Maurice Sachs : un personnage romanesque au destin tragique
Maurice Sachs (1906-1945) fait partie des écrivains maudits et sulfureux. Peu connu de son vivant, il bénéficie d'une notoriété posthume. Ses ouvrages dressent le portrait d'un homme qui manque de confiance en lui et qui cherche à se défaire de ce sentiment. Ses écrits peuvent aussi être vus comme des témoignages de la vie mondaine de l’entre-deux-guerres. A l'occasion des 80 ans de sa mort, revenons sur le parcours et la vie de cet auteur à la destinée funeste.
Le journaliste François Poncetton (1877-1950) présente, dans Le courrier d’Epidaure en mars 1937, l’ouvrage que Maurice Sachs a consacré à André Gide.

Maurice Sachs se révèle à la limite du mondain, du voleur, de l’escroc. Il explore et navigue entre ces marges. Assume-t-il sa marginalité ? Ou bien est-il prisonnier de son personnage ?
Le critique et homme de lettres Maurice Nadeau (1911-2013) dresse un portrait peu avantageux de Maurice Sachs :

Il semble chercher un chemin : d’origine juive, il se convertit au catholicisme en 1925, il se convertira au Protestantisme. Né Ettinghausen, il prend le nom de sa mère, Sachs. Homosexuel, il se marie aux États-Unis et abandonne sa femme. Sa marginalité en fait un observateur de son temps. C’est en effet un mondain, qui côtoie notamment Violette Leduc, André Gide, Jean Cocteau ou Max Jacob.
Dans un article du journal Libération du mois de janvier 1947, Jean Prasteau, évoque le mystère Maurice Sachs « L’auteur d’un livre scandaleux qui fit des millions de dettes [qui] serait devenu un obscur mendiant ».

Avec la Seconde guerre mondiale, Maurice Sachs oscille entre actes de résistance et de collaboration, il s’engage tout de même dans le service du travail obligatoire et bascule dans la collaboration au début des années 1940. Servant toujours ses intérêts personnels, il agit en tant qu’espion et agent provocateur dénonçant plusieurs personnes. La Gestapo le fait incarcérer au camp de concentration de Fuhlsbüttel, après qu’il a refusé de dénoncer un père jésuite engagé dans la Résistance. Il se consacre alors à l’écriture dans sa cellule.
Le 14 avril 1945, devant l’avancée des Alliés, les prisonniers du camp sont évacués pour être libérés, Sachs est cependant exécuté par un SS. Philipe Monceau, compagnon de Sachs lorsqu’il était à Hambourg, témoin de son exécution, raconte les derniers moments de sa vie et sa cruelle exécution dans le journal Carrefour : La semaine en France et dans le monde du 2 janvier 1951 (p.5, consultable sur Retronews dans les salles du Rez-de-jardin de la BnF).
Maurice Sachs mène une quête de lui-même qui semble sans fin, voire inaccessible. La curiosité, les aspects scandaleux et parfois l’absurdité de son parcours, rend son œuvre attrayante, elle est comme un miroir de sa personne.
Peu de titres de Maurice Sachs ont été numérisés dans Gallica, nous pouvons tout de même citer deux de ses ouvrages les plus connus, présents dans nos collections : Le Sabbat, publié en 1946 ainsi que La chasse à courre, récit de ses mémoires, publié à titre posthume, traitant de l’homosexualité, l’argent et la littérature.
Le Tableau des mœurs de ce temps, seul titre disponible dans Gallica, est écrit à partir de novembre 1943, quand la prison le renvoie à sa passion d’écrire, comme le mentionne le philosophe Yvon Belaval :

Maurice Sachs y indique combien ses anecdotes et portraits sont des souvenirs :
« Ce sont aujourd'hui des ressemblances que le temps a effacées de l'original. » (Maurice Sachs, Tableau des mœurs de ce temps, Paris, 1953, (p.8))
Mais précise que :
« La majorité des patronymes utilisés dans cet ouvrage est inventée. » (Maurice Sachs, Tableau des mœurs de ce temps, Paris, 1953, (p.8))
Ce mystère autour des identités rappelle combien les adeptes des amours non conformistes étaient contraints à la dissimulation. Dans cet ouvrage les noms des protagonistes sont masqués derrière des noms d’emprunt.
Le tableau des mœurs de ce temps est constitué d’une galerie de portraits. Il constitue un témoignage personnel sur la société de son temps. Les personnages décrits ne reflètent pas toute la réalité. Les figures convoquées le sont par catégories : gens du monde, gens de la bourgeoisie… Il n’hésite pas à dépeindre avec humour la vanité de certains et la futilité de leur existence :

Ces propos sont aigres et l’auteur utilise l’ironie empreinte d’une certaine méchanceté. Le ton pourrait par moment permettre un parallèle avec les Mémoires du duc de Saint-Simon.
Le passage ci-dessous reflète le ton mordant et féroce de Maurice Sachs dans ses écrits :

Parfois, il évoque clairement l'homosexualité :


Un autre de ses écrits, Au temps du Bœuf sur le toit, raconte la vie des milieux homosexuels de l’entre-deux-guerres. Le Bœuf sur le toit était une salle de music-hall fréquentée par Jean Cocteau. L’écrivain et journaliste Ramon Fernandez évoque cette œuvre de Maurice Sachs :

Dans le journal La Vie bordelaise du 6 août 1939, quelques extraits de l’ouvrage Au temps du Bœuf sur le Toit sont publiés :

De nombreux journalistes évoque le travail de Maurice Sachs sous différents aspects. Le journaliste Pierre Loewel critique, par exemple, Le Sabbat (1946), un texte aux accents autobiographiques :

Cet aspect autobiographique se retrouve dans plusieurs œuvres de Maurice Sachs, aspect souligné dans cette autre critique de son roman Alias :

Enfin, Maurice Sachs a également produit des articles de critique littéraire, nous pouvons par exemple évoquer celui sur l’homme de lettres et critique d’art Jean Cassou paru dans le journal Marianne en août 1934 :

Bibliographie
- André Du Dognon, Philippe Monceau, Le Dernier sabbat de Maurice Sachs, Paris, 1979
- Henri Raczymow, Maurice Sachs, Paris, Éditions de l'Herne, 2016
- Fonds Maurice Sachs à l’IMEC

Ouvrages de Maurice Sachs
- Alias, Paris, Gallimard, 1935
- André Gide, Paris, Denoël et Steele, 1936
- Le Sabbat. Souvenirs d'une jeunesse orageuse, Paris , Éditions Corrêa, 1946
- Au temps du Boeuf sur le toit / avant-propos d'André Fraigneau, Paris, Editions de la Nouvelle revue critique, 1948
- La décade de l'illusion [1950], Paris, Gallimard, 1979
- Histoire de John Cooper d'Albany [1955], Paris, Gallimard, 1977
- La chasse à courre, Paris, Gallimard, 1997