Quand la table présidentielle entre à la BnF

À l’occasion de la numérisation du fonds Bernard Vaussion, entré par don en 2023 au département des Estampes et de la photographie de la BnF, la série « À la table de Gallica » revient ce mois-ci sur quarante ans d’histoire des arts culinaires au Palais de l’Élysée.

En 2013, sous le quinquennat de M. François Hollande, le chef Bernard Vaussion prenait à l’âge de 60 ans sa retraite du poste de chef des cuisines du palais de l’Élysée. Il était entré comme commis sous la direction du chef Marcel Le Servot sous la présidence de Georges Pompidou (1969-1974). Durant son parcours, le chef Vaussion a régulièrement pris des clichés. De cet ensemble remarquable, il a fait don en 2023 de soixante ektachromes à la Bibliothèque nationale de France. Cet éventail fidèle de la production des cuisines du palais illustre le travail des cuisines pour les déjeuners de collaborateurs, dîners de retour, diners officiels, diners d’État, réceptions, buffets ou même repas de chasse. L’érudition et l’exigence de cette cuisine de maison bourgeoise s’illustrent notamment par un saumon entier farci et un turbot désarêté.

Saumon sauvage entier, désarêté et farci, disposé sur un plat
Pièce de buffet froid d'un saumon servi à plat lors d'une réception sous la présidence Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981).

Le saumon est ouvert par le cou, vidé, et on retire l'arrête. Une mousse composée pour partie de sa chair (avec parfois un ajout d'herbes fraiches) garnit l'intérieur. On referme le saumon qui est à plat et non sur champ et on recoud afin de souder l'ensemble à l'aiguille à brider. Il est alors enfermé dans un papier sulfurisé sur toute la longueur, ficelé et immergé dans une saumonière, avec un fumet pour la cuisson qui doit être lente, sans ébullition pour éviter d'abimer les chairs. A froid, on lève la peau pour faire apparaître la chair. On le met sur champ afin qu'il tienne debout. La chair est protégée avec une couche de gelée d'un vin blanc (parfois une gelée de champagne) appliquée au pinceau.

Turbot désarêté présenté sur un grand plat
Plat chaud d'un turbot désarêté pour un dîner d'État sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981).

Le travail du turbot est tout aussi remarquable. Celui-ci est désarêté puis farci, cuit au four pâtissier (afin d’obtenir une température basse et une régularité de cuisson pour l’ensemble des pièces) puis recouvert d'une sauce hollandaise afin d'être gratiné dans un deuxième temps à la salamandre. Des médaillons de langoustes sont ajoutés le long de l'arrête sur la partie centrale, alternant avec des médaillons de tomates respectant un ordre méticuleux pour l'harmonie du visuel. Ce dressage sur plat, ainsi que la traversée audacieuse de plusieurs pièces avant d’atteindre les salles à manger, imposent la technique du lait collé, afin que rien ne puisse glisser du plateau.

Plat de volaille décorée avec truffe. Des aspics de jambon et oeufs ainsi que des fleurs entourent la volaille
Plat de volaille avec une sauce chaud-froitée servi sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing lors d'un déjeuner de chasse (1974-1981), Château de Marly-le-Roi.

Outre les techniques d’élaboration des plats, on relève le travail du volume, des couleurs et de la présentation propre au service à la française en pratique dans cette maison et qui porte le chef dans une dimension de création, fidèle en cela à la profession telle qu’elle s’est dessinée depuis l’époque médiévale. Le plat de volaille avec un écusson brillant, rouge, vert et blanc, sur le coffre de la poularde servie lors d’un repas de chasse, en est une parfaite illustration. 

Panier en pâte à nouilles coloré, dans lequel repose du foie gras à la gelée de sauterne. Les anses et bordures sont décorées avec des capucines comestibles. Les paniers sont entourés de mini-courgettes tranchées très finement, puis blanchies. Elles habillent un moule en demi-dôme (de diamètre 3-4 cm). D'autre part, l'ensemble est garni d'une mousse de foie gras.
Panier de foie gras avant l'envoi et fleurs de capucine. Entrée froide pour le dîner d'État servi au Palais de l'Élysée lors du deuxième septennat du président François Mitterrand (1988-1995).

