui, depuis, revendiquèrent la succession. Sa


production leur eût évité d'intenter des procès inutiles et coûteux.

Il en eût été de même si l'on avait procédé à un examen .attentif de l'acte de mariage falsifié d'Orléans.

Ces deux documents auraient mis à néant, dès l'abord, les prétentions de toutes les familles qui prétendaient tirer leurs droits d'un « Benoist » ce furent les plus nombreux parmi celles qui intentèrent les divers procès qui ont occupé les prétoires jusqu'à ce jour.

Nous ne parlerons que de ceux qui ont présenté quelque intérêt.

Des consorts Benoist formèrent en 1791 une demande devant le Tribunal civil de la Seine contre Geoffroy de Montjay, le Duc d'Orléans, qui n'était pas encore Philippe-Egalité, le baron de Montboissier. le Duc de Luynes et les héritiers du Président Masson de Meslay, à l'effet de faire ordonner le dépôt au Greffe de tous les titres et pièces dépendant de la succession de Gabriel Olivier Benoist Dumas. Le jugement rendu le 1" octobre 1791 leur donnait satisfaction « Attendu que les titres ou « pièces dont il s'agit n'appartiennent encore à personne, « puisque la succession de Gabriel Olivier Benoist Dumas, « quoique réclamée depuis longtemps par diverses bran« ches qui se prétendent ses héritiers, n'est point par« tagée

« Qu'on ne peut la considérer, quant à présent, qu'en « dépôt dans les mains de la nation et des ci-devant sei« gneurs qui en ont recueilli quelques portions « Qu'elles doivent être placées dans un dépôt public où « les prétendants à la succession, comme toutes per« sonnes, auront le droit d'en prendre connaissance sans « déplacement ».

Ce jugement n'a jamais été mis à exécution.


D'autres familles Benoist, auxquelles s'étaient jointes deux familles Dumas, par voie de tierce opposition à l'arrêt du 24 avril 1780 revendiquèrent en l'an X les biens de la succession détenus par l'Etat, le Duc de Luynes, la dame d'Epernay, le Baron de Tubeuf et les héritiers du Président de Meslay.

La plupart de ces familles ne basaient leurs prétentions que sur une similitude de nom et sur des généalogies fantaisistes qui ne résistèrent pas à l'examen elles ne tentèrent d'ailleurs même pas de produire des preuves de leur parenté avec le de cajus.

Seules, deux familles Benoist, prétendant toutes deux tenir leurs droits d'un nommé Christophe Benoist, originaire de Lyon, se rendirent compte qu'il fallait d'abord prouver le mariage du Pierre Benoist dont ils se prétendaient héritiers avec Marie Philippe.

Les premiers, dits « Benoist des Andelys », produisirent un acte de mariage, dressé le 20 juin i6g4 à Saillans en Dauphiné, concernant « Honnet Pierre Benoit et Marie « Philippe, tous deux domestiques de sieur François « Barnave, marchand de soie ».

Ce n'était pas la première fois qu'on faisait état de cette pièce. Les avocats consultés par les seigneurs l'avaient visée dans leurs mémoires Christophe Benoist lui même l'avait produite devant la Chambre du Domaine, et elle avait été arguée de faux par Geoffroy de Montjay. Cet acte ne pouvait manifestement pas concerner les parents du de cujus, qui n'avaient jamais été en Dauphiné et n'avaient jamais été domestiques enfin le prénom local de « Honnet » n'avait jamais été porté par le père.

La seconde famille, représentée par Anthelmette Chevrier veuve Rougier, produisait une copie du faux acte de mariage d'Orléans. Il suffisait de lui opposer l'arrêt du


Parlement qui avait condamné Pétillot pour ruiner sa prétention.

Un jugement du Tribunal d'Appel du i3 fructidor an X déboutait donc tous les demandeurs pour défaut de qualités.

Une famille Leroy. originaire de Marcoussis, prétendait tirer ses droits de sa parenté avec la mère des deux Dumas, qui serait née à Marcoussis et qui se serait mariée avec Pierre Benoist Dumas à Malesherbes ou à Fousson malheureusement elle ne produisait aucun acte de mariage, parce que les registres des paroises de ces deux localités avaient été détruits.

Le mémoire de Benoist Dumas leur aurait appris que sa mère était née à Amiens.

Mais ce n'est point pour cette raison que, par jugement du ia janvier 1848, la quatrième Chambre du Tribunal de la Seine débouta les consorts Leroy c'est le moyen tiré de la prescription trentenaire de l'article 2229 du Code Civil, que nous voyons apparaître pour la première fois à l'occasion de cette succession.

En 18ô4, une dame Paule Dumas épouse Cancerre, dont la famille était originaire de Bayonne, demandait l'assistance judiciaire pour revendiquer contre l'Etat les biens de la succession. Elle descendait en droite ligne de Pierre Dumas né à Estibeaux (Landes) le 24 août 1671, et produisait l'acte de naissance du frère de celui-ci, né au même lieu le 12 septembre 1668 et qui s'appelait Pierre Benoist Dumas. Sa prétention était appuyée sur une tradition constante dans le pays selon laquelle ce Pierre Benoist Dumas avait quitté le pays pour s'établir petit marchand à Paris, où il avait épousé Marie Philippe, dont elle avait eu deux fils, l'aîné le gouverneur des Indes, le second employé dans les Finances.


Sa demande parut si sérieuse, son dossier si convaincant, que l'assistance judiciaire lui fut accordée pour former tierce opposition devant la Cour de Paris à l'arrêt du Parlement du 24 avril 1780.

Pour échapper à la fin de non-recevoir tirée de la prescription, elle fit valoir un certain nombre de minorités de quelques membres de sa famille mais, par arrêt du 3 mai 1872, la Cour la débouta, non pour défaut de qualité, mais parce que ces minorités concernaient, non les auteurs de la demanderesse, mais des collatéraux, et qu'en conséquence elle ne pouvait en profiter.

Enfin en 1898, des consorts Dumas, cousins de madame Cancerre intentaient une revendication du château de Villequoy contre les héritiers du Président Masson de Meslay, la Marquise de Durfort de Civrac, le Comte de Goulaine et la Comtesse de la Roche-Thulon devant le Tribunal Civil de la Seine.

Par jugement du 8 mars 1898, la première Chambre les déboutait pour deux raisons la première, qu'ils ne produisaient pas l'acte de mariage de Pierre Benoist Dumas et de Marie Philippe et ne faisaient pas la preuve de l'identité de leur auteur Pierre Benoist Dumas d'Estibeaux et du père des deux Dumas la seconde, qu'il y avait prescription.

Ce jugement fut confirmé par arrêt de la première Chambre de la Cour le 3 février 192/4.

Adhuc sub judice lis est.


LES ORIGINES DU DÉPÔT DES PAPIERS PUBLICS DES COLONIES

LE DÉPOT DE ROCHEFORT (1763-1700)

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Après la capitulation de Louisbourg le 26 juillet 1758, de nombreux habitants de cette ville et de l'Ile Royale revinrent en France. Ils y furent rejoints au cours des années suivantes par des colons de l'Ile S'-Jean et du Canada, également chassés de leurs demeures par les Anglais. Une notable partie de ces réfugiés se fixa à la Rochelle, à Rochefort et aux environs. C'est aussi par ces deux ports que furent rapatriés, pour la plupart, les officiers et soldats qui avaient défendu Louisbourg et le Canada. Brutalement dépossédés des biens qu'ils avaient péniblement acquis en plus d'un siècle de travaux et de luttes dans la Nouvelle France, ces malheureux réfugiés étaient sans ressources le Roi dut venir à leur secours et pourvoir à leur subsistance. Les nombreux « Rôles des anciens habitants de l'Amérique septentrionale », secourus en France, qui existent encore dans les Archives coloniales, donnent de précieux renseignements sur les noms et la situation de ces familles ils prouvent en même temps que


l'Etat d'alors sut remplir le devoir de solidarité imposé par les circonstances. Mais les précautions prises pour la sauvegarde des intérêts du Trésor royal, déjà assez dépourvu d'argent, les formalités, la paperasserie en un mot, ne furent pas inférieures à celles qu'exige l'administration du xx. siècle. Pour prouver leur état dans toutes les circonstances de la vie, les réfugiés durent produire des pièces, tout comme aujourd'hui. Beaucoup en étaient dépourvus. Cependant un certain nombre de particuliers avaient gardé avec eux leurs papiers de famille, leurs actes de baptême, contrats de mariage, titres de propriété, etc des curés étaient partis emportant les registres de leur paroisse, des notaires avec leurs minutes les dossiers du baillage, de l'amirauté et du conseil supérieur de Louisbourg avaient suivi en France les greffiers de ces juridictions les fonctionnaires civils et militaires débarquaient avec tout ce qu'ils avaient pu sauver des comptes de leur gestion. Tous les papiers emportés au moment du départ n'arrivèrent pas en France il s'en perdit au cours de la traversée il en était resté aussi au Canada ce qui parvint jusqu'aux ports de l'Aunis n'en présentait qu'un intérêt plus grand, tant pour les particuliers que pour le Roi.

Le ministre réclama tout de suite les papiers des gouverneurs et des intendants, les comptes des trésoriers et les états relatifs aux troupes ordre fut donné de les envoyer à Versailles. Mais dans les ports où se trouvaient les réfugiés eux-mêmes, ce furent les papiers concernant leur état dont l'utilité apparut chaque jour plus grande aux fonctionnaires chargés de les aider à subsister et à refaire leur vie. C'est donc dans un port que l'on comprit d'abord l'intérêt qu'il y aurait à assurer la conservation de ces papiers.


Dès que l'état de paix rétabli par le traité de Paris eut permis de reprendre haleine et d'envisager la situation nouvelle créée par la cession définitive du Canada et de l'Ile Royale, l'idée d'organiser cette conservation prit corps dans les bureaux de l'Intendance de la Marine de Rochefort. Le 10 décembre 1763, le commissaire général Choquet écrivit au ministre, alors le duc de Choiseul, et lui proposa d'établir un Dépôt spécial des Papiers des Colonies dans ce port1.

Choquet, alors âgé de 56 ans, avait été nommé ordonnateur à Rochefort en 1762. Le séjour de cette ville ne lui plaisait guère. Colbert avait bien pu décréter la création d'un port en cet endroit, y construire un arsenal, des fonderies, des magasins et y faire affluer la population, la ville ainsi posée au bord de la Charente s'y trouvait au milieu de marais et la fièvre y régnait. Choquet s'en dit fort malade ainsi que sa femme et, dans une lettre du 9 avril 1764. supplie qu'on ne les laisse pas mourir tous deux dans cet endroit malsain 2. Il n'avait d'autre désir que de quitter ce port et très vraisemblablement ce n'est pas à lui que nous devons attribuer l'idée première d'y établir un dépôt d'archives, établissement qui demande du temps, et de la suite dans les idées et les méthodes, L'idée doit être née et avoir été mûrie, dans le cerveau de celui de ses subordonnés à qui Choquet propose au ministre de confier l'organisation et la garde du dépôt, le sieur Haran, secrétaire de l'Intendance.

1. Archives du 4" arrondissement maritime B8 3.

a. Arch. Nat. Marine C7 66. Jean Joseph Choquet, né à Brest. le 18 mars 1707, commissaire général et contrôleur à Brest, ordonnateur à Rochefort, en x762, commissaire général à Brest en 1766, ordonnateur au Port Louis. puis à Lorient, mort le a3 novembre 1781. Il avait épousé Anne Elisabeth Dupleix, sœur du célèbre gouverneur de Pondichéry et veuve en ir" noces de Jacques Pesnos de Kerjean.


Haran occupait ce poste depuis sept ans: « homme deloix », il avait été employé dans les Intendances dediverses généralités et y avait acquis l'estime et la considération de ses chefs sa probité lui valait une confiance générale, il avait de l'ordre et du goût pour les vieux, papiers « son intelligence en ces sortes d'affaires est connue », dit Choquet. Sans doute il employait ses loisirs à fouiller et mettre en ordre « divers anciens papiersdepuis bien des années renfermés dans plusieurs grands coffres à l'Intendance ». Le climat de Rochefort ne l'effrayait point; il prouva par la suite que la fièvre des marais de l'Aunis n'avait pas de prise sur sa robuste santé. En 1763. Haran avait 64 ans et songeait probablement qu'il ne pourrait plus conserver bien longtemps un poste aussi actif que le secrétariat de l'Intendance.

On peut soupçonner qu'il vit dans le dépôt d'archives à' créer une retraite agréable pour ses vieux jours. C'était un sentiment excusable. Beaucoup d'autres fonctionnaires l'ont éprouvé, qui, ayant fait, au cours de longues années passées au service de l'Etat, de leur bureau et des affaires qu'ils y traitent le but de leur vie, voient avec terreurapprocher l'heure où ils seront condamnés à la solitude et à l'inaction ces égoïsmes ont souvent profité aux bibliothèques et aux dépôts d'archives dont ils ont, même parfois bénévolement, assuré la conservation. Ert> 1760, à Rochefort, il fallait créer le dépôt à conserver. La> rédaction même du mémoire qui propose cette création? prouve qu'il fut l'œuvre d'un homme connaissant parfaitement les papiers .qu'il s'agissait de réunir, aussi bien ceux qui étaient venus d'outre-mer depuis 1758 que ceux. qui étaient accumulés dans les divers locaux du port depuisson origine, l'utilité de leur conservation, l'usagequi devait en être fait, les prescriptions des ordonnances, les obli


gations d'un dépositaire d'archives, les garanties qu'il devait offrir, les charges dont on devait lui tenir compte. On y sent une longue expérience journalière et personnelle qui pouvait mieux la posséder que le secrétaire de l'Intendance et exposer d'un point de vue aussi pratique les divers intérêts en cause? Tout nous permet donc de croire qu'Haran fut l'inspirateur, sinon l'auteur, du mémoire que joignait à sa lettre le commissaire général Choquet.

D'ailleurs, si un sentiment d'égoïsme, très humain,. inspira Haran, on doit reconnattre que l'intérêt général, mis en avant par lui en cette occasion, ne fut pas, commeil arrive fréquemment, le masque sous lequel se cachehypocritement l'intérêt personnel. Les deux coïncidaient, puisque l'institution, que Haran le premier a conçue, lui a survécu, n'a cessé de grandir et aujourd'hui, après 160 ans passés, toujours bien vivante, rend encore chaque jour les services qu'il en avait promis. Restreint à certaines catégories de papiers, étendu à d'autres et réglementé par l'Edit du Roi du mois de juin 1776, qui lui a donné son statut légal définitif, le Dépôt des Papiers Publics des Colonies, aujourd'hui mine inépuisable de renseignements précieux et unique au monde, doit en réalité son existence au mémoire du mois de décembre 1 763qui en a exposé le but et le fonctionnement dans les passages suivants:

« On propose l'établissement d'un dépôt d'Archives au port de Rochefort où seraient rassemblés et mis en ordre généralement tous les titres de concessions, contrats de toutes. espèces, cessions, échanges, accords, licitations, transactions, testaments, codicilles, déclarations, registres des baptêmes,, mariages, sépultures, les ordres, décisions, réglementa, traités, marchés, ventes, adjudications, états, reconnaissances, factu-


Tes, connaissements, armements, désarmements et tous autres papiers, procédures civiles et criminelles, et enfin tous les renseignements quelconques provenant des Colonies septentrionales et méridionales tant anciens que modernes et surtout ce qui s'est pratiqué et introduit dans les différents changements arrivés aux dites colonies, même tous les papiers de la comptabilité et autres pièces quelles qu'elles soient qui y auraient rapport et aux trésoriers des dites colonies.

« Il n'est point ignoré que le Dépôt renferme en luy le caractère de la foy et de la seureté publicque c'est un bien autant général qu'indispensable pour le Roy et ses sujets et plus particulièrement en faveur de ceux d'entre eux qui se sont expatriés du royaume, résidents ou qui ont résidé aux Colonies pour des charges, employs ou services de Sa Majesté, et professions libres ou mécaniques ou tout autrement, soit encore qu'ils y restent pour toujours, soit qu'ils reviennent en France selon les divers changements et révolutions et pour leurs descendants ou .successeurs.

« Le Dépôt établi, on y aura toujours recours pour les recherches de ces papiers et titres qui y seraient remis et qui ne peuvent être examinés et conservés avec trop de soin, d'ordre et de discrétion, dont on délivrerait dans les cas ordonnés des expéditions gratis. Beaucoup de personnes et mêmes des familles entières cesseraientd'être exposées à la perplexité d'irrésolutions sur le sort de leurs alliés soit par rapport à l'existence soit par la mort ou l'absence dont le défaut de pouvoir s'en éclaircir les constituent en des discutions processives de toutes espèces et dont il résulte souvent l'incertitude des diffinités ou alliances, suspensions de partages et jouissance paisible de biens en ce Royaume « II se présente tout naturellement une proposition à faire de plus, émanée des vues rapportées dans ce mémoire en faveur -des habitants sortis des colonies septentrionales, ce serait que le Roy voulut bien déclarer et ordonner que tous les actes en provenant de quelque nature qu'ils fussent seroient expédiés


en papier commun pour ces habitants, exempts des droits du controlle des actes, insinuation, centieme denier et tous autres quelconques, de même qu'ils en étaient affranchis dans ces colonies et que les dits actes seroient admis et reçus en justice dans tous les tribunaux du Royaume tant en demandant qu'en deffeudant par productions et autrement et nullement sujets aux formalités prescrites et aux dits droits portés par le tarif du 29 septembre 173a.

« Pour remplir toutes les obligations qu'exige ce dépôt, il convient d'y nommer un sujet en état de les bien connaître et de s'en acquitter et pour les recherches et expéditions de toutes les pièces qui seroient requises, revêtues de sa signature pour la validité de laquelle le visa ou la légalisation de l'Intendant de la marine ou de l'ordonnateur en son absence seroit indispensable à peine de nullité des dites expéditions.

« Comme tous les papiers de ce Port formeroient un très grand volume et qu'ils doivent être serrés et arrangés dans l'ordre convenable il seroit fait un traitement au sujet proposé pour appointemens, loyer d'appartemens, commis et frais de bureau sur les fonds des Colonies ».

Parvenue au Ministère dans les derniers jours de l'année 1763, la proposition de Choquet ne semble pas y avoir trouvé la faveur d'un très prompt examen. Les bureaux de Versailles éprouvaient sans doute à l'égard des innovations suggérées par les Ports et à l'égard de l'organisation des dépôts d'archives une indifférence égale' à celle de leurs successeurs.

Quant au ministre lui-même, Choiseul, beaucoup d'autres questions plus importantes occupaient son esprit i. Archives du 4" arrondissement maritime BS 3. Nous n'avons pas cru utile de citer les deux passages qui se rapportent uniquement aux documents existant en 1763 dans les divers locaux administratifs de Rochefort et relatifs aux établissements de la marine et aux propriétés des habitants de la ville.


en l'année 1764 où tout était à reconstituer dans son département, matériel et personnel. Pourtant, quinze jours avant la publication de la grande ordonnance du 25 mars 1765 qui réformait celle de 1689 et instituait une organisation nouvelle de la marine, Choiseul répondit au commissaire général Choquet

« J'ai examiné, Monsieur, les propositions que vous avea faittes pour l'élablissement d'un entrepot à Rochefort de tous les papiers de l'Amérique septentrionale afin de pouvoir en délivrer des extraits aux personnes qui seront dans le cas d'y avoir recours et de leur procurer des renseignemens dont elles pourront avoir besoin. Les témoignages avantageux que vous m'avez rendus du SI Haran m'ont déterminé à lui confier ce Dépôt et à lui procurer aooo livres de traitement pour les peines et frais qu'il doit lui occasionner. Il doit en jouir à compter du 1" février de cette année. Je vous envoye l'ordre qui lui est nécessaire pour lui donner un caractère suffisant afin que les copies des actes qu'il délivrera puissent avoir foy en justice o.

Le Dépôt était fondé.

L'ordre du Roi adressé à Haran était conçu en ces. termes 8

« De par le Roi Sa Majesté ayant fait choix du Sr Haran Ecrivain de la marine au port de Rochefort pour y faire les fonctions de Garde d'Archives, des titres, papiers de renseignements, pièces d'écritures, traités, adjudications, marchés, achats, ventes. lettres, ordres, décisions, réglements, revues, rolles, factures, connoissements. armements, désarmements,, prises de bâtiments, ordonnances, pièces de comptabilité, de même de celles inhérentes à toutes affaires quelconques de l'administration générale de son service, provenant des Colo1. Arch. du 4e arrondt. maritime. B8 3. Lettre du 7 mars 1765. a. Arch. du 4* arrondt. maritime CI a.


nies du Canada, des Isles Royales et S1 Jean, et du Mississipi, comme aussi des registres, titres, contracts de mariage, de concessions, de partages, de cessions, d'échanges, d'accords, transactions, retraicts lignagiers et autres, testaments, codicilles, inventaires, ventes, tutelles, curatelles, procurations, déclarations, abandons, jugements, sentences, procédures civiles, et à l'extraordinaire, registres des baptêmes, mariages et sépultures, et enfin de tous les actes de quelque nature -qu'ils soient faits ou passés aux Colonies par toutes les personnes qui y ont habité ou y habitent, aux fins de leur procurer et à ceux qui en seroient retirés et revenus en ce Royaume ou ailleurs, ainsi qu'à leurs parents ou alliés ou intéressés à leurs affinités, la connoissance desdits actes, chacun en ce qui pourvoit le concerner, desquels papiers rassemblés audit port de Rochefort, veut et entend Sa Majesté que ledit S' Haran en ladite qualité, délivre et signe gratis toutes les expéditions en papier commun qui lui seront demandées soit par copie entière, soit par extrait. Lesquelles expéditions seront visées du commissaire trônerai de la Marine, chargé du détail des Colonies et légalisées de l'intendant de la Marine au dit port de Rochefort, voulant Sa Majesté que lesdites expéditions soyent reçues en toutes les justices de son Royaume et partout où besoin sera, tant en demandant qu'en défendant, par production ou autrement et même admises aussi en cas de besoin dans la comptabilité des trésoriers généraux tant de la Marine que des Colonies, avec exemption de tous droits de controlle et insinuation, centième denier, et autres formalités prescrites par le tarif lesdits droits arrêté en Son Conseil le 29 septembre 172a, de même qu'ils en étoient affranchis dans les dites Colonies. Le tout en vertu du présent ordre ».

Haran entra aussitôt en fonctions. Probablement la réunion des papiers était commencée dès avant la réception de l'ordre ministériel. De la lettre du Commissaire général Choquet on peut conclure que le dépôt fut établi « à la maison de l'Intendance » nous verrons plus


loin qu'en 1787 il était, au moins en partie, compris dans les bâtiments qui devaient être démolis pour être remplacés par de nouveaux bureaux. Le traitement d'Haran s'éleva alors à 3. 200 livres doni i.2oo livres sur les fond& de la Marine et 2.000 livres sur les fonds des Colonies Il était placé sous les ordres du commissaire général Lemoyne, chargé du détail des Colonies.

A peine le dépôt créé, Haran songea à l'agrandir: de» le mois de juin il remit à l'intendant un mémoire où il démontrait l'utilité d'étendre à toutes les colonies les bienfaits, réalisés pour l'Amérique septentrionale seulement, de la réunion en France des papiers intéressant l'état des personnes. Nous n'avons pu trouver ni ce mémoire ni la lettre du 20 juin 1765 par laquelle l'intendant Ruis Embito 2 le transmettait au ministre; de Compiègne, celui-ci répondit le 12 juillet suivant: « J'ai reçu, Monsieur, avec votre lettre du 20 du mois dernier, le mémoire qui vous a été remis par le sieur Haran, chargé des Archives des Colonies, sur la nécessité de donner des ordres dans les colonies pour en faire venir des copies de tous les registres de baptêmes, mariages et sépultures. J'ai trouvé ces représentations très justes et celles que vous faites à ce sujet très sensées. J'ai, en conséquence, écrit dans les Colonies. 3 Le môme jour il adressait aux intendants des Colonies la circulaire annoncée, dont l'édit de juin 1776 ne fera, onze i. Arch. Nat. B8 Marine 566. Etat joint à lettre du 8 août 1765. 3. Charles de Ruis-Embito de la Chespardière, commis à la cour le 1" janvier 1710, petit commissaire le 1" janvier 1734, commissaire ordinaire le 18 juillet 1729, contrôleur à Rochefort i4 octobre 1745, commissaire général à Rochefort le i5 octobre 1761, ordonnateur par intérim le 1" janvier 1755, intendant à Rochefort le 12 juin 1767, intendant à Brest le 1" décembre 1770, conseiller d'état 1" juillet 1775. mort à Brest le ag mai 1776.

3. Arch. du 4' arr' mariti™' B8 3. Lettre du duc de Choiseul.


ans plus tard, que rééditer avec plus d'éclat les prescriptions

« Les représentations qui ont été faites au Roy sur l'embarras où se trouvent personnellement nombre de familles de France pour se procurer les éclaircissements dont elles ont besoin relativement à leurs parents qui sont passés aux Colonies, ont déterminé Sa Majesté à établir un dépôt à Rochefort, où le public puisse avoir recours dans le besoin. Mais Sa Majesté a senti en même temps que cet établissement ne pourrait remplir ses vues et procurer au public tous les avantages qu'il peut en espérer si on n'apporte pas dans les colonies la plus grande exactitude à envoyer des copies de tous les registres qui peuvent constater l'état des habitants. Sa Majesté m'a, en conséquence, chargé de vous faire savoir que son intention est que vous m'envoyiez, tous les ans, des copies des registres des baptêmes, mariages et sépultures faits pendant l'année à et que vous fassiez remettre le plus tôt possible par les greffiers des différentes juridictions des copies de tous les registres des années précédentes qui se trouveront dans leurs greffes, que vous m'enverrez également.

Sa Majesté vous ordonne en même temps d'obliger tous les procureurs des biens vacants à faire juridiquement aux greffes tous les six mois leurs déclarations des successions tombées en vacances, dans lesquelles ils feront mention de toutes les connaissances qu'ils se seront procurées sur la parenté des deffunts avec un extrait des inventaires dont vous m'enverrez des copies. Cet objet est trop intéressant pour que vous n'y donniez pas tous vos soins et Sa Majesté exige que vous ne négligiez rien pour vous conformer à ses intentions à cet égard ». Au mois d'août le ministère prescrit à l'intendant de la Rochelle de faire ouvrir une caisse déposée aux archives i. Archives Coloniales B. m f* 85. « Minutes des ordres du Roi. » Circulaire à Mrs. les Intendants des Colonies. (Compiègne ia juillet 1760).


de l'Intendance et qui doit contenir des contrôles des itroupes de terre ayant servi au Canada et des extraits mortuaires de soldats ces pièces se rapportant aux troupes de terre doivent être envoyées directement à Versailles, et les autres papiers concernant particulièrement la colonie du Canada déposées aux archives de Rochefort

L'année suivante les archives de la Juridiction de Louisbourg, rapportées en France par le sieur de Meyracq, juge à l'Amirauté de cette ville, et déposées par lui à la Rochelle, vont entrer au Dépôt de Rochefort. Haran reçoit l'ordre l'aller les reconnaître et en dresse l'inventaire conjointement avec le sieur de Meyracq envoyé de Paris à la Rochelle spécialement à cet effet 2. L'inventaire de ces papiers est reçu au ministère le 26 juin 17673. Nous ne l'avons pas retrouvé.

La circulaire, adressée le 12 juillet 1765 aux intendants de S1 Domingue, la Martinique, la Guadeloupe, Gorée, Cayenne et S1 Pierre et Miquelon, ne semble pas avoir soulevé de protestation, mais ses prescriptions ne furent pas également observées dans ces diverses colonies. En 1776 la colonie de Gorée n'avait encore fait aucun envoi à Rochefort. De S' Domingue aucun registre n'était parvenu mais seulement « un état général très informe en la majeure partie des successions tombées en vacance en diverses juridictions ». La Martinique et la Guyane firent les premiers envois.

Le 20 septembre 1766, l'intendant Ruis Embito informa i. Arch. du 4e arr'. mari" B8 3. Arch. Coloniales B iaa f> 75. Lettre du ministre à l'Intendant Ruis Embito.

a. Arch. du 4' arr' mari" B8 3. Ordre du duc de Praslin à M. de Ruis Embito du a4 juin 1766.

3. Archives Coloniales B. 128 p. io3.


REVUE ne l/lIIST. I>ES COLONIES. 3 V

le ministre de l'envoi que lui avait fait le Président de Peynier, intendant de la Martinique et Sainte-Lucie, d'une caisse contenant « différents titres et papiers propres à faire connaître aux familles des particuliers qui ont passé dans cette isle ce que seront devenus leurs .parents » et en outre les copies des inventaires des personnes décédées ab intestat. La caisse fut remise à Haran pour qu'il en dressât inventaire.

En approuvant cette disposition dans sa dépêche du 3o octobre 1766 l, le duc de Praslin prescrivit d'agir de même à l'avenir pour tous les papiers adressés des différentes colonies au Dépôt de Rochefort et d'adresser une copie de l'inventaire à Versailles. En outre, remarquant que l'ordre du Roi, délivré à Haran le 9 mars 1765, ne l'autorisait à remplir les fonctions de garde des archives ,que pour les papiers provenant des colonies de l'Amérique septentrionale, il lui expédiait un nouvel ordre le constituant pareillement garde des papiers envoyés et à .envoyer des différentes colonies et l'autorisant à en délivrer et signer gratis toutes les expéditions qui lui seroient demandées.

L'intendant de la Guyane avait envoyé directement au ministre les registres mortuaires des années 1762 à 176a .et le rôle de recensement général des anciens habitants de la colonie du 1" octobre 1765. Après en avoir fait dresser l'inventaire, le duc de Praslin les envoyait à Rochefort, en même temps que le nouvel ordre du roi expédié à Haran

L'inventaire des papiers reçus de la Martinique et de la .Guyane, adressé au ministère le 23 décembre 1766, fit apparaître que 1° un état de toutes les ventes faites par le 1. Arch. du 4* arr' marif" B8 3.

̃t. Archives Coloniales B, ia4. Minutes des ordres du roi. f" 119.


Sr Lelu, greffier et notaire à SI Louis, depuis le 8 novembre 1763, n'était ni arrêté ni signé de qui que ce fût 2" deux cahiers d'actes de baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse du Carenage de S" Lucie, trois cahiers de mêmes actes de la paroisse de St Laurent du Lamentin, et des cahiers informes sans signatures de la paroisse des Trois Islets pour les années 1763, 1764, et 1765, n'étaient certifiés de personne. Le ministre fut d'avis que ces pièces ne pouvaient, faute de signatures et de certificateurs, être d'aucune utilité au Dépôt de Rochefort, puisqu'il ne pourrait en être valablement délivré expéditions ni extraits, et prescrivit de les retourner à la Colonie pour y être « certifiées en forme probante » et ensuite renvoyées à Rochefort'.

Le Dépôt des Papiers des Colonies n'était pas encore bien considérable à la fin de cette année 1766. Néanmoins l'inconvénient d'en faire reposer tout le fonctionnement sur un seul homme était déjà ressenti. L'intendant RuisEmbito fit observer qu'Haran n'avait « personne pour le suppléer en cas d'absence, de maladie ou de travail trop considérable » et sur sa recommandation le ministre désigna pour délivrer et signer les expéditions au lieu et place de Haran, en cas de besoin, le sieur Prévost, écrivain de la Marine au Port de Rochefort, qui reçut un ordre du Roi en bonne forme daté du 20 janvier 1767. Dans sa lettre du même jour2 à l'intendant, le ministre spécifie bien que le sieur Prévost ne doit jouir d'aucun appointement particulier pour le travail qu'il fera au dépôt, mais que l'intention de Sa Majesté est que, dans le cas où le sieur Haran viendrait à décéder il soit remplacé par le sieur 1. Archives Coloniales B. 128 f° 6. Lettre du ministre à M. de Ruis Embito du 20 janvier 1767.

a. Id. Ibid.


Prévost s'il s'est mis à même de mériter cette grâce par sa bonne conduite et son assiduité.

Le sr Prévost n'eut jamais l'occasion de se prévaloir de cette promesse de survivance.

En 1767 et en 1768 le ministre renvoya à Rochefort les papiers reçus de la Guadeloupe et de Cayenne l. Des prescriptions relatives à l'envoi en France de copies des registres de baptêmes, mariages et sépultures ne semblent avoir été adressées aux colonies de l'Océan Indien que postérieurement. C'est à une dépêche ministérielle du 1 juillet 1771, adressée au chevalier Des Roches, gouverneur, et à Poivre, intendant, des Iles de France et de Bourbon, que se réfère l'intendant Maillard-Dumesle dans la lettre du 3 janvier 1774 où il annonce le départ par la flûte l'Africaine, des registres des cinq paroisses de l'Ile de France et de l'hôpital du Roi à la Grande Rivière pour l'année 1772 un état des successions vacantes y était joint. Dans cette lettre l'Intendant explique que les registres des années 1767 à 1771 inclus ont été envoyés en France au début de 1773. Les actes étaient déjà dressés en triple exemplaire l'un restait dans la paroisse, le second était déposé au greffe à la juridiction de l'Ile et le troisième adressé au dépôt de Rochefort s.

Un registre contenant les baptêmes, mariages et sépultures des huit paroisses de l'Ile Bourbon pour l'année 1773 y parvint aussi et porte à ko le nombre des registres envoyés par Maillart-Dumesle, dont Haran remit l'inventaire au commissaire général Lemoyne le 3i décembre 1774 3.

i. Archives Coloniales B 138 106 et B. i3o f* 82. Lettres du ministre du a6 juin 1767 et du 5 juin 1768.

a. Archives Coloniales C* 36.

3. Archives du 4° arrond' Maritime B" 3.


La petite colonie, fondée à partir de 1763 dans les Mes de Saint-Pierre et Miquelon, avait aussi envoyé les registres constatant les mouvements, pendant ces dix années, de sa courageuse population, la seule qui fit encore flotter le drapeau français dans l'Amérique septentrionale. Nous n'avons trouvé ni à Rochefort ni au Ministère des Colonies les renseignements précis que nous eussions désirés, sur l'emplacement, le contenu, l'organisation, le fonctionnement journalier du Dépôt. Les expéditions délivrées par Haran doivent avoir été assez nombreuses les anciens habitants du Canada n'étaient pas seuls à avoir recours à lui les demandes lui étaient adressées directement, d'autres par l'intermédiaire du ministre S'il en tenait un registre d'ordre, celui-ci ne nous est pas parvenu et les expéditions signées de lui se sont dispersées de tous côtés.

En cette année 1775 nous ne pouvons nous empêcher d'imaginer l'ancien secrétaire de l'intendance se félicitant de l'agréable retraite qu'il avait su se procurer et des services que son dépôt rendait aux particuliers et à l'Etat. Ces services étaient incontestables et ils avaient si bien été compris à la Cour, qu'un homme remarquable, dont nous reparlerons plus tard, Emilien Petit, avait repris l'idée pour son compte et avait réussi à faire signer à Louis XVI un édit créant un Dépôt des Papiers Publics des colonies à Versailles,

La dépêche ministérielle du 10 juillet 1776 prescrivant i. Archives Coloniales B 128. Lettre du Ministre à l'intendant Ruis Embito du 1 juin 1767 demandant l'acte de décès de Marguerite Glads. décédée à Cayenne de 1763 à juin 1765. Cet exemple permet de constater que, même pour l'imprécision des renseignement fournis à l'appui des demandes d'extraits, il n'y a pas de différences essentielles avec le fonctionnement actuel du dépôt. Seuls différent le nombre des registres et le nombre des extraits délivrés.


d'envoyer, pour être remis au Dépôt public établi à Veiv saille parl'Editdumois de juin précédent, tousles papiers, registres et actes passés aux colonies et existant dans le dépôt de Rochefort, fut certainement accueillie avec désespoir par Haran à qui elle enlevait des fonctions auxquelles il était attaché.

Dans ces fonctions, Haran n'avait pas démérité et comme en 1763, il jouissait toujours d'une estime et d'une considération particulières de la part de ses chefs. Nous en avons la preuve dans les efforts que fit l'intendant d'Aubenton pour lui conserver le dépôt d'archives créé par lui. En accusant réception de l'ordre reçu, dès le 23 juillet,. il attire l'attention du ministre sur la quantité des papiers contenus dans le Dépôt de Rochefort et les frais de transport qu'ils seront dans le cas d'occasionner même en prenant les voies les plus économiques. Pour atténuer cette sorte de résistance aux ordres ministériels, l'intendant ajoutait « Je me conformerai d'ailleurs, Monseigneur, aux ordres ultérieurs que vous croirez devoir me donner à cet égard i».

La note jointe à la lettre de l'intendant d'Aubenton est 1. François Ambroise d'Aubenton, fils aîné de Jean Baptiste d'Aubenton, commissaire général, petit fils de Ambroise d'Aubenton de Villebois, intendant de la Marine et du Commerce en 1708; était né en 1721. Commis à la Cour le 1°' janvier 1736, écrivain ordinaire le V septembre 173g, petit commissaire à Brest le 1" avril 174 1, commissaire ordinaire à Brest janvier 1747. à Toulon 1" janvier 174g, controleur au Havre 1" janvier 17^7, commissaire général le 1" avril 1762. intendant à Rochefort le 1" janvier 1771, retraité avec pension de 1600 1. le 5 décembre 1776, conseiller d'Etat le 22 décembre 1776, il mourut au chatéau de Monnay (Charente-Inf) le a4 novembre 1793. Il avait pris sa retraite lors de l'application des ordonnances du 37 septembre 1776 parce qu'il était « le seul dans le cas de voir diminuer les prérogatives de sa place. Il

a. Archives Coloniales. Dossier « Dépôt des Papiers Publics des Colonies ».


un document psychologique où se trahit l'état d'âme de Haran qui l'a rédigée

« Note du volume des archives, titres, actes, registres, portefeuilles et autres papiers de renseignements provenant des colonies de l'Amérique septentrionale et méridionale au Dépot établi par le Roi au port de Rochefort sur le projet fait par le s' Haran écrivain de la Marine approuvé en 1764 par M. le duc de Choiseul qui le nomma par deux commissions de Sa Majesté, garde dépositaire pour délivrer aux personnes intéressées à ces divers papiers les expéditions requises légalisées de M' l'Intendant

Savoir. Colonie de l'Isle Royale. Dans l'emplacement de la 1" chambre du dépot sont cinq grandes armoires de 10 pieds de haut sur 4 et demi de large, toutes pleines de registres, portefeuilles et papiers de toutes natures d'affaires venant de cette colonie après la reddition de la place, concernant l'Administration de la Marine, ceux de tout le Greffe de la Juridiction royale de Louisbourg, des notaires royaux en toutes espèces d'actes et les registres originaux de baptêmes, mariages et sépultures de toutes les paroisses et hôpitaux de cette colonie depuis plus de 5o ans dont le besoin de tous ces papiers est journalier au port de Rochefort pour les gens qui s'y sont retirés et y ont fixé leur résidence et aux environs à proximité d'avoir ce secours provenant de cette colonie.

« Colonie de Québec en Canada. Dans l'emplacement entier d'une autre chambre de plus de at pieds de long sur i5 à 16 de largeur sont posées en tous sens cinq étages de planches de 16 pouces de large à 2 pieds de distance du bas en haut, toutes remplies de registres, portefeuilles et papiers de l'intendance de Québec, de tous les lieux de sa dépendance du Contrôle de la Marine et de différentes autres affaires parmi lesquelles plusieurs Canadiens et autres gens retirés de cette colonie résidents à Rochefort et aux environs sont intéressés à demander des expéditions qu'on leur délivre de certaines pièces qui leur sont très nécessaires.


« Colonie de la Louisiane, Deux de pareilles armoires de la i" chambre dudit dépôt sont remplies des registres portefeuilles et autres papiers de la marine et autres affaires de cette colonie.

« Colonie de la Martinique. Les registres de baptêmes, mariages et sépultures de 1763 à 177a compris des paroisses de cette colonie et quelques papiers de renseignements de successions.

« Colonie de la Guadeloupe. De pareils registres de 1776 à 1773 compris et les feuilles des hopitaux des mêmes années.

« Colonie de Cayenne. Les registres de sépultures seulement d'une partie des décédés en 176a à 1765, et les registres 'de baptêmes, mariages et sépultures de 1766 à 1773 iuclusi- r vement.

« Colonie de Saint-Pierre et Miquelon en Terre-Neuve. Les registres de baptêmes, mariages et sépultures de 1763 à 1773 compris.

« Colonie de Saint-Domingue. Il n'est parvenu audit dépot aucun registre de renseignements de [cette] colonie pour les baptêmes, mariages et sépultures de ses paroisses et hopitaux depuis 1764 jusqu'en 1776 mais seulement un état général très informe en la majeure partie des successions tombées en vacances en diverses juridictions.

« Tous les registres et papiers énoncés de ces cinq dernières colonies sont répartis dans trois autres grandes armoires de la .dite première chambre du dépot ».

Cette note ne donne pas une idée bien favorable de Tordre avee lequel étaient classés les documents du dépot, notamment ceux concernant l'Ile Royale et le Canada, dont l'usage cependant journalier, avait du depuis dix ans imposer au dépositaire un rangement pratique lui permettant de les énumérer d'une façon plus précise. Cette imprécision étonne quand on compare les inventaires •dressés dix mois plus tard des archives du détail des Colo-


nies (d'où dépendait le dépôt) au moment où le Commissaire de la Marine Clacssen remit le service à son successeur M. de Bellefontaine. Dans ces documents 1 lenombre des portefeuilles, registres et cartons et la naturedes pièces qu'ils contiennent sont soigneusement indiqués. Les sept grandes armoires et les cinq étagères complaisamment énumérées par Haran ne pouvaient suffire à ceux qui concernaient les habitants de l'Amérique septentrionale.

Enfin nous relevons dans cette note une omission singulière les quarante registres provenant des Iles de France et de Bourbon n'y figurent pas, et pourtant Haran en avait donné sa reconnaissance au commissaire général Lemoyne: le 3i décembre 1774. En réalité cette note ne nous renseigne pas sur les papiers qui constituaient alors le Dépôt de Rochefort. Elle nous indique seulement les sentimentséprouvés par Haran qui craint d'être dépossédé d'un poste, eL de papiers qu'il n'est pas loin de considérer comme une sorte de propriété personnelle et qui s'exagère à lui même, dans l'espoir de faire partager cette impression aux autres, le volume de ces papiers et la difficulté. morale et matérielle de l'en séparer.

Sa manœuvre était assez naïve elle réussit pourtant. Sa note et la lettre de l'intendant d'Aubenton furent soumises par le ministre pour examen à Emilien Petit lui-même, celui que Haran devait sans doute considérer, dans son bureau de Rochefort, comme son ennemi personnel. Petit observa que la commodité d'un dépôt au centre du, Royaume étant l'objet du Dépôt ordonnë par l'Edit de juin 1. Archives du 4' arrond1 Maritime E*. Inventaires des registres et papiers du détail des Colonies, du Bureau du magasin des colonies, du Bureau du contrôle des colonies du port de Rochefort dressés les. 6 et 17 janvier 1777.


et placé sous la main et l'inspection du ministre, les frais detransport et d'installation des papiers existant à Rochefort ne seroient pas une raison de les y laisser que d'autre part il importait de ne pas laisser dans le Dépôt de Versailles des lacunes et des vides qui mettroient les intéressés dans le cas de recourir, pour donner une suite aux relevés de leurs généalogies, à l'extrémité du Royaume où ils pourraient ne pas avoir les facilités qu'on trouve au centre que c'était à Versailles que s'adressaient ordinairement les recherches sur l'existence ou l'état des personnes passées aux colonies, qu'il était utile de vérifier ces registres déjà passés en France sans les précautions nécessaires. Remarquant ensuite que la date de l'établissement du Dépôt de Rochefort, en 1764, annonçait assez qu'il avait eu pour seul objet les papiers des pays cédés par la France en 1763, que cette cession rendait le dépôt en quelque sorte inutile au Gouvernement et que la résidence aux environs de Rochefort des anciens habitants de l'Amérique septentrionale était une puissante raison de laisser les papiers les intéressant dans cette ville, il conclut qu'on pouvait réduire la demande aux registres et papiers de la Martinique, de la Guadeloupe, de Cayenne, et de SaintDomingue J

Emilien Petit ne s'intéressait qu'aux Antilles, qu'il avait habitées et dont il étudiait les lois et les mœurs il consentit donc facilement à ne pas s'embarrasser dans le nouveau dépôt des papiers du Canada et pour la même raison, il oublia de relever l'omission d'Haran concernant les papiers de l'Ile de France, dont il est impossible qu'il n'ait pas eu connaissance au cours des études préparatoires de l'Edit de Juin 1776.

1. Archives Coloniales. Dossier « Dépôt des Papiers Publics observations sur la lettre et le mémoire de M. d'Aubenton.


Haran dut renaître à la vie quant il eut communication à Rochefort de la lettre du 18 août 1776 où M. de Sartine s'exprimait ainsi « Vous vous bornerez en conséquence à m'envoyer le plus tôt qu'il vous sera possible, les titres et papiers des Iles du Vent et sous le Vent, de Cayenne, de Saint-Pierre et Miquelon et de Gorée. Ceux du Canada, de l'Ile Royale et de la Louisiane continueront de rester à la garde du Sr Haran à Rochefort • »

L'ordre ministériel fut exécuté sans retard. Le 7 septembre l'Intendant d'Aube'nton prévient le ministre qu'il a fait charger à la messagerie une grande caisse où sont t soigneusement emballés colonie par colonie les registres provenant des colonies des Antilles. L'état détaillé qui y est joint fait remarquer que la colonie de Gorée n'a jamais envoyé ni registres ni papiers de renseignements quelconques 2. M. d'Aubenton ajoute

« Je ne puis, Monseigneur, que vous rendre les meilleurs témoignages de l'attention que le s1' Haran a apporté à la manutention de ce dépôt depuis douze ans qu'il en est chargé à la satisfaction générale des particuliers de toutes les classes qui ont eu lieu d'y avoir recours vous en jugerez par l'ordre qu'il a mis dans ces différents papiers ainsi que par les tables alphabétiques qu'il a dressées pour la célérité des expéditions. Il ose espérer que vous voudrez bien lui donner en cette circonstance une marque de votre satisfaction et avoir égard par quelque gratification au retranchemect qui lui a été fait depuis cinq années de la moitié du traitement que l'on avoit cru lui accorder lors de l'établissement de ce dépôt qui a toujours exigé un travail assidu. Je prends la liberté de le recommander à vos bontés 3 ».

i. Archives Coloniales. Dossier « Dépôt des Papiers Publics » minute.

a. Des papiers venus de l'Ile de France, il n'est toujours pas question.

3. Archives Coloniales. Dossier « Dépot des Papiers Publics. »


Le 21 septembre 1776, en accusant réception de cette lettre, le ministre prescrivait à l'intendant de faire payer à Haran une gratification extraordinaire de 3oo livres 1 Après cette alerte Haran reprit sa vie tranquille. Son dépôt ne s'enrichit plus que des expéditions que certains réfugiés vinrent y déposer pour parer aux dangers de perte et se faire délivrer des copies dont ils avaient besoin Son traitement fut réduit à partir de 1777 à 800 livres par an, soit 66 livres, i3 sols 4 deniers par mois3. Il jouissait en outre de quelques avantages comme celui de recevoir de l'eau du port 4.

Le s' Prévost qui avait été désigné pour le suppléer et le remplacer, dès 1767, avait probablement quitté Rochefort ou changé d'emploi. Un nouveau secrétaire de l'Intendance avait été nommé le 1" avril 1784, Charles François Billotte 5. Actif et jeune (il n'avait encore que trente i./d, ibd.

2. Ainsi, le 1" juin 1787, Marie Françoise Demiers, veuve de Simon -Quartier, vint déposer une copie authentique de son contrat de mariage dressé à Montréal le i3 novembre 1757. Haranlui en délivra une expédition le 5 juin. Dépôt des Papiers Publics, Canada, cartons non classés.

3. Archives du 4 arr' maritime C* 5. Revues et décomptes des officiers d'administration etc. année 1786, folio 4 verso. 4. Id. B8 3. « Je prie M. le controleur de la marine oe comprendre M. Haran, père, chargé du dépot des archives des colonies septentrionales dans la liste des personnes auxquelles il est envoyé de l'eau du port. A Rochefort le 1 juillet 178a. Prévost de Langrestin. » 5. Charles François Billotte né à Senneq, diocèse de Reims, le décembre 1754, fils de François Mathieu Billotte, receveur des Aydes à Chateau-Porcien et de Marie Jeanne Marot, (fille de François Marot notaire royal à Senneq), avait été secrétaire chargé des détails militaires à l'Intendance de la Rochelle du 1" janvier 1776 au i" janvier 1779, puis Directeur et Inspecteur des services des Etapes et convois militaires jusqu'au 1" avril 1784. II resta chef de détail, premier secrétaire de l'intendance de la marine au département de Rochefort, jusqu'au 1" octobre 179a. Un décret du a4 juillet 1793, pris en exécution de la.loi du 3i juillet 1791 lui accorda un secours de 2010 livres. En 1790 il fut nommé secrétaire général de l'administra-


ans) il ne pouvait rechercher le poste de Haran comme une retraite pour lui. La place cependant ne tarda point à le tenter et il saisit la première occasion qui s'offrit à lui de poser sa candidature à la succession qu'il pouvait espérer voir s'ouvrir bientôt de cet homme âgé de plus de 80 ans.

Le dépôt était, parait-il, réparti dans deux bâtiments dans la maison de l'Intendance, où se trouvait le bureau du garde dépositaire, et dans un autre logis qui, à la fin de 1787, devait être démoli pour permettre l'édification, sur le même emplacement, de nouveaux bureaux. La prompteévacuation de ce second local s'imposait. Billotte exposa à l'intendant que Haran, âgé de 89 ans, ne serait point en état de s'occuper du déplacement de ces archives et de leur arrangement à l'Intendance c'était donc une occasion de lui désigner un successeur, non seulement pour l'aider dans ce travail mais encore pour recevoir de lui,. avant qu'il vint à manquer, les renseignements nécessaires sur l'ordre établi parmi les registres, titres et papiers du dépôt. Ce successeur ne pouvait bien entendu être autreque Billotte.

« La garde des Archives dont est question a été regardée de tous temps comme faisant partie de la place du V secrétaire de l'Intendance. Le sr Haran a été pourvu des deux en même temps, il a conservé l'une par forme de retraite lorsqu'il a étéhors d'état d'occuper l'autre alors son successeur dans cellecy a eu la promesse d'y réunir la garde des archives après le s' Haran. Le même espoir a été donné au sr Billotte et si cet tion du département de la Charente-Inférieure, poste qu'il abandonna au mois d'octobre, 'malgré les instances du collège municipal et des citoyens de la ville de Saintes il revint à Rochefort. Mis à la retraite le 1" janvier 1793 il se retira à Soubise et fut nommé administrateur du Département. BilloUe fut le beau-père d'Eugène Fromentin.


espoir doit être réalisé, c'est sans doute en ce moment qu'il est important pour le bien du service du Roi et du public qu'il soit désigné pour cette place, afin de se mettre en état d'en connaître les détails avant de l'occuper ».

L'intendant La Granville transmit le mémoire de Billotte au ministre en l'appuyant d'un avis trop favorable. « Le sieur Haran, dit-il, remplit encore ses fonctions d'une manière vraiment étonnante à l'âge de 89 ans, mais il est néanmoins constant qu'il a besoin d'être aidé. » après avoir repris les considérations invoquées par Billotte, il ajoute qu'il n'est question dans le moment d'aucuns appointements pour celui-cy, dont la délicatesse se refuserait même à en recevoir aucun au détriment du sr Haran, en sorte que la nomination demandée ne ferait que procurer du soulagement à ce- vieillard et des avantages pour le service sans nulle augmentation de dépense. Il ajoute que le choix du ministre ne peut porter sur aucun sujet plus satisfaisant sous tous les rapports que le sr Billotte qui par son zèle, ses talents et la manière utile dont il sert mérite toutes les bontés. Aussi, se flattant que le ministre aurait égard à sa demande, il joignait à sa lettre le projet d'ordre qu'il croyait à propos de faire expédiçr à Billotte 3. D'autre part Billotte faisait recommander sa candidature à Versailles par le marquis de Saucourt qui connaissait sa famille L'intendant comptait aussi sur l'appui de M. de i. Archives Coloniales. Dossiers du Dépôt des Papiers Publics des -Colonies. Mémoire du 7 décembre 1787 joint à la lettre de l'intendant de la Grandville du 10 Décembre 1787.

1. Jean-Baptiste Bernardin Chariot de la Granville. commissaire des ports et arsenaux à Lorient, ordonnateur à Bordeaux, décembre 1 781, nommé intendant à Rochefort le i4 mai 1785, y prit possession de son poste 1 juin suivant.

3. Archives Coloniales. Dossier « Dépôt des Papiers Publics » Lettre de l'intendant La Granville du io décembre 1787.

4. Id., ibd. Lettre du Mio de Saucourt du ai Décembre 1787.


Vaivres, l'intendant général des Colonies, avec qui il entretenait des relations personnelles1.

Au ministère, on envisagea la question tout autrement qu'à Rochefort. On pensa que l'on pourrait profiter du déplacement de ces papiers pour les faire transporter à Versailles et que cette opération, conforme au vœux de l'Edit de 1776, ferait cesser à la mort de Haran une dépense de 800 livres 2. M. de la Grandville fut donc avisé que l'intention de Sa Majesté était de supprimer la place de garde des archives des colonies de l'Amérique septentrionales à la mort du titulaire et de la réunir au Dépôt de Versailles il était même invité à faire connaitre si cette réunion ne pouvait pas s'effectuer immédiatement en conservant à Haran un traitement convenable 3.

L'intendant ne se tint pas pour battu et dans une longue lettre fit valoir au nouveau ministre, le comte de la Luzerne, tous les arguments qu'il avait exposés au comte de Montmorin Il demandait qu'au moins le Dépôt demeurât à Rochefort jusqu'à- la mort de Haran, afin d'éviter à ce vieillard, âgé de 89 ans, le chagrin de se voir enlever son état et des occupations auxquelles il était attaché et qu'il remplissait d'une façon aussi satisfaisante que possible ce délai devant être d'ailleurs sans aucune importance même pour la dépense puisqu'il serait impossible d'accorder à Haran un traitement moindre que ses appointements.

Le ministre se laissa toucher et décida d'attendre la vacance de la place pour prendre une décision sur la i. Id.. ibd. Lettre particulière de l'intendant La Granville à M. de Vaivres du 29 janvier 1788.

s. Id., ibd. Note pour le ministre du 3 janvier 1788.

3. Id.. ibd. Lettre du ministre du io janvier 1788.

4. Id., ibd. Lettre de l'Intendant du ag janvier 1788.


conservation du Dépôt ou de sa réunion à celui de Versailles

Dix-huit mois plus tard, le t4 septembre 1789, le commissaire général Bellefontaine, remplaçant l'intendant, informe le ministre « que M. Haran, ancien écrivain de la marine, vient de terminer sa carrière à l'âge de go ans et laisse vacante la place de garde des archives des colonies dont il avait été pourvu au mois de mars 1765. » Puis rappelant la dépêche ministérielle du 10 janvier 1788, il demande des ordres au sujet du Dépôt, à la garde duquel il a nommé provisoirement Billotte pour que le service des expéditions ne fût pas interrompu il termine enfin en exprimant le désir que le Dépôt reste dans les Archives du Port et soit confié à Billotte 3.

En attendant la réponse de Versailles, Billotte s'installa dans la place qu'il convoitait depuis plusieurs années. La commission provisoire que lui en avait donnée M. de Bellefontaine dès le i5 septembre fut confirmée par l'intendant La Granville le a3 octobre et ses appointements furent fixés à 800 livres. Sa joie devait être de courte durée.

Le 3i octobre 1789 le ministre avisa le commissaire général Bellefontaine de la suppression du Dépôt d'Archives des Colonies de Rochefort et l'invita à en faire passer à Versailles, par des rouliers, les papiers emballés avec soin dans des caisses 4.

1. Id., ibd. Lettre du ministre du ai avril 1788.

a. M. le C Dussoubs a bien voulu relever pour nous sur les registres de l'ancienne paroisse S'-Louis de Rochefort l'acte de décès de Haran ainsi conçu « Le sieur Gui-Louis Haran, âgé de 89 ans, ancien écrivain de la marine et dépositaire des archives du Canada, époux de feue dame Banet de Chantal, décédé le 14 septembre 1789 et inhumale lendemain. S. P., toute l'argenterie et 4 cloches ».

3. Id., ibd. Lettre du commissaire Bellefontaine du i septembre1789.

4. Id., ibd. Lettre du ministre du 31 octobre 1789.


Billotte n'eut donc qu'à se mettre au travail. Le 22 janvier 1790 il remit à Martial Charpentier, voiturier par terre, 7 caisses marquées et numérotées 23 à 29, pesant ensemble 2.448 livres, contenant des registres, titres et papiers provenant des colonies de l'Amérique septentrionale1. Le voiturier prenait l'engagement de les rendre bien et duement conditionnées dans l'espace de vingtcinq jours aux ordres et à la disposition du ministre de la Marine à Paris. Le transport devait lui être payé à raison de 12 livres le quintal, sauf toutes réductions légitimes en cas de retard ou d'avaries.

En annonçant au ministre cet envoi, l'intendant dit qu'on travaille maintenant à l'expédition du surplus qui pourra être terminé au plus tard dans un mois. Nous n'avons trouvé aucune trace de ce second envoi et nous ne croyons pas qu'il ait eu lieu2. Les caisses parties de Rochefort à la fin de janvier 1790 contenaient les six registres de baptêmes, mariages et sépultures de l'Ile Royale et de l'Ile S' Jean, les quatorze cartons et cinq -registres d'actes notariés, les neuf volumes d'aveux et de dénombrements rendus au Terrier du Domaine du Roi en la Nouvelle France et les 37 cartons des greffes du Conseil Supérieur de l'Ile Royale et du Baillage de Louisbourg -qui sont encore conservés au Dépôt des Papiers Publics des Colonies. Ces 71 articles formaient-ils tout le contenu des sept caisses confiées à Martial Charpentier ? nous ne i. Id., ibd. marché sous seing privé du 22 janvier 1790. a. En effet Billotte fut alors choisi par les administrateurs du département de la Charente Inférieure comme secrétaire général, et il resta à Saintes jusqu'au mois d'octobre 1790. Le surplus du Dépôt fut vraisemblablement versé aux archives départementales de la Charente-Inférieure où se trouvent une vingtaine de registres de .l'Amirauté de Louisbourg et six registres d'Etat civil de la paroisse de Beaubassin (communication de M. P. de Vaux de Folletier, arch. dép. de la Charente Inf").


pouvons l'allirmer, l'inventaire qui devait y être joint, ayant jusqu'à ce jour échappé à nos recherches. Dans sa lettre l l'intendant la Granville vantait encore -une fois au ministre le zèle et les talents de Billotte et pour lui tenir compte du travail extraordinaire exigé par l'arrangement, la mise en ordre, l'inventaire et l'envoi de ces papiers, travail bien plus pénible que la délivrance des extraits, proposait de le faire jouir du i5 septembre 1789 au i5 mars 1790 du traitement de 1.000 livres attribué précédemment à Haran, sur les fonds des Colonies. Le ministre accorda une gratification de cinq cents livres, qu'il prescrivait de faire compter à Billotte dans sa lettre du 26 mars 1790 2 l'ordonnance ne fut signée que « le i" may 1792 l'an 4" (sic) de la Liberté ». Le Dépôt des Archives des Colonies à Rochefort ne survécut donc pas à son fondateur, Haran, qui par sa longévité, l'attachement qu'il lui portait, l'estime personnelle dont il jouissait, l'avait fait survivre quinze ans à la création du dépôt de Versailles. Celui-ci transporté à Paris a suivi le développement de l'empire colonial français les papiers des colonies perdues en 1763 y occupent bien peu de place aujourd'hui au milieu de tous ceux qui y apportent chaque année de toutes les parties du monde, le témoignage de l'expansion de la race française dans [.Archives Coloniales. Dossiers « Dépôt des Papiers Publics. » Lettre de l'intendant La Grandville du 6 février 1790.

a. Archives Coloniales BB. 4 f> 29 verso.

3. Id. Dossier « Dépôt des Papiers Publics. »

Au dossier Billotte figure cependant un certificat délivré le 22 prairial 4° année républicaine par le commissaire civil préposé aux revues attestant que le citoyen Billotte a été employé jusqu'au 3i décembre 1792 aux appointements de i.5oo livres par an comme chef de bureau et 800 livres de supplément d'appointements aussi par an comme garde des archives de la Marine. A défaut de celle des Colonies, il Avait toujours eu les archives du Port.


nos domaines d'outre mer. Malgré les services journaliers qu'il rend, son existence est peu connue son origine l'est encore moins elle méritait d'être tirée de l'oubli, ainsi que le nom du fonctionnaire modeste qui a su le premier conçevoir une institution si utile et si particulière.


L'ÉTABLISSEMENT DES FRANÇAIS DANS LE HAUT-SÉNÉGAL

(1817-1822)

I

Le traité de Paris de 1814 avait restitué à la France le Sénégal, c'est-à-dire l'Ile Saint-Louis, à l'embouchure de ce fleuve, et l'Ile de Gorée. L'abolition de la traite des Nègres, prévue par les traités de Vienne, et brusquement réalisée par Napoléon pendant les Cent-Jours, le besoin urgent et considérable de matières premières et de denrées coloniales, ressenti alors sur tous les marchés de l'Europe, engagèrent le Gouvernement de la Restauration dans des systèmes de colonisation qui différaient complètement de ceux que l'ancien régime avait pratiqués jusqu'à la Révolution.

Des études coloniales du moment poussaient le Gouvernement dans cette voie et notamment un mémoire de Hogendorp, un autre de Page, et surtout les rapports chaleureux du colonel Schmaltz, qui venait de réoccuper Saint-Louis, au nom de la France, en 1816.

Le baron Portal, Ministre de la marine et des colonies, entièrement acquis à ces projets, les mettait en œuvre, avant même d'avoir l'assentiment et les crédits des Chambres. ·


« Trois expéditions partiraient de France, en 1818 et 1819, et apporteraient au Sénégal un millier d'hommes de troupes et du matériel. Trois fortins, établis le long du fleuve et jusqu'en Galam, devaient assurer la sécurité dans les régions avoisinantes la garnison serait fournie tout d'abord par les troupes envoyées de France, puis en partie par des corps indigènes encadrés par des Européens. Ces corps auxiliaires noirs devaient, avec le temps, former la majeure partie de la force publique dans nos établissements d'Afrique. En même temps, le Gouvernement devait se faire céder par les chefs indigènes, moyennant le paiement de coutumes ou de redevances annuelles, des terres destinées à la culture. Ces terres devaient, ensuite, être distribuées gratuitement à des concessionnaires français disposant d'un capital d'au moins 5.ooo francs, ou à des habitants de Saint-Louis et de Gorée, ou enfin, à des soldats arrivés au terme de leur congé, auxquels on accorderait des facilités spéciales. Les chefs devaient procurer à tous ces colons les ouvriers nécessaires, et dans les traités de cession des territoires, ils devaient prendre l'engagement d'en fournir, moyennant une rétribution annuelle. Ces hommes restaient d'ailleurs leurs sujets, ne devaient jamais être transportés hors du pays et, si des différends entre eux et les colons survenaient, un tribunal spécial devait être chargé d'en connaitre.

« On espérait aussi que les indigènes ne se borneraient point à travailler sous les ordres et au profit des Européens les chefs du pays concevraient sans doute euxmêmes la pensée de tirer de leurs sujets le même parti pour leur propre compte, et peu à peu, la masse même des indigènes obéirait de proche en proche à l'impulsion donnée. Ainsi, les naturels se civiliseraient à notre con-


tact, acquerraient des besoins nouveaux, de sorte qu'à mesure que s'augmenteraient leurs ressources, le Sénégal offrirait un immense débouché aux produits français, en même temps qu'il deviendrait pour la France un domaine productif de denrées coloniales ».

Conformément à ces instructions et projets, Schmaltz se mit immédiatement à l'oeuvre. Dès l'hivernage de 1817, il expédiait dans le haut fleuve la première mission d'exploration, composée de Brédif, ingénieur des mines, et de Chastelus, ingénieur géographe. Ils emportaient les instructions suivantes, fort détaillées et d'un grand intérêt.

« Les sieurs Brédif et de Chastelus 2 se rendront directement à Galam. Si les eaux ne sont plus assez hautes pour leur permettre de remonter jusqu'au fort Saint-Joseph, ils s'arrêteront à Cotera, village situé à cinq lieues au-dessous de Tombaboucané et à deux lieues environ au-dessous de l'embranchement formé par le Sénégal et la Falémé. D'après les informations que j'ai prises, leur bâtiment y sera tout aussi en sûreté, pendant les incursions qu'ils feront dans l'intérieur, que s'il était mouillé vis à vis du fort Saint-Joseph.

J'ai chargé à leur bord les présents et coutumes du Gouvernement pour l'Almamy et les principaux chefs du pays de Fouta, afin de ne pas être obligé de payer, une coutume particulière pour leur bâtiment mais comme la saison avancée ne leur permet pas de s'arrêter sans s'exposer à manquer d'eau pour achever leur voyage, je fais partir avec eux le sieur Jeani. Christian Schefer. La France moderne et le problème colonial, a. MM. Brédii, ingénieur des mines de 1" classe, de Chastelus, lieutenant au corps royal des ingénieurs géographes. Leschault de la Tour, agriculteur botaniste, avaient été adjoints à l'expédition du Sénégal, pour faire une exploration en Afrique, par décision ministérielle du 17 mai 1816. M. Brédif a laissé de son voyage au Sénégal un journal qui a été public dans la Revue de Paris (1" et i5 juin, 1" juillet 1907), sous ce titre Naufrage de la « Méduse n. Note Claude Faure.


Pierre Pellegrin, à qui elles seront remises à leur arrivée à Saldé, et que je charge de tous les arrangements à faire pour le payement des coutumes du Gouvernement et de celles que doivent les embarcations des habitants de Saint-Louis à leur passage. De plus, afin de prévoir et de couper court à tout retard, je leur remets une lettre pour l'Almamy et les principaux pays du Fouta, et j'ai engagé Eliman Boubakar à les accompagner. D'après son influence et les dispositions actuelles des chefs Foulhes, je ne crois pas qu'ils puissent être retenus plus de deux jours à Saldé.

Comme ils partent tard et que les eaux ont été peu hautes cette année, il serait peut-être possible qu'ils ne pussent pas s'arrêter sans inconvénient à JafTray, lieu où se payent ordinairement les coutumes de l'Almamy du pays de Bondou, qu'ils ont un grand intérêt à ménager pour le succès de leur mission. Dans ce cas, ils le feront prévenir de suite de leur arrivée. lui annonceront qu'ils sont porteurs de ses coutumes, et lui demanderont une entrevue à Cotéra.

L'Almamy de Bondou étant dans ce moment le prince le plus puissant de toute cette partie et mieux disposé en faveur des Français, les sieurs Brédif et de Chastelus ne négligeront rien pour entretenir ces bons sentiments et les faire tourner à l'avantage de l'opération dont ils sont chargés. D'après la connaissance que l'on a généralement ici de son caractère, l'Almamy de Bondou est un homme bon, mais très fin, et vis à vis duquel ils doivent manifester une grande confiance, sans cependant se livrer entièrement. Le succès de leur voyage dépendant surtout des facilités qu'il peut leur procurer pour pénétrerdans l'intérieur, ils commenceront leur exploration par son pays, de crainte de le choquer, s'ils paraissaient ne pas vouloir s'en occuper avant tout. En conséquence, après lui avoir délivré ses coutumes, ils lui feront un présent convenable, lui remettront la lettre dont je les charge et lui demanderont dans cette première entrevue la permission et les moyens de voyager dans ses Etats. Comme il serait d'une grande importance d'obtenir un


de ses enfants pour otage, ils profiteront du grand désir qu'il a de voir se rétablir les anciennes relations que son pays avait avec les Français, pour l'engager à envoyer un de ses fils à Saint-Louis, sous le prétexte des avantages qui pourraient résulter de la connaissance que ce voyage le mettrait à même de faire avec les chefs de l'Administration du Sénégal. Ils devront également avant de quitter Cotéra pour entrer dans le pays de Bondou, demander une entrevue au Tunca, à Samba Congol. et aux autres Batcherys du pays de Galam. Ils leur remettront leurs présents et coutumes ainsi que la lettre dont je les charge pour eux et, après leur avoir fait particulièrement le présent d'usage, ils leur annonceront l'intention du Gouvernement de reprendre ses anciennes relations d'amitié et de commerce avec les Saracoulés, en leur laissant entrevoir le projet de rebâtir le fort (ce dont ils ont une extrême envie) si l'on a lieu d'être satisfait de leur conduite on ne peut manquer d'en obtenir tout ce qu'on désirera. Les sieurs Brédif et de Chastelus demanderont pour otage un des fils du Tunca ou de Samba Congol et profiteront des premiers bâtiments qui reviendront à Saint-Louis pour l'y envoyer avec celui qu'ils auront obtenu de l'Almamy de Bondou. Dans le cours de l'exploration qu'ils feront du Royaume de Bondou, ils ne négligeront rien pour tâcher de connaître comment l'or, le morphil et les autres produits de toute cette partie passent maintenant dans la rivière de Gambie et si, comme les cartes et divers renseignements semblent l'indiquer, la communication entre le Sénégal et cette rivière au moyen de la Falémé n'offre qu'une petite distance à traverser par terre aux caravanes qui font ce commerce. Comme, d'après la tradition, elles doivent toutes passer par le Royaume de Bondou pour se diriger sur Gambie, ils pourront, par les questions qu'ils feront aux naturels du pays, obtenir des notions d'une certaine précision sur ce point, ce qu'il serait important d'éclairer d'une manière positive. Après avoir exploré le pays de Bondou et avant de quitter l'Almamy, les sieurs Brédif et de Chastelus lui demanderont


des guides et un homme de confiance, chargé de ses recom-mandations, pour les faire pénétrer dans le royaume de Bambouck et les protéger pendant le séjour qu'ils y feront. Ils tâcheront d'obtenir, s'il est possible, le nommé Segger qui estavantageusement connu dans toute cette partie, et qui pourra leur être d'une grande utilité. Après cette précaution, ils pour-ront voyager avec sûreté dans tout ce pays, sur lequel la puissance de l'Almamy de Bondou lui donne une influence capablede les garantir de tout danger.

Les Royaumes de Bambouck et de Bondou renferment desmines d'or dont l'exploration entre pour beaucoup dans le but du voyage des sieurs Brédif et de Chastelus.

En i73o, la Compagnie française, instruite par divers mémoires, envoyés par ses préposés, de la richesse de ce* mines, parut vouloir s'en occuper sérieusement. Elle envoya pour les visiter un artiste qui, à son retour en France, donna des éclaircissements satisfaisants. Cet artiste fut renvoyé en qualité de commandant de Galam, mais, ayant abusé des pouvoirs qui lui avaient été confiés, il fut assassiné au fort Saint-Joseph, avec tout le poste, dans une rixe qu'il avait provoquée. La Compagnie, rebutée par les dépenses inu tiles qu'avai t en traînées cet essai, abandonna son projet sur les mines. En 17/11. le sieur David, directeur général au Sénégal, engagea la Compagnie à renouveler cette tentative. 11 fut chargé depréparer les voies à l'exploitation projetée, il établit plusieurs comptoirs dans cette vue, et, après s'être assuré de la richessedes mines, il confia au sieur de la Brue l'exécution du plan qu'il avait formé.

La guerre survint en 1744 le sieur David fut envoyé à l'Islede France et le sieur de la Brue, de la direction de Galam, passa. à celle du chef-lieu. Le sieur Aussenac, qui le remplaça dans le commandement du fort Saint-Joseph, ne perdit pas de vue les- projets de la Compagnie sur l'exploitation des mines et entretint le mieux qu'il put les établissements formés. Il se trans, porta, en 1756, à Kélimani et à Natacon, où de nouvelles mines.


venaient d'être découvertes et fit passer à Paris des minerais qui furent trouvés très riches. La Compagnie fit en conséquence de nouveaux préparatifs, de nouveaux efforts pour s'en assurer l'exploitation mais ses projets ne purent pas s'exécuter, les Anglais s'étant emparés de l'Isle Saint-Louis en 1758. Ayant envoyé, en 1759, un homme qui mourut de maladie à Galam, ils renoncèrent dès lors à toute expédition ultérieure. Il paraît que. depuis 1758 jusqu'en 177g qu'ils ont possédé le Sénégal, ils ont éprouvé des obstacles ou n'ont pas mis assez d'importance à cet objet pour s'en occuper.

Les voyageurs qui ont pénétré depuis dans cette partie ont trouvé tous nos établissements en ruine.

Les détails ci-dessus sont extraits des instructions qui m'ont été remises lors de mon départ pour le Sénégal. Depuis mon arrivée dans la Colonie, il ne m'a pas été possible d'en recueillir de nouveaux des habitants qui, se bornant dans les voyages qu'ils ont faits au Galam, à recevoir en échange l'or qu'on leur offrait, ne se sont jamais occupés du nombre, de l'état, ni du gisement des mines. Ils s'accordent seulement dans l'opinion qu'il y en a beaucoup et qu'elles sont très riches. Ils pensent aussi généralement que ce n'est qu'avec de grands ménage-ments qu'on parviendra à déterminer les naturels du pays à leur exploitation, pour laquelle des préjugés, que le temps et de bons traitements peuvent seuls détruire, leur donnent un grand éloignement. Les sieurs Brédif et de Chastelus doivent donc. dans l'exploration qu'ils en feront, mettre autant do prudence que de réserve, et éviter soigneusement de laisser rien échapper qui pût déceler un sentiment d'intérêt subséquent ou des projets d'exploitation car le moindre soupçon de cette nature suffirait peut-être pour qu'on les empêchât d'y pénétrer et d'en faire l'examen dont ils sont chargés.

L'exploration des Royaumes de Bambouck et de Bondoir achevée, les sieurs Brédif et de Chatelus s'occuperont de celle- du pays de Galam, qui, en raison de ses nombreux rapportsavec les Etats voisins qu'ils viendront de parcourir, leur sera


'déjà en grande partie connu lorsqu'ils reviendront. Ils s'attacheront spécialement à s'assurer tant par l'inspection des lieux que par les renseignements qu'ils pourront se procurer, si le Sénégal est navigable au-dessus du rocher Felou, s'il existe d'autres cataractes au-dessus, enfin jusqu'où il lui sera possible de lui laire porter des embarcations propres à opérer des transports de sel et autres marchandises.

Je présume que la partie de leur mission relative aux Royaumes de Galam, de Bambouck et de Bondou pourra être entièrement remplie avant la crue des eaux de l'année 1818. Dans ce cas, les sieurs Brédif et de Chastelus en profiteront, aussitôt qu'elle aura rendu le fleuve navigable, pour opérer leur retour à Saint-Louis. Dans ce trajet, ils s'occuperont d'achever les corrections que la précipitation avec laquelle ils vont être obligés de remonter ne leur aurait pas permis de faire à la carte du cours du Sénégal, et complèteront, autant que la saison le permettra, sans danger pour leur conservation, l'exploration de ses bords et des isles qu'il forme depuis le fort de Saint-Joseph jusqu'à Saint-Louis.

Après leur avoir fait connaître les pays qu'ils sont chargés de parcourir et d'explorer, et leur avoir indiqué la marche que les renseignements qui ont été fournis me font regarder comme la meilleure marche à suivre, il ne me reste plus qu'à leur donner communication des vues dans lesquels le Gouvernement a ordonné le voyage qu'ils vont entreprendre et de ses intentions sur la manière dont ils doivent remplir la mission qui leur est confiée.

Les instructions qui m'ont été remises par Son Excellence le Ministre Secrétaire d'Etat au Département de la Marine et des Colonies s'expriment comme suit à cet égard

« Les recherches dont les explorateurs remis à la disposition du Colonel Schmaltz seront chargés doivent avoir pour but d'acquérir une connaissance, aussi exacté et aussi précise qu'il sera possible, des ressources que peuvent offrir ces pays sous les rapports du commerce et de l'agriculture, des avantages


,qu'on pourrait espérer de l'exploitation des mines d'or existantes dans ces contrées de la population des différents royaumes des mœurs, du caractère de leurs habitants et de la nature des relations qu'on pourrait ouvrir et entretenir avec eux. Il leur sera recommandé surtout de porter une attention particulière dans l'examen qu'ils feront des bords du Sénégal et des Isles Saint-Louis de s'assurer de l'espèce de culture à laquelle ces isles seraient propres, du nombre et du caractère des habitants de chacune d'elles, de leurs dispositions et spécialement de celles de leurs chefs à notre égard, et enfin des moyens à employer pour y former des établissements agricoles. « Ils devront, en conséquence, décrire le genre de culture, les diverses productions de chaque pays, étrangères ou naturelles au sol, l'industrie des habitants, l'espèce des animaux qu'ils rencontreront» et les usages auxquels ils pourraient être propres visiter les mines, déterminer leur gisement et en rapporter des échantillons, observer et faire connaître les peupladesqu'ils trouveront sur leur route rendre compte de leur gouvernement, de leurs usages, de leurs mœurs, de leur religion et de l'accueil qu'ils recevront lier amitié avec les chefs éviter de contrarier leurs idées, prévenir toute discussion sérieuse, et, en tout événement, n'employer leurs armes que dans la nécessité la plus urgente et à la dernière extrémité pour leur conservation personnelle s'attacher à donner à ces peuples une haute opinion de la richesse, de la puissance et surtout de la bonté des Français faire tout, en un mot. pour préparer les moyens de pouvoir un jour pénétrer sur leur territoire, et étendre de proche en proche, par l'introduction du commerce, une civilisation dont la France pourrait recueillir les brillants avantages, »

Les sieurs Brédif et de Chastelus doivent maintenant sentir que les vues du Gouvernement sont uniquement de s'assurer quelles sont les ressources que ses possessions d'Afrique pourront offrir au commerce français, et jusqu'à quel point il serait possible d"y.former des établissements de culture libre suscep-


tible de fournir aux consommations de leur métropole en denrées coloniales. C'est donc vers ce point que doivent tendre spécialement les recherches qu'il vont entreprendre el dont ils ne peuvent manquer de sentir toute l'importance en réfléchissant que, dans un moment où la situation des finances du Royaume force aux plus sévères économies, le Gouvernement n'a pas balancé à faire les sacrifices que va nécessiter leur mission je ne dois pas leur laisser ignorer, en outre, qu'en m'annonçant l'envoi des instruments et des marchandises de traite, que j'avais demandées pour l'exploration dont ils vont s'occuper, Son Excellence m'écrit:

« Sans répéter ce qui vous a été dit dans vos instructions générales, au sujet de l'exploration, je me bornerai à vous recommander de ne pas perdre de vue qu'elle n'est ordonnée qu'afin de procurer au commerce national des relations plusétendues avec les contrées de l'Afrique, et que c'est surtout vers ce but que doivent tendre les recherches des explorateurs. » Il n'est pas sans intérêt de faire connaître en quelques lignes la situation des deux principaux Etats Je Guoye, le Boundou, au milieu desquels le nouveau poste allait être établi, et avec les populations desquels il allait entrer en relations politiques et commerciales.

Le Guoye était sous l'autorité traditionnelle d'une féodalité de chefs, nommés « tunka » et choisis dans la famille princière des Bakili (ou Batchili). Il est peupléde Sarakollé, dont les premières traces d'islamisation remontent au xv* siècle environ et semblent provenir dtr prosélytisme des marchands mandingues, qui reliaient la boucle du Niger au haut Sénégal. André Brue les trou-vait, vers 1700, constitués en une confédération de vil-lages dont les uns, tels Dramané, atteignaient à son dire 3 à 4 000 habitants, et où toute l'autorité résidait dans les mains des marabouts. Ils vivaient dans un état d'indépen-


-dance à peu près complet vis-à-vis du tounka de la région.

La masse des Sarakollé du Guoye n'était encore à cette date que très partiellement islamisée. Ils devaient donc être en butte à l'hostilité des Musulmans voisins du Boundou, pour qui le devoir religieux de « guerre sainte » se doublait de pillages lucratifs.

L'Etat théocratique et musulman du Boundou était de fondation récente. Jusqu'à la fin du xvne siècle, le pays était partagé en une série de petites principautés autonomes et batailleuses les Bakiri, les Fadoubé. diverses familles Malinké, les Ouliabé. A cette date, un marabout peul du Fouta Toro, Malik Si, du clan des Sissibé, vint, après diverses pérégrinations dans le Galam et le Kaarta, s'installer dans le Guoye pour y faire du prosélytisme musulman.

Sa réputation de sainteté et de sagesse, dit Lamartiny, avait attiré tellement d'élèves à Malik Si, qu'il dut réclamer un agrandissement de concession pour loger tous ses prosélytes. Le Tounka y consentit de bonne grâce et lui dit u Marabout, va chez toi, d'où tu partiras demain à la pointe du jour de mon côté, je partirai d'ici, et le lieu de notre rencontre sera la limite de ton territoire. » Malik retourna chez lui mais plus rusé que le Tounké, il en partit pendant la nuit, tandis que le chef du Guoye quittait Touabo à la pointe du jour. La rencontre eut lieu tout près de cette dernière ville, et le Tounka lui dit « Marabout, tu m'as trompé, mais je tiendrai ma parole ici sera désormais la limite de mon royaume. » Malik Si, possesseur d'un espace assez étendu de terrain, fit bon accueil aux émigrés du Toro, son pays natal, conclut une alliance avec les Fadoubé et, sûr de tous ces nouveaux venus, il forma un Etat. La mort du Tounka,


son protecteur et ami, qui eut lieu peu de temps après, lui parut propice pour satisfaire son rêve, mais l'heure n'avait pas sonné. Malik Si trouva la mort dans ses combats avec les princes fétichistes locaux (vers 1720). Ce fut son fils, Boubou Malik, qui par son talent militaire, ses intrigues politiques, qui attirèrent à lui beaucoup de Peul du Fouta Toro, et son long règne (1720-1747)- fonda ce royaume musulman au cœur des peuplades animistes du haut Sénégal, et prit le titre religieux de « chef de la prière (almamy). Avec le temps, ce nom d'almamy allait devenir dans tous ces Etats, d'origine peul et dereligion musulmane, de l'Ouest africain Boundou,. Fouta Toro, Fouta Djallon, etc., un titre politique. Lors de la réoccupation française du Sénégal, en 1816,. l'almamy du Boundou était le petit-fils de Boubou Malik, par une branche cadette, Hamadi Aïssata. Monté sur le trône en 1802, Hamadi avait soutenu de grandes luttes.contre ses voisins du Fouta Toro, en pleine révolution religieuse et expansion politique. C'est en effet en cette fin du xviu" siècle que le parti maraboutique Torodo,. levant l'étendard de la révolte à l'appel du grand cheikh Abdoul Qader, avait chassé ou asservi ses maîtres peul (les Poules de nos pères) et donné naissance à ce peuple toucouleur qui allait devenir célèbre dans nos annales.coloniales.

Hamadi Aïssata, vainqueur d'Abdoul Qader, le fit pri.sonnier et suivant sa propre expression « l'envoya réjoindre Sega Gaye ». Ce Séga Gaye était le frère consanguin et le prédécesseur de Hamadi que Abdoul Qader avait mis à mort.

Le Fouta et le Houn'dou évoluèrent désormais chacun dans leur plan et sans trop de heurts.

En 1818, année où nous allions procéder à l'occupation


de Bakel, Hamadi soutenait encore de grandes luttescontre les bandes animistes du Kaarta soudanais, qui avaient envahi le pays. Ce n'est qu'à grand peine qu'il put signer la paix avec elles et obtenir leur départ (fin 1818). Mais déjà les Français étaient à Bakel.

Quant aux anciens établissements des Compagnies commerciales du xvma siècle Fort Saint-Joseph, sur le Sénégal, Fort Saint-Pierre sur la Falémé, tous deux à une quarantaine de kilomètres au moins du confluent de ces deux cours d'eau, ils étaient, depuis leur abandon dans les premières années de la Révolution, tombés complètement en ruines.

Partis de Saint-Louis le 9 octobre 1817, Brédif et de Chastelus y revinrent le 29 décembre, n'ayant pu dépasser le village de Quiellé, à la lisière du pays de Galam, mais rapportant déjà des renseignements sur la situation du haut pays et ayant déterminé plusieurs points essentiels du cours du fleuve. Des difficultés opposées par les Toucouleurs, la guerre imminente entre les Bambara du Kaarta et le Fouta, le retrait des eaux et surtout l'état de santé déplorable de Brédif avaient nécessité ce retour. En réalité l'expédition n'avait pas abouti. Elle était à recommencer.

II

Il fallait d'autant plus se hâter que, dès février 1818, les Anglais mettaient en route, de Sainte-Marie de Bathurst, une expédition considérable vers l'intérieur du pays, et qu'il était à craindre que cette mission du majorGray ne vint déranger nos projets dans le haut fleuve. Fleuriau, qui assurait avec distinction l'intérim de


Schmaitz écrivait, le 20 juillet 1818, au Ministre u Je sais que les Anglais ont envoyé des marabouts à Galam à plusieurs reprises avec des présents considérables, qu'on a gardés sans écouter leurs propositions. Les habitants tiennent aux Français. Cependant la présence de l'expédition serait bien à craindre, si nous ne nous hâtons de prendre possession du pays, et c'est pour cette raison, que le voyage de Galam, pour cette année, me parait de la plus haute importance si nous ne pouvons pas nous y établir encore, nos relations seront nouées du moins et notre présence suffira pour détruire tout ce que l'expédition aura pu faire. Pour que <;e voyage se fasse d'une manière sûre et avantageuse, il faudrait partir dans 20 jours le temps presse et j'hésite encore, parce que je n'ai que des notions très incertaines sur les projets futurs du Gouvernement, et que je crains d'entreprendre une expédition qui ne cadrerait pas avec les plans adoptés. D'un autre côté, si je ne fais rien, il en peut résulter des inconvénients graves, qui retarderaient sûrement les succès de ce que nous voudrions faire par la suite. n

L'embarras de Fleuriau était d'autant plus grand qu'il n'avait même pas les marchandises nécessaires pour payer les coutumes et offrir des présents aux chefs indigènes. Or le temps pressait au i4 juillet le fleuve était aux hautes eaux chaque jour qui s'écoulait était perdu pour le séjour en Galam.

L'arrivée de l'Argus, commandé par le capitaine de frégate de Meslay, allait le tirer d'embarras.

Quelques jours avant son arrivée, Fleuriau avait commencé à préparer le Brick le Postillon pour cette expédition, ainsi que le Colibri, qui se trouvait en si mauvais état, qu'on ne l'avait pas jugé propre à prendre la mer.


La moitié des préparatifs étaient Jonc faits, quand l'Argus parut.

Les marchandises qu'on attendait de Bordeaux et qui étaient nécessaires au long séjour que la mission d'exploration et d'installation du poste devait faire en Galam étant enfin arrivées, Fleuriau publia le règlement ci- après, modèle qui devait être reproduit bien souvent par la suite puis il mit l'expédition en route.

« Nous Commandant pour le Roi et Administrateur du Sénégal et Dépendances,

Considérant que l'expédition de Galam, ordonnée par sa Majesté, a essentiellement pour but d'accorder secours et protection aux navires du commerce, que les habitants de SaintLouis envoyent à cette destination que tous les bâtiments ont également droit à être protégés, non seulement contre toute tentative imprévue d'hostilité. mais de fraude de la part des peuples riverains du Sénégal et combien il est essentiel que chacun se tienne à portée de recevoir l'assistance qui lui serait nécessaire.

Nous avons arrêté que le règlement de ce jour serait publié et .affiché, afin que Messieurs les négociants et capitaines puissent en prendre connaissance et s'y conforment.

RÈGLEMENT

Pour les bâtiments du Sénégal, destinés à faire le voyage de Galam.

ARTICLE PREMIER

Les bâtiments destinés pour Galam, se réuniront en convoi -sous les ordres immédiats de M. le Commandant de l'Argus, «t seront tenus de se conformer exactement aux signaux d'appareillage et mouillage, qu'il pourra bien faire.


ART. a

Les coutumes à payer pour chaque bâtiment seront distribuées à bord du brick l'Argus, en présence de M. le Commandant et du sieur Pierre Moussa, chargé de surveiller cette opération.

ART. 3

M. le Commandant du convoi déterminera l'époque du retour des bâtiments, et chaque capitaine sera tenu de se disposer en conséquence, sous peine de désobéissance et d'insubordination.

ART. 4

Le convoi appareillera de Saint-Louis, le 17 août, au plus tard. Les navires, qui ne seraient pas prêts à cette époque ne pourront compter sur la protection des bâtiments du Roi, qu'autant qu'ils puissent se réunir à eux. »

Il écrivait en même temps à l'almamy de Boundou la lettre suivante

« Il y a un an, quelques circonstances fâcheuses, et surtout la maladie grave d'une des personnes qui vous avaient été envoyées, ne nous ont pas permis de renouer les relations amicales, qui existaient depuis longtemps entre les Français et vous. Cette année, de sages précautions me font espérer que l'expédition de Galam n'éprouvera aucun retard.

M. de Mélay, qui la commande, et M. de Chastelus qui était à Saldé l'année dernière, vous remettront les coutumes d'usage. Je recommande ces Messieurs à votre bienveillance, pendant leur séjour à Cottera je les mets sous votre protection particulière, parce que je compte sur les promesses que vous avez faites. Nos projets, nos intentions sont toujours les mêmes nous îes suivrons avec persévérance, parce que nous espérons qu'ils sont également avantageux pour nous et pour les peuples qui se montreront nos amis. L'intérêt des hommes se trouve d'accord avec le bonheur des peuples. C'est une circonstance


rare et que la volonté de Dieu a permise dans un jour de clémence. Sachons profiter deses bienfaits et craignons d'attirer sa colère en méconnaissant sa sublime bonté.

J'ai chargé Messieurs de Meslay et de Chastelus de vous remettre un habillement d'écarlate, en sus de vos coutumes, comme preuve de notre attachement pour vous. Si quelque autre chose pouvait vous être nécessaire, écrivez-moi, j'aurai du plaisir à vous être utile.

Recommandez à vos sujets la culture du coton nous vous l'achèterons, ils ne sauraient nous en fournir en assez grande quantité. »

H écrivait en des termes à peu près identiques au Tounka de Galam, Samba Congol Bakiri, « et aux autres principaux du pays de Galam ».

L'expédition comprenait donc le brick l'Argus commandant de Meslay, chef de l'expédition, le brick le Postillon, commandant La Place, enseigne de vaisseau l'aviso le Colibri, commandant Béchamel, élève. L'ingénieur de Chastelus y était joint comme commandant en second de l'expédition. Pour les membres de la commission d'exploration, Grandin et Morenas, malades dès Saint-Louis à l'idée des dangers et souffrances qui les attendaient dans le haut fleuve, ils refusèrent de partir. Fleuriau joignait à l'armement de l'Argus des maîtres ouvriers charpentiers, menuisiers, forgerons, calfats, maçons, voiliers, armuriers. On avait même songé à y mettre un instituteur pour y « commencer l'instruction mutuelle », comme on disait alors, mais considérant qu'il n'y avait pas encore de local, on jugea cet envoi prématuré et l'instituteur fut expédié à Gorée. En somme, concluait Fleuriau, « il n'y a d'ouvrier vraiment peu essentiel, qu'un homme qui a travaillé au jardin du Roy à Paris et qui est chargé, moyennant 5o francs par mois, de


préparer des oiseaux pour le cabinet d'histoire naturelle » Pour la première fois, on se préoccupait de l'installation matérielle, mais presque en s'excusant « J'ai fait construire à bord de l'Argus, du Postilion et du Colibri, de grandes dunettes entourées de jalousies, et parfaitement aérées. Ces messieurs y trouveront un logement agréable. qui les mettra à même de supporter sans inconvénient, j'espère, l'excessive chaleur, à laquelle ils seront exposés. Tous les Européens ont été fournis de pièces de toile pour les garantir des moustiques ce soin qui paraîtrait minutieux est cependant fort essentiel. On reconnaît assez généralement que les insomnies, causées par les piqûres de ces insectes, étaient une des principales causes de mortalité parmi les blancs qui voyagent sur le fleuve cette précaution n'était pas à négliger. Les vivres sont de bonne qualité les médicaments ont été complétés, et nous avons lieu d'espérer que les vents assez violents qui ont favorisé le départ du convoi abrégeront sa traversée, et diminueront les dangers qu'elle présente. Les eaux montées à une hauteur prodigieuse contribueront à la facilité de la navigation. »

La future garnison de Bakel, embarquée sur l'Argus, comprenait quatorze soldats, à savoir un sergent, deux caporaux et onze fusiliers, dont un remplissait les fonctions de maître canonnier sur le bateau.

Les commerçants de Saint-Louis, constitués en société, joignirent à l'expédition officielle toute une flotte de bateaux marchands, destinés à rapporter au chef lieu les produits du haut fleuve. Un de ces bateaux devait rester toute l'année à Galam avec l'Argus. Il avait une singulière histoire c'était jadis un brick espagnol, du nom de Saint-Guillaume, inscrit au port de Lisbonne. Les guerres de l'indépendance sud-américaine battaient alors


leur plein. Le brick fut capturé par un équipage d'insurgés argentins de Buenos-Aires, commandés par un capitaine anglais. Mais il était si mal en point qu'il dut se réfugier à Saint-Louis pour y demander du secours. Les républiques sud-américaines n'ayant pas encore été reconnues officiellement, nul secours ne pouvait être accordé à ce bateau de rebelles. Le bâtiment étant sur le point de couler bas, fut abandonné, au grand ennui de Fleuriau, devant la barre. Contraint d'en prendre possession, il le fit amener à Saint-Louis, réparer aux fins d'usage pour le fleuve et vendre, ainsi que la cargaison. Acheté par la société des négociants de Saint-Louis pour l'expédition de Galam, le Saint-Guillaume partit avec le convoi et resta prisonnier avec l'Argus de l'hivernage 1818 à l'hivernage 1819.

En résumé, de Meslay avait l'ordre de conduire l'expédition en Galam, de présider au trafic jusqu'à la fin de l'hivernage, de renvoyer à ce moment tout le monde à Saint-Louis, de maintenir son brick et le navire commercial le Saint-Guillaume dans une fosse du haut fleuve, d'y rester ainsi prisonnier pendant toute la saison sèche afin de choisir à loisir l'emplacement définitif du nouveau poste, de l'installer, d'y nouer des relations suivies avec les indigènes et notamment avecl'almamy du Boundou qui avait fait savoir à plusieurs reprises son extrême plaisir de voir un poste établi à demeure dans le pays, et finalement de ne redescendre qu'aux hautes eaux de l'hivernage 1819.

Le Gouverneur par intérim lui remettait la première note, donnée l'année précédente à Brédif par Schmaitz et y ajoutait les instructions suivantes fort intéressantes. Brédif, redescendu malade comme on l'a vu, était mort peu après, en janvier, à Saint-Louis.


« 11 me reste maintenant à vous indiquer quel est essentiellement le but de votre voyage, et ce qu'il me paraît important de commencer pour préparer le succès des expéditions subséquentes.

L'objet de cette première expédition est de rétablir nos anciens rapports avec Galam et les pays environnants. Un séjour de quelques semaines ne pouvait remplir ce but, après une si longue interruption et c'est pour cette raison que l'Argus a été désigné pour passer une saison entière dans le haut pays. On a espéré que l'habitude de voir des Européens, l'assurance de les avoir constamment parmi eux, d'être protégés à l'avenir contre les entreprises de leurs ennemis, et que les échanges que vous aurez à faire pour vos travaux, seraient des moyens prompts et immanquables de nouer nos relations avec ces peuples et de les rétablir sur le même pied qu'au temps de la compagnie du Sénégal. Votre bon jugement, votre présence sur les lieux, l'expérience de ceux qui vous accompagnent, vous mettront bientôt à même de connaître mieux que moi ce qu'il faudra faire pour employer ces moyens d'une manière utile et conforme aux vues ultérieures du Gouvernement.

Le voyage d'exploration ne pouvant pas avoir lieu cette année, les recherches que vous aurez à faire dépendront nécessairement de l'état où vous trouverez le pays. et des facilités que vous offrirait la manière des habitants. M. de Chastelus, ingénieur géographe, qui vous accompagne, réunit à beaucoup de zèle et d'expérience un caractère aimable et facile. C'est un compagnon que je vous donne et que je quitte avec regret. En vous entendant avec lui sur ce qui peut être praticable et nécessaire, vous pourrez remplacer jusqu'à un certain point la commission dont les travaux vont être retardés ou du moins lui fournir des renseignements assez positifs pour régler sa marche à venir, en la dirigeant sur ce qui pourra mériter son attention. L'examen des mines d'or de Bondou et Bambouck étant plus particulièrement dans lesattributionsd'un ingénieur


tics mines, il ne faudra vous en occuper que pour vous assurer de la possibilité d'y trouver accès et rapporter quelques minerais comme échantillons. Si cependant vous n'éprouviez pas trop d'opposition de la part des habitants pour les visiter, les renseignements que vous pourriez nous fournir seraient d'un grand intérêt. On assure qu'il se trouve également, dans ces deux pays, des mines de fer et peut-être de charbon. Il serait bien important d'en avoir la certitude.

Il serait essentiel de visiter le rocher Félou vous pourriez vous entendre avec M. de Chastelus pour vous y rendre ensemble, ou pour l'employer seul, dans le cas où vous ne jugeriez pas convenable de vous absenter l'un et l'autre en même temps. Depuis longtemps, on désire savoir quelle est l'étendue de cette cataracte, s'il est possible de la franchir, si le Sénégal est navigable au delà, enfin de quelle importance pourraient être les établissements qu'on voudrait y former par la suite. Vous joindrez à ces détails vos observations sur la facilité qu'il y aurait dans les communications entre ces établissements et celui de Galam, et principalement quelques notions sur la distance où le Sénégal cesserait d'être navigable.

Des reconnaissances du même genre sur la Falémé et les autres rivières qui arrosent le pays nous fixeraient sur la facilité et l'utilité des transports dans toute l'étendue du royaume de Galam. Mais, encore une tois, ces recherches doivent être entièrement subordonnées à l'état du pays et à la sécurité que vous pourrez trouver dans vos excursions ou celles que vous feriez faire.

Votre affaire principale sera de vous occuper sans relâche à -construire quelques établissements qui puissent servir de premier asile à l'expédition plus nombreuse qui aura lieu l'année prochaine. Il s'agirait d'élever des magasins assez vastes pour contenir les approvisionnements destinés à lioo hommes pendant un an des casernes pour 3oo soldats couchés dans des hamacs, fours, cuisines, forges, et quelques logements pour les divers employés que le Gouvernement pourra envoyer. J'ai


cherché à réunir tout ce qui pourrait lacililcr celte opération, en ouvriers, ustensiles, et le peu de matériaux qui me restaient. J'ai ajouté aux objets d'échange, qui doivent servir à la solde de vos subordonnés, et pourvoir en partie à leur subsistance, un peu plus que ce qui vous était régulièrement nécessaire, afin de vous laisser la facilité d'employer quelques naturels du pays. Leur manière de construire est à la fois économique et solide. Ils bâtissent en terre et lui donnent, au moyen du feu, un vernis qui garantitles murs des influences de l'atmosphère. J'ai vu dans l'Amériquedu Sud des villes entières bâties de cette façon. La terre de poterie que vous trouverez en abondance pourrait, à défaut de cette méthode, vous fournir des briques excellentes, et les pierres calcaires, la chaux dont vous auriez besoin. Les gonatiers vous donneront des poutres parfaitement solides, et des planches, avec quelque persévérance, pour compléter la quantité que je vous en ai donnée. N'ayant point d'artillerie à redouter, la forme du fort de Saint-Louis me paraît convenable pour Galam, à quelques. modifications près. Les bastions vous feraient de beaux magasins dans le bas, et vous établiriez les casernes au-dessus, en laissant un petit rempart qui ferait le tour de l'édifice. Vous pourriez environner ce fort d'une palissade et d'un fossé, en attendant la garnison qui doit l'occuper. Voilà ce qu'il y aurait à faire. Je ne puis pas bien juger des difficultés que vous aurez à surmonter, ni affirmer qu'il soit possible de finir tout. Mais je pense que vous pourrez toujours former vos bastions et vous fermer de manière à mettre en sûreté les approvisionnements de l'année prochaine, et un hangar pour loger les troupes dans les premiers moments. D'après ce que j'entends dire aux personnes qui connaissent le pays, il vous sera plus facile de construire solidement ainsi que je vous l'ai indiqué, que de faire un bâtiment en simple charpente. Ce serait un avantage incalculable de bien faire dès la première fois.

L'important est de savoir précisément il conviendra mieux de vous établir. Je ne puis à cet égard vous donner que des


renseignements peu certains. L'ancien fort Saint-Joseph présentait le grand inconvénient d'être fort éloigné du mouillage des bâtiments qui séjournaient dans le haut fleuve, en sorte qu'il ne pouvait ni les protéger, ni en attendre des secours. Les navires se tenaient ordinairement à Cottéra, à quatre lieues de la Falémé, dans une espèce de bassin où il reste environ douze pieds d'eau dans les grandes sécheresses. Cet endroit est trop éloigné de l'habitation de Samba Congol, pour songer à vous y fixer, Mais il parait qu'il existe une fosse, ou bassin, à peu près semblable, près d'un village appelé Faudauca, à un mille de Saint-Joseph. Vous pourriez sonder à Cottera en montant, puis à Faudauca. La différence de profondeur vous mettrait de suite à même de juger si vous pouvez rester dans ce dernier endroit. Alors il n'y aurait pas à balancer il faudrait ou réparer le Fort, ou s'il n'en était pas susceptible, vous établir sur la rive gauche de la rivière vis-à-vis de votre mouillage et sur une élévation qui domine le pays. Avant de vous y décider. ne manquez pas de prendre des informations positives sur les changements qu'éprouve le lit de la rivière, et voyez si nous n'aurions pas la chance de perdre un jour le mouillage que vous aurez trouvé. Car alors l'ancien fort aurait nécessairement t la préférence. Tâchez aussi de savoir quel effet produirait chez les habitants et le roi de Galam un changement de position quelconque. Il paraît qu'autrefois la rivière avait gagné vers le fort, et en avait même miné le bastion du Nord. Dans le cas où vous croiriez devoir choisir un nouvel emplacement, il sera peut-être nécessaire de mettre en avant pour prétexte la crainte d'éprouver à l'avenir des dégradations du même genre. En résumé, si vous pouvez trouver un mouillage, à l'abri du changement, auprès du fort, réparez-le, ou fixez-vous aussi près de lui que possible sinon commencez à bâtir (toujours sur la rive gauche) sous la protection de l'Argus.

J'ai pensé que ne vous trouvant pas à même peut-être d'employer tous vos laptots à cet ouvrage, il vous serait possible de faire en même temps quelques essais de culture. Vous avez reçu


en conséquence une charrue, que j'ai fait construire ici, et j'ai eu soin de placer dans le détachement qui vous accompagne des hommes qui savent labourer et dresser les bœufs au joug. Quelques plantes et graines de différentes espèces complèteron t vos ressources sous ce rapport.

Il serait bien nécessaire aussi d'avoir quelques détails sur la culture de l'indigo, qui vient abondamment à Galam, mais que les naturels préparent mal. Vous tâcherez de nous donner une idée de la quantité qu'on pourrait apporter en feuilles au Sénégal.

Vous emporterez encore avec vous une mécanique, qui mettera douze moulins à coton en mouvement. Douze enfants et deux hommes pourraient égrainer de 100 à 120 livres nettes par jour. Ce que vous rapporteriez à votre retour aurait le double avantage de présenter des résultats immédiats et de couvrir une partie des frais de l'expédition. Dans tous les cas, envoyez-moi un peu de coton brut par le Postillon, et en dernier lieu chargez-en l'Argus, s'il vous reste assez de marchandises d'échange pour cela.

Le détachement que j'ai destiné pour le Galam se compose d'un sergent, deux caporaux et dix fusiliers, sans compter celui qui remplit à votre bord les fonctions de maître canonnier. On les a choisis parmi ceux qui ont tenu la meilleure conduite depuis leur séjour dans la colonie la plupart sont ouvriers et seront d'un grand secours, dans vos opérations comme pour votre surveillance. J'ai cru devoir les mettre sous le commandement de M. de Chastelus, qui les soignera. Mais il est bien entendu qu'ils seront toujours à votre disposition.

Il est inutile de vous recommander de veiller avec soin sur la conduite de votre équipage vous sentirez combien il sera essentiel de leur faire éviter des querelles, dont les conséquences deviendraient fâcheuses. Ayez soin également de faire marcher ensemble tous les bâtiments du convoi, de faire rallier les traîneurs, qui pourraient être insultés faute de protection. Quand vous serez fixé sur l'époque où il sera nécessaire d'expé-


diei le convoi en retour, veuillez prévenir les capitaines quelques jours d'avance, afin qu'ils puissent partir simultanément sous l'escorte du Colibri, et contraignez-les d'appareiller. Vous aurez à m'envoyer les otages du pays de Fouta, par un canot qui sera destiné à les porter au Sénégal. Plus tard, par le Postillon. vous m'expédierez aussi un fils du roi de Galam, qu'il est d'usage de nous envoyer. Je m'en réfère aux lettres que je vous ai remises pour l'Almamy de Fouta et Samba Congol, et dont je vous prie de prendre connaissance. Je mets sous votre protection spéciale le navire qui doit séjourner avec vous à Galam. Il est expédié par une société de négociants de Saint-Louis. Cette opération se rattache si immédiatement à la nôtre, qu'il sera essentiel de la favoriser par tous les moyens possibles. Voyez à ce qu'il ne s'établisse aucune concurrence entre les deux bâtiments. Je pense qu'il serait bon de vous entendre avec M. Allain pour établir un tarif, dont il serait défendu de s'écarter dans les échanges. En veillant à ce que cette mesure ne soit pas onéreuse pour les habitants, elle tournerait à l'avantage de tous. Vous sentez que c'est plutôt pour l'avenir que pour le présent qu'il faut agir.

Je vous engage à nous écrire le plus souvent possible, afin de nous tenir au courant de vos opérations. Les Saracoulés et les Marabouts vous en donneront des occasions assez fréquentes. D'après ce que vous demanderez, on déterminera le moment de votre retour, qui devrait être celui de l'arrivée de la deuxième expédition il n'y aurait qu'une nécessité absolue qui pût en rapprocher l'époque. Ayez som, dans vos lettres, de nous indiquer l'espace et la quantité d'objets que vous croirez nécessaire soit pour continuer ce que vous aurez commencé, soit pour commencer de nouveaux travaux. Vous nous direz aussi quel serait le déficit qu'auraient éprouvé vos vivres, et, par conséquent, ce qu'il faudrait ajouter proportionnellement aux envois ultérieurs l'incertitude où je suis à cet égard m'a engagé à forcer vos approvisionnements sous tous les rapports ajoutez


encore à cela quelques détails sur le genre de substance que vous pourriez trouver, et qui tiendraient lieu au besoin de cequi nous manquerait. Enfin n'oubliez rien de ce qui nous mettrait à même, à l'avenir, de compléter nos opérations le mieux possible.

J'ai calculé le montant de vos marchandises de manière à ce que vous puissiez donner à vos subordonnés douze mois de solde, et. a vous laisser encore une somme assez considérable pour subvenir à vos dépenses de vivres,de constructions et frais. imprévus. Le tarif de ces marchandises vous sera remis, et vous voudrez bien faire prendre note exacte de ce qui seradélivré. Si pourtant vous jugiez convenable d'employer une partie de ce qui est solde à quelques ouvrages utiles, je vous engage à le faire nous aurions soin, au retour, de dédommager chacun autan t que faire se pourra.

Je laisse à votre sagacité le soin de suppléer à ce que j'aurais pu omettre dans cette note je suis bien assuré que le zèle qui vous anime vous mettra à même de faire ce qui sera le plus convcnuble pour le bien du service, l'entreprise dont vous êtes chargé est difficile et importante. Ne perdez pas de vue qu'elle vous offre une occasion de rendre à votre pays un service éminent. que le Gouvernement compte sur vous pour justifier les espérances que nous lui avons présentées, et que l'empressement que vous avez mis à accepter cette pénible mission lui donne le droit de compter sur votre entier dévouement. » Malgré tous les éloges que lui décerne Fleuriau et malgré sa valeur incontestable, le capitaine de frégate de Meslay paraît n'avoir pas compris l'intérêt puissant de cette expédition de Galam, ni avoir eu les qualités pour la réaliser avec constance, énergie et habileté. On verra par la suite que ce sont les jeunes enseignes de vaisseau Dupont et Dussault, continués par Hesse, « les jeunes gens », comme dit Fleuriau dans sa correspondance officiellc, qui sont les véritables auteurs de notre établisse-


ment dans le haut fleuve. Dès le début, par sa lenteur, de Meslay faillit tout faire échouer.

Parti de Saint-Louis le 17 août, de Meslay, malgré les vents favorables et la hauteur de l'eau, ne quittait Podor {370 km.) que le 1" septembre. Le voyage se poursuivit sans encombre jusqu'à Saldé, escale où l'on devait procéder au paiement des coutumes de passage à l'almamy ̃du Fouta Toro.

A Saldé, l'almamy fit des difficultés pour permettre le passage et, afin de gagner du temps, différa de venir toucher ses coutumes. Il invoquait les fêtes de la Tabaski, ne désirant en réalité qu'un supplément de cadeaux. De Meslay perdit un temps précieux, et se décida, voyant la maladie envahir son monde, à passer outre. Les Toucouleurs ne se livrèrent à aucune hostilité. Au contraire les chefs locaux, furieux contre leur almamy qui les privait ainsi des coutumes, lui firent toutes sortes de -représentations. Finalement et après de nombreux palabres, les chefs vinrent à bord, laissèrent des otages, touchèrent leurs coutumes et on se jura amitié « sur l'alcoran ».

L'expédition arrivait à l'embouchure de la Falémé, après 73 jours de navigation, ce qui constitue sans doute le record de lenteur de tous les voyages sur le fleuve depuis des siècles. Un chaland tiré à la cordelle ne met aujourd'hui, aux basses eaux, pas plus de 4o jours. Le Postillon ne resta à l'embouchure de la Falémé que le temps de débarquer ses marchandises et d'embarquer. M. de Meslay gravement malade. « Plusieurs rechutes graves, dit Fleuriau, avaient épuisé ses forces et c'est la conviction de ne plus pouvoir rendre aucun service, plutôt que la certitude d'une mort inévitable, qui l'a déterminé à remettre la direction des opérations à M. de Chas-


telus, capitaine ingénieur géographe, jusqu'alors épargné par les maladies ». Fleuriau, désireux de mettre en évidence le succès de l'expédition, couvrait de Meslay de fleurs a M. de Meslay n'est pas encore suffisamment rétabli pour adresser son rapport à Votre Excellence. Je puis dire en résumé que, grâce à sa prudence, et à sa fermeté, l'expédition a parfaitement réussi. Elle a réuni les avantages d'une opération de guerre et ceux d'une mission pacifique, en ce qu'elle a démontré aux Phoules alarmés que nous pouvions naviguer sur le fleuve sans leur assentiment, que toutes les difficultés ont été levées, sans coup férir, et de manière à dissiper les inquiétudes, que l'imprudence et la malveillance leur avait fait concevoir. Aujourd'hui nos relations avec le pays de Fouta sont mieux établies que jamais, et l'entrevue qu'a eue M. de Chastelus avec le chef du pays de Bondou, nous donne lieu d'espérer que les choses s'arrangeront, comme nous l'avions prévu ». S'il avait su ce que devait être ce rapport de de Meslay, il aurait été moins prodigue d'éloges.

Les hautes qualités de de Chastelus, qui remplaçait de Meslay comme chef, donnaient toute confiance à Fleuriau. Cette confiance était, cette fois, pleinement justifiée. Malheureusement Chastelus, n'écoutant que son zèle, se fatigua considérablement. Une dernière course où il fit 80 lieues à cheval, en trois jours et demi dans l'ardeur de la mauvaise saison, le terrassa. Il mourut de la dyssenterie vers la mi-décembre.

Le convoi resta jusqu'il l'extrême limité des eaux, sous la protection du Colibri. La traite fut considérable et des plus lucratives. « Les indigènes qui n'avaient point eu de sél depuis longtems, offraient jusqu'à 10 moules de mil pour un moule de sel, ce qui présente pour cet objet


un résultat au moins de 5o capitaux pour un. L'or s'y trouvait en abondance ainsi que le coton »

Le convoi de Galam, toujours sous l'escorte du Colibri, rentrait le 18 décembre à bon port à Saint-Louis « la bonne intelligence régnant partout ».

L'Argus et son compagnon restaient donc prisonniers dans le haut fleuve selon les ordres reçus. L'enseigne de vaisseau Dupont, second de l'Argus, devenu le chef de l'expédition par le départ de Meslay et la mort de Chastelus, allait procéder à l'installation du poste à terre. L'emplacement de ce poste venait d'être fixé définitivement par Chastelus sur la falaise de « Bakel » point de la rive gauche sis en aval de Cotéra, désigné dans leurs instructions. Il se trouvait à la limite Nord-orientale de Guoye, sous l'autorité du Tounka de Touabo, mais en quelque sorte, comme on le verra plus loin, sous la suzeraineté de l'almamy de Boundou. Chastelus avait ouvert les premières négociations avec le tounka, et put les mener à bien, avant sa mort. Ce point de Bakel, sis à une quarantaine de kilomètres en aval du confluent du Sénégal et de la Falémé, allait devenir pendant près d'un siècle le siège de notre politique d'apprivoisement et d'expansion, et notre principal comptoir commercial dans le haut fleuve.

A cheval sur le Guoye et le Boundou, en réalité dans le Guoye, mais tout de même sous la suzeraineté du Boundou, face aux Maures Dowiches (Id ou Aïch) de la rive droite, Bakel était fort bien placé, au point de vue fluvial et commercial encore que certains lui reprochassent, à cette date, d'être trop bas, trop loin des Bambara du Kaarta, et peu à même d'arrêter la déviation possible du commerce sur la Gambie. Il est certain que c'est notre poste actuel de Kayes. à i5o kilomètres en amont,.


qui est devenu aujourd'hui l'emporium du haut Sénégal. Sa ligne politique serait plus délicate elle consistait à s'appuyer successivement et alternativement sur ces deux Etats, voire sur les Id ou Aïch, et même à l'occasion sur les peuples animistes de l'Entre-Sénégal-Falémé, ce vieux pays de Bambouk, comme disaient nos pères, et du haut Sénégal, le pays de Kayes actuel, ce Galam, non moins célèbre dans nos annales commerciales sénégalaises. Cette politique de bascule n'était pas pour faire peur aux distingués marins Dupont, Hesse, qui vont présider pendant les premières années à notre rétablissement dans le haut fleuve.

Disons pour en finir et pour montrer avec quel soin on cherchait le. meilleur et le plus durable des emplacements que jusqu'à l'hivernage de 1820, le choix de Bakel. ne fut pas définitif. A cette date encore, une commission composée du lieutenant de vaisseau Leblanc, président, de l'enseigne de vaisseau Hesse, destiné à commander le poste de Galam, de l'enseigne de vaisseau Dupont, commandant le brick l'Argus et le poste de Bakel, et du lieutenant de sapeurs Burk O'Farell, était « chargée de «chercher un lieu propre à former un établissement militaire et commercial dans le Haut du fleuve Sénégal ». Schmaltz donnait à cette occasion à Leblanc des instructions fort intéressantes, mais qu'il serait trop long de .reproduire ici et qui au surplus résument ce que nous savons déjà.

Le 2o septembre 1820, de Bakel même, Leblanc signait son rapport concluant au maintien définitif de ce poste. Voici ce document fort intéressant et qui fixa définitivement le choix du Gouverneur et du Ministre. Il abonde par ailleurs en renseignements politiques fort utiles.


u L'exploration que nous venons de terminer n'a pu s'étendre jusqu'au terme qui nous avait été indiqué par nos instructions; un obstacle qui n'avait pas été prévu nous a forcés de la borncr au village de Moussola, placé à peu près au milieu de la distance qui existe entre Baquel, notre point de départ, et ̃ Caignnu. celui auquel nous devions nous arrêter.

La rapidité du fleuve, qui ne nous a pas permis de parvenir au del de Dramanet avec le brick l'Africain, malgré tous les moyens et les efforts employés pour y réussir, doit nous avoir prouvé évidemment qu'il serait contraire à l'intérêt du commerce et de la navigation de former l'établissement principal au delà de ce point, qui semble, par l'obstacle qu'on y rencontre, devoir limiter la navigation des grands bâtiments. Si ,le commerce croyaitdevoir étendre ses relations dans une partie plus élevée du fleuve, il ne pourrait le faire qu'au moyen de très petits bâtiments ou d'embarcations à rames, fort légères, qui pourraient remonter en se tenant toujours très près del'une des rives; dans ce cas, un comptoir placé vers le haut fleuve, dans lequel séjourneraient les agents du commerce, pourrait s'occuper de traites avec les Bambaras et les gens de Çassou {Khasso) dont il serait plus rapproché, et ferait parvenir àl'étabassement principal les objets provenant de ses traites au moyen de bâtiments légers qui lieraient ce comptoir particulier au coin ptoir principal.

Nous nous sommes rendus en canot de Dramanet à Moussola la distance de ces deux points est de quatre lieues nous avons employé huit heures et demie pour la parcourir, dans une embarcation légère, marchant bien, conduite par des canotiers loris et agiles et qui imprimaient au canot une vitesse absolue d'au moins quatre noeuds et pourtant nous suivions toujours la rive d'aussi prés que cela était possible pour échapper à l'action du courant. En revenant, nous nous sommes tenus au milieu du fleuve, les canotiers nageaient pou* faire .gouverner le canot seulement, et, dans deux heures, nousavons parcouru les quatre lieues qui séparent Moussola de,J)ramanet.:


nous avons pu justement en conclure que le courant avait au moins quatre nœuds i/a de vitesse.

Borné à faire connaître mon opinion sur l'étendue des rives qu'il nous a été possible de parcourir et qui. se trouvent comprises entre Bakel et Moussola, je le ferai an me renfermant autant que possible dans l'esprit des instructions qui nous ont été données pour guide. De Moussola à Dramanet, la côte est très basse, entièrement inondée dans la mauvaise saison une simple berge, fort étroite et fort basse, sépare le fleuve d'une vaste étendue de terrain entièrement couverte par les eaux, lors du dessèchement pendant la haute saison ce doit être une cause de salubrité et de mortalité à laquelle succomberaient la majeure partie des Européens qui seraient obligés d'y habiter. Toute cette côte n'offre aucun des matériaux qui seraient nécessaires aux constructions. M. Grandin, ingénieur des Mines, qui a bien voulu nous accompagner, n'a pas trouvé de pierre calcaire dans la petite quantité qu'il a rencontrée, et qui est extrêmement rare.

De Dramanet à Toubabécané, ou fort Saint-Joseph, la berge se continue en s'abaissant à tel point que les villages de Dramanet, Maca Dougou, Macana et Toubabêcané, sont à moitié inondés pendant la mauvaise saison, et l'inondation dans le sud au delà de la berge s'étend à une immense distance. En continuant à descendre, les positions de Faudauca et de Segala otlrent les mêmes inconvénients. M. Grandin, par la rencontre de quelques pierres, répandues dans le sol à Toubabêcané et Faudauca, a cru pouvoir supposer sur le voisinage de ces lieux l'existence de quelques carrières de pierre calcaire. On parvient enfin à Cottéra, lieu propre à fixer l'attention de la Commission, le seul qui avec Bakel puisse offrir les moyens de s'établir convenablement sons les rapports militaires et sanitaires, et dans le voisinage duquel on rencontre les bois, pierres etc., propres aux constructions.

Je vais vous exposer ce que je pense de ces deux points. Je commencerai par Cottéra.


Cottéra possède un morne isolé d'environ 60 mètres de hauteur, sur le bord du fleuve et dont l'élévation le rend très dominant sur la plaine qui l'entoure. Au pied de ce morne et dans un espace de i5o toises, en remontant le fleuve. il existe un bassin que j'ai fait sonder et qui contenait 45, et 5o pieds d'eau à l'instant où les eaux ont de 35 à 37 pieds d'élévation. Il restera donc, dans la bonne saison. 10,7 et i5 pieds d'eau, ce qui est suffisant pour toutes les espèces de bâtiments qui seront dans le cas d y séjourner pendant toute l'année. Les environs de Cottéra offrent des bois en abondance qui peuvent être utilisés dans les constructions et servir au chaultage. Les pierres semblent avoir été disposées d'avance pour bâtir. Dans le Sud du morne et à son pied, on trouve des pierres amoncelées en différents tas, qui sont prêtes à être employées et qu'il suffit de mettre en place sans nulle préparation. Deux tertres placés dans le S. 0. du morne, et qui forment entre eux un angle presque droit, sont à l'abri de l'inondation qui recouvre la plaine et pourraient offrir un emplacement fort convenable à la construction d'un village qui voudrait venir s'établir dans le voisinage du fort. Tels sont les avantages qu'offre Cottéra il a, de plus, celui d'être avancé dans le pays de Galam de huit lieues de plus que Baquel et de se trouver à deux lieues au delà de la Falémé. Il fait partie des Etats de Samba Congol mais ces dernières considérations me paraissent peu importantes, etje m'en expliquerai incessamment.

Pour s'établir sur le morne de Cottéra, il faudra s'y disposer par des travaux préparatoires, qui dureraient au moins pendant une année; il serait impossible, pendant la durée de ces travaux, d'y transporter le personnel du poste, actuellement établi à Baquel, et l'on serait obligé d'envoyer un bâtiment mouiller sous le morne pour servir de caserne et de fort à l'officier et aux ouvriers chargés de ces travaux. Ge bâtiment devrait porter également les vivres, outils, munitions, etc., nécessaires à un séjour d'une année.

Ces travaux consistent, au rapport de M. Burke O' Farell,


officier chargé de la direction du Génie, à écrêter le morne pour former une plate-forme où puissent être établis les différents édifices que doit renfermer le fort. Il faudrait abaisser le morne de a5 taètres afin de trouver assez d'étendue cette plate-forme. Ce seul travail coûterait au moins huit mois de temps, sans compter les retards que les maladies des ouvriers pourraient y apporter. Il faudrait construire un débarcadère et un chemin de communication avec la plate-forme, des hangars, et des cases pour recevoir provisoirement la garnison, les vivres, marchandises, munitions, etc., et l'année suivante seulement, on pourrait commencerles constructions définitives.

Au dessus et au-dessous de Cottera, le fleuve est barré par deux barres qui le traversent et qui conservent si peu d'eau dans la saison sèche, que les moindres canots ne peuvent pas les franchir alors toute communication par eau est interrompue avec Coltéra.

Cottéra est placé au milieu d'un pays extrêmement pauvre en vivres. Les habitants Serracolets. soit par paresse ou par crainte de leurs voisins, les Foulhs de Bondou. qui les oppriment sans cesse. ne cultivent de mil que sur les bords du fleuve, et précisément dans les quantités nécessaires à leurs consommations il ne faudrait nullement compter sur eux pour en obtenir dans le cas de besoin. L'impossibilité, pendant une grande partie de 1 année, de redescendre le fleuve pour s'en procurer plus bas pourrait exposer la garnison à en manquer et à se trouver dans une position très critique.

Baquel offre tous les avantages de Cottéra je crois même que sa position doit être plus salubre par son éloignement des marais qui existent dans ses environs. Les travaux d'établissement peuvent y être commencés de suite, la hauteur sur laquelle est actuellement placé le fort offre un plateau d'une étendue suffisante à l'emplaçement de tous les édifices nécessaires dans l'ouest à demi-portée de fusil il serait facile et très peu dispendieux de l'abaisser ou de construire dessus une petite redoute minée qui en défendrait l'occupation. Les vivres sont


faciles à se procurer à Baquel, dans toutes les circonstances on en a eu la preuve pendant les deux années qu'y a séjourné la première expédition, qui n'a pas pu en recevoir de Saint-Louis, et qui n'a jamais été exposée à en manquer.

Jusqu'ici Baquel me semble devoir l'emporter sur Cottéra, qui est le seul point qu'on puisse lui opposer. 11 reste à envisager ces deux positions sous le rapport des facilités qu'elles peuvent offrir pour les relations à établir avec les peuples de l'intérieur, sur celles d'attirer leurs produits ou de les empécher de dévier vers la Gambie, et enfin sur l'intérêt que les habitants peuvent trouver à nous voir établir chez eux et à nous y favoriser en profitant de notre présence.

L'Almamy de Bondou, par sa puissance, exerce sur tout le pays des Baqueris, des Guilimakas et des Serracolets une autorité de fait à laquelle tous sont soumis et à laquelle rien ne résiste. Les Baqueris, les Guilimakas sont ses alliés, les Serracolets sont l'objet constant de sa jalousie, et de sa surveillance. Déjà il aurait détruit ce peuple, réduit jusqu'à rien, et dont l'affaiblissement occasionne la nullité, si les Foulhs du Fouta n'y avaient mis opposition, par l'intérêt qu'ils ont à empêcher le Bondou de trop étendre ses conquêtes.

Samba Congol, prince des Serracolets (Guoye), est un prince nul, chez lequel, malgré toute sa bonne volonté pour nous, nous ne pourrions espérer aucun secours en vivres et aucune protection contre les peuples ses ennemis, qui voudraient nous nuire. En lui parlant de la possibilité de nous établir à Cottéra et cherchant à traiter avec lui des conditions auxquelles il nous aurait cédé ce point, au cas où il nous eût convenu, Samba ne nous a pas dissimulé la crainte qu'il éprouvait que nous n'y fussions attaqués, pendant le cours de nos travaux, par les Foulhes du Bondou et son impuissance pour nous protéger dans le cas où cela arriverait. En cherchant à nous attirer chez lui. il ne voit que l'avantage de nous posséder, de faire de nous une protection contre ses ennemis et de trouver dans le commerce le moyen de relever sa fortune détruite mais


devons-nous entrer dans des considérations d'intérêt, toutes relatives à ce prince, duquel nous n'avons rien à espérer et chez lequel nous pourrions, par 1 inimitié et la jalousie que lui porte le Bondou, éprouver des obstacles que nous ne rencontrerions pas ailleurs ? Je ne crois pas qu'on puisse avoir une pareille intention.

Au reste, son pays n'offre que le point de Cottera où l'on puisse s'établir en cherchant à aéunir toutes les conditions nécessaires, et si le Bondou veut empêcher les Bambara et les gens de l'Est de s'y rendre, rien ne lui sera plus facile. Ce point ne jouira pas alors de plus d'avantages que Baquel pour les opérations du commerce.

En restant établis à Baquel et faisantavec l'Almamy de Bondou une paix indispensable à l'intérêt du commerce, les marchands indigènes du Bondou, de Bambouc, de Fouta et les maures Dowiches, au milieu desquels l'établissement se trouve placé, arriveront sans obstacle à Baquel et y apporteront leurs produits pour les trafics avec nos marchands. Le passage de la Falémé ne sera un obstacle pour aucun d'eux, puisque cette rivière est guéable pendant toute la partie de l'année où les indigènes se livrent au commerce.

Le comptoir qu'il faudrait établir à Caignou, où l'ancienne compagnie avait établi le sien, achèvera l'exploitation de tout le commerce du fleuve, qui, je crois et le dis en passant, devrait être remis aux mains d'une compagnie, seule capable des frais d'établissement qu'il exige, et aussi pour éviter toute concurrence qui est toute en faveur des indigènes et infiniment nuisible à nos intérêts.

Lorsque nous nous sommes établis à Baquel, l'Almamy de Bondou y a donné son consentement, quoiqu'il n'eût aucun droit à revendiquer sur la possession de ce point mais son influence est telle que le Tunca de Tuabo n'aurait pas voulu faire cette cession sans l'assentiment de l'Almamy. Pour nous établir à Cottéra, il ne serait pas prudent d'agir autrement mais on pourrait trouver plus de difficultés de la part de l'Al-


mamy. qui nous verrait avec peine quitter un de ses alliés pour aller nous établir chez un de ses ennemis. En quittant Baquel, nous nous aliénerions le Tunca et tout le pays des Baqueris, chez lesquels seuls nous trouvons cette précieuse ressource en mil qui serait perdue, et sur laquelle il ne faudrait plus compter pour les cas de besoins à venir et puisque le commerce peut allluer avec la même facilité à Baquel qu'à Cottéra, pourquoi se déciderait-on à abandonner ce poste pour l'autre, lorsque surtout il offre quelques avantages de localités qu'on ne rencontre pas à Cottéra ? P

Tous les peuples qui bordent les rives du Sénégal se ressemblent sans beaucoup de distinction de caractère. Ils sont tous fourbes, intéressés, grands palabreurs et très adroits à dissimuler leur pensée on ne doit faire aucun fond sur leurs vaines protestations d'attachement ils ne sont réellement attachés qu'à leurs intérêts tous désirent nous fixer chez eux, parce que notre présence et celle des étrangers, que notre commerce attire, leur sont également avantageuses. Ce plus ou moins de témoignage d'attachement de la part des uns ou des autres ne doit point en imposer, et ne doit surtout être pris en nulle considération. Notre choix doit s'arrêter dans le pays qui nous offre le local le plus commode, le plus de' facilité et de proximité pour nos opérations de commerce et le moins de chances de tracasseries de la part des voisins de notre établissement.

Je conclus en faveur de la position de Baquel, que je crois la plus convenable aux vues qu'on se propose ».

III

Le Colibri, qui escortait le convoi, à- son retour, a laissé l'Argus à Baquel dans le pays de Bondou. C'est à cet endroit que ces Messieurs ont cru devoir s'établir. On a commencé à bâtir sur une hauteur qui domine un vaste bassin, où nos bâti-


ments trouveront en toute saison, la quantité d'eau nécessaire pour flotter et se rapprocher au besoin de l'un ou de l'autre côté. La situation politique du Roi de Galam venait d'éprouver de grands changements. Depuis peu, Semba Congol s'était réuni aux Bambara pour attaquer le pays de Bondou et de Fouta. Battu par ses ennemis, abandonné par ses alliés, il s'est trouvé réduit à la possession du village de Mackana. et par conséquent hors d'état, quant à présent, de nous aider dans nosopérations. Il eut été bien facile de remonter jusqu'à nosanciens établissements mais on a pensé, que ce serait le risque d'indisposer inutilement les deux almamys, qu'il était intéressant de ménager, et trouvant dans le pays de Bondou les mêmes avantages de commerce et de culture, et un excellent mouillage pour les navires, on s'est décidé à y revenir. On a< acheté des terrains à Baquel, et on y attendait les caravanes de l'intérieur. »

C'est par ces mots que Fleuriau rend compte au* Ministre, le i3 janvier 1819, des premiers jours du poste de Bakel, installé au début de décembre précédent. L'année 181 va se passer tout entière, sous le commandement de l'enseigne Dupont, chef du poste, et de l'enseigne Dussault, commandant de l'Argus, dans l'installation matérielle dont le détail n'offre aucun intérêt. Sous la direction des deux marins, les premiers bâtiments sortent de terre, et le Génie de Saint-Louis, grincheux suivant les traditions, y trouve des malfaçons angles trop aigus, manque d'air, etc. Les constructions n'avancent que lentement, ce qui n'est pas sans inquiéter Schmaltz, qui craint que les casernes (briques du pays et toitures de chaume) ne soient pas prêtes pour l'hivernage de 18ig, époque 6ù arrivera la garnison. Ces craintes étaient vaines la garnison, comme on le verra,ne vint pas à Bakel cette année-là.

Dupont prend contact et noue d'excellentes relations-


avec ses voisins, les Toucouleurs du Fouta et du Boundou, les Sarakollé du Guoye, les Bambara du Kaarta, et enfin les Maures Id ou Aïch de la rive gauche, qui, heureux d'avoir enfin une escale où ils puissent librement commercer, commencent, dès le premier jour, à fréquenter Bakel et à y apporter leurs gommes et leurs troupeaux.

Il convient ici de donner quelques détails sur la puissante considération maure des Id ou Aïch, les « Dowiches », comme on disait alors, dont les multiplescampements nomadisaient sur la rive droite du fleuve jusqu'au Tagant et qui allaient devenir et qui sont demeurés les grands pourvoyeurs de gomme de BakelLes Id ou Aïch sont, de leur aveu, d'origine berbère. Ils en portent toujours le nom, puisque leurs voisins du nord, les Kounta, comme ceux du sud. les Chorfa et lesTajakant, leurs voisins de l'est, comme ceux de l'ouest, les appellent communément les « Zenaga ». Quand on parle de « la tribu Zenaga » par excellence (Çanhadja), dans la Mauritanie comme dans le Hodh, c'est des Id ou Aïch qu'il s'agit.

C'est qu'en effet il n'y a guère qu'un siècle et demi que les descendants des Alnioravides, asservis aux xv* et xvi* siècles par les bandes hassanes des invasions arabes, ont recouvré leur indépendance.

Ce n'est pas le lieu de faire en détail l'historique des Id ou Aïch on ne trouvera ici qu'un résumé indispensable des faits, destiné à comprendre la situation politique i'ecette tribu, lors de l'occupation de Bakel1.

Tout au début du xvm" siècle, les Id ou Aïch, nomi. Cf. pour plus de détails Paul Marty. Les tribus des confins de la Mauritanie et du Soudan, Paris, Leroux. (Collection de la Revue da Monde Musulman.)


breux, riches et guerriers, mais fractions asservies aux guerriers et marabouts voisins, commencent à s'agiter. Mohammed ould Khouma, leur chef, est l'instigateur de ces troubles, où l'on sent venir la future indépendance. Ses successeurs, Amar, puis Bakar, fils d'Amar, continuent sa politique, sans que les Hassanes, maîtres politiques du pays, à savoir les Oulad Mbarek, puissent s'opposer à cette fermentation.

C'est Mohammed Cheïn, d'illustre mémoire, fils de Bakar, fils d'Amar, qui leva l'étendard de la révolte vers 1750. A un siècle de distance, on assistait à une nouvelle phase de la lutte des populations berbères contre les envahisseurs arabes mais cette fois, les Berbères, moins confits en islam, mieux armés, plus unifiés, mieux commandés qu'au temps des imams du cheikh Boubah (1630-1674), allaient conquérir la victoire, se dégager de tout tribut et de tout lien de vasselage, et fendant leurs suzerains Ouled M'Barek en deux, en rejeter une partie, fort amoindrie et presque épuisée, vers Nioro et Ballé, où on la retrouve aujourd'hui en miettes, et refouler l'autre partie, à peu près anéantie, et devenue les Oulad Roulzi et les Askeur, vers le haut Sénégal, où on les retrouve aujourd'hui, dans le cercle de Kayes, mélanisés, sédentarisés, n'ayant plus rien d'arabe et même de blanc, que la tradition et le nom. Cette lutte dure environ de 1750 à 1800.

Mohammed Cheïn, ayant réuni à Dechnaïkat, à 20 kilomètres au sud de Tijikja, tous ses contingents Id ou Aïch, refusa de payer le tribut aux chefs Oulad Mbarek et Oulad Nacer, dont il dépendait. Ceux-ci se concertèrent et vinrent camper près d'eux et les bloquer. Cette situation dura quatre mois, sans combat.

Comprenant que, seul, il ne pourrait pas tenir tête


aux Arabes aguerris et spécialisés dans le métier des armes, Mohammed Cheïn chercha des alliances dans le camp arabe. Il s'adressa aux Oulad Abd Allah du Brakna, anciens rivaux des Oulad Mbarek, et toujours ennemis à l'occasion. Il eut la bonne fortune de voir l'émir des Oulad Normach, Ahmed ould Heiba, venir à son secours et immobiliser la plupart des forces hassanes.

Mohammed Cheïn saisit aussitôt l'occasion et écrasa en en détail, à la faveur des dissensions arabes, les différentes fractions ennemies les Oulad Mbarek d'abord, les Oulad Nacer ensuite. Il sut même se dégager de l'emprise des Oulad Abd Allah qui, à ce moment-là (1766-1780), pour son bonheur, se scindaient en Oulad Normach et Oulad Siyed, et voyaient le commandement passer des premiers aux seconds.

Mohammed Chein mourut vers la fin du xvin" siècle, laissant cinq fils, qui sont les ancêtres des tentes princières actuelles Mohammed, ancêtre des Abakak Mokhtar, Eli, Bou Sif et Sidi Lamin, ancêtres des Chratit. Il avait assuré complètement l'indépendance de son peuple. « Il « laissait à son fils aîné et successeur, Mohammed, un « peuple libre, grandissant chaque jour en nombre, « s'enrichissant des tribus maraboutiques, qui venaient « se placer sous la protection de ses guerriers, et des « tributaires qu'à leur tour ils recueillaient au cours de « leurs conquêtes ».

Mohammed maintint pendant de longues années sous son autorité toutes les fractions, qui formaient alors le peuple Id ou Aïch. Il ébaucha, par l'intermédiaire des Brakna, les premières relations commerciales avec les Anglais, puis avec les Français, qui les remplacèrent en 18 16. Jusqu'alors c'est à l'escale des Brakna, soit le Terrier-Rouge, soit Podor, que les Id ou Aïch portaient


leur gomme. La défection inattendue d'Ahmeddou, émir des Brakna, au début de 1820, son alliance avec notre ennemi, Amar Ould Mokhtar, émir des Trarza, et avec les Foules (Toucouleurs), sa précipitation à l'attaquede Dagana et à la tentative d'expulsion des Français du Oualo décidèrent Schmaitz à rompre avec une coutume, vieille de deux siècles, et à élargir le champ du commerce.

Le poste de Bakel venait d'être installé. Dès les premiers jours, le Commandant du poste nouait d'excellentes relations avec les Id ou Aïch, ses voisins du Nord.. Schmaltz disait au ministre, le 27 mars 1820, en parlant de Bakel « Son alliance avec les Dowichs le garantit des attaques des Maures n.

Il y avait mieux encore. Schmaltz fit prévenir Mohammed ould Mohammed Cheïn que Il désormais, à partir de cette année, les produits de son pays seraient traités chez lui ». (1 Les avantages que les nouvelles dispositions' lui. « assurèrent, ajoute Schmaltz dans son rapport au « Ministre, et sa guerre avec Hamet-dou nous sont « garants de son empressement à réunir et à faire porter « à notre établissement toute la gomme récoltée dans le« haut pays

Les vues du Gouverneur se réalisèrent. Dès i82o, l'émir gagna, suivant la politique de Schmaltz, « tout ce que Hamet-Dou devait perdre ». De ce jour et jusqu'à notre- occupation effective du pays, Bakel a été une très importante escale du haut fleuve, et aujourd'hui encore. où pourtant les conditions ont changé, elle est toujoursle centre commercial préféré des Chratit.

Mohammed ould Mohammed Cheïn suivait encore les. vues de Schmaltz, en soutenant notre allié, Mohammed' ould Eli-Kouri, prétendant trarza. « Hamdoul Kouri,-


héritier légitime du dernier Roi o, comme l'appelle Schmattz. en hommage à un principe, qui était alors sur le trône de France, revendiquait, en sa qualité de fils de l'émir Eli Kouri, tué en 1786, la culotte blanche de l'émiral des Trarza. Il fut notre allié dans la lutte contre Amar. alors sur le trône, et contre Ahmeddou, l'émir brakna. On avait mis à sa disposition quelques barques « basti nguées et armées », avec lesquelles il assaillait ses ennemis sur tous les points du fleuve. Entre temps, il se retirait chez les Id ou Aïch, où il se reposait et levait des contingents. On le vit même à plusieurs reprises à Bakel. où Dupont lui fit bon accueil, et son amitié avec les Français ne contribua pas peu à l'ébauche des relations qui se nouèrent dans ce poste, à cette date, avec les chefs Id ou Aïch. Hamdoul Kouri devait périr en 1827, dans un cornbat contre les Oulad Agcheir, sans avoir pu faire triompher ses droits.

Nous voyons par une lettre du 17 juin, de Schmaltz à l'enseigne Dupont, que déjà, à cette date, les Id ou Aïch vivaient en mauvais termes avec les dynasties sarakollé des Bukiri du Guoye. « Tant qu'il n'en résultera pas « d'hostilités susceptible de nuire à notre commerce, lui « écrit-il, les rixes constantes entre les Dowichs et les « Bakiris ne paraissent pas assez importantes pour que « vous travailliez à les faire cesser. Comme vous l'obser« vez très bien, les guerres n'empêcheront pas les mara« boux d'aller partout, par conséquent, notre commerce •« n'en souffrira pas, et c'est tout ce qu'il nous faut pour « le moment ». Il était sage en effet de ne pas s'immiscer dans les querelles locales, tant- qu'on n'avait pas le pouvoir de les faire cesser. C'est la ligne politique qui sera rigoureusement tracée aux premiers commandants du poste.


11 était heureux que les Français eussent assez pris pied dans le pays pour pouvoir vivre en paix et subsister avec les ressources locales, car, en partie par la faute de l'administration centrale de Paris, en partie par les difficultés que créèrent les Toucouleurs sur le fleuve, l'expédition de Galam allait complètement échouer celte année là. Le ministre avait promis, l'année précédente, à Schmaltz, alors à Paris, des bateaux à vapeur. Depuis 181a, année où le premier de ces engins avait navigué sur la Clyde, sept ans s'étaient à peine écoulés et déjà les « machines à feu >> se répandaient sur les mers et sur les fleuves. Schmaltz en avait vu tout de suite l'intérêt pour la navigation sur le fleuve Sénégal, et sur les promesses ministérielles, il comptait bien que l'expédition de Galam de 1819 se ferait par les nouveaux bateaux. Aussi, grande fut sa déception, quand il apprit en mai que les bateaux ne seraient là qu'en fin d'hivernage.

« II eût été difficile dans les circonstances actuelles. écrit-il au ministre, le a juin, d'apprendre une nouvelle plus faite pour contrarier nos projets. Après avoir conclu les traités qui levaient toute entrave à l'exécution du projet de colonisation, il était instant d'agir sans perdre de tems de consolider l'établissement de Galam et de complétter, après ce commencement, l'ensemble par une expédition propre à donner aux peuples de la rivière une juste idée de notre force. Ce retard dérange tous mes calculs et m'aftliged'autant plus qu'ayant eu à regretter une année de travail par suite des circonstances qui ont prolongé mon absence, j'avais lieu d'espérer que désormais rien ne pouvait plus m'arrêter dans ma marche. Depuis mon arrivée, je me suis efforcé de réparer le tems perdu. J'ai, tenu ce que j'avais promis et me voilà arrêtédans mon premier moyen d'exécution. « Cependant il ne serait ni prudent ni politique de différer jusqu'à l'année prochaine l'établissement définitif de Galam. Par les soins actifs et industrieux des deux jeunes gens, qui


commandent dans le haut du fleuve, des logemens et des magasins ont été préparés pour recevoir notre expédition, ainsi qu'un petit fort, qui assure pour le moment une protection suffisante on ne peut songer à abandonner des travaux aussi importants. D'un autre côté, je ne puis me décider à employer les moyens ordinaires poury envoyer une garnison nombreuse les inconvénients d'une longue traversée, qui retentissent sans doute encore en France, et plus encore, la mortalité, qui peut en résuller, ne manqueraient pas de jeter du découragement sur notre entreprise et de nuire à son exécution. Dans celtealternative, le seul parti est, je pense, d'envoyer incessamment un bâtiment avec peu de monde et quelques ressources, et decompter sur les promesses de Votre Excellence, pour accélérer le départ des bateaux à vapeur de manière à ce que nous puissions les avoir encore assez à tems pour les expédier cette année. »

A la fin de juillet, l'expédition provisoire annoncée se mettait en route elle consistait en un seul bateau de la colonie emportant pour Bakcl les approvisionnements indispensables.

En même temps, on préparait à Saint-Louis l'expédition définitive, de façon à être prêt quand les bateaux à vapeur arriveraient. Hélas il fallut peu à peu se rendre compte qu'ils ne seraient jamais là à temps. Pendant cette vaine attente, le temps opportun s'écoulait, de sorte que lorsque Schmaltz, assuré qu'il ne pouvait plus compter sur les vapeurs, organisa son expédition avec des voiliers et des goélettes locales, il était déjà trop tard les eaux commençaient à baisser. Ces divers contretemps si fâcheux allaient faire échouer l'expédition. La situation politique du Fouta était tout à fait mauvaise depuis la déposition de l'almamy Youssoufou, l'anarchie avait régné plus d'un an. On venait enfin de procéder à l'élection d'un nouvel almamy, Ibrahima, dit


iBiram, mais il n'avait pas l'autorité nécessaire pour se faire obéir, et les lettres que lui écrivait Schmaltz, pour lui annoncer le passage de l'expédition, restèrent sans effet. D'ailleurs Youssoufou n'avait pas abandonné toute prétention.

L'expédition partit le 18 septembre. Elle comprenait la goélette de là colonie l'Elisa, chargée du personnel militaire et civil, et des présents et coutumes à distribuer dans le voyage de deux bricks du commerce l'Adèle et les Trois-amis, chargés du matériel et des approvisionnements du poste et enfin de quatre goélettes du pays, .chargées de divers matériaux.

Ce personnel, destiné à Bakel, comprenait 3i sous.,officiers et soldats, et deux officiers, dont l'un, le lieutenant Godard, fort apprécié par Schmaltz, quoique nouvellement arrivé dans la colonie, était le chef de convoi •et devait relever Dupont de son commandement. A cette garnison étaient joints Letellier, commis de marine, chargé de l'administration de Bakel, ainsi qu'un expéditionnaire pour ses ordres, et deux chirurgiens majors. Le capitaine Oblat, du génie, et l'ingénieur Grandin s'embarquaient aussi le premier pour achever la construction du fort et des bâtiments, le second pour continuer les explorations dans l'intérieur, entamées par liréilif et de Chastelus. Le commerce local avait joint, bien entendu, à la flotte officielle ses goélettes, chargées de marchandises.

Schmaltz, qui souffrait déjà de ces retards, des frais considérables effectués pour l'affrètement de ces bateaux dans le commerce, de l'impossibilité avec ces moyens réduits de mettre B'akel sur le pied qu'il avait projeté, et .enfin de la carence de l'effet moral qu'il avait escompté, par la présence de bateaux à vapeur, Schmaltz, dis-je,


apprit avec inquiétude, dans les premiers jours d'octobre, que des incidents fâcheux s'étaient produits en route. Las soldats, qui, entassés sur une goélette, s'ennuyaient et souffraient de cette traversée, se livraient à des « actes regrettables » pillages de vivres, rixes, imprudences -sanitaires. Godard manquait de commandement. La discorde s'infiltrait dans les relations entre les diverses autorités du convoi.

C'est dans ces conditions qu'on parvint au seuil de Saldé, le ik octobre. Godard avait l'ordre, vu l'état des -eaux, de ne séjourner là au maximum que quarante-huit heures, et de continuer sa route. Si les coutumes n'avaient pas pu être payées à l'ai mamy du Fouta pour une raison ou pour une autre, elles le seraient au retour. L'almamy était averti. Godard commit la faute « de s'y laisser amuser -treize jours, avant de se déterminer à passer outre ». Pendant cet intervalle les eaux avaient baissé de dix pieds. Lorsque les bâtiments, après avoir payé les coutumes, voulurent continuer leur route, ils furent attaqués au village d'Avallé par les naturels qui s'opposèrent à leur passage. Il était possible de passer, mais il fallait -désormais continuer à la cordelle, ce qui n'allait pas sans difficulté, s'il fallait livrer bataille on ne savait pas si, Bakel atteint, l'on pourrait revenir à Saint-Louis. « Par -la mauvaise conduite des militaires, on avait déjà perdu douze Européens, et on avait une grande quantité de malades ». Pour toutes ces raisons, la flotte fit demi-tour et arriva, le 19 novembre, à Dagana où Schmaltz, qui venait procéder aux premières plantations, eut la douleur de la trouver.

Le bateau à vapeur était enfin arrivé le 1" novembre ^c'était le Voyageur. convoyé pat le/&F4ck le Silène. Ils amenaient par surcroît uriAote inattëMu, le baron de


Mackau, que le Ministre, pris entre Schmaltz et de Meslay, envoyait inspecter la colonie et se rendre compte de la valeur du fameux plan de colonisation. Schmaltz et Mackau utilisèrent aussitôt ce premier « bateau à feu >>, qui voguait sur le Sénégal, pour venir à Dagana en 5a heures. Arrivés le 21 novembre, ils trouvèrent le convoi à l'ancre depuis l'avant-veille.

Il s'agissait d'assurer sans retard le ravitaillement de Bakel. Schmaltz conçut le projet hasardeux de le faire par des caravanes des Brakna, montées spécialement à cet effet, et qui emporteraient, par la rive maure, les objets les plus indispensables à la vie du poste jusqu'à l'expédition prochaine. La première serait uniquement t composée de Maures. A la seconde pourraient être joints des Européens, et notamment le commis Letellier et un chirurgien. A cet effet, il entra aussitôt en pourparlers avec Mokhtar Boubou, ministre de l'émir Ahmadou, des Brakna, et écrivit à cet émir lui-même. Ces tentatives échouèrent. La lettre que le 6 janvier 1820 il écrit à Dupont résume bien la situation

« J'atais envoyé le capitaine Courau à Podor pour négocier avec Hamed-dou, roi du Brackna, la formation et l'envoi de la caravane que je vous avais annoncée. Votre opinion sur les résultats de cette opération, les craintes que la guerre entre Hameddou et les Dowichs nous donnaient lieu de concevoir, le refus des maraboux, chargés de la conduite de la caravane, de nous remettre leurs enfants comme otages et surtou t la confiance que m'ont t inspirée les mesures prises par vous pour assurer votre approvisionnement jusqu'à la prochaine expédition, m'ont fait renoncer au projet que j'avais conçu. Je n'ai fait partir que les médicaments, indiqués sur votre note. J'ai tout lieu d'espérer qu'ils vous arriveront heureusement et aussitôt que cette lettre. Soyez persuadé, Monsieur, que j'apprécie comme ils le méritent les


motifs 'généreux qui ont déterminé votre rcnanciatixmaux res*sources, dont je me proposais de hasarder l'envoi, et je reconnais toute l'étendue de votredévouement. N'ayez aucune inquiétude relativement aux otages de Fouta. J'avais prévu l'effet que devait produire dans leur pays leur détention à Saint-Louis. Ils continueront d'être soumis à la surveillance la plus exacte et ne seront relâchés qu'après l'expédition des hautes eaux prochaines. « Les dernières nouvelles qui nous sont revenues dlui pays de Fouta Toro annoncent des divisions entre les Fouîtes, divisions qui contribueront à assurer notre tranquillité; le pays de Toro aspire à être indépendant celui de Fouta est partagé, entre l'almamy Biram et l'almamy Youssouf. L'approche du Bambara, si cette nouvelle se confirmait, amènerait sans doute des changements dans la situation actuelle du pays de Bondbu et de Fouta. Transmettez-moi vos idées à cet égard. Ces premiers nous sont encore peu connus plnrs rapproché d'eux, vous devez avoir sur leurs mœurs, leurs coutumes, leurs projets des notions plus précises, dont il serait utile d'être instruit. Des observations, même minutieuses, sur cet objet ne peuvent manquer d'avoir beaucoup d'intérêt. »

Schmaltz écrivait en même temps diverses lettres aux chefs du pays à ceux du Fouta pour leur reprocher leur perfidie, à Mohammed Chein. émir des Id oui Aïeh:, pour expliquer l'insuccès de l'expédition,, et fui faire dte» promesses, à Samba Congol, tunga du Guoye, pour lui faire prendre patience, au chef et aux notables bambara du Kaarta enfin, pourvoir ce qu'il pouvait en attendre dans une pression à exercer éventuellement sur le Boundou et le Fouta. Ce changement d'attitude politique, qui pouvait nous entrainer loin, n'était pas sans causer de l'inquiétude à Sehmaltz. Il recommandai* à Dupont, en lui envoyant sa lettre, de n'en faire usage que si sa pru<dence le jugeait nécessaire et il lui signalait que les


Bambara « étaient une ressource dont il ne faudrait user qu'à la dernière extrémité ».

Dagana, 22 novembre 1819.

Au ROI ET AUX PRINCIPAUX CHEFS DU BAMBARA.

« Je vous avais écrit, l'année dernière, pour vous engager à ne point faire la guerre aux pays de Fouta et de Bondou et je vous avais promis en même temps que j'enverrais à Galam assez de bâtiments et de marchandises pour que vous puissiez, ainsi qu'eux, partager notre commerce. Fidèle à tenir tout ce que je promets, j'avais fait une grande expédition mais les gens du Fouta, qui veulent tout pour eux, ont cherché à retenir mes bâtiments pour que les basses eaux les empêchent de passer et ils les ont forcés à revenir au Sénégal. Cette perfidie de leur part retardera jusqu'à l'année prochaine nos relations avec vous et je vous écris pour que vous ne puissiez pas croire que j'ai manqué à ma parole.

La perfidie des Foulhes et la mauvaise conduite des gens de Bondou envers les Français, qui sont à Baquel, ne méritent pas les soins que j'avais pris de vous détourner de porter la guerre chez eux. Cependant, comme c'est toujours un fléau qui nuit à la prospérité des peuples, je ne regrette pas ce que j'ai fait pour eux et je vous sais le même gré de votre modération mais s'ils entreprenaient quelque chose contre les Français qui sont à Baquel, je vous engage, à la première demande du Commandant, à entrer dans le pays, et aux hautes eaux prochaines je m'y rendrai avec des forces pour me joindre à vous. Mon expédition sera telle que rien ne pourra l'empêcher dépasser Alors vous ne manquerez plus de marchandises et tous les ans vous me verrez tenir fidèlement ce que je vous ai promis. » L'attitude du Fouta fut telle qu'il'fallut s'engager définitivement dans la voie des armes. En février 1820, Schmaltz, espérant que des négociations bien conduites pourraient amener la paix, se rendit à Podor, mais il ne


put arriver à entrer en conférence avec l'almamy qui refusait de monter à bord. On apprit entre temps qu'un petit bâtiment, commandé par l'élève de Mortemart, avait été attaqué par les gens du Toro.

Cette trahison mit fin aux pourparlers et Schmaltz redescendit sur Dagana. En ce point, les craintes les plus vives l'assaillirent un moment, tant pour Dagana que l'almamy du Fouta menaçait d'attaquer, et dont, en attendant, il ravageait les environs, que pour Bakel qui se trouvait aussi livré à ses propres et minimes moyens. Dans le Oualo, Schmaltz défendit ses concessions agricoles avec énergie il courut sus aux bandes indigènes, chaque fois qu'il put le faire avec avantage, et entre temps envoyait le « bateau à feu » faire ses premières armes, en brûlant les villages riverains.

Dans le haut fleuve, il engage Dupont à s'allier franchement avec les Bambara et les Id ou Aïch. Les Bambara marcheront sur le Boundou et le Fouta et mettront à mal les Poules les Id ou Aïch incursionneront chez les Brakna, pour avoir trahi notre cause et s'être joints à nos ennemis noirs. Pour Schmaltz, il prépara une forte expédition qui, aux premières hautes eaux, remontera, puissamment armée, le fleuve et achèvera la déroute de& ennemis. C'est dans ce sens qu'il écrit à l'émir des Id ou Aïch, au roi des Bambara, et au tunka des Sarakolléde Galam (mars 1820).

IV

Le poste de Bakel d'ailleurs ne courait aucun risque l'amitié du tunka de Makhana, Samba Congol, son alliance avec les Maures Id ou Aïch et le roi bambara du


Kaai'ta le garantissaient contre les attaques possibles des deux almamys du Fottta et du Boundou. Une seule chose était à déplorer le ralentissement des relations commerciales, par suite de l'échec de l'expédition précédente et du défaut de marchandises. Il est vrai que, par des mesures de fortune, on s'ingéniait à ne pas interrompre le cours de ces relations, si heureusement nouées, et que les indigènes s'y prêtaient eux-mêmes avec confiance, apportant gomme et produits, dans l'attente et sur le crédit du nouveau convoi.

Il importait an plus haut point que l'échec de l'année précédente ne se renouvelât pas. Aussi, dès le mois 'de mai, Schma:ltz se préoccupe-t-il de l'organisation de l'expédition. « Elle partira da«is les derniers jours de juillet, écrit-il au Ministre. Je la composerai de manière à ce que non seulement elle puisse franchir le passage d'autorité, mais encore, au retour, venger les attaques qu'elle aurait essuyées, etmêirae faire aux gens de Fouta ,assez de mal pour qu'ils bous redoutent à l'avenir et que «nous terminions une paix avantageuse et durable ». L'expédition partit en en'et de 'Saint-Louis, le 5 août 1820, aux premières hautes eaux. Elle se composait des deux bateaux vapeurs, le Voyageur et l'Africain, celui-ci «nfin arrivé le 12 mai de la gabarae la Ménagère, du Ibrick le Postillon. et des goélettes la Gamba et la Maria. Pour la première fois, sur les eaux du Sénégal, de SaintLouis à Bakel, voguaient des « bateaux à feu ». Nous y reviendrons. Elle comprenait io officiers, 37 sous-officiers et soldats européens et 1 indigènes.

L'expédition était commandée par le lieutenant de vaisseau Leblanc, commandant l'Africain. Elle emportait l'enseigne de vaisseau Hesse, désigné pour succéder à Dupont dans le commandement du poste de Bakel..


Hesse, 'jadis à l'Etat-Major de SchmaUz, avait été désigné, au début de 1820, pour commander le poste et le brick stationnaire de Dagana. Schmaltz, qui le jugeait « prudent, conciliant et ferme », déclarait à cette date qu'il le détachait de sa personne « avec un véritable regret ». Cette heureuse opinion était méritée, et Hesse, après s'en être montré digne à Dagana, devait le justifier entièrement à Bakel.

