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Titre : Vie de saint Martin / par Sulpice Sévère,... ; traduit du latin par M. Richard Viot. Précédé d'une Notice historique sur Sulpice Sévère / par M. l'abbé J. J. Bourassé,...

Auteur : Sulpice Sévère (0363?-0420?). Auteur du texte

Auteur : Bourassé, Jean-Jacques (1813-1872). Auteur du texte

Éditeur : impr. de A. Mame (Tours)

Date d'édition : 1861

Contributeur : Viot, Richard (18..-19..?). Traducteur

Sujet : Martin (0316?-0397 ; saint)

Notice d'oeuvre : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12520794t

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31420397n

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (VIII-135 p.) ; in-8

Format : Nombre total de vues : 140

Description : [Vie de saint Martin (français). 1861]

Description : Comprend : Notice historique sur Sulpice Sévère

Description : Contient une table des matières

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k102665j

Source : Bibliothèque nationale de France, département Fonds du service reproduction, 8-Ln27-13599

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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SAINT MARTIN

DE

DE


VIE

DE

SAINT MARTIN PAR

SULPICE SÉVÈRE DISCIPLE DB SAINT MARTIN

TR1DU1T DU LlTIR

PAR M. RICHARD VIOT

PR$6$D$ D'UHB ·

NOTICE HISTORIQUE SUR SULPICE S~9ÈRE ~AR M. L'ABBÉ J.-J. BOURAsst, (f?'<lJ.J.N~'IJi~ DE L'ÉGLISE MÉTROPOLITAINE DE.TOURÇ.

1 r! J .f ,nnc.S). I ·

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TOURS

IMPRIMERIE Ad MAME ~E'P Cie U6~


Le tombeau de saint Martin témoin de miracles sans nombre fut le but d'un pèlerinage très-,fréquenté durant de longs siècles. Malgré les ,calamités pub\ique~ qui désolèrent trop souvent notre pays le chemin de la basilique de Saint-Martin ne resta

h

jamais désert. Les populations èhrétiennes accouraient à Tours de toutes les contrées du monde. Grands' et. petits,. riches et pauvres, venaient..avec un égal empressement rendre hommage au patron des Gaules. Tous étaient attirés soit par l'espoir, soit par. la reconnaissance tous rivalisaient de zèle pour, célébrer sa protection puissante et chanter ses louanges.

Nous n'avons point. à redire ici ces merTeilles. Si nous en rappelons- le souvenir,


c"est seulement pour exciter, envers notre illustre Protecteur, la confiance qui ne s'est jamais éteinte dans les coeurs et que' justifieront toujours de nouvelles faveurs dues à son intercession.

En 1562, la Providence permit que les huguenots, devenus maîtres de la ville de Tours, missent au pillage toutes les églises, et consommassent leurs forfaits par. le plus affreux sacrilége: ils livrèrent aux flammes les. reliques 'de saint Martin. Cet attentat causa une douleur unIverselle. Dieu ce-, pendant pour consoler ses fidèles servi- teurs, inspira à un vertueux prêtre le cou-: rage de braver la mort, afin d'arracher au: feu quelques parcelies, au moins de ces précieuses reliques. Un dévouement si hé-. roïque reçut sa récompense. Il sauva 'la'! majeure partie du chef et un os de l'avant- bras du saint évêque de Tours, et nous les possédons encore.. D'autres dévastations, plus terribles encore que les .pFécé4~ntes,; vinrent aflligér


et bouleverser 'la.Franèe' à la fin du siècle dernier.' La basilique de Saint-Martin fut emportée par l'orage. On gémissait la' pensée que cette déstruction pût être irréparable. On regrettait amèrement surtout de voir le tombeau de notre grand évêque profané et. à jamais perdu pour la piété des fidèles. Une fausse tradition prétendait que l'emplacement du sépulcre se trouvait au milieu de la voie publique. Après plus d'un' demi7'siècle, 1.'erreur fut 'reconnue à l'aide d'un plan enfoui jusque-là .dans la pous. sière des Archives du départemént d'l~ndreet-Loire. C'était une véritable découverte, et les dévots serviteurs de saint Martin èn furent ravis de joie. Grâce à un dévouement généreux, qui n'a pas tai~dé à obtenir. sa récompense le 11 novembre 1860, on retrouva le tombeau de saint Martin, con- servP, comme par miracle, au milieu des décombres de" l'antique église. Cette invention a' été un jour de fête. Les pèlerins pourront donc venir encore s'agenouiller


autour de cette glorieuse tombe, et le sanctuaire de saint Martin redeviendra la terre' des miracles 1

Cet heureux événement a fait naitre la pensée de publier Ia Yie de saint JVlartin, par Sulpice Sévère, disciple du saint évêque de Tours. La lecture de ce volume réveilIera' la dévotion envers notre thaumaturge. Puisse le nôm de sain Martin se trouver sur toutes les lèvres puisse la charité dont il a été un si parfait modèle régner dans tous les coeurs


.NOTICE HISTORIQ.~E

SUR

SULPICE, S'ÉVÈRE

Sulpice Sévère, issu d'une fa~ille', illustre, naquit vers l'an 350, dans la province d'Aquitaine. Son éducation répondit à la richesse et aux vues ambitieuses de ses parents. A l'exemple de plusieurs de ses contemporains devenus 'célèbres, Sulpice' Sévère débuta de bonne heure au barreau. C'était alors, comme jadis 'Rome, le chemin le plus court pour arriver aux dignitésï L'habitude de la parole et le maniementvdés affaires révélaient promp= tement, chez les hommes instruits et sérieux, l'aptitude aux' fonctions élevées de l'empire.


Sulpice s'y distingua par son éloquence, la souplesse de son esprit, son habileté à déj~uer les artifices de la chicane, la rectitude de son jugement, et la solidité de son argumentation. Sa réputation- se répandit au loin. Comblé des dons de la fortune et du génie, il pouvait aspirer sans témérité aux premières charges de rétat. Entièrement absorbé par les: préoccupations mondaines, dans un âge où toutes les espérances sourient il l'imagination, il s'engage!l'dans le mariage en épousant une femme de famille consulaire, également remarquable par ses richesses et ses alliances. Sa bellemère se nommait Bassula. Il était impossible à un jeune homme d'entrer dans la carrière des honneurs sous de plus heureux auspices. Hélas 1 tous ces ~èaux rêves. d'avenir ne tardèrent pas à s'évanouir. La Providence lui réservait une destinée plus glorieuse. La mort lui ravit son épouse et le plongea dans une tristesse profonde. Heureusement son âme, au milieu de tant d'illusions était restée chrétienne. Au lieu de se laisser abattre par le désespoir, il sc redressa énergiquement, et chercha des consolations dans la piété. Dieu; ré-


compensa magnifiquement sa foi entre mille autres grâces, il lui'ménagea celle de', devenir l'ami de saint Martin, évêque de Tours. Sulpice Sévère fut affermi dans ,sa résolution de quitter le monde par un compagnon d'enfance et d'études, saint Paulin, qui r~enonça lui.même aux grandeurs du siècle après avoir été revêtu de la' dignité de consul, et fut plus tard la gloire de rÉglise de Nole, en Campanie. Sulpice était encore dans la première fleur de l'âge: 'son sacrifice en fut plus méritoire. Il n'hésita pas un moment, et, en se consacrant au service de Dieu, il se,dépouilla sur -.le -champ de la propriété, de ses biens, qui étaient considérables. Cependant, à l'imi'tation de saint Ambroise, il ne vendit pas ses héritages pour en distribuer le prix aux pau'Tes; il' se contenta de les céder à l'Église" en s'en réservant l'usufruit~ Ce genre d'aban'don plaisait davantage à ces grands personnages, accoutumés à exercer directement une influence active sur les hommes. Saint Paulin exalte en termes pompeux' cet acte de désintére1sse.ment, -qu"il regarde 'CODlIne l'accomplissement,'(Iu précepte de saint Paul recomman-


dant aux chrétiens de posséder comme s'ils ne possédaient,pas.

Personne ne l'ignore, les généreuses résolutions, comme les. grandes oeuvres, sont'ordinairement soumises aux épreuves. En, cette occasion, Dieu n'en dispensa .pas son ~senviteur. Sulpice rencontra des contradictions et des obstacles de tous côtés. Son changement de vie irrita son père, et excita la risée de ses anciens amis. A ces chagrins,. dont l'amertume le désolait, vint se joindre la maladie. A deux reprises différentes il tomba grièvement malade mais sa force -d7àme~ aidée~ de la. grâce divine, triompha de toutes les tentations., Peu de temps après sa conversion, Sulpice Sévère vint à Tours visiter saint Martin. L'histoire ne nous a pas fait connaître la cause de ce voyage. Nous pou-vonsl'attrifiuer à cet attrait invincible qui poussait vers l'illustre évêque' de Tours les coeurs héroïques, saintement passionp.éspour Dieu et pour son Église; amoureug des rigueurs salutaires de la mortification de la croix, animés de l'amour du prochain. On croit communément que cette première entrevue eut lieu vers l'an 393. Sulpice-.fut 1


accuéilli avec les témoigriages les' plus touchants de,.bonté et d'affection. de la part 'de saint Martin. L'humble' évêque le 'remercia d'abord de ce qu'il avait entrepris en sa considération un si long et si pénible voyage. Il le fit asseoir à sa table faveur qu'il accordait. rarement, surtout aux grands du monde. « Quelque-misérable que je sois, dit Sulpice Sévère, je n'ose presque le 'reconnaître;: ce grand saint m'a' fait. 1"honneur de me recevoir à sa table de me verser de l'eau sur les mains, de me laver les pieds. Il n'y eut pas moyen de m'en dispenser, ni de' m'y' opposer. Je fus tellement accablé du poids de son autorité, que j'aurais cru faire un crime de ne. m'y pas soumettre. »

Ainsi saint Martin remplissait envers un étranger les devoirs de l'hospitalité chrétienne; ainsi commença pour Sulpice Sévère cette douc* e familiarité avec notre saint évêque, qui fit l'honneur et la consolation de sa vie'. D~ant son séjour à Tours, Sulpice: étudiait la vie" et les vertus de saint )Iartin, comme le meilleur modèle 'à'suivre; déjà, même il avait conçu le dessein de mettre par écrit tout ce qu'il avait


appris des actions de notre illustre évêque. Jamais projet littéraire, ne porta plus bonheur à un écrivain :la postérité connaît surtout Sulpice Sévère comme l'historien de saint Martin: Quoique notre saint prélat eût l'habitude de ne jamais parler de lui-même, et de cacher les gràces particulières que Dieu luiaccordait, Sulpice cependant affirme qu'il apprit, de sa propre bouche une partie des faits racontés' dans son histoire. D'autres traits, avec quantité de circonstances intéressantes, lui furent révélés par les clercs de l'Église de Tours ou par les moines. de Marmoutier. Peu d'auteurs ont eu la même bonne fortune. Aussi son récit peut-il être. 'considéré comme entièrement digne de foi, puisqu'il s'appuie constamment sur le rapport de témoins 'oculaires, quand il ne reproduit pas les paroles. mêmes: de saint Martin. A récole d'un maître si habile, Sulpice fit de rapides progrès. Non content de venir de temps en temps passer quelques jours de retraite à Marmoutier, il transforma sa propre maison en communauté. 'Là, au milieu de ses anciens serviteurs et esclaves; devenus ses


frères en Jésus-Christ, il mettait en pratique les plus austères exercice~ de la mortification, et passait ses jours dans les plus .douces occupations de la piété. Il eut des disciples, parmi lesquels on compte Victor., qui avait reçu les premières leçons de la vie monastique à Tours. Au sein de cette agréable, solitude, Sulpice Sévère, adonné à la méditation des choses célestes et à l'étude des saintes lettres, conservait une entière liberté .d'esprit; ét même cette aimable gaieté qui fut souvent le partage des serviteurs de. Dieu. On trouve une preuve charmante de cet enjouement. innocent dans une lettre qu'il écrivit à saint. Paulin.. Celui-ci l'avait prié, de, lui envoyer un cuisinier. Sulpice 1"informe ,qu'il est assez heureux pour pouvoir satisfaire à sa demande, et qu'il lui enverra bientôt, un serviteur plein de bonnes qualités. « Je ne veux pas toutefois, ajoutet-il"en trop vanter ses talents; car il a été élevé dans. ma: cuisine. où l'on ne fait ,cuirè',que des fèves,et d7autres légumes, où les mets les plus recherchés.sont une espèce de bouillie et. des herbes hachées, dont tout l'assaisonnement, n 'est que du,vinaigre et des


feuilles de plantes aromatiques.,» Saint Paulin et Sulpice Sévère vécurent toujours dans une étroite ,union~ Outre.1e trait que nous venons de citer, nous apporterons encore, comme preuve de leur intimité, les petits présents qu'ils étaient dans l'habitude d'échanger entre eux. Un. jour, Sulpice envoya' à lévèque de Noie un manteau de poils de chameau, grossier produit des fabriques du midi des Gaules. fi reçut en retour la tunique de laine que Pau~in avait reçue de sainte Mélanie.

Charmante simplicité touchants commerces de l'amitié chrétienne Les saints- ont souvent inventé de ces procédés qui enchantent les âmes candides. La religion épanouit ainsi les cœurs, et donne naissance à des fleurs suaves de sentiment et de délicatesse.

Nous ne diroas rien ici. de l'ouvrage de Sulpice Sévère sur l'Histoire sacrée, quoique ce livre justement estimé, lui ait mérité le surnom de Salluste chrétien. Nous préférons nous arrêter quelques instants à l'examen de la Vie de saint 1~1'artin, des Lettres et des Dialogues qui en forment le complément.- Il entreprit de rédiger la Yie. sur la demande de~Didier,


le même, comme on le croit, à qui saint JérÕme et saint Paulin ont. écrit. Lé ,but qu'il se propose est de contribuer au salut des hommes,. en leu~'mettant sous. les yeux un admirable modèle de toutes les vertus~l dédaigne la vaine estime des gens du.monde, plus occupés des artifices du langage que des, réflexions. sérieuses suggérées par la lecture de la vie des saints. La modestie lui fait dire, qu'il est inhabile à écrire, et qu'il ne rougit pis même de faire des solécismes. Les'amis de lalittérature latine le regardent néanmoins comme un des meilleurs auteurs de son siècle. Apeiiie eut-il achevé son travail, qu'il en remit une, copie saint Paulin. Celui-ci la porta à Rome, où chacun se.pressa de la lire. Les copies se multiplièrent rapidement, et la Vie de-saint Martin se lisait jusque dans les déserts de la Thébaïde, du vivant même de l'auteur. Jamais livre n'obtint un succès plus rapide et plus général. Le pieux évêque' de Nole félicite son ami de ce que ,Dieu ra jugé digne de publier. lés louanges d'un, si grand évêque, et illuf promet une réeompense éternelle. Ce. discours, dit-il, est comme un manteau dont ~ous, avez revêtu

1""


et paré le Seigneur Jésus, que vous avez, pour ainsi dire, couronné des fleurs de votre élo~ quence.»

L'ouvrage avait d.'abord paru sans nom d'auteur. Plus tard, Sulpice ne fit aucune difficulté de le reconnaître, et il s'en expliqua nettement dans les Lettres et les Dialogues. Ce n'est ce- pendant, selon l'aveu. même de Sulpice, qu'un abrégé de la vie de saint .Martïn; beaucoup 1 de faits :merve~euxont étépassés sous silence.' Nous n'acceptons pas l'excuse qu'il en ,donne; si ses contemporains avaient-eu peine à les croire, la postérité les aurait accueillis avec édification. Nous regrettons donc vivement cette fausse réserve de notre auteur. De son temps on s'en plaignit hautement, et. ces plaintes arrivèrent à son oreille. Afin de réparer ces omissions, Sulpice écririt ses Lettres et ses Dialogues. On Y trouve, en effet, la narration de plusieurs traits omis dans la Vie. Rien n'est plus édifiant que la longue lettre adressée à Bassula, sa belle-mère, où il ra.conte la mort de saint Martin en termes si touchants. L'Église en, a tiré la plus grande partie de l'office du saint évêque de Tours.:


On -a- pensé,avec raison;que les écrits de Sulpice,Sévère relatifs à, 1 s aint.Martin, écrits dont la,lecture fit, les délices de ses contemporains, et.fait. encore le charme de tous les,dévots selrviteurs du patr9n,des Gau1es;s~raient lus avec plaisir et.pro6t, Par ceux qui ignorent la langue latine, dans une traduction élégante- et fidèle, où, l'on s'est appliqué à conserver, autant que possible,~le caractère du texte original. Beaucoup de personnes aimeron~à parcourir les pages mêmes de Sulpice Sévère au lieu de s'arrêter aux commentaires plus ou moins in= génieux des historiens modernes. Les eaux sont toujours plus vives et plus pures à la source, que dans des ruisseaux éloignés, quand même les rives en,seraient émaillées de fleurs. Les goûts, d'ailleurs, sont. variés, et les fidèles seront heureux, nous n'en doutons' pas, de pouvoir se procurer la traduction d'un ouvrage aussi solide qu'attrayant,'Qu'il nous soit permis ici' de féliciter sincèrement l'auteur de cette traduction,. M.Richard Viot, qui a fait preuve à la fois de bon goût et de zèle pour le culte de l'illustre évêque de Tours.

Nous formons tous des vœux ardents poUr


que la dévotion envers saint Martin'se propage de plus en plus. La puissance de ce grand, pontife auprès de Dieu n7est pas -diminuél,.u. c'est toujours letbaumaturge et le patron 'des Gaules. Tous ceux qui l'invoquent avec confiance éprouvent les effets de son intercession- miséricordieuse.

A Tours le Il mai 1861, fête de la Subxention de saint Martin.

J .-J '~OURASSÉ chanoine.


SULPICE SÉVÈRE A DIDIER

SUR LE~ LIIIRE DE LA VIE DE 8~1NT 1H'ARTIN

Sévère, à son cher frère Didier, sateu

,RedoutaIit,les'jugements des hommes, et retenu pair une timidité naturelle, ravais l'intention de garder en manuscrit et de ne pas laisser sortir de chez moi le petit livre que j'ai écrit sur la vie de saint Martin. Je craignais que mon' style peu élé.gant ne déphit aux lecteurs, et ne me fit encourir le blâme universel car je m'emparais d'un sujet réservé à de savants écrivains, mais je n'ai pu résister à tes instances. Que ne sacrifierai-je, en ~tfet, à tOD'amitié, même en m'exposant à la honte J'ai cependait écrit ce livre, me fiant à la promesse que tu m'as faite, de ne le livrer' à personne. Je crains cependant que tu ne lui ouvres la porte, et' qu'une fois lancé, il ne puisse plus être rappelé. S'il en était ainsi, et. si quelques

LETTRE

DE


personnes le lisaient, supplie les d'attacher plus d'importance -aux faits qu'aux mots; et. de supporter patiefnment les défauts de style qui pourraient les choquer,. car le royaume de Dieu ne consiste pas dans l'éloquence, mais dans la foi; qu'ils se souviennent aussi que la doctrine du salut n'a pas été annoncée au monde'par des orateurs, mais par des pêcheurs; bien que. si cela eût été utile, le Seigneur eût pu le faire ainsi.

Lorsque pour la première fois je me décidai à écrire, dans la pensée. qu'il n'était pas permis de tenir cachées les vertus'd'un si, grand homme, je pris le parti de ne pas rougir des solécismes qui pourraient m'échapper car je ne suis pas très-savant en ces sortes de choses, et j'ai oüblié, pour ne pas m'y être exercé depuis fort longtemps, le. peu que j'en savais autrefois. Enfin pour ne pas prolonger ces excuses importunes, si tu le juges convenable, publie ce livre sans y joindre mon nom; pour, cela, efface-Je du titre, afin qu'il, annonce le sujet sans indiquer l'auteur, ce qui sera suffisant.,


SAINT MARTIN

I. La plupart de ceux, qui .ont' écrit la vie des hommes illustres, exclusivement, occupés de la poursuite d'une 'gloire toute mondaine, ont espéré par S'immortalis&. Sans avoir* ctimplétement réussi, ils ont: atteint. leur but en partie;' car, tout en acquérant une vaine renommée,: les beaux exemples qu'ils racontaient de ces hommes remarquables excitaient, une grande émulation parmi leurs -lecteurs. Mais ce soin qu'ils prenaient de la gloire de leurs héros, n'avaitpoint pour butla bienheureuse et. éternelle vie. Car, à quoi leur a servi cette gloire qui doit périr avec leurs écrits, et quel avantage a~ retiré la postérité de la, lecture des combats d'Hector ou des disputes philosophiques de Socrate, puisque c'est une folie de les imiter, et même' de ne pas les combattre avec énergie? Ne considérant dans la vie que le présent, ils se

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DE


sont nourris de mensonges, et ont enfermé leurs âmes dans la nuit du tombeau. Ils ont pensé seulement. à s'immortaliser dans la mémoire des hommes, tandis que tout homme doit- plutôt travaiuer à acquérir la. vie éternelle qu'à perpétuer sa mémoire sur cette terre, non par des écrits, des luttes ou des disputes philosophiques, mais en menant une vie pietise et sainte. Cette erreur, transmise d'Age en âge par les écrits des littérateurs, a tellement prévalu, qu'il s'est rèncontré beaucoup de partisans de cette philosophie insensée et de ce vain mérite. Je crois donc avoir fait ,quelque chose d'utile en écrivant la vie de ce saint homme; elle servira d'exemple à mies lecteurs, et les excitera à acquérir la véritable*sa- gesse, à combattre pour le ciel, et à méri ter la force d'en haut. En cela, je trouve aussi mon intérêt, espérant obtenir de Dieù une récompense et non des hommes un vain souvenir; car, si je~ n'ai pas vécu de manière à être proposé aux autres comme un modèle, je me suis du moins appliqué. à~ fâ.ire connaître celui qui mérite cet honneur. Je vais donc commencer à écrire la vie de saint Martin, et à dire comment il s'est conduit, soit avant, soit pendant son épiscopat', bien que je ne sois pas parvenu à connaître toutes les particularités' de sa vie et les faits dont il fut le seul témoin, puisque, ne cherchant pas la gloire qui vient des hommes, il s'efforça toujours de tenir ses vertus


cachées. J'ai même omis quelques-uns des faits que je connaissais, persuadé.'«il était suffisant de parler, des' plus',remarquables, et que pour mes lecteurs trop de' matières causerait peut-ètre de l'ennui. Je supplie ceux qui me liront d'ajouter foi à mes' récits, et d'être' convaincus que n,'ai écrit que des faits certains et avérés d'ailleurs mieux vaut se,1airè que de 'mentir.