Le travail de Bernard Vaussion s’inscrit dans une tradition des chefs de « maison bourgeoise ». En témoignent par exemple de nombreuses réalisations de panier de pâte à nouilles, comme le panier de foie gras présenté ci-dessus. En 1911, François Marrec, maître queux du marquis de Monteynard, publie un ouvrage, Traité général de l'ornementation artistique dans la cuisine qui en donne la recette.

Dessert de sorbet et entremet en gelée pour la réception officielle du bicentenaire de la Révolution française. Travail de la glace, framboises fraîches enfermées dans une gelée de fruit, éperons en nougatine à la base du socle. de la Révolution française. Un médaillon en pâte d'amande représente Notre-Dame, référence à la ville de Paris. Un tableau peint par le pâtissier représente plusieurs acteurs de la révolution française (Marat, Mirabeau, Danton et Robespierre). L'entourage du bol en sucre coulé est réalisé en glace royale au cornet.
Dessert de sorbet et entremet en gelée, pour la réception officielle du bicentenaire de la Révolution française et du 14 juillet 1789 ; deuxième septennat de François Mitterrand (1988-1995).

Classiquement, le Palais a l'habitude de servir en dessert glaces ou sorbets avec nougatine. La glace royale framboise est travaillée au cornet. On note aussi les framboises fraiches enfermées dans une gelée de fruit. Le socle en sucre coulé cache une pile et une lampe. Au dernier moment, la lumière des lustres de la salle des fêtes est baissée pour mettre en valeur la lumière en socle du dessert. Un médaillon en pâte d'amande représente Notre-Dame, référence à la ville de Paris, ainsi que plusieurs acteurs de la Révolution française (Marat, Mirabeau, Danton et Robespierre).

Coupe en nougat garnie de fraises
Planche X, « Coupe en nougat garnie de fraises (sur socle) », dans Jules Gouffé, Le Livre de pâtisserie, ouvrage contenant 10 planches chromolithographiques et 137 gravures sur bois d'après les peintures à l'huile et les dessins de E. Ronjat. Paris, Hachette, 1873, p. 134.

Ce travail de la nougatine, du cornet, comme l’usage des tons rouges, rappellent les planches d’E. Ronjat du Livre de pâtisserie de Jules Gouffé. La pièce reproduite est une pièce de buffet, plus haute ainsi et non destinée forcément au service. La documentation qu’a établie Bernard Vaussion illustre la permanence de techniques, l'ambition de rayonnement et l'importance de la place du chef dans le fonctionnement de la maison d’une élite politique.  

Marion Tayart de Borms 
Enseignant Chercheur à Médéric – L’École hôtelière de Paris

Pour aller plus loin 

  • Fonds Bernard Vaussion : photographies de plats servis lors de dîners au Palais de l'Élysée entre 1974 et 2012. Recueil de 61 diapositives de Bernard Vaussion, 5 x 5 cm (en ligne).
  • Coron, Sabine (dir.), Livres en bouche : cinq siècles d’art culinaire français, du XIVe au XVIIIe siècle. Exposition, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, du 21 novembre 2001 au 17 février 2002. Paris, Hermann, 2001, p. 151-154.
  • François Marrec, Traité général de l’ornementation artistique dans la cuisine. Paris, Librairie des publications nouvelles « Culina », 1911. 
  • Marion Tayart de Borms et Xavier Dectot, A la table de l’histoire. Paris, Flammarion, 2011.
  • Bernard Vaussion et Véronique André, Cuisine de l'Élysée : à la table des présidents. Paris Hachette Cuisine, 2012.
  • Bernard Vaussion et Christian Roudaut, Au service du palais : de Pompidou à Hollande, 40 ans dans les cuisines de l'Élysée. Paris, Éditions du moment, 2016.