Il emportait les instructions suivantes

« Je vous ai plusieurs fois entretenu des vues du Gouvernement sur notre établissement dans le haut du fleuve. Je vais vous les rappeler ici sommairement, et vous faire en même temps connaître notre position actuelle dans le pays de Galam, les voies principales que vous aurez à suivre et les moyens qui sont mis à votre disposition pour parvenir au but que les vrais intérêts de notre pays nous font un devoir de rechercher de tous nos efforts, et que les avantages de notre position sur le Sénégal nous permettentd'atteindre avant tous les peuples que le même projet occupe.

L'intérieur de l'Afrique est encore peu connu toutefois, il n'existe plus de doutes sur sa nombreuse population, la richesse des produits qui peuvent en être extraits, et les avantages immenses qui résulteraient de l'établissement de relations commerciales suivies entre les peuples qui l'habitent et une nation européenne. Depuis longtemps le monopole de ce commerce est, à peu près, entre les mains des Maures des côtes de la Méditerrannée et de la mer Rouge, leurs marchandises, achetées de seconde main et à de très hauts prix, transportées par leurs caravanes, avec des frais énormes, par une route longue et périlleuse, alimentent tous les marchés de l'intérieur, et s'y sont placés à des prix qui laissent encore au marchand un ample dédommagement des avances par lui faites, et des dangers qu'il a courus les bénéfices que devaient apporter le monopole ou le partage seulement de ce commerce on't


attiré l'attention du Gouvernement (que les succès, obtenusautrefois dans les mêmes lieux par la compagnie française des Indes, ne permettent pas de regarder comme incertains). Les avantages, dont devait être, pour notre commerce, une position à trois cents lieues dans les terres, sur un fleuve navigable, non loin des grands entrepôts de l'intérieur, au milieu de peuples amis ayant déjà des relations suivies avec ces marchés, lui ont fait regarder, comme le plus sûr moyen d'arriver promptement et sûrement au but de ses recherches, l'établissement, dans le haut du fleuve, d'un poste central, autour duquel des comptoirs intermédiaires, progressivement formés, assuraient bientôt à notre commerce l'approvisionnement de celte partie de l'Afrique.

Une autre considération non moins importante et se rattachant plus directement au plan de colonisation, adopté pour le Sénégal, a rendu nécessaire un établissement dans ces contrées. Placées entre les peuples et les Bambaras, sur l'industrie agricole et commerciale desquels se basent, en partie, les succès attendus de la colonisation, nous devenons naturellement médiateurs entre ces deux peuples rivaux et ennemis- naturels nous rétablissons entre eux la paix nécessaire au développement de leur commerce et de leur agriculture tenant. dans nos mains la balance de leurs intérêts, pouvant la faire pencher suivant les nôtres.

Nous acquérons les moyens de fixer l'inconstance des Poules,, et d'assurer nos rapports avec eux enfin tout en étendant nos relations chez leurs rivaux, nous nous ménageons le rôle le plus avantageux, et le plus sûr, celui d'arbitre de leurs querelles et de protecteur de leurs droits mutuels.

C'est dans le dessein d'acquérir ces avantages que furent expédiés en 1818, sous les ordres de M. de Meslay, capitaine de frégate, les bricks l'Argus et le Postiilpn et l'aviso le Colibris Vous avez eu connaissance des contre-temps éprouvés par cette expédition, longtemps arrêtée à Saldé, à Diguiélogne ellearriva tard dans le haut du fleuve. La plus grande partie des-


Européens qui la composaient étaient malades M. Demeslay lui-même fut obligé de descendre promptement à Saint-Louis.. et M. Chastelus, capitaine ingénieur géographe, à qui il avait laissé le commandement, succomba peu de temps après c'est au milieu de ces circonstances que le village de Baquel fut choisi comme le point le plus convenable à l'établissement d'un poste des observations d'un grand poids que je vous ferai connaître dans une instruction particulière, m'ont porté à penser que Baquel remplissait mal les vues du Gouvernement une commission dont vous terez partie sera chargée d'examiner cette question. Toutefois, grâce à la conduite prévoyante et ferme de M. le Commandant Dupont, le séjour de notre expédition sur ce point, s'il n'a point produit au commerce les avantages pécuniaires qu'on avait espérés, nous a du moins montrés d'une manière convenable aux habitants du pays, et a préparé, et en quelque sorte assuré, les succès de l'avenir. Sur la rive droite, les Maures Dowiche, tribu nombreuse, propriétaires de forêts de gommes, qui peuvent fournir des quantités considérables de ce produit, sont les alliés, les amis de notre poste leur Roi et particulièrement son fils, paraissent sincèrement désirer avec nous des relations suivies. Sur la rive gauche les habitants de Boundou ont vu avec peine notre établissement se former au milieu d'eux, ils ont suscité toutes les difficultés qui lui pourraient nuire plusieurs fois; ils ont tenté secrètement de nous le faire abandonner; le respect que M. Dupont a su leur inspirer a garanti notre poste; ils paraissent résignés à nous y voir. Mais leur caractère inconstant. les facilités que donne à leurs chefs, pour les faire mouvoir contre nous, la différence de la religion, présenteront longtemps encore, dans nos relations, d'autant plus de difficultés, que, pour les plus voisins d'eux, nous paraîtrons davantage- en dépendre, pour les approvisionnements de notre poste. Plus loin. les Saracolets nous appellent. Sambat Congol, chef' d'une de leurs tribus, attend avec impatience le moment où nous nous rétablirons de nouveau chez lui.


Les Bambaras, que l'emplacement actuel du poste ne laisse pas libres de (commercer directement avec nous, semblent très désireux de le faire. Modiba, leur Roi, a toujours entretenu avec M. Dupont, par l'intermédiaire de Sambat Congol, des relations d'amitié qui paraissent devoir être avantageuses pour nos marchands.

D'après l'aperçu rapide qui précède, vous reconnattrez que je niai point le dessein de vous donner le détail de la conduite que vous aurez tenir envers ces peuples, pour retirer de chacun d'eux tous les avantages qu'ils peuvent nous faire, en prévenant les inconvénients que leur fréquentation pourrait avoir. J'ai seulement indiqué les objets sur lesquels se doit porter votre attention particulière arrivé ;sur les lieux, vous trouverez par MM. Dupont et Dussault, les renseignements les plus positifs sur les hommes et sur les choses. Le succès de leur administration pendant les années 1818, 1819 et 1820, au travers des circonstances si difficiles et dans un tel dénuement de moyens, est une preuve bien convaincante de leur sagesse, de leur capacité. Je ne puis trop vous engager vous entendre avec ces messieurs sur l'ensemble et sur les détails du commandement qui vous est confié; à prendre note d-ss résultats de leur expérience, à vous diriger .sur les voies qu'ils ont suivies, les instructions diverses qui se trouvent entre leurs mains. Leur correspondance et la mienne, dont ils vous feront la remise, achèveront de vous faire connaître l'esprit qui doit diriger toutes vos mesures. La manière dont vous avez rempli vousmême des devoirs à peu près semblables dans votre commandement du poste de Dagana, me dispense d'ailleurs de vous entretenir plus longtemps de ce sujet.

Vous trouverez ci-joint un état nominatif du personnel du poste de Galam et un budget, établi d'après la méthode fournie par le ministre de la marine, qui vous fera connaître le détail de toutes les dépenses à faire dans le poste et des moyens qui Toussent accordés pour y pourvoir. Ces deux pièces doivent «tre considérées par vous comme les bases essentielles de votre


administration intérieure. Vos approvisionnements en vivres sont calculés pour quatorze mois. Vous devrez en surveiller l'emploi avec toute l'attention qu'exige l'importance de ce service des marchandises ont été chargées pour pourvoir à Galam aux diverses dépenses qui, dans le «hef-Keu, se payent en argent, vous veillerez à ce que la délivrance en soit toujours régulière, et, si le placement de quelques-unes d'entre elles offraient des avantages proportionnellement plus grands que celui des autres, portez vos soins à ce que la répartition en soit faite d'une manière juste qui rendent communs à tous les bénéfices qu'elles donneraient. Administrateur en chef du poste, votre devoir vous oblige à suivre tous les détails de l'administration, à prévenir tous les abus qui pourraient se glisser dans le service, à me faire part de tous les obstacles qui empêcheraient sa marche. Copie vous sera donnée des instructions remises à M. Frigaut et vous devrez veiller à leur exécution j'attends tout, â cet égard, de votre zèle. je vous recommande d'une manière particulière de ne rien négliger pour que la comptabilité de Galam soit transmise au chef-lieu, avec l'exactitude recommandée dans les instructions de M. Frigaut. M. Nona, lieutenant au premier bataillon,d'Afrique, commandera la garnison il eût été difficile de trouver un sujet plus ferme, plus prudent, plus zélé pour le service, et sachant mieux allier à la sévérité de ladiscipline la bonté et l'indulgence qui rendent le service facile et agréable au soldat. J'ai alloué à cet estimable officier l'indemnité de huit cents francs accordée par son Excellence au Commandant de la place à Baquel. Je désire qu'il en remplisse les fonctions, sous vos ordres immédiats. M. Poizat, sergent-major, a été par moi provisoirement promu au grade de sous-lieutenant. Depuis deux ans dans le poste, oïl sa conduite a toujours été honorable, il pourra vous fournir sur lés individus et les faits, des renseignements utiles. C'est le motif qui m'a porté à le conserver près de vous, la garnison ̃se composera, en outre, de cinquante-deux sous-officiers et soldats, dont 3o Nègres. nouvellement enrôlés dans le *™ Bataillon


d'Afrique. Je désire que le service soit organisé de manière que 10 au moins de ces 3o hommes, puissent être alternativement mis chaque jour à la disposition de l'officier du génie chargé des travaux à exécuter dans le poste le détachement entier pourra de suite être logé à terre dans des cases en paille faites à la manière du pays il n'y aurait lieu à user du même moyen pour les militaires blancs, que dans le cas où il serait prouvé que cette méthode offrirait des avantages sur le logement à bord.

Un lieutenant en premier du génie dirigera le service, des instructions particulières lui seront remises quant à la naturedes travaux qu'il aura à élever, au mode d'administration qu'il devra suivre, il vous donnera connaissance de ces instructions et vous veillerez à ce que dans leur exécution les intérêts du Gouvernement soient ménagés. Vous m'informerez de suite de toute infraction qui vous paraîtrait devoir les compromettre,. ou entraîner, sans avantage bien reconnu, dans des dépenses excédant les allocations déjà faites.

Outre les maçons, charpentiers, et forgerons portés sur l'état du personnel ci-joint, comme attachés à la direction et les. dix soldats noirs de corvée comme j'ai parlé plus haut, les ouvriers inscrits sur le rôle de l'Argus devront être mis chaque jour à la disposition immédiate du lieutenant du génie, chef du service ils seront nourris et soldés par la direction, et sous sa discipline immédiate, et compléteront, avec les Nègresdu pays, qui pourront être loués comme manœuvres, le personnel employé à ses travaux.

Le service de l'artillerie est confié, sous vos ordres, au sieur Bernard, sous-garde, homme intelligent, actif et dévoué. La conservation et la comptabilité des munitions de guerre et l'entretien des armes seront soignés par les deux employés decette direction.

Vous connaissez déjà les officiers et agents divers comprissous cette désignation je crois inutile d'entrer à cet égard dans aucun détail avec vous.


D'après les dispositions que je vous fais connaître à l'article de la direction du génie, le nombreux personnel porté sur le rôle du brick de S. M. l'Argus sera par le fait réduit au nombre d'hommes strictement nécessaire pour l'entretien de la propreté à bord du bâtiment un maître blanc et dix laptots me paraissent devoir suffir à ce service, et c'est à ce nombre que j'ai fixé l'équipage du brick, le surplus devra être employé dans les travaux à terre. Si des réparations urgentes exigeaient momentanément la présence à bord departie de ces hommes, il devra être fait mention sur le journal du bord et le carnet de la direction, des travaux à faire et du nombre de journées qui auront été employées à les achever.

Je n'ai pas besoin de vous recommander de ne rien négliger de tout ce qui peut contribuer à la conservation des hommes sous vos ordres. Je fais mettre à votre disposition tous les moyens que la correspondance de M. Dupont m'a fait regarder comme les plus propres à atteindre ce but des légumes secs pourront être distribués en ration il ne sera plus donné d'eaude-vie aux Européens des filtres seront embarqués pour le service du personnel du poste, pendant la saison des pluies durant laquelle les eaux bourbeuses du fleuve occasionnent, croit-on, des dyssenteries. Vous aurez soin de m'indiquer vousmême, à cet égard, quelles précautions vous aurez prises, quels changements vous penserez pouvoir être avantageux à apporter •dans le logement, la nourriture, le régime de vie, pour prévenir les dangers que le climat peut faire courir. Je recommande à votre zèle cet examen dont vous sentez toute l'importance. Vous veillerez également avec une attention particulière à ce qu'il ne s'établisse que des rapports d'amitié entre les indigènes •et les employés du poste, et surtout les Européens. Toutes discussions doivent être prévenues en exigeant des chefs indigènes qu'ils fassent rendre à vos hommes, s'ils avaient droit de se plaindre, une justice exacte soyez vous-même justement sévère contre ceux-là, si les indigènes réclament avec droit il importe de nous montrer comme les amis de la paix et de


l'ordra. C'est l'esprit qui doit vous animée dans toutes vos,relationa avec les chefs et les particuliers.

D'après les rapports qui m'ont été faits sur le haut pays en général,, la guerre et les dévastations qui la suivent, surtout chez ces peuples, ont beaucoup réduit les produits de leu r agriculture. Toutefois le coton et l'indigo abondent, particulièrement dans le pays de Bouadou qui a eu moins, à souffrir de la guerre. Ne négligez aucune occasion pour engager ces, naturels à apporter dans le poste le premier de ces produits. Vous. savez combien sont grands les besoins qu'a la. France de: cette maschandise l'indigo fabriqué par eux est, dit-on, d'une qualité inférieure vous m'en adresserez quelques livres; que je- soumettrai à des expériences étudiez et, faites-moi connaître, avec détails,, les diverses espèces qu'ils cultivent et leurs procédés de manipulation des changements, peu importants en apparence, en peuvent amener de très précieux dans, la qualité du produit. La gomme, l'or, l'ivoire, des cuirs, de la cire, sont les, marchandises que le, commerce peut encore extraire avec avantage dte ces contrées.

La nature des armemens qui se. préparaient cette année pour le poste de Galam, les représentations que m'avaient faites M. Dupont sur les inconvénients d'ans le& postes d'une concurrence irréfléchie, semblable à celle que se. font ordinairement enitr'eux les traitans aux escales du bas du fleuve, la demande d'une partie du commerce de l'île, et les intentions,, manifestées par le Gouvernement, m'ont porté à provoquer la. formation d'une société pour la. traite; de la gomme à Galam de i8ao à i8ai.

Les précautions prises d'avance pour que les commerçants de Saint-Louis, même les moins aisés, puissent prendre intérêt aux opération!» de la société, m'ont permis de leur allouer la traite entière de toute la gomme qu'elle fera arrivez dans le poste ce n'est d'ailleurs qu'un juste dédommagement des dépenses qu'elle doit faire, vous veillerez donc attentivement à ceqiue qui. que ce soit,, sous aucun prétexte, n'achète de. ce pia-


duit. Toutes concurrences; compromettraient les intérêts d'une association que le Gouvernement prescrit, défavoriser. Je vous recommande particulièrement de tenir la mainà l'entier accomplissement de la promesse que j'ai faite, au nom de ce dernier, et de m'informer des mesures que vous, aurez prises sur les lieux, pour son exécution. Vous trouverez ci-joint copie de la lettre par laquelle j'ai fait connaître au» sociétaires les règles qu'ils doivent, suivre. Vous maintiendrez. leur exacte exécution. La même société dont je viens de vous parlera pris l'engagement d'envoyer un bâtiment former une: escale vers le village de Makana pour la traite des autres produits il ne lui est accordé à cet égard aucun avantage exclusif la concurrence n'a pas dans ce commerce les mêmes dangers que: dans celui) fait avec les- Maures ainsi, excepté la gomme, toutes les productions du pays sont livrées à l'industrie de tous les traitans. Votre attention doit se porter seulement à favoriser et multiplier ces échanges et à faire en sorte que les objets de traite, offerts dans le poste par les indigènes, y soient toujours achetés. C'est le plus efficace encouragement qui puisse être donné à leuragrh- cul ture età leur négoce. Un autre; avantage résultera de cet état de chose: il empêchera la dérivation sur la Gambie des marchandises provenant de l'intérieur et. que les Anglais,, établis sur ce fleuve, s'appliquent à y, attirer, ta mission confiée en 1817 et 1818: aux Majors Peddie et Gray paraît avoir eu entre autres cet objet de vue.

Il me reste à vous entretenir des dispositions adoptées pour le recrutement du Bataillon df Afrique. il sera en: partie effectué à.Galam par le rachat de captifs que l'administration coloniale libérera à Saint-Louis, souscondition qu'ils s'engageront à iaire le service militaire pendant i4 années. Des ordres, ont.étédonc nésàM-. Dupont, enseigner de vaisseau, le a5 mai. dernier, de réunir Baquel des hommes propres àice service des marchanr dises, sont chargées sur les bâtiment de l'expédition pour pourvoir à leur rachat. D'après les renseignements qui m'onfc été donnés par M. Alain, subrécargue en 181S de la cargaison du


brick le Commandant Fleuriau, il paraîtrait que cette dépense ne devrait pas s'élever, par homme, à plus de i5o francs en marchandises. C'est sur cette donnée qu'a été calculé l'envoi de valeurs fait par l'administration du Sénégal d'un autre côté, il m'a été fait des observations sur l'impossibilité, où l'on se trouverait de réunir à temps pour être renvoyés par le retour ̃de l'expédition les aoo hommes nécessaires pour le recrutement du Bataillon d'Afrique, et la formation d'une compagnie ̃de sapeurs Nègres et les négociants m'ont représenté combien pouvait être nuisible aux échanges la concurrence que le Gouvernement leur ferait réellement, par l'émission du prix de rachat d'un tel nombre de captifs ces deux objections m'ont paru fondées, et la dernière, justement motivée par la publicité que le Gouvernement a donné à son intention de favoriser le commerce de Galam par conséquent j'ai décidé que si, à •l'arrivée de l'expédition à Baquel, les Nègres n'étaient pas déjà rachetés par M. Dupont, les agents de la Société de la traite de fla gomme seraient chargés de l'opération, que les marchandises. fournies pour cette dépense, leur seraient remises, et qu'ils les employeraient, sous votre surveillance et celle du chargé de -service à la destination indiquée. Les hommes seront reçus au fur et à mesure des rachats par une commission présidée par vous et composée de MM. le lieutenant d'infanterie, le lieutenant de sapeurs, l'officier d'administration et l'officier de santé, chel de ce service. La destination qui doit être donnée à la plupart d'entr'eux. exige, outre les conditions ordinaires pour l'admission, 16 à 20 ans, époque de la vie où il est le plus facile d'apprendre un métier. M. le lieutenant Burke 0' Farel sera spécialement consulté à cet égard et vous lui ferez remettre, pour demeurer sous ses ordres, tous les hommesdans lesquels il supposerait de l'aptitude pour le service de sapeurs. Les autres, remis à M. le lieutenant d'infanterie, seront autant que possible utilisés comme manœuvres, et formés à l'école du soldat, en employant toutefois les précautions que les localités rendent .nécessaires pour prévenir leur désertion. Il est inutile de vous


-prévenir qu'il est à désirer que partie du moins de ces hommes fût renvoyée à Saint-Louis par le retour de l'expédition. Vous aurez soin d'expédier par elle ceux qui auraient été rachetés lors de son départ.

Dans le cas, qui n'est pas probable, où les rachats ne pour.raient être faits aux taux que je vous ai indiqués, il ne serait donné suite à l'opération que sur une délibération motivée du conseil du poste, dont vous connaitrez plus bas la composition, et conformément à la décision de la majorité. Le procès-verbal de la séance devrait m'être immédiatement remis, et dans aucune circonstance les rachats, faits par la société commerciale pour le compte du Gouvernement, ne pourraient dépasser le montant des valeurs allouées pour cette dépense par l'administration du chef-lieu.

Le désir de ne pas nuire aux spéculateurs du commerce par l'émission d'une grande quantité de marchandises, mais plus ore peut-être celui de dégager l'administration du poste des -détails d'une opération embarrassante et très délicate, de prévenir jusqu'à la supposition d'un intérêt particulier dans la discussion des prix et l'opinion que j'ai conçue des avantages •qui résulteraient, pour le choix des hommes, du mode de rachat et de recettes que j'ai indiquées, m'ont déterminé à céder aux -demandes que m'a faites l'association d'être chargée de cette affaire. Ce sera à vous, Monsieur, et à la Commission, de faire •ressortir de cet ordre de choses tout le bon qu'il peut produire. Résumant les indications, instructions, et ordres qui précèdent, je vous rappelle

que le poste dont le commandement vous est confié est considéré par le Gouvernement comme point central autour duquel des établissements progressivement formés doivent nous faire •pénétrer jusqu'aux marchés de l'intérieur, et assurer à notre commerce l'approvisionnement, à l'exclusion de tous autres, des royaumes les plus voisins, et en concurrence avec les anciens fournisseurs, de ceux plus éloignés. Vous devrez donc avoir toujours en vue de faciliter et d'étendre les anciennes relations, de


favoriser la formation de nouveaux rapports, d'activer l'industrie agricole et commerciale, de tous les moyens physiques et moraux dont vous pouvez user

que la paix est une condition indispensable à l'établissement des relations avantageuses qu'à la rétablir, à la maintenir doivent tendre tous vos efforts, que MM. Dupont et Dussault, les instructions diverses qui leur ont été remises, leur correspondance et la mienne, vous fourniront l'indication détaillée des voies que vous aurez à suivre, pour atteindre convenablement le but que vous devez rechercher;

que sous le titre deCommandantdu poste militaire, vous réunissez les fonctions de Commandant militaire supérieur à celle d'administrateur en chef que seul vous êtes chargé des relations politiques avec les rois, princes et chefs indigènes, que vous n'êtes responsable de vos faits que vis-à-vis du Commandant et administrateur pour le Roi et que, sous votre responsabilité personnelle, vous pouvez passer outre aux représentations qui vous seraient faites par les divers chefs de service, dans le poste

afin de faciliter votre administration et vous entourer des renseignements les plus propres à l'éclairer, j'ai décidé qu'il serait formé près de vous un conseil que vous présiderez qui sera composé du lieutenant d'infanterie commandant la garnison, et votre remplaçant en cas d'absence, de maladie ou de décès du lieutenant du Génie, du Commandant chargé du service administratif. Vous devrez lui soumettre toute affaire extraordinaire de quelque importance, les opinions de chaque membre seront constatées par un procès-verbal, et en cas de partage, votre voix aura prépondérance vous pourrez dans ce dernier cas ordonner provisoirement l'exécution, mais vous ne serez déchargé de la responsabilité qu'elle implique, qu'après que mon assentiment à la mesure vous sera parvenue. » A l'expédition étaient joints encore l'ingénieur des mines Grandin, qui devait continuer les recherches techniques dans le pays de Galam et le secrétaire-inter-


prête Rouzée, qui avait « une mission particulière pour « l'intérieur. Ce jeune homme, dit Schmaltz, qui a une « connaissance approfondie de la langue arabe et de la « religion mahométane, a nourri. dès sa première jeu« nesse, le projet d'explorer les contrées inconnues de « l' A frique ».

Schmaltz le mettait à même de remplir ses désirs en l'envoyant sur le haut Sénégal. Disons tout de suite que cette mission, qui aurait pu donner de si heureux résultats, n'aboutit pas Rouzée, comme beaucoup de ses compagnons, mourait de la dyssenterie qu'il avait contractée, dès son arrivée à Bakel.

Et puisque nous voilà arrivés à cette date du 10 août 1820, pendant que l'expédition de Galam remonte lentement le fleuve, saluons le départ du colonel Schmaltz, relevé assez brusquement de ses fonctions. Paris, si peu pressé pour son propre compte, l'était pour le Sénégal la chose se voit encore aujourd'hui. On s'impatientait des retards apportés par Schmaltz dans la réalisation de ses projets de colonisation, de ses promesses grandiloquentes et jamais tenues, et qui finissaient par paraître du bluff, des insuccès de sa politique maure et toucouleure. On lui fit surtout grief, semble-t-il, d'avoir toléré la continuation de la traite des noirs. Schmaltz avait besoin, pour la réussite de ses projets, de l'entente avec les mulâtres et grands commerçants noirs de SaintLouis et de Gorée. Il fermait donc plus ou moins les yeux sur leurs agissements, réprouvés par les nouvelles lois et signalés avec un luxe de renseignements extraordinaire par les Anglais. Son intérimaire, Fleuriau, en avait d'ailleurs fait autant.

11 écrivit, le 10 août, au Ministre, cette lettre volontairement froide, mais dont il devait saigner de tout son cœur:


« J'ai reçu des mains de M. le Capitaine de vaisseau Le Coupé, la dépêche du 3 juillet, par laquelle Votre Excellence m'a fait connaître que S. M. avait jugé convenable de me nommer un successeur. M. le Commandant Le Coupé a bien voulu mettre à ma disposition La Gabarre de S. M. la Charente pour opérer mon retour en France. Je dispose tout pour hâter le moment de son départ que j'espère pouvoir avoir lieu vers la fin de ce mois.

« Je me conformerai, pour la remise du commandement, aux ordres que votre Excellence m'a notifiés et me ferai un plaisir de fournir à mon successeur tous les renseignements qu'il pourra désirer sur les affaires relatives au commandement et à l'administration des établissements français d'Afrique. o Un de ses derniers mots étaient pour Dupont à Bakel, qu'il regrettait de ne pouvoir embrasser avant son départ, en signe d'affectueuse estime.

Ce même jour du 10 août, le convoi était attaqué à Fanayè, peu après Dagana, par les Poules et les Trarza, réunis et excités par Eliman Boubakar, notre ennemi du Toro. Le feu fut continué jusqu'à Kasso, point où le fleuve fait un coude et se rétrécit.

« II paraîtrait, dit Le Coupé, successeur de Schmaltz, que ce point avait été choisi par les coalisés comme très propre à arrêter le convoi, prendre quelques bâtiments et contraindre les autres à retourner en arrière.

« Forcée à se défendre, notre expédition leur a envoyé quelques coups de canon qui, dit-on, ont fait un effet assez sérieux. Un petit bateau de commerce avait été retenu en arrière par la lenteur de sa marche, les Foules se jetèrent à l'eau dans l'espoir de s'en emparer, mais il fut secouru à propos par le brick le Voyageur et le bâtiment de la société de Baquel, et c'est dans ce conflit que l'ennemi a perdu quelques hommes. Le convoi a continué tranquillement sa route, et il ne paraît pas douteux qu'il passe et arrive heureusement à sa destination. n


Ces prévisions se réalisèrent. Les protestations de paix de l'almamy du Fouta étaient sincères aucun incident nouveau ne se produisit et le convoi arriva à bon port à Bakel, au début de septembre.

Le major Gray dit dans sa relation

« Le 8 août 1820, un bateau à vapeur arriva de Saint-Louis, ayant, peu de jours avant, quitté la flotte qui avait éprouvé de grandes difficultés à son passage le long du Foota-Toro. Les habitants, armés de fusils, avaient formé un retranchement d'un côté de la rivière, et tirèrent sur les vaisseaux plusieurs hommes furent tués, d'autres furent blessés, et un sloop, de la compagnie du Galam, coulé bas dans la confusion. » C'est exact. Le sloop le Cocagne étant venu en travers, sous le beaupré du brick la Ménagère, fut coulé en peu d'instant. Cet incident, qui fut dissimulé au Ministre, apparut par la suite quand les propriétaires élevèrent des réclamations, accusant à tort, semble-t-il, la Ménagère de fausse manoeuvre.

Reparti le 3o septembre de Bakel, toutes ses opérations heureusement terminées, le convoi était, le i5 octobre, à Saint-Louis.

Il ramenait Dupont, promu depuis juillet pour sa belle conduite chevalier de la Légion d'Honneur. C'était un succès. Malheureusement la maladie décimait tout le monde officiers, marins, commerçants ne débarquèrent que pour entrer à l'hôpital et bientôt dans les maisons particulières, car l'hôpital fut vite trop petit il y avait alors 162 malades. « Je manque de médicaments, de vivres, de fournitures, telles que chemises, draps, etc. », écrivait Le Coupé. Il ne pouvait plus faire partir pour France la Ménagère, que Schmaltz avait envoyé de son propre mouvement en Galam tout l'équipage était à


l'hôpital. La bonne saison devait rapidement ramener la santé et réchauffer les courages.

L'expédition avait coûté, ainsi que Le Coupé en rendit compte, le 12 novembre, au Ministre, frs 224-486,44- Sur ce chiffre, comme il le faisait remarquer, les travaux spéciaux qui n'étaient pas à la charge de la colonie et les vivres délivrés aux manœuvres et ouvriers revenaient à frs 47-093,02. La fondation de Bakel revenait donc à la colonie, pour la première année, »où on allait s'y employer sérieusement, à frs 177.392,98 cette grosse dépense jetait la perturbation dans les finances de la colonie, sans compter que le ravitaillement était fait pour quatorze mois, pour éviter tout accident, en cas de retard dans le convoi suivant. Elle fut l'objet de plaintes de Le Coupé.

Quant à Bakel, désormais ravitaillé, pourvu d'hommes, de fonds et de marchandises de troc, il allait sous l'impulsion active et énergique de Hesse, prendre un essor que seules entraveraient périodiquement les maladies, notamment le paludisme infectieux et la dyssenterie, dont on ne savait pas du tout se préserver à cette époque. (A suivre.) Paul Marty.


COMPTES RENDUS ET NOTES DIVERSES

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COMPTES RENDUS ET NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Bisgar (H. P.). The voyages of Jacques Cartier, published from the originals with translations, notes and appendices. Ottawa, F. A. Acland, 1924, in-8°, nv-33o p., pl. et cartes.

Le très distingué archiviste en chef entretenu par le Canada «n Europe, M. Biggar, poursuit depuis plus de vingt ans l'histoire de Jacques Cartier. Familier avec les méthodes critiques de l'érudition moderne, il nous donne ici les relations des trois voyages du pilote malouin et celle du voyage de Roberval, en les accompagnant d'une traduction anglaise et de notes. Sa connaissance du Saint-Laurent lui a permis d'identifier les nombreux havres et îlots décrits dans les diverses relations et portés ou non sur les cartes du temps.

Ces cartes sont reproduites en hors-texte celle de Jean Roze (1542), l'Harléienne des environs de l'année i536, la carte de Vallard voisine de l'an 1547, les planisphères dieppois de Desceliers de 1546 et i55o, le Mercator de 1569. Presque toutes ces cartes sont enrichies de scènes de genre l'Harléienne figure Jacques Cartier en pourpoint, entouré de quelques-uns de ses hommes, près du labour d'une charrue.

Le Desceliers de 1546 figure « Monsieur de Roberval » en grand uniforme de capitaine général avec panache sa nom-


breuse troupe de soldats marche, drapeau en tête, sur les bords du Saguenay des scènes de la vie indienne, des troupeaux d'ours et d'élans animent le paysage.

La carte de Vallard marque un nouveau pas. La colonisation commence. Une enceinte de palissades, garnie de canons, la ville ? de S[taconê] tient en respectles sauvages, vêtus de peaux de bêtes. Auxhallebardiers et aux escopettiers qui entourent un chef en pourpoint, se mêlent des paysannes de France près d'eux, folâtrent des chiens, sans doute les fameux chiens de Saint-Malo.

Dans le Desceliers de i55o, il n'y a plus rien le seul orne-ment de la carte est le combat, légendaire depuis l'Antiquité, des Pygmées contre les grues. En amont d'Estadaconé, à Totanasi, est écrit « Jusques icy a esté Mons' de Roberval ». Et dans un cartouche, on lit le motif de l'abandon du Canada « pour ce que ilz n'a esté possible avec les gentz dudict pays faire trafique à raison de leur austérité, intempérance dudictpays et petit proffit t ».

Cet ouvrage sera suivi d'un second où M. Biggar compte publier un grand nombre de documents relatifs à Jacques Cartier, plan de colonisation du Canada, rapports d'espions espagnols, etc. C'est dire que, pour la première fois, la documentation relative à la découverte du Canada sous François 1" formera un corpus complet.

Ch. DE LA Roncière.

Bougainville. Voyage autour du monde. Paris,. Pierre Roger, 54 rue Jacob, (s. d.), 3o4 p. aoXi4- 10 fr. La librairie Pierre Roger entreprend d'éditer ou de rééditer les récits de voyages inédits, inconnus ou simplement épuisés. Elle commence par le récit du voyage de Bougainville autourdu monde, du 5 novembre 1766, où il quitta Paimboeuf, jusqu'au: 16 mars 1769, où il rentra 'à Brest. Le texte complet n'est pasreproduit l'éditeur a supprimé les détails techniques de sondages et de longitudes, qui auraient fait des longueurs, inutiles et sans intérêt, comme il a réduit au minimum le commentaire historique et critique du texte.


Le voyage de Bougainville n'étant pas inédit, nous n'entreprendrons pas de l'analyser. Qu'il su frise de rappeler quel'illustre navigateur toucha successivement à Montevideo, aux îles Maloui nes, à Rio de Janeiro, d'où il revint à Montevideo, franchit ledétroit de Magellan, aborda à Taïti, puis passa par les îles Salomon, le nord de la Nouvelle Guinée, atteignit les Moluques et de là gagna Batavia pour revenir en Europe par l'Ile de France et le Cap.

Botsok (V. F.). The Falkland Islands. Oxford, At the Clarendon Press, 1924. In-8., 4i4 p., cartes et fig. Ce livre a pour objet une étude d'ensemble des îles Falkland, dont l'auteur expose la géographie, la situation économique,, l'histoire naturelle il fait aussi une très large place à l'histoire des découvertes et de la colonisation.

M. V. F. Boyson rappelle la juste part qui revient dans ces découvertes aux marins de Saint-Malo, qui, à la fin du xvn* siècle et au début du xvru", explorèrent l'archipel de l'Atlantique australe, auquel il eût été justice de conserver le noms de Malouines, qu'ils lui donnèrent. L'auteur expose sommairement la reconnaissance du capitaine de vaisseau de Beauchesne-Gouin en 1698, dont le nom est resté attaché à la plus méridionale des îles du groupe, les reconnaissances de Noël Danycan. de Lépine en 1705 et d'Alain Porée en 1708. Il insiste ensuite sur les services que rendit à la connaissance des Malouines l'ingénieur du roi, Amédée François Frézier, tant par la relation de son propre voyage en 1711-1714, que par l'historique qu'il donna des explorations antérieures dans l'ouvrage publié en 1716.

M. V. F. Boyson a reproduit (p. 34) la « Carte réduite de l'Extrémité de l'Amérique Méridionale dans la Partie du sud »dressée par Frézier, où figurent la partie orientale des Malouines et les itinéraires suivis par les bâtiments de Saint-Malo. M. V. F. Boyson résume ensuite l'histoire de la colonisation. française des Malouines par Bougainville en 1763, puis celle de la cession de la colonie déjà florissante à l'Espagne le 1" avril 1767.


L'auteur s'est servi des ouvrages bien connus de Pernotty, de Bougainville, puis parmi les modernes de ceux de Dahlgreen et de Groussac. Les articles de M. de la Roncière sur Bougainville parus dans la Revue hebdomadaire de 1920 lui ont échappé. Toutefois il faut signaler le bon usage qu'il a fait de la Correspondance and papers of the gouvernment of Buenos Aires collected by sir Woodbine Parish in 1830, qui sont conservés au British Museum sous la cote Add. 3a6o3.

Ces documents éclairent les rapports de l'officier anglais John Mac Bride et du gouverneur de Bougainville, Nerville, à Port Louis en décembre 1766.

Le capitaine anglais Byron ayant en janvier 1765 exploré les Falkland orientales et pris possession du Port Egmont (nommé ainsi d'après le premier lord de l'amirauté) et de toutes les îles voisines, adressa un rapport à Londres. A la suite de ce rapport l'amirauté anglaise donna l'ordre au capitaine John Macbride de partir sur le Jason pour les Falkland; Macbride arriva à Port Egmont en janvier 1766.

En opérant une reconnaissance des îles orientales, Macbride pénétra le 4 décembre 1766 dans la baie de Saint-Louis était établie et où prospérait la colonie française. Il fut surpris d'y apercevoir des européens, des maisons, des retranchements. M. Boyson cite la lettre que Macbride adressa « A l'officier commandant la Colonie dans Berkeley Sound, Iles Falkland n «t dont voici la traduction

« Jason, Berkly's Sound

4 décembre 1766 ».

« Monsieur.

Les îles Falkland ayant été découvertes par des sujets de la Couronne d'Angleterre, envoyés par le gouvernement dans cet objet, et appartenant de droit à sa Majesté, et Sa Majesté ayant ordonné d'y établir une colonie, les sujets d'une autre Puissance n'ont aucun titre à s'établir ici sans la permission du Roi. Je désire donc savoir en vertu de quelle autorité vous avez fondé une colonie dans ces îles.

Je suis, Monsieur, votre très obéissant serviteur.


Malgré son ton cassant. M. de Nerville fit à cette lettre une réponse courtoise, qu'il fit porter à Macbride par un de ses officiers, le capitaine Desperriers.

A son tour Macbride répondit, le 5 décembre 1766 « Je ne suis pas venu ici avec des intentions hostiles, mais seulement pour explorer attentivement ces îles a, et il demandait à M. de Nerville de permettre aux officiers porteurs du message de visiter sa colonie.

Nerville y consentit. Les officiers anglais vinrent donc à Port Louis. Il y eut continuation d'échange de politesses entre Nerville et Macbride. Mais le vent favorable s'étant élevé, le Jason sortit de la baie de Saint-Louis et retourna à Port-Egmont. Les rapports en restèrent là.

Or Bougainville relate en ces termes les relations de Nerville et de Macbride « Le capitaine Macbride, commandant la frégate le Jason, vint à notre port au commencement de décembre de la même année (1766). Il prétendit que ces terres appartenaient au Roi de la Grande-Bretagne, menaça de forcer la descente, si l'on s'obstinait à le lui refuser, fit une visite au commandant et remit à la voile le même jour »

D'après les documents inédits que publie M. Boyson, les rapports entre M. de Nerville et Macbride n'auraient donc pas eu le caractère d'âpreté sous lequel Bougainville les présente. En tout cas, ces documents forment une précieuse contribution nouvelle à l'histoire de notre colonisation aux Malouines. H. Dehéhain.

Cockbnpot (Charles), professeur à l'Ecole Primaire Supérieure d'Alger. Le Traité Desmichels. Publications de la Faculté des Lettres d'Alger, tome LVII, Paris, Editions Ernest Leroux, 1924, 25 X 17, xvi-aa8 p).

M. Cockenpot s'est proposé d'étudier, à l'aide des documents des Archives du Ministère de la Guerre et de celles du Gouveri. Voyage autour du monde par la frégate du Roi La Boudeuse el le flûte L'Étoile en 1766. 1767, 1768 et 1769. »' éd. Paris, 177J. T. Il, P-89-


nement général de l'Algérie, le traité du a6 février i834. auquel le général Desmichels a attaché son nom et qui a contribué à créer la puissance d'Abd-el-Kader.

M. Cockenpot montre comment le général Desmichels, après avoir usé de la manière forte et occupé notamment Arzeu et Mostaganem, fut amené à négocier avec Abd.-el-Kader. Les instructions qu'il recevait de Paris lui prescrivaient d'entrer dans cette voie et de la suivre sans avoir besoin d'en rélérer au gou*verneur général. Mais le désir de paix devint bientôt chez Desmichels une idée fixe à laquelle il sacrifia tout.

Les militaires sont parfois de subtils diplomates tel n'était évidemment pas le cas du général Desmichels, honnête homme et brave soldat, mais tout à fait incapable de mener à bien la difficile négociation dont on l'avait chargé. Dans la correspondance entre le général et Abd-el-Kader, c'est visiblement ce dernier qui prend le ton de la supériorité, s'arroge le beau rôle et mène le jeu. Desmichels fut grossièrement trompé par les intermédiaires qu'il employa sans beaucoup de discernement, notamment les deux juifs Busnach et Amar.

Les instructions du ministre de la Guerre du 19 février i834 recommandaient expressément à Desmichels d'obtenir d'Abdel-Kader la reconnaissance formelle de la souveraineté de la France, et le paiement d'un tribut qui en était le signe. Mais, quand ces instructions arrivèrent, le traité était déjà conclu. M. Cockenpot donne une photographie de l'original de ce traité, conservé aux Archives du Ministère de la Guerre. C'est, comme on le savait déjà, par ailleurs, un texte informe et manifestement insuffisant. Dans son désir d'arriver à une entente,. le général Desmichels avait reconnu Abd-el-Kader comme souverain indépendant il lui donnait le titre d'emir-el-moumenin, commandeur des croyants apparemment, entre ce titre Khalifal et celui de bey, le général ne voyait pas grande différence. Les limites territoriales de la souveraineté de l'émir n'étaient pas indiquées les otages qu'il devait fournir devenaient des u consuls». Enfin le textearabe n'était pas absolument conforme au texte français il en fut de même, comme on sait, pour le traité de la Tafna.

Ce n'est pas tout le traité avait été précédé d'un échange-


de notes sous l'une de ces notes, celle qui contenait les conditions d'Abd-el-Kader, le général Desmichels commit l'imprudence d'apposer son cachet, qui est. aux yeux des indigènes, la véritable signature. C'est ce qu'on a appelé le «traité secret», dont Desmichels, de bonne foi sans doute, a toujours nié l'existence et dont Abd-el-Kader se croyait fondé à réclamer l'exécution.

Le traité du 26 février fut à Paris une surprise désagréable il fut cependant accepté comme point de départ et le roi donna son approbation, dans une forme d'ailleurs insolite. Rien d'étonnant à ce qu'une convention négociée et conclue de cette manière ait donné de mauvais résultats et ait conduit à l'affaire de la Macta.

Tout n'est pas à blâmer cependant dans l'œuvre du général Desmichels. Elle s'explique par l'état de l'opinion publique et des Chambres, hostiles à la conquête et à l'administration directe, ainsi que par l'insuffisance des forces militaires dont an disposait. C'est en somme un essai de protectorat, comme ceux de Clauzel et plus tard de Bugeaud. On mit longtemps avant de replacer la question d'Alger sur son véritable terrain, -celui de la conquête absolue et définitive. Abd-el-Kader n'était d'ailleurs pas l'homme qu'il nous fallait c'était une erreur de traiter, non avec les makhzen et les djouad, mais avec un personnage religieux, prêchant contre nous la guerre sainte, au risque d'en faire un souverain national. En tout état de cause, il eût fallu avoir des agents capables de faire vraiment de la politique indigène, et non des interprètes véreux. C'est à ce besoin que répondit l'organisation du service des aflaires indigènes et des bureaux arabes. « On éprouve, dit M. Cockeupot, .un sentiment de gène à voir avec quelle candeur le général Desmichels, homme probe et loyal, se laissa tromper par des aventuriers sans scrupules, au service d'un politique habile ». Quoique le travail de M. Cockenpot ne nous apporte pas de véritables révélations, il contribuéra à éclaircir un point des plus intéressants de l'histoire de l'Algérie française. Il fait honneur à son auteur et aux publications de la Faculté des Lettres d'Alger.


Duplomb (Charles). Directeur honoraire au ministère de la Marine. Récits maritimes ou Lettres inédites de marins français. Paris, Société d'éditions géographiques maritimes et coloniales, 1935. Un vol. in-8°de i58p.

Renferme entre autres documents intéressants des détails sur les voyages de Freycinet et de Kerguelen, le rôle de l'amiral de Rigny dans le Levant, la mission de Rosily en Cochinchine (1789), etc.

Dutreb (M.).- L'amiral Dupré et laConquêtedu Tonkin. Paris, Société de l'Histoire des Colonies françaises et Editions Leroux, a8, rue Bonaparte, 1924, xxrv-137 pp.(a4Xi6. Prix; 10 francs.

Les parties essentielles de cet ouvrage ont paru dans la Revue de l'Histoire des Colonies (3' et trimestres 1933). Nous nous abstiendrons donc de l'analyser. Le tirage à part, aujourd'hui publié, est complété par une introduction du général de Trentinian qui. tout jeune alors, prit part aux événements de 1873 aux côtés de Francis Garnier, et se termine par quelques documents annexes, pris dans des ouvrages aujourd'hui épuisés.

Esquer (Gabriel). Les commencements d'un Empire La Prise d'Alger (1830). Paris, Edouard Champion, i3 quai Malaquais Alger, l'Afrique latine, 1933, in-8 de 478 pages avec deux cartes en dépliant.

Le nom de M. G. Esquer est bien connu, des lecteurs de cette revue. Tous savent que cet excellent érudit est l'archivistebibliothécaire des Archives du Gouvernement général de l'Algérie, qu'il a naguère publié un travail remarquable sur le dépôt dont il a la garde et qu'on lui doit, outre différentes études de grande valeur, la publication du tome I de la Correspondance


du duc de Rovigo (Alger, 1914. in-8 de vi-6p4 p.) dans cette « Collection des Documents inédits pour servir à l'histoire de l'Algérie après i83o » dont on ne saurait trop souhaiter de voir paraître de nouveaux volumes. L'ouvrage qu'il a naguère publié à Alger et à Paris, grâce à une subvention du Gouvernement général de l'Algérie, ne pourra qu'accroître encore l'estime dans laquelle ils tiennent cet historien.

I. Sans la Grande Guerre, voici longtemps que nous posséderions ce travail, mais sous une forme autre que celle où il se présente aujourd'hui. M. Esquer l'explique dans son Avantpropos « La Prise d'Alger devait paraître en 1914. sur un plan différent et sous une forme abrégée, dans une collection de vulgarisation historique, c'est-à-dire sans références ». Force ayant été de renoncer à ce projet, l'auteur a donné à son livre une plus grande ampleur, tout en lui maintenant l'allure d'un ouvrage de vulgarisation pas de notes infrapaginales, ou fort peu, et pas d'incessants renvois aux sources. M. Esquer s'est borné à établir à la fin de son volume (pages 467-473), pour chacun de ses quatorze chapitres, une liste très sommaire des principaux documents ou livres utilisés par lui. Toutefois il a pris soin d'indiquer dans le cours même de l'ouvrage, pour chaque fait particulièrement important, soit mal connu, soit nouveau, les textes sur lesquels il s'appuyait. Mais cette concession aux légitimes exigences de l'érudition n'alourdit nullement l'exposé de M. Esquer le récit est très vif et néanmoins très précis, très intéressant et néanmoins très scientifique, vraiment digne de cette belle récompense, le grand prix Gobert, que lui a récemment attribuée l'Académie française.

Là, toutefois. ne se bornent pas les mérites de la Prise d'Alger il est encore un autre motif pour tenir cet ouvrage en haute estime. Chacun sait à quel moment critique de notre histoire a eu lieu l'événement capital qui constitue le sujet du volume de M. Esquer la conquête de la ville d'Alger a été faite en juin-juillet i83o. et la reddition de la capitale des Deys date du 4 juillet, c'est-à-dire de trois semaines seulement avant la révolution qui renversa les Bourbons de la branche aînée et qui permit à Louis-Philippe d'Orléans de se substituer à eux sur le


trône de France (journées du 26 au 3r juillet i83o). Plus d'uue fois. dans les conseils de la monarchie, l'expédition d'Alger fut tenue pour un moyen de donner satisfaction aux besoins d'action et aux désirs de gloire de la nation française, pour une habile manière de détourner son attention de la politique intérieure. Dès la fin de 1827, le comte de Clermont-Tonnerre, ministre de la guerre dans le cabinet que présidait Villèle, insistait surdes considérations de cette nature dans son rapport sur l'expédition projetée (cf. les pp. 75-76 de la Prise d'Alger, et aussi la p. 83) plus tard, le jour même du départ de la flotte (25 mai i83o), la nouvelle de la dissolution de la Chambre étant arrivée à Toulon, de jeunes officiers parlèrent, dans l'entourage de Bourmont, d'obtenir de rapides succès en Afrique pour atténuer le déplorable effet produit dans le public par les changements ministériels (p. a85). M. Esquer n'a jamais isolé l'histoire de l'expédition même d'Alger de l'ensemble des événements au milieu desquels elle a été entreprise toujours, et avec le plus grand soin, il a montré la réaction des uns sur les autres, fournissant ainsi la clef de nombre de faits plus ou moins importants, mais tous dignes d'attention, qu'on avait enregistrés, mais non pas expliqués avant lui.

Puisqu'il se comportait de la sorte, le diligent historien ne pouvait pas, d'autre part, négliger de montrer à la fin de son livre quelle impression la prise d'Alger produisit en France, et comment le gouvernement envisagea la question d'Alger au lendemain même de la conquête. Il l'a fait avec son exactitude coutumière. à l'aide de documents originaux de toutes sortes, et les indications qu'il a fournies sur ces différents points constituent une introduction toute naturelle à une histoire dont plusieurs chapitres ont déjà été écrits, mais qu'il serait fort intéressant de traiter d'ensemble quelque jour, celle des variations de l'opinion française à l'égard de l'Algérie depuis la conquête d'Alger par Bourmont.

Il. Bien entendu, ce ne sont là que des points de détail, des épisodes présentant un indéniable intérêt, mais que l'on ne saurait pousser au premier plan. M. Esquer, dont l'ouvrage est .aussi remarquable comme composition que comme documen-


tation, s'est très justement gardé de leur donner trop d'importance. Il s'est au contraire strictement attaché, d'un bout à l'autre de son travail, à maintenir à sa place, bien en évidence, le sujet propre de son livre, c'est-à-dire la prise d'Alger. Voilà le ̃centre et le cœur de l'ouvrage, auquel tout se rapporte et dont tout concourt à éclairer l'histoire.

Après avoir raconté l'origine et autant du moins qu'il est possible de le faire les vicissitudes de ces fameuses créances de la maison Bacri et Busnach, dans lesquelles, dit très finement M. Esquer à la page 49. « tout le monde fut dupé par ce Jacob Bacri qui avait l'air d'un imbécile n et qui 'aboutirent au célèbre « coup d'éventail » porté par le dey Hussein au consul Dcval le 3o avril 1827 (ch. i et 11). l'archiviste d'Alger s'occupe de la réaction de ces événements à Paris. Il montre (ch. ni et iv) avec beaucoup de force comment le gouvernement de Charles X tergiversa longtemps, hésitant, négociant avec Hussein, élaborant des projets nombreux et variés avant de se décider à agir. Même l'insulte faite le 3 août 1829 au pavillon parlementaire arboré sur la Provence, que commandait M. de La Brelonnière, ne parvint pas à décider le prince Jules de Polignac à mettre en mouvement les troupes françaises. Sans doute le baron d'Haussez, ministre de la Marine, déclara-t-il, dès qu'il eut connaissance de l'incident, que « le Gouvernement du Roi aviserait aux moyens de venger cette nouvelle insulte et de mettre fin à une guerre dans laquelle le droit des gens était si peu respecté » mais son président du Conseil ne se montra pas aussi décidé. On sait avec quel empressement il accueillit les propositions de Méhémet-Ali et qu'à Charles X revient en réalité l'honneur d'avoir, avant même l'échec dela combinaison égyptienne, approuvé les vues de Bourmont et de d'Haussez. A plus forte raison Charles X persista-t-il dans son entêtement par la suite, malgré l'opposition des amiraux représentants de la vieille marine « prenant conseil de sa dignité et des intérêts de sa couronne pour terminer l'affaire d'Alger ,), il signa le 7 février i83o les ordonnances de mobilisation de l'armée et de la flotte. Mais, même après cet acte royal, que de difficultés à surmonter et que d'oppositions à vaincre Personne n'ignore {on en parle même dans les manuels classiques) combien


hostile fut l'attitude de l'Angleterre, quels efforts elle tenta pour arrêter l'expédition, et comment, en fait, elle ne se résigna pas au fait accompli M. Esquer le montre avec précision dans le chapitre v de son livre et, dans le chapitre suivant (chap. vi L'expédition d'Alger et l'opinion publique), il montre avec beaucoup de force et de netteté, ce que l'on sait moins d'ordinaire, comment la grande masse de la nation, les journaux, les hommes politiques, furent, en France même, hostiles ou à tout le moins indifférents à la conquête d'Alger. On ne peut que souscrire aux quelques lignes qui constituent la conclusion de son exposé (p. 207) « A l'exception des départements maritimes, dont le commerce était directement intéressé dans l'affaire, l'expédition contre Alger ne rencontra en France qu'hostilité ou indifférence ».

Les préparatifs de l'expédition sont, comme il est légitime, longuement racontés par le scrupuleux historien (ch. vil et Tin) passons, quelque intérêt que présentent les pages relatives à l'armement de la flotte (ch. vu) et à la formation et l'organisation du corps expéditionnaire (chap. vm). Bornonsnous simplement à signaler aux curieux un certain nombre de fantaisies dignes de retenir leur attention le projet de formation d'une troupe d' « Eclaireurs du Désert » (pp. a5a-a53), l'idée d'opposer d'autres forbans aux forbans d'Alger, les plans du célèbre amiral Sidney Smith et de lord Cochrane, d'autres encore (pp. a58-a64). Aussi bien, ce qui importe le plus dans un livre tel que celui-ci, n'est-ce pas le récit de l'acte luimême le départ de la flotte française de Toulon le a5 mai, la traversée jusqu'en vue du Cap Caxine. puis, par suite de l'excès de prudence (ne vaudrait-il pas mieux dire « de la pusillanimité » ou « de la jalousie » ?) de l'amiral Duperré, le retour à Palma et enfin, le 13 juin, le débarquement dans la baie de SidiFerruch (ch. ix et x) ? Déjà le consul de Kercy sous Louis XVI, puis le chef de bataillon du génie Yves Boutin en 18o8, avaient préconisé le débarquement en cet endroit, M. Esquer le rappelle au début de son ouvrage (cf. les pages 34-36) comme tout se tient dans l'histoire de nos expéditions d'outremer 1 On sait par quel succès celle-ci se termina aussitôt après les combats de Staouéli (19 juin), de Sidi-Khalef, de Chapelle


et Fontaine, du Fort l'Empereur, dont Boutin avait déjà si justement signalé l'importance, survint, le 4 juillet, la capitulation même d'Alger. C'est à ces événements que M. Esquer a consacré les trois chapitres suivants de son ouvrage (ch. xi-xm). Avec la capitulation d'Alger, l'occupation de la ville par les troupes françaises et le départ du dey Hussein pour Naples (i4 juillet), on pouvait croire que M. Esquer avait terminé son œuvre. Très justement, notre historien a estimé qu'il devait encore y ajouter quelques pages. Ne convenait-il pas de montrer, en ellet, comment, à Paris, le gouvernement entendit tirer parti de la prise de la ville des corsaires et comment, en Afrique même, se comporta Bourmont ? Le dernier chapitre de l'ouvrage expose donc comment, après avoir penché vers une autre solution, Polignac finit par adopter celle que préconisait son ministre de la guerre et par décider la conservation de la conquête il explique comment, au moment de la chute de Charles X, « la monarchie des Bourbons léguait au gouvernement de Juillet une conquête exempte de tout engagement qui pût limiter sa liberté d'action » (p. (\a l\) il raconte enfin de quelle manière le vainqueur d'Alger, le maréchal de Bourmont, a, jusqu'au jour de son départ (3 septembre), administré sa conquête, engagé des relations avec les tribus et, pour obéir à ses instructions, entrepris différentes expéditions à Bône, à Oran. à Blida. Tout cela fait encore partie de l'histoire de la conquête d'Alger c'est seulement le 3 septembre, jour où le lieutenant-général Clauzet prit le commandement général de l'armée, que commence une nouvelle période, la seconde, de l'histoire de l'établissement des Français dans les pays du Maghreb.

III. M. Georges Esquer continuera-t-il quelque jour son récit ? Nous serions bien embarrassés pour le dire. Du moins avons-nous plaisir à rendre pleinement hommage aux mérites du livre qu'il a consacré aux commencements de notre Empire de l'Afrique du Nord. A tous égards, c'est un excellent ouvrage et vraiment fait de main d'ouvrier.


MOULIN (Stéphane). La carrière d'un marin au XVIII. siècle, Joseph de Flotte (1784-1792). Préface de M. LACOUR Gayet. – Gap, 1922. in-8°, 127 p.

L'ouvrage de M. Stéphane Moulin sur son ancêtre Joseph de Flotte contient des pages fort instructives pour notre histoire de l'A. O. F.. Louis XVI avait décidé, en 1783, l'établissement d'une station navale entre la Gambie et le cap Lopez, avec mission d'y rechercher les points les plus intéressants à occuper. Confiée à La Jaille, puis au chevalier de Girardin, elle avait pour commandant en 1787 Joseph de Flotte, qui eut pour successeurs Denys de Bonnaventure, Villeneuve-Cillard et enfin M. de Grimoard, en 1790, le liquidateur de l'entreprise royale. Les points signalés comme propices étaient la rivière Formose, l'un des bras du Niger Ardres, l'antique colonie du temps de Colbert au cap Lahou, un malsain marécage préconisé par le négrier Thibaud du Loisirs et enfin le village d'Amokou, entre les comptoirs anglais de Cap Coast et de Barmentin, à la côte de l'Or. Le roi était tellement féru d'Amokou qu'un ingénieurdes bâtiments civils. Destouche, avait, d'avance, dressé les plans d'une superbe forteresse à y édifier avec tous les perfectionnements modernes. A défaut de forteresse et comme amorce d'une prise de possession, le chevalier de Girardin avait laissé en 1786 à Amokou le lieutenant de Penvert et dix-sept hommes.

Quand la frégate la Junon arriva l'an d'après pour relever la petite garnison, un brave canonnier breton du nom de Mongin était presque seul debout. Une douzaine d'hommes étaient morts. Joseph de Flotte était pourtant prêt, malgré la mauvaise situation sanitaire d'Amokou, à y faire élever par le sous-ingénieur Porquet la forteresse prescrite; la flûte la Dordogne devait transporter des maçons sénégalais mais comme elle n'en amena aucun, force fut de renoncer l'entreprise.

Flotte avait trouvé beaucoup mieux. A l'atterrage de la rivière de Saint-André, il avait été « frappé de la position de ce beau lieu et de la facilité qu'il y aurait à y fonder un établissement


français. L'intérieur est de la plus grande beauté. Elle [la rivière] s'ouvre en deux branches et laisse au milieu une isle couverte de bois, faite pour le plaisir des yeux, sur laquelle il y a quelques cases qui font regretter qu'un si beau séjour soit si mal habité. » S'installer sur la rivière, établir une batterie sur le coteau voisin, « se trouver dans un très petit Etat, réunir ou diviser à son gré » les nombreux roitelets voisins, tous indépendants les uns des autres, telle était la politique préconisée par le capitaine provençal. L'ivoireetle bois d'ébène y assuraient un important trafic le riz, le maïs et les bananes, une abondante nourriture. Les Anglais, du reste, avaient, eux aussi, jugé la position avantageuse.

Sur les avis d'Ollivier, directeur du comptoir de notre Compagnie d'Afrique à Wydah ou Juïda, Joseph de Flotte conseilla au maréchal de Castries un « établissement digne de son ministère et le seul flatteur pour la nation », la fondation d'une forteresse au Dahomey « Dans tous les autres établissements de la côte, on est dominé parles naturels du pays. Dans celui-ci on les dominerait par la crainte qu'ils ont d'être envahis par le roi d'Ahnmé. crainte qui leur fait envisager leur sûreté dans un établissement français et sa protection. »

Et ~gadza, roi du Dahomey ou d'Ahomé, voici un portrait qui s'appliquera un siècle plus tard à Behanzin « Ce prince peut mettie dix mille hommes sous les armes il a l'esprit belliqueux, il fait la guerre par ses généraux, et il la fait bien. Il y a dix mois, il a détruit le pays des Hou-a-mé, pris le souverain et sa capitale défendue par un double fossé et une enceinte de six mille âmes. Il entretient en temps de paix des détachements dans tous les passages, et on ne peut entrer dans ses Etats ou en sortir sans qu'il ie sache. Le seul désavantage de cette nation, c'est de ne pas être faite à la navigation. » C'était encore vrai lors de l'expédition du général Dodds. Flotte joignait à son rapport un croquis de la côte, de P,etit Pope à Porto Novo, et du pays parcouru par Ollivier, le directeur du comptoir de la Compagnie d'Afrique.

La croisière de la Junon finit par le Bénin. La Société Brillantais-Marion avait fondé à l'embouchure de la rivière Formose, sur l'un des bras du Niger, un établissement dont un


sieur Landolphe était l'âme. « Lui mort, je le considérerais comme détruit. » Le climat était si malsain que le lieutenant Le Groing de La Romagère. envoyé en mission vers le roi du Bénin, eut trois morts et deux malades sur les six canonniers de son escorte. «Le commerce est si dangereux que la traite n'est qu'un échange de blancs contre des noirs et que nombre de bâtiments qui viennent dans ces pays s'en retournent presque sans équipage. »

Telle était la conclusion du commandant de Flotte. Ses vues ne devaient pas avoir de suite durable, je l'ai dit. La Révolution, peu après, mit fin aux projets coloniaux de Louis XVI. Ch. DE LA Roncière.

PRADEL DE LAMAZE (Martial de). L'Hôtel de la Marine, le monument et l'histoire. Paris, Plon-Nourrit, 8, rue Garancière, s. d. (iga6), un vol. in-8° de vm-366 p. 12 francs.

Mais ce fut aussi l'Hôtel des Colonies et il ne peut être sans intérêt pour nous de savoir comment au cours de tout un siècle, elles turent logées, dans quel cadre elles vécurent, intendances, bureaux, direction, voire un instant ministère car il y eut, par un décret d'avril 1791, un ministère des Colonies, qui logea là, au Garde-Meuble, à côté de la Marine, mais non pas avec elle, car la Marine à cette époque n'occupait que le pavillon en bordure de la Rue Royale avec quelques maisons voisines.

Lauvrière (Emile). La tragédie d'un peuple. Histoire du peuple acadien de ses origines à nos jours. Paris, Henry Goulet, 5, rue Lemercier, 2 vol. gr. in-8°, ornés hors textes de 88 illustrations. i.2oo pp. Prix 5o francs. Cet ouvrage qui a obtenu l'an dernier le Grand Prix Gobert à l'Académie française, est la réédition de celui qui fut publié il y a deux ans par les Editions Bossard et fut rapidement épuisé. Nous l'avons analysé en son temps de la façon la plus détaillée (Voir R. H. C. F. 2' trimestre 1923, pp. 294-309).


TRAMOND (Joannès) chef de service à la Section Historique de la Marine, et Reussner (André) professeur d'histoire maritime à l'Ecole Navale. Éléments d'histoire maritime et coloniale contemporaine (1815-1914). Paris, Société d'éditions géographiques Coloniales et Maritimes, 17, rue Jacob, 1924, in-8", 728 pages, (Ouvrage publié sous la direction du Service Historique de l'Etat-Major de la Marine) 25 francs.

Le titre est modeste l'ouvrage est excellent. C'est une relation tout à fait complète d'un siècle d'histoire maritime et coloniale. Si les références en sont exclues, l'ouvrage n'en donne pas moins une impression de grande solidité, et il inspire confiance. pestiné à la tormation historique de nos officiers de marine, il remplit son rôle. Il peut servir de cadre à des études de détail plus poussées, telles que les élèves de l'Ecole de Guerre Navale en entreprennent sous la direction de leurs maîtres.

Essayerai-je d'en dégager une idée d'ensemble ? C'est difficile, tant l'attention s'éparpille aux multiples petits faits dont est parsemée notre histoire du xix' siècle. Plus de grandes guerres navales 1 La rivalité de la France et de l'Angleterre, qui donna à nos luttes de 1688 à i8i5 l'allure d'une nouvelle guerre de Cent ans, avec un empire colonial pour enjeu, n'a plus ni l'acuïté, ni l'ampleur des opérations d'antan. L'axiome « Marine et colonie sont fonction l'une de l'autre » y trouve moins son application.

Et pourtant L'expédition d'Alger aurait-elle été possible en i83o si, douze ans auparavant, le baron Portal, un Bordelais fort averti, n'avait convaincu la Chambre que la Marine seule était capable de « nous donner de la considération dans les ports étrangers ». C'est à son mitiative lointaine que la France dut l'escorte des cent trois bâtiments de guerre qui soutinrent le débarquement des trois divisions du général de Bourmont. Oui, « en France, disait Thiers, toutes les fois qu'il y a eu un gouvernement qui l'a voulu sérieusement, il y a eu une


marine ». Mais la réalisation d'un programme maritime demande a une forte volonté de la part du gouvernement et une grande suite dans les idées ». Or, Louis-Philippe la perdit de vue. Bercé par l'Entente Cordiale qui lui voilait tout danger,. fier des voyages d'exploration de Dumont d'Urville qui enthousiasmaient le pays, de l'annexion de quelques iles en Océanie, et de tentatives illusoires au Gabon, en Annam, en Chine, « le Napoléon de la paix » laissa sommeiller sa marine de guerre. Ce fut l'un de ses fils, le prince de Joinville, qui le premier sonna le réveil lorsque la misérable affaire du missionnaire anglais Pritchard provoqua une tension avec l'Angleterre (i844)i nous avions pour toute escadre les huit vaisseaux de ligne de l'amiral Lalandre dans le Levant.

Qu'on me permette ici une remarque. Le plan des auteurs, tous deux professeurs à des écoles de marine militaire, est conditionné par leur enseignement même. Si on se place sur un autre plan, qui est celui de cette revue, on imagine, en dehors des opérations militaires du règne de Louis-Philippe, un chapitre spécial consacré aux vues coloniales de la France, voire aux entreprises privées, telle la tentative faite par uneCompagnie nanto-bordelaise de fonder une colonie à Akaroa en Nouvelle-Zélande.

Pour le règne de Napoléon III, ce chapitre est fait et bien fait (p. 175). Appuyées par une forte marine militaire que 1* vapeur et la cuirasse avaient révolutionnée, nos opérations coloniales se développent sous l'impulsion d'un homme remarquable, le marquis de Chasseloup-Laubat. durant les huit années de son ministère « C'est un véritable empire qu'il faut créer, écrivait-il, une sorte de souveraineté avec un commerce libre, accessible à tous, et aussi un établissement formidable d'où notre civilisation chrétienne rayonnera ». L'Algérie mise à part, qui n'était pas une colonie, selon l'expression de l'Empereur, mais une possession, notre empire colonial embrassa leSénégal, nos établissements de Guinée, de Madagascar, de la mer Rouge et de Cochinchine.

Des hommes de premier ordre se révélèrent dans l'organisation de notre domaine colonial. Et on leur laissa le temps de donner leur mesure. Un simple capitaine, nommé gouverneur


du Sénégal, Faidherbe, y gagna les étoiles de général. Durant les dix ans, séparés par un court intervalle, de son séjour au Sénégal, de i854 à 1864, il ne cessa de guerroyer pour faire régner parmi des populations fanatiques la paix. Et les meilleurs auxiliaires de sa poignée de blancs, ce furent des indigènes dont il avait exalté jusqu'à l'héroïsme l'esprit militaire et le dévouement à la France, je veux parler des tirailleurs et des spahis sénégalais.

Le 17 février i859, l'amiral Rigault de Genouilly, pour mettre un terme aux persécutions commises contre les missionnaires, occupait Saïgon et l'estuaire du Mékong. Les Annamites réagirent Saïgon subit un siège de dix mois. Mais les troupes qui revenaient de l'expédition de Chine nous permirent de prendre l'offensive: trois provinces tombèrent en notre pouvoir. Le traité de Hué en i863 força l'empereur Tu-Duc à nous les céder. C'est alors que l'énergique campagne de presse des lieutenants de vaisseau Garnier et Rieunier passionna l'opinion pour la Cochinchine en mettant en lumière sa valeur commerciale et stratégique. Nos amiraux en devinrent les gouverneurs, et nos officiers de marine servirent de tuteurs au peuple avec le titre d'inspecteurs des affaires indigènes. Il suffit de quelques années pour faire de la Cochinchine la plus prospère des colonies.

Mais qu'entendre par colonie Le mot n'a plus le même sensqu'au xvii" et au xvnr siècle. Le monopole commercial et l'esclavage conditionnaient les colomes aux siècles passés. L'Angleterre maintenant inaugurait pour elles un système de self government qui les libérait du contrôle, parfois tyrannique, de la métropole (p. a83). Le couronnement de cette politique, nous le trouvons dans le titre donné à Edouard Vil de « souverain des Dominions britanniques d'au-delà des mers », dans la participation de la plus grande Angleterre à la vie du Royaume-Uni. Mais je n'aborderai pas ici l'empire colonial britannique, sur lequel les deux auteurs donnent une vued'ensemble.

Le nôtre nous suffit. Il allait prendre avec Jules Ferry un magnifique essor. L'idée qui dominait en France en matière coloniale, c'était de laisser subsister l'organisation indigène,


.avec tous ses rouages, sous notre protectorat. Ainsi en fut-il pour la Tunisie. Mais quand, au Tonkin, les opérations militaires devinrent sanglantes et coûteuses, Jules Ferry connut l'impopularité le maintien du corps d'occupation ne fut voté que par 373 voix contre 2 65 le 24 décembre i885 une vague de politique anticoloniale faillit tout compromettre Puis l'opinion se ressaisit. En 1892, l'expédition du Dahomey fut votée sans grand débat, et, en 1894, la Chambre des Députés se prononçait tout entière pour l'expédition de Madagascar. Le prestige de la France s'en ressentit.

Tel était notre empire colonial qu'il fallut créer, en i8g4» un ministère pour lui donner une unité de direction, un corps d'administrateurs homogènes spécialement formé par une Ecole Coloniale, une armée coloniale assez forte pour qu'on ne fût point obligé d'affaiblir l'armée métropolitaine. Avec une cinquantaine de millions d'habitants, la France d'Outre-mer était désormais un appui pour la métropole, la Grande Guerre -allait en administrer la preuve.

Je n'ai, je l'ai dit, envisagé que le côté colonial de l'ouvrage de MM. Tramond et Reussner. La marine y tient naturellement la plus large place. Mais n'est-ce pas elle aussi qui nous a dotés, jusqu'au seuil du xx' siècle, de nos colonies lointaines ? e~ Les auteurs donnent leur beau volume comme un simple Manuel. C'est en réalité un large aperçu, autant qu'un récit détaillé, d'un siècle d'histoire maritime et coloniale. Ch. DE LA RONCIÈRE.

VALET (René), docteur en droit. L'Afrique du Nord devant le Parlement au XIXe siècle. Etude d'histoire parlementaire et de politique coloniale. Paris, Edouard Champion, i3, quai Malaquais, 1924. Un vol. in-8° de a56 p. « Négligeant l'histoire des actes positifs », qui est connue, M. Vâlet veut examiner « l'évolution des idées et des tendances, le développement de la conquête morale du Parlement à l'idée de la conquête de l'Algérie et de la Tunisie » l'histoire politique de notre établissement peut en effet se ramener à l'étude des débats parlementaires ceux-ci à leur tour ne sont


intéressants et décisifs que lors de deux crises capitales, qu'il s'agit de définir.

En i83o, avant et après, tout le monde est d'accord libéraux politiques et économiques, personne ne veut de colonisation. de celle de l'Afrique du Nord surtout; mais on est à Alger que faire? des commissions d enquête sur les lieux, d'études à Paris ne peuvent que conclure qu'il eût mieux valu ne pas y aller, que l'on ne peut en partir le gouvernement, décidé d'avance, fait approuver sa Déclaration du 22 juillet i83a qui institue un gouverneur général et c'est l'engrenage succès, revers, défaites, victoires, émois le i3 mai 1837, Constantine succombe et l'opposition se réduit au fameux Desjobert. Caton-Jocrisse de l'économie politique, qu'il serait dommage de ne pas faire passer à la postérité (Vous connaissez son raisorinement « La question d'Alger doit être envisagée sur le rapport: il de l'économie politique, qu'on n'apprendra pas par un voyage dans la Régence; 3° du bienlait de la civilisation question de morale dont l'intelligence n'est pas subordonnée à la vue de la côte d'Afrique Quant aux faits, est-il indispensable d'aller en Afrique pour les bien connaître et les recueillir »)

Cinquante ans plus tard. l'histoire recommence on est à nouveau dans une « période de recueillement », Sedan après Waterloo, on veut être en paix avec tout le monde, mais le gouvernement est résolu et va de l'avant la Chambre, comme son aînée, se révolte, pérore, ratiocine il y a des discours, de •droite, de gauche, Clémpnceau, Pelletan, Delafosse, Cunéo d Ornano, de l'esprit de Rochelort, des violences de Louise Michel mais il y a aussi des faits accomplis, et les votes les sanctionnent, ils ne peuvent pas faire autrement et cela recommence même deux fois, car il y a une insurrection qui rouvre les débats.

Tout cela, comme on voit, n'est pas sans intérêt et il nous sera précieux de trouver ainsi ramassés et résumés les arguments, et les quolibets, hélas qui ont été échangés à ces deux périodes en effet décisives de notre histoire coloniale mais cela suffit-il à nous faire comprendre ce qui s'est passé ? comment se fait-il que cette quasi-unanimité, incontestable des parlemen-


Laires et, ou peut le dire, du pays légal, aux deux époques, nesoit arrivé à rien empêcher, rien refuser Fermeté de vues du gouvernement, faits accomplis c'est facile à dire, mais ni dans un cas ni dans l'autre le gouvernement ne donne l'impression d'avoir été bien ferme, ni même les laits vraiment c accomplis » la vérité est que contre les forces scolaires et idéologiques il y a eu d'autres forces et que celles-ci ont pesé, même sur les décisions du Parlement, contre les doctrines et les discours tant que l'on ne nous a pas montré ces forces, on ne nous a rien montré, rien expliqué seulement, pour le faire, il eût fallu, non pas sortir de la Chambre (1 histoire parlementaire pure a sa légitimité et son intérêt), mais dépasser la lecture- superficielle des comptes rendus et des publications (si rapide parfois que M. Laisné de Villévesque, par exemple, est, p. a4-a5^ un anti-colonial, « dont les arguments auraient pu faire beaucoup de tort à la cause coloniale », et. p. 79, un homme « qui s'était déjà manifesté avant la révolution de juillet comme défenseur du régine colonial »), concentrer l'observation et l'analyse, aller jusqu'à définir les volontés profondes et les intérêts essentiels qui sont entrés enjeu du coup l'on aurait vu les raisons qui ont fait pencher l'équilibre du côté opposé à « la saineraison », les raisons qui ont fait l'emporter la tendance qui portait la nation à remplir ses destinées.

Mais c'eût été un autre livre.

Plus difficile 1

J. TRAMOND.

II

REVUE DES REVUES

Bulletin du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de. l'A. O. F., avril-juin 1934.

E. BLANC. Contribution à l'étude des populations et de l'histoire duSahal Soudanais, p. 25ç)-3i!i.

M. E. Blanc a accumulé dans ce long article tout un ensemble de renseignements assez hétérogènes recueillis au cours de tournée d'inspection il y a là de la géographie, de la statistique, des notes.


de police, des conseils de politique, etc. il y a aussi de l'histoire. Nous n'appellerons guère de ce nom les informations fournies par les indigènes sur les origines du peuplement et de l'organisation de leur pays ce sont là racontars aussi confus et désordonnés qu'il est accoutumé on nous affirme par exemple que les premiers habitants du Kaarta y seraient arrivés il y a 356 ans, donc vers i568, venant de contrées alors soumise-, à l'empire du Ouagadou, qui a cessp d'exister au moins trois siècles plus tôt Tout ce qu'on peut en retenir est que cette région du Sahtl soudanais, qui a toujours été une zone de passage, a été le théâtre d'un brassage continu de populations, et de luttes incessantes, qui se sont prolongées jusqu'au milieu du xix" siècle, entre divers groupements locaux. Mais alors est apparu El Hadj Omar le conquérant toucouleur semble avoir été accueilli presqu'avec enthousiasme par une partie des populations, celles du Kaarta proprement dit, dont certaines lui durent la délivrance d'une véritable oppression mais plus à l'Est, il lui fallut se livrer à une lutte acharnée contre d'autres éléments, les Oulad M'Bark el Gachouch et les Massassié en particulier le pays entièrement ravagé redevint le domaine de la brousse, des grands fauves et des Maures pillards et la domination du nouvel empire y fut assurée. Le Kaarta ne fut jamais cependant pour les Toucouleurs qu'une manière de possession extérieure, exploitée plus qu'assimilée. Ahmadou Cheikhou, qu'El Hadj Omar avait investi de l'autorité à Ségou, lorsqu'après l'échec de sa marche à la mer il s'était retourné <lu côté de la boucle du Niger, vers 1862 (Ahmadou avait alors près de 4o ans), avait commencé par en laisser le gouvernement à des captifs sûrs, Moustapha puis Almamy, qui semblent s'en être acquittés avec une intégrité rare mais la jalousie des talibés ne laissa pas subsister un tel état de choses et le sultan finit par installer à Nioro une sorte de vice-roi, son frère Mountaga, avec cinq autres de ses frères comme sous-ordres dans les provinces un voyage d'hommage annuel à Ségou, chaque année, lors de la fête de la Tabaski, devait suffire à manifester la persistance de l'unité d'autorité mais l'orgueil de ces princes, issus de femmes de naissance libre, ne devait pas s'accommoder longtemps de cette subordination humiliante au fils d'une captive (la mère d'Ahmadou était une esclave haoussa donnée par « un sultan de la Gold Coast » indication un peu vague 1 à El Hadj, alors qu'il n'était encore qu'un pauvre pèlerin revenant de la Mecque) Ahmadou, se doutant du danger, essaya de le conjurer en mandant auprès de lui son frère, sans mauvaises intentions pour commencer, mais les conseils de son entourage modifièrent vite ses vues c'est alors que loyalement le


marabout Alpha Oumar prévint Mountaga, pour que celui-ci ne tombât pas dans un guet-apens par sa faute à lui, et que, Mountaga s'étant enfui, la guerre commença. Elle fut marquée des deux côtés par un grand déploiement de forces, Ahmadou eut jusqu'à douze mille hommes en campagne, une fois pendant huit mois et vingt jours, et par des actes de véritable héroïsme Mountaga et un de ses frères se firent sauter dans le tata de Nioro (1886), un autre fils d'El Hadj. Daha, s'entretua avec ses fidèles, à Lambédou (1887), pour ne pas être pris vivant, mais enfin Ahmadou triompha seulement cette lutte avait profondément ébranlé la solidité de l'empire à peu près partout les révoltes avaient pris le caractère d'une renaissance des indépendances locales anciennes, Fountankas à Nioro, Sarrakolas à Lambédou et quand les Français, l'année suivante, se présentèrent, une partie des populations, qui les avait appelés, se montra peu disposée à les combattre, ou même trahit ce fut un effondrement Ahmadou, qui n'avait pas assisté à la bataille décisive du 3o décembre i8go, croyait pouvoir reprendre la lutte le lendemain il ne put que s'enfuir à grand peine au delà de Niger, à Bandiagara, où sans doute il n'eut pas de peine à mettre à la raison un dernier de ses frères, échappé aux tueries du Kaarta trois ans- avant, mais il ne devait pas lui-même tenir plus de deux ans ce dernier lambeau d'un empire qui s'était étendu sur un territoirevaste trois ou quatre fois comme la France.

Tout cela jette une lumière impressionnante sur ces derniers temps de l'empire toucouleur et sur la fragilité de sa grandeur éphémère en réalité, au moment même où il eût dû tendre toutes ses forces pour parer au danger européen, le seul qui occupât profondément l'esprit de ses maitres était celui de la dislocation interne les tendances au particularisme de canton n'en avaient jamais disparu et ne demandaient qu'à s'éveiller à l'appel de la moindre personnalité, parfois la plus inattendue on voit par exemple les gens du Kaarta, à un moment, se donner comme chef un fils du prophète Mahmadou Lamine, tout à fait étranger à leur pays Au fond la force de cette organisation n'avait jamais été que dans l'ascendant qu'exerçaient ses fondateurs, Ahmadou après El Hadj Omar; mais grâce aux qualités personnelles de ces hommes, celui-ci restait considérable, même après que leur extraordinaire fortune eût, comme nous pouvons parfbis imaginer, atténué les traits de l'ascétisme mystique par lequel ils s'étaient imposés à l'enthousiasme islamique voici par exemple le portrait que trace d'Ahmadou un auteur indigène, Saïdou Zélia « Il était difficile de le combattre. Tous ses projets étaient exécutés avec l'espoir et la confiance de Dieu.


Il avait pitié de tout le monde et savait pardonner, mais il ne faisait pas toujours ce qu'il voulait. L'émir avait des habitudes particulières il ne dormait, ne crachait, ne se mouchait jamais. Siégeant dans une réunion, il ne se levait jamais sous aucun prétexte, ne se mettait jamais en colère, ne se penchait jamais sur un côté, restant dans l'immobilité la plus complète et, durant la nuit, conservait toujours la position assise. Ce qui le distinguait encore, c'est une extrême sobriété, aussi était-il mince. Et jamais on ne put dire II est comme un tel. Il ne ressemblait à personne ». Pendant le siège de Goury, « lui-même ne dormait pas, assis et causant avec ceux que le sommeil n'avait pas atteints et ceux qui se réveillaient. A certaines heures, tout le monde dormait et l'émir, seul assis, égrenait un chapelet. Tel était l'émir et il faisait l'étonnement de tous ». Il avait alors soixante-dix-huit ans.

Nos officiers eurent là de beaux adversaires. Notre arrivée n'en fut pas moins regardée comme un bienfait par la masse des populations et le fut depuis, les traces des ravages ont disparu et les territoires fertiles de l'Est se repeuplent, tandis que les environs de Nioro, où s'étaient réfugiés ceux qui avaient échappé aux massacres, se vident. Ces populations soninké sentent assez vivement les avantages de leur situation en igi5, elles ont absolument refusé de s'associer au mouvement de révolte organisé plus au Sud. dans le Bélédougou, par le chef Dussé, de N'Koumi, qui avait été l'un des adversaires d'Ahmadou en 1886.

J. TRAMOND.

J. Vidal. Le fondateur de l'empire mandingue, pp. 3i7-3a8. J. Vidal va décidément se faire l'historien de cette puissance, dont le prestige, il suffit pour en juger de se reporter aux admirables cartes publiées par M. de la Roncière, fut du xiu' au xvii" siècle un des plus impressionnants qui existassent dans l'univers. Il nous donne aujourd'hui la version en quelque sorte officielle de la légende du fondateur de cette dynastie malinké. Soundiata, telle qu'il a pu la reconstituer d'après les récits des griots et de la famille, encore existante, des Keita.au cours de ses recherches, dont nous avons parlé ici même (R. H. C. F. iga4 p. 467-8), pour déterminer l'emplacement de la capitale, Niani. L'autorité de cette tradition ne peut évidemment s'opposer à celle d'ibn-Khaldoun, contemporain des petits-fils de Soundiata elle n'en a pas-moins son intérêt. Le trait le plus frappant en est la place relativement restreinte qu'y tient le surnaturel et le caractère tout humain, vraisemblable,


qu'y revêt la carrière du « plus que lion » (tel serait le sens de ce surnom, tiré d'un terme mandé qui désigne une espèce de bœuf sauvage très redouté des indigènes et dont il existe encore quelques exemplaires dans le tréfond des forêts le véritable nom du conquérant aurait été Maghan Keita et non. comme a dit Ibn Khaldoun sur la foi du prétendu mufti de Ghana, Cheikh Ousman, Mari Diata Taguen) il aurait été (naturellement 1) le descendant d'un esclave des compagnons du Prophète, venu de l'Yémen, et ses ancêtres auraient déjà régné depuis plusieurs générations dans les environs de Diériba. Persécuté par la jalousie d'un frère aîné, il se serait réfugié chez le Tonkara Lomikhé, à Mema (c'est-à-dire à Ghana) et c'est là que seraient venus le chercher, non sans accompagnement de sorcelleries, les prières de ses compatriotes opprimés par un conquérant sosso sorti du Bélédougou, Soumanhourou il l'aurait vaincu dans une grande bataille près de Koulikoro, et l'aurait tué d'un coup d'une flèche merveilleuse armée d'un ergot de coq, au moment où le fuyard venait de franchir le Niger d'un seul bond de son cheval un bloc de pierre encore vénéré aux environs de l'ancien camp des tirailleurs de Koulikoro rappellerait cette aventure. Après cette victoire, Soundiata, les griots attribuent sa fortune à sa seule vertu militaire mais M. Gaillard croit plutôt à la formation autour de lui d'une horde cruelle de mercenaires pillards, et à la terreur qu'ils inspiraient, aurait successivement conquis tous les pays jusqu'aux deux Fouta, à la Gambie et au Kaarta la disparition de Ghana, que M. de la Roncière place en iaio, parait plutôt devoir être reportée au règne du fameux Kankan (ou plutôt Kankou) Moussa, petit-fils de Soundiata, l'homme du fameux pèlerinage à la Mecque, et le conquérant de Gao, Tombouctou. Ouallata, etc.. Ghana déjà fort déchue serait alors tombée presque sans faire de bruit.

Quoi qu'il en soit, cette histoire, dont nous ne saurions retracer ici tous les détails, éveille beaucoup de curiosités, ne fût-ce que par les rapprochements qu'elle force avec d'autres histoires s'il y a quelque exagération à faire de Kankou Moussa, le Moussaméli des chroniqueurs, un Napoléon, comme on s'est amusé à le dire, ce Soundiata le fondateur, en réalité un simple chef de bandes, qui jamais ne se fixa. n'eut de capitale et d'autoriié régulière, n'éveille-t-il pas par sa cruauté, sa fourberie, son avidité, et sa constante fortune dans l'atrocité, de singuliers rapprochements avec les potentats mérovingiens que nous décrit Grégoire de Tours a


Gaiixahd (M.). Olivier de Sandeval, roi du Foula Djallon, p.3ag-343. Ce n'est pas officiellement vrai mais cela sonne bien et M. Gaillard n'aime pas la vérité des rapports officiels elle manque de panache. Celle qu'il nous conte n'en manque pas elle débute par l'entrevue de Faidherbe et de. Sémiramis I Cette Sémiramis était une mulâtresse qui, vers i86o, était une manière de Bonaparte à Faringuia en Guinée « quelque dix mille hommes lui obéissaient sans broncher". Elle reçut Faidherbe, habillée en homme. les pistolets à la ceinture. La légende laisse entendre que le Gouverneur « remporta une incontestable victoire et qu'il obtint plus par ses qualités de galant homme qu'il n'aurait pu espérer de combats hasardeux ». Faidherbe et son successeur Pinet-Laprade eurent d'ailleurs d'autres succès et, en 1869, nous avions à peu près gagné la partie engagée depuis vingt ans entre Rio Nu nez et Freetown. Un instant interrompue par la politique de renoncement imposée par la Marine, -elle repartait en 1876 avec Brière de l'Isle, et en 1882, les deux colonies, Sierra Leone et les Rivières du Sud, étaient constituées, fixées du côté de la mer. sur la Mollacorée. La lutte ne pouvait désormais plus se poursuivre que du côté de l'intérieur.

Elle tendait aussitôt à se porter sur le Fouta-Djallon, ce château d'eau et cette citadelle de toute l'Afrique Occidentale, où elle avait depuis longtemps débuté par une pacifique émulation entre les -voyageurs et découvreurs des deux nations, depuis Watt (i7g5) et Mungo-Park (i8o5). Mollien (1818) et Caillié (1827), jusqu'à ces deux pacifiques facteurs de la maison Verminck, de Marseille, Zweifel et Moustier. à qui était réservé l'honneur de découvrir les sources du Niger. Mais dans l'ordre politique, les Anglais tenaient nettement la corde et leur agent, un intelligent docteur noir du nom de Blyden, venait de leur assurer, pour a.5oo francs par an, le protectorat de l'almamy Ibrahima Tori, en même temps que, plus loin, ils entraient en relations amicales avec Samory « le Dioliba (Niger) allait être un fleuve britannique » (Bayol). Mais alors parut Aimé Olivier de Sandeval.

Cet ingénieur de roman, sorti de Centrale en 1864, avait déjà un passé pittoresque voyages, improvisations, d'une batterie en i87o, ̃de toute une industrie de vélocipèdes, avant et après, dont il fabriquait 3oo par mois et qu'il n'avait pu arriver à persuader le gouvernement d'utiliser au service de la poste dans les campagnes, quoi qu'il en eût distribué 300 aux facteurs de son arrondissement; mais il fallait un autre théâtre à son imagination de conquérant ̃après avoir hésité entre le Tonkin et l'Afrique, il choisit le Fouta DjalIon et dès 1877 s'occupa d'en assurer la pénétration et l'assimilation


aussi bien à notre politique qu'à notre économie. Etabli à Boulam, qui avait été en 1793 le théâtre de la tragique aventure de l'Anglais Beaver, 5 survivants seulement sur 275 colons 1 il fut tout de auite populaire, plus maître du pays que ses maîtres eux-mêmes par l'ascendant qu'il exerçait sur eux, et l'utilisation de leurs divisions il était roi, roi héréditaire du Kahel, Boutiguel et Broual Tépé, avec droit de battre monnaie, (nous ne comprenons pas très bien ce que cela veut dire, en pays nègre) il avait des concessions de terres, de chemins de fer à construire, des forteresses, une armée de 3.ooo hommes le Fouta était à lui.

Mais il était moins heureux vis-à-vis de ses compatriotes, en France, où personne ne lisait ses livres, où il n'arrivait pas à trouver de capitaux, plus encore en Afrique, où les officiels, administrateurs et militaires, s'obstinaient à ignorer son oeuvre. Le résultat était que quand, par l'effet de sa politique, les gens du pays chassaient l'almamy Bokar-Biro, qui avait tenté d'empoisonner Sandeval et son fils (« ils ne durent la vie qu'à la violence de l'attaque le poison s'élimina de lui-même »), ce furent nos propres miliciens qui rétablirent sur son trône l'ennemi de notre influence il nous en remercia en signant au bas du traité de protectorat qu'on lui avait envoyé un dérisoire « Bismillah » pour châtier cette injure, il fallut une colonne, la colonne Muller (octobre 1896), et grâce encore à Sandeval, qui empêcha tout mouvement en sa faveur, Bokar-Biro eut la tête tranchée, le Fouta fut français.

Bien entendu, conformément à la règle du jeu, « le Blanc qui fut roi du Kahel » fut éliminé de sa conquête, ruiné, il ne put jamais se faire confirmer sa concession de chemin de fer oublié M. Gaillard réclame une pyramide de granit pour sa mémoire il n'a sans doute pas tort, et cet article enthousiaste est déjà un assez joli monument, par lequel on ne demanderait pas mieux que de se laisser convaincre mais on voudrait peut-être, malgré tout. quelques détails justificatifs et quelques précisions certains recoupements, au premier coup d'oeil, inspirent une manière d'inquiétude M. Gaillard, qui écrit un peu au courant de la plume, semble dire que Faidherbe était gouverneur de Gorée, en 1860, et que Dakar en 1876 était capitale, Nous ne pouvons, en histoire, nous contenter du « vraisemblable », il vaut mieux nous donner le vrai, le vrai prouvé, surtout lorsque comme dans ce cas ce vrai qui nous est agréable est tout près d'être invraisemblable et nous est agréable surtout parce qu'un peu invraisemblable.


Juillet-Septembre 1924.

Maurice Delafosse. Le Gana et le Mali et l'emplacement de leurs capitales, p. 479-54».

M. Delafosse s'efforce d'établir et il considère comme acquis 1°) que les gana du Baghana étaient les mêmes que les Kamayagha de Ouagadou et que la capitale de leur état se trouvait à Kombi, là où il existe encore un lieudit de ce nom a») que la capitale du Mali ou Manding d'abord située à Dieliba, au confluent du Sankarani et du Niger, fut transportée ensuite, probablement vers la fin de la première moitié du xtii* siècle. à Niani, près de l'emplacement du village actuel de ce nom, sur la rive gauche du Sankarani, à 65 kilomètres environ en amont de Dieliba.

Bulletin de la Société de Géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord, iga4-

Capitaine PEYRONNET. La Berbérie, de la conquête romaine à la conquête arabe, pp. 1-46 139-180.

Résumé de l'histoire de l'occupation romaine d'après les meilleurs ouvrages des érudits contemporains. P. i43, carte de l'Afrique du Nord carthaginoise et romaine.

Jean Cazenave. L'esclavage de Cervantes à Alger (1575-1680), p. io3-i35.

Circonstances de la capture de Cervantès se rendant de Naples en Espagne devant la côte de Provence. Ses quatre tent&tives d'évasion, position que son caractère altier, sa bravoure, sa bonté pour ses compatriotes lui avaient faite à Alger.

Bulletin de la Société de Géographie de Québec (septembreoctobre iga4-)

F. X. CHOUINARD. La conservation des paysage* historiques de la province de Québec pp. igS-aoo.

Cette conservation et par elle le maintien de cet aspect de campagne française à quoi s'attache l'obstination de l'âme canadienne fait depuis quelques années l'objet d'une campagne où concourrent également le patriotisme et le goût du beau. Une Commission vient


de se constituer, sous la présidence de l'honorable Adélard Turgeon, préaident du Conseil Législatif et a lancé dans le public, par la plume de M. P. G. Roy, l'archiviste de la province, bien connu de nos lecteurs, un appel émouvant qui, espérons-le, sera suivi d'effet.

Aux 18, sur les 116 existant en 1760, églises et chapelles que M. Gustave Beaudoin énumérail comme subsistant en 1919 (il faut aujourd'hui rayer de ce nombre la basilique de Québec, perte à jamais irréparable et, je crois, l'une des églises de l'île d'Orléans, récemment incendiée), il permet d'en ajouter deux autres celle de SainH'rançois de Sales de Neuville à la Pointe aux Trembles, dont le chœur remonte à 1696, et celle du Cap Santé, construite en 1755, demeurée à peu près intacte en dépit des remaniements. A côté des églises, il conviendrait d'attacher aussi le plus grand soin à la conservation des vieux « forts français » dont l'érection marqua pour ainsi dire jour par jour les progrès de la colonisation. La plupart ne sont aujourd'hui que des ruines, ainsi que les vieux moulins qui en étaient les annexes pittoresques deux seulement de ces derniers, celui de Vincelotte au Cap Saint-Ignace et celui de Saint-Grégoire de Nicolet, ont fait l'objet de restaurations récentes. Les calvaires, les croix de chemin aussi mériteraient de faire l'objet d'une pieuse attention n'est-ce pas par là que dans ce « Pays de Québec » si différent de l'Ouest, se maintient « le souvenir vivant d'un autre âge, d'une âme différente de l'âme cosmopolite, d'une âme façonnée par des siècles de fui et de traditions françaises et dont le reflet s'épand jusque dans les paysages » »

J. T.

The Canadien Historical Review, juin 1924.

Notes on the faie of the Acadians, p. 108-117.

La question acadienne est à l'ordre du jour. Après le livre si documenté de M. Lauvrière, paru il y a deux ans à peine, voici que M. C.-E. Lart vient de publier dans la Revue historique canadienne de Toronto, quelques pages où l'on trouve de nouveaux éclaircissements sur la criminelle déportation de 17^55-1756 qui enleva à l'Acadie la presque totalité de sa population pour la jeter comme en vrac sur les côtes de l'Amérique et même en France et en Angleterre. M. Lart nous apprend d'après diverses archives françaises ce qu'il a pu apprendre du sort des Acadiens qui furent transportés en Europe.

Les exilés en Angleterre, au nombre de 786, furent répartis entre


les villes de Bristol, Falmouth, Southampton, Plymouth, Liverpool et Sandarym (?). En France les villes qui les recueillirent furentCherbourg, Morlaix, Saint-Malo, Brest et la Rochelle, d'où on s'occupa do les fixer dans des établissements où ils pourraient vivre et prospérer. C'est ainsi que le Poitou en recueillit environ i.<ioo et Belle Isle 800. Le roi les exempta de toutes taxes jusqu'en 176g. Aucun de ces établissements ne réussit complètement. Celui de Monthairon, dans le Poitou, échoua même de la façon la plus lamentable en 1791. il n'y avait plus que 98 personnes. Les autres Acadiens, la paix rétablie, avaient mieux aimé retourner en Amérique où ils étaient plus familiarisés avec les conditions de l'existence.

Ceux qui restèrent se perdirent peu à peu dans l'ensemble de la population. M. Lart nous dit cependant qu'en 1863, à Monthairon et dans les villages environnants on reconnaissait encore les Acadiens dénommés les « Américains » leur bonne conduite, à l'honnêteté de leur caractère et à leur stricte observance du dimanche. Ce sont là en effet des qualités qui sont restées bien acadiennes et même canadiennes. A. M. m

Hespéris. 1934. 1" Trim.

Henri Basset et Henri TERRASSE. Sanctuaires et forteresses almohades. I. Tinmel (p. 9-91., ia pi., a5 fig.).

Aux pp. ai-44, histoire à grands traits du mouvement almohade, né de la prédication du Mahdi Ibn Toumert [fin du xi* siècle], réaction berbère et puritaine contre les Almoravides dégénérés. La mort d'Ibn Toumert, en 1139, n'arrêta pas les progrès de la secte, qui aboutirent à la fondation par son Kalifa Abd-el-Mou'min d'une dynastie destinée à régner sur le Maroc et l'Espagne jusqu'à l'arrivée au pouvoir des Mérinides. Depuis longtemps abandonnée par les souverains almohades et réduite à l'état de sanctuaire et de pèlerinage, Tinmel qui avait été leur berceau fut le dernier centre de leur résistance jusqu'à sa prise en 1276. Depuis, sa décadence n'a fait que se précipiter et ce n'est plus qu'une bourgade où subsistent les ruines importantes d'une enceinte et d'une mosquée dont la description remplit les pages 35-91.

Georges S. Colin. Une nouvelle inscription arabe de Tanger, p. 93100.

D'une très belle tenue littéraire, elle émane de Ahmad ibn AU ibn Abd Allah, amir du Rif en 1693, puissant personnage qui finit par devenir vers 173a le maître à peu près de toute la partie Nord-Ouest


du Maroc, ce qui explique les particularités de la titulature de cette inscription de la kasbah de Tanger.

2* Trimestre 193^.

Maurice Delafosse. Les relations du Maroc avec le Soudan à travers les âges, p. 153-74.

M. Delafosse rassemble dans cet article toutes les notions qui peuvent nous démontrer à quel point ces relations se sont maintenues intimes et continues, tout ignorées qu'elles soient de la plupart, depuis le temps où le desséchement progressif du Sahara a fait disparaître ou plutôt clairsemé en la réduisant au nomadisme la population, dont les nombreux débris paléolithiques épars dans cette région attestent la densité relative aux temps préhistoriques, en même temps que des apports nouveaux, ethniques et religieux, en modifiaient le caractère plus profondément encore.

C'est d'abord au xr= siècle cet étrange mouvement des Almoravides qui, né parmi les Berbères Lemtouna du Sénégal, arrive à grouper en un formidable empire toutes les populations vivant de la lisière des pays des noirs à celle, toujours mouvante alors, de l'Europe chrétienne; puis ce sont les grands empires noirs, mandingue, songhoï, bambara, qui pendant trois siècles sont en relations de commerce constantes avec le Maghreb et en tirent les éléments de leur vie religieuse et intellectuelle, leur art surtout, cette architecture que l'Exposition de Marseille a popularisée en France et dont l'inventeur fut le Grenadin Es-Sahéli, qui s'inspira très nettement de ce qu'il avait vu dans le Sous et ces relations, l'appât des richesses de ce pays, du sel de Teghazza, de l'or du Soudan, prennent tant d'importance aux yeux des chérifs saadiens qu'El Mansour tourne toute son ambition de ce côté M. Delafosse est ainsi conduit à nous résumer la fameuse entreprise de Djouder et la campagne de i5gi l'sur laquelle il s'accorde dans l'ensemble avec l'article du colonel de Castries dans Hespéris de 1923, malgré des divergences qu'il discute et' tranche par une lumineuse critique des sources) mais cette aventure ne construit rien dès 1612 il n'y a plus d'autorité du sultan dans sa prétendue province soudanaise à partir de i66o son nom n'est même plus prononcé à la prière il reste seulement à Tombouctou une manière de république militaire avec un pacha ou Kahia, sorte de maire impuissant que fait et défait sans cesse (i4g titulaires en i38 ans) la caste de l'arma. formée des descendants des escopettiers andalous de Djouder en 1893 seulement, à l'approche des Français, on songe à nouveau


au sultan lointain et on lui dépêche en ambassade l'iman de la grande mosquée mais ce sultan est Abd-el-Aziz et l'iman Mohammed ben Essoyould revient dans Tombouctou française pour y devenir professeur à la médersa fondée par le gouverneur Clozel, à l'heure où le Maroc lui aussi passe, par un nouveau et dernier parallélisme de sa fortune avec celle du Soudan, sous l'influence des Européens.

Henri BASSET et Henri Teurasse. Sanctuaires et forteresses almohades Il, les deux Kotobiya, p. 781-304.

Article entièrement consacré à la célèbre mosquée de Marrakech et à une autre contiguë qui la précéda de peu. Les auteurs les attribuent toutes deux au premier Khalife almohade Abd-el Mou' min (1 146) et non, comme onfait d'ordinaire, à son second successeur Abou Yousouf Yac quoûb el Mansour (1 184), qui aurait seulement restauré et parachevé le minaret celui-ci serait donc le vrai prototype du modèle suivant lequel auraient été construites et la Giralda et la glorieuse tour Hassanièh.

Mercure de France, 1" janvier .iga5.

AURIANT. Sur la piste du mystérieux Boulin l'odyssée algérienne {1808) (Documents inédits) la mission orientale (1810) (pp. a3i241).

Poursuivant ses études sur « le mystérieux Boulin », M. Auriant se trouve conduit à nous fournir d'utiles précisions sur les projets de Napoléon concernant Alger en 1808, qui ne nous étaient jusqu'ici connus que par un passage de la Correspondance et une trentaine de lignes de Camille Rousset.

Arrivé à Alger, par le Requin, le a5 mai, Boutin en repartait le 17 juillet capturé à son retour par une frégate anglaise, il s'évadait de Malte et réussissait à gagner Smyrne et Constantinople, d'où il envoyait à Decrès le 27 octobre un résumé des observations qu'il avait pu recueillir pendant son court séjour ce sont surtout des renseignements concernant la guerre en cours entre Alger et Tunis. Son rapport définitif, remis à l'Empereur le ai février i8og, lui valait le grade de colonel et une autre mission dirigée cette fois sur l'Egypte et la Syrie. C'est pour celle-ci qu'il débarquait en 181 à Alexandrie et entreprenait la randonnée romanesque au cours de laquelle il devait trouver la mort.


La Révolution de 1848, n. CVI (sept.-oct. 1924).

A. JULIEN. La concession de Thémistocle Lestiboudois. pp. a33-a48..Ce Lestiboudois était d'une lignée de naturalistes, pour qui la ville de Lille avait créé une chaire de botanique qu'il occupait par vocation héréditaire depuis sa vingt-deuxième année, survenue en 1819 il y avait acquis quelque notoriété scientifique, qui devait le conduire à l'Institut et à la Faculté de Paris, et auprès de ses concitoyens une considération suffisante pour être leur député, presque sans interruption, depuis i83g il avait donné beaucoup de gages au « parti de l'ordre », au point que le Prince Président le jugea bon, en i85a pour la Commission Consultative, en i855 pourle Conseil d'Etat. Toutefois ce ne put être en récompense de ces services qu'il eut sa concession, puisque, c'est M. Julien qui nous l'apprend lui-même, cette concession de 600 hectares, près Gastonville, entre Philippeville et Constantine, est datée du a4 avril i848 et signée Arago. Il n'en reste pas moins que, même coïncidant avec un échec électoral, cette libéralité n'eut aucunement pour effet de transformer notre botaniste-homme d'état en pionnier et en défricheur, fût-ce par procuration plus d'un an après, les autorités locales se plaignaient amèrement de n'avoir encore vu ni le concessionnaire ni aucun des cultivateurs qu'il s'était engagé à établir, et réclamaient, plus ou moins, sa déchéance mais il n'en pouvait être question à nouveau député, Lestiboudois se décidait enfin à passer en Algérie, en 1849, avec une mission officielle d'études, plus exactement avec celle, non formulée, de se constituer le représentant desintérêts algériens n'était-il pas colon ? – et de les représenter conformément aux vues et aux intérêts du gouvernement et c'est bien ainsi en effet que, président du Conseil Général, il les représentait de 1857 à 1870, ce qui lui permettait d'aller chaque année faire une courte apparition sur le domaine dont il était maintenant, depuis août i858, le propriétaire à titre définitif, surun rapport constatant qu'après tant de retards il les avait expliqués par la crise de i848, la peur de la déchéance, l'échec des familles du Nord qu'il avait envoyées et les friponneries d'un gérant, il avait enfin réalisé « une augmentation considérable des constructions un nettoyage intelligent des plantations d'arbres et desdéfrichements. »

Et sans doute, cet « ami de l'Empire a-t-il bien été, comme le dit M. Julien, l'objet de faveurs et d'indulgences, peut-être au détriment


des colons voisins mais est-il absolument juste de dire qu'il ait paralysé le développement de la colonisation dans la vallée du LafLaf II ne faut pas confondre mise en valeur et peuplement, et, en somme, il semble bien que la concession ait fini par être vraiment exploitée quant à la crise et aux difficultés invoquées pour justifierles retards, qui pourrait en nier la réalité ? L. T.

Revue d'histoire des Missions. i, i" juin 1934. Cette revue, dont le premier numéro a paru le i" juin 1924, avec un comité de direction composé de MM. Jean Brunhes, Georges Goyau, René Pinon et J.-B. Piolet, s'appuie elle-même surune association d'Amis des Missions dont le nombre de membres est illimité.

Dans le premier numéro, M. J.-B. Piolet, l'auteur de deux volumes sur Madagascar parus en 1894 et d'une Histoire des Missions Calholi-ques Françaises en six volumes, expose le but poursuivi par la Société. M. Goyau retrace en de grandes lignes la place de l'Histoire des Missions dans l'Histoire. Enfin M. A. Brou, S. J., -s'efforce en 38 pages(p. 73-110) de donner un aspect général de l'état actuel des Missions et les suit tant en Europe que dans l'Orient Musulman, l'Hindoustan, l'Indochine, la Chine, l'Empire du Japon, les Philippines, les Indes Hollandaises, l'Océanie, les Iles de l'Océan Indien, l'Afrique et enfin l'Amérique. M. Brou donne pour la plupart de ces pays le nombre des baptisés et des catéchumènes.

2, septembre iga4-

Georges Goyau. Le P. Sébastien Racle, p. 162-197.

Cette étude, entreprise à l'occasion du centenaire de la mort de l'apôtre des Abénakis, a d'abord permis à M Goyau de procéder à la rectification de l'état civil de son héros, qui s'appelait bien Sébastien Racle, et non Basle ou Raie, comme le nomment les Lettres Edifiantes ou les écrivains américains, et qui était né à Pontarlier le 4 janvier i65a, non en 1657. Arrivé en Amérique en 1689 et affecté d'abord, après un premier séjour chez les Abénakis, à la mission des Illinois, le célèbre jésuite ne vit commencer son grand rôle historique qu'après la fondation de son Nanrantzouak (auj. Norrid-gewock) en i6g4, et surtout après l'abandon des Abénakis par les Français au traité d'Utrecht. Resté parmi ses ouailles le représentant, le seul après la disparition du baron de Saint-Castein, de l'idée fran-


çaise ou plutôt catholique, Racle ne tarda pas à devenir l'objet de la haine absolue des gens de la Nouvelle Angleterre, comme l'obstacle irréductible qui s'opposait à leurs progrès et même à leur sécurité les manœuvres plus ou moins pacifiques du pasteur Baxter (à signaler là une bien curieuse contestation entre le jésuite et le pasteur sur leur supériorité en grammaire la Une) et du capitaine Ephraïm Savage ayant échoué, ce fut la guerre, en réalité une lutte du Massachusetts contre le particularisme des Abénaquis une première tentative pour enlever Racle le a5 juillet 1722 n'aboutit qu'à la saisie de ses papiers, «t notamment d'un dictionnaire abénaki, aujourd'hui l'un des trésors de Harvard, mais une autre expédition, le a3 août 1724, se termina par un véritable massacre de tout ce qui se trouvait à Nanrantzouak Racle était parmi les morts, scalpé, le crâne enfoncé, les membres mutilés, le corps outragé de toutes manières il avait été tué en tentant de parlementer, dirent les Abénaquis, les armes à la main et malgré les ordres donnés d'épargner sa vie, racontèrent les Anglais mais les atlirmations d'historiens intéressés comme Penhallow et Hutchinson sont vraiment bien sujettes à caution la vérité, à peu près incontestée aujourd'hui, est à la fois que Racle avait été immolé en haine de son ministère et de son zèle à établir la vraie foi dans le cœur des sauvages, et que sa fin fut celle de la liberté des Abénaquis.

P. Coste. Saint Vincent de Paul et la Mission de Barbarie, p. 198-23*. Ou plutôt les Missions de Barbarie, car il y en eut deux, à Tunis et à Alger. L'idée n'en était pas d'abord venue à M. Vincent, que la misère physique et morale des campagnes de France toucha toujours plus que tout; mais son ardente charité s'étendait à l'univers et ce fut d'enthousiasme qu'il se rendit à la demande de Louis XIII et accepta le contrat du 25 juillet 1643. La générosité de la duchesse d'Aiguillon permit le rachat des consulats, qui furent confiés aux Pères de la Mission, de sorte qu'il pût désormais y avoir en Barbarie des prêtres autres qu'esclaves. Ainsi vécurent et souvent moururent avec mille péripéties, de i645 à 1660, Julien Guérin, Jean Le Vacher, Martin Husson, à Tunis, Boniface Nouelly, Jean Barreau, Jacques Le Satie, Jean Dieppe, Philippe Le Vacher à Alger on trouvera là de curieux détails sur la condition des chrétiens en Alger, sur la manière dont M. Vincent entendait y régler l'action de ses prêtres non pas de propagande, ce qui eût tout compromis, mais de soutien, de charité et d'exemple, et sur les résultats qu'ils obtinrent, à la fois comme chrétiens et comme Français.


Rapport de JBAN Le VACHER, prêtre de la Mission, à la Propagande, sur la Mission de Tunis, p. a3a-4a.

Du 29 janvier 1694. Traduction française du texte italien, Arch. de la Propagande. Scritture originali. Africa H, vol. 348, p. 267-274.

3, déc. iga4.

Henri DE Frondeviile. Pierre Lambert de la Motte, évêque de Béryte (1624-I679J, pp. 35o-4o8.

Originaire de Lisieux, et ancien conseiller à la Cour des Aides de Rouen, Pierre Lambert devient en i65g titulaire de l'un des trois vicariats apostoliques qu'il avait contribué avec Mgr Pallu, évêque d'Héliopolis, à faire instituer, celui de la Cochinchine, avec juridiction sur le Tché-Kiang, le Fo-Kien, le Kiang-Toung, le Kiang-Si, l'île d'Haïnan et iles voisines. Après un long et difficile voyage par Alep, Bassora et l'Inde, il arrive à Tenasserim le ig mai 1663 et à Juthia, capitale du Siam, le 22 août et se consacre à l'organisation de cette chrétienté. Les difficultées du début surmontées, il put enfin, de 1669 à 1673, entreprendre une longue tournée jusqu'à Faï-fo et revint en 1673 à Siam pour prendre sa part des négociations qui aboutirent à l'établissement des relations intimes entre ce pays et la France. Au retour d'une seconde tournée en Cochinchine, qui permit de mesurer les progrès accomplis, il ne put cependantjamaisexercer les fonctions d'administrateur général pour les royaumes de Cochinchine, Siam et Ciampa, dont il avait été investi par les décrets de réorganisation qui constituaient tout l'Extrême-Orient en six vicariats confiés aux Missions Étrangères et relevant directement de la Propagande (17 juillet 1678 et i"avril 1680) épuisé par une vie qui n'était plus depuis longtemps qu'un long martyre, il était mort le i5 juin 1679, laissant la mémoire d'un saint et d'un des plus utiles ouvriers de l'œuvre française qui avait arraché ces régions à l'influence exclusive des Portugais.

C. Poisson. L'observatoire de Tananarive, p. 4o8-449-

L'observatoire est, comme chacun sait, une œuvre française par excellence. Ainsi l'avait conçu M. Le Myre de Vilers quand il en provoqua la création en 1887 ainsi le réalisa le P. Colin, qui le construisit, le fit vivre, le releva après les destructions sauvages et burlesques de 1895, le maintint en pleine activité, vingt ans plus tard, au prix de difficultés peut-être plus grandes encore pendant près de trente-cinq ana, à lui seui.ce Français fut presque tout l'Observatoire


son histoire est vraiment une belle et une utile partie de celle de. l'action française dans le monde.

Prière en langue Iwronne de Joseph Chiwalenkoa (XVW siècle), pp. 449-454.

Revue des Questions Historiques, 1923, 1" avril.

Louis de Chauvigny. Un Consul général de France à Smyrne Choderlos de Laclos.

Au temps de l'expédition d'Egypte, Jean-Charles-Marie Choderlos de Laclos, alors consul général de France à Alep, n'a pas eu beaucoup à se louer des Turcs, on l'a déjà dit ici même (R. H. D. F., t, XV, 1924, p. 455-458) sans parler des mauvais traitements qu'il a subis au cours de son emprisonnement, il a supporté de leur fait des dommages pour lesquels il demandait une indemnité de 28.676 piastres dont, on le sait, il ne reçut jamais la moindre partie. Durant le temps où il remplit à Smyrne, un peu plus tard, les fonctions de consul général (du 10 ventôse an Xl/i" mars i8o3 au 7 maf 1808), il ne parvint pas davantage à se faire restituer la maison de France, qu'avait acquise le consul d'Angleterre pendant la guerre entre France et Turquie, et cela malgré la promesse faite par un firman de la Sublime Porte de l'en remettre en possession « par tous moyens quelconques et sans s'arrêter à aucune considération ». Cependant Choderlos de Laclos déploya un très grand zèle dans l'exercice de ses fonctions il fit de son mieux pour rendre à la France son prestige et son rang à Smyrne, pour déjouer les intrigues des Anglais, pour procurer à la « nation » confiance et autorité, même dans les circonstances les plus défavorables, bref, pour « maintenir (ce sont ses propres expressions) la prérogative, la dignité et la suprématie du consulat de France ». Il paie de sa personne, agit, représente sans- craindre de « manger du sien », en dépit de son maigre traitement et des abusives variations de change prescrites par le « plaisir du Grand Seigneur. Voilà ce qui ressort de l'étude très vivante écrite par M. Louis de Chauvigny à l'aide d'une correspondance encore inédite, de celui que les siens appelaient dans l'intimité, « le bon Choder ».

Dans son intéressant mémoire sur les Premiers Consuls de France sur la côte septentrionale de l'Anatolie (R. H. C. F., t. XV, 1924, p. 3oi-38o cf. la page 3i3), M. Henri Dehérain a cité un fragment de lettre de Choderlos de Laclos, qu'avait déjà publié avant lui M. Louis de Chauvigny. Le travail de ce dernier ne se borne pas à


montrer ce qu'était la vie du Consul général de la « grande nation » à Smyrne au temps du Consulat et de l'Empire, à indiquer que les personnages notables de la colonie française de la ville étaient, à l'époque, « les lazaristes, les capucins, les marguilliers de la paroisse, les députés du commerce et les officiers du commissariat », enfin à extraire de la correspondance de Choderlos de Laclos les passages très intéressants, relatifs à l'échec éprouvé par les Anglais quand ils tentèrent, en février 1808, leur célèbre coup de main contre Constantinople. Il prouve encore que les Turcs étaient au début du xix' siècle tels qu'on les voit cent vingt ans plus tard, et que « le bon Choder » les connaissait bien « avec les Turcs il ne faut pas barguigner », a-t-il écrit, et il se montre partisan convaincu de la matière forte dans les relations avec eux. Ainsi l'élude de M. Louis de Chauvigny complète sur plus d'un point le travail de M. Henri Dehérain dont il a été question tout à l'heure elle parle plus d'une fois des mêmes personnages, de Fourcade entre autres. Sans doute, Choderlos de Laclos n'a-t-il pas eu, comme celui-ci, la passion de l'archéologie, mais du moins a-t-il utilisé le talent de dessinnteur de son collaborateur, l'élève consul Auguste de Jassaud, pour le Voyage Pittoresque en Grece de ChoiseulGoutlier. Enfin, quand il a voulu regagner la France, il lui est arrivé, à la fin de juillet 1808, sur les côtes d'Albanie, une mésaventure dont le récit fait par Jassaud confirme tout ce que, naguère, les lettres de Pouqueville publiées ici même par M. Henri Dehérain, nous avaient appris ou corroboré (cf. R. H. C. F t. XII, igaa, p. 61-100). On le voit, à bien des titres, l'article de M. de Chauvigny devait être signalé à cette place.

H. F.

III

NOTES ET NOUVELLES

La Commission des Archives historiques de l'Inde britannique a tenu cette année, du ia au i5 janvier, sa septième session à Pouna. l'ancienne capitale des Mahrates. La Société de l'Histoire de l'Inde française y était représentée par M. Singaravelou, conservateur des Archives anciennes de Pondichéry, qui a fait une communication su^une lettre de Bussy au maréchal de Castries du 3 mars 1784.


Il y aura dans cinq ans un siècle que la France se lera engagée dans la voie qui devait la faire la grande puissance qu'elle est en Afrique, et par l'Afrique dans le monde. Le gouvernement général de l'Algérie se préparée célébrer comme il convient cet anniversaire et a institué une commission chargée d'étudier les modalités de cette manifestation. Mais en dehors des fêtes et des solennités à fracas, ne conviendra -t-il pas que la science française s'associe à cette commémoration en dressant le bilan de ceque fut cette œuvre d'un siècle? M. Esquer, dans le numéro de l'Afrique Française d'octobre, attire l'attention des travailleurs sur cet effort centenaire et indique le cadre dans lequel on pourrait l'ordonner

i* La Régence d'Alger en 1830 sol, population, langage, religion, histoire, gouvernement, agriculture, commerce, industrie, moeurs, habitation, costumes

Le Bilan d'un Siècle C1830-Î930)

a) Institutions politiques, administratives, financières de l'Algérie, histoire et état actuel

b) Politique indigène histoire, assistance, enseignement des indigènes, recrutement, statut personnel des indigènes, rapports des colons et des indigènes

cj Etude scientifique et mise en valeur du sol, météorologie, mines, agriculture, voies de communications, commerce, industrie, pathologie et hygiène

d) Etudes géographiques et cartographiques, albums photographiques des aspects de l'Algérie

ej Etudes archéologiques, historiques, économiques

f) Histoire de la colonisation

g) Vie intellectuelle et artistique l'Algérie et les écrivains l'Algérie et les arts l'enseignement.

La Société littéraire et historique de Québec, fondée le 6 janvier i8a4 par Lord Dalhousie, alors gouverneur en chef du Canada, vient de célébrer son centenaire. L'Association historique Canadienne de fondation plus récente, en a profité pour tenir à Québec sa réunion annuelle. L'ouverture de la session a eu lieu le a3 mai dans le halle de l'Université Laval. Mc Fauteux, bibliothécaire de la bibliothèque S* Sulpice de Montréal, y lut une notice sur « la Carrière canadienne


du Marquis de Montcalm ». Dans les séances qui suivirent, on a envisagé la préparation d'un atlas et d'un dictionnaire d'histoire canadienne.

SITE OF THE FIRST FORT OF HABITATION OF PORT ROYAL, BUILT BY THE FRENCH UNDER DE MONTS AND CHAMPLAIN 1605

ATTACKED AND PARTIALLY DESTROYED BY A BRITISH FORCE FROM VIRGINIA i6i3.

RESTORED AND OCCUPIED BY SCOTTISH COLON1STS – 1629.

LAID WASTE ON THEIR RETIREMENT FROM THE COUNTRY 1632.

HOME OF THE ORDER OF GOOD CHEER BIRTH PLACE OF CANADIAN LITTERATURE AND DRAMA.

Cette inscription du monument commémoratif inauguré le 4 août 1924 à Annapolis sur l'emplacement du vieux fort de PortRoyal vous paraîtra sans doute un peu incomplète et injuste car enfin, entre i63a et la renaissance de la littérature de la langue française en Amérique, il y a eu des événements, et là même I Il n'importe l'évocation de ces années lointaines où luttèrent les fondateurs de la nationalité d'aujourd'hui est une piété à laquelle nous devons nous associer. J. T.

Le Secrétaire de la province de Québec, désireux de contribuer à développer la connaissance et l'amour de l'histoire du Canada et, tout particulièrement, de doter la littérature canadienne d'oeuvres qui resteraient inédites, met au concours, sous le direction de l'archiviste de la Province, les douze sujets d'étude suivants i. La colonisation de la Nouvelle-France a-t-on recruté des colons chez les repris dejustice et les filles perdues ? P

a. Pierre Le Moyne d'iberville.

SITE DU PREMIER FORT DE L'HABITATION DE PORT-ROYAL, CONSTRUIT PAR LES FRANÇAIS SOUS LES ORDRES DE DE MONTS ET CHAMPLAIN G05

ATTAQUÉ ET EN PARTIE DÉTRUIT PAR DES TROUPES ANGLAISES VENUES DE LA VIRGINIE 1613.

RESTAURÉ ET OCCU É PAR DES COLONS ÉCOSSAIS 1629

LAISSÉ A L'ABANDON APHÈS LEUR DÉPART DU PAYS 1631.

SÉJOUR DE L'ASSOCIATION n ORDER OF GOOD CHEER >. LIEU DE NAISSANCE DE LA LITTÉRATURE et du DR AME CANADIEN.


3. Les martyrs de la Nouvelle-France.

4. Pierre Boucher de Grosbois.

5. Le Conseil souverain de la Nouvelle-France.

6. Le docteur Sarrazin.

7. Le régime seigneurial au Canada.

8. Pierre Gautier de Varennes de la Vérendrye.

g. L'industrie sous le régime français.

10. Le premier parlement du Bas-Canada (179a) son œuvre législative, ses membres.

11. Histoire d'une paroisse canadienne (au choix des concurrents). 13. Alexandre Mackenzie, le découvreur.

Le concours est ouvert à tous, Canadiens ou autres.

Les concurrents sont admis à traiter plusieurs sujets, pourvu qu'ils le fassent en études distinctes.

Les études devront être rédigées dans la langue française ou dans la langue anglaise.

Chaque étude devra être dactylographiée avec simple interligne. couvrir pas moins de deux cents ni plus de quatre cents pages de papier ministre (environ 35o mots par page) et être signée d'un pseudonyme.

Chaque étude devra être déposée au bureau de l'Archiviste de la province de Québec, à Québec, avant le premier janvier 1926, avec une enveloppe cachetée portant l'inscription Concours d'histoire de 1925, et contenant une feuille de papier sur laquelle auront été écrits le pseudonyme ainsi que le nom et l'adresse du concurrent. Une somme de cinq cents dollars sera attribuée à l'auteur de la meilleure étude sur chacun des sujets proposés.

La première des conférences organisées par la Société d'Histoire des Colonies Françaises a eu lieu le samedi i4 mars dans une salle du Collège de France, aimablement mise à notre disposition par l'administration, sous la présidence de M. Philippon, vice-président du Crédit Foncier d'Algérie et de Tunisie. M. Paul Ollaguier, avocat à la Cour, y a de toute son érudition et toute sa verve remis en lumière la figure d'Un grand Colonial, le Gouverneur, Dumas, et esquissé l'étrange histoire, encore non terminée, de sa succession.


13' Année 1925 2' Tiumestre

REVUE

DE

L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES HISTOIRE COLONIALE ET PSYCHOLOGIE ETHNIQUE

Depuis les dernières années du xixme siècle, la psychologie est à peu près disparue de l'histoire. C'est tout juste si l'on trouve, par ci par là, dans les travaux historiques dignes de ce nom, quelques « portraits » et rencontre plus rare encore quelques indications de psychologie ^collective. Dès qu'un historien se laisse aller des considérations de cet ordre, les autres l'accusent du crime de littérature, lui prêtent des ambitions académiques, évoquent les pires erreurs du Romantisme, proclament la Science en danger.

Il est entendu, il est écrit en des traités de méthode historique que, dans une étude d'histoire, toute affirmation ̃doit pouvoir se justifier, se contrôler, c'est-à-dire, en fin de ̃compte, s'appuyer sur une référence d'archive ou d'im-


primé. Or, la psychologie, et surtout la psychologie collective, se prête mal à ces justifications quelques faits constatés et rassemblés, si certains qu'ils soient, ne suffisent pas à fonder ses jugements elle suppose une suite d'observations diverses et recoupées, une fréquentation prolongée de l'âme qu'on veut faire revivre, une somme d'impressions qu'on peut sans doute recueillir, en quelque mesure, dans les monuments du passé, mais qui supposent une forte part d'intuition et qu'on ne pourrait, sans artifice, raccorder à des cotes et des références. Cet embarras d'ouvrier trop consciencieux entre assurément pour beaucoup dans la sécheresse de notre histoire actuelle mais d'autres causes interviennent aussi pour chasser de ce domaine essentiellement vivant la vie même, les ressorts moraux. Par exemple, car ce n'est pas cela que j'ai dessein d'étudier ici, l'importance excessive attribuée aux phénomènes économiques, l'emprise du matérialisme historique sur les cerveaux les moins imprégnés de marxisme. Par exemple encore, la tyrannie de cette vieille formule qu'il n'y a de science que du général et que tout l'objet des sciences morales se ramène àdresser, au-dessus du chaos des faits humains, la pure et claire image de l'homme universel.

Or, c'est pour l'histoire coloniale que cette tendance nous paraît tout spécialement regrettable. Qu'on renonce, quand on étudie les rapports de la France et de l'Angleterre à telle époque, à opposer franchement et avant tout les idées et les préférences morales des deux peuples, soit il est probable que, du même coup, on sacrifie une large part de la causalité historique et qu'on s'impose délibérément des vues de myope mais c'est tout de même d'hommes voisins les uns des autres qu'il s'agit, d'hommes qui ont subi certaines influences communes, qui vivent


dans des milieux analogues. C'est beaucoup plus grave, à n'en pas douter, quand on aborde une histoire où se confrontent les métropoles, avec leur tempérament national et leurs idées européennes, les coloniaux, avec leur nature originelle modifiée par la transplantation, les indigènes, blancs, noirs, jaunes ou rouges, qui, depuis l'aube des temps et à des milliers de lieues de l'Europe, mènent une vie profondément différente de la nôtre.

Qu'on le veuille ou non, le colonial n'est plus « l'homme de la rue » de Londres ou de Paris. Sa vocation, on simplement les circonstances de son départ aux colonies font déjà de lui une individualité d'exception l'existence qu'il mène, encore de nos jours, lui communique des habitudes d'indépendance et des goûts d'autorité, le provoque à l'initiative, à l'aventure, au risque, et le transforme ou le déforme, le pervertit ou le grandit, selon les événements et la qualité de ses dispositions naturelles. On se doute bien un peu de tout cela dans les métropoles mais on incline à ne retenir du colonial que le ridicule ou le danger de ses hypertrophies on le prend simplement pour un désaxé on lui réserve une sympathie un peu méprisante rien de tout cela ne contient un véritable effortd'intelligence, et l'on comprend que les historiens, de qui l'on ne peut vraiment exiger qu'ils aient mené la vie coloniale, hésitent à faire entrer en ligne de compte des données psychologiques aussi incertaines. Quant à l'âme des indigènes, elle est bien plus mystérieuse encore. Les analyses qu'on en pourrait tenter échappent aux catégories ordinaires et déroutent toutes nos habitudes d'esprit. Pour la pénétrer un peu, il faut tour-


ner autour d'elle avec patience et prudence, comme on s'approche d'un fauve il faut l'attendre et la surprendre, non point la faire entrer de force dans ces cages étroites où elle meurt sans recours intelligence, sensibilité, activité. On en fausse l'image, d'autre part, en cherchant surtout en elle les survivances de l'humanité primitive ou les signes d'une humanité inférieure il y a«des attardés, si l'on veut, mais il n'y a plus de primitifs il y a des hommes différents, mais c'est pure métaphysique ou niaise prétention que d'établir, sur des critères nécessairement contestables, une hiérarchie des valeurs humaines.

Il conviendrait donc, pour garder quelques chances d'exactitude, de laisser de côté la psychologie générale, la psychologie traditionnelle, l'âme primitive ou inférieure, et de limiter nos ambitions au particulier. En l'espèce, d'ailleurs, ce particulier demeure assez général pour contenter nos habitudes scientifiques la plupart des sociétés dont s'occupe l'histoire coloniale vivent d'une vie intensément collective, à la fois ethnique et réligieuse elles absorbent l'individu, elles rentrent sans effort dan s les cadres d'une science qui est passée de mode, mais qui mérite d'être relevée et que son nom seul a pu faire condamner la psychologie ethnique.

On n'a plus le droit, nous dit-on, de parler de races à propos de groupements nationaux comme la France, l'Angleterre, l'Espagne, les Etats-Unis, etc. 11 importe de substituer à la notion de race quelque chose de plus souple, de plus complexe, de plus nuancé, et qui soit fondé, non plus sûr l'unité de sang, mais sur des circonstances de « cohésion », nées de la géographie et de l'histoire. Nous l'admettons. Mais ce qui est vrai de nos sociétés ne l'est pas nécessairement de sociétés africaines ou asiatiques; tous les groupements humains ne marchent


pas du même pas, la face de la terre est variée, et les conditions naturelles règnent diversement sur les êtres il a survécu jusqu'ici, il survivra longtemps encore, selon toute vraisemblance, une race peul, par exemple, ou une race bambara. Races séparées des voisines par des caractères physiques parfaitement nets, perceptibles au premier coup d'œil, et par un abîme de tendances morales, de coutumes, d'institutions. Races foncièrement hostiles les unes aux autres, isolées dans leur orgueil, et que seule la poigne européenne apaise et rapproche depuis quelque temps.

Ces races qui peuplent les colonies, nous commençons à en connaître assez bien l'organisation sociale et politique, les concepts religieux, les genres de vie. Depuis les débuts de l'exploration, les coloniaux ont publié làdessus des travaux abondants et dont plusieurs sont d'un d'un rare mérite des institutions, dans les colonies mêmes ou dans les métropoles (par exemple, l'Institut d'Ethnologie qui vient de se fonder à FUniversitéde Paris sous la direction de M. Lévy-Brühl), se sont donné pour mission de régulariser et de renforcer ce beau courant de recherches. Mais il est clair qu'on s'arrête, sans l'avouer, au seuil de la difficulté principale et de la question la plus intéressante on court à l'ethnographie, on évite la psychologie ethnique.

Essayez de vous documenter sur une race quelconque, sur une grande race de l'Afrique tropicale, par exemple. Cherchez à savoir ce qu'elle pense et surtout comment elle pense. Sauf pour deux' ou trois, qui ont trouvé par hasard leur prospecteur, vous ne mettrez pas la main sur une étude un peu complète et précise, sur une étude qui permette une explication psychologique des faits courants et offre par là une valeur pratique.


C'est dommage.

C'est dommage, parce que la moindre des indications de cette nature, quand elle pénètre dans l'histoire, y apporte une lumière vive et toute nouvelle.

Je n'en veux pour preuve que quelques ouvrages d'un géographe, trop intelligent pour rester enfermé dans son compartiment géographique, E-F. Gautier, qui, en utilisant simplement son expérience des hommes, a enrichi de vraies découvertes l'histoire de l'Algérie et de ses confins sahariens.

Lisez, si vous ne l'avez lu, ou relisez car c'est un livre qui supporte des épreuves répétées cet ouvrage de format modeste, La Conquête du Sahara. Il déclare franchement son inspiration, puisqu'il porte en soustitre « Essai de psychologie politique » pourtant c'est bel et bien de l'histoire, et de la meilleure, de l'histoire qui ne se contente pas de juxtaposer des faits, d'étaler des pièces détachées, mais qui va chercher les petits ressorts cachés et les fait jouer pour la joie et le profit du spectateur.

Comment, sans faire appel à ce qu'il sait de la psychologie du colonial, E-F. Gautier serait-il parvenu à établir de façon si péremptoire ce qu'il appelle assez plaisamment « le phagédénisme de notre empire ? Comment aurait-il eu l'idée de substituer, aux grands exposés synthétiques qu'étaie'une logique historique toute de convention, ces séries capricieuses d'événements, ces arrêts et ces départs dus à la « neurasthénie d'un officier supérieur», à « l'espiéglerie» d'un ou deux « particuliers », à toutes sortes d'initiatives individuelles, à des « nez de


Cléôpâtre», qui échappent aux historiens ordinaires, rétablissent les mouvements du passé dans leur vérité humaine et peuvent vraiment éclairer les routes de l'avenir ? P

Un exemple spécial à l'âme indigène? Prenez cet autre petit livre, si savoureux, du même auteur, L'Algérie et la métropole. Parcourez, entre autres chapitres pleinsd'enseignements, le premier, qui s'intitule Une enquête aux grottes du Dahra en 1913. Vous y trouverez l'analyse d'un fait, tout psychologique, qui explique en grande partie la solidité de notre œuvre algérienne l'endurcissement des Berbères d'Algérie par quatre cents ans de régime turc, la prédominance, dans les sociétés orientales, d' «âmes calleuses qui ne souffrent pas », l' « anesthésie » relative de groupements pour qui la vie humaine ne compte guère et qui, depuis toujours, vivent sous le sabre.

Nous pourrions multiplier les exemples, car il est clair qu'E-F. Gautier, sans avoir l'air d'y toucher, s'est spécialement attaché à ce réajustement des forces historiques, au moins pour le domaine qu'il connaît de longue date. Mais il est de ceux qu'on ne résume pas, et, par ailleurs, les observations nuancées qui font le prix de ses travaux, ces remarques par petites touches, cette argumentation à coups de pouce, tout cela perd la meilleure part de sa valeur démonstrative, quand on le ramasse en quelques mots hâtifs. Il faut donc lire tranquillement ces pages mûries, ces pages d'un Saharien qui s'est donné le temps de regarder et de penser.

Au demeurant, il n'est pas sûr qu'on soit converti d'emblée. Aux yeux de maint critique, la manière d'E-F. Gautier parait aventureuse et le mot a été prononcé plusieurs fois « paradoxale ». Elle trouble les habitudes


d'esprit. Elle interdit ces reconstructions harmonieuses du passé, ces assemblages d'intentions et d'actions bien concertées, que nous concevons comme la forme supérieure de l'histoire et où nous cherchons comme une revanche comme une réparation de nos incohérences et de nos contradictions courantes. Elle démolit les lois simples qui prétendent limiter ou même supprimer le rôle du hasard, qui visent à calmer notre angoisse d'être ballottés, mais qui s'accommodent mal de la diversité humaine.

Elle suppose aussi, cette manière ou cette méthode, une expérience de la vie coloniale qui ne s'improvise pas. Elle exige, .sinon des séjours prolongés en terres lointaines, au moins des rapports étroits entre coloniaux et historiens, une éducation des uns parlesautrcs, des recherches de psychologie ethnique préparatoires à l'histoire coloniale, etc. C'est dire que, d'ici longtemps, les actions et les réactions des Fangs ou des Moïs seront pesées avec les mêmes poids et dans les mêmes balances que celles des Européens du xx°" siècle.

« Childéric, écrivait le bon vieil abbé Velly, fut un prince à grandes aventures. C'était l'homme le mieux fait de son royaume il avait de l'esprit, du courage mais, né avec un cœur tendre, il s'abandonnait trop à l'amour ce fut la cause de sa perte ». Continuerons-nous à écrire l'histoire coloniale à la manière de Vclly ou d'Anquetil ?

Ce sont peut-être les romanciers qui nous tireront de l'ornière. C'était déjà Chateaubriand qui avait ouvert la route aux puissants historiens du xixra° siècle.

Nombreux, brillants et solides sont aujourd'hui les


écrivains « d'imagination » qui font évoluer leurs personnages dans le cadre des colonies. On ne peut songera les citer tous. Retenons simplement, à titre d'exemples et sans essai de classement, des étrangers comme Kipling et Conrad, des Français comme Pierre Mille, Jérôme et Jean Tharaud, Marius-Ary Leblond, Robert Randau, Jean Ajalbert, Nolly, André Demaison, Le Glay, Jeand'Esme, Elissa Rhaïs, Paul Reboux, Francis Bœuf, Renel et, parmi les plus récentes conversions, Georges Duhamel, avec son délicat et savoureux Prince Jaffar.

Ce sont là des tempéraments forts divers, et chacun d'entre eux, même d'un point de vue purement colonial, demanderait une étude spéciale mais il est incontestable qu'ils présentent un ensemble de tendances communes et bien nettes. Ils ont, chacun pour leur part, contribué à renouveler ce qu'on appelait le roman « exotique ». A la suite de Loti, de qui l'art charmant et secret était plus complet qu'on ne pense et qui, selon la remarque de Jules Lemaitre, est parvenu, en plus d'une rencontre, à pénétrer le mystère des races, ils tendent à nous communiquer avant tout le sentiment des différences morales leurs romans sont des études généralement exactes et précises de psychologie coloniale et ethnique. Leur principal souci n'est plus de promener, de dépayser, d'enchanter ou d'étonner les yeux, mais de faire comprendre des âmes étrangères ou transformées, de rompre l'uniformité conventionnelle du type humain, de nous mettre en garde contre les raisonnements par analogie. Ils sont, pour la plupart, 1res lus, même parle grand public, et ce qu'ou appelle « la propagande coloniale » leur devra beaucoup. Il est vrai qu'on ne les suit pas toujours jusqu'au bout on nedécouvre pas nécessairement, sans être prévenu, le fond de leurs intentions on demeure


sous le poids du vieux proverbe « A beau mentir qui vient de loin », et l'on ne se libère pas aisément de la tyrannie invétérée et séduisante de l'homme universel. Mais leur œuvre fait son chemin, sème le doute, intéresse par sa nouveauté, bénéficie de la sympathie que provoque ordinairement l'étrangeté. Grâce à leurs efforts, les Français de France, un beau jour, sauront distinguer un Soudanais d'un Algérien.

Ce jour-là, l'histoire coloniale, si elle n'a pas suivi le mouvement, se trouvera dans une position bien fausse. On lui demandera où elle a pris ce bâtis chétif, ces vieux ressorts exténués, toute cette machinerie de fond de boutique importée d'Europe. On s'étonnera de la voir assembler, par les artifices d'un jeu de patience, les noms de tribus ou de peuplades, sans songer à marquer les tendances profondes et le rôle original de chacune d'elles. On lui reprochera d'être passée auprès de la vie sans la reconnaître.

Loin de nous la pensée de diminuer le mérite et l'importance des besognes considérables accomplies jusqu'ici par l'histoire coloniale.

L'histoire coloniale, tard venue dans la famille, traitée de haut par ses sœurs, peu encouragée, mal récompensée, en marge des cadres officiels, a, en un simple quart de siècle, déblayé un terrain singulièrement encombré. Elle a produit des mises au point remarquables elle a mis au jour des « suites d'empires dont on ne soupçonnait guère l'existence ni surtout l'intérêt elle a, d'une. main ferme, tracé aux chercheurs de nouveaux champs d'action, et la vitalité d'une Revue comme celle-ci est un suffisant témoignage de ses efforts et de son succès.


Mais il semble, à maint indice, que le moment soit venu pour elle de réviser ses méthodes, d'étendre son rayonnement, de se renouveler. Elle n'a atteint qu'un des buts de son action la mise en place des événements. On attend d'elle qu'elle rende ces événements intelligibles, qu'elle établisse méthodiquement la liaison entre l'histoire indigène et l'histoire européenne et que, du même coup, elle complète notre connaissance du monde humain.

Car ce qu'on appelle l'ignorance coloniale, et qui n'est pas une vaine expression, est tout autre chose, en somme, qu'une lacune dans nos représentations géographiques. Qu'un Français ne sache pas au juste quelles sont les colonies qui s'échelonnent sur la côte occidentale d'Afrique, ce n'est pas très grave et c'est vite réparable qu'il ignore les limites approximatives et les caractères essentiels de la zone équatoriale, c'est déjà plus fâcheux; mais qu'il prenne spontanément du noir pour du blanc, qu'il juge légitime et même indispensable d'appliquer nos constitutions et nos codes à de braves gens qui n'en ont pas besoin et qui n'en veulent pas, voilà qui est tout à fait inquiétant, et voilà, cependant, qui est tout à fait courant. L'histoire coloniale ne peut donc échapper à de fortes responsabilités. Elle est, elle doit être, selon la prétention si louable des vieux historiens, une a institutrice » des peuples, une éducatrice du sens colonial, et il est assez clair que, pour tenir ce rôle, il lui faut rechercher et utiliser régulièrement toutes les ressources de la psychologie et particulièrement de la psychologie ethnique. Parlà même, elle évitera qu'un fossé ne se creuse entre elle et le public et que son influence n'y sombre. Le public, même cultivé, veut une histoire vivante, et la vie, c'est l'âme. Quand des amis accueillent un colonial et


l'accablent de questions, ils aboutissent toujours, après l'interrogatoire traditionnel sur legenre d'alimentation, la fièvre et les fauves, à lui demander « Mais, enfin, qu'est-ce qu'ils pensent, ces gens-là?». Ce qu' « ils » pensent, comment « ils » pensent tout est là, en effet, et c'est ce que nous disons le moins, peut-être parce que nous le savons mal, certainement parce que nous ne le cherchons pas assez, plus certainement encore parce que nous n'osons pas le dire.

Georges HARDY.


LES JESUITES EN ACADIE

I. Les débuts à PoH-Royalet à Suint-Sauveur. L'Acadie, étant la première des colonies françaises, fut le premier champ d'apostolat des Jésuites en Amérique. A vrai dire, trois prêtres séculiers les y avaient précédés dès la première exploration, en i6o4, un jeune prêtre de Paris, l'abbé Nicolas Aubry, qui faillit périr, égaré, dans les forêts vierges de la Baie Sainte-Marie un autre dont le nom n'est pas cité, mais dont le zèle catholique et la mort prématurée en Acadie sont mentionnés par Champlain puis, en 1610, l'abbé Jessé Fléché, de Lantages (diocèse de Langres), qui, agréé par le nonce Ubaldini, prit pour interprète le fils même du fondateur de PortRoyal, le jeune Charles de Biencourt, et put ainsi, hâtivement, il est vrai, baptiser le 20 juin le vieux « sagamo » des Micmacs Membertou et vingt des siens, puis $0 à 80 autres sauvages. Mais ces trois missionnaires ne firent que passer, au grand regret de Me Lescarbot, qui, du mieux qu'il put, supplia le dernier de rester encore. Sous l'influence de son confesseur, le P. Coton, Henri IV n'avait, en 1608, accordé au sieur de Poutrincourt le droit de coloniser Port-Royal d'Acadie qu'à condition qu'il y emmènerait des religieux de la Compagnie de Jésus ils ne seraient nullement à sa -charge, promettait-il car le trésor royal les pourvoirait d'une somme de


5oo écus. Aussitôt furent désignés pour cette mission le P. Pierre Biard, qui, né à Grenoble, en 1567, « homme fort sçavant », « dont la vertu égalait le talent », enseignaitalors la théologie au noviciat de Lyon, et le P. Ennemond Massé, qui, né ù Lyon en i5y4, y avait été son collègue et se trouvait depuis à Paris auxiliaire (socius) du P. Coton. Tous deux, dès octobre 1608, se rendirent à Bordeaux où Poutrincourt appareillait pour l'Acadie mais celui-ci, prétextant un voyage d'essai, ne les embarqua pas si bien qu'en i6og le P. Coton songea à les faire passer sur l'un des nombreux bateaux de cette ville qui déjà trafiquaient en Acadie. L'un et l'autreprojet échouant, l'œuvre missionnaire des Jésuites en Amérique se trouva malgré leur zèle retardée.

En 1610, nouvelles difficultés. A Dieppe, deux armateurs calvinistes, dont le père du futur amiral Duquesne, refusent de laisser embarquer sur la Grâcede-Diea (60 tonneaux, 36 passagers), en partie ravitaillée à leurs frais, les deux Pères, pourtant munis de lettres de recommandation du jeune roi et de la reine régente en date du 7 octobre 16 10. Qu'à cela ne tienne Encouragée par Marie de Médicis, sa première dame d'honneur, la vertueuse Antoinette de Pons, marquise de Guercheville, « sollicite les aumosnes des Grands, des Princes et de toute la Cour ». Au viatique de 5oo écus déjà donné par la Reine s'ajoutent 4.000 livres qui permettent de racheter les parts des deux associés calvinistes. Nos deux Pères» se trouvant ainsi pourvus du contrat d'association de la marquise avec le fils de Poutrincourt (20 janvier 19 n), deviennent « maistres de la moitié du navire » (soit 3.800 livres) et partenaires en cette entreprise coloniale e d'A cad ie.

Sous la conduite du jeune Biencourt, qui, à peine âgé


de vingt ans, n'en est pas moins « fort accompli et expert en la marine » et même promu « vice-amiral ès mers du Ponant », la Grâce de Dieu lève l'ancre le 26 janvier, échappe à un naufrage aux Esquillons (Needles) de l'Ile de Wight; et, après une très longue et très dangereuse traversée d'hiver qui ne laissa de « repos ni jour ni nuit », évitant des montagnes et des mers de glace aux « Açores (sic ) du Grand Banc », elle atterrit le 5 mai à Campseau où les Pères dirent la messe en présence de sauvages baptisés qui leur font fête, et entre enfin le jour de la Pentecôte (22 mai) dans le superbe bassin de Port-Royal. Grande joie de part et d'autre les matelots alarmés et épuisés avaient menacé d'une mutinerie les colons, mourant de faim, songeaient au retour. « Nous pleurâmes tous au rencontre.» » Tout va bien au début. M. de Poutrincourt se montre « seigneur vraiment libéral et magnanime » il est « doux, équitable, vaillant, amé et expert mente en ces quartiers » M. de Biencourt, « imitateur de ses vertus et belles qualités », est, lui aussi, « doux et humain de grande vertu et fort recommandable » « tous deux, zélés au service de Dieu, dit le P. Biard, nous honorent et chérissent plus que nous le méritons ». « M. de Poutrincourt nous aime et estime en proportion de sa piété ». Mais, laissant dixhuit hommes, son fils et les deux Pères, il retourne en France dès le mois de juillet car son entreprise, insuffisamment ravitaillée par la tardive Grâce de Dieu, a grand besoin de secours de toute nature. « Quand je devrais venir tout seul avec ma famille, avait dit l'énergique colonisateur, je ne quitterais pas la partie. »

Cependant, le P. Biard accompagne Biencourt en une première croisière de douze jours à la rivière Saint-Jean on la remonte six lieues en amont jusqu'à l'île d'Ennemie (Pierre Blanche) où trois navires malouins du capi-


taine Merveille trafiquaient indûment avec les sauvages de cette région appelés Etchemins. Par « sa bonté et pru dence », le jeune « vice-amiral » empêche ses gens furieux d'entrer en conffit avec lesdits Malouins qui voulaient à main armée défendre toutes leurs prises ils reconnaissent son autorité et lui vendent quelques « nécessités » De son côté, le P. Biard se concilie le jeune Robert du Pont-Gravé qui, échappé à l'autorité du gouverneur, vivait là depuis un an, tout « effarouché » il l'amène à se confesser et à communier en présence des sauvages grandement édifiés il songe même à se fixer en cette région, afin d'apprendre le « sauvageois » avec le jeune Pont-Gravé fort expert en cette langue. En sa seconde croisière d'un mois et demi, Biencourt emmène le P. Biard vers le Sud tout le long de la côte continentale si pittoresque et si déchiquetée. A Sainte-Croix, près de la première « habitation » française en ces lieux, on trouve le capitaine Plastrier, de Honfleur, que les Anglais, se prétendant maîtres du pays, avaient capturé, puis relâché contre rançon il reconnaît à Biencourt le droit du « quint » sur ses marchandises. Venus dès 1608 et 1609 pour s'établir et trafiquer à l'embouchure du Kinebiqui, les Anglais n'osaient plus qu'y pêcher depuis que les sauvages, qui les détestaient, leur avaient tué onze hommes et un capitaine. Pour plus de sûreté, notre « vice-amiral prend, à huit lieues en amont, possession de l'île d'Emmetenic où il dresse une grande croix aux armes de France. Se mêlant hardiment aux sauvages, le P. Biard prie dans la grande cabane du sagamo Meteourmite, visite les pauvres malades abandonnés et distribue à bon escient croix bénites et autres images pieuses. Avant de rentrer à Port-Royal, il admire à Pentagouët, où se trouvaient quatre-vingts canots de sauvages, une fort belle rivière de trois lieues de large


qu'il compare à notre Garonne vue par lui trois ans plus tôt. En une troisième croisière (fin août 1612) aux Baies des Mines et de Chinectou, le P. Biard constate une fois de plus que « tout le pays n'est qu'une perpétuelle forêt qui n'a d'ouvert que les marges de la mer, les lacs et les rivières où les flux débordants causent des prairies », mais que ces prairies « fort belles, à perte de vue », promettent une grande fertilité, dès qu'elles seront cultivées. Au retour de ces croisières la dure mission religieuse qui l'avait amené en ces barbares régions attendait notre Père jésuite, mission bien plus difficile que ne l'avaient cru les docteurs en Sorbonne, si sévères pour les hâtives conversions du premier catéchiste.

« Messire Jessé Fléché, dit le P. Biard, a en un an baptisé quelque cent sauvages. Le mal a été qu'il ne les a pu instruire, comme il eût bien désiré, faute de sça voir la langue. Nous résolumes dès notre arrivée de ne baptiser aucun adulte, sans qu'il fût bien catéchisé. Or, catéchiser ne pouvons, avant de sçavoir la langue ». La connaissance même de cette langue était-elle, à elle seule, suffisante ? « M. deBiencourt, quientend le sauvage le mieux de ceux qui sont icy, prend chaque jour beaucoup de peine à nous servir de truchement. Mais, ne scay comment, aussitôt qu'on vient à traiter de Dieu, il se sent l'esprit estonné, le gosier tari et la langue nouée. [.Mes interprètes, dira bientôt le Père, ne disent pas la moitié de ce que je veux]. La cause est d'autant que ces sauvages n'ont point de religion formée, point d'art, [ni lettres] et, par conséquent, les mots leur défaillent des choses qu'ils n'ont jamais vues ni appréhendées. Comme rudes et incultes qu'ils sont, ils ont toutes leurs conceptions attachées aux sens et à la matière rien d'abstraict, interne, spirituel ou distinct. Bon, fort, rouge, noir, grand, dur, ils le vous diront en leur patois bonté, force, rougeur, noircissure, ils ne savent ce que c'est. Et, pour toutes les vertus que vous leur sauriez dire sagesse, fidélité, justice, miséricorde, recognisance, piété et autres, tout n'est sinon i 'heureux, tendre amour, bon cœur». « On n'a pu jusques à


maintenant traduire en langue du pays la croyance commune ou symbole, l'oraison de Notre-Seigneur, les commandements de Dieu, les Sacrements et autres chefs totalement nécessaires à faire un chrétien ». « Cette misérable nation demeure toujours en une perpétuelle enfance de langue et de raison. Il est évident que, là où la parolle, messagère etdispensière de l'esprit, est totalement rude, pauvre et confuse, il est impossible que l'esprit, et raison soient beaucoup polis, abondans et en ordre. » C'était donc toute une éducation nouvelle à donner à ces grands enfants de la forêt, en même temps que tout un vocabulaire abstrait à créer en cette dimcile langue des Peaux Rouges dont la nature agglutinante ne s'y prête guère.

Pour créer avec les grossiers vocables d'un dialecte algonquin les expressions délicates et subtiles d'une religion supérieure, nos missionnaires durent se mettre humblement à l'école de leurs ouailles sauvages. Le P. Biard s'attacha un jeune Souriquois qui lui sembla plus intelligent que les autres mais ce n'était pas petite affaire que de fixer son attention vite distraite, que de faire pénétrer en sa fruste cervelle la moindre notion abstraite. Le savant écolier avait beau mettre devant le maître inculte le plat bien remply et la serviette dessous », il avait beau « faire mille gesticulations et chimagrées pour exprimer ses conceptions et ainsi tirer de lui quelques noms de choses qui ne se peuvent montrer aux sens, comme oublier, se ressouvenir, douter » il avait beau « faire le bateleur tout un après-dîner ou « se rompre le cerveau à force de demandes et de recherches », il s'apercevait, « après plusieurs enquestes », « qu'il avait pris le phantôme pour le corps ou l'ombre pour le solide », ou bien, pis encore, qu'il avait été « trompé et mocqué » par le jeune drôle, lequel ne lui avait enseigné que « paroles


grotesques et mots indécents » qu'il s'en allait ensuite « preschottant pour belles sentences d'Evangile n. Et puis, quand les vivres vinrent à manquer, adieu le petit magister improvisé et son piètre enseignement Le P. Massé osa davantage afin de mieux connaître les mœurs des sauvages, en même temps que leur langage, il se risqua hardiment à vivre leur vie en compagnie du fils, Louis, du sagamo Membertou. « Dur noviciat car cette vie est sans ordre et sans ordinaire, sans pain, sans sel et souvent avec rien toujours en courses et changements, au vent, à l'air et mauvais temps pour toict, une méchante cabane pour reposoir, la terre pour repos, les chants et les cris odieux pour remèdes, la faim et le travail ». Le P. Massé avait beau être ascète, à ce dur métier sa robuste constitution s'épuisa après plusieurs mois de surmenage et de privations, il rentra à Port-Royal fort mal en point, mais « heureux d'avoir mis au Paradis quelques âmes d'adultes mourants et d'enfants » Ces tentatives ardues ne furent pas, toutefois, sans résultat. Non seulement nos deux Pères s'initièrent assez à la langue indigène pour écrire, dès la fin de 1612, un petit catéchisme en « sauvageois » mais ils apprirent à mieux connaître les sauvages eux-mêmes. Ils constatèrent que ces « enfants de la nature » n'étaient pas seulement, comme s'acharneront à le répéter les rêveurs béats du siècle suivant, « naïfs et ignorants », mais, en outre, « vicieux », « sans police ni bonnes mœurs », (! extrême- ment paresseux, gourmans, trattres, cruels en vengeance », « assommant leurs femmes [qui pourtant soutiennent tout le faix et fatigue de leur vie] et puis les abandonnant à autrui », et, par-dessus le marché, « extrêmement glorieux, s'estimant plus vaillants, plus ingénieux et meilleurs que nous ». Ainsi envisagée en sa triste réalité,


l'oeuvre d'apostolat apparaissait surhumaine. Foin donc des hâtives conversions espérées, des baptêmes prématurés 1 « Des cinq chrétiens du Port Saint-Jean, dit le P. Biard, aucun ne sçait son nom de baptême le sagamo Cacagous, baptisé à Bayonne, a huit femmes dont il se montre très fier. » D'autres « ne savent faire le signe de la croix, croient toujours aux sorcelleries, se moquent des cérémonies religieuses », la plupart n'ont « pris le baptême que par amitié des Normands », c'est-à-dire des Français. En somme, « même sauvagine, mêmes mœurs, mêmes façons et vices, aucune distinction de jours, offices, prières, devoirs, vertus ou remèdes spirituels ». Aussi, en leurs légitimes scrupules, nos deux Jésuites ne baptisèrent-ils que des « adultes en extrême nécessité et des enfants « avec le gré de leurs parents et sous la caution des parrains ». Seul, le vieux sagamo de Port-Royal, Membertou, se montra plus sincère et plus zélé, parce qu'il était naturellement plus intelligent et plus vertueux. Il n'eut jamais qu'une femme. Il consentit à ce que son fils, malade, fût arraché aux tabagies de la mort et confié aux Pères Jésuites qui le guérirent, « Apprends vitement notre langue, disait au P. Biard cet ardent néophyte car, aussitôt que tu la sauras et m'auras bien enseigné, je veux estre prescheur comme toy ». Quand vint pour lui l'heure de la mort, il se laissa coucher sur le lit du P. Massé, s'y confessa, reçut l'Extrême-Onction et, après quelque hésitation, accepta que son corps fût enterré dans la terre sainte du cimetière. Il fut donc de tous les sauvages d'Amérique le premier qui mourut consciemment et consciencieusement en chrétien (18 septembre 1611). Ainsi, à la longue, nos Pères reconnurent que « le naturel des sauvages, [en cette région du moins], est de soy libéral et point malicieux », qu'ils ont « l'esprit assez gaillard


et net quant à l'estime et jugement des choses sensibles et communes » « qu'ils déduisent fort gentiment leurs raisons, en y mêlant de jolies similitudes », qu'en somme ils n'étaient dénués ni d'intelligence ni même de finesse. Bien mieux, ils constatèrent qu'au seul contact d'un peuple civilisé, bienveillant, religieux, ils se civilisaient euxmêmes sous la seule influence du bon exemple. « N'est-ce pas quelque chose de grand, déclare le P. Biard, que cette race brutale, soupçonneuse, nous soit déjà conciliée, qu'elle nous recherche, nous offre des provisions annuelles, veuille nous retenir près d'elle, vienne à nos missions de plein gré, avec confiance, avec vénération ? » Oui, cette sympathie spontanée pour les Français, si différente de l'antipathie non moins spontanée à l'égard des Anglais, était riche de promesses.

