Le sceau-de-Salomon
Sous ce nom à l’allure mystérieuse et empreint de légendes se cachent en réalité plusieurs espèces différentes, cousines du muguet, un temps regroupées dans la famille des liliacées.
Les sceaux-de-Salomon tirent leur nom d’un détail qui n’est pas immédiatement visible, puisqu’il se trouve sur leurs racines. En effet, tandis que chaque année une nouvelle tige pousse le long du rhizome, qui se développe de façon parallèle à la surface du sol, les tiges mortes des années précédentes y laissent en se détachant des cicatrices rondes marquées de pointillés. Ces traces évoquent l’empreinte d’un cachet dans de la cire : une marque à l’origine de son association avec le roi Salomon.

Selon la Bible, Salomon aurait régné au 10e siècle avant notre ère sur les royaumes d’Israël et de Juda. La tradition lui a longtemps attribué la rédaction de plusieurs livres de la Bible et la construction du Temple de Jérusalem. Mais si son image est surtout aujourd’hui associée à la sagesse, dont son fameux « jugement » sert d’exemple, elle s’est aussi longtemps doublée d’une réputation de mage capable d’imposer sa volonté aux esprits et aux démons. Cette vision est beaucoup plus tardive : on n’en trouve trace qu’à partir des Antiquités juives de Flavius Josèphe, un livre rédigé à la fin du 1er siècle. L’auteur y mentionne un exorcisme pratiqué en utilisant « un anneau dans lequel était enchâssée une racine dont Salomon se servait à cet usage ». À partir de là, la légende est née, et va faire florès.

Josèphe fait sans doute référence ici à la racine de la fabuleuse « plante de Baara », qu’il décrit dans un autre ouvrage. Rien à voir, a priori, avec nos sceaux-de-Salomon, dont la variété la plus répandue en France, le sceau-de-Salomon commun ou multiflore (Polygonatum multiflorum), hante paisiblement nos sous-bois ombragés. Présent dans toute la métropole, il y fleurit d’avril à juin, de préférence dans les forêts de feuillus et sur des sols calcaires. Avec les corolles en clochette de ses petites fleurs blanches, disposées par grappes de deux à six, son apparence rappelle le muguet (Convallaria majalis), à la différence duquel, cependant, il est inodore. Tous deux étaient jadis classés dans la famille des Liliacées. Même si la classification phylogénétique les sépare à présent respectivement en Ruscacées et Asparagacées, cela n’empêche pas notre Polygonatum de demeurer connu sous les surnoms de grand muguet, ou, moins glorieux, de muguet du pauvre ou muguet du serpent.

Le nom de sceau-de-Salomon est utilisé pour toutes les espèces du genre Polygonatum, dont deux autres se trouvent en France. Le sceau-de-Salomon odorant (Polygonatum odoratum) se distingue du multiflore par le fait de ne porter qu’une ou deux fleurs par feuille, et par sa tige anguleuse (la version commune est cylindrique). Il était aussi appelé sceau-de-Salomon officinal du fait de son utilisation en médecine traditionnelle dans des pâtes en application externe ou en concoction. De telles pratiques sont cependant déconseillées car la plante est toxique, et même si la cuisson affecte les molécules les plus dangereuses, le risque existe toujours de faire plus de mal que de bien… Plus rare, le sceau-de-Salomon verticillé (Polygonatum verticillatum), c’est-à-dire doté de feuilles se trouvant au même niveau, ne se trouve guère chez nous que dans l’est et le sud du pays. Ce ne sont cependant que trois membres d’une famille beaucoup plus vaste, qui compte plus de soixante espèces dans le monde, comme par exemple le Polygonatum orientale, originaire d’Iran.

Pour ajouter à la confusion, le nom n’est pas restreint aux seuls polygonates. On le trouve associé également à la famille des streptopes, autres Asparagacées. Ainsi le streptope à feuilles embrassantes (Streptotus amplexifolius) est aussi appelé sceau de Salomon noueux. Ses baies rouges à maturité le distinguent de la plupart des polygonates, dont les baies sont le plus souvent noires — mais pas toujours : celle du verticillé sont rouges aussi. Rare en France en dehors des zones de montagnes, il est beaucoup plus répandu ailleurs, en particulier aux États-Unis.

Et Salomon dans tout ça ? Sa réputation et celle de son mystérieux anneau, sceau ou talisman, selon les versions, lui ont valu de se voir attribuer la paternité de plusieurs ouvrages de magie ou de démonologie au cours des siècles, comme les Clavicules (« petites clés ») de Salomon ou le Grand Grimoire. Il est invoqué aussi bien par la Kabbale ou la franc-maçonnerie que par de nombreux récits de fiction, des Mille et une nuits aux séries télé fantastiques, en passant par le conte de Voltaire Le Crocheteur borgne (vers 1715) ou les Histoires comme ça de Kipling (1902). La fascination savante comme populaire pour cette figure a sans doute participé à son association ancienne avec ces plantes, de par leur utilisation médicinale, leur existence vivace pouvant se prolonger plusieurs siècles, et ce mystère des marques sur leur racine.

Pour aller plus loin
Marc Bloch, « La vie d’outre-tombe du roi Salomon », Revue belge de philologie et d’histoire, 1925.
Jean Céard, « De la racine de Baara et de quelques autres plantes merveilleuses à la Renaissance », Curiositas, 2013.