IL-Martin naquit à Sabarie (1),. en Pannonie, de parents assez distingués, mais païens; il fut. élevé à Ticinum (2), ville d'Italie. Son père fut d'abord soldât puis devint tribun militaire. Martin embrassa' encorè jeune la carrière des armes, et servit dans la cavalerie, 'd~abord sous Co~ance puis sous Julien César; non par goût cependant, car, dès ses. premières années, cet illustre enfant ne respirait que le service de Dieu. N'ayant encore que dix ans,. il se rendit à l'église, malgré ses parents, et demanda à. être mis au nombre des catéchumènes. Bientôt après il se donna tout entier au service,de Dieu; et, quoiqu'il n'mît encore que d~uze ans il désirait passer sa vie dans la retraite. Il. aurait même exécuté ce projet, si la faiblesse de son âge ne s'y fût opposée; mais son âl4e, touj ours occupée de solitudes et d'églises

(:1) 'Sabarie;ancienne colonie romaine, aujowd1uïsàrwar. (i) Ville' de la Gaule cisalpine, aujourd'hui Pavie~


lui faisait déj à proj eter, dès l'âge le plus tendre ce qu'il. exécuta plus tard avec tant d'ardeur. Lorsque les empereurs eurent ordonné. que les' fils des vétérans entrassent dans l'armée, son père lui-même, qui ne voyait pas d'un œil favorable~ ces heureux commencements, le présenta pour le service militaire; ainsi, n'ayant encore que quinze ans, il fut enrôlé et prèta le serment. A l'armée, Martin' se contenta d'un seul valet, que bien souvent, intervertissant les r8les, -il servait lui-même il allait jusqu'à lui ôter ses chaussures et à les nettoyer; ils prenaient leur repas ensemble, et le plus souvent c'était le maître qui servait. Il passa. environ trois ans à l'armée avant de recevoir le baptême et il se préserva des vices si communs parmi les gens de guerre. Sa bienveillance et sa charité' envers ses compagnons d'armes étaient admirables, sa patience et son humilité sUrhumaiÍ1es~ Il estinu- tile de louer sa sobriété il pratiqua cetté-vertu à un tel degré, que déjà à cette époque on le prenait plutôt pour un moine que pour un soldat; aussi s'était-il tellement attaché ses compagnons, qu'ils avaient pour lui le plus affectueux respect. Martin, quoique n'étant pas encore régénéré en Jésus-Christ, montrait déjà par ses bonnes œu:" vres qu'il aspirait au baptême car il consolait les' malheureux, secourait les pauvres, nourrissait les nécessiteux, donnait des vêtements à ceux


'qui en manquaient, et ne gardait de sa solde'que. ce qu'il lui fallait pour sa nourriture de chaque jour déjà strict observateur des paroles de l'Évangile, n,ne songeait pas au lendemain.

RI. Un j our, au milieu d'un hiver dont les rigueurs extraordinaires avaient fait périrheaucoup :de personnes, Martin, n'ayant que ses armes et, son manteau de soldat, rencontra à la porte d'Amiens un paú~ presque nu. L'homme de Dieu, voyant ce malheureux implorer vainement la charité des passants qui s'éloignaient sans pjtié, comprit que c'était à lui que Dieu l'avait. réservé. Mais que il ne possédait que le manteau dont il était revêtu, car il avait donné tout le re~te; il. tire son. épée, le coupe en deux, en donne la, moitié au pauvre et se revêt du reste.' ~Quelques spectateurs se mirent à rire en voyant ce vétement informe et mutilé; d'autres, plus sen- sés, gémirent profondément de n'avoir rien fait de semblable, lorsqu'ils auraiént pu faire.davantage, et. revétir ce, pauvre sans se dépouiller euxmêmes. La nuit s1rlvante Martin s'étant endormi vit Jésus-Christ, (i) revêtu de la moitié du manteau (i) La piété de nos rois n'a pas ,peu contribué à immortaliser l'action de sainUtiartiÍ1. Le roi Louis XI l'a honorée par une fondation perpétuelle qu'il a faite dans'l'église de Saint-Martin de Touxs, pour l'entretien d'an pauvre qui polie une robe de deux couleurs. ( D. GBBVAISE.)


dont il avait couvert la nudité dtipauvre; et il' entendit une voix: qui lui ordonnait de considérer' attentivement- le Seigneur et de. reconnaître-:lé vêtement qu'il lui avait donné. Puis Jésus se tournant vers les anges qui l'entouraient leur dit d'une voix haute « Martin n'étant encore, que « catéchumène rn'a revêtu de ce manteau. » Lorsque le Seigneur déclara qu'en revôtant le pauvre, Martin l'avait vêtu lui-même, et que, pour confirmer le témoignage qu'il rendait à une si bonne action, il daigna sé. montrer revêtu de Phabit donné, au pauvre, il se souvenait de ce qu'il avait dit autrefois « Tout ce que vous avez fait « au moindre des pauvres-vous me l'avez fait à « moi.même. »' Cette vision ne donna point d'orgueil au bienheureux mais, reconnaissant avec quelle bonté Dieu le récompensait dé cette ac1ion, il'se hâta de recevoir le baptême, étant âgé de dix-huit ans. Cependant il ne quitta pas aussitôt le service; il céda aux prières de son tribun, avec qui il vivait dans la plus intime. familiarité, et qui lui promettait de renoncer au monde aussitôt que le temps de son tribunat serait écoulé. Martin, se voyant ainsi retardé dans l'exécution de ses projets, resta sous les drapeaux. et demeura soldat, seulement de nom, il est vrai, pendant les deux années qui suivirent son baptême.


IV. Cependant, les b arbares ayant fait irruption dans les Gaules, le César Julien rassembla toute son armée près de Worms. et distribua des 1 argesses aux soldats; qui, selon la coutume, étaient appelés les, uns après les autres. Vint le tour de Martin; qui crut le moment favorable pour demander son congé car il lui semblait qu'il ne serait pas juste, n'ayant plus l'intention de servir', de recevoir les largesses de l'empereur. Jus« qu'ici, dit-il, je vous ai servi, César; per« mettez que je. serve Dieu maintenant que ceux « qui doivent combattre acceptent vos dons; moi, «' je suis soldat du Christ', il ne m'est plus permis « de combattre. » A ces paroles, le tyran frémit de colère, et lui dit que c'était la crainte de la bataille qui allait se livrer le lendemain, et non la religion qui le portait à refuser de servir. Mais ~intrëpide Martin, que le soupçon de lâcheté rendait plus ferme encore répondit (1 Si l'on « attribue ma. résolution à la peur et non à ma « foi, demain je me présenterai sans armes de« vant l'arméè ennemie, et au nom du Seigneur « Jésus, armé du signe de la croix, et non du « casque et du bouclier, je m'élancerai sans crainte «. au milieu des bataillons ennemis. » Julien le fit aussit6t conduire en prison, et ordonna de l'exposer le lendemàin sans armes devant Yennemi, selon ses désirs. Le jour suivant; les ennemis envoyèrent des ambassadeurs pour traiter de la


paix, se rendirent, et livrèrent tout ce qu'ils possédaient.

Qui doutera 'que cette victoire, ne soit due au saint homme, que le Seigneur ne voulait point envoyer sans armes au combat ? Et quoique ce bon maitre eût bien la puissance de protéger son soldat, même contre les épées et les traits ennemis; cependant, pour que ses yeux ne fussent pas même souillés de la vue du sang, il empècha le combat. En effet, si le Christ devait accorder la victoire en faveur de son soldat, ce ne pouvait être qu'en empêchant toute effusion de sarig par la soumission volontaire de,l'ennemi, sans qu'il en coûtât la vie à personne.

V. Dans la suite, ayant quitté le service, Martin se rendit 'auprès de saint Hilaire, évêque de Poitiers; homme dont la foi vive était connue et admirée de tout le monde; il y resta quelque temps. Hilaire voulut lé faire diacre pour se Yattacher plus étroitement et le consacrer au service des autels; mais Martin avait souvent refusé, disant hautement qu'il en était indigne. Hilaire, dans sa sagesse, vit bien qu'il ne se l'attacherait qu'en lui conférant un emploi,. dans lequel il semblerait ne pas lui rendre jùstice; il voulut donc qu'il fût exorciste. Martin ne refusa point cet ordre, de peur de paraître le mépriser, à cause de son infériorité. Quelque temps après, Dieu lui ayant ordonné en


songe d'aller dans sa patrie visiter ses parents encore païens, pour s'oécuper de leur, conversion avec une pieuse sollicitude, saint Hilaire lui accorda la permission de s'éloigner; mais, à force de prières et de larmes, il obtint de lui la promesse de revenir.Il était plein de tristesse, dit-on, quand il entreprit ce voyage, et il assura à ses frères qu'il y aurait beaucoup à souffrir ce qui arriva eft'ectivement. S'étant d'abord ëgaré dans les Alpes, il rencontra' des voleurs; l'un, d'eux le menaça d'une hache qu'il brandissait au-dessus de sa tète, un autre détourna le coup; on lui lia ensuite les mains derrière le dos, et il fut livré à l'un de ces brigands pour être gardé et dépouillé. Ce voleur le conduisit dans un endroit plus retiré encore, et lui demanda qui il était. « Je suis chrétien, » répondit Martin; il lui demanda ensuite s'il avait peur; Martin répondit alors avec courage qu'il n'avait jamais été plus tranquille, parce qu'il savait que la miséricorde du Seigneur ne lui ferait jamais défaut, surtout dans les épreuves, et que c'était plutôt lui qu'il plaignait, puisque le brigandage ,auquel il se livrait le rendait indigne de la miséricorde de.Dieu. Puis,? commençant à développer la doctrine de l'.Évangile; il prècha au voleur la parole de Dieu. Qu'ajouter à cela Le voleur crut en Jésus-Christ, accompagna Martin qu'il remit dans son, chemin en se recommandant à ses¡prières. Dès lors il mena, dit-on, une vie sainte, et l'on croit même que t


c'est de sa bouche que l'on a recueilli les détails précédents.

VI. Martin, poursuivant sa route, avait dépassé Milan, lorsque le démon, sous une fÓrme humaine, se ,présenta devant lui et lui demanda où il allait. « Je- vais le Seigneur m:'appel1e, » répliqua Martin. Satan lui dit alors « Partout où a'tu iras; dans toutes tes entreprises, le diable « s'opposera à tes desseins.,» Martin lui répondit avec ces paroles du Prophète « Le Seigneur est « mon appui, je n'ai rien à craindre des hommes. D Son ennemi disparut aussitôt. Selon son espérance, il retira sa mère des ténèbres du paganisme, mais son père persévéra dans' l'erreur; ses bons exemples convertirent partout plusieurs personnes. L'hérésie d'Arius s'était répandue dans tout l'univ~rs, et surtout en Illyrie Martin, qui presque seul combattait vaillamment la perfidie des prêtres hérétiques', souffrit beaucoup d'outrages- ( car il fut publiquement battu de verges, J et enfin chassé de la ville). Il reto~rna en Italie; mais ayant alors appris que l'Église était également agitée dans les Gaules à cause du départ de saint Hilaire, que les ,hérétiques avaient contraint de s'exiler, il alla à Milan où il se fit une solitude. Là aussi Auxence, fauteur et chef du parti aiien, le persécuta à outrance, l'accabla d'outrages et le chassa de la ville. Martin, pensant


qu'il;fallait céder~auz. circonstances, se-retira avec un .prêtre très-ver,tuenx.' dans .l'île, G~inaria (1); il y. vécut: pendant 'quelque: temps de: r.acines' et > selon la.tradition; ce:futJà qu'il;mangeade l'ellé= bore "plante vénéneuse: Sentant :le poison' s'insinuer dans ,ses: veines: etvla. mort .s'approcher, il conjura par la:prière ce. péril imminent; et la doùleur cessa aussitôt. Peu de temps. après, ayant appris que l'empereur, regrettant, ce qu'il avait fait, accordait à: saint Hilaire la: permission de revenir il: se rendit Rome, dans l'espérance de l'y rencontrer. 1

VIT. Mais saint Hilaire avait déjà quitté cette ville; Martin le suivit, et, enayant,é~é'reçu avec la plus grande bonté, il se. fit une solitùde près de Poitiers (2). Sur ce.s.entrefaites, un catéchumène, désirant" être in~truit; par un si saint homme, se joignit à lui; ,mais, peu de jours après il fut pris de la fièvre. Martin était alors absent par hasard. Cette, absence se, prolongea trois jours encore., et à son retour il le trouva mort. L'évé-

(1) On croit. que c'est rite Gorgona, située à trente-deux 1,tilomètresde Livourne.

(~) Ce lieu s'appelle Ligugé. Les disciples de, saint Martin n'é~entpas moines deprotéssion,et leur engagement n'était pas pérp»étuel. Ce qUi n'bte cependant pas à saint Martin la'gloire'd'avoir, le premier, introduitrla profession nrionastiqUe enFrance.(D.GBBVAISE.)'

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nement avait été sisoudain,qu'~l avait"<¡1.iitté ]~ terre. n'ayant .pas.encore reçu le baptême. Le corps était placé au.milieu de la chambré; où,lés s frères se succédaient, sans: cesse pour.'lui rendre leurs devoirs, lorsque Martin accourut; pleurant et se lamentant. Implorant alors avec ardeur, la grâce de l'Esprit-Saint, il fait sortir tout le monde, et s'étend sur le.cadavre du frère. Après avoir prié avec ferveur pendant quelque temps, averti par l'Esprit du Seigneur que le miracle va s'opérer, il se soulève un peu, et,. regardant fixement. Ie visage du défunt, il attend avec confiance 1'effet de sa prière et de la miséricorde divine. A peine deux heures s' *étaient-elles écoulées, qu'il vit tous les membres du défunt s'agiter faiblement et les yeux s'entr'ouvrir. Alors Martin rend grâces à -Dieu à haute voix, et fait ret'entir la cellule des accents de sa joie. A ce-bruit, ceux qui se tenaient.,au dehors rentrent précipitamment, et spectacle admirable! ) ils trouvent plein de vie celui qu'ils avaient laissé inanimé. Ce catéchumène, revenu à la vie, fut aussitôt baptisé, et vécut encore plu. sieurs années. Le premier parmi nous il donna à Martin l'occasion d'exercer sa puissance et resta en quelque sorte la preuve vivante de ce miraclé: Il nous racontait souv ent qu'après avoir quitté son corps, son âme. avait -co" aru devant 1.8 t,J:i~)Uft~l du Juge, et qu'il y`. avait en.tendu la t~iste s.e~; tence qui le condaimnait à habiter des lieux, obs=


cnrS, avec. une foule d'autres âmes; mais alors deux a~ges fu:eIit connaître au; ,Juge qu'il était célûiv: pour.lèqûel Martin priait ils reçurent aussir tôt l'ordre: de lé ~ener et', dé le rendre à la vie etr à' Martin-. 'Ce-miracle rendit le nom de Martin irè,s"Célèbr'e, 'et' ceux qui- déjà le considéraient 'com'me: .un`saint; le regardèrent alors comme un h6u1irie" piI~ssant: et vraiment apostolique. 'VIII:= Peu de' temps après, Martin, traversant les terres d'un certain' Lupicin, homme honoéable selÓb.le monde, entendit.- les pleurs et les lamentations, d'un grand, nombre de personnes. Inquiet; il s'arrête', il. demande la cause ces gémissements'; il rapprend qu'un -des esclaves vient de" sepen~re~ Il 'entre aussitôt ,dans la ch~reoùétait' ,le corps" fait sortir tout le monde s'étend sur le cadavre;' et prie pendant quelque temps. Bientôt le visage de l'esclave s'anime il élève vers Martin des yeux languissants, et~, ayant fait. de: lents. et 'inutiles efforts pour se soulever, 'il' saisit -la main dû Saint, se dresse sur ses piéds'puis s'avance avec lui- dans le vestibule de la' maison,: à-la vue de tout le peuple. lx. C'est à peu près à cette- époque que la ville'de Tours demanda saint Martm pour éYêque mais il n'était, pas facile de le faire sortir de sa~ solitude, un des. citoyens de la ville;


nommé Ruricius, ,se eta à ses pieds, et, prétext~t la maladie de sa femme, le détermina.à sortir.:Un grand nombre d:~abitants sont,échelon~és"sllr la route; ils se. saisissent de Martin, et, le: conduisent à Tours, sous bonne garde. Là",uIle~.IIlUl~ titude immense, venue non-seulement de Tours mais des villes voisines, s'était eunie afin,de donner son suffrage pour l'élection. L'unanimité des désirs, des sentiments et, des votes.; déclara Martin le plus digne de l'épiscopat, et 1'Église: de Tours heureuse de posséder un tel pasteur. Un petit nombre cependant, et JJlême, qu~lquesévê-, ques convoqués pour élire le nouveau .prélat, s'y opposaient, disant qu'un;homme.d'un e~térieur si négligé, de si mauvaise mine, la:iête rase, et si mal vêtu, était indigne de l~épiscopat. Mais le"peuple, ayant'des sentiments .plus sages" ,tol1rna, en ridicule la folie de ceux qui,. en voulant nuire:à.cet homme illustre, ']le faisaientqu'exaIter sestus. Les évêques furent, donc obligés de..se rendre au désir du peuple, dont Dieu se" ser,~ait:PQur faire exécuter ses desseins. Parmiceux',q~i,s'~pposaient à l'élection, il y avait un certain ,I)é~nsor:~ on verra qu'il fut pour cette rais.on; ,s,é~ère~en,t blâmé, par les paroles du Prophète; car celui qui i devait fairé la lecture ce jour-là n'ayant. pu pénétrer à cause de la:f~ule,.lesprêtl'es,seJrPll~' blèrent, et l'un d'eux ne voyant point venir..le lecteur, put le Psautier, et lut.1e premier verset'


qui lui 'tomba' sous, les yeux; c'était celui ci': cl 'vous avez'tiré une' loùange Parfaite de la bouche des enfants,, et de ceux'qui sont encore à. la :mamelle, pour coüfondrè vos adversaires, « et'. pour: perdre. votre ennemi ret son fé~a seur:'»~~A cés paroles, le peuple' pousse 'un' cri; les ennemis" de Marlin'sorit' confondus. On resta convaincu que Dieu avait permis qu'on lût ce psaume, afin que Défensor y vît la condamnation de safâute; car c'ést de la bouche des enfants .et dé' ceux qui sont à la mamelle que Dieu, en Màrtin;~ à:,tité-.1a louange 1~~ plus parfaite, et l'e-enn > été détruit ài1sSitôt qu'il s'est montré~ `-

~NOllS' n-'avons point assez de talent pour raconter ,ce que fut Martin devenu évêque il de'meura touJours 'ce qu'il' avait été auparavant, aussi ,humble- dè:cœur ,:ausSi simple: dans sa manière de s'habillèr~ "n.remplissait; ses fonctions d'évêqUe d'mi~' mariière,:pleine'd'imtorité èt de bonté, sans ~essel';pour cela.* aér vivre comme un;moine, 1 -et d'en` pratiquer lés vertus: Pendant quelque temps il petite ceUwe près de l'église; màis, importuné -du. grand nombre de visites qu'il y recevait; il se fit une solitude (1) peu près à deux ,milles' de la ,ville. Cet' endroit' était 'si. caché et si :1) Ce~fut ~plns tard la célèbre abbaye de Marmoutier.


retiré, qu'il ressemblait à undésert~:n était~, ren~ fermé d'un côté par un rocher haut et escarpé:; de l'autre par une sinuosité du-cours de: la Loire, qui y formait ainsi une petite ,vallée;, on ne pouvait y aborder que par un sentier fort étroit. Saint Martin habitait, une cabane.: de, bois; quelques frères en avaient de semblables, d'au. tres s'étaient creusé des cellules dans le roc., Il y avait quatre -vingts disciples, qui s'y formaient sur les exemples de leur ~i~$eureux maître. Aucun d'eux n'y possédait rien~en propre; tout était en con;unun;' ils ne :pouvaient ni vendre ni-acheter, comme le font', 'ordinajrement:la plu: part des. moines. On ne s'occupait d'aucun. ârt, 1 si ce n'est de celui de copier des livres encore cet emploi était-il réservé aux,plus:jeunes.,Les plus âgés, vaquaient à l'oraison; ils; soxtaient-;ra: rement de leur cellule, excepté lorscru'ils,se7~réunissaient pour la prière; ils prenaient 'leurs: re~ pas ensemble. quand ,l'heure, 4~Tonipre le' 'jeûne était arrivée, et ils ne linvaient. point ,de vin; à moins qu'ils ne fussent malades. La plupart porlaient des habits,de,'poils de chameau:; c'était un 'crime de se vêtir plus délicatement.: Ce. ;'qui rend cela plus admirable, c'est que plusieurs d'~ntre eux étaient des hommes de qualité;quf, ~leyés d'une manière bien di1l'érente,s'étaient, astreints à cette -vie' d'humilité et dé souffrance. Dans la suite, nous en avons .vu plusieurs de-


'venuS,évêques:; et quelle, ville: ou quelle Église ne; se' 'réjémirait;pas, d'avoir"un évêque sorti- du monastèreide saint -Mittin 1 XI.~ ,Je,vais'maintenant, rac~nter¡' les ..mi:racles ¡qu'il 'fit, pendant-:son'épiscopat. A' peu:,de distance de, la ,vill~ ,et, non loin .du.: monastère, se trouvait,. un endroit: que' l'on regatfdait, à tort comme le lieu de la sépulture de plusieurs martyrs, qui y recevaient. un culte, car l'érection de l'autel: était attribuée aux-évèqùes précédents~ Mais Martin, Waj*oùtant 1 poïnt~ foi~ légèrement à des traiditions incertaines, demanda aux plus anciens desprêtres:et des: clercs .de lui dire là, nom du prétendu saint et l'époque ,de; son 'ma~e.; n 'était fort inqUiet .à:c,e.,sujet;;puisquela- tra.dition ,nè rapportait iieii., d6'bièn'a*éré; Pendant quelque temps il: s'abstint d'aller à ceténdroit, ne voù1ant,pas' porler-'atteinte,:à ce! culte;tant: qu'il, serait ~dans~ l'incértitude, ni' l'autoriser de peurfavoriser 'une superstition. Prenant. un j jour: avec lûi quelqués uns des frères il s'y rendit, et,:se .tenant sur lé sépulcre il. pria le Seigneur de lui 'faire. connaître quehhom.me,1 avait été 'enterré dans :ce ,lieu: .*et quels pouvaient être ses mérites. Alors ,il:voit se dresser à~ sa :gauche un spectre' affreux et terrible. Martin;lui ordonne de déclarer qui il est, et quels sont ses, mérites devant, le, Seigneur: le se, nomme,. avoue ses crimes, dit qu'il


est un voleur, mis à. mort pour, :ses forfaits et bonoréparune erreur populaire;' qn'il)r'a,rien de commun avec les martyrs, qui. sont. dans, la gloire, tandis qu'il est dans les tournien1s~ Ceux qui étaient présents entendirent cette voix-étrange sans voir personne,. 'Martin leur dit 'alors ce. qu'il a vu, ordonne qu'on enlève l'autel, et délivre ainsi ]epeuple deceÍteerreur.et decette,super~ stition. Xll. Quelque temps après,:Martin,anstm de ses voyages, rencontra le ,convoi.uÍ1èbre d'un païen qu'on portait en terre, avec des cérémoirles superstitieuses. Voyant de loin-.cette foule qui s'avançait, et ne sachant ce que c'était, il s'aTrètà un instant car,.se trotiv~t à peu près à cents pas' de distançe, il lui était difficile: de 'rien, distinguer. Cependant-, comme'i1 voyait-une troupe de paysans, et que le vent faisait, voltiger les,linges blancs qui recouvraient, le corps,. il crut qu'on accomplissait quelque rite profane et superstitieux: car les paysans, dans leur aveuglement, insensé; ont l'habitude de porter autour de ,leurs .cbamps les images des démons:recouvertesd'eto1l'es b]ariches. Élevant donc la main-; il fait le :signe 'de la croix, commande à la' foule de s'arrêter et de déposer le. fardeau. A l'instant, même ils demeurent immobiles comme des pierres; puis, faisant un violent effort. pour continuer leur marche;~ ils.s6


