Les ventes promotionnelles de blanc des grands magasins

Parmi les techniques typiques des grands magasins, les ventes annuelles sont une pratique courante et très efficace pour attirer les clients, vendre beaucoup de marchandises et renouveler les stocks pour présenter ensuite une nouvelle collection.

Initié à partir de 1830 en France par Simon Mannoury au Petit-Saint-Thomas, l’écoulement du "solde", coupon de tissu invendu, aboutit aux cérémonies récurrentes des ventes annuelles comme des fêtes au calendrier : les grands magasins éditeront plus tard leurs agendas où figureront ces événements pour les client(e)s. 

Les ventes de blanc, très présentes dès la fin du XIXe siècle, sont l’occasion d’impressionner le public par leur présentation. Après les grosses ventes de jouets et étrennes de fin d’année, la mise en valeur en janvier du blanc prend progressivement une grande ampleur. Le linge blanc signifie pureté, propreté, hygiène, et les techniques améliorées du blanchiment donnent la possibilité de traiter rapidement de nombreuses pièces à fournir aux grands magasins. 

Dans les catalogues des années 1860, le terme "blanc" désigne des tissus blancs ou le comptoir qui en vend au mètre ou en coupons ; la rubrique "linge confectionné" propose des draps, taies d’oreillers, tabliers ou torchons. 

Deux pages du catalogue "Au tapis rouge", qui détaillent les différents linges confectionnés (draps, taies d'oreillers, tabliers...), comptoir du blanc, et rideaux blancs.
Tapis rouge, 1869, p. 4-5

L’acception du mot évoluera pour englober le linge de maison et de nombreux sous-vêtements, tout ce qui permet de monter le trousseau d’une personne à marier (Petit-Saint-Thomas, février 1892) et de garnir son intérieur (Trois Quartiers, janvier 1935).

page du catalogue Madelios avec en haut un logo au centre de la page, représentant dans un rond un temple grec, le nom et l'adresse de la marque. Dans les deux tiers du bas de la page des articles et leur prix sont dessinés. (gilet, boutons, supports-chaussettes, mouchoirs, chaussettes, foulards, boutons)
Madelios, janvier 1927

L’association entre Aristide Boucicaut, directeur du Bon Marché dès 1852, et Alexandre Turpault, créateur de sa société de tissage en 1847 à Cholet, aurait permis aux deux hommes de faire tous les ans des opérations promotionnelles de blanc, qui passeront d’une semaine au mois de janvier tout entier. Le succès aidant, tous les grands magasins les imiteront. 

Avec le développement de la vente par correspondance, certains catalogues fournissent des échantillons de tissus (Printemps 1878) et leurs couvertures ressemblent à des vitrines à distance. En 1878, l’une des premières couvertures illustrées de catalogue commercial, dessinée pour le Printemps, présente de manière spectaculaire des angelots tissant devant le client. Chaque magasin s’en inspire ensuite, certains rivalisent d’inventivité comme le Petit-Saint-Thomas (janvier 1895) et la promotion du blanc amène des couleurs en couverture ; d’autres peinent à se renouveler voire s’inspirent ouvertement de la concurrence. 

publicité "A la ménagère" pour une vente de blanc et trousseaux. On y voit trois femmes en robe d'époque et en chapeau qui admire des draps et des rideaux. Le dessin est en couleur.
A la Ménagère, septembre 1900

Ainsi, le Bon Marché décline sur deux décennies une série sobrement illustrée en noir et rouge, avec toujours une nouvelle proposition graphique. 

affiche pour une vente de blanc au bon marché, et noir et rouge, on y voir une femme disposant un bouquet de fleurs sur une nappe blanche brodée de rouge.
Bon Marché Blanc 1897 (illustration Lucien Metivet, 1863-1932)

Les imitations sont moins convaincantes, les Trois Quartiers se contentent longtemps de montrer une table garnie d’une nappe et quelques serviettes, changeant juste la couleur. 