Par malheur, la colonie végétait, faute d'argent. Poutrincourt avait beau être habile, actif, énergique il manquait du nerf de la guerre. « C'est une grande folie à de petits compagnons que de s'imaginer des baronnies et je ne sais quels grands fiefs et tènements en ces terres pour trois ou quatre mille écus qu'ils auront à y foncer. Le pis serait quand cette folle vanité arrive à des gens qui fuient la ruine de leurs maisons en France ». Non, ce n'était pas une folle vanité qui poussait notre peu fortuné gentilhomme à venir en Acadie « établir sa famille et sa fortune n, mais « une très belle et très honorable ambition » d'y « jeter les fondements d'un royaume nouveau et d'y établir la Foy chrétienne ». Or, comme il fallait à « cet homme de résolution » « aide et rapport » Poutrincourt dut. avons-nous dit, dès le i juillet 1611, repartir pour la France, ne laissant à Port-Royal que vingt personnes avec les deux Jésuites et son fils, nommé gouverneur par intérim. Malheureusement, en ces temps de


troubles, les marchands de Dieppe et du Havre refusent leur concours au pauvre gentilhomme aux abois, et la marquise de Guercheville ne lui accorde « mille écus pour la cargaison d'un navire » qu'à condition que « elle entre en partage et des profits que ledit navire apporterait du pays et des terres que Sa Majesté avait accordées au sieur de Poutrincourt ». Celui-ci consent au partage des profits, mais refuse le partage des terres. Alors la marquise obtint du sieur de Monts, avec consentement du roi, la cession de tous ses droits sur les terres de l'Acadie depuis la Floride jusqu'à la rivière de Saint-Laurent, sauf naturellement Port-Royal et les terres contingentes qui constituent le domaine légitime de Poutrincourt. Dans ces conditions part de Dieppe, en novembre 1611, un navire que commande le capitaine Nicolas Labbé Madame de Guercheville y a engagé ses 1.000 écus dont 4oo sont attribués à Poutrincourt un coadjuteur laïc, le Frère Gilbert du Thet, y veille aux intérêts de la bailleuse de fonds un tavernier de Paris, Simon Imbert Sandrier, à ceux du gouverneur fatalement une fâcheuse mésentente règna dès le début entre ces deux représentants d'intérêts en conflit.

La querelle ne fit que s'aggraver dès l'arrivée à PortRoyal (24 janvier 1912) où pourtant le précieux ravitaillement n'arrivait pas un jour trop tôt. On y mourait de froid et de faim. En ce rude climat où l'hiver sévit de la fin de novembre à la fin de février avec de fréquentes chutes de neige dont les couches s'élèvent parfois à un pied et demi. quand pendant huit à dix jours souille du nord-ouest le glacial vent de Galerne, on grelottait sous « les hardes toutes frippées » en de « misérables » cabanes ouvertes en plusieurs endroits ». sans autre réconfort que « un verre de vin aux bonnes festes » et quelque « peu de


chasse et de gibier » charitablement ollert par les sauvages. Dès novembre, la ration de semaine avait été réduite à dix onces de pain, à une demi-livre de lard, à trois écuellées de pois ou de fèves, à une écuellée de pruneaux. Heureusement les malheureux colons, guidés par les sauvages, découvrirent sous terre d'excellentes racines de chiqueti, c'est-à-dire de topinambours, et finalement se nourrirent de glands. Une chaloupe, ingénieusement façonnée par le P. Massé, aussi « bon scieur d'ais et calfeutreur que « bon architecte », permit d'ajouter la pêche de l'éplan. Mais, pour comble de malheur, la traite fut mauvaise 367 castors seulement et 56 oriniacs. Plus grave encore, une brouille, survenue entre le jeune gouverneur Biencourt et les deux Pères jésuites à propos de la sépulture de Membertou, aboutit dès l'arrivée du navire à une lamentable rupture. Le 29 février, le P. Biard conseille au capitaine Labbé de « commander cette oeuvre de colonisation » le io mars, le P. Massé en recommande « la poursuite » à Madame de Guercheville « en un autre endroit avec de nouvelles forces » car, « ceux qui sont venus s'affaiblissent et ne sont guère loin de sonner la retraite ». Aussi les deux Pères s'embarquent-ils sur le navire de Labbé en partance pour la France mais le vicegouverneur s'oppose à leur départ. La rupture dura jusqu'au 24juin. A cette date Biencourt, réconcilié, autorise le frère du Thet à rentrer en France sur un navire français des Etchemins, et le P. Biard, en une lettre à Poutrincourt, reconnaît que « son digne fils est porté d'un grand zèle à la conversion des sauvages ».

Par malheur, le navire de Labbé, rentrant en France, échoue dans le port de Dieppe « les marchandises-, hardes et effets » de Poutrincourt sont saisis sur ordre de la marquise de Guercheville lui-même, traqué par ses


créanciers, est jeté en prison. Plaintes, calomnies, procès où Poutrincourt perd 760 livres. Le 9 mars i6i3, sentence du Châtelet qui, séparant de biens Poutrincourt et son épouse Claude Pajot (fille d'un bourgeois de Paris),. l'oblige à lui céder, conformément au contrat de mariage, la moitié des terres et seigneuries de Guibermesnil et de Marcilly et à lui restituer la somme de 19.545 livres d'où vente à la criée de la première de ces terres (3 mai i6i4)- Poutrincourt, aux abois, va jusqu'en Suisse chercher des. fonds, puis se retire sur sa terre de Saint-Just qu'il aménage et améliore. Dès août 1612 le P. Coton lui avait fait réclamer les cartes marines du sieur de Monts. Ce pendant, la marquise de Guercheville, de concert avec son mari le duc de Liancourt, décide la création d'une nouvelle colonie française, indépendante de PortRoyal la Reine l'y autorise par une charte en règle. A grands frais est équipé à Honfleur un grand navire de. cent tonneaux, la Fleur-de-May il est abondamment pourvu pour un an de vivres et denrées, sans oublier chèvres ni chevaux. La Reine donne quatre grandes tentes militaires, avec armes, poudre et munitions. A la tête de cette expédition qui compte une quarantaine depersonnes, dont quinze hommes d'équipage, se trouve le capitaine Le Coq, sieur du Saussay, plus connu sous le nom de La Saussaye, secondé par le capitaine Flory et les. lieutenants Lamotte et Ronseré. Le frère du Thet est à bord avec le P. Jacques Quentin qui, originaire d'Abbeville (1572), ancien professeurà Bourges et à Rouen, était alors supérieur du collège d'Eu. Partie le i3 mars, la Fleur-de-May arrive vers la mi-mai à Port-Royal où, des cinq colons présents, les PP. Biard et Massé et leur domestique sont pris à bord, selon les ordres reçus. Ainsi se trouve constitué le conseil des neuf qui va organiser le


nouvel établissement. Sous la direction du P. Biard qui connaît les lieux, on se rend vers la côte continentale du Sud, droit aux Monts Déserts (Penobscot actuel, Maine)où l'on fonde Saint-Sauveur.

Laissons ici la parole, autant que possible, à notre Pèrejésuite dont le récit très précis ne manque ni de charme- descriptif ni d'intérêt dramatique.

« Ce lieu est une jolie colline, écrit le P. Biard, doucement élevée dans la mer et baignée à ses côtés de deux fontaines son aspect est au Midi et à l'Orient quasi à l'embouchure du Pentegoetoù se déchargent plusieurs agréables, commodes et poissonneuses rivières le terrain y est noir. gras et fertile. [La terre y est essartée à vingt ou vingt-cinq arpents, herbue en quelques endroits jusqu'à la hauteur d'un homme]. Le Port et le Hâvre sont des plus beaux qu'on puisse voir et en endroit propre pour commander à toute la coste le Havre spécialement est asseuré comme un estang. Car. outre qu'il est séparé de la grande Ile des Monts Déserts, il l'est encore de certaines petites islettes qui rompent les flots et les vents et fortifient son entrée. Il n'y a flotte de laquelle il ne soit capable, ny si haut navire qui ne puisse s'approcher de terre pour descharger jusques à la hauteur d'un chasble. Sa situation est de 44 degrés et un tiers d'élévation, position moins boréale que celle de Bourdeaux. Or, estans descendus en cedit lieu et y ayant planté la Croix, nous commençâmes à travailler et avec le travail commencèrent aussi nos contestations. La cause estoit d'autant que La Saussaye nostre capitaine s'amusoit bien trop à cultiver la terre, et tous les principaux le pressoient de ne point distraire en cela les ouvriers, ains de vacquer sans respit aux alogemens et fortification, ce qu'il ne vouloit faire. De cette contention en sourdirent des autres, jusques à ce que l'Anglois nous- mit treslous de bon accord.

Les Anglois de Virginie [dont la colonie de Jamestown est distante de a5o lieues] ont accoutumé tous les ans de venir aux Iles Pencoit qui sont à a5 lieues de notre Saint-Sauveur, à celle Od de se pourvoir de moulue pour leur hyver. [Informés de notre présence par un sauvage qui les prit pour des François], des


Anglois qui, [par suite de longs brouillards], estoient en nécessité de vivres et de tout, deschirez, demi nuds et ne questans queproye, s'enquirent diligemment combien grand estoit notre vaisseau, combien nous avions de canons, combien de gens. L'Anglois, dès qu'il nous descouvrit, se prépara au combat 15 juillet i6i3]. Le navire [de t3o tonneaux] arrive à pleines voiles, plus vite qu'un dard, tout pavis de rouge, trois trompettes et deux tambours faisant rage de sonner. Notre pilote, quiestoit allé descouvrir, ne revint pas, mais s'en alla prendre le circuit de l'Isle. La Saussaye demeura à terre et y retint la plupart des hommes. Tant y a qu'à cette occasion on n'avait d'autres gens de défense que dix en tout. Sans avertir, l'Anglois attaque à grands coups de mosquet et de canon. Il avait quatorze pièces d'artillerie et soixante soldats mosquetaires. La première escopeterie fut terrible tout le navire estoit en feu et en fumée. La deuxième estend sur le dos le frère du Thet [qui mourut le lendemain] et blesse le capitaine Flory et trois autres ce qui fit faire signe qu'on se rendoit.

Venu à bord, le capitaine anglois Samuel Argall ouvre secrètement les coffres de La Saussaye et, en ayant retiré les lettres et commissions royales, les referme avec soin puis réclame à la Saussaye lesdites lettres et commissions. Cestuy-ci ne les pouvant bailler, « Vous estez des forbans et pirates trestous, s'écrie Argall en sa feinte indignation et dès lors fist la part du butin aux soldats on despouilla nos gens de leurs vestements mesme. Alors le capitaine anglois, cauteleux qu'il est, offrit des conditions iniques de nos deux chaloupes nous en laisser une pour qu'avec icelle nous allassions où Dieu nous conduiroit. Le P. Biard représenta qu'il estoit impossible que les trente gens qu'ils restoient peussent estre entassés en si petit vaisseau et en iceluy faire cent cinquante lieues et traverser des baies de dix à douze lieues avant que de trouver aucun navire français. Cela estoit manifestement nous jeter à la mort et au désespoir.

Finalement il fust convenu que quinze hommes seraient t emmenés par Argall en Virginie et les quinze autres embarqués dans la chaloupe. De ces quinze derniers estoient le P. Massé, La Saussaye, et deux ou trois mariniers, sans carte ni cognois-


sance des lieux, quelque peu amonitionnés de vivres et autres provisions. Heureusement les bons sauvages [qui leur avoient oflert de les alimenter chez eux tout l'hyver] leur donnèrent force oiseaux et poissons et de tout ce qu'ils avoient avec grande signification de compassion. Heureusement encore ils rejoignirent la chaloupe du pilote qui les espioit, trouvèrent à l'Isle Longue une provision de sel de Biencourt qui leur permit de saler leur poisson et, franchissant la Baie Française sans encombre, rencontrèrent au Cap Fourchu le sagamo Louis Membertou qui leur fist tabagie d'un origniac et à Port Mouton d'autres sauvages encore qui leur donnèrent des galettes de pain et voulurent les retenir. C'estoit le monde renversé les sauvages fournissoient du pain aux François gratuitement. Ce pain sembla de la manne à nos tribulés car de trois semaines ils n'en avoient mangé. Pour comble de souhait, les sauvages leur dirent que non guières loin de là y avoit deux navires françois, l'un à Sésambre, l'autre à Passepec. Ces deux navires estoient malouins l'un d'environ cinquante tonneaux appartenoit au jeune Dupont [GravéJ l'autre de cent s'appeloit le Sauveur, ce qui estoit de bon augure. Chacun de ces deux prist la moitié de toute la troupe. Ceux du petit vaisseau pastirent beaucoup tout leur défailloit. place, vivres, eau, et ils furent horriblement agités de tempestes et contrariétés de temps. Au grand vaisseau, on fust mieux, mesmes que les matelots furent si charitables que de leur propre gré ils retranchèrent leur ordinaire et quittèrent plusieurs bonnes places pour accommoder leurs hostes. Enfin, tous les deux arrivèrent en sauveté à Saint-Malo où ils reçurent bon accueil de Mon Seigneur l'Evesque, de Monsieur le Gouverneur, de Messieurs les Magistrats, marchands et généralement de tous. »

Plus grandes encore furent les tribulations des quinze autres victimes de cette monstrueuse piraterie anglaise où s'associent intimement déloyauté et inhumanité, brutalité et fourberie. Ici la relation du P. Biard se trouve complétée par d'autres récits, tant anglais que français. Ce jeune forban gallois qu'était Argall embarque sur son vaisseau anglais huit des prisonniers, son lieutenant


Turnel les sept autres sur la Fleur de May une barque de six Anglais les accompagne. Argall avait promis de confier ses quinze prisonniers à des navires.anglais de Pencoït qui les ramèneraient en Europe. Non manquant à sa parole, il va droit en Virginie, assurant que ces Français seraient bien accueillis par le gouverneur Thomas Dale qui était un ancien « pensionnaire d'Henri IV. Or, « ce beau mareschal de trempe si françoise ne parla que de harts et de gibets » pour ces prétendus pirates si bien qu'Argall, n'osant tout de même les accuser de son propre crime, dut montrer les lettres patentes qu'il avait dérobées à La Saussaye. Alors le Conseil s'assemble. Disons tout de suite que la Virginie, fondée en 1607 par « des gentilhomme» ruinés, des piliers de taverne, des coureurs de mauvais lieux, des banqueroutiers » (Parkman), « gens plus propres à corrompre qu'à fonder une république » (Bancroft), n'en comptait pas moins 3.ooo habitants, presque tous protestants fanatiques. Comme la concession d'Henri IV au Sieur de Monts en date de i 603 s'étendait du 40° au 46°, ce n'était que par un abus de pouvoir qu'en 1606 Jacques Ier avait porté du 38° au 45° la concession de la Compagnie de Plymouth, d'autant qu'en ces limites se trouvaient « des pays déjà occupés par un prince chrétien et habités par un peuple chrétien Il et non une région eulloribus vacua. Mais qu'importe à cette tourbe d'émigrants sans aveu le droit des gens et les crimes de lèse-humanité ? Le Conseil de Jamestown décide qu'avec ses trois navires Argall « retournera en Nouvelle France, pillera et rasera toutes les forteresses et habitations des Français jusqu'au Cap Breton, c'est-à-dire jusqu'au 46° degré et demi, [abus de plus en plus criantj, pillera tous les vaisseaux et fera pendre La Saussaye et tous ceux de ses gens qui se trou-


veront encore là ». Or, on était toujours en pleine paix. Muni de si beaux pouvoirs et de si honnêtes instructions, Argall repart en octobre, laissant à Jamestown sept Français, dont trois moururent et quatre restèrent, et emmenant à son bord les P. P. Biard et Quentin, le capitaine Flory et cinq autres. A Saint-Sauveur, l'implacable corsaire, « déçu de ne pas trouver La Saussaye, dit le P. Biard, brûle nos fortifications et abat nos croix». A Sainte-Croix, il incendie les restes de l'habitation du Sieur de Monts et o détruit toutes les marques du nom et dudroictde la France ». Puis il met le cap vers Port Royal A

même.

En dépit de tous les pièges et de tous les obstacles qui l'avaient entravé, Poutrincourt, parti de Dieppe le i5 Avril et passant par la Rochelle, avait en mai i6i3 ravitaillé sa chère colonie défaillante avec une cargaison de 70 tonneaux, puis était reparti en été avec un gros chargement de fourrures. L'espoir devait donc revenir au cœur de Biencourt et de ses vaillants compagnons, lorsque soudain, fin octobre, les trois navires anglais surgissent devant la place presque déserte. Biencourt était en course avec les sauvages, et les laboureurs se livraient paisiblement à leurs travaux en amont de la rivière Sans coup férir, le lâche pirate s'empare « d'un assez beau butin de vivres, hardes et utensiles des habitans, de tout ce qui lui estoit commode, jusques aux ais, verroils, ferrures et cloux. Puis il met le feu partout. En une heure ou deux, on vit réduire en cendres le travail et dépenses de plusieurs années et personnes de mérite. Les Anglois effacent partout tous monuments et indices de la puissance françoise, jusqu'à faire user du pic et ciseau sur une grosse et massive pierre en laquelle estoient taillés les noms du Sieur de Monts et autres capitaines avec les tleurs de lys».


Voyant leurs forfaits impunis, les forbans osent encore davantage ils remontent jusqu'à une lieue de là pour s'emparer des pourceaux alors à la glandée, puis plus loin encore pour capturer chevaux, juments et poulains au pacage. Alors, ajoutant l'impudence à l'audace, ils proposent aux colons ruinés d'abandonner Biencourt à la faim, au froid, à la mort et de s'enfuir avec eux en Virginie. Les colons refusent avec fureur. Biencourt survient. Argall refuse toute explication, toute réparation. Le 9 novembre, il met impunément à la voile, abandonnant les Français à leur sort fatal aux approches de l'hiver. Un châtiment partiel attendait ces odieux flibustiers. Au sortir de la Baie Française, une formidable tempête e coule la barque et sépare les deux autres navires. En trois semaines Argall est ramené en Virginie mais les vents entraînent en pleine Atlantique la malheureuse Fleur-deMay avec les deux Pères jésuites. On manque bientôt de tout, même d'eau fétide on tue les chevaux pour vivre, et voilà qu'à l'horizon surgissent les Açores nos Anglais protestants tremblent d'y être dûment pendus par les Portugais catholiques pour leur abominable piraterie, et, par-dessus le marché, comme « voleurs des prêtres ». « Père Biard, supplie alors le capitaine Turnel, Dieu est courroucé contre nous, et non contre vous, parce que nous sommes allés vous faire la guerre, sans vous la dénoncer ce qui est contraire au droict des gens. Tenezvous donc cachés à bord, pendant qu'on fera la visite ». Et, pendant trois semaines que durèrent à Féal (Fayal) les réparations et le ravitaillement, les PP. Biard et Quentin se tinrent fort incommodément cachés tantôt à fond de cale, tantôt sous une barque retournée. Enfin, en janvier i6i4, Turnel arrive à Pembroke en pays de Galles à juste titre, on l'accuse de piraterie sur ce navire français


qui se trouve si étrangement en sa possession. Les Pères Jésuites ont la bonté de le sauver de ce nouveau péril. Sur l'intervention de notre ambassadeur, on les transfère à Sandwich, puis à Douvres, puis à Calais, d'où ils se rendent enfin en leur collège d'/Vmiens après dix mois d'une captivité dramatique.

Informé des tristes événements de Port-Royal, Poutrincourtétait en toute hâte parti dela Rochelle le 31 décembre iGi3;mais il n'arrive en sa colonie dévastée que le 17 mai 1614. Il n'y voit partout que ruine et misère. Depuis la Toussaint ses gens n'avaient vécu que de chasse et de pêche, de racines, d'herbes et de bourgeons mêlés aux sauvages, les uns s'étaient enfuis vers le Canada, les autres erraient dans la presqu'île. Désespéré, il rentre en France avec le fidèle Louis Hébert, dépose une plainte devant l'amirauté de Guyenne (18 juillet i6i4) mais, entraîné dans la guerre civile, il meurt tragiquement au siège de Méry-sur-Seine (5 décembre i6i5). Vainement son fils Biencourt voulut continuer son œuvre avec une poignée de braves abandonné de tous en France, même de la Ville de Paris à laquelle il adressa un émouvant appel, (icr septembre 1618), il meurt prématurément en 1624. Vainement l'amiral de Montmorency, le 18 octobre i6i3, et la Reine, le 12 décembre de la même année, réclamèrent à Londres réparations, dédommagements et délimitations ils ne purent, en ces mauvais jours de la Fronde, obtenir gain de cause. Seule, Madame de Guercheville recouvra sa pauvre Fleur-de-May en piteux état. Ainsi, victime de la mauvaise foi et de la violence anglaises, l'Acadie cessa, jusqu'en i632, d'être terre française.

Est-ce-à-dire que l'oeuvre des Jésuites et des Pontrincourt fût à jamais perdue Nullement Outre l'expérience


acquise des difficultés et des possibilités matérielles, dit P. Biard,

« C'est un grand fruict que la confiance et amitié que les sauvages ont prinse avec les François par la grande familiarité et hantise qu'ils ont eue avec eux. Or, cette confiance et privauté est jà si grande que nous vivons entre eux avec moins de crainte que nous ferions à Paris. Au commencement ils nous fuyoient et craignoient ores ils nous désirent. [Après la victoire des Anglois à Saint-Sauveur, ils vinrent de nuict nous consoler et nous présenter leurs canots pour nous conduire où nous voudrions.] Est-ce peu que d'avoir ce si bon fondement de justice en nos peuplades et ce tant asseuré gage de bon succès ? Et ne faut point estimer que les autres nations ayentcette amitié aussy bien que nous. [Ainsi les Sauvages du Quinebiqui nous disoient qu'ils nous aimoient bien, parce qu'ils savoient que nous ne leur fermions pas nos portes comme les Anglois, .que nous ne les chassions pas de notre table à coups de bâtons, que nous ne les faisions pas mordre par nos chiens.] Outre plus, quoique les Jésuites n'ayent pas baptisé communément lesadultes, si les ont-ils catéchisés tant qu'ils ont peu etparles yeux et par les oreilles. Par les yeux leur faisans voir nos us et cérémonies, et les y accoutumans. Dieu mercy, cela est jà communément gagné qu'ils ne veulent point mourir sans baplême, se croyant estre misérables à jamais s'ils trespassent sans iceluy ou du moins sans une forte volonté d'iceluy et sans douleur de leurs péchés. Nousdressions unenouvellepeuplade C'étoit notre temps des fruicts, et voilà que l'envieux de tout bien. est venu de malice à mettre le feu à nos travaux et nous emporter hors du champ. »

Tout n'était donc perdu qu'en apparence la semence jetée en Acadie par les premiers Jésuites poussera pour d'autres moissons françaises mais ce sera en d'autres terres, au Canada, que les Jésuites récolteront abondamment la leur sur un sol richement fécondé par l'héroïque sang de leurs martyrs.


II. Reprise de l'œuvre missionnaire Golfe de SaintLaurent, rivière Saint-Jean, pays des Abénakis.

Sans la funeste intervention des Anglais, les Jésuites de France auraient donc pu développer leur établissement de Saint-Sauveur en un Paraguay français qui, de concert avec le Canada, aurait fait de l'Amérique du Nord un Nouveau Continent latin et catholique. Mais, frustrés de l'Acadie, il y laissèrent le champ libre aux Franciscains. Dès i6i4> les Etats généraux, surl'initiative de Champlain, fournirent près de i.5oo livres pour l'envoi en Nouvelle France de quatre récollets de la Province de Saint-Denis de même, en 1619. une compagnie marchande de Bordeaux en salaria six de la province d'Aquitaine pour l'Acadie Port-Royal, le Saint-Jean et l'île Miscou mais, de 1628 à i63o, le gouverneur écossais Sir William Alexander les obligea à quitter le pays. Lorsqu'en i63a Richelieu reconstitua l'Acadie, il eut recours à d'autres Franciscains les Capucins. Pouvus d'un septième de l'avoir de la compagnie et organisés en séminaire à Port-Royal, ceux-ci desservirent, outre cette paroisse, les missions acadiennes, du Pentagouët jusqu'à SaintPierre de Canseau, jusqu'à Népisiguit où résidait Nicolas Denis. Seuls quelques récollets restèrent fidèles à Latour, tant au Cap de Sable qu'au Saint-Jean. Le rôle des Capucins fut alors considérable, bien qu'il soit encore assez mal connu mais eux aussi furent chassés par les Anglais en i654. Sous le gouvernement direct de Colbert et de ses successeurs (1 670-1713), et même sous le gouvernement anglais jusqu'en 1755, à part les quelques récollets de Louisbourg, de l'Ile Saint-Jean et d'autres lieux, la


plupart des curés de paroisses et des missionnaires sauvages furent, surtout en Acadie péninsulaire, des des prêtres de Saint-Sulpice, des Missions étrangères et de la Congrégation du Saint-Esprit mais, sur les confins de l'Acadie, tant du côté du Golfe SaintLaurent qu'au-delà du Saint-Jean, les missions furent confiées surtout aux Jésuites dont le rôle redevint important, parfois délicat, souvent périlleux.

A l'entrée du Golfe Saint-Laurent se trouve l'Ile du Cap Breton dont les terres giboyeuses étaient fréquentées par quelques tribus micmacs et les rivages poissonneux par bon nombre de nos voiliers de l'Ouest. En 1629, sur sa côte Nord, fut poussé par la tempête le capitaine Daniel, de Dieppe,' qui venait avec quatre vaisseaux secourir Champlain menacé à Québec par les frères Kerke il se contenta de prendre et de raser le fort écossais du Port aux Baleines (8 septembre), où un lieutenant d'Alexander rançonnait nos terre-neuviers, etd'installeren face, à l'entrée des passes du grand Cibou, une quarantaine de Français avec le P. Barthélemy Vimont. Né en i5g4, professeur, puis procureur à Eu, ce Père devait plus tard devenir supérieur général de la Mission du Canada. Il fut bientôt rejoint là par une autre victime de la tempête, le P. Alexandre de Vieuxpont, qui avait échoué sur les rochers du Sud, à l'entrée du détroit de Canseau. A eux deux ils organisaient une mission pour les pêcheurs et pour les sauvages, lorsque la prise de Québec les chassa. En i63a le P. Daniel (frère du susdit capitaine) et le P. Davost, et surtout en i634 le P. Julien Perrault organisèrent en cette tle la mission de Sainte-Anne sur le même site que leurs prédécesseurs. Mais ce fut surtout à l'entrée de la Baie des Chaleurs, dans l'Ile de Miscou, que les Jésuites accomplirent leurs plus grands efforts. Bien que


cette île, marécageuse et infestée de moustiques, fût malsaine, sa mission de Saint-Charles, bientôt dénommée Saint-Louis, fut un excellent centre pour les dix Pères qui s'y succédèrent de 1635 jusqu'en 1670 de là, en effet, ils pouvaient plus ou moins aisément se rendre auprès des tribus sauvages ou des postes de pêcheurs français, soit au Nord en Gaspésie, soit au Sud à Miramichi, à Richibouctou, au Cap Breton et jusqu'à Chedabouctou. Mais le P. du Marché, bientôt atteint du « mal de terre », dut rentrer en France le P. Turgis mourut (t647) en secourant sa petite colonie gravement éprouvée [9 survivants sur 23 Français) le P. Martin de Lyonne y succomba (t66i), après quinze ans de dévouement le P. André Richard lui donna vingt-quatre années de sa vie. Œuvre ingrate et obscure, mais hautement méritoire. Le grand champ d'apostolat des Jésuites en Acadie fut cette immense région que les Anglais nous contestaient à l'Ouest, du Saint-Jean à la Nouvelle Angleterre. Alors qu'à l'Est 3.ooo à 4 000 Micmacs ou Souriquois erraient dans la péninsule et sur les rivages ou dans les Iles du Golfe Saint-Laurent, environ 5. 000 Etchemins ou Malécites, remontant et descendant la vallée du Saint-Jean, poussaient jusqu'au fleuve du Saint-Laurent et un bien plus grand nombre d'Abénaquis ou Canibas déplaçaient leurs campements entre le Pentagouët ou Penobscot et le Kennebec ou Quinibiqui, dans le Maine actuel.

Dès 1611, avons-nous vu, alors qu'avec Biencourt il avait remonté de six lieues le Saint-Jean, le P. Biard était entré en contact avec les Etchemins. Puis étaient venus des Récollets en 1619 ceux d'Aquitaine certains restèrent avec Latour en son fort de Jemseg jusqu'en i645 plus tard, d'aucuns remontèrent-ils plus loin encore ? En tout cas, la première mission stable sur lehaut Saint-Jean,


à Médoctec, fut fondée en 1701 par le P. Joseph Aubery. Quoique timide, il émouvait les sauvages par la ferveur de son éloquence infatigable, il les suivait partout. Connaissant aussi bien le pays que les langues indigènes, ce Père envoya dès 1 7 1 « une carte des plus exactes » (elle existe encore) et un mémoire des plus précis destinés à fixer les limites de l'Acadie, ainsi que l'exigeait le traité d'Utrecht. « La fixation des limites, insiste-t-il en 1720, est une affaire qu'il est d'une extrême conséquence de régler au plus tôt, si l'on ne veut pas laisser l'Anglais pendant la paix s'étendre, s'avancer, s'établir dans nos terres et par là se rendre maître du Canada entreprise en laquelle il n'a pu réussir pendant la guerre et laquelle lui deviendra d'autant plus facile qu'on ne s'y oppose pas et qu'on ne semble pas s'en apercevoir ». Dès lors, en effet, « l'Anglois établissait plusieurs centaines de familles dans toute l'étendue des terres qui n'ont jamais été reconnues pour l'Acadie par aucun des géographes anglais, hollandais, français, anciens et nouveaux». Mais l'avertissement prophétique du P. Aubery ne fut pas plus entendu de Louis XV que du Régent d'où, en 1755, à propos de cette question envenimée des limites de l'Acadie, la funeste Guerre de Sept Ans qui entraîna la perte du Canada et de presque toute la Nouvelle France. Notons, en passant, que, sous le nom à peine déformé d'Aubry, le savant missionnaire des Malécites est devenu le prototype du héros chrétien dans l'Atala de Châteaubriand et du prêtre de Girodet en son fameux tableau de l'Inhumation. Au P. Aubery succède le P. Jean-Baptiste Loyard qui consacra aux Malécites vingt-deux années de son existence (1709-1731) « au plus profond des bois », (1 dans une église d'écorce », bientôt transformée en un bel édifice, il sut réunir « tous ses sauvages catholiques profondément


attachés à leur religions. Puis vinrent le P. Jean-Pierre Daniélou de 1782 à 17^0 et le P. Charles Germain de 1740 à 1760. Celui-ci descendait de sa mission de Médoctec jusqu'au fort Sainte-Anne, à l'embouchuredu Saint-Jean, où vivaient deux cents Acadiens pendant trois ans, il desservit même la paroisse de Beaubassin dans l'isthme de Shédiac. Très actif, mais « extrêmement prudent et sage », dit l'intendant Hocquart en 1746, ce Luxembourgeois fut « l'âme de la résistance » contre les Anglais, tant au cours de la guerre de la Succession d'Autriche qu'aux jours tragiques du Grand Dérangement ». En relations constantes avec les sauvages, avec les Acadiens et avec les officiers, il fut un si précieux correspondant pour les gouverneurs et les intendants du Canada que, « extrêmement contents de sa conduite », ils demandèrent à Versailles son maintien en ce poste d'avant-garde (1702) en son abnégation, il déclina donc l'honneur d'être promu supérieur général de la mission des jésuites au Canada. Pendant les deux années qui suivirent la déportation, il contint, de concert avec le lieutenant de Boishébert, « quatre cents familles acadiennes qui erraient dans les bois » dit Montcalm, et « les cinq à six cents sauvages qui nous restaient affectionnés en cette partie », où les Anglais eurent tant de peur à prendre pied. Un autre jésuite, le P. de la Brosse, lui vint en aide en 1755 et 1756. Profondément patriote, le P. Germain resta fidèlement attaché aux Canadiens jusqu'en leurs plus sombres jours il mourut à Saint-François du Lacle 5 août 1779- En cette période si critique, le rôle des Jésuites sur le Saint-Jean fut donc aussi utile à la France qu'à la foi catholique.

De toutes les tribus indigènes de l'Est, la plus importante était celle des Abénakis, tant par son nombre que par son territoire ses groupes qui se déplaçaient sans cesse le


long des vallées du Pentagoëtet du Kenebec ou Kinibequi constituaient tour à tour un lien ou un rempart entre les colonies françaises d'Acadie et du Canada d'une part, et les colonies anglaises de la Nouvelle Angleterre et de la Nouvelle York, d'autre part. Sorte de peuple-tampon entre deux civilisations rivales, le peuple abénaki était voué à un écrasement fatal, que ne méritaient ni sa bravoure, ni sa fidélité, ni son intelligence. Dès 1608 et i6og, il avait énergiquement repoussé les Anglais qui s'étaient brutalement installés au Fort George pour l'exploiter et le molester. Il accueillait volontiers, au contraire, des trafiquants français comme le capitaine Plastrier à Sainte- Croix, et des prêtres catholiques comme le P. Biard qui, en 161 t, visita ses groupes sympathiques aux embouchures du Pentagoët et du Kinibiqui. Les Anglais eurent beau se fortifier de nouveau à Pemquid, Razilly les en délogea, en 1632, conformément au traité de Saint-Germain mais ni en 1637 ni en i64o nous ne répondimes aux avances que des guerriers abénakis nous firent à Québec. Comme il y avait des capucins à Pentagouët, ce ne fut qu'en i646, sur l'insistance d'une nouvelle délégation abénakise venue à la mission de Sillery, que les Jésuites entrèrent en lice. Le 29 août, le P. Druillettes, un Toulousain plein d'ardeur et d'énergie, part avec ce groupe, remonte la Chaudière, descend le Kinibiki où il remarque une première habitation anglaise, va jusqu'à « la mer d'Acadie » où il en trouve six ou sept autres et se repose enfin dans le petit hospice capucin du Pentagouët que dirige le P. Ignace, de Paris. Il passe près d'un an avéc ce peuple ami, qui lui dresse une chapelle d'écorce à Koussinok (Augusta), au milieu de ses wigwams il se familiarise avec sa langue et ses coutumes, il l'accompagne en ses courses errantes, en ses chasses épuisantes, il le détourne de l'ivrognerie et de


la sorcellerie, il le dispose à la bonne entente et à la conversion. Une rentreà Québec que le i5 juin 1647, escorté d'une trentaine de ses indigènes reconnaissants. Il s'abstient l'année suivante pour laisser le champ libre aux Capucins déjà installés dans le pays. Mais, sur l'invitation même du P. Côme de Mantes, le P. Druillettes repart le icr septembre i65o, chargé d'une mission officielle du gouverneur d'Ailleboust passant par le fort anglais de Taconnock, il va jusqu'à Boston où l'héberge le major Gibbons il visite à Roxbury le pasteur Eliot, l'un des rares ministres protestants qui se soient préoccupés de la conversion des sauvages; il ébauche un projet d'alliance avec le gouverneur anglais puis, après avoir poursuivi son œuvre d'évangélisation parmi les Abénakis du Kennebec, il arrive à Québec en juin 1651. Dès le même mois, il repart une troisième fois, traverse à grand' peine le Madawaska, remonte jusqu'aux sources du Saint-Jean, visite une douzaine de bourgades indigènes sur le Kennebec et le Pentagoët, crée près du fort Taconnock la mission temporaire del'Assomption et descend à Boston où les Anglais repoussent cette fois tout traité d'alliance, ne consentant qu'à un traité de commerce il rentre à Québec le 8 avril i652, épuisé de fatigue. Puis, de plus en plus rares, les visites des jésuites cessèrent peu à peu. Les guerres furent alors l'une des principales entraves de l'évangélisation. En i6g4, un forban aux gages de Cromwell, Sedgewick s'empara brutalement de Pentagouët, qui ne nous est rendu qu'en 1670, conformément au traité deBréda. En 1675 et 1676, guerre du roi Philips qui entraine contre les Anglais les Abénakis et d'autres tribus indigènes, guerre au cours de laquelle un autre forban au service de l'Angleterre, le capitaine hollandais Aernauts s'empare de Pentagoët et emmène prisonnier à


Boston le gouverneur français, M. de Chambly. De 1688 à à 1 697 guerre du roi Guillaume pendant cette longue guerre se distingue un officier basque du régiment de Carignan, le baron de Saint-Castin, qui, établi en son repaire voisin de Pentagoët et marié à la fille d'un chef abénaki, disposait parfois de 2.000 guerriers indigènes dès 1679, il avait délogé de Pentagouët les intrus mercenairesde l'Angleterre mais en 1688, devant les forces supérieures du gouverneur Sir Edmund Andros, il laisse ses fidèles Abénakis prendre leurs revanches des massacres anglais de 1675 (4oo*guerriers pendus ou vendus en esclavage) et de novembre et décembre 1679 (près de mille guerriers massacrés) pendant que les Iroquois soudoyés par les Anglais menacent Montréal, les Abénakis envahissent et ravagent la Nouvelle Angleterre et s'emparent d'une douzaine de forts, dont surtout le fameux fort William-Henry à Pemquit cet imprenable boulevard des empiétements anglais tombe en quelques heures (i5 août 1696) au pouvoir de d'Iberville qui attaque par mer avec cent Français et de Saint-Castin qui attaque par terre avec quatre cents Abénaquis.

Pendant toute cette période de troubles, les Jésuites n'étaient pas restés inactifs. Dès 1670, ils avaient accueilli en leur mission algonquine de Saint-Joseph de Sillery les Abénakis décimés par les Anglais et par les Iroquois, surtout après leurs sanglantes défaites de 1679 puis, les terres de cette mission étant épuisées, les PP. Jacques et Vincent Bigot, vers i683, créèrent une nouvelle mission, Saint-François de Sales, au grand Sault de la Chaudière près de Québec, puis une autre encore à Bécancour la première compta, dit l'abbé Maurault (Histoire des Abénaquis), jusqu'à i.5oo réfugiés, la seconde, 5oo. En 1687, sur l'ordre du gouverneur Denonville, l'un des deux


frères Bigot alla de Saint-François de Sales jusqu'aux environs de Boston maintenir les Abénakis dans l'allégeance française. Peut-être organisa-t-il dès lors, à la suite de l'abbé Thury, la mission de Pentagouët et édifia-t-il une chapelle pour Saint-Castin et sa tribu. L'organisation de ces missions ne manque pas d'intérêt. On bâtit la chapelle d'écorce, puis à l'entour loges (grandes cabanes pour plusieurs familles) et wigwams (cabanes isolées pour une famille) on fournit d'abord les aliments, puis on apprend à ces nomades à cultiver le sol où ils se fixeront on amène ces éternels désœuvrés à s'imposer des travaux réguliers qu'ils méprisaient naguère. Ardue est surtout l'œuvre de conversion il faut non seulement catéchiser ces grands enfants plusieurs fois par semaine, mais encore les faire renoncer à l'ivrognerie, à la polygamie, à la sorcellerie œuvre d'initiation et de probation qui dure de six à huit mois prières et chants en langue algonquine où s'associent les voix remarquablement mélodieuses de ces indigènes. Une fois baptisés, les néophytes, fervents apôtres de leur foi nouvelle, s'en vont à des centaines de lieues faire de nouveaux prosélytes qu'ils ramènent à la mission. En sa petite société théocratique le missionnaire se faisait aider par le capitaine chargé du pouvoir temporel et du « dogique » chargé de veiller à l'enseignement et au culte cet enseignement tant religieux que profane était souvent donné aux enfants par les plus instruites des vieilles Abénakises. Bien que des mauvais Français, des trafiquants surtout, aient souvent méconnu et même, par l'abus de l'eau-de-vie, compromis l'œuvre des Pères Jésuites, le gouverneur leur rend en i588 pleine justice « Il ne faut pas s'imaginer que ce soit l'œuvre de cinq ou six ans que d'apprendre la langue


et de bien gouverner ces peuples sans lois, sans obéissance, sans subordination le travail de vingt ans ne suffit pas; les meilleurs esprits, après un long travail, outre les fatigues du corps et de l'esprit qui rebutent les plus fervents, ont besoin d'une précieuse expérience » dont il faut savoir profiter. « Jusqu'ici c'est leur habileté qui a soutenu les affaires du pays. Si on oste les missionnaires qu'ils ont depuis longtemps, qu'ils aiment et qu'ils connaissent, [les AbénakisJ se donneront entièrement à l'Anglais ». Heureusement il n'en fut rien; les Abénakis, malgré les avances anglaises, se refusèrent à tout mariage mixte avec les Anglais. « Les Anglais en seraient venus à bout, confirme le P. Rasle, sans l'attachement invincible que ces peuples avaient à leur religion et à leurs missionnaires. Il leur fit préférer [l'alliance avec les Français] à tous les avantages qu'ils eussent retirés de l'alliance avec les Anglais, leurs voisins. Ils n'étaient pas indifférents sur les intérêts mais leur foi leur était infiniment plus chère et ils concevaient que, s'ils se détachaient de notre alliance, ils se trouveraient bientôt sans missionnaire, sans sacrements, sans sacrifice, sans presque aucun exercice de religion, et dans un danger manifeste d'être replongés dans leurs premières infidélités. C'est là le lien qui les unit aux Français ». Oui, insiste-t-il, le seul lien qui les a si étroitement unis aux Français est leur ferme attachement à la foi catholique. « La force entière de la colonisation française, confirme l'historien américain et protestant Bancroft, reposait dans les missions ». Avant même la fin des hostilités, les Jésuites portent leurs efforts en plein pays abénaki, jusqu'en leur « mission d'Acadie ». A Pentagouët s'établit en i6g4 le P. Vincent Bigot qui, en mai, s'y rencontre avec le gouverneur William dans le village indigène de Panaoumkil sur le


Penobscot il rattache à sa mission le village de Panaouski que venait de quitter l'abbé Gaulin, des Missions étrangères après la paix de Ryswick, au printemps de 1698, il se fixe dans le nouveau campement indigène de Naurakamig où, malade, il est bientôt remplacé par son frère Jacques. L'année suivante, sous son influence, les Abénakis repoussent les avances des Anglais qui prévoyaient et préparaient une guerre contre nous. Deux ans plus tard, nouvelles avances anglaises, nouveau refus abénaki « Sache que le Français est mon frère nous avons une même prière nous vivons en une même cabane à deux feux il a un feu, et moi l'autre. Si je te vois entrer dans la cabane du côté de mon frère, si tu lèves ta hache pour le frapper, je prends la mienne et je cours te frapper. J'aime trop mon frère pour ne pas le défendre. Ne fais rien à mon frère et je ne te ferai rien ». Aussi, dès la déclaration des hostilités, les Abénakis « brûlent leurs chiens pour le festin de guerre » et se confessent. « Je les exhortai, dit leur confesseur, à être aussi attachés à leurs prières que s'ils étaient au village, à bien observer les lois de la guerre, à n'exercer aucune cruauté, à ne tuer personne que dans la chaleur du combat, à traiter humainement ceux qui se rendraient prisonniers. » Pendant tout le temps que dura cette guerre, les Abénakis portèrent la désolation dans les terres des Anglais, et firent plus de six cents prisonniers. Ainsi, grâce à leur concours, les Anglais sont en 17o3 repoussés du manoir fortifié de SaintCastin près de Pentagouët et délogés de leur fort de Casco à vrai dire, Pentagouët et Passamaquoddy sont pris et pillés par les Anglais en 1 704 mais Port-Royal est deux fois sauvé en 1707 par l'intervention du jeune baron Anselme de Saint-Castin et de ses fidèles Abénakis. Dès la


prise de cette place en 1710, nouvelles instances du vainqueur Vetch auprès des Abénakis. Lorsqu'en 1713 le funeste traité d'Utrecht livre l'Acadie à l'Angleterre, les Abénakis de Pentagouët répondent fièrement « Je ne veux prêter de serment de fidélité à personne je ne veux point de roi étranger j'ai mes rois naturels je veux bien vivre en paix avec tout le monde car moi je n'ai jamais le premier troublé la paix mais je ne veux qu'aucun étranger s'établisse ni ne se fortifie sur ma terre ». Alors on eut à Versailles l'étrange idée de faire passer les Abénakis dans l'Ile Royale du Cap Breton que l'on voulait établir mais un missionnaire compétent, le P. de la Chasse, qu'on voulut charger de cette transmigration, refusa de s'y prêter, déclarant combien il était injuste d'arracher ces loyaux alliés de la fertile terre de leurs aïeux pour une froide et lointaine île stérile, absurde d'ouvrir ce territoire dépeuplé à l'envahissement anglais et dangereux d'irriter les intéressés eux-mêmes par une proposition aussi inique que déraisonnable. Seule la fixation des limites lui semblait urgente mais cette urgence, on ne la comprit pas encore.

Tant que les frontières de l'Acadie cédée à l'Angleterre n'eurent pas été définitivement fixées, les Jésuites gardèrent dans cette région trois missions « en trois villages d'Abénaquis, éloignés l'un de l'autre d'environ quinze à vingt lieues et cultivés par le P. Racle, le P. de la Chasse et le P. Loyard ». En cette dernière, dont nous avons parlé à Médoctec, situé sur le haut Saint-Jean, les Abénakis, mêlés aux Malécites, empêchaient les Anglais de s'établir même sur le bas Saint-Jean.

Sur le Pentagouët « à quatre lieues en amont de la marée », à Panaouské ou Panaouamské, gros village de cinq cents âmes, le P. Pierre de la Chasse en 1700 succéda


au P. Bigot et fut lui-même en 1718 remplacé par le P. Etienne Lauverjeat. Mais la plus importante mission, quoique un peu moins nombreuse (quatre cents âmes), fut celle de Nanransouak [en anglais Norridgewock] qu'en 1674 le P. Sébastien Rasle, ou plutôt Racle, comme vient de le démontrer M. Georges Goyau, fonda en une belle plaine encadrée de collines entre le Kennebec et le Pentagouët. Ce Franc-Comtois de Pontarlier avait une âme d'apôtre. Dès le temps où il enseignait à Nîmes et à Lyon, il se dévouait au relèvement moral et religieux des pauvres, des ouvriers et particulièrement des porte-faix. En 1689, à trente-sept ans, ils se consacre à l'apostolat des sauvages. Après deux ans de stage à Saint-François de Sales et chez les Illinois, il se fixe à Nanransouack où il devait donner trente-cinq ans de sa vie. Vie d'ascète ni vin, ni viande, ni poisson, rien qu'un peu de bouillie de maïs et des légumes et cependant, que de fatigues 1 nulle aide ni pour son ménage ni pour son jardin ni pour son approvisionnement. Sa première église ayant été incendiée par les Anglais, plutôt que de laisser ceux-ci en bâtir une autre où ils voulaient mettre un pasteur protestant, il en fait édifier une, qu'il orne de ses propres peintures et sculptures où il excellait. 11 compose en langue abénakise des prières et des chants que répètent aux deux offices, matin et soir, son « petit clergé » de quarante enfants et ses ouailles adultes. Tous les jours, catéchisme et allocution, visite aux malades, audience de solliciteurs ou présence à des palabres. Jamais de délibération en son absence, de décision sans son approbation. Vont-ils à la pêche ou à la chasse, il les suit dans les forêts ou sur les fleuves, édifiant à chaque étape sa chapelle d'écorce. « II était l'homme universel, le prêtre, l'ami, le conseiller, le médecin ». Aussi, docile et reconnaissante, dit le P. Racle


en 1722, « toute la nation abénakise est chrétienne et très zélée pour sa religion »

Comme les Anglais estimaient que Nanransouak, étant situé en deça du Pentagouët, n'avait jamais cessé d'être territoire anglais, le gouverneur de la Nouvelle Angleterre Dudley se contenta, après le traité d'Utrecht, de concltïre un traité de paix avec les Abénakis de cette région, sans exiger d'eux une allégeance qu'il estimait impliquée. Profitant de cette équivoque, il prétend en 1717 construire des forts sur leur territoire ils s'y opposent énergiquement. En 1718, les prétendant abandonnés par la France, il envoie deux cents miliciens à proximité de leur mission, tout en leur offrant de rebâtir leur église les Abénakis refusent l'offre et répondent à la menace par la menace. Substituant la douceur à la violence, Dudley leur envoie un maître d'école qui fait du zèle, cajole les enfants, comble de présents les parents, raille les pratiques de la religion catholique au bout de deux mois, pas un petit écolier abénaki mais vaine discussion théologique entre le P. Racle et un ministre protestant. En 1720, sur autorisation des Abenakis, les Anglais installent en aval du Kinibiqui un poste de traite, puis un autre des familles anglaises surviennent, enfin un fort surgit, puis un autre. Alors les naïfs indigènes s'inquiètent de cette main-mise insidieuse. Trop tard un beau jour, une vingtaine de sauvages, venus pour trafiquer en une habitation anglaise, y sont cernés par deux cents hommes armés ils vont vendre chèrement leur vie, lorsque ceux-ci leur conseillent d ''envoyer quatre des leurs négocier à Boston.» Ces quatre chefs sont retenus comme otages les Abénakis consentent à payer pour leur rançon deux cents livres de castor cette rançon est acceptée, mais les otages ne sont pas rendus. Bien pis le baron


Anselmé de Saint-Castin est à son tour pris dans un guetapens, enfermé six mois à Boston, puis expédié en Angleterre d'où il passe en France. Enfin, pour couper court à toute réclamation et à toute résistance, les Anglais mettent à prix(i.ooo livres st.) la tête du P. Racle. Il reste indemne.

Alors, en janvier 1722 profitant de l'absence des Indiens partis pour la chasse, le capitaine Westbrooke survient une nuit furtivement avec deux cents miliciens pour s'emparer de sa personne mais, averti à temps, le prêtre a fui dans la forêt avec les vases sacrés les soudards pe contentent de piller son église, sa maison et les provisions des sauvages absents. A leur retour, exaspérés, les sauvages s'en vont incendier le village anglais de Brunswick, d'où ils emmènent cinq otages. Profitant de cette agression, le gouvernement de Boston décrète l'extermination des Abénakis, propose quinze, trente, cinquante, cent livres par chevelure d'Indien, lève des troupes de plus en plus nombreuses. Au P. Racle dont le sort n'est pas douteux, ses néophytes conseillent la fuite à Québec il refuse « Quelle idée avez-vous de moi Me prenez-vous pour un lâche déserteur ? Que deviendrait votre foi, si je vous abandonnais ? Votre salut m'est plus cher que la vie ». Son supérieur, le P. de la Chasse, insiste. « Mes mesures sont prises, répète le P. Racle Dieu m'a confié ce troupeau je suivrai son sort. » Ilconseille même à ses ouailles de se retirer à Québec. « Soit 1 disent-ils mais à condition que tu nous accompagnes. -Impossible, répond-il mon devoir est de rester ici. Je ne tiens pas à la vie, je mourrai avec joie dans ce village ». Le 4 mars 1723, Westbrooke part de Boston, s'empare de Pentagouët dont il incendie l'église et le presbytère, puis massacre une partie des habitants et met en fuite le reste que guide le P. Lauver-


jeat mais, à Nanransouack, nouvel échec. Enfin, dans la nuit du 23 août 172/j, suprême agression une bande de deux cents soudards tombe sur le malheureux village qui ne comptait plus que cinquante guerriers valides ils résistent. Au bruit de la fusillade, le P. Racle s'avance au secoursdes siens dès qu'il paraît sur le seuil de la chapelle, il est criblé de balles, scalpé, mutilé ses jambes sont brisées, son crâne défoncé à coups de hache, sa bouche et ses yeux sont remplis de boue. Ainsi fut immolé au salut des Abénakis ce vieillard de soixante-et-onze ans qui leur avait consacré le meilleur de sa vie. Après l'avoir pieusement enseveli au pied de son autel, les survivants du village incendié se retirèrent comme ceux de Pentagouët les uns dans les bois, les autres jusqu'en leurs anciens refuges de Saint-François de Sales et de Bécancour près de Québec. Sur la tombe du premier martyr du Maine fut, le 23 août i833, érigé, en présence de l'évéquede Boston, de milliers de catholiques et de quelques descendants d'Abénakis, un obélisque de granit haut de vingt pieds, surmonté d'une croix de fer. Le 23 août 1924, vient d'être célébré le bi-centenaire de ce héros chrétien dont la béatification est annoncée. « Personne ne doute, dit son supérieur, le P. de la Chasse (20 octobre 1724), qu'il ait été immolé en haine de son ministère et de son zèle à établir la vraie foi dans le cœur des sauvages ». Inquiet de représailles indigènes, le gouverneur de la Nouvelle Angleterre envoya à Montréal dès le 1 3 mars 1725 une délégation chargée de conférer avec le gouverneur du Canada et avec les chefs abénakis à propos d'un modus vivendi. Il y eut1 divergence entre les indigènes alors que les réfugiés de Saint-François, de Bécancour et de Médoctec exigeaient avec intransigeance la démolition des forts anglais sur le territoire abénaki et l'évacuation des forces


anglaises, ceux de Panaoumské et de Nanransouack se contentèrent en 1726 d'une entente verbale avec les Anglais, sans renoncer ni à leur religion ni à leurs terres ni à leur union avec les Français « en cas de rupture entre la France et l'Angleterre, ils se réservaient la liberté de suivre le party des Français » A Nanransouack, le P. Jacques de Syresne prit la place du P. Racle à Panaoumské revint le P. Lauverjeat, quifut en 1750 remplacé par le P. Gounon. Mais, dès la guerre de la Succession d'Autriche, les Abénakis relevèrent la tête ils envahirent et ravagèrent le Massachusetts et le New Hampshire. Pendant les années de troubles qui précédèrent la Guerre de Sept-Ans, même attitude hostile. Aussi, pour se débarrasser de ces ennemis irréconciliables, le général Amherst ne trouva rien de mieux à faire que de les infecter de la petite vérole avec des couvertures contaminées et de les faire massacrer par ses métis anglais, les Rangers de Rogers. Les Abénakis eurent beau se venger au fort William-Henry ils périrent par centaines. En 1757, les Anglais n'épargnèrent pas même leurs messagers de paix, et le traité de Paris les priva de leurs missionnaires catholiques. De nos jours, les rares descendants de ces fidèles alliés de la France portent le nom anglais de Penobscots. Après la mort du P. Racle, écrit Bancroft, « l'influence commerciale remplaça l'influence religieuse les comptoirs anglais se substituèrent aux missions françaises la frontière orientale de la Nouvelle Angleterre était assurée ».

En somme, le rôle qu'en Acadie les Jésuites jouèrent pendant plus d'un siècle, sans égaler le rôle éminent qu'ils jouèrent au Canada, n'en fut pas moins considérable. Pendant la période initiale, sans la désastreuse intervention d'un forban anglais, ils auraient peut-être créé


sur la côte continentale du Maine actuel un autre Paraguay qui, uni au Canada, aurait changé les destinées de l'Amérique septentrionale. Pendant la période qui suivit, leur œuvre d'évangélisation auprès des sauvages et leur ministère du culte parmi les pêcheurs de France s'étendit tout le long du Golfe de Saint-Laurent, depuis leur établissement de Miscou jusqu'à le Gaspésie et jusqu'au Cap Breton. Dans la vallée du Saint-Jean, leur mission de Médoctec suffit pour toujours maintenir les Malécites dans l'allégeance française et dans la foi catholique et ainsi assurer nos relations entre le Canada et l'Acadie. Sur l'immense territoire des Abénakis qu'ils surent tous convertir au catholicisme, leurs missions de Nanransouack et de Panaoumské, postes extrêmes de la France vers le Sud-Est, ayant chacune sa route fluviale vers Québec, constituèrent, grâce à l'inébranlable fidélité de ce petit peuple, la plus forte barrière de la Nouvelle France contre les incessants empiètements de la Nouvelle Angleterre. u La religion est le plus puissant motif qui nous conserve les sauvages, » écrivait l'intendant Bégon au ministre en 1716. Et le P. Aubery confirme en 1726 « La religion a été le seul motif qui a rendu les Abénakis français ». Tout en tenant les choses spirituelles bien au-dessus des choses temporelles, les Jésuites français en Acadie n'ont donc pas moins bien mérité de la patrie que de la religion.


L'ÉTABLISSEMENT DES FRANÇAIS DANS LE HAUT-SÉNÉGAL

(1817-1822)

(SUITE)

v

Au 16 décembre 1820. le commis de marine Frigaut, chargé en chef du service administratif, est déjà mort. Il est remplacé par Poizat, sous-lieutenant au Bataillon d'Afrique, que deux ans de séjour à Bakel ont familiarisé avec cet emploi. Trois sous-officiers de sapeurs, que l'officier du génie avait emmenés avec lui, sont morts également. « Tous les blancs, M. Hesse lui-même, se trouvent dans un état de santé déplorable. Cette circonstance ne laisse pas d'être un obstacle notable à l'activité avec laquelle il serait à désirer que l'on poussât les travaux. »

A la fin de septembre 1820, ces travaux, tels que les avaient laissés Dupont, consistaient en quelques cases, destinées à servir de logement ou d'hôpital et en une portion d'enceinte, composée d'un bastion et de la moitié de courtines adjacentes. L'hôpital était placé dans un lieu malsain on dut le changer. Burke O'Farell, officier du génie, construisit pour ce service dans. l'enceinte du fort, une grande case en planches de 4o pieds de long sur 16 de large. La portion de l'en-


ceinte construite fut édifiée avec les pierres du morne, liées ensemble, faute de pierre à chaux qu'on cherchait en vain partout, avec de la terre argileuse, notre banco moderne. « Les pluies des deux dernières mauvaises saisons, remarque mélancoliquement Le Coupé, ayant en grande partie délayé ce mortier, il en résulte peu de solidité dans toute cette maçonnerie. »

Et toujours pas de pierre à chaux. Une veine que l'ingénieur Grandin supposait être sous l'eau, au moment de la crue, n'était point apparue par la suite. Plus tard, Grandin trouve près de Touba Boukari « une veine considérable de pierre calcaire », mais alors les eaux sont trop basses, et on ne peut plus la transporter. Peu après, on s'aperçoit qu'il est presque impossible de convertir cette pierre en chaux, à cause du manque d'ouvriers spécialistes. Au surplus, cette carrière est sise à cinq lieues de Bakel, ce qui n'est pas pour faciliter le transport. Par suite de ce manque de chaux, on fut contraint d'achever l'enceinte par un mur en pierres sèches qu'on doubla d'épaisseur.

La mort des trois sapeurs compliquait ce travail, et notamment le rasement du morne et l'aplanissement de cette hauteur. On en profita pour réduire les terrassements au minimum. La caserne, de bois à toiture de chaume et à fondations de pierre, qui occupa le sommet du morne, ainsi rasé, se trouva surélevée de 2 à 3 pieds, ce qui eut le double avantage d'assurer sa salubrité et de la transformer en une sorte de parados contre les vues d'une hauteur voisine qui, sise à la distance d'une portée de fusil, dominait partiellement le fort.

A cette date, nos relations politiques avec les indigènes s'amélioraient sensiblement.

Hesse concluait avec l'almamy du Boundou une paix


qui devait être longtemps respectée. Le traité du 12 novembre 1820 comportait les clauses suivantes Protection réciproque accordée aux gens du Boundou à Bakel, et aux Français allant dans le Boundou. Protection réciproque du commerce, encouragement et facilités du trafic.

Neutralité réciproque dans les guerres que l'une ou l'autre partie aurait à soutenir.

« Toutes les apparences annoncent une assez bonne traite » les peuples du Bambouk, sur la rive droite de la Falémé, paraissent bien disposés en notre faveur une députation de Bambara, c'est-à-dire de Malinké, de Sarakollé et de Khassonké fétichistes, et de Bambara, ethniquement tels, vient à Bakel protester de ces bonnes intentions et cette bonne intelligence du poste et des naturels laisse présager « des affaires avantageuses. »

Et de fait, la situation commerciale est bonne le commandement a profité de la récolte de mil pour s'approvisionner, et il est pourvu de grain jusqu'à l'expédition de 1821 (août) et même au delà. 11 a acheté aussi des bœufs, des moutons, du riz, et ainsi ne se trouve plus à la merci de ses voisins, à l'humeur irrégulière.

Le gérant de la société se déclare très satisfait il a traité 55 milliers de gomme de l'année précédente la récolte de 1821 s'annonce fort abondante. Au surplus, on se félicite que le commerce de l'escale n'ait été donné qu'à une société « N'ayant ainsi pas de concurrente, elle règle les prix des denrées ». On dit enfin que la quantité d'or et de morphil (ivoire) traitée est plus considérable que celle des années précédentes.

Un seul point noir à l'horizon des démêlés avec le tounka de Touabo. Ce chef a commencé par voler dans


le troupeau du poste 34 bœufs et 46 moutons. Il est vrai qu'il en a rendu la plus grande partie, mais on sait qu'il est hostile, que ses gens ne nous aiment pas, et cette attitude n'est pas sans causer quelques inquiétudes. On espère neutraliser ces ennemis par une alliance avec l'almamy du Boundou, et par l'assistance des Maures Id ou Aïch, dont le camp doit venir se placer devant Bakel, sur la rive droite.

Avec le beau temps, la santé est revenue l'hôpital s'est vidé. On s'est mis au travail avec ardeur. L'espérance renait.

Les mois qui précédèrent l'hivernage de 1821 furent bien employés les fortifications furent achevées on commença à aménager des logements pour le personnel européen la société commerciale, qui avait déjà recueilli au 1" mars ioo milliers de gomme, en recueillait une quantité pareille avant les pluies. Elle avait en plus traité, au 1" mars, pour environ 20.000 francs d'or et 2.000 kilos d'ivoire, et continuait ses opérations avec entrain. Hesse concluait enfin avec le roi des Id ou Aïch un traité de paix et de commerce, sur lequel il nous faut nous étendre quelque peu, car il est le premier de ce genre dont nos archives aient 'gardé le souvenir et il inaugure ici officiellement cette ère de transactions commerciales à escales fixes et à base de coutumes payées aux chefs indigènes, qui neurissait dans le bas Sénégal depuis deux siècles déjà, et sous laquelle le haut neuve va vivre pendant tout le xix° siècle.

Mohammed Çheïn, émir des BouAïch, était mort vers 1 820. Il fut remplacé par son frère, Mokhtar, que la coutume appelait au pouvoir. Le premier acte de Mokhtar fut de signer, le 7 février 1821, avec le commandant du


poste de Bakel, un traité officiel de commerce et d'amitié. Il paraît certain qu'il y en avait eu un autre ou d'autres auparavant, sous l'ancien régime.

L'émir des Dowiches s'engageait « à former une escale vis-à-vis du village de Bakel, à y envoyer toutes les gommes, recueillies dans son pays, et à protéger le commerce entre les Blancs et ses sujets. A la fin de la traite de la gomme, il serait payé à l'émir une coutume annuelle, ainsi qu'au fils du Roi n.

A ce document était jointe une copie des coutumes consenties par Alexis Léautier pour le commerce de Saint-Louis. Ce délégué payerait au délégué de l'émir, à Bakel, une pièce de guinée par tonneau de gomme traité. Y était joint encore un tarif des coutumes payées par le commandant du poste à l'émir.

Voici le détail de ces coutumes

Au Roi Au fils du Roi

3o pièces de guinée bleue 4 pièces de guinée 21 fusils de traite 5 fusils de traite

600 balles de plomb 100 balles

5oo pierres à feu ioo pierres à feu

3 coudées d'écarlate 2 coudées d'écarlate 2 pièces de platille i once de girofle

2 onces de girofle io livres cassonnade JO livres cassonnade io livres de poudre 25 livres poudre

Mokhtar dut tenir compte, dès son avènement, du jeune Soueïd Ahmed, fils de son prédécesseur, qui, soutenu par ses partisans, voulait succéder à son père. Les Id ou Aïch se trouvèrent bientôt partagés, et la guerre éclata. Une première rencontre eut lieu à Bou Anz, dans l'Aftouth Chergui elle donna la victoire au jeune Soueïd


Ahmed, qui perçut aussitôt toutes les coutumes, mais peu de temps après, les partisans de Mokhtar prirent une éclatante revanche à Dakhna, dans le Regueïba. Le parti de Soueïd Ahmed dut prendre la fuite et fut contraint de se replier dans le désert. C'est là, dit la légende, que ses gens n'eurent pour toute nourriture que de la gomme noire,, connue sous le nom d' « Abakak », d'où leur vient leur nom actuel. Le revirement de la fortune amena, peu de temps après, le parti adverse aux mêmes extrémités, et ils en furent réduits à dévorer, tels des hyènes (Chertat, au pl. Chratit), de vieilles peaux de boeufs. Le sobriquet leur en resta.

De cette époque, date la division des Id ou Aïch, telle que nous les voyons aujourd'hui, en Abakak et Chratit, et c'est à ces circonstances originales qu'ils doivent leurs noms.

En tout cas, nous voyons par une note de Hesse que, dès 1821, c'est Soueïd Ahmed qui est considéré comme le chef de la tribu, ou plus exactement, comme le chef de la confédération Id ou Aïch, Mokhtar restant le chef du groupement Chratit, lequel est d'ailleurs le plus rapproché de Bakel, le plus nombreux et le plus commerçant.

Un grave incident allait troubler la situation politique de Bakel. Mais Hesse, évoluant habilement au milieu des rivalités indigènes, se tirait avec honneur de ces difficultés et raffermissait le prestige français.

Le tounka de Touabo, enorgueilli par ses rapines sur le troupeau du poste, devenait de plus en plus importun et exigeant. « Comme tous les indigènes, dit Le Coupé, il élève ses prétentions en raison de la modération qu'il est dans nos principes, et peut-être dans notre intérêt de lui montrer. » Ses prétentions n'avaient plus de bornes


il voulait que Hesse lui payât des coutumes pour le bois coupé hors de Bakel, pour les bâtiments stationnés dans le fleuve, pour l'emplacement du fort, acheté et payé par Chastelus en 1818, etc., etc. Ces palabres interminables duraient depuis le début de 1821, et on attendait, non sans quelque impatience, les hautes eaux de l'hivernage, pour procéder à un arrangement définitif. Le convoi serait là à cette date, et Hesse, muni de toutes ses forces, pourrait en imposer au tounka, et régler au mieux ces litiges. En attendant, il se rapprochait de l'almamy du Boundou, jusque-là hostile, et cette sorte d'alliance le mettait à l'abri de toute surprise.

Un incident fâcheux allait brusquer les événements un matin des premiers jours de mai, Hesse et le lieutenant Nona, du bataillon d'Afrique, faisaient une promenade à cheval dans les environs du poste, quand ils furent assaillis par cinq hommes de. Touabo, dont le neveu du Tounka et l'alcati du village. C'était à Hesse qu'ils en avaient, mais comme ils ne le connaissaient pas, ils s'attaquèrent à Nona l'un d'eux lui planta sa lance dans la hanche; et tandis que Nona arrachait le fer de la plaie, un autre lui tira un coup de feu dans la poitrine. Les assassins se réfugièrent aussitôt dans la brousse, où il fut impossible de les atteindre. Nona, grièvement blessé, expirait le 11 i mai, le jour même où, à Paris, le Ministre lui écrivait qu'il était compris dans la promotion des chevaliers de la Légion d'honneur, que le Roi venait de signer en l'honneur du baptême du duc de.Bordeaux. Pendant ce temps, les gens de Touabo, qui s'étaient groupés et armés, assiégeaient le fort. Ils furent dispersés par la diplomatie de Hesse, qui sema parmi i eux la zizanie, et surtout par l'annonce des premiers secours de l'almamy du Boundou. Comme ils ne tenaient


pas à entrer en lutte avec ce chef, ils rentrèrent chez eux, après une sorte de trêve avec le fort.

Les gens du village de Bakel, les Ndiayaye, conduits par leur chef Sliman Guiabé (Diabé), étaient venus, dès le début, faire des protestations d'amitié à Hesse, mais comme on ne pouvait les recevoir au fort et qu'ils avaient tout à craindre de Touabo, on les avait engagés à se disperser dans la brousse, ce qui permit de bombarder le village où campaient les assiégeants.

Quant aux Maures Id ou Aïch, « ils n'ont pris aucune part dans toutes ces affaires, disait Hesse, mais pour le peu dont ils se sont mêlés, ils l'ont fait lâchement et contre nos intérêts ».

Des représailles s'imposaient. Hesse eut un moment la pensée de se retirer, estimant, disait-il, que la haine des naturels était plutôt dirigée contre lui que contre l'établissement qu'il commandait. Il n'en fit rien heureusement, et prit ses dispositions de combat.

Renforçant son alliance avec l'almamy du Boundou, il obtint la mise en marche d'une colonne de 5 à 600 hommes qui vint camper en fin juin dans les environs du poste. L'almamy fit rentrer dans Bakel les gens qui s'étaient déclarés en faveur des Français, puis signifia au tounka de Touabo qu'il devait consentir aux conditions que lui dicterait Hesse, sous peine d'être assailli par lui-même par terre, tandis que les bâtiments du convoi l'attaqueraient par eau. En même temps, il lui défendait de sortir de Touabo, et manifestait l'intention de déposer tous les chefs Bakiri du pays, qui étaient nos ennemis, et de les remplacer « par d'autres habitant Bakel, que tous leurs intérêts rattachaient à nous ». L'exécution de ce projet devait amener la sécurité du pays par l'affaiblissement de nos ennemis Sarakollé du Goye et la déca-


dence politique de Touabo, mais c'était assurer 'sans contrepoids la suprématie de Boundou, et cette situation pouvait par la suite présenter de graves dangers. C'était précisément ce que craignait Le Coupé.

« Dès que M. Hesse, écrit-il le 12 juillet, m'eut faitconnaître cette intention, je craignis qu'il ne tombât dans un mal plus grand que celui dont il voulait sortir, et je lui écrivis de suite que le projet manifesté par le Boundou de se rendre maître de toute la rive gauche nous indiquait assez que nous n'agirions pas politiquement en détruisant Touabo et ses Bakiri (Princes); que les intérêts du Boundou et de ces chefs Sarracolets me paraissent en opposition si grande, qu'il était sans doute de notre avantage de les maintenir l'un et l'autre dans leur position actuelle, afin de pouvoir, à l'occasion, être secourus par l'un contre les agressions de l'autre. J'ajoutai que ces considérations me semblaient très puissantes et que, sans m'y déterminer positivement, elles me faisaient pencher pour la paix avec le Tounka, qui la demandait alors avec instance; que cependant je sentais bien la nécessité d'obtenir justice de l'assassinat commis sur M. le Lieutenant Nona, enfin, que je l'invitais à peser ces diverses considérations et que je m'en rapportais à sa prudence sur laquelle je savais effectivement pouvoir compter. »

Hesse était tout acquis à ce conseil de sagesse et de modération. Il fallait toutefois infliger un châtiment sérieux au tounka, sous peine de le voir recommencer il fallait aussi utiliser les services du Boundou, qui, entré sur la piste de guerre, voulait aller jusqu'au bout et serait très bien venu chercher son butin à Bakel, si on lui avait interdit la route de Touabo.

L'almamy était alors Moussa Yoro Malik, qui avait succédé en i8ig (ao janvier i8ig) à son oncle Hamadi Aïssata. Son père, Malik Aïssata, ayant été tué au siège de la ville de Dara quelques années plus tôt, c'était sur le


fils Moussa que s'était porté par représentation le choix des électeurs Sissibé. Moussa Yoro devait par la suite nous causer plus d'une fois des inquiétudes en s'attaquant nos protégés de Bakel. 11 pillaient et incendiaient leurs villages. Seul le canon du fort et la crainte d'engager la lutte contre nous l'empêchèrent d'assaillir Bakel. Il devait mourir, en 1827, après huit ans de règne.

Au début d'août, on apprit que le convoi annuel, parti de Saint-Louis avec les hautes eaux, approchait. « Les gens du Boundou, dit Le Coupé, se sont mis en armes au nombre de quinze cents hommes environ, après avoir fait quelques courses sur les terres du Tounka ils sont venus trouver le Commandant de Bakel pour l'engager de descendre avec son bâtiment devant Touabo ». Celui-ci refusa d'abord sous divers prétextes mais voyant enfin que l'almamy commençait à douter de la sincérité de ses promesses et qu'il s'aliénerait ce chef, s'il ne se rendait à ses désirs, d'autres motifs secondaires étant venus d'ailleurs se réunir à ceux-là, et l'avis de tous les officiers du poste étant qu'on ne devait pas donner la paix au Tounka avant de l'avoir châtié, M. Hesse se détermina à descendre après avoir pourvu par des précautions très sages à la sûreté du poste, dont il remit le commandement à M. Burke O'Farel, lieutenant de sapeurs. L'Argus mouilla devant Touabo le 4 août à cinq heures et demie du matin. L'armée du Boundou, forte de quinze cents hommes au moins, était aussi dans le voisinage de ce village. Le brick commença aussitôt un feu assez vif pour abattre les murailles de terre qui l'entouraient et en faciliter l'entrée aux Boundoux. Ceux-ci, lorsqu'ils aperçurent quelques ouvertures, firent à M. Hesse le signal convenu pour suspendre son feu ils s'avancèrent alors,


mais une vingtaine de coups de fusil, tirés des retranchements, firent arrêter les plus avancés qui se retournèrent, s'enfuirent et entraînèrent avec eux toute l'armée. Une centaine d'hommes du village les poursuivirent pendant quelque temps et firent des prisonniers dont ils fusillèrent une grande partie.

Pendant ce temps, M. Hesse, qui avait vu ses lâches alliés s'enfuir à toutes jambes, recommença son feu qu'il continua pendant une heure ou deux, sans qu'on lui tirât un seul coup de fusil vers le soir, il se remit en route pour Bakel où il arriva le 6 août.

Peu de temps après, les gens de Touabo, dont plusieurs chefs avaient été tués, vinrent très humblement demander la paix. M. Hesse leur fit répondre qu'il leur notifierait ses volontés lorsqu'il aurait reçu mes ordres. Il voulait attendre l'arrivée du convoi, afin d'obtenir des conditions plus avantageuses et d'ailleurs « ce délai était nécessaire afin de ne pas trop mécontenter les Boundoux que la déroute de l'armée avait rendu furieux o.

Les pourparlers durèrent jusqu'au 2 septembre, date où fut signé le traité de paix, à bord de l'Africain. Le Tounka laissait deux otages à Bakel.

Les gens du Boundou furent mécontents de ce traité et on put craindre un instant qu'aussitôt après la perception de leurs coutumes, ils ne déclarassent la guerre au poste. « Ce ne sont pas des ennemis que l'on puisse redouter, disait Le Coupé, mais toute mésintelligence nuirait au commerce et rendrait plus difficile l'approvisionnement du poste. »

Ces dispositions du pays de Boundou, ajoutait-il, pour justifier l'action militaire de Bakel, prouve que Hesse le connaissait bien, « et qu'il ne pouvait se dispenser de réunir ses forces aux siennes pour attaquer Touabo. Il


pensait d'ailleurs, et les faits avaient bien démontré qu'il ne se trompait pas, que ces gens étaient trop dénués d'énergie pour se maintenir possesseurs du pays du Tounka, s'ils s'en étaient emparés, et qu'ils n'auraient pu même faire cette conquête qu'autant que Hesse les aurait secondés de tout son pouvoir o, ce qui était parfaitement inutile, sinon nuisible.

Le traité du 21 septembre 1821 entre les Français et le Tounka sarakollé vint clore ces incidents. Voici quelles en étaient les clauses principales.

Reconnaissance de Silman Diabé par le Tounka et par les Bakeri comme chef de Bakel

Retour à Bakel de tous les Ndiayaye qui ont pris parti pour les Blancs

Un otage à Saint-Louis et un à Bakel

Restitution des bœufs volés

Bannissement des assassins de M. Nona

Paiement des coutumes en fin d'année, proportionnellement à la conduite des gens du Touabo.

Il était temps que des difficultés politiques fussent aplanies. Avec l'hivernage la maladie était revenue le lieutenant Poizat mourait l'ingénieur Grandin, le lieutenant Burke O' Farell, d'autres encore étaient rapatriés sur Saint-Louis et le premier devait y mourir, le jour de son embarquement. Restaient seuls à Bakel l'énergique Hesse, toujours malade et toujours debout, le dévoué chirurgien-major Mouraille, dont tous font les plus grands éloges, et un lieutenant provisoire (Petit). En revanche, le commerce allait bien. La gomme arrivait avec une telle abondance que les marchandises d'échange manquèrent, et que le trafic aurait dû cesser, si le Gouverneur n'avait autorisé la cession au Directeur de la Société, avec un très léger bénéfice, d'une partie


des pièces de guinée et des armes de traite qui existaient dans les magasins du roi à Bakel. Ces magasins étaient en effet abondamment pourvus de marchandises en vue du rachat de 200 noirs, destinés à être incorporés au ie' Bataillon d'Afrique et dans la Compagnie de sapeurs. Ces rachats n'ayant pu avoir lieu jusqu'alors, les marchandises étaient toujours disponibles. Mais le commerce prend une telle extension que les magasins de Bakel s'épuisent à leur tour.

C'est ainsi qu'en fin juillet la Société a traité plus de 5oo milliers de gomme, dont a5 à crédit. Il faut donc que le Gouverneur intervienne à son tour pour céder, à Saint-Louis, à la Société 120 pièces de guinée qui partiront avec le convoi de 182 et serviront à acquitter les achats précédents et surtout, au point de vue administratif, à éteindre la garantie que Hesse, plein d'initiative, a donnée aux transactions de la Société avec les Maures en contresignant leurs engagements.

On put craindre, un moment, que toutes ces avances, qui avaient vidé les magasins du Roi à Saint-Louis, ne finissent par causer des difficultés, car les envois de France n'arrivaient pas, et vers la fin de l'hivernage on n'avait rien pour payer les coutumes des chefs indigènes. Heureusement les bâtiments qui apportaient les marchandises de traite arrivèrent en fin septembre et les magasins du Roi et de la Société, tant à Saint-Louis qu'à Bakel, se remplirent à nouveau.

Le convoi de 182 1, qui était parti de Saint-Louis le 6 août, se composait des deux bricks convoyeurs l'Africain et le Postillon et de quatre bâtiments de commerce de la Compagnie de Galam. La flottille arriva sans encombre à Bakel à la fin du mois. Elle y apportait des approvisionnements considérables, et notamment, au


point de vue administratif, 3oo barriques de chaux, impatiemment attendues par la construction du fort. Ce transport revenait à peu de frais grâce à un artifice de Le Coupé, qui pratiquait avec sagesse l'union de l'Administration et du Commerce. Il fit en effet charger cette chaux sur les navires de la Société, en lui donnant en échange la faculté d'embarquer à Bakel une partie de ses gommes sur les bâtiments du Roi. qui redescendaient à vide à la fin de l'hivernage.

Dans le courant du même hivernage, plusieurs bâtiments du commerce remontèrent isolément le fleuve et avec le même succès.

Pour la première fois, les gens de Bakel et des provinces environnantes confièrent leurs enfants aux autorités pour être envoyés à Saint-Louis et recevoir à « l'école mutuelle » une éducation et une instruction françaises. Un an plus tard, un rapport officieldu Gouverneur signalait que ces enfants, tard venus, se classaient en tète du cours. VI

La saison sèche de 1821-1832 se passe pour Bakel dans le calme le plus parfait. L'installation matérielle du poste est poussée très activement les relations s'établissent de plus en plus cordiales avec les peuplades voisins. Le Gouvernement en récompense Hesse, qui était enseigne de vaisseau honoraire, en retraite, en le nommant lieutenant de vaisseau honoraire. C'est le dernier acte de Portal le 20 décembre 1821, mais déjà ClermontTonnerre lui avait succédé au Département de la Marine et des Colonies.

Entre temps, Le Coupé, qui avait demandé à reprendre


du service actif dans la Marine, était remplacé par Roger, ancien avocat, directeur de la «Maison royale » d'exploitation agricole au Sénégal, et colonial très expérimenté (i" mars 1822). Un de ses premiers soins fut de demander à Hesse de se documenter surdeux points importants i° étudier le rachat de jeunes esclaves, qui seraient employés pendant i4 ans « au service du rédempteur » dans les travaux agricoles des établissements de la colonie et gagneraient ainsi le prix de leur liberté 2° quelles devaient être les conditions du commerce dans le haut fleuve société exclusive et à monopole ou liberté il Ce rachat des esclaves en vue de leur utilisation aux entreprises de la colonisation officielle allait devenir, pendant plusieurs années, la principale occupation du commandant de Bakel.

L'expédition de 1822 se fit dans d'excellentes conditions. Le transport l'Autruche était arrivé le 1" juillet. Quoiqu'on l'eût jugé trop long et trop lourd, on se hâta de l'aménager on lui composa un équipage de noirs pour éviter d'employer un trop grand nombre de matelots européens, trop exposés aux dangers du climat, et on le mit en route, dès avant le départ du convoi, le 2 août. Ce convoi commercial mit à la voile, le 6 août, sous la protection du brick à vapeur l'Africain. Le commandant de l'expédition était l'enseigne de vaisseau Noguès, qui avait été chargé de la même mission l'année précédente. Le remplaçant de Hesse, le capitaine Garçon, du bataillon d'Afrique, était à bord. Roger comptait beaucoup sur cet officier qui avait fait plusieurs séjours coloniaux, notamment dans l'Inde, et qui témoignait de beaucoup de goût et de dévouaient pour la tâche qu'on lui confiait. Il emportait les instructions suivantes de Roger « Monsieur, en recevant le commandement du poste de


Bakel, vous connaissez toute l'importance de la mission qui vousest confiée les conférences que j'ai eues avec vous m'ont convaincu que vous avez le zèle, les connaissances et surtout la bonne volonté nécessaire pour réussir. De votre séjour à Bakel iloiventrésulter.jen'en doute pas, degrands avantages pour consolider dans ce pays notre influence, notre commerce, et pour étendre nos découvertes; vous pouvez être assuré que vous trouverez en moi tous les secours que vous pourrez désirer pour servir utilement en cette occasion la patrie et l'humanité. Vous avez déjà recueilli sur le pays que vous allez habiter trop de documents, pour que j'aie besoin de vous le faire connaître avec de grands détails.

Sur la rive gauche du fleuve, à la frontière orientale du pays de Fouta, bornée parle Marigot de Nghérer, commence le pays s de Bondou. Le chef du Bondou porte le titre d'almamy il parait jouir d'une autorité plus affermie que celle de l'almamy du Fouta du reste, on ne sait rien d'assez positif sur l'organisation politique de ce pays il paraît que les prêtres mahométans y jouent un très grand rôle vous aurez à recueillir à ces égards des renseignements très intéressants en eux-mêmes, mais qui deviennent tout à fait nécessaires pour le Gouvernement du Sénégal. Les habitants du Bondou sont plus doux et plus faciles à vivre que les Foulans leurs terres passent pou r être fertiles.

C'est la rivière du Falémé qui marque les limites du Bondo u vers l'est cette rivière coule du Sud et se jette dans le Sénégal. Pendant la saison des pluies, elle devient navigable pour d'assez grosses embarcations; le courant en est alors violent, on ne peut la remonter qu'à la touée, à cause des arbres qui la bordent, et qui interceptent les vents et les chemins de halage. La Compagnie du Sénégal, d'après les propositions de M. Brue, avait établi un comptoir sur le bord de la Falémé, à vingt lieues environ de son embouchure il était situé dans le village de Kénoura, et portait le nom de fort Saint Pierre on devait y traiter des captifs, de l'ivoire et de l'or, mais il avait été


formésurtout dans la vue de parvenir à exploiter les mines du Bambouk.

Ce pays est voisin de la rive droite de la Falémé il renferme un grand nombre de montagnes, qui sont, dit-on, presqu'entièrement stériles, mais dans lesquelles on trouve beaucoup de mines d'or et aussi quelques mines d'argent, de cuivre et de fer. S'il est permis de concevoir des doutes sur l'abondance de ces mines, au moins ne saurait-il y en avoir sur le fait de leur existence. Il est certain, en effet, que les indigènes, sans aucun travail d'art, en extraient de l'or qu'ils nous vendent et qui se répand dans l'intérieur au moyen des caravanes qui fréquentent constamment le pays. D'un autre côté, on a porté en France des minerais et divers échantillons qui avaient été ramassés sur les lieux, notamment par un nommé Compagnon, employé par M. Brue. On se demande comment depuis cette époque qui date déjà d'un siècle, aucune nouvelle exploration solide n'a été faite dans le Bambouk ? Vous rendrez un grand service, Monsieur, si vous contribuez efficacement à des tentatives bien dirigées pour mieux connaître un pays qui paraît si riche.

Pour explorer le Bambouk, il faudrait faire précéder l'ingénieur et le. savant par le voyageur, capable de leur servir ensuite deguide. C'est un génie particulier que celui des voyages, il faut un caractère aventureux, entreprenant, patientpour parcourir des pays brûlants et presque déserts, pour s'introduire dans une contrée que les nègres semblent vouloir fermer aux Européens avec un soin tout particulier.

Si vous trouvez l'occasion de faire commencer l'exploration préliminaire, qui doit ouvrir le chemin à des voyages plus utiles, vous ne la laisserez pas échapper et je m'associerai avec empressement à l'exécution de votre projet vous sentirez toutefois combien en pareille matière on doit mettre de prudence. Les Portugais ont occupé le Bambouk, comme ils avaient pénétré dans presque toutes les contrées voisines. Le souvenir de leur établissement y subsiste encore, quoi qu'il remonte au


xvi' siècle. Les habitans les ont tous massacrés, telle est au moins la tradition. Ce qu'il y a de certain c'est que les Portugais portaient partout avec eux des bienfaits qui étaient de nature à leur concilier d'abord l'affection des habitants. On trouve dans plusieurs contrées, et jusque dans le Fouta Dialon, des orangers, des citronniers, des bananiers, et beaucoup d'autres plantes qu'ils y ont introduites et que les indigènes continuent de cultiver. Vous devrez entrer dans cette voie pour assurer notre influence sur les peuples voisins lorsque vous aurez, sous ce rapport, préparé les choses convenablement, je serai en position de vous envoyer des végétaux utiles que vous répandrez dans le pays, et que vous ferez aussi cultiver sous vos yeux. Dès à présent, il va vous être remis à votre départ des graines de diverses espèces et notamment un sac de graines de coton, d'essence de Géorgie, longue soie, qu'il faut propager avec tout le soin possible. Peut-être aussi pourrez-vous emporter quelques plants de bananiers et d'orangers.

Au nord du Bambouk, à partir de la frontière orientale du Bondou, est le pays de Galam, composé de plusieurs petites principautés, et qui s'étend à une grande hauteur en remontant le fleuve. Les bords sont généralement bas et inondés, mais le reste du pays est couvert de montagnes d'où coulent beaucoup de petites rivières. Il n'y a que peu d'habitants et la culture n'y est pas considérable. Le mil et le maïs en sont la base le riz y vient naturellement et sans soin. Les pistaches de terre, les giraumonts et plusieurs espèces particulières de faséoles complètent les objets d'agriculture. On n'y trouve aucune plante introduite par les Européens quoiqu'ils aient habité longtemps sur ce point et que le soleil et le climat paraissent favorables à la végétation. Deux personnes m'ont assuré avoir vu, aux environs de Bakel, quelques pieds de vigne dans des terrains incultes je serais disposé à croire qu'ils sont originaires du pays, car il n'y a que quatre' ans que nous sommes à Bakel, où nous n'avions jamais séjourné auparavant. Vous ferez des recherches à cet égard et vous me procurerez des plants, s'il est possible.


Pendant cinq mois chaque année, il tombe à Galam et surtout dans les montagnes des pluies tellement abondantes que les eaux du fleuve s'élèvent de près de 4o pieds et inondent des terrains immenses. Il est remarquable qu'à Syène, avant la première cataracte du Nil, la crue de ce fleuve est aussi d'environ 4o pieds. Dans le pays de Galam, à quarante lieues de Bakel, se trouve la première cataracte connue sous le nom de Rocher de Félou plus haut, il en existe une autre nommée Gowina ces deux cataractes ne sont presque pas connues, les renseignements que vous pourrez vous procurer sur ce qui les concerne, seront reçus avec beaucoup d'intérêt on ne connaît rien non plus de bien positif sur la source du Sénégal. Ce que rapporte à ce sujet M. Mollien n'est nullement satisfaisant il dit en effet avoir vu une source, mais il n'ajoute rien qui puisse faire croire que ce soit précisément celle du Sénégal-; c'est encore un objet sur lequel vous aurez à faire parler les nègres voyageurs qui se présenteront à vous.

On distingue dans le pays de Galam quatre espèces d'habitants les Bakélis, les Saracolets, les Mandingues et les Bambaras.

Les premiers sont en quelque sorte dans la dépendance du Bondou leur territoire ne s'étend guère au dessus de l'embouchure de la Falémé les personnes qui ont habité au milieu d'eux dans ces derniers temps rendent le compte le plus défavorable de leur caractère. La paresse, l'insolence, la mendicité, la fourberie paraissent des vices invétérés et communs à tous ces nègres à leurs chefs. Ils se livrent un peu à la culture et élèvent quelques bestiaux 1.

Les Saracolets habitent sur les bords du Sénégal, au delà de la Falémé beaucoup de Mandingues qui sont disséminés dans toute cette partie de l'Afrique sont établis aussi au milieu i. C'est à tort que Roger fait des Bakél'i (ou Bakirli, ou Batchili) un peuple indépendant. Les Bakiri sont simptement un clan sarakollé, clan princier il est vrai.


d'eux. Ces deux peuples sont grands voyageurs et adonnés au commerce.

Les uns et les autres parcourent des distances considérables pour échanger des objets souvent de très peu de valeur, la marche et le temps ne leur coûtent rien dans l'espoir d'augmenter leur bénéfice de 5 ou 6 francs, ils n'hésitent pas à entrep rendre cinquante lieues de plus. Ils voyagent ordinairement par compagnie de sept ou huit, et il y eu a qui conduisent leurs femmes avec eux. J'en ai vu souvent à Saint-Louis, et aussi à Sainte-Marie, à l'embouchure de la Gambie une compagnie n'apporte pas quelquefois pour plus de deux ou trois cents gros d'or, et pour cela ils restent quatre ou cinq mois en voyage.

C'est ce qui avait fait concevoir le projet de rétablir un comptoir à Galam, afin d'extraire les produits directement et avec de plus grands bénéfices. Dans cette intention, le fort Saint Joseph avait été construit autrefois au village de Makana, sur la rive droite du fleuve, à environ dix lieues au dessus de l'embouchure de la Falémé cet établissement eut de tristes destinées à peine formé, il fut brûlé par les nègres en 170a réédifié de nouveau en 1714» il fut encore détruit en 1780, et la garnison fut égorgée. Vers 1764. une simple maison et des magasins furent bâtis près de l'ancien fort, mais en 1758, les Anglais, s'étant emparés du Sénégal, crurent devoir renoncer au comptoir de Galam, résolution qui en effet ne pouvait qu'être favorable à leur commerce sur la Gambie.

Depuis 1779, époque où nous avons repris possession du Sénégal, iln'avait été fait aucun établissement solide Galam seulement chaque année une flotte y remontait et quelquefois on y avait laissé un commis.

Sous les rapports politiques, vous devez être à peu près Hxé sur Bakel par la communication que je vous ai donnée de la correspondance de M. Hesse, qui commande depuis deux ans vous avez dû remarquer que ce' n'est plus par l'almamy de


Bondou. que nous avons été inquiétés, comme il y avait lieu de le craindre dans l'origine, mais que les dernières hostilités ont t été commises par les Bakélis et notamment par le Tounka de Touabo. Samba Congol lui-même, chef du pays où était situé l'ancien fort Saint Joseph, a fait voir contre nous quelques mauvaises dispositions, qu'on ne peut attribuer qu'à la jalousie et au regret de ne plus posséder notre poste sur son territoire. En ce moment, la paix est rétablie entre nous et tous les peuples voisins, mais vous avez vu, par les dernières nouvelles qui me sont parvenues, que les Bondou, les Bakélis et les Saracolets continuent de se faire la guerre, et que ces derniers appellent constamment à leur secours les Bambaras. Ceux-ci qui s'étendent très avant dans l'intérieur du pays, paraissent depuis longt empsdésirerde venir occuper le Bondou et les rives du Sénégal on ne peut douter que, s'ils réussissaient dans leur projet, ils se rendraient les maîtres non seulement du Bondou, mais encore du pays de Galam peut-être dans l'intérêt de notre établissement et de notre commerce serait-il désirable qu'ils opérassent tout à coup cette grande révolution dans'le pays, soit parce qu'ils mettraient ainsi un terme à la guerre que se font continuellement les petits princes voisins, et qui nous nuit beaucoup, soit parce qu'ils nous feraient entrer en communication directe et plus facile avec le Niger cependant, il n'y a pas lieu de croire que les Bambaras aient un succès notable notre intérêt, notre devoir est de gardervis à vis de tous les peuples environnants la plus exacte neutralité vous ne sauriez trop vous pénétrer de ce principe qui doit régler toutes nos transactions politiques sous aucun prétexte vous ne pourrez vous en écarter, mais rienn'empêchera que vous ouvriez des relations directes avec le Roi et les chefs des Bambaras, comme nous en avons avec les princes voisins, surtout pour l'intérêt du commerce. Déterminer des traitans à pousser dans le pays des courtiers, des agents avec quelques marchandises, pour faire des essais, c'est ainsi que doivent commencer des rapports avec l'intérieur.


Après le soin d'éviter toute espice de guerre, la protection qui est due au commerce vous occupera surtout.

Depuis l'abolition de la traite des noirs, le commerce du haut du fleuve a perdu sa principale importance, on y traite maintenant un peu d'ivoire, des peaux et de l'or en petite quantité ce dernier objet mérite toute votre attention. Il est certain que depuis quelque temps l'or prend le chemin de la Gambie et qu'il vient chaque année un peu moins à Bakel parmi les causes de cette nouvelle direction, donnée à ce genre de commerce, il faut compter peut-être la position défavorable de notre poste, et le défaut d'assortiment et de concurrence il y a lieu d'espérer que la liberté rendue au commerce cette année par les négociants eux-mêmes donnera les moyens de tirer une plus grande quantité de produits, et que les marchandsnègres, trouvant à notre poste ce qu'ils vont chercher jusqu'à Sainte Marie, reprendront leurs anciennes habitudes et traiteront de préférence avec nous.

Parmi les produits du commerce de Bakel, je n'ai encore rien dit de la gomme, qu'on y traite depuis quelques années en assez grande abondance et qui cependant en est déjà devenue l'objet principal. Il est désirable sans doute que ce genre de commerce soit encouragé, mais je n'hésite pas à penser qu'il serait très malheureux que l'attention des traitans fut presque exclusivement portée de ce côté il arriverait bientôt là ce que nous voyons au bas du fleuve, c'est à dire que la gomme ferait oublier tous les autres produits, que la facilité de s'en procurer paralyserait t toute l'industrie et que Bakel ne serait bientôt plus qu'une quatrième escale de la rivière, ce qui serait complètement en opposition avec les intérêts, les vues et les espérances du commerce. quidoit trouver à Bakel autre chose que de la gomme. La gomme est récoltée et vendue dans le haut du fleuve par des Maures, qui habitent cette partie du Sénégal sur la rive droite et qui sont connus sous le nom de Dowiches tout donne lieu de croire que si la paix régnait parmi ces Maures on tirerait d'eux une quantité de gomme considérable. Vous devrez


donc mettre tous vos soins à rétablir la paix entre eux si je suis bien informé, voici quelles seraient les causes de leurs dissensions. M. Hesse ne paraît pas avoir été informé exactement. C'est pourquoi vous aurez à vérifier les faits suivants. Le dernier Roi des Dowiches a établi, il y a environ trois ans, une escale à Bakel il lui a été accordé des coutumes par le Gouvernement, et en même temps il en doit être aussi payé par les commerçants qui admettent de la gomme. Peu de temps après, ce roi est mort. 11 paraît que les lois du pays, qui seraient d'ailleurs en cela conformes à celles de tous les peuples voisins, auraient fait passer la couronne sur la tête du frère du Roi décédé cependant, celui-ci avait laissé un fils nommé Souedey Amet, lequel aurait élevé des prétentions sur la succession. Ces prétentions iraient-elles jusqu'à disputer le trône ? C'est ce que pense M. Hesse et dans ce cas. quelqu'intérêt que manifeste pour nous Souedey Amet, nous devrions nous garder d'intervenir pour lui ces prétentions n'auraient-ellespour but que de réclamer les coutumes consenties pour l'établissement de l'escale, comme me l'assurent des personnes ordinairement bien informées ? Dans ce cas, il deviendrait possible que vous offrissiez entre l'oncle et le neveu une médiation, on pourrait réserver au neveu la coutume du Gouvernement comme héritage de son père, et ce serait conforme à ce qui se pratique chez les Trarzas, à l'oncle les coutumes du commerce, comme étant devenu maître du pays. Vous verrez si une transaction de ce genre peut-être utilement proposée. Mais dans tous les cas, et sous aucun prétexte, vous ne vous écarterez dela neutralité que je vous ai précédemment prescrite.

On ne fait aucun doute que la concurrence excitera les Maures à faire des récoltes de gomme plus abondantes que jamais, parce qu'elle leur assurera plus d'avantage et d'utilité pour la vente de leur produit.

Les coutumes que doit payer le commerce pour la gomme ont été établies par le traité conclu avec le Roi des Dowiches. Elles sont fixées non par bâtiment comme aux autres escales du


fleuve, mais proportionnellement a la quantité de gomme traitée. Veillez à ce que la concurrence ne les augmente pas. Ce serait ici le lieu d'examiner cette grande question. Lequel est le plus favorable au commerce du haut du fleuve, du monopole ou de la concurrence ? Comme vous êtes appelé à donner votre avis sur cette grande question, vous l'examinerez soigneusement sous toutes ses faces, et vous me ferez connaître le résultat de vos observations.

D'un côté, l'on dit que la concurrence ne laissant pas assez de profits aux expéditions qui se font au haut du fleuve, le commerce finirait par être abandonné, qu'une association durable ferait construire de petits établissements avancés qu'elle étendrait ses relations dans l'intérieur de l'Afrique qu'ayant plus de fixité elle inspirerait grande confiance aux marchands indigènes, qu'elle trouverait un grand avantage à faire ses approvisionnements directement en France enfin qu'elle serait en meilleure position pour faire la concurrence au commerce que les Anglais attirent de plus en plus sur la Gambie. D'un autre côté, l'on répond que les habitants de Saint-Louis. remontant le fleuve avec des embarcations et des captifs qui leur appartiennent, ces expéditions ne sont nullement coûteuses, qu'il n'y a donc pas lieu de craindre que la concurrence ruine ceux qui se livreront à ce commerce et qu'il ne serait jamais abandonné, parce que, en cas de besoin, on formerait des associations, que jamais une société ne pourrait construire de grands établissements et qu'il serait impolitique et dangereux d'en construire de trop petits qu'aucune des précédentes compagnies n'a cherché à pénétrer dans l'intérieur de l'Afrique, et qu'il y a bien plus à espérer à cet égard de l'activité et de l'esprit d'investigation que produit la concurrence que les marchands de l'intérieur trouveraient dans le commerce libre plus de commodités d'échanges, plus de variétés de marchandises que l'approvisionnement que'l'on ferait en France de la première main, serait sans intérêt pour le commerce général, et ne profiterait qu'à quelques agents et commissionnaires; qu'en-


fin les succès qu'obtiennent les Anglais dansle commerce de la Gambie sont les résultats du système de la concurrence, et que leur exemple doit nous faire craindre de nous engager dans une route différente.

Quoi qu'il en soit de cette grande question considérée sous ses principaux rapports, l'on ne peut nier que la liberté du commerce ne doive favoriser les recherches que vous vous proposerez de faire, soit pour procurer de nous ces produits de nouveaux objets d'échanges, soit pour explorer le pays dans l'intérêt des sciences et des découvertes utiles.

Vous saurez mettre à profit les voyages que feront dans les environs du poste les traitants de Saint-Louis vous pourrez surtout employer très utilement les nègres qu'ils envoient ordinairement, comme courtiers, parcourir les pays éloignés vous devez trouver autour de vous plus de mouvement, plus d'activité, de développement, que n'aurait pu en causer une société trop disposée communément à compter sur son privilège, à attendre au lieu de provoquer, à faire venir plutôt que d'aller au-devant.

Parmi les objets d'histoire naturelle que votre goût vous portera sans doute à rechercher, je vous recommande comme la chose la plus utile ceux qui appartiendront au règne végétal procurez-vous tout ce qu'il sera possible de trouver en graines et en plantes enracinées, et attachez-vous surtout aux objets qui seront déjà ou qui pourront devenir d'un usage quelconque dans la médecine, l'économie rurale ou domestique. Parmi les plantes alimentaires je vous recommande particulièrement la recherche du riz sec, qu'on prétend être cultivé sur les montagnes du pays de Galam. Si vous acquérez la certitude que ce riz croit réellement sans inondation, vous m'en enverrez par la plus prochaine occasion, et même parle retour du convoi, s'il est possible. Cette découverte serait d'une telle importance que les agronomes et les philanthropes la préféreraient à celle des mines d'or de Bambouk.


Si vous m'envoyez de ce riz, vous aurez soin qu'il soit en paille ou au moins revêtu de ses enveloppes naturelles. Vous y joindrez une petite caisse de la terre qui le produit communément.

Je ne saurais trop vous recommander de chercher tous les moyens de faire pénétrer notre commerce, par caravanes, dans l'intérieur de l'Afrique épuisez tout ce que vous avez de persuasion pour déterminer les Maures Dowiches à faire des expéditions de cette nature.

Parmi les nombreux voyageurs que vous aurez l'occasion de voir, vous devez en trouver, qui, bien interrogés, vous donneront sur l'intérieur des documents précieux pour faciliter vos moyens d'en tirer la vérité, je vous remets un exemplaire d'un voyage anglais sous le titre de Relations d'un voyage à Tumbouclo et à Houssa par JaJcson vous y trouverez des indications sur lesquelles vous êtes invité à donner votre avis. Son Excellence le Ministre de la Marine, en me transmettant plusieurs exemplaires de cet ouvrage, me recommande expressément d'obtenir du commandement de Bakel un rapport sur l'examen qu'il en aura fait et sur son opinion à l'égard des faits et des vues qui y sont développés.

Après être entré dans ces détails que je regarde comme la partie essentielle, comme la fin de votre mission, j'aurai peu de choses à ajouter pour les instructions administratives qui ne sont réellement que des accessoires et des moyens. Vous trouverez à cet égard les renseignements, dont vous aurez besoin, dans le règlement spécial que l'on rédige en ce moment pour l'administration du poste vous les trouverez encore dans la correspondance et les pièces officielles qu'a reçues M. Hesse et qu'il devra vous remettre sur inventaire. Cet officier vous laissera aussi un mémoire sur la situation du poste, sur les divers services, et sur ses relations politiques avec les peuples voisins il pourra,, en outre, vous donner verbalement sur les usages, le caractère, les dispositions de ces peuples, et la manière de traiter avec leurs chefs, beaucoup de détails que son


expérience peut vous rendre très utiles. Ai. Hesse a très bien servi à Bakel, il doit vous inspirer confiance je suis persuadé que vous saurez l'apprécier et que les relations que vous aurez ensemble vous seront mutuellement agréables.

Je vous connais trop, Monsieur, pour vous recommander de ne rien négliger de tout ce qui pourra contribuer à la conservation et au bien-être des hommes qui doivent rester sous vos ordres. Les approvisionnements, nécessaires au poste, ont été faits avec le plus grand soin sous les yeux du chirurgien qui vous accompagne et sous les vôtres même. Tout ce qui a pu être prévu l'a été. Les soldats ont été pourvus de moustiquaires et de tout ce qui peut diminuer les inconvénients et les dangers attachés au climat.

Il me resterait à vous entretenir, Monsieur, d'un objet majeur, le rachat des captifs nécessaires aux cultures. L'importance de cette matière, la nécessité de l'environner de beaucoup de prudence et de bonne foi vous ont été connues dans les conférences que nous avons eues ensemble. «.

Veillez bien attentivement, Monsieur, à ce que le rachat des captifs, autorisé par le Gouvernement, ne puisse pas donner lieu à la traite des noirs, c'est à dire au commerce des esclaves. Ne perdez aucune occasion de faire voir clairement la différence qui existe entre l'esclavage perpétuel, héréditaire, et un simple engagement pour un temps limité, lequel est autorisé à l'égard des Européens mêmes prouvez par le raisonnement et mieux encore par les résultats, qu'autant l'esclavage et la traite étaient funestes à l'humanité et surtout aux peuples nègres, autant la mesure desengagements doit plaire aux véritables philanthropes et améliorer le sort des noirs, en abrégeant, pour ainsi dire, leur premierpas vers la civilisation.

Monsieur, à chaque mot que j'écris, je trouve de nouveaux motifs de vous féliciter de votre mission il n'y a pas de pensée noble, grande, utile, qui ne s'y rattache rarement la vie d'un homme lui offre une aussi belle occasion de servir tout à la


fois le Roi. la France, les sciences, et l'humanité vous ne la laisserez pas échapper, j'en suis sûr, et, annonçant au Ministre votre départ, je vais lui présager des succès.

Recevez, etc.

P. S. Je vous remets, pour rester aux archives de Bakel, une grammaire arabe de Sylvestre de Sacy, et un dictionnaire arabe par en tout trois volumes. »

Entre temps, Hesse avait renouvelé et confirmé avec le Tounka de Touabo le précédent traité de paix et bonne amitié. Les coutumes annuelles étaient fixées à i coure ferré, 12 pièces de guinée bleue, 12 fusils de traite, 5 kilos de poudre, 600 pierres à feu, 4 barriques de sel et divers objets de verroterie.

L'expédition parvint à Bakel sans encombre et sans perte. Les gens du Fouta l'avaient laissé très correctement passer il en fut de même au retour, et l'almamy put toucher à Saint-Louis l'intégralité de ses coutumes. L'Afl'icain, remorquant l'Argus, était de retour à Saint-Louis le 27 septembre, après sept jours de navigation à la descente, ce qui constituait à cette époque le record de la traversée. Le transport l'Autruche, qui était resté plus longtemps au poste, tant pour décharger le matériel qui était à son bord, que pour prendre une partie des gommes, traitées par le commerce, arriva le 12 octobre.

Et voici, pour terminer, un extrait'du rapport que Roger adresse au Ministre le 1 i novembre. Il expose la situation du poste de Bakel en cette fin d'année 1822, date à laquelle on peut considérer notre établissement dans le haut Sénégal comme définitivement acquis et plein d'espoir

« La situation de ce poste au départ de l'expédition était assez


satisfaisante le capitaine Garçon en avait pris le commandement. Le personnel est composé de M. Petit, sous-lieutenant au bataillon de Gorée, qui y a déjà passé une année, de M. Fabre, chirurgien provisoire de a" classe, de M. Ausnac Valentin, indigène de Saint-Louis, chargé des détails administratifs, de trois sous-officiers et soldats européens du bataillon de Gorée, de treize soldats nègres du même corps, tous faisant partie de l'ancienne garnison, de 17 sous-officiers et soldats du bataillon du Sénégal enfin de quatorze ouvriers, manœuvres, trentehuit laptots, tous nègres.

Le fort de Bakel est maintenant à l'abri des attaques des indigènes.

Les relations politiques avec les peuples voisins sont très bonnes, quoique l'évasion récente d'un otage ait donné quelques inquiétudes au nouveau commandant. Au surplus, cetétat pacifique n'est relatif qu'à nous, car ces peuples se font entr'eux une guerre plus active et plus désastreuse que jamais les Bambaras paraissent toujours décidés à s'avancer sur les bords du fleuve et s'emparer du Boundou ces divisions intestines nuirent beaucoup à l'extension de notre commerce. Cependant les affaires n'ont pas été mauvaises on voit même avec plaisir que les quantités d'or et de morphil, apportées cette année, ont été infiniment plus considérables qu'en 1821. La mise de fonds de la société (partielle, constituée par Potin) avait été cette année de 168.638 fr. 5o. Les retours se sont montés à la valeur de 3i 1 .740 fr. 10 et, déduction faite des frais de toutes espèces, à 339.678 fr. i3.

Il en résulte pour les actionnaires un bénéfice de plus de 60 •/“.

D'après les détails que je me suis procurés, il aurait été traité

à Bakel à Makana

Gommes. i go.ooo livres Gommes. 60.000 livres Morphil 1.000 Morphil. 2.000 Or 376 gr. 1/2 Or 600


Les peaux et la cire ont été entièrement négligées. La concurrence que les commerçants du Sénégal ont euxmêmes établie sur ce point, en ne formant pas une Société pour cette année, multipliera les lieux et les moyens d'échanges elle fera sentir de plus en plus la nécessité de chercher à Galam autre chose encore que de la gomme, et de se porter bien au-dessus de Bakel.

Au lieu de deux petits bâtiments que la société tenait au haut du fleuve, il y en a cinq qui doivent y demeurercette année. Ces expéditions comptent un capital plus considérable que celui de l'ancienne société elles offrent un assortiment de marchandises beaucoup plus complet elles occupent et font vivre un grand nombre de gens et de laptots, intelligents et actifs elles doivent nécessairement étendre nos relations dans ce pays et y donner de la consistance à notre commerce.

VII

La « Compagnie du Sénégal » de l'ancien régime était tombée avec la Révolution. L'occupation anglaise de 1809 à 181 avait achevé de désorganiser l'état de choses antérieur et infusé dans les esprits une certaine idée de la liberté individuelle commerciale. C'est dans cette situation que la fondation de Bakel, dans le haut fleuve, trouva les esprits en 1818. Comme il était à prévoir que la concurrence individuelle produirait des effets désastreux pour cette première année, où le trafic allait prendre naissance avec les peuples de Galam, Fleuriau réussit à convaincre tous les participants à l'expédition, de la nécessité d'une entente. Sous ses auspices, il se constitua, pour cette année, une 'société commerciale de Galam entre les divers négociants de Saint-Louis elle fut ouverte à tous ceux qui le désiraient. Cette Société arma un bâtiment,


qu'elle joignit. comme nous l'avons vu, au navire officiel Y Argus ce bâtiment resta avec l'Argus dans l'anse de Bakel pendant la saison sèche 1818-1819 et redescendit avec lui, en fin juillet i8ig, aux premières hautes eaux. Les affaires liquidées, les actions valurent le pair, « de manière que les négociants, qui en avaient fourni le montant en marchandises, gagnèrent encore 20 à 35 pour •cent ».

Ces gains, faits dans des circonstances peu favorables, ranimèrent l'activité des commerçants de Saint-Louis qui joignirent en 1 819 plusieurs goélettes à la flottille officielle. Mais l'on a vu que, cette année-là, l'expédition échoua par l'hostilité des Toucouleurs de Saldé et le commerce de Saint-Louis en fut pour ses frais.

Aussi les pourparlers, entamés l'année suivante par Schmaltz, pour exciter l'ardeur du monde commercial de Saint-Louis furent-ils pénibles. Il écrit au Ministre le 20 juin

Indépendamment de ces bâtiments, qui doivent passer un an à Galam, beaucoup d'autres ont été dirigés vers ce point, pour redescendre lorsque la baisse des eaux les y forcera. » « Le projet de confier à une association, ouverte à tous les négociants et habitants de Saint-Louis et de Gorée, le commerce du haut fleuve, trouvera peu d'oppositions ici dans la classe éclairée. Les habitants indigènes auxquels les diverses compagnies, établies au Sénégal, n'ont jamais présenté en résultat que de la perte ou la nécessité de rester dans l'inaction, verront avec peine l'exécution de cette idée. Les premières ouvertures que j'en ai faites m'ont donné à connaître le genre d'obstacles qu'il y aura à surmonter.

Il existe en majeure partie dans le manque de confiance de la population de Saint-Louis et de Gorée en une compagnie. Ce mot, qui leur rappelle des époques malheureuses, les effraie et les éloigne de toute entreprise, qui porte ce nom. J'espère que


les démarches que j'ai faites pour amener le commerce deSaintLouis à faire en commun une expédition au Galam, de la manière indiquée par Votre Excellence. produiront l'eilet qu'Elle désire plusieurs opérations partielles se préparaient il paraît qu'elles se réuniront on s'occupe de régler un projet de société qui doit m'être soumis. »

Schmaltz finit par convaincre tout son monde une société se constitua, avec privilège d'une année sa participation sérieuse à l'expédition de 1820 lui procura de gros bénéfices.

Cette forme d'association annuelle et ainsi privilégiée devait rester en vigueur jusqu'en i8a4. Elle présentait des difficultés. Le Coupé les expose dans une lettre au Ministre, du 17 août 1821

« Sur le projet d'association ci-inclus j'ai autorisé la formation d'une nouvelle société, ayant le privilège, pour uue année seulement, de traiter tous les produits du pays de Galam et de Boundou. autres que les vivres.

Le capital de cette nouvelle société a été porté à ia5. 000 francs. Cette somme est divisée en a5q actions de a5o Lrancs chaque. Malheureusement ce capital, tout faible qu'il est, n'a pu être encore réalisé. Le commerce est totalement dépourvu de marchandises de traite, de manière que si les bâtiments, qui sont attendus depuis longtemps, n'arrivent pas avant un mois, il est à craindre que le défaut de moyens ne rende nulle l'association de cette année, car il faudra nécessairement qu'un bateau aille plus tard porter à Bakel les marchandises que l'on n'a pu renvoyer cette fois, et l'on ne pourrait .sans danger le faire partir après le 1" octobre.

J'aurais désiré pouvoir donner à la Société de 1822 plus d'une année de durée. Le commerce du pays y aurait gagné à tous égards. En effet, une compagnie, autorisée du Gouvernement et qui aurait la certitude de pouvoir exploiter seule pendant quelques années le commerce du haut Sénégal, ferait construire


quelques petits établissements avancés et durables. elle cesserait alors d'être dans la nécessité d'entretenir des bâtiments et un nombreux personnel elle diminuerait ainsi ses dépenses et pourrait réduire ses prétentions au bénéfice. De plus, certaine de placer avantageusement ses marchandises une année ou l'autre, elle pourrait s'approvisionner en Europe de la première main, et soutenir dans le commerce de l'or et du morphil et des autres denrées, que pourraient apporter les indigènes par la suite, la concurrence des Anglais de la Gambie, qui peuvent leur vendre certains objets à des prix moins élevés que les nôtres et qui de cette manière, ont attiré à eux le peu de commerce d'or et de morphil que nous faisions autrefois avec le pays de Bambouk En protégeant une société qui exploiterait seule le commerce possible du haut pays, le Gouverneur parviendrait peut-être à procurer à la France des ressources inconnues et de nouveaux débouchés à ses produits par ces moyens, on s'étendrait peu à peu dans l'intérieur de l'Afrique et les relations commerciales amèneraient la solution de problèmes, qui ont déjà coûté beaucoup de pertes inutiles, d'hommes et d'argent.

Si le haut Sénégal est ouvert au trafic de tous les particuliers. la concurrence aura tout à fait anéanti l'espérance de nouveaux avantages. Si l'on ne crée des sociétés que pour une année seulement, tout espoir de relations avec l'intérieur est perdu, puisque ces sociétés ne pourront faire une année des dépenses, dont une autre profiterait l'année suivante le commerce anglais de la Gambie s'accroîtra encore aux dépens du nôtre et celui de notre poste de Bakel deviendra bien moins important qu'il n'a été jusqu'aujourd'hui, puisqu'il paraît constant que l'on n'y aurait pas traité tant de gomme, cette année, si la mésintelligence, qui régnait entre les Bracknas et nous, n'avait forcé quelques tribus de marchands, qui venaient ordinairement à leur escale, à se rendre à celle des Dowiches. IL est bien probable que l'on n'en retirera pas, en i83a, plus dea5o à 3oo milliers de gomme.

Je suis tellement convaincu, Monseigneur, des avantages qui


résulteraient delà formation d'une société, qui aurait un privilège de quelques années, que je n'hésite pas à demander à Votre Excellence l'autorisation de donner à celle qui sera créée en 1832, une durée de cinq années au moins. Je la prie de vouloir bien examiner cette proposition et les motifs sur lesquels elle est fondée, et de me donner prochainement connaissance de sa détermination.

Il serait à désirer que je fusse instruit assez à temps pour que la compagnie qui serait établie pût faire ses acquisitions en Europe avant l'époque du départ de l'expédition prochaine. » Ces vœux, si justes, et que le Ministre Portal promit d'examiner attentivement, quand il aurait « recueilli sur cet objet beaucoup de données qui lui manquaient » ne furent exaucés qu'en 1824, et le commerce de Galam s'effectua dès lors par sociétés anonymes et privilégiées, organisées et dissoutes tous les quatre ans. On a vu qu'en 1822 l'impossibilité d'arriver àune entente entre commerçants avait abouti à la liberté du commerce et à des associations partielles.

Les marchandises, qui étaient demandées par les indigènes de Galam, étaient les fusils de traite, de divers modèles, mais généralement des fusils de soldats à capucines de cuivre, et quelquefois des fusils étrangers des munitions, surtout des pierres à feu des verroteries variées, l'ambre, la guinée, les mouchoirs, les indiennes, les mousselines, enfin le sel. « l'ai établi un petit comptoir à Galadé pour traiter du mil, dit Dupont le 8 juillet 1819. C'est du sel qu'on demande en échange à raison d'un « moule » pour quatre de mil ». Les produits qu'on y trouvait étaient la gomme, l'ivoire (morphil) et l'or il faut y ajouter le mil et les bœufs, et un peu de riz qu'on importait à Saint-Louis pour le ravitaillement de la ville.


VIII

II n'est pas sans intérêt de noter que c'est lors de l'établissement des Français dans le haut fleuve et de la fondation de Bakel que les bateaux à vapeur firent leur première apparition sur les eaux du Sénégal.

Dès la réoccupation de la colonie, en fin 1816, on en parlait au Sénégal, et l'administration comme le commerce envisageaient les avantages qu'on pourrait en tirer pour la navigation sur le fleuve, pendant les quatre mois d'hivernage où il faut aller vite pour profiter des hautes eaux. Schmaltz avait demandé qu'on lui envoyât une machine à feu qu'il ferait monter sur un des bricks voiliers de la colonie.

Séduits par les projets de colonisation du Gouvernement, les habitants de Saint-Louis s'offraient, dès la première heure, à y participer. « M. Potin, écrit Fleuriau au baron Portal, a demandé en France une machine pour r établir un bateau à vapeur sur le fleuve. D'autres suivront cet exemple, mais le Gouvernement doit encourager et entretenir l'impulsion donnée. Je me réunis, à cette occasion, avec M. Schmaltz pour insister sur.la nécessité d'envoyer ici deux de ces machines à vapeur avec un bon ouvrier pour les monter et un plan de bateau bien fait. Je vais faire couper tout le bois tord, qui sera nécessaire, à tout hasard et il ne manquerait plus ici que les bordages et les fers. » (28 décembre i8ig) Schmaltz. qui passa à Paris l'année 18 18 pour faire son plan de colonisation, obtint par des démarches répétées que deux bateaux à vapeur seraient envoyés à SaintLouis et participeraient à l'expédition de Galam de 1819.


On a vu que seul le Voyageur arriva, et encore à la date du 3o novembre, de sorte que l'expédition échoua cette année-là par ce retard. Le Voyageur se rendit néanmoins utile par ses croisières entre Saint-Louis, Dagana et Podor dans les luttes contre les Trarza et les Poulo-Toucouleurs.

Mais déjà les doléances apparaissent « Celui dont nous jouissons, dit Schmaltz le 27 mars 1820, peut d'un jour à l'autre être empêché de servir deux chauffeurs et un mécanicien avaient été annoncés. Un seul chauffeur a été embarqué et la conduite du mécanicien m'oblige à demander son changement à V. E. Ce chauffeur ne peut être suppléé parpersonne. Il connaît seul la machine et dans ce moment, il est malade par suite des fatigues qu'il éprouve et que peut-être il ne soutiendra pas longtemps. » Le second bâtiment à vapeur, l'Africain, arriva le 12 mars 1820. « J'ai vu avec peine, écrit Schmaltz, qu'il n'avait à son bord qu'un seul chauffeur. Je crains que ces hommes ne puissent résister longtemps à un travail aussi pénible et aussi continuel que celui dont ils seront chargés, lorsqu'ils remonteront la rivière. Une cause quelconque, qui les empêcherait de faire leur service arrêterait celui des bâtiments à vapeur », et pour terminer, nouvelle demande de chauffeurs et remplacement du mécanicien qui a donné sa démission, «à laquelle sa mauvaise conduite ne me fera plus apporter d'obstacles, dès qu'un autre ouvrier sera envoyé pour le remplacer. » Il y avait d'autres causes de mécontentement. Les bateaux à vapeur pouvaient marcher, mais la construction, d'un art naval encore à ses débuts, et l'adaptation locale laissaient à désirer. « J'ai reconnu avec bien du regret, écrit Schmaltzen mai i82o, que ces bâtiments ne pourraient pas remplir complètement le but dans lequel


ils ont été accordés à la colonie. Les formes qui leur ont été données ne permettront pas d'en retirer aucun service comme transports à peine sont-ils capables de charger le charbon et les vivres qui leur sont nécessaires pour le voyage. Il faudra fréter encore des navires pour le transport du matériel de l'expédition. Ces dépenses n'ont pu être prévues, elles seront considérables et cependant on ne pourra s'en dispenser. »

L'expédition de 1820 partit donc en août avec les deux bâtiments à vapeur. Ces deux navires rendirent de réels services par la rapidité de leur marche et la souplesse de leurs évolutions. Par eux on se tira à son avantage des attaques des Trarza et des gens du Toro, et les troupes, destinées à constituer la garnison de Bakel, purent être rendues au poste, avant d'avoir été décimées par la maladie.

Cependant, tels quels, ces bâtiments étaient fort peu utilisables. Les doléances des gouverneurs ne cessent pas Le Coupé écrit le 13 juillet 182 r

« Je crois devoir insister près de Votre Excellence sur l'exactitude des observations que je lui ai adressées relativement aux bricks à vapeur, sur le peu de services qu'ils rendent en raison de leur imperfection et sur les dépenses excessives que coûtent ces services. Dans mon dernier voyage en rivière, à bord de l'Africain, j'ai pu m'en convaincre davantage leurs chaudières se détériorent chaque jour davantage les fuites d'eau et de vapeur se multiplient à l'infini, malgré les soins que l'on prend pour les prévenir ou les réparer. Dans ce dernier voyage et en raison du mauvais état des chaudières, la vapeur s'épuisait toutes les demi-heures et il fallait rester mouillé pendant une heure, avant d'en avoir formé une nouvelle. M. le Lieutenantde Vaisseau Leblanc m'a rendu compte, au retour, qu'il avait consommé pendant la durée du voyage a5o hectolitres; de charbon, a5 kilos d'huile d'olive et a5 kilos de suif, ce qui élève la


dépense de la machine dans cette circonstance à environ :j.i3o francs. Votre Excellence induira sans doute, par cet aperçu, du peu d'usage que l'on doit faire de bâtiments aussi dispendieux. Aussi n'hésiterai-je pas à proposer à Votre Excellence la suppression de ces bâtiments, si elle croit pouvoir utiliser leurs machines, soit dans les autres établissements de la Marine, soit ici. Dans ce cas, je pourrais conserver les bâtiments. seulement pour en tirer parti, et les employer comme stalionnaires dans la colonie. L'un d'eux pourrait par économie remplacer la prame, dont j'ai fait connaître le besoin pour la défense de la barre et un seul bâtiment à vapeur, dans lesdimensions indiquées au rapport que m'a remis M. Leblanc et que j'ai eu l'honneur de transmettre à Votre Excellence en février dernier, pourvu d'une machine à feu d'une construction supérieure à celle-ci, et surtout qui peut être chauffé avec du bois, au lieu de charbon, serait suffisant pour les besoins de là colonie et rendrait tous les services qu'on attendrait vainement de ceux actuellement existant. »

Deux mois plus tard Le Coupé revient à la rescousse et proteste contre les allégations a priori du Génie parisien.

« J'ai reçu, écrit-il le ai septembre 1821. la dépêche du a 1 juin 182 1 de Votre Excellence. ainsi que la note de M. l'Ins-pecteur Général du Génie qui était jointe au sujet des bateaux à vapeur employés au Sénégal.

Je ne saurais, Monseigneur, partager en aucune manièrel'opinion de M. l'Inspecteur Général du Génie sur la perfection de ces bâtiments, et loin d'accorder, ainsi qu'il l'avance, qu'ils remplissent l'objet pour lequel ils ont été construits, j'affirmele contraire. Leur marche est très lente, pour peu qu'il y ait du vent, et les fréquents accidents de la machine, qu'il faut réparer à tous les instants, accroissent cette lenteur et augmentent infiniment leur dépense si même la brise est un peu forte, il faut mouiller, et ils ne peuvent refouler trois nœuds du courant ;•


leur manœuvre est très difficile elle exige beaucoup de monde en raison de la pesanteur de ces bâtiments, Ils dépensent doublement par le combustible qu'ils consomment et par les gréements, voiles, etc., qu'ils sont obligés de conserver et sans lesquels leur navigation serait souvent impossible. J'ai invité Monsieur le Commandant de la flottille à me présenter ses observations en réponse à la note de M. l'Inspecteur Général, j'ai l'honneur d'en adresser, ci-joint, copie à Votre Excellence, en même temps que je l'assure que je les approuve toutes. Je dirai même que je le trouve souvent modéré lorsqu'il explique tous les inconvénients auxquels sont sujets des bâtiments et leurs machines. Les explications que trouvera Votre Excellence dans cette réponse sur l'extrême consommation des combustibles, sur les motifs qui peuvent dans certain s cas peu importants permettre le transport à bord de quelques troupes ou munitions, sur l'impossibilité de remplacer dans son usage le charbon par le bois lui paraîtront sans doute incontestables.

J'ajouterai, Monseigneur, que j'ai été le témoin, dans deux voyages que j'ai faits à bord de l'Africain, de tous les accidents qui résultent des imperfections des bâtiments et de leurs machines. Dans le dernier de ces voyages, qui a duré sept jours pour aller et revenir de Saint-Louis à Dagana, la dépense s'est élevée à plus de a.ooo francs pour les seuls frais de la machine. Impatienté des longueurs continuelles, apportées dans la marche de l'Africain, j'ai pris le parti de l'abandonner sans retour. J'ai passé à bord d'un petit cutter et suis arrivé deux jours avant lui à Saint-Louis.

Il m'est trop bien prouvé que les services que peuvent rendre les bateaux à vapeur du Sénégal, en temps ordinaire, ne sont point en rapport avec leur dépense, pour que je continueà m'en servir habituellement déjà l'un est en commission et j'ai le projet d'y remettre l'autre à son retour de Bakel et je ne le réarmerai (si toutefois l'état des machines permet de le faire) que pour le voyage de Galam de l'année prochaine, et dans le


cas seulement où je reconnaîtrais la nécessité de montrer un grand bâtiment dans ce fleuve.

Je ne sais pas jusqu'à quel point les changements auxquels croirait devoir se borner M. l'Inspecteur Général corrigeraient les vices des bateaux et de leurs machines, je crois que cela donnerait encore lieu à une nouvelle et grande dépense fort hasardeuse dans son résultat, car les défauts essentiels me paraissent résider dans la longueur outrée, dans le poids et le peu de capacité disponible de ces bâtiments, dans la faiblesse, la mauvaise disposition de leurs chaudières et l'impossibilité de les chauffer avec du bois au lieu du charbon. Je maintiendrai donc l'opinion que j'ai eu l'honneur de soumettre à Votre Excellence, le 12 juillet dernier, de supprimer ces bâtiments dès que la chose sera possible, en leur donnant une autre destination dans la colonie de renvoyer leurs machines en France, si elles peuvent y être utilisées dans les arsenaux, les fonderies et autres établissements de la marine et de les remplacer par un seul bâtiment de dimensions différentes et de plus de légèreté.

Lorsque Votre Excellence jugera convenable de donner suite à cette proposition, je croirai, comme Elle, nécessaire d'envoyer en France des ouvriers indigènes pour les instruire au travail des machines à feu, mais s'ils doivent, ainsi que je le pense, remplacer entièrement les ouvriers Européens, ils devront être propres à opérer toutes sortes d'opérations à ces machines, et alors ils devront savoir forger, limer, tourner les métaux etc. Ce qu'ils n'apprendront certainement pas dans un terme moindre de dix-huit mois à deux ans. Pour la machine actuelle, cette mesure me parait inutile, car leurs chaudières seront hors de service, avant que les ouvriers n'aient pu acquérir l'instruction qui leur manque. 1)

L'Inspecteur du Génie Maritime, au Ministère, défendait bien entendu ses bateaux et démontrait que s'ils ne donnaient plus satisfaction, c'était la .faute de la colonie ou du fleuve. Il ne voulait même pas avouer que l'inven-


t ion était alors trop récente pour être complètement au point et avançait que « la science était très avancée sur ce point »

Au retour du convoi du haut fleuve, en octobre 182 1, les mêmes observations reviennent sous la plume de Le Coupé. Les bricks l'Africain (à vapeur) et le PostUton sont arrivés à Bakel en a6 jours et ont opéré leur retour en 15 jours. C'est autant et plus que ne mettent les côtres et chalands. « La machine à feu de l'Africain s'est dérangée plusieurs fois pendant le voyage, et ses chaudières surtout, par leurs fuites nombreuses, l'ont souvent obligé à s'arrêter. »

Puis le personnel européen est constamment malade. Le service constant des machines est en effet, trop dur pour des blancs sous cette latitude.

« Il reste maintenant au Sénégal pour le service des bateaux à vapeur, dit Le Coupé le i octobre i8ai, un appareilleur et trois chauffeurs. Dans ce nombre l'appareilleur et l'un des chauffeurs sont malades ce dernier retourne même en France par un bâtiment qui se rend à Bordeaux. L'autre, ainsi que l'un des deux derniers chauffeurs, auront complété leur troisième année de service au mois de mai prochain et se retireront alors, leur projet n'étant pas de prendre un nouvel engagement. Il ne restera donc pour le service des deux bâtiments qu'un seul chauffeur, souvent malade, depuis son retour de Bakel, et d'ailleurs peu expérimenté dans la direction et la réparation des machines à feu.

Il me paraît donc nécessaire, Monseigneur, que VotreExcellence veuille bien ordonner l'envoi le plus prompt possible de trois autres chauffeurs ou appareilleurs, et il est à désirer qu'ils soient plus instruits dans la direction des machines à vapeur que ceux qui sont arrivés en i8ao. »

Et c'est ainsi que, cahin caha, dans les années qui


suivent, la navigation à vapeur s'installa sur le fleuve Sénégal, [faisant école chaque année et s'adaptant peu à peu. Nous ne dirons pas avec les mauvaises langues, en en fêtant le centenaire cette année, que Schmaltz et Le Coupé trouveraient, s'ils constataient les multiples échoûments, pannes et accidents de machines du Borgnis-Desbordes ou du Bani, que la situation n'a guère changé.

IX

On ne peut raconter les origines de notre établissement à Bakel, sans parler d'une expédition anglaise qui devait séjourner plus de trois ans dans le haut du fleuve et causer les plus graves soucis aux autorités de SaintLouis. Celles-ci lui attribuèrent jusqu'à la dernière heure le désir de les supplanter dans l'occupation et le commerce du Soudan. 11 est de fait que, si elle avait réussi, toutes les conditions du problème africain étaient changées, et l'Afrique occidentale ne serait pas française aujourd'hui, au moins dans l'état où elle est. Tout le mérite en serait revenu au colonel Mac Cartny, gouverneur des établissements anglais de la côte d'Afrique et l'un des coloniaux africains les plus distingués. Mais il semble bien que les appréhensions du Gouverneur de Saint-Louis n'étaient pas fondées, au moins en ce qui concerne la concurrence commerciale en Galam qu'on attribuait aux Anglais de vouloir établir. Leur intention était d'arriver au Niger, à ce « Sego » qui, depuis un quart de siècle, semblait la base nécessaire des explorations sur le grand fleuve et sur lequel, depuis le double passage de Mungo-Park, ils pensaient avoir


comme une sorte de droit de préemption. « Le but de l'expédition, dit Gray lui-même dans la préface de la relation de son voyage, n'était pas seulement d'acquérir du terrain ou de faire un commerce purement lucratif, mais bien l'accroissement de la science et l'extension du commerce qui, par une suite naturelle, devait contribuer à développer l'intelligence de ces peuples et leur donner tout à la fois des lumières temporelles et spirituelles, ce qui doit nécessairement accroitre leur bonheur. » En réalité, pour être à plus longue échéance, le danger n'en était pas moindre pour notre expansion.

Une première expédition, celle de Peddie-Campbell, partie des Rivières du Sud, avait pénétré dans le Fouta Djallon, mais avait échoué devant l'hostilité des Fouta (1816). La ténacité britannique prévit immédiatement une nouvelle expédition. Elle se prépara à Sainte-Marie de Bathurst, à l'embouchure de la Gambie, sous les ordres du lieutenant Gray, nommé major pour la circonstance. On n'en savait pas plus, à Saint-Louis, en janvier 1818, mais on concevait déjà des inquiétudes. Fleuriau écrivait au ministre, le 18 janvier Cette circonstance fera sentir à Votre Excellence combien il est intéressant de. ne pas perdre un moment pour l'exécution du projet de colonisation, afin de prévenir les nouveaux obstacles, qui pourraient résulter de la persévérance des démarches du Gouvernement anglais bien des raisons nous font présumer qu'il existe un canal naturel de communication entre le Sénégal et la rivière de la Gambie. Le projet des Anglais a toujours été de s'assurer du commerce du sel, et s'ils réussissaient dans cette nouvelle entreprise, leur concurrence nous serait fort préjudiciable, tandis que nous pouvons encore arriver avant eux, en nous hâtant de profiter des bonnes


dispositions que les habitants de l'intérieur ont manifestées en notre faveur. »

Fleuriau n'aurait pas été fâché de lui créer des difficultés, et il s'y employa, non toutefois sans y apporter « beaucoup de circonspection ». En réalité, il se borna à acquiescer au désir de Mollien qui, depuis longtemps, demandait l'autorisation de partir en exploration vers les confins du Sénégal. Il ressort, peu nettement d'ailleurs, que Mollien ne devait pas se gêner sur sa route pour répandre quelques mauvais bruits à l'égard des Anglais. On espérait que les Mandingues susceptibles s'en alarmeraient.

En réalité, cette politique à courte vue n'eut aucun effet. Les Anglais éprouvèrent bien des difficultés, mais ce fut auprès des chefs du Boundou et du Kaarta, que ne vit pas Mollien. Pour celui-ci, il avait trop à faire, dans son appareil misérable, pour se suffire à lui-même et pour inspirer grande confiance aux chefs indigènes. Les Mandingues qu'il put voir n'entravèrent nullement la marche de la mission.

Fleuriau, qui rendait aimablement service au colonel Mac Cartny, en lui envoyant des chevaux, de la farine et des provisions de bouche, lui écrivait malicieusement, le 8 mai 1818, pour lui faire voir qu'il n'ignorait rien de ses projets.

MONSIEUR LE Colonel,

Je profite du départ de l'Active pour rappeler à Votre Excellence, que vous'avez bien voulu m'annoncer, il y a cinq mois, l'intention de renvoyer à bord du Brick le Discovery, les pièces d'artillerie qui appartenaient aux établissements français et qui devaient nous être remises lors de la reprise de possession par les troupes de Sa M. T. C. Je suis persuadé que ce


retard dans l'exécution de votre promesse a été occasionné par les préparatifs de l'expédition qui a remonté la rivière de Gambie, et par l'impossibilité où s'est trouvée Votre Excellence de se procurer plus tôt des moyens de transports ainsi j'ai lieu d'espérer qu'en me faisant l'honneur de me répondre, vous m'apprendrez le prochain départ de cette artillerie, qu'il est pénible de réclamer si souvent. »

L'expédition anglaise partit de Bathurst le 2 mars 1818 elle était signalée le même jour, passant devant notre comptoir d'Albréda et comprenant cent hommes, cinq officiers, un brick armé en guerre, et un transport. Sans être aussi considérable que celle de Peddie, elle était d'une force impressionnante. Remontant le cours de la Gambie, elle s'arrêtait au terminus de la navigation, à Kayaye, et mettait pied à terre.

L'heure ne pouvait pas être plus mal choisie. Gray pensait laisser passer la mauvaise saison, et déjà il avait commencé à construire un village à Kayaye quand, fatigué des lenteurs d'indéterminables préparatifs, Mac Cartny ordonna qu'il partit coûte que coûte. On était aux premiers jours de mai les pluies arrivaient et la mortalité n'allait pas tarder à sévir sur cette malheureuse troupe, harassée de fatigue et débilitée par le climat. Au bout de quelques jours, ayant perdu la plupart de ses chevaux et de ses chameaux, et voyant tout son personnel européen malade, Gray dut ordonner l'arrêt momentané de l'expédition. On avait traversé les provinces du Niani et du Ouli et on était arrivé aux confins du Boundou (10 juin).

Les Français de Saint-Louis « se trouvaient involontairement portés à comparer la rapidité de Mollien, la modestie de son attirail, avec les lenteurs et les millions de l'expédition anglaise. Ce voyage est devenu une affaire


nationale, à laquelle se rattachent tous nos vœux, et dont les succès ont justifié nos espérances ».

Pour Fleuriau, ses inquiétudes redoublent

ic La route du major Gray ne me paraît pas la plus directe pour aller à Scgo. Quel a donc été son but en se rapprochant du pays de Galam, dont il n'estqu'à huit jours de marche Ce ne peut-être que d'entamer des relations de commerce avec nos anciens établissements. n

Et il signale, comme on l'a vu plus haut, que les Anglais ont à plusieurs reprises envoyé des marabouts à Galam avec des présents considérables mais que tout en acceptant ces présents, les gens du pays, qui tiennent aux Français, n'ont pas donné suite à leurs propositions, Il finissait en ces termes

« Les Anglais s'occupent de leurs intérêts commerciaux avec une activité incroyable tandis qu'ils cherchent à nous enlever nos relations avec le Galam, ils essayent d'attirer à Portendick une partie de la gomme de la rivière. J'ai appris, ces jours derniers, qu'un bâtiment anglais de la Gambie y avait paru, pour chercher un chargement. Le capitaine de ce navire n'ayant pu réussir à s'en procurer, a fait demander au Roi des Trarzas de lui en tenir deux cargaisons pour l'année prochaine, en promettant d'apporter des guinées et d'autres objets de traite. J'espère bien mettre obstacle à ce projet. Mais il serait nécessaire, indépendamment de mes démarches auprès du Roi des Trarzas, que Votre Excellence daignât donner des ordres, et des instructions sur le droit que nous pourrions avoir d'éloigner les Anglais de Portendick. n

Cet arrêt de Gray en pleine brousse, dans un pays presque désertique et sans ressources, ne fut pas de longue durée. Il se remit en marche et atteignit Boulébané, la capitale du Boundou. L'almamy en était alors


Hamadi Aïssata, qui fit preuve à l'égard de Gray de la plus mauvaise foi. Après plusieurs semaines d'attente, quelques Européens de sa mission avaient déjà succombé les autres traînaient la fièvre; le découragement gagnait tout le monde il tourna court vers le fleuve Sénégal et au début de juillet campait « à deux lieux de Galam », c'est-à-dire à Samba Kantaye, au confluent du fleuve et .de la Falémé. Le convoi de Galam, qui devait fonder Bakel, n'était pas encore parti de Saint-Louis, mais Gray «tait trop épuisé pour pouvoir profite) de la situation, à supposer qu'il en eût l'intention.

De son nouveau campement, et bien décidé à attendre la mauvaise saison, Gray envoyait en avant, sur Ségou, son ami, le chirurgien Dochard, pour préparer la voie. Il expédiait en même temps sur la côte un de ses hommes de confiance, Partarieux, qu'il appelait Parlariau, mulâtre de Saint-Louis, qui lui avait déjà rendu et devait lui rendre les plus grands services. Partarieux devait acheter des provisions, renouveler à Sainte-Marie le stock de marchandises, déjà bien éprouvé, et reconstituer les moyens de transport. A cette date en effet, tous les chameaux de l'expédition et la plupart des chevaux avaient péri.

Fleuriau avait reçu des ordres formels du ministère. Il devait venir en aide à Gray et lui faciliter son voyage dans l'intérieur de l'Afrique. 11 recommande donc à de Meslay. qui allait partir avec le convoi, « de faire les honneurs du pays à cette expédition, de lui donner les secours qui seraient à sa disposition, et d'employer son influence auprès de l'almamy de Bondou, pour faciliter la continuation de sa route ». Et il chargeait sur le convoi un supplément de vivres à l'usage de Gray.

Mais en même temps, il se défend vis-à-vis du ministre,


qui lui a reproché de s'écarter de lu politique amicale, pratiquée par la métropole avec la Grande Bretagne, et de poursuivre de son antipathie et de ses méfiances l'expédition Gray.

« J'ai agi, dit-il, d'aprés la connaissance que mon éducation m'avait donnée des individus à qui j'avais à faire, et je ne me suis pas trompé en ne me laissant point arriérer. Si je ne me suis pas toujours tenu au niveau des intérêts politiques de la Métropole, veuillez penser, Monseigneur, à mon éloignement, à l'impossibilité de connaître la marche des choses. Peut-être serait-il important de me donner plus fréquemment des instructions qui puissent me diriger dans ma conduite, sans laisser au hasard de mon seul jugement la chance de deviner juste ou non. Votre Excellence sait mieux que personne qu'il est facile de trouver bien des serviteurs plus habiles que moi. mais peu, j'ose le dire, de plus entièrement dévoué à son Roi et à son pays. Ces sentiments, dont je suis pénétré, ne sont pas indignes de la confiance que je réclame. »

Dès lors, Fleuriau fait du zèle. Il se défend d'être la cause des difficultés que l'almamy du Boundou a créées à Gray. Il lui envoie des vivres et des rafraîchissements, qu'on ne lui demande pas, mais qui seront évidemment les bienvenus qui plus est, il s'en prend à Partarieux qui s'endort dans les délices de la ville natale. Il lui ordonne, malade ou non, de réunir ses approvisionnements, afin qu'il puisse les faire charger sans retard, et de se préparer lui-même au départ.

« Vous vous êtes engagé vis à vis du Gouvernement, lui ditil, et il n'y aurait qu'une impossibilité, bien légitimement constatée, qui puisse m'empêcher de tenir la main à ce que vous remplissiez vos engagements avec exactitude. J'ai différé le départ de l'Aviso de Sa Majesté le Moucheron, depuis quinze jours, parce que je pensais bien, que vous aviez quelques dépê-


ches à envoyer à M. le Colonel Mackartny. Si vous voulez les confieraux soins du capitaine, M. Dernoges, vous pouvez être assuré qu'elles seront remises exactement. »

II écrivait en même temps à Mac Cartny' le i\ septembre

« J'ai reçu une lettre du Major Gray, qui me prie d'assister Partarieux, afin de lui envoyer par le convoi de Galam quelques approvisionnements, qui lui étaieut indispensables, et qui se trouveraient au Sénégal. En conséquence, j'ai fait demander la liste de ces provisions, afin de les expédier promptement. De plus, craignant que Partarieux ne fût pas très disposé à rejoindre promptement, je lui ai donné à connaître que je tiendrai la main, à ce qu'il remplisse ses engagements vis vis du Gouverneur anglais avec exactitude. Il m'a répondu, qu'il ne devait rejoindre le Major Gray, qu'au mois de décembre, qu'il serait obligé d'aller en Gambie pour chercher de l'ambre et des verroteries, et qu'il me priait de faire donner des rations aux gens qui l'avaient accompagné. Cette demande lui a été accordée sur le champ.

Maintenant, M. le Colonel, fidèle à la promesse que je vous ai faite, de m'adresser directement à vous, avant de juger des faits, que la passion et l'inconséquence dénaturent toujours, je vous prierai de me dire, si M. le Major Gray avait ordre de passer dans le pays de Boundou, et de s'arrêter aussi à Galam. comme il en a eu intention. Je vous observerai ensuite dans tous les cas que la présence de cette expédition, pendant six mois, dans des pays qui sont attachés aux dépendances du Sénégal, est fort nuisible à nos intérêts, par la concurrence qu'elle établit entre elle et nous comme vous l'observez for t bien, l'intérêt de l'Afrique est un champ vaste à explorer, pourquoi donc venir nous chercher dans ses limites assez serrées, dans lesquelles nous nous renfermons ? Comment se fait-il qu'une expédition, destinée pour aller au loin, débute par séjourner pendant six mois, auprès de nos établissements, et se mette pour ainsi dire dans l'impossibilité de continuer sa


route il Cependant je suspendrai tout jugement à cet égard jusqu'à la réponse de Votre Excellence, et d'ici là, vous pouvez être assuré, que j'employerai toute mon influence dans le haut pays, pour que l'expédition soit respectée, et assistée, au besoin par tous les moyens qui sont à ma disposition. »

II se défend ensuite d'être la cause des difficultés qu'a rencontrées Gray dans le Boundou. Et il ajoute malicieusement, pour faire voir que la mission souffre d'embarras, qu'on ne saurait, ceux-là au moins, lui attribuer

« J'ai cru voir qu'il y avait quelque dissidence d'opinion, parmi les personnes de la mission, qui ont droit de délibération. C'est ce que je ne saurais assurer, car je ne puis me fonder que sur quelques mots échappés à Partarieux, malgré son extrême réserve. Ce serait fort fâcheux et nuirait beaucoup aux succès d'une entreprise, dont les résultats doivent intéresser toutes les nations civilisées. »

Il était exact que des dissentiments s'étaient fait jour au sein de la mission. Plusieurs de ses membres reprochaient à Gray de l'avoir détournée de son chemin et amenée en Galam. D'autres voulaient revenir à la côte, èt le firent d'ailleurs peu après. Pour Gray, il n'entendait avancer, conformément aux méthodes anglaises, qu'en ayant plus que solidement assuré ses derrières, et en attendant, pensait sans doute que ce ne serait pas du temps perdu que de s'employer à dériver sur la Gambie le commerce de la gomme du haut fleuve.

Entre temps, Gray éprouvait bien des déboires à Samba Kantaye difficultés avec les naturels, brimade de l'almamy maladies et morts répétées.

Sur ces entrefaites, avec la fin d'octobre 1818, parut le convoi fluvial de M. de Meslay.


« L'arrivée de la flotte française marchande, dit-il, fut pour nous une heureuse diversion elle venait de Saint-Louis à Galam, et était commandée par un officier avec lequel j'avais eu le plaisir de faire connaissance au Sénégal (de Chastelus). En se rendant à Boolibany, il vint me voir. La pensée de savoirpres de nous des Européens allégea dans l'instant tous nos maux il faut avoir souffert longtemps la privation d'êtres, capables de partager nos sentiments pour comprendre toute ma joie de me retrouver avec mes semblables.

Le capitaine Deschastelieu me dit que l'officier commandant à Saint-Louis (M. de Fleuriau) l'avait expressément chargé de me procurer tous les secours qui seraient en son pouvoir, et j'ai grand plaisir à reconnaître que j'ai reçu de tous les officiers, dans plusieurs occasions, la plus cordiale assistance. » Gray se hâta de se transporter à bord de l'Argus pour prendre contact avec l'expédition française. Il était flanqué de l'almamy du Boundou, qui avait absolument voulu l'accompagner. C'est à « Baquelle » même, dont on commençait l'installation, que Gray trouva les Français. « On ne pouvait pas, dit-il, choisir une position plus avantageuse, » Après la plus cordiale réception, Gray rentrait à son camp, quand il rencontra l'almamy. « Je le trouvai extrêmement malade, couché sur une natte de l'intérieur d'une petite hutte, entouré de trois ou quatre de ses favoris, qui paraissaient convaincus du terme prochain de son existence, et qui s'occupaient d'en arracher les objets de leurs désirs, avant le moment fatal, où il ne serait plus temps de.lui rien demander. Quelques instants après mon arrivée, il leur ordonna de sortir, ayant quelque chose de particulier à medire, et aussitôt après leur départ, il m'appela à ses côtés, ce qui fut loin de me paraître agréable. Alors plaçant sa bouche à mon oreille il me dit « Comme ces hommes sont fripons Je l'ignorais, mais sur le bord de la tombe, et prêt à fermer l'œil pour jamais, je vois combien ceux qui me craignaient pendant ma


vie auront sujet de me regretter après ma mort trop tard alors, ils apprécieront ce que je pouvais valoir ». Ensuite il me demanda ce que je pensais des Français, qu'il appelait mes nouveaux amis ma réponse ne pouvant que leur être favorable, il manifesta une grande surprise que des peuples, si récemment en guerre, puissent tout à coup devenir amis. Après lui avoir laissé faire ces réflexions, je m'empressai de lui expliquer les causes du retard apporté aux objets qui lui avaient été promis; mes explications le satisfirent pleinement de mes excuses, et j'achevai de gagner ses bonnes grâces en y joignant un petit présent suivant l'usage. Je le quittai, et ce fut pour toujours. » Il mourut en effet le 6 janvier 1819, et eut pour héritier son neveu, Moussa Yoro Malik, fils de Malik Aïssata.

Les difficultés redoublèrent avec ce nouveau, fourbe, et insatiable souverain. Gray et ses gens furent contraints de décamper de Samba Kontaye et de venir à Boulébané, où ils furent enfin rejoints par Partarieux que, à la demande du commandant Appleton, de SainteMarie, le Gouverneur avait enfin pu faire partir de SaintLouis. Ils ne purent sortir de Boulébané qu'au cours de l'année 1819, mais alors, après plusieurs et infructueuses tentatives pour regagner Saint-Louis par le Fouta Toro, Gray se heurta à l'hostilité des Foula. Encerclé, ne sachant comment se dégager, il vint chercher du secours à Bakel. Quand il eut rejoint son campement, ce fut pour constater que ses gens s'étaient tirés d'affaire tout seuls et ce fut lui qui, à son tour, fut fait prisonnier. Libéré non sans peine. Gray parvint à se réfugier à Bakel. C'était en fin 1819.

Gray se' trouvait enfermé dans un cercle vicieux. L'heure était propice pour se mettre en route pour Ségou, mais les avatars survenus à sa mission le laissaient très


appauvri, et il ne pensait pas pouvoir aller de l'avant sans un convoi important. Mais on était en saison sèche il n'y avait plus d'eau dans le fleuve, il fallait pour se ravitailler attendre l'hivernage de 1820, et c'est ainsi qu'il resta à Bakel plus d'un an. Les transactions auxquelles lui et ses gens se livraient forcément, et qu'on taxait de « prodigalité » à Bakel, ne pouvaient que faire du tort aux transactions des commerçants de Saint-Louis en Galam, et c'est à partir de ce moment-là, où les intérêts des deux nations entrèrent directement en conflit, que les suspicions s'aggravèrent. Schmaltz ne cesse de se plaindre soit au Ministre, soit au colonel Mac Cartny, à Free Town.

Sur ces entrefaites, le 3o juin 1820, on apprit à Bakel le retour de Dochard. Gray courut à son devant et le rejoignit très malade à l'ancien fort de Saint-Joseph. Dochard guérit, non sans peine, mais resta dans un état de santé tel qu'il dut après redescendre avec le convoi sur Saint-Louis. Il devait mourir d'épuisement l'année suivante.

Dochard avait atteint dans son voyage Bamako, mais avait dû s'arrêter à ce village, sur le Niger, par suite de la maladie et aussi parce que les Bambara de Ségou, en guerre avec les Peul du Macina, lui interdisaient de venir chez eux avant la fin des hostilités. Cette interdiction, pensait Gray, ne pouvait l'atteindre, car il estimait que la guerre, qui durait depuis longtemps, serait terminée quand il arriverait dans le Niger. Mais les circonstances allaient le contraindre à modifier son programme.

Le 21 septembre i82o, la flotte parut. Il s'empressa de la visiter. Ce fut pour constater que la plupart des approvisionnements sur lesquels il comptait faisaient défaut.


Beaucoup ne lui avaient pas été envoyés une partie desautres avaient fait naufrage dans l'attaque des indigènessur le fleuve. IL réforma alors complètement son plan d'action, renvoya le monde inutile (53 personnes) à la côte par les bâtiments de l'expédition, qui redescendaient sur Saint-Louis, allégea son convoi et ne garda avec lui que quinze hommes pour faire une nouvelle tentative sur de nouvelles bases.

Le 16 novembre i82o, l'expédition anglaise, ainsi réorganisée, quittait enfin Bakel. Elle dut passer par la rive maure pour éviter les embûches de l'almamy du Boundou, et fit halte à Maknana, auprès du tounka Samba Kongol, un peu en amont du confluent du Sénégal et la Falémé. Cette halte se prolongea cinq mois. Gray qui décidément ne voulait rien risquer, ce qui est la meilleurefaçon de ne rien faire en Afrique, avait fait prévenir Modiba, souverain du Kaarta, de son intention de traverser le pays, et lui demandait un homme de confiance pour l'accompagner. Plusieurs mois se passèrent avant qu'on eût des nouvelles.

Dès le premier jour, Hesse, qui prévoyait ce retard, avait fait représenter au Major par l'ingénieur des mines Grandin, qui explorait dans les environs, que son séjour en Galam nuisait au commerce « par l'émission considérable de marchandises à laquelle il donne lieu ». Gray répondit avec flegme qu' « il attendait un guide pour continuer sa route et qu'aussitôt son arrivée, il se mettrait en marche ».

Le Coupé fut exaspéré de ce nouveau contretemps. Il écrit, le 4 mars i8ai, au Ministre de la Marine et des Colonies

«J'avoue, Monseigneur, que les prétextes multipliés dont se servent les Anglais depuis près de trois ans pour prolonger leur


séjour dans nos établissements tournent en certitude les soupçons que j'avais conçus sur le but réel de leur mission. Voici ce que j'ai cru devoir écrire à M. liesse relativement à cette expédilion.

« Il faut absolument que M. Gray s'éloigne de nos établisse« ments, soit qu'il continue son voyage, soit qu'il redescende « vers Saint-Louis ou la Gambie. Faites-lui connaître sans « détour que son séjour prolongé à Maknana fait naître des « soupçons sur le but de sa mission et qu'il doit se hâter de les « faire cesser, s'ils ne sont pas fondés. Si, malgré ces représen« tations, il persistait. à demeurer où il est, vous lui adresseriez « une protestation en forme contre sa présence sur les bords s « du fleuve du Sénégal et vous m'en enverriez une copie que je « transmettrais au Ministre, et au Gouverneur des possessions « anglaises. Dans tous les cas, qu'il reste ou qu'il s'en aille, vous« pouvez l'informer que j'ai fait part à mon Gouvernement des « doutes que je conserve sur les fins de l'expédition, qu'il « commande. n

Il prescrivait en même temps à Hesse de ne pas recevoir le major anglais à Bakel et de ne lui fournir les secours en marchandises qu'il demandait, qu'autant qu'il donnerait sa parole d'honneur de se diriger immédiatement vers l'intérieur ou vers les établissements européens s de la côte.

Ces ordres, même mollement exécutés, devaient avoir raison de la ténacité anglaise. Gray se voyait contraint d'envoyer un sergent-major, « le second chef de l'expédition n, sous le prétexte de le faire soigner à Bakel d'une certaine maladie, mais plus probablement pour se procurer dans le commerce de nouvelles marchandises. Hesse n'assure pas que le gérant de la société ne lui en ait pas donné quelque peu en cachette.

Ce sous-officier fit des déclarations surprenantes, et Hesse, qui en est tout abasourdi, a soin, en les rappor-


tant, de bien spécifier qu'elles furent faites en présence de plusieurs témoins.

« Lorsque nous sommes partis de Bakel, dit-il, après les secours que vous nous avez fournis, j'ai cru les irrésolutions de M. Gray fixées et j'ai pensé que nous allions effectivement continuer le voyage qui paraissait le but de notre mission mais arrivé à Maknana je suis retombé dans ma première opinion que M. Gray n'avait jamais eu l'intention de quitter les établissements français. Vingt occasions favorables se sont présentées depuis cette époque il les a toutes laissées échapper et quand j'ai hasardé quelques observations à ce sujet, il les a toujours éludées aussi ai-je cessé d'en faire afinde me conserver la bienveillance de mon chef ce moyen me paraissait le plus certain pour y parvenir, puisque Charles Guiau, mulâtre de Saint-Louis, homme sans moyen et sans conduite, l'a employé avec succès et qu'il lui a attiré toute la confiance de M. Gray. »

« Voici, continue Hesse, ce que m'a dit un Anglais, sans que je l'y sollicite. La naïveté avec laquelle ce rapport m'a été fait lui a donné d'autant plus de force que toutes les actions de M. Gray semblent concourir à en démontrer la véracité. »

Le départ de l'expédition allait enfin tirer Hesse d'inquiétude. A la mi-mars arrive une bande de pillards du Kaarta. Elle ravage, pour se faire la main, le Boundou, au grand désespoir de Gray, et comme elle n'est autre que l'escorte qui doit l'accompagner, repart avec lui le 18 mars. La caravane, passant par Somankidi, arrivait dans le Khasso à Mounia, où elle dut attendre plus d'un mois le bon plaisir de Modiba. Celui-ci ne voulait voir ni Gray, ni aucun de ses hommes, par suite d'une prédiction que lui avaient faite les marabouts, qu'il serait frappé de mort à l'instant, s'il jetait un seul regard sur un blanc. Il fallait donc correspondre par des messagers


oraux qui, cupides et menteurs, gardèrent la plus grande partie des présents et embrouillèrent à plaisir les relations. On put repartir, mais ce ne fut pas pour aller bien loin. A Somantari, Modiba ordonnait à Gray de revenir en arrière.