-mettent. àtoùrner 'ridiculement ,sur eux-mêmés, jusqu',à ce que, épuisés par. !e'poids '~ils,porteIit, -ils, déposent le 'corps.: Étonnés, ils se.regardentles uns: les -autres en; silence"'et' se demandent â. euz :mêmesquelle:,peut;être la cause~.de:l'accident qui leur arrive~<M;ais: le bienheureux, ayant reconnu que, 'cette foule n'était point. réunie pour un sacri.fice, mais :pour des' funérailles) éleva de nouveau -la'main, et. leur perrnit de. s'éloigner,et d'emporter le corps du défunt.è'est ainsi que Martin, suivant sa volônté; ou les ,força de s'arrêter, ou leur -permit de 'reprendre leùr marche,

XIII: Dans 'u~ bourg se trouvait un. temple fort ancien, que Martin avait détruit. et il se disposait. à: abattre un pin qui en était proche, lorsque le .prêtre. dé cet endroit et toute la foule des palens s'y opposèrent; et: ces, mêmes hommes, qui, par :la ,permission de Dieu, ,avaient laissé, sans y me«re obstacle; démolir. leur temple; ne :pouvaient'souf..fi~ir~ qu'on abattit l'arbre. Martin faisait tous ses efforts pour leur faire comprendre qûe ce tronc -d'arbre' n'avait: rien de sacré qwils devaient plu'tÔt:adorer le Dieu qu'il servait lui-même, que cet 'arbre' consacré » au, démon devait être abattu. Alors l'un4~eux) plus audacieux,queles autres, lui dit ,«~;Si¡tu'as quelque confiance..dans le Dieu que tu ;cr;sers~ nous --abattrons, nous -'mêmes cet arbre consens àle laissertomber sur toi, et si, comme


« tu le dis, tu es protégé par ton Dieu,: tu: né« prouveras aucun mal. »

Martin n'est nullement effrayé: de :cette propo:sition, et se confiant dans le Seigneur; il :promet de faire ce qu'on demande; touté:la foule des païens consent à cette condition, et se rësigrié à la perte de l',arbre, si sa chute doit, écraser l'ennemi de leurs dieux. Le i penchait tellement d'un côté, que personne ne doutait du lieu où il ,devait tom-. ber. Martin fut attaché dans cet endr~it:, suivant la volonté des paysans ceux. ci, transportés .de joie, se mirent aussitôt à 1'oeuvre. La foule atupéfaite se tient à une grande distance. Déjà le pin vacille, èt son ébranlement annonce sa chute. De loin les moines pâlissent' de -craÏ11te, et, cons= temés du péril imminent, ils:ont déjà ,perdu tout espoir et toute confiancé; et n'attendent plus que.la~ rriort de Martin. Mais celui-ci~ confiant dans le Seigneur, demeure ferme et exempt de toute crainte.,Tout à coup le pin éclate avec fracas, tombe, et se précipite sur Martin, qui, élevant la main, lui oppose, le signe du.salut:Aussitôt, comme s'il eût été repoussé par un tourbillonjUl,pétueu~, l'arbre se retourne et va tomherde l'autre côté, où il manque de 'renverser lés paysans,, qui ey croyaient fort en sûreté. Les païens, frappés de ce miracle "poussent de. grands cris; ,les:moines pleurent de joie.; les louanges du :Christ sont dans toutes- les bouches. Ce jour-là fut' assurément un


jour: de: salut pour ce pays n'y eut per- sonne,' dans cette immense niultitude, de- païens, qui ne: demandât; aussit8t~1'imposition des:mains, et- qui, abjurant.:les erreurs du.paganisme, ne cr~it en Jésus-Christ. En effet, avant l'arrivée de M8r- tin, presque personne ~:ne,colli1aisSaït le nom: de Jésus- Christ dans- ce pays' ,Mais'ses,vertus et ses exemples, y ont été. si puissants, que cette contrée est maintenant couverte d'églises -et de monastères'. A peine un ,temple païen est-il détruit, que sur son emplacement .s'élève; une église ou un ,couvent. XIV, A peu près :vers la même époque, 'Mar~tin opéra un,miracle semblable. Dans un bourg.se. trouvro,t un temple fort ancien, auquel. il .avait mis le feu; les flammes,'poussées par le.,vent., atteignirent une maison voisine, qui y était même attenante. Dès qu'il s'en aperçut,' Martin, monta rapidément. sur.le toit, et se présenta aux flammes comme un..obstacle. pour les arrêter. Alors vous. auriez pu voir, par un 'miracle étonnant, les flammes repoussées, contre' la direction du vent, et ces déux éléments lutter en quelque sorte l'un:contre l'autre. Ainsi, par. la puissance de Martin', le feu n'agit que, dans l'endroit oùillel~ permit. Martin voulant encore. renverser un temple païen que la auperstition. avait rendu prodigieusement.riche, et qui était situé dans- un bourg nommé Lepro-


sum (1), un grand nombre de païensis'oppôsèrent à son dessein, et le repoussèrent en l'accablant d'injures. C'est pourquoi il*. se retira dans: un en= droit voisin,. et,là, pendant trois joûrs, ,revêtu d'un cilice et couvert de cendres, jeûnant et priant, il suppliait le Seigneur dé'détruire ce temple par sa toute-puissance, puisque la main de ,l'homme n'avait pu le renverser. Tout à coup deux'anges, armés de lances et de boucliers; comme les soldats de la milice céleste, se présentèrent à lui, et lui dirent qu'ils étaient envoyés par le~ Seigneur pour mettre en fuite cette troupe de paysans,. et le'protéger, si on voul3it lui résister pendant la destruction du temple qu'il y retournât donc pour accomplir avec ardeur l'oeuvre qu'il avait, commencée. TI revint donc au bourg, et à la, vue de la foule des païens, sans qu'aucun d'eux s'y opposât, il détruisit le temple jusque dans ses fondements, et réduisit en poudre tous les autels et les idoles. A cette vue, les paysans, comprenant que c'était pour favoriser le dessein de l'évêque que' la, puissance divine les avait frappés d'effroi et de stupeur, crurent presque tous en Jésus -Christ, et,confessèrent publiquement et haute voix qu'il fallait adorer le Dieu de Martin, et- rejeter les. idoles qui ne pouvaient leur être d'aúcun secours. (1) Maintenant Loroux,. dans le département de la'LoireInférienre; ou plutOt Leyroux, dans le Dem.


XV.Jevais;'racon~ermaintenant ce qu'il fit dans uù'bourg:des Éduens (i)~'Pendant qu'il y- renve~sâit encore~ un temple 'de ,même manière, une multitùdê ,de'p~ens furieux se;. précipita sur lui; l'épée'à la main. -Martin,rejetant son manteau; présenta son cou,nu à rassàssin. Le'païen n'hésitè pas mais; au moment où-il élève le bras, il tombe. à la renverse, et, saisi dune frayeur mi" raculeuse ~il.demande pard~on.wYoici encore un faitduinême,genre: Martin était occupé à renverser des ido]es,un païen voulut lui donner un coup de couteau,;àumo:lbent où;il allait'le frapper, le fer s'écbappa:de ses mains. et disparut. La plupart du temps, lorsque .les: paysans s'opposaient à la destruction de leurs temples; il touchait. tellement leurs'cœurs;en'leui. annonçant la parole de Dieu" qu'éclairés de,la lumière de la vérité; ils les renversaient:de; leurs 'propres mains.

xvi'- Martin était si puissant pour la guérison des malades; que presque tous ceux qui venaient à lui. étaient: guéris:. L'esemple suivant en est. la preuve. TI se trouvait à Trèves' une jeune fille atteinie: d'une' paralysie. si complète, que tous ses membres;depuis'longtemps" lui refusaierit leur service;'ils;étaient:déjà comme morts, et elle ne

(t) 'Le pâys: deS:tduêns:répondait.à une partie da Nivernais-et @dé 1a:'Bourgo~e; leur capitale était Antnù.


tenait plus à la vie ¡que' par ,un- souffle "Ses ;:pareJ]tsi accablés de tristesse"étaient là;,n~atteridant plus que sa. mort,, lorsqu'on apprit. que Martin venait 'd!arriver dans la ville. Aussitôt que le père de la jeune :fille en est instruit"jl'y'cop.rt tout tremblant, et implore :Martin pour sa fille" mourante. Par hasard le saint évêque était déj à entré' dans l'église; là, en présence du peuple et de beaucoup d'autres évêques,' le vieillard, poussant, des' cris de douleur, -embrasse ses -genoux, et luFdit: « Ma fille se meurt d'une maladie:terrible, et ce « qu'il y a de plus afi'reux,c'est que'ses,membres, « bien qu'ilsvivent encore, sont comme morts et «. privés de tout mouv~ment.Je.voustsupplie,:de « venir la bénir, car j'ai la ferme confiance, que et vous lui rendrez la ,santé. »Martin,étonné de ces paroles qui le couvrent de. confusion, s'excuse, en disant qu'il n'a pas ce pouvoir, que le,ieillard se trompe, et qu'il n'est pas digne que le Seigneur se serve de lui.pour faire un rniracle..Le père, tout en larmes, insiste plus vivement encore, et le supplie de- visiter sa fille mourante. Martin se rend enfin aux prières des 'évêques présents,: et vient à la maison de la jeune fille. Une grande foule se tient à la porte, attendant ce 'qu,e "le' serviteur de Dieu va faire. ,Et d'abord, 'ayant' J'ecours à, ses armes ordinaires il se prosterne à terre et prie ensuite, regardant la malade il .demande..de l'huile; après, l'avoir bénite, il en versé une: cer-


taine'quantitéd~la.:bouche, de'" la jeune fille, et -la voix lui:revient aussitôt:; puis; peu à ,peu', ;par -le ,contact de il~; main de Martin, ;ses .membres,:les uns après: les :autres,. :commencent à reprendre la vie; enfin, ses :forces reviennent, et. elle 'peut .se tenir debout,dévan~le peuple.:

XVll., A la époque, Tétradius, per;sonnage consulaire, .avait.un :esclave possédé du démon et qui allait faire:une fin, déplorable. On pria Martin de 1ui imposer~les mains "et il se le fit .amener.. Mais on., ,nepntfaire.. sorn- le possédé de la cellule, car:.il ~3unordait cruellement ,ceux qui s'en approchaient: rAlois Tétradius; se jetant, aux -pieds -de Martin .le supplia ide, venir. lui mème dans la maison ,où';setrouvait:le,démoniaque; mais il-refusa, 'disant;~il:'ne:'pouvait entrer,dans .la demeure d'un p~ofa1ie,' et ,d'un, paien. Tétradius était encore plongé. dans.les erreurs. du paganisme mais il promit de se faire chrétien., si 'son 'serviteur était ;délivré du'démon., C'est pour.quoi Idartin imposa les mains à 1'escla.ve,. et en chassa l'esprit: immonde. ,A cette vue;. Tétradius crut en.. Jésus -,Christ; fut aussitôt, fait, catéchumène, .baptisé'peu, de: :temps ,'après, ,et, depuis lors il e~~toujo~s'un respect. afIectueuxpo~: Martin, l'auteur de. son:salut~,Vers la' même "époque et dans la', même ville .Martin, ,étant: entré dans la lwuson, d'un,.pèr~, de famille', ,s'arrêta'sur le. seuil,


disant qu'~lvoyait un affreux ,déIIlon; dans: le vestibule. Au moment Martin lui 'command~t de sortir, ilr s'empara' d'un esclave qui se trouvait dans l'intérieur de la maison; ce malbeureux~se mit aussitôt à,mordre et à déchirer tous ceux qui se présentaient à lui. -Toute la: maison est, dans le trouble et l'effroi; le peuple prend la fuite. Martin s'avance vers le furieux, et lui commande'd'abord de s'arrêter;.mais il grinçait des dents; et, ouvrânt la bouche J menaçait de le mordre; 'Martin y met ses doigts:; « Dévore-les; si tu en as le pouvoir, J) lui dit-il: Alors le possédé, comme si on lui eût plongé un fér, rouge. dans la -gorge., recula, pour éviter de toucher les doigts dU. Saint., Enfin le diable, forcé par les 'souffrances et les tourments qu'il endurait de quitter; le corps de 1; esclave,. et ne pouvant sortir par sa bouche'; s'échappa par les voies inférieures en. laissant. des''traces dégoùtantes de son passage:

XVIU. Cependant -le: brUit d'une attaque des barbares ayant inquiété les habitants de la ville, Martin se fit amener un démoniaque, et lui comxnanda de dire si cette .nouvelle, était,, vraie. Celui-ci avoua qu'ils étaient ,dix démons, qui faisaient courir.ce bruit parmi'le;p'euple', afin" du moins, que la crainte fit: sortir Martin de la villé~; les barbares n'avaientvaiucunemént. l'intentiow de faire une irruption..L..esprit immonde ayant fait


cet =aveu: au\,miliéu;de: 1'égliSe, délivra, la cité: de la;crafute; et:,duArouble ¡qui -agitaient -Un-jour .qu'il .,entrait. à ,Paris, ,'comme-il.passait par-urie:des portes de,: cette,cité/:avec'une grande 'foule; de peuple; .il:bénit et:baisa un lépreux:dont:la1igure affreuse faisait:hÓiTeur à ',tous. celui -ci fut aussi' tôt guéri :et:-vint le:lendemain.à l'église, avec un visage' sain 'et' vermeil,. l'endregrâces: à Dieu 'pour lavsànté ~qu'il~ avait recouvrée:: Ma3s:ce que nous ne pouvons::noüs dispenser de 'dire,' c~est que les fils des -vêtements ou du cilice de Ma.rün ~ôpérërent de fréquent6s guérisons;appliqu'és aux:doigts ou au. coudes malades; ils les délivraient-dé .}eursin1ir-' mités.' ;XŒArbori~, ¡ancien-préfet, homme plein deJoi 'et. de :,piét~ dont la fille était affectée: d'une fièvre quarte très-violente, lui mit sur la poitrine une,)létÍre'deMartin:, qui lui était: tombée par .hasard,entrè les: xna.ins., ;et. aussitôt "'la fièvre 'cessa. 'Cette:guérison :toucha .tellement;Ârborius:, qt~iI consacra'. sur le-cbiamp sa fille, à ,Dieu', et .:la'voua' à riDe ;,virginitéperpétuèlle.,n partit ,ensuite pour iller,trÓuver ,Martin, lui. 'présenta 'sa'jille; qu'il ,avait.' ,guérie'; quoiqu'étant absent,: comme une preuve' vivantei:de :ce'miracle, -et: ne souffrit-pas (Wpii autre que':Martin'lui',donnât'le voile. Yaû= devait: dônner 'plus tard d'illustres eaém"ples,fut"~ttaql1é d'un mal d'yeux qui le faisait'


beaucoup- souffrir; déjà -la;pupillet..de. son œiLse couvrait d'une taie, très-épaisse. Martin:lui; toucha l'oeil avec un pinceau aussitôt -la; douleur; cessa, et il fut guéri., Un j our, Martin tômba lui même d'un étage supérieur, en roulant.sur..les marches raboteuses de -l'escalier, et se :tlt;plusieurs.bles. sures. Étendu presque ,sans vie dans- sa cellule,il éprouvait de cruelles souffrances, lorsque. pendant la nuit un ange lui apparut, lava,, ses. bles= sures et oignit ses membres contusionnés d"u~ onguent 'salutaire, si bien que le -lendemain rendu à Ja, santé,: il- ne paraissait avoir éprouvé aucun accident. :Mais' comme, il :serait trop long:de raconter en détail tous les miracles de Martin: je me contenterai de rappeler les plus remarquables, pour épargner l'énnui= que je pourrais, causer~.au lecteur,- si j'~n:rapportais un-trop grand nombre. XX. ~Après des faits si grands; si merveilleux, en voici quelques autres:qui sembleraientpeu .im; portants, si l'on ne-devait pas:placer. àù!:premier rang" surtout à'notre époque oÙ"tout.est'dépravé et corrompu., la,fermeté d'un évêque refusant :de s'humilier., jusqu'à aduler' le: pouvoir, impériàl. 'Quelques, "évêques;; étalent, ':venus de différentes contrées à la cour del'empereur,Maxime; homme fier, et que ses victoires dans les: ;guerres civiles avaient encore -enflé. et ils s'abaissaient; .j u~qu'à placer leur, caractère sacré sous ,le,patronage:¡d~,


l'empereur;' Martin, seul, conservait. la dignité.de l'ap8tre.' En: effet;: obligé ,d'intercéder:~auprèsde l'empéreur pour quelques personnes; il commanda plut8t qu'il ne ,pria. Souvent, .invité, par Maxime. à s'asseoir ,àsa:table, -il, refusa', disant qu'il ne pouvait manger avec un. hOD1D,1e';qui avait détrôné un- empereur et, en avait fait. mourir una1itre~Maximelui assura,'que c~était -contre son"gré.qu'il .était..monté, sur~ ¡le: :trone';qu.'ily avait été, ,forc~ qu'il:n'avait employé les armes que pour soutenir la souveraineté, que les soldats, sans' doute par la volonté de :'Qieu:,Jrii avaient im'posée; :que la victoire si étonnante, qu'il avait:rèm: portée.. prouvait bien que, Dieu combattait pour lui et que. -tous. ceux.de ses ennemis ;qui: étaient morts,n'avaient':péri- qUe:sur le champ de 'bataille-. Martin, se: rendit. à la .fin' ;soit.aux;ra!sons de :l'em= .per~ur;, soit à" se,s..prières; et'VÜ1t à de repas: la grande joie' du -prince qui avait: obtenu .ce{ qu'il .désirait si:ardemment: Les ,convives; ré~s comme pour. un joul'de ;fête,:étaient,des;:personnages grands et illustres il y avait. Évodius, en même temps préfet, et consul, 'le. plus~ juste des ,-hommes, et deux comtes très-puissants, l'un frère et l'auire oncle de' l' empereur.. Le prêtre: qui'avaitaccompagnéMartin:étaÍt' placé" entre ces-deux. derniers quant à~ celui.ci; il. oooupait:un'petit siégev près de,Yempereur. A~peu~~près:vers :le, milieu d1i:re:" ,pàs, ,,1' écha~soIi, selon l'usage; présenta'une,coupe


à l'empereur, qui "ordonna de la ,porter: au'saint évêque; car' ilespéraitef, désirait vivement la recevoir ensuite de sa main. Mais Martin, après avoir bu passa la coupe à son ,prêtre "ne trouvant personne plus digne de boiré le 'premieraprès lui, et. croyant manquer à son, devoir en préférant au prêtre soit l'empereur soit le plus élevé en dignité après luL',L'empereur et tous les. assistants admirèrent tellement cette~ action'" que'le-' mépris, qu'il avait montré pour eUT- futpréclsémeIit:'ce qui leur plut.' davantage. Le bruit se 'répandit dans tout le palais qùe'Martin' avait. fait à la' table de l'empereur ce qu'aucun évêqüé n'aurait osé faire à la tàble des juges les puissants. Il prédit aussi' à, Maxime IOIigteIÎ1ps~avant l'événement que s'il allait. en Italie, comme il 'en'3.vait l'intention pour combattré 'l'empereUr' Valenti:" nien,. il serait-d'abord victoi4eux~ mais e..il-périrait' peu de temps après.' Nous avons vu que cette prophétie vérifia; car, dès que Maxinie se présenta, Yalenünien prit la fuite; mais un an après, ayant réparé'ses pertes, il tua Maxime; qu'il avait fait prisonnier 'dans Aquüé6. y XXI. C'èst u~rait constant que'Martin vit souvent des anges s'entretenir ensenible' devant lui: Il voyait: aussile démon si clairément; qu'ille distinguait: ,:toujours' par quelque signe ',sensible', soit qu'ilvou1ùt:se renfermer dans: sa propre subs-


tance,: soit,qull: pe~lt:le.9 formes:diverses:que revêt I'esprit.de malice. Aus~;Je;piable,ne:pouva!ltdis-simuler sapré~9,e' ni3e. itromper;,J'accablait-il souvent d'outrages. Un jour, tenant une corne de b.œuf ensanglantée,: il .entra précipitamment: dans sa, cellule ..avec de, grands. cris; lui montrant:sa main dégouttante,de: sang; et, faisant éclater la joie quelÙÏ ,causait:1~. crime qu'il venait de commettre,. il:dit< « Martin ,qu'est devenue .tapuissance? je viens.de tuer l'un des tiens: ». Aussitôt Martin, .~assemblant.les:frères, leur. raconte: ce que -vient de lui apprendre le démon, et leur ordonne d'aller examiner soigneusement..dans"chaque cel~ Iule quel est..celui que 'cemalheur: .vient,' defrapper.. Ils reviennent et lui disent qu'aucun des moines ne manque; mais qu.'un:.paysan'qu~on a loué pour transporter; dù. bois.: sur 'u~éhariot,. est ,parti,pour la: forêt. Il. ordonne: donc à :quelques frèrès..d'aller. à. sa rencontre..Ëtant:partis, ils le trouvent presque inanimé, non, loin du monastère. Sur le point d'expirer, -il leur découvre la cause.' de sa mort. et de ses blessures.' « Pendant a que .prèsde mes bœufs je renouais. le. oug a;;dont:les liens:s'étaient.relâchés,1'un d'eux, dégageant. ¡sa' tète,vni'a; donné un' .coup. de corne a dans 1'aine: », -Peu de ~.temps après.il- expira; il aura su. sans.doute :par quel secr~t.. jugement le Seigneur.: avait:~ donné au: démon .une .telle puis,sance: Ce qu'~ ~YLavait. de,merveillellx: en Martin


c'est: qu'iL prédit' aux frères ;noil~sêUleme:ilt.l' évé' nement que. nous venons de rapporter,ÎIlaIs encore' beaucoup d'autres: du:Ïnême. genre~:

xxn~- Le déinon~ usant.de mille artifices pour tromper le saint. hommé; se présentait fréquem= ment à lui sous les formes les ..plus ,variées quel- quefois sous celle de Jupiter; la plupart du temps sous celle de Mercure, et :même souvent de Vénus. ou de Minerve. Martinluttaitintrépidementcontre lui, soutenu par lesigne:de ;la.croix et la.prière. On entendait très-souvent. dans sa cellule une troupe de démoris .1'insulter. grossièrement; mais; sachant que: tout cela n'était'qu:illusion et mensonge, il ne s'en inquiétaitv nullement. Quelquesuns des frères attestent qu'ils: ont -entendu-.Ie. ilé= mon reprocher à Martin; d~une manière i~jurieuse, d'avoir introduit. dans. le monastère des frères qui avaient perdu, la gràce du baptême. en tomb3Jlt dans, diverses erreurs ,de les avoir reçus après Ieur conversion et en même. temps le malin esprit énumérait leurs crimes. Martin, -lui:résistant1ou- jours, répondait que les anciennes fautes: sont effa- cées par une-vie meilleure ,et; que:, @comptant- sur la ,miséricorde du Sèigneur, l'Église doit absoudre ceux qui renoncent à .leurs;péches~~e! démon.osa le contredire, ,prétendit.j'queles pécheurs ne peu- vent obtenir.leur'pardon); et: que' le :Seigneur ,.n'a aucunè: indulgence:.poj}r- :ceûx, :qui (une. fois. sont


tombés: Alors Martin s~écria-rÍ:«'. Si toi.- même ,«:.misérable: que: tu.«,,es,tu,- cessais, de tenter. les ;hommés; etlsrtú;faisais pénitence de" tes crimes; '«'-mêIÍ1e:en 'cè"moment'quê'l~ jour du, jugement uJ'est'proche,me coüfiânt sdâns le Séigneur Jésus; te promettrais miséricorde-». Oh quelle sainte présomption de la miséricorde, du. Seigneur!: Si ces paroles de Martiri ne peuvent faire antorité;en cela; elles~ montrent moins- lâ~bonté -de son.; éœur. PUisque j'ai commencé:à'parler'!du'diable et dé ses ~ificesj, ;'quoique,' je semble m'éloigner ici de mon 'sujet, il'ne ~serâ ~cepèndant~ pâs hors de pro= pas ;.de' raconter le fait. sUivant' parce' qu'il nous aidera,'à mietixconnaître lapuissance'de.Martin, et qu'il est bon' deconsèrver la. mémoire d'uri fait si digned'a:dm~ation'; qui nous, fera tenir'sûr nos gardes :Si;;jamais'; quelque chose de pareil nous arrivait: 'XXIlt -jeune homme de qualité, nommé Clair, avait: été ordon:né: 'prêtre.encorejeune ( il est« heureua maintènant:parlâ'sainte mort qri'il a'.faite)~' :Ayant tout: abandonné; il.'vint trouver Mamn~~et:brilla ~bient8t par. sa foi et ses vertus:: Us'était;,étâbli- '.peu :de- distance': du monastère épiscopal; ei:un;grand-nombre ,de frères démeu rment'.àvecJllh:;Unjèune;<h'omme nommé Anatole, Èir~ulant,'unelprofonde humilité et une grande: pür~et6~de moeurs sous' les dehors ,de la vie monas-.


