Les représentations de la banlieue chez les peintres et les photographes
Les institutions muséales n’ont montré que récemment leur intérêt pour les représentations de la banlieue. En décembre 2024, l’Atelier Grognard organise une exposition intitulée « Peindre la banlieue », et il faut attendre 2025 pour que le musée de l’Histoire de l’immigration s’empare pleinement du sujet, avec l’exposition « Banlieues chéries ».
Les « banlieues » parisiennes, surtout connues en France pour leur problèmes économiques et sociaux, ont marquées l’histoire de l’art et constituent un motif de prédilection pour nombre d’artistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
Également qualifié de « zone », cet espace qui remplace les anciennes fortifications de la ville, fait ainsi l’objet de campagnes de photographies qui témoignent de leur état d’abandon et de pauvreté, où viennent trouver refuge parias et miséreux :
Il en va ainsi de ceux que l’on qualifie de « zoniers », pour la plupart chiffonniers ou collecteurs de déchets en tous genres, dont le quotidien a été beaucoup documenté par Atget :
Dans les années trente, ce sont les différentes vagues d’immigrés qui y trouvent un refuge insalubre dans l’attente de jours meilleurs :
Le monde du travail ouvrier est également présent, avec les silhouettes d’usines peu avenantes, construites loin du centre, dans ces lieux de relégation où la main d’œuvre bon marché ne manque pas :
Entre autres grâce à l’expansion des moyens de transport, la banlieue est également peu à peu investie par les peintres et mise en scène par certains écrivains, parmi lesquels Zola.
Le plan ci-dessous témoigne des facilités nouvellement proposées aux citadins pour franchir les portes de Paris :
Dans les Rougon-Macquart, Zola livre des images variées de la banlieue parisienne, tantôt espace de divertissement avec les guinguettes qui fleurissent en bord de Marne, tantôt lieu de désolation et de décrépitude :
Les peintres ne sont pas en reste en matière de représentation de la banlieue, mais ont tendance à en livrer une vision plus positive, privilégiant la valorisation de la campagne et de la nature, en opposition à la « zone »…
Certains artistes, tels que Monet, vont même jusqu’à s’installer en périphérie de Paris, et organisent des expositions de leurs œuvres loin de la capitale. Il en va ainsi d’Argenteuil :
Quant aux étangs de Corot, ils ont conféré à ces derniers une beauté non démentie par les promeneurs d’aujourd’hui qui fréquentent Ville d’Avray.
La présence de l’eau et le cours calme des rivières entourées de bois ou bordées de villages permettent aux artistes des effets picturaux que la ville n'autorise guère. Cette tendance est visible chez Pissaro et Sisley face aux paysages de Pontoise ou encore de Saint-Mammès.
D’autres cours d’eau, comme la Marne et la Seine, sont fréquemment célébrés, donnant lieu à des mises en scène où flottent le mystère et une forme d’étrangeté, évoquant le courant romantique :
Progressivement, l’image de la banlieue se fait plus positive, voire apaisante et symbole de détente, en attendant la construction des grands ensembles qui commenceront à la défigurer dans les années soixante. Ainsi ce cliché d’un jeune pêcheur en bord de Marne témoigne de la dimension idyllique et champêtre de la banlieue à cette époque :
Comme les nouveaux HLM quelques décennies plus tard, alors synonymes d’un accès au confort et à la modernité, les banlieues sont popularisées sous forme de cartes postales qui font preuve d’un certain engouement, voire de la fierté de leurs habitants, comme ici dans le cas de Montreuil et de son marché aux puces :
Qu’elles inspirent un sentiment de désolation ou au contraire de paix et de bonheur champêtre, les banlieues apparaissent comme multiformes, à l’image des évolutions qui vont les marquer lors des décennies suivantes. Face aux enjeux politiques et sociaux liés à l’urbanisme des périphéries, les habitants ou témoins concernés s’empareront de tous les moyens artistiques à leur disposition pour réhabiliter ces lieux et donner du sens à la violence dont elles seront souvent l’emblème.
Pour aller plus loin
Le cycle Art en histoire, avec une édition consacrée au paysage (saison 4).
Banlieues chéries : [exposition, Paris, Musée de l'histoire de l'immigration, du 11 avril au 17 août 2025] / sous la direction de Susana Gállego Cuesta, Aleteïa (Emilie Garnaud), Horya Makhlouf ; accompagnées de Chloé Dupont, Musée de l'histoire de l'immigration (Paris) : 2025
-> Disponible en Haut-de-jardin, Salle F, cote 779.04 GALL b
Chebinou, Emma, Representation of the banlieusard in literature, cinema, and performances [Texte imprimé] : Francephobia, Lanham : Lexington books
-> Disponible en Rez-de-jardin, cote 2024-243765
Wagner, David-Alexandre, De la banlieue stigmatisée à la cité démystifiée [Texte imprimé] : la représentation de la banlieue des grands ensembles dans le cinéma français de 1981 à 2005, Bern [etc.] : Peter Lang, cop. 2011
-> Disponible en Rez-de-jardin, cote 2012-24051
Banlieue pop’, in : Mondes & Migrations, 2025 n° 1349
Basile Michel, “Centralité périphérique : quand les arts et la culture dessinent des centralités en banlieue”, Revue des sciences sociales, 71 | -1, 70-81
Podcast France Culture, « Le cours de l’histoire » : Zone, bidonvilles, banlieues, une histoire loin des lieux communs (2025)