Il fallut céder et faire retraite. C'était le 8 mai 182 1. La mission arrivait sans encombre en fin juin à Bakel. On était si fâché au Sénégal contre cette attitude des Anglais que c'est à peine si on voulut croire à cet échec, qui pourtant devait leur être sensible. « Comme je m'y attendais et sous le prétexte, peut-être fondé, dit Le Coupé, de l'opposition mise à son passage par les chefs du Kaarta, jusqu'où elle s'est avancée, elle est revenue à Bakel vers la fin de juin. » Le Coupé avait en conséquence donné des ordres précis ne pas recevoir le major dans le poste, ne lui donner aucun secours qu'autant qu'il donnerait sa parole d'honneur de redescendre à Saint-Louis avec le convoi ou de retourner sur la Gambie par terre. Le major, à bout de ressources, dut céder. D'ailleurs, comme il le dit lui-même dans sa relation, il estimait que sa mission était finie. Il choisit la première voie, et descendit le fleuve aux hautes eaux de juillet 1821, sur l'Africaine. Il confia au Gouverneur, à Saint-Louis, que, convaincu qu'on ne traverserait jamais l'Afrique qu'en se faisant passer pour musulman, il avait le projet de se proposer au Gouvernement britannique pour entreprendre un nouveau voyage, « accompagné d'un seul marabout »

C'est le projet que Mollien avait réalisé sous ses yeux en i8i8-i8ig, et c'est celui que René Caillé, alors à SaintLouis, et qui vit sans doute le major Gray et entendit parler de ses déboires et de l'école qu'il avait faite, allait réaliser, cinq ans plus tard, en s'y préparant dès ce jour-là.


Gray s'embarqua pour Sierra-Leone par le premier bateau, et de là, rentra en Angleterre. Il se consola de son échec, en écrivant une relation fort intéressante de son voyage et en lui donnant comme exergue ces vers de Properce

Quod si defieianl vires, audacia cerle

Laus erit in magnis el voluisse sal est.

Et Le Coupé tirait de cette expédition manquée les conclusions suivantes « Quel que soit le motif qui a retenu M. Gray plus de trois ans à notre poste et dans les environs, il reste pour constant que sa présence a fait grand tort à notre commerce. Que ce soit volontairement ou par hasard, le résultat est toujours le même. n


LES NOUVEAUX PAYS-BAS lîT

LA NOUVELLE SUÈDE

La question de l'origine de la colonie hollandaise des Nouveaux Pays-Bas ou Nouvelle-Belgique (Nieuw Nederland ou Nieuw Belgie) est une des plus obscures qui soient dans l'histoire de la colonisation européenne du Nouveau Monde. Le célèbre historien américain Bancroft ne l'a traitée qu'assez imparfaitement et les découvertes, faites ultérieurement, ont achevé de la compliquer. Nous essaierons dans cet article de la clarifier et d'en donner une bonne vue d'ensemble, mais sans nous dissimuler que bien des points restent douteux et par conséquent sujets à révision.

Les Hollandais sont venus dans l'Amérique du Nord sous la conduite d'un Anglais, le capitaine Hudson. La Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, fondée en 1602, lui avait confié un navire, appelé Le Croissant, à bord duquel il était parti le 4 avril i6og à la recherche du passage du Nord-Ouest. Au cours de ce voyage, Hudson reconnut une longue étendue de côtes le long de l'Atlantique le 3 septembre, il découvrait la rivière, qui porte aujourd'hui son nom; il regagnait ensuite l'Europe. Quelques aventuriers hollandais vinrent derrière lui dans cette


région, soit à la fin de 16og, soit plutôt en 1610 l'un d'eux, Hendiïk Christiansen, était originaire de Glèves. Les explorations se multiplièrent. Des essais de colonisation eurent lieu au cours des années suivantes, un peu au hasard d'ailleurs. C'est ainsi que furent fondés les établissements de Breukelen (aujourd'hui Brooklyn) et de Nieuw-Utrecht en 1610 et celui de Fort-Orange (actuellement Albany) en i6i5. Entre temps, en i6i4, Adrien Blonk découvrait l'East River3 et faisait le périple de Long-Island.

C'est à la fin de cette période de tâtonnements, que se place la tentative de colonisation des Wallons du Hainaut, ou Hennuyers, qu'a racontée M. de La Roncière dans un article paru dans cette revue même 4. Quoique son récit présente quelques divergences d'avec d'autres récits parus dans la presse, tant française que belge et américaine 5, nous y renvoyons sur ce point, en nous contentant de le complèter par les indications suivantes la pétition des calvinistes français au gouvernement hollandais serait d'avril 1622 et le navire Nieuw Nederlandt aurait quitté Leyde en mars i6a3. Ces deux renseignements se trouvent dans l'article de M. de Poncheville. Ajoutons, toujours d'après ce dernier auteur, que NeufAvesnes aurait brûlé en 1626, et que Nieuw-Amsterdam aurait été construite sur son emplacement.

Cette découverte a fait grand bruit. Personnellement, nous nous permettons de faire des réserves sur son authenticité et nous craignons qu'elle ne soit basée en tout ou 1 Nous ignorons où était ce dernier.

2. Construit dans Castie Island, ile de l'Hudson.

3. Il l'appelait Mauritius.

4. Année 1933, trimestre, pages 170-173.

5. Voir Écho de Paris, 22 août 1924, l'article de Ni. de Poncheville.


en partie sur des documents apocryphes. En ce qui concerne la famille de Forest le seul fait certain est que troi s des enfants de Jessé de Forest se sont bien établis à Nieuw-Amsterdam en 1637 c'est le seul fait qu'affirment les monuments commémoratifs inaugurés à NewYork le 20 mai 1924 et à Avesnes le 22 août 1924. Les raisons qui nous font douter sont les suivantes. Tout d'abord, quand Peter Minnewyt arriva à Manhattan en 1626, il n'y trouva qu'un village d'Indiens Mohicans, auxquels il acheta l'île pour une modeste somme de 60 florins. D'autre part, Neuf-Avesnes aurait été fondé « sur la rive droite de l'Hudson, dans l'île marécageuse de Manhattan » d'après M. de Poncheville or l'île est proche de la rive gauche et est séparée de la rive droite par le bras principal du fleuve les termes employés sont donc contradictoires. Enfin comment expliquer que le fait soit resté inconnu si longtemps P

Tout bien pesé, il y a trois explications possibles ou bien Peter Minnewyt a menti, ce qui est difficile à admettre, étant donné ce que l'on sait de la noblesse de son caractère; ou bien, il y a eu un centre de colonisation fondé par Cornelius May avec ses Wallons, non pas à Manhattan, mais sur la rive droite de l'Hudson, quelque part vers Jersey City ou à la pointe Bergen ce centre aurait été détruit par un incendie et Minnewyt en aurait t installé les habitants à Manhattan; ou enfin il ne s'agirait que d'une audacieuse tentative de quelques faussaires pour enlever à Peter Minnewyt la gloire d'avoir fondé la première ville européenne dans l'île de Manhattan et pour vieillir New-York. N'ayant pas les documents sous les yeux, il nous est impossible de dire laquelle de ces trois explications est la bonne.

La période légendaire de l'histoire des Nouveaux Pays-


Bas prend fin en 1623. Cette année-là se constituait à Amsterdam une Compagnie à charte elle recevait du gouvernement le monopole du commerce des pelleteries dans l'Amérique du Nord, ainsi que le droitexclusifd'yfaire des entreprises de colonisation. Elle se faisait reconnaître les droits de souveraineté l'État lui cédait les établissements déjà fondés.

La Gio des Indes Occidentales c'était son nom envoya comme directeur de la colonie un certain Peter Minnewyt ou Minuit i, originaire de Wesel ou tout au moins y ayant longtemps habité, en qualité de diacre de l'Église réformée; il avait quitté cette ville après sa prise par les Espagnols pendant la guerre de succession de C Lèves. On ne sait pas au juste, s'il était Hollandais ou Allemand. Personnellement, malgré la parenté du dialecte bas rhénan et du hollandais, nous pencherions vers la première hypothèse, à cause de la forme même de son nom. Il y avait depuis longtemps à Wesel une florissante colonie hollandaise, ainsi que dans les principaux ports rhénans, et le traité de Xanten, qui mit fin en 1614 à la guerre de succession de Clèves2, donna Wesel, comme place de sûreté, aux Provinces-Unies. Minnewyt, arrivé en Hollande, se tourna vers le commerce il fit plusieurs voyages dans l'Amérique du Sud, puis entra au service de la C'° des Indes. Le 4 mai 1626, il arrivait à l'embouchure de l'Hudson; il achetait aux Mohicans pour 60 florins l'île de Manhattan, grande de 1 1 .000 journaux de terre, et y fondait Nieuwi. La forme Minuits, qu'emploie Bancroft, est erronée.

a. La Hollande avait pris parti pour l'électeur de Brandebourg, un des compétiteurs. La place fut prise la même année par le général espagnol Spinola et ne retomba qu'en 167g au pouvoir des ProvincesUnies. Minnewyt dut donc quitter Wesel en 161 4.


Amsterdam, capitale de la colonie naissante de NouvelleBelgique il commençait par élever un fort à l'angle sudest de l'île. Il apportait dans ses relations avec les indigènes un esprit de tolérance et de charité chrétienne remarquable pour l'époque il y avait en lui du missionnaire. Pareil esprit ne plaisait guère aux marchands d'Amsterdam, qui, malgré le rapide développement des exportations de pelleteries, lui marquèrent bientôt leur défaveur et le rappelèrent finalement en Europe au mois d'août i63i. Signalons que. dès 1626, le gouverneur anglais de la colonie de New-Plymouth J, Bradford, avait protesté contre l'établissement des Hollandais, et avait réclamé la souveraineté de la côte jusqu'au 4o° Lat. N. pour le roi d'Angleterre. Heureusement, Charles Ier se montra plus modéré.

Pour peupler la colonie, les Hollandais firent appel à des immigrants étrangers, auxquels ils servaient de cadres. Ce furent surtout des protestants du Nord et du Nord-Ouest de l'Europe, qui vinrent. Nombreux furent les Flamands et les Wallons, ces derniers arrivés authentiquement en 1637.

Beaucoup d'Allemands des pays rhénans ont immigré aussi, surtout après la fin de la guerre de Trente Ans ils semblent même avoir constitué le fonds de l'immigration à partir de i653 et jusqu'à la guerre avec l'Angleterre. Il y eut enfin des Suisses, des Vaudois du Piémont2 et des huguenots de la Rochelle.

Les Hollandais inventèrent une méthode de colonisation tout à fait curieuse ils introduisirent en Amérique une espèce de régime féodal le patronal. Le patron, 1. Fondé en 1G20.

2. Venus après i656.


toujours Hollandais, groupait autour de lui un certain nombre de clients, le plus souvent étrangers il leur concédait le domaine utile d'une terre, en se réservant pour lui-même le domaine éminent et des droits fiscaux. Ce régime foncier, peut-être antérieur à la Cie des Indes Occidentales, fut réglementé par elle 1 il survécut à la chute de la domination hollandaise. Une organisation analogue avec fiefs existait chez les Français du Canada, de l'Acadie et de la Louisiane on la rencontrait aussi chez les Anglais de la Virginie et de la Jamaïque. Le plus important des patrons était la Compagnie ellemême. Elle offrait aux colons des concessions de terres et des avances, sous forme d'instruments de travail et de semences. Utilisant le monopole de fait que les Hollandais avaient en matière de navigation rhénane, elle envoyait des agents recruteurs racoler des émigrants dans l'Ouest et le Sud de l'Allemagne. Beaucoup de Rhénans et de Palatins de la région d'Heidelberg furent séduits et se laissèrent enrôler2. Ils fondèrent des villages sur les bords de l'Hudson et y introduisirent la culture de la vigne. Dès cette époque, le pavillon néerlandais s'assura le monopole. du transport des émigrants allemands vers l'Amérique du Nord. Ce monopole devait durer jusqu'aux guerres de la Révolution et de l'Empire.

Les Nouveaux Pays-Bas s'étendirent rapidement Long-Island fut colonisée la première après Manhattan. Cornélius May explora les côtes entre les embouchures de l'Hudson et de la Delaware il fonda même Port-Nassau sur le Timber Creek, mais ce poste fut bientôt abandonné. Un nouvel essai, fait par De Vriesen i63i à l'embouchure i. Lettre du 7 juin 1628.

3. Ils arrivèrent surtout entre 1657 et i684.


de la Delaware, ne réussit pas mieux le poste fut détruit par les Indiens dès l'année suivante.

La paix fut troublée de i643 à i648 par un soulèvement des Indiens, qu'exaspéraient la rapacité et la cruauté des Hollandais; plusieurs centres de colonisation, situés dans la vallée de l'Hudson, furent détruits et leurs habitants massacrés. Par contre des tribus entières d'Indiens furent décimées et refoulées vers l'intérieur.

La lutte fut particulièrement vive en i645 et i646 dans l'ile de Manhattan, où les Hollandais furent un instant bloqués dans leurs remparts par les Mohicans ils ne furent dégagés qu'à grand'peine et grâce à l'intervention de volontaires accourus des colonies européennes voisines1.

Des liens de solidarité se formaient ainsi entre Anglais et Hollandais du Nouveau-Monde. Aussi les colonies restèrent-elles neutres pendant la guerre entre les républiques d'Angleterre et de Hollande de i652 à i65/j. Le phénomène inverse se produisit en i654 et i655 entre la Nouvelle-Belgique et la Nouvelle-Suède. Les colonies entrèrent en conflit, alors que leurs métropoles restaient en paix. Mais ici il convient de retourner. en arrière.

La Suède, alors en pleine expansion, voulut devenir à son tour puissance coloniale. Le Hollandais Usselink2, ancien agent de la C'° des Indes Occidentales, qu'il quitta de bonne heure, obtint de Gustave-Adolphe la création d'une Cio à charte suédoise. Cette Compagnie, destinée à battre en brèche le monopole colonial des Hollandais et des Hispano-Portugais, fut créée le 10 novemi- Voir la lettre du P. Jésuite Jogues dans le n° i de la Revue d'Histoire des Missions (juin 1924).

s. On trouve aussi Usselinx.

s On trouve aussi Usselinx.


bre 1624 à Gotoborg, sous le nom de C" Australe; le roi en personne souscrivit pour 4oo.ooo rixdalers du capital social sur 600.000 et Usselink en assuma la direction. Elle prit en 1 626 le nom de Ci, du Sud ou des Indes Occidentales. Dès i63o, les premiers colons suédois et finlandais, amenés par Usselink, construisaient des forts sur le territoire qui correspond au sud du New-Jersey actuel. Mais alors une catastrophe se produisit Gustave-Adolphe, ayant besoin d'argent pour prendre part à la guerre de Trente Ans, mit la main sur les fonds de la Compagnie. Faute d'argent, la colonie ne progressait pas. Gustave-Adolphe eut alors l'idée de chercher des appuis dans tous les pays scandinaves et germaniques il allait signer une circulaire officielle aux princes et aux villes d'Allemagne, quand il fut tué à Lützen (16 novembre i632). Cette circulaire ne fut envoyée qu'au mois de juin 1633 par le chancelier Oxenstiern elle trouva un accueil assez empressé, malgré l'abstention de la Hanse, qui était alors en pleine décadence, on peut même dire en dissolution depuis i63o. Le 13 décembre i634, à Francfort, les représentants des princes protestants des quatre cercles de la Haute-Allemagne se déclarèrent prêts à soutenir l'entreprise. Le duc de Poméranie, les villes de Stralsund, de Stettin et d'Emden envoyèrent des réponses favorables. Usselink, qui le ier mars i633 avait été nommé directeur de la Ci, du Sud, s'assura le concours de Peter Minnewyt, disgrâcié par la C" hollandaise des Indes Occidentales. Peter Minnewyt fut nommé directeur de la colonie à organiser dans la région de la Delaware, c'est-à-dire immédiatement au sud des premiers établissements et baptisée à l'avance Nouvelle-Suède (Nya Sverige). Des colons suédois, finlandais et allemands furent mis à sa disposition. Il quittait Gôteborgà la fin de 1637 avec deux


navires, le Griffon et la Clef de Calmar arrivé à l'embouchure de la Delaware, il remontait cette rivière et fondait le 29 mars i638 le fort Christina (aujourd'hui Wilmington), ainsi nommé en l'honneur de la jeune reine de Suède. Le gouverneur des Nouveaux Pays-Bas, Klieft, protestait immédiatement, en invoquant les droits de souveraineté de la C'° des Indes Occidentales sur ce territoire. Minnewyt ne daigna même pas répondre. Quelques mois après, Minnewyt disparaissait dans une tempête, au cours d'un voyage aux Antilles. Il fut remplacé comme gouverneur par un certain lieutenant Peter Hollender, de nationalité inconnue, lequel n'arriva qu'en avril i64o à Fort-Christina. Hollender dut repousser par la.force les empiètements des Hollandais de la NouvelleBelgique et des Anglais du Maryland. Jugé trop mou, il fut remplacé par un Allemand, Johann Printz von der Buchau1, lieutenant-colonel du régiment des reîtres de Westrogothie. Printz débarqua le i5 février i643 avec une suite nombreuse, dans laquelle figuraient des Pomérariens et des Prussiens polonais. Il fonda Printzhof (plus tard Tinicum) dans une île de la Delaware au nord de Fort-Christina et y transféra le siège du gouvernement de la colonie; il éleva aussi les forts Elfsborg et Nye-Korsholm. La colonie commença à prospérer, grâce au développement de l'agriculture et à l'introduction de la culture du tabac les Suédois commercèrent avec succès avec les Indiens, qu'ils, traitaient avec bienveillance et justice. Malheureusement, les relations avec la mère-patrie étaient trop rares et une expédition de secours, partie de Suède en i64g (4oo émigrants sur,un navire de ig canons), alla se i. Un général de division bavarois de ce nom a été tué en 1918 à la seconde bataille de la Marne.


perdre dans une tempête sur les cotes de Porto-Rico les Espagnols pillèrent le navire naufragé et retinrent prisonniers pendant quelques années les survivants. Les Hollandais étaient jaloux de la prospérité des Suédois. En mai i65i, un nouveau gouverneur, Peter Stuyvesant, prenait la place du pacifique Klieft et réclamait immédiatement la possession du territoire compris entre les monts Henlopen et Code. Il organisait une expédition vers la Delaware, abattait les poteaux-frontières suédois, percevait des taxes sur les navires, qui entraient dans cette rivière, et fondait Fort-Casimir (aujourd'hui Newcastle), entre Fort-Christina et Elfsborg, à cinq milles du premier de ces établissements.

Printz, trop faible pour résister, négocia et envoya demander des renforts en Suède; ne recevant pas de réponse, il partit lui-même à bord d'un navire hollandais et arriva à destination en avril i654.

Il avait croisé en mer une expédition de renfort, commandée par Johann Rising, originaire d'Elbing, et secrétaire de la chambre de commerce; 100 familles d'émigrants composaient l'expédition. Rising, arrivé le 21 mai 1654 à l'embouchure de la Delaware, commençait par forcer le fort hollandais Casimir, occupé par une douzaine d'hommes, à capituler sans coup férir et le rebaptisait Trefaldigket, (Trinité).

La vengeance ne tarda pas. Dès le 12 septembre i65/|, Stuyvesant capturait le navire suédois Gyllem Hajen, entré par erreur dans l'Hudson. En outre, il en référait au Conseil des Directeurs, à Amsterdam, sur la conduite à tenir. Au moment de sa plus grande extension, la NouvelleSuède comprenait le sud du New-Jersey, le Delaware et le nord-est de la Pennsylvanie. Ses limites étaient assez imprécises et c'est ce qui causa sa perte. Les Hollandais,


s'appuyant sur les tentatives de Cornélius May et de De Vries, réclamaient la souveraineté des territoires au nord de l'embouchure de la Delaware, c'est-à-dire de la presque totalité de la Nouvelle-Suède.

Le Conseil des Directeurs de la G' des Indes Occidentales résolut de régler la question par la force, en profitant des embarras du roi de Suède Charles X, aux prises avec la coalition de la Pologne, de la Moscovie et du Danemark. Ils donnèrent à Stuyvesant l'ordre de s'emparer de la Nouvelle-Suède et lui envoyèrent le navire de guerre De Waag (La Vague) de 36 canons avec aoo hommes d'équipage. De son côté Stuyvesant équipa sur place 6 bateaux avec 2/1 canons et 700 hommes. Le 27 août i655, il parut devant Trefaldigkets Fort, qu'il contraignit à se rendre, puis il assiégea Rising dans Fort-Christina et l'obligea à capituler sous la menace d'un bombardement. Les autres forts durent suivre cet exemple. Par la convention du t5 septembre i6ôô, Rising obtint pour les colons suédois le droit de rester sur place et pour lui-même et les employés de la Compagnie celui de retourner en Europe. A en croire Bancroft, la population totale de la colonie était de 700 Européens seulement, hommes, femmes et enfants il faut y ajouter quelques milliers d'Indiens.

Absorbée par ses guerres en Europe, la Suède dut abandonner la colonie à son sort. Au surplus, la Hollande intervint peu après entre la Suède et le Danemark sa flotte battit le 29 octobre i658 la flotte suédoise devant Copenhague. Par le traité de Copenhague (6 juin i66o), la Suède faisait la paix avec le Danemark et avec la Hollande, mais la question de la Nouvelle-Suède resta en suspens malgré les réclamations de Charles X et de Charles XI, elle n'était pas encore réglée en 1 664- Mais alors se


produisit un fait nouveau, qui amena la Suède à renoncer en fait à toute prétention sur son ancienne possession dans le Nouveau-Monde.

A en croire les historiens allemands, la plupart des immigrants qui s'établirent dans la Nouvelle-Suède auraient été d'origine allemande et leur langue aurait fini par prédominer. Le fait est contestable. Presque tous ces Allemands paraissent avoir été des Poméraniens et des Baltes, c'est-à-dire des sujets de la Suède les autres semblent avoir été originaires de la Prusse Polonaise, où ils auraient pris parti pour Gustave-Adolphe et pour Charles X au cours de leurs guerres contre la Pologne et qu'ils auraient dû ensuite quitter pour cette raison. Au surplus, quand William Penn débarqua dans la région de la Delaware en 1682, il y trouva 3.ooo Suédois, Finlandais et Hollandais il ne mentionne pas la présence d'Allemands dans ses rapports officiels au roi Charles IIr ce qui permet de supposer que les descendants des Allemands étaient déjà assimilés par les Suédois et par les Hollandais 1.

Par l'annexion de la Nouvelle-Suède, les Nouveaux Pays-Bas atteignirent leur plus grand développement territorial. Ils étaient limités au nord par la colonie anglaise de Connecticut2 et au sud par celle du Maryland 3 les côtes des États américains actuels de New-York, New-Jersey, Delaware et d'une partie de la Pennsylvanieétaient en leur pouvoir. Ils pouvaient même s'étendredans un no man 's land, correspondan t à la plus grande partie de la Pennsylvanie, qui les séparait de la Virginie. Dans. 1. Il fonda Philadclpliie sur un territoire acheté aux Suédois, au. confluent de la Schuyckill et de la Delaware.

?.. Fondée en i638.

3. Fondée en 1632 (patente du 20 juin de cette année).


la vallée de l'Iludson, la pénétration vers l'intérieur, un instant enrayée par le soulèvement des tribus algonquines, avait repris.

Nieuw-Amsterdam, qui ne comptait que 600 habitants en 16/16, se développait rapidement et sa population atteignait en i665 le chiffre de 3. 000 âmes. De nombreux étrangers, parmi lesquels se trouvaient beaucoup d'Anglais, venus des colonies voisines, s'y établissaient. Un parti populaire s'y forma, qui réclamait le self-govemment, et se trouva en opposition avec les agents de la Compagnie, appuyés par les aristocrates ou membres des familles patriciennes hollandaises les étrangers dominaient dans le parti populaire1. Malgré ces dissensions, Nieuw-Amsterdam était devenu le port le plus important de toute la côte.

Le 22 août i664< l'amiral anglais Nichols parut brusquement devant Nieuw-Amsterdam et somma le gouverneur, Peter Stuyvesant, de se rendre.

Les habitants ignoraient qu'il y eût guerre en Europe entre l'Angleterre et la Hollande. D'autre part, habitués à vivre sur pied de paix avec les colonies anglaises voisines, ils n'étaient pas préparés à se défendre ils durent se rendre sans combattre.

Un petit nombre de colons, du parti des aristocrates, et de fonctionnaires de la Compagnie rentrèrent en Europe.

Ainsi tomba sans résistance cette belle colonie néerlandaise. Nieuw-Amsterdam perdit son nom et devint NewYork, en l'honneur de James Stuart, duc d'York, frère du roi d'Angleterre 2 Fort-Orange subit un sort analogue et i. Cf. les Uitlanders au Transvaal vers i8y5.

a. Le futur Jacques Il.


fut rebaptisé Albany. Deux ans plus tard, le traité de Bréda (3i juillet 1667) consacrait le changement de souveraineté. En 1G72, l'amiral hollandais Evertsen, venu d'Europe pendant la guerre de Hollande, apparut brusquement avec une escadre devant New-York, qui se rendit sans combattre et reprit son ancien nom. Les Nouveaux Pays-Bas ressuscitèrent pendant deux ans, mais la métropole dut les sacrifier en 1674 au traité de Westminster, pour détacher l'Angleterre de la coalition, constituée par Louis XIV contre les Provinces-Unies. New-York et Albany durent reprendre leurs noms anglais. Cette fois, le pavillon néerlandais disparaissait définitivement de l'Amérique du Nord 1.

René LE CONTE.

Bibliographie René LE Conte Colonisation et émigration allemandes en Amérique avant 1815 (extrait du Journal des Américanistes de 1922). Rudolf Cronau Drei Jahrhanderte deulschen Lebens in den Vereiniylen Staaten. Dietrich Reimer. Berlin. 1909. Wilhelm Mônckmeier. Die deutsche überseeische Auswanderung. Gustav Fischer. Iéna, igia. BANCROFT. Histoire des États-Unis (traduction française Gotti de Gamond), g vol Firmin-Didot. Paris, 1861-64.


COMPTES RENDUS

ET NOTES DIVERSES

1

COMPTES RENDUS ET NOTES BIBLIOGHAPHIQUES

BRACQ (Jean Charlemagne). The Evolution of French Canada. New York, the Macmillan Company, 192/i. Voici un livre bien fait, animé d'un bon esprit, écrit en une bonne langue anglaise. Disons, tout de suite, à propos de cette langue, qu'employée par un Français compétent elle n'a rien perdu de ses qualités propres, tout en y ajoutant une clarté et une vivacité bien françaises.

Les dix premiers chapitres sont consacrés à l'évolution hislorique du Canada français. En bon raisonneur plutôt qu'en simple narrateur, M. Bracq s'attache moins à nous donner le récit des faits successifs qu'à en dégager la philosophie, c'est-à-dire les rapports de causes à effets et les conclusions morales et autres qui en résultent. Il faut l'en féliciter et l'en remercier car l'histoire du Canada n'avait guère été envisagée de ce point de vue élevé et expliquée avec une telle lucidité.

Après avoir analysé les origines, tout à la fois rurales et militaires, de cette race française implantée au sol d'Amérique, M. Bracq. comme M. Georges Goyau, nous en montre l'organisition théocratique et, tout protestant qu'il est, rend pleine justice aux Jésuites comme- aux Sulpiciens, à Mgr Laval comme aux Dames de la Congrégation « Les prêtres canadiens sont hommes de mérite, dit-il. Ils firent preuve jadis du plus


noble héroïsme leur conduite reste de nos jours digne d'éloges. Nulle Eglise n'a jamais fait preuve de plus de dévouement, n'a rendu plus de services à son peuple. »

Pourquoi donc les vainqueurs, si peu nombreux, ont-ils dès la conquête tellement dominé les vaincus ? Est-ce, comme ils l'affirment, par suite d'une supériorité de race qui se manifesterait tant dans l'organisation collective que dans l'initiative individuelle? Nullement: les malheureux vaincus, qui avaient déjà tant fait pour l'aménagement et pour le développement de la colonie, furent systématiquement sacrifiés aux égoïstes intérêts des vainqueurs qui se montrèrent aussi impitoyables exploiteurs qu'indélicats usurpateurs. M. Bracq a, en ses chapitres III et IV, des pages éloquentes, éloquentes à force de chiffres et de faits, sur l'odieux contraste que présentent la misère des victimes et la prospérité des oppresseurs. D'où le soulèvement de 1837, si brutalement réprimé. La leçon n'en profita pas moins à la métropole, surtout quand elle s'aperçut que ces Français brimés étaient de meilleurs sujets que les Anglais comblés, plus loyalistes même envers la Couronne, moins séparatistes et puis, la persécution n'avait-elle pas. comme toujours, développé en cette forte race des qualités d'endurance, de persévérance, d'énergie qui en faisaient un solide élément conservateur ? Enfin, ces bons citoyens trop méconnus ne constituaient-ils pas les trois quarts de la population coloniale ? P

Par prudence, par calcul, par intérêt, Albion se fit donc généreuse elle admit au pouvoir des Canadiens français qui tout de suite prirent le premier rang. De là. les trois grands ministères successifs d'Hippolyte La Fontaine, de Georges Cartier, et de Wilfrid Laurier, qui prouvèrent, sinon la supériorité, du moins l'égalité de la prétendue race inférieure. « Pour n'être pas douée des mêmes qualités que la race anglo-saxonne, dit Laurier, la race française n'en est pas moins douée de qualités aussi grandes il n'en est pas en ce pays de plus morale, de plus honnête et, j'ose le dire, de plus intelligente o. « Restons idéalistes en nos aspirations, dit aux siens ce vaillant lutteur qui batailla près de cinquante ans mais devenons pratiques en notre action. »


Dans la province de Québec, presque totalement française et catholique, sous les trois ministères Mercier, Gouin et Taschereau, a prospéré une société éminemment heureuse, honnête, tolérante. « Québec aurait pu nous apprendre à résoudre la question irlandaise », avoue John Morley, constatant le libéralisme de ces papistes à l'égard des minorités protestante et juive. Douze cents municipalités se passent de police, tant il y a peu de délits parmi ces braves gens que régit toujours notre code civil à peine adapté. C'est en sa simplicité le peuple le plus content de toute l'Amérique et, partant, le plus réfractaire au matérialisme yankee, à toute absorption dans les Etats-Unis. Dès lors, M. Bracq nous présente le tableau du Canada français tel qu'il apparaît de nos jours, envisagé de tous les points de vue agriculture, commerce, industrie religion, éducation, littérature, philanthropie, etc. Nous n'en connaissons pas de plus complet, de plus complexe, de plus riche de faits et d'idées, de plus digne d'éloges, de plus plein de promesses pour 'une race qui a si bien su par son énergie et son habileté se défendre, s'adapter, s'imposer d'une manière de plus en plus triomphante. Qui veut connaître le peuple canadien actuel doit posséder ce livre unique, non pas seulement pour le lire avec enthousiasme, mais encore pour le conserver et le consulter à tout propos. Chiffres, documents, références s'y organisent discrètement en un dithyrambe très légitime. Emile Lauvrière.

Charles-Roux (François). L'Angleterre et l'expédition française en Egypte. Publié au Caire par la Société

royale de géographie d'Egypte, 1925 a vol.

de

xm-278 et 373 pages avec quatre cartes hors texte. Prix 120 francs.

Le livre de MM. Tramond et Reussner Eléments d'histoire maritime et coloniale contemporaine (1815-i91l>), avait été l'ouvrage d'histoire coloniale le plus important du dernier trimestre de 1924; celui de M. François Charles-Roux sur V Angleterre et l'expédition française en Egypte tient incontesta-


blement la même place dans le premier trimestre de 1935. En l'ouvrant, on est d'abord frappé par la beauté de l'édition et bien qu'il ne soit guère d'usage de sacrifier au luxe quand il s'agit de travaux de cette nature, il est tout de même plus agréable de lire un livre imprimé sur bon papier avec de beaux caractères. De ce point de vue l'ouvrage de M. Charles-Roux nous donne toute satisfaction. Il est juste d'ajouter qu'en patronant la publication, la société royale de géographie d'Egypte et le roi Fuad lui-même ont rendu la tâche de l'éditeur infiniment plus facile.

Mais ce sont là des qualités purement extérieures. Lisons maintenant l'ouvrage. Une courte introduction i3 pages nous permet de saisir tout de suite dans quel esprit il a été conçu et une table des matières plus longue ig pages nous permettrait presque de ne pas le lire, si nous n'y étions entraînés par l'intérêt du sujet et la science avec laquelle M. Charles-Roux a su le traiter.

Le livre va du débarquement de Bonaparte en 1 798 à la tentative des Anglais pour reprendre Alexandrie en 1807. L'expédition de Bonaparte, continuée par Kléber et Menou, en forme naturellement la plus longue partie.

En abordant ce récit, il était à craindre que M. Charles-Roux se laissât prendre comme tant d'autres au mirage de cette campagne, au point de n'en retenir et n'en admirer que le côté poétique ou romanesque qui séduit encore aujourd'hui les imaginations. Ne dit-il pas en son introduction que, en dépit du temps et des événements, la France est restée attachée à l'Egypte par des liens durables, par des traditions et des souvenirs presque impérissables ? Cependant ces souvenirs, tout à la fois doux et amers, ne l'ont pas empêché de saisir les causes qui dès le début frappèrent l'expédition d'une sorte d'impuissance ni celles qui, dans la suite, devaient nous conduire à un désastre, puisque nous fûmes obligés de capituler. L'erreur initiale que relève M. Charles-Roux fut de nous être lancés dans cette expédition sans avoir refait notre marine. C'était vraiment un défi à la fortune que d'aller la chercher si loin sans être certain de pouvoir arriver ni surtout revenir. On le vit bien lorsque un mois seulement après le débarquement t


de Bonaparte, la flotte anglaise s'attaqua à la nôtre en rade d'Aboukir et la détruisit complètement (i" août). A peine arrivés dans le pays nous en étions déjà les prisonniers avant de devenir ceux des Anglais. « Après un si grand désastre, écrivait l'amiral Ganteaume, il n'y a plus que la paix qui puisse consolider l'établissement de notre nouvelle colonie. o Mais il était plus facile de parler de la paix que de la conclure. L'audacieuse entreprise de Bonaparte avait ouvert les yeux de nos ennemis sur les dangers de notre établissement en Egypte, l'Egypte, cette route de l'Inde où leur autorité était encore mal consolidée. Dès lors l'attention de l'Angleterre se concentra sur la vallée du Nil et c'est cette réaction à notre entreprise qui est à proprement parler l'objet de l'ouvrage de M. Charles-Roux.

La Campagne d'Egypte a été trop souvent racontée et elle est trop connue jusque dans ses moindres détails pour que M. Charles-Roux songe à en faire un récit nouveau ce qu'il se propose, c'est presque exclusivement de taire connaître l'influence qu'eut notre entreprise sur la politique anglaise. Aussi les événements militaires ne sont-ils qu'indiqués la bataille d'Aboukir ou du « Nil », comme l'appellent les Anglais, tient en deux lignes.

L'hypothèse d'une attaque des Français sur l'Egypte ne s'était pas d'abord posée aux Anglais ni à Nelson lui-même, qui passa trois mois à chercher la flotte française dans la Méditerranée avant de la découvrir à Aboukir le 3 juillet. Après sa victoire, il crut notre armée vouée à une complète et prompte destruction et, rappelé à Naples, il ne laissa plus devant l'Egypte qu'une croisière de blocus. Spencer Smith, chargé d'affaires à Constantinople, entraîna les Turcs à prendre parti pour l'Angleterre et d'un commun accord on décida de faire appel aux forces de l'Inde pour opérer une diversion dans la mer Rouge. La corrélation se-fortifie entre les deux termes Egypte et Inde. L'opinion à Londres, d'abord surprise et inquiétée par la nouvelle du débarquement de Bonaparte, ne tarde pas à se ressaisir. On discute plus froidement les buts probables de l'entreprise française, et Suez apparait de plus en plus comme l'objectif immédiat de Bonaparte, en même temps qu'un établis-


sement permanent de l'Angleterre en Egypte est considéré comme une condition essentielle pour préserver l'empire britannique d'Orient. On respire cependant après Aboukir l'affaire semble « terminée » le seul sort qui puisse être réservé à Bonaparte est celui de saint Louis après la bataille de Mansourah. Il n'y a plus d'inquiétude à avoir pour l'Inde.

Les Anglais ne se trompaient pas seulement ils anticipaient sur l'avenir. Pendant le second semestre de 1798, Bonaparte consolida sa situation par une sage administration et des mesures habiles en utilisant des éléments indigènes, il combla les vides de ses effectifs et se mit en mesure de tenir tête à une armée d'invasion qui pourrait débarquer en Egypte. Les Anglais se faisaient donc de grandes illusions sur notre détresse et ils croyaient trop aisément qu'il leur serait facile d'en finir avec nous.

Notre occupation se prolongeant, la formation de la seconde coalition et la conclusion d'un accord avec la Turquie parurent aux Anglais les meilleurs moyens de nous abattre. Par la coalition ils retenaient en Europe nos forces de secours et par l'accord avec la Turquie, ils chargeaient selon leur habitude une puissance étrangère de tirer pour eux les marrons du feu en Orient. L'accord avec la Turquie, négocié à Constantinople par Sidney Smith, envoyé spécialement pour cette négociation, fut signé le 5 janvier 1799.

Qu'allait faire Bonaparte réduit à ses seules forces? Dans ses instructions du 4 novembre précédent, le Directoire, placé dans l'impuissance de le secourir, l'avait laissé libre de choisir entre trois partis: demeurer en Egypte en y fondant un établissement qui fût à l'abri des attaques des Turcs, pénétrer dans l'Inde, où des concours nous étaient acquis, enfin marcher vers Constantinople au devant de l'ennemi.

Bonaparte crut devoir prendre le troisième parti. Sous l'inspiration des Anglais, les Turcs armaient contre nous, notamment à Saint-Jean d'Acre dont le Pacha, Djezzar, nous était particulièrement hostile avec sa méthode habituelle de courir au devant du danger avant qu'il ne lût entièrement formé, Bonaparte résolut d'attaquer, sans prendre garde qu'en distendant la corde de son arc, il l'affaiblissait. M. Charles-Roux a


fort bien dit les raisons qui expliquent, sans la justifier, cette intervention malheureuse.

u L'offensive préventive de Bonaparte en Syrie est une conséquence directe de l'entrée en guerre de la Turquie, qui en est une de la bataille du Nil et de l'action diplomatique anglaise si bien qu'en dernière analyse elle est un résultat involontaire des ripostes de l'Angleterre à l'expédition d'Egypte. « Les préparatifs faits par le sultan, à l'instigation de l'Angleterre, pour attaquer Bonaparte en Egypte ont donc servi, en définitive, à l'attirer en Syrie. Ils l'ont fait sortir d'une position défensive très forte, pour entreprendre avec de faibles moyens offensifs une campagne aventureuse, loin de sa base, contre des adversaires mieux armés pour la défensive que pour l'offensive. Résultat avantageux, mais fortuit, dont les AngloTurcs auraient pu, après coup, faire honneur à leur astuce, s'il n'eût été manifeste qu'ils ne l'avaient nullement cherché. » C'est en cédant à la force mystérieuse qui dirige les affaires humaines que Bonaparte s'engagera en Syrie. Aussitôt qu'ils le surent, les Anglais eurent confiance que ce pays serait le tombeau des Français et l'on sait qu'en effet Bonaparte échoua devant Saint-Jean d'Acre, où il se heu rta à la résistance de Sidney Smith et de Djezzar Pacha. Le siège fut levé le 21 mai. Ce lut la fin de ces rêves grandioses, si toutefois il s'y attacha sérieusement. Taatôt. nous dit-on encore aujourd'hui, il voulait aller dans l'Inde comme un autre Alexandre à travers la Syrie et la Perse, et tantôt il songea à marcher sur Constantinople et à revenir par Vienne, en reconstituant pour ainsi dire l'empire romain. 11 n'est pas certain que le projet sur l'Inde, dont il ne parla jamais lui-même au Directoire, ait jamais été autre chose qu'une envolée de l'imagination et un amusement de l'esprit. Quant à la marche sur Constantinople, ce fut une conception de même nature. M. Charles-Roux établit parfaitement que si Bonaparte avait été victorieux à S' Jean d'Acre, il aurait eu des ambitions moins lointaines et plus aisément réalisables. Mais ces desseins grandioses étaient dans l'air du temps, saturé d'antiquité classique et d'ardeur belliqueuse. De ces desseins l'imagination populaire fit une réalité. Du jour où l'expédition d'Egypte fut connue du public, on crut en la


possession de l'Egypte comme en un article de foi et nos gouvernants l'acceptèrent comme un dogme. Rien n'était impossible au vainqueur d'Arcole et de Rivoli. Est-il bien sûr que ces rêves d'une imagination débordante apparaissent aujourd'hui à tout le monde comme autant d'illusions ?

Quoiqu'il en soit, rien ne servit mieux les intérêts anglais que notre campagne de Syrie en étendant son action, Bonaparte l'avait affaiblie, et nos ennemis restèrent plus que jamais les maîtres de la Méditerranée orientale. Vaincu par eux non moins que par la peste, Bonaparte revint en Egypte, où il ne tarda pas à avoir affaire aux Turcs eux-mêmes. C'est alors que ceux-ci révélèrent toute leur faiblesse. Une.flotte de too voiles arriva à Alexandrie le 14 juillet avec 18.000 hommes commandés par Mustafa-pacha deux semaines après, le a5, ils étaient tous tués, faits prisonniers ou jetés à la mer à la seconde bataille d'Aboukir, qui aurait pu effacer l'impression de la première, s'il était dans les habitudes des Anglais d'attribuer la moindre importance à des échecs occasionnels. Sur de mauvaises nouvelles reçues de la guerre en Europe, qui lui furent insidieusement transmises par Sidney Smith, Bonaparte résolut alors de rentrer en France et parvint à s'échapper (aa août), en passant inaperçu à travers les croisières ennemies.

Avant de partir il laissa le commandement à Kléber, avec instruction d'essayer de faire avec les Turcs une paix séparée, sur les bases du maintien des Français en Egypte jusqu'à la paix générale l'évacuation n'était envisagée que comme une mesure désespérée. Kléber n'était rien moins que disposé à suivre de pareilles instructions il considérait l'expédition comme une aflaire désastreuse qu'il fallait liquider à tout prix. Ce fut dans ce sens qu'il négocia avec les Turcs et avec Sidney Smith. Le général Menou, son subordonné, était d'un avis opposé nous étions en Egypte, nous devions y rester. L'opinion de Kléber triompha et le a4 janvier 1800 fut signée la capitulation d'El-Arich, en vertu de laquelle l'armée française devait évacuer l'Egypte avec armes, bagages et munitions et être rapatriée en 'Europe sur des navires de guerre fournis par nos ennemis.


Le gouvernement anglais, qui voulait la reddition sans cond itions, désavoua Sidney Smith, et les hostilités furent reprises. Kléber fut assez heureux pour écraser les Turcs et le Grand Vizir à Héliopolis et à les rejeter dans la direction de Gaza, (20 mars 1800). Sidney Smith, que le désaveu de son gouvernement n'avait pas découragé, essaya de faire revivre la convention d'El-Arich, mais ce fut alors Kléber qui s'opposa à toute négociation. Tout en restant partisan de l'évacuation de l'Egypte, il ne croyait plus à la parole ni à la bonne toi de l'Angleterre. Le 14 juin suivant, il était assassiné au Caire et le pouvoir passait à Menou, dont les idées sur l'occupation du pays n'avaient pas changé. Son premier acte fut de refuser de répondre à Sidney Smith, qui lui proposa dès le aa juin de reprendre les négociations sur les bases de la convention d'El Arich.

Cependant, en Europe, Bonaparte. devenu premier consul, cherchait pour contrebalancer l'influence de l'Angleterre à jeter les bases d'une entente franco-russo-turque dont l'Inde serait l'enjeu les projets les plus invraisemblables furent examinés et naturellement aucun d'eux ne résista à la critique. Soucieux du sort de ses anciens compagnons d'armes, dont le monde diminuait tous les jours, Bonaparte voulut encore leur envoyer une flotte de renfort en janvier-février 1801. L'amiral Ganteaume, chargé du commandement, manqua d'audace ou de résolution et n'osa pas aller plus loin que Derne, sur les. côtes de Tripoli.

Les Anglais, qui n'avaient pu vaincre les Français à l'aide, des troupes ottomanes, se résolurent alors à risquer eux-mêmes une opération militaire avec des troupes parties d'Angleterre, Les détails en furent soigneusement étudiés, en même temps que l'on examina le sort futur de la conquête; les uns tenant pour l'occupation définitive du pays et les autres pour sa restitution aux Turcs Sidney Smith est des premiers. Enfin l'escadre britannique arriva devant Aboukir le a mars 1801 et débarqua sans peine l'armée du général Abercromby, forte de 17.000 hommes. Les Français étaient encore 23.ooo dont 4.000 détachés dans les provinces. La partie était au moins égale pour les combattants. L'incapacité de Menou, meilleur administrateur


que militaire, fit tout échouer. Il ne sut pas concentrer ses troupes pour opposer un front compact à l'envahisseur. Friant n'avait que i.4oo hommes pour s'opposer au débarquement des Anglais, et Menou livra lui-même dans les conditions les plus défavorables les deux batailles des i3 et 21 mars dans lesquelles il fut vaincu; l'infériorité du commandant français parut alors dans toute son étendue.

Ce ne sont pourtant pas ces deux batailles qui décidèrent du sort de la campagne. Il fallut que le général Hutchinson, successeur d'Abercromby grièvement blessé, se résolût à une campagne dans l'intérieur. Comptant sur une défense opiniâtre des Français, il s'y engagea sans enthousiasme, mais contrairement à son attente, Menou lui opposa une résistance insignifiante et, après le combat de Khankah, qui ouvrit le chemin du Caire, cette ville capitula le 27 juin, dans les conditions spécifiées à El Arich. Il ne restait plus pour achever la conquête du pays qu'à s'emparer d'Alexandrie, qui succomba à son tour le 3 septembre, avec une garnison de io.5oo hommes.

Incidemment, M. Charles-Roux nous a entretenus assez longtemps de deux faits militaires motivés par l'expédition d'Egypte. L'un est la campagne de lord Wellesley dans le Mysore pour réduire Tippou-Sahib, sur qui la France comptait pour opérer une diversion dans l'Inde et l'autre est le concours apporté par l'Inde elle-même, soumise et pacifiée, à la conquête de l'Egypte. La campagne du Mysore se termina par la mort de Tippou sous les murs de Seringapatam en 1799 et l'intervention dans les affaires d'Egypte se traduisit par la descente d'une armée anglo-indienne à Kossëir, dans la mer Rouge, en 1801. Quoique pratiquement peu efficace, cette expédition, qui fut commandée par le major général Baird, eut une importance politique appréciable, parce qu'elle marqua le lien étroit qui unissait ou pouvait unir les destinées de l'Inde et de l'Egypte. Après la capitulation du Caire et d'Alexandrie, il restait à régler le sort de l'Egypte. Demeurerait-elle entre les mains des Anglais ou ferait-elle retour aux Turcs ? En attendant que la question fut résolue, l'Angleterre se mit à administrer le pays comme venaient de faire les Français. Hutchinson ne


croyait pas à la possibilité de restaurer une domination ottomane durable et la Porte elle-même ne fut pas d'abord fort éloignée de consentir au maintien de l'occupation anglaise. Mais les suggestions françaises lui firent changer de sentiment Sébastiani vint à Constantinople et dans les négociations, qui s'engagèrent à Amiens et aboutirent au traité du 1 mars i8o3, il fut entendu que l'autorité de la Porte serait purement et simplement rétablie dans la vallée du Nil.

Le refus de l'Angleterre de rendre Malte, cette nouvelle étape de l'Egypte et de l'Inde, amena promptement la reprise des hostilités. De ce jour, l'Angleterre eut la hantise que la France tentât un nouveau coup de main sur l'Egypte et le rapprochement franco-turc de i8o6 sembla donner à ses craintes une apparence de raison. C'est pourquoi, sans autres motifs que ses convenances de sécurité, elle crut devoir réoccuper Alexandrie le 16 mars 1807. Le double échec du général Fraser contre Rosette lui donna à penser que cette affaire pourrait bien n'être qu'une folle et désastreuse entreprise et, sur l'ordre du ministre de la guerre Castlereagh, Alexandrie fut évacuée le 19 septembre suivant.

Là s'arrête l'ouvrage de M. Charles-Roux. L'analyse que nous venons d'en donner n'a pu malheureusement porter que sur les événements généraux qui en font l'ossature mais on comprendra aisément que dans les 65a pages qui le composent, ce sont les détails surtout qui ont leur prix, or ils échappent à toute analyse. Comment en effet raconter par le menu les mouvements d'opinion à Londres, les discussions au Parlement, les tractations dans les ministères, les conversations à Constantinople, les intrigues avec les Mameluks, les projets sur Périm, Aden, Kosseïr? Ce serait refaire le volume lui-même. Mais aucun de ces points pour ne citer que ceux-là, n'a échappé à M. Charles-Roux et c'est à proprement parler le mérite de son ouvrage d'avoir pénétré dans tous ces détails et d'avoir jeté sur chacun d'eux une lumière complète.

On peut seulement regretter que parfois les événements ne soient pas toujours encadrés dans des dates précises par exemple, il n'est pas dit quand commença ni quand finit le siège de S'Jean d'Acre. On peut de même s'étonner que dans une table


des matières très détaillée, ne figure ni le départ de Bonaparte d'Egypte ni la mort de Kléber. Ce sont tout de même des points de repère intéressants, même lorsqu'on n'a pas l'intention de faire une histoire complète des événements.

Mais ces critiques sont de peu d'importance devant l'oeuvre elle-même, dont M. Charles-Roux a pris soin de nous dégager lui-même la philosophie en nous disant

Qu'en ce qui concerne l'Angleterre, cette nation ne songeait nullement à l'Egypte lorsque Bonaparte y débarqua, qu'elle s'abusa sur la force des Turcs pour nous en chasser, et qu elle fut sans doute mal avisée en rejetant la convention d'El-Arich, mais qu'en fin de compte l'expédition eut pour résultat de lui faire connaître de quel intérêt était l'Egypte pour la conservation de l'Inde et qu'il lui était désormais impossible de rester indifférente à ses destinées.

La France d'autre part eut le tort de s'engager dans cette expédition sans avoir reconstitué sa marine, de s'imaginer que les Anglais nous laisseraient tranquilles possesseurs de notre nouvelle conquête, de penser que de l'Egypte on pouvait tenter une expédion sur l'Inde, de compter enfin que notre armée, coupée de toute communication avec la France, pourrait indéfiniment résister aux lents effets de l'isolement.

S'il nous était permis de conclure en d'autres termes, nous dirions volontiers que l'Angleterre doit une grande reconnaissance au Directoire et à Bonaparte pour avoir imaginé l'expédition d'Egypte, sans avoir les moyens de la réaliser ou de la soutenir jusqu'au bout.

A. Martine Au

Esqueh (Gabriel). Gouvernement Général de l'Algérie. Collection de documents inédits sur l'histoire de l'Algérie après 1830. I™ Série Correspondance générale. Il. Correspondance du Général Voirol (4833-1834). Paris. Champion, Quai Malaquais, 1924. Un vol. in de

et xvi-eaa p.

A l'exception de huit lettres concernant l'intérim du général


Avizard (3 mars-a6 avril i833). qui, entre autres actes, fut le créateur du bureau des affaires arabes, les pièces (439) que reproduit ce volume se rapportent toutes à l'administration du général Voirol, commandant en chef après le duc de Rovigo, jusqu'à l'arrivée du premier Gouverneur Général des possessions françaises dans le Nord de l'Afrique, général Berthezène, le a6 septembre i834 (sa nomination était du 27 juillet). La situation du général Voirol fut toujours assez fausse il n'avait qu'une mission de transition et de consolidation, d'observation en quelque sorte et d'attente, et s'en plaignait en ce qui concernait les décisions engageant l'avenir, la Commission parlementaire ou même un simple officier de l'état-major du ministre avaient plus d'influence que lui une grande partie même de ce qui s'exécutait en Algérie lui échappait Desmichels, d'Oran, correspondait avec Paris et négociait seul avec Abd-el-Kader l'expédition de Bougie s'organisait à Toulon, sans même qu'il en fût entièrement instruit le général, en fait, n'était qu'un commandant d'un corps .d'armée encore presque en campagne de conquête, et du territoire qu'il occupait. Son rôle était ainsi étrangement limité jugeant sur place, il estimait la conquête nécessaire, la conquête du pays entier la Mitidja, dont la fertilité lui semblait problématique, ne pouvait suffire « Un gouvernement comme celui de la France ne doit pas se borner à posséder quelques lieues superficielles de marais. quand il peut fonder une colonie florissante, exploiter des mines vierges dont les richesses minéralogiques et métallurgiques sont incalculables, étendre sa puissance maritime de manière à ne plus reconnaître de suprématie humiliante sur les mers. former et entretenir une armée formidable. offrir au commerce. à l'industrie et à l'agriculture des ressources inépuisables. Pour créer cette prospérité, il n'y a qu'une chose à faire, se rendre maître du pays » Mais en haut lieu on n'était pas disposé à approuver ostensiblement de pareils desseins, pour le moment, et son action devait se limiter à Alger et à ses abords immédiats.

Sur ce point encore, ses vues furent vile fixées il fallait d'abord en imposer aux Arabes par une attitude énergique « Quel rêve que de vouloir pactiser avec des hommes sans foi,


qui se font une vertu de nous tromper? Mais il fallait aussi le» utiliser, les associer à notre action et pour cela ne pas les ignorer. A cet égard l'action des Affaires Arabes, avec un homme comme Lamoricière. pouvait devenir décisive on voyait maintenant où on allait, on ne renouvelait pas la faute commise jadis, quand en dépit de la maxime des Turcs, de ne jamais confier de fonctions civiles à des personnages religieux, on avait nommé agha ce Mahieddiu-ben-Moubarek, de famille maraboutique, qui maintenant tenait la montagne contre nous, on discernait nos vrais amis, un Ben Omar, un Ben Zecri, un Couider, on leur donnait des fonctions, des subsides, on s'en servait pour organiser des auxiliaires, les spahis, destinés à soulager nos soldats de leur tâche écrasante enfin on étudiait nos ennemis et l'on pouvait commencer à se préparer à agir en connaissance de cause les renseignements s'accumulaient pour l'affaire de Constantine et Voirol, il faut le reconnaître, De s'illusionna jamais sur Abd-el-Kader comme firent les gens d'Oran quand « le prince des musulmans » lui annonça son intention de venir près d'Alger, la réponse qu'il reçut le dissuada de tenter l'aventure.

Parallèlement se développait l'œuvre coloniale proprement dite l'organisation de l'armée d'abord, qui s'adaptait aux nécessités locales (les discussions d'armement, d'équipement,, sur les mousquetons, les chemises de coton, les ceintures de flanelle, abondent), puis l'aménagement du pays, la création des routes, qui à certains moments sembla être la tâche principale de l'armée, l'ouverture des marchés, la transformation d'Alger enfin l'accommodation morale pour ainsi dire, la juxtaposition des deux civilisations qu'il fallait arriver à faire vivre côte à côte, sans se pénétrer puisqu'elles s'y refusaient, mais aussi sans que la nôtre abdiquât tous ses principes en présence de celle des vaincus l'histoire de la première conversion d'une Mauresque au christianisme, par exemple, (p. 78a et sqs) et des difficultés auxquelles elle donna lieu, il fallut remplacer le mufti et le cadi, est tout à fait significative. On voit quel est l'intérêt de cette publication et quelle riche mine de renseignements de toutes sortes elle sera pour les travailleurs, ainsi que toutes celles de cette précieuse collection due à


la munificence du Gouvernement Général. Nous sera-t-il permis cependant d'y signaler quelques taches légères? Une telle oeuvre demande tant de peine et de minutie que le faire n'est pas reprocher, mais presque s'associer à l'effort de l'auteur et c'est comme cela que nous voudrions le lui voir prendre. La révision typographique d'un ouvrage aussi énorme est presqu'impossible à réaliser sans qu'aucune erreur ne subsiste et celles-ci sont généralement de telle nature que le lecteur les corrige aisément il est cependant des transpositions gênantes et qu'au moins l'erratum pourrait entièrement rectifier c'est ainsi que dans celui-ci, au lieu de « page 495, après la ligne 36, passer à la ligne 3o de la page 496 ». il faudrait, pour être complet « après 1. i3, p. 494. passer à 1. 37, p. 495, jusqu'à 1. ag, p. 496 revenir à 1. 14, p. 494. jusqu'à 1. 26, p. 493 passer lors à 1. 30, p. 496 » c'est ainsi surtout que l'on ne comprend guère comment un même document, déjà imprimé sous le numéro 44 à la page 89, a pu être retranscrit intégralement sous le numéro 34o à la page 6a3 c'est d'autant plus singulier que l'erreur de classement à laquelle est dû cet accident a été vue et a fait l'objet d'une note dans l'erratum. L'omission de quelques noms dans l'index il en est de réellement importants, celui de Couider en particulier, à l'action duquel le général attachait un intérêt si vif a de quoi nous surprendre. Nous sommes bien difficiles Mais c'est qu'une telle publication nous en donne le droit, et que, quand nous avons le bonheur d'avoir entre les mains une telle collection de textes si diligemment rassemblés, accompagnée d'un commentaire et de notes qui nous en rendent à ce point l'intelligence facile. nous aimerions qu'elle ne nous laissât rien à faire et que tout fût sous notre main pour nous en servir à notre guise en toute occasion. J. Tbamond.

RICHER (Docteur A.), médecin des troupes coloniales. Les Touareg du Niger (Région de Tombouctou-Gao) les Oulliminden. Lettre-préface du maréchal Joffre. Paris, Emile Larose, 11, rue Victor Cousin, 1924. Un


vol. in-8° de xi et 35g p., avec i4 reproductions photographiques, 3 croquis et i carte hors texte.

Nous possédions, sur les Touareg et leur pays, un certain no mbre d'études d'ordre ethnographique ou géographique. Les travaux historiques consacrés à cette population ellemême ou à ses relations avec nous sont inoins nombreux et l'importante fraction des Oulliminden était demeurée en dehors des préoccupations des historiens de notre pénétration politique au Sahara. Il existait, à cet égard, une regrettable lacune. que ne parvenaient point à combler quelques pages éparses en divers volumes ou mémoires, où il était difficile de les retrouver.

Cette lacune a disparu désormais, avec l'ouvrage du Docteur Richer, lequel est proprement et uniquement historique. En réalité, l'auteur eût été peut-être mieux inspiré en l'intitulant histoire de l'occupation et de la pacification par les Français du territoire des Oulliminden. A vrai dire, une première partie (pages 13 à 112) traite des Touareg nigériens avant la conquête française, et elle est fort intéressante mais la deuxième partie, de beaucoup la plus importante (pages n3 à 34o) « Les Oulliminden depuis la conquête française » constitue la portion principale et véritablement originale du volume. Pour rédiger la première partie, le Docteur Richer a fait état de tout- ou à peu près tout- ce qui a été écrit, par les géographes arabes du moyen âge, les anciens voyageurs et les auteurs contemporains, sur les origines des Touareg en général et des Oulliminden en particulier, leurs migrations, la formation de leurs tribus, la part qu'ont eue sur leurs destinées les conquêtes romaine, vandale et byzantine, ainsi que l'influence respective du christianisme, du judaïsme et de l'islamisme, sur le rôle joué par l'antique métropole saharienne de Tadmekket et plus tard par la grande métropole mi-saharienne et misou danaise de Tombouctou, sur la domination songoï aux xv° et xvi° siècles et l'ocoupation marocaine qui la suivit, sur les luttes entre Touareg et Soudanais pour la possession de Tombouctou et l' exercice de la suprématie politique, sur la nature des relations des Oulliminden avec les Arabes Kounta, avec les Bambara de Ségou, avec les Peuls du Massina, avec l'empire


Toucouleur d'EI-Hâdj Omar. D'une documentation éparpillée, il a fait un tout qui se tient avec cohésion et constitue un monument utile et durable, consciencieusement et solidement édifié.

En ce qui concerne la deuxième partie, il a également puisé ses renseignements dans un certain nombre d'ouvrages et d'articles de revues, dont l'indication figure en note et dans la bibliographie terminant le volume, mais il a surtout compulsé et utilisé les archives inédites des postes de Tombouctou, Gao, Bamba, Bourem, Ménaka, Kidal, Dori, Tillabéry, Ansongo, etc" postes dont plusieurs n'existent plus à l'heure actuelle. C'est cela qui donne à son historique un indéniable caractère d'authenticité, en même temps qu'une abondance remarquable dedétails. Ha a fait là œuvre particulièrement méritoire, non seulement en raison du labeur énorme que représentent les recherches effectuées, mais aussi parce que, sans l'utilisation qu'il a su faire de tous ces documents manuscrits, ceux-ci seraient demeurés dans l'oubli ou, chose plus grave, auraient rapidement disparu en grande partie, égarés au hasard des abandons de postes ou à la faveur de déménagements mal organisés, ou transformés en poussière par le travail combiné des cancrelats et des termites. Que de richesses, d'une valeur inestimable pour la reconstitution de l'histoire de nos colonies d'Afrique, ont été ainsi perdues à tout jamais, faute d'avoir été recueillies en temps utiles par des émules du Docteur Richer 1 Je crois bon d'ajouter que ce dernier n'a pas été qu'un compilateur. Ses longs séjours au pays des Oulliminden, sa connaissance des faits et des hommes du pays, ses facultés d'esprit critique lui ont permis de discuter et d'apprécier la valeur historique des documents qu'il a étudiés. Les renseignements qu'il a personnellement récoltés auprès de diverses notabilités indigènes l'ont mis à même d'opérer des recoupements entre des versions qui, pour être officielles, ne sont pas toujours nécessairement exactes, et des interprétations locales qui, pour venir d'une autre source, ne sont point obligatoirement tendancieuses. En outre, il n'a pas craint de soumettre plusieurs points, qui lui paraissaient douteux, au jugement d'hommes qui avaient pris une part personnelle aux événements ou


d'autresdont la compétence et l'impartialité, également reconnues, pouvaient l'aider à mieux faire la lumière sur les causes ou les conséquences de tel ou tel incident.

Aussi son étude présente-t-elle toutes les garanties que l'on est en droit d'exiger d'un travail de ce genre et de cette envergure. L'exploration du pays des Oulliminden, les premières négociations entamées avec eux par le commandement français du Soudan, les missions d'approche de Caron (1887) et de Jayme (1889), l'occupation de Tombouctou par Boiteux et le massacre d'Aube par les Touareg (décembre i8g3), le désastre de la colonne Bonnier (janvier 1894). la victoire du commandant Joffre (janvier février i8g4), l'entrée en contact avec les grands chefs des Oulliminden, la reconnaissance du moyen Niger par la mission Hourst (1895), l'échec du plan de pénétration pacifique, tous ces préliminaires sont exposés ou contés brièvement, mais clairement.

Nous arrivons ensuite aux opérations militaires de 1899 occupation du Niger de Bamba àSay, lutte contre les dissidents à l'intérieur et à l'extérieur de la Boucle, soumissions individuelles plus ou moins sincères, expectative ou hostilité de la plupart des tribus, tout cela est parfaitement mis en lumière, ainsi que les tentatives diplomatiques de 1900, rendues inefficaces par nos tergiversations et l'insuffisance de nos renseignements sur les dispositions réelles des Oulliminden à notre égard, rendues difficiles aussi par la nécessité de ménager les intérêts divergents des sédentaires et des nomades. C'est alors que nous nous déterminons à utiliser l'inimitié séculaire des Arabes vis-à-vis des Berbères, en lançant les Kounta contre les Touareg (1901-1902), ce qui nous permet d'obtenir, au début de igo3, la soumission générale des Oulliminden.

Nous passons ensuite à la tâche, non moins délicate, de la pacification et de l'organisation. Le Docteur Richer trace un tableau comparatif des diverses méthodes successivement employées régime du protectorat de igo3 à igo8, administration directe de 1908 à 1 917 il nous donne, sur la psychologie des Oullimiriden, la mentalité de leurs principaux chefs notamment Laoueï et Firhoun et de leur noblesse, des aperçus extrêmement intéressants. Puis il revient à l'histoire,


proprement dite, montre comment la soumission de 1903 n'était que superficielle et raconte en détail la longue suite des difficultés qu'éprouva notre commandement à faire respecter par Firhoun les conventions soi-disant acceptées. En 1905, nous sommes acculés à l'emploi de la manière forte, dont le résultat estd'amener Firhoun à nous donner de réelles preuves de loya-' lisme lors d'une rébellion des Oulliminden de la Boucle (1906). Puis c'est l'occupation de Ménaka et les essais de sédentarisationdes Touareg (1908), l'action de ceux-ci contre les Kounta (i9io)et les graves conséquences qui en résultent pour le maintien de notre prestige, accentuées encore par nos hésitations et le manque de suite de notre politique, par la famine de 191 3-i 914, par la propagande faite auprès des indigènes à l'instigation de nos ennemis européens, longue et troublante période que l'on croyait terminée au début de 1915 par l'arrestation, la condamnation et la déportation de Firhoun, mais qui se continue la même année par la grâce, la réintronisation et finalement la révolte du même chef, tandis que la rébellion se déchaînait dans la Boucle du Niger.

Nous arrivons à 19 16 c'est le soulèvement en masse de tous les Oulliminden, l'attaque du poste de Ménaka. le combat de Filingué, le pillage des populations soumises, notre victoire d'Andéramboukane, nos multiples colonnes ayant à faire face à la fois à quatre foyers d'insurrection, enfin la mort de Fihroun, bientôt suivie de la soumission de ses anciens sujets. A peine venions-nous de rétablir la paix dans le sud du pays Touareg que de très graves événements se produisaient dans le nord et dans le centre, que le chef rebelle Kaossen. armé par les Turcs et les Tripolitains en guerre avec l'Italie, venait mettre le siège devant notre poste d'Agadès (1917) et qu'une expédition d'une importance exceptionnelle devait être envoyée au secours de nos compatriotes encerclés par des forces considérables. La délai te de Kaossen et le prestige de notre victoire finale arrivent enfin à établir une paix que l'on peut espérer définitive. Telles sont, brièvement résumées, les différentes phases de notre conquête du pays Oulliminden, racontée dans ses moindres incidents par le Docteur Richer, en un livre qui constitue l'une des meilleures contributions à l'histoire de notre grande colonie ouest-africaine. Maurice Delafosse.


WOOD (G. Arnold), professeur à l'Université de Sydney. The DiseovePY of Australia. Londres, Macmillan, 1932 un vol. in-8".

L'Australie n'est malheureusement pas une de nos colonies. Elle a tenu, néanmoins, une très grande place parmi les préoccupations maritimes, géographiques, hydrographiques de la France. Depuis le roman obscur de Gonneville, cette Terra incognita devinée, pressentie, aperçue, perdue et retrouvée, a toujours suscité un intérêt passionné chez nos hardis explorateurs. Pour ne citer que les plus connus, on n'a pas oublié les noms de Marchand, Bougainville, La Pérouse, d'Entrecasteaux, Baudin, Freycinet, etc. On sait beaucoup moins la valeur et la richesse de leurs travaux, le soin scientifique avec lequel leurs expéditions étaient préparées, et surtout l'héroïsme, l'admirable dévouement de ces hommes qui partaient pour des années de privations et de rudes souffrances avec le seul espoir de doter la France et l'humanité de connnaissances nouvelles et utiles. On n'ignore pas non plus, en France, la rivalité des naviga teurs anglais et français dans ces expéditions aventureuses, mais on en ignore les péripéties et les leçons, on n'a pas interrogé é les amas de documents restés pour témoigner de ce passé. Les Australiens sont plus avancés que nous pendant son dernier séjour en Australie, le comte Alph. de Fleurieu entendit accuser les Français d'avoir retenu Flinders prisonnier à l'Ile de France, afin de prendre ses cartes et de les publier sous leur nom. Personnellement intéressé dans cette question, puisqu'il s'agissait de défendre la mémoire du ministre célèbre, son grand-oncle, le comte de Fleurieu provoqua dans les archives françaises des recherches qui permirent de prouver aux Australiens leur erreur, par la copie et la photographie des documents conservés.

La sympathie, la curiosité, l'intérêt, furent grandement excités en Australie il y eut des articles de journaux et de magazines, les Sociétés et les Revues savantes firent des rapports. On donna à certaines rues les noms de nos grands navigateurs. Et depuis 191a, la Mitchelle Library fait venir de France la copie des documents qui concernent à la fois le passé de son pays et le nôtre. Ce travail s'est poursuivi pendant toute la période


de la guerre, malgré les torpillages et les bombardements de Paris. C'est dire que l'Australie possède aujourd'hui une e source très importante de renseignements sur les expéditions s françaises qui se sont succédées du xvr siècle au xix" Il est permis de croire que cette sorte de réaction de l'opinion sur les Français n'a pas été étrangère au bel élan avec lequel la jeunesse australienne répondit à l'appel de l'Angleterre pendant la grande guerre. Il est émouvant de penser que le sang versé si généreusement en France par nos alliés australiens es t la magnifique réponse aux souffrances endurées, à la mort subie par nos courageux marins autour de cette mystérieus e Australie si longuement cherchée pendant plusieurs siècles. M. Arnold Wood nous offre une excellente histoire de la découverte complète de l'Australie, illustrée par des cartes et des portraits qui en augmentent l'intérêt. Son livre vient après ceux que le Professeur Ernest Scott a publiés sur les expéditions s de Flinders. Baudin et La Pérouse. Il y aurait à y répondre su r bien des points. Nous ne pouvons ici que noter le ton courtois des auteurs, leur sympathie élogieuse envers nos navigateurs, leur effort de justice et de vérité dans leur interprétation de nos documents, dans leur reconnaissance de l'honnêteté de nos intentions, de nos travaux, et de nos cartes.

Et nous souhaitons à nos glorieux marins français d e trouver promptement un historien aussi fervent et aussi éru dit que M. Wood pour leur rendre la justice qui leur est due et les rappele à notre mémoire ainsi qu'ils le méritent.

M. L. HÉLOUIS,

II

REVUE DES REVUES

Bulletin des Amis du Vieux-Hué, oct.-déc. 1924, pp. 3o7-33a. L. Cadière Le Quartier des Arènes. I. Jean de la Croix et les Premiers Jésuites.

Il est difficile de dire à quelle époque il put commencer à y avoir des chrétiens dans ce quartier de Tho-Duc qui est comme le noyau


historique le plus ancien de Hué, peut-être dès 1624 mais c'est autour du fondeur de canons du roi Hiên-Vuong, Jean de la Croix, et de son fils Clément, que pendant la seconde moitié du xvii' siècle se groupa la chrétienté, qui usait d'une église avec crypte souterraine renfermant les corps des martyrs, dont la construction avait été autorisée pour l'usage privé de cette famille et qui devait se trouver à peu près à l'emplacement de l'église actuelle. Ce Joao da Cruz était un « Portugais canarin n, un métis, qui devait être venu avant 166. et qui, jusqu'à sa mort, vers 168a, resta le favori du roi batailleur pour les belles pièces d'artillerie qu'il lui donnait. Le P. Cadière en a retrouvé deux. qu'il a décrites dans le Bulletin des Amis du Vieux-Hué de igig, p. 5a8-53a, et qui sont au ministère de la guerre de Bangkok, mais il croit pouvoir lui attribuer aussi un certain nombre de belles vasques éparses dans divers palais (voir même recueil, 1921, pp. i et sq.) et le tympan, également en bronze, dela pagode Thién-Mô.

Son rôle politique a été considérable et entièrement dirigé contre nous Portugais d'origine en effet et entouré de jésuites de sa nation, il ne pouvait voir que d'un mauvais œil l'action des Pères des Missions Etrangères pour étendre sur l'Annam la juridiction de leur vicariat apostolique du Siam il reçut bien, en apparence, le P. Chevreuil, en i664. mais employa toute son influence aie faire expulser dans les années suivantes, ce fut presque la guerre ouverte, jusqu'au jour où, en 1680, les jésuites eurent l'ordre formel du siège apostolique de céder la place l'un au moins d'entre eux d'ailleurs, le P. Barthélémy d'Acosta, resta encore jusqu'en 1694, par la volonté du roi Ngai-Vuong.

De mauvaises heures allaient d'ailleurs venir pour les chrétiens la persécution, qu'avaient peut-être excitée certains imprudents, se déchaînait en 1698 et l'église était détruite, sans d'ailleurs que son chapelain d'alors, le P. Jean-Antoine de Arnedo, Espagnol, fût inquiété, sans doute en qualité d'astronome ou astrologue du roi (il lui dressait aussi des chiens savants). On ne sait ce qu'il advint de la famille da Cruz.

e

Bulletin de la Société de Géographie de Québec, t. XIX, iga5, janvier-février, p. n-aa.

Ludovico FRAIrI Samuel Champlain et son voyage aux Indes Occidentales.

M. Ludovico FraU, ancien adjoint à la Bibliothèque Universitaire de Bologne, a découvert dans cette bibliothèque un manuscrit du


commencement du xvm° siècle, contenant 72 cartes et 5o dessins à la plume, qui n'est autre que le « lirief discours des Choses plus remarcables que Samuel Champlain, de Brouages, a recogneues aux Indes Occidentales au voyage qu'il en affaict en icelles en l'année MDLXXXXIX et en l'année Xj |Cj]. » Non content de signaler sa découverte, M. Frati donne un résumé de cette relation dans la Nuova Anlologia du 1" juillet 1924, sans se douter que l'abbé ̃C.-H. Laverdière a, dès 1870, publié le texte original du « Brief Discours » dans son édition des OEuvres complètes de Champlain, car il déclare qu'elle « semble être entièrement inédite ». Le traducteur canadien du travail de M. Ludovico Frati, M. F.-Xavier Chouinard, remet les choses au point dans les notes qui accompagnent sa traduction pour lui, c'est dans le plus grand nombre de cartes et de dessins que consiste la principale différence entre le manuscrit de Bologne et celui de Dieppe (aujourd'hui dans la bibliothèque John Carter Brown, de Providence, Rhode-Island). Il y aurait néanmoins intérêt, croyons-nous, à collationner soigneusement ce nouveau texte avec le précédent peut-être en résulterait-il quelques utiles précisions de détail. H. F.

Bulletin de la Société des Recherches Congolaises, 1934. n° 5. Martine Essai sur l'histoire du pays Salamat, p. 19-95. La majeure partie de cette étude est consacrée à l'étude des mœurs, de la religion et du droit, et à la description géographique du Salamat.

Cette contrée comprise entre le Ouaddaï et notre colonie de l'Oubanghi-Chari est peuplée par quelques groupements d'origine arabe et une grande majorité d'indigènes Kirdis ou Roungaliens, islamisés. Son histoire, antérieurement à notre occupation, est surtout une succession de pillages en sens divers. La page la plus importante en est marquée par le passage de Rabah chassé de la région d'ElFacher par les Egyptiens, après qu'ils eurent attiré et retenu au Caire son ancien maître El Zibehr et tué le fils et successeur de celui-ci, il arriva dans le Dar-Rounga vers 1877, soumit les habitants, qui n'avaient pas de fusils, et s'y maintint une dizaine d'années, en dépit des intrigues des Mahdis d'Omdurmann qui par deux fois cherchèrent à l'attirer auprès d'eux, pour lui faire une destinée dont il ne se souciait pas. Quand il eut bien mangé le pays et qu'il le quitta en 1882 pour le Kouti, il le laissa en proie aux convoitises du Senoussi et du Ouaddaï qui se le disputèrent et le pillèrent jusqu'à notre intervention. Celle-ci se produisit en igo6 sur l'initiative


du colonel Largeau qui y envoya le lieutenant Brûlé l'occupation était définitive en igog et le Salamat, partagé en trois subdivisions devenait le a5 novembre de cette année l'une des cinq cir- conscriptions entre lesquelles était réparti le territoire du Tchad La tranquillité n'a cessé d'y faire des progrès depuis la soumission du Ouaddaï et le régime civil a pu y être instauré le i" janvier 1933.

La reproduction de la première partie de cette étude a paru dans le numéro de mars de la Géographie, pp. 297-316.

Canadian Historical Review, décembre 1924, p. 336-339. F.-M. JHoKTRÉsoa Caplain John Montrésor in Canada.

Ce Montrésor, dont le Journal, publié par la New York Historical Society, en 188 1, est un document essentiel pour l'histoire de la conquête du Canada, fils d'un colonel employé comme ingénieur à Gibraltar, arriva en Amérique à vingt ans comme officier du 48e, avec Braddock. Blessé à la Monongahéla, il prit part aux opérations contre Louisbourg (1758), Québec (1759) et Montréal (1760), et fut ensuite employé à la reconnaissance du pays. Il quitta le Canada en 1764 et l'Amérique en 1778. Il était alors capitaine la dernière partie de sa vie, jusqu'en 1799, fut occupée par d'assez tristes débats avec diverses commissions d'enquête en 1836 seulement, ses enfants purent laver sa mémoire de toute accusation et obtenir une indemnité de 4o.ooo £.

Carnet de la Sabretache, n8 293, nov.-déc. 1924, p. 507-9. Joseph Dubieux Conquête de l'île de Saint-Christophe en 1782. Récit très sommaire, mais notes biographiques abondantes sur plus de 76 personnes, et bonnes indications bibliographiques et iconographiques.

N° 295, mars 1925, p. 185-287.

Cd. Henry Martin Un ojficier de marine à Madagascar. Journal du lieutenant Charles Sarberot (1900-1902).

Diégo-Suarez en igoo Joffre et Galliéni la construction du télégraphe de Diégo à Tamatave le rattachement de l'armée coloniale à la Guerre.


La Révolution de 1848, février 1935. pp. 3i 1-326.

CH. A. JULIEN: L'Algérie de 1830 à 1870.

Les travaux consacrés à l'histoire de l'Algérie devenant chaque jour plus nombreux, la Révolution de 1SH8 a résolu d'en publier une revue annuelle qui permettra aux chercheurs de s'en tenir au courant. Cet article, consacré à l'année îgaî, est le premier de la série.

La place d'honneur y est, comme il était juste, réservée à M. Esquer, dont le triple rôle, comme réorganisateur, sauveur des dépôts de documents, éditeur, avec M. Yver, des six précieux volumes des Documents inédits, et auteur de la Prise d'Alger, que connaissent bien nos lecteurs, est ici mis en pleine lumière le reste de l'article énumère et juge quelques autres travaux les Lettres inédites du Maréchal Bugeaud, la Correspondance du Général Brincourt, les trois volumes (dont un entier de bibliographie) consacrés par le Gouvernement Général aux Territoires du Sud, le Traité élémentaire de Législation algérienne de Larcher et Rectenwald et un certain nombre d'études éparses dans les Revues de M. Aulard sur l'insulte faite au consul de France par le Dey (Révolution française, 1923, pp. 160-164) de M! Cavayé sur un plaidoyer « pro domo » de Duperré (Revue Maritime, nov. 1923, à peu près identique au texte donné par les Annales Maritimes en i83i), de M. Demontès sur le protectorat tunisien à Oran en i83i (paru ici même, 1933, pp. 251-288), de M. Lanzac de Laborie sur le Maréchal Bugeaud d'après sa correspondance (Correspondant, 1923, août et septembre, pp. 620-693 et 870-890), de M. Yver sur les Préliminaires du traité de la Tafna (Revue Africaine, iga3, p. 529-543), de M. Calzareni sur le village d'Hennaya (Eugène Etienne) (Bull. Soc. Oran, 1923, p. 87-156). La plupart de ces mentions sont accompagnées d'analyses consciencieuses, mais non pas impassibles.

Revue des Deux Mondes, i"janv.,p. 1G2-186 i5 janv., p. 353381 1" fév., p. 578-597 i5 fév., p. 8oo-8g8.

Marthe BASSENNE Aurélie Tedjani, Princesse des Sables. Aurélie Picard, fille d'un géndarme retraité, née à Montigny-IeRoi (Haute-Marne) en 1839, était en 1871 gouvernante ou demoiselle de compagnie chez M. Steenackers, directeur général des Postes. quand elle attira l'attention d'un grand chef arabe, Sid Ahmed, cheikh suprême de la confrérie des Tedjania, qui l'avait rencontrée à


l'hôtel Bordeaux. où il était obligé de séjourner aans un demi-exil causé par certaines imprudences.

Il ne put y avoir de mariage civil l'amiral de Gueydon, peu soucieux de rapprochement des races, s'y était opposé, mais un mariage religieux que le cardinal Lavigerie. mieux inspiré, consentit à bénir Madame Tedjani resta donc chrétienne et française, mais cela ne l'empêcha pas d'être la femme unique et respectée de Sid Ej Ahmed et, après sa mort, de son frère Sid El Bachir, qu'elle accepta d'épouser sur une démarche collective de tous les notables de la confrérie car, par ses qualités de diplomate et d'administrateur, elle avait créé, autour de ses zaouïas d'Aïn-Madhi et de Courdane, de véritables modèles d'exploitations agricoles par sa bonté, par sa connaissance de l'àme arabe et des secrets de la confrérie, Lalla Yamina, comme on l'appelait, était devenue le véritable chef, indispensable, de la congrégation fondée en 1781 par un autre Sid Ahmed, l'apôtre de la tolérance dans l'islam et dont Mahommed Servi, mort en i853, avait fait l'alliée fidèle des Français lesTedjania toutefois, quoiqu'ils eussent encore plus de quarante zaouias éparses dans tout l'Occident musulman, n'avaient plus leur influence de jadis, sourdement minée par les progrès de sectes de violence comme les Snoussis c'est ainsi que toute leur sympathie ne put empêcher le désastre de l'expédition Flatters, où périt loyalement l'un des leurs l'action d'Aurélie Picard n'en put pas moins s'exercer utilement en notre faveur, en Algérie et surtout au Maroc où des hommes comme le Glaoui et le Menehbi étaient affiliés à la congrégation, qui tend aujourd'hui à y transporter le centre de son activité la mort de son second mari, Sid El Bachir. en 191 1, a marqué la fin de la carrière de premier plan de Madame Tedjani qui a pu se retirer à Alger, puis à Arc en Barrois, pour y jouir d'un repos glorieusement acquis, mais non celle de son œuvre qui restera certainement l'un des plus curieux exemples de cette collaboration des races et des civilisations qu'a toujours tendu à être la colonisation française.

Revue Trimestrielle Canadienne, décembre 1924, pp. 337-355. Olivier Maurav^t, P. S. S. Le fort des Messieurs.

Ce « Fort des Messieurs », c'est celui dont on voit la silhouette sur l'écu de l'Université de Montréal et sur l'ex-libris de sa Bibliothèque Saint-Sulpice, celui dont deux vieilles tours subsistent encore dans les bâtiments du Grand Séminaire de la rue Sherbrook, celui qui


avait été construit, en bois d'abord, puis, après l'incendie de 1694, en belle et bonne pierre, par M. de Belmont, pour abriter la mission où « ces Messieurs » réunissaient leurs catéchumènes indiens. Une grande et noble figure que celle de ce François Vacher de Belmont, né à Grenoble en 1645 et qui arrivait au Canada en 1680, presque fugitif de Saint-Sulpice et de France où l'auraient menacé trop d'honneurs ecclésiastiques on lui trouva tout de suite de l'emploi dans ce village de mission qui avait été créé en 1676, après un premier essai à la Prairie de la Madeleine, l'expérience ayant montré le peu de solidité des résultats obtenus par les missionnaires errants, à la Montagne, à une demi-lieue de Villemarie son prédécesseur, M. Guillaume Bailly, était un saint homme, mais peu propre à cette tâche, pour trop de crainte des « sorciers » et trop de croyance aux « visions a M. de Belmont au contraire ne démentit rien de ce qu'en avait promis M. Tronson il fit des merveilles de ses écoliers, qu'il dressait au plain-chant aussi bien qu'aux bonnes mœurs, qu'il transformait en tailleurs, en cordonniers, en maçons il en aurait fait des imprimeurs, et aurait édité au Canada ses nombreuses œuvres, restées malheureusement manuscrites (une Histoire du Canada une Histoire de la dernière guerre avec les Iroquois; des Panégyriques de Dollier de Casson. 'de Marguerite Bourgeois, de M"° Leber, des Eloges de quelques personnes mortes en odeur de sainteté, etc.) si la Cour avait consenti à lui envoyer des caractères. L'ennemi, malheureusement, veillait « L'enfer avait examiné le faible des sauvages. Il n'en avait trouvé qu'un, qui était le goût de l'eau-de-vie. Il n'avait trouvé qu'un moyen de les retenir en sa puissance qui était de les faire tenter avec de l'eau-de-vie par les traiteurs ». Ce fut, nous le savons, une triste guerre où M. de Belmont ne fut pas le plus fort des 168a, pour fuir le danger, il étudiait le transfert de la mission en un lieu qui fût moins exposé aux liqueurs fortes cela ne tardait pas à devenir un fait accompli, et le village émigrait, en 169a au Saut-du-Bécollet, en 1712 a Oka. Depuis 1704 les registres de la mission à la Montagne étaient clos.

M. de Belmont d'ailleurs, à cette époque, n'était plus à sa tête des 1696, on lui avait imposé la succession de Dollier de Casson ainsi, supérieur et vicaire général,, il devenait l'un des principaux personnages de la colonie, surtout quand, à partir de 171 1, l'évéque, Mgr de Saint-Vallier, eut été éloigné, comme prisonnier des Anglais l'un des principaux surtout par les sacrifices qu'il fit au bien de tous: toute sa fortune et 3oo.ooo livres qu'il avait héritées en 1707 de son frère, conseiller au Parlement de Grenoble, y passèrent et quand il mourut, le aa mai 173a, s'il était ruiné, il laissait derrière lui le


souvenir de l'homme qui après M. de Bretonvillers avait le plus fait pour Villemarie de Montréal.

Quant à l'ancien fort, il était maintenant devenu, au milieu d'nn domaine de 4i5 arpents, la belle maison de plaisance qu'admirait Bacqueville de la Potherie l'enceinte de 200 pieds sur i4o disparue. il restait, à côté de l'ancienne chapelle de Notre-Dame des Neiges devenue une église, un château de 100 pieds de façade, tout semblable à une gentilhommière du vieux pays tel il devait subsister, comme un souvenir des temps héroïques, jusqu'en i85o, où des besoins nouveaux contraignirent à le démolir pour faire place aux bâtisses neuves du Grand Séminaire.

III

NOTES ET NOUVELLES

En la personne de M. Henri Cordier, décédé à Paris, le 16 mars 1925, la Société de l'Histoire des Colonies françaises a perdu l'un de ses amis de la première heure. C'est pour nous un devoir de rappeler ici le concours qu'il apporta à nos études.

Il était né le 8 août 1849 à La Nouvelle-Orléans en Louisiane et vint en France en 1 855. Son père vécut longtemps aux Antilles, aux Etats-Unis, en Chine, si bien que dès l'enfance l'imagination du jeune Henri s'habitua à errer à travers le monde. Voulant que son fils suivît comme lui une carrière d'homme d'affaires, il le fit entrer au collège Chaptal, établissement municipal, dont le programme d'études très différent de celui des lycées impériaux devait être ad opté plus tard par l'Université sous le nom d'enseignement moderne. Dans sa vieillesse, Cordier se plaisait souvent à évoquer le souvenir de ses anciens maîtres de Chaptal, de l'équipe d'élite dans laquelle figuraient le naturaliste Duméril, le botaniste Decaisne, le physicien Mascart, le chimiste Dehérain.

Le 18 février 1869, Henri Cordier s'embarque pour la Chine et il entre dans une banque de Chang-Haï. Mais il avait déjà un goût très vif pour les éludes .désintéressées et tout en s'initiant aux affaires, il prélude à sa féconde carrière d'écrivain, en donnant quelques essais au Shanghai Evening Courier et au North Chine Daily News. Revenu en France en 1876, il est l'année suivante nommé secrétaire de la Mission chinoise d'instruction à Paris et chargé par le


gouvernement chinois de diriger les jeunes gens envoyés en Europe pour s'initier à civilisation occidentale.

La connaissance qu'il fit alors de Charles Schefer, directeur de l'Ecole des Langues orientales vivantes, décida de sa carrière. Schefer lui proposa de professer à l'Ecole des Langues un cours d'histoire, de géographie et de législation d'Extrême-Orient. Inauguré en 1881 ce cours fut en 1888 transformé en une chaire, que Cordier occupa jusqu'à son dernier jour.

Il mena dès lors une existence régulière du professeur et d'écrivain. Les sociétés savantes eurent en lui un collaborateur assidu et un conseiller très sûr. Quelle part il a prise aux travaux de la Société Asiatique, dont il devint en 1918 le vice-président et à ceux de la Société de géographie, dont après un long stage à la vice-présidence, il fut en 1924 élu président, tous leurs membres peuvent en donner témoignage. Membre de la Section de géographie historigue pt descriptive du Comité des travaux historiques et scientifiques en 189a, secrétaire en 1908, président en 1918.il fut pendantnombre d'années l'âme même de cette section.

Depuis 1908, où il fut élu membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, il passa à l'Institut une grande partie de sa vie. Non seulement il fut quant aux devoirs académiques l'exactitude même, « l'académicien modèle n, mais il élut pour ainsi dire domicile à la Bibliothèque de l'Institut. Il y venait chaque jour, été comme hiver, et s'asseyait toujours au même bureau, où ses livres usuels restaient en permanence à la portée de sa main. L'antidote de cette vie de bibliothèques et d'archives, où l'on r isque parfois de perdre de vue les réalités de la vie, Cordier le trouva dans les voyages. Il n'est guère de pays d'Europe qu'il n'ait v isité. Que de fois il a passé la Manche Le vieux Londres lui était aussi familier que le vieux Paris, et ce n'était pas peu dire. Il traversa plusieurs fois l'Océan. Il fit un voyage aux Etats-Unis en igo4 et un autre dans la République Argentine en igio. Il accomplit en 1 905 le périple de l'Afrique, au nombre des hôtes de marque de l'Association britannique pour l'avancement des sciences, lors de la session de Capetown.

Même éclectisme dans l'ordre de ses travaux littéraires. Il écrivit beaucoup sur l'histoire de Paris. Les écrivains romantiques lui étaient familiers et parmi eux, Stendhal en particulier. En igi3, à Grenoble, où le Congrès des Sociétés savantes siégeait, je le vois e ncore, dès les séances de notre section de géographie levées, se hàter de son pas menu vers la Bibliothèque de la Ville, où il seplongeait avec délires dans les grimoires des manuscrits de Stendhal.


La Bibliographie Slendhalienne publiée en iqi4 fut le principal fruit de ses longues recherches sur l'auteur de la Chartreuse de Parme.

Mais pourtant ce ne furent tù dans sa vie littéraire que des divertissements. L'histoire des pays exotiques, leur histoire politique et l'histoire de leur découverte, de leur conquête, de leur colonisation par les Européens, telle fut la matière sur laquelle s'exerça d'abord et surtout l'activité intellectuelle de Cordier pendant son demi-siècle de labeur ininterrompu.

Et parmi les pays exotiques ce fut à défricher le champ immense de l'histoire de l'Asie qu'il s'appliqua particulièrement. Sa Itibliotheca Sinica, sa Bibliotheca Indosinica, sa Bibliotheca Japonica, son Histoire des Relations de la Chine avec les Puissances Occidentales, son Histoire générale de la Chine, l'édition des œuvres des grands voyageurs du moyen âge, Oderic de Pordenone et Marco Polo, voilà ses oeuvres maîtresses.

Tout en composant ces gros ouvrages, Cordier dirigea avec Gustave Schlegel, de l'Université de Leyde, puis avec Edouard Chavannes et Paul Pelliot, la revue Toung Pao. « Archives pour servir à l'étude de l'histoire, des langues, de la géographie et de l'ethnographie de l'Asie orientale ». Pendant trente-cinq ans ce recueil fut alimenté de ses articles, de ses notes et de ses notules.

En même temps qu'à l'Asie, Cordier s'intéressait au NouveauMonde. Il accepta en 1893 les fonctions de secrétaire de la Société des Américanistes de Paris. L'histoire de l'Amérique précolombienne, celle des voyages de découvertes du iv et du xvi° siècle, la biographie des Américanistes lui fournirent de nombreux sujets d'articlesqu'il recueillit en igi5 dans son volume de Mélanges américains. Toujours attentif à tirer de l'oubli les noms des Français qui se sont signalés dans les pays d'outre-mer et à mettre en lumière leurs travaux, comment Cordier n'aurait-il pas approuvé et encouragé l'initiative prise par M. Martineau de fonder une Société de l'Histoire des Colonies françaises ? Vice-président du Comité dès l'origine, il l'est demeuré jusqu'à sa mort. Il a publié dans cette Revue trois études développées Le Voyage à la Chine au XVIII' siècle (,igi3. p. 1 63-2 16) La Mission de Dubois de Jancigny dans l'Extrême-Orient, 18bl-1866 (191C, p. ia9-a3a). Voyages de Pierre Poivre de 1748 jusqu'à 1757 (igi8, p. 5-88).

La France a toujours compté des savants sur lesquels l'histoire des pays d'outre-mer et des découvertes géographiques a exercé de l'attrait. Tels pour ne citer que des disparus Barbié du Bocage, Amédée Jaubert, Eyriès, Jomard, d'Avezac, Ferdinand Denis.


Gabriel Marcel, E. T. Ilnmy. C'est à cette belle ligni'-e intellectuelle que Henri Cordier appartenait.

Henri Deiikiiain.

LE Congrès DE Géogkaphie ou Caiiu: ET l'Afrique. Le Congrès de Géographie du Caire, qui a tenu ses assises du i" au 9 avril 1935. a été un grand succès. Vingt-huit nations étaient représentées cent vingt cinq communications, dont beaucoup fort importantes, ont été faites et telle avait été l'habileté de son organisations. telles les facilités données aux congressistes que, malgré les frais d'un voyage lointain, trois cent cinquante personnes avaient répondu a l'appel du dévoué secrétaire général de la Société de Géographie d'Egypte, M. Adolphe Cattaui bey. Il en était venu du Japon, du Chili, des Etats-Unis, de Lithuanie, que sais-je 1 Polonais, Italiens, Suisses, Anglais, Espagnols, Grecs étaient en nombre et derrière la délégation officielle de la France, une cinquantaine de Français se pressaient.

La France avait composé sa délégation omcielle, de façon que toutes les branches de la géographie fussent représentées géographie physique, humaine, historique, géodésie, géologie, hydrographie. Derrière le chef de la mission, derrière M. Pelliot, le brillant explorateur, venaient deux autres membres de l'Institut, MM. Dussaud et Bénédicte, trois professeurs de la Sorbonne, MM. de Martonne, Demangeon et Augustin Bernard, M. de Margeiie, directeur du service de la carte géologique d'Alsace-Lorraine, M. Barthoux. spécialiste des questions d'égyptologie. le colonel Perrier, directeur du service géographique de l'Armée, M. Baulig, délégué de l'Université de Strasbourg, M. Célérier, délégué du gouvernement du Maroc, et enfin moi-même. La Marine avait envoyé le capitaine de frégate Vivielle, bibliothécaire du Service hydrographique. Dans une audience où Sa Majesté le roi Fouad Ier voulut bien m'entretenir de ses projets scientifiques, je recueillis l'impression que la composition de la délégation française l'avait particulièrement séduit. Sa Majesté eut l'amabilité d'ajouter que mes deux volumes sur la Découverle de l'Afrique au Moyen Age 1 avaient beaucoup aidé au succès du Congrès.

C'est par l'exposé des résultats auxquels j'étais arrivé, qu'on voulut bien me convier à ouvrir la première séance plénière du Con1. Le Caire, Société de Géographie d'Egypte. igi5, 2 vol. in-fol., planche» en noiret en couleurs.


grès. Les postulats qui découlent de cet ouvrage, intéressent en effet plusieurs nations: les Italiens ont à rechercher, peut-être dans les archives de la maison florentine des Porlinari, la trace des voyageurs de commerce qui allèrent au xve siècle au Touat et à Tombouctou les Espagnols ont à exhumer des archives de Barcelone les documents relatifs aux cartographes du xv' siècle, comme ils l'ont fait pour ceux du xiv siècle, et à nous faire connaître plus intimement cette école juive de Majorque si versée dans la connaissance des pistes qui rayonnaient autour de Tombouctou et nous, nous devons reprendre les fouilles ébauchées par Bonnel de Mézières à Koumbi, l'ancienne Ghana détruite en 12/10, au Sud du Sahara, dans les environs d'Ouaiata.

En dehors des séances plénières, les travaux se poursuivaient dans cinq sections i. Géographie mathématique. Géodésie et cartographie. 2. Géographie physique. 3. Géographie biologique et géographie humaine. 4. Anthropologie et ethnographie. – 5. Histoire de la géographie et géographie historique.

Chaque section ayant un président et un vice-président, la France avait la présidence de la 1" section (M. de Margerie) et la vice-présidence de la 5» (M. de la Roncière). Le président du Congrès était le général Vachelli, chef du service géographique de l'Armée Italienne et président de l'Union géographique il s'acquitta avec zèle de fonctions qui eussent été dévolues, si la mort n'était venue, au prince Bonaparte. Le colonel Close, pour l'Angleterre, et M. de Martonne, pour la France, le secondaient admirablement.

Le français, l'anglais, l'italien, l'espagnol et l'arabe étaient les langues admises au Congrès. Mais on aura une idée de la prédominance du français, qui est du reste parlé en Egypte avec une pureté admirable et par une foule de gens, en sachant que, sur cent vingt cinq communications, soixante-quinze ont été faites en français.

L'Egypte, tout naturellement, était au premier plan de l'actualité. Et les seuls titres des communications indiqueront la variété de sujets qu'elle a fournis récent progress in the survey 0/ the Egyptian déserts (G. BALL); Note on a proposed general seheme of national and regional development planning in Egypt (W. H. MAC LEAN) Paléographie de l'Egypte (J, Barthoux) Etude géologique des environs du Caire (J. Cdvilueh) A short aceount of the developments of irrigation in Egypt (A. B. Buckley); –L'aviation en Egypte (G. Loukianoff) Communication sur une excursion à l'oasis d'el-Baharia (Moacos Sidarous) The acclimaUsalion ojnew plants in Egypt (Mohammed Drab) The overland


ronte through Egypt in the 19lh century (Mohammed Kassim) La fertilité de la terre d'Egypte (V. Mosséri) Some social and religions eustoms in modern Egypt wilh special reference lo survivais from ancient times (W. S. Blackman) Sur les types anthropologiques dans le terrain d'Egypte (K. Stolyiiwo) Une nouvelle station néolithique au nord de Hélouan, et Stations préhistoriques au nord-ouest du Caire (P. Bovier-Lapierbe) Contribution de l'élément grec à la civilisation de l'Egypte nouvelle (G. Abvanitaki) La question des types anthropologiques en Egypte (R. Stolyhwo)'; Traditions sur le Nil et ses sources (Tewfik Iscabous) Thé trade relations of Egypte in the Middle Age (Hussein KAMIL Selim), etc. A signaler aussi les curieuses communications du commandant Vivielie Une carte du désert de la Basse-Thébaïde et Carte du delta par Nashen, 1718.

Je dois mettre hors de pair trois des communications sur l'Egypte l'une, à cause de l'autorité qui s'attache un nom de M. Peluot, Les anciens rapports de l'Egypte et de l'ExtrêmeOrient, l'autre, en raison de l'importance de la publication du prince Omar Toussoum (trois volumes), Mémoire sur la géographie de la Basse-Egypte, et la troisième, à cause de sa brûlante actualité Limites occidentales de l'Egypte. Recherches historiques et géographiques, par Abd-el-Eahman Guemei. On sait quelles controverses passionnées soulèvent ces limites, l'oasis de Djaraboub notamment, entre l'Egypte et l'Italie, établie en Tripolitaine. Il y a lieu, avant de conclure, d'épuiser la bibliographie du sujet. Les régions voisines de l'Egypte ont bénéficié de plusieurs études: L'Abissinia nell' Itinerarium i un missionario francescano del 1700 (T. Somigliï The acquisition of Aden by the British (18371839) (Mohammed RIFAAT) Travaux anthropologiques et ethnologiques de l'expédition de S. A. le duc de Mecklembourg en Afrique Centrale ^1907-1909) et spécialement dans rancien Soudan Egyptien (J. Czckanowski) Resultati geografici di una missione nella Somalia settentrionale italiana igai (G. Stefanini); Sulle zone in Cirenaica (O. MARINEOLLI).

En géographie physique et humaine, d'autres mémoires ont été consacrés à l'Afrique du Nord et à la Mauritanie: Le modelé des chotts de Berbérie (L. Joleaud) – Mémoire sur l'Ahaggar (Henri BUTLER) Les Vestiges des anciennes associations biologiques de la Rerbérie (L. Joleaud) La charrue en Afrique (A. Bernard). Le Congrès aura un premier résultat pratique. Un de ses vœux les plus importants était de préparer une édition d'Edrisi, avec toutes s es cartes, d'après les manuscrits de Paris, Oxford, Constantinople,


etc. C'est à cela que la Société de Géographie d'Egypte va s'attacher avec le concours d'un de nos savants compatriotes et avec le patronage si libéral et si agissant de Sa Majesté le roi Fouad I". Sa Majesté a bien voulu me confier qu'elle organiserait d'autres congrès scientifiques, de façon à permettre aux Européens de connaître de visu l'Egypte, d'en constater les progrès ou d'apporter leurs suggestions. Rendrai-je ici assez l'impression de gratitude des congressistes pour les attentions multiples dont ils ont été l'objet? Plis garderont longtemps le souvenir de ces réceptions enchanteresses dans des endroits exquis ou grandioses, de ces thés au jardin Andronidès d'Alexandrie au milieu des bosquets d'orangers et à l'ombre des palmiers, puis aux Pyramides ou au temple de Karnack, des promenades sur le Nil et de la fête nocturne sur ses bords. Pendant que les historiens étaient guidés dans leur visite aux monuments, les fervents de la géographie physique et humaine étaient invités dans les oasis, au canal de Suez ou dans les exploitations industrielles. Partout, une affabilité sans bornes accueillait les congressistes, pour qui le voyage en Egypte a été un enchantement. CH. DE LA Roncière.

L'HISTOIRE COLONIALE AU CONGRÈS DES SOCIÉTÉS SAVANTES A PARIS. Le cinquante huitième congrès des Sociétés savantes s'est tenu à Paris, à la Sorbonne du i4 au 18 avril 1925. Par suite de l'ordre établi, qui veut que chacune des six sections du Comité des Travaux historiques et scientifiques préside à tour de rôle le Congrès, c'était à la section de géographie que ce devoir incombait en 1935. Par suite du décès de M. Henri Cordier, président de la section survenue le 16 mars, par suite du départ de MM. Emm. de Margerie vice-président et Ch. de La Roncière, secrétaire, pour le Caire, où se tenait à la même date le Congrès international de géographie, c'est M. Henri Dehérain, conservateur de la Bibliothèque de l'Institut, qui en sa qualité de l'un des plus anciens membres de la section, a été appelé à la présidence du Congrès.

En l'ouvrant le 14 avril, il s'est fait un devoir de rappeler d'abord les longs et importants services rendus par M. Henri Cordier au Comité de géographie depuis 189a, secrétaire depuis 1908 et président depuis 1918, ne manquant jamais de prendre une part active aux Congrès des Sociétés savantes. M. Cordier fut vraiment pendant nombre d'années l'âme de la section de géographie. Cette année, trois séances furent tenues par la section de géographie, les i4, i5 et 17 avril 1935 elles furent présidées respectivement par


MM. Henri Dehérain, Rollet de l'Isle, directeur honoraire du service hydrographique, et Jean Brunhes, professeur au Collège de France. Nous nous bornerons, comme il convient, à mentionner ici les communications se rapportant à l'histoire coloniale

Afrique du Nord. M. H. Klein, président du comité du VieilAlger, communique un mémoire sur les Mozabites à Alger et un Mzab. Il décrit quelques aspects du Mzabet expose l'histoire de son annexion à l'Algérie. Cette communication a été illustrée de plusieurs photographies représentant la ville de Ghardaia, la palmeraie, le marché et montrant les Mozabites en prière.

Levant. Dans une note intitulée Une escale du bailli de Suffren dans les Dardanelles en 1773. M. Henri Dehérain éclaire au moyen de quelques textes inédits un point de la biographie de l'illustre marin.

En 1773, au cours d'une croisière dans la Méditerranée orientale, Suffren qui commandait la frégate La Mignonne fit une escale de trois jours, du 16 au ig janvier, devant le bourg des Dardanellesoù s'élève le « vieux château d'Asie n.

Il y fut reçu par un secrétaire interprète de l'ambassade de France à Constantinople, Pierre Rulïïn, qui gérait par intérim le vice-consulat de France, le titulaire Lazare Guys ayant été contreint de se faire musulman sous les menaces de mort du Kiaya ou adjoint du pacha des Dardanelles. Ruffin conduisit Suffren chez le Capitan pacha. chef suprême de la marine turque, qui séjournait alors dans le détroit. Grâce à son habileté diplomatique les difficultés qne les Turcs opposaient souvent à la sortie des bâtiments de guerre hors du détroit furent aplanies.

Ces relations entre ce diplomate et le marin ne restèrent pas sans lendemain Ruffin et Suffren eurent plus tard des relations à Marseille, puis à Versailles et à Paris.

Océan Indien. M. F. Dutacq, docteur ès lettres, professeur au lycée Ampère à Lyon, correspondant du Ministère de l'Instruction publique, a présenté un mémoire intitulé La politique de revanche du duc de Choiseul au lendemain du traité de Paris documents sur le rôle éventuel de C Ile-de-France dans une offensive contre l'Inde, 1767-1768.

Le duc de Choiseul, animé du désir de prendre une revanche sur Y. Sans préjudice de leur publication in extenso un résumé de ces communications a été donné dans le Journal Officiel i4-i5 avril, p. 378137Si iC avril, p. 38iâ-38i6 18 avril, p. 3872-1873 19 avril, p. 3897-3901.


l'Angleterre après le traité de 1763, comprit que pour l'attaquer dans l'Inde devenue une des bases de sa puissance, la France devait s'installer solidement dans les Mascareignes. Le colonel Jean Daniel Dumas, appelé en 1766 au commandement des Iles de France et de Bourbon lorsque la Compagnie des Indes les rétrocéda au Gouvernement royal, commença à exécuter le plan de Choiseul.

-M. Martial de Pradel de Lamase, bibliothécaire au Ministère de la Marine, donne lecture d'une étude intitulée Paul et Virginie et le naufrage du Saint-Géran d'après des documents inédits. Quelle a été la véritable personnalité de Virginie, voilà la question qu'il s'est efforcé d'élucider, Il montre d'abord l'intérêt qu'elle a suscité le naturaliste Bory de Saint-Vincent, le critique Lemontey, Jules Claretie, Anatole France entre autres se sont tour à tour attaqués à ce problème historique. M. de Lamase établit ensuite que l'héroïne de Bernardin de Saint-Pierre ne pouvait être que M"° Mallet ou M1Ie Caillou, toutes deux passagères du Saint-Géran. Finalement il estime pour de multiples raisons que c'est cette dernière qui a inspiré Bernardin.

Antilles. MM. Albert Dujarric-Descombes, correspondant du Ministère de l'Instruction publique, et Joseph Durieux, vice-président de la Société historique et archéologique de Périgord, présentent une biographie de Jérémie Deschamps du Rausset, boucanier et gouverneur de la Tortue au xvu" siècle.

vers 1610a Monsac dans le Bergeracois, son grand-père et son père exerçaient le notariat, Deschamps du Rausset fut l'un de ces cadets de famille que séduisit la vie d'aventures. En i64o, accompagné de son coreligionnaire protestant Le Vasseur, il s'empara sur les Anglais de l'île de la Tortue, située au nord-ouest de Saint-Domingue. En i654 les Espagnols la conquirent à leur tour. Mais du Rausset ne se tint pas pour battu. En décembre i656 il obtint du roi une « commission pour commander en l'lle de la Tortue et autres en Amérique ». Retourné à Saint-Domingue, au Port de Paix, il fit appel aux boucaniers et, ayant réuni une troupe de six cents hommes, il reprit l'lie par un hardi coup de main.

En i66a il en laissa le gouvernement à son neveu Frédéric Deschamps de La Place et il revint en France. Considérant la Tortue comme sa propriété personnelle, il essaya de la céder à la France d'abord, puis à l'Angleterre. Sa conduite ayant excité des soupçons. du Rausset fut enfermé à la Bastille et il n'en sortit qu'après avoir consenti le 5 novembre i664 à vendre l'lie à la Compagnie des Indes Occidentales pour 1 5.000 livres.


Canada. M. J. Tourneur-Aumont, professeur à la Faculté des, Lettres de l'Université de Poitiers, fait une communication sur la protestation rochelaise contre l'abandon du Canada en 1761. Dans un mémoire adressé au duc de Choiseul le i4 novembre 176t, dans une délibération du corps de ville du 3 mars 176a, les Rochelais protestaient d'avance contre les projets d'abandon de la NouvelleFrance. Ils prévoyaient avec perspicacité toutes les conséquences qu'entraineraient pour la France cette résignation aux défaites perte des pèches canadiennes, accroissement énorme de la puissance anglaise devenant la maitresse de l'Amérique du nord, etc. M. Tourneur-Aumont montre combien est erronée la formule simpliste qui veut qu'on n'ait fait en France au milieu du xviii' siècle aucun cas de la valeur du Canada.

Histoire des découvertes. M. Emile Eude. ingénieur, ancien attaché à la légation de France à Lisbonne, lit un mémoire sur quelques pièces d'archives concernant les cartographes Pedro et Jorge Reinel. Ces documents permettent de reconstituer l'existence étrange de ces deux hommes remarquables du xvi' siècle, qui ont été mêlés aux affaires de Magellan, quand le célèbre navigateur proposa à la Couronne de Castille de gagner les iles des épices par la route de l'Ouest.

Séance de clôture du Congrès. L'usage veut que l'un des membres de la section présidentielle fasse dans la séance de clôture du Congrès une communication savante d'ordre général. A la séance du 18 avril, qui se tint dans l'amphithéâtre Louis-Liard à deux heures et qui fut présidée par M. Alfred Coville. directeur de l'Enseignement supérieur, M. Henri Dehérain lut une étude sur les géographes français dans le Levant du XVII' au XIX' siècle.

Malgré les difficultés et même les dangers un grand nombre de voyageurs français ont depuis trois siècles visité le Levant. D'où une abondante littérature de Relations de voyage, qui graduellement fit pénétrer dans le public la connaissance de l'Orient. Parmi ces voyageurs, il faut tirer de pair Joseph Pitton de Tournefort qui découvrit, en 1601, l'une des sources de l'Euphrate et fit l'ascension du Mont Ararat presqu'à la limite des neiges éternelles. En même temps que les voyageurs, certains consuls ont notablement contribué au progrès des connaissances. L'auteur insiste sur les services rendus à la géographie notamment par le chevalier d'Arvieux, consul à Alger, par Jean François Rousseau et Joseph Rousseau, son fils, consuls à Bagdad et à Bassora, de la fin de l'ancien régime jusqu'àla Restauration, par Pascal Fourcade. consul à Sinope


pendant l'Empire, par les membres de la mission Gardane en Perse. La Cartographie des côtes du Levant a été graduellement préparée par les travaux de nos officiers de marine, puis de nos ingénieurs hydrographes. Enfin les officiers qui ont pris part aux deux expéditions françaises en Syrie, celle de i7gg et celle de 1860 ont aussi apporté leur contribution à la géographie.

Par cet exposé général des travaux poursuivis pendant trois siècles, M. Dehérain a montré que les membres des Instituts scientifiques récemment créés par la France en Syrie ont eu de dignes prédécesseurs.

L'histoire coloniale a, comme on le voit, tenu un place importante au dernier Congrès des Sociétés savantes. Mais ce domaine d'études est si vaste que cette place pourraitencore être élargie. Les mémoires fondés sur des documents inédits ou rares sont assurés d'être dans l'avenir comme ils l'ontctc dans le passé l'objet de toute l'attention des membres de la section de géographie du Comité des Travaux historiques, qui préparent les séances des Congrès1.

1. Les membres des Sociétés savantes qui désireraient présenter des mémoires au prochain Congrès, devront les adresser avant le a8 février 1926 à M. le chef du 2* bureau de la Direction de l'Enseignement supérieur au Ministère de l'Instruction publique, à Paris.


13' ANNÉE 1925 3' TtUMESTM

REVUE

DB

L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

L'OEUVRE

DES AMIS DU VIEUX-HUÉ (1913-1923)

Plus de dix ans se sont écoulés depuis que M. le Résident Supérieur Charles approuvait, le i4 novembre 1913, les statuts de l'Association des Amis du Vieux Hué. Dix ans C'est une longue existence, pour une société coloniale qui, bien que puissamment soutenue, du point de vue financier et moralement, par le Protectorat et par le gouvernement annamite, n'en reste pas moins une société privée, soumise de ce chef plus que toute autre entreprise aux aléas coloniaux. L'essai, malgré des pronostics fâcheux, a réussi. Il ne sera pas sans intérêt de jeter un coup d'œil sur les dix premières années de la société, pour se rendre compte du travail accompli. Et ce sera réconfortant, même si des destins contraires amenaient la disparition d'une œuvre qui mériterait de vivre.


Nous passerons d'abord en revue le travail interne de la société, c'est-à-dire la production scientifique, les études publiées par les membres de la société dans le Bulletin; puis nous verrons son action à l'extérieur J.

Pour juger du cadre où s'est mue l'activité de la société des Amis du Vieux Hué, du point de vue de l'histoire et des études connexes, il faut se reporter à l'article 2 de ses statuts « L'Association a pour objet de rechercher, de conserver et de transmettre les vieux souvenirs d'ordre politique, religieux, artistique et littéraire, tant européens qu'indigènes, qui se rattachent à Hué et à ses environs »2, et au « plan de recherches .rque le P. Cadière traçait aux Amis du Vieux Hué, dès leur première réunion « L'ensemble des faits qui constituent ce que nous avons appelé le vieux Hué, peut se diviser, du point de vue chronologique, en quatre périodes le Hué préhistorique, i. Pour se rendre compte de la vie de la Société, de son œuvre, de son action au dehors, consulter les comptes-rendus des séances et les rapports annuels du président, du rédacteur du Bulletin, du trésorier. Ces documents sont donnés chaque année dans le Bulletin, sous le titre de Documents concernant la Société. Pour connaître l'esprit qui a guidé les organisateurs et les directeurs des Amis du Vieux Hué, consulter les allocutions prononcées les jours de réceptions solennelles (Allocution au D' Sallet (Orband, R.). B. A. V. 1-I., 1914. pp. 351-355 A M. le G. G. Sarraut (Orband, R. et Cadière, L.), ibid., 1917, pp. i-3, 5-9. A. M le G. G. p. i. Monguillot (Cadière, L.). ibid., 191g, pp. 565-567. A M. le G. G. Long (Guibier, 11.). ibid., 1920, pp. 478-483. A M. le Résident Supérieur Pasquier (D* Gaide, L.), ibid., 1921, pp. 299-3oo. A M. le R. S. Pasquier (Cadière, L.), ibid., 1921, pp. 3oo-3o3, A M. le Maréchal Joffre (Dr Gaide, L.), ibid., p. 3i2. A M. le R. S. p. i. Friès (Cadière, L.), ibid., 1932, p. 34g. A M. Sylvain Lévi (Cadière, L.), ibid., 1922, pp. 362-364. A M. le Député Maitreet à M. Jean Brunhes (Cadière, L.), ibid., 1923, pp. 482-486. A M' le G. G. Merlin (Pasquier, P.), ibid., 1923, pp. 5oo-5oi. A M. le G. G. Merlin (D' Gaide, L.), ibid., 1923, pp. 5oi-5o3.)

2.B. A. V. H., 1914, p. 87.


le Hué cham, le Hué annamite, enfin le Hué européen « C'est uniquement « par acquit de conscience », que le Hué préhistorique était mentionné. Et cependant, un ethnographe très averti, M. T. V. Holbé, a donné dans le Bulletin une étude pleine d'intérêt, où il rappelle les diverses trouvailles d'objets préhistoriques faites en Indochine, signale les publications auxquelles ces découvertes ont donné lieu, étudie plus particulièrement les haches dites v à talon », enfin émet quelques hypothèses, au sujet de l'apparition de l'industrie du bronze et des premières vagues de populations qui ont recouvert l'Indochine et l'Insulinde 2.

Il peut se trouver, et il se trouve en réalité, parmi les membres du Vieux Hué, des spécialistes de la préhistoire, il est tout naturel que leurs travaux, à moins qu'ils n'aient un rapport très étroit avec Hué, soient publiés dans les revues spéciales de la colonie ou de la métropole. Il en est de même des questions concernant le Hué cham leur place est dans le Bulletin de l'Ecole Française d'Extrême-Orient. Aussi le Bulletin des Amis du Vieux Hué n'a publié que des notes relatives à quelques sculptures découvertes aux environs de Hué ou transportées au musée de la Société, ou bien encore à la citadelle chame des Arènes 3.

1. B. A. V. H., 1914. pp. 1-12.

a. Holbé, T. V. Quelques mois sur le préhistorique indochinois, à propos des objets recueillis par M. H. de Pirey (B. A. V. H., 1915, pp. 43-53).

3. Gras, E. Une Statue « tiame » (B. A. V. H., 1915, pp. 385890).' Cadière, L. La Statue et les antres sculptures chames de Giam-Biêu fib., 1915, pp. 471-474)- Cosserat, H. Un fragment de stèle chame (ib., igi5, p. 342). Cosserat, H. La Citadelle chame des Arènes (ib. 1915, p. 34i). Cadière, L. Les Sculptures chames de Xudn-IIoà (ib., 1917, pp. 385-289). Cadière, L. Sculptures chames de Thành-Trung (id., igi5, p. 474g- La Citadelle chame des Arènes (id., igi6, p. 448).


Comme il était à prévoir, en ce qui concerne le Hué annamite, ce sont les monuments, les objets anciens ou caractéristiques de la civilisation annamite, qui ont attiré en premier lieu l'attention des Amis du Vieux Hué. Aussi les études concernant l'archéologie proprement dite sontelles nombreuses dans le Bulletin.

Le palais de Hué comprend, dans la Cité Pourpre interdite, tout un ensemble de bâtiments dont l'histoire n'a pas encore été faite d'une façon sérieuse. Une étude du P. Cadière a toutefois amorcé la question l. Elle nous fait connaître les remaniements successifs qui ont modifié l'aspect de toute la partie sud du palais, depuis la grande porte Ngo-Môn, qui donne entrée dans la Cité Jaune, jusqu'au palais Càn-Chânh, en passant par le palais ThâiHoà et la Porte Dorée, ainsi que par toutes les esplanades, les portiques, les pièces d'eau qui sont échelonnés entre ces deux monuments. Ici, comme partout, c'est Gia-Long qui, dans les premières années de son règne, en i8o4, 1806, 1811, a presque tout construit. Minh-Mang, en 1 834 déplaça quelques édifices ou changea leur appellation, en supprima ou ajouta quelques autres, et donna à tout l'ensemble l'aspect actuel.

Les Urnes dynastiques, qui s'alignent devant le temple Thê-Miêu, sont l'oeuvre de Minh-Mang, qui les fit fondre en i835-i836, à l'exemple des dynasties de la haute antiquité chinoise, comme un symbole de la stabilité et de la pérennité de sa famille. Le premier numéro du Bulletin t. Cadière. L. La Porte Dorée du Palais de Hué et les palais adja cents notice historique (B. A. V. H., 1914, pp. 3i5-335).


des Amis du Vieux Hué donna une étude complète sur ces chefs-d'œuvre de l'art du bronze en Annam

D'autres beaux spécimens de l'art de la fonte sont les grandes vasques en bronze conservées soit dans l'intérieur du palais, soit en divers autres endroits de la capitale. Elles remontent au xvii" siècle et furent exécutés par le fondeur de canons de la cour de Hué, Jean de la Croix. M.'L. Sogny en a donné une description soignée, accompagnée de planches2. M. R. Orband, de son côté, avait étudié une série de vases rituels, fondus par Minh-Mang, en i83g, d'après des modèles de l'antiquité chinoise 3. M. H. Le Bris retraça l'histoire et donna la description des Canons-Génies du Palais, fondus par Gia-Long, en i8o3 et M. H. Cosserat étudia les canons hollandais qui, transportés de la citadelle, ornent aujourd'hui l'entrée de la Résidence Supérieure 5. MM. Bonhomme et Ung-Trinh traduisirent l'inscription d'un beau panneau de bronze qui est conservé au musée Khai-Dinh l'inscription, datée de i838, fut composée parThiêu-Tri, alors héritier i. Sogny, L. Les Urnes dynastiques du Palais de Hué notice descriptive; Chovet, P. Technique de la fabrication; Cadière, L. Notice historique (B. A.. V. H., 1914, pp. i5-3i 33-37 3g-46). Sogny, L. Banquet offert à l'occasion de la fête d'inauguration des neuf urnes dynastiques (B. A.. V. H., igi5, p. 34a).

2. Sogny. L. Les Vasques en bronze du Palais (B. A. V. H., tgai. pp. i-i3.) Sur Jean de la Croix, voir aussi Cadière, L. et Cœdès, G. Deux canons cochinchinois au Ministère de la Guerre de Bangkok (B. A. V. H., 1919, pp. 5a8-53a), et Cadière, L. Le Quartier des Arènes Jean de la Croix et les premiers Jésuites (B. A. V. H., iga4, pp. 307-33^.)

3. Orband, R. Les Bronzes d'art de Minh-Mang (B. A. V. H., 1914, pp. 255-293).

4. Le Bris, H. Les Canons Génies du Palais de Hué (B. A. V. H., 1914, pp. 101-110). Cadière, L. Un ancêtre des Canons-Génies au palaisdu roi du Tonkin (B. A. V. H., 1915, pp. 342-343). 5. Cosserat, H. Au sujet du monogramme de la Compagnie Néerlaudaise des Indes Orientales les canons de la Résidence Supérieure (B. A. V. H., 1916, pp. 389-393).


présomptif, et placée dans la salle d'étude des princes impériaux Les tambours qui servent à sonner la retraite, au palais, ou qui font partie du cortège royal, dans certaines cérémonies, ont une histoire singulière ils sont marqués aux armes de France, jouent des airs français et remontent à l'époque où Chaigneau était au service de Gia-Long 2. D'autres objets anciens ou curieux ont été décrits successivement dans le Bulletin, qui devient ainsi peu à peu l'inventaire du riche musée que forment le palais, les salles funéraires des tombeaux royaux et, depuis quelques années, la salle Tân-Thô-Viên 3. L'Enceinte Pourpre interdite et l'Enceinte Jaune, qui entourent immédiatement les divers bâtiments du Palais, sont contenues à leur tour dans une troisième enceinte, aux dimensions vastes, qui est l'Enceinte Capitale, ce que l'on appelle vulgairement la citadelle. M. Vo-Liêm, depuis ministre de la guerre, après avoir indiqué les déplacements successifs de la résidence des premiers Nguyên, a donné sommairement l'histoire de cette enceinte, depuis les premiers travaux que Gia-Long fit effectuer en i8o4 et pendant toute la durée de son règne, jusqu'aux remaniements, aux réparations et aux embellissements exécutés par Minh-Mang et par Thiêu-Tri, enfin i. Bonhomme, A. et Ung-Trinh Une inscription de Thiêu-Tri sur un panneau de bronze (B. A. V. H., 1915, pp. 203-209).

a. Cosserat, H. Noie sur les tambours royaux de Hué (B. A. V. H., 1920, pp. 253-257).

3. Gras, E. Sur un encrier de Tu-Ddc (B. A. V. H., 1917, pp. 207ao8). Ngô-Dinh-Diêm L'encrier de S. M. Tu-Dûc traduction des inscriptions (ib., 1917, pp. 209-213). Tassel Le paravent des Cent Félicités et des Cent Longévités (M., 1917, pp. 33-36.) Orband. R. Sur un disque sculpté, avec inscription de Minh-Mang (id., 1915, pp. 329-331). Orband, R. Ledâu-hô du tombeau de Tu-Duc(id., 1917, pp. io3-io8). Gras, E. Surune slaluelle bouddhique conservée au Tân-Tho-Viên (ibid., 1916, pp. 445-446).


par Tu-Diic 1. Lors de l'occupation française, les troupes s'établirent dans le Mang-Câ, à l'angle nord-est de la citadelle. M. P. Cantin 'a rappelé, d'après les archives de la Place, les divers projets qui furent mis en avant et les travaux qui furent exécutés pour mettre le réduit en état de défense 2. Ces deux travaux sont une base sérieuse pour des études de détail plus fouillées. Une étude du P. Cadière sur le Canal Impérial restitue l'état hydrographique ancien des lieux où s'élève aujourd'hui la citadelle3.

Les monuments qui sont disséminés dans l'Enceinte Capitale et dans ses alentours, ont fourni la matière de nombreuses monographies. Et c'est ainsi que l'on a eu successivement dans le Bulletin, la description et l'historique des anciennes prisons de Hué, le Kham-Duong et le Trân-Phu 5, de l'hôtel des Ambassadeurs et de la Résidence des gouverneurs civils et militaires de la province de Hué 6, des Greniers royaux 7, du Ministère de la Famille Royale 8, du Pavillon des Edits 9, de l'Ecole des i. Vo-Liém La Capitale du Thuân-Hoa (Hué) (B. A. V. H., 1916, pp.,277-288). Cf. L'. G1. Ardant du Picq Les Fortifications de la Citadelle de Hué (B. A. V. H., 1924, pp. 221-345).

a. Cantin, P. La Concession française de Hué, de 1884 à f889 projets de défense, réalisation. (B. A. V. H., 1916, pp. 379-387). 3. Cadière, L. Le Canal Impérial (B. A. V. H., 1915, pp. 19-28). Ung-Trinh Stèles concernant le Canal Impérial (i.d, 1915, pp. 15-17). 4. Roux, J.-B. Les Prisons du Vieux Hué le Khâm-Duong (B. A. V. H., 1914, pp. 5i-58J. Nguyên-Dinh-hoè Note sur les cendres des Tdy-Son dans la prison du KhamDuong (ibid., t9i4,pp. 145-146). 5. Roux, J.-B. Les Prisons du Vieux Hué le Trân-Phu (id., 1914. pp, m-119).

6. Roux, J.-B. Quelques édifices du vieux Hué VHôtel des Arnbassadeurs la Résidence des Gouverneurs civils et militaires (id., 1915, pp. 29-39).

7. Hô-Dac-Dô Les anciens greniers à riz de Hué (id., 1914. pp. 24i-a42).

8. Ung-Gia Le Tôn-Nhon-Phu(B. A. V. H.. 1918, pp. 99-io5). 9. Nguyên-Van-Hiên Le Pavillon des Edits (B. A. V. H., 1915.


Hâu-Bô, qui servait jadis de maison de réception pour les envoyés des gouvernements étrangers, et notamment pour les représentants de la France l, du parc Tinh-Tâm, de la Bibliothèque des Archives, et de divers autres lieux ou monuments de la citadelle 2.

L'Esplanade des Sacrifices a grande allure, dans les environs de Hué, avec l'ombre de ses pins enserrant de grands espaces de lumière, où s'élèvent les tertres symboliques, le tertre rond, figure du Ciel, surmontant le tertre carré, qui représente la Terre. Après plusieurs notes de caractère historique 3, les Amis du Vieux Hué ont consacré un Bulletin presque tout entier au grand sacrifice que l'Empereur d'Annam, le Fils du Ciel, offre tous les trois ans au Ciel, à la Terre, à tous les génies du vaste univers et aux ancêtres de la dynastie des Nguyên 4. C'est une étude exhaustive, du point de vue descriptif et liturgique, et ce travail était d'autant plus nécessaire que, par suite des révolutions qui ont bouleversé les vieilles pp. 377-384) Cosserat, H. Au sujet du Pavillon des Edils ^B. A. V. H., 1920, p. 468).

i. Nguyèn-Dinh-Hoè Histoire de l'Ecole des Hàa-Bô de Hué (B. A. V. H. 191Ô, pp. 4i-4a).

2. Nguyèn-Dinh-Hoè etCadière, L. Quelques coins de la Citadelle de Hué Le lac Tinh-Tâm; H. La Bibliothèque des Archives III. La Poudrière IV. Le jardin Thuong-Thanh – V. Le jardin ThuQuang (B. A. V. H., Ig22, pp. 189-203). Sogny, L. Les Cuisines Royales (id., igi5, p. 342).

3. Cadière, L. Documents historiques sur le Nam-Giao (B. A. V. H., 1914. pp. 63-69), De Pirey, H. Le Vieux Hué d'après Duc-Chaigneau le Nam-Giao (id., 1914. pp. 71-72). Nguyên-Dinh-Hoè Note sur les pins du Nam-Giao (id., pp. 73-74). Cadière, L. Les Pins du Nam-Giao note historique (id., 1914, pp. 75-76). Sogny, h. Les Ossuaires des environs du Nam-Giao (id., igi5, pp. 193-202). 4. Orband, R. et Cadière, L. Le Sacrifice du Nam-Giao Préliminaires et préparatifs. Le Cortège. La disposition des lieux. Le Rituel du Sacrifice. L'Invocation ou prière. Officiants et ministres. Les Danses. Détail des offrandes et des objets de culte (B. A. V. H., igi5, pp. 79-166).


sociétés d'Extrême-Orient, l'Annam est le seul royaume où le sacrifice archaïque du Nam-Giao soit encore célébré avec la pompe et tous les rites de jadis.

Les jeunes gens de bonne famille qui se destinaient à la carrière mandarinale, étaient formés jadis et préparaient tous leurs examens au collège Quôc-Tu-Giam, créé par Gia-Long en i8o3 et remanié parMinh-Mang en 1820. MM. Nguyen-Van-Trinh et Ung-Trinh en ont donné une bonne monographie l. Le Quôc-Hoc, de création plus récente et répondant à des besoins plus modernes, a trouvé son historien en la personne de M. E. Le Bris 2. Un des administrateurs de la première heure, M. H. Le Marchant deïrig'on, a fixé des souvenirs qui s'effacent rapidement, sur l'aspect des environs de la Résidence Supérieure, entre 1880 et 1900 3, et M. H. Cosserat a attiré l'attention des Français d'aujourd'hui sur des tombes qui recouvrent, dans un endroit bien écarté, bien oublié, quelques-uns des nôtres venus à Hué aux premiers temps de l'occupation 4.

Le P. R. Morineau s'est spécialisé dans l'étude de la région entre la capitale et son port, Thuân-An les Nguyên y avaient, depuis Gia-Long, concentré leurs forces de mer et, par des barrages ou des forts élevés sur les deux rives du fleuve, avaient essayé de défendre la route de Hué contre des envahisseurs éventuels; et, depuis i885, les Français y ont aussi laissé des souvenirs que M. H. Boi. Nguyên-Van-Trinh et Ung-Trinh Le Quôc-lu-Giam (B. A. V. H., '917. pp. 37-53). Id. La Stèle du Quôc-Tu-Giam (id., 1917, pp, 269-379).

a. Le Bris, E. Le Quôc-Hoc (B. A. V. H., 1916, pp. 77-81). 3. Le Marchant de Trigon, H. Les alentours de la Résidence Supérieure (B. A. V. H., 1918, pp. i5-i9).

4. Cosserat, H. Les Cimetières européens de Hué le cimetière des Con-tré à Kim-Long (B. A. V. H., 19J2, pp. ao5-2ao)-.


gacrt a recueillis pieusement de son côté 1. A peu près dans la même région, le Vieux Hué a signalé un de ces ponts couverts, si pittoresques, assez nombreux jadis ils étaient construits comme œuvres pies, rares aujourd'hui, car la foi s'en va, et les Travaux Publics les trouvent incommodes et surannés

Le voyageur qui visite Hué est frappé par le grand nombre de pagodes, pagodons ou lieux de culte qu'il voit à tous les coins de rue, sur la berge du fleuve ou des ̃canaux, dans des bosquets touffus ou au pied d'un arbre séculaire, dans tous les replis des collines. Parmi ces monuments, les uns sont d'un haut intérêt historique, tandis que les autres ne relèvent que du sentiment religieux ceux-ci font les délices de l'artiste, ceux-là ne sont estimés que des dévols quelques-uns sont entretenus par l'Etat, mais la plupart dépendent d'une pieuse confrérie, d'un village, d'un hameau, d'un simple particulier tous sont intéressants sous quelque point de vue et sont des documents, pour l'histoire proprement dite, pour l'histoire de l'art ou pour l'histoire comparée des religions. Les Amis du Vieux Hué s'étaient proposés, dès le début, de dresser une carte religieuse de la capitale 3. Cette carte 1. Morineau; R. Souvenirs historiques en aval de Bao Vinh la Butte de tir de Thanh-Phuoc (B. A. V. H., ic|i4, pp. 5g-6i). Id. les farts et les batteries; le cimetière europeen de Thuân-An (id., igi4> pp. 221-239). Cf.: Dr. Gaide, Dr. Dirvignau, Dr. Marque Le Cimetière français de Thudn-An. (B. A. V. H., 1916, pp. 445-449). Id. les barrages l'arsenal de Thanh Phûoc (id., igi5, pp. 3ig-324). Id.: Pho-Lo ou MinhHdong, et les maisons de Vannier et de Forçant –une mention de Chaigneau l'ancienne route mandarine de Hué à Thuân-An le grenier royal de Triêu-Son-Dông le grenier royal de Tiên-Nôn (id., 1919. pp. 453-464). Bogaert, H. Thuân-An de 1885 à nos jours (B. A. V. H., 1920, pp. 329-339). Coursange Les cocoliers des Thuân An (B. A. V. H., 1920, p. 469).

2. Gras, E. Un Pont (B A. V. H., 1917, pp. 2i3-ai6). Orband, R. Le Pont couvert de Thanh-Tkuy(id., 1917, pp. 217-221). 3. Cadière, L. Plan de recherches pour « les Amis du Vieux Hué » (B. A. V. H., igi4, p. 5).


est encore à faire. Mais MM. le D' A. Sallet et NguyênDinh-Hoè y ont travaillé avec ardeur1. La liste des monuments de culte de la ville de Hué qu'ils ont dressée n'est pas complète, il s'en faut mais elle a servi de base à des études de détail qui sont, les unes des monographies modèles, d'autres de bons travaux d'approche 2. Le Bulletin renferme aussi quelques études qui relèvent à proprement parler de l'histoire des religions légendes de divinités annamites vénérées dans les alentoursdellué3, description de cérémonies se rattachant au culte impérial 1 Dr. Sallet, A. et Nguyen-Dinh-Hoè Enuméralion des temples et lieux de culte de Hué (B. A. V. H., 1914, pp. 8i-85. i83-i86, 34i-34a). 2. Bonhomme, A.: La Pagode Thièn-Mâu laislorique description; les stèles (B. A. V. H., 1910, pp. 173-192, 251-286, 429-448). Bonhomme, H. Le Temple de Chiêu-Ung (B. A. V. H., :gi4, pp. 191-209). Cadière, L. La Pagode Quâc-An le fondateur les divers supérieurs (id., 1914, pp. 147-161 igi5,pp. 3o5-3i8). Laborde, A. La Pagode Bao-Quôc (id., 1917, pp. 2a3-a4i). UngTrinh Le Temple des Lettres (id., 1916, pp. 365-378). NguyênVan-Trinh et Ung-Trinh Une stèle de Gia-Long relative au Van-Miêu (id., 1917, pp. 259-262), Ung-Gia Le Temple des Parents illustres (id., igi8, pp. 207-215). Nguyèn-Dinh-Hoè: La Pagode Diêu-Dê (id., 1916, pp. 395-400). Nguyên-Dinh-Hoè Le Huê-Nam-Diên (id., 1915, pp. 36i-365). Delétie, H. La fête du Ruoc-Sac de la déesse Thiên-Y-A-Na, au Temple Huê-Nam-Diên (id., igi5. pp. 357-36o). S. E. le Ministre des Rites et Nguyèn-Dinh-Hoè La Pagode de l'Eléphant qui barrit (id., 1914, pp. 77 79). S. E. le Ministre des Travaux Publics La Pagode de l'Eléphant qui barrit (id., igi4, p. 35i). Nguyên-Dinh-Hoè La statue bouddhique de Hà-Trang (id., 1914, pp. 35i-35a). Sogny, L. Le temple des rois chams (id., 1920, p. 465).

3. Doo-Thai-Hanh Histoire de la déesse Thién-Y-A-Na (B. A. V. H., 1914, pp. i63-i66) id. La déesse Liêu-Hanh (ibid., 1914, pp. 167181) id. Histoire de la déesse Thai-Duong-Phu-Nhon (ibid., igi4, pp. 243-249) id. Histoire de la déesse Ky-Thach-Phu-Nhon (ibid., 1915, pp. 453-455).

4. Dang-Ngoc-Canh Le Sacrifice au drapeau Dao (B. A. V. H., 1915, pp. 371-375). Lê-Binh La cérémonie Gia-Thuong-Tdn-Thuy (ibid., i9t7, pp. 55-63) Lé-Binh La cérémonie Thang-Phu (ibid., I9I7. pp. 65-71) – Lê-Binh La grande cérémonie dite Dai-TriêttNghi(ibid., 1917, pp. 73-75).


une remarquable étude de folklore1, enfin, la liste détaillée de toutes les fêtes, la plupart ayant un caractère rituel, qui ont été célébrées au palais pendant l'espace de trois années2.

Un des joyaux de Hué, au jugement de tous les voyageurs, ce sont les tombeaux des grands empereurs de la dynastie. Tout concourt à exciter l'admiration la beauté du site, l'harmonie des premiers plans, la grandeur sauvage des fonds, de grands bois se reflétant dans des eaux pures, des formes élégantes, de vieux murs patinés, des temples pleins de mystère, des kiosques, des belvédères ordonnés avec mesure, de grands souvenirs planant partout, la majesté de la mort. L'art de l'homme ne s'est pas écarté des lignes directrices que lui traçait la nature, et l'œuvre du temps a consacré cette heureuse harmonie. Les Amis du Vieux Hué se sont toujours proposés de décrire cette merveille avec l'ampleur, la précision et la richesse que réclament les touristes. Ils ont donné d'abord la traduction des stèles de Thieu-Tri 3, de Tu-Duc et de Minh-Mang 5. Ils ont ensuite consacré un numéro spécial du Bulletin au tombeau de Gia-Long. Des poèmes, dont l'inspiration est à la hauteur du sujet, y précèdent une description minutieuse des monuments, enrichie de tous les renseignements historiques qui sont actuellement accessibles, et l'on y assiste, jour par jour, heure par i. Dr. Sallet, À. Les Souvenirs chams dans le Folk-lore et les croyances annamites duQuang-Nam (B. A. V. H., 1923, pp. 2oi-228). 2. Orband, R. Ephémérides annamites (B. A. V. H., 1914, pp. 343345 igi5, pp. 55-57, 3a5-a3o, 333-338, 467-470 igi6, pp. 4a3436 1917, pp. 3oi-3ii).

3. Laborde, A. et Nguyên-Dôn La Stèle de Thiêu-Tri (B. A. V. H., 1918, pp. i-i3).

4. Delamarre, E. La Stèle du tombeau de Tu-Duc (B. A. V. H., 1918, pp. aô-4i).

5. Delamarre, E. La Sléle du tombeau de Minh-Mang (B. A. V. H., 192o, pp. a4i-a52).


heure, aux funérailles du grand empereur, on y lit son éloge funèbre composé par Minh-Mang1.

Dès l'année igi8, M. H. Cosserat avait demandé d'étendre les recherches du Vieux Hué à tout ce qui concerne le Vieil Annam, et de ne pas se cantonner à la capitale 2. Et c'était à juste titre, car les besoins des divers services peuvent éloigner de Hué l'un des plus fidèles collaborateurs du Bulletin, qui sera perdu définitivement si le Bulletin ne reçoit que des travaux relatifs à Hué, qui, au contraire, pourra trouver quelque sujet d'étude dans son nouveau poste, si le Bulletin ouvre ses portes plus larges. Et d'ailleurs, le royaume d'Annam tout entier n'est-il pas, au point de vue historique, et à d'autres points de vue, une extension de sa capitale ? C'est pour cela que la Société a dressé, sur l'invitation de l'Ecole Française d'Extrême-Orient, et avec l'aide principalement du P. Cadière et de M. H. Cosserat, une liste des monuments annamites susceptibles d'être classés comme monuments historiques 3. Le même M. H. Cosserat avait attiré l'attention des membres de la Société sur les plans des citadelles provinciales du royaume 4, dont l'Ecole Française voulait bien laisser la publication à l'initiative de? Amis du Vieux Hué. Ces plans sont exposés au musée Khai-Dinh, mais leur reproduction et leur étude ont été retardées. M. H. Cosserat a donné aussi divers travaux sur des monuments de Tourane ou des environs la pagode i. Patris, Ch. et Cadière, L. Le Tombeau de Gia-Long Le Tombeau de Gia-Long (Poésies) (Ch. Patris). Chapitre I. Renseignements touristiques Organisation du voyage Itinéraire Visite du tombeau (L. Cadière). Chapitre II. Les Funérailles de Gia-Long. Chapitre III. La Stèle de Gia-Long (B. A. V. H.. Ig23, pp. 291-379). a. Séance du 3i avril 1918 (B. A. V. H., 1918, p. 3a8).

3. B. A. V. H., 1923, pp. 4g4-tf95. Cf. 191S, p. 320. Compterendu de la séance du 39 janvier 1918.

4. B. A. V. H., 1915, p. 34i.


Long-Thu, qui possède une stèle datée de 1657 le fortin du Col des Nuages, qui date, au moins pour quelquesuns de ses éléments actuels, de 1826 2. Cette dernière étude est le complémentd'un travail historique, beaucoup plus important, sur la route mandarine entre Tourane et Hué 3. M. l'Administrateur Bougier a décrit la pagode des Lé, à Thanh- Hoa Le P. H. de Pirey a réuni tous les documents relatifs à la « capitale » où se réfugia HamNghi, dans le Quang-Tri, après sa fuite de Hué, le 5 juillet i885 5. Le D' A. Sallet a étudié le vieux Faifo, où sont condensés tant de souvenirs s.

Les travaux d'un caractère plus nettement historique n'ont pas été négligés, tant s'en faut. Leur nombre même oblige à n'indiquer que les grandes divisions par époques.

Pour ce qui concerne la période antérieure à Gia-Long, on trouve, dans le Bulletin, quelques notes d'onomas1. Cosserat, H. La Pagode Long-Thu, à Tourane (B. A. V. H., 1920, pp. 34i-3.<18).

2. Cosserat, H. Le Fortin du Col des Nuages (B. A. V. H., 1931, pp. 57-77).

3. Cosserat, H. La route deTourane à Hué (B. A. V. H., 1920, pp. i-i35).

4. B. A. V. H., 1921, pp. i3i-i46.

5. de Pirey, H. Une Capitale éphémère Tân-So (B. A. V. H., igi4* pp. 211-220).

6. Dr. A. Sallet Le Vieux Faifo I. Souvenirs chams. Il. Souvenirs japonais. III. Les tombes européennes (B. A. V. H.. 1919. pp. 5oi-5ig). Ajouter quelques notes relatives à d'autres endroits: Orband, R. Le Khanh de La-Chu (B, A. V. H., igi5, pp. 367-370). Nguyèn-Dinh-Hoè La berge de la Chute de cheval (ibid., igi6, p. 45o). de Pirey, H. La chaudière de Rich-La-Soi (ibid., igi6. p. 448). Cadière, L. et Khiêu-Tam-Lu Le brûle-parfum de ThoXuân (ibid., 1919, pp. 217-222). Cadière, L. Un brûle-parfum en cuivre (ibid., 192o, pp. 453-554). Bardon, E. Surunpot à riz (ibid., 1919, pp. 532-53!1).


tique i, une partie de la généalogie officielle des Nguyên, traduction d'un ouvrage de S. E. Tôn-Thâl Hân des monographies des grandes familles mandarinales ou de personnages de l'ancienne cour de Hué 3, une étude sur certains faits qui précédèrent et causèrent en partie la grande tourmente des Tây-Son, où faillit sombrer la dynastie des Nguyên 4. Il reste encore une riche moisson à faire dans les événements confus qui remplissent la vie du peuple annamite de Hué pendant le cours du xvi", du xvn° et du xvm° siècle. Gia-Long et ses successeurs n'ont été étudiés, également, que par bribes5. Néanmoins, despoints importants ont été précisés, soit par la traduction de documents indigènes jusqu'alors tenus secrets 6 ou t. Cosserat, H. Note sur le mot Qui-Nam (B. A. V. H., igi4,. pp. 337-34o). Aurousseau, L. Qui-Nam (ibid., 1914, p. 347). Cadière. L. Encore le Qui-Nam (ibid., 1914. pp. 34"-35i). Cadière. L. Dinh-Trai, un nom populaire de Hué, au XVII' et auXVHI' siècle(ibid,, 1920, pp. 46o-46a).

a. S. E. Tôn-Thât Hàn, Bui-Thanh-Vân et Tràn-Dinh-Nghi Généalogie des Nguyên avant Gia-Long (B. A. V. H., 1930, pp. 39a328).

3. Rivière, G. Une lignée de loyaux serviteurs, les Nguyén-Khoa (B. A. V. H., iigi5, pp. 287-304). Sogny, L. Les Associés degauche et de droite au culte du Thé-Mîêu (ibid., 1914. pp. iai-i44). Sogny, L. Les Associés de gauche et de droite au culte du temple dynastique Thai-Miêu (ibid., 1914, pp. ag5-3i4). Cadière, L, Au sujet de l'épouse de Sai-Vuong (ibid., 1922, pp. aai-a3a). Cadière, L. Quelques figures de la cour de Vo-Vuong (ibid., 1918, pp. a53-3o6). 4. Cadière, L. Le changement de costume sous Vo-Vuong, ou une crise religieuse à Hué au XVIII' siècle(B. A. V. H., 1915, pp. 417-424)- Cadière. L. Une Histoire moderne du pays d'Annam (compte-rendu d'un ouvrage de Ch. Maybon). (B. A. V. H., 1920, pp. 177-181). 5. Nguyên-Dôn La Princesse Ngoc-Tu (B. A. V. H., 1910, pp. 4a54a8). Cosserat, H. et Hô-Dac-Hâm Les grandes figures de l'empire d'Annam Vo-Tanh (ibid., 1923, pp. 229-252).

6. S. E. Huynh-Côn et Hoàng-Vên Minh-Mang va recevoir 1'investiture à Hanoi (B. A. V. H., 1917, pp. 89-161). Orband, R. Les funérailles de Thiéu-Tri, d'après les documents officiels (ibid., 1916, pp, io5-i i5). S. E. le Ministre des Rites et Ngô-Dinh-Khôi L'Ambassade chinoise qui conféra l'investiture à Tu-Duc, (Ibid., 191 6, pp. 3o9-3i4).


restés inédits soit par l'utilisation de documents européens 2.

L'histoire actuelle a trouvé aussi sa place dans les pages du Bulletin. Ces études ont en certains endroits un air de reportage. Mais, quelque insignifiant qu'en soit parfois le sujet, ce sont néanmoins des documents que consultera peut-être un jour l'historien 3. Et, en attendant le i. Dào-Thai-Hanh Son Excellence Phan-Thanh-Hian (B. A. V. H., igi5, pp, 211-22/4). Nguyèn-Dinh-Hoè. Ngô-Dinh-Dièm et TrânXuân-Toan L'Ambassade de Phan-Tkanh-Gian(1803-180i) (ibid., 1919, pp. 161-216 igai.pp. 147-187, ùb'A-281). – Peyssonnaux, H. et Bui-Van-Cung Journal de l'ambassade envoyée en France et en Esl)a.qite par Tu-Duc (août 1877 à septembre 1878) (ibid., 1920, PP, /107-443).

2. Cadièrc, L. Les funérailles de Thiêu-Tri, d'après Mgr. Pellerin (B. A. V. II., 1916, pp. gi-io3). Cadière, L. Comment l'empereur de Chine conféra l'investiture à Tu-Duc, d'après Mgr. Pellerin (ibid., igit), pp. 297-307). Le Marchant de Trigon, H. L'intronisation da roi Ilam-Nghi (ibid., 1917, pp. 77-88). Cosscrat, H. L'intronisation du roi Dông-Khanh (ibid., 1920, pp. 35g-364). Cosserat, H. Au sujet du mariage de la deuxième fille de S. E. Aguyên-Huu-Dd avec S. M. le roi Dong-Khanh (ibid., 1920, pp, 463-465). Delvaux, A. La mort de Nguyên-Van-Tuong, ancien Régent d'Annam (ibid., 1933, pp. 427-432). Orband, R. Le Hué de 1885 (ibid., 1916, pp. 83-89). Peyssonnaux, H. Hué entre 1885 et 1888 I. Une réception à la cour du roi Dông-Khanh. II. Une visite à la Reine-Mère Nghi-ThiênChuong-Hoàng-Hâu. III. Hué entre 1885 et 1888 (ibid., 1922, pp. 233a43). Salles, A. Sur quelques gravures relatives à l'hisloire d'Annam (ibid., 1927, pp. 467-468).

3. Dang-Ngoc-Canh L'Intronisation de l'Empereur Khai-Dinh (B. A. V. H., 1916, pp. i-24). Orband, R. et Hoàng-Yên La Promulgation des nouveaux codes tonkinois (ibid., 1.917, pp. 243-258). S. E. le Ministre des Rites et Lê-Binh La Proclamation des ReinesMères (ibid., 1918, pp. 43-57), – Lc-Binh Le cinquantenaire de la Reine-Mère Hoàng-Thai-Phi(ibid., 1918, pp. 127-138). -Orband. R.: Voyage de S. M. Khai-Dinh dans le Nord-Annam et au Tonkin (ibid., 1918, pp. i3g-i8i). Orband, R. S. M. Khai-Dinh aux temples et tombeaux de Thanh-Hoa (ibid., 1918, pp. 183-198). S. E. ThânTrong-Huc Cérémonie d'investiture du Prince Héritier (ibid., 1922, pp. 311-319). Salles, A. Visite de S. M. l'Empereur d'Annam à la Société de Géographie, le 10 juillet 1922 (ibid., 1932, pp. 321-336). Lavadoux, G. Ephémérides annamites: S. E. Tôn-Thâl-Hdn prend sa retraite (ibid., 1923, pp. 38g-3g4).


jugement de l'histoire, c'est avec raison et non sans profit que l'on donne, chaque année, une courte notice biographique sur les grands mandarins qui sont morts dans le courant de l'année

Une autre série d'études relève ù la fois de l'histoire, de l'archéologie, et aussi de l'ethnographie, de la science des moeurs et coutumes. C'est ainsi que le Bulletin a donné an long travail sur les éléphants royaux 2, de bonnes monographies sur les Eunuques 3, sur les barques royales 4, sur le riz 5 et la cannelle royale 3, sur diverses institutions ou certains règlements de la Cour d'Annam, généralement peu connus des Européens, au moins dans les détails 7, enfin diverses notes sur les monnaies annai. Orband, R. Notices nécrologiques les morts de l'année (S. E. Tôn-Thât Niêm, S. E. Trân-Dinh-Pkat, S. E. Nguyên-Thân. S. E. Truang-Qaang-Dan)(h. A. V. H., 1915, pp. 59-62). Orband, R. S. E. Dào-Thai-Nmh. (ibid., 1916, pp. 45i-45j). Charles, E. S. E. Truong-Nhu-Cuong (ibid., 1919. pp. 53-7-53g). Ung-Trinh S. E. Trân-Tiên-Hôi (ibid., 1919. pp 54i-544). Patris, Ch. S. E. CaoXaân-Due (Wid., 1933, pp. 433-472).

2. Gadïère, L. Les Eléphants royaux (B. A. V. H., 1922, pp. 4i102).

3. Labordc, A. Les Eunuques à la cour de Hué (B. A. V. H., 1918, pp. 107-120).

4. Ngujên-Dinh-Hoè Les barques royales et mandarinales dans le vieux Hué (B. A. V. H., 1916. pp. 289-395).

5. Lan, J. Le Riz législation, culte, croyances (B. A. V. H., pp. 389-451).

6. Bonhomme, A. La Cannelle royale (B. A. V. H., 1916, pp. 419432).

7. Laborde, A. Les titres et grades héréditaires à la Cour d'Annan (B. A. V. H., 1920, pp. 385-4o6). Laborde, A. Les livres d'or et les livres d'argent de la Cour d'Annam (ibid., 1917, pp. i3-iq). –Dang-Ngoc-Oanh La collation des titres nobiliaires à la Cour d'Annam (ibid., 1918, pp. 79-98). Hô-Dac-Khai Les concours littéraires à Hué (ibid., 1916, pp. 333-336). Dang'Ngoc-Oanh Les distinctions honorifiques annamites (ibid., 1915, pp. 391-406). Nguyên-Dôn Costumes de cour des mandarins civils et militaires et costumes des gradués (ibid., 1916, pp. 3i5-33i). Sogny, L. Les sceptres ou hâtons de bon augure appelés « nhu-y » (en chinois « jou-i ») (ibid., 1921, pp. 101-108).


mites, sur les cachets, sur diverses parties du costume des mandarins ou des gens du peuple, sur des ustensiles d'usage ordinaire, le grand chapeau des femmes et les sachets à bétel, jadis universels, aujourd'hui perdus, ou en train de disparaitre, l'antique broyeur pharmaceutique1. Ce sont des riens, dira-t-on, mais c'est quand même une partie de la civilisation annamite, une partie de l'histoire du peuple.

Hué est un musée d'art, bien appauvri, hélas 1 Là avaient été réunis, dans des compagnies spéciales, les artisans les plus habiles du royaume, qui travaillaient pour la Cour là s'amassaient, pour la joie du prince ou de ses mandarins, les richesses venues de Chine ou du Japon, les curiosités d'Europe, apportées par les ambassades, fournies par les commerçants les tissus somptueux, les laques, les émaux, les porcelaines délicates ou ordinaires, les fameux « bleus de Hué », les ivoires, les meubles trapus ou fouillés en dentelle, les colliers, pendants d'oreilles, agrafes de chapeau, boîtes à bétel ou à parfums, en argent ciselé, en or massif, en cuivre blanc, rouge, noir, mille bibelots, décoraient l'intérieur des i, Cosserat, H. Une collection de sapèques anciennes (B. A. V. H., igi5, p. 34i). Salles A. A propos de numismatique annamite (ibid., 1920, pp. 458-46o). Cosserat, H. Sur les cachets annamiles (ibid., 1915, pp. 34i). Kerbrat Un cachet militaire des Tdy-Son (ibid.. 1920. pp. 470-471). Salles, A. Plaques et sceaux de mandarins (ibid., 1920, pp. 472-473). Salles, A. La plaque d'an officier du régiment des Eléphants (ibid., 1919, pp. 522-524). Salles, A. Une plaque crépauleile d'officier cochinchinois (ibid., 1919, pp. 5a4-5a5j. Tôn-Thàt Quang et Cadière, L. Les sachets à bétel et à tabac dans le vieux Hué (ibid., 1916, pp. 337-33g). Hô-Dac-Hàm Le nonthuong, chapeau des femmes annamites (ibid., 1918, pp. 2i-a3). –Lê-Khac-Thu Le « thuyên-nghlên » ou broyeur pharmaceutique (ibid., 1920. p. 463).


palais, des temples, des maisons particulières. Que restet-il de toutes ces richesses ? La guerre est venue, accompagnée des pillages ordinaires puis il s'est produit, comme après toutes les guerres, un glissement des fortunes, qui a appauvri les vieilles familles princières et mandarinales, et a fait sortir les objets d'art du royaume. Les Amis du Vieux Hué se sont trouvés devant des ruines, ils n'ont pu étudier que des épaves.

Au point de vue artistique, ils ont entrepris, comme on le verra mieux plus loin, une œuvre de conservation et de restauration. Les divers problèmes, d'ordre théorique ou d'ordre pratique, que soulève ce programme, ont été étudiées par MM. E. Gras, G. Groslier, le P. Cadière Les objets qui attirent tout d'abord l'attention et excitent le désir des collectionneurs, sont les porcelaines. Il faut le répéter, car les légendes ont la vie dure les bleus dits de Hué sont trouvés à Hué, mais n'ont pas été fabriqués à Hué ce sont des porcelaines chinoises. Toutefois, sous Minh-Mang, et peut-être après lui, les émailleurs du Palais ont surdécoré des pièces venues à Hué, sous simple couverte blanche, soit de Chine, soit d'Europe. M. L. Dumoutier a consacré à quelques-uns de ces objets une petite étude qui signalait le fait pour la première fois 2. On a fabriqué aussi à Hué, peut-être de tout temps, mais certainement depuis Gia-Long, des terres cuites vernissées M. Rigaux a retracé l'histoire de i. Gras, S. Quelques réflexions sur un enseignement d'art en Annam (B. A. V. H., iç)i5, pp. 457-460). Cadière, L. Projet pour l'organisation et le développement de la Commission artittiqne des A. V. H. (ibid., igi5, pp. 461-466). Gras, E. La ville, la maison, meubles dentelles (ibid., igig, pp. 3i-45). Cf. Auclair, C. A propos d'esthétique (ibid., 1919, pp. 323-^3 1). Groslier, G. Questions d'art indigène (ibid., 1930, pp. 445-45a).

a. Dumoutier, L. Sur quelques porcelaines européennes décorées sous Minh-Mang (B. A. V. H., 1914, pp. 47-5o).


ces fours, avec toute la précision technique désirable Une autre industrie prospère de Hué, qui touche à l'art, c'est la fabrication des stores peints M. Tôn-Thât Sa en a détaillé tous les secrets de métier 2.