tique vint se joindre à eux., et vécut quelque temps avec les frères, suivant en, tout, leur, genre de. vie. Pell:detemps.près,il'leur dit, que;.des anges conversaient souvent en sapréSence.C9mme aucun des frères n'ajoutait,.foi. à 'ses .paroles,'au moyen. de ,prestiges merveilleux il en détermina un grand .nombre à le..s~vre.Ala.:fin,.ilen;vin1 jusqu'à prétendre que les anges allaient.et.~enaient de lui à Dieu, et il voulaitqu'op.leregal.'dât comme un prophète. Cependant il ne',pouvait jamais convaincre Clair;. aussi le, menaçait-il de la colère de Dieu et.de châtiments immédiats,poul' n'avoir.pas, cru à la parole d'un saint; enfin.il s'écria~ « Cette « nuit le Seigneur me donnera une robeblanche; «, revêtu de cette robe, je au milieu de « vous, et: ce vêtement. descendu du .ciel sera une « preuveque je suis la vertu de -Dieu.: »:Tous :attendaient l'événement avec une grande, impatience. Vers minuit, la terre retentit- comme d'un piétinement le monastère ,tou.t:.entier :~parut ébranlé; on vit briller-mille éclairs dans:la cellule d'Anaitole; un bruit de pas et des voix: nombreuses s'y firent entendre.. A cette agitation sucçéda,,4n, grand silence. Alors Anatoleappelleàlui.l'un des frères, nommé Sabatius, 'et lui montre-la'1'obe.dont il est revêtu. Surpris,, celui ci, appelle les;. autres frères, Clair accourt lui~même. ~On apportède la lumière et tous ezaminent-la robe avec, soin.; elle était d'une grande délicatesse" d~une' ~blancheur.


me.rveilleusei, ornée-de -pourpre. "*on' ne~ :pouvait cependant en découvrir ,la nature ni la matière; et ~n:eutbeaularegarder.etla::toucher avec soin on.- ne put reconnaître' qu'une. chose c'était une robe. -Clair avertit ses frères de prier:le. Seigneur avec ardeur; .pour qu'il leur montrât plus claire:ment. ce que c'était; pendant le. reste~ de la nuit, ils:chantèrent des'.hymnes'et des psaumes. Au point du jour, il prit Anatole par la main pour le conduire à Martin étant s1Îr que le diable ne pourrait-tromper.le bienheureux. Alors ce misérable s'y refusa, s'écriant qu'il lui av~it été défendu de paraîtl'e devantMartin. 'comme les frères 3. :ent;raînaierit malgré lui., la robe disparut entre leurs mains. Aussi qui pourrait douter que':1~puissance de :1\fartin n'ait.empêché le diable de 'dissi' muler pluslongtemps'son .artifice, au moment où il allait:paraître ~en sa présence?

XXIV. On .remarqua à cette époque, en :Espagne, un jeune homme. qui, 'après avoir acquis quelque influence. par. un grand nombre de-prestiges, en vint jusqu'à se.faire passer pour le-prophète' Élie. Beaucoup de personnes ayant eu la témérité de le croire, il alla jusqu'à se donner pour le 'Christ,. et 'il fit tant, par, ses artifices, qu'un cértain évèque;. nommé Rufus, lui rendit uncu1~e ,ce. qui, dans. la suite; le fit chasser de son .siégé. La plupart- des frères nousont.rappGrt~

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aussi qu'il y avait alors :en :Orient. un-,certain homme qui .prétendait.être,saint Jean. De tence de 'ces. faux- praphèt~es, nous conjecturons que l'arrivée de l'Antechrist est proche,pillsqu'il'opère déjà en.eux son mystère d'iniquité. Jene;.dois point, ce me semble, passer-sous silence tous Ies artifices que le diable employa 'contre Martin à. la même époque. Un jour.le démon'se:préseate:dan~ sa cellule., pendant qu'il priait., précédé et eriVi- ronné d'une lumière éclatante -(afin de mieux, le tromper par cet. éclat emprunté:j:, portant un manteau royal, ceint d'une couronne d'or et de pierres pré,cieuses, avec des chaussures dorées, le visage gai la physionomie sereine :pour ne pas ,être reconnu. A cette vue, Martin est d-abord stupéfait; ils gardent- tous -deux. le silence pendant quelque temps enfin le diable prend la :parole le premier. « Rèconnais donc, Martin, celui. qui: se « présente à toi; je suis le Christ;.devant descendre « sur la terre, c'est à toi le premier que j'ai N-oulii « me montrer. » ~Martin ne répond' pas à cesparoles'7 et garde .un: profond '.silence.. Alors le diable ose. renouveler son audacieux mensonge. « Martin, « pourquoi hésites-tu à croire, .puisque tu me vois9~ « suis le Christ. » Mais à ce moment lé Saint.Esprit fit connaître à Martin quecen'étaitpas Dieu, mais le .démon. « Jésus .~otre~SeigÎ1eur., lui (,( répondit-il, n'a .point .annoncé: qu~il viendrait, (,( vétu de.pourpre et ~ouronné: d:un;diad~me ;:je


«,:ne,'êroiraià sa présence quelorsque.je-le:verrai: «, ,tel-qu'ilétait:lorsqu'ilsoufl'rit, pour, nons, por- <c.,tântIes marques"de son supplice. »;A.ces môts. Satan¡.disparut-:oomme; une" frimée, laissant dans, lacell,Ule, une'odeur-i:i1foote, signe indubitable de~ sa présence.. Pour'quepersonneine puisse,révoquer: en:doute,le'fa.itque j~viens: de raconter j'ajonterai,Pe c7est: de::}a¡.bouche; de Martin .]ui -même! que je l'ai. appris. XXV~ Il y a~ quelque temps, ayant entendu parler de-la -foi, la vie'ef des vertus: de Martin., ,et désirant ,'Vivement le voir, je partis: avec bonheur 'pour' àller lui. rendre visite~; et 'comme je désirais; beaucoup écrire sa vie, je l'interrogeai lui-même autant que!je.Je'pus':faire;' j!interi'ogeai aussi ceux qui'avaient;v.écu'3veclui, ou qui étaient bien' j~formés~ On 'ne'pourrait: croire avec quelle: bmnihité et;queJlehonté il me reçut en: cette cir- constance, témoignant une.. grande joie dans' le Seigneur, de ce que j'avais fait assez' de cas de lui pour entreprendre ce voyage.- Lorsqu'il. daigna m~adD1ettre:à sa'1able., moi, misérable-que-je suis; j'ose à,.peine; ravouer, il; me présenta luimême del'eau.pourme.laver:lesmains', et le soir il me,]ava les 'pieds"; je n'eus pas.le courage de résister ou.de,m!y.opposer; je.fus;tellement-subjtt>oguépar:son:autorité' que'je.meiserais.:fait:uri. crime de: ne ,pas; acquiescer à sesi désirs. U,ne'.DQ1!S:'eDmr


tint que des charmes trompeurs et des embarra3 du siècle auxquels il faut renoncer; pour sùivre le Seigneur.Jésus avec liberté et dégagement. Tl nous proposait le plus. remarquable- -exemple de notre temps, celui de l'illustre Paulin, dont nous. avons parlé plus haut. Ayant abandonné d'immenses richesses pour. suiV1'e Jésus-Christ, il 'est. presque le seul à notre époque qui. ait-.observé dans toute leur perfection les préceptes évangé~ liques. « Voi~à l'exemple qu'il faut suivre, s'é« criait-il; heureux notre siècb d'avoir reçu ce « grand.enseignement de foi et de vertu, c'est-à..« dire.- d'avoir y-u un homme possédant de grands « biens, les vendre tous pour les donner. aux « pauvres, selon le conseil Seigneur, et rendre « ainsi possible par .son exemple ce que le monde « croyait impossible. » Quelle gravité et quelle dignité dans ses paroles et dans ses conversations quelle pénétration d'esprit 1 comme ses discours étaient persuasifs avec quelle promptitude et quelle facilité il comprenait et rendait intelligibles les passages obscurs des saintes Écritures! Je sais que bien des personnes se sont refusées à croire surma parole ces derniers détails; mais j' en prend~ à témoin Jésus-Christ et.le ciel, notre'commune espérance, que je n'ai jamais vu tant de science et tant d'intelligence un langage plus éloquent et plus.pur. Quoique pour un saint comme Martin de pareils éloges aient bien peu de valeur, p.'est-il


pas r étonnant. qu'un. homme sans lettres ait possédé même ces qualités?

XXVI.. -1~ais il est temps.de.terminer ce:livre, 'non qu'il n'y ait plus ;rien à dire de .Martin, .mais ,parce. que, semblable; à ces poëtes peu, féconds, qui se relàchent à la fin- d'un long poëme nous suc'combon~ sous le. poids de:notre intarissable sujet..Car:s'il a été possible, jusqu'à un certain point, de, raconter, les ,actions de notre.:bienheureux, jamais., je le'déclare.en toute:vérité; jamais on ne pourra décrire sa vie intérieure sa manière d'employer chaque journée, son, £Œmr ÏDœssamment appliqué à Dieu, la continuité de ses abstin~nces. et de ses -jeûnes, et le. sage tempérament qu'il savait y apporter, la puissante efficacité de -ses prières et, de ses oraisons, les nuits qu'il employait comme les journées; tout son temps, en un mot, dont pas un' instant n'était donné au repos ni aux affaires de ce monde, était entièrement consacré. à l'œuH'e de Dieu, même pendant son. repos et son sommeil, auxquels il n'accordait que ce que la nature exigeait absolument.. Non il faut lfavouer, si Homère lui-même revenait, de l'autre. monde, le génie de ce grand poëte serait incapable de raconter. toutes ces merveilles tout est si grand dans :Martin, que la parole 'est impuissante.. àl'~xprimer. Jamais il ne laissait: passer une heure, un seul moment sans vaquer à la


:prière ou à la lecture, et. mémé,. pendant -qu'il lisait ou qu'il se livrait à toute autre occupation :1 son cœur priait toujours. Comme les forgerons qui frappent sur l'enclurne pour s'e 's0Ùlagerpei1dant leur travail, Martin priait sans cesse, quoiqu'il panit 'occupé d'autre chose. Heureux Martin~l il ne se trouvait enlui aucune malice ne jugeait ni necondamnait personne, 'et ne rendait jamais le mal pour le mal. Il Stlpportait ;les injures ave'e tant de 'patience, que,!bien qu'il fût: évêque,' -les moindres clercs ~1'outrageaïent impnnément --et sus qu.'illesprivât 'pour cela ¡de @leur emploi., ou les cba9sât d-e 'son :cœnr.

XXV-11. Jamais on ne ~e -nt irrité ou ému, .jamæsdaus la ¡tristesse ou)la gaieté;; il ,était toujours lui-m~me; une joietoute céleste était en quelque sorte empreinte sur son -visage, et il semblait'élevé.-au-deSsus' de la nature. Il avait toujOŒl'S le :nom du Christ, sur les lèvres; dans son cae~r, la piété, la paix et la miséricorde. Il pleurait souvent sur les fautes de ses détracteurs, qui allaient le chercher jusqu'au fond de sa retraite, 'au";milieu du calme qu'il y goûtait, pour 1-'àttaquer avec leurs langues de vipères;' nous en avons été nous-même le témoin. Jaloux de ses 'Vertus et de,sa sainte vie, ils détestaient en lui ce qu'ils ne trouvaient point en eux-mêmes et qu'ils n'avaient pas le 'Courage d'imiter `il est inutile de


lesnommer,,quoique laplupart d'entre eux hurlent autour de nous. Si l'un d'eux vient à lire ces lignes, il suffit qu'il reconnaisse sa faute et en rougisse; car s'il s'en irrite, c'est qu'il s'applique à lui-même ce que nous avons peut-être pensé d'un-autre; du reste, je ne refuse point de partager avec Martin ,la haine qu'ils lui portent. J'ose espérer que ce petit ouvrage plaira à tous les hommes religie:nx. Si quelqu'un ne veut pas ajouter foi à mes paroles, la faute retombera sur lui. La certitude des faits que j'ai racontés, et l'amour de Jésus-Christ, m'ont seuls porté à écrire ce livre, j'en ai la conscience; car je n'ai avancé que des choses vraies et incontestables, et. Dieu, je l'espère, prépare une récompense, non pour. celui qui lira, mais pour celui qui croira.



'L,ETT'RES

DE

SULPICE SÉVÈRE

1

.AU PR~TRE EUSÈBE

.CONTRE CEUX QUI SONT~ 7ALOUX DES VERTUS DE SAINT MARTIN..

Hier,'beaucoup de :moines vinrent me trouver, et, au milieu de nos 'récits et dé nos -longs entretiens; on parla de mon petit livre sur la.vie de saint: Martin; j'appris. avec plaisir. que beaucoup le lisaient avec:' empressement. On m'annonça aussi qu'une.personne, inspirée par Je malin:esprit; avait .demandé pourquoi .Martin, ;qui avait ressuscité des morts et arrêté des incendies, s'é-


tait trouvé exposé lui même à périr tristement dans les flammes. 0 le misérable (quel qu'il soit), dans ses paroles je reconnais la perfidie des Juifs, qui, faisant des reproches au Seigneur sur la croix, disaient « Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même. » Vraiment, si ce malheureu~ eût vécu à cette époque-là, il eût adressé les mêmes outrages au Seigneur, puisqu'il profère de semblables blasphèmes contre l'un de ses saints. Quoi 1 Martin ne serait pas puissant, Martin ne serait pas saint, parce qu'il a manqué de périr dans un incendie 1 0 bienheureux Martin!. semblable en tout aux apôtres, même dans les injures qu'il reçoit. En effet, les Gentils voyant Paul mordu par une vipère dirent aussi de lui « Cet homme doit être un homicide; il a échappé aux périls de la mer, les destins ne lui permettent pas de vivre. » Mais Paul, secouant la vipère dans le feu,' n'en ressent aucun mal. Ces païens croyaient qu'il allait périr sur-le-champ; mais voyant qu'il n'en était rien, ils changèrent de sentiments et le prirent p01Ji1" an dieu. 0 le plu 'misérable des mortels, ces exemples n'au2aient-ils pas dû confondre ta perfidie 1 et si tu .¡!f&8 été d'abord .scandalisé en voyant Martin reoewir les att-eilltes du feu, tu aurais d û ensuite attribuer à ses mérites et à la puissance de sa foi q1i"il ait conservé ta "je au milieu ides flanunes 1 ~eounna~is ton 'ignorance malheureux'; :apprends


que c'est dans les dangers que la vertu des sain-ts brille avec le plus d'éclat. Je vois Pierre, avec sa foi puissante, marcher sur la mer, malgré la loi de la nature, et se tenir ferme sur les flots mobiles. Mais cet Apôtre des nations, qui fut englouti dans les eaux, d'où il sortit sain et sauf après trois jours et trois nuits ne me semble pas moins grand; et je ne sais s'il est plu~ remarquable d'avoir vécu au fond de la mer, ou d'avoir marché à sa surface. Mais, insensé, tu n'avais donc ni lu ni entendu lire ces' faits ? car ce n'est pas sans l'inspiration divine. que l'évangéliste a rapporté, cet exemple dans les saintes Écritures; c'était pour apprendre aux hommes que les naufrages, les morsures de serpents ( comme le dit l' 4pôtre, qui se glorifie d'avqir souffert la nudité, la faim et les dangers de la part des voleurs ), <¡u'en un mot, tous ces accidents sont communs aux saints, aussi bien qu'aux autres hommes mais c'est en les supportant et en en triomphant qu~ la vertu des justes a bullé du plus vif éclat. Car, patients dans les épreuves' et toujours invincibles la victoire qu'ils ont remportée a été d'autant plus éclatante, que leurs souffrances ont été plus violentes. Aussi le fait que l'on cite pour amoindrir la vertu de Martin le couvre:-t-il d'honneur et de gloire, puiSCN'il est sorti vainqueur d'un accident rempli de péril. D'ailleurs, on ne doit pas s'étonner si j'ai omis ce fait dans la vie que j'ai écrite puiscine dans ce


'livre même J'ai àéclàré'que je ne raconterais pas toutes ses actions. En efl'èt~'si j'eusse entrepris de ,*le faire,faurcris remplinnjmmense volume:; ses actions ne sont pas si peu importantes qu'on 'puisse «facilement les raconter toutes. Je ne passerai pour'tant pas sous silence le fait. dont il est question ici, et je le raconterai dans tous ses détails, tel qu'il s'est passé afin de ne 'pas parditre omettre à dessein ce qui .peut -fournir des objéctiônsvcôntre la vertu de notre bienheureux. Un jour d'hiver, Martin visitant une paroisse' (suivant I'habitude des évêques les clercs'lui.préparèrent nn logement dans la sacristie, allumèrent un grand feu dans une sorte de fourneau très-miilceet constiiiit en pierres brutes, pms. lui dressèrent un lit, en entassant une grande quantité de paille. Martin s'étant couché eut horreur de la délièatesse ce lit, à laquEIllè il n'était pas habitué, car.il avait coutume de coucher sur un cilice, étendu sur la terre nue. Mécontent de ce qu'il regardait comme une injure, il repoussa la paill~ qui s'accumula par hasàrd. sur le fourneau; puis, fatigué du voyage, il s'endormit, étendu parterre, suivant'son usage. Vers le milieu de la nuit, le feu; étant très-ardent, se communiqua à la pàille à travers les fentes: du fourneau. Martin, réveillé en sursaut, surpris par ce danger subit et imminent, et surtout,' comme il le raconta lui même,. par l'instigation du démon, eutrecours trop tard à la prière; e<ir,vQulant


se précipiter au dehors et ayant fait de. longs efforts@ pour erilever la barre qui fermait la porte, un feu si violent l'environna, que le vêtement qu'il portait fut consumé. Enfin, rentrant-en luimême, et comprenant que ce n'était pasaans la fuite- mais dans le Seigneur qu'il trouverait du secours il s'arma du bouclier de la foi et de la prière, et, se remettant tout entier entre les mains de Dieu, il se précipita au milieu des flammes. Alors le feu s'étant éloigné miraculeusement de Martin, celui-ci se mit en prière au milieu d'un cercle de flammes dont il ne ressentait nullement les atteintes. Les moines qui étaient au dehors, entendant le bruit etlespétillements de laflamme, enfoncent les portes, écartent les frammes, et en retirent Martin, qu'ils croyaient déjà entièrement consumé. Du reste, Dieu m'en est témoin, Martin lui- même me'racontait et avouait en gémissant, que c'était par un artifice diabolique, qu'à l'instant de soli réveil il n:avait pas eu la pensée de repousser le danger par la foi et la prière; qu'enfin il avait senti l'ardeur des flammes jusqu'au moment où, rempli de frayeur, il s'était précipité vers'la porte; mais qu'aussitôt qu'il avait eu recours au signe de la croix et aux armes puissantes de la prière,, les flammes s'étaient retirées, et qu'après lui avoir fait sentir leurs cruelles atteintes, elles s'étaient ensuite transformées en une douce rosée. Que celui qui lira ces lignes


comprenne que si ce danger a été pour Martin une tentation, il a été aussi uue épreuve de Dieu.


AU DIACRE AURÉLtUS

DE U MORT ET DE L'APPÀR1TION I)TJ BIENIl'EI1REUX MAItIril-(

5ulpice.Sévère, au diacre Aurélius, salut. Ce matin, après votre dépa.rt, j'étais seul dans ma cellule méditant, à mon ordinaire, sur les espé.rances de la vie future, le dégoût des choses de ce monde, la crainte du jugement et des peines, et* ces .pensées avaient naturellement fait naître en moi, 1esouvenir de mes fautes, ce qui me remplissait de tristesse et d'accablement. Ensuite, le caeur fatigué, de ces angoisses, je. me jetai sur man .lit,. -et bientét. le sommeil s'empara, de Moi.

