Au XIXe siècle, le Mont Saint-Michel est présent dans de nombreux écrits. Ainsi, dans sa lettre du 28 juin 1836, Victor Hugo, en villégiature dans la région avec Juliette Drouet, décrit à Adèle sa visite, entre admiration et effroi.

Mont Saint-Michel. Escalier des cachots, dessin à la plume et lavis à l'encre de Chine, 1842.
Des décennies plus tard, en 1884, après avoir comparé le Mont Saint-Michel à la dernière merveille de l'antiquité encore debout, Hugo souligne dans une note publiée dans Actes et Paroles depuis l'exil, l'importance de sauvegarder ce monument qu'il considère comme l'œuvre conjointe de la nature et de l'art. Raison pour laquelle il s'oppose à l'édification de la digue-route.

Dans le second volume de Mémoires d'un touriste (1838), Stendhal relate son périple en Bretagne, à Dol, et en Normandie, à Granville. Il y raconte notamment le spectacle du Mont Saint-Michel sous la lumière du soleil couchant et plus loin sa déception en découvrant sa petite taille, en comparaison aux Alpes et aux Pyrénées.
La décennie suivante, en 1847, Gustave Flaubert est en villégiature en Bretagne avec Maxime Du Camp, aventure qu'il raconte dans Par les champs et par les grèves (1885). Il y détaille notamment son arrivée en chaise de poste par la grève, l'avancée dans la baie, la visite de la Merveille de l'Occident ainsi que celle de Tombelaine.

Le Mont-Saint-Michel, vue générale au Nord-Est
On trouve aussi la trace d'un voyage au Mont Saint-Michel dans la correspondance d'Edmond About qui, dans une lettre datée du 5 septembre 1849, décrit à Arthur Bary la traversée de la baie à pied.
Un lieu qui inspire...
Charles Nodier visite le Mont Saint-Michel en 1820, il évoque son expérience et les origines de ce site dans Fragment - Saint-Michel, publié dans Le Défenseur la même année et qui sera repris dans les Tablettes romantiques en 1823.
Les 3 et 6 avril 1860, le Moniteur universel publie en feuilleton une description de la baie et du Mont Saint-Michel écrite par Théophile Gautier. Trente années plus tard, Robida consacre quatre chapitres du volume Normandie de la Vieille France (1890) à la « Merveille » et son environnement. Jules Michelet, qui a visité le Mont en 1858, évoque, dans son ouvrage La Mer (1861), les sables mouvants, la plage perfide et la mer nourricière.
"Saint-Michel surgissait seul sur les flots amers,
Chéops de l'Occident, Pyramide des mers."
Victor Hugo, "Près d'Avranches", dans Les quatre vents de l'esprit (1881)
Un personnage de romans...
Si nombre d'écrivains témoignent dans leurs correspondances de la visite qu'ils y ont fait, d'autres, inspirés par le lieu, intègrent la description de la baie, de la silhouette de pierre au milieu des sables ou des eaux, de ses ruelles et de son abbaye au sein de leurs fictions. Le Mont est parfois un simple point de repère dans le paysage, d'autres fois, il est le théâtre de l'action de leur récit.
"Le lendemain matin, une lumière douce argentait la baie de sable, au fond de laquelle le mont Saint-Michel mettait sa pyramide brune et dentelée".
Anatole France, Jocaste et le chat maigre, 1879
Le Mont Saint-Michel est présent dans de nombreuses chansons de gestes, chroniques et romans médiévaux sous diverses appelations : Mons Tumba, Mont-Tombe, Saint-Michel-en-Mont ou Mont saint-Michel-au-Péril-en-mer. Il apparait, au XIe siècle, sous le nom de Saint-Michel-du-Péril dans La Chanson de Roland.
Au XVe, on trouve trace du Mont dans une biographie chevaleresque espagnole Le Victorial : chronique de Don Pedro Niño, comte de Buelna de Gutierre Diaz de Games. Au cours de ses nombreuses aventures, Don Pedro se rend à Jersey. Sur le chemin de retour, il longe par la mer les côtes bretonnes et aperçoit à cette occasion "La Merveille de l'Occident".
Plus tard, au XVIe siècle, l’Arioste envoie son héros, présent sur les rives d'un cours d'eau, probablement le Couesnon, rejoindre l’armée du roi d’Irlande pour détruire l’ile d’Ebude au chant IX du Roland Furieux. Sur sa route, il le fait naviguer le long de la Côte d’Emeraude et le fait passer devant le Mont Saint-Michel.

