L’Europe à la découverte d’elle-même : la carte marine de Giacomo Maggiolo (1563)
Chef d’œuvre de l’art cartographique génois, ce portulan appartient aux collections de la Société de géographie en dépôt au département des Cartes et plans. Il est actuellement exposé au musée de la BnF, site Richelieu.
Centrée sur la Méditerranée, cette carte est remarquable par la richesse de sa décoration et l’équilibre de sa composition. Pendant que l’Empire ottoman avance en Europe, les marges du monde connu sont repoussées grâce aux explorations. En même temps, la bordure septentrionale du continent européen se précise.
Une dynastie de cartographes : les Maggiolo
Au XVIe siècle, l’horizon géographique s’élargit au-delà de la Méditerranée. L’essor de l’imprimerie permet une diffusion plus large et une standardisation accrue des cartes. La cartographie marine s’adapte à ces évolutions. Les portulans dessinés sur parchemin, utilisés depuis le Moyen Âge, conservent leur réseau de lignes de vents, mais gagnent en précision grâce à l’ajout d’échelles de latitude. Bien qu’empiriques, s’appuyant sur l’expérience des marins, ils intègrent des éléments de la cartographie savante. Dès le XVᵉ siècle, la redécouverte de la Géographie de Ptolémée enrichit cette tradition avec une grille de coordonnées et des divisions climatiques, facilitant la représentation du monde dans sa totalité. Enfin, on y ajoute des éléments artistiques et des précisions sur l’intérieur des terres.

L’Italie devient un centre majeur de la cartographie, notamment avec Venise et Gênes. La famille Maggiolo règne sur la cartographie à Gênes pendant un siècle et demi. Après un début de carrière à Naples, le fondateur de cette dynastie, Vesconte Maggiolo (c. 1475-c. 1550) retourne à Gênes en 1518 et devient cartographe officiel en 1519, recevant un salaire annuel à condition de travailler exclusivement pour la République. Il produit des cartes nautiques et des planisphères intégrant les découvertes de Fernand de Magellan, qui accomplit la première circumnavigation terrestre entre 1519 et 1521, et de Giovanni da Verrazzano, qui explore à partir de 1524, au nom du roi de France, la côte atlantique de l’Amérique du Nord. Son fils Giacomo (ou Jacopo) prend la relève en 1544, continuant à produire des cartes méditerranéennes ornées. Fidèle à la tradition, il ne montre aucun intérêt pour les atlas ou les mappemondes qui font florès à son époque. Il reste actif jusqu'en 1573, avec une dernière œuvre datée de 1602, bien que cette date puisse avoir été falsifiée pour justifier le maintien de son salaire. Parmi la quinzaine des cartes qui lui sont dues, connues aujourd’hui, la plupart ont un caractère décoratif et étaient destinées aux riches clients de l’atelier familial.

Le monopole des Maggiolo s'affaiblit à la fin du siècle, permettant à d’autres cartographes d’émerger. Giovanni Antonio, frère de Jacopo, revient à la cartographie dans les années 1560-1570, sans doute après avoir exercé d’autres activités, peut-être pour garantir la succession familiale. Mais, vers la fin du XVIe siècle, la ville change : lorsque l’île de Chios tombe aux mains des Ottomans en 1566, Gênes perd le dernier de ses avant-postes pour le commerce avec l’Orient. Les colonies commerciales sont remplacées par des établissements financiers établis en Espagne, à Milan, à Venise et dans de nombreuses autres villes. La flotte est réduite et les marchands de la ville deviennent des banquiers. L’intérêt pour la mer et les cartes marines diminue ainsi.


Une carte entre tradition et modernité
Giacomo Maggiolo perpétue l’héritage de son père Vesconte. Nostalgique de la puissance maritime et commerciale de sa cité, il dresse tout d’abord une carte politique qui illustre les rapports de forces en Europe. Des navires battant pavillon de Gênes, de l’Espagne et du Portugal sillonnent les mers, des Canaries à la Norvège. Un grand nombre d’étendards qui surmontent les vignettes de cités sont ornés du croissant de l’islam, signifiant l’étendue de la puissance ottomane, du fleuve Sénégal jusqu’à l’Europe centrale. Quelques années avant la défaite ottomane de Lépante (1571), la figure du Grand Turc, placée aux confins de l’Anatolie et légèrement surdimensionnée, se distingue parmi les dix-neuf portraits de souverains européens et orientaux présents sur la carte. La Valachie est représentée au-dessus de l’embouchure du Danube, confondue avec la Moldavie, écho tardif d’une tradition cartographique qui évoque la domination commerciale de Gênes en mer Noire.

Outre le bassin méditerranéen et le pourtour de la mer Noire, le cartographe trace de manière détaillée les contours de l’Europe septentrionale et de la Baltique. D’une part, cette démarche témoigne de l’apport de sources anciennes à la cartographie nautique, notamment de la Géographie de Ptolémée dans la version actualisée par le cartographe allemand Nicolaus Germanus, qui y ajoute plusieurs cartes modernes. La Scandinavie et la Finlande sont parsemées de toponymes ptoléméens et rattachées au Groenland qui ressemble à une péninsule. D’autre part, Giacomo Maggiolo s’appuie sur des cartes marines plus précises qui vont au-delà de la côte méridionale de la Baltique. La nomenclature est en effet abondante de Lübeck jusqu’à Vyborg, tandis que, dans le golfe de Botnie, on compte 26 toponymes. Ceux-ci n’ont pu être inscrits qu’après le repérage des côtes à l’aide de la boussole. Présente en Méditerranée dès le XIIIe siècle, son utilisation est plus tardive dans la Baltique, mais la navigation dans cette mer est stimulée par les tentatives anglaises de percer le passage du Nord-Est et par la rivalité entre la Ligue hanséatique et les Hollandais. L’intégration de l’Europe du Nord à la cartographie italienne et portugaise coïncide ainsi avec la mise en place de circuits commerciaux plus larges à l’époque de l’expansion européenne.


Pour aller plus loin
- Monique de La Roncière, Michel Mollat du Jourdan, Les portulans. Cartes marines du XIIIe au XVIIe siècle, Paris, Nathan, 1984
- Catherine Hofmann, Hélène Richard, Emmanuelle Vagnon (dir.), L’âge d’or des cartes marines : quand l’Europe découvrait le monde, Paris, Seuil, Bibliothèque nationale de France, 2014
- Article de Corradino Astengo, « Les cartographes de la Méditerranée (16e-17e siècle) » sur le site des Essentiels de la BnF
- Le parcours thématique sur les cartes marines dans Gallica
Les collections de la Société de géographie conservées à la BnF