II


effet ordinaire de la tristesse (c'était ce demisommeil du matin, si inquièt et'si léger, qu'on veille presque en se sentant dOl'mir,.ce qu'on n'éprouve pas dans le sommeil ordinaire)., lorsque tout à coup il me sembla voir le saint évêque Martin, revêtu d'une robe blanche, le visage enflammé, les yeux et les cheveux resplendissants de lumière. Il me semblait retrouverven lui les mêmes formes, les mêmes traits'qu'il. avait 'autre:" fois, et, chose inexprimable 1 je ne pouvais fixer mes yeux sur lui, et cependant je le reconnaissais. Il me regardait en souriant, et tenait à la main le livre que j'ai écrit sur sa vie quant à moi, j'embrassais ses genoux sacrés, et, selon ma coutume,.je lui demandais sa bénédiction. Je sentais sur ma tète le doux contact de sa main, tandis que, dans la formule ordinaire de la bénédiction, il répétait souvent le nom de la croix, qui lui était si familier. Bientôt, comme je le considérais attentivement, sans pouvoir me* .rassasier de sa vue, il s'éleva subitement, et je le suivis des yeux, traversant sur une nuée l'immensité des airs, jusqu'à ce qu'il disparût dans le ciel entr'ouvert. Peu de temps après, je vis le saint. prêtre Clair, son disciple, mort peu auparavant, suivre le même chemin que son maître. Dans ma téméraire audace, je voulus les suivre mais. les efforts que je fis pour m'élev.er en l'air me ;réveillèrent. Je me réjouissais de cette vision, lorsqu'un de mes plus


intimes serviteurs entra avec un visage plus triste qu'à l'ordinaire, et qui laissait voir toute la douleur qui l'accablait « Qu'as tu ? lui dis-je; d'où vient cette tristesse Deux moines arriyent'de Tours, dit il; ils annoncent. la mort du seigneur Martin. » Je l'avoue, cette nouvelle me consterna, et un torrent de larmes s'échappa_de mes yeux: Elles coulent encore, cher frère, .au moment je vous écris ces lignes; rien ne peut consoler mon amère douleur. Lorsque cette nouvelle me fut annoncée, je voulus vous faire partag~r mon affliction, vous qui partagiez aussi mon amour 1)our Martin.



A ;BASSULA, SA BELLE-M~RE

COMMENT LE BIE~REUREUX MARTIN QUITTA CETTE VIE POUR L'tTERNITÉ.

Martin connut l'heure de sa mort longtemps d'avance, et annonça â ses frères que la dissohition, de.~ son corps était proche. Il eut à cette époque un motif pour aller Yisiter la paroisse de Cande (t f car, désirant rétablir la concorde parmi les clercs de cette église qui étaient divisés quoi-

(t) Cande, ville du département d'Indre-et-Loire, située au,confluent de la Vienne et de la Loire.

III


qu'il sût que sa fin approchait, il ne balanca ipas à entreprendre ce voyage. Il pensait qu'il couronnerait dignement ses travaux s'il rétablissait la paix dans cette église avant de mourir. Étant donc parti, accompagné, suivant son usage, d'une troupe nombreuse de pieux disciples, il vit sur le fleuve des plongeons poursuivre des poissons, et exciter sans cesse leur gloutonnerie par de uouvelles captures « Voici, dit il une. image des' démons, qui dressent des embûches aux imprudents, les surprennent et les dévorent, sans pouvoir se rassasier. » Alors Martin, avec toute lapuissance de sa parole, commanda aux oiseaux de s'é.loigner du fleuve et de se retirer dans des régions arides et désertes, employant contre eux le môme pouvoir dont il usait souvent contre les démons. A l'instant tous ces oiseaux se rassemblent., et, quittant le 'Ileùve, se dirigent vers les montagnes et les forêts, à la grande admiration de tous les spectateurs, qui voyaient Martin exerçer son pouvoir, même sur les oiseaux. Étant arrivé à l'église de Ca'nde, il y demeura quelque temps,. et, après avoir rétabli la concorde parmi. les clercs., il songeait déjà à retourner dans sa solitude, lorsque ses fôrces l'abandonnèrent; il réunit alors ses disciples et leur annonça que sa mort était proche. Une profonde douleur s'empare aussitôt de tous les coeurs tous s'écrient en. gémissant a. 0 tendre père 1 pourquoi nous abandonner et nous laisser


dans la désolation ?des loups avides de carnage se jetteront. sur votre troupeau si le pasteur est frappé, qui péurra7'le défendre l Nous savons bien que vous souhaitez ardemment de posséder JésusChrist inais votre récompense est. assurée, et elle ne sera pas moins grande pour être retardée; ayez pitié de nous que vous allez laisser seuls.» Martin} touché de leurs.]armes, et 'brûlant de.cette tendre charité qu'il puisait dans les entrailles de son divin Maître, se mit aussi à pleurer. Puis, s'adressant au Seigneur « Seigneur, s'écria-t-il, si je suis encore nécessaire à votre peuple, je ne refuse pas le travail que votre v olonté soit faite. » Hésitant entre l'espérance du ciel et l'amour de ses frères, il ne savait ce qu'il devait préférer; car,'s~ildésirait ne pas abandonner ses chers disciples, il ne voulait pourtant pas vivre plus longtemps séparé d e Jésus Clirist sacrifiant néanmoins sa propre volonté et ses plus ardents désirs, il s'abandonnait tout entier entre les mains de Dieu. Ne semblait-il pas lui dire Seigneur, j'ai livré de rudes combats sur la terre n'est-il donc pas temps que je jouisse du repos Si pourtant vous me commandez de combaitre encore devant.le camp d'ls1'aël pour la défense de votre peuple je ne vous refuserai pas non, mon. grand âge ne m'arrêtera pas, je remplirai"mon devoir avec zèle; je combattrai sous-vos drapeaux aussi longtemps que vous me l'ordon~nerez. Le' vétéran qui a blanchi sous les armes


soupire .pourtant avec impatience après ce~ congé qui. doit être la récompense de ses longs travaux. N'importe, mon courage me fera triompher du. poids des'années. Et pourtant, Seigneur, quel bonheur pour moi, si vous daigniez avoir.compassion, de ma vieillesse Mais que votre volonté s'accomplisse. Si je vais à vous, ne prendrez:-vous pas: soin vous-méme de ces chers enfants, pour qui je. redoute tant de dangers1 0 homme admirable, que ni le travail ni la mort même ne peuvent, vaincre qui demeure indifférent, qui ne craint.. ni la mort ni la vie 1 Ainsi, malgré l'ardeur de la fièvre qui le consumait depuis plusieurs' jours, il poursuivait l'oeuvre de- Dieu avec un zèle infatigable. Il veillait toutes les nuits, et les: passait en prière. Étendu sur sa noble couche, la' cendre et le cilice, il se'faisait obéir de ses membres épuisés par l'âge e1.là maladie. Ses disciples l'ayant prié de souffrir qu'on mît un peu de: paille sur sa,couche «( Non, mes enfants, répondit-il, 'il ne convient pas qu''un chrétien meure autrement que sur la cendre et le cilice.; je, serais ¡ moi = même coupable de 4'Vous laisser un autre exemple. ». Il tenait ses regards et ses mains continuellement élevés vers le ciel, et né se lassait point de. prier. Un grand nombre de prêtres.qui 1s'étaient, réunis près de. lui, le priaient de leur permettre -de:le soulager un peu en le changeant de position .Laissez:- moi, mes frères, répondit-il.; ~lai~ssez~


moi regarder' le ciel plutôt que la: terre, afin' que mon: âme- prenne plusfucilement. son essor :vers Dieu. » A'peine eut-il achevé ces mots, qu'il aper~Ut le!démon à ses côtés. a Que fais-tu' ici, bête cruelle?,tune tro)lveras -rien en moi::qui:fappartienne je serai, :reçu' dans le sein d'Abraham. n Après" ces paroles, il expira. Des témoins de sa mort nous ont, attesté 'qu'en ce moment son visage parut'oelui ,d'un ange, et que ses membres de,inrent blancs comme.ia neige. Aussi s'écrièrent-ils: « Pourrait on jamais croire qu'il soit revêtu d'un cilice et couvert de cendres.?» Car, dans l'état où ils virent. alors son corps, il semblait qu'il jouit déjà de la transformation,glorieuse des corps ressuscités.

Il est impossible de s'imaginer l'innolnbrable multitude. de ceux qui vinrent, lui rendre les derniers devoirs. Presque toute,la' 'Ville de Tours accourut au-devant ,du. saint corps; tous les habitants. ,des campagnes et-des.bourgs voisins, et même: un grand nombre de personnes des.autres villes s'y--trouvèrent. Oh 1.. quelle a:Miction dans tous les ,CŒur3'! Quels: douloureux gémissements faisaierit entendre,.surtoutles moines 1: On dit qu'il en :vint:'envi~on deux.mille: c'était la gloire de Martin'" les fruits 'Vivants. let innombrables de ses saints. exemples..Ainsi le pasteur conduisait-il ses ouailles devant,.lui., de',saintes multitudes pâles. de douleur.,de81rp~ea.nombreuses'. de moines. revé-


tus de nianteaux; des vieillards épuisés: par d~ longs travaux, de jeunes novices de la solitude et du sanctuaire. Apparaissait. ensuite le choeur. des vierges, que la retenue empêchait de. p leurer,. et qui dissimulaient par une joie toute sainte la profonde affliction de leurs coeurs et si la confiance qu'elles avaient dans la sainteté de Martin ne leur permettait pas de paraître tristes, l'amour. qu'elles lui portaient leur arrachait cependant quelques. gémissements. Car la gloire dont Martin jouissait déjà causait autant de joie, que sa mort qui.le ra~~issait à ses enfants leur causait de douleur. fi fallait pardonner les larmes des uns et partager Pallégresse des autres; car çhacun,. en pleurant pour soi-même, d evait en même teinps se ré j ouir pour lui.

Cette foule immense accompagna donc le corps du bienhèureux j jusqu'au lieu de sa sépulture en chantant de saints cantiques. Qu'on se représente, si l'on veut, une pompe de la terre; je ne dirai pas une cérémonie funèbre; mais la pompe fastueuse d'un triomphé. (3ù trouverez-vous rien de comparable aux funérailles de Martin? Que des. héros vainqueurs s'avancent montés sur des, chars de triomphe précédés d'hommes enchaînés et suivis de leurs prisonniers lé corps de Martin est suivi tous ceux qui, sous sa conduite, ont "Vaincu¡le monde. Pour les premiers, les peuples en dé~ence font entendre des applaudissements


et des cris confus en l'honneur de Martin, les airs retentissent du chant des.psaumes et des cantiques sacrés. Ceux-là, après leurs triomphes, sont précipités dans les gouffrés de l'enfer; Martin, rayonnant d'une joie céleste, est reçu dans le sein d'Abraham. Martin, si pauvre en ce. monde, menant une vie si simple, entre riche dans le ciel, d'où, je l'espère, il veille sur nous, sur moi qui écris ces lignes, sur vous qui les lisez.



-DIALOGUES DE

SULPICE SÉVÈRE

Di ~LOGUE PREMIER'

Postumien, ami de Sulpice Sévère, revient d'Orient, où il a passé trois années. Il fait un long récit `des merveilles qu'fi. a admirées etsmtout des vertus des moinés de la Thébaïde. Le traducteur'a retranché ces détails; il reprend à l'endroit où Postumien établit un parallèle entre les mirâcles des'moines d'Orient et. ceux de saint.Martin.

XXIII. «Comment ,dis-je, tu ne possèdes:doncpasle livre que. j'ai écrit sur la vie et les miracles dev saint. ,Martin? Je l'ai; en effet:, 'répondit Postumianus j amais il ne m'a quitté. ( il me fit voir le livre caché sous ses vêtements) si tu le reconnais, le voici: Ce volume m'a accompagné sur terre et sur mer, il a été


mon compagnon et mon consolateur pendant tous mes voyages. Je te dirai toutes)es.contrées où ce livre a pénétré car il n'y a pas un endroit dans l'univers où le récit d'une si admirablë histoire ne soit connu, Paulin, qui t'est si attaché, est le premier qui l'ait porté à Rozne ~corrime toût~ l,a ville se le disputait, j'ai entendulès'1ibraires'enchàntés déclarer que rien n'était plus lucratif, rien ne se vendait plus facilement et plus cher que ce livre. Il a beaucoup devancé mon voyage par mer; lorsque j'arrivai en Afrique, on le lisait déjà dans toute la ville de Carthage. Seul, le prêtre de Cyrène ne l'avait pas, je le lui donnaipour le copier. Que te dirais-je donc d'Alexandrie, 'où on le connait peutêtre mieux que tu ne lé connais tÕi-In~~e? na pénétré en Égypte, en Nitrie, en Thébaïde,, et dans tout le royaume de Memphis. J'ai vu un vieillard le lire daris le désert. Lorsqu'il apprit -que j'étais ton ami, il me chargea, ainsi que beaucoup d'autres moines, si jamais je te rêtrouvais sain et sauf en ce pays de t'exhorter à compléter ce que tu reconnais avoir omis dans ton livre sur les vertus de saint Martin. Enfin, je.joins mes prières à celles de beaucoup d'autres pour te supplier de nous raconter, non ce que tu as écrit, mais ce. que tu as autrefois passé sous -silence,, 'pour éviter;.je crois, de fatiguer les .lecte urs. »,

XXIV. « En vérité dis j e à. Postumianus


pendant. que j'écoutais depùis longtemps avec attention le .récit- des. miracles,. des saints moines d'Orient "je songeais silencieusement à Martin et je voyais' avec raison que tout ce que chacun de ces moines a 'fait en particulier a ,été accompli par Martin. Car, quoique leurs miracles soient fort remarquables ( qu'il me soit permis de le dire sans les offenser ), il n'en est pas un qui ne soit inférieur aux sièns. Mais, si je déclare que la vertu de Martin- ne pèut être ~~mparée à celle des autres hommes, il faut aussi remarquer que l'on ne peut -établir de juste comparaison entre Martin et:,les ermites et ,les anachorètes. Ceux-ci sans entraves' opèrent, de très- grands miracles et n'ont que le Ciel et les anges pour témoins Martin; au contraire, vivant au milieu du monde, avec lequel il est, toujours en rapport, parmi des. clercs en discorde et des évêques sévères, a:flligé souvent.par des scandales presque quotidiens, reste inébranlable par sa vertu, et opère de plus grands miracles que n'en firent: dans le désert les' moines dont tu nous parles. Quand ils en auraient fait de semblables, quel jugé serait. assez:injuste pour ne pas reconnaître que Martin l'emporte sur eux? Songe donc que Martin était- un soldat combattant dans un poste désavantageux, et qui cependant a remporté la victoire: je compare~ également les autres à des soldats, mais à des soldats qui combattent dans un endroit favorable et avantageux. Et d'ailleurs,


quoique tous aient été vainqueurs, la gloire.des combattants ne saurait:être égale.; puis, en nous racontant ces merveilles, au ne nous ~as pas ¡dit qu'aucun de ces moines ait ressuscité. un .mort .et cela seul te force à avouer que Martin ne peut êtrecomparé à personne. »

xxv. « S'il est merveilleux que le feu ait respecté l'Égyptien,. Martin aussi commanda souvent aux flammes. Si les anachorètes ont. dompté la férocité des animaux, Martin souvent encore contint la rage des. bêtes féroces, et arrêta le venin ,des serpents. Si tu veux comparer à Martin celui qui, par la puissance de sa parole ou la vertu des fils de ses vêtements, guérissait ceux qui étaient possédés de l'esprit immonde, notre Saint n'a encore rien à lui envier en cela, et nous en avons beaucoup d'exemples. Si,tu cites celui qui, n'ayant. qu'un vêtement de poils, était, dit-on, visité par les anges, Martin conversait tous les jours avec eux.. Son âme était tellement supérieure: à la vanité..et à l'orgueil, que personne ne détesta ces. vices plus que lui, bien que, même absent-, il ait délivré les possédés du 'démon, et commandé non-seulement aux comtes, et aux préfets, mais aux empereurs eux-mêmes..11 est vrai que ce sont les moindres de ses mérites, mais je veux. te persuader que personne ne résista plus courageusement que lui non-seulement à la. vanité" mais


aux causes et aux occasions de la vanité. Je vais maintenant raconter des choses peu importantes, mais que je ne puis passer sous silence; car nous devons louer celui qui, revètu d'une. grande autorité, montra tant dé respect envers le saint homme. Je me souviens que le préfet Vincent, homme éminent et le plus vertueux des Gaulès, demanda souvent à Martin, lorsqu'il passait en Touraine, de le recevoir à la table du monastère ( et il citait à cette occasion l'exemple du saint évêque Ambroise, qui, dit-on, rècevait de temps en temps à cette époque les consuls et les préfets ). Mais Martin refusa toujours, craignant, dans sa haute sagesse, qu'il n'en tirât' de la vanité ou de l'orgueil. il faut donc que tu avoues, Postumianus, que l'on trouve en Martintouslesmérites.de ces moines, qui, tous réunis, n'en ont pas autant que lui. »

XXVI. G Pourquoi en agir ainsi avec moi 9 dit Ptistumianus, ne suis-je donc pas de ton avis, et n'en ai'je -pas été toujours? Tant que je vivrai et que j'aurai ma raison, je vanterai les moines d'Égypte, je louerai les anachorètes, et j'admirerai les ermites; toujours ferai une exception pour Martin, jamais je' n'oserai lui comparer les moines ou d'autres évêques. C'est ce qu'avoue l'Égypte; ce que croient la Syrie, .1'Éthiopie, les In~es, la Parthie, la Perse; ce que n'ignorent pas l'Arménie, le Bosphore, les fies Fortunées, si elles sont habi-


tées, et l'Océan glacial, s'il est sillonné .par: les vaisseaux. Que notre pays si proche de ce grand homme, est malheureux de' n'avoir..pas été digne de le connaître Ce n'est pas sur le peuple que retombe cette faute, mais sur les prêtres, sur les évêques. Les envieux avaient bien leurs raisons pour refuser de le connaître; car admettre ses vertus, c'était avouer leurs vices: C'est, avec horreur que je répète ce que j'ai récemment entendu un malheureux ( j e ne sais qui c'est ) a dit que ton livre était plein de faussetés. Ce propos n'est pas d'un homme, mais du diable et ce n'est pas Martin qu'il contredit en cela, c'est l'Évangile qu'il dément. Car le SeigneurJui~même; n'a t-il pas attesté que tous les fidèles pouvaient opérer les mêmes miracles que Martin? Or celui qui ne croit pas aux m~â.cles de Martin ne croit pas aux paroles du 'Christ. Mais ,ces malheureux, ces misérables, ces lâches,. rougissant de ce qu'ils ne sont pas aussi puissants que Martin, aiment mieux nier ses' m.érites que confesser leur impuissance. Passons à, d'autres choses, et oublions-les; racontenous plutôt les' autres miracles de ;,Martin, il y a longtemps que je désire lesconnaitre. Quant. à moi, dis-je, il me semble qu'il serait plus juste de demander cela à Gallus, il en sait plus que nous ( un disciple peut il ignorer les actions de.son maître? ), et il doit d'abord à Martin, puis à nous, de traiter ce suj et à son tour car, pour moi, j'ai


écrit un 'livre, et. toi, Postumianos, tu. nous as jusqu'à présent entretenu des miracles. des moines d'Oljent~Gallusnous doit:~ ~dônc~ ce.. récit., et, comme:je viens, de'. le dire, c'est à s4n tour .de parler;, et, pour l'amour. de Martin,.ille fera, je crois, avec plaisir.

-,Certainement, répondit Gallus, quoique je sois'bien, ,faibiepour un si grand fardeau; c~pendant; excité,'par .les:. exemples d'obéissance que vient de rapporter Postumianus, je ne refuserai point la charge que vous m'imposez. Mais, lors que je pense que moi, Gaulois, je vais;par~er devant des Aquitains; je crains. d~offenser vos oreilles délicates par"mon langage peu soigné..Êcoutez-moi donc comme un homme grossiér, simple et.sans fard dans son langage. Car si vous m'accordez d'être disciple de Martin, permettez moi à son exemple, de mépriser. 'un style vainement orné et fleuri..

Parlez celtique ou gaulois si vous l'aimez mieux, dit Postumianus, mais du moins entretenez-nous de Martin; quant à moi, je prétends que, même si vous étiez muet,' pour nous parler de A~fartin d'éloquentes paroles ne vous feraient pas défaut la langue de Zacharie ne s'est- elle pas déliée pour prononcer le nom de Jean? D'ailleurs vous êtes un homme lettré vous usez d'artifice, et vous vous excusez sur votre inhabileté parce que vous êtes plein d'eloquence un moine

4.


ne peut être si adroit;'ni un Gaulois,si,rusé. Comi mencez donc plutôt, et remplissez la 1âchequi vous est imposée, nous avons déjà perdu trop'de temps à d'autres choses: les ombres-qui s'allongent et le soleil couchant annoncent la fin du jour et l'arrivée de la nuit..

Après quelques moments de silenc 'e, Gallus commença ainsi « Je crois que je doisvd'abord:prendre garde à ne pas répéter les 'miracles de. ;Martin. que' notre ami Sulpice a rapportés dans son livre je passerai donc sous' silence ce que Martin a fait lorsqu'il portait les armes et pendant qu'il fut laïque et moine, et je raconterai plutôt ce que j'ai vu moi-mème, de préférence à ce que je tiens des autres. »


DE~UXLÈMEw DIALOGUE

1. -'« Aussitôt que j'eus quitté les écoles, je me joignis à Martin. Quelques jours après, comme nous le suivions pendant qu'il allait à l'église, un pauvre à demi nu ( c'était en hiver) se présenta lui, demandant qu'on lui donnât un vètement. Martin appela alors l'archidiacre, lui ordonna de revêtir le pauvre immédiatement, et entra *ensuite -dans la sacristie, où il demeura seul selon sa coutume car, même dans I'église, accordant toute liberté au. clergé', il préférait la solitude; quant aux autres prêtres, .ils. se tenaient dans l'autre sa- eristie, y recevaient des visites, ou s'occupaient d'affaires. Mais Martin restait dans sa retraite,


jUsqu'à I'heure où il était d'usage de célébrer l'office pour le peuple. Je n'omettrai pas de vous dire que, dans la sacristie, jamais il ne se servit d'un- siège orné, et, dans l'église, personne ne le vit jamais s'asseoir, comme le fit naguère un certain personnage que je vis placé ( et j'atteste le Seigneur 'que ce ne fut pas sans honte) sur un siége élevé et magnifique, comme sur un trône royal. Martin s'asseyait sur un petit escabeau grossier, semblable à ceux dont se servent les esclaves, que nous autres, simples Gaulois, nous appelons siéges à trois pieds, et que vous lettrés et vous qui revenez de la Grèc,e nommez trépieds. L'archidiacre ayant négligé de donner un vêtement au pauvre, celui-ci entra dans la retraite du saint homme, se plaignant d'avoir été oublié, et de souffrir beaucoup. Aussitôt, sans que le pauvre s'en aperçoive, le bienheureux. ôte secrètement sa tunique sous son manteau, en revêt le pauvre et le congédie. Quelque temps après, l'archidiacre entre, et, selon l'usage, avertit Martin que le peuple attend dans l'église, et qu'il est temps de sortir pour célébrer le sacrifice. Mais le Saint lui répond eil faut d'abord vêtir le pauvre ( il parlait' de. lui-même), et qu'il ne peut aller à l'église avant que le pauvre n'ait un vêtement. Le diacre qui ne comprend pas, car Martin étant couvert d'un manteau, il ne peut s'apercevoir de sa nudité, affirme qu'il n'y a pas de pauvre. « Que l'on m'apporte;


dit Martin, le vêtement qu'on ,lui a préparé, et je'trouv~rai;unpauvreà vêtir.» Le prêtre; pressé par c'et ordre, et dont la bile était déjà en mouvement,. achète rapidement: pour ..cinq pièces d'argent- une robe grossière, courte et velue, et la met, tout irrité, aux pieds de Martin: cc La voici, dit-il, mais je ne vois point. de pauvre. » Martin, sans aucune émotion,. lui ordonne de se tenir quelques instants à la porte~ désirant être seul, pendant' qu'il se revêt.. de 'cette tunique, s'efforçant de cacher ,ce qu'il fait. Mais les saints peuvent-ils céler ces' sortes de choses 1 bon gré mal gré ceux qui s'en informent les découvrent toujours.