Mais qu'il s'agisse de fabricants de stores, ou de potiers, d'émailleurs, de sculpteurs, de maçons, tous les artistes, les simples ouvriers, jettent sur ce qu'ils font les mêmes ornements. M. le capitaine Albrecht avait déjà étudié l'un de ces motifs ornementaux, le dragon 3. La question fut reprise peu après, avec plus d'ampleur, dans un numéro spécial. Dans une étude préliminaire, le P. Cadière faisait ressortir les caractéristiques de l'art annamite, principalement son symbolisme il en analysait les qualités et les défauts et en dessinait les limites, en regard de l'art du Tonkin et de l'art chinois. Puis M. E. Gras en montrait l'utilisation pratique, du point de vue des besoins européens. Enfin, le P. Cadière reprenait un à un tous les motifs ornementaux, au moyen de planches très nombreuses reproduisant des modèles recueillis à Hué mêm3. Cette publication fut un succès 4.

Après avoir commencé par des « bleus de Hué », le bibeloteur continue par tout ce qui lui tombe sous la i. Rigaux Le Long-Tho, ses poteries anciennes et modernes (B. A. V. H., 1917. pp. ai -3a). Silice, A. Les poteries du Giao-Chi (ibid., 1919. p. 527-528).

a. Tôn-Thât Sa Les Stores de Hué (B. A. V. H., 1919. pp. 48i494).

3. Albrecht, R. Les motifs de l'art ornemenlal annamite à Hué le Dragon (B. A. V. H., igi5, pp. i-i3).

4. Cadière, L. et Gras, E. L'Art à Hué. La ville, la maison, meubles dentelles. Les motiJs de l'art annamite I. Motifs ornementaux géométriques. Il. Caraclères. III. Objets inanimés. IV. Fleurs et feuilles, rameaux et fruits. V. Animaux le Dragon la LUorne le Phénix 4° la Tortue 5° la Chauve-souris 6° le Lion le Tigre 8* le Poisson. La Sculpture proprement dite. Le Paysage (B. A. V. H., 1919, pp. 1-29, 3i-45, 47-i5g). Salles, A. Utilisation pratique de « l'Art à Hué » (ibid., tgao, pp. 471-472).


main quand il s'en va fureter dans les bric-à-brac de la ville annamite, ou dans les villages des environs de Hué. Il aura un guide sûr, un conseiller averti en la personne de M. H. Peyssonnaux, qui a mis son expérience et son goût au service des lecteurs du Bulletin

M. E. Le lîris, M. Hoàng-Yên, de leur côté, initient les profanes aux beautés de la musique annamite 2, et M. E. Gras décrit avec sa verve habituelle ce qui se passe sur le plateau, dans un théâtre annamite, au parterre et dans la loge d'honneur, même derrière les coulisses 3. Et c'est encore de l'art, que cette page où M. V. F. Ducro, un artiste délicat et modeste, expliquait le symbolisme de la composition qui ornait la couverture des premiers numéros du Bulletin des Amis du Vieux Hué 4. C'est de l'art aussi que ces couvertures en couleurs, ces centaines de planches, de dessins, de têtes de pages, de culs de lampe, en noir ou en couleurs, qui illustrent le Bulletin, avec une richesse qui croît chaque année. Il y a là des photographies purement documentaires, mais qui offrent souvent un caractère artistique, soit à cause du site, du monument, de l'objet représenté, soit à cause de l'habileté de l'opérateur ou de la beauté de l'impression il y a des aquarelles et des dessins d'artistes indigènes, qui ont travaillé avec conscience il y a surtout les i. Peyssonnaux, H. Carnets d'un collectionneur Comment on devient collectionneur. Marchands de curiosités. Les « curios » à Hué (B. A. V. H., 1931, pp. 79-100). Id. Les bibelots de Hué. -Netskés (ibid., 1922, p. 33-4o). Id. Anciennes céramiques anglaises en Annam (ibid., 192a, pp. 103-130).

a. Hoàng-Yên La Musique à Hué, dôn-nguyêt et don-tranh (B. A. V. H., 1919, pp. 233-387). Le Bris, E. Musique annamite airs traditionnels (ibid., 1933, pp. 355-309).

3. Gras, E. Une soirée au théâtre annamite (B. A. V. H., 1916, pp. 2i5-ï22). – Gras, E. Au théâtre chinois (ibid., 1921, pp. 3i-45). 4. Ducro, V. F. La couverture de notre Bulletin (B. A. V. H., 1914, pp. i3-i4).


œuvres de M. E. Gras, la finesse et le mordant de son crayon, la vérité profonde de son dessin, la richesse de sa palette, la vie et le mouvement de ses personnages. Ce sont des œuvres d'art, demain l'historien y verra des documents.

« Quelqu'attachant que soit pour nous le Vieux Hué européen, c'est encore le Vieux Hué annamite qui fournira à nos recherches le champ le plus vaste, parce que Hué est, à proprement parler, l'œuvre des Annamites c'est ici qu'ils ont mis toute leur énergie créatrice c'est ici qu'ils ont gravé, d'une manière plus sensible que partout ailleurs, au moment actuel, veux-je dire, leur empreinte nationale ». On vient de voir comment ce programme a été réalisé dans les pages du Bulletin les monuments, le Palais, la Citadelle, les temples, les tombeaux l'histoire la religion l'art. Tous les sujets ont été abordés, avec plus ou moins de bonheur. On n'a pas tout dit, la tâche à faire est encore lourde, mais toutes les questions ont été amorcées.

On n'a eu garde d'oublier le Vieux Hué européen. Aussi bien l'histoire annamite n'est-elle pas en contact étroit, depuis plusieurs siècles, avec l'influence européenne, avec les missionnaires, les commerçants, les officiers, les représentants de la France î

Plusieurs de ces Européens « qui ont vu le Vieux Hué » l'ont décrit. A partir du P. de Rhodes, dans la première moitié du xvn" siècle, jusqu'aux années qui ont immédiatement précédé l'occupation française, nous avons une série interrompue d'auteurs qui nous donnent, avec plus î. Cadière, L. Plan de recherches pour « les Amis du Vieux Hué » (B. A. V. H., 1914, p. 4).


ou moins de précision, l'aspect du palais des Nguyên et de leur capitale, des Français, des Anglais, des Allemands, des Hollandais. Le Bulletin a commencé une galerie de portraits, où nous voyons d'abord, d'une façon sommaire, l'homme, le voyageur, l'auteur, le peintre, puis le tableau qu'il nous a tracé, ce qu'il a vu. Le P. de Rhodes (1624i645, datés du séjour en Indochine) i, Thomas Bowyear (1695-1696)2, Dutreuil de Rhins (1876-1877)3, Brossard de Corbigny (1876) 4, Rollet de l'Isle (i884)5, quelques autres moins connus G, défilent ainsi devant les yeux du lecteur du Bulletin, et font défiler les aspects successifs de la capitale. Il faut espérer que la galerie sera complétée peu à peu.

Tout le monde sait que le prince Nguyên-Anh, chassé avec toute sa famille par les Tây-Son, fugitif, proscrit, fut grandement aidé, dans ses luttes contre les usurpateurs, par l'évêque d'Adran, MgrPigneau de Béhaine, et par une poignée d'officiers français qu'avait su gagner le prélat et que le goût des aventures avait attirés en Cochinchine. Parmi ces Français, quelques-uns seulement, Vannier, Chaigneau, de Forçant, Despiau, sont venus à Hué, y ont vécu de longues années et même, pour deux d'entre eux, y sont morts. Mais la restauration des Nguyên est, en partie, leur œuvre à tous. La citadelle de Hué, comme i. Cadière, L. Les Européens qui ont vu le vieux Hué le P. de Rhodes (B. A..V. H., igi5,pp. 23i-a4g).

2. M™° Mir et Cadière, L. Les Européens qui ont vu le Vieux Hué Thomas Bowyear (iôgS-iCgC) (B. A. V. H., 1920, pp. i83-24o). 3. Cosserat, H. Les Européens qui ont vu le vieux Hué Dulreuilde Rhins (B. A. V. H., 1919, p. 465-48o).

4. Cadière, h. Les Européens qui ont vu le Vieux Hué Brossard de Corbigny (B. A. V. H.. 1916, pp. 34t,-363).

5. Cadière, L. Les Européens qui ont vu le Vieux Hué Rollet de l'Isle (B. A. Y. H., 1916, pp. 4oi-4i9).

G. Le Marchant de Trigon, H. Les Européens qui ont vu le vieux Hué nos devanciers immédiats (B. A. V. H., 1917, pp. 281-283).


toutes les autres forteresses du royaume, a été construite sur des plans donnés par des Français qui n'ont jamais vu Hué. Il était donc tout naturel c'était donc un devoir patriotique, au point de vue français aussi bien qu'au point de vue annamite que les Amis du Vieux Hué consacrassent leurs efforts à rechercher tous les souvenirs, écrits, de tradition, ou monumentaux, qui pouvaient encore subsister au sujet des « Français au service de Gia-Long». Et il est juste de dire que le succès a couronné leur zèle.

M. H. Cosserat a donné, comme base générale, une étude d'ensemble qui réunit tous les renseignements que l'on a au sujet de ces officiers1, et le P. Cadière a recueilli, dans les documents indigènes ou européens, toutes les appellations dont se sont servis les Annamites pour les désigner2. Les deux plus célèbres d'entre eux, ceux dont le titre de fonction s'est perpétué dans la tradition populaire, sont Chaigneau « Commandant du Dragon », et Vannier, « Commandant de l'Aigle ». M. A. Salles a eu le bonheur de faire, en France, une riche récolte de documents qui lui ont permis de donner la généalogie complète de la famille Chaigneau et de retracer la vie des membres les plus marquants de cette famille, notamment de J.-B. Chaigneau, le « Commandant du Dragon », de son neveu, Eugène Chaigneau, qui vint à Hué, comme consul de France, et de Michel Duc Chaigneau, fils de Jean-Baptiste, qui nous a laissé des Souvenirs de Hué d'un très grand intérêt 3. Cette étude, i. Cosserat, H. Notes biographiques sur les Français au service de Gia-Long (B. A. V. H., 1917, pp. 165-206).

a. Cadière, L. Les Français au service de Gia-Long III. Leurs noms, titres et appellations annamites (B. A. V. H., 1930, pp. 137176).

3. Salles, A.. J.-B. Chaigneau et sa famille I. Les ascendants.


très riche de données nouvelles, est un modèle, pour la sobriété du style, la clarté de l'exposition, la sûreté des informations, la précision des détails, la prudence desjugements. Le même auteur a publié un Mémoire sur la Cochinchine, œuvre de J.-B. Chaigneau

D'autres chercheurs, le P. Cadière, M. H. Cosserat, ont eu la bonne fortune de découvrir, à Hué, de vieux actes qui permettent de situer avec sûreté l'emplacement des demeures qu'a occupées J.-B. Chaigneau lors des deux séjours qu'il fit à Hué, le premier de 1801 à i8ig 2, le second de 182 à 1824 3-

La vie de Chaigneau fut étroitement unie à celle de Vannier, et les deux amis reposent à côté l'un de l'autre, dans le cimetière de Lorient. Le hasard, qui récompense les chercheurs, mit entre les mains de M. A. Salles toute une série de diplômes, soit personnels à J.-B. Chaigneau, soit communs à lui et à Vannier, délivrés par les empereurs ou les grands mandarins de Hué. Ces précieux documents ont été décrits et traduits 5 dans le Bulletin des II. Les frères et sœurs aînés. III. Les frères pninés. IV. J.-B. Chaigneau. V. Le premier mariage de J.-B. Chaigneau et sa descendance. VI. Le second mariage de J.-B. Chaigneau et sa descendance. Pièces juslificatives. Tableaux généalogiques (B. A. V. H., 1923, pp. 1-200). Cf. Salles, A. Documents relatifs à Chaigneau (ibid., ig2o, pp. 473-474). Nguyên-Dinh-Hoè Quelques renseignements sur les familles de Chaigneau et de Vannier (B. A. V. H., 1916, pp. 273-270). i. Salles, A. Le Mémoire sar la Cochinchine de J.-B. Chaigneau (B. A. V. H., 1923, pp. 253-283).

2. Cadière, L. Les Français au service de Gia-Long I. La maison de Chaigneau (B. A. V. H., 1917. pp. 117-164).

3. Cadière, -L. et Cosserat, H. Les Français au service de GiaLong VI. La maison de J.-B. Chaigneau, consul de France à Hué (B. A. V. H., 1922, pp. i-3i).

4. Salles, A. Les Français au service de Gia-Long VIII. Les diplômes et ordres de service de Vannier et de Chaigneau description des documents (B. A. V. H., 1922, pp. 245-254).

5. Cadière, L. Les Français au service de Gia-Long VII. Les diplômes et ordres de service de Vannier et de Chaigneau (B. A. V. H.,


Amis du Vieux /lue. M. H. Cosserat avait publié les actes de décès des deux officicrs M. A. Salles a consacré une étude descriptive à leurs tombes, situées au cimetière de Garnel, à Lorient 2, et c'est grâce à lui que ces deux monuments ont été restaurés.

Vannier n'a eu jusqu'ici qu'une petite note consacrée à une peinture qu'il avait faite pour décorer sa maison de Hué3. De Forçant, le « Commandant de l'Aigle », mourut à Hué en 1811. Son tombeau avait été attribué, par des personnes peu au courant de l'histoire, à Vannier. On le lui a restitué cton l'a décrit dans le Bulletin Les autres Européens venus au service de Gia-Long n'onteu, jusqu'à présent, que quelques courtes notes 5.

En dehors de ces deux séries d'études, les travaux consacrés à l'histoire des Européens avant Gia-Long, ne sont 1922, pp. i3g-i8o). Cf. Sogny, L. et Hô-Phu-Viên Le Brevet de J.-B. Chaiyneau (ibid. 1 9 1 5 pp. 44g-45i). Cossera H. Le passeport de Ghaigneau (ibid. 191 7, pp. 293-295).

1. Cosserat, Il. Les actes de décès de Chaigneau et de Vannier (B. A. V. Il., 1919, pp. 4o5-5oo).

2. Salles, A. Les Français au service de Gia-Long IV. Les tombes de J.-B. Gliaigneau et de Vannier, au cimetière de Lorient (B. A. V. H., 1921, pp. 47-56). Cf. Salles, A. Les tombes de Chaigneau et de Vannier (ibid., 1919, pp. 521-522 192o, p. 475.

3. Cosserat, H. Les Français au service de Gia-Long V. Une fresque de Vannier (B. A. V. H., 1921, pp. 23g-24a).

4. Nadaud, G. Les tombeaux de Phu-Tu et de Phuoc-Qua (B. A. V. H.. 1915, pp. 325-328). Cadière, L. Les Français au service de Gia-Long II. Le tombeau de de Forçant (ibid., 1918, pp. 59-77. 5. Cosserat, II. Un descendant du Colonel Olivier La tombe du Sergent d'Olivier de Pezet à lion (Aitnam) (B. A. V. H., 1923, pp. 285289). Cosserat. H. Note au sujet de Manoé (Manuel) et d'un officier irlandais, tous deux morts au service de Gia-Long (ibid., igao, pp. 454458). Cadière, L. Note sur le Corps du Génie annamite (ibid., 192 1, pp. 283-288). Salles, A. Quelques lettres de Gia-Long (ibid., 1920, pp. 469-47o). Salles, A. Une statue de Mgr. d'Adran, de Gia-Long et du Prince Canh (ibid., 1920, pp. 466-467). Salles, A. Au sujet du tombeau de Mgr d'Adran (ibid., 1919, p. 5a6). Salle, A. La maison nalale de Mgr. d'Adran (ibid., 1919, pp. 525-526).


pas nombreux. M. lo Dr Gaide a consacré un long travail aux médecins orientaux qui ont exercé leur art en Annam, aux xvn° et xvm° siècles, et a montré le développement du service médical dans la colonie actuelle1. Les missionnaires ont de tout temps exercé quelque peu la médecine quelques uns d'entre eux ont eu le titre de médecins de la cour d'autres entretenaient à Faifo et à Hué des hôpitaux importants. Mais qui se serait douté qu'il y avait à Faifo, en 1671, un apothicaire français, provençal, nommé Maurillon ? L'histoire des Missions a fourni la matière de quelques études la colonie hollandaise qui a vécu à Faifo et à Hué a laissé quelques tombes qui ont été signalées 3, et l'on a indiqué le passage de Bougainville à Tourane Comme on le voit, il reste une riche moisson à faire, dans les mémoires qu'ont laissés soit les missionnaires, soit les voyageurs qui sont venus en Annam avant Gia-Long.

Les événements qui se sont déroulés à Hué pendant la seconde moitié du xix" siècle, ont, semble-t-il, présenté plus d'intérêt aux travailleurs. On trouve dans le Bulletin, des documents, dont quelques-uns inédits, d'origine annamite, sur le traité de 1862 5 et sur l'arrivée à Hué du i. Dr Gaide, L. La Médecine européenne en Annam, autrejois et de nos jours (B. A. V. H., igai, pp. i8g-2i4).

2. Roux, J.-B. Les premiers missionnaires français à la cour de Hiên-Vuong le petit prince chrétien du Dinh-Cat (B. A. V. H., 1910, pp. 407-/116). Cadière, L. Sur le pont de Faifo au XVII' siècle historiette tragi-comique (B. A. V. H., igao, pp. 349-358). Cadière, L. Un voyage en « sinja » sar les côtes de Cochinchine au XVII' siècle (ibid., 1921, pp. 15-29).

3. Cadière, L. Surdeux tombes de Hollandais (B. A. V. H., 1917, pp. 297-300).

4. Dr. Guillon Le voyage de Bougainville à Tourane (B. A. V. H., pp. 291-292).

5. Le Marchant de Trigon, H. Le Traité de 1862 entre la France. l'Espagne et V Annam (B. A. V. H., 1918, pp. 217-202).


premier chargé d'affaires français une relation annamite sur le traité de 1874 2. des études d'ensemble sur les événements de i885, soit à Hué 3, soit dans la province de Quang-Tri et sur les premiers représentants de la France en Annam 5, enfin diverses notes moins importantes sur les événements de cette période0,

Ajoutons, pour finir, des notices nécrologiques, qui rappellent le souvenir d'amis du Vieux Hué, disparus souvent d'une manière tragique, après avoir joué un certain rôle en Indochine 7.

1. Le Marchant de Trigon, H. Les débuis de notre Protectorat: arrivée à Hué de notre premier chargé d'affaires (B. A. V. H., 19 17, pp. 263-267)'

a. Peyssonnaux, H. et Bui-Van-Cung Le Traité de 1874 journal du secrétaire de l'ambassade annamite (B. A. V. H., 1920, pp. 365384).

3. Delvaux, A. La prise de Hué par les Français (5 juillet /885) (B. A. V. II., 1920, pp. 259294). Commandant Donnât Les rues de la Concession de Hué (ibid., 1918, pp. 199-204}.

4. Jabouille Une page de l'histoire de Quang-Tri septembre 188o (B. A. V. H., 1923. pp. 395-426).

5. Delvaux, A. La Légation de France à Hué et ses premiers titulaires (B. A. V. H., 1916, pp. a5-75).

6. Liste des Représentants de la France à Hué (B. A. V. H., igi5, pp. 339-34o). Liste des Commandants de la garnison de Hué (ibid., 1915, p. 471). Cadière, L. Un souvenir de Palasne de Champeaux (ibid., 19 18, pp. 205-206). Cosserat, II. L'ancienne vedette du cuirassé Le Bayard (ibid., 1919, pp. 534-535). La rue Rheinart (ibid., igi5, p. 34o). Salles, A. Une médaille commémoràtive de la Grande Guerre (ibid., 1920, pp. 474-475).

7. Orband, R. Hommage au Commandant Moreaa, mort au Champ d'honneur (B. A. V. H., igi5, pp. 63-64). Ung-Trinh Hommage à M. R. de la Susse, mort au Champ d'honneur (ibid., igi5, pp. 35o35i). Orband, R. Hommage au Capitaine Albrecht. mort au Champ d'honneur (ibid., 191», pp. 475-478). Orband, R. Hommage au Lieutenant Monter, mort au Champ d'honneur (ibid. 1916, pp. 453454). Cadière, L. Hommage à L. Duittoulier, mort pour la Patrie (ibid., 1916, pp. 455-456). Cadière, L S. G. Mgr. Caspar (ibid., 1917, pp. 3i3-3i8). Laborde, A. H. Le Marchant de Trigon (ibid., 1918, pp. 3o7-3og). Daydé, G. H. Russier (ibid., 1918, pp. 3ti3i3).


Ici s'arrête le programme de travail que s'étaient fixé les organisateursdu Vieux Hué. Mais, à ces rubriques vint bientôt s'en ajouter une nouvelle, et le Bulletin s'ouvrit à des études de caractère touristique. A vrai dire, la plupart des articles, bien que conçus dans un but tout autre, peuvent être utilisés au point de vue touristique. D'ailleurs, bien avant que le président de la Société, M. R. Orband, donnât son « projet de propagande touristique » un numéro tout entier du Bulletin avait été consacré à faire ressortir les beautés de la capitale, et le titre même du fascicule « Hué pittoresque », laissait entendre le but qu'on s'était proposé. M. H. Delétie y faisait ressortir, avec beaucoup de vie et de couleurs, relevées encore par les dessins de M. E. Gras, le pittoresque de la rue. M"10 J. de Soudack parlait des grâces de la haute société féminine. M. E. Gras et M. R. Orband énuméraient les plaisirs qu'on peut goûter à Hué, tandis que M. A. Bonhomme notait, de son côté, le caractère austère de « la ville des mandarins ». Le P. R. Morineau décrivait la vie grouillante du port fluvial, Bao-Vinh, tandis que M. H. Guibier disait le charme naturel et le P. L. Cadière les charmes magiques de « la merveilleuse Capitale ». Des pages d'auteurs anciens, des poèmes signés des grands empereurs, des poésies plus modernes rehaussaient toutes ces études de leurs fines « arabesques » 2. Ce fut un des numéros qui eurent le plus de succès. i. Orband, R. Projet de propagande touristique (B. A. V. IL, 1917, pp. 11-ia).

a. Hué pittoresque – Préjace (Rédacteur du Bulletin). – Hué Pittoresque (H. Dclélie). Thuân-An, poésies de S. M. Minh-Mang (traduites par Hô-Dac-Khai). La journée d'une « élégante» à Hué (J. de Soudack). Sur le Fleuve des Parfums Nocturne (F. G. H.).


Dans la suite, le Bulletin a donné des travaux analogues, soit des poésies soit des articles descriptifs2, soit des monographies purement touristiques 3, dont le numéro consacré au tombeau de Gia-Long, déjà cité, est un modèle.

Les dix premières années du Bulletin forment i 1 volumes, comprenant en tout 4-43o pages (sans les tables), 701 planches hors texte, 587 dessins dans le texte, sans compter d'innombrables têtes de chapitres, culs de lampe, fleurons, lettrines, en noir ou en couleurs, avec des couvertures parfois luxueuses.

Le port de Thuân-An, poésie de S. M. Thiêu-Tri (traduite par Hô-Dac-Hàm). Promenade nocturne (E. Gras). Les Servantes (Jean Jacnal). Le Fleuve des Parfums, poésie de S. M. Thiêu-Tri (traduite par Hô-Dac-IIàm). Laville des Mandarins (A. Bonhomme). Les Lotus (Jean Jacnal). Les fêles à Hué (R. Orband). – La rizière paysage (Dr. Guibier). Une nuit d'hiver sur le Fleuve des Parfums, poésie de S. M. Tu-Duc (traduite par Nguyèn-Van-Trinh et Ung-Trinh). A la dérive, pendant la nuit, sur le canal de Phu-Cam, poésie de S. M. Tu-Duc (traduite par Nguyên-Van-Trinh et UngTrinh). fiao-Yiah, port commercial de Hué (R. Morineau). L'immuable Hué arabesques (L. N.). Une soirée au théâtre annamite (E. Gras). Une excursion sur l'Ecran du Roi, poésie de S. M. Tu-Duc (traduite par Ngô-Dinh-Kha). Les cureurs d'oreilles du temps de Duc Chaigneau. Vieux llaé (E. Gras). Le charme de Hué (11. Guibier). La merveilleuse Capitale (L. Cadière) (B. A. V. H., 1916, pp. 117-272).

i. Dr. Simon. L. Hué 1. L'hibiscus. II. Le lotus. III. Le nénuphar (poésies) (B. A. V. H., 1922, pp. i8i-i83), Patris, Ch. Ad percnnent Civilalis gloriam (ibid., 1922, pp. 185-187). Jacques Altar Les grands lais (ibid., igi5, p. 171).

3. Delétie, H. Ponts, pagodes etpagodons (B. A. V. H., 192a, pp. i3i137). Cadftrc, L. Sauvons nos pins (ibid., 1916, pp. 437-443). Gras, E. Volontaires indigènes liué pendant la Grande Guerre, Février-Mars 19J6 (ibid., igi7. pp. 109-116). Gras, E. Hué pittoresque Thudn-An (ibid., 1933, pp. 381-387). Gras, E. Les grands « Laïs » à la Cour d'Annam (ibid., pp. 167-170).

3. Laborde, A. La Province de Qaang-Tri (B. A. V. H., igai, pp. iog-i3o). Delétie, H. et Cadière, L. La plage de Cua-Tung notice descriptive notice historique (ibid., 1921, pp. 315-337).


On a fait, à plusieurs reprises, une remarque fort juste « Au fond, quelle est la grande ville de France qui puisse se vanter d'une publication de ce genre qui soit mieux que cela ? Quelle est la province de France dont le million d'habitants fournisse une petite académie plus active et plus réalisatrice que cette Société des Amis du Vieux Hué î> « Nous nous plaignons parfois de la torpeur intellectuelle de nos compatriotes d'Indochine. Nous avons tort, nous ne montrons pas par là un sens exact des proportions. « Combien de Français et d'Indigènes de culture française forment le public indochinois d'où sortent les écrivains et les artistes, les lecteurs et les protecteurs, qui soutiennent la vie intellectuelle de notre colonie Pas trente mille. Et cependant, cette vie intellectuelle est plus intense que celle d'une province métropolitaine d'un million d'âmes.

« Et qu'est-ce que Hué, qui contribue à cette vie intellectuelle par une petite académie si active, par un bulletin d'une si belle tenue qu'une ville comme Lyon ou Strasbourg en serait flère ? Du point de vue qui nous occupe, un tout petit village. Prenez tous les Européens de Hué, et ajoutez-y tous les Annamites de culture française, jusqu'au moindre écolier susceptible de prendre part un jour à cette culture, et vous n'arrivez pas à la population d'une sous-préfecture de France. c'est-à-dire de ce qui, en France, au point de vue de la production intellectuelle, est vraiment bien peu de chose 1. »

Quelle est la valeur des nombreux travaux qui viennent d'être analysés ? Elle est, avouons-le, fort inégale. Le Bulletin n'estpas une publication de haute critique, mais plutôt un organe de vulgarisation. Les Amis du Vieuxi. Eveil économique de l'Indochine, du ig octobre 1924.


Hué qui y collaborent ont tous bonne volonté, mais leur méthode est souvent inexperte, parfois inexistante. Ils disent ce qu'ils savent, et le disent parfois d'une façon inexpérimentée. Ils n'ont pas la prétention de tout savoir et d'épuiser un sujet. Ils sont convaincus, pour la plupart, qu'on ne s'improvise pas archéologue ou historien. Ils veulent occuper utilement et sérieusement leurs, loisirs, renseigner, plaire, faire connaître et aimer. C'est dire que l'historien ou le critique de profession trouvera beaucoup à redire dans les pages du Bulletin. Mais tous s'y instruiront et beaucoup s'y plaisent 1. A ces circonstances atténuantes, il faut enjoindre bien d'autres, grande pénurie de documentation, difficultés de travail provenantdu climat etde la collaboration indigène, dont seuls les coloniaux peuvent connaître l'importance. Quelles que soient les critiques que l'on puisse adresser aux travaux des Amis du Vieux Hué, les éloges qu'ils ont suscités ne sont pas uniquement des encouragements, ce sont des récompenses méritées, et la cohorte nombreuse des collaborateurs du Bulletin, surtout l'équipe fidèle qui s'est maintenue, sans se décourager, depuis les premiers jours, peuvent être fières de leur œuvre c'est un beau monument qu'elles ont élevé pierre par pierre, à la gloire de la capitale de l'Annam, à la gloire de la dynastie des Nguyên, à la gloire de « la Noble Nation Protectrice n.

L'Association des Amis du Vieux Hué, dès qu'elle fut ̃constituée, se mit au travail la première réunion, du i. En fin 1924. le Bulletin, tiré à 600 exemplaires, était distribué à 402 membres adhérents de la Société. On servait, en outre, io5 abonnements aux divers services de l'Administration, i3 échanges, 23 hommages.


16 novembre igi3, fut consacrée entièrement, comme il convenait, à la lecture des statuts et à l'élection du bureau. Mais, dès la seconde séance, le 18 décembre 19 13, on lut quatre articles. Et depuis lors, ce travail interne a été continué, sans interruption, inlassablement, malgré la pénurie des ouvriers, malgré le va-et-vient des fonctionnaires, malgré les difficultés causées par la guerre, et les études fournies par les membres de la Société, quelques-unes de toute première valeur, toutes sérieusement préparées, écoutées attentivement, et souvent discutées, ont fourni la matière du Bulletin. Mais la Société ne s'est pas contentée de ce travail de bureau. Elle a étendu, et de bonne heure, son champ d'action. Elle s'est occupée non seulement du passé de la capitale, mais de son état actuel, et même de son avenir.

Pour une Société qui, comme les Amis du Vieux Hué, s'occupe avant tout d'études historiques et archéologiques, il importe d'avoir une bibliothèque, sérieusement,' richement constituée. Les livres sont un instrument de travail indispensable. Bien des personnes, dans les premières années de la Société, toutes animées de bonne volonté, ont été arrêtées par le manque de livres. Malheureusement, des difficultés d'ordre financier n'ont permis de s'occuper de cette question qu'à une époque assez tardive. On avait de la peine à assurer la publication du Bulletin, comment aurait-on osé acheter des livres, fort coûteux pour la plupart, car il s'agit d'ouvrages spéciaux ou anciens 1 En 1916, le P. Cadière, que l'organisation d'une bibliothèque intéressait tout particulièrement, car il lui fallait assurer la vie du Bulletin, se hasarda à mettre le projet en avant 1. « Il nous faut des ouvrages i. Séance du3i mai 1916 (B. A. V. H., 1916, p. 486).


spéciaux, disait-il dans son rapport sur l'année 1916. Il nous faut avant tout des ouvrages historiques. Il nous faut des ouvrages d'exploration, des journaux de voyage concernant le pays où nous sommes. Il nous faut des livres descriptifs, des livres de géographie. Il nous faut des études concernant les mœurs, les coutumes, la religion des peuples qui habitent l'Indochine. Il nous faut des ouvrages relatifs à la Chine, qui nous expliqueront beaucoup de faits que nous rencontrons en Annam. Il nous faut des ouvrages anciens, et il nous faut des ouvrages modernes. Il nous faut tout ce que l'on a écrit sur le pays dans l'ordre d'idées qui nous occupe. Il nous faut tout ce qui nous est absolument nécessaire, je le répète, absolument nécessaire, pour étudier le pays d'une manière profitable, et d'une manière sérieuse. La bonne tenue du Bulletin est liée intimement à cette question de la fondation d'une bibliothèque •. »

Ce projet, unanimement approuvé, donna lieu à des discussions intéressantes, au sujet de sa réalisation pratique. M. H. Cosserat et M. le lieutenant Cantin voulurent bien se charger de dépouiller les bibliothèques des deux cercles de Hué, pour dresser un catalogue des ouvrages historiques que l'on possédait déjà à Hué 2. A la séance suivante, le 6 juillet 1916, M. Cosserat revint à la charge, et M. Russier, directeur général de l'Enseignement, qui assistait à la réunion, fit connaître qu'il se proposait, lui aussi, de constituer une bibliothèque au collège Quôc-Hoc, et que les deux organismes coordonneraient leurs efforts d'une manière très étroite 3. Il se souvint de sa promesse jusqu'au dernier jour de sa vie, et lorsqu'il mourut, i. B. A. V. H., 1916, p. 47a.

a. Séance du ai mai 1916 (B. A. V. H., 1916, p. 487).

3. B. A. V. H., 1916, pp. 487-488.


emporté par la tourmente de la grande guerre, il légua au Vieux Hué une partie de ses livres personnels. En 1917, un lot très important d'ouvrages d'histoire, de linguistique et d'ethnographie, fut commandé à Changhai, par les soins du P. Cadière. Ce fut le noyau primitif de notre Bibliothèque Quelques mois après, M. Cunhac, résident du Langbiang, faisait don à la Société de plusieurs livres i, et M. Maybon, en 1919, envoyait de Changhai une collection de gravures et de dessins relatifs à Tourane 3. Des achats successifs vinrent grossir peu à peu ce petit fonds primitif, M. H. Cosseratfit établir des rayons bien compris, et, à la séance du i3 janvier 1920, le P. Cadière put annoncer que la Bibliothèque était définitivement installée, et mise à la disposition des membres de la Société 4.

Depuis lors, ce premier dépôt s'est enrichi. considérablement. M. le Résident supérieur Pasquier fit don, en 1922, de tous les doubles que contenait la Bibliothèque de la Résidence Supérieure 5. En 1922 aussi, M. Peyssonnaux consacre une grande partie de son congé en France à fouiller les échoppes des bouquinistes, à Paris, et rapporte un lot important d'ouvrages anciens et modernes de toute première valeur 6. Enfin, en 1923, M. Peyssonnaux est nommé par le bureau, bibliothécaire de la Société 7. Et, à l'heure actuelle, la Bibliothèque des Amis du Vieux Hué, quelque incomplète qu'elle soit encore, i. Séance du 1" mai 1917 (B. A. V. H., 1917, p. 33).

a. Séance du octobre 1917 (B. A. V. H., 1917, p. 338).

3. Séance du 36 mars igig (B. A. V. H. 1919, p. 56o).

4. Séance du i3 janvier 1920 (B. A. V. H., p. 578).

5. Séancedu 3 mai 193a (B. A. V. H., 192a, p. 34 7)-

6. Séance du 24 octobre 1922 (B. A. V. H., 1922, p. 354. Id., p. 339)'

7. Séance du i septembre 1933 (B. A. V. H., iga3, p. 497).


fournit à tous les travailleurs de la capitale, à tous ceux qu'intéresse l'histoire du pays d'Annam, de l'Indochine, et même de tout l'Extrême-Orient, à ceux qui veulent se renseigner sur l'état actuel de la Colonie et des pays voisins, une riche collection de documents que l'on prend de plus en plus l'habitude de venir consulter. L'Association a contribué ainsi d'une façon appréciable à l'enrichissement intellectuel de la ville de Hué.

A cette Bibliothèque devait être jointe une collection d'estampages des stèles de la région de Hué. En 191/1, le P. Cadière, qui s'occupait alors de réunir une collection semblable pour l'Ecole française d'Extrême-Orient, fit adopter ce projet, qui aurait été d'une grande utilité, au point de vue historique et au point de vue artistique Malheureusement, au cours des déménagements et des installations de fortune que, pendant quelques années, eurent à subir les bureaux et les diverses collections de la Société, les fourmis blanches ont considérablement endommagé la collection établie.

Une troisième collection documentaire, entreprise par le Vieux Hué il y a déjà longtemps, présente un grand intérêt. C'est à M. H. Cosserat qu'on en doit l'initiative. Dans la réunion du 21 janvier 1919, il faisait remarquer que l'aspect extérieur de la ville de Hué et des environs, comme son aspect moral, se modifie incessamment, par suite des travaux entrepris soit par l'Administration, soit par les particuliers, et à cause de l'adoption des usages d'Occident même par les tenants les plus obstinés des anciennes coutumes. Il proposait donc de constituer une collection de photographies qui mettraient sous les yeux de nos successeurs la physionomie de la capitale telle qu'elle se présente à nous aujourd'hui Ce i. Séance du 26 mars igi4 (B. A. V. H., 1914, p. 189).


projet n'a pas été mis à exécution d'une façon suivie et méthodique. Mais il y a, dans les Archiver de la Société, une collection très fournie de dessins, d'aquarelles, de photographies et de clichés, constituée au jour le jour, suivant les besoins du Bulletin. Elle n'est utilisable, pour le moment, que pour peu de personnes. Mais quand elle aura été classée d'une façon sérieuse et méthodique, tous pourront y chercher des modèles d'art annamite ou des documents historiques.

Nous nous acheminons peu à peu vers l'établissement d'un Musée. L'utilité d'un établissement de ce genre n'avait pas échappé aux organisateurs du Vieux Hué. Ç'avait été même, après la publication du Bulletin, un de leurs premiers soucis.

Dès la séance du 3o septembre iqi4, M. R. Orband, qui venait de donner une étude sur une série de bronzes artistiques fondus sur les ordres de Minh-Mang d'après des modèles de l'antiquité, signalait qu'on allait bientôt exposer, dans la salle de réunion de la Société, la collection de ces bronzes, qu'il avait obtenue du gouvernement annamite Ce fut l'embryon du Musée. C'est M. Orband qui fit exécuter, à cette occasion, les vitrines où furent renfermés peu à peu tous les objets qui vinrent enrichir les collections.

En igi5, sur l'initiative de M. E. Gras, plusieurs membres de la Société allèrent excursionner au village de Giam-Biêu, pour y rechercher une statue chame que i. B. A. V. H., 1914, p. 359.


Mgr Caspar, évêque de Hué, avait signalée jadis à M. Odend'lial qu'on eut le bonheur de retrouver, et qui fut placée dans la cour du Tân-Tho-Viên, où on peut encore la voir aujourd'hui 2. Des recherches furent faites par la suite, au même endroit, par MM. Nguyên-Dinhîloè et Hô-Dac-Hàm, sur l'initiative de la Société, et amenèrent la découverte de quelques débris de sculpture qui furent également placés dans la cour du Tân-ThoViên 3. La même année, sur la demande du P. Cadière, M. Carlotti, résident du Thua-Thiên, fit transporter au Tân-Tho-Viên diverses pierres sculptées qui étaient éparses sur le territoire des villages de Thành-Trung et de Thê-Lai Et M. Orband, de son côté, fit entrer au Musée un vieux Khanh en pierre, avec inscription de l'un des anciens Seigneurs de Hué, que lui avait signalé le Ministre de l'Instruction publique, dans le village de La-Chu 5. La collection des souvenirs chams s'augmenta, en 19 17, de quelques statues et d'un linga, que le P. Cadière avait découverts au village de Xuân-Hoà, et que les autorités provinciales, à la demande de M. R. Orband, firent transporter au Tân-Tho-Viên 6.

Les dons au Musée se firent de plus en plus nombreux. En igio, M. H. Cosserat fait don de deux fusils anciens 7. M. Tôn-Thât-Quang signale qu'à la suite des démarches qu'il a faites, il a obtenu de faire transporter au Tho-Viên une cloche, fondue en France en 1776, qui était suspendue précédemment à la porte d'entrée du palais de i. Bulletin de VEcole Française Extrême-Orient, 190a, p. io5. a. B. A. V. H., 1915, pp. 383-3go pp. 471-474.

3. Séance du 29 septembre igi5 (B. A. V. H., 1916, p. 478). 4. B. A. V. H., 1915, p. 474.

5. B. A. V. H., 1915, pp. 367-370.

6. B. A. V. H., 1917, pp. 285-289.

7. Séance du 29 juillet igi5 (B. A. V. H., 1916, p. 476).


la Reine-Mère1. Sur l'initiative de M. E. Gras, et grâce à l'intervention de M. R. Orband, les autorités compétentes firent transporter au Musée une grande urne en bronze, très belle, qui était laissée à l'abandon, au tombeau de Tu-Duc2. En 1917, les héritiers de M. Dumoutier donnaient plusieurs meubles annamites de grande valeur 3. Sa Majesté faisait don de quatre riches costumes en soie brodée 4. Le ministre des finances mettait dans les vitrines un de ces livres d'argent que M. Laborde avait étudiés dans le Bulletin 5. M. Nguyên-Khoa-Ky livrait un panneau en soie brodé qui avait été offert jadis à M. Palasne de Champeaux, lorsqu'il était consul à Haiphong G, et un de ses collègues, M. Khiêu-Tam-Lu envoyait du ThanhHoa un beau brûle-parfum en bronze qu'on venait de découvrir dans la terre, d'une façon presque miraculeuse Le ministre de la guerre fit transporter au Musée deux obusiers et deux couleuvrines qui se trouvaient auparavant dans la citadelle de Quang-Tri 8. M. Claudoi donnait une curieuse cage à oiseaux 9. Puis, M. Nguyên-Viêt-Song, Bo-Chanh du Thanh-Hoa, envoyait un élégant pot à riz trouvé en terre )0. Ces dons particuliers furent continués dans la suite par M. Jabouille, résident du Quang-Tri, qui enrichit le Musée d'un superbe bol en porcelaine u et d'un joli coffret de facture européenne 12. Entre temps 1. Séance du 1" décembre 1915 (B. A. V. H., 1916, p. 481). 2. Séance du 3o janvier 1917 (B. A. V. H., 1917, p. 3a6). 3. Séance du 27 mars 1917 (B. A. V. H., 1917, p. 339). 4. Séance du 1" mars 1917 (B. A. V. H., 1917. p. 330).

5. Séance du 27 mars 1917 (B. A. V. H., 1917, p. 32g).

6. Séance du 28 mai 1918 (B. A. V. H., 1918, p. 32Ô).

7. Ibid. 1919. pp. ai8-ai9.

8. Séance du 26 mars 1919 (B. A. V. H., 1919, p. 56o).

9. Ibid.

10. Séance du 22 avril 1919 (B. A. V. H., 1919, p. 565). 11. Séance du a4 octobre 1922 (B..V. V. H., 1922, p. 36i). 12. Séance du 20 décembre 1922 (B. A. V. H., 1922, p. 371).


M. Orband, secondé par M. Gras et par le P. Cadière, allaient fureter dans les recoins du Nôi-Vu ou du ministère des Travaux Publics, et dans les boutiques de Dông-Ba ils en extrayaient soit des porcelaines de la Compagnie des Indes, soit des bleus dits de Hué, ici la proue au relief puissant d'une ancienne barque royale, là un vieux et beau cadre que les poux de bois auraient infailliblement dévoré, ou encore toute une collection de statuettes sacrées, le plan des diverses citadelles du royaume, etc.

Mais tout cela n'était qu'un accroissement pour ainsi dire goutte à goutte. Il était réservé à M. le Résident Supérieur Pasquier de prendre la décision qui, tout en honorant grandement la Société des Amis du Vieux Hué, et en récompensant les efforts qu'elle avait faits pour l'établissement d'un Musée, allait permettre à cette œuvre de se développer pleinement, d'abord sous les auspices du Vieux Hué, puis d'une façon autonome.

Cette décision fut longuement mûrie. C'est vers mai 1922 que M. Pasquier fit part de son projet aux membres du bureau de la Société 1. C'était quelques jours avant qu'il s'embarquât pour France avec S. M. KhaiDinh. A son retour, il accomplit la promesse qu'il avait faite, et il le fit avec une belle générosité. « M. le Résident Supérieur Pasquier, mentionne le compte-rendu de la séance du 24 octobre 1922, nous fait part qu'une somme de 3. 000 $ a été inscrite au budget local de 1923, pour l'achat d'objets d'art, etc., destinés au Musée de Hué. Il estime que l'Association des Amis du Vieux Hué est toute désignée pour employer ce crédit, et il le met à la disposition de l'Association » 2. On se mit au travail 1. Séance du 3 mai 193a (B. A. V. H., igaa, p. 347.

a. B. A. V. H., 1933, p. 36i.


dès que l'allocation fut disponible. « M. le Résident Supérieur, lit-on dans le compte-rendu de la séance du 17 janvier 1923, demande que le bureau ou quelques membres qualifiés s'occupent de l'acquisition des objets et bibelots présentant un cachet artistique et qui sont appelés à disparaître. Ils serviraient de modèles pour l'Ecole d'Art indigène dont la fondation est projetée. Pour certains objets dont l'acquisition ne serait pas possible, on pourrait en prendre des copies ou des reproductions, qui seraient utilisées comme modèles. M. Jabouille s'associe au vœu de M. Pasquier et propose qu'une commission soit désignée dès maintenant. Les noms de MM. Bardon, Gras, Thân-Trong-Huè, Levadoux, Peyssonnaux, sont mis en avant. Il est entendu que ces messieurs constitueront avec quelques membres annamites qu'ils désigneront eux-mêmes, une Commission du Musée, qui étudiera les moyens d'arriver au but envisagé par M. le Résident Supérieur. Cette Commission serait dite « Commission du Musée » 1.

C'est le a5 avril 1923 que les membres de cette Commission se réunirent pour la première fois. Etaient présents S. E. Thân-Trong-Huè, MM. Gras, Levadoux, Sogny, Peyssonnaux, Nguyên-Dinh-Hoè, Tôn-Thât Sa, Lê-Van-Miên, Lê-Van-Ky. S. E. Thân-Trong-Huè et M. Gras furent nommés Président, et M. Peyssonnaux, Secrétaire. On prit les résolutions qui parurent les plus efficaces pour assurer le développement de l'œuvre que l'on avait en vue 8. De son côté, S. M. l'Empereur KhaiDinh, par une ordonnance du 17 août 1923, rendue exécutoire par arrêté du Résident Supérieur daté du 24 août 1923, décréta que le palais Tân-Tho-Viên, qui i. B. A. V. H., iga3, p. 48o.

3. B. A. V. H., 1933, p. 491.


avait abrité jusque là la Bibliothèque impériale, serait désormais uniquement consacré au Musée. Une circulaire fut envoyée à toutes les autorités indigènes, pour recommander la nouvelle institution, en faire comprendre à la population la haute utilité, et solliciter des dons pour le Musée. Un arrêté de M. le Résident Supérieur Pasquier, du 27 août 1923, bientôt modifié par un autre arrêté du i5 novembre 1923, consacra la constitution de la commission du Musée et donna à ses membres l'autorité dont ils avaient besoin pour remplir leur mission. C'est à dater de ce moment que le Musée a pris le développement que chacun souhaitait et qu'il est devenu, grâce au zèle et au bon goût de ceux qui s'en occupent, un des endroits de l'Indochine où les voyageurs peuvent le mieux se rendre compte des beautés de l'art extrême-oriental en général, et de l'art annamite en particulier.

C'est ainsi que l'initiative et les efforts des Amis du Vieux Hué ont été couronnés de succès et ont doté la capitale de l'Annam d'un Musée qui se développera de plus en plus, qui conservera dans le pays les richesses artistiques qui s'y trouvent encore, et fournira des modèles et des directives pour la restauration et la rénovation des métiers et des arts à Hué.

La création du Musée ne fut qu'une partie la principale, il est vrai, de l'effort du Vieux Hué au point de vue artistique. Toutes les questions qui se rattachent à l'étude de l'art annamite, à sa conservation, à son renouvellement, aussi bien dans un but purement théorique que dans un but pratique, furent abordées dans les réunions de l'Association et discutées, parfois non sans passion. gênas irritabile vatum 1


A la séance du 2 novembre 1910, M. E. Gras lut une étude pleine d'idées sur « un enseignement d'art en Annam 4 ». Et M. Orband fit, vers le même temps, ù l'Enseignement mutuel de Hué, une conférence sur le même sujet. M. Gras disait notamment « Quels sont les moyens de rénover un art abâtardi qui se meurt ? D'abord, nous pensons qu'avant l'œuvre, il faut rénover l'outil, c'est-à-dire l'ouvrier d'art. Perfectionner les moyens d'exécution, l'habileté, le métier, faire des praticiens. il faut faire des exécutants le créateur, l'artiste en sortira par une sélection automatique naturelle. 11 faudrait éviter soigneusement de vouloir imposer à ces futurs artistes nos conceptions d'art, notre vision occidentale, nos motifs décoratifs. Des modèles ?. facilitons-leur l'accès des pagodes et des palais. C'est une Renaissance à diriger, non pas une Révolution dangereuse et inutile à fomenter. Si une transformation de l'art annamite doit se produire; elle viendra alors logiquement. Le grand principe vital d'art. c'est de respecter l'originalité de chacun, le tempérament de l'individu comme celui de la race. Pour les modeleurs, sculpteurs, ciseleurs. il n'y a qu'à leur ouvrir les yeux sur les admirables choses d'un passé plein d'enseignements qu'ils ne savent plus voir, ou qu'ils regardent sans le comprendre » Les Amis du Vieux Hué se proposèrent d'assurer la réalisation pratique des suggestions qui avaient été émises à cette occasion. Dans ce but, quelques membres de la Société s'étaient réunis, le 20 octobre igi5, et le P. Cadière suggéra quelques mesures qu'il résumait ainsi « Organiser des promenades, dites promenades de recherches, pour visiter les pagodes des environs de Hué, i. B. A. V. H., igi5, pp. 457-i6o.


et noter celles qui présentent quelque intérêt artistique -dresser, autant que ce sera possible, une listedes objets artistiques conservés dans les pagodes ou temples particuliers, ou dans les maisons particulières continuer la collection d'estampages des panneaux sculptés des temples, pagodes, palais, maisons particulières commencer une collection de photographies ou de dessins des objets artistiques mentionnés plus haut organiser des expositions d'objets artistiques, soit de fabrication courante, soit surtout anciens, appartenant à des pagodes ou à des particuliers faire, par des causeries individuelles ou par des écrits, l'éducation de la population lettrée annamite, afin qu'elle comprenne notre oeuvre et y collabore sans arrière-pensées »

Cette dernière proposition laissait entrevoir le grand obstacle que la mentalité moyenne annamite opposerait toujours à certaines initiatives. Néanmoins, si tout n'a pas été réalisé, de ce programme audacieux, quelques résultats ont été obtenus, grandement appréciables. A la séance du ier août 1916, le P. Cadière proposait d'organiser un concours de jouets, lequel, « annoncé à l'avance aurait d'heureux effets, peut-être, sur la fabrication de ces modestes manifestations de la joie populaire ». La proposition n'eut pas de suite. Le 29 juillet igi5, le P. Cadière avait signalé à l'attention des Amis du Vieux Hué les portails de pur style annamite qui mettent une note si originale dans les environs de Hué, et il avait manifesté l'opinion qu'un concours, avec récompenses aux propriétaires des plus beaux spécimens, contribuerait à écarter le vulgaire pilier, de modèle mieuropéen, mi-annamite, qui tendait de plus en plus à 1. B. A. V. H., i9i5, pp. 461-466.

a. B. A. V. H., 1916, p. 488.


éliminer le portail original Une commission fut nommée, et, à la séance du 22 octobre igi8, M. Gras signalait la construction d'une porte élégante, d'un style annamite du meilleur goût. On décida que le bureau adresserait au propriétaire une lettre « pour le féliciter d'être resté dans la bonne tradition artistique purement annamite 2 ».

Mais la manifestation la plus éclatante de l'action du Vieux Hué, du point de vue artistique, fut l'Exposition du 25 mars 1918. Elle fut organisée par le Président de la Commission artistique, M. E. Gras, secondé par un comité d'organisation dont M. R. Orband était la cheville ouvrière. Les grands mandarins de la Cour, membres du Vieux Hué, notamment MM. JNguyên-Dinh-IIoè, BuuThach, Tôn-Thât Quang, Ung-Trinh, Nguyên-Dôn, avaient prêté des objets précieux qu'ils avaient en leur possession, ou avaient mis leur influence au service du comité pour décider leurs compatriotes à rehausser l'éclat de cette exposition. « Autels, bahuts, tables, bancs, chaises, lits, armoires, coffres à roulettes, écritoires, écrans, paravents, étagères, chevalets, supports, toilettes, jardinières, etc., etc., mis en bonne place, après une toilette que nécessitait leur vétusté et quelquefois hélas 1 leur état d'abandon, se sont présentés dans tout l'éclat de leur beauté brillante ou discrète, qui les a révélés non seulement aux amateurs, mais parfois à leurs propriétaires eux-mêmes ». M. le Gouverneur Général Sarraut, MM. les Résidents Supérieurs Charles et Saint-Chaffray, et tous les personnages venus à Hué pour les fêtes du NamGiao, furent émerveillés par la richesse et l'élégance des objets exposés, et par la manière dont tout avait été dis1. B. A. V. H., 1916, p. 476.

a. B. A. V. H., 1918, p. 335.


posé et mis en valeur. « Nous pouvons reconnaître sans fausse modestie que la tentative des Amis du Vieux Hué a été un véritable et franc succès. Puisse-t elle ouvrir un avenir meilleur à la conservation des beautés anciennes que les indigènes sont trop portés à négliger et à méconnaître, et à l'inspiration des artisans et artistes indigènes modernes, trop sollicités par de fâcheuses initiatives étrangères 1 »

Cet essai, malheureusement, n'eut pas de lendemain. Et cependant, à la réunion du 3o décembre 1918, « M. Cosserat propose à l'Assemblée l'institution d'un concours d'oeuvres d'art, qui aurait lieu chaque année à Hué à une date fixe, sous les auspices de notre Société. Une Commission jugerait les oeuvres, achèterait celles qui en paraîtraient le plus dignes, et distribuerait un ou plusieurs prix en espèces, suffisamment importants pour rétribuer le travail exécuté. Ce concours pourrait motiver une petite exposition artistique annuelle, un salon de l'art annamite. M. Gras, qui a déjà entretenu notre Association de l'intérêt supérieur qu'il y aurait à sauver ce que l'on peut encore sauver des traditions artistiques indigènes qui se meurent, et à ouvrir des débouchés aux élèves de nos écoles professionnelles. appuie chaleureusement la proposition de M. Cosserat 2 », Le 2 janvier 1919, M. H. Cosserat revenait à la charge, pour « organiser chaque année un salon artistique, une exposition d'art annamite. L'Assemblée adopte le principe de cette manifestation annuelle. Une commission se réunira pour en étudier l'organisation 3 ». On décida, ce même jour, sur l'initiative de M. E. Gras, d'envoyer des félici1. B. A. V. H., 1918, pp. 32i-3aa.

2. B. A. Y. H., 1918, p. 339.

3. B. A. V. H., 1919, p. 558.


tations à M. Groslier, directeur de l'école d'art cambodgien, à Phnom-Penh, « qui, plus heureux que nous, parait avoir obtenu des réalisations que nous attendons encore 1 ».

Le Musée, l'Exposition artistique avaient pour but de conserver et de mettre sous les yeux de tous, plus particulièrement sous les yeux des artisans et des artistes annamites, les plus beaux spécimens de l'art du passé. C'était un enseignement muet, qui devait être complété par un enseignement oral et pratique, si l'on voulait maintenir et rénover à la fois l'art annamite. En 1919, année où parut l'Art à Hué, les esprits furent orientés vers les questions artistiques d'une façon toute particulière. Une lettre adressée par M. Groslier, directeur de l'Ecole des Arts cambodgiens, au président de l'Association, et lue à la séance du 26 mars 1919, donna lieu à un échange de vues entre M. Gras et M. Orband, à la suite duquel M. le Fol proposa de demander à M. le Gouverneur Général Sarraut la création à Hué d'un organisme analogue à celui qui avait été créé à Phnom-Penh. La motion fut adoptée, et il fut décidé que le Comité adresserait « immédiatement au Gouverneur Général une lettre dans ce sens 9.

Après une discussion sur l'opportunite de la création d'une école d'art annamite, et les conditions suivant lesquelles cette oeuvre devait être entreprise, M. Tissot, résident supérieur p. i. qui assistait pour la première fois à une des réunions du Vieux Hué, le 24 juin 1919, déclara « qu'il était tout disposé, en tenant compte des possibilités 1. B. A. V. H., 1919, p. 558.

2. B. A. V. H., 1919, pp. 56a-563.


budgétaires, à aider toute entreprise qui tendrait à faire connaître l'art de Hué, à ressusciter les petits métiers, les industries artistiques qui florissaient jadis à la capitale 1 J). Pour répondre à cette promesse, ce haut fonctionnaire institua une commission artistique, et demanda à la Société de désigner un membre qui représenterait les Amis du Vieux Hué dans cette commission. M. Bernard fut désigné2, et il rendit compte des travaux de la commission, aux séances du 26 mars et du 7 juillet ig2o.3 on s'était occupé du fonctionnement de la commission, de la création d'une section artistique, qui fournirait des modèles aux artisans, de la rénovation de l'art des émaux, de la création d'une école d'ouvriers d'art indigènes, etc. Cette école est aujourd'hui entièrement aménagée. Son objet, il est vrai, sera plus vaste que celui que l'on avait envisagé et un peu différent mais on ne peut nier que les idées émises dans les séances de l'Association des Amis du Vieux Hué, les vœux que l'on y a formulés, n'aient contribué puissamment à cette création. Il en sortira, il faut l'espérer, non seulement des ouvriers mécaniciens, mais des sculpteurs, des ciseleurs, des peintres-décorateurs, qui maintiendront les traditions de l'ancien art annamite.

Les Amis du Vieux Hué ont collaboré aussi à une œuvre qui présente un caractère artistique. En 192 1, l'Administration des Postes voulut changer les vignettes qui décoraient les timbres-poste de la colonie, M. Tissot, Résident Supérieur p. i., demanda aux Amis du Vieux Hué de donner leur avis sur ce projet, et de fournir des projets de vignettes. Une discussion générale s'engagea à i. B. A.. V. H., 1919, p. 567.

a. Séance du 26 février 1920 (B. A. V. H., 1920, p. 491). 3. B. A. V. H., 1920, pp. 492-498.


ce sujet, à la réunion du 3i août 1921. « On finit par se ranger à l'idée émise par M. H. Delétie, de désigner une sous-commission qui fera connaître à tous les artistes que cette question peut intéresser, ce que désire le Résident Supérieur, centralisera ensuite tous les projets, dessins, etc., et soumettra à l'Assemblée toutes propositions qu'elle jugera utiles, telles que attributions de primes aux meilleurs projets, etc. » A la séance du 27 septembre 192 1, M. le Dr Gaide, président, « présente à l'Assemblée les projets de vignettes que le P. Cadière a fait dessiner par M. Lê-Van-Tung, dessinateur de la Société. Elles sont très goûtées de M. le Résident Supérieur, notamment celles qui représentent des motifs ornementaux de l'art annamite 2 ). On s'entretient de nouveau de la question, à la séance du 28 octobre 3, ainsi qu'à celle du 1" décembre 1921. « Le Président rend compte des travaux de la sous-commission instituée pour préparer des projets de vignettes pour timbres-poste, et composée de MM. Delétie, Cosserat, E. Le Bris, Cadière. Les projets dessinés par MM. Tôn-Thât Sa et Lê-VanTung, sur les indications des membres de la sous-commission, ont été remis à M. le Résident Supérieur. Une photographie de ces vignettes sera publiée dans le Bulletin 4 ». Quatre de ces vignettes, puis deux autres après retouches, furent primées au concours qui avait été institué à cet effet par l'Administration des Postes, et le P. Cadière félicitait leur auteur, M. Tôn-Thât Sa, de cet heureux résultat, dans la séance du, 20 juillet 1933. « Nous sommes tous heureux, disait-il, de voir que le t. B. A. V. H., 1931, p. 306.

a. B. A. V. H., igai, p. 3o8.

3. B. A. V. H., rgai, p. 309.

4. B. A. V. H., 1921, p. 3io.


mérite de M. Tôn-Thât Sa, si apprécié des lecteurs du Bulletin, est aussi reconnu ailleurs f ».

Les Amis du Vieux Hué ont participé à l'Exposition Coloniale de Marseille, en 1922, et ont contribué, suivant leurs moyens, à l'éclat qu'a eu la section d'Indochine, principalement du point de vue artistique. M. le Résident Supérieur p. i. Tissot avait demandé que la Société fût représentée par un délégué, dans la commission qu'il avait instituée à cet effet. M. Cosserat fut choisi 2. M. Guesde, Commissaire Général pour l'Indochine, demandait à la Société d'envoyer une collection complète de son Bulletin 3, et M. Cosserat rendait compte, aux séances du 7 juillet et du 3i août 1920, des projets et travaux de la commission Il s'occupait activement de la participation des Amis du Vieux Hué à cette manifestation de l'œuvre coloniale française, et, le 1" décembre 1921, il mettait sous les yeux de l'assemblée « les photographies de l'écran sculpté et des deux vitrines qui seront exposés à Marseille. Dans les vitrines sera placée une collection complète du Bulletin » 5.

De son côté, M. le Dr Cognacq, directeur général de l'Instruction Publique, et commissaire général à l'Exposition, demandait à la Société de participer à la section rétrospective de l'Indochine qu'on avait organisée à l'Exposition de Marseille, et le P. Cadière était chargé de faire des dessins et aquarelles, qui furent présentés aux membres assistant à la séance du 1" décembre 1921 6. i. B. A. V. A. 1923, p. 35s.

2. Séance du 2o avril 1920 (B. A. V. H., 1920, p. 4g4).

3. Ibid., p. 495.

4. B. A. V. H., 1920, pp. 4g8, 5oo.

5. B. A. V. H., 1931, p. 3io.

6. Séances du i5 juillet, du 3i août et du 1" décembre 1911 (B. A. V. H., 1921, pp. 3o5, 4o6, 3 10).


L'Association envoya aussi, en 1923, des photographies et des dessins de vieux meubles annamites ou de bibelots anciens, à une exposition qu'avait organisée à Hanoï l'Association pour la formation intellectuelle et morale des Annamites ] et à une exposition artistique organisée à Can-Tho, en Cochinchine.

A deux reprises différentes, le Bulletin des Amis du Vieux Hué a publié des travaux d'un grand intérêt sur la musique annamite. Une fois même, à la séance du 28 septembre 1922, la lecture du travail de M. Le Bris « fut coupée par l'exécution de morceaux de musique annamite. Les interprètes sont M. E. Le Bris, sur le violon, MM. Tran-Trinh-Soan, Vo-Truy et Ung-Thieu, sur la guitare annamite à deux et à seize cordes. Ce fut un régal pour tous les assistants » 3. Lors de l'Exposition artistique du 25 mars 19 18, un groupe de musiciennes avait déjà fait résonner les airs annamites sous les voûtes sévères du Tân-Tho-Viên 3. Et cette même année 1918, à la réuuion du 28 mai 1918, « leP. Cadière rend compte que M. BuiThanh-Vân, interprète au titre européen à la Résidence supérieure, a invité quelques-uns des membres du Vieux Hué à assister à des auditions de musique cantonnaise et de musique annamite qu'il a données, lui et les élèves qu'il a formés. Laissant aux personnes compétentes le soin de donner leur appréciation sur l'exécution de ces morceaux de musique, il fait remarquer que cette tentative lui parait digne d'être encouragée, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que, par un sentiment de délicatesse auquel nous devons être sensibles, M. Yân a voulu placer son essai sous le patronage des Amis du Vieux Hué, i. Séance du ao juin 1923 (B. A. V. H., iga3, p. 4g3).

a. B. A. V. H., 1922. p. 360.

3. B. A. V. H., 1918, p. 3aa.


de qui dépend plus ou moins, dit-il, tout ce qui se fait à Hué, au point de vue artistique ou littéraire. De plus, ce n'est pas un mince résultat que d'être parvenu à réunir, depuis deux mois, un groupe d'une quinzaine d'amateurs, fonctionnaires, interprètes, mandarins, qu'il a décidés, uniquement pour l'amour de l'art, à faire œuvre commune et à bien vouloir faire profiter le public de leur talent. Les auditions qu'il se propose de donner, soit en petit comité, soit pour le grand public, seront l'occasion, pour les Européens amis des arts, de rencontrer des Annamites lettrés, intelligents, animés des mêmes goûts, et, de cette fréquentation, il ne pourra résulter que des effets heureux. Principalement, les personnes compétentes pourront étudier la musique annamite et la musique chinoise, et les comparer. autant que faire se peut, à la musique occidentale. M. Gras, tout en reconnaissant •l'intérêt de la tentative de M. Vân, souhaite que l'orchestre ainsi constitué se confine dans la musique traditionnelle, et ne tente pas de faire de la musique métisse » i.

En 191 5, M. Baivy avait été chargé d'une mission pour étudier à Hué la musique annamite. Le président de la Société, M. R. Orband, usa de l'autorité que lui donnaient ses fonctions au palais, pour procurer à l'artiste tous les ouvrages chinois relatifs à la musique que contenait la bibliothèque impériale, « M. Baivy, annonçait-on à la séance du 29 septembre 191 5, écrit d'Hanoï qu'il enverra incessamment des articles sur la musique, et notamment sur le chant des sampaniers de Hué » 2, que le P. Cadière lui avait fourni l'occasion de noter avec précision.

Comme on le voit, la Société des Amis du Vieux Hué 1. B. A. V. H., 1918, p. 3a5.

a. B. A. V. H., 1916, p. 478.


s'intéressait à tout ce qui a un caractère artistique, favorisait toutes les initiatives, encourageait et tâchait de guider tous les efforts, et poursuivait par là le but qu'elle s'était proposé dès le début, d'établir entre les Français et les Annamites une collaboration intime dans tous les travaux de l'esprit.

Les paysages, les monuments ont aussi leur poésie, et ce sont des œuvres d'art. Hué doit son charme à ses vieilles briques, à son site enchanteur. Dans chaque volume du Bulletin, nombreuses sont les pages consacrées à la description de « la merveilleuse capitale ». Les Amis du Vieux Hué se sont appliqués, d'une façon constante, à conserver à Hué son aspect original ils se sont opposés, en de nombreuses circonstances, à toutes les entreprises qui auraient pu enlever à la ville et à ses environs, le caractère pittoresque qui plaît tant aux voyageurs.

Le 29 décembre 1916, le P. Cadière lisait un travail intitulé « Sauvons nos pins 1 » et qui débutait ainsi « C'est un appel désespéré que j'adresse aujourd'hui aux Amis du Vieux Hué. Les pins qui couronnent nos collines, les grands pins tordus, déjetés, qui profilent leur silhouette noire sur les ciels d'or du couchant, ou qui font tache sur la mince bande rose, dernière trace du soleil disparu les jeunes pins dont le feuillage lustré escalade les pentes de l'Ecran du Roi, et ceux dont l'ombre bleutée adoucit les arêtes, affine les assises puissantes, atténue les couleurs criardes de l'Esplanade des Sacrifices les pins solitaires qui semblent gémir de leur isolement dans la Plaine des Tombeaux, ou ceux qui se grou-


pent autour d'une tombe princière, et ceux dont la masse sombre ombrage au loin les sépultures royales tous nos pins, depuis le plus petit, qui s'élève en pyramide régulière, jusqu'aux plus vieux, dont un maigre bouquet de feuilles termine le tronc dépouillé, tous embellissent les environs de Hué, dont ils sont le charme le plus délicat. Otez les pins, et les mamelons rougeàtres qui ceignent la capitale seront de vulgaires taupinières, découronnées de ce qui en faisait la beauté. Or, depuis trois ans surtout, des mains sacrilèges s'acharnent à cette besogne » Après la lecture de ce cri d'alarme, « le Président déclare qu'il fait siennes les conclusions de cet article, qu'il va faire traduire l'article en chinois, pour le communiquer à Leurs Excellences les Ministres, et que la Société doit faire des efforts pour sauver les bois de pins qui donnent tant de charmes aux environs de Hué » 2. Les dévastations continuèrent, prenant parfois un caractère sauvage. A la séance du 28 février 1920, « on propose de désigner une section de protection des sitea des environs de Hué. Adopté en principe. S. E. le Ministre de la Guerre nous dit qu'il a déjà donné des ordres pour éviter la dévastation des pins de la montagne de l'Ecran du Roi » 3.

M. Guibier, chef du service des Forêts, qui fut président des Amis du Vieux Hué, s'inspira de l'esprit qui animait tous les membres de la Société, pour faire faire des plantations, aujourd'hui florissantes, sur certains mamelons dévastés des environs de la capitale. Les monuments n'étaient pas moins en péril, soit par i. B. A. V. H., 1916, pp. 437-443.

2. Séance du «9 décembre 1916 (B. A. V. H., 1916, p. 4ga). 3. B. A. V. H., 1920, p. 491.


suite de leur vétusté, soit à cause de restaurations maladroites. A la réunion du 29 septembre 1915, on mentionne que « M. E. Gras avait signalé au président qu'un mur de soutènement remplaçait depuis quelque temps les piliers en bois extérieurs du Pavillon des Edits, dont la silhouette élégante et originale avait ainsi subi des modifications fâcheuses. Renseignements pris, ce kiosque est en réparation il sera reconstruit tel qu'il était précédemment » De son côté, M. Finot, directeur de l'Ecole Française d'Extrême-Orient, écrivait au P. Cadière pour prier les Amis du Vieux Hué d'unir leurs efforts à ceux qu'il faisait pour empêcher la dévastation des restes du mur cham des Arènes « M. Gras signale, à la réunion du 1" mai 191 7, qu'un indigène avait entrepris de reconstruire, dans des proportions relativement considérables, le petit pagodon situé au pied du grand banian de l'entrée du Tennis-Club. Cette construction inesthétique, empiétant sur la voie publique, cachait aux passants le tronc d'un des plus beaux sinon du.plus bel arbre de la ville. En ayant fait la remarque au président, celui-ci avait aussitôt fait une démarche auprès de M. Charles, qui, en reconnaissant immédiatement le bien fondé, voulut bien donner les instructions nécessaires pour que les travaux fussent arrêtés, n'autorisant que la reconstruction d'un pagodon, sur les bases anciennes, qui n'enlèverait rien de la beauté du site. L'assemblée vote de chaleureux remerciements à M. Charles, et félicite MM. Gras et Orband de leur intervention » 3. Le 29 décembre 1917, M. Le Fol fut chargé d'intervenir, avec toute la déférence voulue, auprès de M. le Résident Supérieur Charles, pour que 1. B. A. V. H., 1916, p. 478.

2. Séance du 26 avril igi6 (B. A. V. H., igi6, p. 486).

3. B. A V. H., 1917, p. 330.


l'on changeât l'emplacement prévu de l'abattoir, d'un poste de police, de certaines dépendances de l'hôpital, et pour que les plantations d'arbres, dans les avenues et rues de la ville, se fissent d'une façon rationnelle et méthodique 4. A la réunion du 5 octobre ig2o, le président, M. Guibier, « demande qu'il soit rappelé dans le Bulletin que les promoteurs de l'idée d'élever un monument aux morts de la Grande Guerre, sont M. Orband, notre ancien président, et quelques mandarins annamites, parmi lesquels M. Nguyen-Dinh-Hoè. C'est, de plus, grâce aux Amis du Vieux Hué que ce monument doit d'avoir conservé un caractère purement annamite » s. Le Bulletin avait déjà signalé la démarche que M. DangNgoc-Canh, président du Comité d'assistance aux volontaires indigènes, avait faite auprès du Vieux Hué, pour lui demander « des directions, des conseils, et une généreuse collaboration » au sujet de ce monument, et il avait mentionné l'intervention de M. R. Orband auprès de M. le Gouverneur Général Sarraut 3.

L'influence du Vieux Hué s'étendait même au loin. A la séance du 21 janvier 1919, M. Gras annonçait que, d'après une lettre de l'administrateur de la province de Bac-Liêu, en Cochinchine, on avait décidé d'ériger, dans chaque province de ce pays de l'Union, un monument commémoratif de la Grande Guerre, et que le modèle adopté, « un grand pylône du plus pur style annamite », avait été pris le Bulletin de l'Association

Sur l'initiative du P. Morineau, de M. Orband, du P. Cadière, un pont de Hué reçoit le nom de M. Bourard, 1. B. A. V. H., 1917, p. 34a.

a. B. A. V. H., 1920, p. 5oi.

3. Séance du 3 décembre 1918 (B. A. V. H., 1918, ap. 336-337). 4. B. A. V. H., 1919, p. 55g.


un des premiers organisateurs de la ville, et diverses rues rappellent par l'appellation qu'on leur donne le souvenir de M. Rheinart, le premier chargé d'affaires français, du P. de Rhodes, de de Forçant

Une plaque de rue est une stèle en miniature. Les statuts du Vieux Hué prévoyaient l'érection de vraies stèles, qui auraient indiqué aux voyageurs les lieux historiques, rappelé les souvenirs de la capitale et des environs 2. Dans son rapport sur l'année 1916, le P. Cadière rappelait l'utilité qu'il y aurait « à continuer, à résumer le Bulletin », sur des stèles 3. Mais, jusqu'à présent, on n'a pas donné suite à ce projet. En revanche, sur l'initiative encore du P. Cadière, et conformément aux conclusions d'une étude qu'il avait publiée dans le Bulletin, on fit corriger une stèle qui attribuait faussement à Vannier le tombeau de de Forçant La Société s'est occupée, en France même, de réparer les tombes des Français qui vinrent se mettre au service de Gia-Long. Cette œuvre avait été entreprise par M. A. Salles, agissant au nom de la Société de Géographie de Paris et de la Société bretonne de Géographie de Lorient, et une plaque, placée sur les deux tombes de Chaigneau et de Vannier, au cimetière de Lorient, atteste la collaboration des Amis du Vieux Hué, comme marque de souvenir pieux envers les pionniers de l'influence française en Annam 5. Enfin les Amis du Vieux 1. Séances du 26 février igi5, du 6 juillet 1916, du a5 juin 1918, du 28 avril 1919 (B. A. V. H., igi5, p. 353 1916, p. 487; 1918, p. 337 igi9,p. 564).

a. B A. V. H., 1914, p. 87, art. 4.

3. B. A. V. H., 1916, p. 473.

4. Séances du a5 juin et du 22 octobre igiS (B. A. V. H,, 1918, pp. 327, 335).

5. Séances du ai janvier igig, du 9 septembre 1919, du 36 mars 1930, du 3o novembre 1920, du 11 janvier igai (B. A. V. H., 191g, pp. 558, 571, 1930, pp. 5o3-5o5). Cf. B. A. V. H., 1921, pp., 47-


Hué ont soutenu, de leur approbation et de leurs encouragements, les efforts de M. A. Salles, pour la conservation de la maison natale, à Origny-en-Thiérache, et du tombeau, à Saïgon, de Mgr d'Adran et pour l'érection, à Origny-en-Thiérache, d'un groupe représentant GiaLong, Mgr d'Adran et le Prince Canh 1.

L'Ecole Française d'Extrême-Orient, dans le but de protéger les souvenirs du passé, a dressé d'abord une liste des monuments historiques de l'Indochine, d'origine chame ou khmère puis elle a voulu classer les monuments proprement annamites qui méritaient d'être signalés, au point de vue historique ou au point de vue artistique. Elle s'est adressée pour ce dernier travail aux Amis du Vieux Hué, une première fois en la personne du P. Cadière 3, une seconde fois par l'entremise de M. Cosserat 4, et c'est avec la collaboration de plusieurs membres de la Société qu'a pu être établi la liste dressée par l'Ecole Française.

Enfin, lorsque M. Tétart, de la mission cinématographique du gouvernement général, se rendit à Hué, à plusieurs reprises, le président de la Société, M. Orband, ainsi que M. Gras, le P. Cadière, M. Sogny, se mirent à son entière disposition, lui signalèrent les sites pittoresques de la capitale, le guidèrent dans le palais et aux tombeaux, en un mot lui facilitèrent, sous tous les rapports, l'accomplissement de sa mission 5, et les clichés 56 Les Tombes de J.-B. Chaigneau etde Ph. Vannier au cimetière de Lorient, par A. Salles.

i. B. A. V. H., 1919, pp. 5a5, 5a6.

2. B. A. V. H.. 1920, pp. 466, 467.

3. Séance du 29 janvier 1918 (B. A. V. H., 1918, p. 3ao). 4. Séances du ao juin et du 18 juillet 1933 (B. A. V. H., 1923, pp. 493-495).

5. Séance du 22 avril igig (B. A. V. H., 1919, p. 565).


qui furent pris forment une bonne partie de l'Album sur l'Annam qui a été publié sous les auspices du ministère des Colonies.

A dire vrai, le point de vue touristique n'avait pas été envisagé par les Amis du Vieux Hué, au moment de la fondation de la Société. Les statuts prévoyaient bien des promenades mais elles devaient être purement archéologiques et « avoir un but de documentation, à l'exclusion de tout objet relevant seulement du tourisme 1 ). On fit même quelques promenades, à trois, à cinq ou six, alors que, au début, on était encore tout ardeur, et ces promenades ne furent pas inutiles, puisqu'elles procurèrent au musée diverses sculptures chaînes2, et elles ne manquaient pas de charmes le but que l'on se proposait était sérieux, comme il convenait à des archéologues d'occasion, mais on le réalisait avec beaucoup de gaité. Malheureusement, le zèle se refroidit vite. A la séance du 26 février 1918, M. H. Cosserat fit « une proposition au sujet de visitespromenades aux environs de Hué » 3. La même année, à la réunion de la commission artistique du 20 octobre, le P. Cadière traçait un plan du travail que l'on pourrait faire dans ces promenades 4. A la séance du ieraoût 1916, il appelait de nouveau l'attention des membres de la Société sur l'utilité de ces excursions 5, et M. R. Orband, quelques mois plus tard, annonçait « qu'une excursion à la sépulture de Gia-Long sera incessamment organisée 6 » Et ce fut tout.

i. B. A. V. H., 1914, p. 87, art. 4.

a. B. A. V. H., igi5, pp. 383-390, 471-474 1917. pp. 285-289. 3. B. A. V. H., igi5, p. 353.

4. B. A. V. H., 1915. pp. 461-464.

5. B. A. V. H., 1916, p. 488.

6. Séance du 4 décembre igi6 (B. A. V. H., 1916, p. 4gi).


Mais les circonstances vinrent orienter les efforts de la Société vers la propagande proprement touristique. Il était difficile, et il eût été malséant de maintenir l'exclusivisme du début. Si les Amis du Vieux Hué « recherchaient et conservaient n les souvenirs du passé, c'était pour les mettre en valeur, non pas pour leur plaisir personnel, mais pour en faire profiter tout le monde. Il convenait qu'ils s'unissent au mouvement qui se dessinait un peu partout pour faire connaître les richesses touristiques de la colonie, d'autant plus qu'ils s'étaient arrogés l'honneur de garder la partie de ce trésor la plus délicate et la plus précieuse, Hué et ses environs.

Dès le 29 décembre 1916, on adopte une proposition de M. E. Gras, relative à « la constitution d'une souscommission qui aurait pour mission d'élaborer un projet le plus complet possible d'organisation de propagande, de réclame touristique en faveur de Hué 1 ». Le 28 février 1917, M. le Gouverneur Général Sarraut assistait à la réunion du Vieux Hué. M. Orband lui faisait connaître la proposition de M. Gras, et le Gouverneur Général, après avoir dit « qu'il considère le tourisme comme un des facteurs les plus importants pour obtenir que l'on sache enfin partout que l'action française a, dans un décor incomparable, situé une œuvre qui peut supporter la comparaison avec n'importe quelle autre action coloniale dans le monde » fait part à l'Assemblée de ses projets, relativement à l'organisation de la propagande et de l'exploitation touristiques de la colonie il compte s'appuyer sur les Amis du Vieux Hué et autres organisations analogues, mais il fera appel aussi aux spécialistes des


questions de tourisme Le 8 septembre de la même année, c'était M. Outrey, député de la Cochinchine, que l'on recevait au Vieux Hué. M. E. Gras lui rend compte de ce qu'a fait le comité de propagande touristique, dont « les travaux se sont confondus, jusqu'à présent, avec ceux des membres de l'Association. il n'y aura qu'à puiser dans ce fonds, à mettre en ordre ces recherches, pour composer, le jour venu, tous les guides nécessaires au touriste ». M. Outrey exalte les beautés touristiques de l'Indochine, de Hué en particulier, et fait voir, par des statistiques impressionnantes, la source de profit que sera pour la colonie l'exploitation de ces richesses. Il préconise l'établissement à Tourane et à Hué d'hôtels dotés de tout le confort moderne 2. En 1920, la Société décide de s'agréger, sous certaines réserves, à la Fédération indochinoise des Syndicats d'initiative, que le directeur de l'agence économique de l'Indochine à Paris se propose de constituer, sous les auspices du Touring-Club de France et de l'Office national du Tourisme 3.

A un point de vue plus directement pratique, dès i()i5, le P. Cadière avait mis en avant le projet de publier un numéro du Bulletin qui ferait connaître les côtés pittoresques de Hué et ce projet fut réalisé, avec un succès reconnu par tous, en 1916 5. Encouragé par cette réussite, le 27 août 1918, le P. Cadière proposait de consacrer un autre numéro du Bulletin, édité luxueusement, aux Tombeaux royaux 6. Ce n'est qu'en 1923 7 qu'une partie 1. B. A. V. H., 1917, p. 327.

2. B. A. V. H.. 1917. p. 336.

3. Séance du i3 janvier igao (B. A. V. H., 1919, p. 577).

4. Séance de la Commission artistique, 2o octobre 1915 (B. A. V. H., I9i5, pp. 464-466).

5. N" d'avril-juin 19t6 Hué pittoresque.

6. B. A. V. H., 1918, p. 330.

7. B. A. V. H., 1923, de juillet-septembre.


du programme put être réalisée, par une monographie du tombeau de Gia-Long, signée des noms de Ch. Patris et L. Cadière. Ces deux publications sont des guides de détail.

M. Tissot, résident supérieur p. i., conçut le projet de doter l'Annam d'un guide pratique. 11 « confia d'abord à la Société, en la personne du P. Cadière, le soin de rédiger, d'après les indications fournies par les administrateurs chefs de provinces, une petite notice touristique. Ce sera l'amorce de la collection de guides que l'on a si souvent demandés aux Amis du Vieux Hué » Cette plaquette fut enlevée aussitôt que parue. L'Annam, Guide du Touriste, parut en 1921. 11 fut rédigé également par le P. Cadière, avec l'aide des renseignements fournis par les chefs de services et les administrateurs chefs de provinces, sur l'initiative de M. Tissot, qui alloua à la Société, dans ce but, un subside de 2.5oo piastres a. Cet ouvrage, malgré quelques défectuosités, rend de réels services aux voyageurs. Avec le numéro consacré au tombeau de Gia-Long, qui fut tiré à un millier d'exemplaires, il commença la « Collection du Vieux Hué » série de publications à but touristique, qui s'est accrue depuis de quelques volumes, et qui sera continuée.

Telle a été l'œuvre de l'Association des Amis du Vieux Hué, telle elle ressort de l'exposé impartial, et, pour ainsi dire, impersonnel des faits. A côté de l'oeuvre interne, c'est-à-dire des études entreprises par les membres de 1. Séance du 22 octobre 1919 (B. A. V. H., 1919, p. 573). a. Séance du n janvier et du 17 mars 1921 (B. A. V. H., 1910, p. 5o4 1921. p. 296).


l'Association et publiées dans le Bulletin, il y a l'influence extérieure, qui s'-est manifestée en des directions diverses fondation d'une Bibliothèque d'études, avec collection d'estampages de stèles et de dessins ou vues photographiques, et d'un musée manifestations artistiques de diverses sortes projet et discussions dans le but de créer une école d'arts annamites changement des vignettes des timbres-poste de la colonie expositions et concours établis à Hué même participation à l'Exposition Coloniale de Marseille et à d'autres tentatives de ce genre auditions musicales protection des sites et monumentsde Hué publications touristiques. Tous ceux qui ont associé leur bonne volonté pour faire vivre et prospérer la Société doivent se féliciter de leurs efforts ils n'ont pas été stériles.

Cette œuvre a été réalisée dans les réunions mensuelles de la Société on n'y lit pas seulement les travaux des membres ce n'est là qu'une partie du programme. On y cause chacun émet ses idées on met des projets en avant on suggère des mesures à prendre, des démarches à faire on discute. Et c'est une des preuves les plus évidentes de l'intérêt que la colonie européen ne de Hué et les Annamites lettrés portent au Vieux Hué, que cette présence, tous les mois, depuis plus de dix ans, de vingt, trente, quarante personnes, autour de « la chère table de nos réunions » comme écrivait M. E. Le Bris, du fond des tranchées du secteur sud de la Somme J. Pour beaucoup, pour tous, c'est un effort méritoire. « Pour les uns, c'est une promenade sacrifiée, une de ces promenades dans les environs de Hué, délicieuses, lorsque les cataractes du ciel sont closes, et que la brise du soir agite: i. Lettre du 1" décembre 1916 (B. A. V. H., 1916, p. 46o).


doucement le feuillage noir des pins; pour les autres, c'est une partie de tennis remise au lendemain, ou une manille, une partie de bridge, sacrifice plus méritoire qu'on ne pense communément pour tous, c'est un labeur complémentaire que l'on s'impose, après le travail pénible du bureau ». Cet effort avait frappé M. Sylvain Lévi « C'est une bonne fortune pour moi de rencontrer ici les auteurs de tant d'articles où j'ai moi-même tant appris. J'admire encore plus leurs travaux depuis que je suis en Annam. Cesérudits, ces chercheurs, ces écrivains, je sais maintenant qu'ils sont des fonctionnaires, des hommes d'affaires, des missionnaires, que le labeur quotidien aurait pu absorber ou écraser, et qui n'hésitent pas pourtant à prélever sur les heures de loisir légitimes et nécessaires le temps qu'ils vouent au « Vieux Hué ». Ils poursuivent ainsi, et ils le savent bien, l'oeuvre que le génie français vient accomplir, veut accomplir, doit accomplir ici 2. » Et M. Jean Brunhes faisait ressortir l'utilité de ces réunions, lorsqu'il disait aux Amis du Vieux Hué « Vous associez des goûts, des connaissances et des valeurs très disparates. Vous vous informez les uns les autres, grâce aux séances et aux publications du « Vieux Hué », de faits qui, sans votre Association, n'auraient jamais apparu à l'horizon de la plupart des esprits qui .composent votre groupe. Bref, vous vous entraînez à une très saine curiosité qui vous fait pressentir la dignité et les joies de disciplines et d'activités plus ou moins éloignées de celles de chacun 3. »

L'œuvre du Vieux Hué est donc une œuvre commune. i. Allocution du P. Cadière à M. le Gouverneur Général p. i. Monguillot. (B. A. V. H., 1919, p. 546).

a. Allocution de M. Sylvain Lévi (B. A. V. H., 19211, pp. 365-367). 3. Allocution de M. Jean Brunhes (B. A. V. H., igi3, pp. 487-489).


Mais il convient néanmoins de citer quelques noms parmi ceux qui en furent les principaux artisans.

D'après les statuts. l'Association des Amis du Vieux Hué est dirigée par un Bureau, élu chaque année en assemblée générale, et composé d'un président, d'un rédacteur du Bulletin, d'un secrétaire et d'un trésorier Le premier Président en date des Amis du Vieux Hué fut M. L. Dumoutier (16 novembre i9i3-3o septembre 1914)- Ses amis gardent le souvenir de cet homme du monde parfait, loyal, plein de tact, délicat, sensible, sous les apparences d'une correction un peu froide. Il attira à la Société naissante de nombreuses sympathies, etl'amour qu'il avait pour le Vieux Hué se manifesta au-delà de la tombe par le don qu'il fit au musée de meubles anciens précieux pour l'art. Sa mort fut celle d'un héros. Engagé volontaire, au 3° colonial, dès le début de la guerre, malgré son âge, son état de santé et sa situation il était payeur à Hué et cela « pour tenir la place d'un père de famille », promu caporal, puis sous-lieutenant, blessé, encore souffrant, il part pour Salonique avec son régiment, dont il était porte-drapeau, et sombre avec la Provence H. « Le sacrifice s'est accompli jusqu'au bout, ̃et d'une façon obscure et silencieuse qui en exalte la grandeur et en rend la beauté plus tragique et plus impressionnante 2. »

M. R. Orband lui succéda (3o décembre igi4-g septembre 1919). Il mena la Société, tant au point de vue du nombre des adhérents que sous le rapport budgétaire, à un degré de prospérité que nul n'aurait osé espérer. « Les fréquents voyages qu'il faisait dans la Colonie, i. B. A. V. H., igi4, p. 89, art. i3.

3. B, A. V. H., 1916, pp. 455-456, Hommage à L. Dumoutier. par 1. Cadière. Voir aussi B. A. V. H., igi5, pp. 346-347 191J, p. 353.


nécessités par ses devoirs professionnels et pur l'estime que ses chefs avaient pour lui il était administrateur des services civils et délégué auprès des ministères de la Cour d'/Vnnam, les nombreuses relations que lui créaient sa courtoisie et son amabilité, l'influence dont il jouissait dans la haute société annamite, tout était mis au service des Amis du Vieux Hué1 ». Pour mieux diriger. avec plus d'unité de vue, la Société qu'il présidait, il avait peu à peu centralisé entre ses mains les fonctions du secrétaire et du trésorier et sa puissance de travail lui permettait dc tout mener de front, sans que ses devoirs professionnels eussent à en souffrir le moins du monde. Il collabora aussi aux travaux du Bulletin par de nombreuses études. « Kien de ce qui intéressait notre Société ne fut étranger à notre président. Il s'emparait des bonnes idées qu'on lui suggérait, les faisait siennes et leur donnait vie avec sa fougue coutumière. Propagande touristique, expositions d'art, partout on sentait sa main et sa volonté. Le petit musée du Ïân-Tho-Viên est son œuvre 2. » Son départ laissa un grand vide, et la Société mit de longs mois à reprendre son équilibre. M. R. Orband fut nommé président honoraire et délégué en France des Amis du Vieux Hué.

L'œuvre était lancée, les successeurs de M. Orband n'eurent qu'à suivre la direction donnée. C'est ce que firent M. E. Gras, pendant trop peu de temps (9 septembre igig-i3 janvier igao), et M. H. Guibier (i3 janvier 1920-17 mars 1921), avec toute sa sensibilité d'artiste. M. E. Gras, avec une ténacité que personne ne put vaincre, pas même lorsqu'on le nomma président un peu i. B. A. V. H., igig, pp. 549-552. Allocution à M. R. Orband. par le P. Cadière.

a. B. A. V. H., ibid.


malgré lui, refusa toujours de prendre !a direction des Amis du Vieux Hué, mais, en réalité, pour toutes les questions présentant un intérêt artistique, c'était l'initiateur et le conseiller, et sa collaboration a puissamment contribué à faire du Bulletin la publication élégante et luxueuse qui plaît non seulement par les matières qui la composent, mais aussi par la manière dont elle est présentée. Tous admirent son art personnel, original, un peu fantaisiste, qui, négligeant les détails secondaires, fait ressortir, d'un paysage, d'un monument, d'un type, les lignes caractéristiques, avec, souvent, une pointe de « charge », dégage le point de vue pittoresque, fait jaillir l'idée juste qui s'impose, surtout, donne avec une vérité impressionnante, la couleur, le mouvement, la vie. Le président actuel, M. le médecin inspecteur L. Gaide, est en fonction depuis le 17 mars 1921. C'est dire que ses qualités de cœur et le zèle avec lequel il s'acquitte de ses fonctions lui ont attiré la confiance des Amis du Vieux Hué.

Le P. L. Cadière exerce depuis la fondation de la Société les fonctions de Rédacteur du Bulletin. C'est lui qui lança l'idée du groupement. Il faisait, à cette époque, une étude sur les anciennes résidences des premiers souverains de la dynastie de Hué. Il reconnaissait de vieux souvenirs qui allaient en s'effritant de plus en plus. Il venait, notamment, de voir, pour la deuxième fois, l'emplacement de la première résidence des Nguyên, à Ai-Tu, près de Quang-Tri, et il avait pu déplorer les ravages accomplis dans l'espace de quelques années. S. son retour à Hué, il dit son impression à quelques amis, M. L. Sogny, M. le Dr A. Sallet, le capitaine Albrecht, M. L. Dumoutier, et leur suggéra les grandes lignes d'une organisation d'étude et de préservation. L'idée fut


accueillie avec une faveur sur laquelle il ne comptait pas, et, à sa grande épouvante, la Société fut fondée. Le premier Secrétaire fut M. le Dr A. Sallet. Son rôle fut grand lors de la fondation de la Société. « Il fut l'excitateur, il s'empara de l'idée qui lui avait été soumise, il recruta des adhérents, il décida ceux qui étaient effrayés par les difficultés de l'œuvre entrevue, à aller quand même de l'avant l ». Et M. R. Orband le saluait, le 3i octobre igi4, au moment où il partait pour le front, par ces paroles, expression exacte de la vérité « Vous fûtes incontestablement le plus dévoué des organisateurs et vous vous êtes révélés le plus ardent propagandiste. Avec le distingué P. Cadière, dont le savoir, l'aménité, la modestie forcent au plus profond respect, vous fûtes la cheville ouvrière de notre groupement. Partez content 1 L'Idée est debout I Le « Vieux Hué » est un enfant robuste, bien portant. Avec, pour le soigner à son entrée dans le monde, des médecins tels que vous, il n'en pouvait être autrement 2 ». M. le Dr A. Sallet n'a cessé, depuis, de s'occuper du Vieux Hué, soit pour collaborer à ses travaux par des études d'un grand intérêt, soit pour 'lui recruter estime et adhésions.

Il convient de rappeler ici qu'à la première réunion de la Société, à laquelle assistaient dix-sept membres, et qui eut lieu le 16 novembre ioi3, « le Président demande qu'un vote de félicitations et de remerciements soit adressé à M. Bienvenue qui a bien voulu établir les statuts de la Société, dans une formule si nette, si complète et si précise 3 ». C'est à cette réunion que furent lus i. Séance du ai novembre igaa (B. A. V. H., 193a, p. 367). 1. Allocution de M. R. Orband pour le départ de M. le Dr Sallet (B.A. V. H.,1914, p. 354).

3. B. A. V. H., 1914, p. 94.


et approuvés les Statuts signés de MM. Albrecht, Bienvenue, Cadière, Dumoutier, H. Le Bris, Sallet, et approuvés de M. le Résident Supérieur Charles à la date du i4 novembre iqi3.

M. E. Le Bris (25 novembre 191A-29 décembre igi5), M. L. Sogny (29 décembre 1915-29 décembre 1917) M. H. Cosserat (29 décembre 1917 jusqu'à aujourd'hui), ont rempli successivement la charge de secrétaire, après M. le Dr A. Sallet.

Les intérêts financiers de la Société ont été gérés d'abord par M. Ch. Bernard (16 novembre 1913-29 décembre 1916), puis par MM. H. Cosserat (29 décembre 1916-29 décembre 19 18), L. Sogny (3o décembre 1918juillet 1921), H. Peyssonnaux (i5 juillet-28 octobre 1921) et II. Cosserat, intérimaire, Daigre (17 janvier 19227 janvier 1924), L. Sogny (7 janvier 1924 à aujourd'hui). Les fonctions de secrétaire et de trésorier étaient bénignes, aux débuts de la Société, et surtout lorsque M. R. Orband, le président, en assumait presque toute la charge. Mais elles sont devenues peu à peu, à mesure que la Société prenait de l'extension, absorbantes, et, en outre du travail matériel, qu'il faut assumer sans négliger les devoirs professionnels, elles demandent beaucoup de tact, beaucoup de patience, beaucoup de bonne volonté. Ceux qui s'en sont acquittés bénévolement, à la satisfaction de tous, méritent la reconnaissance des Amis du Vieux Hué.

La Société, d'après ses Statuts, compte comme Président d'Honneur, M. le Gouverneur Général de l'Indochine ainsi que, sur la demande expresse de DuyTân, S. M. l'Empereur d'Annam M. le Résident Supé-


rieur en Annam, M. le Directeur de l'Ecole Française d'Extrême-Orient. Lorsqu'elle fut fondée, M. A. Sarraut présidait aux destinées de l'Indochine. Il comprit tout de suite avec son intelligence et son sens de fin politique, surtout avec tout son cœur passionné de beauté, –l'importance d'un tel groupement, non seulement du point de vue de la science française et de l'art, mais aussi du point de vue administratif, pour faciliter, sur un terrain neutre et autour d'idées communes, une association plus étroite, une collaboration plus fructueuse, une compréhension plus intime des représentants les plus éclairés de la population française et de la haute société annamite. Aussi ne cessa-t-il jamais, pendant son séjour dans la colonie, et tout le temps qu'il géra le Ministère des Colonies, de s'intéresser, avec une sympathie évidente, avec amour, aux travaux et au développement de la Société. Il ne manquait jamais, lors de ses voyages à Hué, de présider une réunion du Vieux Hué. L'exposition d'art annamite du 25 mars 1918 s'ouvrit sous ses auspices, et c'est grâce à lui que l'on put publier l'Art à Hué. Il fut un grand bienfaiteur et un grand ami de la Société.

Ses successeurs, intérimaires ou titulaires, MM. Van Vollenhoven, E. Charles, Monguillot, Beaudoin, M. Long, M. Merlin, ont tous suivi son exemple. Ils ont tous été reçus par le Vieux Hué et ont bien voulu lui dire l'intérêt qu'ils portaient à ses travaux et lui promettre aide et concours.

M. E. Charles, alors Résident Supérieur en Annam,fut, pour la Société naissante, un conseiller sûr, un ami sincère et loyal, un protecteur discret et agissant. Ceux qui ont, après lui, représenté la France à Hué, ont tous, de diverses façons, aidé la Société, par l'estime et la confiance


qu'ils lui témoignaient, par lés secours efficaces qu'ils lui accordaient. Notamment, M. Tissot, qui fournit l'allocation nécessaire pour la publication d'un Guide de l'Annam, surtout M. Pasquier, dont l'âme de lettré et d'artiste communie pleinement avec tout ce qui intéresse le Vieux Hué, qui est l'animateur de presque toutes les séances, et qui a pris à cœur le développement du Musée fondé par la Société.

Le gouvernement annamite a toujours montré, àl'égard des Amis du Vieux Hué, le même bienveillant intérêt. C'est à la demande expresse de S. M. Duy-Tân que la Société s'est placée sous le haut patronage de l'Empereur d'Annam. S. M. Khai-Dinh, avec son intelligence éclairée, s'est rendu compte que la Société n'avait qu'un but, qui était de rehausser le prestige de la capitale des Nguyên et la gloire du peuple annamite. Il a donné une preuve éclatante de l'estime en laquelle il tenait l'œuvre de la Société, en mettant à sa disposition, pour la création du musée, le pur joyau qu'est le palais Tan-ThoViên. Les ministres de la Cour d'Annam, les hauts fonctionnaires de la capitale et des provinces ont donné en grand nombre leur adhésion à la Société, beaucoup ont collaboré à la rédaction du Bulletin, et les travailleurs européens sont toujours assurés de trouver auprès d'eux les éclaircissements ou l'appui nécessaires. Le Musée Khai-Dinh s'est développé autour d'un noyau d'objets mis en dépôt au Vieux Hué par les ministères compétents. La Société des Amis du Vieux Hué, par un sentiment de déférence tout naturel, s'était placé, dès le début, et par un article de ses statuts, sous le patronage de l'Ecole Française d'Extrême-Orient M. Finot, directeur de i. B. A. V. H., 1914. p, 87, art. 3.


l'Ecole, voulut bien accepter cette direction morale, et il écrivait au président de l'Association « En faisant de votre Société une filiale de l'Ecole Française, vous avez heureusement t concilié la liberté de vos travaux avec cette unité supérieure de vues et de méthodes qui fait concourir à un but commun les recherches particulières1 ». Il consacra, quelques années plus tard, au Bulletin, un article fort élugieux où il disait notamment « Grâce au dévouement de ses fondateurs et aux bonnes volontés qu'ils ont su grouper autour d'eux, la Société des Amis du Vieux Hué réussit au delà de toute espérance. Son Bulletin n'est pas seulement d'une très bonne tenue scientifique il est en outre d'une lecture fort agréable et il est en voie, grâce à sa parure artistique, de conquérir les bibliophiles. Félicitons le savant et dévoué directeur du Bulletin, le P. Cadière, d'avoir su, avec des ressources limitées et en des temps si contraires, composer un recueil qui est, selon son expression, « une oeuvre d'art digne de la capitale de l'Annam 2 ». Il écrivait encore au P. Cadière « Après la victoire, il s'agira pour la France de garder son rang dans tous les domaines, et les études orientales en sont une partie assez importante pour que nous ayons droit de nous féliciter de les avoir maintenues en honneur, vous à Hué et nous à Hanoï 3 ». Les Amis du Vieux Hué ont toujours tenu à cœur de travailler de concert, sur un plan différent, avec des savants qui doivent être les guides, comme ils sont les modèles, de tous les travailleurs dans la Colonie. Diverses personnalités, des grands noms de la science, i. B. A. V. H., 1914, p. 92.

2. Bulletin de l'Ecole Française Extrême-Orient, XVI (1916), n° 5, pp. 23-a4.

3. B. A. V. H., 1918, p. 3i7.


des hommes politiques, des représentants de la France en Extrême-Orient ont honoré les réunions des Amis du Vieux Hué de leur présence, à leur passage à Hué, et ont bien voulu dire leur admiration pour L'oeuvre accomplie, les vœux qu'ils faisaient pour que la Société continuât à prospérer. M. Sylvain Lévi, qui écrivait au P. Cadière que le Bulletin « est sans contredit la meilleure publication de ce genre qui me soit connue ni l'Inde ni la Chine, pour ne parler que de ma sphère d'intérêt, ne peuvent lui opposer rien de semblable, ni même de comparable. Il faudrait la répandre comme un modèle à imiter, pour l'honneur de la science et du pays ». VI. Jean Brunhes comparait les Amis du Vieux Hué aux suo-wto1. de la Grèce, « ils tiennent une place et jouent un rôle qui procèdent de la plus noble tradition humaine, et qui répondent à l'un des besoins les plus urgents des pays neufs la création et le maintien d'un esprit public de vraie culture générale ». Le vainqueur de la Marne, M. le Maréchal Joffre, M. Joubin, M. Maurice Courant, M. Outrey, député de la Cochinchine, M. le député Maître, qui disait « C'est à tort que l'on considère parfois l'historien, celui qui apporte sa pierre, grande ou petite, à la reconstitution de l'édifice du passé, comme faisant œuvre purement spéculative. En réalité, l'historien prolonge notre vie dans le passé par l'étude, et dans l'avenir par le pressentiment et le rêve il lui donne ainsi de plus belles et de plus harmonieuses proportions. Membres de la Société du Vieux Hué, vous avez un large i. Séance du 29 juillet 1919 (B. A. V. H,, 1919, p. 568). Allocution de M. Sylvain Lévi aux Amis du Vieux Hué, à la séance du ai novembre 1922 (B. A. V. H., 1922, pp. 365-366).

a. Allocution de M. Jean Brunhes aux Amis du Vieux Hué, Séance du 18 février 1923 (B. A. V. H., 1923, p. 487-489).


champ d'action. vous avez bien servi par vos savants travaux la cause de l'art et de l'histoire1 ».

11 serait trop long de citer les articles élogieux qui ont signalé, de-ci de-là, le Bulletin, soit d'une façon générale, soit en donnant le compte rendu de certains travaux le Bulletin du Touring-Club 2, le Bulletin du Comité Archéologique de l'Indochine 3, la Revue Indochinoise 4, l'Exporlaleur Français 5, la Revue de l'Histoire des Colonies 6, le Journal of Burna Research Society 7. l'Asie française 8, le Journal des Coloniaux 9, le Mercure de France i0. Le P. Cadière disait à juste titre, dans son rapport sur l'année 1918 « Non, nos efforts, si minimes soient-ils, nos dépenses, quelque grandes qu'elles paraissent parfois, ne restent pas sans fruit. Tous les collaborateurs du Bulletin, tous les amis qu'a groupés notre Association, doivent être fiers de contribuer, chacun pour sa part, à auréoler la colonie et, par delà les mers, la France ellemême, de ce prestige artistique, littéraire, scientifique, qui est la plus pure gloire d'une grande nation ». UN AMI DU VIEUX HuÉ.

1. Allocution de M. le Député Maître aux Amis du Vieux Hué, le 18 février 1923 (B. A. V. H., iga3, pp. 486-487).

2. Numéro de novembre-décembre 1917 (B. A. V. H., 1918, p. 3a4). 3. Année 1914-1916 (B. A. V. H., 1918, p.33a).

4. No de juin igr8 (B. A. V. H., 1918, p. 332) et ailleurs. 5. du 24 avril igig (B. A. V. H., 1919, p. 56g).

6. Dans de nombreux fascicules (B. A. V. H., 1920, p. '191 igaa, p. 346). ).

7. N° d'avril 1922 (B. A. V. H., igaa, p. 369-370).

8. de ig23 (B. A. V. H., 1923, p. 491).

9. B. A. V. H., 1923, pp. 5og-5n.

to. de janvier-février 1924, pp. 196-196 et ailleurs.

11. B. A. V. H., 1918, p. 317.


ÉPISODES DE L'HISTOIRE DU SÉNÉGAL

TENTATIVES DE CBRISTIANISA TION ET DE

Constitution de l'état-civil des Captifs sénégalais en 1823-1824

I

Avec les traités de i8i4-i8i5, la traite des Noirs, au moins sur mer, est interdite, et cette interdiction ne reste pas théorique, càr l'acharnement avec lequel les croisières française et anglaise poursuivent les négriers amène au bout de quelques années, sur les côtes occidentales d'Afrique, la disparition à peu près complète du trafic maritime du « bois d'ébène ».

Mais la captivité proprement dite n'était pas supprimée elle continua à fleurir au Sénégal, ainsi d'ailleurs qu'aux Antilles, jusqu'en i848. La condition de ces captifs de case était loin d'être misérable. Ils vivaient de la vie même de leurs maîtres, la plupart noirs eux-mêmes ou mulâtres, participaient à leurs affaires, et ne songeaient nullement à une révolte, ou même à une amélioration de leur sort. En 1823, on s'en préoccupa pour eux en France. Le facteur religieux, tout puissant alors, n'y fut pas étranger. Des âmes pieuses se désolaient de la vie complète-


ment païenne que menaient les esclaves chez des maitres qui se prétendaient chrétiens et qui se désintéressaient complètement des besoins spirituels de leurs serviteurs. D'autres préoccupations, celles-là politiques, intervinrent aussi des troubles, légers à la vérité, s'étaient produits à cette date aux Antilles, et quelques Noirs, libres ou captifs, avaient invoqué les principes et souvenirs récents de la Révolution. On expulsa de leurs îles ces révolutionnaires à l'eau de rose et on les amena à Saint-Louis, où ils retrouvèrent avec joie des compatriotes libérés de l'ancien bataillon d'Afrique, établis après fortune faite. Les exilés semblent dès lors avoir fait preuve de la plus parfaite tranquillité.

Mais on pouvait craindre alors que cet état d'esprit fâcheux ne subsistât et même n'empirât. Pour couper le mal à la racine, comme d'autre part pour assurer aux Noirs captifs une sorte d.'état civil, analogue à l'état civil qui était celui du droit commun sous l'Ancien Régime, le Ministre prescrivit la généralisation du baptême des esclaves, la régularisation de leurs mariages, leur ensevelissement dans les formes religieuses, la transcription de ces actes sur les registres ecclésiastiques et d'une façon générale l'amélioration de leur vie spirituelle.

Voici les instructions qu'il donnait en une circulaire du 22 octobre 1823, aux Gouverneurs de la Martinique et de la Guadeloupe, aux commandants et administrateurs da la Guyane et de Bourbon, et que recevait, à son tour, le 30 octobre suivant, le commandant et administrateur pour le Roi, du Sénégal et dépendances, baron Roger

Faire baptiser, au moment de leur débarquement, tous les Noirs qui proviendront de saisies sur bâtiments ayant fait la traite.


Faire baptiser, s'ils ne l'étaient déjà, tous les Noirs appartenant au Roi.

Engager les maîtres à ne pas négliger de faire baptiser également leurs Noirs l'exiger au besoin

Encourager les mariages des esclaves devant l'église. Faire enterrer chrétiennement les esclaves qui auront reçu le sacrement de baptême.

Prescrire aux curés. sinon de dresser des actes de ces cérémonies, du moins d'indiquer sur un registre spécial, le nom, l'âge et le sexe de chacun des esclaves qui auront été ainsi baptisés, mariés et enterrés et d'y mentionner le nom du maître. Rétablir partout, où on le pourra, la messe dite des Nègres, ainsi qu'elle l'a été récemment à la Guadeloupe et entretenir les esclaves dans l'usage des exercices religieux. »

Le Ministre faisait suivre ces instructions des commentaires suivants, fort explicites

« Vous voudrez bien faire exécuter également au Sénégal, à dater du i" janvier prochain, ces dispositions qui, au surplus, rentrent exactement dans l'esprit du Code Noir.

Comme il ne s'agit que d'amener tous les colons à faire ce que plusieurs font déjà et ce que fait spécialement l'administration locale relativement aux Noirs du Roi, on doit croire que les habitants des colonies se rendront aisément sur ce point aux exhortations des ministres du culte.

Il ne sera pas difficile de leur faire concevoir que la religion est pour l'esclave un frein nécessaire, que, loin de relâcher les liens qui l'attachent à son maître, elle tend à les resserrer en imposant le devoir d'être obéissant et soumis et que, dans l'état difficile où les colonies sont placées par suite des mauvaises doctrines et des exemples dangereux dont on les assiège, ce n'est pas trop que de joindre au prestige de la couleur et d'une domination forte l'autorité des principes et des préceptes religieux.

i. La dernière phrase « l'exiger au besoin », est de la main même du Ministre, marquis de Clermont-Tonnerre.


Les colons reconnaîtront que, si en mariant les esclaves, on ne peut faire que des familles esclaves, du moins en formerat-on des familles, et que le maître et le bon ordre y gagneront ils savent d'ailleurs très bien qu'en encourageant les unions légitimes, on tend à augmenter la reproduction dont le concubinage est l'ennemi.

Le succès dépend sans doute en grande partie du zèle des prêtres de nos colonies et du bon esprit qu'au besoin ils sauraient inspirer aux maîtres on doit compter sur l'un et sur l'autre. A la vérité, le nombre des ecclésiastiques est dans ces établissements bien peu proportionné aux nécessités mais rien ne sera négligé pour obtenir un supplément de sujets, et M. l'abbé Bertout, Supérieur du séminaire du Saint Esprit, trouvera lui-même dans la communication que je lui donnerai de ce qui précède, un nouveau motif d'accroître le nombre de ses élèves et d'étendre ses recherches dans les divers diocèses de France, afin de procurer à nos colonies un supplément de bons missionnaires.

J'ai lieu d'espérer que ces dispositions s'exécuteront partout avec l'exactitude nécessaire pour ajouter aux bons résultats qu'elles doivent offrir sous le rapport religieux, l'avantage de constater les naissances, les mariages et les décès des esclaves c'est d'ailleurs le seul moyen de constatation qui puisse être employé dans nos colonies des Antilles, de Cayenne, et de Bourbon mais il n'en doit point être ainsi au Sénégal où le préjugé de la couleur n'existe que faiblement, où l'Européen s'allie à l'indigène de couleur, sans blesser des préjugés enracinés où l'indigène de couleur jouit des mêmes droits que l'Européen, et y exerce même des fonctions publiques. Au Sénégal, tout doit tendre à l'abolition de l'esclavage. If est dans l'intérêt de nos projets de culture que l'Afrique parvienne à la civilisation par le travail et par la liberté. C'est dans ces vues que vous avez été autorisé à racheter, pour rattacher aux nouvelles habitations, des captifs de l'intérieur qui seraient à l'instant déclarés libres sous la seule condition d'un


engagement à tenir, et d'empêcher que de nouveaux captifs ne fussent introduits dans la colonie pour y rester en esclavage ce sera concourir efficacement au but que de constater à la fois par des actes religieux et par des actes civils le mouvement de la population esclave qui existe actuellement dans nos possessions d'Afrique.

Déjà, d'après vos instructions, vous avez dû pourvoir à la tenue par l'Inspecteur des cultures de registres pour la réception des actes civils, constatantles naissances, mariages et décès des esclaves libérés avec engagement.

Il semble qu'il est simple et facile de faire également constater sur des registres spéciaux, l'état civil des esclaves toutefois, il ne peut être question à regard de ceux-ci, que de mentions et non d'actes proprement dits de naissances et de décès quant au mariage devant la loi, il existe des conditions que des esclaves ne peuvent remplir, d'après le Code Noir il ne peut même y avoir entre les esclaves de mariage purement religieux qu'avec le consentement du maître, qui doit en prévoir et en subir les conséquences, mais à qui, par ce motif, aucune obligation ne peut être imposée sous ce rapport il faut respecter les droits acquis.

Au reste, l'on aura beaucoup à faire lorsqu'on aura établi au Sénégal l'usage de faire déclarer les naissances et les décès des esclaves c'est l'un des moyens les plus doux et les plus efficaces qui puissent être employés pour assurer dans la colonie l'exécution des dispositions prohibitives de la traite des Noirs c'est, en d'autres termes, réaliser ce que l'Angleterre a effectué dans ses colonies l'enregistrement des esclaves.

Il conviendra que l'adoption de cette mesure soit précédée d'un recensement qui ait pour objet de tracer une ligne nouvelle entre le passé et le présent. D'après une lettre de votre prédécesseur du 12 mai 1821, je suis autorisé à croire qu'une telle opération n'offrira de difficultés, ni à Saint-Louis, ni à Gorée et dans cette opinion, je dôsire qu'elle s'effectue le pluspromptement possible.


Dans une lettre précédente (du 3o juin 1820), M. Le Coupé se plaignait de la négligence des indigènes libres à faire inscrire leurs enfants sur les registres de l'Etat civil, et à faire légitimer leurs mariages par la loi il serait regrettable que l'on n'eût pas rendu obligatoires de la part des indigènes, ainsi que le veut notre législation sur la matière, les déclarations de naissances et de décès si une grande exactitude n'était pas exigée sur ce point pour ce qui concerne les individus libres, on ne devrait pas l'attendre de ceux-ci quant aux engagés dont ils sont détenteurs et quant aux esclaves qu'ils possèdent c'est à quoi vous voudrez bien pourvoir.

A l'égard du mariage, la publication qui sera incessamment faite au Sénégal du Code Civil (si déjà elle n'y a été effectuée) pourra sans doute, en mettant les habitants à portée de connaître quels sont les droits respectifs des époux devant la loi, leur inspirer la sage précaution d'acquérir ces droits par des unions légitimes la religion sera d'ailleurs un puissant auxiliaire pour parvenir à ce résultat, également profitable aux mœurs et à l'ordre public mais au Sénégal comme en France, on ne peut, pour l'obtenir, employer aucun moyen de rigueur. Ainsi, indépendamment des cérémonies religieuses qui sont prescrites dans toutes nos colonies à l'égard des esclaves, les dispositions suivantes sont à exécuter au Sénégal à dater de 1824, relativement à l'Etat civil

i" Faire inscrire soit sur les registres particuliers aux engagés, soit sur des registres spéciaux, les naissances et les décès des esclaves

a" Rendre obligatoires pour les maîtres l'égard des esclaves, et pour les détenteurs des engagés à l'égard de ceux-ci, les déclarations de naissance et de décès

3" Rappeler aux Européens et aux Indigènes libres que l'obligation leur est également imposée de faire établir sur les registres de l'Etat civil les actes de naissance et de décès qui les concernent personnellement

Faire constater par un recensement les noms, l'âge et le


sexe des esclaves qui existeront au Sénégal le i" janvier prochain.

Vous voudrez bien faire tout ce qui sera nécessaire pour l'exécution de ces dispositions elles doivent procurer des avantages et je n'y aperçois point d'inconvénients cependant si le recensement et l'inscription des actes de naissances et de décès des esclaves sur des registres de l'Etat civil vous paraissaient dans le cas d'offrir des difficultés d'une nature grave, vous pourriez ajourner cette mesure mais je vous engage à ne céder sur ce point, ni à de vaines appréhensions, ni à l'influence des habitudes je vous recommande de consulter seulement votre expérience, et au besoin l'opinion de quelques hommes doués d'un caractère sage et élevé, et connus d'ailleurs par leur respect pour l'ordre public.

Je vous prie de ne mettre aucun retard m'informer des diligences que vous aurez faites pour remplir l'objet de la présente dépêche, et je désire, au reste, que vous m'en accusiez la réception, dès qu'elle vous sera parvenue.

En vous reportant àla lettrede M. Le Coupé, du 3o juin i8ao, dont j'ai parlé plus haut, vous remarquerez qu'elle répondait à une dépêche de mon prédécesseur, du i3 octobre 1819, où l'avis des administrateurs des colonies était demandé sur la question de savoir s'il convenait d'envoyer de France dans ces établissements des formules imprimées pour la rédaction des actes de l'Etat civil l'opinion générale ayant été qu'un tel envoi n'était pas nécessaire, j'ai décidé qu'il n'aurait pas lieu. » Ces intentions étaient manifestement excellentes et leur mise en pratique eût amélioré sensiblement le sort de la société captive sénégalaise, contribué puissamment à son relèvement moral et rapproché maîtres et captifs sur le terrain du christianisme, en attendant la fusion que devait précipiter le coup d'Etat de 1848.

Mais où trouver les artisans de cette tâche considérable ? P


A cette date, l'Université ne fait que de naître au Sénégal et sous quelle forme modeste 1 IL n'y a qu'une école à Saint-Louis, « l'Ecole mutuelle », comme on disait alors, et dont le premier maître, Dard, avait fini par être renvoyé en France parce qu'il s'appliquait beaucoup plus à apprendre personnellement le ouolof avec ses élèves qu'à leur apprendre le français. Ses successeurs n'étaient pas sans obtenir des succès, et non seulement avec les enfants de Saint-Louis, mais même et surtout avec les jeunes Sarakollé et Toucouleurs que le commandant de Bakel avait envoyés comme otages à Saint-Louis. Mais l'école mutuelle de Saint-Louis n'était, malgré tout, qu'un petit groupement d'enfants, et d'enfants libres, et son action était nulle sur la société des captifs. A Gorée, on ne trouvait qu'une petite école, réservée aux enfants libres aussi, et tenue par les religieuses de Saint-Joseph de Cluny, débarquées sur la côte d'Afrique en mars i8ig.

Le clergé sénégalais était alors tout à fait inférieur par la quantité, et même par la qualité. Le Ministre, qui faisait fond sur « les ecclésiastiques de nos établissements » n'ignorait pas qu'il n'y avait en principe qu'un curé à Saint-Louis et un à Gorée, et la plupart du temps, par la maladie, le décès, le fréquent changement ou les rentrées inopinées en France de ces deux ecclésiastiques, ce nombre infime était réduit à un seul curé pour toute la côte d'Afrique. Comment aurait-il pu se consacrer à l'immense tâche moralisatrice, à laquelle on le conviait ? ¡t Comment aurait-il pu même suffire à la simple besogne de ministère baptêmes, mariages, enterrements multiples, qu'on lui imposait ? P

Au surplus, la congrégation du Saint-Esprit n'avait pas encore repris possession de la terre africaine. Elle s'es-


sayait à son œuvre d'évangélisation en admettant dans son séminaire de Paris les prêtres que lui envoyait le ministre, et à qui l'abbé Bertout, supérieur, tout en leur faisant subir une probation serrée, inculquait quelque éducation coloniale. En attendant que cette heureuse innovation fit subir ses fruits, et ce ne sera guère avant 1837 les quelques prêtres du Sénégal, venus de divers diocèses de France, souvent après des conflits avec leurs évêques, entraient fréquemment en lutte au Sénégal avec les Gouverneurs ou avec leurs ouailles, et ne montraient que peu de zèle pour leur tâche sacerdotale.

Le Ministre, redirai-je, n'ignorait pas cette situation la lecture de la correspondance de ses gouverneurs, depuis 181 7, colonel Schmaltz, capitaines de vaisseau de FJeuriau et Le Coupé, Roger enfin, pouvait l'éclairer sur ce point.

Et quant à la négligence des indigènes libres à utiliser ces sages prescriptions, à profiter des bienfaits de l'Etatcivil, il faut croire qu'elle est incurable puisqu'à un siècle de distance, après une évolution intellectuelle manifeste, après le séjour de nombre d'entre eux en France, après leur « naturalisation » en masse, la situation est restée la même.

II

Roger, qui se rendait bien compte des difficultés et même de l'impossibilité de l'entreprise, et qui, d'autre part, avec ses projets de colonisation, avait assez d'affaires sur les bras, réfléchit quatre mois, et prit la plume, le i5 avril 1824, pour faire académiquement et avec toutes les formes voulues la paraphrase du principe romain, plus


souvent vrai qu'on ne pense aux colonies « quieta non movere. »

Il fait remarquer l'absence de prêtres, agents nécessaires des conversions. Il expose longuement et avec une autorité et une sûreté de vues remarquables pour l'époque, la situation islamique du Sénégal, c'est à-dire de SaintLouis et de l'embouchure du fleuve, fortement empreints des doctrines du Prophète par le voisinage des marabouts maures. Il montre, en l'état des choses d'alors, les dangers d'un prosélytisme trop intense, et en quelque sorte officiel, pour notre action politique et commerciale sur les rives du fleuve, où Maures, Toucouleurs, et Sarakollé sont musulmans, musulmans à leur façon, si l'on veut, au moins pour ces derniers, mais fermement attachés tout de même à la loi de Mahomet.

Voici cette lettre qui est un document politique du premier ordre.

« II a été impossible, jusqu'à présent, de mettre à exécution les ordres de V. Excellence parce que, depuis qu'ils me sont connus, la colonie est entièrement privée de prêtres, ainsi que j'en ai rendu compte par ma lettre du 6 avril dernier. Cependant pour administrer le baptême et aussi pour exercer une influence capable de déterminer les nègres et les maitres des captifs, la présence d'ecclésiastiques zélés sera indispensable. Avec eux les conversions seront difficiles sans eux, il est inutile de les tenter.

Votre Excellence n'ignore pas que nous sommes au Sénégal dans une position toute particulière et bien différente de celle des autres colonies. Ici ce ne sont pas des Nègres, idolâtres pour la plupart, qui arrivent successivement de différentes contrées, pour former une population nouvelle hors de leur pays, et auxquels on peut donner des mœurs appropriées à leur destination et une religion qu'ils trouvent déjà, celle du sol pour ainsi dire. Nous nous établissons au contraire dans un pays déjà habité


nous n'amenons pas les autres chez nous, c'est nous qui venons au milieu d'eux. Quelque division qu'il y ait entre les peuples riverains du Sénégal, quelque différence d'origine qu'on remarque entre les indigènes libres ou captifs qui habitent nos villes de Saint-Louis et de Gorée, ils sont tousréunis par un lien commun, par une religion invétérée, exigeante et qui pousse au fanatisme, en un mot l'islamisme, pour lequel leur attachement est d'autant plus grand qu'il n'est ni éclairé, ni raisonné. Parmi nos Nègres, de prétendus docteurs, dont tout le savoir se réduit à lire et à écrire quelques mots arabes, qu'ils ne comprennent même souvent pas, exercent la plus grande influence au moyen de pratiques grossières et superstitieuses. Telle est la force de la croyance, qu'on voit beaucoup de Nègres passer chaque jour du ramazan sans manger, depuis le lever jusqu'au coucher du soleil, poussant la rigueur du jeûne jusqu'à se refuser, dans la saison la plus chaude, une goutte. d'eau, une prise de tabac, quoique cette poudre soit devenue pour eux une habitude:et une passion. Les lois de la polygamie, généralement adoptées en Afrique, ces lois que le climat et la stérilité très prompte des femmes font paraître, pour ainsi dire, naturelles à ces peuples, sont aussi des obstacles presqu'insurmontables pour le zèle des missionnaires. Je cite ces faits afin d'expliquer parfaitement à Votre Excellence combien il sera difficile d'amener à la religion chrétienne des hommes si imbus d'une religion opposée, tout à la fois rigoureuse et indulgente. En vain on baptiserait quelques esclaves, inutile formalité qui ne produiraitaucun résultat rentrés dans la foule, les menaces des marabouts, les reproches de la famille et de l'amitié, les craintes, les préjugés, l'enfance, réveilleraient bientôt et l'ancienne croyance et les vieilles habitudes. L'expérience l'a montré dans bien des pays de tous les hommes, les Mahométans sont ceux qu'il est le plus difficile de faire changer de religion. J'en ai eu dernièrement une nouvelle preuve: des Nègres du pays de Fouta, conduits dès leur première jeunesse comme esclaves à l'île de Cuba, avaient suivi la religion catholique


s'étant rachetés et étant revenus ici, ils ont d'abord fréquente l'Eglise, mais à peineen communication avec les autres Nègres, notamment avec leur famille et leur pays natal, ils sont retournés à la religion de leurs pères.

Sur plus de six ou sept mille Nègres qui habitent SaintLouis, on ne compterait pas deux cents chrétiens, et encore ceux qui se disent tels, parce qu'ils descendent de chrétiens, ne remplissent absolument aucune pratique religieuse, et l'on pourrait en dire, non pas qu'ils sont chrétiens, mais qu'ils ne sont pas Mahométans. A Gorée, le nombre en est proportionnellement un peu plus grand.

La répugnance du Nègre pour changer de croyance est tellement prononcée que tous nos efforts n'ont pu encore déterminer qu'un très petit nombre d'entr'eux d'envoyer leurs enfants à notre école gratuite, parce qu'ils craignent qu'on ne cherche à leur faire embrasser le Christianisme.

Depuis bien longtemps le Gouvernement a senti qu'il fallait de toute nécessité accorder tolérance et même protection à l'islamisme dans nos établissements d'Afrique. Sans cette sage précaution le fanatisme aurait causé beaucoup de trouble et fait bien des victimes. Ainsi, de même qu'à Pâques on fait aux chrétiens de Saint-Louis, parce que tous mulâtres, des distributions de vin et de farine, suivant un usage immémorial, de même d'après une coutume tout aussi ancienne, on donne un bœuf ou des moutons aux habitants mahométans les jours de leur fête (le Kori et le Tabaski) 1.

Ainsi tous les maîtres de langues (on nomme ainsi des noirs interprètes qui sont aussi agents de police) sont pris parmi les mahométans. L'expérience a prouvé qu'ils avaient beaucoup plus de moyens d'action et d'influence sur la population que n'en auraient des chrétiens.

i. Kori est l'AM ag-sarir ou fête de la rupture du jeûne du Ramadan. Tabaski. où il faut voir une déformation noire de l'antique terme de « Pasca », est l'Aïd al-Kabir, ou Courban Beiram, fête du mouton ou fête des sacrifices de l'Islam.


Ainsi l'autorité locale est obligée de ménager les principaux marabouts, ou religieux mahométans de l'île, d'en employer un comme traducteur d'arabe, et de se l'attacher, afin d'observer et de diriger par lui tous les autres.

Mais, si des concessions, faites en quelque sorte à la religion dominante aux côtes d'Afrique, ont été jugées de tous temps nécessaires pour la bonne administration de Saint-Louis et de Gorée, et pour la tranquille possession de nos comptoirs, combien ne le deviennent-elles pas lorsque nous poussons nos établissements dans l'intérieur du pays au milieu d'une population mahométane et jalouse de sa religion Il n'en faut pas douter, si l'esprit de prosélytisme prenait de notre part indiscrètement trop d'essor, il se réveillerait bientôt chez les Noirs avec ardeur, il deviendrait pour eux du fanatisme et les projets de cultures en souffriraient certainement. La colonisation du Sénégal peut fournir un excellent instrument pour la propagation de la religion chrétienne, dans cette partie de l'Afrique, mais il faut lui laisser prendre paisiblement assez de force pour qu'elle puisse ensuite être employée aux changements religieux etmœurs qui, à leur tour, serviront d'appui à la nouvelle colonie. Du reste, je suis persuadé que, dès à présent, des prêtres zélés et prudents, ayant l'esprit de charité et de désintéressement que prescrit l'Evangile, agissant seulement sur les habitants des villes, pourraient peu à peu, et à force de persévérance, opérerdes conversions les centpremières seront les plus difficiles l'Evangile ensuite produira un bon effet. Mais il faudra pour cela que les prêtres vivent avec leurs néophytes et pour ainsi dire comme eux, sans quoi ceux-ci leur échapperont. Je pense que le Gouvernement local ne doit intervenir que par une influence secrète, en quelque sorte, et par le bon exemple public.

J'ai cru nécessaire d'entrer dans les explications qui précèdent, afin que Votre Excellence, connaissant bien l'état des choses et des pays, puisse donner les ordres qu'elle jugera convenables.


Je réponds maintenant à chacune des dispositions de la dépêche du 3o octobre.

Les Noirs qui proviendront de saisies sur bâtiment ayant fait la traite, seront baptisés, au moment de leur débarquement

a° Les Noirs appartenant au Roi, comme engagés à temps (Sa Majesté n'a pas ici de captifs), n'ontpas encore été baptisés. Les prêtres de la colonie avaient cru devoir attendre pour leur administrer ce sacrement, qu'ils fussent instruits dans la religion et qu'ils en reconnaissent les vérités. Pas un seul de ces nègres n'a encore été dans ce cas, et je tromperais Votre Excellence si je ne lui avouais pas que les ecclésiastiques ont jusqu'à présent fait peu d'efforts à cet égard. Ceux que nous attendons seront, sans doute, plus actifs et plus heureux

3* Dès que nous aurons ici un prêtre, je réunirai avec empressement mes efforts aux siens pour persuader aux maîtres de faire baptiser leurs captifs, mais d'après les considérations que j'ai développées plus haut, j'attendrai de nouveaux ordres de Votre Excellence pour l'exiger d'eux, ce que je regarderais dans ce pays comme impolitique et dangereux

4° Le mariage des esclaves devant l'Eglise sera une innovation au Sénégal. J'en apprécie parfaitement les motifs et les avantages, et je ne négligerai rien pour encourager cette amélioration sociale et religieuse des esclaves chrétiens. 5° L'inhumation chrétienne des captifs qui auront reçu le sacrement du baptême sera une autre innovation, facile d'ailleurs à exécuter, et je la surveillerai avec zèle.

Je ferai connaître aux curés, dès que nous en aurons, l'obligation dans laquelle ils seront d'indiquer sur un registre spécial, le nom, l'âge et le sexe des esclaves qui auront été ou baptisés, ou mariés, ou enterrés et d'y mentionner le nom dumaître. Le recensement des captifs que prescrit Votre Excellence est inexécutable, si l'on ne l'englobe dans un recensement général de la population. C'est là le seul moyen de l'obtenir et ce moyen est fécond en bons résultats. Cependant l'opération même envi-


sagée ainsi n'est pas sans difficulté. J'y ai souvent pensé j'ai pris même déjà des mesures préparatoires le départ du Commandant de placede Saint- Louis, qui doit être le principal agent du recensement avec le maire, a suspendu l'exécution dont on s'occupera aussitôt que possible.

Je donne des ordres pour que le recensement soit commencé de suite à Gorée. Il y aura là moins de difficulté. Cependant Votre Excellence a pu voir par ma correspondance que M. Hugon en prévoit.

Comme l'explique la dépêche ministérielle, ce n'est qu'après le recensement qu'il deviendra utile de faire constater les naissances et les décès des esclaves, mais alors j'y emploierai tous mes soins. Les déclarations devront être consignées sur de& registres spéciaux, et non sur celui des engagés à temps, car ceux-ci sont libres, à l'instant même de leur engagement leur liberté n'est pas subordonnée à une condition, elle est acquise à terme et la jouissance en est seulement retardée. Déjà par mon arrêté du a8 septembre i8a3 les détenteurs des engagés sont obligés de déclarer les naissances et les décès de ceux-ci. Il en sera de même pour les maîtres des esclaves après le recensement.

Il est très vrai que les indigènes libres négligent souvent de faire établir sur les registres de l'Etat civil les actes de naissances et de décès qui concernent leurs propres familles. J'avais souvent conféré avec M. le Président (du Tribunal) Raujon de la nécessité de rendre exécutoires dans la colonie, provisoirement et en attendant une publication plus complète, les titres a, 5, 7, 9, 10 et 1 du livre premier du Code Civil. Ce magistrat m'avait promis à ce sujet un travail préparatoire, dont l'ordonnance du 7 janvier 182a, sa maladie, puis son décès, ont laissé les choses dans leur ancien état,, qui véritablement est intolérable. Si le nouveau président tarde à arriver, je tenterai, seul, l'application à faire au Sénégal de cette intéressante partie de notre législation, si je puis trouver quelques instants pour m'en occuper. J'en sens tout le besoin. »


Toutes ces tentatives restèrent vaines jusqu'à i8/|8. A cette date, la congrégation du Saint-Esprit, réorganisée sur de nouvelles bases, fusionnée avec les missionnaires du Saint Cœur de Marie, du P. Libermann, devenue vraiment une société de missionnaires actifs et entreprenants, a pris effectivement possession de son domaine évangélique. Saint-Louis et Gorée sont pourvus de curés et de vicaires. La Congrégation des religieuses de Cluny s'est renforcée celle de l'Immaculée Conception arrive. L'occupation religieuse de Dakar est chose faite, précédant l'occupation politique et administrative. Les premières missions de l'intérieur sont à l'étude. Aussi les succès de l'évangélisation des Noirs, minimes à SaintLouis, à cause de l'attachement des Musulmans à leur foi, sont-ils sensibles à Gorée, à Dakar, à Rufisque, sur la Petite Côte, à Dakar, en un mot dans tous les pays fétichistes.

A la même date, la Révolution de 1848 émancipe tous les esclaves, régénère la société noire, et l'amène à la vie politique. L'instruction se répand. On constate, une génération plus tard, un relèvement incontestable de niveau social et intellectuel, et peut-être du niveau moral. Les progrès de l'état civil étaient moindres. Un siècle a passé depuis les tentatives du Gouvernement de la Restauration des textes nouveaux et précis ont été élaborés ils restent lettre morte, et le Gouverneur du Sénégal en l'an de grâce 1 92 pourrait encore signer, à peu de chose près, la lettre de son prédécesseur le baron Roger. Paul MARTY.


LE PROJET FRANÇAIS

DE

COMMERCE AVEC L'INDE PAR SUEZ SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XVI

SOURCES. Archives des Affaires Elrangères (correspondance de Turquie cartons commerciaux, Le Caire et Alexandrie rapports au Roi mémoires et documents, Turquie, France, Commerce, Indes orientales). Archives Nationales (Archives anciennes de la Marines. liasses 137, 44o, 44g et 46o). Archives historiques du Ministère de la Guerre (recueil de deux volumes intitulés Mémoires sur l'Egypte et les Indes, rassemblés en 1798 pour être mis sous les yeux de Bonaparte). Archives historiques de la Chambre de commerce de Marseille. Nos ouvrages sur Les origines de l'expédition d'Egypte et l'Anglelerre, l'isthme de Suez et l'Egypte au XVIII' siècle. Paul Masson, llisloire du commerce français dans le Levant au XVIH° siècle. L. Pingaud, Choiseul-Gouffier, la France en orient 1 sous Louis XVI. G. Douin, Les prodromes d'Aboukir, la flotte de Bonaparte sur la côle d'Egyple.

Depuis que, sous Louis XIV, Colbert et son successeur Seignelay avaient tenté, par trois fois, d'obtenir de la Turquie l'ouverture de la mer Rouge et du port de Suez au pavillon français, aucun effort n'avait plus été fait par la cour de Versailles pour assurer à la France le bénéfice d'une communication commerciale avec l'Inde par cette voie. Le projet en paraissait oublié par notre diplomatie, qui, en tout cas, l'avait abandonné.

Il ne l'était pas autant des négociants et des naviga-


teurs. De loin en loin, quelque personne parlant en leur nom rappelait au ministre de la Marine ou à celui des Affaires Etrangères qu'il n'y avait pas que la route du Cap de Bonne-Espérance pour correspondre avec l'Inde, l'entretenait des révolutions subies au cours des âges par le commerce de l'Europe avec cette contrée et s'étendait sur les établissements et les opérations des Vénitiens, des Hollandais, des Anglais. Ainsi l'auteur anonyme d'un mémoire sans date, composé dans la seconde moitié du xviii0 siècle, qui décrivait les routes dont les Vénitiens s'étaient servis pour faire venir en Europe les produits de l'Inde, route de la mer Rouge, route de la Cas. pienne et de la mer Noire, et qui, arrivant à la découverte du Cap de Bonne-Espérance, disait

« Alors les Portugais fournirent les épiceries à toute l'Europe, excepté le peu que les Génois et les Marseillais en allaient chercher au port d'Alexandrie, et l'on remarqua que celles qui venaient par le Cap de Bonne Espérance perdaient beaucoup de leurs qualités et qu'elles n'étaient ni si entières, ni si parfaites que celles qui n'avaient fait que le trajet des Indes à la Méditerranée par la Mer Rouge. »

Ces réminiscences n'auraient nullement suffi à rappeler sur la voie de la mer Rouge l'attention des ministres du Roi de France et de leurs bureaux, si d'importants événements politiques n'avaient successivement concouru à ce résultat d'abord l'abandon de l'Inde à l'Angleterre, sanctionné en 1763 par le désastreux traité de Paris ensuite, la décadence de l'empire ottoman et la crainte de son effondrement puis, l'affaiblissement de la domination turque en Egypte et les progrès du pouvoir des Beys mameluks, qui gouvernaient ce pays enfin la recrudescence de rivalité anglo-française qu'attisa l'insurrection des colonies d'Amérique, qui


.aboutit à la guerre de l'Indépendance Américaine et qui survécut à la paix de Versailles.

La perte de l'Inde, moins cinq comptoirs, vestiges d'un empire, devait inciter les Français à chercher le moyen d'y concurrencer ou même d'y menacer les Anglais, quand se réveillerait l'antagonisme entre les deux nations. Les défaites infligées aux Turcs, à partir de 1768, par la Russie et l'Autriche, la nécessité où ils furent de conclure à Kainardji, en 1774, une paix onéreuse et humiliante, les cessions territoriales dont ils durent l'acheter posèrent la question du partage de l'empire ottoman, qui en posa à son tour une autre la France devrait-elle prélever sa part des dépouilles ? Les usurpations des Beys mameluks sur la souveraineté turque firent voir dans l'Egypte un pays déjà plus qu'à moitié détaché de la Turquie et à li veille de s'en séparer complètement, une proie qui pouvait tenter quelque puissance rivale de la France et qu'il importait de ne pas laisser tomber dans le lot des Russes, des Autrichiens ni des Anglais, d'autant plus que la valeur en était grande et que les intérêts commerciaux français y étaient prépondérants. L'émancipation des États-Unis fit redouter aux Français le même sort pour leurs colonies d'Amérique et contribua ainsi à diriger leurs pensées vers l'Égypte, colonie idéale et de tout repos, tandis que la revanche prise sur l'Angleterre au cours de la guerre navale leur rendit confiance en euxmêmes et les encouragea à lui disputer le monopole du commerce de l'Inde.

Ces circonstances, séparément ou ensemble, exercèrent sur l'esprit des Français une influence dont bénéficièrent la question d'Égypte et, subsidiairement, l'ancienne question du passage par Suez et la Mer Rouge. L'idée de recaurir à cette route délaissée apparut, à partir de 1773,


plus fréquemment qu'auparavant, dans des mémoires adressés aux ministres qui avaient qualité pour la réaliser, tantôt par des personnes dont la notoriété, probablement faible de leur temps, n'a pas traversé l'Histoire, tantôt par des conseillers attitrés, agents officiels, personnages haut placés et de crédit. Elle constitue beaucoup plus souvent l'accessoire que le principal des mémoires qui l'énoncent ou la développent elle est, la plupart du temps, fonction d'une autre suggestion, qui est généralement celle de conquérir l'Egypte, l'avantage de commercer et de correspondre avec l'Inde par Suez n'intervenant que comme une conséquence de cette conquête et un argument en sa faveur. Mais, toujours présentée en bonne place et avec le relief qu'elle mérite, elle acquiert de l'actualité et gagne du terrain en se manifestant, même à l'occasion de plus vastes plans.

Il n'est point encore question de conqqérir l'Egypte quand, en 1773, M. de Grimoard saisit le ministre des Affaires étrangères de suggestions « sur les projets que la France et la Hollande peuvent former relativement à l'Asie et sur les motifs qui doivent engager ces deux puissances à s'unir pour y opérer une révolution. » Examinant tous les moyens que la France et la Hollande alliées auraient de nuire à la puissance anglaise aux Indes et esquissant un programme d'hostilités concertées, l'auteur écrit

Il est également nécessaire dans tous les cas de multiplier les communications avec l'Europe. C'est pourquoi, outre la voie ordinaire par mer, par les îles de France et de Bourbon et le Cap de Bonne Espérance, et la route de terre par Bagdad, où le Roi entretient un consul, il faudra en faire reconnaître une troisième par le détroit de Bab-el-Mandeb, la mer Rouge, Suez et le Caire, où il y a aussi un consul français. Mais, comme cet


objet tient particulièrement à la navigation de la mer Rouge, le général de terre et celui de mer examineront entre eux la convenance d'avoir un agent de confiance vers Je détroit de Bab-el-Mandeb, à Moka par exemple, lieu de relâche des bâtiments qui font la traite du café. »

Ici, la route de Suez et de la mer Rouge n'est donc considérée qu'en tant qu'elle pourrait être utilisée par la France et la Hollande pour les opérations militaires imaginées par Grimoard contre l'Angleterre. Elle l'est pour elle-même et en elle-même, comme objet principal d'une négociation à ouvrir avec le gouvernement ottoman, dans le mémoire que Louis de Laugier adresse de Madrid, le 7 décembre 1774, au ministre, dont sans doute il relevait. L'auteur est en quête d'un moyen pour mettre la Compagnie française des Indes en mesure de disputer aux Anglais le commerce de cette région et de lutter avantageusement avec eux en cas de guerre. <•̃ S'il y avait, dit-il, une nouvelle route par laquelle, dans le tiers du temps qu'on met à l'ancienne, nous puissions transporter dans l'Inde, avec moins de risques, nos troupes, notre artillerie et nos munitions, et y faire avec plus d'aisance notre commerce d'entrée et de sortie, il est tout simple que nous devrions la préférer » Cette route n'est autre que celle de Suez, par laquelle Laugier, qui est Marseillais, rêve « d'associer Marseille, sa patrie, au port de Lorient, pour faire avec plus d'aisance, de sûreté et de bénéfice le commerce des Grandes Indes. » II en décrit les étapes par l'océan Indien, Bab el Mandeb, la mer Rouge, Suez, Le Caire, Alexandrie et la Méditerranée. « Cette route de Pondichéry à Marseille est, écrit-il, à peu près de 1800 lieues, au lieu que de Pondichéry à Lorient il y en a presque quatre fois autant. On peut tout au plus calculer le temps de la nouvelle route au tiers de celui-


que demande l'ancienne ». Pour engager ses compatriotes à s'en servir, il rappelle les exemples de l'antiquité et conseille de faire escale dans les ports de la mer Rouge, où le pavillon français ne se montrait alors presque jamais. Que la France obtienne de la Porte ottomane l'autorisation d'établir des comptoirs de la Compagnie des Indes à Suez, Alexandrie et le Caire, c'est ce dont, avec beaucoup d'assurance, il ne doute même pas. Dès lors, de quel avantage militaire la France ne jouira-t-elle pas 1 « Sous le consentement de la même Porte, la Compagnie n'aurait-elle pas la commodité de faire passer en Asie toutes les troupes, l'artillerie et les munitions qu'elle voudrait? n Transportées par cette voie, les troupes arriveraient à Pondichéry « en meilleur état que ne le serait un régiment que l'on ferait passer de Strasbourg à Marseille. » Ainsi serait assurée à l'activité commerciale et aux armes de la France, à peu de frais et à coup sûr, une décisive supériorité sur celles des Anglais dans l'Inde. Mais le Grand-Seigneur, c'est-à-dire le sultan de Turquie, permettrait-il l'établissement d'installations de la Compagnie française des Indes à Suez, au Caire, à Alexandrie, et surtout le transport de matériel de guerre entre des villes qui lui appartenaient? Laugier se prononce hardiment pour l'affirmative. Il va jusqu'à penser que la Sublime Porte, dans l'espoir de ramener l'Egypte à une sujétion plus étroite, autoriserait l'établissement au Caire « d'une bonne citadelle pour 8 à io.ooo Français », d'une forteresse moyenne à Alexandrie et de magasins et casernes bien retranchées à Suez, avec quelque artillerie. C'était là faire beaucoup de fond sur la complaisance des Turcs. Avec non moins de confiance, Laugier réfute diverses autres objections la Compagnie obtiendra la franchise des droits de transit pour ses envois les béné-


fices de son commerce lui rembourseront les frais, très élevés, des coûteux établissements qu'elle aura dû faire à Suez, à Alexandrie et au Caire, ainsi que les charges dont ses marchandises seront grevées les vingt lieues qui séparent le Caire de Suez seront facilement transitables aux marchandises (ce qui était exact) et aux troupes (ce qui l'était moins, à défaut d'une organisation préalable). Ayant ainsi fait justice sommaire de quelques objections, Laugier propose le rétablissement de l'ancien canal des deux mers

« Un objet plus important appelle toute mon attention c'est le canal de communication entre la Méditerranée et la mer Rouge. Ce canal si important pour l'Egypte, si essentiel à notre commerce direct aux Indes Orientales, qui, en peu d'années, nous mettrait en état d'y faire la loi aux nations concurrentes, ce canal n'est pas une chimère. »

Laugier en retrace à grands traits l'histoire dans le passé, puis attribue à Ali Bey, dont le règne au Caire venait de prendre fin, l'intention de le rétablir « On assure qu'Ali Bey y pensait aussi il y a deux ans. S'il fût resté tranquille possesseur de l'Egypte, il aurait enfin exécuté ce canal. » Quoiqu'il en fût de cette assertion, et elle était gratuite, la France devrait et pourrait mener à bien l'entreprise

« Les hommes et l'argent abondent en Egypte. En faisant comprendre au Divan les avantages immenses qui en reviendraient à l'Empire, en lui offrant les hydrauliques et architectes dont il manque, on parviendrait sans doute à faire à ses dépens, ou au pis aller aux nôtres, ce grand ouvrage dont les avantages seraient presque exclusifs pour notre commerce de l'Inde. Car enfin le grand éloignement des puissances du Nord ne leur permettrait pas de profiter de cette route. »

Ainsi une chose de plus que l'on devra persuader au


Gouvernement turc creuser le canal de Suez, et encore à ses propres frais, de préférence. Mais les études préparatoires ne devront pas attendre l'assentiment ottoman à l'exécution du travail. Laugier voudrait que le Gouvernement français envoyât à Alexandrie deux ingénieurs, deux capitaines marchands avec douze robustes matelots, auxquels s'adjoindraient sur place deux commis français et un interprète. Les deux ingénieurs, seuls instruits du projet, entreprendraient un voyage d'études, se donnant pour « deux académiciens célèbres allant interroger la nature dans ces climats». Ils prendraient le costume des Grecs. Leur exploration s'étendrait aux côtes de la mer Rouge, au port de Suez, aux terres qui le séparent de Coptos, sur le Nil, au Caire et à Alexandrie. Leurs obser- vations seraient consignées dans un journal qu'ils tiendraient. Comme c'est d'une entente avec la Turquie que Laugier attend la réalisation de tous ces beaux pro-jets, il conseille de lui prêter, en cas de nouvelle guerre, très probable entre elle et la Russie, toute l'assistance possible. Il y aura lieu d'entreprendre chez elle, dans toute l'administration civile et militaire, l'oeuvre de réformes accomplie, pour l'artillerie et les fortifications, par le célèbre Baron de Tott

« Cette confiance intime entre notre cour et celle de Constantinople, conclut Laugier, serait très favorable à notre commerce du Levant et, en particulier, à celui des Indes Orientales. Nous serions les maîtres en Egypte et, tranquilles possesseurs de la communication des deux mers, nous serions bientôt en état d'humilier les Anglais en Asie et de leur faire la loi, ainsi qu'aux autres puissances qui y commercent. »

Quelques mois après que ce mémoire eut été écrit, il arriva que les Anglais conclurent avec le Bey commandant du Caire, Mohammed-Abou-Dahab, un traité pour


l'exploitation du commerce de l'Inde par Suez. L'affaire avait été amorcée, dès 1773, par un voyageur anglais, James Bruce, qui avait obtenu du Bey une promesse verbale et en avait informé des capitaines marchands de ses amis, en même temps que les autorités britanniques dans l'Inde. A cette nouvelle, le gouverneur-général du Bengale, le célèbre Warren Hastings, avait expédié à Suez un navire chargé de marchandises et donné au subrécargue de l'expédition, John Shaw, l'instruction de traiter avec le Bey. Le 7 mars 1775 intervint en effet une convention en bonne et due forme entre John Shaw et Mohammed-Abou-Dahab. Bientôt connue des consuls français au Caire et à Alexandrie, cette convention, dont ils informèrent leur cour en lui en envoyant le texte, devint pour les Français une raison de plus de s'intéresser à une route commerciale que leurs rivaux avaient réussi à s'ouvrir.. Et à cette raison s'ajoutèrent, au cours des années suivantes, l'usage même que les Anglais firent de la mer Rouge et du port de Suez, les persévérants efforts d'un de leurs marchands, George Baldwin, pour mettre en application le traité signé par John Shaw, l'écho des démêlés qui s'ensuivirent entre lui et la Compagnie Anglaise des Indes, entre l'ambassade d'Angleterre à Constantinople et la Porte, enfin les opérations auxquelles se livrèrent, par cette voie, des négociants autres qu'anglais, notamment des sujets autrichiens.

On ne tarde point à relever en France la trace des inquiétudes suscitées par toute cette activité étrangère. La correspondance du consul général au Caire, Mure, en entretient la cour de Versailles, non sans en tirer d'alarmantes conséquences sur de ténébreux projets de conquête, qu'il attribue à l'Angleterre. Les lettres du consul à Alexandrie, de Trouy, en font autant. D'autres, moins


obsédés par la perfide Albion, risquent les mêmes suppositions à propos des intentions d'autres puissances. Un mémoire sans date, mais ultérieur à 1775, expose au ministre des « vues générales sur les maximes politiques que la France pourrait admettre relativement à son commerce extérieur et maritime ». Des « considérations sur l'Egypte » sont contenues dans ce mémoire. Elles en viennent à l'hypothèse où l'Autriche, de connivence avec le Bey du Caire, mettrait la main, sinon sur l'Egypte même, au moins sur le trafic de la mer Rouge

« L'Europe, dit l'auteur anonyme, a été au moment de perdre son commerce dans l'Inde ou de lui voir reprendre son ancienne route. Le traité de 1773 (sic) entre les Anglais libres et le fameux Ali Bey aurait produit cette révolution, si les intrigues de la concurrence exclusive n'y eussent point mis obstacle. Mais que la fortune élève encore un autre Pacha assez hardi dans ses projets pour chercher à rendre sa dignité héréditaire, et assez éclairé sur ses intérêts pour connaître et apprécier les ressources de l'Egypte et les avantages de sa situation, alors il ne serait pas étonnant que le même dessein fût repris et le même traité conclu avec une puissance plus à portée de le faire valoir avec succès. La faiblesse et l'épuisement de la Porte Ottomane, son manque de troupes disciplinées et d'habiles généraux, la constitution politique de l'Egypte, l'ambition de la Russie, la situation actuelle de la cour de Vienne, les vues dont elle parait le plus occupée, tout m'engage à croire que ce projet peut encore flatter les espérances et l'audace d'un Pacha entreprenant. Si jamais de nouvelles circonstances deviennent favorables, peut-être ses propositions seraient-elles écoutées à Vienne, s'il livrait les portes de l'Asie, qui sont en son pouvoir, et qu'il accordât aux Autrichiens la navigation exclusive de la mer Rouge. Du moins Trieste ne peut devenir un port d'une certaine importance qu'autant qu'on lui procurerait un moyen aussi actif de richesses. En supposant quelque solidité à ces


vues, la France aura toujours entre ses mains des moyens d'en prévenir l'exécution et même de s'en approprier les avantages, sans manquer à ses anciennes liaisons avec la Porte Ottomane. » °

L'hypothèse examinée ici n'est pas le fait du seul auteur de ce mémoire sans signature ni date. En 1780, le marquis Descorches de Sainte-Croix, qui devait, treize ans plus tard, représenter la Convention à Constantinople sous le nom de Citoyen Marie Descorches, soumettait aux ministres de Louis XVI des « réflexions succinctes sur l'empire ottoman, sur sa faiblesse, sur les avantages que la Russie et la France trouveraient à former entre elles, par les mers turques, un commerce réciproque et à obtenir de la Porte des facilités à ce sujet, à condition que ces deux puissances lui garantiraient l'intégrité de ses possessions en Egypte. » Descorches, à son retour d'un voyage qu'il avait fait à Constantinople sous l'Ambassade du comte de Saint-Priest, s'effrayait de la puissance que de nouvelles acquisitions dans la basse vallée du Danube conféreraient à la maison d'Autriche

« L'ambition de la maison d'Autriche, exaltée par les succès, ferait bientôt revivre, dit-il, d'anciennes prétentions sur l'Italie et peut-être lui serait-il facile alors de former un établissement puissant en Egypte et d'y ramener au moins en grande partie le commerce des Indes Orientales. Cette source de richesses viendrait mettre le comble à l'état florissant où ce nouvel empire se trouverait porté en très peu de temps. Il faut convenir que jamais la liberté de l'Europe n'a été menacée par la puissance de Charles-Quint comme elle le serait alors. » En même temps que sur l'utilisation commerciale de la voie de Suez, l'attention était attirée sur son utilisation politique, par les efforts que les Anglais faisaient pour y faire passer leurs dépêches, à défaut de marchandises dont


le passage avait rencontré de gros obstacles. En 1780 furent traduites de l'anglais, pour le ministre compétent, des « Observations sur la possibilité et l'utilité d'établir une correspondance par terre avec l'Inde par la voie de Suez. » Ces observations, émanant d'un Anglais qui avait étudié le sujet au Caire avec George Baldwin, énuméraient toutes les difficultés qui se présentaient dans l'envoi d'un paquet de lettres du Bengale à Londres par la mer Rouge et l'Egypte, difficultés naturelles et difficultés du fait des Turcs. Celle sur laquelle il était le plus insisté était la suivante

« Le gouverneur de Suez a ordre de ne permettre à aucun étranger qui arrive dans cette ville d'entrer par cette place en Egypte avant que lui-même ait donné avis de l'arrivée au gouverneur du Caire. En conséquence, une personne de l'équipage d'un bâtiment qui est chargé de transporter la malle à Alexandrie est obligée de passer six jours à Suez et quelquefois davantage avant de pouvoir se mettre en route. »

L'auteur suggérait de faire passer les dépêches par un habitant de Suez à un agent établi au Caire, d'où elles gagneraient Alexandrie. L'envoi des courriers de Londres aux Indes était ensuite étudié avec la même minutie. Le fait que ces observations aient été traduites à Versailles, dans les bureaux du ministère, prouve que le sujet en avait paru digne d'attention.

Il n'était pas jusqu'à la recherche d'autres voies de communication avec l'Inde, par le Golfe Persique par exemple, qui ne ramenât la pensée vers celle de la mer Rouge. Un mémoire de 1781 sur « le Consulat Général de France à Bagdad », qui suggère une ligue de la France et de la Perse pour démembrer l'empire ottoman et nous procurer la possession de la Syrie et de la Palestine, ouvre


aussi d'alléchantes perspectives du côté de la vallée du Nil et des rivages avoisinants

« Pour le présent, dit l'auteur, je ne voudrais pas que l'on touchât à l'Egypte, sauf à faciliter au Pacha les moyens de se rendre indépendant dans la Basse-Egypte, comme le Cheikh Aman l'est dans la Haute. De si grands démembrements porteraient les Turcs à faire les plus grands ettorts pour en arrêter l'exécution. Mais il est probable que le temps et les circonstances nous fourniraient l'occasion de nous en rendre les maîtres, du moius de nous étendre aux dépens de cette riche contrée. Alors, si nous ne pouvons obtenir Suez, nous pourrons nous faire céder Tor c'est un bon port, avec un château. Par là, nous aurions deux débouchés pour faire le commerce de l'Inde, l'un direct par la mer Rouge (il faudrait bien se garder de laisser apercevoir nos vues sur cette place), l'autre débouché d'Alexandrette et Tripoli à l'Euphrate, dont on pourra facilement assurer les transports contre les rapines des Arabes, quand nous serons les maîtres du pays. »

Quand l'imagination était en train de démolir un empire, d'en' annexer de vastes lambeaux et de mettre la France au contact de la Mésopotamie, il eût évidemment été pénible de l'arrêter en si beau chemin et de lui interdire une petite course dans l'isthme de Suez et la presqu'île du Sinaï.

Le sujet devenait-il à la mode On serait tenté de le croire, en lisant la lettre suivante, qu'un certain baron de Waldner adressait au comte de Vergennes, ministre des Affaires Etrangères, le 15 novembre 1782

« Le désir que j'ai depuis longtemps, Monsieur le Comte, d'être employé utilement, m'a fait faire des combinaisons sur le commerce de l'Inde et sur les intérêts politiques des nations qui doivent le faire par leur position. J'ai trouvé très possible de lui lier celui de la mer Rouge et de la Méditerranée et que,


dans la situation des faibles puissances de la Méditerranée, du sensible agrandissement de celles de la Russie, il serait de l'intérêt de la France, de la Hollande et de Venise de faire un traité de commerce perpétuel et d'acquérir, sous la garantie ottomane. le droit d'établir enfin ce canal de communication de Gaza à Suez, sur lequel on a tant rêvé, en donnant le port de Moka à la Cie des Indes Hollandaises. Ce plan ne pourrait que devenir agréable à la Perse, et par la facilité dont est son exécution militaire. »

Le baron de Waldner se trompait étrangement en pensant que « faire des combinaisons » de cette nature fût un bon moyen de se faire employer par Vergennes. Mais le galimatias de sa lettre d'envoi fait déjà prévoir que son mémoire confirmera la règle, d'après laquelle la question du commerce de l'Inde avait le don de débrider les imaginations. Car à sa lettre était annexé un volumineux mémoire en huit cahiers. Le titre général du mémoire, qui suffit à en indiquer la complexité, est ainsi libellé « Projet sur un traité d'union et de garantie territoriale en Asie et en Afrique, entre la France et la .République de Hollande, et traité de commerce avec la République de Venise pour la mer Méditerranée, compromis avec la Porte Ottomane, partage au besoin des terres ottomanes tant en Europe, en Asie qu'en Afrique. »

Les huit cahiers dont se composait cette élucubration s'intitulaient

« Plan sur le commerce de l'Inde et de l'Arabie plan pour la construction du canal de Sirbonide à Suez conquête de l'Arabie et opérations du corps de troupes avancé considérations pour la Porte Ottomane considérations pour la République de Hollande; considérations pour la France considérations vis-à-vis des puissances maritimes et sur la paix qui vient de se faire histoire naturelle de l'Arabie et de l'Yemen et commerce de ces deux pays. »


La France et Venise étaient, d'après Waldner, les seules puissances auxquelles leur position permit de prétendre au commerce de l'Asie occidentale, du Golfe Persique, de la mer Rouge, du Levant. A elles seules il appartenait d'apporter en Europe, par la Méditerranée, les produits de ces régions. La voie propre à la Russie consistait dans la mer Caspienne. Quant l'Angleterre, l'auteur l'envoyait cavalièrement chercher matière à s'occuper en Chine, au Japon, « au Mogol » D'autre part, nulle puissance ne possédait en Asie de plus grands établissements que ceux de la Compagnie hollandaise des Indes. De là découlait la raison d'être d'un traité de commerce, qui unirait la France et Venise pour le trafic de la Méditerranée, et d'un traité d'alliance et de garantie entre la France et la Hollande, pour leurs possessions respectives des Indes et d'Amérique.

