Les journaux des réfugiés de la Guerre civile espagnole
La BnF a récemment numérisé des périodiques manuscrits et tapuscrits réalisés par les réfugiés républicains lors de la Retirada. Ce témoignage exceptionnel de la Guerre civile espagnole (1936-1939) est conservé au département de la Réserve des livres rares.
La Retirada
Le 18 juillet 1936 marque le début de la Guerre d’Espagne, également appelée Guerre civile espagnole : le général Francisco Franco soulève une partie de l’armée contre le gouvernement de la Seconde République espagnole, dirigée alors par Manuel Azaña. Le pays tombe progressivement aux mains des forces nationalistes, soutenues par l’Allemagne nazie et l’Italie mussolinienne. La guerre civile fait plusieurs centaines de milliers de morts, la dictature durera jusqu’à la mort de Franco en 1975.

Après la chute de Barcelone le 26 janvier 1939, l’armée républicaine ainsi qu’une partie de la population catalane, ou ayant trouvé refuge en Catalogne pour fuir l’avancée des nationalistes, prend le chemin de l’exil.

BnF, Réserve des livres rares, RES M-Z-299
La Retirada conduit à l’arrivée en France de près de 500.000 personnes. Les réfugiés sont répartis en urgence dans plus de 70 départements français : des « camps de concentration » sont créés notamment dans le sud-ouest du pays, parfois à même les plages. On y vit dans le dénuement, mais peu à peu, la vie s’organise : installation de baraquements dédiés aux activités culturelles, organisation de cours, de conférences, de débats mais aussi publication de journaux, reproduits en quelques exemplaires seulement.

BnF, Réserve des libres rares, RES M-Z-297
L’activité éditoriale qui se développe, cette « presse des sables », est une véritable prouesse au regard des moyens dont disposent les réfugiés pour la réaliser. Elle est pourtant essentielle pour informer dans et en dehors du camp, pour témoigner des conditions de vie ou pour rendre compte des activités culturelles et éducatives organisées.

BnF, Réserve des livres rares, RES M-Z-305
Survivre
Pour les réfugiés, il s’agit tout d’abord de tenir dans ces camps établis à la hâte : celui d’Argelès-sur-Mer, sur la plage, est soumis aux aléas naturels. Les abris de fortune laissent peu à peu la place à des baraquements plus solides mais les conditions de vie, ou de survie, restent difficiles. Les rédacteurs de ces journaux en témoignent, parfois avec ironie et en poésie :
« Dans le camp d’Argelès
je vis dans la meilleure baraque.
Il n’existe pas de palais dans le monde entier
comme le mien sur la plage. »
(Puig Espert, traduction d’un extrait du poème Mi barraca)

BnF, Réserve des livres rares, RES M-Z-299
Pour faire face à ces conditions de vie et à la promiscuité, il convient d’édicter des règles communes, de prodiguer des conseils, par exemple en matière de sport ou d’inciter à conserver un semblant de routine dans la journée. Les journaux proposent ainsi à leurs lecteurs de véritables modèles d’emploi du temps qui répartissent les périodes de repos, d’exercice physique, de repas et autres activités sur une journée. Nombreux sont les artistes et les intellectuels qui donnent à voir la vie dans les camps, souvent en maniant humour et caricature.

BnF, Réserve des libres rares, RES M-Z-297
Créer, vivre
Passé le temps de l’urgence, les réfugiés, notamment les professionnels de l’enseignement, mettent en place nombre d’activités culturelles et de cours dans les baraquements ou en plein air, dont se font l’écho les journaux publiés.

BnF, Réserve des livres rares, RES M-Z-299
De fait, dans ce contexte d’enfermement et d’inactivité contrainte, il faut se reconstruire, gérer les traumatismes, acquérir de nouvelles compétences. Ces cours sont d’autant plus importants que nombre de réfugiés appartiennent aux Brigades internationales et viennent de pays distincts. Pour eux, ces cours sont non seulement un moyen d’occuper le temps mais aussi de s’émanciper voire de résister :
« Aujourd’hui je fréquente toutes les branches de notre université populaire. Nous passons notre temps utilement. Quelques fois nos études nous font oublier notre séjour derrière les fils de fer barbelés. […] Comme antifasciste on ne sait jamais trop. Instruits, nous pourrons éviter d’être trahis. » Georges L., maçon âgé de 25 ans (L’Université populaire autrichienne de Gurs)

BnF, Réserve des livres rares, RES M-Z-304
Cette étonnante « presse des sables », composée d'un ensemble de 13 titres de périodiques et de quelques ephemera, constitue un matériau essentiel pour la recherche à l’approche des commémorations des 90 ans du déclenchement de la Guerre civile d’Espagne.

BnF, Réserve des livres rares, RES M-Z-299
Créées sous la contrainte, dans l’exil et dans l’enfermement, ces publications nous marquent tant par la force des textes que par les qualités artistiques qui s’y déploient.

Pour aller plus loin :
F. Douet, Y. Kergunteuil, « Découvrir la “presse des sables” : les journaux des réfugiés de la Guerre civile espagnole (1936-1939) », Carnet hypotheses L'Histoire à la BnF. Une version en espagnol de cet article est également disponible : "Descubrir la “prensa de las arenas”: Los periódicos de los refugiados de la Guerra civil española (1936-1939)".