II. « Revêtu de. cet habit, ilalla donc offrir le saint sacrifice. Ce jour-là. même ( chose merveilleuse 1 ), comme il bénissait .1'autel selon la coutume, nous vîmes briller au-dessus de sa tête un globe de feu, qui, en s'élevant en l'air, traça un sillon.lumineug. Quoique'ce miracle soit arrivé un jour de grande. fête, et en présence d'une immense foule de peuple,.une vierge, un prêtre et trois moines en furent les seuls témoins. Pourquoi les autres ne le virent-ils pas C'est ce.que. je ne puis expliquer. A peu près à cette époque, mon oncle Evanthius, bon chrétien, quoiqu'il vécût dans le monde, tomba. dangereusement malade, et se vit aux portes,de la mort; il fit demander Martin, qui


vint aussitôt. Avant que le saint homme eùt fait la moitié du chemin, le malade éprouva: le bienfait de son approche, recouvra aussitôt, la santé, et vint lui-même au-devant -de nous. Le lendemain il retint Martin, qui voulait partir, et le -même jour un serpent piqua mortellemènt un des esclaves de la maison. Evanthius le prit sur ses épaules ( car le poison était si violent, qu'il était déjà presque inanimé) et le déposa aux pieds du, Saint, assuré qu'il n'y avait rien d'impossible pour lui. Déjà le venin s'était répandu dans tous les membres; vous eussiez vu les veines gonflées soulever la peau et le ventre tendu comme une outre. Martin étendit la main, plaça son doigt près de rend~oit où la bête avait déposé son venin. Alors, (chose admirable 1 ) nous vîmes le poison revenir. de tous côtés vers le doigt de Martin, et, mêlé de sang, sortir abondamment par l'étroite ouverture de même que les mamelles des chèvres ou des brebis, pressées par la main du pasteur, laissent sortir de longs filets d'un lait abondant. L'esclave se leva complétement guéri. Quant à nous,. stupéfaits d'un si grand miracle, et cédant à l'évidence, nous avouâmes qu'il n'y avait personne sous le ciel qui pût imiter Martin.

III. « Quelque temps après, nous voyagions avec Martin qui visitait son diocèse je ne sais pourquoi nous étions restés en arrière, et il nous pré-


cédait un. peu..A"ce'moment un chariot. du fisc, plein de soldats, s'avançait ,sur la voie publique. Dès que les mules qui le traînaient aperçurent près &elle,s Martm', enveloppé d'un vètement grossier et d'un :long'. manteau noir, saisies de~ frayeur, elles se: jetèrent un :peu à l'écart;, leurs traits. se mêlèrent, :~t.elles.mirent le désordre dans tout l'attelage. Les soldats rétablirent l'ordre difficilement., ce qui, leur causa. du retard.'Irrités- de cet accident., ;'iIs' se' précipitèrent en .bas de 'leurs voitures, et se 'mirent. à frapper Martin à coups de fouets et de'bâtons'; mais celui-ci sùpportait leurs coups' sans. mot dire, avec -une incroyable patience, ce qui augmentait la folie de ces malheureux, rendus plus furieux, parce qu.'il semblait mépriser et ne pas sentir leurs coups. Nous arrivâmes aussitôt, et. nous trouvâmes Martin étendu à terre, à demi mort, horriblement ensanglanté, et tout le corps cruellement déchiré. Après l'avoir plàcé sur son âne, nous nous hâtâmes de nous éloigner, en maudissant le lièu de cet affreux malheur. Pendant ce temps les soldats, revenus à leurs chariots, après avoir assouvi leur fureur, excitent leurs mules à. continuer la route. Mais ces animaux, fixés au sol comme des statues d'airain, ne font. aucun mouvement, malgré les cris perçants de leurs maîtres et les coups de fouets qui résonnent de tous côtés. Enfin ils se lèvent. tous pour les frapper, mais c'est en vain


qu'ils font usage des fouets gaulois; :ils dévastent la forêt voisine et frappent les, mules -avec d'énormes branches mais leurs"mains~cruelles;sont impuissantes, elle 's~restent. à la même place, ,immobiles comme des statues. Ces malheureux ne savaient plus que faire; malgré leur brutalité, ils ne pouvaient déjà plus se dissimuler qu'~s :étaient retenus par une puissance divine;' Enfin, rentrant en eux-mêmes, ils commencèrent. à sedemander quel était celui qu'ils. avaient frappé dans ce même endroit; ils ~'informént. aux passants, qui leur apprennent que' c'est Martin qu'ils ont traité si inhumainement. Alors tout leur fut découvert, ils comprirent que c'était à cause de l'outrage fait au saint évêque' qu'ils ne pouvaient plus avancer, et ils s-'élancèrent rapidement.'après *nous. Sentant leur faute, et remplis~: d'une juste honte, pleurant, la tête et la figure couvertes dé poussière, ils se précipitent aux genoux de Martin, implorent leur pardon et la permission de s'éloigner, disant que les remords de leur conscience les ont assez punis, et qu'ils comprennent 'bien qu'ils auraient pu être engloutis par la terre, ou, perdant la raison; être changés en durs rochers, comme leurs mules avaient été clouées au sol; ils le prient et le supplient de leur pardonner et de leur permettre de partir. Le saint homme savait avant leur arrivée qu'ils étaient retenus, et il vous en avait prévenus; il leur pardonna cependant avec


bonté, et.leur perrnit de continuer leur route avec leur équipage.

IV. (( J'ai plus d'une fois remarqué, Sulpice, que Martin, devenu évêque, disait'souvent qu'il n'avait. plus autant. de: puissance qu'autrefois pour opérer des miracles. Si cela est vrai, ou plutôt puisque c'est vrai, nous pouvons conJecturer que les miracles qu'il fit sans témoins, lorsqu'il' était moine, furent très-remarquables; caril en opéra publiquement de très-grands durant spn épiscopat. Beaucoup de ses premiers miracles ne purent échapper' au monde, ni demeurer dans l'oubli mais le nombre de ceux qu'il cacha pour échapper à la vanité, et 'qu'il ne laissa pas arriver à la connaissance des hommes; est, dit.on, incalculable. Car, supérieur à la nature humaine et sentant sa puissance, il foulait aux pieds la gloire. du monde, et n'avait.que'le Ciel pour témoin. C'est ce qui a été prouvé par le récit. de ceux que nous connaissons et qu'il n'a pu nous cacher. Avant dètre évêque, il a ressuscité deux morts, ce ~que~ voùs nous racontez très-bien' dans votre livre; mais (et je m'étonne que vous 'ayez omis de le dire) pendant son épiscopat il n'en ressuscita- qu'un seul; ce que je puis affirmer comme témoin, si mon témoignage vous paraît. suffisant. Voici comment la chose s'est passée Je ne sais pour quelle raison nous allions.à Chartres. Comme nous'pas-


sions dans un bourg très-populeux, nous rencontrâmes une grande foule de gentils, car il ne se trouvait aucun chrétien en cet endroit. A.l'annonce de l'arrivée d'un si grand homme les champs voisins s'étaient couverts d'une foule énorme~ Martin sentit qu'il devait agir le frémissement de tout son corps'lui annonça l'approche du SaintEsprit, et d'une voix surhumaine il annonça aux. gentils la parole de Dieu, gémissant souvent qu'une si grande multitude ignorât le Seigneur Jésus. Alors. (nous étions entourés d'une grande foule) une femme, dont le fils venait de mourir, tendit vers le Saint ce corps inanimé, et lui dit « Nous savons que tu es ~1'ami de Dieu; rends-moi mon fils, mon fils unique. » Martin, voyant en ce moment ( comme il nous le dit plus tard) que pour le salut de tous il pourra obtenir un miracle, reçoit l'enfant entre ses bras, fléchit le genou devant la foule, et, après avoir prié le rend plein de vie à sa mère. Toute cette multitude pousse aussitôt de grands cris qui s'élèvent' jusqu'au ciel, et reconnaît le Christ pour son Dieu; tous ils se jettent aux pieds du saint homine, demandant avec foi qu' ~n les fit chrétiens. Martin n'hésite pas. Comme il se trouve au milieu d'une plaine, il les fait tous catéchumènes par une imposition générale des mains; puis se tournant vers nous, il. nous dit que ce n'est pas sans ràison que l'on peut faire des catéchumènes dans


une plaine puisque c'est. là ordinairement que se consacrent.. les martyrs. »

V. « Tu Femportes,,GaUus, dit Postumianus, non pas sur moi, qui suis dévoué partisan.de Martin, qui connais tous ses miracles et y crois fermement, .mâis tu l'emportes sur tous les ermites et. les anachorètes. Aucun .d'entre eux, comme votre Martin, ou:plutôt comme notre Martin, n'a ressuscité de~.morts. C'est avec raison que Sulpice le compare aux apôtres et aux prophètes; il leur ressemble en.. tout; sa grande foi et ses miracles nous le prouvent. Mais achève, je t'en prie, quoique nous. ne puissions rien entendre de plus magnifique; achève cependant de nous .raconter ce qui. te reste à nous dire de Martin. Mon âme désire .Vivement connaître ses moindres actions de chaque jour; car, sans .aucun. doute ses moindres actions sont ,plus importantes que les plus grandes actions des; autres..» CI Il est vrai que je n'ai pas vu ce que je. vais raconter, car ce .miracle arriva avant que je me= fusse joint au bienheureux; mais il est fort célèbre et a été divulgué par les moines fidèles qui étaient présents. A peu près à l'époque où il reçut l'épiscopat Martin fut obligé de se préseilter.à la cour. Valentinien régnait alors. Sachant que Martin .demandait des choses-; qu'il* ne voulait. pas accorder, il ordonna qu'on ne le laissât pas entrer au palais. Outre sa


vanité et son orgueil, il avait une épouse arienne qui l'éloignait du Saint et l'empêchait de lui rendre hommage. C'est pourquoi Martin, après avoir fait plusieurs tentatives inutiles pour pénétrer chez ce prince orgueilleux., eut recours à sés arines ordinaires il se revètit d'un cilice, .se" couvrit de cendres, s'abstint de boire et de manger; et pria jour et nuit. Le septième jour, un ange lui. apparut et lui ordonna de. se rendre avec .confiânce.au palais; il lui dit que les portes, quoique fermées, s'ouvriront d'elles-n:têmes, et que 'le fier empereur s'adoucira. Rassuré par la présence et, les paroles de l'ange, et aidé de son secours, il se rend au palais. Les portes s'ouvrent; il ne .ren:contre personne, et parvient sans opposition jus= qu'à l'empereur. Celui-ci, le voyant venir de loin, frémit de rage de ce qu'on l'a laissé entrer, et'ne veut pas se lever p'endant':qu'il se tient debout. Tout à coup son siége est couvert de flammes qui l'enveloppent, et forcent ce prince orgueilleux de: descendre de son trône et de .se tenir debout, malgré lui, devant Martin. n'. embrasse ensuite celui qù'il avait résolu de mépriser, et avoue qu'il a .ressentiJes effets de la puissance divine; puis, sans attendre les prières de Martin, il lui accorde tout ce qu'il veut, avant qu'il lui ait fait aucune demande. Il le fit souvent venir pour s'entretenir avec lui, ou le faire asseoir à sa table. Á son départ, il lui offrit beaucoup de présents mais le saint


homme., voulant., toujours. rester~ -pauvre n'en accepta. aucun.

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V~7 ~c .Et:puisque nous voici dans le palais. j e: racônterai. tout ce'lque:~artin y a ~-fait à diverses épo~es. n-me semble que je -ne dois pas omettre de ;parler de 1'admiration d'une pieuse :reine pour Martin. L'empereur: Maxime gouvernait l'empire; c'était ;un'homme'dont toute la vie serait digne de louanges s'il.eût pu refuser. une puissance ~illégitime que' lui imposèrent des soldats en révolte; et.éviter la guerre civile;, inais il n'eût pu sans danger_ refuser un si..grand empire, et le ~gouver: ~ers'ans,aroi,r,recours aux armes. Ce prince Jaisàit souvent venir:Martin dans son palais,, et s'entre= tenait longtemps avec. lui de la vie présente et 4~ure de la gloire des fidèles, de l'éternité des saints; ;tandis quejour et nuit la reine restait suspend~e:auxlèvres,de Martin et, semblable à Marie, arrosait ses pieds, de.pleurs, qu'elle essuyait avec ses chevéug..Martin, qu'aucune femme n'avait j amais touché; ne pouvait éviter 1a présence continuelle de l'impératrice, ou plutôt cette véritable servitude. Oubliant.ses richesses; la dignité impériale', le diadème et., la. pourpre, prosternée à ,terre; elle ne pouvait ètre arrachée des pieds de Martin.. Enfin,elle. demanda -à son mari de lui permettre d'éloigner: tous ses serviteurs et de préparer seule un repas pour Martin. L'empereur


joignit ses instances à celles -de Fimpératrice, pour décider le bienheureux, qui ne put 's'opposer à ce'dessein. Elle prépara donc tout de ses, mains royales, couvrit'son siége'd'un.tapis, 'approcha la table,'présenta l'eaû pour les mains et"apporta les mets qu'elle avait fait'cuire ene~même. Péndant que Martin était assis, 'elle se tint immobile à quelque distance selon l'ùsàgé des domestiques, montrant en tout la réserve d'un serviteur et, la soumission d'un esclave; elle même lui versa à boire et lui présenta la coupe..A près le repas elle recueillit avec 'soin les morceaux de pain et les miettes, préférant ces restes, aux repas impériaux. Heureuse femme ses sentiments de piété la rendent, avec raison, comparable à cette reine qui vint des confins de -la terré entendre Salomon, si nous nous en tenons simplement Phist'oire; mais si nous comparons la foi de ces deux reinès ( qu'on me permette cela,'en mettantdec~té la majesté du' 'mystère) on verra que' l'une ,alla entendre un sage, et qu'à l'autré,' contente de Pentendre, le voulut servirell~niême.» 'Vil. A cet endroit, Postumianus prit la pa- role. « Il y a longtemps, Ga,llûs; que je t'écoute ,et que j'admire profondément la: foi de l'impératrice; mais ne m!avàis4u pas dit qnejamais'Martin ne'se laissait. approcher par une femme et 'voici: que l'impératrice .non-'seulement s'est ~approchée: @de


Martin, mais encore l'a servi pendant son repas. » «Pourquoi,' lui dit alors Gallus ne considérezvous pas -comme le font. les grammairiens, le lieu, le'temps' et la pers Représentez-vous la position difficile se trouvait Martin dans le palais de l'.empereur;1'impératrice qui' l'obsédait, qui liri faisait -en, quelque sorte violence par ses prières. et les instances que'sa foi lui: inspirait; enfin considérez les circonstances' impérieuses qui,.le pressaient :il voulait obtenir la- liberté d'infortunéscaptüs, .faire révoquer des sentences d'exil., et enfin faire rentrer dans la possession dé leurs biens des malheureux qu'on en d-vait dépouillés. Pour obtenir toutes ces: grâces, auxquelles le saint évêque attachait un si grand prix, n'a-t-il pas dû. se relâcher un peu de la ri gueur de la règle de vie qn.'il~s'était-tracée2~ ~Néanmoins vous pensez, vous, que quelqu.es'personnes'pourront s'autoriser de cet exemple. et'en abuser; eh bien, moi, je proclame heureux ceux qui, dans une circonstance semblable, prendront modèle'sur Martin. Qu'onréftéchisse donc que Martin déjà septuagénaire, une seule fois dans sa vie, fut servi à table non par une 1venve,vivant. à sa guise, ni'par une vierge, mais par une femme mariée, qui le fit à la prière de son. mari lui~~ême" par une impératrice. Elle se tint debout.pendant qu.'ilmangeait, sans s'asseoir à côté de lui et s'ans. oser partager son repas, elle le'servit.hÚJnblemerit.Voici'donc la règle que la


femme vous serve sans vous commander et sans prendre place à côté de ,vous; Marthe' servit ainsi le Seigneur" sans être admise au repas;; et qui plus est Marie, qui éèoutailla parole .du, Sauveur, fut mise au-dessus de Marthe qui le servait.: Quant à l'impératrice, elle a pareillement agi envers Martin; elle l'a servi comme Marthe, et ,écouté comme Marie. Si quelqu'unveut s'autoriser de cetexemple, qu'il Fimite donc scrupuleusement.; que ce soit le même.motif, la même personne, la même humi- lité le même festin et que cela ne lui arrive qti'une fois dans sa vie.

Vin. Je vous ai déjà raconté tant de merveilles, que je devrais vous. avoir:. satisfait mais puisque je ne puis. me refuser à vos désirs, je parlerai encore jusqu'à la,fin du jour. Lorsque je regarde cette.:paille préparée pour nos lits, je me souviens que la paille du lit de Martin, fut l'occasion d'un miracle; voici .comment.la. chose se passa. Le bourg de Claudiomaglls se trouve sur les limites du Berri et de la Touraine; est une église célèbre par la piété de ses saints et: le troupeau non moins glorieux de ses vierges.: Martin passant en cet endroit coucha dans.la-,sacristie. Après son départ, les vierges. s~y précipitèrent en foule, baisèrent les. endroits le Saint s'était assis ,où arrêté, et se partagèrent la paille' il avait reposé: L'une: d'elles, quelques jours après;


suspendit 'au' cou d'un énergumène la paille qu'elle, avait recueillie par respect, et aussitôt, plus vite que je ne vous le raconte, le démon fut chassé et la personne délivrée.

1~: A peu pres à cette. époque, ~en revenant de Trèves, Martin rencontra une vache agitée par le démon; elle avait' quitté le troupeau, se précipitait sur tous ceux qu'elle rencontrait, et avait déjà frappé plusieurs personnes. Lorsqu'elle fut près de nous, ceux qui la suivaient de loin se mirent à nous crier d'e prendre garde;: mais Martin éleva la main au moment où elle s'approchait toute furieuse avec des yeux menaçants, et lui commanda de s'arrètér. A cet ordre, elle demeura aussitôt immobile. Ce fut alors que Martin vit un démon assis sur son dos, et lui dit « Misérable éloigne-toi de cet animal innocent et cesse de l'agiter. » L'esprit malin obéit et disparut. La vache, ayant 'assez d'instinct pour comprendre sa 4élivrance, devint tranquille, se prosterna aux pieds* du Saint, et sur son ordre regagna le troupeau qu'elle suivit plus douce qu'une brebis. Ce fut jJ. cette époque que Martin sortit sain et sauf du milieu des flammes. 'Je ne crois point devoir rapporter ce fait; car, quoique Sulpice l'ait omis dans son livre il l'a cependant raconté avec détail dans sa lettre à'Eugi~4- s -prêtre et récemment devenu évéqu~Ÿôü`s~é~ue, je crois, Postumianus,; si

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vous ne la connaissez pas, vous la trouverez à votre disposition dans cette bibliothèque, car je ne rapporte que ce que Sulpice a omis. Un jour, Martin visitait son diocèse, lorsque nous rencontrâmes une troupe de chasseurs dont les chiens poursuivaient un lièvre. Déjà la pauvre bête, fatiguée d'une longue course, et ne voyant aucun refuge dans la plaine immense qui l'entourait, s'efforçait de conjurer le péril imminent en bondissant de côté et, d'autre. Le Saint, ému du danger qu'elle courait, ordonna aux chiens de cesser leur poursuite et de la laisser s'échapper. A peine eut-il donné cet ordre, qu'ils s'arrêtèrent à l'instant; on les aurait crus liés ou plutôt cloués au sol, tant i1s.dêmeu~raient immobiles. Aussi le pauvre lièvre, dont les ennemis étaient ainsi retenus, put s'échapper sain et sauf.

X. « Les propos spirituels et familiers de :Martin méritent d'être rapportés. Apercevant une brebis qu'on venait de tondre, il dit «.Elle a accompli le précepte de l'Évangile.; elle avait deu..x tuniques, elle en a donné une à celui qui n'enavait pas c'est aussi ce que v ous devez faire. » Ytiyant encore un porcher à demi nu, transi de froid sous un vêtement fait de peaux «( Voici Adam chassé du paradis, dit-il, qui fait paître ses pourceaux sous un vêtement de peaux; quant à nous, dépouillons notre. vieux vêtement que celui-


a gardé, et l'evêtons- nous du nouvel Adam. » Des boeufs avaient brouté une partie d'une prairie, des pores en avaienifouillé une autre le reste, demeuré. intact, verdoyait, émaillé de mille fleurs. « La partie que les boeufs ont broutée, nous dit-il, représente -le mariage; si la verdure a encore quelque fraîcheur, les fleurs ne l'ornent plus. La partie fouinée par les porcs immondes représente la, dégoî~tante image de la débauche; mais la portion qui n'a reçu aucune souillure nous montre la gloire de la virginité l'herbe y est épaisse et le foin abondant, et les fleurs, leur plus f,'1'and ornement, y brillent comme des pierres précieuses. Quel magnifique spectacle, digne des yeu.~ de Dieu 1 car rien n'est comparable à la virginité. Ceux, qui comparent le mariage à ta forni~cation sont grandement dans l'erreur, et ceux qui le comparent à la virginité sont de misérables insensés. Les sages doivent faire cette distinction que le mariage est toléré, la virginité glorifiée, et la fornication punie, à moins qu'on ne l'expie par la pénitence.