Pourquoi le traité franco-vénitien était dénommé « de commerce », c'est ce qu'on ne s'explique guère, quand on constate que Waldner associait Venise à des opérations militaires qui eussent été entreprises à trois. Une expédition à frais communs aurait, en effet, été montée pour s'emparer de la côte occidentale de la mer Rouge, « dans les souverainetés d'Abyssinie et de Nubie », et occuper des positions sur la côte orientale de la même mer, contre le gré ou mieux du gré de la Porte. Une flotte francovénitienne, portant un corps mixte de débarquement, serait envoyée à Moka, prendrait possession de toute la côte arabique de la mer Rouge jusqu'à Suez, étendrait progressivement son action jusqu'à l'Yemen, au Hedjaz, aux bords du Golfe Persique par Aden et Mascate, pendant qu'un autre corps, « resté dans l'isthme de Suez, aurait fait construire dans le cours de deux années, le canal de Suez à Sirbonide par les moyens qu'on proposera ci-


après ». Moka serait exclusivement à la France Djeddah, exclusivement à Venise tout le reste, y compris le canal et les deux forteresses qui en garderaient les deux entrées, en commun aux puissances alliées.

Il faudrait donc « à frais communs ouvrir l'isthme de Suez par un canal ». Et il faudrait aussi amener le Gouvernement turc à s'associer à ce travail. C'était son intérêt, du point de vue financier et commercial, même du point de vue politique, car les parties de son empire s'en trouveraient comme rapprochées

« II trouvera de l'avantage à accorder la liberté de percer l'isthme de Suez, d'établir un port avec deux forteresses, à l'entrée du canal par la Méditerranée, dont l'une serait française et l'autre vénitienne, avec des droits de douane fixés à son profit. » »

Les Turcs, observait Waldner non sans raison, y trouveraient aussi une commodité pour le pélerinage annuel de La Mecque. Quant au Gouvernement particulier de l'Egypte, c'est-à-dire aux Beys mameluks, on ferait tout le possible pour les ménager. Pour la question de la main-d'œuvre, l'ingénieux baron avait, comme pour beaucoup d'autres, une solution élégante « ce serait, ditil, d'y employer les vagabonds ou peuples errants en grand nombre », ce qui doit, pensons-nous, s'entendre des Bédouins nomades. N'étaient-ils pas tous aptes au travail de la terre ? Le nombre des ouvriers requis serait de 10.000, relevés par 2.5oo de quatre en quatre jours. De la sorte eussent été résolus du même coup deux intéressants problèmes celui de la communication des deux mers et celui de la turbulente désoccupation des nomades, qui occupaient généralement leurs loisirs à piller. Venait ensuite la question du tracé de la nouvelle voie maritime.


« 11 serait peut-être plus convenable, disait Waldner, de percer l'entrée du canal au point du lac de Sirbonide qu'auprès de la ville de Péluse. Le golfe de Gaza est une retraite naturelle pour les vaisseaux et le lac de Sirbonide est une anse naturelle qui ferait facilement un port où les bâtiments seraient à couvert des vents du Sud et de l'Ouest. Les deux pointes de terre qui le ferment assurent son entrée contre toute insulte deux forts le fermeraient entièrement par leurs feux croisés et un torrent qui s'y verse, qui vient de l'Idumée, doit la rafraîchir d'eaux courantes et servir à son nettoiement, auquel on pourrait encore joindre des eaux de la mer Morte. »

Le tracé Sirbonide-Suez ne représentait que dix lieues de plus que le tracé Péluse-Suez. Du point choisi par lui comme embouchure du futur canal sur la Méditerranée, Waldner conseillait de tirer jusqu'à Suez une ligne droite. Partisan du canal direct, d'une mer à l'autre, il se prononçait nettement contre le canal dérivé du Nil. Il rejetait absolument la communication par le bras de Damiette, « aucune partie de ce fleuve n'étant faite, disait-il, pour la navigation avec des bâtiments un peu grands, par rapport à ses débordements et à la quantité d'écluses et de petits canaux qu'il y a pour l'arrosement des terres, n Ainsi, point de canal dérivé, mais un canal direct, de Sirbonide à Suez, sur un trajet de 28 lieues, dont huit seraient en partie fournies par l'ancien canal des Pharaons. Un danger physique pouvait-il résulter de la communication établie entre la Méditerranée et la mer Rouge ? A juste titre Waldner, qui connaissait cette objection, la traitait de « fantôme de l'ignorance ». Faisant allusion aux conclusions alarmantes qu'on en avait parfois tirées, « ces craintes, disait-il, ne viennent que du prestige de l'ineptie ». Et il en faisait justice par l'argumentation suivante


« La chute des eaux du point de Suez à la Méditerranée est naturelle et le canal ne serait qu'un parallèle au fleuve du Nil. Ce serait donc la pression de la mer Rouge sur la Méditerranée qu'il faudrait craindre, si on voulait redouter l'influence des vastes eaux. Mais l'on sait que, depuis des siècles, la mer Rouge se retire vers la mer des Indes, qu'elle y verse ses eaux par un courant très fort au passage du détroit de Bab-elMandcb. »

Par mesure de précaution, que l'avenir a depuis démontrée superflue, Waldner prévoyait toutefois l'emploi d'écluses dans la construction de son canal.

Continuant à réfuter des objections possibles, il s'avisait qu'on en pouvait tirer une de la façon dont il avait résolu la question de la main-d'œuvre. Mais il justifiait sa solution. C'était le gouvernement ottoman qui n'avait jamais su fixer les nomades nul doute qu'ils acceptassent volontiers des propositions de travail stable. D'ailleurs, en supposant que les futurs ouvriers eussent répondu à son appel, notre baron eût fait en sorte qu'ils ne pussent se dédire

« Il faudrait, disait-il, tenir ces familles dans des bâtiments négriers sur la mer Rouge ou sur des bâtiments de transport, en construisant pour eux seuls une maladrerie sur les bords de Suez, près les Fontaines. »

Sur les lieux des travaux, on casernerait les ouvriers dans des baraques, barricadées le soir pour la sûreté. On les nourrirait et les vêtirait. Ces dispositions, qui peuvent paraître dérogatoires à ce qu'on appellerait aujourd'hui la liberté du travail, ne diffèrent pas essentiellement des conditions de la corvée, qui se pratiquait alors en France, qui fut en vigueur en Egypte jusqu'à 1890 environ, et grâce à laquelle l'actuel canal de Suez put effectivement être exécuté.


Le temps nécessaire à la construction d'un canal de 7o toises de large et 5 de profondeur, par dix mille ouvriers, eût été, selon Waldner, de un an et cinq mois. L'ouvrage achevé, « l'on ne doute pas, disait-il, qu'il ne s'élève une ville considérable et très commerçante au port de Sirbonide. » A l'emplacement près, cette dernière prophétie a été réalisée par l'événement et s'est vérifiée dans la naissance et l'essor de Port-Saïd.

Creusé sur l'initiative, par les soins et aux frais des gouvernements alliés, au bénéfice principal et même exclusif de leurs sujets, le canal rêvé par Waldner eût naturellement été occupé militairement et fortifié. Quatre mille hommes tiendraient donc garnison dans les deux forteresses de l'entrée méditerranéenne et détacheraient l'ellectif voulu pour tenir un fort placé à l'extrême pointe du lac de Sirbonide, ainsi que les postes à installer le long du canal. Peut-être conviendrait-il en outre d'avoir un fprt à Suez, avec une petite garnison.

Telles étaient les grandes lignes du projet de percement de l'isthme de Suez, imaginé par Waldner, comme objectif essentiel d'un plan diplomatique et militaire, aussi vaste que confus et chimérique. Dix mille cinq cents soldats français et six mille vénitiens prendraient part aux opérations compliquées qui feraient tomber entre les mains des confédérés toute l'Arabie. L'assentiment de la Porte à sa propre dépossession semble bien être escompté par l'auteur, qui ne doutait de rien

« Les raisons les plus fortes doivent, dit-il, guider cette cour à se liguer avec la France et Venise pour l'exécution du plan donné sur la conquête de l'Arabie et l'établissement d'un commerce ouvert à l'Inde par la mer Rouge, par le moyen d'un canal à construire par l'isthme de Suez. »

Que si l'on ne voulait pas agir ostensiblement dans la


mer Uougc, on pourrait se borncr à demander seulement le privilège d'en fréquenter les ports et la permission d'y élever des fortifications, ainsi qu'aux entrées du canal. Mais ce pis-aller ne procurerait pas à beaucoup près autant d'avantages que la conquête de l'Arabie, à laquelle Waldner trouvait sans doute des charmes. Il en jugeait la conquête peu coûteuse

« La conquête de l'Arabie, de l'Yernen, de l'Oman par les moyens proposés coûterait, disait-il, centuple moins que les possessions françaises de l'Inde et au dixduple ce qu'a coûté la Corse. n

Elle conduirait naturellement à celle de l'Egypte, quand la politique l'exigerait. La politique paraîtrait-elle l'exiger sans plus tarder qu'à cela ne tienne quelques retouches et rallonges au plan initial, et le tour était joué « Si l'avantage du commerce, la gloire du gouvernement français ou les circonstances forcées par les vues de l'Empereur d'Allemagne, combinées avec la Russie, pouvaient faire désirer à la France la conquête de l'Egypte, il ne serait pas moins opportun de commencer par celle de l'Arabie et d'établir le Canal de Suez. Mais dans ce cas il faudrait en soustraire Venise et traiter avec la Porte seule donner en son temps à Venise l'Asie Mineure, c'est-à-dire la Turquie asiatique. Le partage des possessions turques ne pourrait se faire que sous cette condition. Dans ce cas, la ligne séparative entre les possessions françaises et vénitiennes serait à une journée au-dessus de Gaza et à une journée au-dessus de Bassora. »

Au lieu d'un démembrement partiel, qui eût d'ailleurs enlevé aux Turcs le seul territoire où ils fussent réellement chez eux, l'Asie Mineure, préférerait-on un partage total La France prendrait pour elle l'Arabie, le Yémen, le Hedjaz, « l'Idumée » et l'Egypte, plus quelques îles de l'Archipel, avec la faculté de creuser le canal de Suez


Venise aurait toute l'Asie Mineure, afin de créer un état tampon entre le lot de la Russie, qui prendrait les Dardanelles, et celui de la France le reste de la Turquie d'Europe serait à l'Empereur.

Le percement de l'isthme de Suez, solution idéale du problème de la communication avec l'Inde, est ici le pivot et la fin dc combinaisons politiques et territoriales, dont la hardiesse et surtout la fantaisie passent .toutes hornes. C'est ce qui distingue le mémoire de Waldner d'autres productions similaires, où la communication avec l'Inde est plutôt la résultante d'agrandissements coloniaux, proposés pour de multiples raisons. Tel est notamment le cas d'un mémoire anonyme de 1783 sur c les apparences de guerre entre la Russie et la Porte Ottomane. » L'auteur, qui préconise la conquête de l'Egypte, comme un dédommagement aux pertes que la chute de l'Empire ottoman causerait au commerce français, ne manque pas de vanter l'intérêt que la France trouverait à rouvrir l'ancienne route entre l'Europe et l'Inde. Il montre dans la jonction des deux mers un moyen d'assurer la défense de l'Egypte sur sa frontière orientale « Le seul point que l'on doive protéger contre les attaques est, dit-il, la ligne entre la Méditerranée et la mer Rouge elle est étendue puisqu'elle a près de vingt lieues. On trouve dans cet espace le lac Schaïb et des rivières dont on peut tirer parti. On creuserait bientôt l'ancien canal qui va de Suez à ce lac. L'un et l'autre serviraient à la défense du pays. Quand on examine la carte, on voit qu'en les joignant à des rivières voisines, ils formeraient la communication de la mer Rouge à la Méditerranée. Au reste, aucune puissance n'est à portée de nous inquiéter par cette ouverture de Suez à la Méditerranée. » Même sans canal, la brièveté du trajet d'une mer à l'autre par l'Egypte permettra au commerce de réaliser


une économie de temps considérable. L'auteur calcule à dix jours en hiver, à quatre en été, pendant la crue du Nil, la durée du trajet par eau d'Alexandrie au Caire à trois jours, celle du trajet par caravane du Caire à Suez à deux mois au plus, la traversée de Suez au Bengale « Cette courte et facile communication doit, dit-il, nous procurer l'avantage de dominer aux Indes, non en conquérants, qualité qui y convient moins à la France qu'à toute autre puissance, mais en y entretenant les comptoirs les plus utiles et en empêchant aucune nation européenne d'y donner la loi. » Ayant séjourné en Egypte, été à Suez, passé par Constantinople, l'auteur de ce mémoire est au courant des efforts que les Anglais ont faits, depuis 1775, pour utiliser la mer Rouge et des négociations auxquelles leurs entreprises ont donné lieu. Il sait que des frégates britanniques ont abordé à Suez et y ont débarqué des cargaisons il a entendu à Constantinople l'Ambassadeur d'Angleterre s'en plaindre, ce commerce causant préjudice à celui que la Compagnie anglaise des Indes entretenait par le Cap de Bonne Espérance il assure que des particuliers ont ainsi réalisé de gros bénéfices, malgré les avanies et vexations des Beys du Caire il déclare que des bâtiments de 1.200 tonneaux peuvent mouiller à Suez.

« C'est par cette voie, continue-t-il, que les Anglais ont donné si promptement avis de la déclaration de guerre. C'est par là qu'ils font passer les ordres et les nouvelles. M. Baldwin, négociant, était chargé de cette expédition. Il faisait, sans titre, sans autorité, les affaires de la cour et des négociants. » Pourquoi donc les Français n'en feraient-ils pas autant ? Ils établiront à Socotora et à Bab-el-Mandeb des comptoirs, où les navires viendront charger les marchandises qui y auront été apportées de l'Inde dans la bonne


saison, et les transporteront à Suez. De là au Caire, les transports s'effectueront à dos de chameau, en attendant la création d'un canal de Suez à l'un des bras du i\il. Un port sûr sera creusé à Sucz; la France y cnleliendra une flotte toujours prête, au premier avis, à s'armer et à se rendre aux Indes, qui fournissent d'ailleurs tous les matériaux de construction nécessaires à la marine, et même les équipages. Cette route ouverte, le commerce de l'Inde par là sera-t-il libre ou réservé à une compagnie privilégiée!1 Seule l'initiative privée pourra le porter à son plus haut point de prospérité. Par contre, la concession exclusive à une Compagnie procurera à la France « une marine des Indes », plus apte que les bâtiments d'armateurs libres à seconder la marine royale contre les Anglais, en cas de guerre. Ce sera donc question d'appréciation, selon qu'on préférera assurer au commerce la plus grande intensité possible, ou sacrifier une partie de cette intensité à l'intérêt naval de l'Etat. Mais, en tout cas, « maîtres de l'Egypte, nous aurions un port royal sur la mer Rouge, un à Alexandrie, outre le port marchand qu'on rendrait plus sûr. »

Cette série de mémoires, échelonnés entre 1773 et 1788, prouve que l'idée de communiquer avec l'Inde par l'Egypte, Suez et la mer Rouge revenait en faveur. Quant à l'influence qu'ils purent exercer sur l'esprit des ministres et des commis de ministères, on a le droit d'être sceptique. Le pratique, le réalisable y était si souvent noyé dans le chimérique et la mégalomanie qu'un lecteur doué de sens critique devait en être choqué et se juger quitte envers sa conscience après avoir jeté sur l'ensemble un coup d'œil distrait. Il en allait autrement quand la même idée était présentée, d'une manière moins romanesque et plus positive, dans des correspondances,


des notes, des comptes-rendus de mission, par des diplomates, des consuls ou des militaires, à qui leurs Ibiictions conféraient de l'autorité. Or elle le fut souvent, invariablement amenée sous la plume de ceux qui l'émettaient par le conseil, fréquemment renouvelé, d'occuper l'Egypte.

Nous reviendrons, dans un autre article, sur la campagne menée auprès du Gouvernement royal en faveur de cette conquête. Bornons-nous ici à montrer par quelques exemples l'impulsion qu'en reçut l'idée de communiquer avec l'Inde par Suez.

En 1777-78, l'Ambassadeur du Roi à Constantinople, M. de Saint-Piïest, est en congé en France. Depuis son arrivée à son poste, neuf ans auparavant, il a été témoin de la décadence des Turcs, des défaites qu'ils ont subies, des abandons de territoires qu'ils ont dû consentir à leurs vainqueurs, Russes et Autrichiens. Il est devenu chaud partisan de la conquête de l'Egypte. Mais il a su aussi les entreprises de négociants anglais en vue du commerce de la mer Rouge, le traité anglo-égyptien de 1775, les démêlés de son collègue britannique avec la Porte à ce sujet, les efforts de l'Angleterre pour obtenir au moins le passage des dépêches par Suez. Profitant de son séjour à Versailles pour proposer de conquérir l'Egypte, au cas où l'Empire ottoman viendrait à succomber, il insiste sur les conséquences qui s'ensuivraient pour correspondre et trafiquer avec l'Inde et écrit « Si l'on envisage que l'Egypte est baignée par la mer Rouge, que c'est le plus court chemin de l'Inde et qu'on peut saper par là la domination des Anglais dans cette riche partie du monde, et que l'Egypte deviendrait l'entrepôt du commerce de l'univers, la tête s'exalte et l'enthousiasme gagne 1. Les Anglais viennent de se frayer un passage par là pour le trans-


port de leurs marchandises du Bengale au Levant. La dépense s'est trouvée par là réduite à 17 "/“ de la valeur de la marchandise, au lieu de t\o qu'il en coûtait, soit par le Cap de Bonne Espérance, soit par les caravanes de Bassora et de Perse. La Porte a donné vainement des ordres contre l'admission des Anglais à Suez. L'intérêt des Beys d'Egypte d'augmenter les douanes l'a emporté, l'emportera toujours. Voilà une nouvelle source de richesses ouverte à nos rivaux. »

Les idées de Saint-Pricst ayant alors paru « prématurées et gigantesques » au comte de Maurepas et n'ayant pas davantage été du goût du comte de Vergennes, qui assignait encore à l'Empire ottoman une durée d'existence d'au moins vingt années (délai encore fort au-dessous de la réalité), l'Ambassadeur du Roi, retourné en Turquie, continua sa campagne jusqu'à la fin de sa mission, en s'autorisant du spectacle lamentable qu'il avait sous les yeux pour demander que le Gouvernement français eût au moins un plan arrêté d'avance, en prévision de la catastrophe possible. Et l'alternative demeurant toujours la même ou soutenir efficacement l'Empire ottoman, ou prendre une part de ses dépouilles, le lot de la France dans un partage éventuel de la Turquie reste aussi toujours le même l'Egypte, avec son corollaire, la communication avec l'Inde par Suez. En 1784, après son retour définitif en France, Saint-Priest adresse au Roi une série de remarquables mémoires sur son ambassade. L'un d'entre eux est consacré au commerce et à la navigation de la France dans le Levant. L'ancien ambassadeur y rappelle qu'avant la conquête de l'Egypte par les Turcs, les souverains du pays, les « Soudans », faisaient jouir les négociants français de privilèges, que Soliman le Magnifique confirma en [528 par un acte explicite. Un article de cet acte, l'article 18, visait les « épiceries »


que la France tirait d'Egypte pour sa consommation. « Quoique par la suite les conquêtes des Portugais eussent détourné en grande partie ce genre de marchandises par la route du Cap de Bonne Espérance, les Français, ajoute SaintPriest, avaient encore longtemps après à Suez, port de la mer Rouge, où abordaient les vaisseaux de l'Inde, des magasins d'entrepôt. »

On s'était donc servi de cette voie même après que l'Egypte fut tombée aux mains des Turcs, à qui n'avait pas pris immédiatement fantaisie de l'interdire. Pour faire lever cette interdiction, lorsqu'elle eut été édictée, avaient été faites sous Louis XIV des tentatives diplomatiques, dont Saint-Priest rappelle deux celles des ambassadeurs La Haye-Vantelet et Girardin. A propos de La Haye-Vantelet, il écrit

« Il fut recommandé à l'Ambassadeur de faire valoir spécialement le profit des douanes turques sur les marchandises des Indes, que les Français tiraient encore du Levant, pendant que les puissances en question (Angleterre, Hollande, Portugal) les recevaient par le cap de Bonne Espérance, sans profit pour la Porte. Colbert établissait alors en France la C1* des Indes, dont les envois par cette route firent tomber en partie l'importation des marchandises de ce pays en France par l'Egypte et le golfe persique. »

A propos de Girardin, Saint-Priest écrit

« Cet Ambassadeur eut ordre, dans ses instructions, de faire tous ses efforts pour ouvrir au pavillon français l'entrée de la mer Rouge et de la mer Noire. Les affaires des Turcs étaient alors en si mauvais état et ils avaient un si grand besoin que la France les aidât, que la Porte se prêta ou parut se prêter autant que possible aux désirs du Roi. Elle expédia un Firman consultatif aux principaux du Caire pour avoir leur avis sur l'admission des Français dans la mer Rouge. Le Consul de France agit


de son côté pour les engager à donner une réponse favorable mais elle y fut très contraire. L'opposition porta en apparence sur l'inconvénient d'admettre les chrétiens dans une mer si à portée du tombeau du prophète Mahomet. Dans la réalité, le Pacha craignait de voir réduire ses droits de douane sur les marchandises de ce commerce, de 10 "/“ que lui payaient les sujets de la Porte à 3, qui était le taux des Français. De leur côté, les marchands du Caire craignaient que les branches de ce commerce immense ne sortissent par là de leurs mains. »

L'évocation de ces précédents historiques, consacrés par la gloire du Grand-Roi, conduit alors Saint-Priest à considérer la question sous son aspect actuel. Il conseille de la résoudre enfin, et d'une manière qui ne manquait, ni de simplicité, ni d'efficacité

« Quant à la navigation de la mer Rouge, que le grand Colbert avait à cœur de procurer à la France, Votre Majesté, dit-il à Louis XVI, ne doit pas s'attendre que la Porte, qui l'a constamment refusée à Louis XIV, se prête à la lui accorder. Non qu'il y eût de l'inconvénient pour l'empire ottoman il y éviterait au contraire les pertes immenses qu'occasionne l'ignorance des navigateurs turcs dans la mer Rouge par des naufrages annuels. Mais ce n'est pas assez pour désiller les yeux de leurs ministres sur une vieille routine qui résiste aux meilleurs raisonnements. Au reste, Votre Majesté peut aisément se passer de leur consentement. La station d'une ou deux frégates françaises dans la mer Rouge y assurerait son pavillon et le rendrait maître de ce riche commerce. Il y a une grande épargne à tirer par là les marchandises de l'Inde plutôt que par le Cap de Bonne Espérance, route longue et sujette à mille accidents. Les Anglais, Sire, l'ont si bien senti que, malgré l'opposition de leur compagnie, des particuliers se sont récemment frayé pendant quelques années l'accès de la mer Rouge pour des exportations de marchandises des Indes en Europe. La France, qui a sur la


Grande Bretagne l'avantage du voisinage d'Alexandrie avec la Provence et des îles (le France et de Bourbon avec la mer Rouge, apporterait ces articles au marché général de l'Europe avec moins de dépenses que ses concurrents. Le débit en serait spécialement assuré à Constantinople, où on fait grand usage de ce genre d'étoffes. Leur débarquement à Bassora et leur transport par caravanes à cette capitale les exposent à des risques et à des frais considérables. »

Au moment où Louis XVI put jeter les yeux sur les lignes qui précèdent, un nouvel effort diplomatique avait été décidé pour en réaliser la pensée. Mais avant de donner un aperçu de cet effort, il nous faut continuer à rendre compte des initiatives et des circonstances qui concoururent à le faire entreprendre. En même temps que Saint-Priest, parfois de concert avec lui, d'autres personnages ont poursuivi la même fin que lui convertir la cour de Versailles à l'option entre la politique de la défense de l'Empire ottoman et celle de la participation à son démembrement et, dans cette dernière hypothèse, faire prévaloir le projet de conquête de l'Egypte, avec son habituel accessoire, la communication par Suez entre la France et l'Inde.

Dès 1776, le baron de Tott, fils d'un gentilhomme hongrois entré au service de la France, revenant de Constantinople où il avait réorganisé l'artillerie turque et mis les Dardanelles en état de défense, a présenté à la Cour de Versailles, au nom de Saint-Priest et au sien propre, un mémoire où il a exposé les raisons qui feraient de l'Egypte une possession tentante. On y lit les lignes suivantes:

« Située dans l'angle oriental de l'Afrique, l'Egypte touche à l'Ethiopie et ses ports dans la Méditerranée et la mer Rouge la font également toucher à l'Europe, à l'Asie et aux Indes par le


détroit de Bab-el-Mandeb. La France est. aussi la seule des grandes puissances à portée de fournir, d'alimenter et de conserver sans contradictions un établissement qui deviendrait la source des plus grandes richesses, en joignant la mer Rouge avec le bras du Nil qui s'en rapproche par un canal navigable. n

Ce mémoire de Tott a été soumis pour examen au premier commis du Ministère de la Marine, M. de SaintDidier. Lui aussi favorable à la conquête de l'Egypte, Saint-Didier en avait vanté les avantages au ministre dans une note de mai 1774, sans oublier bien entendu celui de « rendre la France naturellement maitresse du commerce de l'Inde sans coup férir. » Rédigeant, en août 1776, des « observations sur l'Egypte », qui sont un commentaire et un développement du mémoire de Tott soumis à son examen, il n'a garde d'omettre, cette fois encore, le grand intérêt du transit des marchandises de l'Inde par Suez et la mer Rouge et de la correspondance avec Pondichéry par cette voie. L'intéressant et instructif travail de SaintDidier conduit à un premier résultat une mission d'étude et d'information sur l'isthme de Suez, la mer Rouge et son débouché dans l'océan Indien, est confiée au chevalier de Montigny, major au service de France, qui se rendait aux Indes. Les instructions que lui donne le Ministre de la Marine, M. de Sartine, le 6 septembre 1776, lui tracent en détail le programme de son enquête

« La confiance que j'ai en vous, Monsieur, m'engage à vous donner une commission qui exige toute votre attention et surtout le plus grand secret, avant et même après l'avoir remplie, pour ne pas laisser pénétrer par qui que ce soit les motifs que je puis avoir à vous demander des éclaircissements sur la mer Rouge. Comme je suppose que vous vous rendrez dans les


Indes par la mer Rouge, je vous prie d'examiner avec soin tous les lieux par où vous passerez et de m'envoyer les renseignements que vous pourrez vous procurer

r Sur la distance du Caire à Suez, la nature du terrain qui sépare ces deux villes et la facilité des communications qu'on pourrait y établir, soit en y pratiquant un grand chemin, soit en creusant un canal de communication du Nil à la mer Rouge.

a" Vous y joindrez la position de Suez, sa population, des détails sur ses fortifications, sur son port, et tout ce qui pourrait y intéresser la navigation des bâtiments marchands et même ceux de guerre.

3° Des observations sur la navigation de la mer Rouge, sa longueur de Suez à Bab-el-Mandeb, ses mouillages, les vents qui y règnent dans les différentes saisons de l'année, en un mot tout ce qui pourra me donner des connaissances sur cette mer.

Il serait important de m'envoyer la liste de tous les ports ou bons mouillages qu'on y trouve, leurs gisements exacts, des notions sur les différents peuples qui habitent ses bords, ou qui y ont quelques comptoirs ou établissements, et principalement des remarques très détaillées sur le détroit de Bab-elMandeb, sa largeur, ses mouillages et les courants qui y règnen t.

Je désirerais surtout de savoir si l'île qui se trouve au milieu de la passe, que quelques géographes appellent Bab-el-Mandeb et quelques autres Mehun, est habitée; s'il y a des fortifications si elle appartient à quelque prince ou si elle est abandonnée s'il serait facile de s'en emparer, de la fortifier et de la mettre à l'abri de toute attaque, soit de la part des nations européennes, soit de celle des Indes ou des Arabes s'il serait possible avec cette possession d'être entièrement les maîtres de l'entrée du détroit et, dans ce cas, je vous demande de rédiger des projets sur l'armement qu'on devrait faire pour tenter cette conquête, soit qu'on fît cet armement en France, aux Indes ou


à l'île de France. J'ai besoin des plus grands détails sur le nombre des vaisseaux, celui des troupes, sur la quantité d'artillerie, d'ouvriers, de matériaux, de provisions de bouche, de munitions de guerre, en un mot sur tous les objets relatifs à la conquête ou a la prise de possession de l'île, à l'établissement à y former et à sa défense.

Vous me ferez le plus grand plaisir de joindre à ces différents mémoires toutes les cartes et plans que vous pourrez dresser. Vous me les ferez parvenir par' les premiers bâtiments qui reviendront de l'Inde, en recommandant votre paquet au capitaine. »

Les plus expresses et minutieuses précautions étaient prescrites à Montigny pour assurer à la fois la sûreté et le secret de sa correspondance avec le ministre. Chacun de ses envois devait être placé sous double enveloppe, la seconde portant la suscription Objet secret pour Monseigneur tout seul chaque lettre devait être timbrée, en tête Bureau de M. de Saint-Didier. Sans s'expliquer plus clairement qu'au début de ses instructions sur la raison qui lui avait fait décider cette enquête, Sartine en signalait à Montigny l'exceptionnelle importance «Vous devez sentir. Monsieur, lui disait-il, toute l'importance de la besogne que je vous confie, et je connais trop votre zèle, vos talents et votre discrétion pour ne pas être assuré que vous remplirez entièrement mes vues. Ce sera une occasion de faire valoir vos services auprès du Roi et je la saisirai avec plaisir. n En terminant, il demandait au major de le renseigner aussi sur les saisons propices à l'entrée dans la mer Rouge et à la sortie, ainsi que sur le temps de la traversée pour aller des ports de l'Inde à Suez et vice-versa, à l'époque la plus favorable de l'année.

Ces instructions, certainement rédigées par SaintDidier, dénotent des intentions tendant à plus que l'ouver-


ture d'un nouveau commerce à la main-mise sur la route même, sur l'isthme de Suez et l'embouchure de la mer Bouge, et à l'occupation de points stratégiques permettant de la commander, en vue de fins militaires, politiques et économiques. C'est manifestement le désir de savoir si cette éventualité serait réalisable qui a inspiré la mission confiée à Montigny. Celui-ci s'en acquitta avec succès. En avril et juin 1777, il écrivit du Caire à Sartine des lettres où il attire l'attention du ministre sur « les opérations de commerce et les liaisons que les Anglais veulent établir des Indes avec l'Egypte et l'Europe par la voie de la mer Rouge », sur la présence de navires anglais à Suez, sur les allées et venues d'agents britanniques, ingénieurs et géographes, à travers la Basse-Egypte, et lui rend compte de faits qui se rapportent très exactement à l'expédition de John Shaw en 1775. Mettant aussi Sartine en garde contre l'ambition de conquérir l'Egypte, que nos consuls dans ce pays attribuaient alors à l'Angleterre, comme la conclusion logique de l'activité déployée par quelques-uns de ses sujets, Montigny observa

« La communication rapide de l'Inde avec l'Europe par cette voie ne pourrait-elle pas assurer aux Anglais sans retour les établissements qu'ils ont dans le Bengale et sur la côte de Malabar ? n )j

Enfin, après avoir fait escale à Moka et à Djeddah et avoir gagné l'Inde, il envoya au Ministre un compterendu de mission, accompagné de cartes et de plans, qui fut probablement distrait en 1798 des archives de la Marine pour être communiqué au ministère de la Guerre et soumis à Bonaparte.

A peine l'Egypte avait-elle vu passer le chevalier de


Montigny, major au service de France, qu'elle reçut la visite du baron de ïoll, brigadier-général des armées du Hoi, investi de la mission officielle d'inspecter les échelles du Levant et de la mission secrète d'étudier les conditions de la conquête de l'Egypte. Cette mission aussi, bien qu'elle eût pour objet un projet beaucoup plus vaste que celui d'utiliser pour le commerce et la correspondance la voie de Suez et de la mer Rouge, allait contribuer indirectement à faire progresser l'idée de cette utilisation.

Tott avait emmené avec lui, pour l'étude des conditions maritimes de l'expédition et les levés de plans et cartes, un enseigne de vaisseau, M. de La Laune, qui était le propre frère du premier commis de la Marine, Saint-Didier. Exécutant à la lettre le programme qui lui était tracé dans un questionnaire, dressé au Ministère de la Marine par Saint-Didier et un autre de ses frères, officier de l'armée de terre, Tott fit exécuter par Là Laune une reconnaissance de la route du Caire à Suez, de ce port et de sa rade. Le 18 août 1777, d'Alexandrie, il transmet à Sartine les « Observations de M. de La Laune sur son voyage à Suez '), où l'enseigne de vaisseau s'est rendu du Caire par le chemin ordinaire et d'où il est revenu par la vallée de l'Egarement, dont il a dressé le plan. Nous passerons sur ce que dit La Laune de la facilité qu'il y aurait à s'emparer de Suez et ensuite à mettre cette ville en état de défense, toutes ses observations, comme plus tard celles de Tott lui-même, étant naturellement inspirées par le projet de conquête sur lequel ils ont mission d'enquêter. Mais La Laune a eu soin de noter aussi que, dans la rade de Suez, qu'il regarde comme très sûre, il a trouvé 4 bâtiments anglais au mouillage, et qu'il a appris que sept en tout y étaient venus dans


l'année, plus une frégate envoyée du Bengale pour lever le plan de la ville et du golfe et la carte nautique de la mer Rouge. Il ne manque pas non plus de consigner les observations qu'il a faites sur les vestiges du canal des deux mers

« S'il existe encore, dit-il, des vestiges de l'ancien canal de communication, je crois les avoir aperçus sous la hauteur appelée dans Nieubourg Colsoum ruiné. On y voit des restes de maçonnerie qui sont hors de l'eau et un peu éloignés du bord de la mer, qui ressemblent assez à la tête d'un canal à 100 pas et 200 pas plus loin, on en aperçoit de pareils qui sont dans la même direction. Je n'ai pas pu pousser mes découvertes plus loin, y ayant de grands troubles dans le pays, causés par la révolution qui existait alors au Caire; mais comme le pays est très plat aussi loin que la vue peut s'étendre et qu'il n'y a pas plus de cinq ou six lieues de Suez au lac Seib, où il faudrait que le canal se rendît, j'en regarde l'exécution comme très facile d'autant mieux que le terrain qu'on aurait à creuser joindrait à une solidité assez grande beaucoup de facilité pour les ouvriers, étant presque partout composé d'un sable durci semblable à un grès friable très tendre et qui se couperait avec la plus grande facilité. »

En transmettant à Sartine les observations de La Laune sur son voyage à Suez, Tott ajoutait que George Baldwin, qu'il avait connu naguère à Constantinople, lui avait fourni d'utiles notions sur le commerce de la mer Rouge, dont ce marchand anglais lui avait procuré la carte, levée par des officiers de la marine britannique. La Laune jugeait très exact le plan de Suez, joint à cette carte. Ainsi les travaux mêmes des Anglais venaient servir à accroître les connaissances des Français sur des parages maritimes, où notre pavillon avait depuis longtemps cessé de paraître.


Revenu de sa tournée, Tott réunit toutes les observa tions qu'il avait faites en Egypte dans un volumineux mémoire de 1 18 pages, qu'il remit au ministre de la Marine en 1779. Le « compte-rendu de la mission secrète du baron de Tott » consacre un chapitre aux « avantages dont l'Egypte est susceptible et ceux qui résulteraient de sa conquête pour la France». Parmi ces avantages figure naturellement celui de la communication avec l'Inde par Suez et la mer Rouge. La possession de l'Egypte mettra entre les mains de la France « la clef des portes dont on ne pourra plus se passer, sans donner à son commerce des avantages qui annuleraient celui des nations qui entreprendraient de suivre l'ancienne route ». Du Caire le commerce français rayonnera sur toute l'Asie ottomane « Ce ne serait pas une spéculation que de considérer notre commerce par Smyrne dans l'intérieur de l'Asie mineure venir (sic) se réunir par le golfe Persique avec celui de l'Egypte pour en exploiter les retraits par la mer Rouge. » La conquête de l'Egypte donnera le signal d'une révolution commerciale et politique

« Pour envisager la conquête de l'Egypte sous ce point de vue, il suffira de considérer la révolution politique que la seule découverte du passage aux Indes par le Cap a opérée en Europe. Combien serait plus importante celle qu'opérerait l'occupation de l'Egypte Et si l'on observe que la route par le midi de l'Afrique a enrichi les puissances qui s'en sont constamment partagé et disputé les avantages, pourra-t-on douter que la conquête de l'Egypte, en les réunissant pour la France, n'élève cette monarchie au plus haut degré de gloire, de puissance et de richesses ? »

Les canaux existants seront améliorés, leur réseau complété de manière à ne plus servir seulement à l'irrigation, mais à « ouvrir une route au commerce». D'im-


menses résultats sont à attendre de « ce travail, qui joindra le commerce de l'Inde à celui de l'Egypte. » Telles étaient les perspectives que le baron de Tott se croyait en droit d'ouvrir à la prospérité nationale, après avoir étudié la question sur place, sous tous ses aspects, avec plus de moyens que n'en avait eu personne avant lui.

Ce n'es! pas autrement qu'en jugeait un homme qui avait eu tout loisiret toute facilité de se faire une opinion bien fondée Mure, consul-général de France en Egypte. Dès 1770, il a fait une démarche auprès de Sartine en faveur du commerce par Suez. Le Grand-Douanier du Caire, Antoun Cassis, l'avait pressenti avant de traiter avec l'Anglais John Shavv. Mure avait rendu compte de cette ouverture au ministre de la Marine, qui, en octobre de la même année, avait répondu négativement. Le refus ministériel n'a pas convaincu le consul- général que les motifs en eussent été sages, surtout quand il a vu, au cours des années suivantes, se multiplier les arrivages de navires anglais à Suez et qu'il en a conclu à des visées de l'Angleterre sur l'Egypte. Devenu partisan de la conquête de ce pays par la France, il a adressé à Saint-Priest, dans les derniers temps de la mission de cet ambassadeur à Constantinople, un remarquable mémoire, le plus approfondi et le mieux établi peut-être de tous ceux qui ont été composés sur ce sujet à l'ordre du jour. Comme Tott, comme Saint-Priest, comme beaucoup d'autres, Mure place au premier rang des avantages présentés par la possession de l'Egypte celui de pouvoir dériver vers la Méditerranée le commerce de l'Inde

i< Le commerce que l'Egypte fait avec l'Arabie et l'Inde, quoique très considérable, n'est, dit-il, qu'une légère image de ce que sa position lui promet sous un gouvernement éclairé. La


proximité de l'Inde, l'activité qu'où donnerait par la mer Rouge à la communication avec cette partie du monde, la facilité du transport des marchandises de Suez au Nil par un canal qui n'a besoin d'être recreusé qu'en partie, ou des autres ports de la mer Rouge à ce fleuve, par terre, diminueraient infiniment le temps. les frais, la perte des matelots qu'occasionnent les voyages aux Indes par le Cap de Bonne Espérance, et assureraient la préférence aux marchandises qui reprendraient l'ancienne route. Les marchandises qui arrivent de l'Inde au port de Djeddah sont sujettes à un droit de 10 "/“, qui est partagé entre le chérif de La Mecque et le Pacha que le Grand-Seigneur envoie dans ce port. Elles en paient autant à Suez. Si l'on ajoute à cela les bénéfices du négociant de Djeddah, le prix du fret qui est très considérable, etc., on verra que la marchandise, rendue au Caire, est déjà aggravée de 80 °/o. D'un autre côté, les vexations qu'essuient les négociants du Caire, la nécessité où ils sont de fournir d'étoffes des Indes les maisons des grands, qui ne payent que quand il leur plaît, les avances qu'ils sont obligés de faire sur les douanes aux Beys commandants, qui en ont déjà mangé deux ou trois ans à l'avance, les mettent dans la nécessité d'établir le prix de leurs marchandises à un taux qui en borne nécessairement la consommation à l'Egypte. Mais ces cntraves étant levées, il est hors de doute que le commerce des Indes peut se faire, comme autrefois, par l'Egypte, avec un avantage marqué sur les nations qui continueront à se servir de la voie du Cap de Bonne Espérance. «

Emettant la crainte que ces considérations n'échappent pas longtemps aux puissances qui convoitaient un lambeau de l'Empire ottoman, Mure en fait l'application à la cour de Vienne et montre l'accroissement de puissance maritime et commerciale que l'Autriche gagnerait à l'acquisition de l'Egypte. L'Empereur, dit-il, « serait à portée de prendre part au commerce de l'Inde, peut-être même


de s'en approprier la plus grande partie. Une escadre de 12 à i5 vaisseaux à Suez le rendrait maître de la mer dans cette partie du monde et il est difficile de prévoir jusqu'où il pourrait y étendre son pouvoir et sa domination. » Cette longue suite de propositions, de suggestions, d'observations, parfois isolées, le plus souvent mélangées à d'autres, fait assister à la genèse de l'idée que le gouvernement de Louis XVI va enfin adopter et dont il va poursuivre la réalisation par une initiative officielle. On ne comprendrait pas l'origine de la résolution et de la tentative qu'il nous reste à relater, si l'on n'avait suivi les manifestations de l'idée qui les inspire, pendant les dix années qui les précèdent.

(.4 suivre)

F. CIIABLES-ROUX.


COMPTES RENDUS

ET NOTES DIVERSES

1

COMPTES RENDUS ET NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Académie des Sciences Coloniales Comptes-rendus des Séances et Communications. Tome II, 1 923-1924 Tome III, 1924 deux vol. in-8* (20 x 28 cm.), 264 et 56 p. Paris, Société d'Editions géographiques, maritimes et coloniales, 17, rue Jacob, 1925 i5 et 4 fr.

L'activité de l'Académie des Sciences Coloniales est allée en se développant au cours de l'année dont nous trouvons ici les comptes-rendus du i octobre 1923 au 26 juin 1924. pour ne pas parler de la séance solennelle du i5 novembre, cette Compagnie n'a pas tenu moins de dix réunions au cours desquelles ont été abordées les questions les plus diverses le caractère pratique, utilitaire de ces discussions, leur tendance à fournir des solutions susceptibles de passer à une application immédiate, est allé en s'accentuant et c'est à chaque page que les historiens de l'avenir trouveront à glaner des informations de fait et de principe, d'autant plus précieuses qu'elles émanent le plus souvent d'hommes qui ont participé à l'action et dont les archives cérébrales, si l'on peut dire, sont incomparablement plus riches et plus complètes que les paperasses endormies dans nos armoires.

Plusieurs des communications qui ont été faites à l'Académie peuvent être considérées comme rentrant plus ou moins


directement dans le cadre de nos études. M. Dehérain lui a retracé, d'après les ouvrages de Miss Dorothea Fairbridge et de M.Georg Mac Call Theal, et d'après des recherches personnelles, la carrière d'un élève de notre Académie d'architecture, LouisMichel Thibault, né à Picquigny près d'Amiens en 1750, qui, parti en 1783 pour le Cap de Bonne Espérance, comme officier au service hollandais dans le régiment suisse de Meuron, s'y fixa et y remplit sous les divers gouvernements qui s'y succédèrent jusqu'à sa mort, le 1 novembre 1815, un certain nombre de fonctions officielles, en même temps qu'il y revenait à la vocation de sa jeunesse. A ce titre, il a eu une influence décisive dans ce pays, où c'est par lui que s'est accomplie la substitution à l'ancienne architecture coloniale néerlandaise à pignons, des modèles néo-classiques dont il devait la religion à son maître Gabriel. La plus parfaite de ses œuvres est sans doute la Drosdty (résidence du landdrost) de Tulbagh, dont M. Dehérain nous présente une élégante photographie mais on peut en énumérer une quinzaine, édifices publics ou particuliers, qui sont encore parmi les meilleures dont s'enorgueillissent la ville du Cap et ses environs, et qui toutes présentent des caractéristiques françaises très marquées la plus curieuse à cet égard serait la villa du Uitkyk (la Vue) construite par Thibault pour la fille d'un colon nommé Martinus Melck, près de Mulder's Vlei, sur la ligne de Stellenbosch sa parenté avec le pavillon du Butard, entre Versailles et la Celle Saint-Cloud, œuvre de Gabriel, serait saisissante et permettrait de mesurer avec précision l'importance de l'influence intellectuelle et artistique que peuvent exercer des expatriations comme celle de Louis Thibault, véritable colonisation spirituelle en terre étrangère.

A la séance solennelle du a5 novembre, en présence de M. le Président de la République et de M. le Ministre des Colonies, M. Paul Bourdarie a tenu à rendre hommage à la mémoire de l'un des martyrs de l'œuvre coloniale française, de cet infortuné Ferdinand de Béhagle dont le nom restera inséparable de la fondation de notre puissance sur le Tchad. Il l'a fait avec toute la puissance d'émotion que peut donner le souvenir d'une amitié très chère et en même temps avec une justice et une


modération rares dans ces sortes d'évocations, ne dissimulant rien des torts et des fautes de celui qui fut son ami, et n'hésitant pas à nous dire qu'à beaucoup d'égards il fut l'artisan de son propre malheur peu de documents sont à la fois aussi poignants dans la simplicité et aussi utiles pour l'historien que cette évocation d'un homme par quelqu'un qui l'a connu, aimé et qui peut en dire ce dont il n'est resté aucune trace écrite. Ferdinand de Béhagle était né le 18 juillet 1857 a Ruflec après une carrière agitée, aux tournants brusques, où tout avait manqué de mesure, successivement marin, administrateur de commune mixte en Algérie, publiciste, etc. il avait fiui par être attaché avec Bonnel de Mézières à la mission Maistre c'est à ce moment qu'il était devenu un spécialiste des questions du Centre Afrique et qu'il s'en était fait, en partie sous l'influence de Mizon et de Maistre,une doctrine qui n'était d'accord ni avec les vues officielles de Brazza et de Gentil, ni sans doute avec les faits il croyait à la vertu d'une pénétration toute commerciale et pacifique, par l'initiative privée d'une Compagnie, à la possibilité d'utiliser l'Islam, même sous la forme de Rabah, et c'est pour réaliser ce plan et relier le Centre Afrique à la Méditerranée parle Tchad que, subventionné par un syndicat qui avait pris la suite de la Société Africaine,il partait en i8g5;il arrivait à Dikoa le 27 mars et commençait à négocier mais les événements le dépassaient sa politique et celle de Bretonnet, devenu son rival, se contrariaient ce dernier succombait héroïquement à Niellim et sa mort excluait définitivement toute possibilité d'accord de Béhagle, qui eût peut-être pu sauver sa vie par un peu de prudence, bravait le despote africain comme un héros d'Homère et, après plusieurs semaines d'une atroce captivité, était pendu à une branche d'arbre, au grand soleil d'Afrique quelques semaines après la journée de Kousseri, qu'il avait ainsi préparée, le vengeait, mais hélas 1 le sol où reposait son corps ne devait jamais redevenir français le seul hommage qui ait été rendu à sa mémoire, la décision prise en 1903 par le conseil municipal de Paris de donner son nom à une rue de la capitale, n'a encore été suivie d'aucun effet1.

1. Une plaque commémorative en bronze, offerte par le Souvenir Français vient d'être apposée en juillet dernier sur le monument de


Le même jour, après deux communications de M. le Docteur Marchoux sur le Paludisme et de M. le Général Mangin sur les Ressources militaires de nos Colonies, qui toutes deux intéressent directement l'histoire, M. Hanotaux définissait en des termes d'une magnifique précision ce que doit être la Diplomatie Coloniale il n'avait pour cela qu'à nous dire ce qu'elle a été, ce que l'ont faite des hommes comme lui et ses collaborateurs en huit pages d'un raccourci saisissant, il résumait l'oeuvre des créateurs, d'un Brazza par exemple et d'un Etienne, dont il traçait des portraits comme peut faire un ami et un maître, et aussi cellede ceux que l'on pourrait appeler les consécrateurs, de ceux qui ont donné à l'œuvre ses parchemins,qui l'ont imposée à l'acceptation internationale il en disait les étapes, le caractère et la méthode, et pouvait avec une glorieuse satisfaction constater que tout cela avait été fait « sans conflit aigu, sans hostilité, sans haine, sans risque grave, presque sans dépense et comme on cueille un fruit arrivé à maturité » mais aussi, en dépit de ce que prétendent d'odieuses calomnies, sans compromissions et sans intrigues; et il terminait en montrant quel rôle restait encore à un diplomate imbu des mêmes maximes pour que s'achève dans une réciprocité de services, de dévouement et de sacrifice, « cette France de cent millions d'habitants, déjà debout sur la planète, qui appelle tant de peuples nouveaux à la civilisation et à la fraternité par la liberté. » J. T.

Bcrgh-Edwards (S. B. de). History of Mauritius (1507-1914). London, East and West, L. T. D., 3, Victoria Street, 192 1. Un vol. in 8° (ia X 18) de 1 10 p.

C'est une histoire de l'île pour ses enfants, écrite par un capitaine de boy-scouts, à dix-neuf ans c'est en dire le ton sympathique. La première partie est un résumé très correct de ce que tout le monde sait de cette histoire la seconde (p. 53-no), qui nous présente une chronique de la vie mauricienne depuis 1810, est plus intéressante pour nous elle nous Ferdinand de Béhagle à Dikoa. Le lieutenant gouverneur de le Northern Nigeria, dont relève l'ancien Bornou, présidait à cette cérémonie.


montre, à vrai dire, plutôt le développement d'une individualité, d'une autonomie propre que la persistance d'une natiolité française. J. T.

Catalogue des manuscrits des anciennes Archives de l'Inde française. Tome II. Pondichéry, 1789-1815. Publié avec une introduction par Edm. GAUDART. Paris, Ed. Leroux et Pondichéry, Bibl. Coloniale, 1924, un vol. in-8° (i8xa5) de 488 p. 3o fr.

En 1932, M. Gaudart, gouverneur honoraire des Colonies, publiait à Pondichéry le I" tome du Catalogue des manuscrits des anciennes Archives de l'Inde française, dont nous avons donné ici un compte-rendu1.

Ce volume allait de 1690 à 1789 et se référait exclusivement à l'établissement de Pondichéry. Le second vient de paraître et ne se réfère encore qu'au même établissement il va de 1789 à i8i5. Un troisième annoncé doit comprendre les dépendances. Comme le précédent, le volume qui vient de paraître n'a pas la prétention de nous fournir tous les éléments d'une histoire méthodique de l'Inde française; il manque trop de documents pour donner à cette histoire son unité et sa précision. Mais combien ceux qui subsistent n'offrent-ils pas d'intérêt Suivant sa méthode, M. Gaudart ne s'est pas contenté de les énumérer; il les a tous analysés d'une façon sommaire et, quand cela lui a paru nécessaire ou intéressant, il en a reproduit les parties essentielles. Certaines de ces reproductions ont de trois à quatre pages. Il n'est pas de meilleur moyen de faire connaître une époque ou du moins d'en donner quelque idée. Et quelle époque 1 C'est celle où la Révolution française cherche à répandre ses idées à travers le monde. L'Inde française n'échappe point à cette propagande et deux commissaires, Lescallier et Dumorier, viennent y apporter les institutions de la mère-patrie. Ils ne trouvent point un terrain favorable à Pondichéry, où l'on n'ose pas rompre complètement avec l'esprit et i. Voir n° 4 de la Revue de l'Histoire des Colonies françaises de l'année 1922, (pages 283-288).


les traditions du passé mais à Chandernagor, les idées nouvelles entraînent les plus grands désordres et créent une véritable anarchie, qui fort heureusement sombre dans le ridicule. Les documents analysés par M. Gaudart font parfaitement ressortir les particularités de ces deux mouvements tandis que celui de Chandernagor n'aboutit qu'à des scènes grotesques, où la vanité et l'insuffisance se donnent libre carrière, les assemblées électives constituées à Pondichéry, municipalité et assemblée coloniale, prennent leur tâche plus au sérieux et proposent des réformes qui ne sont pas toutes déraisonnables. Aucun conflit entre elles et le gouverneur Du Fresne, que nous trouvons installé dès 1789 et qui ne quittera son poste qu'en janvier 1793 pour motif de santé. Ce Du Fresne paraît avoir été un homme calme et de grand bon sens. Sa situation n'était toujours pas commode, car il était subordonné au gouverneur de l'île de France, et il en connut trois, Conway, Cossigny et Malartic, qui de Port-Louis lui transmettaient des ordres ou des instructions d'une exécution parfois difficile. Lorsqu'il partit, il fut remplacé après un très court intérim de Touffreville, par le colonel de Chermont, qui presque tout de suite se trouva sous la menace d'une guerre avec l'Angleterre. Et en effet cette guerre éclata au mois de mai et Pondichéry, dans l'impossibilité de se défendre, se rendit le a3 août suivant. Bien que les documents analysés par M. Gaudart aillent jusqu'en i8i5, on peut dire qu'en réalité ils s'arrêtentà cette capitulation. Sur 1 167 documents analysés (n" 11 22 '-2289), 1064 vont en effet jusqu'au 23 août 1793 et io3 seulement, presque tous des actes de notaires, sont postérieurs à cette date. Nous venons de dire quel était leur principal intérêt celui qui s'attache aux actes de la Révolution, même quand ils ne méritent pas grande estime mais ce n'est pas le seul. Au temps de la guerre de Tippou-Sultan contre les Anglais, en 1791 et 1792, on trouve des indications intéressantes sur cette lutte et, quand elle est terminée, Du Fresne regrette presque qu'on n'ait pas soutenu le souverain de Mysore, car il sent que désormais rien n'arrêtera plus la puissance des Anglais. Lescallier à son retour 1. Les 1121 premiers se réfèrent au tome I.


de l'Inde présente un rapport qui ne manque ni de bon sens ni de vues d'avenir.

Par d'autres côtes, on assiste à quelques particularités très rares de la vie indigène puis ce sont des questions purement administratives, telles que les fermages et les baux, source des principaux revenus de la colonie. C'est ainsi (pièce n° iaoi) qu'en 1789 le roi avait arrêté à 3.oo3.o84 liv. le total des dépenses de nos divers établissements, dont 2.5o5.o84 liv. pour Pondichéry, a5o.ooo pour Chandernagor, 60.000 pour Karikal, /jo. 000 pour Mahé, 6.000 pourMazulipatam, 6.000 pour Calicut, 12. 000 pour Moka, 12.000 pour Surate, 20.000 pour Canton. Le chiffre pour Yanaon est illisible.

On n'apprendra pas non plus sans un certain intérêt (pièce n° 321 5) que d'après un recensement fait par les autorités anglaises en 1 796, et qui ne comprenait que les Européens et descendants d'Européens, il y avait

8a3 européens avec leurs femmes et leurs enfants,

90 métis, –

et 3i3 topas.

au total ia3i habitants.

Lorsqu'il s'agit en novembre 1792 (pièce n* 1903) de dresser le tableau des citoyens actifs, électeurs et éligibles de la ville de Pondichéry, on trouva le chiffre de 214 européens et i4 topas.

On ne saurait trop remercier M. Gaudart de nous avoir fourni ce travail, qui n'est pas seulement fait avec soin. mais avec une rare intelligence des événements. M. Gaudart a parfaitement vu ceux qu'il fallait laisser dans la pénombre et ceux sur lesquels il convenait au contraire de projeter une lumière plus vive en tirant des textes des citations appropriées, nous permettant de saisir sur le vif les sentiments, les passions, et surtout les illusions des hommes de cette époque. A. Martikeau.

COLLARD (Paul). Cambodge et Cambodgiens, métamorphose du royaume khmer par une méthode française de protectorat. Préface de M. A. Klobukowski. – Paris, Société


d'Editions géographiques, maritimes et coloniales, iga5. Un vol. in-8° (26 X ao), x-3ia p.

Il n'est certes pas une partie de l'empire français sur laquelle nos historiens aient été plus discrets que le Cambodge, du moins le Cambodge ancien, car h les merveilles d'Angkor ont depuis longtemps fait l'objet d'une littérature qni a dépassé Je cercle des spécialistes mais précisément cet éclat quientoure les Khmêrs anciens à fait à leurs descendants une réputation de dégénérescence irrémédiable qui écarte d'eux la sympathie et jusqu'à la curiosité on en sait que nous sommes arrivés là en i863, et que nous y sommes restés, tout au plus encore que nous v avons eu des difficultés avec le Siam, et que Sisowath est venu en France, en igo6, avec son corps de ballet et c'est tout, comme si ce pays au cours de ces soixante ans n'avait pas eu d'histoire et si l'oeuvre française y avait consisté à ne rien faire. Il y a là une injustice certaine et dangereuse, qu'ont souvent déplorée ceux qui avaient la charge du Protectorat «On ne connaît pas suffisamment le Cambodge, disait naguère le résident général Baudoin il importerait de le faire connaître. » 11 se trouva que parmi ses auditeurs figurait l'un de ceux qui avaient été les meilleurs ouvriers de ce qui s'était fait là-bas et que M. Collard, ancien résident-maire de Phnom Pénh, avait commencé l'œuvre qui s'imposait les ressources du Protectorat lui ont permis de la mener à bien pour nous instruire et c'est ce livre, somptueux et charmant, mais avant tout utile, que voici aujourd'hui.

Ce n'est pas un recueil d'impressions et de souvenirs, que M. Collard nousa donné par ailleurs, en un beau recueil d'essais qui ne rentre pas dans le cadre de nos études, mais un tableau complet du Cambodge moderne, œuvre de vulgarisation si l'on veut, mais qui ne vulgarise que ce qui n'a encore été dit par personne, le fruit de vingt-cinq ans d'expériences et d'études directes, à la fois un document de première main, etune synthèse de toutes sortes de documents qui ne sont point à notre portée, un exposé d'ensemble dont, bien entendu, nous ne retiendrons ici que la partie proprement historique.

Les six premiers chapitres sont consacrés à nous présenter le pays et les hommes M. Collard a su résister à la tenta-


tion de refaire ce que d'autres ont fait et de nous redire l'épopée d'art de cette capitale des Jayavarman, Yasovarman, Suryavarman qui fut Yaçodhapura et dont les ruines sont Angkor de l'antique royaume de Kampuchea, de ses mœurs, de ses traditions et de sa religion, il ne nous dit que ce qui a laissé des traces dans la vie d'aujourd'hui, et ces six chapitres sont plus de l'observation et du folk-lore que de l'archéologie sur les commencements même du protectorat et sur l'œuvre des Doudart de Lagrée et des La Grandière, il est très bref; ne peut-on trouver cela ailleurs? Aussi bien, l'action du Protectorat, pendant cette première période, fut-elle toute statique et pour ainsi dire passive nous avions arrêté la catastrophe, empêché la nationalité cambodgienne de disparaître, absorbée par l'Annam ou par le Siam, et c'était tout; à l'intérieur, nous laissions l'Etat vivre ou mourircomme il pouvait, de la résignation triste de ses paysans opprimés, de la corruption de ses grands. et de l'anarchie générale.

Mais le 17 juin 1884, un piquet d'infanterie dans la cour du Palais, M. Thomson, gouverneur de la Cochinchine, et son chef' de cabinet, M. Klobukowski, font signer au roi Norodom une convention qui nous donne le pouvoir d'opérer des réformes c'est l'avenir qui se dessine Par malheur aussitôt, la réaction se déclenche les gens du peuple, qui ne veulent pas deréformes, d'une surtout, de l'article 8, qui supprime l'esclavage, et dont ne peuvent s'accommoder, en particulier, les candidats à cette heureuse situation (les esclaves cambodgiens étaient en grande partie des débiteurs qui s'acquittaient en se mettant à la disposition des riches, sûrs d'être ainsi déchargés de toute responsabilité et de tout souci, sans autre charge que de ne plus avoir à travailler), les grands aussi, la cour, qui ne peut admettre de voir limiter ses dépenses, iût-ce à une liste civile de trois cent mille dollars, tout se soulève l'insurrection commence donc, insurrection étrange où rien ne tient, bien entendu, contre nos troupes, mais où celles-ci n'arrivent jamais à remporter de victoires, tandis que tout renait sans cesse par l'action, probablement de celui même qui en réclame le plus énergiquement la répression et qui, par ailleurs, en tire, lui ou son entourage, les profits les plus inattendus. Il y avait à cette


histoire de singuliers dessous, que l'on ne peut encore révéler, et que M. Collard, en effet. ne-révèle-pas, de la façon la plus amusante « II fallait encore. dit-il, (quand on voulait obtenir quoi que ce fût) gagner une vieille favorite, héroïne de l'intrigue qui valut à Norodom le ressentiment de son père, nous nous faisons un devoir de ne pas la nommer. >~ous dirons seulement que loin de refroidir le prince, la sévérité paternelle ne fitqu'excitersa passion. Toujours est-il que le successeur d'AngDuong hérita de sa favorite ainsi que de son trône, et que la complaisante Niançj, reine de la main gauche auprès du père, se retrouva reine de la main droite auprès du fils. « (p. 126). Quoi qu'il en soit, nous nous aperçûmes que nous faisions fausse route, et retirant nos troupes, nous renonçâmes momentanément à transformer en réalité l'acte de 1884 mais en même temps commençait une action prudente qui petit a petit allait faire du roi lui-même le principal intéressé à notre succès, intéressé par les profits sonnants et trébuchants qu'il en tirerait <ièsle 16 octobre 1889, il nous cédait contre une copieuse rente viagère, ses droits de propriété sur les immeubles de sa capitale Phnôm-Pénh, (c'est ainsi qu'il faut écrire) et aussitôt grâce à un remarquable architecte, Daniel Fabre, s'accomplissait une oeuvre d'urbanisme dont l'influence civilisatrice a été décisive; puis venaient d'autres accords, sur l'impôt des Mekompong. sur la location des terrains dits Chamkars, etc.. établissant un fructueux régime de comptes à demi entre le souverain et nous, et enfin, le 22 août 1891, un contrat créant le Trésor unique du royaume, dont l'effet était d'assurer enfin au Protectorat la haute main sur toutes les parties de l'administration la mauvaise volonté du souverain pouvait continuer à exister (elle devait encore se manifester quelques années plus tard par l'algarade fameuse du prince Yukanthor), nous n'en étions pas moins les maîtres de faire ce que nous voulions, pour le bien du peuple cambodgien, dont les chaînes tombaient une à une, par la suppression enfin vraie de l'esclavage et des services personnels (29 décembre 1897 et 1" février 1898), par la réforme administrative et judiciaire, le développementdes pouvoirs des chefs de village (mé-srok) et des conseils de commune (KrômChômnun), par la création de la propriété individuelle, par les


travaux publics, et aussi, il ne faut pas l'oublier, par notre soutien diplomatique et militaire et par cette action énergique qui finit par rendre au Cambodge cette Alsace-Lorraine de Battambang et de Siemréap, dont la rétrocession par le Siam a été vraiment sentie comme une réparation par le nationalisme latent au cœur des descendants des anciens Khmêrs. Norodom mourait le 22 avril 1905 et son corps, après l'immersion rituelle dans le mercure, était brûlé le ir janvier 1906, en des cérémonies dont l'auteur, seul témoin européen. nous donne le plus curieux compte rendu le second roi (Obbarach) devenait le roi Sisowath et s'embarquait le 10 mai pour un voyage en France, vraiment symbolique; c'était bien une période de l'histoire du Cambodge qui finissait, le Moyen Age du peuple Khmêr, comme dit M. Collard, après les splendeurs de son antiquité et les invasions des Thaïs, et c'était une autre qui commençait, une renaissance peut-être, avant tout par cette action d'intelligence et de compréhension que nous a décrite ce livre, et qui ici plus peut-être que dans aucune autre partie de notre domaine colonial a été une œuvre de protection et d'association. Nulle part ces caractères de notre action coloniale ne se sont manifestés d'une manière plus nette que dans cette incorporation sans violence, dans cette histoire presque sans incidents le livre dans lequel nous la décrit M. Collard avec la simplicité et l'autorité de l'homme qui a /'ait cela, du moins pour sa part, importe autant pour la doctrine et l'esprit qui s'y déploient que pour les faits qu'il révèle.

J. T.

Gbrmixt (Marc de). Les brigandages maritimes de l'Angleterre. Paris, Edouard Champion, 5. quai Malaquai, igaS. Trois volumes in-ia (11X19) sxii-3:»6, de a36 et 3i6 pages.

Voilà un titre qui inquiète un peu et nous n'aimons guère qu'on conclue sur la première page pourquoi d'ailleurs, après des siècles écoulés, réveiller des indignations, des rancunes qui s'assoupissaient ? M. de Germiny, heureusement, est moins dur à l'intérieur de ce livre que sur la couverture et sur la cou-


verture même, il se plaît à nous rappeler « la noblesse de cœur des Anglais pris à part » leur gouvernement, d'ailleurs, n'est pas toujours, à tous propos et sans motif, un gouvernement de brigands et de flibustiers il agit seulement en toutes circonstances au mieux de ses intérêts (et il en donne alors, convenonsen, des raisons qui supportent la discussion nous eussions aimé lire cette discussion M. de Germiny, qui en eût trouvé les éléments dans Corbett, en particulier pour la guerre de Sept Ans, nous eût servis en nous la présentant) ce que nous avons ici n'est donc pas, comme nous eussions pu craindre, un pur réquisitoire, où il y a toujours un peu de rhétorique, mais un simple historique d'un siècle de politique réaliste et expérimentale contre un siècle de naïveté, un historique de la grande guerre de Cent Ans entre la France et l'Angleterre, de 171 à à i8i5, où sont surtout marqués, parce qu'ils marquent les moments critiques, les points de rupture, les conflits entre Je droit des gens de tout le monde et le droit des gens de la nécessité anglaise..

Analyser ce livre serait donc résumer toute l'histoire de ce conflit et ne saurait se faire en quelques pages M. de Germiny a lu tout ce qui a été écrit en français sur ces matières au cours des dernières années il est moins informé de la littérature de langue anglaise il a surtout complété cette vaste information par des recours aux sources qui nous sont infiniment précieux, car ils portent sur des faits isolés, perdus dans des volumes et des archives publiques et privées, que l'on ne saurait rassembler sans une enquête minutieuse et souvent difficile: il se l'est imposée et c'est ainsi qu'il nous apporte du nouveau. Du nouveau non seulement sur l'histoire de la marine, qui évidemment tient la première place dans son livre, mais sur celle des colonies sur l'histoire des établissements de l'Amérique Septentrionale, voici le récit des affaires des Renards et des Chicachas de 1730 à 1740(1, 2 3-2 5), des détails nouveaux sur l'affaire de l'Alcide et du Lys (I, ia3-ia6, 181-182), sur la bataille de la Monongahéla et nos rapports avec nos alliés indiens (I, 148-159), etc. sur celle des colonies orientales, l'incident de la flûte l'lle de France, commandant Beltrémieux, à Calcutta le 5 août 1776, de curieux détails sur les tentatives


d'établissements des Anglais aux îles Diego Garcia et leur expulsion par deux fois, en 1786 et 179a (II, 1 i-i3. 167 sqs, ai5 sqs). etc. Mais les colonies du xvm' siècle étaient avant tout les Antilles, les Iles, et il nous est d'autant plus précieux d'en être informés que les historiens les ont jusqu'ici en général négligées et que leur histoire est, de par la géographie, encore plus fragmentaire et éparpillée que celle des autres. M. de Germiny nous le montre par de nombreux exemples d'algarades graves qui s'y déchaînèrent en pleine paix et qui restèrent ignorées non seulement en France, mais du voisinage même pendant tout le xvme siècle tout y est à tous moments conflits et bagarres non seulement les fameuses « méprises » de navires, dontnous trouvons ici la liste singulièrement augmentée, mais non pas encore sans doute complète, mais entre les îles mêmes Sainte-Lucie et Saint-Martin que Français et Anglais à plusieurs reprises se disputent dans l'intervalle des traités (1, 37 sq. 47 sq.), incidents répétés « d'interlope » et de contrebande, affaire des Iles Turques (I, 287), intervention même comme au Canada, des « sauvages dans la rivalité des Européens et, comme au Canada encore, du côté des Français (II, 91), etc. Il y a là tout un répertoire de petits faits dont le rapprochement est tout à fait lumineux et qui finissent par devenir de la grande histoire. J. Tramokd.

Osell (Stéphane). Atlas archéologique de l'Algérie. Paris, de Boccard, 1, rue de Médicis, 1925. Un vol. in-8° (3o X 43) 56o p. 2oo francs.

Colonel Nemours. Histoire militaire de la Guerre d'Indépendance de Saint-Domingue. Tome I La campagne de Leclerc contre Toussaint Louverture. Nancy, Paris, Strasbourg, Berger-Levrault ,(i36, Boulevard SaintGermain), iga5. Un vol. in-8 de vm-a84 p. et i carte routière 7 francs.

Il y a là deux livres en un seul car le colonel Nemours,


presque comme tout le monde, n'a pas su résister à la tentation de « situer son sujet », et, de proche en proche, toute sa première partie (p. 1-112) est une introduction sociale et politique, sociale surtout, à l'histoire de la campagne de Leclerc. Comme telle, elle est bien brève et fragmentaire, faite tout entière de seconde main, encore qu'y soient insérés intégralement. cela fait 34 pages 1 deux documents, le Code Noir du 6 mars 1685 et la Constitution de Saint-Domingue du i4 messidor an IX, qui sont connus, faciles à trouver et dont ce n'était guère la place. M. Nemours y insiste longuement sur l'esclavage et ses horreurs, qui n'ont certes pas besoin d'être démontrées, mais passe à peu près sous silence d'autres questions qui ne furent peut-être pas moins graves de conséquences, celle de l'exclusif, celle du régime des terres, des successions et des dettes, celle de l'administration enfin, sans lesquelles on n'imaginerait pas le mouvement à tendances séparatistes qui précéda et provoqua la Révolution Noire. Sur l'histoire de celle-ci même il est bien sommaire et s'il se plaît à montrer les bienfaits de l'autorité de Toussaint dans l'ordre politique et économique (encore y a-t-il là un peu de mirage et les chiffres de la page 17 ne sont guère concluants puisque les états du Domaine et des Douanes, rédigés par M. Idlinger, existent, le mieux eût été de les publier), il ne dit rien des péripéties de la lutte avec les Anglais, rien non plus des tractations diplomatico-économiques avec eux et avec les Américains en gros l'histoire des origines de l'expédition reste obscure, toute sentimentale des deux côtés cela suffit à faire mesurer l'importance des forces morales en jeu, non à expliquer la tournure spéciale de l'action et des événements.

La seconde partie est plus nouvelle non que nous y trouvions tout à fait ce que nous sommes habitués à demander à une histoire militaire professionnelle le texte exact et complet des instructions et des rapports n'est pas donné, non plus que les ordres de bataille, les bulletins de renseignements des deux armées et des administrations civiles, les existants en vivres et approvisionnements, etc. les états de situation des effectifs et les listes de pertes surtout, si précieux dans ces sortes de guerres où l'on ne sait jamais ce qu'il faut entendre par un régiment


ou une escouade, et lequel est plus fort que l'autre, nous font cruellement défaut mais les faits sont minutieusement analysés et mesurés, remis en place, appréciés à la lumière des principes et des exemples et cet exposé, en même temps qu'il échauffe l'âme ainsi que le désire l'auteur par le rappel des actes héroïques, ajoute à l'intelligence que les récits antérieurs, ceux de Pamphile de Lacroix et du général de Poyen notamment, nous avaient donné de ces événements et sera peutêtre jugé un précieux appoint à la connaissance de certainesformes très spéciales de l'art militaire.

Pour commencer, nous voyons le débarquement s'opérer, sans aucune difficulté, sur tous les points choisis, dans un ordre parfait (3-4 février i8oa) sans doute grâce à l'expérience acquise de ces sortes d'opérations par l'état-major français au cours des campagnes antérieures, mais aussi parce que Toussaint, à vrai dire, n'opposa aucune résistance M. Nemours. qui le regrette un peu, nous en donne la raison il ne fallait pas risquer de voir hésiter la résolution des soldats coloniaux en les faisant tirer les premiers sur le drapeau français, il fallait laisser à Leclerc l'initiative et l'odieux de .l'initiative. Dès lors les opérations se déroulent conformément au plan de Toussaint et à celui de Leclerc, qui s'y adapte exactement tandis que les Haïtiens se retirent sur l'intérieur, en des points depuis longtemps préparés pour cette éventualité, les Français, en quatre colonnes, parties du Fort Liberté, du Cap, de Port de Paix et du Port Républicain (Port au Prince), convergent sur la plaine des Gonaïves où ils comptent les acculer Toussaint et Christophe, au centre, ne peuvent tenir à la Ravine-à-Couleuvres. (a3 février), mais Maurepas au Nord, Dessalines devant le Port au Prince ont été plus heureux et le gros de l'armée peut se retirer sur une autre position, celle des Venettes, où pendant plus de trois semaines (39 février- 24 mars), 700 hommes retranchés dans le fortin de la Crête à Pierrot vont immobiliser ii.ooo Français, tandis que Dessalines tenant la campagne ne leur laissera d'un autre côté ni repos, ni sécurité. Maurepas, il est vrai. a fait sa soumission le 29 février, mais Toussaint n'en a pas moins pu profiter de cette résistance et par une décision remarquable, faire à nouveau son apparition dans le Nord,.


aux portes mêmes du Cap, menaçant les communications de l'armée française avec une base sans laquelle elle ne peut vivre. Les grandes opérations sans doute sont finies et le concours des anciens amis de Rigaud a permis à Pamphile de Lacroix de dégager le Port au Prince de la menace de Dessalines, mais c'est la guerilla dans toute l'île et Leclerc est contraint de diviser son armée en colones infernales qui, vaincues, victorieuses, ne peuvent que s'épuiser à la longue. Toussaint reste plein d'espoir dans le succès militaire, non comme on a dit dans celui de la seule fièvre jaune (la maladie, nous montre M. Nemours. n'a jamais suffi à elle seule à réduire une armée), mais ses généraux sont las l'un après l'autre, ils se soumettent, et lui-même, seul, abandonné, finit par se rendre, demandant des garanties pour les siens, non pour lui cela même ne suffit pas pour rassurer Leclerc et quelques semaines plus tard, c'est l'arrestation, l'envoi en France, la fin misérable que l'on sait.

C'est une noble histoire, en dépit de certaines tristesses des deux côtés, et l'on comprend que M. le colonel Nemours ait eu quelque fierté à l'écrire, quelque fierté de l'une et l'autre de ses deux patries quelques-unes de ses expressions, sans doute, paraîtront d'un enthousiasme un peu imagé (« ces hommes qui n'ont pour nourriture que les balles de plomb qu'ils mâchent, pour boisson que leur salive bourbeuse »). on n'en sera pas moins gagné en le lisant par cet enthousiasme pour ces combattants dignes les uns des autres, pour ces chefs qui l'étaient aussi toutes proportions gardées, les comparaisons de AI. le colonel Nemours ne sont pas injustes et la décision de Toussaint de remonter au Nord au début de mars est bien de la même nature qu'une autre, plus célèbre, de 1814 ce n'est pas seulement pour y trouver l'exemple du courage et du dévouement que les Haïtiens doivent connaître leur histoire, ils peuvent aussi y trouver des leçons d'art militaire et cette histoire est aussi la nôtre.

J. Tramond.


Sun (Uemi). L'évolution commerciale et industrielle de la France sous l'ancien régime. Paris, Girard, 16, nie Soufflot, 1925, un vol. in-8" (aaxi5) de 3g6 p. Il ne saurait être question de résumer ici ce volume consacré presque exclusivement au développement du commerce et de l'industrie en France durant les deux derniers siècles de l'ancienne monarchie. Signalons seulement les deux chapitres (pp. io6-i2Get224-249)quel'auteuraréservés à notre commerce extérieur et colonial depuis Ilenri IV jusqu'à la Révolution. C'est un résumé assez net, nécessairement fort abrégé, de l'effort de l'ancienne monarchie pour étendre au dehors de la France notre influence économique. M. Henri Sée nous fait voir en même temps comment ces transactions commerciales ont contribué pour une assez large part à introduire en France des industries nouvelles avec les produits venant soit de l'étranger soit des îles d'Amérique.

Yaudon (Chanoine Jean). Histoire générale de la Communauté des Filles de Saint-Paul de Chartres. Paris, Téqui, 8a, rue Bonaparte, 1922-1924. Deux vol. in-S" (220X1 5o) xx-524 et xvm-600 p. (un troisième en préparation) 12 et 1 francs.

Une partie seulement de ce grand ouvrage se rapporte à l'objet de nos études, mais elle est d'un intérêt réel l'histoire des sœurs de Saint-Paul de Chartres est inséparable de celle de notre œuvre coloniale.

M. le chanoine Vaudon n'a en effet pas besoin de s'élever longuement contre ce qu'il y a de désobligeant dans le singulier excès d'enthousiasme avec lequel les panégyristes de Madame Javouhey, Dom Babin et le chanoine V. Caillard, veulent faire de leur héroïne la véritable initiatrice de cette vie apostolique pour les femmes il y avait longtemps que les religieuses françaises allaient aux colonies. et, pour ne pas parler des Ursulines, dont on sait le rôle au Canada, c'était depuis le ministère de Maurepas (1737), que les sœurs de Saint-Paul


étaient installées à Cayenne, elles tenaient l'hôpital et enseignaient les jeunes filles elles y étaient demeurées sans interruption tout le temps de la Révolution, restant sans relations avec leurs sœurs de France pendant treize années et se signalant par leur charité envers tous et notamment envers les déportés de fructidor, dont le témoignage suffirait à nous éclairer, et c'était précisément pour assurer la formation d'un personnel destiné à remplacer ces vénérables combattantes presque sexagénaires que le préfet de Laitre, à la requête de Decrès, avait pris l'initiative d'assurer, dès 1802, la résurrection de la Communauté pendant toute la période qui suivit, elles continuèrent leur œuvre, sauf le temps de l'occupation portugaise, et ce ne fut qu'à partir de i8ai que par l'effet des progrès croissants de l'Institut de Saint-Joseph de Cluny, leur rôle cessa d'être prépondérant à la Guyane elles y gardèrent cependant l'hôpital et virent même par la suite s'y joindre certaines des œuvres nouvelles créées par la mère Javouhey, mais dont son ardeur parfois sans tempéraments aurait pu compromettre le succès, l'Asile du Camp Saint-Denys pour les esclaves vieillis et infirmes, par exemple, à partir de i838 en même temps, l'ordre, jusque-là limité à la seule Guyane, essaimait d'autres établissements à la Martinique (1817), à la Guadeloupe (1819), et étendait en somme son activité charitable et civilisatrice à toute l'Amérique Française.

Dans une autre partie du monde la Marine avait eu de même recours aux sœurs de Saint-Paul pour assurer le service des hôpitaux, et dans une certaine mesure des écoles, à l'Ile de France (où il y avait eu auparavant, vers 1740, des sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve) et à Bourbon elles y arrivèrent en 1770 et 1775 et, comme en Amérique, purent traverser toute la période révolutionnaire sans être inquiétées les colonies se trouvèrent ainsi les seules portions du territoire français où de 1790 à i8o3 des religieuses aient pu vivre en communauté et se conformer publiquement aux règles de leur institution les sœurs de Saint-Paul restèrent à l'Ile de France jusqu'à la chute de la colonie et à sa cession aux Anglais même après cette époque, il en demeura deux qui survécurent de longues années, faisant le bien et environnées de l'estime générale, mais qui ne


purent être remplacées à Bourbon, elles se trouvèrent à partir de 181C en présence de la fortune grandissante des Dames de Saint-Joseph de Cluny qui. favorisées par le ministre Ilamelin, désireux d'une uniformité quasi-militaire dans tout ce qui relevait de son département, finirent par les remplacer entièrement en 1825. Mais bientôt après, une nouvelle carrière aux possibilités infinies s'ouvrait devant elles, et le frère d'une de leurs sœurs, Mgr Forcade, les appelait en Chine pour l'aider à organiser l'oeuvre de la Sainte-Enfance dont on sait l'importance à la fois religieuse, sociale et française (1847).

On voit par cette brève analyse sur quel ensemble de questions étendu et complexe ce dépouillement des archives générales et privées de la Communauté de Saint Paul de Chartres nous apporte des lumières inédites, et souvent d'un intérêt puissant M. le chanoine Vaudon ne s'est pas en effet borné à nous retracer l'histoire intérieure et pour ainsi dire la chronique de la Communauté chemin faisant, il a rencontré et il nous communique des documents de premier ordre sur la vie même des colonies ce qu'il dit des rapports de l'autorité religieuse et de l'autorité civile aux Mascareignes, en particulier, et des péripéties de la Révolution dans ces îles (1, 323-365, 453-476) mérite au plus haut point de retenir l'attention de l'histoire générale. J. Tramond.

Watts (P. Arthur). -Une histoire des colonies anglaises aux Antilles (de 1649 à 1660). –Paris, les Presses Universitaires de France, 4g, Boulevard Saint-Michel et Londres, Oxford University Press, s. d. (1925). Un vol. in-8° (145 X 225) de xvi.-5i8p. 35 francs.

C'est un heureux effet de ces échanges d'étudiants et de savants auxquels procèdent nos universités que de mettre ainsi la science en commun et voici, par un Américain, une thèse, en français, qui est un morceau d'une histoire spécifiquement anglaise.

Car nous avons été un peu déçus nous espérions, en ouvrant ce volume, qu'une histoire des Antilles Anglaises serait toujours un peu une histoire des Antilles Françaises


et il n'cn a rien été mais cela même n'est pas sans un véritable intérêt il n'est pas sans signification que. au moins pendant la courte période envisagée, les établissements des deux nations aient vécu et grandi les uns à côté des autres, sans s'aider, se gêner, ni même se connaître et il ne l'est pas moins de remarquer que, pour les uns comme pour les autres, cette histoire calque très exactement les péripéties de l'histoire métropolitaine.

C'est le cas de celle des colonies anglaises, telle que nous l'expose M. Watts son ouvrage se divise en deux parties très nettes l'une est l'exposé des convulsions intérieures des établissements qui existaient déjà avant 1660 et c'est celle d'une lutte acharnée entre loyalistes et républicains l'autre est l'étude, très détaillée et pleine de renseignements capitaux pour l'histoire militaire, de la grande entreprise cromwellieune, de son échec à Saint-Domingue et de son succès à la Jamaïque. L'une et l'autre sont d'un intérêt puissant, et pour les documents originaux qu'elles nous apportent, et pour la synthèse des tendances, des sentiments et des doctrines que d'immenses lectures ont permis à M. Watts de réaliser.

J. T.

WATTS (Arthur P.). Nevis and Saint-Christopher, 1782-1784 (Cnpublished documents). Paris, Les Presses Universitaires, ?tç), boulevard Saint-Michel, s. d. (iaa5) un vol. in-8 (i/|ôxa25) de xx.vin-160 p. et c. 10 francs. Ces documents proviennent en majeure partie de la Bibliothèque Bancroft de l'Université de Californie, où ils ont échoué par des détours mystérieux, qu'il n'est d'ailleurs peut-être pas impossible d'imaginer les registres de Saint-Christophe, conservés au Public Record Office, présentent en effet des lacunes qui ne peuvent s'expliquer que par une mutilation volontaire, et cette mutilation importait à l'honneur des membres de l'Assemblée car, de 1782 à 1784, les îles de Saint-Christophe et de Nevis furent des colonies très loyales. à Sa Majesté Très Chrétienne, au roi de France 1

Cela se fit assez naturellement, toute la population des


Antilles anglaises étant par tradition, par conviction et par intérêt, portée a se considérer comme solidaire des insurgents du continent dans leur lutte contre la tyrannie métropolitaine, ce qui, pour toute la durée de la guerre, mit au service de nos amiraux une organisation de renseignements infiniment supérieure à celle de leurs adversaires si bien que quand la flotte de Grasse, au début de janvier 1782, se présenta devant Nevis, non seulement il n'y eut pas de résistance 3oo miliciens contre 6.000 soldats mais la capitulation qui fut signée le 12 a fut comme un vrai traité d'amitié: pas d'occupalion militaire, de réquisition ni d'état de siège toutes les autorités, y compris le Conseil et l'Assemblée (Louis XVI se trouva ainsi un souverain constitutionnel et parlementaire à Nevis, dès 1782 !), y compris le Président (qui, sous le régime anglais, était tout l'Exécutif, le gouverneur en titre résidant àAntigua), y compris les tribunaux, lesjurysel la cour de chancel lerie (avec seulement appel suprême au Roi de France), restaient en fonctions, sans même un résident français, et surtout les habitants promettaient de rester neutres àl'avenir, voire de se défendre eux-mêmes, si les Anglais, corsaires ou officiers du roi, prétendaient se réinstaller dans l'île sans forces suffisantes pour s'y maintenir, d'aviser les autorités françaises de toutes nouvelles qui viendraient à leur connaissance, et d'assurer la sécurité des postes de signaux qu'on installerait chez eux Et ils tinrent parole pendant les opérations contre Saint-Christophe ils fournirent des vivres à de Grasse (4g boeufs, 370 moutons, 100 poules et ao dindons), en refusèrent à Hood, et persuadèrent à une frégate anglaise, qui s'était présentée pour reprendre possession de leur île, de se retirer sans plus insister lors des Saintes encore, ils se défendirent énergiquement d'avoir fourni la moindre information à Rodney.

Toute leur histoire pendant cette période fut donc celle d'une paisible colonie française, gouvernée de haut, très doucement, par un Dillon, installé à Saint-Christophe, au libéralisme de qui tous se plurent à rendre hommage quand il vint à Londres après la paix le seul Français, dont ils crurent avoir à se plaindre, au point de le qualifier de bandit et de voyou mais cela encore les rapprochait d'autres colons français, pour


qui les haines de ce genre étaient une seconde nature, fut le lieutenant de port, un certain Millon de Villeroy et il en fut à peu près de même dans l'île voisine, qui toutefois eut un peu plus à souffrir, parce qu'elle avait été le théâtre d'opérations militaires et aussi parce que, plus importante, elle pouvait plus facilement donner lieu à des conflits c'est ainsi que le 2 décembre 178a, l'Assemblée s'étant refusée à voter les fonds pour une certaine indemnité, Dillon fit consigner les membres dans leur hôtel, les prévenant qu'il allait les faire jeter en prison, avec cent vingt hommes pour les garder, un dollar par jour à payer à chacun de ces hommes et une livre et demie de pain, une demi-livre de bœuf salé par jour pour toute nourriture pour commencer, il interdisait l'entrée du Gouvernement aux domestiques qui leur apportaient leur dîner mais le résultat obtenu, il s'empressa deleur faire savoirtoute la peine qu'il avait eue d'avoir dû agir ainsi.

En réalité, une seule grave affaire pendant ces trois années agita les deux îles Nevis avait capitulé le 1 janvier et SaintChristophe le 2o février mais la seconde prétendait qu'étantla supérieure de l'autre, sa capitulation concernait les deux et que par conséquent Nevis devait contribuer, aussi bien pour les redevances dues à la puissance occupante que pour les indemnités à payer pour dégâts lors des opérations contre Brimstone Hill ce fut un interminable débat, où les autorités françaises donnèrent raison aux gens de Nevis mais qui finit par tourner contre le gouverneur Shirley accusé, à tort, semble-t-il, par ses subordonnés d'avoir sacrifié leurs intérêts lors de la reddition de la forteresse. Il fut expressément blâmé par l'Assemblée, mais l'affaire, semble-t-il, n'alla pas plus loin.

On voit l'intérêt que présente cette histoire pendant trois ans d'une « colonie française inconnue il est cependant un point que M. Watts n'a pas cru devoir y mettre en lumière, car la légende qu'il aurait dû dissiper ne s'est jamais, semble-t-il, accréditée en Angleterre, mais sur lequel il nous est sans doute permis d'insister contrairement à ce que racontent certains historiens français, il ne paraît pas que dans les concours passifs et actifs que nous rencontrâmes alors parmi les habitants des îles anglaises, il soit entré pour une part quelconque un souvenir


ou un regret du temps où ces îles avaient été françaises leurs sympathies, incontestables, allaient à la cause américaine, identique dans une lar^e mesure, à la leur, mais aucunement à la nation française.

J. Tramond.

II

REVUE DES REVUES

Bulletin du Comité de l'Afrique françaiseï Renseignements coloniaux, année iga5, no r.

M. DE Beauminy, administrateur des colonies, p. 24-36. Une féodalité en Afrique occidentale française. Les Etats Mossis.

Ce n'est pas à proprement parler une histoire, même résumée, de l'empire mossi que M. de Beauminy a entrepris de nous esquisser c'est plutôt une étude de diverses institutions passées et encore vivantes de ce royaume, portant sur le souverain ou mosho-naba, les seigneurs et la noblesse, le pouvoir et les cours. L'organisation politique du pays a pu dans une certaine mesure être comparée à notre ancienne féodalité. Toutefois, comme le dit M. de Beauminy, il ne faudrait pas pousser trop loin cette comparaison. Rien dans le pays mossi ne rappelle les institutions caractéristiques de la féodalité en ce qui concerne la condition des terres et l'état des personnes à cette époque de notre histoire. Les Mossis sont tous au même titre usufruitiers du sol pas de servage, pas de noblesse d'origine autre que celle du sang. Mais un lien politique et personnel unit le souverain à tous les ministres et vassaux auxquels il a délégué l'exercice du pouvoir.

Bulletin de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran. Mars 1925.

Colonel Paul Azan Le commandant de La Iloricière lors du désastre de la Macta, p. 4s-65.

Au cours des recherches nécessitées par l'établissement de son Emir Abd-el-kader, M. le colonel Azan a eu l'occasion de recueillir un certain nombre de documents qu'il est d'autant plus important de publier que son expérience même est là pour prouver à quels


accidents des pièces manuscrites sont exposées dans les dépôts les mieux gardés la pièce numéro 3, copiée par lui aux Archives de la Guerre en igo3, n'y a pu être retrouvée en ipa5

Les six documents qu'il nous donne aujourd'hui ont trait à la mission que reçut La Moricière en i835, d'abord pour apaiser les différends survenus entre le général Trézel et Abd-el-Kader à propos des Douaïrs et des Smelahs, mais dont les événements changèrent aussitôt la nature et la portée le gouverneur général (Drouet d'EiIon) rappelle à l'émir (n° i, a5 juin) que les deux tribus sont sous notre protection, mais en même temps (n° 2, 27 juin), il blâme le général Trézel d'avoir pris, en intervenant, une initiative contraire aux vues du gouvernement, et lui annonce l'envoi de La Moricière pour obtenir d'Abd-el-Kader qu'il se désiste de ses intentions sur les environs d'Oran mais quand le jeune commandant arrive, les événements ont marché et il ne lui reste pour parer aux conséquences du désastre de la Macta qu'à prendre des mesures qu'il indique dans unelettre à Duvivier du 1 juillet (n° 3), à laquelle il joint un précis, par le capitaine Maligny (n° 4), de nos rapports avec Abd-el-Kader le gouverneur, dans un rapport au ministre (du 13, n° 5), rend justice aux services rendus par La Moricière, qui a sauvé l'honneur de la cavalerie française, mais il juge la situation très grave, annonce qu'il a remplacé Trézel, envisage l'évacuation de Mostaganem et demande des renforts l'avis de La Moricière, que nous trouvons dans une lettre à Duvivier, non datée mais évidemment de cette époque (n° 6), est beaucoup plus favorable à Trézel, dont la politique était bonne mais qui a dans l'exécution outrepassé les ordres du gouvernement et qui, surtout, a eu le tort de ne pas réussir, « de sorte que le parti des sots, des trembleurs et des gens de mauvaise foi, est triomphant. Heureusement la Providence nous a envoyé le Maréchal (Clauzel) ». Quant à Drouet, il s'est laissé jouer par l'émir et par son agent, le Juif Bon Duran, et il est certain qu'Abd-el-Kader se prépare à la guerre.

F. Doumergue Historique du Musée d'Oran de l'année 1882 à l'année 1898, p. 66-io3.

Exposé détaillé des diverses transformations par lesquelles a passé depuis sa première création en 1882 cet ensemble de collections né de l'initiative de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran et dont la vie n'a été assurée en dépit de difficultés de toutes sortes, que par l'ingéniosité et le dévouement du commandant Demaeght c'est


avec justice que le Musée porte maintenant le nom de ce bienfaiteur et de cet animateur.

The Canadian Historical Review, vol. VI. n° i. mars 1925. Miss Maujome G. Ruid Le commerce îles fourrures par Québec el la politique de l'Ouest (1763-1776), p. i5-32.

La paix de 1763 ne marque pas la liquidation absolue de toute activité française sur le continent de l'Amérique du Nord, non plus que, en dépit de la foi de Choiseul aux frontières géographiques si faciles à voir sur la carte, l'adoption du Mississipi comme limite ne met un terme aux conflits de limites non pas qu'il y ait eu la moindre mauvaise foi de la France 1 on ne saurait citer un seul indice d'une velléité de revanche de notre part dans ces régions, et les accusations de participation de quelques-uns des nôtres à ce dernier grand soulèvement des Indiens des frontières qu'on appelle la guerre de Pontiac (1783-1761S) sont de pures calomnies mais aucuns eurent du moins l'espoir que nous pourrions, en dépit de nos défaites, conserver certains des profits des territoires que nous abandonnions, la traite des fourrures en particulier, entreprise toute commerciale, sans aucune arrière-pensée politique, et parfaitement réalisable dans sa correction pacifique il s'agissait simplement de maintenir l'activité de nos postes du Grand Ouest. qui avaient toujours été rattachés à la Nouvelle Orléans, en gardant nos traitants au contact des Peaux-Rouges et en faisant passer leur trafic par le Sud l'Espagne, à qui nous venions de céder la Louisiane, n'eut pas d'autre politique elle maintint en place fonctionnaires et garnisons dans toute l'étendue des territoires que nous lui cédions et il y eut bien peu de choses de changées dans la vie et l'économie de l'Ouest par la paix de 1763 groupés, au nombre de 1.200 environ autour de leur capitale nominale de Fort Chartres, et surtout autour des deux grands postes de traite de Kaskaskia et Cahokia, nos colons continuèrent à prospérer et s'aperçurent si peu de ce qui venait de se passer qu'une infime minorité seulement s'avisa de se soustraire à l'obédience anglaise en émigrant sur la rive droite.

L'Angleterre même, dans une assez large mesure, favorisa le développement d'un état de choses si contraire à ses intérêts, par une réglementation, due surtout à sir William Johnson, qui, dans, des vues de monopole, écartait de ces régions les libres traitants canadiens, anglais ou français, qui eussent été le seul élément actif à opposer aux habitants déjà fixés sur les lieux si bien qu'au bout de


quelques mois, le courant du trafic se trouva nettement établi vers le Sud, au détriment des douanes coloniales et du commerce aussi bien du Canada que des colonies de la côte, New-York et Pennsylvanie des faillites retentissantes comme celles de Raynton, Wharton et Morgan de Philadelphie en 1770, un soulèvement presqu'unanime de l'opinion et des intérêts finirent par entrainer une réaction et la politique adoptée à partir de 1770 fut tout autre toute la région des lacs fut assignée à l'activité du Canada, et la traite y ayant été proclamée libre pour tous les sujets du roi d'Angleterre, ceux-ci ne tardèrent pas à y affluer et y à constituer autour de postes comme le Sault Sainte-Marie et Michillimacinac une prospérité et une satisfaction générales l'aventure du major Rodgers qui, dans son mécontentement de n'avoir pu y faire créer un gouvernement à son profit, alla jusqu'à songer à une manière de trahison au profit des Français, est un cas individuel.

De l'autre côté, les régions de l'Ontario avaient été affectées au New-York, celles de l'Ohio à la Pennsylvanie, mais la politique britannique dans cette région fut moins ferme et moins suivie Shelburn et ses successeurs avaient songé y créer une manière d'état tampon ou de zone neutre isolant les Français des Yankees, et comme les premiers, groupés autour de Vincennes, s'obstinaient à s'enraciner sur le sol dont on prétendait les chasser, des plans avaient été conçus, voire des ordres expédies pour évacuer la contrée même Fort Chartres et Fort Pitt la volonté anglaise, ou anglo-américaine, s'était alors heurtée à celle des colons fixés sur ces terres avant la cession et qui entendaient n'en pas être éliminés, et le conflit était devenu aigu quand, en 1771, le major Hamilton envoyé à Kaskaskia pour y organiser une administration s'était trouvé en présence d'une quasi-république proclamée par les habitants. Les événements de l'Est devaient d'ailleurs venir peu après donner une tout autre tournure à cette politique et le gouvernement de Londres allait par son Québec Act de 1774, rattachant tout l'Ouest, Illinois compris, au Canada, tenter de tourner à son profit, et y réussir en partie, le particularisme des Franco- Américains. Mais nous entrons là dans une péiiode où de toutes autres influences devaient agir en réalité, à cette date, le conflit d'influences économiques par lequel l'œuvre coloniale française avait tenté de se prolonger après 1763 était terminé et le commerce de l'Ouest avait repris son cours normal vers les Lacs et le Nord, au détriment -de la voie franco-espagnole du Mississipi et de la Nouvelle Orléans. J. T.


Un épisode de la pulilirjue coloniale anglaise les primes aux mariages avec les Indiens, p. 33-36.

Cet aspect singulier de la politique coloniale anglaise a sans doute généralement échappé aux historiens, pour la raison que ce système n'a jamais été appliqué qu'en Nouvelle Ecosse, et seulement de 1719 à 1773. Les causes de son adoption sont simples et résident toutes dans le danger que constituaient pour les établissements britanniques les progrès du peuplement français en Acadie et surtout les liens qui conduisaient toujours de plus en plus les populations indigènes à considérer la cause française comme la leur propre. L'idée devait nécessairement venir aux Anglais de nous combattre par les mômes armes et ce fut ce qui fit introduire dans les instructions du colonel Richard Philips, gouverneur de Plaisance en Terre Neuve et Nouvelle Ecosse, datées du 19 juin J719. un paragraphe lui ordonnant de donner une prime de 10 livres sterling et une concession de 5o acres de terre à tout blanc, sujet de Sa Majesté, qui épouserait une Indienne et de même à toute blanche qui épouserait un Indien. Cettedisposition n'a cessé d'être maintenue dans les instructions des divers gouverneurs qui se sont succédéjusqu'en 1773, mais il ne nous semble pas qu'elle ait eu beaucoup d'effets elle était trop contraire aux moeurs et aux tendances de la race anglaise. J. T.

France-Islam (1923-1925). Paris, 5, rue Las-Cases. Organe du Comité France-Islam, cette Revue en est à sa troisième année elle s'adresse au monde musulman en général et aux habitants des possessions françaises de l'Afrique du Nord en particulier. On y trouve un certain nombre d'études, qui présentent un intérêt incontestable pour l'histoire coloniale. C'est ainsi que le capitaine Paul Odinot a consacré une longue étude au général Menou, à sa femme l'Égyptienne Lalla Zobeïdah et à leur fils (no5 de novembre 1924 à mai 1925 inclus). L'histoire de Menou vaut la peine d'être résumée en quelques lignes. Jacques-François de Menou. second fils de René-François, marquis de Menou, était né le 3 septembre 1700. Engagé volontaire en 1765, sous-lieutenant de cavalerie deux ans plus tard, il était colonel et chevalier de Saint-Louis en 1788. En 178g, il fut élu député de la noblesse aux États-Généraux et siège à la gauche de l'Assemblée Constituante. Général de brigade, il fit la guerre de Vendée à la suite d'un échec que lui infligea La Roche-


jacquelin, il fut déclaré suspect et relevé de son commandement. Rallié aux thrrinidoriens, il devint divisionnaire, fut mis à la tête de l'armée de l'intérieur et désarma le faubourg Saint-Antoine en 1795. Bonaparte l'emmena en Egypte comme divisionnaire. Bon administrateur et très intègre, il fut un médiocre chef d'armée, malgré sa grande bravoure personnelle. Il se convertit à l'Islam en 1799, prit le nom d'Abdallah et épousa Lalla Zobeïdah, fille d'un patron de bain maure de Rosette, qui se disait cliérif. Il crut ainsi faire un coup de maître, en s'assimilant aux indigènes; il se trompa lourdement l'armée française lit des gorges chaudes au sujet de sa conversion et de son mariage, ainsi qu'au sujet de la dispense de la circoncision accordée au néophyte, étant donné son âge, par une assernbiée de Cheik-ul-Islam. Pourtant les indigènes paraissent avoir été assez flattés de celle union et des nombreux mariages mixtes, qui s'ensuivirent entre Français et musulmanes. Mais, quand l'armée dut quitter l'Égypte en 1801, Menou fut seul ou presque seul à emmener sa femme 200 femmes et maîtresses de Français furent abandonnées, et massacrées par les indigènes, Zineb, l'ancienne maîtresse de Bonaparte, en tète.

Rentré en France, Menou fut nommé membre du Tribunat en t8o2, puis successivement gouverneur du Piémont, comte de l'Empire, gouverneur général de la Toscane en 1808. et de Venise en 1809 il mourut à Mestre le i3 août 1801. La fin de la vie de sa femme fut très triste délaissée par son mari, bien qu'elle l'ait peut-être suivi dans sa conversion au catholicisme, elle ne vivait que pour son fils elle mourut à Paris le 21 juin 1816, à l'âge de 4i ans. Son fils Soleyman, né à Rosette le 8 décembre 1799, fut baptisé à Turin le 4 juin 1812 et nommé page de l'Empereur, qui lui confirma le titre de comte, donné à son père. Jacques-Paul-Louis de Menou fut nommé sous-lieutenant de cavalerie lieutenant en i8a5, il alla faire un stage à l'École de Saumur, où il mourut de la phtisie le 28 juin 1827 il était célibataire.

On ne lira pas sans profit dans cette Revue quelques articles consacrés à l'histoire politique du Maroc Agadir par Jean Raymond (novembre et décembre 1924), L'expédition de Fès par Henri Rabanit (février 1936), Les conséquences du repli espagnol au Maroc par Réginald Kann (avril 1925) et une série d'articles de M. René Le Conte sur la colonisation étrangère en Algérie (décembre 1923 La colonisation allemande janvier 1924 La colonisation alsacienne et lorraine; août 1924 Les Ilaliens en Algérie; février 1925 Les Espagnols en Algérie). R. L. C.


Hespéris, Tome IV, année iQa'i, 3e trimestre, p. 3oô-3i3. E. F. Gautier Un passage Ibn lihaldonn et du [iayan.

C'est précisément une de ces études de psychologie ethnique comme en réclamait M. Hardy dans un des derniers numéros de cette revue M. Gautier rapproche la vie et la mort de notre adversaire Moha-ou-Hammou le Zai'ani, qui nous vainquit le ia novembre it)i4 à el-Herri, et qui tomba en combattant contre nous au printemps de ign, mais après avoir ordonné à ses treize fils, qui obéirent magnifiquement, de se soumettre et de nous être fidèles, de la fameuse histoire de la Kahéna, l'héroïne berbère de 693, et de ce rapprochement, qui met à nu la continuité, la permanence de l'âme berbère, naît une lumière qui mieux que tous les raisonnements et les documents nous éclaire sur les conditions de l'histoire en ces pays. J. T.

LaRévolution de 18*8, numéro C X, juin 1925, p. 453-456. Gabriel Vauthieh Lettre de Victor Sckœlcher sur l'émancipation, des noirs.

L'intérêt de cette lettre (B N., man.. nouv. acq. fr. ai536) est que, adressée à un M. Barkley, propriétaire de la. Guadeloupe, qui avait remercié Schœlcher de l'envoi de son livre (Des colonies françaises, abolition immédiale de l'esclavage. 1842). elle nous montre les arguments par lesquels les abolitionnistes tentaient de rallier à leurs vues même les propriétaires d'esclaves un point surtout mérite de retenir l'attention, qui est la nécessité proclamé d'une indemnité payée par le Trésor Public « Nous ne faisons pas du libéralisme sans bourse délier 1 » proclame Schœlcher. J. T.

Revue des Deux Mondes, i5 mars 1925, p. 3io-344 il, avril, p. 579-609 i5 avril, p. 770-803 i"mai, p. 149-186.

Georges Goyau. Le cardinal Lavigerie.

L'objet que se propose M. Georges Goyau, dans ses divers écrits, n'est peut-être pas tout à fait le nôtre il n'en reste pas moins que le cardinal Lavigerie a marqué de son empreinte ineffaçable tout un aspect de l'œuvre de l'expansion française.

Rien ne semblait l'y prédestiner, et toute la première partie de la vie de cet homme, né le i5 mars i8a5, élève de Saint-Nicolas du Chardonnet, où l'influence de Mgr Dupanloup fut pour lui ce qu'elle fut pour tant d'autres, puis de Saint-Sulpice et de l'Ecole des Carmes,


l'un (les premiers doilours es lettres qu'ail rnmpli's l'H^lisc <le l'ïancc. professeur dViiseignomeiil secondaire cl. <le théologie on m^iue temps que prédiialour. enfin auditeur de rôle cl évêque do Nancy, fut simplement celle d'un grand prêtre finncni.s, avide d'agir el de servir. avait déjà préludé eu quelque sorte a ce que devait être son cruvre. future par l'impulsion qu'il avait donnée depuis i85<> à l'œuvre des Kcolcs d'Orient et par sou voyage en Syrie, il avait pris un premier contact avec l'Ame exotique el les conditions spéciales qu'elle impose à l'action mais ce ne fut qu'en iSGS, par sa nomination à l'évcclié d'Alger, auquel il s'ncoroclin immédiatement au point de refuser t'éclatante coadjuloreric de Lyon qu'on le suppliail presque d'accepter, que se dessina vraiment, la carrière de celui qui allait être l'un de nos plus grands Africains.

11 y avait eu avant lui des évoques d'Alger, mais leur rôle, par une consigne que leur avait imposée un préjugé. raisonnable ou non. avait été systématiquement réduit à celui de chapelains en chef d'un corps expéditionnaire militaire et civil campé dans une banlieue méditerranéenne de la France. Du premier coup, Lavigerie voulut autre chose il ne s'agissait pas d'une prédication directe, dont il voyait mieux que personne les inconvénients et les dangers, mais d'une attitude franche et loyale par laquelle les deux civilisations, cessant de s'enfermer dans le mutisme et l'ignorance réciproques, se pénétreraient et s'adapteraient, si bien qu'un jour cette Afrique Mineure, qui avait été chrétienne et pour qui l'Islam n'était qu'une domination imposée, se retrouverait ce qu'elle avait été, l'Eglise y rentrant comme chez soi, lanquam in propria sua. La conception était hardie, dangereuse peut-être, et se heurta, comme il convenait, à toutes sortes d'oppositions, à la maxime essentielle Pas d'histoires, à d'autres encore elle vécut cependant et, bien vite, de 187a à 1875, prit une ampleur nouvelle il ne s'agissait plus d'une œuvre algérienne, mais d'une oeuvre africaine, d'une couvre universelle et celle-ci, plus encore que l'autre, devait intéresser la France, car avec le catholicisme français de Lavigerie, c'était l'esprit français tout entier qui s'étendait sur le monde. Les premiers fruits en furent recueillis en Tunisie, où M. Roustan n'eut pas de plus utile collaborateur que l'archevêque d'Alger, puis de Carthage, où, après l'établissement du protectorat, ce souple organisme n'eut pas de meilleur ouvrier pour l'étendre et le défendre, à la fois contre les éléments de dissociation interne et contre les velléités d'annexion de certains Français à doctrines comme le général Boulanger. Mais c'était aussi l'antique Levant où, grâce à Gambetta, le séminaireécole normale de Sainte-Anne de Jérusalem devenait un centre d'où


rayonnait nolrii influence, ou ce devaient <;lre le Sahara, l'Afrique rlquatori.ilc, l'Ouganda, clc;

A cette œuvre d'apostolat renouvelle de In primitive visliae, il fallait <lc.s instruments spéciaux que Lavigerie créait, revenant d'inslincl aux moyens qu'avait à d'autres époques, dans des nécessités analogues, institués la même église Pères Blancs et Sœurs de notre Dame rapprochant leurs vies et leurs aines de ceux qu'ils voulaient conquérir, frères agriculteurs, pionniers, voyageurs, so dats même un instant; et Lavigorie se voyait ainsi conduire à grandir chaque jour son u:uvrc, il dépasser chaque jour davantage les limites de l'activité normale d'un évoque, à se transformer en diplomate, en prêcheur de croisade, en puissance parmi les puissances toute la dernière partie de sa vie était ainsi consacrée à l'œuvre antiesclavagisle, à la lutte contre cette « pompe pneumatique de l'enfer » qui vidait l'Afrique d'hommes, en même temps que par un singulier retour il se trouvait ainsi ramené au souci même de ses premières années, à la question essentielle dont la réponse, il n'en faut pas douter, engage tout l'avenir de l'Afrique y a-t-il possibilité de conciliation et de collaboration, ou antinomie irréductible, entre l'Islam et la civilisation telle que nous la concevons Les dernières années de Lavigerie étaient attristées par mille malheurs, par les massacrés qui décimaient ses chrétientés lointaines, par des luttes non seulement contre les tyrannies locales, mais contre des puissances civilisées, par le divorce enfin qfii s'opérait entre l'œuvre missionnaire et l'œuvre coloniale et il mourait le 25 novembre 1892 les Arabes chrétiens n'étaient encore que des exceptions la marche sur le Touat était abandonnée qu'adviendrait-il des chrétientés de l'Ouganda L'œuvre même et son auteur étaient loin de soulever des enthousiasmes unanimes et le général du Barail n'hésitait pas à voir dans le cardinal le type même des « prélals d'affaires ». Des chiffres, des faits, pourtant, attestent que des résultats étaient acquis 473.609 chrétiens ou catéchumènes dans l'Ouganda, 19.195 au Soudan, 83 maisons de Sœurs Blanches éparses par le monde musulman, bienfaisantes et respectées, et surtout un grand souvenir, un grand programme aller plus loin serait faire de l'actualité. J. T. m

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Revue Maritime, nouv. sér., num. 63, mars igaô, p. 331-348 num. 64, avril, p. 497-017.

A.UPUAN (L' de v. P.) Les communications entre la France et l'Amérique pendant la guerre de l'Indépendance Américaine.

L'étude de M. A.uphan tend avant tout à tirer de l'analyse de


l'histoire des leçons pratiques, applicables a la conduite de la guerre dans tous les temps elle n'en conduit pas moins à des conclusions intéressantes pour l'histoire des colonies elles-mêmes elle nous montre comment, les Antilles étant au xvm° siècle un élément essentiel de la vie française, le souci d'assurer leurs communications avec la Métropole devint nécessairement l'un des articles essentiels du plan d'opérations de notre gouvernement pendant la Guerre d'Amérique les systèmes de défense employés varièrent, suivant un rythme curieusement identique il celui de notre dernière guerre la liberté du trafic, sans protection, reconnue impossible, on essaya d'en assurer une discipline prudente, combinée avec ce qu'on pourrait appeler une organisation d'atterrages patrouillés, mais ce fut en vain et il fallut très vite en venir à la méthode des convois, qui prit graduellement un développement tel que la guerre finit par se réduire à une gigantesque opération de convoyage l'action offensive des marines se trouva ainsi étrangement diminuée, de part et d'autre, mais du moins, si l'on ne peut écrire que dans cette guerre, nous ayons eu le contrôle des communications. l'Angleterre ne l'eut pas davantage et le profit pourles colonies en fut immense le commerce extérieur de la France (dont celui des Antilles était l'élément essentiel) ne tomba jamais de 725 millions, en moyenne entre 1764 et 1776, à moins de 684 il était tombé à 3a3 pendant la guerre de Sept Ans.

J. T.

Num. 66, juin 1925, p. 736-758 id., num. 67, juillet, p. 05-84. Joannès Tbamond Contre les Tal-Pings en 1862.

C'est bien de l'histoire coloniale, de l'histoire de l'expansion française, car cette concession de Shang-Haï est essentiellement une terre française, un centre actif d'influence et de rayonnement français sa création, sans doute, remonte à 1847, mais, après l'action de nos missionnaires, c'est au rôle qu'en 1862, de compte à demi avec les Anglais, jouèrent là nos marins et nos soldats, et surtout à la mort qui est devenue un symbole, de l'amiral Protet sur les murs de Néki-a-o, que nous devons notre prestige en ces régions de pacificateurs et de civilisateurs.

Il a paru d'autant plus intéressant de donner un récit de ces événements que, par une fatalité, tous les documents les concernant ont disparu de nos archives une véritable fortune nous a permis de le faire, à l'aide de notes prises au jour le jour par l'un des principaux acteurs le commandant de Marolles était arrivé à Ou-Song, avec la


Renommée, le 4 mars il avait aussitôt pu voir la gravité de la situation, la nullité des troupes impériales et la nécessité de l'action de police que réclamaient les consuls les amiraux Hope et Protet étaient décidés à tenter de chasser les rebelles de leurs places d'armes et à rendre la sécurité à la grande banlieue de Shang-Haï, mais ils disposaient de forces très insuffisantes deux régiments angloindiens, quelques marsouins et zéphyrs français, et surtout les compagnies de débarquement des croiseurs, au maximum i.5oo britanniques et 55o français disponibles, plus les auxiliaires chinois du capitaine d'artillerie français Tardif de Moidrey et de l'aventurier américain Ward {l'armée toujours victorieuse) il était très difficile de maintenir une exacte discipline dans ces troupes hétérogènes et de les faire agir de concert les liaisons et les renseignements n'étaient guère assurés que par des bonnes volontés improvisées, celle du capitaine anglais Gordon (le futur Gordon de Khartoum), celle de notre admirable Tardif, celle surtout du supérieur des Jésuites, le P. Lemaitre.

Deux premières expéditions, sur Tsi-Pou du 3 au 5 avril, et sur Tsi-Ou-Pou du 17 au 20, ayant donné des résultats encourageants, les grandes opérations, par terre et par eau, commencent le 28 du 3o au 2 mai, elles nous assurent la possession de Kia-Din (ou Cadine), grande ville, jadis plus importante que Shang-Haï, mais entièrement ruinée par les Taï Pings, puis du 6 au 1 1 .celle de TsingPou,l'une des places principales des rebelles on entreprend alors de dégager le Fou-Tong, à l'Est et au Sud de Shang-Haï et c'est là que le 17, l'amiral est tué d'une balle en surveillant l'assaut de Né-ki-a-o, qu'il a tenu à commander malgré la fièvre qui le minait cela ne devait pas arrêter l'exécution du plan, et l'on prend encore la ville de Tso-Lin,mais un retour offensif des Taï-Pings,dû à l'incapacité ou à la trahison des mandarins, et les progrès du choléra obligent à se réduire à la défense des positions conquises au reste les résultats essentiels sont atteints et justifient la reconnaissance des négociants de Shang-Haï et du gouvernement impérial pour la mémoire de l'amiral, qui s'est traduite notamment par l'érection de sa statue devant la Municipalité de la Concession.

J. T.

m

Revue Trimestrielle Canadienne, mars igaS, p. 45-62. Paul Lavoib La dîme dans la province de Québec,

La dîme n'a pas eu à être instituée au Canada, où elle existait nécessairement, de droit humain et divin, comme en terre française


et chrétienne mais son fonctionnement, naturellement laissé en sommeil pendant les premiers temps d'une colonisation difficile, ne fut effectif que quand les droits des curés eurent été fixés, par le décret établissant le séminaire de Québec, du 26 mars i663 elle était alors réglée au treizième de tous les fruits, charge excessive contre laquelle s'élevèrent l'évêque lui-même, le vice-roi Tracy, le gouverneur Courceltcs et Talon elle fut en conséquence réduite au vingt-sixième minot des grains seulement, le produit devant être porté chez le curé sans requête ni recherche pour plus de simplicité encore, un règlement de Frontenac et Duchesneau du 7 octobre 1678 prévit que, si le curé le voulait, il pourrait percevoir en argent une avance de aoo ou 3oo livres (mais il s'agissait là d'une simple provision et non d'une congrue, qui n'a jamais existé au Canada des décisions ultérieures vinrent aussi permettre la perception en argent de suppléments et de capitations, surtout pour pourvoir à l'insuffisance de la dime dans les paroisses non agricoles). Les curés continuèrent cependant en général à prélever la dîme en nature, soit par eux-mêmes, soit en l'affermant (règlement de 1667) un retour offensif pour la faire porter sur tous les fruits fut tenté en 1705 par les curés de Beauport et de l'Ange-Gardien mais la volonté royale était si nette que le procès ne fut pas long et que dès le 1" février 1706, un arrêt du Conseil, confirmé le ia juin suivant, prescrivait de s'en tenir à l'usage ancien et de ne reconnaitre aucun droit aux décimateurs que sur les grains.

L'article 17 de la capitulation de Montréal, stipulant le maintien de l'Eglise catholique dans ses droits et privilèges, aurait pu ouvrir la porte à certaines difficultés, car il ne s'y agissait évidemment que de l'exercice du culte la conservation des droits utiles du clergé pouvait donc être considérée comme subordonnée à la bénévolence royale telle était du moins l'opinion des autorités anglaises mais l'ambiguïté fut levée par le statut du aa juin 1774 (ia Geo. III, cap. 83, sect. 5) et le principe des dîmes, maintenu par l'acte fondamental de 1791, a continué à faire partie du droit public canadien jusqu'à nos jours. Le reste de l'article est consacré à l'étude de son double aspect, religieux et civil, pendant cette période. J. T. III

NOTES ET NOUVELLES

Le centenaire de Doudart de Lagrée à peine célébré, meurt, le 3 mai 1925, le dernier survivant de sa mission et l'un des plus zélés collaborateurs de son œuvre, Delaporte.


Louis-Marie-Joseph Delaporte, né à Loches le to janvier 1844, entré en i858 à l'Ecole navale, aspirant le i" août 18G0 enseigne de vaisseau en 1864, envoyé en qualité de second sur la Mitraille en Extrême-Orient, il visita Bangkok, Ayuthia et fut aussitôt conquis par l'Extrême-Orient.

On était à l'époque où les grandioses ruines de l'art khmér commençaient à retenir l'attention visitées dès le xiii" siècle par des Chinois, au xvi" siècle par quelques missionnaires portugais, espagnols ou français (le P. de la Mothe), c'était seulement en i85o que le P. C.-E. Bouillevaux les avait explicitement désignées à l'attention puis Mouhot, en 18G1, l'amiral de la Grandière en i865 s'en étaient enthousiasmés, les avaient proclamées « supérieures à tout ce que l'on peut voir en Europe » et la grande expédition de Doudart de Lagrée, destinée à la remontée du Mékong, dut préluder à ses travaux par une reconnaissance de ces chefs-d'œuvre (juin 1866).

Ce fut pour le lieutenant de vaisseau Delaporte, à qui. en raison ses talents de dessinateur et de topographe,était échue la partie archéologique de la mission, la grande aventure qui fit désormais de lui, pour la vie, « l'homme d'Angkor ». Les quelques moulages envoyés par Doudart de Lagrée à l'exposition de l'Algérie et des Colonies n'avaient encore pu qu'éveiller des curiosités l'art khmér fut vraiment révélé au grand public par l'Atlas du fameux Voyage d'exploration en Indo-Chine, qui, pour cette partie, était presqu'entièrement dû à Delaporte jusqu'à sa mort, il devait se consacrer à achever cette œuvre.

Après la guerre de 1870, et le siège de Paris qui lui valut à moins de trente ans la croix d'officier, il retourne en Extrême-Orient, avec une mission au Tonkin que, grâce à Charles Blanc, les ministres de la Marine et de l'Instruction Publique transforment en celle, beaucoup plus selon le cœur de Delaporte, d'achever la reconnaissance archéologique du Cambodge et de constituer pour la France une collection d'art khmér avant que les Anglais eussent pu le faire, comme ils avaient entrepris, à notre détriment. Le a3 juillet 1873, il était à Angkor avec ses collaborateurs Harmand et Faraut, forts de l'appui très efficace du lieutenant de vaisseau Moura et du capitaine Aymonier auprès du roi Norodom, il visitait à loisir les principaux monuments Prah Khan, Koh Ker, Beang Mealea, Angkor, et revenait triomphant à Paris avec i2o caisses de sculptures. L'accueil officiel, hélas fut maigre effarés peut-être autant de l'importance quantitative que de l'esthétique imprévue de cet art, le Louvre et le Palais de l'Industrie déclinèrent l'honneur de l'hospi-


taliser. Les trésors de Delaporte durent trouver un asile presque dédaigneux dans la salle des Gardes du château de Compiègne où les guides les signalaient à peine, comme une sorte de curiosité barbare. Delaporte, cependant, était reparti pour l'Indo-Chine, où la Société Académique Indo-Chinoise, créée en 1877, était parvenue à lui faire donner en 1S81 une nouvelle mission à Angkor. Mais la santé de l'explorateur n'était plus à la hauteur de pareilles fatigues Delaporte, nommé le or janvier 188a conservateur de son musée indochinois transféré de Gompiègne au Trocadéro, où il est aujourd'hui l'un des joyaux de Paris, allait y achever les derniers jours d'une existence affable et discrète, dont l'incessante préoccupation, jusqu'à sa mort, harmonieuse comme sa vie, allait être l'art khmèr. Antoine CABATON.

Ouvrages de Louis Delaporte

Louis Delapoute. Rapport fait au ministre de la Marine et des Colonies et au ministre de l'Instruction publique, des Cultes et des BeauxArts, sur la mission scientifique aux ruines des monuments khmers de l'ancien Cambodge. (Journal Officiel, 1" et 2 avril 1874. p. a5i6 et 2546).

Le Cambodge et les régions inexplorées de VIndo-Chine centrale. (Bull. de la Soc. de Géographie de Paris, 6" série, 1875).

Louis Delaporte. Une mission archéologique aux ruines kmers. (Revue des Deux Mondes, i5 sept. 1877, p. jJai-455.)

Exposition universelle de 1878. Catal. du ministère de l'Inslr. pub. el des Beaux-arts, t. H, 2' fasc. Missions et voyages scientifiques (n° XI [p. 17] Mission Delaporte). Paris, 1878, in-8°.

L'antique temple de Baion chez les Kmers. (Rev. de Géog., III, 1878, p. 45-54).

Voyage au Cambodge. L'architecture Khmer. Par L. Delapohte, chef de la Mission d'exploration des monuments khmers, 1873, organisateur du Musée khmer, 1874-78, membre de la Mission d'exploration du Mé-Kong et de l'Indo-Chine, 1866-67-68. Paris, 1880, gr. in-8°, 175 gr., carte, 5o photogr.

Lettre de M. Delaporte, lieutenant de vaisseau. Des édifiées khmers. i. Sur Delaporte et le Musée khmêr, voir l'ouvrage suivant L'art khmer. Etude historique sur les monuments de l'ancien Cambodge, avec un aperçu général sur l'architecture khmer et une liste complète des monuments explorés. Suivi d'un catalogue raisonné uu Alusée khmer de Compiègne. Orné de gravures, [d'un portrait de Delaporte] et d'une carte par le comte DE Crouiek. Paris, Leroux, 1875, in-8°, 1I12 pages. Voir aussi Louis FmoT, Les Etudes indochinoises dans Bull. de l'Ecole française d'Ext.-Orient, t. VIII (1908), p. 237-228.


Paris, 10 avril 188a. (Bail. Soc. Géogr. Rochejorl, t. IV, 1882-1883, p. 161-162).

La grande voie commerciale de l'Indo-Chine. Le Mékong et la navigation à vapeur. Paris, 1891, in-8° (Rev. de Géogr., 1891).

Les Monuments du Cambodge. Etudes d'architecture khmères publiées par L. DELAPORTE d'après les documents recueillis au cours des deux missions qu'il a dirigées en 1873 et 1882-1888 et de la mission complémentaire de M. Faraut en 187/1-1870. Paris, 1914-1925, 3 fasc. in-folio. (Publication de la Commission archéologique de l'Indochine). A. C.

Du 9 janvier au 9 février iga5 a été ouverte à la Bibliothèque Nationale une exposition de livres, d'autographes, de gravures et de portraits consacrée à « Ronsard et son temps ». Les organisateurs de cette exposition y ont tenu compte du mouvement colonial et, s'ils ne lui ont pas fait la part large, du moins ont-il voulu que le souvenir en fùt évoqué à l'aide de quelques documents significatifs.

C'était d'abord des portraits de ces rois du xvi' siècle qui, d'une manière ou d'une autre, ont témoigné de leur intérêt pour les expéditions d'outre-mer ce François I" qui demandait à voir l'article du testament d'Adam réservant au Portugal et à l'Espagne seuls la conquête et l'exploitation des « terres neufves » et qui envoya Verrazano et J. Cartier en Amérique; ce Henri II, en qui Arthur Heulhard voit le véritable promoteur de la tentative de colonisation du Brésil français par Villegagnon ce Charles IX, qu'indigna si fort le triste sort des protestants français passés en Floride. N'oublions pas non plus Catherine de Médicis, la belle-fille, la femme et la mère de ces rois, qui rêva un moment la conquête du Brésil, et le célèbre amiral Gaspard de Coligny, qui fut l'instigateur de tant d'expéditions plus ou moins connues, dont le but était les rivages 'orientaux du Nouveau Monde. A côté des portraits de ces personnages de premier plan se groupaient ceux d'autres personnages qui, eux aussi, s'intéressèrent aux entreprises d'outre-mer. Si le jeune Henri de Navarre, le futur Henri IV. n'en avait encore nul souci, semble-t-il, au temps où vivait Ronsard, par contre son père Antoine de Bourbon songeait à étendre son influence sur le Maroc, et Philippe Strozzi périt au large de San Miguel des Açores le 26 juillet i58a, à la suite du combat naval qui mit brusquement fin'à l'expédition dirigée par lui, et préparée par Catherine de Médicis, pour faire triompher les prétentions formulées par celle-ci sur le Brésil en qualité d'héritière de la


couronne de Portugal après la mort du roi Sébastien au Maroc, en ̃ 578, à la célèbre bataille d'Alcaçarquivir. Il y avait là, au total, un ensemble de tableaux et de dessins dont les modèles avaient joué chacun son rôle dans le mouvement d'expansion maritime de la France au xvie siècle.

Mais là ne se réduit pas le rôle de ces différents personnages, et ce n'est même qu'un des plus petits côtés de leur activité. C'est au contraire surtout comme marins et fondateurs d'établissements bien éphémères hélas 1 sur les côtes du Nouveau Monde que sont connus Jacques Cartier, Nicolas Durand de Villegagnon, Jean Ribaud et René de Laudonnière. Le souvenir d'un seul d'entre eux se trouvait évoqué à l'exposition Ronsard, par la présentation d'une estampe insérée dans la Brevis Relatio rerum quae in Florida, Americae Provincia, Gallis acciderunt, publiée à Francfort-sur-Ie-Mein en i5gi, par les Frères de Bry. Ce sont sûrement des portraits que ceux des personnages groupés autour de la pierre aux armes de France devant laquelle sont déposés des fleurs et des fruits des Indiens agenouillés d'un côté et, de l'autre, des huguenots français, en avant desquels se tiennent Laudonnière et le chef indien ou Paraousti Satouriona. En effet, le bon miniaturiste Jacques Le Moyne de Morgues était parmi les membres de l'expédition, et c'est « au naturel », comme on disait, avec la fidélité et la minutie les plus scrupuleuses, qu'il a représenté cet épisode du voyage de 1564. dont l'estampe de i5gi n'a pas seule conservé le souvenir. Il est fâcheux qu'on n'ait pas songé à placer à côté de cette estampe un portrait quelconque de Villegagnon, ne serait-ce que cette gravure du temps qui le représente sous les traits de Polyphème. Non content de le nommer plusieurs fois dans ses poésies, Ronsard ne lui a-t-il pas, en effet, adressé des vers ? et ne lui a-t-il pas donné l'épithète de docte ? Du moins, une admirable carte manuscrite du pilote de la marine royale Guillaume Le Testu conservait-elle le souvenir du voyage de reconnaissance exécuté en i55i-i55a par ce marin et par le capucin André Thevet sur les côtes septentrionales du Brésil, bien au nord de la baie de Rio de Janeiro. De même, une estampe de i55^ attestait la présence à Rouen, quelques années auparavant, d'indigènes du Brésil qui participèrent comme acteurs à cette fameuse fête offerte au roi Henri II et à la Cour, en i55o, dont la « sciomachie » des danses, des scènes familiales et guerrières, des sauvages brésiliens constitua le clou.

Des exemplaires de la première édition des Singularitez de la France antarctique d'André Thevet (1 558) et de l'Histoire du voyage fait en la Terre du Brésil, autrement dit Amérique, de Jean de Léry (1578),


évoquaient le souvenir de la lamentable histoire de la « nouvelle Genève » fondée en i555 sur les bords de la baie de Rio de Janeiro et des querelles théologiques entre catholiques et calvinistes qui furent pour beaucoup dans sa ruine dès i56o.

C'est seulement au Canada, en Floride et au Brésil que les Français ont, à l'époque de Ronsard, tenté de fonder des établissements, si l'on néglige les premiers comptoirs créés sur les côtes septentrionales du Maghreb par les Marseillais mais, ailleurs encore, ils ont joué un rôle et envoyé plus d'un voyageur. L'es ouvrages du Manceau Pierre Belon, de l'infatigable André Thevet, de Nicolas de Nicolay, sieur d'Arfeuilles et de Bel-Air, l'attestaient à l'exposition Ronsard. Ils permettaient d'évoquer le souvenir de ces ambassadeurs de France qui, durant tout le cours du xvie siècle, jouèrent un grand rôle à Constantinople et firent respecter le nom des Francs parmi tous les pays du Levant.

Ainsi, par quelques numéros vraiment significatifs, les organisateurs de l'exposition « Ronsard et son temps » ont su évoquer le souvenir des expéditions principales françaises d'outre-mer de l'époque du roi Henri II et des guerres de religion. Rien n'eût été plus facile que de rendre plus complète cette évocation mais le poète de Cassandre était, ne l'oublions pas, le centre en même temps que l'occasion de l'exposition de la Bibliothèque Nationale, et c'est de façon purement accidentelle et intermittente que Ronsard s'est préoccupé des lointains voyages au Levant et au Ponant. Il n'y avait donc pas lieu de leur faire une grande place, qui eût risqué de fausser les proportions de l'ensemble. Dans une exposition « Ronsard et son temps », les expéditions d'outre-mer, comme la géographie et les voyages, ne sont que des comparses du moins, faut-il savoir gré aux organisateurs de ne les avoir pas oubliés ni les uns ni les autres et d'en avoir évoqué le souvenir. H. F.

Il ne parait pas que les études auxquelles nous nous sommes consacrés soient appelées de longtemps à prendre dans la vie de nos universités la place qui devrait leur revenir. Sur 199 mémoires pour le Diplôme d'Etudes Supérieures d'histoire et géographie concernant l'histoire moderne, soutenus entre 191a et 1924, dont nous trouvons la liste dans le Bulletin de la Société d'Histoire Moderne de février iga5, onze seulement ont traité des sujets qui y touchent de près ou de loin MM. SOIGANT, Le café en Nouvelle Calédonie de 1899 à 19 1U (Besançon, igai) Mobchipont, La Compagnie d'Ostende et l'Europe, 1722-1731 (Lyon, 1930) Capot-Ret,


Les principes directeurs de la politique française dans ses rapports avec les Etats barbaresques, 1448-1685. Saint Vincent de Paul et Colberl (Paris, 1918) Moussard, Le peuplement agricole en Algérie de 1871 à 1918 (id., 1919) Decencièro-Ferrendièro, La reconquête du Sénégal et l'expédition sur les côtes de l'Afrique Occidentale de 17781779 (id., 1 930) Roulliau, De la constitution à Rome et dans les vica riats apostoliques d'Extrême-Orient de la sacrée congrégation de la Propagande, de 1821 à 1901 (id., 1931) Regulato, Oran, étude de géographie urbaine (id., ig'a4) Hénin, Les relations de la France et du Maroc de 1815 à 18U8 (Nancy, igi3) Julien, l'Opinion publique et la question d'Alger sous la Restauration (Alger, 1919) Cockempot, Le traité Desmichels (Alger, 192a) – Gandolphe, Une page d'histoire tunisienne l'insurrection sfaxitte (Grenoble, igi5).

Un autre renseignement, peut-être plus décourageant encore, nous est apporté par le Bulletin de la Société des Professeurs d'Histoire et de Géographie qui, dans ses numéros de janvier et avril, nous énumère les cours professés dans nos dix-sept universités pendant l'année courante sur 55 cours d'histoire moderne et contemporaine, aucun n'a trait, de près ou de loin, à l'histoire des colonies sauf, peut-être, épisodiquement celui de M. Pariset à Strasbourg, qui traite de l'évolution politique de l'Asie au XIX' siècle; sur 51 cours de géographie, il est vrai, il y en a huit ou dix qui concernent nos possessions lointaines, et il en est même un, celui de M. Girault, à Poitiers, sur l'Economie coloniale, qui, le nom de son auteur nous en est garant, ne néglige pas le point de vue historique. Il n'en reste pas moins, on le voit, que le dédain pour ces sortes d'études est navrant il y a même recul sur ce qui se faisait il y a quelques années.


REVUE

DE

L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

LES VENTES

DE

LA COMPAGNIE DES INDES A NANTES (1723-1733).

I. LE COMMERCE DE LA COMPAGNIE DES INDES. On sait que les Compagnies de commerce créées par Colbert n'ont pas eu un très grand succès La Compagnie des Indes Occidentales n'avait pas tardé à péricliter; la Compagnie des Indes Orientales réussit un peu mieux c'est d'elle que date la fondation première de nos établissements de l'Inde. En 1717, Law reçut le privilège d'une nouvelle Compagnie des Indes Occidentales, qui englobe celui de la Compagnie des Indes Orientales et celui de la i. Voy. Bonkassieux, Les grandes compagnies de commerae, Paris, 189a.


Compagnie de la Chine, ainsi que le monopole du commerce de Guinée. La chute du Système de Law entraîna dans sa ruine la Compagnie des Indes, mais elle fut reconstituée dès 1723

La Compagnie reconstituée va d'ailleurs abandonner bientôt son domaine de l'Occident (la Louisiane, les Antilles) et, pour le commerce de Guinée, accorder des permissions au commerce privé. Elle conservera l'ile Bourbon et l'île de France. C'est le commerce de l'Inde et de la Chine qui va être son principal champ d'action. Outre les établissements de l'Inde, elle a deux importants comptoirs à Moka et à Canton.

Le commerce de la Compagnie a été vraiment considérable au xviii0 siècle jusqu'à sa suppression en 176g2. De Moka, elle importait du café, mais ce commerce, depuis 1732, dut subir la concurrence du café des « iles d'Amérique » 3. Dans l'Inde, les vaisseaux de la Compagnie transportaient des vins, des eaux-de-vie, des draps, du fer, de la quincaillerie, de la verrerie, des piastres espagnoles i. Voy. Henry Weber, La Compagnie française des Indes (16O&1675). Paris, 190! (Thèse de doctorat en droit). Sur la Compagnie des Indes à la fin du xvn" siècle et au début du xvin", cf. aussi Kaeppkuh, La Compagnie des Indes et François Martin (ifôh-iHS), Paris, 1908 (thèse de doctorat ès-lettres).

2. Cf. WEBER, Op. cit., pp. 472 et sqq. SAVARY DEsBBCi.ONS,Dictfonnaire Universel de commerce, éd. de 1741 et de 1759-65, in-fol. (Commerce de l'Asie) abbé Morellet, Mémoire sur la situation actuelle de la Compagnie des Indes, 1764 Al. Legrand, Inventaire des Archives de la Compagnie des Indes à Lorient (Bulletin du Comité des Travaux historiques, section Géographie, an. igi3, t. XXVIII, pp. i6o-a5i) Encyclopédie Méthodique, Dictionnaire du commerce, art. France. 3. Dans la période qui nous occupe la Compagnie a le monopole de la vente du café en France. C'est ainsi qu'en 172g, 536 balles de café furent saisies à Dunkerque sur Vanhée, négociant, qui les y avait introduites il ne sera fait mainlevée de cette saisie qu'à la condition que ce café sera « transporté et déchargé hors du royaume » (39 novembre 172g, Arch. de la Loire-Inférieure).


ils en rapportaient des étoffes de toutes sortes (cotonnades blanches et indiennes peintes), du salpêtre, des cauris (coquillages pour le commerce de Guinée), du poivre, des bois (bois de sapan et bois rouge). D'après l'abbé Morellet, dans la période de 1725 à 1736, la Compagnie acheta dans l'Inde des marchandises pour une somme de 5o. 980 000 1., qui furent revendues en France 99.981.000 1., c'est-à-dire avec un bénéfice de 96 %•

Le chiffre d'affaires, d'ailleurs, ne devait cesser de diminuer dans la suite. La guerre de Sept Ans porta un coup mortel à la Compagnie des Indes, qui fut dissoute en 1769'.

Le commerce de la Chine était le plus important après celui de l'Inde. Les principaux articles que la Compagnie tirait de Chine étaient la soie, les soieries, les porcelaines, le thé (cet article devait de plus en plus gagner en importance) venaientensuite le cuivre, les ouvrages de laque, le camphre, le sucre candi. Les trois quarts de la soie étaient destinés aux industries nationales. Les achats se faisaient en partie au moyen de piastres espagnoles. De 1725 à 1736, d'après Morellet, la Compagnie acheta en Chine pour 9. 272. 000 1. de marchandises, qu'elle revendit 18.96 i.oool. c'est-à-dire avec un bénéfice de io4,5o °/0. Dans la période de 1725 à 1734, chaque année, c'était environ 5 millions de marchandises qu'on achetait en Asie et dont le prix de vente s'élevait à 10 ou 11 millions (i5 millions en 1731-1732, et i4 en 1732-1733).

i. WEBER (op. cil.) déclare que la Compagnie des Indes, si elle n'importa pas une quantité de marchandises suffisante pour accroître sensiblement les exportations de la France, a du moins pourvu aux besoins dû royaume. Toutefois, dans la seconde moitié du xyiii* siècle, économistes et négociants attendent du commerce libre une bien plus grande expansion. Voy. J. Letacohsocx, Le Comité des extraordinaires des manuJactures et du commerce (Annales Révolutionnaires, 1911).


On comprend alors que les ventes que la Compagnie des Indes effectuait en France, à Nantes, puis à Lorient, représentât un trafic considérable, qui jouait un rôle notable dans le commerce extérieur de la France Il est donc intéressant de saisir sur le vif la façon dont s'opéraient ces ventes. C'est ce qu'il nous sera permis de faire pour la période de 1723 à 1733, au moment où ces transactions avaient lieu à Nantes 2.

II. NANTES, siège DES VENTES DE 1723 A 1734.

Pendant les dix premières années de la société reconstituée, c'est Nantes qui est le siège exclusif des ventes de la Compagnie. Déjà auparavant, nous trouvons la mention de ventes qui eurent lieu à Nantes. Ainsi, un arrêt du Conseil, du 24 février 1691, prescrit la vente en cette ville des marchandises d'un vaisseau arrivant de l'Inde 3. i. Voici les chiffres donnés par le Dictionnaire du Commerce de l'Encyclopédie méthodique

années VAISSEAUX prix d' acoat aux indes Prix de vente eu France 1725-1726 22 5.422 OOO 1. g.643 OOO 1. 1726-1727 24 5.g24.ooo » i3.i53.ooo » 1727-1728 19 4.874.000 » 11.433.000 » 1728-1729 22 5.2i3.ooo » 9.722.000 » 1729-1730 19 5.273.000 » 10.661.000 » 1730-1731 16 4.930.000 » 9.401.ooo » 1731-1732 26 '/•498 000 » i5.i46.ooo » 1732-1733 22 g 85o.ooo « i4.5oo.ooo » 1733-1734 i3 10.974.000 » 19.421.000 »

Ce fut seulement la guerre de Sept Ans qui fit tomber ce chiffre d'affaires.

2. Notre principale source, ce sont les documents conservés aux Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 1590-1592. Les Archives de Lorient ne contiennent de documents sur les ventes que pour la période de 1758 à 1775.

3. Arch. d'Ille-et-Vilaine, C i5go.


En 1694, il s'agit des marchandises de trois vaisseaux en 1702, de celles de quatre vaisseaux En 171 2, du i5 avril au 23 mai, on vendit aussi à Nantes les marchandises de quatre vaisseaux venant de l'Inde et d'un navire pris sur les Anglais par cette escadre. Nous voyons que cette vente se fit u aux magasins de la C1" des Indes Orientales, situés au lieu de Chésine, paroisse de Chantenay » 3. C'est la première mention que nous trouvons de ces magasins. Nous savons, d'autre part, que dès 17 10, une taxe de 10 sous par lot vendu par la Compagnie était perçue pour l'entretien des quais voisins de la Bourse, où se firent d'abord les ventes 4. Une série d'arrêts du Conseil, rendus de 1712 à 1719 5, montre que, dans cette période, les ventes avaient lieu exclusivement à Nantes mais on peut supposer sans crainte de se tromper, que les ventes de Nantes commencèrent plus tôt6.

Remarquons, d'ailleurs, qu'après 1715, le commerce de Nantes se développa beaucoup, sans doute sous l'influence des mesures libérales de Law, du développement colonial, de la liberté de la traite négrière T. Les négociants i. Arrêts du 3 avril i6g& et du 22 août 1701 (Ibid., C i59o). a. Le Maurepas. le François d'Argouges, l'Auguste, le Loys-Brilhac. 3. Arch. d'llle-et-Vilaine. C i5go.

4. Voy. la lettre de Védier à l'intendant, du 36 janvier 1730, citée plus loin (Arch. d'llle-et-Vilaine, C 1593).

5. Arch. de la Loire-Inférieure, C 7S0.

6. Emile GABORY, dans son excellent travail sur La marine et le commerce de Nantes au XVII' siècle et au commencement du XVIII* (Annales de Bretagne, 190a, t. XVII) ne donne aucune indication sur les ventes de la Compagnie des Indes.

7. Voy. une lettre au Régent du 1 novembre i •317 (Arch. de la LoireInférieure, C 5gi) « La bonté qu'il a d'accorder au commerce général celui de la côte d'Afrique était un des moyens les plus efficaces, d'augmenter les colonies françaises de l'Amérique. On en a profité avec tout le succès qu'a pu,permettre le malheur des temps, en sorte que nos colonies ont produit si abondamment de leurs denrées que le royaume s'est trouvé en état d'en fournir aux voisins, ce qui a décidé la jalousie des Anglais. »


nantais ont eu beau se plaindre de la « circulation fiduciaire », résultant du Système de Law, ils n'en ont guère souffert. En 1721, 2.ooo navires sont inscrits à Nantes (au lieu de i.33o, en 1703) et le tonnage, depuis vingt ans, s'est élevé de 100.000 tonneaux à 2oo.ooo; chaque année, 60 navires négriers sortent du port1.

Les magasins de la Ghésine semblent avoir été très insuffisants. Un document de 1737 nous montre que « pour la plupart, ils étaient construits de pans de bois, mal fermés, très exposés au feu », et aussi qu'ils étaient épars et trop facilement accessibles aux vols et malversations s.

Dès 1727, on se préoccupa de reconstruire ces bâtiments et de profiter pour cela de la construction du port d'Estrées, sur le rivage même de la Chésine, à l'endroit où le chenal s'est conservé, malgré les ensablements 3. M. de Lafond, ingénieur, préconise l'établissement de ces nouveaux magasins. Il estime la construction à Soo.oool., mais il pense qu'il faut déduire de cette somme les anciens logements et magasins, qu'on pourra vendre au prix de 4o.ooo 1. en outre, on fera l'économie de 10.000 livres de location annuelle, de sorte qu'en 26 ans la Compagnie aura regagné ses déboursés. De plus, les 10 sous par lot que paient les acheteurs des marchandises des Indes Il pour la réparation de la chaussée de Chésine » resteront sans emploi, lors que le port d'Estrées sera construit « on pourrait en faire l'application durant le cours des i. Sur ce qui précède, voy. Gaston Martin, Le système de Law et la prospérilé du port de Nantes (Revue d'histoire économique et sociale, an. igai. pp. 46i et 599.).

2. Arch. de la Loire-Inférieure, C 35i.

3. Jlfémoire touchant les raisons pour lesquels on propose la construction d'un hôtel et de magasins pour la Compagnie des Indes sur la rivière de Loire, par M. de Lafond, ingénieur (Ibid., C 35i).


trois premières ventes », ce qui produirait environ 7.500 1. Lafond voit donc les plus grands avantages à la construction de nouveaux bâtiments

« On peut ajouter que les directeurs de ladite Compagnie et les employés seront logés convenablement et auront les places nécessaires pour leurs bureaux la Compagnie aura plus de magasins qu'elle n'en a occupé jusqu'à présent (364 toises, au lieu de 3a6, soit 38 toises de plus de long), et elle aura toutes les commodités qui conviennent à son commerce. » Le maire de Nantes, dès 1727, recommanda vivement l'affaire au maréchal d'Estrées, « tint plusieurs conférences avec MM. Godeheu, d'Hardaneourt, directeurs de la Compagnie », qui s'y montrèrent favorables; mais la Compagnie ne pouvait décider « une affaire de cette importance »̃ il fallait s'adresser au Cardinal de Fleury. Toutes ces démarches finalement échouèrent, puisqu'en 1733 on décida de transporter les ventes à Lorient et d'y faire les constructions nécessaires.

La Compagnie des Indes estimait qu'il serait avantageux de « réunir toutes ses principales négociations en un seul et même port et qui soit soumis à ses ordres ». Elle espérait réduire le travail de ses agents et éviter les frais de transport des marchandises à Nantes elle trouvait enfin qu'à Nantes elle m'avait ni magasins pour les marchandises, ni logements vraiment suffisants pour ses agents.

La municipalité de Nantes, dans un long mémoire de juillet 1733, s'efforça de rétorquer tous ces arguments1. Elle montrait que, de Lorient, les transports par roultess et muletiers seraient moins aisés que de Nantes, plus coûteux aussi, parce qu'il n'y aurait pas la: concurrence 1. Voy. l'Appendice.


de la voie d'eau. A Lorient, la Compagnie ne trouverait pas autant de bons ouvriers, et notammentd'emballeurs, qu'à Nantes. Elle va dépenser 800.000 1. pour ses magasins de Lorient, tandis qu'à Nantes, à la Chésine ou sur le quai d'Estrées, elle pourrait en construire de très beaux pour 400.000.

Mais l'argument sur lequel la municipalité insiste le plus, c'est que Nantes est un marché infiniment supérieur au « port perdu » de Lorient. Les marchands du reste du royaume s'y rendront bien plus volontiers qu'à Lorient, à l'exception peut-être des marchands de coton, des épiciers et droguistes. Les étrangers, qui achètent par commission et hors des ventes, ne trouveront pas à Lorient des correspondants comme à Nantes. Les négociants en gros sont encore bien plus attachés à la place de Nantes par les facilités qu'ils y trouvent de conclure leurs achats dans les meilleures conditions, car ils peuvent charger les négociants nantais de faire des emplettes pour leur compte. Les marchands du reste du royaume trouvent à Nantes un séjour plus agréable et toutes les facilités de se livrer aux opérations de banque nécessaires on n'y manque jamais de pouvoir se procurer des lettres de change pour n'importe quelle place. Puis, on ne trouvera pas à Lorient, comme à Nantes, des négociants du cru, capables de traiter avec la Compagnie pour l'achat des marchandises invendues, qui s'élèvent souvent à plus d'un million de livres. Enfin, dans le port de Nantes viennent une foule de navires étrangers qui prennent du fret pour leur pays. d'origine.

L'Intendant de Bretagne, dans le mémoire qu'il envoie au Contrôleur-général reprend tous les arguments de 1. Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 73a.


la communauté de Nantes. Il énonce seulement avec plus de netteté l'argument que Nantes a l'avantage incomparable de se trouver au débouché d'une rivière navigable1. « La rivière de Loire, dit-il, est indispensable pour des marchandises de poids et de si peu de prix que la voiture en excéderait la valeur, telles que les bois rouges, les gommes et autres outre celles-là, il y en a d'autres, comme le café, thé, poivres, grosses toiles, porcelaines et vernis, dont la meilleure partie entrait dans le royaume par cette rivière, et dont la voiture par charettes deviendra bien chère et bien à charge. » C'était là, en effet, une conciliation sérieuse. L'intendant insistait aussi sur l'argument qu'à Nantes les marchandises trouvent un débouché plus aisé que dans n'importe quelle ville de la Bretagne « J'ai été frappé, écrit-il, par l'exemple de Saint-Malo, dont les négociants, tant qu'ils ont eu le commerce des Indes, quoiqu'ils eussent la commodité de faire venir dans le port [de SaintMalo] leurs vaisseaux, ont toujours préféré de faire leursventes à Nantes2. »

Quoiqu'il en soit, l'intendant fut avisé par une lettre du, Directeur de la Compagnie, du 17 septembre 1734, que la vente « se fera cette année à Lorient pour la première fois et qu'elle y sera continuée à l'avenir ». On y commet. le subdélégué d'Hennebont, Bréart de Boisanger, qui écrit le 3o septembre à l'intendant « Lundi, la foire commence la plupart des marchands sont arrivés, et en grand nombre ». Le i3 novembre, « aux magasins de la Compagnie, situés dans le parc de Lorient », on dresse i. Art. 10.

a. Lettre de l'intendant à M. de la Loë, du si avril 1733 (Arch, d'Ille-et-Vilaine, C 73a). Le monopole du commerce des Indes avait été donné en 1709, à des négociants de Saint-Malo, au grand déplaisir des Nantais, qui auraient désiré se le faire attribuer voy_leur mémoire de 1714 [Arch. de la Loire-Inférieure C 761],


l'inventaire de douze vaisseaux arrivés de l'Inde, en présence des trois syndics directeurs, Saintard, Godeheu et Cavalier, et de François Richard, « commis par le Conseil »

III. L'INVENTAIRE DES marchandises.

Pour chaque vente, un arrêt du Conseil ordonne que l'inventaire des marchandises soit dressé. Ainsi, l'arrêtdu i4 septembre 1732 2 décide que cet inventaire sera fait, en présence du sieur Richard, « commis par le Conseil pour l'exécution de l'arrêt du 18 mai 1720 ».

« Usera divisé en trois chapitres, dont le premier comprendra les marchandises sujettes à la marque, comme mousselines. toiles de coton blanches, mouchoirs de coton du Bengale et de Mazulipatam, mouchoirs de soie et coton, écorce, et soie et écorce; le 2', les drogueries et épiceries, comme café, thé, poivre, rhubarbe, esquine, cardamone, galanga, curcuma, vifargent, gomme laque plate et en feuilles et pour la teinture, cauris, tontenage, bois-rouge, soie écrue, porcelaine, cabarets, rotins et antres le 3' chapitre sera composé de mouchoirs de Pondichéry, toiles teintes, peintes et rayées de couleur, damas, satins unis, rayés, pékins, gourgarans et autres étoffes dont l'usage et le débit sont prohibés dans le royaume, et, quoique chargées sur les vaisseaux de la Compagnie, ne peuvent y être vendues qu'à la condition qu'elles seront renvoyées à l'étranger. »

Les marchandises spécifiées au premier chapitre « seront marquées aux deux bouts de chaque pièce d'une seule et unique marque pareille à l'empreinte, étant au 1. A.rch. d'ille-et-Vilaine, C r5gi.

a. Arch. d'Ille-et-Viiaine, C i5gi.


pied de I'arrêtdu28 avril 1711, sur un morceau de parchemin » par les personnes qui y ont été commises la marque sera attachée « au chef et à la queue de chaque pièce avec le plomb de la Compagnie en présence du subdélégué ». On voulait éviter ainsi l'introduction en France de marchandises provenant de l'étranger, et on avait même exigé, en 1727, l'apposition d'une seconde marque J.

Quant aux marchandises prohibées (toiles de coton teintes, peintes ou rayées de couleur, damas, satins, etc.), « la vente et adjudication n'en pourra être faite qu'à la condition d'être envoyées à l'étranger par les adjudicataires dans six mois au plus tard » jusque-là elles seront mises « dans le magasin d'entrepôt > II est défendu aux « détailleurs » qui emploient les mousselines de l'Inde d'acheter à d'autres personnes qu'à « des marchands connus et domiciliés, sauf aux détailleurs à obliger lesdits marchands de signer leurs noms au dos de chaque marque en parchemin, apposée sur les pièces vendues ». 1. Voy. l'arrêt du Conseil, du 26 septembre i73o, « en interprétation de l'arrêt du 1 août 1727, et qui réglemente les formalités à observer par les marchands et négociants, qui achèteront à Nantes des marchandises permises venant des Indes et qui proviendront des ventes de la Compagnie (Arch. Nat., AD ix, 484) « S. M..étant informée de différents abus, qui se pratiquent au préjudice de la disposition dudit arrêt [de 1727], en ce que non seulement plusieurs propriétaires de ces marchandises les vendent et en font commerce sans y avoir fait apposer lesdites secondes marques, mais encore introduisent dans le royaume de pareilles marchandises venant des pays étrangers, en les faisant entrer dans lesdites balles qui contiennent des marchandises provenant des ventes de la Compagnie, en faisant apposer sur lesdites balles les plombs de douanes de S. M. S. M. ordonne l'exécution dudit arrêt, à peine de confiscation et de 3.oool. d'amende. ». Toutefois un nouvel arrêt, du 11 juin 173a, ordonne « la suppression des secondes marques en parchemin et en plomb sur les toiles de coton blanches, mousselines et mouchoirs provenant des pays de la concession de la Compagnie des Indes (Arch. de la Loire-Inférieure, C 750).


Dans le classement des marchandises, on distingue toujours les diverses catégories l.

Rien ne sera, d'ailleurs, plus instructif que de reproduire l'un des inventaires, qui nous ont été conservés, celui qui a été dressé le 23 novembre 1782 2.

Procès-Verbal, dressé par le subdélégué à Nantes de l'intendant de Bretagr.e, le a3 Nov. 173a, de l'inventaire des marchandises arrivées pour le eompte de la C" des Indes, par les vaisseaux y mentionnés.

L'an Mil sept cent trente deux, le 23e Novembre avant midi, Nous, Jean François Védier, conseiller du roi, trésorier de France, général des finances en Bretagne, maire et colonel de la milice bourgeoise de Nantes, commissaire et subdélégué en cette partie de Mr Des Galois de la Tour, intendant et commissaire départi par S. M. pour l'exécution de ses ordres en lad. province de Bretagne, ayant avec nous pour greffier M. Claude Perrot, de lui le serment pris au cas requis, nous sommes, sur le réquisitoire des sieurs directeurs de la Ci, des Indes, transportés aux magasins d'icelle, situés à Chesine, paroisse de 'Chantenay lès Nantes, où ayant trouvé les srs. Godeheu et Saintard, directeurs de lad. C" François Richard, commis par le Conseil pour l'exécution de l'arr. du 18 Mai 1720 et Louis Maillard de S'Marceau, agent de lad. C", lesquels dits srs. directeurs nous ont requis de procéder à l'inventaire de toutes les marchandises qui composaient le chargement des vaisseaux le Royal-Philippe, appartenant à lad. C" des Indes, en conformité de l'arrêt du Conseil du 14 Sept. dern. et de l'ordonnance de mondit sr. l'intendant du a5 du même mois, qui nous commet à cet effet à quoi nous avons procédé suivant et conformément aux déclarations et recensement desd. srs. direci. Voy., par exemple, le classement de marchandises saisies sur les vaisseaux de la Compagnie par les employés des fermes générales (nov. i73a) (Arch. d'llle-et-Vilaine, C i5gi).

a. Arch. d'Ille-et-Vilaine, C i5gi.


teurs et aussi en présence desd. srs. Richard et Maillard, ainsi qu'il en suit

Ch. I*' Des marchandises sujettes à la marque, comme mousselines, toiles de coton blanches, et mouchoirs de colon de Bengale et Masulipatam.