Carte d'une partie des costes de Normandie où l'on a marqué les capitaineries garde-costes...: [Créances - Pontorson], 1740
En 1532, Rabelais raconte dans Les Grandes et inestimables cronicques du grant et énorme géant Gargantua comment Galemelle et Grant Gosier ont placé Tombelaine et le rocher sur lequel le Mont a été élevé là où ils sont aujourd'hui. Suite à cet effort, les parents de Gargantua sont décédés, Merlin les a fait enterrer sur le site.
Charles Nodier ne se limite pas à une simple citation. Bien au contraire, il situe une partie de l'action de La Fée des miettes (1832) sur les grèves du Mont Saint-Michel, là où son héros, un jeune Granvillais, sauve la dite-fée, une vieille mendiante qu'il a l'habitude de voir à la porte son église.

Arcs boutants de l'abside, projet de restauration par Edouard Corroyer
En 1850, Paul Féval initie un cycle romanesque qui se déroule dans la baie. L'action du premier de ces romans historiques se situe en 1450, il s'agit de La Fée des grèves, qui évoque les légendes du Mont Saint-Michel et de Tombelaine. Dans les deux autres romans, A la plus belle et L'Homme de fer (1855-1856), l'auteur breton narre des histoires au temps de Louis XI et y fait de nombreuses descriptions du Mont et de la baie.
Vraisemblablement marqué par la visite qu'il fit en 1836, Hugo compare dans Les Misérables (1862) la vase des égouts de Paris aux sables mouvants de la baie et décrit la silhouette de ce géant de pierre et « la grève qui est toujours déserte, car dangereuse ; on s'y enlise » dans son dernier roman, Quatre-vingt treize (1874).

Dans
Les Découvertes de monsieur Jean (1884), Emile Desbeaux raconte une excursion au Mont Saint-Michel. Rémy de Gourmont lui nous fait le récit dans
Merlette (1886) d'une
visite, ainsi qu'une description du Mont
sous le clair de lune.
Guy de Maupassant, qui a visité la baie en 1879, intègre le Mont Saint-Michel au sein de plusieurs récits. Tout d'abord en 1887, dans
Le Horla où le personnage principal raconte sa
visite du Mont. Puis en 1882, l'auteur raconte le combat de l'Archange avec le Diable dans
une nouvelle publiée dans le
Gil Blas. Cette nouvelle intitulée
La Légende du Mont Saint-Michel est éditée en volume en 1884 avec
Clair de Lune. En 1890, les personnages principaux de
Notre cœur se promènent au Mont Saint-Michel.

Anatole France, enfin, y situe une visite scolaire au sein de L'Œuf rouge (dans Balthasar, 1889).
La Bastille des mers...
Un autre aspect bien plus sombre du Mont Saint-Michel est présent dans la littérature. En effet, Bastille des mers, le Mont Saint-Michel a été une prison. Des cachots existent dès le XIIe siècle, mais il devient une prison d'état sous Louis XI, qui utilise les bâtiments romans pour cet usage et installe une fillette dans le logis abbatial. Ces cages de fer utilisées jusque sous le règne de François Ier marquent les esprits des écrivains. Victor Hugo mentionne dans Les Misérables (1862) que le duc de Chartres, futur roi Louis-Philippe, détruisit la dernière fillette, vestige d'us carcéraux barbares, en juillet 1788, lors du voyage qu'il fit en compagnie de Madame de Genlis. Plus tard, l'écrivain fait référence à ces cages de fer créées par Louis XI où de nombreux détenus du Mont Saint-Michel furent enfermés dans le poème Le Prisonnier (La Légende des Siècles, nouvelle série, 1877).

Le duc de Chartres brisant la cage au Mont-st-Michel, dessin de Charpentier, gravure de Monnin, coll. BIU Santé
Le Mont Saint-Michel est un lieu fréquenté par les pèlerins anonymes ou célèbres, les visiteurs de prisonniers et les intellectuels du XIXe siècle venus faire un pèlerinage néo-médiéval. Le nombre de visiteurs s'accroit au tournant du XIXe et du XXe siècle. Si les travaux de restauration contribuent à la redécouverte de ce patrimoine architectural le phénomène s'amplifie avec la création de la digue-route en 1879. Cette construction génère de vives réactions comme celle de Victor Hugo citée précédemment et celle de Guy de Maupassant qui s'insurge dans le Gil Blas (17 juillet 1883) contre les ingénieurs.
Le phénomène s'amplifie au début du XXe siècle avec en 1901, la mise en place d'un tramway vapeur empruntant cette voie. On compte 10 000 visiteurs par an en 1860, puis 30 000 en 1885 pour atteindre les 100 000 visiteurs après la mise en service du tramway vapeur. Dans un article publié le 23 janvier 1911 dans La Dépêche, journal quotidien, repris dans La Normandie vue par les écrivains et les artistes de A. Van Bever (1929), Gourmont évoque la création de la digue, ses conséquences ainsi que le souvenir du Mont avant les restaurations, avant les touristes, avant les hôtels.