Zig et Puce, la bande dessinée phare des années 1930
Si l’on doit retenir le titre d’une bande dessinée publiée dans les années 1930 en France, c’est certainement Zig et Puce, œuvre phare d’Alain Saint-Ogan. Aujourd’hui malheureusement méconnue, Zig et Puce fut la bande dessinée la plus populaire de l’entre-deux-guerres et connut un succès comme seul en connaitra Astérix trente ans plus tard.
Alain Saint-Ogan (1895-1974), un auteur pour la jeunesse
Agé de 30 ans à la première parution de Zig et Puce, Alain Saint-Ogan a débuté comme dessinateur de presse dans de multiples revues telles que l’Echo de Paris ; La France Illustrée ou l’Excelsior Dimanche. En février 1925, il débute une série intitulée Mique et Trac dans la Semaine de Suzette. En 22 épisodes, les mésaventures de Mique le chat noir et de Trac le chien blanc qui se jouent mutuellement de mauvaises farces, paraissent sur une demi-page en couleur. C’est la première participation d’Alain Saint-Ogan à un illustré pour la jeunesse, mais certainement pas la dernière, le dessinateur de presse cède alors la place à l’auteur de bande dessinée pour enfants.

Zig et Puce ; héros adolescents, rois de la débrouille
Zig et Puce naissent en mai 1925 dans le supplément dominical du quotidien Excelsior. Lancé en 1923 sous le titre Excelsior Dimanche, il avait été rebaptisé l’année suivante Dimanche-Illustré. Ce supplément publie quelques-unes des rares bandes dessinées américaines proposées dès cette époque au public français. La famille Mirliton (The Gumps en version américaine) et Bicot (qui reprend les Sunday pages de Winnie Winkle the Breadwinner) paraissent en bichromie et les bulles sont conservées.

En mars 1925, les directeurs d’Excelsior demandent à Alain Saint-Ogan de leur donner une page de dessins pour le Dimanche-Illustré, nouvel hebdomadaire de la famille. Alain Saint-Ogan dit alors avoir :
« eu l’idée, facile je l’avoue, de créer deux petits personnages parcourant le vaste monde : Zig et Puce… »

Zig et Puce sont des adolescents sans attaches, pas de parents ni famille proche. Rois de la débrouille et du système D, ils sont animés par un esprit d’entreprise et une idée fixe : rejoindre l’Amérique et y faire fortune. N’ayant pas de quoi se payer une traversée, ils usent de toutes sortes d’expédients. Il leur faudra attendre 1929 pour mettre un pied de l’autre côté de l’Atlantique mais entretemps ils auront sillonné la quasi-totalité du globe sur toutes sortes d’engins motorisés ou pas (cargo, barque, radeau, dirigeable, traineau, brouette, bicyclette ou automobile….

Echoués sur la banquise dès leur première aventure, Zig et Puce y adoptent un compagnon original, le pingouin Alfred. Celui-ci sera pour beaucoup dans la popularité de la série. Personnage sympathique mais muet, il n’a d’échange verbal qu’avec les autres animaux. Zig et Puce seront au fil de leurs aventures accompagnés de nombreux autres comparses : la charmante Dolly et son oncle richissime, ou le bandit Musgrave…

Un triomphe éditorial
Les personnages d’Alain Saint-Ogan sont les premiers dans l’histoire de la bande dessinée française à bénéficier de déclinaisons sur de multiples supports : disque, radio, théâtre, films fixes et même film avec acteurs.
La première raison du triomphe de Zig et Puce est à chercher dans la fraicheur, l’innocence, la joie de vivre qui transparaissent dans les histoires d’Alain Saint-Ogan. Il est un auteur généreux, prodigue de ses idées, qui écrit des histoires dynamiques où tout s’enchaîne très vite. Zig et Puce est l’exemple même du feuilleton improvisé au fur et à mesure des semaines. Il est fréquent que Alain Saint-Ogan livre une planche sans savoir ce qui se passera la semaine suivante. Chaque page fonctionne comme une unité narrative close, n’appelant pas de rebondissement, ce qui confère à la série une structure difficile à lire en album.
Alain Saint-Ogan est également un des premiers auteurs français de bande dessinée de science-fiction. Il se plaît à imaginer des voyages dans le temps à l’instar de Zig et Puce au XXIe siècle. Dans cet épisode, un obus interplanétaire a propulsé les deux adolescents sur Vénus. Retenus prisonniers dans le palais royal vénusien en compagnie du professeur Waterproof, ils tentent de s’échapper par un souterrain et découvrent un peuple de créatures qui « ne leur inspirent pas confiance ».

Alain Saint Ogan se conforme au procédé du support qui l’accueille. Il intègre les bulles dans la case. S’il n’est pas le premier à le faire, il contribue à généraliser la pratique. Son influence sera déterminante sur l’évolution progressive des éditeurs et dessinateurs francophones vers une forme moderne de narration, intégrant le texte dans l’image. Ce dernier point est à souligner car non seulement la bande dessinée française n’a pas toujours adopté ce procédé mais quelques années plus tard, dans les albums de Felix le Chat ou Mickey publiés eux aussi par Hachette, les bulles seront masquées et remplacées par des textes sous les images. C’est la raison pour laquelle les cases de ces albums semblent étrangement vides dans leur partie supérieure les bulles étant cachées par un papier blanc.
Le style graphique d’Alain Saint-Ogan a beaucoup de charme, son trait est selon les termes de Thierry Groensteen « dansant, tout en courbes et en sinuosités ». Cette simplification des formes, l’usage des hachures et aplats de noir, les jeux de cases font d’Alain Saint-Ogan un des précurseurs de « la ligne claire ». Malheureusement son style n’évoluera guère durant sa carrière, le rendant un peu désuet et figé dans les années 1930.

Quatre ans avant les premières aventures de Tintin, Alain Saint-Ogan livra à la jeunesse française, une œuvre pleine de poésie et d’enthousiasme. Son style graphique influença nombre de ses contemporains, dont le célèbre auteur belge Hergé. Zig et Puce fut traduit en de nombreuses langues, hollandais, espagnol, portugais, allemand et parus simultanément dans onze pays étrangers : Belgique, Brésil, Canada…sans pour autant enrichir son auteur qui avait fort mal négocié la cession de ses droits. Compilées en albums chez Hachette, les aventures de Zig et Puce se déclinèrent en 16 tomes sous la plume d’Alain Saint-Ogan entre 1927 et 1952 et furent reprises sous le crayon de Greg à partir de 1965 pour une demi-douzaine d’albums supplémentaires parus chez Dargaud Lombard. Alain Saint-Ogan fut nommé Président du festival International de la bande dessinée d’Angoulême en 1977 à titre posthume tandis qu’Alfred prêta ses traits aux récompenses du festival jusqu’en 1988.
Pour aller plus loin :
- L'art d'Alain Saint-Ogan / direction éditoriale, textes et conception graphique, Thierry Groensteen ; textes additionnels, Harry Morgan ; réalisation de la maquette, Christian Mattiucci - [Arles] : Actes Sud, impr. 2007
- La bande dessinée : son histoire et ses maîtres / texte de Thierry Groensteen - [Paris] : Skira-Flammarion ; [Angoulême] : Cité internationale de la bande dessinée et de l'image, impr. 2009
- Alain Saint-Ogan et la construction d'une culture enfantine [Enregistrement sonore] : conférence du 4 avril 2014 / Julien Baudry