« Dix mille neuf cent quatre vingt dix pièces Salempouris blancs, ci. 10. 990 7-176 pièces guinées blanches et go pièces restées à Lorient, de la marque IBtp, faisant la totalité

des 7.266 pièces portées par les factures, ainsi

que lesd. srs. Godeheu et Saintard nous ont

déclarées avoir été retenues aud. Lorient pour

l'utilité de son commerce, au nombre de igo p.

ci 7. 176 i.o65 p. percales ci. 1 o65 36o p.Socretons; ci. 36o iC.o85 p. garas blancs, et 5 p. qui se sont trouvées de moins dans une balle a G; plus 1.2 iopiè-

ces que lesd. srs. directeurs nous ont déclaré

avoir été employées de plus sur 12 balles des

marques n'i, 2 et 3 G, qui ne se sont trouvées

que de 70 pièces chaque au lieu de 80 p. portées

sur les factures conformément aux billets qui

étaient dans lesdites balles, faisant ensemble les

17.230 p. portées par lesd. factures; ci. 16. o85 – 4.791 pièces baffetas blancs, y compris a p. que lesd. srs. directeurs nous ont déclarées s'être

trouvées de plus à l'ouverture de 2 balles mar-

quées t BFI et a BFI, n'étant porté que 4.789 p.

sur les factures; ci. 4.791 1.242 p. adataïs ci 1 242 9.770 p. Sanas blancs; ci 9-770 5.85i p. Hamans; ci. 5.851 i.ii8 p. Chavonis ci. 1 118


3.38o p. Tarnatames; ci. 3.380 4.40o p. Betilles div. ci. 4.4oo i 3o p. Toques, fil d'organdis ci. 130 1.650 p. organdis div.; ci. r.65o 34.585 p. casses diverses ci. 34.585 2iO p. Nensouques; ci. 270 8.6o5 p. Tanjebs divers. 8.6o5 16.7o5 p. Mallemolles divers, y compris p. que lesd. srs. directeurs nous ont déclaré s'être trou-

vée de plus à l'ouverture d'une balle marquée

AMS, n'étant portant que 16'704 pièces sur les

factures;ci. )6.~o5 62 p. Sallafoye ci. 6a 192 p. Atarasoye; ci. 192 537 p. Serbatis; ci. 537 5.384 p. Terindannes et Terindins ci. 5.384 2. 152 p, toques;ci. 2. 152 80 p. cravates fil d'organdis: ci. 80 965 p. cravates de Bengale ci. 965 78o p. Doreas de la côte ci. 780 10.8~6 p. Doreas divers;ci. 10.876 I.28~ p. Tanjebs domes ci. 1.287 197 p. Mallemoles domes ci. 197 297 p. Nensouques domes; ci. 297 209 p. Mallemoles assara, y compris to p. que lesd. srs. directeurs nous ont déclaré s'être

trouvées de plus à l'ouverture d'une caisse mar-

quée 34 TMAX, n'étant porté que 199 pièces sur

lesfactures;ci. 209 681 p. Terindannes assara ci. 681 ao5 p. Nensouques assara ci. ao5 aaa p. Tanjebs Maramat ci. a2a 151 p. Terindannes Maramat ci. 151 456 p. Terindannes Japonis ci. 456 112 D. Doreasbrod.: ci. na


1.207 Steinkerquesunies ci. 1.207 ) .300 fichus de Doreas ci. 1.200 1.994 Steinkerques brod. ci < .()C)4 3.372 cravattes brod. ci. 3.372 9.881 p. bazins, y compris une pièce de plus dans une balle 2 KB, déduction de 4 balles contenant

ensemble 4oo pièces des marques a KB et 6 KB

que lesdits srs. directeurs nous ont déclarés

s'être trouvées manquer à la décharge des vais-

seaux l'~4<'<j)onaM<e et le Jason, plus a pièces de

moins dans une balle 5 KB, faisant ensemble

10.283 p. au lieu de 10.282 pièces portées sur les

factures. g. 881 16.123 p. mouchoirs de Beng. et p. de moins des balles i MPO et 4 MO, que lesd. srs. Direc-

teurs nous ont déclaré s'être trouvées manquer à

l'ouverture desd. balles, faisant la totalité des

16. 125 p. portées sur les factures ci 16. 123 36o p. mouchoirs de Tranquebar ci 36o 4.664 p. mouch. de Masulipatam ci. 4.664 aga p. mouch. de Paliacatta ci. 292 Autres pièces sujettes à la marque, provenant

des saisies venues de Paris.

10 p. Hamans ci. 10 48 p. Adataïs ci. 48 49 p. basses ci. 49 46 p. Mallemolles ci. 46 58 p. Doreas ci 58 7 p. et coupons de cravattes, contenant 58 cravattes ci 7 89 coupons divers mousselines. 89 6 coupons de fichus broch., contenant 4' Hchus ci. 6 7 p. et coupons broderies diverses ci. 7 i p. contenant 4 fichus brodés sur Tanjebs ci. 1


coupon contenant 2 cravattes brodées ci 1 38 p. et coupons mouchoirs de Bengale, contenant 4a3 mouch.; ci. 38 7 coupons de divers mouch., contenan 154 mouch. ci. 7 CnAr. II Des drogueries et épiceries, soie c~crue, tany et nankin, sanjles, déchets, tares et traits accorda, et porcelaines 43.a3o livres gomme laqueplateouenfeuilles; ci. 43.a3o 27,7]olivresgommelaq.pourlatcinture;ci. 27.7io ,45o paquets de rotins ci. 1. 450 ~8g.6';o livres bois-rouge ci. 489.670 543.68o livres de poivre ci. 543. 680 339.612 livres salpêtre que lesd. srs. direct. nous ont déclaré avoir été déposés dans le magasin de

la Cie, à Lorient, lesquels salpêtres sont néan-

moins employés dans le premier chapitre pour

tenir l'ordre prescrit par ledit arrêt du Conseil.

du i4Sept.d';ci. 339.612 43.290 livres soie tany; ci. 43.290 4~3.i5o liv. café de Moka ci. 473. '5o 4.036 caisses thé vert Soulo ci. 4. 036 a3o caisses thé Hay Fsuen; ci. a3o 42o caisses thé Impérial ci. 4ao i .l,oo caisses thé Bouy ci. i .400 5og caisses thé Pékeau et 1 caisses que lesdits srs. directeurs nous ont déclaré avoir été rete-

nues à l'île de Bourbon, faisant la totalité des

52o portées sur les factures ci. 509 325 caisses thé Camhon ci. 325 179 caisses thé Saotchaon et une caisse que lesd. srs. directeurs nous ont déclaré avoir été retenue

à l'île Bourbon, faisant la totalité des 180 pièces

portées par les factures ci. 180


5 caisses de rhubarbe ci. 5 –)caissemusc;ci. 1 –)boîtedeJeinseing;ci. 1 3. 186 livres Cardamome ci. 3.186 –t4.o7oIiv.Galanga;ci. 14.070 8.26oliv. curcuma; ci. 8.260 32.6oo livres esquine ci. 3a.Goo 10.410 livres vif-argent; ci. 10.410 a4l.a6o livres tontenague ci. 241.26o 56o livres soie Mamoudabat ci. 56o 280 livres soie Mouta ou fleuret ci. 280 6.720 livres soie de Nankin ci. 6.720 4.878 cabarets de vernis et 6 de moins faisant la

totalité des 4.884 portés sur les factures ainsi que

lesd. srs. directeurs nous ont déclaré s'être trou-

vés à la vérification qui en a été faite ci. 4.878 36 boîtes d'encre de Nankin ci. 36 13. gog fiches et jetons nacre de perle ci. 13.9°9 126 caisses et 343 rouleaux de porcelaine ci. 469 499 pièces damas ci. 499 100 pièces damas de 2 couleurs ci. 100 ~oo pièces damas rayés ci. 100 500 pièces gourgourans ci. 500 i .o63 p. de Pékin unis ci. I .063 3oo p. Pékins rayés et ouvrés ci. 300 200 p. Pékins à fleurs broch. ci. aoo 581 p. satins unis, y compris une pièce que lesd.

srs. direct, nous ont déclaré s'être trouvée de

plus, n'en étant porté que 58o p. sur les factures

ci. 581 99 p. satins rayés et une pièce de moins faisant la

totalité des roo pièces portées sur les fact., ainsi

que lesd. srs. directeurs nous ont déclaré s'être

trouvée manquer à l'ouverture des caisses ci. 99 19 p. satins à fleurs; ci. 19


36/(.3ao livres de cauris ci. 364.2oo Une partie de café de l'île de Bourbon, d'environ 400.000 liv., que lesd. srs. directeurs nous ont

déclaré avoir été envoyées à Amsterdam et

Hambourg, sans que vérification en ait été faite

à Nantes lequel café est néanmoins employé

dans le présent chapitre pour les raisons ci-des-

sus expliquées à l'art. du salpêtre ci, environ.. 4oo .000 CHAP. III Contenant les toiles, teintes et rayées de couleurs, dont le débit et l'usage sont prohibés dans le royaume. 76o p. Salempouris bleus et t.56o p. que lesd. srs. direct. nous ont déclar. avoir été envoy. à

Lorient pour l'utilité de leur commerce, faisant la

totalité des 2.3no pièces portées sur les fact. ci. 760 96o p. Guinées bleus ci. 96o S.aoop. Baffetas bleus; ci. 3.200 6oo p. Limancas ci. 600 4oo p. Allibanis ci. 400 600 p. Coupis ci. 600 16o p. Guingans de Pondichéry ci. 160 48o p. Guingansde Madras ci. 480 1.659 pièces Caladaris;ci. 1.65g 297 pièces Chalbafis ci. 3<~ ag5 pièces Tepaïs ci. a~5 598 p. Dissouchaye et a pièces de moins, que lesd. srs. directeurs nous ont déclaré s'être trouvé

manquer à l'ouvert. d'une balle marq. 2 DL, fai-

sant la totalité des 600 pièces portées sur les fac-

tures ci. 5g8 6g6 p. Elatchas ci. 696 2. 100 p. Soucis; ci. 2.100 200 p. mouch. de Pondich. aoo


Autres marchandises prohibées provenant des saisies venues de Paris

roi p. et coupons toile bleue ci. lor 22 p. et coupons Limancas ci. 22 18 p. et coupons mouchoirs peints de Hollande, cont' 3.388 mouch. ci. 3r8 8 59 mouch. de Pondichéry ci. 59 1. 12 1 p. et coupons toile peinte ci. r i z r a4 Tabelliers ci. 24 25 courtepointes ci. 25 5 nappes à café ci 5 25 coupons con t6o fichus rayés et brochés ci. 25 5 p. et coup. broder. div. ci 4 3 p. bazinsbrodés ci. 3 3 p. de Guingans ci. 3 4 coup. de Coupis et Caladaris ci. 4 r p. cirsaca et Guingans herbe ci Il t 3 p. herbe et soie ci. 3 3o p. et coup. écorces d'harbre ci. 3o 5 coup. conti 2f fichus de soie et taffetas foulas ci. 5 I2 p. et coup. Chuquelas ci. 12 z 6 coup. Cottonis ci. 5 8 coup. Soucis ci. 8 2 p. et coup. satins de <( Tonquin » et bourre ci. 22 6 coupons armoisins et Darens ci. 6 4 p. Jamavas ci 4 8 p. Pékins unis et ray. ci 8 8 p. Gourgourans ci. 8 8 p. et coupons satins et damas ci. 8

« Et a été procédé à l'apposition des marques ordonnées par l'arrêt du Conseil du a8 Avril 171 1, au chef et à la queue de


chaque pièce de mousseline et toile de coton blanche, ainsi qu'à chaque paire des mouch. mentionnés ci-dessus, lesquelles marques ont été attachées avec le plomb ordinaire de lad. C1*, selon que ledit sr. Maillard de S1 Marceau nous a observé. « A l'inventaire et description desquelles marchandises et à l'apposition desdites marques il a été procédé en différents jours et autres, suivant les déclarations et recensements ci-devant mentionnés, le tout néanmoins à la manière accoutumée, pour ne point interrompre le service.

« Et procédant à l'apurement des bulletins ordonnés être mis par le Conseil, led. sr. Maillard de S' Marceau nous a observé qu'il lui restait. suivant le procès verbal par nous dressé le 28 Nov. I73i 16.688 bulletins, et avons fait apposer au présent le plomb ordinaire de lad. Cic des Indes avec deux desdits bulletins en parchemin, et réservé 10 desd.bullet. pour être apposés avec ledit plomb aux grosses et expéditions d'icelui, lesquels ont été paraphés de notre signature et de celle dud. sr. Godeheu, et nous a led. sr.deS'Marceaudéclaré qu'outre les 16.688 bulletins ci-dessus, il lui en a été remis 55o.ooo de la part de lad. C", faisant ensemble 566.688, dont 3-; 1.848 ont été employés aux marques susdites et qu'il en a été rompu et cassé 849. dont les fragments nous ont été représentés en 16 paquets de 5o et un de 49, et que nous avons fait jeter au feu en notre présence indépendamment desquels led. sr. Maillard de S1 Marceau nous a dit qu'il s'en est trouvé i35 perdus et « adhirés » dans les magasins partant, qu'il ne reste plus net que ig3.856 bullet, sur lesquels, distraction faite de 1 qui ont été apposés tant au présent qu'aux expéditions d'icelui, il ne reste entre les mains dud. sr. de S' Marceau que le nombre de 193.844 et avons pareillement fait apposer sur la minute du présent une empreinte du plomb de lad. C" sur cire d'Espagne rouge, pour servir de pièce de comparaison. Dont, et de tout ce que devant nous avons fait et rédigé le présent procès-verb., en présence desd. srs. Godeheu, Saintard, Richard et Maillard de S1 Marceau, lesquels ont signé chacun pour ce qui le concerne avec nous et notre dit grenier.


Fait aud. Chesine, lesdits jour et an. Ainsi signé Védier, Godeheu, P. Saintard, Richard, Maillard de Saint-Marceau, Perrot

L'inventaire précédent montre combien est considérable la quantité des marchandises misesen vente à Nantes et encore rnentionne-t-il /loo.ooo livres de café, qui ont été envoyées à Amsterdam et à Hambourg 2. Les autres inventaires, tirés du même fonds les inveni. Ici la marque, pile et 'face, des plombs de la C" des Indes, empreinte sur de la cire rouge. Le sceau en plomb a la forme d'un triangle équilatéral aux angles arrondis, dont les côtés sont indiqués par un pointillé en relief. Sur l'une des faces, on lit les mots suivants Compagnie des Indes. Au centre de cette face est figurée une ancre, en relief, comme le pointillé et comme la légende. L'autre face, qui a au centre une fleur de lis, porte les mots suivants Quo ferrar floretjb. De plus, celui des deux côtés du plomb sur lequel est cette devise latine, porte sur une de ses tranches (parallèlement à « Florebo ») le mot Orient.

Le texte finit comme suit « Ce fait, mesdits sieurs les directeurs nous ont déclaré qu'il était arrivé de Lorient, dans les magasins de ladite G", en ce lieu do Chésine, diverses marchandises saisies au Port-Louis par les employés des fermes du roi, lesquels dits sieurs directeurs entendent vendre incessamment en cedit lieu, le détail desquelles marchandises est expliqué dans un imprimé de la disposition et description d'icelles, lequel [imprimé] nous a été représenté par lesdits sieurs directeurs pour être joint au présent procès-verbal, pour la marque desquelles marchandises il a été employé 18 bulletins qui font partie de ceux mentionnés ci-dessus. Et ledit imprimé a été paraphé, en marge, der signatures desdits sieurs Saintard, Godeheu, Richart et Maillard, qui ont signé leur dite déclaration. Ainsi signé Godeheu, P. Saintard, Richart et Maillard de SI Marceau. « De laquelle déclaration et dépôt de ladite disposition imprimée nous avons décerné acte, et ordonné, après l'avoir aussi paraphé en marge, qu'elle demeurera annexée à la minute du présent. Fait à Chésine lesdits jour et an. Ainsi signé Védier et Perrot. » [Suivent ces deux signatures].

2. Dans les principaux ports, on peut entreposer les cafés pendant six mois, sans payer d'autre droit que le « domaine d'occident, à l'arrivée », et on a le droit de les réexpédier à l'étranger par mer ou par terre. Voy. l'arrêt du Conseil, du 29 mai 1736 (Arch. d'Hle-etVilaine. C i56g).

3. Ibid., C 1590 et i5gi.


taires de 1726, 1729, 1780, 1781, 1733 et 1734, nous permettraient de faire des constatations analogues 1. On est encore frappé de la quantité des produits provenant de l'Inde et de la Chine.

Toutes ces marchandises peuvent en somme se répartir en quatre catégories principales 2

i° les épiceries et drogues

2° les soies brutes et les étoffes de soie

3° les cotons et les toiles de coton

4° les métaux, diamants, pierreries, bois et porcelaines le thé 3.

La première catégorie est surtout fournie par les Hollandais, qui en possèdent souvent comme le monopole. La cannelle vient de l'île de Ceylan les clous de girofle, des Moluques le poivre, de Java et de Sumatra, et*aussi de la côte de Malabar. Quant à l'indigo, on le trouve surtout à Agra, à Golconde, dans le Bengale le gingembre, dans le royaume de Guzarate le salpêtre, dans le royaume de Patna, d'où il est transporté au comptoir hollandais d'Ougli la cassonnade, dans le Bengale. Du Bengale également et du Guzarate vient la laque, dont on tire l'écarlate et la cire à cacheter les lettres on tire la rhui. Parmi les marchandises mises en vente, il en est qui proviennent de prises opérées en mer ou de saisies faites, soit à Paris, soit au Canada. Enfin la Compagnie réserve parfois certaines marchandises pour le commerce de Guinée », c'est-à-dire pour la traite négrière en 1726, elle agit de la sorte, en ce qui concerne 960 pièces de salempouris blancs et 45o pièces de guinées blanches, qui sont restées dans les magasins de la Compagnie à Lorient (Inventaire de 1726, Ibid, C i5go)

a. Voy. SAVARY DES Brûlons, Dictionnaire universel du commerce, 1741, t. I, p. 4»i et sqq. Cf. Huet, Mémoires sur le eommerce des Hollandais, éd. de 17^-1718.

3. On met aussi en vente, parfois, des peaux (d'ours, de daims, de marmottes) provenant de l'Amérique du Nord (Archives Mun. de Nantes, HH 220).


barbe du Boutan, aux frontières de la grande Tartarie, et de la Chine.

La soie brute provient surtout de la Chine et du Tonkin où elle est blanche et très fine. La soie de Tripara et du Bengale est, au contraire, grossière, et ne se travaille qu'en Hollande et à Hambourg. Les étoffes de soie, très nombreuses, sont la source d'un grand profit pour le commerce, le bénéfice s'élève à environ ioo" Le coton « en laine » vient du Goromandel, du Bengale et de Chine. Les toiles se répartissent en deux catégories blanches et colorées. Les toiles blanches ou mousselines portent une raie d'or et d'argent le long de la pièce et aux deux bouts celles du Bengale sont les plus estimées. Les toiles peintes comportent, soit une seule couleur, soii plusieurs couleurs les premières se nomment baffetas. Les cotonnades constituent la principale branche du commerce de l'Inde.

De Chine et du Japon, on tire surtout les diverses sortes de thé, les porcelaines, les paravents et meubles de toutes sortes d

Les bois médicinaux, les bois de teinture, ceux qui servent à la damasquinerie et aux parfums forment aussi un objet important de commerce tels, les bois d'aigle, siampan, sandal, aloës, les bois de rose, sapan, calombat et cascatour.

Les principaux marchés de la Compagnie dans l'Inde sont Surate et Pondichéry. A Surate, au moyen de courtiers, elle se fournit de cotons filés et en bourre, d'étoffes de coton, blanches ou peintes, d'étoffes de soie, i. « C'est aussi de la Chine et du Japon que s'apportent les paravents, cabinets, bahuts, évantails et tant d'autres ouvrages de cette nature, de laque, de vernis et de peinture, qui sont l'ornement des plus beaux appartements » (Savary des Bbulo.ns, op. cil., t. I,p. 4>3).


de tapis, d'aloës, de bois de sapan, de café, de cauris des Maldives pour la traite négrière, d'encens, de salpêtre, de laque et cire d'Espagne, etc. A Pondichéry, on achète des toiles peintes de Masulipatam et de Pondichéry des bétilles organdy ou mousselines fines à gros grains des tarnatanes (mousselines très claires), des guinées blanches, des salempouris blanches et socretons, qui sont plus belles qu'à Surate

Pour les emplettes des marchandises de toutes sortes, on est souvent victime de tromperies très nombreuses portant sur le poids et surtout la qualité des articles 1. C'est pourquoi, on le verra, les acheteurs, aux ventes de la Compagnie, tiennent à visiter les lots dont ils veulent faire l'acquisition.

On craignait que les manufactures du royaume n'eussent à souffrir de la concurrence des toiles peintes et des soieries de l'Extrême Orient c'est pourquoi celles-ci étaient prohibées en France la Compagnie des Indes devait les réexporter à l'étranger. Mais il était difficile d'éviter la contrebande, et les indiennes étaient si recherchées qu'on dut finir par autoriser l'entrée des toiles peintes de l'Inde, puis par permettre la fabrication en France des indiennes, après une longue et ardente campagne menée par les partisans de la liberté commerciale

CONDITIONS DE LA VENTE ET TAXES PERÇUES.

Pour nous rendre compte des conditions de la vente et des droits que l'on perçoit sur les diverses sortes de I. SAVARY DES BRULONS, t. I, p. 428-439.

a. Voy. E. Depitre, La toile peinte en France aux XVII' et -XVIII' siècles, Paris, 191a. Le même problème s'était posé, mais au commencement du xvm" siècle, en Angleterre.


marchandises, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire le document suivant

Compagnie des Indes. Articles et conditions auxquelles la Compagnie fera vendre au plus offrant et dernier enchérisseur, en la manière accoutumée, les marchandises qui sont actuellement dans ses magasins à Nantes, le 1'r octobre 1732, à 8 heures. du matin et jours suivants 1.

« ART. 1" Les Marchandises seront vendues pour être payées comptant en espèces d'or et d'argent ou en lettres de change bien et dûment acceptées et de toute satisfaction, ainsi qu'il a été annoncé par les affiches publiques, entre les mains du sieur Nelzé, caissier de la C" des Indes pour lad. vente.

c Les adjudicataires ne pourront avoir la livraison de leurs marchandises qu'après qu'ils auront payé au caissier de la Cle à Nantes, le montant de leur adjudication,, en argent comptant ou en lettres.

« Le paiement comptant des marchandises .sera fixé au io Nov. prochain, le paiement à usance au io Déc. aussi proch., et celui à a usances au io de Janv. 1782, pour toutes les villes et places du royaume, soit qu'il y ait jours de grâce ou non. « La Gie accordera 10 "/“ d'escompte pour le paiement comptant de toutes les marchandises, 9 pour le paiement à usance, et 8 pour le paiement à 2 usances.

« Elle recevra en paiement, de ses adjudicataires, des lettres de change, ds. les termes ci-dessus et non auties, sur les villes ci-après seulement savoir sur Paris, Rouen, La Rochelle, S'-Malo, Nantes, Bord,, Cadix, Madrid: Amsterdam, Londres,. Anvers, Hambourg, Gênes et autres places étrangères. « A l'égard de Lyon, les lettres en paiement de Saints seront reçues comme lettres à 2 usances.

t. Arch. d'Ille-et-Vilaine, C i5gi.

a. C'est-à-dire à 3o ou à 60 jours. L'usance est de 3o jours.


« Elle n'admettra en paiement aucunes lettres de change audessous de la somme de 1.000 livres.

« Les lettres surMadrid,et autres places étrangères, sur lesquelles il y a un change établi, payables à 60 jours de date, seront reçues pour comptant jusques et compris le dernier jour d'Octobre préfix le change en sera réglé au cours de Paris et sur le pied porté par le certificat attesté de a agents de change qui aura été adressé à Nantes aux Direct. de la C'°, par eux reçu l'ordinaire qui précédera le jour que lesd. lettres seront fournies au caissier de la C1" à Nantes.

« Il sera libre aux adjudicataires de stipuler leurs lettres de change en espèces au cours du jour ou de les fournir sans stipulation mais ils seront tenus d'opter avant la livraison des marchandises, après quoi ils ne seront plus les maîtres de changer les conditions auxq. ils auront consenti.

« Les récépissés pour les sommes déposées par les négociants, soit à Paris ou autres villes, entre les mains des correspondants de la Ck indiqués par l'imprimé de la vente générale, ne seront reçus en paiement à la caisse de la vente que jusqu'à la fin d'Octobre compris, comme paiement comptant et ne pourront les adjudicat. prétendre aucun escompte pour prompt paiement au delà des 10 • pour le paiement comptant.

«Les adjudicataires seront tenus de prendre, sous 10 jours au plus tard après la vente finie, la livraison des lots qui leur auront été adjugés, laq. ne leur sera néanmoins faite qu'après qu'ils auront payé.

« Il sera libre aux adjudicataires de prendre des reçus du sieur Nelzé, caissier de la C* pour la vente, des sommes qu'ils auront payées à compte de leurs adjudications, lesq. reçus ils rapporteront aud. sr. Nelzé, en finissant leurs paiements et aussi de prendre une quittance finale, en finissant leur paiement général, qu'ils ne pourront exiger qu'en rapportant les récépissés que led. sr. Nelzé aurait fourni à compte, et qui seront censés de nulle valeur après le départ dud. sr Nelzé. « La Gie déclare que, sur les marchandises qui se vendront à


la livre, à l'exception du poivre, elle ne recevra d'enchère en deniers que 3. 6 et ( den. et sur les porcelaines qui seront vendues à la pièce, elle ne recevra pareillement d'enchère en deniers que comme ci-dessus.

« Et à l'égard des marchandises de coton, soie et soieries, ainsi que celles qui se vendent au cent pesant et de compte, la C1" ne recevra aucunes enchères en deniers.

II. « La C1" déclare que les pièces qui ont été tirées des balles et caisses pour échantillons seront remises à l'adjudicataire du lot dont elles auront été tirées, et les adjudicataires seront tenus d'en prendre la livraison an même prix de l'adjudication, sans que, sous quelque prétexte que ce puisse être, ils puissent prétendre aucune réfaction, encore bien qu'elles fussent gâtées, déchirées, coupées, ou même qu'elles ne fussent pas entières.

III. « La délivrance des marchandises sera faite aux adjudicataires par les personnes que les directeurs de la C" des Indes auront préposées et les lots des marchandises que les adjudicataires n'auront pas retirés faute de paiement, conformément à l'art. II des présentes conditions, seront affichés et vendus à la folle enchère de l'adjudicataire qui sera nommé, et que c'est faute de paiem., et ce un mois après que la vente aura été close et ce sans formalité de justice ni que la CÎB fasse aucune sommation à l'adjudication qui n'aura pas payé. IV.-« Les adjudicataires ne pourront prétendre aucune réfaction sur les lots qui leur seront adjugés, soit pour manque ou sur quelque prétexte que ce soit, après que lesd. marchandises seront sorties des magasins.

V. « La O déclare que, s'il est adjugé, dans le cours de l'adjudication, des marchandises de quelque espèce que ce soit, à plus bas prix qu'au commencement, les adjudicataires ne pourront demander de rabais du prix qu'elles leur auront été adjugées, comme pareillement la C" ne pourra prétendre d'augmentation de l'adjudicataire qui les aura eues à plus bas prix.


VI. « L'adjudicataire sera tenu de recevoir son lot de porcelaines sans prétendre aucune réfaction, soit sur le contenu de la barrique, du rouleau ou de la caisse,soit un peu plus pâle en couleur que la montre, ou qu'il varie de dessin ou qu'il se trouve quelques pièces de porcelaine un peu plus grandes ou plus petites que la montre et autres conditions portées par les Conditions de la Disposition.

VII. « Les march. qui voudront envoyer les marchand. sujettes aux droits d'entrée, ds. le royaume et où les aides ont cours, seront obligés de les faire porter au bureau de la prévôté de la ville de Nantes pour y être visitées sur la déclar. qu'ils en donneront, dont ils paieront les droits d'entrée du royaume sur le pied du tarif de 1664 pour les marchandises qui seront comprises audit tarif, et 3 de celles qui n'y sont pas dénommées, conformément aux édits et arrêts du Conseil, lesq. droits ne seront dus par les adjudicataires et perçus par les commis qu'à l'entrée des 5 grosses fermes Et lorsque lesd. marchandises seront envoyées par les adjudicataires dans les provinces du roy. réputées étrangères, elles seront exemptes des susd. droits et seront seul' sujettes au paiement des droits locaux qui y sont établis, à l'exception seul' du thé, qui sera exempt desd. droits locaux établis ds. les provinces du royaume réputées étrangères ainsi que de celui d'entrée dans les 5 grosses fermes, en justifiant du paiement des droits à Nant. conformément à l'arrêt du 8 Juillet 173a Et, au cas que les adjudicataires jugent à propos de faire passer à l'étranger lesd. marchandises, elles ne seront sujettes à aucuns droits et jouiront de l'entrepôtpendant 6 mois, à compter du jour de la vente qui en aura été faite,conformément à l'arrêt du Conseil du 28 Sept. 1 726.

« Et pour ce qui concerne les soies écrues, tany et nankin, il ne sera payé par les adjudicataires aucun autre droit, quoi qu'il puisse être, que 6 sous par chaque livre pesant; au moyen duq. paiement elles pourront être transportées dans toutes les autres provinces du royaume, même ds. celles des 5 grosses fermes, en rapportant seulement un acquit du paiement dud. droit de 6 sous


pourlivre pesant, conformément aux arrêts des ay Janv. et 8 Sept. 1-22 et i/i Sep. 1728,8 à l'exception néanmoins de celles que l'adjudicataire déclarera pour être portées par mer à l'étranger, qui ne seront assujetties à aucuns droits, conformément à l'arr. du 8 Avril 1727, lesq. seront mises ds. les magasins ordinaires d'entrepôt jusqu'à leur enlèv'.

VIII. « A l'égard du thé et des porcelaines, il sera payé pour tout droit d'entrée,savoir sur le thé 6 liv. du cent pesant, à la déduction néanmoins de la tare annoncée à chaque partie de thé, soit qu'il soit destiné pour entrer ds. l'étendue des 5 grosses fermes ou pour la consommation des provinces du royaume réputées étrangères. Et sur les porcel. 6 liv. du cent pesant brut à leur entrée dans les 5 grosses fermes lesq. porcelaines étant destinées pour les provinces rép. étrang., seront exemptes des 6 liv. du cent pesant, mais assujetties aux droits locaux qui sont établis ds. lesd. prov. du roy. rép. étrang. où il y en a, conformément à l'arr. du 24 Août 1728. Et lorsque les adjudicataires voudront faire sortir le thé et les porcelaines pour l'étranger, ils seront exempts des susdits droits, conformément à l'arrêt du 28 Sept. 1726.

IX, « Tous les thés ne seront livrés aux adjudicataires par les préposés des directeurs que sur les billets du commis de la prévôté, savoir, pour ceux qui seront destinés pour entrer ds. les 5 grosses fermes ou pour les provinces du royaume réputées étrangères, après que lesd. thés auront été acquittés sur le certificat du poids de livrais. faite par un des certific. des direct.; et à l'égard de ceux qui seront destinés pour sortir à l'étranger et que les adjudicataires voudront faire jouir de l'entrepôt des 6 mois accordés par led. arr. du a8 Sept. 1726, ils serontobligés d'en faire leur déclaration au bureau de la prévôté, sous huitaine après la vente faite, pour être mis ds. les magasins d'entrepôt, à leurs dépens, dont le fermier aura une clef et ne pourront lesd. thés être livrés par les proposés des directeurs, que sur le billet du commis de la prévôté.

X. « La Cio déclare que les adjudicataires ou cessionnaires


desd. adjudications, qui transporteront ds. l'étendue des 5 grosses fermes ou à Lyon les marchand. qui leur auront été adjug. seront exemptés des 4 sous pour livre, à condition, à l'égard des cessionn. desd. adjudications, que, dans le temps de la livraison desd. marchand., les adjudicat. déclareront au bureau de la prévôté de Nantes, les noms des cessionnaires de chaque lot de marchandises, la quantité et qualité d'icelle, conformément audit arrêt du 28 Sept. 1726.

XI. « La C" vendra les marchandises prohibées, à condit. par l'adjudic. de les faire sortir du royaume.

XII. « A l'égard des marchandises que les adjudicataires feront sortir pour les pays étrangers et où les aides n'ont pas cours, il les feront aussi porter dans les bureaux, pour y être visitées suivant leur déclaration et, lesballes plombées, il leur sera délivré des acquits à caution et transit, suivant le privilège de la Ci, et conformément aux arrêts des i3 Mars 1725 et 28 Févr. 1730, pour ce qui concernera les provinces du Limousin. Auvergne. Guienne, Languedoc, Angoumois et autres réputées étrangères qui sortiront par la frontière du Poitou. XIII. « Pour la facilité du commerce des marchandises et pour éviter les déballages des marchandises par tous les bureaux où elles passeront, les balles seront plombées après que la visite en aura été faite.

XIV. a Quant au café, les adjudicataires, ou leurs cessionnaires qui voudront en envoyer à l'étranger, le pourront librement, sans payer aucuns droits: ils seront seul' tenus d'en faire leur déclaration au bureau de la prévôté de Nantes et d'y rapporter le certificat du directeur pour la C" en lad. ville de Nantes, portant que lesd. cafés provienn. de la verte qui y aura été faite.

« Pourrontaussi lesd. adjudicataires ou cessionnaires envoyer lesd. cafés par terre ou par mer dans les autres villes du royaume en observant les formalités de la déclar. et du certificat cidessus, à condition par eux de faire plomber ensuite les balles par le sr. de Vaucoulleur, que la C" a commis à cet effet, du


plomb établi pour le café, prendre ensuite un acquit à caution dud. sr. de Vaucoulleur, portant soumission de représenter led. acquit et faire reconnaître les plombs au bureau des fermes générales du roi, et les acquits à caution renvoyés pour être déchargés par led. sr. de Vaucoulleur.

« Les adjudicataires des cafés seront tenus de destiner, dès Nantes. leurs cafés pour tel port du royaume qu'ils voudront mais dès lors que les cafés seront rendus au lieu de leur destination, ils ne pourront plus les faire transporter ailleurs par mer mais seulem' par terre.

XV. « Les adjudicataires qui voudront faire sortir les marchandises pour Lyon, les feront porter au bureau, ainsi qu'il est dit ci-dessus, dont ils prendront des acquits à caution, en payant le quart des droits d'entrée, suivant l'usage ordin., à l'exception seul' des soies écrues, tany et nanldn, attendu le paiemt. de 6' par chaque livre pesant desd. soies, qui doit être fait à Nantes, par les adjudicataires, seulemeutpour celles qu'ils déclareront pour être consommées ds. lesprovincesdu royaume réputées étrangères et dans l'étendue des 5 grosses fermes. XVI. « Les caisses et barces de thé ayant été ouvertes et visitées par les négoc., seront vendues avec tous leurs défauts, ainsi qu'il est expliqué aux textes de la disposition des thés, et pour les tares ainsi ju'il est expliqué à chaque partie de différentes grandeurs d<- caisse.

« Les caisses de thé Haysuen du lot 473 et 474 seront mises au poids et pesées par a caisses ensemble, lors de la livraison. « Les caisses de thé Boüy, lot 750, id.

« Les petites caisses du même thé, du lot 761 à 773, seron mises au poids et pesées par 4 caisses ensemble.

« Les petites caisses de thé Pekao du lot 8oa à 838, id. « » » Camphon, du lot 839 à 846, id. « Les moy. caisses du même thé, du lot 849 à S76, seront mises au poids et pesées par 2 caisses ensemble.

« Les petites caisses de thé Soatchaon, du lot 877 à 886, seront mises au poids et pesées par 4 caisses ensemble.


XVII. « Ne sera accordé aucune réfaction sur les soies ^crues, tant tany que nankin, ni sur le Fleurer, au cas qu'il se trouve ds. les balles qq. écheveaux ou moches dont le brin soit inégal, la C" les vendant telles quelles.

XVIII. « Sur les marchand. sujettes au poids qui seront pesées entre-fer, il sera donné les tares ci-après, savoir « Sur les gommes-laques plates en feuille ou en masse,la tare écrite.

« La tare déduite des marchand. ci-dessus dénommées, il sera accordé a de trait.

« Sur le café en balles, de Moka, tare et trait, 17 liv. par balle.

« Sur les demi-balles de café, tare et trait, n livres. « Sur les cafés en sacs de toile, ') 5 »

« Les cafés avariés en barrique, tarre écrite et 2 de trait. « Sur le poivre en sacs, tare et trait, 5 et sur le poivre en sacs de Gonis, tare et trait, 6

« Sur le bois rouge et les rotins.a •/“ de trait.

« Sur les cauris non lavés, 3 liv. de tare par sac de Gonis simple 6 liv. pour les 2 sacs, et sur le net restant 7 "/“ pour tare et saleté.

« La rhubarbe sera pesée net, et sera accordé 2 •/• de trait sur le net à peser une caisse pour chaque pesée.

« Les soies écrues, tany et nankin, seront pesées net entrefers et sera accordé pour le trait 2 %•

XIX. « Pourront les adjudicataires faire déballer les marchandises qui leur auront été adjugées, les visiter, compter et peser pour en recevoir la livraison après laq. ils ne pourront prétendre aucune réfaction contre la Cie des Indes, pour qq. cause prévue et non prévue, sous qq. prétexte que ce soit, la vente et l'adjudication ne s'en faisant qu'à cette condition. « Et comme cet art. est essentiel pour le bon ordre et pour prévenir toutes difficultés à cet égard, la G1' déclare que les adjudic. ne pourront déballer aucunes balles ou caisses de marchand. qu'en la présence de ceux qui seront préposés par les


direct. de la C", dont les adjudic. donneront leur reçu après quoi la balle ou caisse restera à leurs risques, soit qu'ils les enlèvent ou qu'il les laissent ds. les magasins de la Cu. XX. « Les droits de la traite domaniale de Nantes seront réglés pour les adjudicataires à raison de 3 liv. 12 s. la charge, qui est de 3oo livr. pesant, conformément à l'arrêt du 29 Juillet 1692.

« Et à l'égard des droguer. et épicer., sera seul' payé par les adjudic. pour la traite domaniale, 18 s. pour 3oo livr. pesant, suivant l'arr. du 4 Juill. 1702.

XXI. « Il n'y aura que les adjudicat. qui compteront de leurs adjudications,la C" ne voulant reconnaître pour ses débiteurs que ceux à qui les lots auront été adjugés.

XXII. « Il sera payé par l'adjudicataire t pour 1.000 pour les pauvres, dont le provenu sera distribué par la C'% à qui et ainsi qu'elle le jugera à propos.

XXIII. « Il sera en outre payé par l'adjudicataire 10 s.pour chaque lot, pour la réparation et entretien de la chaussée de Chezine et autres chemins publics du quartier pour la commodité des négociants adjudicataires, et que la Gie fera employer ainsi qu'elle le trouvera utile.

XXIV. « La Gio déclare qu'elle ne vendra pas de café avant le 1" Juillet 1733 elle déclare encore qu'elle ne vendra pas de mousselines, mouchoirs et autres toiles de coton dont la consommation est permise dans le royaume, avant le 1" Sept. aussi 1733, se réservant la faculté de pouvoir vendre, quand bon lui semblera, les marchandises prohibées et qui ne peuvent être vendues qu'à condition d'être envoyées à l'étranger. » Dans le bas de cet imprimé est écrit

« L'an mil sept cent trente deux, le mercredi 1" Oct., sur les 8 h. du matin, nous, Jean-François Védier, général des finances, maire de Nantes et subdélégué de M' de la Tour, intendant de Bretagne, ayant avec nous pour greffier Mc Claude Perrot, de lui le serment pris au cas requis, nous étant transportés aux magasins de la Cu des Ind., situés à Chesine, paroisse de Chantenay


lès Nantes, y avons trouvé M™ Saintard, Godeheu et Morin, sindic et directeurs de lad. C", et le sr. Richard, commis par le Conseil pour l'exécution de l'arrêt du 18 Mai 1730; en présence desquels et de plusieurs marchands et négociants assemblés avons fait lire et publier les articles et conditions ci-dessus, par André Mossut, trompette juré de la ville de Nantes, ainsi que de l'arrêt du Conseil du 14 Septembre dernier, qui ordonne la vente des marchandises appartenant à lad. C* y spécifiées. » Signé

Vedier, Godeheu, P. Saintard, Richard, Morin,

Perrot, André Mossut, trompette juré.

On voit avec quelle minutie sont réglés tous les détails des adjudications et des paiements, toutes les conditions auxquelles doivent se conformer les acheteurs. Les adjudicataires pourront visiter et examiner les marchandises, mais, une fois les lots vendus, ils ne pourront en exiger la « réfaction » voilà l'une des règles auxquelles la Compagnie tient le plus fortement. En ce qui concerne les cafés, les adjudicataires pourront les « destiner à tel port du royaume qu'ils voudront » mais de là, ils ne pourront les réexpédier que par terre.

En ce qui concerne les règlements de comptes, la Compagnie des Indes a pensé les faciliter en autorisant les négociants à déposer à l'avance des fonds en argent, qui serviront à acquitter le montant de la vente, sans qu'ils puissent, d'ailleurs, demander d'escompte1. On recevra aussi, pour les paiements comptants, les dividendes des actions de la Compagnie, payables en septembre et octobre.

1. Etat des marchandises qui seront vendues à Nantes le 17 septembre 1731 (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 15gi). Les négociants pourront faire leurs dépôts à Paris, chez M. Peschevin, caissier de la Compagnie; à Lyon, chez Jacques Bessière et Gu à Rouen, chez Pierre Baudouin à Bordeaux, chez Saige à Montpellier, chez Jean Mouton.


Le document publié ci-dessus indique encore le taux des droits d'entrée, qui sont fixés conformément au tarif de 1664, et à 3 °/o pour les marchandises qui n'ont pas été déterminées par ce tarif. On a simplifié, pour certaines marchandises, le tarif par exemple pour la porcelaine et le thé, qui acquittent 6 livres du cent pesant'. Les marchandises réexpédiées à l'étranger sont exemptes de ces droits, et les marchandises prohibées pourront rester entreposées, pendant six mois, dans les magasins de la Compagnie. Les adjudicataires ont aussi à acquitter les droits de la traite domaniale de Nantes (3 1. 12 sous la charge, qui est de 3oo livres pesant, et 18 s. seulement, pour les drogueries et épiceries).

La Compagnie perçoit, en outre, sur les adjudicataires 10 sous par lot « pour réparation et entretien de la chaussée de la Chésine ». Ce droit, nous apprend le subdélégué devant qui les comptes doivent être rendus, date de 1710. Quand les ventes se faisaient à l'hôtel de la Bourse, le droit devait être employé aux réparations des quais environnants. Quand, en 1716, la Compagnie transporta les ventes à la Chésine, on destina ces fonds à la réparation de « la chaussée de la Chésine ». Le revenu, en 1730, s'élève à i5oo 1. par an, au dire de Maillard de Saint-Marceau, agent de la Compagnie. Ce sont, déclare le subdélégué, des a deniers publics ». Le public se plaint que la Compagnie les emploie en partie pour ses besoins particuliers. De 1723 à 1728, d'après l'état de la dépense, les réparations ont coûté 4.502 1. le revenu étant de 6.i4i 1., la Compagnie a gardé pour elle 1.609 1.. Fina1. Pour le thé, ce nouveau tarif fut établi par l'arrêt du Conseil du II juin 1732 (Fonds de la Chambre de commerce de Nantes, Arch. de Loire-Inférieure, C 750).


lement, le Contrôleur Général prescrit à l'intendant d'en laisser la libre disposition à la Compagnie IV. – LA SALLE DES VENTES.

Une lettre du subdélégué de Nantes, Védier, à l'intendant, du 5 octobre 1732 nous donne sur la salle où s'opère la vente, des détails précis 2

« La vente de la Compagnie des Indes se fait à Chésine, dans une grande salle, au fond de laquelle est élevée une tribune où je me place avec MM. les syndics et directeurs de la Compagnie, mon greffier, le directeur des fermes, l'inspecteur des manufactures étrangères et plusieurs commis de la Compagnie.

Le crieur se tient debout derrière le Directeur, qui tient la baguette il doit avoir d'autant plus d'attention sur les enchérisseurs qu'en cas de contestation il décide.

En face de cette tribune sont des bancs qui forment un amphithéâtre. Là se placent les négociants. t>

Les bancs les plus rapprochés de la tribune étaient les plus recherchés. Aussi, raconte le subdélégué, les négociants de Paris, Lyon, Montpellier, etc., envoyaient des portefaix, dès les 4 à 5 heures du matin, pour retenir leurs places. De là, une vive querelle avec les Nantais 3, que fit cesser le subdélégué, en interdisant de retenir ainsi ses i. Voy. les lettres du subdélégué Védier à l'intendant (Arch. d'Illeet-Vilaine, C 1592).

2. lbid, C 1591. Le subdélégué, qui participe à la vente, touche d'assez sérieux émoluments, 600 1.. que Mellier, le maire, aurait voulu porter à 900 (Arch. Mun. de Nantes, HH 22e).

3. On en vint même aux coups. « Les Parisiens traitaient hautement les Nantais de f. Nantais et les Nantais traitaient hautement les Parisiens de f. Parisiens ».


places; et l'intendant, dans sa réponse du n octobre, approuva sa conduite.

Quelles sont les diverses catégories de marchands qui suivent les ventes de la Compagnie et prennent part aux enchères ? a

Le mémoire de la communauté de Nantes, de 1733, contre le transfert à Lorient l'indique clairement Ce sont

1° les marchands de toile de coton en gros et au détail 20 les marchands épiciers et droguistes

3° les négociants qui achètent par commission pour les. pays étrangers

40 les négociants en gros, qui, « sans être fixés à aucune espèce de marchandises, achètent, par spéculation et pour leur compte, toutes celles sur lesquelles ils prévoient quelque profit, soit en les vendant dans le cours de l'année aux détailleurs, lorsque ceux-ci viennent à en manquer »

V. Les OPERATIONS DE VENTES.

Les ventes annuelles donnaient lieu à bien des tractations, à bien des intrigues, et les agents de la Compagnie reprochent souvent aux négociants de former entre eux des u cabales pour faire baisser les enchères. Les lettres écrites, en 1726, à la direction centrale par Godeheu, Hardancourt et Morin, « députés pour la vente » à Nantes, sont fort instructives 3. Nous voyons 1 Pour attirer la clientèle, avant chaque vente, on adresse un peu partout des prospectus indiquant les marchandises qui seront mises en vente (renseignement fourni par M. Gaston Martin). 2. Voy, l'Appendice.

3. Conservées aux Arch. des Colonies, Ci 17, registre.


qu'il y a trois opérations successives i° la grande vente, qui a lieu du i3 novembre au 22 la petite vente, du «3 au 25, pour les « marchandises tachées » 3° la vente des marchandises de Chine, qui commence le 2 5.

Avantl'ouverture delà vente, les agents de la Compagnie onteu beaucoup de discussions avec les négociants au su jet des termes de paiement et des escomptes. « Les négociants ont même exigé de nous que la Compagnie ne pourrait vendre dans le cours de l'année les marchandises de toiles qui resteraientinvendues de cette vente courante, sans quoi personne ne voulait acheter, dans la crainte que la Compagnie ne vendit, après l'adjudication, à des prix audessous, ce qui leur ferait tort ».

Comme l'adjudication et la livraison des marchandises dureront jusqu'à la fin de décembre, les agents ont accordé un mois de plus pour le paiement le premier paiement a été fixé à la fin de janvier le second à la fin de février, le troisième à la fin de mars.

Malgré ces concessions, on a mis peu d'empressement aux enchères dans la première journée, « bien que nous ayons adjugé à 10 au-dessous de l'an dernier sur les toiles communes ». Les adjudicataires semblent avoir formé le dessein d'avoir les marchandises à un prix inférieur à ce qu'elles valent en Hollande, bien que « les marchandises de la Compagnie de France soient d'une qualité supérieure à celles des autres nations qui envoient aux Indes ». N'y a-t-il pas quelque cabale parmi les adjudicataires Il est vrai qu'ils craignent d'être « mal payés de leur débit », de ne pas rentrer dans leurs frais, et que beaucoup d'entre eux ont encore un stock d'anciennes marchandises l

t. Lettre du i4 novembre.


La vente se poursuit le i/i et le i5 novembre t. Les marchandises se sont mieux vendues elles ont été adjugées au même prix que l'an dernier, « et plusieurs parties à 10 •/» au-dessus 2 ».

Les marchandises tachées (la petite vente) se sont mieux vendues que celles de la grande vente, mais « ce sont de petits lots »

Le 25 novembre a commencé la vente des marchandises de Chine. Les thés verts et les thés Bony se sont très bien vendus mais on n'a pas vendu les bureaux, commodes et paravents, dont « on n'a offert que le prix coûtant à la Chine ». Les étoffes de soie, satins et pékins, ont été vendues aux prix qu'on les paye « aux pays étrangers ». Les « gourgourans » se sont mieux vendus. Mais sont restés invendus les damas pour meubles et les damas à 8 fils, pour lesquels on n'a pas voulu donner plus de 60 1. la pièce (2 lots seulement ont été adjugés à 63 1). Les agents ajoutent que la vente de la porcelaine a été très mauvaise

« Les tasses, les soucoupes et théières ont été adjugées à bon marché. Nous avons cessé la vente des plats et compotiers on les demandait au prix qu'ils coûtent à la Chine. Les marchands de Paris n'en ont point acheté ils en sont remplis, et d'ailleurs ils disent qu'ils ne veulent plus être exposés aux procès des fermiers d'Orléans. »

Les agents constatent que « les négociants se liguent ». Un certain nombre de négociants (les meilleurs) paient i. Le i5, elle a cessé à 2 heures « à cause des Juifs, qui ne peuvent travailler aujourd'hui » (le 16). Cela prouve que les Juifs participaient activement aux ventes. Cf. L. Brukschwicg, Les Juifs de Nantes et du pays nantais. iSgo (extr. de la Revue des Éludes Juives). 2. Lettre du 16 novembre.


par avance pour jouir des escomptes si leur exemple était suivi, on éviterait bien des disscusions

Depuis le 26 novembre, les agents ont adjugé un certain nombre de mousselines les prix « sont proportionnés aux prix de l'étranger », bien que les marchandises de la Compagnie française soient d'une qualité supérieure les fraudeurs n'auront donc plus intérêt à en introduire en France. Quant aux soies de Canton et de Nankin, elles sont restées invendues on n'en offrait que i3 livres. Il y a eu ensuite deux jours de pourparlers avec les marchands. Ceux-ci offrent maintenant i4 1. pour les soies de Nankin; mais, les agents veulent en pousser le prix plus haut, « parce que la Compagnie en retirerait une meilleure condition en les envoyant en Hollande ». Les agents ont eu beaucoup de peine ils déclarent qu'ils ont vendu les marchandises « de bonne foi, sans aucun émissaire pour pousser aux enchères ».

Dans cette même lettre du 3o novembre, les agents constatent que, les jours précédents, « la recette du comptant en espèces a été bonne; nous verrons, ajoutent-ils, si après demain que l'escompte sera diminué d'un pour ceux qui n'ont pas avancé leur paiement, l'argent tombera à la caisse ou les lettres [de change] à courts termes » 2.

La vente était terminée. Et cependant, en décembre,, pendant environ trois semaines, les tractations continuent entre la Compagnie et les négociants, qui essaient d'acquérir les marchandises dont ils n'avaient pas fait l'emplette à la vente. Les marchands de Lyon et de Tours « ont toujours demeuré ligués » Cependent les agents ont pu vendre le reste de la soie Tany à 11 1..5 sous la i, Lettre du 26 novembre.

a. Lettre du 3o novembre.


livre, dont les marchands ligués ensemble ne nous offraient que 10 1. et 10 1. 10 sous, après la vente finie, et qu'ils voulaient faire tomber. à la vente, agi. 10 sous ». Voyant que ces soies étaient vendues, les marchands » se sont divisés et chacun, en particulier. nous est venu dire qu'il n'avait point de partà cette ligue et que, si nous voulions leur donner des soies Tany, ils en pourraient prendre ». Mais les agents, pour les punir de leur cabale et coalition, les ont renvoyés « à ceux qui les avaient achetées ». Pour les soies de Nankin et Canton, ils ont ouvert le prix des premières à i5 1. io sous et ils en ont déjà vendu 20 balles 1.

Cependant, une partie des « marchands et ouvriers de Tours » qui n'avaient pas encore quitté Nantes, ont demandé qu'on remette à l'enchère les soies de Canton. Les agents y ont consenti « en leur disant que la Compagnie serait toujours prête de leur livrer des matières premières pour leur fabrique » les gens de Tours les ont achetées à 12 livres. On a vendu aussi les soies avariées de Canton et de Nankin pour les lots mouillés, on a fait droit aux réclamations des adjudicataires. On a continué à vendre les soies de Nankin, par petites parties, à i5 1. i sous et, le 9 décembre, a été vendue une « partie » de- 95 balles à i5 livres on en réservera autant « pour le besoin des fabriques du royaume » 2. Le 16 décembre, on a enfin vendu à 65 1. les damas, dont les négociants ne voulaient acheter qu'à 61 1. lors de la vente générale. Cependant, on a gardé les deux lots de damas pour meubles, parce qu'on n'a pu les vendre à 80 1. la pièce, mais il ne s'agit que de 66 pièces 3.

i. Lettre du 3 décembre.

a. Lettre du 10 décembre.

3. Lettre dr. I7 décembre.


Les marchands avaient imposé à la Compagnie l'obligation de ne vendre qu'en septembre prochain les toiles de coton. Or voici, disent les agents, qu'ils « viennent, les uns après les autres, nous prier de leur accorder les lots invendus ». Mais les vendeurs tiennent bon i « Nous leur refusons, quoique nous puissions le faire, parce que, tant que les comptes de la vente ne sont pas soldés, nous sommes libres d'en accorder. Mais, outre qu'il y a quelques marchands partis, nous croyons devoir leur apprendre, par notre fermeté, que désormais il ne sera plus question de former entre eux des cabales, et que, s'ils veulent des toiles et mousselines, ils doivent s'en fournir lors de la grande vente. Ceux qui ont manqué les soies Tany par leurs cabales, lors de la vente, offrent de donner 6 à 8 de profit à ceux qui les ont achetées. Nous avons d'autant plus lieu d'en être satisfaits que cela fera un bon effet pour l'avenir 2. »

Le caractère de toutes ces tractations usitées dans les i. Lettre du 10 décembre.

a. Dans la lettre du 3 décembre 1726, relevons encore le passage suivant, qui nous montre la Compagnie aux prises avec la municipalité de Lyon « Les maire et échevins de la ville de Lyon ont chargé le sieur Richard, inspecteur pour les marchandises prohibées à Nantes, de nous faire une sommation, par deux notaires, de payer le droit de 6 sous par livre de soie, prétendant que ce droit leur est acquis, aussitôt que les soies sont en décharge dans les magasins de la Compagnie, soit qu'elles entrent dans l'intérieur du royaume ou qu'elles passent à l'étranger. Et, au défaut d'y satisfaire, lesdits sieurs maire et échevins ont donné ordre de saisir toutes les soies écrues Tany, Canton et Nankin, que nous avons dans les magasins. Nous avons répondu, par les mêmes notaires, que nous protestions contre leur sommation, attendu l'arrêt du 28 septembre dernier, qui accorde, par l'article 11, l'entrepôt général pendant six mois de toutes les marchandises de la Compagnie. En cas de quoi, nos conditionsavec les adjudicataires sont qu'ils ne paieront aucuns droits en les faisant sortir pour l'étranger, ce qui est relatif à ce qui a été pratiqué depuis 1722. L'arrêt du 28 septembre dernier confirme l'entrepôt. »


ventes a été décrit très justement par le mémoire de 1733 contre le transfert à Lorient 1

La Compagnie a pour maxime de soutenir les prix auxquels elle a commencé à vendre une marchandise et de retenir les lots qu'elle n'y a pas portés. Elle retient aussi toutes celles qu'elle ne juge pas être poussées à leur valeur, ou dont elle prévoit ne pouvoir vendre qu'une partie de là il résulte qu'à la fin des ventes il lui reste communément pour deux à trois millions de marchandises qu'elle vend de gré à gré hors vente, aux prix, termes et conditions dont elle convient avec les acheteurs. En des temps fâcheux, où l'argent est rare, tel que fut l'an 1726, il reste encore plus de marchandises invendues. Alors le négociant écrit de toutes parts, s'informe du prix que valent au dehors ces marchandises et ordinairement il les achète. Les étrangers qui viennent aux ventes en usent de même, mais. ils n'ont pas le temps d'attendre tous les éclaircissements nécessaires ou même d'achever la négociation qu'ils avaient entamée. Pour y suppléer, ils laissent des instructions et des ordres à quelques négociants entendus, qui consomment l'affaire2. »

VI. Portée économique DES VENTES.

On voit, par tout ce qui précède, que les ventes de la Compagnie des Indes constituent des opérations singulièrement compliquées. La Compagnie vend non seulei. Voy. l'Appendice(Arch. de la Loire-Inférieure, C750). 2. En 1727, la vente des navires entrés en 1726 « a produit plus de io millions de livres; il reste pour 5oo.ooo 1. de marchandises invendues et pour i.5oo.ooo 1. de marchandises prohibées (lettre de Mellier à Baillon). Mellier ajoute « Notre commerce avec les colonies françaises commence à se réveiller la cour fait tous ses efforts pour faire cesser les usurpations des Anglais sur ce genre de commerce et nous soutenir. »


meut des drogueries et épices, des cafés, des thés, qu'on ne peut se procurer ailleurs, des élofles de toutes sortes, cotonnades, mousselines, soieries, mais aussi des matières premières pour les manufactures du royaume, et notamment de la soie, qui alimente les deux grandes « fabriques » de Lyon et de Tours.

La Compagnie exerce de la sorte un véritable monopole qui porte sur plus de io millions de marchandises. Il n'est donc pas étonnant que les négociants et fabricants s'entendent souvent, se coalisent, forment des « cabales », comme disent les agents de la Compagnie, pour obtenir, aux enchères, les plus bas prix possible. Nous n'avons entendu qu'un son de cloche ce sont des lettres de négociants qui seules pourraient nous dire si leurs transactions de la « Chésine Il Nantes leur ont été réell emen t avantageuses.

En tout cas, beaucoup de gros commerçants y participent. En une autre étude1, on a montré que Magon de la Balue, le grand négociant malouin, se préoccupe, dès 172/i» de la vente de la Compagnie des Indes. Il s'entend avec un négociant nantais, Laurencin, lui propose de faire société avec lui, de mettre 300.0001. dans l'affaire, tandis que Laurencin y participera pour ioo.oool. il estime que les bénéfices devraient s'élever à 12 ou i5o/«r ne pas être, en tout cas, inférieurs â io°/o. Le négociant de Morlaix, Guillotou de Keréver, fait aussi des achats considérables aux enchères de la Compagnie des Indes, s'y procure des thés de diverses qualités, qu'il revend surtout dans les ports anglais de Falmouth et de Fawey, en Cornouaille, et sur lesquels il fait souvent un bénéfice de i. H. Sée, Le commerce de Saint- Malo au XVIII* siècle d'après les papiers de Magon (Mémoires et Documents pour servir à l'histoire du commerc. et de l'industrie, 9" série, pp. 8 et sqq.)


i8%- C'est le plus souvent un négociant nantais, Charles Trochon, qui se charge de ses emplettes et avec lequel il forme « société ». Plus tard, quand les ventes sont transférées à Lorient, Guillotou s'y rend en personne, comme nous le montre sa correspondance

in'oublions pas, d'ailleurs, que les négociants qui entreprennent le grand commerce maritime, cherchent aussi àse procurer ailleurs qu'en France, notamment en Hollande, les produits de l'Asie Magon de la Balue, par exemple, fait des emplettes en Hollande et se préoccupe des ventes de la Compagnie des Indes hollandaise 2. t. Voy. H. Sée, Le commerce de Ilorlaix dans la première moiliêdu XYW° siècle d'après la correspondance de Gnillolon dr. Kerêve.r. ("Ibid, pp. 183-186 et i9i).

•> H. Sée, Le commerce de Saint-Malo, loc. cit., p. ai. Sur la compagnie hollandaise, voy. S. van IW&el, De'iiolhvulsche llandelscouiftagnieën der zevenliende eeaiu. II serait intéressant de pouvoir comparer les ventes de la compagnie française et des compagnies anglaise et hollandaise, de comparer notamment les prix les agents de notre Compagnie reconnaissent qu'ils sont plus élevés en France qu'à l'étranger. En tout cas les opérations de ventes se font de la même manière. A l'arrivée de la flotte à Amsterdam, on fait « imprimer la cargaison », c'est à-dire la liste des marchandises par quantité et qualité. Puis l'Assemblée des Directeurs ou des Dix-Sept fixe le temps de la vente et la quantité des marchandises. Les commis « mettent les marchandises en ordre et les divisent en lots » par exemple, on fixe un lot de 10.000 livres de poivre. Les lots sont marqués par des numéros. On fait imprimer la liste de ces lots, et on envoie ces imprimés à l'étranger pour en avoir la réponse avant la vente. Deux jours avant la vente, les magasins sont ouverts et chacun peut visiter les marchandises. Comme en France, la vente se fait en public à l'adjudication. Elle s'opère assez vite en deux heures, par exemple. on peut procéder à la vente de 3 à 4.000 balles de poivre. La Compagnie ne fait crédit à personne. Le compte se règle avec un teneur de livres et « le payement de toutes les raarj chandises se fait en banque, ce qui évite une infinité de peine en épargnant de compter en espèces ». En payant comptant, on gagne 1/2 "/“ sur les achats chaque mois de retard enlève 1/2 Les acheteurs sont obligés d'enlever leurs marchandises dans les trois mois, après quoi « elles restent dans les magasins aux risques des acheteurs, qui paient ensuite le droit de magasinage et l'intérêt


IL n'est pas douteux que Nantes, dont le port et le commerce se développent singulièrement dans la première moitié du xvm° siècle, constituait un marché avantageux pour les ventes de la Compagnie des Indes. Les denrées coloniales y trouvaient un excellent débouché, bien meilleur que dans les autres ports bretons, même Saint-Malo, qui ne se trouvant pas comme Nantes, à l'embouchure d'un fleuve navigable, et n'ayant qu'un faible hinterland, étaient destinés à perdre de plus en plus leur ancienne importance. Le transfert des ventes à Lorient semblerait donc une sorte de paradoxe économique. Mais, d'autre part, la Compagnie des Indes pouvait avoir intérêt à concentrer dans une seule place ses divers services, ses expéditions maritimes et ses ventes, et il est certain que le transport à Nantes des marchandises que ses vaisseaux apportaient d'abord à Port-Louis et à Lorient, pouvait, dans une certaine mesure, accroître ses frais

Léon Vignols et Henri Sée.

du montant de l'achat à 1/2 par mois, avec la liberté de faire vendre les marchandises non enlevées aux risques de l'acheteur » (Mémoire touchant le négoce et la navigation des Hollandais, 1699, publ. parP. J. BLOK, dans les Bijdragen van het historisch Genoots chaft, t. XXIV, an, igo3, pp. 3o5-3o7).

i. Les documents que nous avons publiés et interprétés dans cette étude, ne sauraient donner une description complète de la question des ventes effectuées par la Compagnie des Indes à Nantes. Il faudrait les compléter par des documents conservés aux Archives Municipales de Nantes (liasses HH 199 à 22G). M. Gaston Martin, qui nous signale toute l'importance de ce fonds (et nous l'en remercions bien vivement), l'utilisera dans une étude sur Nantes et la Compagnie des Indes que publiera la Revue d'histoire économique en 1935 et 1936. Cf. aussi Blanchard, Inventaire des Archives Municipales de Nanles, t. III, p. 172-186.


Mémoire que la Communauté de Nantes a l'honneur de présenter à Monseigneur le Controlleur Générait au sujet de la translation projettée par la Compagnie des Indes, de la vente de ses marchandises de Nantes à l'Orient1.

La Communauté de Nantes, informée que la Compagnie fait construire à l'Orient de grands édifices et plusieurs magasins, à l'effet d'y transporter dans quelques années ses ventes, qui de tous tems s'étoient faites dans cette ville, s'efforce dans le présent Mémoire d'empêcher, autant qu'elle le peut, l'exécution de ce projet. Si d'un côté l'intérêt de cette Communauté, par rapport à ses habitans, la fait agir pour empêcher une translation qui leur est si préjudiciable, d'un autre côté, elle espère faire connoîlre à Monseigneur, que ce changement sera tout au moins aussi contraire aux véritables intérêts de la Compagnie elle-même. On ne croit pas y pouvoir mieux parvenir qu'en exposant dans une colonne toutes les raisons qui ont pu occasionner ce transport, et en y opposant sur une autre colonne les inconvénients réels qui en doivent nécessairement résulter.

Motifs de la Compagnie des Indes pour transférer ses

ventes publiques à L'Orient.

1° La Compagnie des Indes

regarde comme un objet impori. Arch. de la Loire-Inf., C -]5o.

APPENDICE

Réponse de la Communauté de Nantes aux Motifs de la Compagnie.

Toutes les opérations du ,Commerce de la Compagnie


tant à son Commerce, d'en réunir toutes les opérations dans un seul et même Port (lui lui est privatif el entièrement soumis à ses ordres.

soumis à ses ordres. Quant à ses armements, il esl hors de doute qu'il ne soit

de l'intérêt de la Compagnie de les réunir tous dans un même Port, où elle a une autorité particulière, où elle est seule et où par conséquent elle ne devient pas sujette à recevoir la moindre incommodité des autres Armateurs.

Quant à ses ventes, elle doit chercher à les faire dans une ville d'un grand commerce et d'une situation avantageuse. Ce grand commerce fournira à la Compagnie tous les acheteurs nécessaires, et l'avantage de sa situation contribuera à distribuer à peu de frais ses nombreuses marchandises dans toutes les Villes de France et des Etats voisins.

On ne fera cependant pas de difficulté de convenir que, si la Compagnie pouvoit réunir toutes ses opérations dans une ville maritime qui eût toutes les commoditez qu'on vient d'expliquer, et que le Corps entier de sa direction y fût établi, ce ne fût alors son plus grand avantage. C'est ainsi qu'ont pensé et qu'ont. agi les compagnies de Londres et Amsterdam.

La Compagnie partagera ses Directeurs simplement entre le bureau de Pans, centre de la Direction et le bureau de l'Orient, sans être tenue d'en envoyer à Nantes. L'envoi qu'elle étoit obligée d'en faire dans celte dernière ville, diminuoit le nombre des Directeurs dans chaque département, rendoit par cet éloignement les divers avis dif ficiles à concilier,

se peuvent se considérer comme rassemblées sous deux objets principaux ses armemens et ses ventes.

a" On ne croit pas que le bureau de l'Orient dans cette supposition même, prît jamais seul des résolutions importantes. Il sera toujours dans la dépendance de celui de Paris, parce que l'approbation et l'autorité de Monseigneur le Controlleur Général sont nécessaires à la validité de toutes les délibérations de la Compagnie. pour peu qu'elles


et conséquemment les décisions lentes et incertaines.

Par le nouvel arrangement, la Compagnie aura dans le Port de l'Orient trois ou quatre Directeurs, dont l'un sera chargé du détail des A rmemens, et les autres de ce qui concernera l'achat des cargaisons, les ventes publiques et la remise des fonds qui en proviendront. Ils se réuniront pour délibérer de toutes les affaires imprévues qui demanderont une prompte précision et les résoudront, ce qui ne se peut faire par un seul.

Compagnie sera donc forcée d'en revenir à envoyer dps Directeurs à l'Orient pour le tems de ses ventes seulement, ainsi qu'elle le pratique actuellement à Nantes. Alors la Compagnie perdra l'avantage qu'elle se promettoit de la réunion de ses Directeurs.

3° Le Port de l'Orient appartient à la Compagnie il lui importe de le rendre plus considérable et plus peuplé en y augmentant le Commerce. Cela ne se peut taire que par rétablissement des ventes. Par elle y appellera des .4rtisans de tous métiers, et même des marchands. Les premiers lui seront utiles pour ses arme-

soient importantes. Il ne souffrira point qu'il se fasse rien de considérable sans son ordre d'ailleurs peut-on se dater de trouver dans tous les tems trois ou quatre Négocians du premier ordre, habiles, et d'une probité reconnue, disposez à se transporter dans un lieu tel que l'Orient. Il faudra pour cela qu'ils quittent leutb maisons, qu'ils abandonnent leurs affaires, qu'ils renoncent à donner de l'éducation à leurs enfants et qu'ils perdent les occasions avantageuses de les établir, s'ils veulent les retenir

auprès d'eux à l'Orient. La

3° Les Armemens considérables et presque continuels que la Compagnie fait à l'Orient suffisent pour rendre ce Port autant considérable, riche et peuplé qu'il le puisse devenir. Brest n'est devenu que par là ce qu'il est aujourd'hui. La Compagnie ne manquera jamais d'ouvriers, tant qu'ils seront occupez et bien


mens elle trouvera à point nommé chez les aulres toutes les Marchandises qui lui seront nécessaires.

elle n'a pas un tems suffisant pour le faire, dans huit joui elle peut les tirer de Nantes. Au reste c'est une chimèr de penser qu'il puisse s'établir un grand commerce dans u Port écarté et perdu tel qu'est celui de l'Orient.

U" La Compagnie a besoin de fonds considérables à l'Orient pour ses Armemens elle ne peut y en établir qu'en les voiturant à grands frais les Ventes publiques lui en fourniront suffisamment.

-# Nantes plus d'un million

d'argent comptant qu'elle reçoit à chaque vente au-delà des fonds nécessaires à la consommation du Port. Car la Compagnie ne s'attend pas, sans doute, de trouver à l'Orient, comme à Nantes, des lettres de Change sur Paris et sur les places étrangères. Disons mieux. C'est en vain que la Compagnie se flatte de recevoir de l'argent comptant à l'Orient pour la consommation du Port, car il n'est pas à présumer qu'un sage Négociant, même voisin de ce lieu, à plus forte raison un Négociant éloigné et encore moins un étranger, fasse voiturer ou apporte avec lui une somme considérable, pour payer la Compagnie cet usage seroit d'une dangereuse conséquence tandis qu'il a la faculté de payer en papier.

5° La Compagnie n'a à /V<M<M /!< Lo~/eme/ts ~our ~<*s Nantes ni Logemens pour ses Directeurs et ses Commis, ni magasins pour ses marchan-

payé elle en a l'expérience. Elle est dans l'usage de tirer de la première main les marchandises qui lui sont néces-

saires et si dans îoccasio

4° La dépense de faire voiturer chaque année cinq à six cens mille livres de Nantes à l'Orient, n'est pas un objet pour la Compagnie c'en seroit un plus considérable pour elle de faire voiturer à Paris ou à

5° Ces incommoditez s'éprouvent à JNantes, et elles seroieat de quelque considération si la Compagnie ne les


dises. Elle est obligée d'en affermer, à grands Jrais, de très incommodes, éloignez les uns des autres, peu sûrs et dans un risque perpétuel d'être incendiés. Elle trouvera au contraire à l'Orient une parfaite sûreté et des logemens et magazins commodes et spacieux.

bâtir commodément à Nantes et l'on peut assurer qu'elle y élèvera pour 4oo mille livres tous les édifices qui lui sont nécessaires: soit qu'elle veuille acquérir à Chézine des terrains dont le fond est roc, presqu'à la superficie soit qu'elle veuille profiter d'une partie du terrain du quai d'Estrées, que la Communauté de Nantes étoit disposée de lui donner gratuitement et dont le fond, sondé par Monsieur de la Fond, Ingénieur du Roi, se trouve une glaise ferme, appuyé sur le roc à une médiocre profondeur, et où il se peut faire un canal d'eau vive à l'entour du bâtiment. Elle peut donc par là épargner une somme considérable, plus utile dans son commerce. Dans tous les tems ces bâtimens vaudroient le même prix à Nantes, au lieu qu'une grande partie de ceux de l'Orient se trouvera presqu'inutile et de peu de valeur si les ventes ny réussissent pas.

Dans cette vue, et pour rendre solide et immuable l'établissement des ventes de la Compagnie à Nantes, la Communauté s'est portée à entrer dans la dépense du Port. d'Estrées, qui rend le quartier de la Compagnie d'une plus grande valeur, embellit son abord, rend son Port plus sûr et procure toute la facilité possible aux charrois.

La Compagnie des Indes sera chez elle à l'Orient, elle n'y dépendra de personne et dans

souffrait pas également à l'Orient. Il est vrai qu'elle fait construire dans ce dernier lieu des logemens et des magasins sûrs et dans une grande étendue, mais ils lui coûteront plus de 800 mille livres avant qu'elle puisse les voir à leur perfection. Elle aura, si elle veut, encore plus de facilité à

6° Il n'y a qu'une seule autorité dans l'Etat, c'est celle du Roi. C'est elle à qui la


aucune occasion elle ne sera obligée d'avoir recours à une autorité étrangère pour maintenir le bon ordre.

mandans et tous les Officiers qui exercent l'autorité du Roi, au nom de Sa Majesté, sçauront également la faire respecter à Nantes comme à l'Orient.

Messieurs les Directeurs ne peuvent se plaindre qu'ils n'ayent pas été jusqu'ici indépendans dans leurs fonctions et qu'on leur ait refusé toute l'étendue de la Justice qu'il leur est due..

S'il se trouvoit quelques personnes à l'avenir assez téméraires pour vouloir déranger le bon ordre, et pour manquer aux égards dûs à Messieurs les Directeurs, on ose avancer à croire qu'il ne conviendroit pas qu'ils fussent en même tems Juges et Parties. Auroient-ils encore plus de raison qu'on n'en suppose, on sera toujours porté à croire qu'ils se seront flatez dans leur cause et qu'ils auront outré la modération qui leur convient. Cette idée révolteroit infailliblement tous les Négocians, les éloigneroit des Ventes, principalement les Etrangers qui se choquent aisément des moindres bagatelles qu'ils croyent donner atteinte à leur liberté.

les droits d'octroi prétendus sur ses Marchandises par la Communauté de Nantes. Il est vrai qu'elle ne les paye pas actuellement, parce qu'elle s'en croit exemte mais l'Instance pendante au Conseil à ce sujet n'y est point encore décidée, et l'événement peut en être contraire à la Compagnie.

Compagnie, telle qu'elle est aujourd'hui, doit sa naissance c'est elle qui la protège avec distinction et qui la fait fleurir. Ainsi, tous les Com-

7° La Compagnie épargnera

70 La forme que cette Instance a dû prendre au Conseil, à la vue des titres que la Communauté a produit, ne doit, en effet, laisser aucun jour à la Compagnie pour éviter le payement d'un droit si autentiquement accordé par nos Rois, et tant de fois confirmé par eux-mêmes.

Mais s'il est vrai, comme il


n'en faut pas douter, que les Acheteurs soient forcez, par les commoditez qu'ils ne trouveront qu'à Nantes, de faire toujours passer par cette ville la partie la plus considérable des Marchandises de leurs achats, n'y payeront-ils pas ces mêmes octrois, et n'ajouteront-ils pas cette raison à toutes les autres qu'ils auront pour pousser d'autant moins les lots qu'ils feront valoir?

Il se Jormera des Embaleurs à l'Orient, el en attendant la Compagnie en fera venir de Nantes pour travailler à la visile et au remballage de ses marchandises et, les Ventes se faisant immédiatement après, ils se trouveront portez sur le lieu pour l'usage des Négocians.

autres emballages seront toujours surachetez à l'Orient, et que les loyers de magazin et les pensions y seront toujours payez presqu'au double de ce qu'ils le sont à Nantes ceci n'est point une conjecture. Paimbœuf n'est éloigné de Nantes que de huit lieues par rivière il y abonde certainement autant d'ouvriers, d'aubergistes et de détailleurs qu'il y en pourra jamais avoir à l'Orient cependant on paye à Paimbœuf toutes les fournitures et la nourriture un tiers plus cher qu'à Nantes.

Les Ventes se faisant à lOrient, il y viendra des rouliers et des voituriers de toules parts pour le transport des Marchandises destinées pour l'intérieur du Royaume il s'y

8" On convient que dans quelques années il pourra se former et s'établir à l'Orient un nombre d'Emballeurs, mais il ne sera jamais aussi grand qu'à Nantes par conséquent l'expédition n'en sera jamais à l'Orient aussi prompte et à aussi bon marché qu'elle est à Nantes. On peut ajouter

que les toiles cirées et les

9° On suppose qu'il vienne à l'Orient autant de rouliers et de mulletiers qu'il peut en venir à Nantes, cela ne prouvera jamais que les voitures soient à l'Orient aussi abon-


rendra pareillement des Barques et des Vaisseaux qui viendront y charger à fret pour les différens ports du Royaume, et pour ceux des Pays étrangers ainsi les Négocians y trouveront les mêmes facilitez qu'à ù Nantes, soit pour distribuer leurs marchandises dans le Royaume, soit pour les faire passer dans les Pays étrangers.

qui viennent à Nantes par la rivière, par terre et par mer, n'y arrivent pas à vuide et avec la seule espérance, comme il sera à l'Orient, de trouver dans la voiture des Marchandises de la Compagnie qu'ils remporteront, leurs irais de venue et de retour.

Il se trouvera à l'Orient des Barques et des Vaisseaux, on le veut bien, mais non pas en aussi grand nombre et pour tous les diffèrens Ports comme à Nantes. Leur petit nombre fera que les Maîtres et Capitaines rançonneront à l'Orient les Négocians pour le fret de leurs marchandises les Négocians Etrangers ne trouvant point à l'Orient assez de vaisseaux pour y partager les risques de leurs achats, se dispenseront d'acheter ou les diminueront. Il arrivera encore que les Négocians de Bruges, Nieuport, Ostende, etc., qui achètent des parties de marchandises, médiocres à la vérité, pour chacune de ces villes, mais considérables dans leur totalité, cesseront d'acheter à l'Orient, n'étant pas sûrs de trouver des bâtimens qui aillent en droiture chez eux. Aucun de ces inconvéniens n'est à Nantes l'Etranger y ordonne, principalement dans la saison des ventes, des parties considérables de sucres, de vins et d'eau-de-vie, qui forment le fond des chargemens et qui leur servent de lest. Cela fait, qu'il se trouve des vaisseaux abondamment pour tous les

dantes et aussi bas prix qu'à Nantes la raison en est simple. Il n'y a point à l'Orient de voituriers par eau, il n'y aura donc que les voituriers par terre or c'est la concurrence entre les voituriers par terre et ceux par eau, qui oblige ces premiers de baisser la main pour s'attirer la prérence par le bon marché. D'ailleurs tous les voituriers


Ports qu'on puisse imaginer, que ces navires étant lestez de marchandises au lieu de sable, le fret en est plus commun et moins cher; et qu'il est plus aisé par là d'éviter l'avarie que causeroit autrement l'eau et l'humidité aux marchandises de l'espèce de celles de la vente.

iO" La Compagnie évitera les frais et l'embarras infini du transport de ses marchandises à Nantes. Elle se trouvera en état de travailler à les disposer immédiatement après l'arrivée de ses vaisseaux. Ilen résultera que les Ventes publiques se feront beaucoup plus tôt et dans une saison moins avancée, conséquemmentplus commode aux Etrangers et aux Marchands éloignez qui suivent les ventes et le transport et la distribution des Marchandises, soit dans le Royaume, soit dans les pays étrangers, en deviendront plus faciles et sujets à moins de risques.

par le retardement d'un et de deux vaisseaux.

11° Les Négocians des différentes villes du Royaume, qui suivent les Ventes, se rendront à l'Orient aussi volontiers qu'à Nantes il en sera de même des Etrangers.

On sçait que ces premiers

10° Les frais, beaucoup plus que l'embarras du transport des marchandises, sont un objet pour la Compagnie, mais cela est compensé infiniment au delà par la plus haute valeur qu'elles ont à Nantes, et par la facilité que la Compagnie y trouve elle-même pour d'autres différentes opérations.

Quant au retardement qu'occasionne ce transport, il est au plus de dix à quinze jours, et le plus souvent de six à huit, car tous les vaisseaux de la Compagnie n'arrivent pas ensemble et à jour nommé. Souvent même la vente a été reculée de plus de quinze jours

11° Les incommoditez et les augmentations des frais que souffriront la plupart des marchands à l'Orient, peuvent faire douter s'il y en a beaucoup qui souhaitent cette translation.


souhaitent celle translation. A l'égard des Négocions de Nanles, un voyage de 30 lieues ne fera pas abandonner le Commerce des Ventes à ceux qui sont dans l'usage de le faire et si quclqu'uns d'entr'eux ne peuvent s'y rendre, ils chargeront les autres de leurs achats.

culté des négociations et la plus longue distance des lieux empêcheront beaucoup de négocians de s'y rendre, et que s'y trouvant en petit nombre, il leur sera plus aisé de se lier ensemble et de faire la loi à la Compagnie.

Il ne faut pas se persuader que les négocians de Nantes quittent pendant deux mois leurs affaires pour suivre la vente à l'Orient, à moins que la commission ne suffise pour les dédommager de leur absence.

12' En supposantle concours des Marchands à l'Orient aussi grand qu'il est à Nantes, et qu'ils y trouveront les mêmes facilitez pour le transport de leurs marchandises, soit dans les villes Maritimes et intérieures du Royaume, soit dans les Pays élrangers, la Compagnie doit sejlater d'y vendre ses marchandises avec le même avantage qu'à Nantes.

Cela ne peut être contesté pour celles dont la consommation se fait chez l'Elranger, et

On veut cependant supposer un moment que beaucoup. de Negocians Régnicoles la souhaitent outre qu'ils ne sont pas la plus grande partie des achats, c'est que le motif de leur souhait ne peut être fondé que sur l'espérance de voir tomber à l'Orient le prix des marchandises; ils s'imagi-

nent avec raison, que la diffi-

ia° On a déjà fait voir qu'il ne se trouvera point aux ventes de l'Orient un aussi grand nombre de Négocians qu'à celles de Nantes, qu'ils n'y y auront point les mêmes facilitez pour l'expédition de leurs- marchandises, tant par terre que par mer, et qu'ils seront forcez d'en faire transporter une très grande partie à Nantes, soit pour y être gardées en magazin en attendant l'occasion favorable de les placer, soit pour être envoyées


qui y sont envoyées par mer immédiatement après les ventes cet article comprend les Thés, la Gomme, le Bois rouge, la Tonlenague et presque toutes les autres marchandises de l'Inde et de la Chine qui se vendent au poids, toutes les étoffes de soie, les toiles peintes ou rayées et beaucoup de toilles de collon. Il en es de même des marchandises qui se chargent à Nantes pour les autres Ports du Royaume et de celles destinées pour les villes de Rennes, Sl-Malo, de Rouen, Paris, la Picardie, la Champagne et même Lyon, attendu que ces provinces et ces villes sont à peu près dans une distance égale de Nantes et de l'Orient. Il ne peut donc y avoir de diminution dans le prix, que sur les marchandises qui sont introduites dans le Royaume par la rivière de Loire, et celle diDérence se réduira aux frais que l'acheteur prévoira être tenu de faire pour les transporter à Nantes frais que la Compagnie paye actuellement sur la totalité de ses marchandises, et qui se trouveront diminuez des sept huitième ou plus.

dans les villes du Royaume ou des pays étrangers où l'on aura pu les faire passer de l'Orient en droiture.

Ce scroit l'affaire des Negocians, et non celle de la Compagnie, s'il étoit vrai qu'il n'en dût pas résulter une diminution considérable dans le prix et dans la consommation de ces marchandises. C'est là le point décisif et non l'envie de ménager 60 à 80 mille livres qu'il en peut coûter chaque année pour le transport des marchandises de l'Orient à Nantes, et non l'idée d'une plus grande autorité dans l'opération des ventes et plus d'aisance par la commodité des logemens.

Sa Majesté a élevé la Compagnie à un degré de puissance auquel nulle Compagnie n'avoit encore atteint en France ses armemens augmentent chaque année non contente de fournir le Royaume, son but est encore de fournir à nos voisins les marchandises qu'ils étoient en possession de nous vendre. Pour conduire ce projet à sa perfection, lequel est vraiement le fruit d'une adminis-


tration pleine de sagesse, la Compagnie doit s'attacher nécessairement à vendre chaque année la totalité des marchandises qui lui sont apportées par ses vaisseaux et à les vendre avec avantage. C'est à y parvenir qu'elle doit donner toute son application, sans jamais perdre de vue cet objet l'importance en est extrême, parce que le renouvellement de ses fonds peut seul la mettre en état de renouveller chaque année ses armemens.

S'il restoit dans ses magazins des marchandises invendues d'une année à l'autre (ainsi que cela arriveroit fréquemment à l'Orient), elle seroit dans la nécessité de diminuer par proportion ses envois dans les Indes et ses retours en Europe. Or pour réussir à vendre chaque année pour i5 millions de marchandises ou plus, et à les vendre avantageusement, il est d'une nécessité indispensable que ces marchandises soient mises sous la main et sous les yeux d'une foule de négocians, afin que leur vue fasse naître le désir de les acheter que l'exemple des uns entraîne les autres, que les négocians puissent s'aider mutuellement de leurs connoissances ou des avis particuliers qu'ils ont de la valeur des marchandises dans les Pays étrangers qu'il se forme des sociétez de gens riches, soigneux d'acheter les Parties entières de marchandises qui restent invendues à la fin d'une vente tout cela, à la fois, se trouve à Nantes.

Il est notoire que plusieurs négocians, qui n'approchent jamais de la salle des ventes, s'empressent d'acheter tout ce que la Compagnie a trouvé à propos de ne pas adjuger lors des enchères, l'expérience leur ayant appris que dans ces occasions il y a quelque chose à gagner, soit parce que la Compagnie fait meilleur marché d'une partie entière que d'un lot seul, soit parce que, mettant dans une main la totalité d'une espèce de marchandise, on est certain d'en soutenir le prix.

On le répète, les négocians en gros peuvent seuls procurer à la Compagnie le débouché entier de ces marchandises;


ainsi elle ne peut trop les approcher d'eux. Pour ne laisser aucun doute là-dessus, on va faire quelques observations sur la manière dont se font les ventes, et sur les différents acheteurs qui les suivent.

Sur le premier chef, la Compagnie a pour maxime de soutenir les prix auxquels elle a commencé à vendre une marchandise, et de retenir les lots qui n'y sont pas portez. Elle retient aussi toutes celles qu'elle ne juge pas être poussées à leur r valeur, ou dont elle prévoit ne pouvoir vendre qu'une partie de là il résulte qu'à la fin des ventes il lui reste communément pour a à 3 millions de marchandises qu'elle vend de gré à gré hors vente, aux prix, termes et conditions dont elle convient avec les acheteurs. En des temps fâcheux où l'argent est rare, tel que fut l'an 1726, il reste encore plus de marchandises invendues, alors le négociant écrit de toutes parts, s'informe du prix que valent au-dehors ces marchandises, et ordinairement il les achète. Les Etrangers qui viennent aux ventes en usent de même, mais, comme la nécessité de leur présence chez eux les presse de s'y en retourner, ils n'ont pas le tems d'attendre tous les éclaircissements nécessaires, ou même d'achever la Négociation qu'ils avoient entamée. Pour y suppléer, ils laissent des instructions et des ordres à quelques négociants entendus qui consomment l'affaire: cela ne pourra s'exécuter à l'Orient.

1° Il s'y trouvera peu de négocians en gros.

2° Ils n'y trouveront aucun domicilié à qui ils puissent confier, enleur absence, la conduite d'une affaire délicate et intéressante. Ainsi, dès qu'ils seront partis, toute négociation cessera, et la Compagnie se verra forcée de garder jusqu'à l'année suivante les marchandises qu'ils avaient en vue.

Quant aux marchands et négocians qui suivent les ventes, on peut les diviser en quatre classes, sçavoir

La première, des marchands de toile de coton en gros et en détail.

La seconde, des marchands épiciers et droguistes.


La troisième, ries négocians qui achètent par commission pour les pays étrangers.

La quatrième, des négocians qui sans être fixez à aucune espèce de marchandise, achètent, par spéculation et pour leur compte, indifféremment toutes celles sur lesquelles ils prévoyent quelque profit, soit en les vendant dans le cours de l'année aux détailleurs lorsque ceux-ci viennent à en manquer. Les premiers se rendront toujours dans le lieu où la Compagnie fera les ventes, parce qu'ils n'ont point d'autre commerce (ce sontceux-là, suivant les apparences, que la Compagnie veut désigner par ceux qui souhaitent la translation des ventes de Nantes à l'Orient), mais leurs achats sont bornez à leurs fonds et à leur consommation annuelle. Dès là qu'ils se retrouveront remplis, on leur offrirait inutilement la marchandise à beaucoup au-dessous de sa valeur. La Compagnie ne trouvera donc point chez eux une débouche proportionnée à la quantité de marchandises qu'elle fait aujourd'hui apporter en Europe par ses vaisseaux.

Les épiciers et les droguistes sont dans le même cas que les marchands de toiles de cotton. De plus, la majeure partie des épiciers et droguistes de la Compagnie étant voiturée par la rivière de Loire, soit pour Orléans, Paris et Lyon, soit principalement pour les provinces de delà la Loire, afin d'éviter les frais excessifs des voitures par terre, les acheteurs seront obligez de les envoyer à Nantes par mer et d'y payer commission à un négociant pour les retirer et les recharger sur la rivière. Cela occasionnera des frais, des droits et des assurances qui diminueront d'autant les prix auxquels ces marchandises seront portées lors de leur adjudication.

Les Etrangers font acheter à Nantes des parties considérables de marchandises hors des ventes ils y sont excitez par leurs correspondans de Nantes, qui, par l'espoir d'une commission, les tiennent sur les avis pour les déterminer même, ils leur proposent souvent de prendre un intérêt en leurs propres achats. Ces achats par commission ne seront point aussi consi-


dérables à l'Orient les négociant de Nantes qui ne s'y transporteront point, cesseront d'engager leurs amis à faire acheter. Les Etrangers peu instruits, et encore moins encouragez, ne sçachant d'ailleurs à qui s'adresser à l'Orient, et incertains si leurs correspondans ordinaires de Nantes s'y rendront, se détacheront de ce commerce, d'autant plus aisément qu'ils trouveront à le faire avec autant d'avantage et plus de facilité chez les autres compagnies.

La quatrième classe des acheteurs aux ventes est celle des n> gocians en gros. elle est la principale c'est la seule qui puisse assurer à la Compagnie le débit entier de toutes les espèces de ses marchandises on en a ci-devant exposé les raisons.

Il ne faut pas omettre la facilité des négocians qui se trouve à Nantes et qui ne sera point à l'Orient. Elle est la principale cause de la multitude des acheteurs, soit du Royaume, soit des pays étrangers. Plusieurs marchands et négociants sont chargez de billets et de lettres de change qui ont un terme plus long à courir que ceux fixez par la Compagnie pour les payemens. Il arrive encore que plusieurs négocians, très bons en effet, sont cependant inconnus à la Compagnie et n'y ont pas un crédit bien établi.

Dans le premier cas, les caisses publiques qui se trouvent à Nantes, comme celle de la Ferme du Tabac, de la Prévôté, des Etats de Bretagne, des Octrois, du Clergé, du Domaine, etc.. et celles des .particuliers opèrent la circulation de l'argent et facilitent celle du papier.

Dans le second cas, ces négocians peu connus, et dont la Compagnie rebuteroit le papier, ont recours aux négocians de Nantes de leur connoissance qui le leur endossent et qui sur leur solvabilité counue le font ainsi recevoir par le caissier. De cet exposé, et des raisons que la Communauté de tantes vient d'opposer aux motifs de la Compagnie, il s'ensuit qu'en transportant ses ventes à l'Orient, elle conservera seulement la débouche de ce que les détailleurs, soit de toiles de cotton, soit


d'Epiceries ou Drogueries, sont dans l'habitude d'acheter, mais qu'elle trouvera une diminution ruineuse dans le prix et dans la quantité d'achats que les négocians ont accoutumé de faire, soit par commission pour l'Etranger, soit par spéculation pour leur propre compte, et qui sont d'une toute autre conséquence que les achats des détaillans.

Si Monseigneur veut bien donner son attention à des raisons aussi sensibles, la communauté a lieu d'espérer que la Compagnie sera plus attachée que jamais à la ville de Nantes. Fait, à Nantes, le juillet 1733.


LE PROJET FRANÇAIS

DE

COMMERCE AVEC L'INDE PAR SUEZ SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XVI

(Saile et fin)

Les propositions de conquête de l'Egypte n'avaient été suivies d'aucun effet. Même le plaidoyer écrit par le Baron de Tott, en faveur de ce projet, au retour de sa mission dans le Levant, n'avait pu le faire adopter par le Gouvernement royal. Le Ministre des Affaires Etrangères, Vergennes, y était résolument hostile, pour des raisons de politique orientale et de politique générale, qu'avec le recul des temps on doit reconnaître bonnes. Les données réunies et exposées par l'Inspecteur, sur les conditions navales et autres d'une expédition militaire, n'avaient elles-mêmes pas paru absolument suffisantes aux partisans de la conquête, puisque les bureaux du ministère de la marine, acquis à cette idée, élaborèrent le programme d'un supplément d'enquête ce qui prouve, entre parenthèses, qu'ils persévéraient dans leurs intentions. Mais il n'était pas possible que certains cerveaux eussent tant travaillé sur l'Egypte, que certaines imaginations se fussent tant échauffées à propos d'elle et qu'elle


eût fait couler tant d'encre de quelques écritoires officielles, sans qu'on eût peine à se résigner à ne retirer aucun profit de tant d'études et d'investigations. Le commerce avec l'Inde par Suez, unanimementprésenté comme un des principaux avantages à réaliser par la possession de l'Egypte, pouvait être recherché, comme un résultat désirable et complet en soi, indépendamment de l'occupation du pays et sans elle. C'est à ce parti que se rangea le ministère de la Marine, sans rencontrer, au moins au début, de résistance dé la part du ministère des Affaires Etrangères, contre une tentative pour laquelle le premier avait voix prépondérante et à laquelle le second ne pouvait faire les mêmes objections qu'au projet de conquête.

L'intention de tenter un effort dans ce sens apparait pour la première fois dans un document de 1783 intitulé Observations demandées par Monseigneur sur le commerce que les étrangers font en Levant. L'appellation Monseigneur désigne un ministre, qui est, en l'espèce, celui de la Marine. Les observations qui lui sont soumises à sa requête contiennent le passage suivant

0 Les Turcs consomment beaucoup de mousselines, de toiles et d'étoffes des Indes. Ils tirent ces marchandises par la voie de Suez. Nous ne leur ferons cette fourniture qu'autant que nous parviendrons à faire le commerce de l'Inde par la mer Rouge. En attendant cette révolution si désirée, il est difficile d'imaginer qu'on puisse fabriquer en France, pour l'usage des Turcs, des toiles et des étoffes en concurrence avec l'Inde. » Ainsi, pour pouvoir approvisionner le marché ottoman en marchandises de l'Inde, dont il consomme beaucoup, il faut que la France les fasse venir par la mer Rouge, comme font les Turcs eux-mêmes et diriger de


nouveau le trafic de l'Inde vers cette ancienne voie constitue une « révolution si désirée ».

En juillet 1783, le Ministre de la Marine, ayant décidé d'envoyer en mission dans le Levant un officier, le Comte de Bonneval, lui donna des instructions où fut inséré, presque mot pour mot, le passage que nous venons de citer, et qui le chargeaient personnellement de procéder à une enquête au Caire sur l'ouverture de la mer Rouge au commerce français. Ces instructions disaient en effet « Les Turcs consomment beaucoup de mousselines, de toiles •et d'étoffes des Indes. Ils tirent ces marchandises par la voie de Suez. Nous ne les fournirions qu'autant que nous'parviendrions à faire le commerce de l'Inde par Suez. Le sieur Comte de Bonneval prendra du sieur Mure, Consul à Alexandrie, tous les éclaircissements relatifs à une exploitation si désirable. Il fera un voyage au Caire, et même à Suez, s'il le peut avec facilité. Il prendra une connaissance entière de notre factorerie au Caire, livrée à elle-même dans cette ville immense. Il cherchera à se lier avec Antoun Cassis, grand-douanier, chrétien, favorable aux Francs en général, et jouissant d'une grande influence sur les Beys. »

Bonneval n'ayant pu, pour une raison qu'on ignore, s'acquitter de l'enquête qui lui avait été confiée, ses instructions furent jointes à celles d'un nouvel Ambassadeur de France en Turquie, le C'° de Choiseul-Gouffier, qui allait remplacer Saint-Priest à Constantinople. En date du g mai 1 784, les instructions de Choiseul-Gouffier lui prescrivaient en outre de se renseigner et de renseigner la Cour de Versailles sur les moyens d'établir « une communication pour les lettres,et paquets à expédier aux Grandes Indes », tant par la route d'Alep, de Bassora et du Golfe Persique, que par celle de la mer Rouge. En le chargeant de « proposer la meilleure méthode à suivre pour


la correspondance de Sa Majesté », elles laissaient voir une préférence pour la voie d'Egypte et de Suez, dans les lignes suivantes

« Celle par Suez et la mer Rouge paraît devoir être préférée comme la plus prompte et l'on a calculé qu'avec toutes les chances heureuses un messager peut arriver de Marseille à Bombay en 1.8 jours. L'Ambassadeur du Roi enverra un tableau de comparaison des deux voyages. On lui remet une note relative au dernier. Il rendrait un service réel s'il pouvait procurer des cartes exactes, tant de la mer Rouge que de ses côtes et des points principaux de l'Egypte. Mais si cette entreprise lui paraissait entraîner une dépense considérable, avant de l'ordonner, il demanderait au Secrétaire d'Etat de la Marine les ordres de Sa Majesté. »

II faut que Choiseul-Goutfier, à qui avait donc été remise une note surle trajet d'Europe en Inde par Suezetla mer Rouge, ait été autorisé verbalement à beaucoup plus qu'à une enquête et à des levés de cartes, pour avoiragi comme il l'a fait. Car le 10 novembre 1784, il donnait à M. de La Prévalaye, lieutenant de vaisseau, commandant la Corvette la Poulette, les instructions, dont on va lire le résumé et des extraits.

La Prévalaye partira de Constantinople dès que les vents le lui permettront il ira à Rhodes, où il prendra un pilote, si le sien ne connaît pas assez bien les côtes d'Egypte. Sommairement renseigné par ses instructions mêmes sur le commerce de ce pays, il se mettra en rapports, à Alexandrie, avec le consul Mure, se rendra aussi à Rosette et s'acquittera enfin d'une mission secrète an Caire, dont l'objet lui est ainsi défini

« Il est un objet politique d'une importance plus générale et dont il sentira facilement toute retendue: c'est de fixer des idées positives sur la possibilité d'établir des relations de com-


merce entre les Indes Orientales et la Méditerranée par la mer Rouge et l'isthme de Suez. 11 est reconnu que cette communication abrégcrait la navigation des Indes de plus des deux tiers et fournirait à l'Europe des marchandises d'Asie beaucoup moins cher qu'elle ne les paye aujourd'hui. »

Après l'avoir muni de quelques données précises sur le commerce de l'Inde, la consommation des toiles et mousselines par les Turcs, le paiement des « retours » en espèces et métaux précieux, parce que les Hindous consommaient peu de produits d'Europe, les instructions de La Prévalaye laissaient voir la tentation d'assurer à la France l'approvisionnement du Proche-Orient en articles d'Extrême-Orient

« Si la mer Rouge était ouverte à nos vaisseaux, après avoir chargé au Bengale, à Coromandel, au Malabar, des marchandises'de l'Inde, ils se rendraient à Suez, où nous aurions bientôt des établissements français. Les cargaisons peuvent être vendues pour la consommation du Caire, des deux Egyptes, des côtes de la Nubie, de l'Abyssinie, de l'Yemen et de la Syrie. » Le Prévalaye est ensuite mis au courant des efforts des Anglais, pour s'ouvrir la route de Suez, du commencement d'exécution auquel leurs tentatives avaient abouti et des moyens mis en œuvre pour détruire le résultat obtenu par eux. Son itinéraire et sa ligne de conduite lui sont ensuite tracés, non sans précision

« Aussitôt que M. de la Prévalaye aura relâché à Alexandrie, il débarquera de sa corvette sans aucun autre officier de son bord, accompagné seulement du sieur Cazas, dessinateur, et de 3 ou 4 hommes de son équipage, qu'il aura soin de choisir avec la plus grande attention. Il se rendra à Rosette sur un bateau du pays et de là il remontera le Nil jusques au Caire,où le Consul d'Alexandrie l'aura adressé à quelque personne sûre, qui puisse seconder ses projets. n


Au Caire, La Prévalaye devra gagner la confiance du Grand-Douanier Antoun Cassis et s'insinuer dans les bonnes grâces des Beys, pour préparer le terrain à la conclusion d'une convention, sans encore la conclure « Il faudrait provisoirement, mais sans prétendre arrêter une convention précise, chercher à connaître quels sont les droits que pourrait exiger le Chérif de La Mecque, ceux qui seraient payés à Djeddah, Suez, le Caire, en observant que l'entrée de nos vaisseaux ne doit faire aucun obstacle aux intérêts particuliers. »

Sur ce dernier point, La Prévalaye fera ressortir l'avantage qui résulterait du commerce entre l'Inde et Suez pour les recettes des douanes égyptiennes. La fin de ses instructions lui prescrit d'étudier aussi les conditions d'établissement de postes consulaires ou d'agences commerciales dans les ports d'Arabie et celles de la navigation dans la mer Rouge. Elles montrent, chez celui qui les lui donne, le désir de passer le plus tôt possible de l'examen à la réalisation du projet, ou au moins de procéder à une expérience, avec le minimun de garanties diplomatiques exigibles.

« Par une suite nécessaire de ces observations, M. de la Prévalaye étudiera les moyens d'établir à Moka et à Djeddah des vice-consuls ou des agents dont les fonctions publiques fussent avouées et dont l'autorité fût reconnue. Mais comme ces établissements exigeraient une négociation avec le ministère ottoman, toujours trop lente et même trop incertaine, on pourrait se déterminer à solliciter sous quelque prétexte un Firman pour un seul bâtiment, dont le Ministre de France ferait faire l'armement par quelque négociant intelligent et qui connaîtrait tous les rapports du commerce des Indes avec l'Egypte. Ce moyen serait simple et, quoiqu'il ne soit nullement question d'en faire usage, M. de la Prévalaye peut se conduire comme s'il devait être employé, parce que les idées générales se fixent


mieux lorsque l'imagination les applique à un objet déterminé. M. de la Prévalaye prendra les informations les plus précises sur la navigation de la mer Rouge, sur les vents qui y régnent habituellement dans chaque saison, sur le nombre, la qualité, le tirant d'eau des bâtiments qui naviguent dans cette mer, sur le gisement des côtes, la distance exacte de Moka à Djeddah, et de Djeddah à Suez. 11 serait intéressant de recueillir toutes les notions que les navigateurs pourraient lui donner sur cette partie. »

Choiseul-Goufiîer rendit compte au Ministre de la Marine, le Maréchal de Castries, de la mission qu'il avait confiée à La Prévalaye. Sa lettre, du 10 novembre 1784, est ainsi conçue

« J'ai cru devoir profiter du voyage de cet officier pour acquérir, ainsi que vous me l'avez ordonné, des connaissances relatives à la navigation de la mer Rouge et à la possibilité d'ouvrir cette voie à notre commerce avec l'Inde, en l'engageant à se concerter sur cet objet avec M. Mure, Consul-général je l'ai autorisé à se débarquer pour monter au Caire et même à Suez, s'il pense que cette course puisse contribuer à l'éclairer. Prévoyant qu'il désirerait peut-être lever quelques plans, je lui ai donné un de mes dessinateurs. »

Non plus que la mission de Bonneval, celle de La Prévalaye ne fut remplie. Mais ses instructions furent renouvelées par Choiseul-Gouffier à un troisième officier de marine, le Chevalier de Truguet, commandant le brick mis à la disposition de l'Ambassadeur. Truguet fut en outre autorisé à traiter avec les Beys.

Son succès dépassa toutes les espérances. Adressé par Mure à un négociant marseillais, Charles Magallon, établi depuis longtemps au Caire, où il jouissait d'un grand crédit auprès des Beys, Truguet réussit rapidement, grâce au concours décisif de ce précieux auxiliaire et à celui


de madame Magallon, qui avait ses grandes et petites entrées dans les harems des Mameluks, à conclure un traité avec Mourad Bey, qui détenait alors le pouvoir en Egypte. Ce traité du 10 janvier 1780 est ainsi intitulé « Conventions préliminaires d'un traité de commerce et de navigation dans l'Inde par Suez, arrêtées et conclues le io janvier 1785 entre le très illustre et très magnifique seigneur le Prince Mourad Bey, ci-devant Prince de la Caravane à la Mecque, et le Conseil des Odjaks, et le sieur Truguet, envoyé en Egypte par Son Excellence Monseigneur le Comte de ChoiseulGouffier, Ambassadeur du Roi près la Sublime Porte, muni de pouvoirs et instructions nécessaires pour déterminer les dites conventions relativement à l'arrivée et au commerce des bâtiments français venant de l'Inde au port de Suez. »

Pour mettre à couvert sa responsabilité envers la Porte, ou plutôt pour en avoir l'air, Mourad Bey avait tenu toutefois à réserver à celle-ci le soin de délivrer ultérieurement un Firman, que Choiseul-Gouffier devrait solliciter d'elle pour autoriser les Français à naviguer dans la mer Rouge, mais sans que l'exécution du traité dût être différée jusqu'à la délivrance de ce Firman. Cette réserve, toute de forme puisqu'elle ne mettait pas obstacle à l'immédiate entrée en vigueur du traité, était consignée en ces termes, dans un paragraphe initial., précédant les articles stipulés entre les signataires

« Le Prince Mourad Bey et le sieur de Truguet sont convenus préalablement que l'Ambassadeur du Roi sollicitera de la Porte un Katscliérif ou simplement un Firman pour autoriser la navigation des Français dans la mer Rouge, mais que, sans attendre ce Firman, tous les bâtiments qui se présenteront jouiront, à compter de ce moment, de tous les avantages énoncés dans le présent traité, sans que, sous aucun prétexte, il puisse y être apporté aucun empêchement. »


Les avantages concédés à la France sont ensuite énoncés dans 18 articles, dont lesprincipaux sont les suivants Ai»t. 6. Tous les négociants français qui viendront de leur pays par la voie d'Alexandrie pour passer aux Indes, ainsi que ceux qui viendront des Indes pour se rendre en France, pourront l'exécuter sans la moindre difliculté personne ne pourra les en empêcher et personne aussi n'osera visiter leur équipage, leurs hardes ou leurs lettres par contre, ils devront jouir de toute considération, commodité et sûreté ils pourront prendre les provisions et l'eau dans tout endroit que bon leur semblera et autant qu'ils en voudront à leur gré.

ART. 8. Lorsque les vaisseaux français arriveront au port de Suez, le protecteur des Français, qui sera à Suez même, ira à bord pour en voir le chargement et en envoyer la note au Consul. Les Français amèneront leurs vaisseaux eux-mêmes où bon leur semblera, sans que personne ose prétendre leur donner aide ou conseil touchant l'endroit propre au mouillage personne aussi ne s'avisera d'aller à bord de ces vaisseaux qu'avec la permission des Capitaines. Ceux-ci déchargeront et chargeront eux-mêmes leurs bâtiments sans qu'un seul matelot étranger ose s'en mêler. Eux-mêmes établiront leurs pilotes et qui que ce soit ne pourra s'approcher des canots et barques de leurs vaisseaux chargés de leurs effets.

ART. Io. Pour ce qui concerne la douane, les négociants français paieront sur toutes les marchandises qu'ils apporteront des Indes 4 pour ioo au Pacha et 2 pour ioo à Son Excellence le Prince du Pavillon, commandant de l'Egypte. On prendra la douane des toileries en nature et on prendra la douane des drogues, épiceries et autres articles en argent, et, cette douane payée, les négociants français seront les maîtres de vendre leurs effets en Egypte ou.de les envoyer hors du Royaume, où bon leur semblera, sans payer rien de plus et sans le moindre empêchement.

Akt. i3. S'ils apportent des marchandises propres pour leur pays, qu'ordinairement ils font passer par l'Océan,


on établira une douane sur la facture et ils paieront 3 pour 100, mais on leur accordera des facilités pour les engager à se prévaloir de cette route. S'il y a quelque soupçon que la marchandise ne soit pas de la qualité désignée dans la facture, on ouvrira quelques balles pour la vérifier si la qualité répond, on ne touchera pas aux balles restantes, mais, s'il y a de la différence, on les ouvrira toutes et on prendra sur la totalité la douane de 6 pour cent.

AnT. i5. Aussitôt qu'arriveront les vaisseaux marchands à Suez, le Gouvernement enverra des gens pour conduire leur chargement au Caire, avec tout le soin et avec toute la sûreté, sans risque de surprise de la part des Arabes, et, le bon Dieu en aide,nous répondons de tout événement de la part des Arabes pour la sûreté et pour empêcher toute sorte de malheur.

ART. 16. Si jamais les Commandants du Caire voulaient chasser les susdits négociants français des Indes et ne voulaient plus les recevoir au Caire, ils leur accorderont le temps d'un an entier, pendant lequel ces négociants seront fort tranquilles dans leurs maisons et pourront vendre leurs marchandises à leur gré, sans qu'ils aient à souffrir aucune perte, dommage ou insulte, et, l'année échue, ils partiront avec leurs associés en tout honneur et entière sûreté.

ART. 17. -Si quelque autre nation européenne demandait des conditions pour le commerce de l'Inde plus avantageuses pour elle que les présentes, la nation française sera toujours avantagée au-delà de toute autre nation.

Comme Mourad-Bey, signataire de ce traité, partageait le pouvoir avec Ibrahim-Bey, absent du Caire pendant le séjour de Truguet, il fut convenu que Mourad le ferait signer par Ibrahim, quand celui-ci serait de retour. Une copie lui en fut laissée à cet effet, qu'il fit parvenir peu après à Truguet, revêtue de la signature d'Ibrahim. En plus du traité conclu avec les Beys, Truguet en passa un avec le Grand-Douanier, Youssouf ou Joseph


Cassab, successeur de cet Antoun Cassis, dont avaient parlé les instructions de Bonneval et de La Prévalaye. Le li-ailé particulier passé entre M. de Truguel, envoyé au Caire par Mgr le Comte de Choiscul-Gouffier, Ambassadeur de France près la Sublime Porte, el le Mouallem Joseph Cassab, Directeur-général des fermes et douanes de l'Egypte, arrêté el conclu le 12 de la Lune de Rebiul Erevel, l'an de f Hégire 1199 ou le 23 Janvier 1785 enregistre le serment prête par Cassab, sur son honneur et sur sa religion, de favoriser et de protéger de tout son pouvoir les négociants français qui feront le commerce de l'Inde par Suez, et stipule

« Qu'il ne pourra augmenter ni diminuer les conditions de la douane, qu'il sera le protecteur, le surintendant et le bon conseiller des négociants français qui viendront par la voie de Suez, de même que pour les marchandises qui viendront de Marseille pour le Suez, et pour les effets pour la consommation de l'Egypteet de la Turquie. »

Pour qu'il trouve son intérêt à tenir son engagement, un profit personnel est prévu en sa faveur

« En reconnaissance des services et de la protection de M. J. Cassab, il lui sera accordé un droit d'un demi pour cent sur toutes lés marchandises de l'Inde qui viendront par Suez. Ce droit sera payé en nature sur les marchandises en pièces, et en argent sur les autres grosses marchandises. »

Enfin, pour mettre toutes les chances du côté de nos marchands et ne négliger aucune précaution, Truguet conclut une dernière convention avec un Cheikh arabe, en vue du transport des marchandises de Suez en Caire. Par cette convention, intervenue entre lui et El-Hadj, Nazr-Chedid, Bédouin, Cheikh arabe « de la dépendance du Caire », en présence de Youssouf Cassab, il est entendu, que:


« Lorsqu'il arrivera des bâtiments français à Suez, Nasr Chédid enverra ses gens armés à ce port, avec tous les chameaux nécessaires pour transporter les marchandises de ces bâtiments de Suez au Caire le gafar, ou péage que les marchandises payent aux Arabes sur cette route, sera à la charge dudit Cheikh Nasr, ainsi que le salaire des gens chargés de les conduire et de les escorter ledit Cheikh est convenu solennellement qu'il préviendra et répondra personnellement de tous les événements fâcheux qui pourraient arriver à ces marchandises, moyennant cinq pataques par chaque charge de chameau. »

Les trois actes que nous venons d'analyser constituaient, pour l'exploitation du commerce de l'Inde parla mer Rouge, Suez et l'Egypte, un ensemble de conditions et de garanties, telles qu'on n'en pouvait difficilement imaginer de plus avantageuses ni de plus fortes, bien supérieures en tout cas à celles que les Anglais s'étaient assurées par leur traité de 1775 et dont ils avaient joui en fait jusqu'en 177g.

De retour Constantinople à la fin de Février 1785, Truguet, après avoir rapporté à Choiseul-Gouflîer le brillant résultat de sa négociation, en rendit compte personnellement au Maréchal de Castries, Ministre de la Marine, par une lettre en date du 24 de ce mois, où il lui disait

« Je désire, Monseigneur, que vous approuviez les différents traités que j'ai faits pour établir solidement un commerce,dont il est impossible de calculer toute la richesse. Les grands sacrifices qu'il me fallait faire au Caire pour obtenir la bienveillance de Mourad-bey et de ceux qui l'entourent, sacrifices que les Anglais avaient porté jusqu'à près d'un million, devaient m'effrayer, quoique le succès de la négociation fût bien propre à en dédommager. Mais j'ai eu le bonheur d'obtenir plus même qu'il n'était permis de désirer, moyennant quelques présents de bien peu de valeur pour la magnificence qui règne aujourd'hui dans


les maisons des Beys et que j'ai trouvé cependant le moyen de faire agréer avec la plus grande bienveillance. Ce n'est qu'après avoir pris une connaissance parfaite du commerce de l'Inde par Suez, qui avait déjà été fait par les Anglais, et des droits auxquels ils avaient été soumis, que j'ai travaillé à composer un traité encore plus avantageux. Mourad-bey, dont on connaît la valeur, la générosité et la fidélité à sa parole, m'a promis formellement et m'a chargé d'assurer Monsieur l'Ambassadeur, qu'il ira lui-même à cheval, à la tête de sa maison, pour protéger nos caravanes de Suez au Caire, s'il y avait la moindre crainte à avoir des Arabes. Malgré cette assurance, j'ai cru devoir engager par un traité particulier un de leurs Cheiks les plus puissants, dont tous les riches marchands turcs achètent la protection, et de la fidélité duquel ils n'ont jamais eu à se plaindre. Enfin, Monseigneur, je crois avoir réuni dans ces différents traités tous les avantages, les prérogatives et les sûretés que peut désirer notre commerce. Quoique l'Egypte soit réellement indépendante aujourd'liiii, et gouvernée despo-. tiquement par ses Beys. qui ne payent même depuis plusieurs années aucune espèce de tribut au Grand Seigneur, M. le Comte de Choiseul-Gouïïîer m'avait fort recommandé d'éviter tout ce qui pourrait blesser la dignité de l'Empire ottoman, dont l'Egypte est toujours censée faire partie. Je n'ai pas négligé, Monseigneur, de réunir pendant mon séjour au Caire toutes les connaissances relatives à ce commerce. J'ai obtenu une carte de la mer Rouge faite par les Anglais, à laquelle j'ai ajouté plusieurs observations que j'ai recueillies. J'ai de même pris les informations les plus exactes sur l'époque des moussons qui règnent dans cette mer, sur ses dangers, ses ports, et généralement sur les détails de cette navigation. J'ai aussi ramassé avec soin tout ce qui peut éclairer sur les divers chargements qu'on peut laire et la manière d'en obtenir'le plus grand débit. ̃> Choiseul-Gouffîer n'avait pas été moins satisfait que Truguet lui-même du complet et éclatant succès qui avait couronné une mission dont il avait eu l'initiative. Tout


heureux d'inaugurer son ambassade à Constantinople par un aussi brillant début, comprenant d'autre part quels substantiels avantages la France pouvait retirer de l'exploitation du commerce de l'Inde par Suez, il apporta un naturel empressement à faire valoir auprès du Ministre de la Marine le haut intérêt des actes conclus par Truguet. Il insista pour que le Gouvernement français les mît à l'épreuve, sans attendre que lui-même eût obtenu de la Porte le Firman qu'il devait maintenant solliciter d'elle, et en indiquant déjà deux armateurs marseillais, MM. Audibert et Seymandi, comme particulièrement désignés pour diriger sur les Indes une première expédition de deux navires qui seraient ensuite envoyés à Suez, chargés de marchandises. En transmettant au Maréchal de Castries, le 26 février 1785, le texte des traités et conventions passées au Caire, il lui rend compte « des succès incroyables » de la mission de Truguet, qui « a surpassé toutes les espérances » du Ministre et les siennes. Le traité conclu avec Mourad-Bey lui « paraît renfermer tout ce qu'il était possible de prévoir pour s'assurer des dispositions de ce Bey».

« Vous êtes instruit, continuc-t-il, des bénéfices immenses que les négociants anglais établis dans l'Inde avaient retirés de cette spéculation. Le premier vaisseau qu'ils envoyèrent du Bengale à Suez avait rapporté deux cents pour cent de profit, malgré les sacrifices en tout genre que ces négociants avaient été obligés de faire, malgré des droits exagérés, des déchargements forcés, des présents immenses, des avanies multipliées. Ce commerce frauduleux se continuait avec la plus grande activité lorsque la Compagnie des Indes anglaises, éclairée sur les inconvénients qui en résulteraient pour elle, eut recours au ministère pour en arrêter le progrès. Il était évident que, les frais de transport étant plus économiques et le passage des marchandises plus rapide, les particuliers établissaient une


concurrence qui allait bientôt devenir redoutable à la Compagnie. Le Grand Douanier Cassis, aujourd'hui Comte du SaintEmpire, excité par l'Ambassadeur d'Angleterre, fit piller la caravane anglaise et saisir les bâtiments mouillés à Suez, de .concert avec les grands du pays, facilement aveuglés sur leurs véritables intérêts. Le Douanier acheta à vil prix ces mêmes marchandises des Arabes, qu'il avait employés et qui n'en connaissaient pas la valeur. Puis, haussant encore leur prix accoutumé, en raison de l'accident dont il était l'auteur, il gagna en peu de jours plusieurs millions qui, ajoutés aux richesses qu'il avait déjà accumulées, l'ont rendu un des plus riches particuliers de l'Europe. L'Ambassadeur d'Angleterre donna en même temps des sommes considérables aux Ulémas pour déclarer que c'était un crime de faciliter le moindre accès à des Chrétiens dans des mers sacrées qui baignaient la patrie du Prophète, et il obtint un Hattischérif qui interdit l'entrée de la mer Rouge .à tous les bâtiments francs et spécialement aux bâtiments anglais. Je ne pouvais tenter dès le moment de mon arrivée à Constantinople de changer les dispositions du Grand Seigneur et de le déterminer à révoquer les ordres qui s'opposaient à nos vues. D'ailleurs, l'autorité de la Porte en Egypte étant absolument illusoire, elle ne voudrait pas en compromettre les apparences en s'exposant au danger presque certain de voir mépriser ses firmans. Il fallait avant tout suivre la marche que vous aviez tracée à M. de Bonneval, dans le mémoire que vous avez bien voulu me communiquer, sonder les dispositions des puissances despotes de l'Egypte, en leur inspirant de la bienveillance, flatter les Douaniers en leur présentant un intérêt personnel, asseoir des conditions précises qui pussent permettre une opération préliminaire et mettre à portée d'en apprécier les résultats.

C'est ce que M. de Truguet a exécuté dans toutes ses parties.

Je sens très bien qu'on ne peut pas conclure de ces premières démarches que la France ait obtenu la liberté indéfinie


du com merce des Indes par la mer Rouge, que le consentement de la Porte est nécessaire pour la consacrer authentiquemeut, que, pour obtenir ce consentement, il faudra calmer des craintes, détruire des préventions, opposer des raisons d'utilité réciproque à des superstitions religieuses. Mais vous penserez sans doute qu'un aveu de la Porte sans l'accord des puissances d'Egypte serait un acte absolument inutile, tandis au contraire que le traité fait avec Mourad-Bey rendrait l'aveu de la Porte superflu, sans les égards de convenance dont on ne peut se dispenser. J'ai l'espérance de faire concevoir au Grand-Vizir tous les avantages qui doivent résulter pour l'empire ottoman de sa condescendance à nos désirs. Je lui observerai que c'est beaucoup moins par des motifs de religion, que par égard pour la réclamation de l'Angleterre et surtout par ignorance, que son prédécesseur a accordé le Hattichérif qui proscrit le commerce le plus avantageux à l'Empire que le Chérif de la Mecque n'aurait ni prétexte de se plaindre, ni profanation de territoires à redouter, puisque nos bâtiments n'aborderont jamais à Djedda. Je ne désespère point de lui faire sentir avec le temps et quelques autres moyens, combien cette nouvelle voie de commerce fera baisser, dans toute l'étendue de l'Empire, le prix de ces marchandises, aujourd'hui plus recherchées que jamais, et combien elle diminuera l'espèce de tribut que ce luxe force les états du Grand Seigneur de payer annuellement aux Indes » Etant donné l'article premier qui accorde le passage aux Français provisoirement, m il serait convenable que vous voulussiez bien permettre à des négociants Français de faire cette spéculation intéressante. Ils devraient y mettre la plus grande discrétion, et elle est d'autant plus facile qu'on peut former un armement pour l'Inde sans laisser entrevoir la destination des bâtiments à leur retour. Deux vaisseaux d'environ 600 tonneaux seraient suffisants. Messieurs Audibert et Seymandi me paraîtraient les plus propres à cette entreprise. Ce dernier, qui m'avait adressé un mémoire sur le commerce des Indes par la mer Rouge, m'ayant écrit qu'il se proposait d'aller à Paris j'ai


cru pouvoir lui faire entendre que vous auriez peu t-ô Lie à conférer avec lui sur cet objet et que, s'il était dans le dessein de faire le voyage, il ne serait pas inutile qu'il pût accélérer son départ.

On ne peut pas s'attendre à recueillir de cette opération tous les bénéfices qu'elle présentera lorsque des français établis dans le Bengale pourront envoyer directement des marchandises de Chandernagor à Suez. Mais dans l'état actuel de notre commerce et de notre position dans l'Inde, on ne peut songer encore à des spéculations qui supposent des données que nous n'avons pas » « Vous penser sans doute, Monseigneur, que pour terminer une affaire de cette importance il a fallu se déterminer à des sacrifices d'argent considérables, dans un pays où les présents font la base de la moindre négociation, et à la cour d'un Prince dont le luxe presque fabuleux est le produit d'un brigandage continuel. M. de Truguet a encore su se passer de ce moyen, auquel il est partout difficile de suppléer. Il n'a pas fait de présent que ce qu'il en fallait absolument pour paraître obéir à l'usage. Il s'est habillé à la longue, comme un simple marchand, afin d'éviter des honneurs qui seraient devenus trop dispendieux. Il a évité tous les obstacles, en excitant le zèle du sieur Magallon, négociant, et surtout en employant le crédit que sa femme a dans le harem du Prince.

Enfin, il est arrivé à inspirer à ce Bey assez de bienveillance pour qu'il ait consenti à traiter toujours directement avec lui. »

L'intention première de Choiseul-Gouffier avait été de ne pas brusquer les choses avec la Porte Ottomane, de ne pas solliciter d'elle, de but en blanc, un Firman autorisant une navigation à laquelle elle avait toujours été opposée, et par conséquent de ne pas lui révéler tout d'un coup les accords conclus par Truguet avec les Beys d'Egypte, qui avaient traité sans l'assentiment préalable de Constantinople. Il voulait au contraire prendre l'affaire de longue main, la négocier discrètement, de manière à éviter que


les représentants de puissances rivales pussent s'en mêler, et la régler peu à peu, progressivement, par une solution provisoire, que le temps eût rendue définitive. Cette tactique prudente fut contrariée, sinon renversée, par •des indiscrétions qui ébruitèrent à Constantinople le résultat de la mission de Truguot et provoquèrent l'intervention de diplomates étrangers, notamment de l'Ambassadeur d'Angleterre. Un mois après sa première lettre au Maréchal de Castries, Choiseul-Gouffier, qui, loin d'avoir encore rien sollicité de la Porte, en est réduit à nier l'exactitude des nouvelles répandues sur les accords de Truguet avec les Beys, est aux prises avec les difficultés résultant de fâcheuses indiscrétions. Sans désespérer le moins du monde d'arriver à ses fins et en s'y employant de son mieux, il informe le Maréchal de Castries, le 26 mars 1785, des obstacles qu'il rencontre, des moyens qu'il met en œuvre pour en triompher et de sa conviction que le retard subi par sa négociation avec la Porte n'empêche pas de procéder aux premières expéditions d'Inde à Suez « Malgré toutes les précautions prises par M. de Truguet, les négociants d'Egypte ont soupçonné le but de son voyage et toutes leurs lettres ont été remplies de leurs vœux pour la réussite d'un projet qui leur offrirait une nouvelle source de richesses. Ce simple soupçon a mis ici tout le corps diplomatique en rumeur et presque tous les Ministres, en enviant mon bonheur, cherchaient déjà les moyens d'en profiter. On a répandu que j'avais obtenu de la Porte la liberté du commerce <le la mer Rouge. L'Ambassadeur d'Angleterre a sur le champ multiplié des démarches que j'avais heureusement prévenues. Mais tout est calmé aujourd'hui on croit s'être trompé, et les éclaircissements que j'ai été forcé de donner au Grand Vizir n'ont servi qu'à diminuer l'éloignement de ce Ministre pour une innovation, dont il ne semble plus impossible de lui faire voir les grands avantages. Les conventions faites avec le gou-


vernement d'Egypte ne doivent laisser aucune inquiétude sur la .sûreté des premières spéculations, et, si je n'obtiens pas encore de la Porte un consentement public qui aurait l'inconvénient d'exciter les réclamations des autres puissances, j'ai la confiance qu'elle fermera les yeux sur ces opérations, que même le Grand Vizir ne refusera pas les firmans pour l'admission de quelques navires. D'après quelques renseignements que je me suis procurés, je me croirais plus assuré d'amener le Grand Vizir à vos vues, si, dans une entrevue particulière, je pouvais ajouter, par un présent considérable, à la bienveillance qu'il m'accorde. Je sais qu'il fait chercher partout en ce moment un diamant de 4o.ooo écus. Je continuerai à détourner l'attention des ministres étrangers et j'entretiendrai au Caire une correspondance nécessaire pour confirmer les Beys dans leurs dispositions ».

Confirmer les Beys d'Egypte dans leurs dispositions était, en effet, le principal, si le Gouvernement Français, suivant le sage conseil de Choiseul-Gouflier, se décidait à mettre en application les traités de Truguet avec eux, sans attendre qu'un acte officiel de la Porte Ottomane fût venu régulariser le résultat de cette négociation. A maintenir les Beys dans un état d'esprit tel qu'ils tinssent leurs engagements, Magallon s'employait au Caire avec un succès dont il faisait part à l'Ambassadeur. Déjà, il avait pu lui transmettre l'exemplaire du traité signé par Ibrahim Bey, qui n'était pas moins séduit que Mourad par les perspectives de gain que leur ouvrait un trafic de marchandises entre l'Inde et Suez, et pas moins pressé de voir ce trafic commencer. Le 23 avril 1785, Magallon mande à Choiseul-Gouflîer

« Ibrahim Bey a vu avec une très grande satisfaction les projets de notre cour. Il m'a fait témoigner par le canal de son harem combien il désirait que l'on pût mettre de la célérité dans l'exécution et il a saisi cette occasion pour faire dire à ma


femme une infinité de choses obligeantes, ce qui devrait prouver, Monseigneur, qu'à cette époque ce Commandant n'avait rien reçu de contraire à vos projets de la part de la Porte. Nous avons journellement de sa part, ainsi que de celle de MouradBey, avec il continue à vivre dans la plus grande union, des nouvelles qui, bien loin d'annoncer un changement dans leurs dispositions, nous confirment dans l'idée où nous avons toujours été qu'ils reconnaissent dans le commerce de l'Inde par Suez des avantages pour eux et qu'il leur tarde, ainsi qu'à nous, de lui voir prendre une certaine consistance ».

Parlant ensuite des malheurs dont les Anglais avaient été victimes, après le Hatti-chérif du Sultan qui avait déterminé le pillage d'une de leurs caravanes en 1779, Magallon exprime l'opinion que ni ce Hatti-chérif n'aurait été obtenu de la Porte si l'Ambassadeur d'Angleterre ne l'avait sollicité, ni les Beys ne l'auraient exécuté si, en Egypte même, des agents anglais ne les y avaient engagés. Magallon affirme alors que Mourad et Ibrahim étaient, au moment où il écrivait, persuadés que la manière dont ils avaient gouverné l'Egypte, jointe à trois années de mauvaise récolte, mènerait le pays à la ruine et à la révolution, et cite des exemples indiquant de leur part une tendance à changer de méthode. Il en conclut que les Beys trouveraient, le cas échéant, des moyens d'éluder les ordres de la Porte tendant à faire cesser le commerce de la mer Rouge. Ils n'avaient encore rien reçu Magallon serait informé dès qu'ils recevraient un. ordre et se faisait fort de les y faire contrevenir, s'il s'agissait d'un ordre contraire au projet français. Sur le soin qu'il prenait d'entretenir son propre crédit, il disait « Je ne cesse, par l'entremise de ma femme, de cultiver l'amitié des Grands. Il ne se passe pas de semaine et même de jour que nous ne nous rappelions dans leur mémoire par l'en-


voi de petites bagatelles que nous savons leur faire plaisir. Ma femme jouit de leur estime, elle n'aura pas de peine à m'y faire participer et, dès que nous serons hors de notre enfermement (peste), j'irai me présenter à Mourad et Ibrahim Beys, je leur porterai les lettres que Votre Excellence me remettra pour eux et je compte dorénavant traiter directement avec les Grands toutes les affaires qui me seront confiées. C'est le seul moyen de n'être pas la dupe des trames que nos ennemis peuvent tenter par le canal de quelque malintentionné i>.

Une occasion se présenta précisément, à point nommé, de vérifier la fidélité des Beys d'Egypte aux engagements qu'ils avaient pris et l'influence de Magallon sur leurs décisions. Le Marquis de Bussy, gouverneur des établissements français dans l'Inde, avait écrit à Versailles, en Août 1784, qu'il se proposait de faire partir de la côte de Coromandel, le ier janvier 1785, la corvette du Roi l'Auguste, à destination de Suez. L'officier qui la commandait, M. de Geslin de Châteaufer. prendrait à Suez les dépêches de la Cour de France, qu'il attendrait jusqu'au 25 mai 1785, date à laquelle il aurait ordre de retourner dans l'Inde. Ainsi avait été fait. L'Auguste avait quitté Pondichéry le 22 janvier 1785 et arriva à Suez le 23 avril de la même année. A son bord avaient pris passage, M. de Canaple, Lieutenant-Colonel, porteur des dépêches du Gouverneur de nos comptoirs dans l'Inde, le C" de Rully, Colonel du Régiment d'Austrasie, M. de Ménesse, qui, deux ans auparavant, avait passé d'Europe en Inde par l'Egypte, et un missionnaire catholique. Ces passagers apportaient d'ailleurs la nouvelle de la mort du Marquis de Bussy, initiateur de cette expédition. A l'arrivée de la corvette, le Commandant de Suez leur signifia à tous de demeurer à bord jusqu'à ce que les ordres du Caire lui fussent parvenus. Mais, sur une démarche immédiate que


Magallon, avoti par une lettre de M. de Canaple, effectua auprès de Mourad et d'Ibrahim, ces Bcys donnèrent à Suez des ordres que Magallon résume ainsi, dans un rapport du 27 avril

« Que c'était avec leur agrément que nos vaisseaux venaient h Suez qu'on les protégeât, les fournît à prix raisonnable de tout ce dont ils pourraient avoir besoin, qu'on donnât escorte aux passagers jusqu'au Caire, qu'on veillât également à la sûreté des marchandises, supposé qu'il y en eût ils s'informèrent si le Cheikh arabe avait pris les dispositions et précautions voulues pour Je passage. »

Les ordres de Mourad et d'Ibrahim s'étant exécutés ponctuellement et le passage des officiers s'étant accompli sans encombres, la preuve fut faite qu'il était possible d'appliquer les traités de Truguet, sans se soucier de l'autorisation de la Porte.

A obtenir cette autorisation, ou plutôt à acheter des Ministres ottomans un demi aveu ou un silence complaisant, Choiseul-Gouffier avait continué à s'évertuer, au milieu de difficultés croissantes. Le Grand-Vizir, sur la bonne volonté de qui il avait compté, et dont il s'était proposé de gagner la cupidité par l'offre d'un diamant de 4o.ooo écus, avait été déposé par le Sultan. Le travail de persuasion et de corruption serait à reprendre avec son successeur, non encore désigné.

Le Maréchal de Castries n'avait d'ailleurs pas répondu à la proposition de se mettre en frais de gros présents et, notamment, d'un diamant de prix. Un Capitan-Pacha favorable à la France était mort et remplacé par un autre, qui, pendant la vacance du Grand-Vizirat, venait d'être investi des fonctions de Kaimakam, c'est-à-dire de Lieutenant-Général. La diplomatie étrangère continuait à multiplier investigations, démarches, intrigues. Dans ces condi-


tions, Choiscul-Gouflier limita ses efforts à circonvenir le Capitan-Pacha et à se faire déliver par lui une lettre qui pût suppléer, tant bien que mal, à une autorisation officielle en bonne et dûe forme. Le a5 avril 1785, annonçant au Maréchal de Castries qu'il avait renonçé à obtenir un Hatli-Chérif, ce qui eût été trop difficile, il l'informait d'un premier succès remporté par ses travaux d'approche auprès du Capitan-Pacha

« Au milieu de l'anarchie qui règne ici depuis la déposition du Grand Vizir, j'ai saisi un instant favorable pour seconder nos vues sur le commerce de l'Inde. Après beaucoup de tentatives, j'ai enfin obtenu du Capitan-Pacha et Kaimakam une lettre pour les Beys d'Egypte, dans laquelle il leur recommande fortement de protéger le commerce et la navigation des Français dans leur pays. »

Encouragé par le bon accueil que sa requête avait rencontré de la part du Capitan-Pacha, Choiseul-Gouffier se hasarda peu après à l'entretenir du commerce avec l'Inde par Suez, et non plus des affaires en général de nos négociants en Egypte. Il n'eut point à se repentir de son audace, puisque le Capitan-Pacha consentit à reprendre sa lettre primitive et à y substituer une autre missive, qui enjoignait explicitement aux Beys d'Egypte de protéger le commerce des Français avec l'Inde par Suez. Ce document, qu'il appelait une « lettre d'amitié », disait L'ancienne amitié qui règne entre la Sublime Porte et la Cour de France me fait espérer qu'aux termes des traités établis vous protégerez le Consul de cette cour, résidant en Egypte, les vaisseaux qui y naviguent et les autres navires ou les sujets français qui vont et viennent par la mer de Suez avec des lettres adressées audit Consul par des négociants de sa nation installés dans l'Inde et que vous leur accorderez toute assistance dans les affaires qui pourront leur survenir. »


Cette pièce, qui n'était pas sans valeur, paraissait à Choiseul-Gouffier suffisante pour commencer les opérations commerciales visées par les traités de Truguet. Non qu'il se fit la moindre illusion sur la jalousie qu'elles éveilleraient de la part de nos concurrents et les discussions que leurs plaintes provoqueraient avec la Porte. Au contraire, il faisait prévoir de tels démêlés au Maréchal de Castries, en lui écrivant le 10 mai 1785

« Il est certain que, si vous approuvez une première opération de commerce dans la mer Rouge, l'arrivée de nos bâtiments à Suez excitera ici la réclamation de quelques Ministres étrangers et qu'alors on devra examiner avec étonnement les titres qui m'y auront autorisés. »

Mais l'Ambassadeur se fondait sur le caractère mal déterminé et incohérent de l'administration ottomane pour espérer que la lettre d'un Capitan-Pacha-Kaimakam serait considérée, le cas échéant, comme un titre sérieux, en même temps que sur la versatilité du Gouvernement turc pour admettre que les dispositions du Grand-Seigneur envers le commerce de Suez pourraient s'améliorer. En somme, l'opération à tenter lui semblait susceptible de succès, à condition d'être conduite avec prudence et discrétion. La nouvelle de l'accueil fait en Egypte à la Corvette l'Auguste, dont il rendit compte au Maréchal de Castries le 5 juin 1785, ne put que le confirmer dans sa confiance, qui n'était d'ailleurs pas injustifiée, car, chaque fois qu'un navire français ou anglais arriva à Suez par la suite, il finit toujours par être reçu et par pouvoir débarquer ses passagers et sa cargaison.

Si l'entreprise projetée n'avait rencontré d'autre difficulté que le défaut d'une adhésion formelle du Gouvernement turc, elle aurait donc pu être poursuivie et réussir. Malheureusement, elle se heurta, en France même, à un


obstacle bien plus redoutable, de la part de la G'0 des Indes, que le Contrôleur-Général des Finances, Calonne, venait précisément de ressusciter par arrêt du 14 avril 1785. La charte de cette compagnie privilégiée lui donnait le monopole du commerce d'Inde en Europe, par le Cap de Bonne Espérance aussi bien que par la mer Rouge, et aussi d'Inde en Afrique ou en Levant. Toute opération com mercialeentre l'Inde et Suez faite en dehors d'elle et par d'autres qu'ellemême était donc dérogatoire à son privilège et partant illicite. De ce fait surgit une grave difficulté, identique à celle qui s'était présentée en Angleterre en 1775, quand un traité avait été conclu par John Shaw avec le Bey d'Egypte, en dehors de la G1' anglaise des Indes. Aussi, à peine avait-il reçu les dépêches de Choiseul-Gouffier lui transmettant les conventions conclues au Caire par Truguet, que le Maréchal de Castries les avait soumises à l'Inspecteur du. commerce du Levant, M. de Cabre, pour s'éclairer sur le moyen de résoudre l'embarrassant problème. M. de Cabre, à son tour, avait consulté le Baron de Tott, autre expert en la matière et de ce jour commença entre ces personnages, la Cie des Indes et les négociants marseillais Audibert et Seymandi, une laborieuse négociation, à laquelle prirent part Choiseul-Gouffier, quand il fut informé de la difficulté, son prédécesseur à Constantinople, Saint-Priest, le Ministre des Affaires Etrangères, Vergennes, le Contrôleur-Général, Calonne, d'autres encore. Tous ceux qui touchaient à l'administration de la Marine et à celle du commerce du Levant étaient ardemment favorables à l'ouverture du nouveau trafic, que la C'e des Indes, au contraire, se montrait peu disposée à exploiter par elle-même, tout en étant intraitable sur son monopole, très résolue à en interdire l'exploitation en dehors d'elle. M. de Cabre, sous les yeux de qui avait passé


maint mémoire réclamant l'utilisation de la voie de Suez, notamment les projets d'un négociant nommé Froment, posait les termes de la question et donnait une premièreconsultation au Maréchal de Castries, par une lettre du 4 mai 1785

« Je ne perds pas un moment à avoir l'honneur de vous renvoyer toute l'expédition de M. de Choiseul-Gouffier, accompagnée de l'avis de M. de Tott, auquel je n'ai rien à ajouter. Les mémoires du sieur Froment criaient après le commerce des. Indes par la Mer Rouge et Suez les Conventions, lorsque l'exécution en sera assurée, procureront les moyens de Je suivre avec plus d'avantage encore que n'en présentent les calculs- actuels du sieur Froment, fondés sur les usages ordinaires de l'Egypte. Vous connaissez mieux que personne les frais et le prix des marchandises d'Egypte, combien cette nouvelle voie les amoindrirait, en abrégeant le trajet et épargnant à l'Etat les pertes inséparables des navigations delong cours. On voit donc, sans pousser à la rigueur la comparaison mercantile des deux routes, que celle-ci est préférable. Lorsque la Porte aura été amenée aux formalités dont nous avons besoin, tant pour nous tenir en toute mesure avec elle, que pour en tirer parti en Egypte même, les moyens d'affermir l'exécution du traité seront dans la main du Ministre de la Marine, et il peut être utile en tout temps d'avoir à former de jeunes officiers par le commandementde frégates stationnées devant Alexandrie et dans la Mer Rouge. La nouvelle Compagnie des Indes sera un embarras intérieur et il n'y en a guère d'autres pour les grandes monarchies. Mais les exceptions en faveur des îles de France et de Bourbon offrent une latitude pour l'entreprise dont il s'agit. On n'a pas à chicaner sur le commerce d'Inde en Levant, quand celui d'Inde en Inde est permis. Et il est permis aux Marseillais de tirer du Levant tout ce qu'ils y trouvent à prendre en échange. « Mais, s'il le fallait, il n'y aurait pas à hésiter à sortir cetteopération inattendue des entraves du privilège exclusif et, puisqu'elle peut opérer une révolution sur le système général


dans l'Inde, doit-elle être arrêtée par une minutie des convenances et de l'intérêt particulier ? On vous annonce un travail ultérieur de M. de Truguet il sera bien précieux. Mais nous avons ce qu'il faut pour poser les fondements de l'édifice et pour donner, par une felouque, à l'Ambassadeur du Roi, les. instructions définitives qui le mettront en état de consommer la partie théorique d'un ouvrage, dont la partie pratique vous appartiendra. M. Audibert est ici il peut être utilement consulté, il a résidé longtemps en Egypte. M. Ruffin, M. de S1 Priest, M. de Tott ne laisseront rien à désirer sur les détails. Quanta ceux concernant la marchandise, je les étudierai avec le sieur Froment et les négociants les plus instruits des affaires de l'Inde. Mais cela ne sera essentiel, ce me semble, qu'après l'établissement invariable et solide des traités, ainsi que la volonté du Roi prononcée sur la chose. Je crois devoir remettre sous vos yeux le précis que j'avais rédigé l'année dernière sur les défenses faites par la Porte aux bâtiments chrétiens d'aborder à Suez. »

Convaincu de la supériorité de la route de Suez sur celle du Cap de Bonne Espérance, pénétré du puissant intérêt offert par le résultat de la mission de Truguet, en attendant le complément de ce résultat par celui de la négociation de Choiseul-Gouffier avec la Porte, M. de Cabre a donc estimé de prime abord qu'il serait inadmissible que le privilège exclusif d'une compagnie, c'est-à-dire la lettre d'une charte de concession, et des intérêts privés tinssent en échec le succès remporté par notre diplomatie et en fissent perdre le fruit. Mais, croyant qu'on pourrait en prendre à son aise avec le texte de la charte octroyée à la C!< des Indes, il a jugé possible d'excepter du privilège de la Compagnie le commerce d'Inde en Levant, en étendant arbitrairement une exception stipulée par un article de la charte même, en faveur du commerce d'Inde en Inde te du trafic entre ce continent et les lies de France et de


Bourbon. Un examen plus attentif des actes constitutifs de la Cie des Indes lui fit bientôt perdre cette illusion et, s'étant rendu compte de l'impossibilité d'un pareil tour de passe-passe, il écrit de nouveau, le lendemain, au Maréchal de Castries

« Monseigneur,

Les Instructions de M. de Bonneval ayant été jointes à celles de M. de Choiseul-GonfBer. je crois devoir mettre aussi sous vos yeux l'article des premières, relatif au commerce par Suez. J'ai lu attentivement l'arrêt du 14 avril dernier; l'article 3 réserve exclusivement à la Compagnie tout commerce par terreen caravane voilà pour Bassora.

L'article 7 excepte du commerce d'Inde en Inde, conservé aux iles de France et de Bourbon, la Mer Rouge, la Chine et le Japon, indépendamment des autres restrictions voilà pour notre objet. Les stipulations sur ce qu'on voulait empêcher de faire sont complètes. Il serait affreux qu'un si bon ouvrage fût sacrifié à une misérable opération, déjà mauvaise en soi. Mais il faut partir du point où l'on en est nul négociant ne pourra spéculer par Suez, s'il n'y est invité positivement, et en rétractation ou modification de la défense. Sans cela, les traités avec les Beys, malgré la sanction future de la Porte, deviendraient sans eflet et ne seraient que de la besogne préparée pour les Anglais. Ils n'ont pas besoin qu'on les excite à prendre cette route, et ils s'y livreraient, ne fût-ce que pour nous en écarter. Au commencement de 1777, il vint à Suez 4 bâtiments anglais de Bombay, a du Bengale, chargés de marchandises, et une frégate de Madras celle-ci y débarqua 3 officiers, porteurs de commissions.

J'ose penser, conformément à l'avis de M. de Tott, qu'avant de rien entreprendre mercantilement, il est indispensable d'obtenir, pour les traités conclus. l'aveu formel de la Porte, de quelque manière qu'elle consente à l'accorder, et, pour y parvenir, il faut autoriser l'Ambassadeur à des sacrifices d'argent. Ce point une fois gagné, nous procéderons seuls à l'exécution,


par la station constante de frégates devant Alexandrie et dans la Mer Rouge, et incessamment par l'occupation de l'île, je crois Mehun, qui est à l'entrée du détroit de Bab-el-Mandeb. L'établissement ainsi consolidé, et publiquement, on appellerait les navigateurs qui seraient fondés à s'y conlier, et, de deux choses l'une ou l'arrêt du ift avril serait plié à la voie de Suez. qui attirerait naturellement la majeure partie du commerce, ou il serait incompatible avec elle, et il n'y aurait pas à hésiter à le révoquer. Toute autre méthode ne me semble devoir produire aucun résultat réel et l'on usera vainement de belles négociations et de grands moyens. Qu'est-ce qu'un chemin dont l'accès est interdit aux voyageurs ? Or l'arrêt du Conseil, depuis que je l'ai bien lu, me paraît avoir fermé hermétiquement aux navigateurs français, autres que ceux de la Compagnie, la porte de la Mer Rouge et Suez. »

Ainsi, pas moyen de tourner le privilège de la Cie des Indes. Mais, comme il serait cruel, « affreux n, de sacrifier à une opération déjà mauvaise en soi, c'est-àdire à cette compagnie, un aussi bon ouvrage que les traités de Truguet, qui deviendraient alors « de la besogne préparée pour les Anglais », il faut aller de l'avant, poursuivre l'obtention de l'assentiment de la Porte, sans marchander à l'Ambassadeur les moyens de l'emporter, puis stationner des frégates en permanence devant Alexandrie et dans la mer Rouge, occuper l'ile située à l'entrée de Bab-el-Mandeb, c'est-à-dire Périm, enfin, tout cela fait, accommoder le privilège de la Cie des Indes à l'exploitation du commerce de Suez par les négociants en situation de s'y livrer, ou, si c'est reconnu impossible, révoquer ce privilège.

M. de Cabre considérait alors comme « indispensable » l'assentiment de la Porte, parce qu'il ne connaissait pas encore les arguments invoqués par Choiseul-Gouffier pour démontrer que l'on pouvait s'en passer, ni la


preuve faite de cette possibilité par l'accueil réservé au navire de guerre français arrivé à Suez le 23 avril. Les négociants en situation d'exploiter le commerce de l'Inde par Suez étaient, à son avis, ceux de Marseille,. les seuls rompus aux habitudes commerciales du Levant et, spécialement, M. M. Audibert et Seymandi, d'ailleurs désignés par Choiseul-Gouffier. A l'instigation de l'Ambassadeur, Seymandi était venu à Paris et avait conféré avec M. de Cabre. De leurs conférences sortit l'idée d'une solution transactionnelle, consistant en une association de Seymandi avec la Cie des Indes. Ce que M. de Cabre. savait des dispositions personnelles de Calonne, très féru du privilège de la Cie des Indes, qui était son œuvre, l'inclina aussi vers la même solution. D'autre part, celles qu'il connaissait à Vergennes, assez indifférent au commerce de Suez, très opposé à tout ce qui pourrait lui attirer des complications extérieures, spécialement des affaires avec les Anglais, déterminèrent M. de Cabre à renoncer au projet d'occuper Périm. Par contre, de luimême ou sous l'effet des instances de Choiseul-Gouffier, de Magallon et de Mure, il en est venu à considérer comme superflu l'assentiment formel de la Porte. Le 28 mai, il s'explique sur tout ceci dans une troisième lettre au maréchal de Castries

« M. de Choiseul-Gouffier vous a marqué avoir excité à accélérer un voyage, qu'il devait faire à Paris, M. Seymandi, négociant de Marseille, beau-frère de M. Audibert et lié avec lui d'affaires. M. Seymandi est ici et se rendra à vos ordres aussitôt que vous voudrez bien le recevoir. Il s'est occupé longtemps de ce commerce, il est homme d'esprit et versé dans cette matière. Il propose d'envoyer dans l'Inde 2 ou 3 navires qui y resteront pour faire habituellement les transports des marchandises à Suez. Il affectera par sa société jusqu'à 3 millions.


de francs à la première expédition. Permettez-moi, Monseigneur, quelques observations sur l'offre de M. Seymandi et sur le parti à tirer de nos conventions, dans l'état ou sont toutes choses. Depuis ma dernière lettre, j'ai bien examiné la question. et il me semble que les embarras intérieurs, les seuls à redouter, ne peuvent être surmontés ui par la discussion, ni de haute lutte. tO M. de Calonne, qui croit que sa Compagnie des Indes est la plus belle chose du monde, ne modifiera pas publiquement les dispositions étranges de l'Arrêt du Conseil sur la caravane et la Mer Rouge, qu'il lui a réservées exclusivement. a° Il est à craindre que l'événement ne justifie pas les espérances de M. de Choiseul-Gouffier, sur l'aveu quelconque de la Porte le nouveau ministère ottoman vient encore à l'appui de cette opinion, motivée par les regrets de l'Ambassadeur sur l'ancien. 3° S'emparer de Mehun au détroit de Bab-el-Mandeb pourrait inquiéter le voisinage, offenser le propriétaire et faire un éclat alarmant pour M. de Vergennes, qui alléguerait que cette levée de boucliers tend à produire une guerre avec les Anglais. Il ajouterait que jamais la Porte ne donnerait son consentement; que le fanatisme du Mufti et du Grand-Vizir y verrait, plus que ne l'eût peut-être fait le premier Ministre dépossédé, une irréligion qui les arrêtera toujours. Il pourra aussi faire entendre qu'il ne croit pas à la fidélité des Beys aux traités. Il répétera qu'il a résidé i4 ans à Constantinople, qu'il connaît bien les Turcs et il concluera qu'il est plus qu'inutile de subordonner une chose décidée et commencée à une chimère. Il me paraît donc que M. Seymandi doit prendre l'attache de la Compagnie, qui ne peut pas tout faire, même par le Grand Océan, et, s'il le faut, lui allouer une légère rétribution. Il suffira, si vous adoptez ses idées, que vous en parliez à M. de Calonne et que vous le disposiez à les favoriser. Alors il armera ses 2 ou 3 vaisseaux, que vous feriez escorter par une corvette ou une frégate de l'Ilede-France, qui les conduira à Suez. Là on pratiquera les procédés établis par les Conventions. La frégate attendra que les marchandises aient été transportées à Alexandrie et embarquées


dans ce dernier port. Si, contre toute attente, surtout dans le premier moment, on manquait le moins du monde aux engagements pris, le Capitaine arrêterait tous les bâtiments du pays chargés de café et de marchandises pour l'Egypte, et le Consul déclarerait qu'ils ne seraient relâchés qu'après qu'on aurait tout réparé. Ce moyen est réputé infaillible et c'est le seul à employer. M. Seymandi vous présentera ensuite ses comptes et, lorsqu'on verra les avantages de cette voie et qu'on aura reconnu qu'elle est surtout praticable, il est à croire qu'on se relâchera de l'exclusif et que l'évidence peut conduire à la libre exploitation ardemment et si justement désirée par le commerce. Pendant ce temps-là, M. de Choiseul-Gouffier pourra négocier pour l'aveu de la Porte et, puisqu'il y était, il n'y a pas de mal à lui laisser essayer ses forces et ses ressources. S'il réussit, il n'y aura qu'à lui donner des éloges, et nous aurons une chose de plus. S'il ne l'obtient pas, nous dirons au GrandVizir que, les Capitulations assurent le droit de naviguer partout et qu'il nous a suffi de lever les empêchements opposés par des sujets qui se sont affranchis de fait de son autorité. La Porte nous a interdit la Mer Noire, parcequ'elle est à la clef de notre côté et que nous n'avons pas voulu nous fâcher. Mais la Mer Rouge est ouverte à tout le monde, hors de sa portée et nous pouvons y paraître en forces. »

Réduites aux proportions qu'il leur a données dans cette dernière lettre, les suggestions de M. de Cabre n'étaient plus susceptibles de susciter d'objection diplomatique, offraient d'autre part un terrain d'entente avec la G1" des Indes et présentaient enfin un indéniable caractère pratique, d'ailleurs attesté par le seul fait qu'un armateur et négociant consentait à risquer trois millions, d'entrée de jeu, dans l'opération qu'elles concernaient. Seymandi fut reçu par le Maréchal de Castries, qui, entièrement gagné à l'utilité de tirer parti des traités avec les Beys d'Egypte, se montra favorable en principe aux


vues du commerçant marseillais et le pria de lui en faire un exposé écrit et détaillé. Le 6 Juin 1785, Seymandi écrit donc au Ministre de la Marine

« Monseigneur, d'après vos ordres, j'ai l'honneur de vous envoyer un aperçu des bases sur lesquelles on pourrait traiter l'union du commerce de Suez avec la nouvelle Compagnie des Indes. Ce ne sera qu'après les conférences que vous voudrez bien nous indiquer, que l'on pourra perfectionner ce plan pour qu'il puisse mériter votre approbation, comme son objet intéressant nous a paru digne de votre protection. Je suis avec respect, Monseigneur, etc., etc. »

A cette lettre d'envoi était joint le mémoire suivant, qui exposait les bases sur lesquelles Seymandi était prêt à se mettre d'accord avec la Cie des Indes

« On connaît en France, depuis plus de cent ans, les avantages qu'on retirerait du commerce des Indes par la route que lui a tracée la nature, par le canal de la Mer Rouge, et ces avantages sont surtout l'apanage de la nation française par le commerce immense qu'elle entretient dans les Etats du Grand Seigneur, et par sa situation dans la Méditerranée. Le fanatisme, l'ignorance des Turcs, la nature du Gouvernement d'Egypte, qui ne laisse aucune stabilité à ceux qui usurpent la domination, le peu d'influence que le représentant de la Porte conserve sur ces despotes passagers, la rapacité des Arabes au milieu de qui on est obligé de passer, tous ces obstacles ont toujours retenu le Gouvernement Français et effrayé les négociants. Aujourd'hui que, sous les auspices de Monseigneur le Maréchal de Castries, M. le Comte de Choiseul-Gouffier vient de faire des traités en Egypte pour y assurer notre commerce, et que Monseigneur le Maréchal veut bien appuyer par l'appareil militaire dans la Mer Rouge l'ouvrage de la négociation, rien ne doit plus arrêter les opérations de ce commerce. Le délai nous aliènerait les puissances de l'Egypte, dont ce commerce éveille la cupidité, et les Turcs nous accuseraient de timidité et de faiblesse. Nous


porterons, par ce commerce, un coup fatal à la Compagnie .anglaise par mille raisons qu'il est inutile de détailler mais nous nous emparerons exclusivement de la consommation des produits des Indes dans les états du Grand Seigneur, depuis l'Egypte jusqu'aux frontières de l'Europe.

La nouvelle Compagnie des Indes ne saurait s'occuper de ce commerce, que l'on a tant d'intérêt à ne pas négliger; en conséquence, il est très avantageux à l'Etat et à elle-même de s'unir avec le sieur Jacques Seymandi, Ecuyer, négociant de Marseille, qui se propose defaire ce commerce avec un fonds de trois millions et voici quelques conditions qu'il faudrait établir pour rendre cette réunion utile aux parties, sous le bon plaisir et l'approbation de Sa Majesté

i" Le dit sieur Joseph Seymandi dirigerait le commerce des Indes par le Suez à Marseille, d'où partiraient les vaisseaux destinés à aller dans l'Inde pour s'occuper ensuite au trafic des Indes au Suez et du Suez aux Indes. Il soignerait la vente de toutes les marchandises des Indes répandues dans tout le Levant, et ailleurs, sous les droits et commissions d'usage dans le commerce, et ne passerait que les frais qu'il aurait payés au juste pour donner compte à ses intéressés de l'achat et vente de chaque cargaison, à mesure des ventes et des rentrées, et répartir le bénéfice tout de suite.

2° Le commerce des Indes par le Suez serait absolument distinct et séparé du commerce de la Compagnie des Indes sans pouvoir jamais y être confondu.

3" La Compagnie des Indes prendra, dans le commerce du Suez, un intérêt tel que l'on conviendra, afin d'être plus à portée et plus intéressée à se concilier pour toutes les opérations à faire dans l'Inde.

If Elle fera les fonds de l'intérêt qu'elle se réservera dans ce commerce ou en France, à mesure des armements et des achats, ou dans l'Inde en marchandises et toiles du Bengale propres à la consommation du Levant, aux conditions dont on conviendra, et le montant lui en sera payé en France après la vente.


Mais sa portion du bénéfice qui devrait lui être réparti restera à compte du fonds qu'elle sera engagée à faire, jusques à son entier accomplissement, en sorte que son intérêt sera payé par ses bénéfices, n'étant pas présumable que ce commerce donne de la perte en prenant la précaution de faire toujours assurer. Mais si, par quelque événement imprévu, il y avait de la perte, elle le supportera au prorata de son intérêt.

La Compagnie des Indes pourra faire passer dans les Indes par Suez et faire venir des Indes en France, toutes les marchandises, espèces, etc., qu'elle trouvera à propos par les vaisseaux destinés à naviguer dans la Mer Rouge, mais ce ne sera qu'autant que les dits vaisseaux ne seront point remplis par les marchandises appartenant au commerce de Suez, auquel ces vaisseaux sont particulièrement affectés, et, dans le cas que la Compagnie y fasse charger des effets, le fret en sera réglé d'une manière équitable.