XI. « Un soldat, ayant abandonné la carrière des armes, fit profession de moine au pied des autels, et se bâtit une cellule dans un lieu retiré pour y vivre en ermite. Mais. 1!'espi-it malin, qui agitait de beaucoup de'pensées son âme grossière, lui fit changer d'idées et souhaiter de vivre' avec


sa femme que :Martin avait fait 'entrer dans un couvent de filles. Ce vaillant ermite alla donc trouver Martin, et lui lit part de son désir. Celui-ci refusa aussitôt, en lui disant qu'il n'était pas convenable qu'une femme habi1ât avec un homme, qui n'est plus son mari puisqu'il s'est fait moine. Enfin, comme le soldat faisait des instances, affirmant que cela ne nuirait point à son genre de vie, qu'il ne voulait avoir sa femme que comme une consolation, et qu'il n'était point à craindre qu'ils tombassent dans le vice car, disait-il, je suis soldat du Christ, et ma femme a aussi, prêté serment dans cette sainte milice; accordez donc à des religieux, qui par le mérite de la foi ne connaissent plus le sexe, la permission,de combattre ensemble. Martin lui dit alors ( je cite ses .propres, paroles): « As tu' jamais été à la guerre, dans les rangs d'une armée rangée.en bataille? Souvent, répondit le soldat, je me suis trouvé dans les rangs d'une armée, ét j'ai assisté à des combats. Dismoi donc, reprit Martin, ,as-t11 jamais vu dans une armée prête à en venir aux mains, ou combattant déjà l'ennemi l'épée rIa main, une femme se tenir dans les rangs et prendre part au combat? » Alors, enfin, le soldat confus rougit et remercia Martin de l'avoir détourné de cette erreur, non par.de rudes réprimandes, mais en se servant d'une comparaison juste, raisonnable, 'et appro- priée à un soldat. Puis, Martin se tournant :vers


nous (car il était souvent èntomé" d'une nombreuse troupe de frères ) cc La fèmme, dit -il ne doit point entrer dans le camp des soldats, ni se mèler à. eug. Qu'elle reste chez elle; une armée devient méprisable, lorsqu'une troupe de femmes se mêle à ses rangs. C'est au soldat de combattre en bataille rangée et en plaine la femme se doit renfermer dans l'asile de sa demeure. Sa gloire, à elle., c'est de rester pure en l'absence de son mari; sa première vertu et sa plus grande victoire, c'est de rester cachée. » Xll. «' Vous devez vous rappeler; Sulpice, avec quelle ardeur Martin louait cette vierge qüi s'était si complétement soustraite aux regards des hommes, qu'elle ne voulut pas mème recevoir Martin, qui voulait la visiter par honneur; car, passant par le lieu qu'elle habitait depuis plusieurs années, il s'arrêta, ayant entendu parler de sa foi et de ses vertus, afin d'honorer une si sainte personne d'une visite épiscopale. Nous le suivions, persuadés que cette vierge s'en réjouirait, 'et regarderait comme un témoignage de sa vertu, qu'un év~êque si célèbre se rêlâchât pour la voir de son austérité. Mais le plaisi de sa visite ne fut pas pour elle une raison suffisante pour manquer à la ferme résolution 'qu'elle avait prise. Le bierilienreuz reçut, ses excuses par l'entremise d'une àutre femme, et s'éloigna plein de 'joie, de la.maison de


cette vierge, qui ne lui avait pas permis de la voir et de la saluer..0 la glorieuse vierge qui ne souffrit pas les regards de Martin lui-même. 0 heureux Martin! qui, loin de considérer ce reÍ1.1s comme une injure, exaltait cet acte de vertu, dont on n'avait pas encore vu d'exemple dans ces contrées, et s'en réjouissait dans son coeur. L'approche de la nuit nous ayant forcés de nous arrêter à quelque dis..tance de cette demeure, cette même vierge envoya un cadeau au saint évêque. Martin fit alors ce qu'il n'avait point fait auparavant ( car jamais il n'accepta un présent de personne ) en disant qu'un évêque pouvait accepter les offrandes bénies d'une vierge si vénérable, que l'on pouvait préférer à bien des évêques. Que les vierges n'oublient pas cet exemple; qu'elles ferment leurs portes même aux honnêtes gens pour éviter les méchants, et si elles veuleD.t leur fermer tout accès auprès d'elles, qu'elles ne reçoivent pas même les évêques. Que le monde entier l'apprenne, une :vierge n'a pas souffert que Martin la vît. Et ce ne fut'pas un prêtre quelconque qu'elle refusa de voir, c'était celui dont la vue est le salut de tous ceux qui le voyaient. Quel autre évêque que Martin n'en eùt pas été offensé? Quel n'eût pas été son mécontentement contre cette sainte viergé fi l'eût tenue pour hérétique, et l'eût anathématisée. Combien il eût préféré à cette belle âme cés vierges qui toujours vont partout à la rencontre des évêques J


~eur 'préparent de somptueux repas, et se mettent a table avec eux. Mais où me conduit mon récit! Réprimons ce langage trop libre, de peur d'offenser quelqu'un. Car les reproches ne font aucun effet sur lés infidèles, tandis que cet.exemple suffit pour les fidèles. Mais si j'exalte la vertu de cette Nierge, je ne prétends rien ôter à la gloire de celles qui vinrent de régions fort éloignées pour voir Martin, puisque les anges eux-mêmes ont souvent visité le saint homme avec autant de respect.

XIII. « Ce que je vais raconter, Postumianus, celui-ci, dit-il en me regardant, vous l'attestera. Un jour, Sulpice et moi nous, veillions à la porte de Martin; nous étions ,assis là 'en silence depuis quelques heures, pleins de respect et de crainte,, comme ,si nous veillions à la porte d'un ange. Or la cellule de Martin était fermée, et il ne savait pas que nous fussions là. A ce moment. nous entendîmes le bruit d'une conversation; la frayeur s'empara de nous, et nous sentîmes qu'il se passait quelque chose de surnaturel. Deux heures après Martin sortit. Alors Sulpice ( car personne n'est plus familier avec lui ) se mit à le prier instamment de satisfaire notre pieuse curiosité, en nous faisant connaître quelle était cette frayeur surnaturelle que nous avions ressentie tous deux, ou quelles étaient les personnes avec


lesquelles il avait conversé dans sa. cellule; ,car nous avions entendu derrière la porte le .bruit d'une conversation, qu'à la vérité nous n 1 avions pu comprendre. Martin hésita beaucoup; mais il n'y avait rien que Sulpice n'~blînt de lui. ( Je vais raconter des choses merveilleuses, mais je prends Dieu à témoin que je dis la vérité, et personne ne sera assez sacrilége pour accuser Martin de mensonge). « Jevous le dirai, dit-il, mais, de grâce; ne le confiez à personne* Agnès, Thècle' et Marie étaient avec moi. » Et il nous décrivit le visage et le vêtement de chacune d'elles il nous avoua qu'elles ne l'avaient pas visité seulement ce jour-là, mais bien d'autres fois; il ne nous cacha pas non plus qu'il voyait souvent Pierre' et Pauh Lorsque les démons venaient auprès de lui,. il les appelait par leurs noms. 1\1ercul'e lui était particulièrement désagréable,; Jupiter, dis.ait-il,, était hébété et grossier. Toutes ces choses paraissaient incroyables, même à ceux qui habitaient le même monastère que. lui, et je ne crois pas que tous ceux. qui les entendront y ajouteront foi. Mais si. sa vie. et ses miracles. n'étaient pas si étonnants, sa gloire ne serait pas. si grande. ,D'ailleurs il n'est pas surprenant que notre faiblesse humaine doute des miracles de Marlin, lorsque nous voyons tous les jours beaucoup de personnes qui ne croient pas même à l.'Évangile. Souvent nous avons remarqué q,u.e les. anges. çanYersa~ent avec :Martin 1. et natu.s


.~en avons été'témoins. Ce 'que je vais raconter est peu important., toutefois je le dirai. Martin'avait refusé d'assister à un concile 'd'évêques qui se' te'nait'à Nîmes; il désirait cependant savoir ce qui ey- passe~ait. Par hasard, Sulpice était sur le même bateau que 'lui;' selon son habitúde, Martin se te'nait loin des autres dans un endroit 'écarté: là un ange lui annonça ce qui s'était passé dans le concile. Nous nous informâmes av,ec soin de l'é-poque où s'était tenu le concile; nous nous'convainquîmes que c'était le jour même de l'appari-tion, et que les évêques avaient décrété ce que l'ange avait annoncé à Martin.

XIV. > Lors~e nous l'interrogions sur la fin du monde, il nous disaitque Néron et l'Antéchrist devaient d'abord venir. Néron, ajoutait-il, règnera en Occident après avoir vaincu dix rois, et persécutera le peuple; pour le faire tomber dans l'idolâtrie. Quant à l'Antechrist, il règnera d'abord en Orient, et établira le siége de son empire à Jérusalem, qu'il rebâtira ainsi que le temple; il ordonnera une persécution pour forcer ses sujets à renier Dieu, et à le reconnaître pour le Christ.11 mettra Néron à mort, et soumettra toutes les nations de l'univers: Il nous disait encore qu'il n'était pas douteux que l'Antechrist; engendré par le malin esprit, ne fût déj à né, mais encore enfant, et n'attendant que'l'âge viril pour régner. Il y a 5-


déjà huit ans que Martin nous parlait ainsi voyez combienest imminent cet effrayant avenir. » Pendant que Gallus parlait encore, -.et il n'avait pas tout dit, un serviteur entra annonçant que le prêtre Réfrigérius était à la porte. Comme nous .hésitions, ne sachant s'il était préférable d'écouter encore Gallus, ou d'aller à la rencontre d'un prêtre qui nous est si cher et qui venait nous rendre visite, Gallus nous dit ( Quand bien. même nous' ne devrions pas finir ces discours pour recevoir un si saint prêtre, la nuit nous forcerait d'aban-

J

donner ce récit déjà si long. Comme je n'ai pu vous raconter tous les miracles de Martin, que mon récit d'aujourd'hui vous suffise, demain je vous raconterai le reste. Après cette promesse de Gallus, nous nous levâmes tous.


TROISIÈME DIALOGUE

L il commence à faire jour, Gallus, le-, vons-nous; car, comme tu le vois, Postumianus est impatient; et le prêtre, qui n'a pu t'entendre hier, attend que, selon ta promesse, tu continues tes récits sur Martin. Ce dernier, il est vrai, n'ignore pas ce que tu vas raconter, mais il est doux et. agréable d'entendre de nouveau ce qu'on connaît déjà; il a suivi Martin dès sa jeunesse; il connaît donc tous ses. miracles mais il les écoutera encore avec plaisir. Je l'avouerai, Gallus, que bien souvent j'ai entendu raconter les miracles dé Martin; j'en ai rapporté beaucoup dans mes lettres; mais ils sont tellement admirables, que le récit en


est toujours nouveau pour moi. D'ailleurs, je suis, d'autant plus heureux de voir Réfrigérius grossir notre auditoire; que Postullianus, qui est pressé' de retourner en Orient raconter tÕutes ces merveilles, emportera d'ici des récits dont la véracité' aura été attestée par un plus grand nombre de témoins. » Après ces paroles, Gallus se préparait à parler, lorsque subitement entrèrent un grand nombre de. moines, le prêtre Évagr~us, Apex; Sébastien, Agricola; et peu après le prêtre Actherius, avec le diacre Calupion et l'archidiacre Amator. Enfin le prêtre Aurélius, mon ami intime, arriva le dernier de fort loin et hors d'haleine. « Qui peut vous faire venir de si loin, si subitement et inopinément, à cette heure matinale ? leur dis-je. Nous' avons appris hier, répondirent -,ils que pendant toute la journée Gallus avait parlé des miracles de Martini et qu'il avait remis la suite au lendemain à cause de l'approche de la nuit; nous avons donc pris la résolution de 'former un nombreux auditoire. à celui qui' de,rait traiter unè si belle matière. On nous annonça en ce moment qu'un grand nombre de laïques étaient à la porte, n'osant entrer, mais priant qu'on voulût bien les admettre:- « Un' est- pas convenable, dit alors Apel'; de leur.permettre dé se mêler à nous, car ils ont été amenés. plutôt par la curiosité que,par la.piété. » Hontèux .pour ceux qu'Aper ne voulait pas laisser en1ret;, j '~btins


enfin, non sans peine qu'on admît Eucherius, ancien vicaire et Celse personnage consulaire. Alors Gallus, placé sur un siége au milieu de l'assemblée garda longtemps un modeste silence, puis il commença en ces termes

II. « Hommes saints et instruits, qui vous êtes réunis pour m'entendre, je m'adresserai à votre piété, bien plus qu'à votre savoir; veuillez m'écouter plutôt comme un témoin fidèle, que comme un éloquent orateur. Je ne répèterai pas les choses que j'ai dites hier.; ceux qui ne les ont pas entendues les peuvent lire. Postumianus en attend de nouvelles, afin de les raconter à l'Orient, pour que la comparaison avec :Martin l'èmpêche de se, préférer à l'Occident. Et d'abord, je désire vivement *vous raconter un miracle que Réfrigérius me souffle à l'oreille il s'est passé dans la ~-ille de Chartres. Un père de famille présenta à 31artin sa fille, âgée de douze ans et muette. de naissance, suppliant le Saint de lui rendre l'usage de la langue par ses mérites. Martin, par déférence pour les évêques Valentinien et Victrice, qui se trouvaient par hasard près de lui, disait que cette iâc1ie était au-dessus de ses forces, mais qu'elle n'6tait.pas impossible à .ces saints évêques.Ce~ci -joignirent. leurs pielises instances aux, supplications, du père, et le prièrent d'acquiescer à sa dem.and~~ Le sent homme n'hésita ,pas' .(.quelle


humilité et quelle admirable miséricorde t) et fit éloigner le peuple. En présence. seulement' des évêques et du père de la jeune fille, il se mit en prière, selon son habitude il bénit ensuite 'lm peu d'huile en récitant une formule d'exorcisme, et versa la liqueur sacrée sur la langue de la jeune fille, qu'il tenait entre ses doigts., Son attente ne fut point trompée. Il lui demanda le nom de son père, qu'elle prononça aussitôt; celui-ci jette un cri, se précipite aux pieds de Martin, 'en pleurant de joie, et assure aux assistants étonnés que c'est la première parole qu'il entend.prononcer à sa fille. Si par hasard ce fait vous parait incroyable; Èvagrius, ici présent, vous attestera sa véracité,. car il en fut témoin.

III. (c Le fait que le prêtre Harpagius m'a raconté n'est pas très-remarquable; cependant je ne dois pas le passer sous silence. La femme du comte Avicien avait envoyé à Martin de l'huile dont elle se servait, selon l'usage, contre diverses maladies, afin qu'il la bénit. Cette huile était contenue dans une fiole de verre courte et ronde et dont le col fort long n'était pas tout à fait plein, parce qu'ordinairement on ne remplit pas ces petits vases, afin de laisser de l'espace pour les boucher. Harpagius assure qu'il a vu l'huile croître pendant la bénédiction'de Martin, puis déborder et se répandre au dehors;. pen-


dant qu'on portait le vase à la femme d'Avicien, elle bouillonnait. et coulait encere entre les mains de l'esclave avec tant d'abondance, qu'elle couvrit ses vêtements. La matrone reçut cependant la fiole pleine jusqu'au bord, et le prêtre Harpagius affirme qu'aujourd'hui encore elle est si pleine, qu'on ne peut y mettre un bouchon, afin de la conserver avec plus de soin. Ce qui est arrivé à celui-ci ( et il 'me regardait) est aussi fort étonnant. Il avait déposé sur une fenêtre élevée une fiole pleine d'huile bénite par Martin. Un d omestique tira sans précaution le linge qui la recouvrait, ignorant qu'eUe fût dessous, et le vase tomba sur le pavé de marbre. Tous tremblaient que cet objet sacré ne fût brisé; mais on le trouva intact, comme s'il fût 'tombé sur la plume la plus douce. on ne peut attribuer ce miracle au hasard, mais à Martin., dont la bénédiction ne devait point se perdre. Raconterai-je ce qui a été fait par une certaine personne dont je tairai le nom, car elle est présente et ne veut pas être connue; Saturninus, -d'ailleurs, fut témoin de ce fait à cette époque. Un chien. nous importunait par ses aboiements. « Au'nom de Martin, dit cette personne, je t'ordonne de te taire. » Les aboiements s'arrêtèrent aussitôt dans son gosier, et sa langue (qu'on aurait crue coupée ) resta muette. C'était peu, croyezmoi, que Martin fit des miracles, car les autres en faisaient en son nom.


IV. « Vous savez combien se montrait autre'" fois barbare et cruel le comte Avicien. Il venait- d'entrer à Tours fort irrité, ayant à sa suite une 'longue file de prisonniers encbafnés, à l'aspect misérable; il avait ordonné qu'on préparât toutes sortes de supplices, se disposant à procéder le lendemain à une si triste tâche à la vue de la. ville étonnée. Lorsque Martin en fut instruit, il se ,rendit seul, un peu avant minuit, au palais' -de-cette, bête cruelle. Mais comme les portes étaient férmées à cette heure de la nuit obscure tout le monde dort profondément, Martin se prosterna sur le seuil de cette maison de sarig. Cependant Avicien«, enseveli dans le sommeil est réveillé par un ange. « Le serviteur de Dieu est à la porte, et tu reposes, » dit-il. A cette voix, il sort tout ,troublé de son lit, appelle ses serviteurs en tremblant, leur dit que Martin est à la porte, et, ordonne d'aller sur-le-champ lui ouvrir, afin que le serviteur de Dieu n'ait pas à souffrir une injure. Mais ceux-ci ( car tels sont les esclaves) ne dépassèrent pas les portes intérieures, se moquant de, leur maître devenu le jouet d'un songe, et dirent qu'il n'y avait personne à la porte; car, ne croyant pas qu'un homme pût passer la nuit, de= hors ils ne pouvaient s'imaginer qu'un évêqu~ fût prosterné devant un seuil étranger; dans l'hor-- reur des ténèbres. Avicien les crut facilement et se rendormit. Mais il est de nouveau réveillé par


une puissance supérieure, et s'écrie que Martin est à la porte ce qui l'empêche d'avoir aucun rèpos de corps ou d'âme. Comme les esclaves tardaient à venir, il alla lui-même jusqu'à la porte extérieure, et là il,trouva Martin, comme il en avait été averti. Le malheureux, frappé d'un si grand miracle, s'écria « Pourquoi agir ainsi? Seigneur, je sais ce que vous désirez, je vois ce que vous demandez; éloignez-vous de suite, afin que le feu de la colère céleste ne me consume pas, à cause de l'injure que je vous fais; j'ai assez'souffert jusqu'à présent; croyez-le bien, ce West pas sans raison que je suis venu moi-même ici. » Dès que Martin se fut retiré il appela ses officiers, fit délivrer tous les prisonniers, et bientôt s'éloigna luimême son, départ délivra la ville et la remplit de joie.

v. « C'est Avicien lui-même qui rapporta ce. fait à beaucoup de personnes. Le prêtre. Réfrigérius ici présent, l'a récemment entendu raconter par Évagrius homme rempli de foi et ancien tribun, qui a juré par la majesté divine qu'il le tenait d'Avicien lui-même. Ne vous étonnez point si je fais aujourd'hui ce que je ne faisais point hier; c'est-à-dire, si à chaque miracle je nomme les témoins et les personnes encore vivantes, auxquelles les incrédules peuvent recourir. J'agis ainsi, parce que certaines personnes ont mis en


doute ce que j'ai raconté, hier. Je cite donc des témoins encore pleins de vie et de santé; et ceux qui ne me croient pas auront petit-étré plus de confiance en eux; mais les croiront-ils eux-mêmes, ces incrédules ? Je m'étonne qu'avec le moindre sentiment de religion, on puisse être assez coupable pour croire qu'un mensonge est possible en parlant de Martin. Que celui qui craint Dieu éloigne ce soupçon, car Martin n'a pas besoin qu'on s'e serve du mensonge pour ajouter à sa gloire. 0 Christ! je te prends à témoin que dans tous mes discours je n'ai rien dit et ne dirai rien que je n'aie vu moi-même, ou que je ne tienne de personnes dignes de foi, et la plupart du. temps de Martin lui-même. Quoique j'aie choisi la forme du dialogue, pour éviter la monotonie et varier mes récits, je déclare que je m'en suis loyalement tenu à la véritÉ: de l'histoire. C'est l'incrédulité d'un grand nombre de personnes qui me force, à regret, d'interrompre mon récit. Mais revenons à l'objet de notre réunion; on m'écoute avec tant d'attention que je me vois forcé d'avouer qu'Aper avait raison d'éloigner les incrédules 'persuadé que ceux-là seulement qui croient doivent m'entendre.

VI. « En vérité, je suis transporté d'indignation, et la douleur m'égare; des chrétiens,ne croient pas aux miracles de'Martin, et les démons


y ajoutent foi Le monastère du Saint é tait éloigné de la ville d'environ deux milles. Chaque fois qu'il mettait le pied hors de sa cellule pour aller à l'église, on voyait les énergumènes rugir dans toute l'église, et les coupables trembler comme à l'approche d'un juge; si bien que les clercs qui ignoraient l'arrivée de l'évêque, en étaient avertis par les plaintes des démons: J'ai vu un possédé, à l'approché de Martin, s'élever en l'air, les mains étendues, et rester suspendu sans toucher' le sol de ses pieds. Lorsque Martin était chargé d'exorciser des démoniaques, il ne les toucbait point, ne les réprimandait pas, comme font les clercs, avec un grand bruit de paroles; mais il faisait approcher les énergumènes, ordonnait à la foule de se retirer; puis les portes étant fermées, revêtu d'un cilice, couvert de cendres, il se prosternait au milieu de l'église pour prier. Alors on voyait ces misérables délivrés de diverses manières les uns, enlevés en l'air par les pieds, semblaient suspendus aux nues, sans que leur vètement retombât sur leur figure, et que leur nudité choquât la modestie les autres étaient cruellement tourmentés, et avouaient leurs noms et leurs crimes, sans qu'on les. interrogeât. L'un disait qu'il J était Jupiter, l'autre Mercure; enfin le diable et ses ministres étaient à la torture; ce qui nous force à avouer qu'en Martin s'est accompli ce qui était. .~crit « Les saints jugeront les anges. »


VII. ci La grèle exerçait tous les ans de si affreux ravages sur un village du pays des Sénonais (i), que les babitants, dans cet excès de leurs maux, se déterminèrent à implorer le secours de Martin. Ils lui envoyèrent donc une députation d'hommes honorables, à la tète desquels était Auspicius, ancien préfet, sur les propriétés duquel le fléau faisait ordinairement le plus de dégâts! Après avoir prié dans cet endroit Martin délivra si complétement tout le pays de cette calamité que pendant les vingt. années qu'il vécut. encore la grèle n'y fit de tort à personne. Que l'on n'at. tribue point. cela au hasard, mais plutôt à Martin; car, l'année même de sa mort, le fléau revint et s'étendit de nouveau sur cette contrée: Le monde se ressen.tit tellement de la mort de ce saint homme, qu'il pleura la perte de celui dont la vie était pour lui une .juste cause de joie. Si, pour s'assurer de la vérité de ce que j'avance, le lecteur incrédule me demaride des témoins, je n'en citerai pas seulement un seul, mais plusieurs milliers, et j'appellerai tout le pays 'de Sens pour rendre témoignage de ce miracle. Mais vous,' Réfrigérius, il me semble que vous devriez vous souvenir de ce que nous en avons dit avec le pieux et (1) Le pays des Sénonais comprenait les départements actuels de l'Yonne, du Loiret, de Seine-et--Marne et de l'Aude.


honorable Romulus, fils d'Auspicius, qui nous racontait ces faits comme si nous les ignorions. Or les pertes continuelles qu'il avait éprouvées le faisaient trembler pour ses récf:}ltes futures; et il se plaignait amèrement, comme vous l'avez vu que Martin ne fût, plus en vie aujourd'hui. VIII. « Mais pour en revenir à Avicien, qui laissait en tous lieux et' dans toutes les villes d'horribles t.races de sa cruauté, et n'était inoffen- sif qu'à Tours, cette. bête cruelle avide de sang humain et de supplices, devenait doute et tra.nquille en.présence du bienheureux. Je me rappelle qu'un jour Martin l'alla trouver et entra dans son tribunal, lorsqu'il aperçut un démon d'une ,grandeur étonnante assis sur son épaule. De loin ( ici je suis obligé de me servir d'un mot qui n'est pas très-latin) il souilla 'sur le malin esprit. Avicien cro~ànt qu'il souillait sur lui « Pourquoi me recevoir ainsi? dit-il. Ce n'est pas sur vous que je souffle dit Martin; :JÍlais sur l'infâme assis sur vos épaules. » Aussitôt le diable abandonna son siége habituel, et c'est un fait constant qne depuis. ce moment Avicien devint plus doux et plus traitable j soit que, comprenant qu'il exécutait en tout les volontés du démon, il ait rougi d'être ainsi l'agent du mauvais esprit, soit. que ce dernier, chassé par Martin de la place qu'il occupait,1 ait enfin cessé de l'obséder. Dans le bourg d'Amboise.


