Qui est la femme de l’Apocalypse ? (2/2)

Marie et la femme de l’Apocalypse partagent de nombreux traits : mère du sauveur, nouvelle Ève… Les recoupements sont multiples, que nous allons explorer maintenant.

 

L’Église ou la communauté des croyants 

La femme apparaît à la fois comme la mère du Messie et des chrétiens. Les pères de l’Église l’ont, en général, interprétée comme une personnification de l’Église. 

La communauté des Chrétiens attend en effet l’apocalypse comme une délivrance, l’avènement d’un monde radieux. Mais avant l’advenue du règne de Dieu, les chrétiens voient se déchaîner de terribles fléaux. L’épisode de la femme de l’Apocalypse est à l’image de cette longue attente qui se place sous protection divine : la femme part se réfugier au désert pendant mille-deux-cent-soixante jours. 

 

La femme tend l'enfant à l'ange tandis que saint-Michel combat le drago,. Plus bas, un ange la dote d'ailes. On la retrouve en bas en train de prier au-dessus d'une forêt tandis que le dragon crache de l'eau.
Anonyme, Flandre, XIVe-XVe siècles. Néerlandais 3

 

La Miniature pleine page de cette Apocalypse des Pays-Bas met particulièrement bien en valeur cette notion de refuge qui prend ici la forme d’une forêt et non d’un désert comme mentionné dans le texte. Tout en haut, la femme se retourne sur son lit d’accouchée, qui n’est autre que le soleil, pour tendre l’enfant à un ange. Le regard suit alors un mouvement descendant, du ciel où disparaît l’enfant jusqu’au fleuve qui pénètre dans les entrailles de la terre et ressort dans la mer. Les dimensions sont symboliques : la femme, enveloppée d’un grand manteau rose, domine la forêt dans une belle attitude de prière. Elle incarne alors la communauté des chrétiens persécutés par Satan et qui se remet à Dieu dans l’attente du jugement dernier. 

La vierge en majesté

 

Sua la gauche, la femme est représentée en orant revêtue du soleil, les pieds sur la lune ; en bas, sur un trône avecses ailes. A droite, le dragon crache le fleuve.
 Beatus dit d'Arroyo. Castille - XIIIe siècle (1er quart). NAL 2290.

 

La femme de l’Apocalypse, qui porte une couronne d’étoiles, n’est pas sans évoquer une figure de reine. Elle est similaire en cela aux représentations de vierge en majesté que l’on trouve abondamment au début du Moyen Âge. Ce rapprochement est particulièrement net si l’on considère le Beatus dit d’Arroyo. La femme est habillée du soleil puis dotée d'ailes mais à chaque fois représentée de façon frontale. En haut, elle porte une couronne devant un nimbe d’étoiles, symbole de gloire. Les bras ouverts, signe de l’orant, elle se détache sur un arrière-plan de ciel nocturne. En bas, elle trône comme les vierges en majesté. La partition entre les deux parties de la miniature, la femme et le dragon, accentuée par l’opposition du bleu et du rouge est figurée par le fleuve craché par le dragon. Pas d’enfant sur cette enluminure, ce qui est très rare dans les représentations de la femme de l’Apocalypse : seul le combat cosmique demeure. 

Mulier amicta sole

 

La vierge à l'Enfant sur un croissant de lune. Dieu, le père, se penche vers eux depuis le ciel.
Maître de Rohan, Vierge à l'enfant, Heures d'Anjou, XVe siècle, Latin 1156. 

 

 

L’interprétation qui fait de la femme la préfiguration de la vierge Marie se répand en occident à partir du IXe siècle. Inversement, les artistes célèbrent en Marie depuis le XVe siècle la vierge victorieuse, en la dotant des attributs de la femme de l’Apocalypse. La femme de l’Apocalypse ou Mulier Amicta Sole est ainsi à l’origine d’un sous-genre de vierge à l’Enfant. 

Dans le livre d’Heures de René d’Anjou, enluminé par le Maître de Rohan, la vierge est représentée en buste, se détachant d’un croissant de lune, sur un fonds quadrillé précieux. Dieu le Père se penche vers elle. Cette représentation de Marie avec un croissant a pu servir à illustrer l’immaculée conception, qui était l’objet à la fin du Moyen Âge de nombreuses controverses religieuses. 

L’intercesseuse 

 

La femme de l'Apocalypse avec ses ailes dans une attittude de prière face au dragon qui crache le fleuve.
Albrecht Dürer, L'Apocalypse. 11, la Femme vêtue du soleil et le dragon,1497-1498.

 

L’Apocalypse est la grande œuvre de Dürer, qui lui assurera une immense notoriété. Elle répond aux inquiétudes d’une époque troublée où l’invasion ottomane menace l’Europe. La composition de la « Femme vêtue du soleil et le dragon » est verticale, réunissant tous les protagonistes de l’épisode : la femme vêtue du soleil, l’ascension de l’enfant accueilli par Dieu le père, la menace du dragon qui tente de noyer la femme, en même temps que sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel. Les regards et les gestes tracent un chemin qui va de Dieu à l’enfant puis à la femme et descend jusqu’au dragon et au précipice que l’on devine derrière lui. La femme est dans une attitude de recueillement, la tête penchée, les paupières baissées, les mains jointes en prière, esquissant un léger sourire, comme si elle ne voyait pas le dragon menaçant à sa droite. La femme occupe ainsi une place d’intercesseuse, rôle dévolu par la tradition à Marie.

 

 Sur toutes les représentations, la femme de l’Apocalypse est grave : à la fois parce qu’elle est confrontée à la menace du dragon et parce qu’elle est consciente des persécutions qui vont s’abattre sur son fils et sur les chrétiens. Par son anonymat, sa dimension cosmique et universelle, la femme de l’Apocalypse peut incarner toutes sortes de figures : la nouvelle Ève, la vierge à l’Enfant, l’Église, une reine céleste, la vierge en majesté, la chrétienté, l’épouse, la Jérusalem céleste. Elle est la figure féminine rédemptrice, l’annonce de la révélation attendue de l’Apocalypse. Ses attributs seront repris ensuite dans d’autres contextes que celui de l’Apocalypse de Jean. On la retrouve couramment dans des représentations de Marie, comme nouvelle Ève qui écrase le serpent et donc comme symbole de l’Immaculée conception, de celle qui n’est pas entachée du péché originel.