Affiche pour "Aux Trois Quartiers" le mot "Blanc" est au milieu de l'affiche en jaune, souligné, au dessus d'une table couverte d'une nappe jaune à broderie blanche, des serviettes dans le même tissu sont pliées artistiquement et posées sur la table
Trois Quartiers, fin 1905-blanc 1906

Parfois, ils flattent la cliente aisée, mise en scène avec sa femme de chambre ou son page. (Trois Quartiers vers 1910, illustration Georges Masson (1875-1948) ; Trois Quartiers fin 1911-blanc 1912, illustration Jacques Drésa (1869-1929)). 

D’autres magasins diversifient très tôt leurs couvertures pour donner une idée de la quantité de marchandises (Petit-Saint-Thomas 1905) ou de la façon dont les ventes se déroulent (Bazar de l’Hôtel de Ville 1907), quitte à transposer à une autre époque, comme c’est le cas du Printemps. 

sur un fond façon papier peint à rayures, alternant de fines rayures verte, jaune, orange et blanche et des rayures de fleurs et feuilles fines. Dans une sorte de cadre ovale ornementé au sommet, on voit une femme en robe rayé orange et jaune assise et accoudée à une table qui inspecte des draps, et une femme lui fait l'article debout de l'autre côté de la table. En fond, on voit deux femmes discutant. En dessous de l'oval, en italique fine est écrit "Au Printemps, Paris, BLANC".
Printemps 1907(illustration René Vincent, 1879-1936)

Quand se répandent les brochures commerciales bibliophiliques, le Printemps trouve en 1910 une solution ingénieuse : dans le catalogue, de grandes marges intérieures forment un petit livret à découper, cadeau intéressant grâce auquel le client garde chez lui un document rappelant le magasin et donnant envie d’y retourner. 

Les techniques incitatives de vente sont de plus en plus perceptibles au fil des ans. Pour 1914, les Nouvelles Galeries A la Ménagère décident de mettre en couverture la prime, c’est-à-dire le cadeau commercial offert en cas d’achat. 

affiche dessinée sur fond bleu, en haut est écrit "Les yeux fermés achetez", au milieu on voit un visage féminin avec les yeux bandés et en dessous est écrit "votre BLANC au BON MARCHE PARIS".
Bon Marché, décembre 1919-blanc 1920

Après 1918, les slogans péremptoires fleurissent et la surenchère entre magasins devient visible. En 1921, le Printemps réussit un coup de maître en annonçant dans son catalogue que le hall sera orné d’"un éléphant blanc en serviettes éponge", prouesse si bien réalisée que l’éléphant est ensuite devenu l’emblème de la gamme de blanc du Printemps, décliné de nombreuses années (1927, 1928). 

Les grands magasins du Printemps. Vue intérieure. Rez-de-chaussée. Eléphant blanc, boulevard Haussmann, Paris, n° 64., 1921

La riposte du Bon Marché se fait sur le graphisme de ses catalogues, exprimant toujours plus de gigantisme : pyramides (fin 1924, illustration René Vincent, 1879-1936), empilements, gratte-ciel puis projection dans le ciel nocturne du rouleau de tissu blanc comme un illumination au-dessus du magasin (1932). 

sur un fond noir, on voit de grande colonne blanche/bleutée en perspective, et les lettres BLANC en trois D sont posées dessus. En bas, on voit des cadeaux de la même couleur à ruban jaune, et l'inscription "AU BON MARCHE" en jaune.
Bon Marché, catalogue de blanc 1928

Les revues de vente et d’étalagisme, comme Parade, recensent les trouvailles des magasins à l’occasion du blanc et citent comment la presse en rend compte.

Les couvertures des catalogues se font parfois l’écho des préoccupations de l’époque. Cela va de la promotion de la production française (Printemps fin 1935, Galeries Lafayette) à celle des congés payés fin 1936 (Réaumur, magasin plus populaire). En 1937, l’exposition universelle est l’occasion d’une magnifique mise en scène au Printemps

Pour finir, la colombe rose pâle de 1939 exprime l’espoir, la douceur et la paix, tandis que le catalogue de 1940 est minimaliste. L’heure n’est plus aux installations grandioses… Chaque époque dicte ses priorités ! 

Pour aller plus loin :