La Compagnie donnera les ordres nécessaires pour que les vaisseaux de Suez soient reçus dans ses comptoirs et traités comme les siens on se conciliera sur cet objet de bonne foi et sans délai pour qu'il ne résulte aucun retard dans les expéditions et aucune altercation entre les préposés de la Compagnie et les capitaines ou supercargues des vaisseaux de Suez. 7' Les dits capitaines ou supercargues vendront et achèteront librement, dans tous les ports et comptoirs français. Ils s'adresseront à tels facteurs ou négociants qu'ils jugeront à propos, traiteront volontairement des prix, sans que dans aucun cas, on puisse les obliger à vendre ou acheter à des prix arbitraires. 8° Les vaisseaux expédiés de Marseille aux Indes pour faire le trafic par Suez ne pourront point revenir en France chargés, à moins que les capitaines ne trouvassent à propos ou n'eussent des ordres pour se fréter à la Compagnie des Indes et porter à Lorient les marchandises qu'elle trouverait à propos de leur ̃charger.

Les vaisseaux partis de Marseille pour la navigation de la Mer Rouge pourront fréquenter toutes les contrées de l'Inde,


mais il ne leur sera pas permis d'aller en Chine. Ils pourront faire lecommerce d'Inde en Inde et, dans le cas qu'ils fussent t obligés d'hiverner et d'attendre la mousson favorable pour se rendre dans la Mer Rouge, ils pourront t se fréter, naviguer pour leur compte, enfin aller passer le temps de la mauvaise saison dans les lieux qui leur paraîtront convenables à leur intérêt. Ce ne sera qu'en se conciliant qu'on pourra établir toutes les conditions qui doivent perfectionner un plan qui, étantapprouvé par Monseigneur le Maréchal de Castries, assurera à l'Etat des avantages extraordinaires, à la Compagnie des Indes une nouvelle branche de commerce, de nouvelles consommations et par conséquent une plus grande consistance et une plus grande faveur.

Paris, le 6 juin 1785. »

Ces propositions, équitables et raisonnables, furent jugées telles par le Ministre de la Marine, ainsi que par ses bureaux, et prises pour bases de pourparlers avec la Ci, des Indes et avec son protecteur Calonne. Mais, avant de les suivre, il nous faut retourner à Gonstantinople, pour observer ce qu'y devenait la négociation de ChoiseulGouffier.

Choiseul-Gouffier continuait d'avoir moins de succès à Constantinople que Truguet n'en avait obtenu au Caire. C'est aussi qu'il y avait la partie beaucoup moins belle Au Caire, l'intérêt matériel des Beys à ouvrir l'Egypte au commerce de llnde avait travaillé en faveur de Truguet. A Constantinople, ce facteur d'intérêt était bien aussi mis enjeu, la Turquie ayant beaucoup à gagner à recevoir les marchandises de l'Inde par la mer Rouge mais il était neutralisé par une quantité d'autres doléances duChérif de La Mecque, qui craignait de perdre


le revenu de ses douanes superstition religieuse, éveillée par la position de Médine et de La Mecque, les LieuxSaints de l'Islam, à proximité de la côte; doctrine établie sur la fermeture de La mer Rouge aux pavillons chrétiens considérations politiques et militaires détournant d'y autoriser la navigation jusqu'à Suez enfin jalousies et rivalités européennes. Aussi l'Ambassadeur, ayant complètement renoncé à obtenir du Gouvernement turc un Firman en règle, se fût-il estimé heureux de l'amènera à fermer les yeux sur les opérations commerciales des Français par Suez. Le5 juillet 1785, il écrit au Maréchal de Castries

« Dans l'état actuel des choses, ce n'est pas la permission de la Porte qu'il faut solliciter, c'est son silence, tout au plus son aveu qu'il faut obtenir il ne s'agit même pas de lui prouver r qu'il est intéressant pour elle de faciliter à ses peuples les moyens d'acquérir les produits des Indesàunprix plus modéré Toute idée de commerce et de bien public est étrangère à un ministère aussi aveugle qu'ignorant. Il suffit de le convaincre que les Chrétiens ne violent pas le territoire de la Mecque en se rendant par mer à Suez que les Beys, mieux éclairés sur les véritables intérêts de l'Egypte, agissent très sagement en y appelant le commerce des étrangers, et que la France do it s'empresser d'accepter une liberté qui va être offerte à d'autr es puissances, si elle diffère un moment d'en jouir. »

Choiseul-Gouflier espérait que la Porte n'oserait, par un refus, compromettre son autorité en Egypte, déjà tellement compromise qu'il lui en restait bien peu. Il faisait fond sur les désirs d'indépendance des Beys, dont la bonne volonté était acquise au projet français. Il rendait compte au maréchal de Castries des progrès de leu r émancipation

« Les Beys viennent d'envoyer des Députés à la Porte et. s'ils a


n'ont déclaré positivement qu'ils étaient indépendants, ils se sont du moins conduits comme s'ils ne craignaient plus de Jn paraître. Ils ont annoncé les conditions qu'ils voulaient s'imposer eux-mêmes et, au lieu du tribut accoutumé, dont ils avaient éludé le paiement depuis deux ans, ils consentent seulement à fournirque!ques provisionsà la caravane de la Mecque, ce qui devient un tribut de leur piété, plutôt que de leur obéissance. »

Choiseul-Gouffier enfin constatait l'opposition qu'il rencontrait de la part des représentants de l'Angleterre et de l'Autriche et prévoyait qu'elle ne ferait que croître « L'Ambassadeur d'Angleterre n'épargne rien pour empêcher des opérations très préjudiciables aux Anglais, qui fournissent seuls toutes les caravanes du Golfe Persique, et la Compagnie anglaise s'empressera d'obtenir les mêmes avantages que nous, lorsqu'elle saura qu'il n'est plus question d'une tolérance particulière accordée, comme autrefois, par le crédit d'un simple douanier, mais d'un traité de commerce revêtu des formes les plus solennelles. L'Internonce sollicitera vivement du Caire les mêmes conditions qui nous ont été accordées, et ces deux Ministres prodiguent beaucoup d'argent pour obtenir ce qui ne nous a rien coûté. »

La conclusion de l'Ambassadeur était qu'il fallait se hâter de prendre une décision, d'agir, « si vous ne voulez pas, disait-il, courir le risque de rendre inutiles des démarches qui nous promettent tant de succès, et ces succès nous échapperont, si on ne se hâte de les saisir ». Rien ne lui annonçant de Paris qu'on eût encore passé à l'acte, il s'impatientait, se lamentait, faisait craindre l'effondrement de tous les espoirs fondés sur les engagements obtenus des Beys d'Egypte, montrait ses collègues étrangers en campagne pour nous arracher le fruit de nos accords avec Mourad et Ibrahim ou pour s'en assurer


l'équivalent. Le 24 juillet 1785, il écrivait encore au maréchal de Castries

« J'ose vous conjurer de ne pas me laisser plus longtemps dans cette cruelle incertitude qui me ferait perdre bientôt tout le fruit de mes succès. Ils ne peuvent plus être un secret malgré tous mes efforts pour les cacher, et l'Ambassadeur d'Angleterre vient d'envoyer en Egypte, sous prétexte de lui chercher des médailles, un correspondant italien, qui depuis longtemps lui sert d'espion. Il l'a fait passer d'après l'avis qu'il a reçu par le courrier qu'il expédia à Londres aux Directeurs de la Compagnie des Indes, quelques jours après le retour de M. de Trugnet. Dans l'incertitude des ordres que vous me donnerez, j'ai pris tous les moyens possibles pour faire voyager désagréablement l'agent de cet Ambassadeur et de le faire échouer dans sa mission, à moins qu'il ne soit autorisé à des dépenses considérables. Je saurai lui interdire tout accès auprès desBeys.mais il ne laut pas se flatter de pouvoir tromper la vigilance intéressée de l'Empereur et l'activité de son Ministre ici, dont la fortune serait faite à jamais s'il parvenait à fonder pour son maître un aussi riche commerce.

L'Ambassadeur de Venise et tous ses Consuls sont en mouvement et projettent déjà des spéculations qui les fassent participer à nos avantages. Enfin, Monsieur le Maréchal, il n'y a pas un moment à perdre pour profiter d'une occasion qu'il serait peut-être impossible de jamais resaisir.

Quelque soit le parti que vous aurez cru devoir proposer au Roi, il me semble qu'il conviendra de renvoyer bientôt M. de Truguet en Egypte, pour entretenir les Beys dans leurs dispositions favorables et ajouter ce que vous pourrez désirer au traité qu'il a fait avec eux, et leur offrir quelques présents de la part du Roi.

Si le Roi ajoute cette nouvelle voie de commerce aux concessions déjà faites à la Compagnie des Indes, les Directeurs devraient expédier sur le champ un courrier dans l'Inde pour changer la destination du premier bâtiment qui se trouvera


chargé, et le faire venir à Suez, tandis que les autres suivront la route ordinaire. Cet essai leur apprendra bientôt quels avantages ils peuvent se promettre du traité heureusement conclu avec les Beys d'Egypte. »

Choiseul-Gouffier n'était pourtant pas si mal renseigné de ce qui se passait à Paris, qu'il ne connût les obstacles mis par la Compagnie des Indes à la réalisation du projet qui lui tenait tant à cœur. Aussi dans son impatience de les voir surmonter, se mettait-il, de son côté, en frais d'imagination pour y parvenir, et en indiquait-il au Ministre de la Marine plusieurs moyens. Dans sa lettre du 5 juillet 1785, il esquissait diverses combinaisons propres à concilier le privilège de la Compagnie des Indes avec l'exploitation du commerce de Suez

« Il est nécessaire, disait-il, d'examiner si l'on doit distraire une portion de son privilège, soit en faveur du commerce en général, soit pour l'accorder à une compagnie particulière, que nous nommerions Compagnie d'Egypte pour ne pas les confondre, ou si l'on doit laisser à celle des Indes le droit de commercer seule à Suez et d'importer par cette voie les marchandises des Indes en France. »

Choiseul-Gouffier proposait d'abord la combinaison suivante le privilège de la Compagnie des Indes s'étendrait sur la Mer Rouge, mais il ne pourrait s'étendre que jusqu'à Moka, puisque les Chrétiens ne pouvaient aller au-delà de ce port, quand le Roi avait accordé le privilège. Le Roi n'avait pu donner que ce qu'il possédait. En vertu de cet argument, le Gouvernement français déclarerait libre le commerce jusqu'à Suez

« Sa Majesté pourrait permettre à tous ses sujets de commercer jusqu'à Suez, comme il leur est permis de naviguer jusqu'aux Iles de France et de Bourbon. Il s'établirait des maisons françaises a Suez et au Caire les productions de l'Inde y


seraient vendues en partie pour la consommation del'Egypte et des contrées voisines. Le reste, transporté à Alexandrie, parcourrait les Etats du Grand Seigneur, et ferait partie de notre commerce en Levant, sans pouvoir jamais être introduit en France ».

A défaut de cette combinaison, une seconde était possible former une compagnie particulière pour le commerce de l'Inde en Egypte cette compagnie achèterait ses marchandises de la Compagnie des Indes, ou bien fonderait elle-même des comptoirs aux Indes, en concurrence avec l'autre. A défaut des deux précédentes, une troisième combinaison s'oilïait la Compagnie des Indes ayant déjà des établissements, magasins et vaisseaux en Asie, le commerce de l'Egypte par Suez serait compris dans ses opérations. Combinaison la plus simple et qui paraissait la plus sûre. Choiseul-Gouffier concluait « Je croirais donc qu'il serait possible de concilier tous les intérêts en réunissant le commerce de l'Inde par Suez à celuide la Compagnie des Indes. Je suis assuré qu'en vous arrêtant à ce parti, vous ne négligerez aucune des précautions qu'il exige. » Le nombre de ces solutions, toutes réalisables, jointes à celles qu'avaient proposé Cabre et Seymandi, prouve combien de moyens on eût trouvé de mettre à exécution l'entreprise rendue possible par les traités de Truguet, si le projet avait rencontré, de la part de la Compagnie des Indes, de Calonne et de Vergennes, autant de bonne volonté que de la part du Maréchal de Castries et des bureaux de la Marine. Mais ce n'était pas le cas. La Compagnie des Indes marqua d'emblée le désir de se réserver à elle-même le nouveau trafic prévu par les accords franco-égyptiens de Janvier 1786. Mais il ne sembla pas d'abord que ce fût pour l'enterrer ou, si l'on


préfère, le couler. En effet, le i'M juillet de cette année, elle mande à Vergennes qu'elle envoie en résidence à Moka un agent, M. de Morilcriff, pour veiller sur le commerce qu'elle a l'intention de faire dans la mer Rouge. Elle prie le Ministre des Affaires Etrangères de demander pour elle à l'Ambassadeur du Roi à Constantinople des passeports, des Firmans, des lettres de recommandation pour le Chérif de La Mecque, etc., etc. Le i5 du même mois, Vergennes répond aux administrateurs de la Compagnie qu'il a donné des ordres à Choiseul-Gouffler, pour obtenir tous les Firmans et lettres dont ils ont besoin, en vue de consolider le commerce qu'ils se proposaient de faire en Arabieet dans la mer Rouge. Il leur fait, en outre, communiquer tous les traités et conventions avec les puissances del'Inde et pays avoisinants, en particulier un certain traité de 1737, entre la France et le Chérif de La Mecque.

Du moment où cette correspondance s'échangeait entre elle et Vergennes, la Compagnie venait d'être saisie des propositions soumises par Seymandi au Maréchal de Castries. Elle mit plus de deux mois à les examiner, pour aboutir, dans une délibération du 27 août 1780, à les bouleverser profondément, sinon à les rejeter complètement, ainsi qu'on en pourra juger parles extraits suivants. du procès-verbal de son assemblée

« Ce jourd'hui la Compagnie s'étant assemblée extraordinairement pour délibérer sur le projet proposé par Monsieur de Seymandi de tirer les marchandises de l'Inde par la Mer Rouge jusqu'à Suez, d'où elles seraient ensuite transportées, tant en Egypte et autres Echelles du Levant qu'à Constantinople il a été observé que ce projet, dont l'examen avait déjà été fait par plusieurs comités nommés par la Compagnie, donnait atteinte à ses privilèges, puisque, par l'arrêt du Conseil du


i4 Avril dernier, elle seule avait le droit d'envoyer des vaisseaux dans l'Inde, et que la Mer Rouge avaitété formellement excepte par la disposition de cet arrêt qui permettait le commerce d'Inde en Inde aux sujets du Hoi établis au-delà du Cap de Bonne Espérance. Que si des vues politiques paraissaient faire désirer au Gouvernement qu'il fût tenté une communication entre l'Inde et l'Europe par la voie de Suez, il convenait qu'elle fût établie avec toute la prudence nécessaire pour éviter les inconvénients qui en peuvent résulter pour les intérêts et les sûretés du principal commerce de Sa Majesté. Que, dans cette position, il paraissait convenable que la Compagnie donnât au Ministre de la Marine et à celui des Affaires Etrangères une preuve de sa déférence et du désir qu'elle a de concilier ses opérations avec les intentions du Gouvernement en entreprenant elle-même cette branche de commerce.

Sur quoi ayant été délibéré, il a été unanimement résolu et arrêté

Que la Compagnie expédiera le plus tôt. qu'il sera possible un bâtiment de Moka, chargé pour son propre compte d'une certaine quantité de marchandises de l'Inde propres à la consommation des Etats du Grand Seigneur, et que, pendant que l'agent de la Compagnie fera les dispositions nécessaires pour le chargement du café qu'il devra renvoyer en Europe, le bâtiment sera expédié pour Suez, où il déposera ses marchandises qui seront de là transportées au Caire par voie de caravane. a° 3° Que, pour attacher M. de Seymandi à son service d'une manière distinguée, la Compagnie lui donnera le titre de son Directeur pour le commerce de Suez et lui réglera un traitement proportionné à son travail et à ses frais de bureaux et autres dépenses y relatives, sans que le titre de Directeur puisse le dispenser de régler toutes ses opérations sur les ordres et instructions de la Compagnie.

5° qu'il sera fait part à M. de Seymandi des dispositions et intentions de la Compagnie, et que, d'après son acceptation, elle fixera les appointements qu'elle croira devoir lui accorder. »


Une quinzaine plus tard, la Compagnie communiqua au Maréchal de Castries le procès-verbal de sa séance, en expliquant pour quelles raisons elle n'avait pas sanctionné, sans d'essentielles modifications, le plan de Seymandi « Si nous avons cru, disait-elle, ne pouvoir l'adopter tel qu'il était présenté, parcequ'il portait atteinte au privilège exclusif du commerce de l'Inde, dont l'exercice nous est confié, nous avons pensé en même temps qu'il était de notre devoir de concourir aux vues du Gouvernement et de vous donner des preuves de notre zèle et de notre déférence. En conséquence. la Compagnie a statué, par délibération du 27 août dernier, qu'elle exploiterait elle-même et à ses risques et périls cette branche de commerce. Quoique nous n'ayons pas de ce commerce une opinion aussi avantageuse que celle que M. de Seymaiidi a annoncée, nous n'en ferons pas moins, Monseigneur, tout ce qui dépendra de nous pour remplir vos intentions. La Compagnie, voulant en même temps vous donner des preuves de son dévouement pour ce qui peut vous être agréai- le, a nommé M. de Seymandi son directeur à Marseille, pour la partie du commerce de l'Inde qu'elle fera par la mer Rouge et Suez. »

II y avait loin de la solution imposée par la Compagnie à celle dont Cabre et Seymandi s'étaient faits les promoteurs. La leur, qui comportait une association de Seymandi avec la Compagnie, réservait au premier le rôle principal, à la seconde le rôle accessoire. L'autre, qui ne comportait aucune association, attribuaità la Compagnie la totalité de l'entreprise et réduisait Seymandi à un rôle subordonné, à des fonctions d'employé. L'ordre des facteurs n'était pas seulement renversé l'un des deux subissait une véritable capitis dimiiiulio et cette transformation n'avait pas d'importance que pour les personnes en cause elle en avait autant pour l'entreprise en question. Car elle y substituait à un négociant qui avait


confiance dans le résultat rémunérateur du commerce à créer, une compagnie qui avouait en avoir « une opinion moins avantageuse que lui à un armateur du port de Marseille, métropole du commerce de la Méditerranée et du Levant, une Compagnie qui avait le siège de son exploitation à Lorient et ses services maritimes sur l'Océan. L'accaparement del'entreprise par la Compagnie des Indes pouvait donc être funeste à son succès et constituait, pour cette raison, un pis-aller.

Faisant contre fortune bon cœur, Seymandi s'accommoda d'une solution qui lui faisait une part si inférieure à celle qu'il avait espérée. Le 1 septembre 17S5, il avise le Maréchal de Castries de la décision, qui, évoquant à la Compagnie des Indes la gestion directe du futur trafic, lui attribue à lui-même, pour tout potage, les fonctions de directeur à Marseille, à 12000 livres d'appointements après quoi, il quitte Paris pour Marseille. Le 20 septembre, c'est Calonne qui, à son tour, rend compte du fait à son collègue de la Marine, non sans prendre soinde lui faire remarquer que la Compagnie n'avait pas bonne opinion des résultats du commerce de l'Inde par Suez. Il n'est pas douteux que le Maréchal de Castries eût de beaucoup préféré le plan de Seymandi à la solution voulue par la C'" des Indes. Car lui-même avait indiqué les motifs de sa juste préférence, dans un petit mémoire établi par lui ou par ses services, entre le moment où Seymandi formula ses propositions et celui où la Compagnie prit la délibération du 27 août. Dans ce mémoire, prenant pour point de départ de son argumentation les accords, franco-égyptiens de janvier 1780, le Ministre de la Marine avait écrit

« La nouvelle de ce traité est parvenue en France depuis l'arrêt qui fixe le privilège de la C'° des Indes cet a rrèL embrasse


toutes les voies de terre et de mer avec l'Inde, qu'elle veuille ou qu'elle puisse les employer ou non. Quoi qu'il en soit de la validité ou de l'utilité de la prétention de ses administrateurs, il est certain qu'il importe aux intérêts du Royaume de ne pas laisser échapper une occasion unique d'ouvrir l'isthme de Sucz au commerce qu'il est indifférent à l'Etat que ce soit par la G!* des Indes ou par une association de Marseille que le bien se fasse, pourvu qu'il soit fait. Mais il est prouvé qu'il ne peut t utilement s'opérer que par les négociants de Marseille, dont toutes les habitudes sont formées dans le Levant, en particulier avec Alexandrie et le Caire. »

Pour ce motif, le Ministre de la Marine avait conclu à une alternative ou que la Compagnie prît un intérêt majeur dans l'association de Marseille ou que le commerce fût partagé, en laissant à la Compagnie les transports d'Inde à Suez et aux Marseillais ceux de Suez en France. C'était dans ce sens que le Gouvernement devait, selon lui, exercer son influence pour concilier les parties.

Il faut croire que le Gouvernement ne s'était pas trouvé* unanime pour faire pression sur les parties dans le sens souhaité par le Maréchal de Castries. Car sans cela la Cie des Indes aurait dû, bon gré mal gré, en passer par les volontés du Gouvernement, soit avant d'avoir pris sa délibération du 27 août, soit même après et la solution finale du problème n'aurait pu être que l'un ou l'autre des deux termes de l'alternative posée par le Ministre de la Marine. Si elle en différa, c'est évidemment que d'autres Ministres du Roi, Calonne certainement, peutêtre Vergennes, préférèrent l'intégrité du privilège exclusif de la Compagnie des Indes à l'intérêt bien compris du commerce par Sr.ez et la mer Rouge. Toujours est-il que la délibération du 27 août ne fut


remise en question par personne et que le Maréchal de Castries lui-même en prit son parti. A partir du 20 septembre, il agit, en effet, en la tenant pour définitive. Probablement espéra-t-il que Seymandi pourrait tout de même rendre service, dans l'emploi que la Compagnie lui attribuait, et que le résultat d'une première expérience aurait raison des préventions avouées par celle-ci contre le trafic dont elle avait cependant préféré se charger, plutôt que de l'abandonner à d'autres.

C'est vers ce moment que la Compagnie dut recevoir un intéressant mémoire, que Choiscul-Gouffïer, prévoyant la solution intervenue, lui avait adressé le io août 1785, afin de la renseigner sur tout ce qu'il pouvait lui être utile de connaître pour l'exploitation du commerce par Suez, mais en insistant très vivement pour qu'elle confiât à des particuliers le soin de la première opération à effectuer par cette voie, de manière à moins attirer l'attention des Turcs et à moins engager la responsabilité du Gouvernement français envers eux « Observations sur le commerce de l'Inde par Suez. Le commerce des Indes orientales par la Mer Rouge peut acquérir un jour une si grande influence sur le commerce en général et par conséquent sur la politique de l'Europe, qu'on ne saurait faire une attention trop sérieuse aux moyens de le mettre en activité. Les obstacles naturels ou politiques de cet établissement sont si peu connus ou si fort exagérés par les personnes qui affectent d'en contester ou d'en affaiblir les avantages, qu'elles ne manqueraient pas d'attribuer à ces mêmes obstacles les mauvais succès qui ne seraient que la suite d'une administration délectueuse. Une démarche hasardée dans le principe, trop de défiance ou de sécurité, de précipitation ou de lenteur, de restriction ou d'étendue entraîneraient des malheurs qu'il serait impossible de réparer la France perdrait sans retour une nou-


velle source de richesses cl des rivaux plus adroits ou plus heureux profiteraient seuls de nos premiers efforts.

L'Ambassadeur du Roi ;'i la l'orle, quoique très assure qu'aucune des réflexions suivantes n'échappera h l'expérience et aux lumières de MM. les administrateurs de la G'1 des Indes, croit cependant qu'il est de son devoir d'entrer dans quelques détails, dans une affaire dont il a eu le bonheur de préparer le succès.

Avant d'entreprendre un nouveau commerce par l'Isthme de Suez, il est nécessaire de bien connaître la situation actuelle de l'Egypte, dans ses rapports avec la métropole et avec son administration intérieure. Le Ministre de la Marine aura sans doute fait part à la Compagnie des dépêches du Gl° de Choiseul-Goufïier et particulièrement de celle du 5 juillet dernier, qui confirme tout ce qu'il avait précédemment annoncé. Les Beys sont indépendants par le fait mais il s'en faut de beaucoup que leurs droits soient établis et que leur puissance soit légitimée par le consentement de la Porte, qui se borne à se dissimuler à ellemême son impuissance et leur audace jamais la Porte n'aurait autorisé notre commerce à Suez, défendu il y a six ans à tous les chrétiens par un Hattischérif que l'Ambassadeur d'Angleterre avait sollicité. L'intérêt seul et le pouvoir effectif des Beys ont pu les déterminer à traiter avec nous et ce n'est que sur ces deux appuis qu'il faut compter. L'Ambassadeur l'a complètement assuré dans toutes ses dépêches, mais il répète ici positivement que l'on ne peut encore espérer le consentement de la Porte et qu'il ne faudra même négliger aucune précaution pour assurer son silence il a bien prévu qu'excitée par les Ministres étrangers, elle lui demanderait raison de sa conduite. du traité conclu en Egypte, de l'entrée des vaisseaux français dans une mer qu'elle leur tenait fermée les reproches qu'elle se croira en droit de lui faire donneront lieu à des explications embarrassantes et l'exposeront à des désagréments personnels mais ces considérations ne l'ont pas arrêté l'importance du service l'a emporté sur ces difficultés il fallait, ou


ris point s'occuper de ce projet, ou chercher tous les moyens de l'exécuter; il fallait écarter tous les dangers qui menaçaient une première opération. Lier les Boys par un engagement solennel et surtout mettre le Ministre en état de juger par les premiers essais de ce commerce des efforts qu'il devait faire pour le consolider. Tc:l a été l'objet des démarches de l'Ambassadeur de France tel est le seul point de vue sous lequel il a présenté cette affaire et sous lequel elle doit être envisagée, si l'on ne veut s'exposer des erreurs qu'on ne pourrait lui imputer sans injustice.

Par une suite de ces réflexions, le O de Choiseul. en reconnaissant la nécessité de réunir cette branche de commerce à celui de la Compagnie, avait pensé que les premières opérations, qui exigeaient quelque mystère, pouvaient être confiées à des particuliers, avec les restrictions convenables les mettre entre les mains de la Compagnie ce n'est plus essayer tacitement t une opération délicate, c'est supposer publiquement la certitude du succès, c'est l'annoncer même avec une espèce de faste, c'est s'exposer au double danger de voir monter trop haut les actions de la Compagnie par la confiance exagérée qu'inspireront les avantages de cet établissement et les voir tomber trop bas, si l'on n'obtenait pas tout le succès qu'on espère de plus, il ne reste aucun prétexte à l'Ambassadeur pour éluder les objections de la Porte l'authenticité de nos démarches rend les Ministres étrangers plus hardis pour les combattre. On pouvait supposer une convention particulière faite entre les Beys et quelques négociants français il est difficile aujourd'hui de justifier un traité fait par l'entremise de l'Ambassadeur avec ces mêmes Beys désobéissants à leur Souverain.

MM. les Administrateurs saisiront facilement toutes ces nuances et les Ministres du Roi se rappelleront sans doute dans tous les temps que le G" de Choiseul ne leur a laissé ignorer aucun des détails qui pouvaient fixer leur opinion et que, s'il s'est hâté de suivre les mouvements de son zèle en assurant la protection nécessaire à ce commerce, il s'en est entièrement


rapporté à la prudence du ministère sur les moyens de l'établir.

Cependant, dans l'état actuel des choses, on entrevoit plus d'embarras que de dangers réels. Le pouvoir d'Ibrahim et de Mourad est parfaitement établi. Leur union est fondée sur leurs intérêts respectifs et, dans le cas où l'un des deux exclurait l'autre du partage de la puissance, on pourrait encore compter sur la fidélité du vainqueur d'ailleurs, l'avantage du peuple se trouve réuni à celui des beys et il est à présumer que nous ne serons pas troublés par les successeurs des deux despotes d'un autre côté, quelque conduite que la Porte tienne dans cette circonstance, les Beys n'en tiendront pas moins leurs engagements, et jamais le ministère ottoman ne hazardcrait une sévérité dont il pourrait éprouver les conséquences l'essai sera fait, notre première opération sera consommée et, quoiqu'il fût précipité d'asseoir un jugement positif d'après les premiers résultats, on acquerra du moins des idées plus justes sur les suites qu'elle peut avoir.

Le C'° de Choiseul a adressé au Ministre un état des cargaisons que les Anglais avaient importées à Suez il aurait désiré y joindre celui des ventes on aurait été étonné de leur produit, mais il ne faut pas se flatter d'un succès qui paraît fabuleux il suffira de prendre des informations précises sur les objets dont la consommation est commune dans les Etats du Grand Seigneur et dans les provinces limitrophes de'l'Egypte; peut-être serait-il aussi convenable que la Compagnie consentît à vendre à Alexandrie une partie de cargaison avec un bénéfice modique à des négociants de Constantinople l'ambassadeur tâcherait alors d'en réunir quelques-uns en société en les engageant à former une spéculation particulière. La Compagnie, éclairée sur les ventes en détail qui seraient faites dans cette capitale, à Smyrne et dans les principales Echelles, se dédommagerait facilement dans les ventes ultérieures de la modération qu'elle aurait apportée dans les premières cette conduite produirait même un effet très utile le bas prix des marchandises fera


tomber entièrement le commerce que font les Anglais par les Caravanes de Bassora.

On a proposé de charger le Sr Magallon, négociant français établi au Caire, de tous les détails relatifs au commerce de la mer Rouge il est indispensable d'employer ses services. C'est à ce négociant qu'on est redevable des dispositions des Beys lui seul a rédigé le traité lui seul peut en assurer l'exécution sa probité lui a mérité l'estime et la confiance d'Ibrahim et de Mourad, son intelligence et son activité méritent celles du ministère et de la Compagnie.

Le Comte de Choiseul désirerait que son zèle et ses services deviennent inutiles et, qu'après être parvenu à remplir les ordres et les intentions du ministère, il ne lui restât plus qu'il ii s'applaudir du succès de ses démarches mais il ne peut se dissimuler que les Beys, auxquels toute idée de politique et de commerce est étrangère, s'obstineront à le regarder toujours comme lié particulièrement avec eux par un traité, que c'est avec lui seul qu'ils voudront correspondre, qu'ils n'observeront religieusement des conditions que leur avidité les porterait à enfreindre, qu'autant qu'ils seront persuadés que c'est toujours l'Ambassadeur qui doit être leur allié et leur juge et que ses intérêts sont intimement liés à ceux de la C" et de l'Etat. Si ce préjugé est utile, il faudra bien le conserver et le Comte de Choiseul maintiendra une correspondance devenue nécessaire mais, pour en tirer quelques fruits, il conviendra qu'il soit régulièrement informé des opérations de la Compagnie afin de régler ses démarches auprès du ministère ottoman, de combiner sa conduite auprès des Beys, de leur rappeler à propos leurs engagements, et de faire valoir les nouveaux rapports qui vont unir l'Egypte à la France. Il est prudent sans doute de se précautionner contre l'infidélité d'un gouvernement arbitraire et de prévoir des révolutions vraisemblables la bonne foi de pareils souverains est soumise à des séductions faciles et souvent la crainte d'une punition prochaine sera un garant plus sûr que


leur intérêt même ou leur honneur. Cependant, il serait très dangereux d'avoir recours trop légèrement à des actes de violence on ne doit intimider les Beys qu'avec la plus grande réserve, après avoir employé tous les efforts pour les ramener à leurs engagements et en obtenir les dédommagements qu'on serait en droit d'exiger. Si l'on se pressait d'arrêter les bâtiments égyptiens dans la mer de Suez, la cause des Beys deviendrait celle du peuple. Tous les Français établis en Egypte seraient massacrés dans le moment et la vengeance la plus complète ne consolerait pas d'un événement si malheureux il faudrait donc menacer d'abord de faire embarquer tous les Français et les embarquer effectivement eux et leurs effets, avant de se permettre aucune hostilité. Cette réflexion doit rendre bien circonspectes les personnes qui seraient chargées d'exécuter des ordres rigoureux et qui devront calculer si les excès qu'elles veulent punir ne sont pas moins funestes que ceux auxquels la punition nous expose.

Le Comte de Choiseul croit n'avoir omis aucune des observations, aucun des renseignements qui méritent l'attention de la Compagnie ils sont tous renfermés dans ses dépêches et dans le mémoire de M. de Truguet. Le tableau des moussons favorables, le calcul des voyages, la navigation de la Mer Rouge, l'état des cargaisons, le débarquement des marchandises, leur transport au Caire et à Alexandrie, tous ces détails ont été exposés avec soin. Il a fait connaître particulièrement dans sa lettre du 5 juillet dernier l'influence que cet établissement devait avoir sur le commerce du Levant, sans dissimuler aucun des avantages ou des inconvénients qui pouvaient en résulter il désire que MM. les Administrateurs veuillent bien les approfondir il ne doute pas qu'ils n'apportent dans cet examen la plus grande impartialité comme citoyens et comme négociants.

Si MM. les Administrateurs sont autorisés à correspondre directement avec l'Ambassadeur de France, il s'empressera de rendre a la Compagnie tous les services qui pourront con-


trilmer au succès de ses opérations, bien persuadé que ses intérêts ne seront jamais séparés des intérêts de l'Etat. A Constantinople. le 10 Août 1785.

Signé Ciioiseul-Gouffier.

Ce mémoire ne pêchait pas par excès d'audace loin de là, il pouvait même être interprété comme un mouvement de recul par des lecteurs peu enthousiastes de l'entreprise dont il traitait. Il n'en reste pas moins qu'il documentait utilement la Compagnie des Indes -sur maint aspect politique et économique de la question, tandis qu'un mémoire plus technique, dont l'auteur était Truguet lui-même, lui fournissait toutes les données nautiques, météorologiques, géographiques et commerciales, dont elle pouvait avoir besoin. La Compagnie ne tint aucun compte du conseil, donné par ChoiseulGouffier, de procéder à la première expédition par l'intermédiaire de particuliers. Du moins parut-elle ne pas renoncer à commencer elle-même les opérations, sans plus tarder. Le Maréchal de Castries devait y compter, puisqu'il écrivit, le 20 septembre, à Mure. Consul général à Alexandrie, en lui annonçant l'envoi par la Compagnie d'un navire de Moka à Suez et par le Gouvernement d'un vaisseau de guerre, qui croiserait dans la mer Rouge, et en le chargeant d'en informer Magallon. Il ajoutait

« II n'y a plus à présent qu'à si bien cimenter nos traités que l'exécution la plus stricte n'en puisse jamais être subordonnée aux passions et aux caprices des différents Beys, entre les main s de qui l'instabilité naturelle à ce gouvernement ferait passer le pouvoir. C'est sur quoi j'attends de vous une discussion approfondie et l'exposé des moyens qui doivent nous conduire au but. Vous connaissez trop l'Egypte pour ne pas sentir que son


indépendance est aussi réelle que si elle avait été encore plus positivement annoncée qu'elle l'a été par les déclarations à la Porte de la dernière députation des Beys. »

Le même jour, le Maréchal de Castries mandait à Choiscul-Gouffier que le Commandant de la corvette V Auguste avait eu ordre de prendre toutes sortes de renseignements sur les côtes et la navigation de la mer Rouge que le Commandant de la frégate qui accompagnerait le bâtiment de la Cie des Indes de Moka à Suez serait autorisé à interrompre tout trafic indigène avec l'Egypte, s'il était porté quelque préjudice aux marchandises françaises venues de l'Inde enfin que des vaisseaux de guerre croiseraient entre Alexandrie et Damiette, si c'était nécessaire pour en imposer aux Beys. En ce qui concerne la Porte, il comptait sur la crainte qu'elle aurait de s'exposer à un refus d'obéissance des Beys, pour la dissuader de mettre son veto au commerce français par Suez. Il remerciait enfin Choiseul-Gouffier d'avoir démontré que l'arrivée de marchandises de l'Inde dans le Levant ne porterait aucun tort aux produits français.

La résolution paraissant donc définitivement prise par la Compagnie des Indes de passer à l'acte, et toutes les dispositions étant adoptées par le Ministre de la Marine pour soutenir énergiquement ses opérations, le moment sembla venu au Maréchal de Castries de placer sous les yeux du Roi, ainsi que c'était l'usage pour les afiaires importantes, un rapport d'ensemble indiquant au souverain l'intérêt et la portée de l'initiative qui allait être prise en son nom. Ce document, en date du ior octobre 1785, est un des plus remarquables parmi ceux de ce genre qu'il nous a été donné de lire

« Le Golfe Persique et la Msr îlon^'e semblent être deux bras


que la nature étend pour unir les Indes à l'Europe. Si la voie <le Bassora et de Bagdad a pu offrir des moyens politiques auxquels le commerce se refusait, celle de Suez a constamment présenté des facilités physiques, qui, par la constitution du gouvernement de l'Egypte, se sont jusqu'à présent refusées au commerce. Cette dernière route est la plus naturelle la découverte du passage par le Cap de Bonne Espérance la fit abandonner, parce que les nations successivement établies dans l'Inde avaient à soutenir leurs conquêtes par une marine puissante et qu'elles ne pouvaient la conserver qu'en retenant par la grande mer une communication active et continuelle entre la métropole et leurs acquisitions. On oublia donc le chemin qui avait autrefois conduit au plus haut degré de prospérité les richesses et la puissance de Venise. On s'accoutuma au détour immense de la grande mer, et la nécessité, surtout en France, de verser dans un seul port les produits des Indes et de la Chine, fit perdre de vue Suez, Alexandrie et la Mer Rouge. Mais cette voie n'en est pas moins demeurée ce qu'elle était, c'est-à-dire qu'en la suivant les marchandises des Indes et de la Chine arrivent plus promptement en Europe et à un prix fort inférieur à celui auquel elles s'élèvent par le Cap de Bonne Espérance. Les Anglais l'on si bien senti que, depuis leur traité conclu le 7 mars 1775 entre Mohammed Abou Dahab, Bey de la Haute et Basse Egypte, et M' W. Hastings, ils ont donné cette direction, dans l'espace de 3 ou 4 ans, à une vingtaine de navires, la plupart marchands, et quelques-uns porteurs d'officiers et de dépêches. »

Suivaient la narration et l'explication du pillage de la caravane anglaise de 1779, et celles du Firman émis par la Porte, à la requête, croyait-on, de l'Ambassadeur d'Angleterre. Le rapport reprenait ensuite

« En 1781, des négociants anglais demandèrent au Grand Douanier d'Egypte, s'ils pourraient sûrement reprendre leur commerce par Suez. Celui-ci les y excita, en leur envoyant des


lettres de Mourad et d'Ibrahim, qui leur promettaient protection. Cette ouverture n'a pas eu de suite. Le commerce de la France aux Indes par la Mer Rouge a toujours été l'objet des désirs du ministère de Sa Majesté. Il n'était retenu que par la difficulté de le fonder solidement, et la catastrophe de la caravane des Anglais, en août 1779, contribuait encore à la faire regarder comme à peu près insurmontable. Par une lettre du 3o mars 1780, M. le Comte de Vergennes écrivait à M. deSartine qu'avant de tenter un projet où les Anglais venaient d'échouer si cruellement, il convenait d'attendre quel serait le sort de l'Egypte; que, si l'autorité du Grand Seigneur s'y rétablissait, nous travaillerions à conclure sur cet objet avec la Porte un traité lié avec nos Capitulations, que, si ce Royaume se rendait indépendant, nous pourrions obtenir du gouvernement, dont l'intérêt serait que cette route fût pratiquée, des arrangements pour la mettre à l'abri de tout danger. C'est ce que M. le Comte de Choiseul-Gouffier a exécuté par les traités conclus le 10 janvier dernier, tant avec Mourad bey qu'avec le Grand Douanier de l'Egypte et le Cheikh des Arabes conducteurs des caravanes. »

Le Ministre rendait compte ensuite de la part prise par Truguel, Magallon et sa femme aux négociations de l'indépendance récemment affichée par les Beys dans la députation envoyée par eux à Constantinople, et conti-'nuait

« Le Roi ayant envoyé en Levant, dans l'été de 1783, des officiers de sa marine pour reconnaître l'état de défense et les moyens d'attaque dont l'Archipel et les côtes de l'empire ottoman étaient susceptibles, Sa Majesté les chargea de rapporter les renseignements les plus exacts sur la situation du commerce de ses sujets dans chacune des Echelles. En rappelant à ces officiers que les Turcs consomment une grande quantité de mousselines, de toiles et d'étoffe des Indes, on leur observait que nous ne fournirions utilement ces marchandises qu'autant


que nous parviendrions à faire le commerce de l'Inde par la voie de Suez. On prescrivit à un de ces officiers de faire un voyage au Caire et de prendre des négociants de cette grande villeet du Sieur Mure, Consul à Alexandrie, tous les éclaircissements relatifs à une exploitation si désirable. Ces instructions, communiquées dans le temps au Comte de S' Priest, ont été jointes à celles du Comte de Choiseul-Gouffler, en date du mois de mai 1784. On lui demanda un tableau de comparaison des deux voyages, par le Golfe Persique et par Suez, en lui faisant sentir la nécessité d'avoir des cartes exactes de la Mer Rouge, de ses côtes et des points principaux de l'Egypte et de l'Arabie. On a calculé qu'avec toutes les chances heureuses, un messager peut arriver par Suez de Marseille à Bombay en 48 jours, et un négociant affirme qu'une de ses lettres, passée par Madras, ce qui a occasionné un retard de f. ou 5 jours, est parvenue en 62 jours de Marseille à Pondichéry. L'officier dépêché d'abord en Levant n'ayant pu parcourir l'Egypte, le Comte de Choiseul-Gouffieraconflé la partie des ordres qu'il n'avait pas pu exécuter au Sieur Truguet. dont les succès ont passé les espérances. »

Suivait une appréciation élogieuse des traités de Truguet pour en venir à l'état actuel de la question

« Tout se réduit donc à nous bien assurer de la fidélité des Beys et le moyen consiste dans une seule frégate qui croisera dans la Mer Rouge pendant tout le temps que durera le transport. Elle croisera dans la Mer Rouge pendant tout le temps du transport des marchandises de Suez à Alexandrie et ne repartira avec les vaisseaux marchands qu'après qu'on aura reçu la nouvelle de leur arrivée dans ce dernier port pour leur destination ultérieure. Si, contre toute attente, on manquait aux engagements pris, le Capitaine arrêterait tous les bâtiments du pays chargés de café, objet de nécessité première, et de marchandises pour l'Egypte, ainsi que ceux qui transportent en Asie les denrées de ce Royaume. Le Consul déclarerait


qu'ils ne seraient relâchés qu'après qu'on aura tout réparé, et un bâtiment de Sa Majesté sur Alexandrie en imposera suffisamment de ce côté-là pour contenir les Beys. Ce double moyen est réputé infaillible par tous ceux qui connaissent l'Egypte et l'on peut le juger ainsi, en remarquant qu'il atteint immédiatement son but. Toutes les terres étant domaniales. le mouvement des denrées est plus spécialement personnel au fisc. Cette crainte peut seule enchaîner les Mamluks qui représentent le Souverain, sont les vrais propriétaires des terres et, par conséquent du commerce de leurs productions. » Le Ministre rendait compte alors des résultats obtenus par les démarches de Choiseul-Gouffier auprès de la Porte, et des prévisions de l'Ambassadeur sur l'attitude de celle-ci, puis, du compromis intervenu entre la Compagnie et Seymandi, relativement au commerce de la mer Rouge

« 11 n'y a donc plus, continuait-il, qu'à suivre la trace indiquée pour l'essai que la Compagnie va entreprendre, à en prévenir l'Ambassadeur de Sa Majesté, à donner des ordres en conséquence son Consul Général Alexandrie, et luiprescrire d'exciter tout le zèle et toute l'action du Sieur Magallon, négociant au Caire. On ne dissimulera pas, qu'à moins qu'elle ne soit faite avec mystère pourla Com pagaie, l'Ambassadeur du Roi aurait préféré que la première expédition fût confiée à des particuliers, soit pour leur compte, soit pour celui de Sa Majesté. On ne connaîtra avec précision qu'au retour de la première expédition de combien cette route accélère le transport en Europe des marchandises de l'Inde. On affirme qu'elle l'abrégerait des. deux tiers. On saura alors le bénéfice à faire sur les prix par la nouvelle voie. On a évalué que, par celle du Cap, les marchandises débitées en Levant coûtent de 2o à 25 pour cent de plus en temps de paix et 80 °/. en temps de guerre, à cause des assurances qui ne croissent pas dans la même proportion d'Inde en Inde, et parce qu'elles arrivent un an plus tard en passant par


la grande mer. Le Levant consomme une quantité immense de mousselines, d'étoffes et de toiles des Indes. On débite prodigieusement de toiles de coton à Constantinople, à Smyrne, à Salonique etdans d'autres Echelles. Si les Anglais ont trouvé du bénéfice à les y porter en passant t par le Cap et par l'Angleterre, et à combattre ainsi la concurrence des caravanes, soit par la Mer Rouge, soit par Bassora, qui est entre les mains de leurs compatriotes, quel ne sera-t-il pas lorsqu'elles parviendront plus tôt et à meilleur compte? ') ·~ Le Ministre faisait ensuite ressortir les avantages naturels de Marseille pour devenir un marché important d'approvisionnement du Levant en marchandises des Indes. Revenant sur les mesures navales d'intimidation qu'il avait prévues, il fallait, disait-il, faire en sorte que les traités fussent exécutés quel que fût le Gouvernement de l'Egypte « La présence constante d'une frégate de Sa Majesté pendant les expéditions en assurera toujours l'événement ». Il concluait en ces termes

« Si les opérations ont tout le succès qu'on peut en espérer, elles conduiront à une plus grande extension de notre commerce dans l'Inde, et elles procureront des facilités de tout genre à nos relations politiques et à nos intérêts divers dans cette partie du monde. Il est même possible que cette voie, bien établie, amène des révolutions et des changements essentiels dans le système des différentes nations de l'Europe avec les Indes. Il faut s'attendre qu'elles travailleront vivement à être admises à un privilège qui ne nous a coûté que de modiques présents et qu'elles y feront de grands sacrifices. C'est à notre surveillance à s'y opposer, et à notre activité à profiter de l'avantage d'être les premiers à avoir ouvert cette nouvelle direction au commerce de l'Europe. »

A ce rapport est joint un résumé des traités de 1785 pour être soumis au Roi.


On ne se douterait pas, en lisant ce document qui faisait tant de cas de l'entreprise projetée et résolue, que le Gouvernement Royal dût se prêter à la laisser trainer en longueur et finalement sombrer.

Il continua, quelque temps, d'être question du navire que la C'° des Indes avait ou prétendait avoir L'intention d'expédier à Moka et, de là, à Suez. Ce devait être le Galonné. Mais le Calonne se souciait de la mer Rouge aussi peu que son parrain et ne se mettait toujours pas en route. La Compagnie, pour en ajourner l'armement, s'autorisait-elle de ce qu'elle n'était pas en possession des multiples pièces, Firmans, lettres de recommandation, passeports, qu'elle avait fait demander à ChoiseulGouffîer:' C'est possible. Cette demande, à laquelle il était bien empêché de donner satisfaction, avait agacé l'Ambassadeur au suprême degré. S'était-on figuré, à Paris et à Versailles, que nos traités avec les Beys fussent reconnus et sanctionnés par la Porte? Alors qu'il n'avait arraché que par surprise au Capitan-Pacha-Kaimakam la « lettre d'amitié, dont les expressions favorables n'étaient dues qu'à son excessive ignorance », s'imaginaiton en France qu'il dépendait de lui de se faire délivrer par la Porte toutes une série de garanties « aussi impossibles à obtenir qu'inutiles à faire valoir » un passeport du Grand-Seigneur pour faire respecter le Calonne un Firman en faveur du résident de la Compagnie à Moka une lettre du Grand-Vizir pour le Gouverneur de ce port une lettre de recommandation pour le Chérif de La Mecque? A quoi bon toutes ces sauvegardes, quand l'Arabie échappait à peu près complètement à l'autorité du sultan de Constantinople ? Choiseul-Gouffier écrivait le 10 octobre 1785

« La Porte, dont l'autorité dans cette partie de l'Arabie a


toujours été très précaire, l'a perdue entièrement depuis l'année io38 de l'Hégire, c'est-à-dire depuis environ ifio ans. Presque tout ce pays est aujourd'hui soumis à un prince souverain de la tribu ou secte des Zeidigés, lequel prend le titre d'iman de Yémen et reconnaît même à peine la suprématie spirituelle que les Empereurs ottomans s'arrogent en qualité de finalités sur tous les princes mahométans. »

Vcrgennes lui-même, se rendant à ces raisons, jugea cette fois que la Compagnie n'avait qu'à en faire autant. Il répondit à ce sujet à Calonne

« La Compagnie sera réduite à s'ouvrir les ports qu'elle se propose de fréquenter par les moyens qui manquent rarement leur eflet en Orient. Je pense d'ailleurs qu'elle fera bien de ne se montrer dans la mer Rouge qu'avec des bâtiments qui soient à l'abri de l'insulte. n

La Compagnie se le tint pour dit. Mais alors elle émit la prétention de se faire communiquer les traités et conventions existants, relatifs au commerce de la mer Rouge, ainsi que les ratifications de la Porte, s'il y en avait. Vergennes, qui lui avait déjà fait communiquer des actes diplomatiques, ne lui eût sans doute pas refusé la communication des traités de 1785, qu'elle voulait maintenant. Mais le Maréchal de Castries la lui refusa, l'autorisant seulement à « consulter » ces documents. La raison de son refus, telle qu'il l'expose à Calonne le 22 décembre 1785, est simplement infamante pour la Compagnie des Indes

« Le peu de valeur qu'elle attache à cette entreprise, l'opinion qu'elle en a témoignée, ses liens avec la Compagnie anglaise, l'intérêt que peut avoir celle-ci à se procurer ces actes, la nôtre ne mettant pas assez d'importance et de suite à les lui céler, rendraient cette communication dangereuse. »


Le Ministre de la Marine ne pouvait exprimer plus crûment la défiance que la Cle des Indes avait réussi à lui inspirer. Il observait d'ailleurs avec juste raison que Seymandi était en mesure de la renseigner de la manière la plus complète sur ce qu'il lui était utile de savoir. Seymandi, en effet, s'acquittait spontanément de ce soin le 12 décembre, il mandait au Maréchal de Castries qu'il venait d'envoyer à la Compagnie les « états de demande » sur lesquels elle avait à donner ses ordres, et une instruction détaillée, pour être remise à ses capitaines qui navigueraient de Bab-el-Mandeb à Suez. En réalité, elle n'avait aucune raison valable d'atermoyer.

En janvier 1786, bien qu'aucune résolution nouvelle de la Compagnie n'eût annulé sa détermination précédente, Vergennes, bien placé pour savoir à quoi s'en tenir, considérait l'affaire comme enterrée. On ne parle déjà plus, annonçait-il à Choiseul-Gouffier, de reprendre l'entreprise relative à l'établissement du commerce des Indes parla mer Rouge, qui avait été si souvent tentée sans succès. Et, prenant aisément son parti de cet abandon, il portait sur la compagnie des Indes, chère à son collègue Calonne, un jugement moitié dédaigneux, moitié indulgent, avec les circonstances atténuantes de la pauvreté et d'un personnel sans expérience « Cette nouvelle association ne manque pas de gens actifs, envahissants même, qui saisiront vivement l'occasion d'augmenter leur commerce et de se donner du poids par l'étendue de leurs entreprises. Mais, premièrement la Compagnie a trop peu de fonds pour embrasser autant d'objets, en second lieu je doute qu'obligée d'employer des agents peu expérimentés elle puisse, sans risques, tirer parti de la facilité que vous lui avez procurée. »


C'est précisément pour cela qu'il n'aurait pas fallu sacrifier le projet de Seymandi au privilège de la Compagnie des Indes. Encore le. plan de l'armateur marseillais n'était-il pas le seul que le Gouvernement français eût écarté en comptant sur les assurances et les promesses, dont la Compagnie avait été si prodigue, quand elle avait protesté de sa « déférence » aux vues du Maréchal de Castries, de son « zèle » à réaliser les intentions du Ministre. Dans le courant de 1780, un ancien interprète du Consulat général de France en Egypte, le Marseillais Venture de Paradis, avait soumis au Gouvernement, par l'intermédiaire de M. de Cabre, un projet do cabotage de la mer Rouge, au moyen de bâtiments indigènes. Ce projet avait été concerté entre lui, un négociant de ses concitoyens, Guys, et l'ancien Grand-Douanier d'Egypte, Antoun Cassis. Dans le résumé fait de ces mémoires, en décembre 178a, pour le Maréchal de Castries, on lit l'objection suivante: « Ce Cabotage pourrait conduire au commerce de l'Inde par Suez. Mais ayant à présent ce dernier, devons-nous ambitionner l'autre, au même degré et en même temps » ? Quand Venture de Paradis sera informé de l'accueil négatif fait à son projet, il aura, pour la même raison qui l'avait fait repousser à Paris, la naïveté d'approuver le ministère de l'avoir rejeté il ne connaissait pas, dira-t-il, lorsqu'il l'avait élaboré, les intentions de la Compagnie des Indes, et il écrira à Cabre, le 25 juin 1786 « Il s'agit de battre tout doucement en retraite avec l'ex-douanier, que j'avais moi-même intéressé en faveur de NI. Guys ». En vertu de la même confiance dans la fidélité de la Cie des Indes à sa parole, ne furent pas pris en considération les Mémoires sur le commerce de l'Inde par la mer Rouge remis au Maréchal de Castries, en jan-


vier 1786, par le négociant Froment, depuis longtemps acharné à poursuivre l'utilisation de cette voie. Cependant la Compagnie n'avait pas abandonné la partie que, par son inexcusable lenteur, elle compromettait jusqu'à la perdre. Le 2o juin 1786, elle annonçait au Maréchal de Castries qu'elle avait chargé M. de Moracin de la première expédition de marchandises de l'fnde à Suez. Pour remplacer le Calonne, dont le départ était tombé à l'eau, elle armait un autre navire, le Prince de Condé. Mais alors c'est d'Egypte que surgit une complication redoutable.

Les Beys s'étant livrés à une intolérable vexation contre les Pères de Terre-Sainte, les représentants à Constantinople de plusieurs états chrétiens avaient adressé à la Porte une réclamation contre eux, à laquelle Choiseul-Gouffier avait dû se joindre. La Porte avait saisi avec empressement l'occasion de réduire par la force Mourad et Ibrahim à la soumission. Elle avait envoyé contre eux le Capitan-Pacha, avec une flotte et une armée. Facilement victorieux, le Capitan-Pacha avait rétabli l'autorité ottomane à Alexandrie et au Caire, mis en fuite Mourad et Ibrahim, qui avaient cherché refuge en Haute Egypte, et installé au pouvoir un nouveau Bey-Commandant, Ismaël. La France se trouvait donc, temporairement au moins, en présence au Caire d'un représentant direct de la Porte et d'un Bey soumis aux ordres de Constantinople. L'événement allait cependant prouver que même cette circonstance, certainement intempestive, ne mettait pas un obstacle insurmontable à la réception de navires français à Suez.

Car, par hasard, s'y présenta, en mars 1787, une frégate royale, la Vénus, arrivant des Indes avec des passagers et des dépêches, et commandée par le Comte


de liosily. Le Capitan Pacha s'étant d'abord refusé à laisser passagers et dépêches traverser l'Egypte, Magallon lui mit sous les yeux la lettre que lui-même avait, en 1785, adressée aux Beys à la requête de Choiseul-Goulfier. Après avoir essayé de soutenir que ce document avait été soustrait à sa bonne foi, le Capitan-Pacha s'en remit à l'avis qu'exprimerait une assemblée des négociants indigènes qui faisaient le commerce avec Djeddah, Moka et les Indes. Cette assemblée se prononça pour la négative. Mais, malgré cela, Magallon sut déterminer le Capitan-Pacha à passer outre à l'avis que lui-même avait provoqué et à laisser transiter par l'Egypte passagers et dépêches de la Vénus. Rosily put, sans être inquiété, venir et séjourner au Caire et à Alexandrie et joindre ses ellorts à ceux de Magallon et de Mure pour concilier aux vues commerciales de la France les créatures que le Capitan-Pacha avait installées dans les principaux emplois de l'administration égyptienne. Après que le Capitan-Pacha eut quitté l'Egypte pour rentrer à Constantinople, Magallon compléta ce résultat en obtenant d'Ismaël Bey, en juin 1787, une lettre invitant les négociants français de l'Inde à expédier des marchandises à à Suez et leur promettant la protection de quiconque participerait au gouvernement de l'Egypte c'était, de la part d'Ismaël, la confirmation des engagements pris envers Truguet par ses prédécesseurs.

Deux puissances rivales de la France, l'Angleterre et l'Autriche, s'étaient mises en instances en Egypte pour obtenir la même concession qu'elle. Mais, moins bien servies sur place, elles n'avaient pas fait aboutir leurs demandes. L'Angleterre avait rétabli, en 1786, son consulat général en Egypte et y avait nommé George Baldwin, en lui donnant mission expresse de conclure, en


vue du passage des dépêches et des marchandises par Suez, un traité dont toutes les conditions lui avaient été spécifiées d'avance. Malgré son zèle à remplir des instructions qui répondaient exactement aux idées qu'il avait défendues contre son propre gouvernement depuis une quinzaine d'années, Baldwin n'arriva pas à ses fins et ne put conclure le traité dont il avait été chargé qu'en 1795, à une époque où le Gouvernement anglais ne s'en souciait plus du tout et l'avait, depuis deux ans, relevé de ses fonctions, d'ailleurs supprimées. L'Internonce d'Autriche à Constantinople avait, en janvier 1786, envoyé en Egypte un émissaire pour faire participer son pays au bénéfice du commerce concédé à la France et la Cour de Vienne avait demandé à celle de Versailles son concours pour y parvenir. Mais Vergennes avait répondu évasivement à cette demande indiscrète et l'Autriche n'avait, par elle-même, rien obtenu de ses démarches au Caire. La situation, en ce qui concerne l'Egypte, était donc encore propice en 1787 et le champ y était libre, pourvu que la C'A des Indes en profitât.

Deux Chambres de commerce de France, celles de Guyenne et de Marseille, émues et indignées de son incurie, avaient adressé à Versailles des mémoires protestant contre son apathie et réclamant la suppression de son privilège. Une polémique, par mémoires et répliques, s'engagea publiquement entre elle et ses contradicteurs. Est-ce ce qui eut raison de sa tactique dilatoire? Toujours est-il que le Prince de Coudé mit enfin à la voile. Ce n'est que dans l'automne de 1788 qu'il arriva à Moka, avec la cargaison constituée par M. de Moracin. Il y fut retenu longtemps, et ce n'est que le 29 mars 1789 qu'il jeta l'ancre à Suez. Magallon l'y fit recevoir et obtint pour la cargaison l'autorisation d'être transportée au Caire, où il


la lit vendre avantageusement. Il en informa le Ministre de la Marine le 6 Juin 1789.

Quatre ans et demi après la signature des accords conclus par Truguet avec Mourad et Ibrahim, alors que les signataires de ces traités étaient remplacés au Caire par d'autres Beys, l'expérience qui en était tardivement faite montrait la possibilité de les mettre à profit. L'influence •de Magallon obtenait d'Ismaël bey tout autant que de Mourad et d'Ibrahim. En Novembre et Décembre 1787, il .avait levé tous les obtacles que les intrigues du consul d'Angleterre avait mis au passage par l'Egypte d'un offifier français, Martin de Montcamp, envoyé aux Indes par cette voie. En Décembre 1787, il avait proposé à la Cour de Versailles un système pratique de transmission des dépêches par Suez, se faisant fort d'en assurer le fonctionnement. De Mars à Juin 1789, Ismaël Bey s'adressait par son intermédiaire au gouvernement français pour se procurer des ingénieurs, des artilleurs, des ouvriers spécialistes, du matériel d'artillerie et Magallon, en transmettant ces requêtes, montrait le parti à en tirer si la France voulait « s'assurer par ici une communication sûre et facile avec l'Inde ». Mais, à partir du printemps de 1789, la monarchie française eut des sujets d'occupation et de préoccupation plus urgents que la communication avec l'Inde par Suez.

Le Prince de Condé ne fut suivi à Suez d'aucun autre navire français. De la tentative diplomatique et commerciale, dont sa traversée fut le seul résultat pratique, il ne resta que le produit de la vente de sa cargaison, beaucoup de paperasse et le souvenir. Le produit de la vente entra •dans les caisses de la C'* des Indes relativement peu de temps avant qu'un décret de l'Assemblée Nationale les fermât à jamais en supprimant cette compagnie privi-


légiée, trop tard pour que le commerce avec l'Inde par Suez pût profiter en France de cette suppression. La paperasse s'entassa dans les tiroirs des bureaux de la Marine et des Affaires Étrangères, s'augmentant, de 1789 à 1798, par l'apport d'un assez grand nombre de lettres et de mémoires sur le même sujet, que les circonstances intérieures et extérieures ne permirent pas de prendre en considération. Le souvenir demeura, comme l'attestent d'ailleurs les manifestations ultérieures de la même idée. Et ainsi s'explique-t-on que, lorsque le Directoire décida d'envoyer Bonaparte avec 4o.ooo hommes conquérir l'Egypte, il ait pris un arrêté prescrivant au général en chef de l'armée d'Orient de « faire couper l'isthme de Suez » et d'assurer à la République « la domination de la mer Rouge » et aussi que Bonaparte et Talleyrand aient songé à la conquête de l'Egypte, que le Directoire ait adopté leur projet.

F. Charles-Roux.


COMPTES RENDUS

KT NOTES DIVERSES

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COMPTES RENDUS ET NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Azan (Colonel Paul). L'émir Abd-el-Kader, 1808-1883. Du fanatisme musulman au patriotisme français. Paris, Hachette, in-8°, vm-aia p., a pl. phot. et carte.

Nul n'était plus qualifié que le colonel Paul Azan pour nous donner sur Abd-el-Kader une étude complète et définitive. Longtemps attaché à la section historique du ministère de la guerre, il y a dépouillé les archives qui constituent la principale source de renseignements sur ce sujet il a d'ailleur^ fait en Algérie la plus grande partie de sa carrière militaire et a déjà publié d'importants travaux sur l'histoire moderne de l'Algérie et du Maroc.

La figure d'Abd-el-Kader a beaucoup intéressé et séduit ses contemporains, et de nombreux travaux lui ont été consacrés, en particulier par les Européens qui l'ont approché, comme Léon Roches et Daumas. On peut puiser aussi dans les écrits de l'émir et dans sa biographie par son fils Mohammed. Parmi les ouvrages imprimés, le meilleur est certainement, comme le dit M. Azan, la Vie d' Abd-el-Kader, par l'interprète Bellemare, quia a paru en i863.

Le colonel Azan a recouru aux sources originales il a vérifié et contrôlé les assertions de ses prédécesseurs et ne les a admises qu'à bon escient. Outre les archives du ministère de la


Guerre, il a consulté celles des A (Ta ires Etrangères, celles du gouvernement général de l'Algérie et certaines archives privées, en particulier les papiers du général Daumas quelques documents ont été empruntes au Record Office.

Sur un personnage aussi connu qu'Abd-el-Kadcr, on ne pouvait guère espérer de révélations bien sensationnelles en ce qui concerne en particulier lcs opérations militaires, les traités Desmichels et de la Tafna, nous connaissions déjà l'essentiel. En revanche, les chapitres sur le gouvernement de l'émir, sur la reddition, la captivité et le séjour en Orient retiendront particulièrement l'attention du lecteur.

Par ses origines comme par ses tendances propres, Abd-elKadcr fut et resta toujours avant tout un musulman profondémentreligieux, un «homme dezaouïa », unsaintetunmystique. Il est le moudjahed fi sebil Allah, le guerrier combattant pour la cause de Dieu il veut faire régner la loi religieusedans toute sa pureté et son gouvernement a un caractère essentiellement théocra tique.

La religion étant le seul lien commun entre les populations de l'Algérie, c'est presque toujours au nom de la religion qu'on nous y a combattus et ce sont les marabouts qui ont été nos plus notables adversaires. Mais, parmi ces chefs d'insurrection, les uns ont été de purs charlatans, dupant les foules crédules par des miracles d'assez médiocre qualité les autres, sincères et convaincus, étaient sans envergure et sans réelle valeur intellectuelle. Use trouva qu'Abd-el-Kaderavaitdesqualitésd'homme de guerre, ce qui n'est pas rare chez les indigènes nord-africains. et des idées d'homme d'Etat, ce qui est au contraire chez eux tout à fait exceptionnel. Ce qui le caractérise surtout c'est son incontestable désintéressement; il est le gardien le plus économe et le plus vigilant du Trésor public; il n'y puise jamais pour ses besoins personnels, à l'inverse de ce qu'ont fait les souverains musulmans dans tous les temps et dans tous les pays. Deux moyens s'offraient à Abd-el-Kader pour triompher des Français l'appel aux sentiments religieux et la constitution d'un Etat véritable, avec une armée régulière, des impôts, une administration organisée. Mais les indigènes algériens, sauf dans des périodes de crise qui ne durent guère, sont en général des


musulmans assez tièdes peu d'entre eux étaient vraiment décidés a mourir pour leur foi. Surtout. ils sont profondément désunis; Abd-el-Kadcr eut contre lui deux sortes d'adversaires indigènes d'une part les fanatiques qui i l'accusaient de pactiser avec les chrétiens, d'autre part les partisans des Turcs et les tribus makhzen. L'émir ne put jamais se résigner à voir des musulmans infidèles ir la cause de l'islam et se mettant au service des Français; il avait, disait-il, deux ennemis, Satan et Mustapha-ben-Ismaïl et l'on trouve encore dans Ylsliksa l'écho des haines contre le vieil agha qui nous servit avec tant de dévouement. Abd el Kader eu t même pour rivaux des marabouts, comme Tadjini. Enfin, lorsqu'on i83g il se présenta chez les Kabyles, ceux-ci refusèrent de se ranger sous ses drapeaux et de lui payer l'achour ils l'invitèrent à déguerpir, déclarant que, s'il persistait, ils avaient pour lui non du couscouss blanc, mais du couscouss noir, c'est-à-dire de la poudre.

Restait à essayer d'emprunter aux Européens leur organisation, leurs méthodes de gouvernement, leur mécanisme militaire. Les Français lui facilitèrent sa tâche en traitant avec lui d'égal à égal ils créèrent sa puissance, en donnant la vie à une nationalité qui n'existait pas. Mais ils s'aperçurent assez vite de leur erreuret ne lui laissèrent pas le temps de construire un édifice solide il ne put'qu'en poser les premières pierres. 11 ne trouva d'ailleurs à peu près personne pour le seconder dans une tentative qui était en contradiction avec les traditions musulmanes et avec l'organisation sociale du pays, fondée sur le régime de la tribu. Il se montra cependant un chef d'Etat remarquable, étant donné les prodigieuses difficultés qu'il rencontrait; nous nous sommes servis des cadres qu'il avait tracés et les méthodes appliquées par Bugeaud se sont directement inspirées des siennes.

Abd-el-Kader est demeuré jusqu'à la fin un pieux musulman pourtant, à partir du moment où il eut déposé les armes, non seulement il fut fidèle la parole donnée, mais son estime pour le christianisme et pour la France 'alla croissant. Sa conduite envers les chrétiens au moment des massacres de Damas en 18G6 fut admirable. C'est pour se vengerdes sentiments Irancophiles de l'émir que pendant la grande guerre M. Azan aurait


pu le rappeler – les Germano-Turcs ont violé son tombeau, jeté ses cendres au vent, pendu son fils l'émir Omar. « Mieux vaut, disait Abd-el-Kader ses enfants, l'enfer des Français que le paradis des Turcs. » Si quelques-uns de ses descendants n'ont pas suivi sur ce point ses enseignements, la faute en est en partie à nous-mêmes, qui n'avons pas su les utiliser comme il convenait.

Le caractère de l'ouvrage du colonel Azan ne comportait pas d'appareil critique l'abus des notes n'est d'ailleurs pas sans inconvénient. Mais l'indication exacte des sources n'eût pas nécessité, croyons-nous, « un texte au moins égal à celui du récit ». En s'abstenant de toute référence, l'auteur a rendu les vérifications impossibles. Par exemple il signale (p. 17Ô) qu'en 1841, Abd-el-Kader fit appel à l'appui de l'Angleterre et de la Turquie ce renseignement est emprunté (p. 289) à des lettres de l'émir conservées au Foreign Office, dont M. Azan a non seulement la copie, mais la photographie l'indication du registre et du folio eût beaucoup mieux fait notre affaire. Heureusemen l'auteur nous fait espérer qu'il nous donnera ultérieurement, dans des articles de revues, certains documents dignes d'être signalés nous en acceptons l'augure. La carte qui accompagne le volume est bien sommaire; on n'y retrouve pas, tant s'en faut, toutes les localités citées. Quelques croquis très simples auraient rendu plus intelligibles les opérations militaires telles que la Macta, la Sikkak, la prise de la Smala, Sidi-Brahim. Quelques lignes sur l'iconographie de l'émir n'auraient pas été inutiles.

Le colonel Azan est un bon écrivain, au style clair et précis. Nous regrettons seulement que, dans sa préface, le terme de race soit employé d'une manière tout à lait impropre; l'auteur parle de la race française, de la race algérienne, de la race nord-africaine l'expression est défectueuse. On ne voit pas non plus en quoi Napoléon 111 a recherché « une application prémaluréeà l'Algérie des lois de la métropole» c'est dans un sens tout opposé que le conduisaient ses fâcheuses conceptions du « royaume arabe ».

Cans l'évolution d'Abd-el-Kader, le colonel Azan voit comme le symbole de l'évolution même des musulmans algériens, qui,


après avoir renoncé à nous chasser de l'Afrique du Xord, se résignent à la volonté de Dieu, s'accoutument à notre présence et deviennent véritablement des Français. «Si les musulmans et les chrétiens me prêtaient l'oreille, disait Abd-el-Kader à la fin de sa vie, je ferais cesser leur divergence et ils deviendraient frères à l'extérieur et à l'intérieur ». Cette évolution dans le sens d'un rapprochement et d'une collaboration avec les Français, tous ceux qui suivent attentivement les indigènes Algériens peuvent en témoigner et en apporter des preuves. Et il n'est pas exagéré de parler à ce propos de « patriotisme français ». Nous sommes sur ce point en plein accord avec le colonel Azan. Bugeaud a dit d'A.bd-el-Kader qu'il fut un « homme de génie » le terme ne paraît pas trop tort. On a plaisir à suivre, avec un guide tel que M. Azan, cette existence pittoresque et romantique, depuis la zaouïa de l'Oued-el-Hammam où il est né jusqu'à Damas où il est mort. Cette vie est d'ailleurs féconde en enseignements de toutes sortes elle nous apprend notamment qu'il ne faut jamais pactiser avec un chef indigène avant de l'avoir réduit à notre merci et de lui avoir fait sentir notre force. En traitant ce grand et beau sujet, le colonel Azan a fait preuve de réelles qualités d'historien son livre, un des plus importants qui aient paru dans ces dernières années sur l'histoire de l'Algérie, trouvera certainement de nombreux lecteurs parmi tous ceux qui comprennent le rôle capital de la France africaine dans notre vie nationale.

Augustin Bernard.

Besson (Maurice). Vieux papiers du temps des Isles. Préface de Jean Brushes images d'autrefois et dessins de Jean Kerhor. Paris, Sociét é d'Editions géographiques, maritimes et coloniales, 17, rue Jacob, 1925. Un vol. in-8" (i5xa4) de 192 p.

M. Besson nous invite à partager le butin de ses courses à travers les vieux papiers et cela nous conduit en des pays et des temps fort divers aux « Isles n, bien entendu comme il nous promet, en ces Antilles des temps légendaires où bien peu de différence séparait un conquistador comme Le Vasseur


d'un forban comme Dulaïen, mais aussi dans l'Amérique du Nord, où il nous déballe la garde-robe et le mobilier d'une bourgeoise de Louisbourgen 1754 et nous dit la tragédie vraie des Natchez, à la côte d'Afrique avec M. de Poutevés-Giens, en 1779. au Cap. à l'Ile de France, aux Indes. au Siam, voire eu ce lointain Pacifique où nos lecteurs, à qui il a raconté l'annexion des Marquises par l'ami ral Dupetit-Thouars, retrouveront à côté de ce récit celui d'une première prise de possession de cet archipel, par le capitaine Marchand en 17^1

Tout cela est instructif et récréatif au plus haut point, par la bonne humeur amusée avec laquelle M. Besson raconte ces vieilles histoires comme si elles étaient d'hier certaines nous sont bien un peu connues, mais quelques-uns de ces fragmente ne nous en apportent pas moinsdes détails nouveaux, qu'il pourrait nous être précieux d'utiliser, si l'auteur nous avait fourni les indications nécessaires sur les documents qu'il nous analyse et sur leur valeur nous aurions aussi aimé que, quand il a dépouillé ces textes, il se fût un peu préoccupé de savoir et de nous dire quels étaient les personnages qu'il nous présentait et quels étaient, pour ainsi dire, les entours des récits qu'il nous faisait son livre y eût certainement gagné de l'utilité et de l'intérêt, et eût pu être mis à l'abri de certaines malchances qui le déparent, de celle qui lui fait obstinément transcrire, par exemple, Bam, le nom d'une maison de commerce qui est pourtant bien connue, sous le nom de maison Baux. J. T.

Bhodssevu (Georges). Souvenirs de la mission Savorgnan de Brazza. Préface de Maurice Delaposse. Paris, Société d'Editions géographiques, maritimes et coloniales, 12, rue Jacob, iga5. Un vol. in-8° (i/iX23X de i^o p. M. Brousseau est un des survivants, bien rares aujourd'hui, de la phalange de 1883, ou plutôt du renfort qui vint la joindre au début de l'année suivante comme tel il peut nous donner ce qui passe nécessairement entre les mailles du filetdes papiers- officiels et qui cependant est les trois quarts et demi de l'action et du succès, la vie même et l'esprit des hommes. C'est ce-


qui fait le prix unique d'un ouvrage nous retrouvons bien moins Brazza lui-même, déjà trop grand personnage, presque légende et symbole, lorsque M. Brousseau arriva dans l'Ouest Africain, que l'étrange rayonnement de celte personnalité qui a marqué d'une manière unique l'œuvre et ses instruments. Le récit ne se présente avec aucune prétention scientifique les lieux et les dates ne sont pas toujours précisés, et certains renseignements, fournis tels qu'on se les passait de bouche en bouche, sont plus ou moins inexacts (Brazza n'est pas né à Caslelgandolfo, mais à Home, du moins par son acte de baptême, il n'a pas été naturalisé « un peu plus lard» quesasortie du Borda. mais plusieurs a nnéesap; es. ilétait seulement enseigne auxiliaire quand il entreprit son premier voyage, etc.) mais ces choses là sont dans les documents et c'est plus et mieux que nous donne M. Brousseau il nous montre tout d'abord l'ascendant qu'exerçait Bocamanbo (Brazza) sur tout ce qui l'approchait et par quoi un pauvre nègre Malamine trouvait le courage de dire « Foute-moi le camp !» à l'ogre Boulamentari (Stanley), de même que les anthropophages s'apprivoisaient et terminaient à l'amiable les querelles nées de leurs sinistres habitudes alimentaires puis, tout naturellement, nous comprenons la vie épique que l'on menait une fois le charme subi, « comment on vivaitn, « comment on explorait» (M. Brousseau lui-même sur l'Ogôoué) et « commenton mourait » (la fin horrible del'officier belge Hodister), et nous saisissons la nature très spéciale, presque miraculeuse de l'œuvre accomplie et qu'il laudrait continuer par des moyens qu'indique M. Brousseau. Quant à la valeur scientifique du travail que l'on fournissait là, rien ne permet de la mieux mesurer que deux documents que M. Brousseau insère, très simplement, dans ces récits d'aventures l'un est un article de lui, paru dans le Matin du 2 janvier 188G, sur la nécessité d'un chemin de fer pour ouvrir l'Afrique, et l'alfirmation que ce chemin de fer devrait se faire entre Loango-Pointe Noire et Brazzaville, par la Loudima et le Haut-Niari avis qui a été suivi, trente ans plus tard 1 l'autre, encore inédit, est une « esquisse géologique » sur les migrations successives de l'embouchure du Congo du Nord au Sud, du Gabon à son site actuel, du Pléistocène à nos jours,


qui est bien l'une des plus claires et des plus utiles études de paléogéographie que j'aie lues.

Le livre donc est merveilleux de tout ce qu'il fait rêver et savoir; le seul malheur est que quelquefois le rêve et le savoir se suivent de si près qu'on ne sait plus très bien les discerner l'un de l'autre et que la romantique histoire de la reine des Amazones nuit un peu par son voisinage à des suggestions aussi intéressantes que le rapprochement du Vaudoux d'Afrique et d'Haïti (est-ce bien le même!1) et du Moloch de Carthage il y avait peut-être là la matière de plusieurs volumes plus que d'un seul. J. T.

Foursier (Joseph). Un organe administratif de l'ancien régime. L'Inspection du Commerce de Marseille, du Levant et de Barbarie (1662-1790. Une broch. in-8°, 2o francs, Aix-en-Provence, F.-N. NicoL let, 1926 (Extrait de Provincia. t. IV).

Quand Colbert arriva au Ministère, il trouva en plein fonctionnement la Chambre de Commerce de Marseille qui avait été fondée en i5gg et définitivement constituée en i65o. Imbu des idées centralisatrices de Richelieu et de Mazarin. il devait nécessairement prendre ombrage d'un corps indépendant, établi très loin de Paris, et dont les entreprises commerciales étaient solidaires de la politique du roi. D'où l'idée de la création d'un organe administratif, qui servirait d'intermédiaire entre le roi et la Chambre, qui conseillerait cette dernière et en contrôlerait les actes. Cet organe fut l'Inspecteur du Commerce de Marseille, du Levant etde Barbarie. La charge fut créée sous le simple titre de Commissaire du roi, par arrêt du Conseil du roi du i4juin 1662, en faveur du baron d'Oppède, premier président du parlement de Provence. Elle fut exercée jusqu'en 1790. A partir de i685, la Chambre gratifia le titulaire d'une indemnité annuelle de 6.000 livres.

La liste de ces titulaires vient d'être établie pour la première fois par M. Joseph Fournier, le très distingué et érudit archiviste de la Chambre de Commerce de Marseille. Elle compte dix noms. Six de ces titulaires cumulèrent la charge d'inspec-


teur avec celle d'intendant de Provence Jean Rouillé de Meslay (1672-1680), Thomas-Alexandre Morant (i(i8o-iG87), Pierre-Cardin Lebret (rGSy-iyio), Cardin Lebret comle de Selles (17 19-1734), Charles-Jean-Baptiste des Galois de La Tour, qui exerça l'emploi à deux reprises, de 1759 à 1771, puis de 1774 à 1790 et qui fut le dernier titulaire. Antoine-Jean-Baptiste-Robert-Auget de Monthyon (1771-1773), (le fondateur des prix de vertu). Les intendants de Provence désiraient avoir la haute main sur la Chambre de Commerce et étaient jaloux du titre d'Inspecteur. Mais les deux charges étaient distinctes et il arriva à quatre reprises que, la vacance s'étant produite, ce fut un autre candidat, plus habile ou mieux en cour que l'intendant, qui l'emporta la charge fut exercée de 1710 a 1719 par l'intendant des galères Pierre Arnoul de 1734 à 1741 par le secrétaire et chancelier de l'ambassade de France à Constantinople, Augustin-François Icard; de 1741 à 1759 par un ancien médecin et ancien consul du Caire, devenu premier commis au Ministère de la Marine, Pierre-Jean Pignon; de 1773 à 1774 par l'intendant de la Marine à Toulon, François-Etienne Bourgeois de Gueudreville, frère de Bourgeois de Boynes, ministre de la marine.

Des instructions spéciales adressées en 1687 par le roi au premier Lebret précisent le rôle de l'Inspecteur. Il consiste à « prendre une entière connaissance du Commerce u, à entrer dans le détail des cargaisons, du départ et du retour des bâtiments, à s'enquérir de la conduite des consuls et des négociants établis dans le Levant. Par ordonnance du roi du 1'" janvier 1753, la position de l'inspecteur fut renforcée il est désormais « chef et président de la Chambre de Commerce a. Par cette analyse on se rendra compte de l'intérêt que présente l'étude de M. Joseph Fournier, à qui l'histoire de Marseille et celle du Levant sont déjà redevables de tant de travaux de valeur. Henri DEHÉRAIN

GOYAU (Georges). Un grand missionnaire, le cardinal Lavigerie. Paris, Plon-Nourrit, 8, rue Garancière, 1925. Un vol. in-8° (12X19) de 272 p. 9 francs.

V. supra, p. 477-479-


GiiAHDCiiAMr (Pierre). Documents relatifs aux corsaires tunisiens (2 octobre 1777-4 mai 1824). Documents publiés sous les auspices de la Résidence Générale de France à Tunis. Tunis, J. Barbier et Ci0. l\, rue Annibal, iga5. Un volume in-8° (a5xiG) de 90 p.

Ces documents sont des lesteras, passeports délivrés par le consulat de France aux navires sortant des ports de la Régence et indiquant pour chacun d'eux la nature du bâtiment, l'armement et l'effectif, avec les noms du raïs et de l'armateur. La collection présente des lacunes manifestes, qui empêchent d'en tirer des conclusions fermes. D'une manière générale il semble que l'on se trouve en présence d'une navigation organisée pour le profit, les bâtiments n'appartenant jamais aux capitaines (souvent étrangers, Albanais ou Turcs du Péloponnèse ou des Iles), mais à des capitalistes locaux, le plus souvent hauts fonctionnaires de la Régence ils ne se consacrent d'ailleurs pas exclusivement à la course et il est expressément stipulé pour plusieurs qu'ils sont armés en guerre et en marchandises. Le mouvement est assez faible et limité à un petit nombre de ports pour l'année la plus forte (1797-1798), nous trouvons fji sorties: 58 de la Goulette (10 propriétaires), i4 de Sfax (13 du caïd de cette ville). 6 de Monastir, a de Djerba et de Bizerte, 1 de Porto-Farina et de Sousse, plus 7 bâtiments du gouvernement il diminue d'ailleurs rapidement et à partir de i8o5 la course cesse, en somme, d'exister; il sort tout au plus une vingtaine de bâtiments par an, dont la moitié armés au compte du gouvernement pour la police et la garde-côtes à partir de 1806, on ne voit plus un bâtiment à rames c'est la fin d'une époque et d'une industrie, par l'établissement de la sécurité en Méditerranée, conséquence de la maîtrise anglaise des mers.

Une indication le Kirlangui, sur lequel M. Grandchamp n'a trouvé aucune précision, est connu de l'amiral Willaumez u Kirlang-Hisch, nom que les Turcs donnent à la corvette ou aviso qui est attaché à l'amiral. » (Dictionnaire tle Marine, 3" éd. i83i, p. 35o). J. T.


Grandchamp (Pierre.) La France au début du XVIIe siècle (1611-162O) III. (Suite des Documents inédits publiés sous les auspices de la Résidence Générale de France à Tunis) Tunis, J. Barbier et Ci0, 4 rue Annibal. 1925. Un vol. in-8o(25xi6) de xn-5o4 p.

M. P. Grandchamp continue l'œuvre de dépouillement des actes passés au Consulat de France à Tunis, qui lui a déjà fourni la matière de deux volumes précédents1 celui-ci nous en présente les résultats pour la période du 4 janvier 16 11 au 3i décembre 1620, correspondant aux dix premières années du u règne de Youssef Dey. La méthode reste la même s'abstenant d un commentaire dont les éléments manquent sur place. M. Grandchamp analyse le contenu de ces quatre registres (IV à Vil), en étant surtout précis pour les documents dont l'intérêt historique les dépasse, par exemple pour tous ceux qui concernent les rachats, grâce auxquels d'utiles recoupements deviennent possibles il complète ce travail par une table des noms de personnes, une liste des rachats, groupés par rédemptions, et un index des navires. Il donne en annexe deux lettres du capitaine Fouques à Henri IV et une de Thomas Martin aux consuls de Marseille, de 1609 et 16 13, que nous connaissions déjà par M. de la Roncière et M. Plantet, le Mémoire du même Fouque, imprimé chez Marette en 1613 (et reproduit dans les Archives Curieuses de l'Histoire de France), et surtout le texte intégral (en italien) du traité de Vincheguerre avec le Dey, du ia août 1616, que M. Plantet avait désespéré de retrouver et que M. Pignon, professeur au Lycée de Tunis, a fait sortir des Archives de la Chambre de Commerce de Marseille en 1922.

Cet ensemble imposant de documents fournira des données précieuses aux spécialistes, notamment sur des expéditions contre La Goulette, de 1614 et 1616, qui étaient inconnues, et 1. P. Graxdchamp. La France en Tureisir fa fin du _CI'l' siccle ('M2-MM'). Tunis, même librairie, 1920; id. Lit France en Tunisie au début do XVI siècle (IGOt-lGIO), id., 193 1.


sur cette mission capitale d'Alexandre de Vincheguerre et de son fils Philandre mais il suffit de feuilleter pour voir se dresser devant nous avec une intensité saisissante l'image de ce Tunis de Youssef Dey que l'on pourrait appeler le « Tunis des renégats » car Tunis est alors une ville en quelque sorte cosmopolite, où les Européens dominent presque non seulement les esclaves sont plusieurs milliers et ne sont pas tous aussi misérables que l'on pourrait croire (certains sont propriétaires, font des opérations commerciales et commanditent des armements), mais jusque dans les positions les plus élevées, il y a des aventuriers espagnols, italiens, français, anglais (comme Ward), qui donnent vraiment la note caractéristique du pays et de l'époque. Car ces hommes ont beaucoup moins que nous n'imaginons renoncé à leur pays, peut-être même à leur religion (il en est qui jurent sur l'Evangile !) entre eux et leurs anciens compatriotes, les relations sont de tous les instants et portent sur les objets les plus divers, arrangements de commerce, accords sur les rachats, transactions sur les biens laissés au pays le ia juillet 1614, Mamy, jadis Honoré Roux, de Chateauneuf en Provence, fait donation de tous ses biens de France à sa mère Jane Angéline, de Grasse, pour la remercier d'être venue le voir à Tunis Nous sommes loin du fossé infranchissable que la religion nous semblait tracer entre chrétiens et musulmans de ces siècles à certains moments, on se demande si quelques-uns de ces « renégats » ne sont pas simplement de braves garçons qui ont pris le turban pour mieux servir leur famille, les intérêts communs étant ainsi également représentés des deux côtés

Il ne faudrait cependant pas exagérer et il reste ce fait effroyable que des deux parts, la grande industrie maritime reste presque uniquement la course, la course méthodiquement, presque légalement, organisée, pour enlever des hommes et en tirer rançon, au moins autant que pour en faire des esclaves (du moins c'est ce qui semble résulter de cette lecture; la réalité était probablement toute autre, car il est bien évident que c'est surtout des enlèvements suivis de rachat qu'il est question dans les registres de la chancellerie les autres avaient beaucoup moins de raisons d'y être mention-


nés) toute la vie économique et politique tourne autour de cet élément essentiel les diverses nations européennes y apportent d'ailleurs des dispositions très différentes, qu'il serait curieux d'analyser les Italiens par exemple, ou les Espagnols (de Naples et de Sicile) agissent surtout par l'organe des religieux rédempteurs, dont ou peut d'ailleurs se demander si la bienfaisance n'entretenait pas le mal qu'elle prétendait éteindre les Français, au contraire, ou plutôt les Marseillais. se manifestent d'une manière plus méthodique à la fois militairement et diplomatiquement, et c'est ainsi que l'on voit commencer à se dessiner dès cette époque une prépondérance de notre pays appelée à se développer comme nous savons. (Dans les quelques notes où M. Grandchamp a essayé é d'éclaircir certains termes peu connus de ces documents, il se demande ce que c'est que la spica seltica ? d'après M. Masson, Histoire du Commerce Français dans le Levant, p. xxxm, c'est le nard celtique, c'est-à-dire la racine de valériane, récoltée dans les Alpes et employée comme succédané du nard véritable [andropogon nardus, L.j.qui venait des Indes et entrait dans la composition de la thériaque.)

J. Tramomd.

Vingt-cinq ans de colonisation nord-africaine. –Paris, Société d'Editions géographiques, maritimes et coloniales. 1925, un vol. in-8°, (14 X a3 cm.), xxxiv-386 p. 7 fr. 5o.

Ce ne sont, à part l'introduction pleine de faits et d'idées par laquelle M. Jules Saurin présente son œuvre et la rattache à l'ensemble de la grande entreprise nord-africaine, que des chiffres et des tableaux les vingt-cinq rapports des vingt-cinq premières années de gestion de la Société des Fermes Françaises de Tunisie cela constitue un ensemble de documents d'une précision incomparable pour les futurs historiens de la mise en valeurde l'Afrique du Nord. J. T.


Il

REVUE DES REVUES

Comité des Travaux Historiques et Scientifiques. Bulletin de la Section de Géographie, tome XXXVIII, 1924. G. Saint- Yves Documents inédits sur Saint-Domingue et la Torlin-, p. 57-78.

L'histoire des origines de Saint-Domingue a été récemment renouvelée par l'ouvrage de M. Haring, The Buccaneers in the West Indies in the X VII th century (Londres, Methuen 1910), dont M. Saint-Yves commence par nous résumer les résultats essentiels, jusqu'à la cession à la Compagnie des Indes Occidentales, qui y envoya comme gouverneur Bertrand d'Ogeron, sieur de la Bouëre (1664-1666). Il nous précise ensuite le caractère des premières années de la colonisation française, en se servant d'un mémoire de d'Ogeron de 1671, et d'un autre de son neveu et successeur Pouanccy, de 1681, qu'il a consultés aux Archives des Colonies (Ci). Il en résulte que, dans la pensée de ces fondateurs, l'établissement devait être, bien plus qu'une colonie de plantation, une place d'armes contre ces ennemis de la Mer des Antilles, même lorsque de laoo habitants, 600 flibustiers et 100 boucaniers, vers 1621, la population était passée en 1681 à 7898 personnes, dont 4ooo en état de porteries armes. A cette dernière date, Pouancey indiquait comme ses principaux besoins l'envoi de prêtres et de femmes, pour moraliser et fixer les habitants, et de petites garnisons (a5 hommes) au Petit Goave et au Cap, pour assurer le respect de son autorité pour conserver à la population un caractère militaire nécessaire à l'exercice de la flibuste, il fallait y maintenir la majorité à la race blanche, et. pour cela favoriser le passage des engagés la Compagnie ne devait pas être autorisée à y faire passer plus de cent cinquante noirs par an et il fallait astreindre les planteurs à employer au moins autant d'engagés que d'esclaves.

La flibuste gardait encore à cette époque son caractère international, mais elle n'allait pas tarder à le perdre dès i683, on saisissait un message de sir Thomas Lynch, gouverneur de la Jamaïque, avertissant les Espagnols d'une attaque projetée contre Nova Cruz (la Vera Cruz) et les encourageant à se défendre c'était la fin de l'antique solidarité de tous les aventuriers contre les Castillans tyrans de


mer, et l'extension à l'Amérique de l'hostilité entre Français et Anglais peu après, un o(ïicier royal, Franquenay. n'hésitait plus à faire attaquer par le flibustier Grammont un navire anglais croisant entre la Tortue et Port de Paix. Haring n'a trouvé aucune trace de cette affaire dans les archives anglaises, mais elle est suffisamment établie par une lettre de Saint-Laurent et Bégon de février 1684..T. T.

Henri Deiiékain La liquidation de l'expédilion d'Egypte, p. 1 1 :i- 1 3 2 L'article VI du traité du fi messidor an X (a5 juin 1 80a) avait prévu que la liquidation de toutes les demandes en restitutions ou dédommagements résultant de la guerreentrela République Française et la Porte Ottomane serait réglée par une convention spéciale à conclure à Constantinople. Le soin de cette négociation incomba naturellement à Ruffin qui, au lendemain de son élargissement (8 fructidor an IX), avait par un accord tacite repris la direction de la légation et la garda jusqu'à l'arrivée de l'ambassadeur Brune le 16 nivosc an XI (6 janvier i8o3).

Les restitutions firent l'objet, du 3i août 1802 au février 1804. de dix-huit conférences où l'on fit de part et d'autre assaut de courtoisie et qui, en dépit des lenteurs inévitables en pays d'Orient, finirent par aboutir, grâce à la bonne volonté du capitan-pacha Gazi Hussein, ami personnel de Ruffin, et à l'intervention directe du sultan, d'une manière qui nous donna à peu près satisfaction pour des maisons consulaires éparses de Latta d'Albanie à Alep, des églises, des biens de toute sorte appartenant à des collectivités et à des particuliers certains donnèrent lieu à des complications d'espèce assez singulières, à Athènes en particulier, où l'ardeur archéologique de lord Elgin n'était pas sans risquer de troubler nos protégés dans la jouissance de leurs propriétés, – la lanterne de Démosthène, par exemple (monument choragique de Lysicrate), était enfermée dans l'enceinte de notre église, à Smyrne, où une dame Hérard était en possession d'un droit d'estivage onéreux à tous, à Constantinople. où il fallut régler la question de la bibliothèque et de l'imprimerie de nos Jeunes de Langues, celle d'une collection Florenville de tableaux et gravures, qui avait été achetée au séquestre par le prince Ypsilanti, grand drogman de la Porte, etc.. Tous ces débats ne donnèrent pas lieu à moins de cent cinquante firmans de la Porte avant d'être entièrement apaisés.

Le problème des indemnités était cependant d'une bien autre complexité. On pouvait classer les demandes en quatre catégories


celles de nos agents (parmi lesquelles celles de Hullin lui-même et de son gendre Lesseps pour 35a<ji et 3987 piastres), celles des consuls généraux de Bagdad et Valachie, Rousseau et Fleury, celles de Fauvel. vice-consul à Athènes. et Parent, en Moldavie, celles de Jean Bon Saint-André (Smyrne) et Choderlos de Lalos (Alcp), celles du général Carra Saint-Cyr et dosa femme, veuve d'Aubert Dubayet (6 1000 piastres), etc.. 20 celles des médecins, dentistes, capitaines. et autres résidents français, tous plus ou moins chaudement recommandés 3° celles des artisans, assez nombreux dans certaines villes, qui avaient eu aussi à souffrir, parfois cruellement, de la guerre et doses violences; – celles des barataires et protégés français. Le tout, pour 3y écliellrs, faisait 38a demandes s'élevant à 11.o73.ojo piastres.

li 11 lïi estimait qu'il serait difficile d'obtenir satisfaction pour toutes ces réclamations, il y avait une exagération manifeste il se sentait gêné par ses liaisons personnclles avec une partie ries intéresséset il craignait decompromettre dans celle négociation niitlaisée le bénéfice moral des succès qu'il avait remportés par ailleurs mais Talleyrand attachait une grande importance àcelte affaire et malgré toutes les répugnances, et même les refus de Ruffin, celui-ci en fut chargé, d'autorité, le i5 avril i<k>3 Brune, cependant, après avoir songé à demander le rappel de Ruttin comme sanction de sa mauvaise volonté, finit par se ranger à son avis etparproposerde transférer la négociation à Paris. Un biais cependant fut trouvé et ce fut Brune qui fut officiellement chargé de tout diriger, avec des pouvoirs spéciaux, ce qui permettait à Rnllin. dégagé de la responsabilité directe, de l'aider de toute son exceptionnelle expérience de ces questions. La commission mixte n'arriva pourtant jamais à se former et ni Brune, ni Sébasliani ne parvinrent à engager la discussion au fond, en dépit de tous les cris des gens qui en souffraient. Une proposition transactionnelle, de tout régler par une indemnité forfaitaire de 10 millions à verser par la Porte, ne fut pas plus heureuse et quand elle fut prise en mains, à la mort d-î Sébastiani, par le chargé d'alïairps Latour-Maubourg, l'affaire était toujours au même point: les victimes de l'expédition d'Egypte, en définitive, ne devaient jamais être indemnisées. J- T.

Id., tome XXXIX, 1924.

Martial ije Pbadel DE Lamaze Lellres Louisianaises du chevalier de Pradel, p. 83-96.

Ces lettres complètent l'étude parue ici (1920, a* semestre, p. iogi3.'i) et continuent à nous montrer sur le vif la vie d'un colon dis-


li ligue, particulièrement du point de vue des arrangements d'affaires et des rapports sociaux. Mû le 15 avril iCga, Le chevalier de Pradel moumt le 28 mars 1764, assez tard parconséquentpouravoirvu s'annoncer le grand changement sur la portée duquel il semble d'ailleurs que les colons se soient d'abord étrangement mépris « Noire misérable colonie, écrit-il, le 26 octobre 176.'$, réduite en partie sous la domination des Anglais et l'autre sous la direction d'un commissaire ordonnateur, n'est qu'un comptoir comme l'étaient les ports de l'ondichéryaux Indes et de liengalc en Guinée (!) où le directeur est le gouverneur. De môme icy Mrd\Vbadic, commissaire de la marine, est aujourd'hui gouverneur intendant et commande cinq compagnies de troupes. »

Henri Deiiékain Une lettre de Pascal Fourcnde, consul yéitéral de France à Sinope sur le voyage d'Ainêdée Jaubert de Trébizonde à Conslantinophe en 1806, p. y4-io4.

Jaubert avait depuis longtemps, dans le récit de ses voyages, rendu hommage aux services qu'il avait dus a Fourcade au cours de son voyage de retour mais celte lettre du consul nous permet d'en mieux juger encore par les précisions qu'elle apporte sur l'état de santé du voyageur (il tallut le porter de la maison consulaire à l'embarcation) et sur les difficultés qu'opposait à la circulation l'état d'anarchie où se débattait alors, plus encore que les autres parties de l'empire turc, la région littorale de l'Anatolie la vie humaine y était vraiment au moindre prix et rien n'eût été plus facile au consul de Russie que de se ménager l'opportune disparition de Jaubert sans les précautions et le zèle déployés par Fourcade qui fut alors, comme dans tant d'autres circonstances, le consul remarquable connu de nos lecteurs (voir It. H. C"" F". 192/i, p. 3oi-38o, Henri Deiiicrain, les premiers consuls de France sur la co'le septentrionale de l'Anatolie).

La Géographie. Juillet-août, p. 109. 1 15.

Ch. Duplomb L'ile de France Rapport du contre-amiral de Kcrguelen au Comité de Salai Public au sujet des mesures à prendre pour la défense de l'Ile de France (6 floréal an H 25 avril 1796) Dans ce rapport Kerguelen (qui ne commandait pas les forces navales de l'Inde », mais, comme il signe, a les forces destinées pour les Indes ») se flatte avec deux vaisseaux, deux frégates et deux flûtes, « de couvrir l'ile, d'y porter douze ou quinze cents hommes, et y procurer des vivres par les prises et par lladagascar et de ruiner


le commerce des ennemis tant dans les détroits qu'aux côtes de Malabar et de Coromandcl. »

Nova Francia, Organe de la Société d'Histoire du Cattada. Administration, 52, rue de Kichelieu. (Bienfaiteurs, ioo francs; donateurs 5o francs; sociétaires 20 francs adhérents i5 francs. Premier numéro 25 juin 1925,

L'activité du Comité des Sources et Recherches a déjà commencé à porter des fruits grâce à lui les papiers de Bougainville (plus de 4oo lettres classées par M. de Keralain), de Pastour de Costebelle (gouverneur de Plaisance en 1709 et de l'Ile Royale en i-i3;, ainsi que d'autres documents, concernant les Menou d'Aulnay, Charisy. les Vaudreuil, M™" de Guerchcville, etc., sont inventoriés et utilisables pour les chercheurs d'autres suivront.

Dans ce premier numéro, le P. Alb. David donne le commencement d'une étude, qui paraitra prochainement en volume, d'après les papiers de l'abbé de l'Isle Dieu, (1 730-1778), sur L'activité à Québec et en Acadie des missionnaires du Séminaire du Saint-Esprit, ou Spirilains (que depuis le P. de Rochemonteix nous avons appris à ne plus confondre avec les Pères des Missions étrangères de la rue du Bac), M. La Roque de Rochebrune nous raconte le voyage en France en 1785 d'un pauvre « noblesse du Canada en quête de sa famille, Louis Ignace de Salaberry, et M. A. Léo Leymarie publie des documents inédits sur Paul de Chomedey de Maisonneuve, le fondateur de Montréal, auquel il est question d'élever un monument dans sa paroisse natale de Neuville-sur- Vanne (Aube). J. T.

Revue des Deux Mondes, 1" octobre 1935, p. 6'i3-66o. Général Aubier La prise de Tananarive.

Nous voici arrivés à ce trentième anniversaire qui permet de considérer un événement comme sorti du domaine des actualités irritantes. Le général Aubier en profite pour nous esquisser un exposé d'ensemble de cette action militaire, qui a la valeur d'un témoignage d'acteur il commandait alors, comme capitaine, l'unique escadron du corps expéditionnaire.

La décision du 1" septembre 1 890, de réduire l'affaire à la marche brusquée d'une colonne légère de 4.000 hommes qui d'un bond, sans garder de communication avec l'arrière, s'élèverait de 600 à 1 .5oo


mètres en 200 kilomètres, s'imposait sous peine de reculer. La responsabilité que le chef n'hésita pas à prendre était cependant effrayante on emmenait en tout 22 jours de vivres à demi-tarif, dont un troupeau de zèbres pour toute viande fraîche, 100 cartouclies par homme, 5o coups par pièce au bout de onze jours, la retraite devenue impossible, on ne pouvait plus songer à un échec, et une victoire ne devait plus en laisser une seconde à remporter. On réussit non pas que l'adversaire ait manqué de patriotisme de courage ou d'organisation, mais ses techniciens étrangers le conseillèrent mal au lieu d'une guerre de partisans, qui nous eût exaspérés et épuisés, ils crurent pouvoir briser notre élan et réduire nos forces par une série de résistances échelonnées, passives, sur des positions préparées; une manœuvre classique jusqu'à la monotonie les fit toutes succomber presque sans combat et le aO la « ville aux mille cases était en vue on n'avait plus que 20 cartouches par homme, 18 coups par pièce lune fuite dela cour sur Fianarantsoa, qui eùt prolongé la lutte aurait encore pu être presque un échec par nous; une manœuvre brusque, des obus à la mélinite sur le palais et, le 3o à 6 heures du soir, un immense drapeau blanc couronnait la colline les chasseurs d'Afrique étaient déjà dans les rues, avec les tirailleurs malgaches.

Un mois après, le Chandernagor ramenait en France 3o survivantsde l'escadron 3o restaient à Tananarive, Co avaient été évacués, 3g étaient morts, sur 160. D'autres unités avaient souffert plus encore. Tel était l'effetd'une série d'erreurs que l'on eut pu éviter si l'on avait tenu compte des leçons de l'histoire, du précédent de l'Algérie 6.000 coloniaux avec des mulets de bât eussent tout fait en trois mois et l'on n'aurait pas eu à déplorer les pertes qui décimèrent un corps de i5.ooo jeunes gens (20.000 avec les renforts) et 8.000 auxiliaires, encombré de bagages et de voitures dans le même pays. dans des circonstances plus dures, les colonnes de Galliéni ne connurent pas ces pertes par maladies.

Revue des Etudes Historiques, juillet-septembre 1925, p. 363-27 ̃ Dr Vebgmiaud Un épisode des troubles de Saint-Domingue pendant la Révolution.

Garran-Coulon, dans un rapport aux Cinq-Cents, signalait déjà l'importance du rôle joué par le sénéchal du Cap, Guillaume-Henri Vergniaud, dans la journée du 24 août i7g3 des papiers de famille ont permis au Dr Vergniaud de préciser et de mettre en valeur ce rôle.


L'intervention du sénéchal, qui se produisit nu moment où certaines imprudences de langage et de gestes des colons risquaient de déchaîner un massacre général de la part des huit ou dix mille hommes de couleur en armes qui cernaient l'Assemblée Générale, eut d'abord pour oITel d'apaiser ces derniers en leur montrant, par une pétition signée de 842 noms, les blancs eux-mêmes comme prenant l'initiative de leur libération elle eûlpu, si elle avait été comprise et utilisée, avoir celui, bien plus important encore, d'assurer que cette libération s'accomplirait sans violences et sans perturbations économiques. Le texte que l'Assemblée transmettait aux Commissaires comme émanant de la population de couleur, et en le recommandant à sa bienveillance, entraînait en effet pour celle-ci l'engagement de « se soumettre à toutes les lois que vous voudrez bien nous dicter, de combattre jusqu'à ce que le pavillon tricolore ait flotté en liberté sur les forts espagnols de Santo-Domingo, de mettre en cultuws les plantations de la République sans rétribution quelconque, de travailler à salaire compétent pour tous ceux qui nous emploieront et de ne pas souffrir qu'aucun de nous reste dans une coupable oisiveté ».

Rien, malheureusement, de celte sage politique ne passa dans l'arrêté de Sonthonax du 29 août, qui se borna à prononcer la libération pure et simple, sans aucune mesure pour assurer la police et la subsistance des gens de couleur, et l'on sait la ruine qui en résulta Yergniaud lui-même faillit en être la viclime arrêté en France, à son arrivée, sur des dénonciations venues de Saint-Domingue, il ne fut sauvé que par le 9 thermidor, et s'il reçut alors, un peu arbitrairement, le.mandat de représentant de la colonie aux Cinq-Cents, il y avait longtemps à ce moment qu'il n'était plus au pouvoir de personne, ni aux îles ni dans la métropole, de rien sauver de la prospérité de jadis. J. T.

« «

Revue Hebdomadaire, 12 septembre 193a, p. i3i-iôg.

Georges Goyau Les premiers conlacts de l'âme française avcc l'Afrique. Musulmane (i83o-i86a) (De Veuillot à Lavigerie). Revenant sur la thèse qui lui est chère, M. Goyau s'attache à montrer par des extraits d'ouvrages déjà publiés, et surtout du livre de Veuillot Les Français en Algérie, dont une réimpression vient de paraitre dans la Collection des Œuvres complètes, chez Lethielleux. le fâcheux effet produit sur les Arabes par l'abstention systématique de la colonisation française en matière religieuse.


Revue Historique, tome CXL1X, n. juillet-août îyja, p. 161-186. Claude FAURE Une expédition française en Gambie au secours des Anglais (i83i).

Ces événements, dont M. Hardy nous avait déjà donné un récit sommaire dans son ouvrage La mise en valeur du Sénégal de 1817 à /854 (p. 3oa-3o4), se placent un peu après les difficultés faites par les Anglais pour nous remettre en possession d'Albréda, que M. Marty a exposées ici même (Revue de l'Ilistoire des Colonies Françaises, 1924, p. 287-272). Les Anglais, qui avaient manifesté tant de répugnance i'i nous admettre comme voisins, allaient trouver que ce voisinage avait parfois du bon.

Au mois d'août i83i, en effet, leur gouverneur de Sainte-Marie de Bathurst, Rendait, se trouvait serré de si près par les Mandingues du roi de Bar qu'il n'hésitait pas à crier au secours et que notre gouverneur du Sénégal, Renault de Saint-Germain, et notre commandant de Gorée, Hesse, n'écoutant que l'humanité, lui expédiaient d'urgence la goélette la Bordelaise, commandant Louvel. Celle-ci arrivait le 8 septembre, prenait ses dispositions, et le i5 et le 1G bombardait les positions des nègres assez sévèrement pour écarter tout danger immédiat les Anglais n'étaient pas rassurés cependant et leur enthousiasme pour l'intervention française se faisait tel que Saint-Germain se croyait autorisé à constituer un véritable corps expéditionnaire avec lequel il arrivait en personne le 10 octobre. Sur les lieux, il jugeait, plus sainement, que son rôle n'était pas de prendre l'offensive pour le compte des Anglais mais seulement de les garantir de la destruction les renforts anglais, 55o hommes de Sierra Leone, arrivaient et le gros de l'expédition française pouvait se retirer, le 3 novembre. On devait pourtant faire encore appel à notre collaboration après l'échec du 17 novembre, où les Anglais perdirent 91 hommes et trois bouches à feu (dont deux prêtées par nous), mais enfin tout rentrait dans l'ordre et la paix était rétablie, le 8 janvier.

L'affaire ne se termina pas là la commodité des opérations nous ayant conduits à évacuer le comptoir d'Albréda, que nous occupions en amont de Bathurst, les trois négociants que nous y avions demandèrent à y rentrer quand les choses furent redevenues normales Rendall s'y opposa, alléguant que notre établissement sur l' ce point « résultait d'une erreur d'un de ses prédécesseurs » et peu s'en fallut que le résultat de notre intervention charitable ne fut


notre expulsion de notre propre possession. Puis quand notre gouvernement s'avisa de demander le remboursement des dépenses de l'expédition, exactement 39.5 fr. 99, il se heurta à un refus formet du cabinet de Londres, parce que. notre action n'avait pas ou pour objet unique la défense des intérêts anglais, puisque nous avions nous-mêmes un comptoir sur la Gambie, à Albréda on s'avisa même de nous opposer une contre-réclamation pour la location, pendant deux jours, de deux petits bâtiments employés à l'évacuation de ce poste (cela pouvait faire 160 francs au maximum !). Même attitude en ce qui concerne une autre forme de reconnaissance quand le gouvernement français insinua qu'il pourrait être accordé quelque témoignage particulier de satisfaction au gouverneur et à ses officiers, le Ministre des Affaires Etrangères, lord Granville, répondit que le gouverneur « trouverait dans l'expression des remerciments du gouvernement anglais une reconnaissance aussi parfaite des services qu'il avait rendus et de l'habileté qu'il avait déployée que dans une distinction plus réelle » En revanche il demandait la croix de la Légion d'honneur pour un chirurgien qui avait, paraît-il, soigné quelques blessés français.

Sur les lieux, il est vrai, on jugeait mieux et les négociants de Gambie étaient encore trop près de leur peur pour l'avoir oubliée ils se cotisèrent de 100 guinées pour offrir une épée au lieutenant de vaisseau Louvel qui les avait secourus le premier. Mais Renault de Saint-Germain jouait décidément de malheur les journaux français, le Temps, le Finistère, conclurent de cette démarche que lui n'avait rien fait et que tout le mérite de l'affaire revenait à ses officiers, Louvel ou d'autres il fallut encore une démarche des négociants de Gambie pour rétablir la vérité et apporter sans doute une dernière consolation au malheureux gouverneur qui mourut le 18 octobre i833.

Quant à la reconnaissance de colonie à colonie, elle ne dura guère dès i834, les Anglais de Portendick avaient recommencé à vendre des munitions et des armes aux Maures en guerre avec nous. J. T.

Revue Indo-Chinoise, III-IV mars-avril 1935.

R. BONN AL Au Tonkin, (suite), p. 22i-a43.

Ce travail, dont la Revue Indo-Chinoise poursuit la publication depuis plusieurs années (1923, n™ 3-4, 5-6, 7-8, 9-10, 11-12 1925, 1-2) est un exposé chronologique qui, à cette distance, pourrait facilement être moins sec et plus critique nous trouvons dans ce


numéro l'énoncé des faits compris entre le 16 décembre i884 et le l, avril i885.

ar

Raymond Deloustai. Ressources financières cl économiques de l'Ancien Annam réglementation de la propriété, p. a8i-3o/i. Dans cette étude, qui fait suite à celles qu'a déjà publiées le même recueil (1924. 9-io et 11-12 et 1925, 1-2), M. Deloustal examine la législation agraire des Tran et des Lè, du xive au xviii" siècle d'une manière générale il en ressort que la politique idéale du gouvernement annamite a toujours été de s'opposer à la constitution des grandes propriétés par la répartition égalilaire des terres, mais que, en dépit des efforts des faiseurs de projets, qui n'ont jamais manqué, cette tendance, s'est toujours bornée à la réglementation de la répartition des terres communales ou à des attributions de domaines publics, sans que, le plus souvent, on ait osé porter atteinte à la propriété privée.

Revue de Synthèse Historique, 1925, Tome XXXIX (Nouvelle Série, T. XIII), p. i5-35.

Henri Sée Le grand commerce maritime el le système colonial dans leurs relations avec l'évolution du capitalisme (du xvie au xixc siècle). Le xvi" siècle marque une période décisive dans l'histoire du capitalisme, dont l'existence n'avaitjusque-là été qu'accidentelle et comme sporadique il lui crée un objet et des moyens, en mettant à sa disposition pour la première fois, au moins en quantité, des articles de commerce susceptibles de se prêter à la spéculation, (épices, denrées coloniales), et des instruments pour cette spéculation, par la multiplication des espèces métalliques.

L'Espagne à qui par fortune il a été donné de subir la première les effets de cette révolution, tente de s'en réserver le profit par la systématisation absolue du monopole mais elle n'a pas une vitalité économique suffisante pour exploiter la situation dès i6gi, sur 53 millions du trafic de Cadix, 5o vont aux étrangers (i4 aux Français). La lutte se trouve donc reportée entre ces autres puissances qui toutes tendent à s'assurer la prépondérance par le même système de l'exclusif mais ce rêve se heurte au développement des colonies elle-mêmes qui, dès lç xvm° siècle en ce qui concerne l'Amérique Anglaise, réagissent jusque dans l'ordre commercial, et l'avenir finit par se trouver réservé aux nations qui produisent en grandes quantités les articles de consommation.


Le grand capitalisme sera donc le capitalisme industriel mais il a été précède par un développement du capitalisme commercial, maritime et colonial, qui peut-être été le facteur le plus important dans sa genèse; c'est en eflet pendant cette période de formation que se sont définis les phénomènes les plus caractérisliquesdu capitalisme, la spéculation sur les valeurs mobilières et l'organisation bancaire il est même à remarquer que les premières organisations industrielles, ayant trait aux soieries et cotonnades, dérivent t directement du commerce maritime et colonial.

J. T.

Revue Trimestrielle Canadienne, juin njaô.

Olivier MAURAULT. Noire-Dame de Montréal, le presbytère séminaire, p. 117-iii.

Lorsqu'arrivèrent à Montréal les quatre premiers sulpicicns envoyés par M. Olier, ils n'auraient pas trouvé à se loger, si Mademoiselle Mance ne leur avait offert l'hospitalité. Il leur fallait une maison, qui dût être commencée vers i65o et achevée en 1661, età l'originede laquelle nous trouvons des histoires tragiques, notamment L. la mort des deux premiers économes de l'établissement, MM. Jacques Lemaitre et Guillaume Vignal, qui tous deux furent tués et mangés par les sauvages. La maison eut tout de suite des destinées glorieuses ce fut elle en particulier qui eut l'honneur d'abriter les derniers jour passés par Maisonneuve en Nouvelle France, mais elle devint vite trop petite et dès iGç)3 elle était abandonnée. La nouvelle maison avait été conçue par Dollier de Casson dès 1672 comme devant être toute proche de l'église avec laquelle elle communiquerait par une galerie; sa construction, dont les frais épouvantaient t M. Tronson, fut longue et plusieurs fois interrompue et reprise elle fut surtout l'œuvre de M. Vacher de Belmont qui, jusqu'à sa mort en 173a ne cessa d'embellir le bâtiment et le jardin l'horloge, en particulier, qu'il y fit placer en 1701 et qui fonctionna sans- réparations j usqu'en 1 761 fut longtemps la seule de la ville cette maison, où en 1703 s'étaitorganisé le collège qui y demeura jusqu'en 1733, fut désormais le centre de la vie religieuse du Haut Pays elle eut des hôtes illustres, surtout Henri Marie de Breil de Pontbriand, dernier évêque du Canada Français, qui s'y réfugia en 175g et dont la chambre mortuaire est conservée comme une relique. Les Canadiens tenaient à l'antique demeure, témoin de tout leur passé religieux, mais elle finit pourtant par se trouver trop étroiteet en 1857 il fallut se décider entreprendre la construction d'un.


nouveau grand séminaire: réduite depuis au rang de simple maison curiale, la bâtisse n'en demeure pas moins au milieu de Montréal, vénérée de tous pour ses souvenirs nationaux et religieux et pour le bien qu'elle continue à faire rayonner autour d'elle. j. T.

Victor GAUDET Les Postes, p. 167-189.

Nous ne retiendrons de cet article que ce qui concerne la période française le trafic postal avec la métropole, très actif, y était assuré par La Rochelle, le port par mer étant gratuitet les usagers n'ayant à payer que pour le transport entre la Rochelle et les villes du lioyaume ou Québec et les localités canadiennes. Pour ces dernières, une route de poste fut instituée en 173/1 entre Québec et Montréal Ci calèches et 4 carrioles par relai) les messagers du gouvernement prenaient les paquets des particuliers moyennant io sols entre Québec et Montréal, 5 entre Trois-Rivières et l'une ou l'autre de ces deux villes il y eut aussi à partir de 1753 un service sur New-York. Mais ce ne fut qu'après la conquête qu'il y eut des bureaux de poste, trois, dont Franklin vînt lui-même surveiller la mise en train, qui fut confiée à Hugh Finlay. J. T.

NOTES ET NOUVELLES

Voici une lettre, publiée par la Dépêche Coloniale des io-i mars derniers, dont l'intérêt apparaitra certainement à nos lecteurs, au moment où, à la Section Coloniale de l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs, se manifestent les effets de la coopération qui s'esquissait ainsi

« Le ministre du commerce a flué à S. Ex. le ministre des affaires étrangères du Grand-Royaume de France.

Hué, 10 avril 1867.

« Depuis que nos deux gouvernements sont unis de cette amitié ferme et durable qui produit la confiance et l'appui mutuels nous savons que le noble royanme de France est très versé dans les arts, que tout tend chez lui de jour en jour au progrès de ces arts et qu'il ne regrette pas de comuniquer aux autres sa science.


« L'évêque du noble royaume, Ngô Gia Haû (Mgr Gauthier), qui est resté longtemps chez nous et qui en connaît bien toutes choses, a demandé de conduire avec lui quatre Annamites avec deux de nos envoyés pour les diriger en toute sincérité de cœur suivant les circonstances.

« Si cet évèque trouvait quelqu'un qui sût vraiment les arts et qui voulût venir les enseigner chez nous, je prierais Votre Excellence de le faire examiner. Il aurait mission d'acheter aussi de nombreux objets européens. »

Ces quatre Annamites vinrent bien à Paris avec Mgr Gauthier, ils furent donc les premiers étudiants de ce pays en France. Mais révoque ne put décider aucun Français à aller à Hué « enseigner les arts ». L'Annam était aux antipodes

La Canadian Hislorical Association a mis à l'étude divers projets pour contribuer au progrès des études historiques. Elle veut d'abord mettre à la disposition du public un bon ensemble d'études ou de conférences, claires et sûres, avec accompagnement de bibliographies pour les travailleurs et aussi d'illustrations, vues, projections cinématographiques pour le commun des mortels. Le D' Doughty a déjà donné dans cet ordre un Siège de Québec, le professeur G. M. Wrong une Chute de la Nouvelle France, le professeur C. W. Colley un Frontenac, M. Aegidius Fauteux une Fondation de Montréal, le Dr J. G. Webster une Chute de Louisbourg, etc. à côté de cette entreprise, qui est plus proprement du domaine de la vulgarisation, l'Association désirerait aussi publier un dictionnaire historique, ou au moins biographique, et un atlas historique du Canada, l'un et l'autre avec notices rédigées par des spécialistes, illustrations, etc. par malheur, de telles œuvres coûtent cher, même au Canada, et leur exécution complète demandera peut-être encore à être ajournée de longues années.

Dans le numéro de la Revue Bleue du 21 mars, pp. 209-31 1, M. Alphonse Desilets fournit quelques indications substantielles sur les Revues et Magazines de langue française au Canada après avoir rappelé sommairement l'histoire de cette presse, qui commence en 176/1 par la publication de la Gazette de Québec (alors que lepremier livre, les poésies de Michel Bibaud, est de i83o), et dont le grand nom


est celui de la Revue Canadienne, il montre l'importance actuelle de ces revues, qui sont au nombre d'une quarantaine, avec une circulation globale de 3oo.ooo exemplaires. Parmi celles qui touchent à l'objet de nos études, signalons encore le Canada Français, organe de la Société du Parler Français, de l'Université Laval de Québec (directeur M. l'abbé C. Roy), le Bulletin des Recherches Itisloriques, du Hurcau des Archives de la province de Québec (directeur M. P. G. Uoy), qui en est à sa trentième année, la Revue Nationale, la Revue Moderne, le Terroir, les Annales de l'Institut Canadien-Français d'Ottawa, etc.

Sous l'impulsion de leur directeur M. Braibant, les Archives de la Marine ont entrepris de publier un certain nombre d'inventaires numériques des divers fonds et séries pour lesquels il n'en existait pas encore.

C'est ainsi que viennent de paraître ceux de la sous-série DD2 (Travaux Hydrauliques et Bâtiments Civils) des Archives Centrales, par M. le Commandant Cornillat, et ceux des séries A (Commandement militaire), et L (Contrôle), de Brest, E, sous-série i E (Service du principal administrateur), F, sous-série i F (Service de santé), L (Contrôle) et 0 (institutions de répression) de Lorient, E (Services administratifs), L (Contrôle) P (Navigation commerciale et recrutement) et R (Colonies et Pays Etrangers) de Rochefort, et 0 (Bagnes et Prisons) de Toulon, par M. M. R. Prigent, Marec, Dick Lemoine et Bruno Durand. Il y a là un nombre assez considérable de documents intéressant l'histoire des colonies il convenait donc de les signaler à nos lecteurs, d'autant plus que pour la commodité des travailleurs, ils sont complétés par des inventaires analytiques et, en ce qui concerne les Archives Centrales, par un répertoire sur fiches par ordre de matières.

A la réunion annuelle de la Canadian Historical Association qui s'est tenue à Montréal les 21, 22 et 23 mai, de nombreux mémoires concernant l'histoire canadienne ont été présentés, parmi lesquels nous relevons Pitt's decision bo keep Canada in 1761, par Marjorie Q. Reid Madame Bourdon et l'immigration des filles dans la Nouvelle France, par Gérard Machelosse Les premières pages de l'histoire du Saguenay, par l'abbé Victor Tremblay, etc.

A l'issue de la réunion, une plaque a été apposée dans les jardins


du Musée Historique Mac Cow de l'Université Mac (ïill, sur l'emplacement de l'ancien llochclaga, et d'autres, au cours d'une excursion, au vieux Fort Chambly et au moulin dela seigneurie de Bonchcrville. La réunion de 1926 aura lieu à Ottawa et celle de 1937 à Toronto.

La Société de l'llisloire des Colonies françaises a décidé de tenir désormais une réunion mensuelle de tous ses membres, réunion au cours de laquelle il sera donné lecture ou communication d'articles ou documents inédits et ou les ouvrages nouveaux concernant l'histoire coloniale pourront être lus et analysés.

Ces réunions se tiendront au siège de l'Agence Economique de l'Indochine, 20, rue de la Boetie, le second mardi de chaque mois, de cinq heures à sept heures du soir. La premièrfi-Eé,union aura lieu le mardi is janvier. :;>X ` "yix~


•̃?-

TABLE IM TU ODÏQUE DES MATIÈRES "1~

Abréviations. A^Mtfclés"'briglnaux U Comptes rendus et notes bihliographiques C Revue des Revues I) Notes et Nouvelles.

Revues dépouillées

AI'Kr. Bulletin du Comité de l'Afrique Française.

BAOK Bulletin du Comité d'études historiques et .scientifiques de l'A. 0. F. BAVH Bulletin des Amis du Vieux Hué.

BSGA Bulletin de la Société de Géographie d'Alger.

BSGO Bulletin de la Société de Géographie d'Oran.

BSGQ Bulletin de la Société de Géographie de Qn<-hec.

BSHC Bulletin de la Société des Recherches Congolaises.

CHR Canadian Historical Review.

CTH Bulletin du Comité des Travaux Ilistoriques.

Géog. La Géographie.

H Hespéris.

MF Mercure de France.

Rév.|S La Révolution de 1848.

KDM Revue des Deux Mondes.

REII Revue des Etudes Historiques.

H.Ilcl). Revue Hebdomadaire.

R.Ilist. Revue Historique.

RIIMi. Revue d'Histoire des Missions.

R1C Itcvue Indo-Chinoise.

KM Revue Maritime.

RTC Revue Trimestrielle Canadienne.

RQH Revue des Questions Historiques.

RSH Revue de Synthèse Historique.

Sa. Carnet de la Sabretache.

A. Paul Houssier. Les origines du Dépôt des Papiers Publics des Colonies le Dépôt de Rochefort ai- âo Georges Hahdy Histoire Coloniale et psychologie

ethnique 161-17» B. Récits Maritimes (Ch. Duplomb) 1 36 L'Ilôlel de la Marine (Martial vf. Piiadei. de Lamaze). i3/,

GÉNÉRALITÉS.

T>

GÉNÉRALITÉS.

Pages.


Eléments d'histoire maritime et coloniale contemporaine,

(J. Thamomj et A. HeijSsmcii), par Cli. ije LA Ron-

cifeiiis 1 35-i 38 8 Académie des Sciences Coloniales. Comptes /tendus des

Si,eiitces ci Coin intittications 1923-1924, Iiiir J. Tit,

Séances el Communications io,23-iga4i par J. Tiia-

MOM) /|/|g-'|J2 IjBS brigandages maritimes de l'Angleterre (Marc de

Gehmiîvy; 4ûg-46i L'évolution commerciale et industrielle de la France sous

l'ancien régime, (Henri Sée) 465 Histoire Générale de la Communaulé des Filles de Saint-

Paul de. Chartres (chanoine J. Vauoon) /1G0-467 Vieux Papiers du lemps des /les (Maurice Iîesson). 623-624 C. La Revue d'Histoire des Missions i53 France-Islam <i9a3-ig24) 475-/176 Le grand commerce maritime et le système colonial dans

leurs relations avec l'évolution du capitalisme (H. Sée,

JiSIl).: 641-642 D. Notice nécrologique sur Henri Cordier, par II. Dehiîhain 309-313 Le Congrès de Géographie du Caire et l'Afrique, par

Ch. de LA Pioncikhe 3i3-3i6 L'histoire coloniale aux congrès des Sociétés Savantes. 316-32o L'Exposition Ronsard par H. F 486-487 Notes et Nouvelles diverses. 1U7-160, 3io-3ao, 482-488, 643-646

Levant méditebraïseen.

A. François Chaules -Roux. Le projet de commerce avec l'Inde par Suez sous le règne de Louis XVI.

4n-448, 0Ô0-618

B. L'Angleterre et l'Expédition d'Egypte (François ChaiilesRoux), par A. Martineau 28ô-at)4 C. Un consul général de France à Smyrne Choderlos de Laclos (L. de Chauvigny, RQII). i56-i57 La liquidation de l'Expédilion d'Egypie (H. Dehérain

CTH) 633-634 Une lettre de Pascal Fourcade (II. Deiiébain, CTI1"1 635

Afrique DU Noed.

B. Le traité Desmichels (Charles Cocke.npot), par Augustin Behnard 123-125


La l'rised'Alger(f:abriel par Il. 126-131 L'4/W~ue rlu Nord devant le /'artem?n< ar: .\t\' sièrlr,

(RcneVALKT). 138-1/,0 Correspondance du ~«terat octroi (Gabric) P.sQtjEt~ 2(J4-297 Atlas nrchéotogirlue de l'Alolérie (St. (j.st;).)..). !,6I L'émir Abrl-el-Krtrler (Paul A1.A~), par Augustin ){t:)t-

NAnD. 619-623 Documents inJ:clils relatifs aux corsaires tunisiens, I;7;-

182/1 (Pierre 628 La France à Tanis au début du xvtr siècle <'f8«-ttj2<j)

(Pierre GttANDCHAMr'). 03j)-63i Vingl-cinrl ans de colonisation /tc<rd-a/'rt(;af;te. 631 C. La l3erbérie de la G'unyuéle /tumnine (1 la conquête rrrabc (Cn. PE1"RON!\ET, BSGA). '17 L'esclavage de Cervavtes ie Alger (.t. CAXËXAVf:, BS(~:1). 14¡ Sanctuaires et forleresses almohades (H. BASSET et H.TEnnAssB,H.). i~9-i5; Une nouvelle inscription arabe de Tanger (G. S. Co-

LIN, H.). t4<)-l5o Les relations du Maroc avec le Soudan à travers les ~!r~es (M. DELAFOSSE, H.). 150-la! Sur la piste du mystérieux I3oalin (AuRt.4,~NT, MF). 151 I La concession de Thémislocle Lestiboudois (A. JULIEN,

Rêv.!848). 152-153 Saint Vineent de Paul et la Blissiolt de Barbarie

(P. CosTE, RHl9i). 154 Rapport de Jean Le Vacher (RHMi). 155 L'Alerte de 1830 à 1870 (Ch. A. JULIEN, Rév. 48). 302 Aurélie Tedjani, princesse des Sables (M. B,usn:Œ.

RD.~1) 3o7-3o8 Le commandant de La Morfctere lors du désastre de La rllacla (P. AxAN. BSGO). 4y-lv7a 7~tS<or[qMe du illusée d'0r<tf[ (F. DOUXIERGUE, BSGO). ~a-~y3 Un passage d'Ibn 7f/ta!dot)ft et du Bayait (E. F. GAO-

TrEn, H.). 477 Le cardinal Lavigerie(G. GOYAU, RD1I). ~77-479 Les premiers contacts de l'rlme franraise avec l'Afr-irl«e Musulrnane (Georges Goy-.tu, R. Hebd.). 638

Afrique occidentale ET équatoriale.

A. Paul Martt. L'établissement des Français dans le Haut-Sénégal (1817-1822) 5i-ii8, 210-268


l'anl Maktï. Tentatives de cliiisliaiiisalion eL de cons-

titution de l'élal-dvil des captifs sénégalais en

i8aS i8a.'i 3gf>-4 10 B. La carrière d'un marin nu xvm" siècle: Joseph de Flotte, 1734-1793 (Stéphane Moulin) par Ch. de i.a Ron-

CIKHK l33-l3'| Les Touareg du Nord (Région de Tombouctou-Gao) les

OuUimiden (A. Riciiek) par M. Delafosse 297-301 Souvenirs de la mission Savorgnan de Brazza (Georges

HitouNsiîAi.) par .1. T f>2Î-6aG Contribution à l'élude des populations et de l'histoire du Sahal Soudanais par (E. Blanc. BAOF) i/Jo-i/|3 Le fondateur de l'empire mandingue (1 Vidai., BAOF) i/|3-i/i'i '1 Olivier de Sanderoal, roi du Foula Djallon, (M. Gaili.ahu

BAOF; i45-ii<i Le Gana et le Mali cl remplacement de leurs capitales

(M. Diîi.AFossr:, BAOF) 1^7 î Essai sur l'histoire du pays Satamat (F. Martine BSRC et Geo) 3o5-3ofl Une féodalilé en Afrique Française les étais mossi

(M. ue Beauminy, AfFr.) ^7 1 Une expédition en Gambie française au secours des

Anglais (CI. Faliie, li. WisL) C3g-64o

I\I)ES ET DES INDES.

.1. Paul Or.~cwr.n. La Succession Benoit-Dumas 1- 2U Léon VtGxoLS ct Ilenri SÉF. Les ventes de la Compagnie

dcstndcsàNantcs(!~3-f~33). 48g-55u 13. lüslury of Olaurilius (S. B. DE BUI1GII-EDWAIIDS) 45~-453 Calalogac des ntanuscrits des ancie~tnes archives de

l'Inde Française, Tome Il, (Edm. GAUDAIIT)

par A. ~IARTINL.4,U lt53-455 C. L'o6servaloire de Tananarive, par C. BoissoN (ItH~Ii) 155-156 Un officier d'irtfanlerie de marine à Dlaclagascar par

H. MAMiN (Sab.). 306 L'lle de France, rapport de Kcrgaelett (Ch. DupLO~B

Geog.). 635-636 La prise de Tananarive (genurat AoBtEu, RUM). 636-63¡


Indo-Chine, Extrême-Orient ht Pacifique.

A. UN AMI Du VfEux-HLÉ. L'ffuvre des \mis du YiftixIllié 321-394 13. de ROL:GArNVIi.LE, Voynye aulour du monde J 20- J 21 L'amiral Dupré et la conquête du Tonkin Y1. DUT[tE#S, ta6 The Discooery of Auslralia (G. A. WooD) par M. L. HÉ1.0UlS 302-3o3 B. CamLodye cl Cambodgiens (PaulCof.LA!to). 455-459 C. Le quarlier des Arènes 1. Jean de la Croix el les Prerniers jésuiles (L. (.ADIÎ~.RE, I3AV11). 303-30fl C. Pierre Larnbert de la Molhe, évêque de CRry<e (H. DE FIIONDEVILLE, RH\)i). t55 Contre les Tai Pings eta 1862 (J. TRAMOKD. RM). ~8o-~8< Au Tonkin (R. BONNAL, R[C). 64m Ressources fcnancières el économiques de l'oncien Annam (R. DELOUSTAL, RIC). 6lil D. Notice nécrologique sur Louis DelaporLe, par A. CABATON. 48t-~8~

Amérique.

A. Emile Lauvrièiie. Les Jésuites en Acadie. 173-210 René LE Conte. Les Nouveaux Pays-Bas et la Nouvelle

Suède 269-282 B. The voyages 0/ Jacques Cartier (II. P. ISigoar) par Ch. de LA Roncière 119-120 The Falkland Islands (V. F. Botson) par H. Deiiékain.. 121-128 La tragédied'un peuple (Emile Lauvrière) i3i B. The evolution ofFrench Canada (J. C. Bracq) par E. LAuVR1V.RE 283-285 Histoire militaire de la Révolution de Saint-Dcmingne

(colonel Nemours) par J. Tramoîsd 461 -464 Une histoire des colonies anglaises aux Antilles de 1648

à 1660 {P. A. Watts) par J. Tramond 467-468 Nevis and Saint-Chrislopher, 1782-178/i, (P. A. WATTS) 468-471 C. La conservation des paysages historiques de la Province de Québec (F. X. Chouinaiid, BSGQ). i4"-i48 C. Notes on lhefale of the Acadians (C. E. Lart, CHR) i48 -i4q Le P. Sebastien Racle (G. Goyau, RHMi) i5a-iï3 Prière de Joseph Chiwatenhoa (RHMi) i56


Sanmei (:Jvamplaira et soit uoyayc aux Indes Occidenlales

(L.FKATt.BSGQ). 3o4-3(.5 Cap<aM Jolw Afof(<rMor ira C~t/fada, (F. NI. MOi4TItÉl-

son CIIR) 306 Congu~ede<'fteSat/t<-C~-k<op/ts<'ft~783(J.Du))tEux. Sa) 306 Le fort des Messieurs (0. MAURAU).r. RTC). 3o8-3io TJee Quebec l'ur-lradcrs and Weslerre Policy, /763-<77/<

(Miss M. C.RE.D.CHR). 473-474 &'tt&stftt'sed/n<ermar)'t<!<ye roith the Indians (J. B. BnEBCEm,

CHR). 475 Lettre de T.·ictor Sch~lclrer- sur l'émarecipalion des noirs

(G. VAUTn)EH.Hev.48). 477 Les commureications entre la France et l'Areylelerr·e pen-

dant la Guerre de <'7ftd~/Mtt(&mce Américaine

(P. AULIIIAN, RM). 479-480 La dlme dans la province de Québec (P. LAVOIE, RTC) 481-483 Documents inédits sur Sainl-Domingue el la Tortue

(G. SAiNT-YvEs, CTH). 632-633 Lettres Louisianaises du chevalier de Pradel (M. DE

PHADEL DE LAMAZE, CTH) 634-635 A'OMttFran.cta. 636 Un épisocle des troubles de Saint-Doiningue (D' E. VER-

GNIAUD, HEH).–637-638 Notre-Dame de Montréal. Le pre~~ere-semtttct~e. "0' (0. DIAUBAULT, RTC) 64a-643* Les Postes (V. GAUDET, P~TC) 6 3'.


EXTRAITS DES STATUTS

ART. a. La Société édite une revue trimestrielle et public des documents originaux et des volumes d'histoire.

Aht. 5. La Société se compose de membres fondateurs, de membres titulaires, de membres adhérents et de membres perpétuels.

Les membres fondateurs sont les personnes, sociétés ou administrations dont les versements annuels sont d'au moins mille francs.

Les membres titulaires versent au moins 100 francs par an et les membres adhérents au moins 3o. Ces prix sont respectivement de tao francs et de 4o francs pour l'étranger. Les membres peipéluels sont ceux qui ont racheté leur cotisation. Ce rachat est calculé d'après l'âge des membres, sur les bases suivantes

Au-dessous de quarante ans, douze fois la cotisation annuelle; Entre quarante et soixante ans, dix fois;

Au-dessus de soixante ans, huit fois

ART. 8. Toutes les publications statutaires de la Société sont délivrées aux membres d'honneur, perpétuels, fondateurs et titulaires.

Les membres adhérents reçoivent seulement la Revue; mais ils peuvent se procurer chacun un exemplaire des autres publications de la société, moyennant une remise de 4o °/« sur le prix marqué.

Ne sont pas considérés comme publications statutaires les tirages à part de la Revue, même groupés en volumes.

Toutes les cotisations, comme toutes les communications relatives à la rédaction de la Revue ou à l'administration de la Société, doivent être adressées au Siège de la Société, 28, rue Bonaparte, PARIS VIe.

i. Les cotisations antérieurement acquittées viennent en déduction de ces sommes à raison de 10 francs par an pour les membres adhérents et avec un minimum de rachat de i5o francs.

Les sociétés ou administrations dont l'existence peut être considérée comme indéfinie, ne peuvent racheter leurs cotisations.


OLYIUGKS PUBLIÉS SULS LE PATRONAGE

DE L\

SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

Les Origines de Mahé de Malabar, par Alfred Mautineau. 1916, in-8 de xiv-Sifi p. i5 fr. La question de la Louisiane, par F.-P. Rknact 1918, in-8 de aia p 12 11,. Le racte de famille et l'Amérique. La politique franco espagnole de 1760 à 1792, par F. P. Uknault. 1923, in-8 de 458 p. a8 ir. Dupleix et l'Inde française, par Alfred Mahtineau. 1920, 2 vol. in-8 de xi-534 et xvi-544 p 3o et 36 fr. La Famille Dupleix en Chatelleraudais aux XVI° et XVII° siècles, par Maurice Phouteaux. 1921, in-8 de 60 pages 6 fr. Mahé de la Bourdonnais, par Pierre Crepin, 192a, xvi-488 p. 3o fr. L'Amiral Dupré et la conquête du Tonkin, par M. Dlti<i:d. 1923, in-8 de xxiv- 1 38 p io fr.

VILLES ET TRIBUS DU MAROC Documents publiés parla Section Sociologique du Maroc

Volumes 1 et II. Casablanca et les Chaouïa. T. I" et H, chacun. 30 fr. Volumes m, IV, V et VI. Rabat et sa région. T. 1 à IV, chacun. 2o fr. Volume VII. Tanger et sa zone. 3o fr. Chaque volume, gr. in-8, contient do nombreuses planches et cartes

Marty (Paul). L'Émirat des Trarzas, gr. in-8, planches et cartes 3o fr. Études sur l'Islam et les tribus du Soudan.

TomeI".£es/fou;i/ad«rjSs(,gr.in-8, planches et cartes. 3o fr. Tome II. La région de Tombouctou, gr. in-8, planches et cartes 4o fr. Tome III. Les tribus maures du Sahel el du Hodh, gr. in-8, planches et caries. 3o fr. Tome IV. La région de Kayes, gr. in-8. planches et cartes. 3o fr. L'Islam en Guinée, gr iri-8, planches et cartes 35 fr. – L'Islam en Mauritanie et au Sénégal, gr. in-8, planches et cartes

Tome Ier. Les personnes a5 fr. Tome II. Les doctrines el les institutions a5 fr.


L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

Au siège de la Société: 28, RUE BONAPARTE. BU VENTE AUX

ÉDITIONS LEROUX, même adresse.

REVUE

TREIZIÈME ANNÉE

Il' TRIMESTRE

DE

1925

PARIS


REVUE DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES Souscription annuelle 3o francs.

Prix du Numéro 7 fr. BO

SOMMAIRE DU 5o

Pages

Histoire coloniale et Psychologie ethnique, par Georges

Hardy 161-172 Les Jésuites en Acadie, par Emile Lauvkikre 173-210 L'établissement des Français dans le Haut-Sénégal (181 7-

183a), (SuiteJ, par Paul Mahty 211-268 Les Nouveaux Pays-Bas et la Nouvelle Suède, par René

LE Contjî 269-282 COMPTES RENDUS ET NOTES DIVERSES. 28S-320 1. Comptes rendus et Notes bibliographiques. a83-3o3 Il. Ilevue des Revues. 3oî-3io 111. Noies et Nouvelles 310-320

PUBLICATIONS

DE LA.

SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

Revue de l'Histoire des Colonies Françaises. Années 191 3 à iga/|. Chaque année 3ô fr. Premier voyage du Sieur de la Courbe fait à la Coste d'Afrique en 1685, publié par P. CULTRU. LVIII-320 p.. 18 fr. JEAN LAw DE Lauiuston Mémoires sur quelques affaires de l'Empire Mogol <1756-1761), publiés par A. MARTINEAU. Lxv-59o p 3o fr. La Mission de la «Cvbèle» en Extrême-Orient (18 17-1818), Journal de voyage du capitaine A. de Kergariou, publié par Pierre DE JOINVILLE. XXl-2/18 p l5 fr. La Relation sur le Tonkin et la Cochinchine de M' de la Bissachère (1807), publiée par Ch. B.-Maïboh. 186 p. 10 fr. Instructions aux Gouverneurs français en Afrique oceidentale. T. 1 1763-1831, publiées par Chr. Schefer. xxxh496 pages. Prix. 3o fr.


L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

TREIZIEME ANNEE

Aa siège de la Société aS, aoB Bohapaotb. BS VEBTE AVX

ÉDITIONS LEROUX, même adresse.

REVUE l

DE

1925

III* TRIMESTRE

PARIS


REVUE DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES Souscription annuelle 3o francs. Kl ranger 37 fr. 5o

Prix du Numéro 7 fr. 80

SOMMAIRE DU ÏN° 5i

Pages

L'Œuvre des Amis du Vieux-Hué (1913-1993), par un

Ami du Vieux-Hué 3ai-3g4 épisodes de l'Histoire du Sénégal. Tentatives de cllris-

tianisa lion et de constitution de l'état-civil des Captifs

sénégalais en 1823-1824, par Pnul Makty 3g5-£io Le projet français de commerce avre l'Inde par Suez sous

le règne de Louis X 1, par F. Chaules-Roux 4"-448 COMPTES iiendus ET NOTES DIVERSES.

I. Comptes rendus et Notes bibliographiques 4fl9-4"i II. Revue des Revues ("171-482 III. Notes et Nouvelles 48a-488

PUBLICATIONS

DE LA

SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

Revue de l'Histoire des Colonies Françaises. Années 1913 à 1924. Chaque année. 3o fr. Premier voyage du' Sieur de la Courbe fait à la Coste d'Afrique en 1685, publié par P. CULTRU. lviu-32o p.. 18 fr. JEAN Law DE Lauriston Mémoires sur quelques affaires de l'Empire Mogol (1756-1761), publiés par A. Mautineau. LXV-590 p. 3o fr. La Mission de la « Cybèle » en Extrême-Orient (1817-1818), Journal de voyage du capitaine A. de Kergariou, publié par Pierre DE JOIHVILLE. XXl-248 p l5 fr. La Relation sur le Tonkin et la Cochinchine de M' de la Bissachère <1 807), publiée par Ch. B.-Maibon. 186 p io fr. Instructions aux Gouverneurs français en Afrique occidentale. T. I: 1763-1831, publiées par Chr. Schefeh. xxxh496 pages. Prix 3o fr.


REVUE H

DE "^̃w^_

L'HISTOIRE DES COLONIES 1 FRANÇAISES

TREIZIÈME ANNÉE

1925

IV TRIMESTRE

PARIS

Au siège de la Société a8. hue Bonaparte. ̃H VENTE AUX

ÉDITIONS LEROUX, même adresse.


SOMMAIRE DU 5a

l'âge»

Les ventes de la Compagnie des Indes à Nantes (17231733), par Léon Vignols et Henri Sée 489-55o Le projet français de commerce avec l'Inde par Suez sous le règne de Louis XV| (suite), par F. Charles-Koux.. 55i-6i8 COMPTES hendus ET NOTES diverses.

1. Comptes rendus et Notes bibliographiques. 619-171 II. Revue des Revues. /171-483 III. Noien l't Nouvelles iSi-ôiÔ Table méthodique nrcs Matikres. 647-65»

EXTRAITS DES STATUTS

ART. i. La Société édite une revue trimestrielle et publie des documents originaux et des volumes d'histoire.

Art. 5. La Société se compose de membres fondateurs, de membres adhérents et de membres perpétuels.

Les membres fondateurs sont les personnes, sociétés ou administrations dont les versements annuels sont d'au moins cinq cents francs.

Les membres adhérents sont les personnes versant une cotisation, dont le montant est fixé chaque année au mois de novembre par simple décision du Comité 1.

Les membres perpétuels sont ceux qui ont racheté leur cotisation. Ce rachat est calculé d'après l'âge des membres, sur les bases suivantes

Au-dessous de quarante ans, douze fois la cotisation annuelle; Entre quarante et soixante ans, dix fois

Au-dessus de soixante ans, huit fois*.

1. Les prix ont été ainsi fixés pour l'année 1936

France et Montes 40 frs. Autriche, Belgique, Grèce, Hongrie, Italie, Pologne,

Portugal, Roumanie, Tehéoo-Slovaquie, Yougo-Slavle, SO frs. Autres pays 100 tr~s. a. Les cotisations antérieurement acquittées viennent en déduction de ces sommes à raison de 10 francs par an.

Les sociétés ou administrations dont l'existence peut être considérée commt indéfinie, ne peuvent racheter l«urt cotisations


Art. M. toutes les publications statutaires (le la Société sont délivrées aux membres d'honneur, perpétuels et loudateurs.

Les membres adhérents reçoivent seulement la Revue; (liais ils peuvent se procurer chacun un exemplaire des autres publications de la société, moyennant une remise de 4o°/. sur le prix marqué.

Ne sont pas considérés comme publications statutaires les tirages à part de la Revue, même groupés en volumes.

PUBLICATIONS

DE LA

SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES KRAMÇ AISES

Revue de l'Histoire des Colonies Françaises. Années 1913 à 1925. Les trois premières années, 5o fr., les autres. 4o fr. Premier voyage du Sieur de la Courbe fait à la Coste d'Afrique en 1685, publié par P. Cuirau. Lvm-3ao p.. 18 fr. Jean Law de Laumston Mémoires sur quelques affaires de l'Empire Mogol (1780-1701), publiés par A. Martineau. Lxv-5go p 3o fr. La Mission de la « Cybèie » en Extrême-Orient (1817-1818), Journal de voyage du. capitaine A. de Kergariou, publié par Pierre DE Joinville. xxi-a48 p i5 fr. La Relation sur le Tonkin et la Cochinchine de M' de la Blssachère (1807), publiée par Gh. B.-Maybon. 186 p. io fr. Instructions aux Gouverneurs français en Afrique occidentale. T. I: 1768-1831, publiées par Chr. Schefer. xxxii496 pages. Prix 36 fr.


ÉDITIONS ERNEST LEROUX, 28, uue Bonaparte

OUVRAGES PUBLIÉS SOUS LE PATRONAGE

DE I>1

SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

Les Origines de Mahé de Malabar, par Atfred Martikeau. 1916, in-8 de xiv-3iti 'p. i5 fr. La question de la Louisiane, par F.-P. Renault. 1918. in-8 de a4a p '̃' 19 fr. Le Pacte de famille et l'Amérique. La politique franco-espagnole de 1760 à 179a, par F. P. Renault. 193a, in-8 de 458 p. 28 fr. Dupleix et l'Inde française, par Alfred Maktivrau. 1930 cl 1933, 2 vol. in-8 de xl-534 et xvj-544 p. 1" vol., 7a fr.; 2e vol., 36 fr. La Famille Dupleix en Chatelleraudais aux XVI" et XVII" siècles, par Maurice PROUTEAUX. 1921, in-8 de 6o pages 6 fr. Mahé de la Bourdonnais, par Pierre Crepin, 1933, xvi-488 p. 3o fr. L'Amiral Dupré et la conquête du Tonkin, par M. DUTREB. 1923, in-8 de xxiv-i38 p. 10 fr.

VILLES ET TRIBUS DU MAROC Documents publiés par la Section Sociologique du Maroc

Volumes 1 et II. Casablanca et les Chaouia. T. I" et Il, chacun. ao fr. Volumes III, IV, V et VI. Rabat et sa région. T. I à IV. chacun. îo fr. Volume VII. Tanger et sa zone. 3o fr. Chaque volume, gr. in-8, contient de nombreuses planches et cartes.

MARTY (Paul). L'Émirat des Trarzas, gr. in-8, planches et cartes. 3o fr. Études sur l'Islam et lés tribus du Soudan.

Tomel". Les Koirnta de l'Est, gr. in-8, planches et cartes. 3o fr. Tome Il. La région de Tombouctou, gr. in-8, planches et cartes 4o,fr. Tome- IIL Les tribus maures du Sahel et (fa tiodli, gr. iri-8, planches et cartes ̃ :̃̃; ̃ -3ofr. Tome IV. La région de.Kayes, gr.in-8, planches et cartes. 3o fr. L'Islam en Guinée, gr. in-8, planches et cartes. 35 fr. L'Islam en Mauritanie et au Sénégal, gr. in-8, planches et cartes.

Tome I". Les personnes a5 fr. Tome II. Les doctrines elles institutions a5 fr.


EXTRAITS DES STATUTS

Aht. a. La Société édite une revue trimestrielle et publie des documents originaux et des volumes d'histoire.

ART. 5. La Société se compose de membres fondateurs, de membres titulaires, de membres adhérents et de membres perpétuels.

Les membres fondateurs sont les personnes, sociétés ou administrations dont les versements annuels sont d'au moins mille francs.

Les membres lilulaii-es versent au moins 100 francs par an et les membres adhérents au moins 3o. Ces prix sont respectivement de iao francs et de ho francs pour l'étranger. Les membres perpétuels sont ceux qui ont racheté leur cotisation. Ce rachat est calculé d'après l'âge des membres, sur les bases suivantes

Au-dessous de quarante ans, douze fois la cotisation annuelle; Entre quarante et soixante ans, dix fois;

Au-dessus de soixante ans, huit fois1.

Aht. 8. Toutes les publications statutaires de la Société sont délivrées aux membres d'honneur, perpétuels, fondateurs et titulaires.

Les membres adhérents reçoivent seulement la Revue; mais ils peuvent se procurer chacun un exemplaire des autres publications de la société, moyennant une remise de 4o "/“ sur le prix marqué.

Ne sont pas considérés comme publications statutaires les tirages à part de la Revue, même groupés en volumes.

toutes les cotisations, comme toutes les communications relatives à la rédaction de la Revue ou à l'administration de la Société, doivent être adressées au Siège de la Société, 28, rue Bonaparte, PARIS VI".

i. Les cotisations antérieurement acquittées viennent en déduction de ces sommes à raison de io francs par an pour les membres adhérents et avec un minimum de rachat de i5o francs.

Les sociétés ou administrations dont l'existence peut être considérée comme indéfinie, ne peuvent racheter leurs cotisations.


ÉDITIONS ERNEST LEROUX, 28, rue Bonapakte

OUVRAGES PUBLIÉS SOUS LE PATRONAGE

Da LA

SOCIÉTK DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

Les Origines de Mahé de Malabar, par Alfred MARTINEAU. 1916, in-8 de xiv-3i6 p. «5 fr. La question de la Louisiane, p.ir F.-P. Renact. 1918. in-8 de a.'i 1) 12 fr. Le Pacte de famille et l'Amérique. La politique franco-espagnole de 1760 à 1792. par F. P. Renault. 1933, in-8 de 458 p. a8 fr. Dupleix et l'Inde française, par Alfred Mahti.seau. 1920 et 1923, 2 vol. in-8 de xt-534 et xvi-5'( p. 1" vol., 72 fr.; 2" vol., 30 fr. La Famille Dupleix en Chatelleraudais aux XVI" et XVII" siècles, par Maurice Pbouteacx. 1921, in-8 de 60 pages 6 fr. Mahé de la Bourdonnais, par Pierre Crepin, 1922, xvi-488 p. 3o fr. L'Amiral Dupré et la conquête du Tonkin, par M. Dutrkb. 1933, in-8 de xxiv-i38 p. 10 fr.

VILLES ET TRIBUS DU MAROC Documents publics parla Section Sociologique du Maroc

Volumes I et 11. Casablanca et les Chaouïa. T. Ier et II, chacun.. • J 20 fr. Volumes III, IV, V et VI. Rabat et sa région. T. 1 à IV, chacun. 20 fr. Volume VII. Tanger et sa zone. 3o fr. Chaque volume, gr. in-8, contient de nombreuses planches et cartes.

MARTY (Paul). L'Émirat des Trarzas, gr. in-8, planches et cartes 3o fr. Études sur l'Islam et les tribus du Soudan.

Tome I". LesKounla de l'Est, gr.in-8, planches et cartes. 3o fr. Tome II. La région de Tombouctou, gr. in-8, planches et cartes 4o fr.

Tome III. Les tribus maures du Sahel el du Hodk, gr. in-8, planches et cartes 3o fr.

Tome IV. La régîonde Kayes.gr. in-S.-pl&nchesel cartes. 3o fr. – L'Islam en Guinée, gr. in-8, planches et cartes. 35 fr. – L'Islam en Mauritanie et au Sénégal, gr. in-8, planches et cartes.

Tome I". Les personnes 25 fr. Tome II. Les doctrines et les institutions a5 fr.


EXTRAITS DES STATUTS

AnT. 2. La Société édite une revue trimestrielle et publie des documents originaux et des volumes d'histoire. AUT. 5. La Société se compose de membres fondateurs, de membres titulaires, de membres adhérents et de membres perpétuels.

Les membres fondateurs sont les personnes, sociétés ou administrations dont les versements annuels sont d'au moins mille francs.

Les membres titulaires versent au moins ioo francs par an et les membres adhérents au moins 3o. Ces prix sont respectivement de 120 francs et de 4o francs pour l'étranger. Les membres perpétuels sont ceux qui ont racheté leur cotisation. Ce rachat est calculé d'après l'âge des membres, sur les bases suivantes

Au-dessous de quarante ans, douze fois la cotisation annuelle; Entre quarante et soixante ans, dix fois

Au-dessus de soixante ans, huit fois 1.

ART. 8. Toutes les publications statutaires de la Société sont délivrées aux membres d'honneur, perpétuels, fondateurs et titulaires.

Les membres adhérents reçoivent seulement la Revue mais ils peuvent se procurer chacun un exemplaire des autres publications de la société, moyennant une remise de 4o "/“ sur le prix marqué.

Ne sont pas considérés comme publications statutaires les tirages à part de la Revue, même groupés en volumes.

Toutes les cotisations, comme toutes les communications relatives à la rédaction de la Revue ou à l'administration de la Société, doivent être adressées au Siège de la Société, 28, rue Bonaparte, PARIS VI*.

i. Les cotisations antérieurement acquittées viennent en déduction de ces sommes à raison de io francs par an pour les membres adhérents et avec un minimum de rachat de i5o francs.

Les sociétés ou administrations dont l'existence peut être considérée comme indéfinie, ne peuvent racheter leurs cotisations.


OUVRAGES PUBLIÉS SOUS LE PATRONAGE

DE LA

SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES

Les Origines de Mahé de Malabar, par Alfred MjumNEAu. 1916, in-8 de xiv-3i6 p. i5 fr. La question de la Louisiane, par l-P. «ikai-t. 1918, "in-8 de aîa p 12 fr. Le Pacte de famille et l'Amérique. La politique franco-espagnole de i^lio à 179a, par F. P. Uknault. 1922, in-8 de /|58 ]> 28 ir. Dupleix et l'Inde française, par Alfred Mautiniîau. 1920, 2 vol. in-8 de xi-53/i et xvi-5.44 p 3o et 36 fr. La Famille Dupleix en Chatelleraudais aux XVI" et XVII0 siècles, par Maurice Prouteaux. 1931, in-S de 60 pages 6 fr. Mahé de la Bourdonnais, par Pierre Chiïpin, 1932, xvi-488 p. 3o fr. L'Amiral Dupré et la conquête du Tonkin, par M. Dutbeb. 1923, in-8 de xxiv-i38 p 10 fr.

VILLES ET TRIBUS DU MAROC Documents publiés par la Section Sociologique du Maroc

Volumes I et II. Casablanca et les Chaouïa. T. Ie* et II, chacun ao fr. Volumes III, IV, V et VI. Rabat et sa région. T. I à IV, chacun. 20 fr. Volume VII. Tanger et sa zone 3o fr. Chaque volume, gr. in-8, contient de nombreuses planches et cartes.

Mautt (Paul). L'Émirat des Trarzas, gr. in-8, planches et cartes 3o fr. Études sur l'Islam et les tribus du Soudan.

Tomel". Les Kounia de l'Est, gr. in-8, planches et caries. 3o fr. Tome II. La région de Tomhouctou, gr. in-8, planches et caries 4o fr. Tome III. les tribus maures du Sahel et du Hodh, gr. in-8, planches et cartes 3o fr. TomelV. La région de Kayes, gr. in-8, planches et cartes. 3o fr. L'Islam en Guinée, gr. in-8, planches et cartes. 35 fr. L'Islam en Mauritanie et au Sénégal, gr. in-8, planches et cartes.

Tome 1°'. Les personnes a5 fr. Tome Il. Les doctrines et les institutions 25 fr.