(c'est-à-dire dans le vieux château, maintenant habité par un grand nombre de moines) on voyait un temple d'idoles élevé à .grands frais. C'était' une tour bâtie en pierres de taillê, qui s'élevait en forme de cône, et dont la beauté entretenaitl'idolâtrie dans le pays. Le .saint homme avait. souvent recommandé à Marcel, prêtre de cet endroit, de la détruire. Étant revenu quelque temps après, il le réprimanda de ce que le temple subsistait encore. Celui-ci prétexta qu'une troupe. de soldats et une grande foule de peuple viendraient diffici: lement à bout dé renverser une pareille masse de pierres, et que c'était une chose impossible pour de faibles clercs et des moines exténués. Alors Martin, recourant à ses armes ordinaires, passa toute la nuit à prier. Dès le matin s'éleva une tempête qui renversa le temple de l'idole jusque dans ses fondements. Je tiens ce fait de Marcel, qui en fut témoin.'

IX. « Sur le témoignage de Réfrigérius, je vais raconter un miracle semblable au précédent, et accompli en pareille circonstance. Martin désirait renverser une immense colonne, surmontée d'une idole, mais il n'avait aucun moyen d'exécuter ce dessein; selon sa coutume, il recourut alors à la prière. Tout à coup l'on vit une colonne semblable tomber du ciel sur l'idole ,et réduire en poudre cette immense masse de pierres. C'eilt


c;té bien peu de chose, si Martin se fut servi invisiblement des puissances du ciel, et si l'aeil de l'homme n'elÎt pu les voir à son service. Le même Réfrigérius attestera qu'une femme souffrant d'une perte de sang toucha le vêtement de.Martin, à l'exemple de la femme de l'Évangile, et fut aussitôt guérie. Un serpent traversait un fleuve et nageait vers la rive 'où nous nous trouvions. « Au nom du Seigneur, dit Martin, je t'ordonne de te retirer. » A la voix du Saint, l'animal pervers se retourna, et, selon notre attente, se dirigea de nouveau vers la riv e opposée. Comme nous regardions ce miracle avec étonnement, il se mit à gémir profondément et dit « Les serpents m'écoutent, et les hommes ne m'écoutent pas.

X. a A Pâques, le bienheureux avait cou1 ume de manger un poisson. Un peu avant l'heure du repas, il demanda s'il y en avait. Le diacre Caton, chargé de l'administration du monastère et habile pêcheur, lui dit qu'il n'avait pu rien prendre pendant tout le jour, et que les autres pêcheurs qui en vendaient ordinairement n'avaient pu rien prendre non plus. cc Va, dit Martin, jette ton filet, et ta pêche sera fructueuse. » Nos cellules ( comme Sulpice l'a écrit ) étaient situées près du fleuve. Nous allâmes donc tous'voir le pêcheur, car c'était un jour de fête, assurés que sa


tentative ne serait pas inutile puisque Martin avait ordonné qu'on pêchât pour Martin. Du premier coup de filet (et il était fort petit) le diacre retira un énorme saumon; il accourut tout joyeux au monastère, et, comme dit je ne sais quel poëtè (je cite un 'vers classique,,car je parle à des gens lettrés )

Apporta le sanglier captif aux Argiens étonnés. C'est ainsi que Martin, véritable disciple du Christ, imitant les miracles que le Sauveur a opérés pour servir d'exemple à ses saints, montrait en lui l'opération de Jésus-Christ, qui glorifiait partout son saint serviteur, et réunissait. sur un seul homme tous les dons de la grâce. Arborius, ançien préfet, vous attestera qu'il vit la main de Martin offrant le saint:sacrifice briller d'un vif éclat, comme si elle eût été revêtue, de magnifiques pierres précieuses, qu'il entendait s'entre-choquer lorsqu'il remuait les mains.

XI. (i J'en viens à ce miracle que Martin cacha toujours, à cause du malheur des temps, mais «il ne put nous dissimuler; je veux parler de la conversation qu'il eut'face à faèe avec un ange: Lorsque Priscillien eut été mis à mort, l'empereur Maxime couvrait de sa protection .impériale l'évéque 1thace~ et tous ceux de son parti; qu'il n'est


pas nécessaire de nommer ici, ne voulant pas qu'on pût.lui reprocher d'avoir fait condamner un homme quel qu'il fût. Martin forcé d'aller à la cour, afin- d'intercéder pour plusieurs personnes en grand danger de mort, eut à supporter tous les coups 'de la tëmpête. Des évêques réunis à Trèves, et communiquant tous les jours avec Ithace, avaient ainsi participé à son crime. L'arrivée de Martin, qu'on leur annonça inopinément, les remplit de trouble et d'effroi. La veille déjà l'empereur avait décrété, d'après leur a,is,. qu'on envoyât en Espagne des tribuns munis de pouvoirs pour recherc~er les hérétiques, les mettre à mort et confisquer leurs biens. il n'était pas douteux que cette tempête ne dût entraîner la perte d'un grand nombre de fidèles, tant il y avait peu de différence entre les hérétiques et ceux qui ne l'étaient pas; car, à,'cette époque, les yeux seuls étaient juges, et un homme était convaincu d'hérésie, moins sur l'examen de sa foi, que sur la pâleur de son visage et sur son habit: Les évêques sentaient que de pareils actes ne plairaient point à Martin; mais comme ils avaient la conscience de leur faute, leur plus grand souci était la crainte qu'à son arrivée il ne 'voulüt pas communiquer avec eux; car ils savaient bien que son influence lui gagnerait des partisans, qui imiteraient la fermeté d'un si saint homme. De concert avec l'empereur, ils envoyèrent donc au devant de 6


Martin des officiers chargés de l'empêcher d'entrer à ~rèves, à moins qu'il ne déclarât venir en paix avec les ,évêques réunis dans la ville. Le Saint les trompa habilement, en disant qu'il venait avec la paix du Christ. Il entra pendant la nuit; et se rendit à l'église; seulement pour prier; le lendemain il alla au palais. Outre les nombreuses requêtes qu'il avait à adresser à l'empereur, et qu'il serait trop long de détailler ici, il avait surtout deux choses à lui demander la grâce du comte Narsès et du gouverneur Leucade, tous deux ardents partisans de Gratien, et qui s'étaient attirés la colère du vainqueur. Mais le souci principal de Martin était d'empêcher qu'on n'envoyât en Espagne des tribuns avec- droit de vie et de mort; car, dans sa pieuse sollicitude, il voulait sauver non-seulement les chrétiens exposés à être perséciii és, mais aussi les hérétiques eux mêmes. Les deux premiers jours, le rusé Maxime'laissa Martin dans l'incertitude, soit pour augmenter l'importance de cette affaire soit qu'il fût inexorable, ou bien ( et c'est l'ayis d'un très grand nombre ) parce que son avarice l'empêchait d'a~ bandonner des biens qu'il convoitait. Ce prince, que l'on dit doué de nombreuses et belles qualités, ne pouvait résister à l'avarice'; du reste, les besoins du gouvernement le feront peut-être facilement excuser de ,s'être ainsi ménagé des ressources en toute occasion (car ses prédécesseurs avaient


épuisé .le trésor publie), et il se vit toujours embarrassé par des expéditions ou par les guerres civiles.

,XII. a Cependant les évêques avec lesquels Martin avait- refu~é de communiquer coururent tout tremblants auprès de l'empereur, se plaignant avec douleur. d'être condamnés d'avance; c'en était fait d'eux tous, si le puissant Martin se joignait contre eux à l'opiniâtre- Théogniste,. qui les avait publiquement cond~mnés; que Martin n'était déjà plus le défenseur, mais le vengeur dès hérétiques, et que la mort de Priseillien. devenait inutile, puisqu'il se chargeait de la venger. Enfin, prosternés aux pieds de l'empereur ils le supplièrent avec larmes de faire usage de sa puissance contre lui. Ils avaient presque amené Maxime à confondre Martin parmi les hérétiques; mais prince, malgré sa trop grande déférence pour ces évêques, n'ignorait pas que la foi, la sainteté et les vertus de Martin le rendaient supérieur à tous les mortels. Il.~ essaya donc de le vaincre d'une autre manière; il le fit secrètement venir près de lui et lui parla avec douceur. a Les hérétiques, dit- il,. sont justement coupables, ils out -été condamnés judiciairement, et n'ont point été victimes de la haine des évêques; ce n'est pas une raison suffisante pour refuser de communiquer


avec Ithace et ses partisans. Théogniste s'est séparé d'eux plutôt par haine que pour un motif légitime, et il est le seul qui l'ait fait; les autres évêques n'ont rien changé dans- leurs relations avec lui, et le concile lui-même, réuni il y a quelques jours, a déclaré qu'Ithace était innocent. » Comme toutes ces paroles faisaient peu d'impression sur Martin, l'empereur s'enflamma de colère et s'éloigna brusquement; bientôt après il donna. l'ordre d'exécuter ceux pour qui Martin ~1'avait imploré.

XIII. « Lorsque Martin l'apprit, il était déj à nuit; il se rendit précipitamment au palais, et promit à l'empereur de communiquer avec les évêques, s'il pardonnait et rappelait les tribuns envoyés en Espagne pour la ruine des' églises. Sans retard, Maxime accorda tout. Le lendemain avait lieu le sacre de l'évêque Félix, très saint homme assurément et bien digne d'être fait évêque à une meilleure époque. Ce fut ce jour-là que Martin communiqua avec les évêques, pensant qu'il était préférable de céder pour le monie~t, que d'abandonner ceux que le glaive menaçait. Les évêques s'efforcèrent d'obtenir ,de lui une attestation écrite de cette communion; mais ils ne purent y réussir. TI s'éloigna à la hâte le lendemain, en gémissant le long du chemin d'a


,voir participé pour quelques heures à une coupable communion. Près du' bourg d'Andethanna (1), là où commencent à s'étendre de vastes forêts solitaires, ses compagnons l'ayant un peu dépassé, il s'assit accusant et défendant tour à tour dans son, esprit cette communion, cause de sa douleur. Tout à. coup un ange' se présenta à lui «( Martin, c'est avec raison que tu t'affliges, ditil mais tu ne pouvais t'en tirer autrement; ranime ton courage, afin de ne pas mettre maintenant en péril non ta gloire mais ton salut. » A partir' de cette époque, il se garda de communiquer avec le parti d'Ithace. Comme. il délivrait les possédés avec moins de facilité qu'au, paravant, il nous avoua en pleurant qu'à cause de cette coupable communion, à laquelle il avait participé un instant par nécessité et non de coeur, il sentait. une diminution de sa puissance. Pendant les seize années qu'ü vécut encore, il n'assista. à aucun concile ou à aucune réunion d'évêques.

XIY: « Mais cette puissance diminuée pour un temps lui fut, certes, rendue avec usure, (1) C'est aujourd'hui' le bourg d'Echternach, à l'entrée du Luxembourg, sur' la rivière de Sour, à quatorze kilomètres. de Trèves.


comme nous pûmes nous en convaincre. Car je vis plus tard un énergumène, amené à la porte dérobée du monastère, se'trouver délivré avant d'en avoir touché le seuil. Une personne qui a été témoin db. fait m'a raconté' que, se rendant à Rome par la mer Tyrrhéniennè, une.tempête s'éleva, qui mit dans le plus grand' péril la vie de tous les' passagers. Alors un marchand égyptien, .qui n'était pas encore cbrp.tien" s'éc~ja à haute voix « Dieu de Martin, sauvez-nous. n A l'instant les flots s'apaisèrent, et pendant le reste du voyage ils demeurèrent calmes et tranquilles. Lycbntius, ancien vicaire .et homme d'une vive foi écrivit à Martin pour implorer son secours, car une maladie contagieuse avait atteint ses esclqves et encombré sa maison de malades. Le bienheureux. répondit alors que la guérison serait difficile, car le Saint -Esprit lui avait révélé que la main de Dieu s'était appesantie sur cette demeure. Pendant sept jours et sept nuits il ne cessa pas de prier et. de jeûner, afin d'obtenir du Seigneur ce qu'il s'était chargé dé demander. Bientôt tycon-' tius accourut vers lui, pénétré de reconnaissance, pour lui annoncer que tous ses esclaves étaient saùvés. Il lui offrit cent livres d'argent que le'Saint. accepta sans les recevoir; car, avant que cet argent fût arrivé au monastère, il l'avait déjà employé à racheter des captifs. Et comme les frères lui suggéraient d'en garder un peu pour l'entre-


tien du monastère, lui représentant qu'ils. avaient à peine de'quoi vivre et que plusieurs d'entre eux manquaient de vêtements, il leur dit « L'église doit nous nourrir et nous vêtir, pourvu que nous' ne demandions rien pour notre usage. » A présent revient à ma mémoire le souvenir de grands miracles opérés par ce saint prélat, et qu'il est plus facile d'admirer que d'e rapporter. Vous reconnaîtrez certainement avec moi qu'il y en a beaucoup qu'on ne'peut raconter. En voici un, par exemple que je doute pouvoir vous exposer comme il s'est, passé.. Un des frères (:vous le connaissez, mais je ne le nommerai pas, afin de ne pas causer de honte à un saint homme ), ayant trouvé quelques charbons dans le fourneau de Martin, approcha: un siége, écarta les jàmbes et s'assit au-dessus du feu en relevant indécemment sa robe. Martin, s'apercevant aussitôt qu'on profanait sa cellule, s'écria à haute voix « Quel est celui qui souille'ainsi notre chambre?» Le frère l'entendit, et, reconnaissant la faute qu'on lui reprochait, il accourut tout tremblant auprès de nous, et confessa sa honte et la puissance de Martin:

xv. « Un jour que Martin était assis dans la petite coUr qui entourait sa cellule, sur l'escabeau de bois que vous connaissez tous, il vit deux dé-


mons passer sur le rocher élevé qui domine le mer nastère, et de là, gais et joyeux, pousser des cris d'encouragement Allons 1 Brice courage Brice. » Ils voyaient de loin;je crois, ce Ín3.Iheureux qui s'approchait, et savaient bien quelle rage le malin esprit.avait excité dans son coeur. Aussitôt. Brice entra furieux, et dans sa folie vomit mine injures contre Martin. Ce dernier, en effet, lui avait reproché la veille d'entretenir des che- vaux et d'avoir des esclaves, lui qui ne possédait rien avant d'être clerc et qui avait été élevé, dans le monastère par Martin lui-même.' Beaucoup l'accusaient alors d'acheter de jeunes esclaves des deux sexes. Ce fut pour cela que ce malheureux, enflammé d'une colère insensée et surtout, comme je le crois, excité par ces démons, s'emporta si vio-' lemment contre Martin, qu'il le menaça presque de le frapper;.tandis que le saint, le visage calme, J'âme tranquille, s'efforçait par de .douces paroles, de calmer l'irritation qui lui troublait le juge ment. Le démon avait si bien envahi lé coeur de Brice; q ti'j 1 eil avait presque perdu la raison; les lèvres tremblantes, le visage décomposé et pâle de colère, il proférait des paroles de péché, assurant qu'il était plus saint que Martin. « Car moi, disait-il, j'ai passé mes premières années à observer les saintes règles du monastère où vous m'éleviez; quant à vous, dès votre jeunesse, vous rie pouvez le nier, vous avez été souillé par la licence des


camps, et.maintenant, dans votre vieillesse, vous êtes tombé dans de vaines superstitions et des visionsridicules~ » Après avoir vomi ces injures et d'autres plus graves encore, qu'il vaut mieux taire il s'éloigna après avoir exhalé sa colère et croyant sètre vengé; puis il reprit en marchant rapidement la route par laquelle il était venu.. Cependant les prières de Martin, j'en suis persuadé, chassèrent les démons du coeur de Brice, qui, plein de repentir,. revint tout de suite trou-' ver Martin, se jeta à ses pieds, et, rentrant en lui. même, avoua qu'il avait cédé aux instigations du démon; rien n'était plus facile à Martin que de pardonner à un suppliant! C'est alors qu'il nous raconta, ainsi qu'à Brice comment il avait vu le diable l'agiter et était demeuré insensible à des injures qui nuisaient plutôt à celui qui les proférait. Dans la suite, ce même Brice fut accusé de grands crimes; mais jamais Martin ne put se résoudre à déposer ce prêtre, de peur de paraître venger une injqre personnelle; souvent il répétait « Si le Christ a supporté Judas, pourquoi ne supporterai-je pas Brice? »

XVI. « Postuinianus prit alors la parole « V oi~i un bel exemple pour notre voisin; lorsqu'on l'irrite, malgré tout son bon sens, il oublie le présent et l'avenir, ne se contient plus, s'em-


porte contre les clercs, attaque les laïques, ei remue toute la terre pour se venger. Voilà trois ans qu'il est continuellement en querelle ni le temps, ni la raison ne le peuvent apaiser. Qu'il est à plaindre que cet état est déplorable et ce n'est cependant pas là son seul vice incurable. Tu aurais lui raconter souvent Gallus, ces exem- ples de patience et de calme, afin qu'il pût oublier ses fureurs et apprendre à pardonner. Si jan1ais il vient à être instruit de la petite digression qu'il a occasionnée dans mon discours, qu'il considère que je parle plutôt comme ami, que comme ennemi car, si cela était possible, j'aimerais mieux le voir ressembler au saint évêque qu'au tyran Phalaris. Mais laissons ce souvenir désagréable, et revenons à notre Martin. a

XVII. « Comme'je m'aperçus que le soleil disparaissait à 1-'horizon et que la nuit arrivait « La fin du jour approche, dis-je à Postumianus; levons-nous, car nous devons offrir à souper à des auditeurs aussi attentifs. Ne crois pas pouvoir terminer tes récits sur Martin, c'est une matière aboildante qui jamais ne s'épuise. Va porter ces récits à l'Orient, et en retournant sur tes pas, en trav ersant les ports, les -îles et les cités, répands parmi le peuple le nom et la gloire de Martin. N'oublie pas surtout la Campanie quoique ce


pays.'ne soit pas sur ton chemin, ne regarde pas à un détour, même considérable, pour visiter l'illustre Paulin, cet homme célèbre dans tout l'univers. Raconte lui, je t'en prie, tout ce que nous avons dit hier et aujourd'hui; raconte-lui bien tout, n'oublie rien', afin qu'il ,fasse connaitre à Rome la gloire du bienheureux comme il a déjà répandu mon livre non- seulement en Italie, mais encore dans toute l'myrie. Paulin, nullement jalou~ de la gloire de Martin, et grand admirateur des miracles opérés en Jésus-Cbrist, ne refusera point de comparer notre saint évêque avec Félix de Nôle. Si, par hasard, tu passes en Afrique, raconte à Carthage ce que tu viens' d'entendre, bien que cette ville, comme tu no~s l'as dit, connaisse déjà Martin, afin qu'elle ne garde pas toute son admiration pour son martyr Cyprien, qui l'a consacrée en y répandant son sang. Si inclinant à gauche, tu entres dans le golfe d'Achaïe, apprends à Corinthe et à Athènes que Platon à l'Académie n'a pas surpassé Martiri par sa science, et que Socrate dans sa prison ne 's'est pas montré plus Eourageux que lui. Heureuse est la Grèce qui a mérité d-entendre la parole de l'Apôtre! Mais le Christ n'a pas non plus abandonné les Gaules, à qui il a donné Martin. Lorsque tu seras enfin parvenu en Égypte, quoique cette contrée soit fière de la mul1itude et des miracles des saints, qu'elle ne dédaigne pas d'apprendre que, grâce ,au seul


l~9artin, l'Europe ne le cède en rien à- l'Asie tout entière.

XVIII. «Enfin, lorsque tu mettras. de nouveau à la voile pour te rendre à Jérusalem, je te charge d'une mission douloureuse si jamais au touches au rivage où est située l'illustre Ptolémaïs (i), c'est de t'informer avec soin de l'endroit. de la sépulture de notre cher Pomponius, et de ne pas refuser une visite à des ossements déposés en terre étrangère. Là, que la douleur que tu éprouves' de la perte d'un ami que nous chérissions tous te fasse verser des larmes,. et; tout vain que soit cet hommage, couvrir. sa tombe de brillantes fleurs et d'herbes odoriférantes. Dis-lui, sans dureté ni sans aigreur en le plaignant, et sans lui adresser de reproches,* que s'il eût voulu 8uhTe toujours tes conseils et les miens, et imiter plutôt Martin que certaine personne que je ne veux pas nommer, jamais il n'aurait été si cruellement séparé de moi; ses cendres ne reposeraient pas sous le sable d'une plage inconnue il n'aurait pas péri au milieu de la mer, comme un pirate naufragé, et n"aurait pas trou à grand'peine une sépulture à l'extrémité du rivage. Qu'ils voient leur (1) Aujourd'hui Saint-Jean-d'Acre, à soixante kilomètres environ au nord de Jérusalem.


ouvrage ceux qui voulurent me nuire en l'éloignant de moi et qu'ils cessent maintenant de s'acharner contre moi, puisqu'ils tiennent maintenant leur vengeance. » Ces tristes paroles, prononcées d'une voix altérée, arrachèrent' des larmes à tout J'auditoire, qui se leva rempli d'admiration pour Martin et non moins ému de mes pleurs.

FIN


TAB LE

Notice historique sur Sulpice Sévère. i Lettre de Sulpice Sévère à Didier, sur le livre de la vie de saint Martin. 13 VIE DE SAINT MARTIN. !5 LETTRES DE SULPICE SÉVÈRE.

1. Au prêtre Eusèbe, contre ceinc qui sont jaloux des vertus de saint Martin. 57 Il. Au diacre Anrélias. =- De la mort et de l'apparition du bienheureux Martin. 63

ItI. A Ba.gsula, sa belle-mère. Comment le bienheureux Martin quitta cette vie pour l'éternité. 6 7

DIALOGUES DE SULPIOE SÉVÈRE.

Premier dialogue. 75 Deuxième 83

Troisiè~é~ciiâ;lôga~~ 2o7

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Tours. Impr. MAllE.