Le chénopode blanc

Cultivée depuis la période du Néolithique, cette adventice à l’évolution génétique en constante mutation s’érige en championne de la résilience et constitue une ressource nutritive abondante à portée de main.

Chenopodium album L. est une espèce rudérale qui s’épanouit en zones anthropophiles, dans les décombres, aux abords des habitations et dans les cultures. Principalement présente en Europe et dans presque toutes les régions du monde, de nombreux chénopodes ont été cultivés en France jusqu’à l’arrivée de Spinacia oleracea L., notre épinard, introduit de Perse par les Arabes au XVIIe siècle.

Planche d'un chénopode blanc
Martin Hendriksen Vahl, icones plantarum sponte nascentium in regnis Daniae et Norvegiae et in ducatibus Slesvici, Holsatiae et Oldenburgi, ad illustrandum opus de iisdem plantis, 1792-1799. BnF, bibliothèque de l'Arsenal, FOL-S-669 (7)

Le nom de genre Chenopodium, signifie : « patte d’oie » en grec et fait référence à la forme des feuilles. Son nom d’espèce latin album n’est pas sans rappeler la poudre blanchâtre qui couvre son appareil aérien induisant une perception grasse au toucher et qui lui vaut les noms vernaculaires de : « poule grasse » ou encore : « chou gras ». Il s’agit là des sels minéraux que la plante rejette par ses glandes à sel caduques. En France, on retrouve souvent les chénopodes sous le nom d’ansérine qui désigne l’oie en latin. Appartenant à la famille des Amaranthaceae qui comprend des plantes ornementales, des plantes cultivées et des plantes des milieux salés, le Chénopode blanc s’inscrit parmi les espèces affines aux amaranthes, aux salicornes, aux épinards, aux blettes, aux betteraves et au quinoa.

Planche d'un chénopode dans un manuscrit du seizième siècle.
Leonhart Fuchs, De Historia stirpium commentarii insignes, ...,1542. BnF, bibliothèque de l'Arsenal, FOL-S-557

La découverte de paléosemences et de macrorestes sur divers sites au Néolithique atteste sa consommation depuis la Préhistoire. Le document le plus ancien faisant référence à l’actuel Chenopodium album L. vient de Leonhart Fuchs en 1542. La plante y figure sous le nom d’Atriplex sylvestris ; l’Arroche sauvage. Dès l’Antiquité, Dioscoride fait la description d’Atriplex sylvestris III qu’il décline en trois sous-espèces comme en témoignent les commentaires de Pierre André- Matthiole sur le De materia medica. Il distingue l’espèce sauvage de l’espèce cultivée et indique que la plante est bonne pour relâcher le ventre, soigner les tumeurs de l'aine (phugethlon) et la jaunisse.

Planche de chénopodes blancs
Pierandrea Mattioli, Commentaires de M. Pierre André Matthiole, sur les six livres de Ped. Dioscoride reveuz et augmentés par l'autheur mesme avec certaines tables médecinales..., 1579. BnF, bibliothèque de l'Arsenal, FOL-S-539.

Si l’hypothèse de la grande variabilité d’Atriplex sylvestris semble présupposée par plusieurs illustrations dans la version éditée de 1579, c’est le botaniste Joseph Pitton de Tournefort qui expose pour la première fois en 1698 le polymorphisme de Chenopodium album L. : 

« L’espèce dont nous parlons varie ». (Joseph Pitton de Tournefort, Histoire des plantes qui naissent aux environs de Paris, 1698)

Planche d'un chénopode blanc
Pierre Bulliard, Flora Parisiensis ou Description et figures des plantes qui croissent aux environs de Paris, 1776-1783. BnF, bibliothèque de l'Arsenal, 8-S-8357 (2)

La forte sensibilité écologique de la plante lui permet de transmettre aux générations futures les évolutions nécessaires afin d’adapter l’espèce aux conditions du milieu très variables, complexifiant son identification. Il en résulte une espèce morphologiquement très altérable à l’intérieur de l’espèce même.

Planche d'un chénopode blanc
Platéarius, Livre des symples medichines, autrement dit Arboriste, continué selon le A, B, C, XVe siècle. BnF, département des Manuscrits, Français 9136

Beaucoup d’erreurs ont été commises dans la littérature botanique en créant de nouvelles espèces et de nouvelles variétés. La plupart correspondent à des variations. D’autres, peuvent être admises au rang spécifique. Le polymorphisme extrême de Chenopodium album L. a surpris de nombreux botanistes depuis Linné jusqu’à nos contemporains. Le caractère spécifique le plus sûr des Chénopodes se trouve dans l'ornementation de l’enveloppe des graines.

Graines de chénopodes dans un ouvrage du dix-septième siècle
Joseph Pitton de Tournefort, Elemens de botanique, ou Methode pour connoître les plantes. III. 1694 BnF, département des Estampes et de la photographie, 4-JC-3 (B)

Indésirable à la culture maraîchère, la mise en place de protocoles phytotechniques pour éliminer l’adventice a entraîné des modifications écologiques dont la conséquence principale est une accélération de l’effet de sélection naturelle permettant au Chénopode blanc de développer des génotypes résistants aux herbicides de la famille des triazines

Planche avec chénopode blanc et texte en persan
"Arroche", Anṣārī ʿAṭṭār Šīrāzī , Zayn al-Dīn ʿAlī ibn al-Ḥusayn al-, 1849. BnF, département des Manuscrits, Supplément Persan 1534, f. 297v.

Les déterminations en archéobotanique permettent d’affirmer une consommation empirique de la plante confirmant ses apports nutritionnels connus depuis la Préhistoire. Très riche en protéines complètes, en vitamine A, et en calcium, le Chénopode blanc renferme aussi des vitamines B, du phosphore, du fer des saponines et de l’acide oxalique. Elle fait partie des plantes les plus riches en vitamine C et en magnésium. Les feuilles et les jeunes pousses possèdent une saveur très délicate rappelant celle de l'épinard qui peuvent être consommées crues sous forme de salades ou cuites pour réaliser des samosas, des gratins, des tartes. On le retrouve également dans le « Pkhali », plat traditionnel de la cuisine géorgienne composé de légumes hachés. Les Amérindiens employaient ses graines pour préparer du « pinole », sorte de bouillie cuite à l’eau. 

Planche d'un chénopode blanc
Maria Sibylla Merian, Histoire des insectes de l'Europe, dessinée d'après nature et expliquée par Marie-Sibille Merian, 1730. BnF, bibliothèque de l'Arsenal, GR FOL-44 (2)

Certains chénopodes servent à fabriquer du papier et du carton tandis que d’autres donnent de la soude, parfois de la potasse lorsqu’ils sont incinérés. Les graines du chénopode blanc sont utilisées pour chagriner les peaux et les cuirs. Abondante et à la portée de tous, le chénopode blanc pourrait facilement être réhabilité dans nos usages si certaines ressources venaient à manquer.

Planche d'un chénopode blanc
Émile Gadeceau, Les fleurs des moissons, des cultures, du bord des routes et des décombres (plantes envahissantes), 1914. BnF, Département Sciences et techniques, 8-S-14587 (4)

Pour aller plus loin :

N. Mindadze & N. Chirgadze, « Les traditions populaires médicales en Géorgie. La Kakhétie », Ethnopharmacologia, n°47, novembre 2011, p. 18-36.

F. Monah, « IV. Rapport préliminaire sur les macrorestes végétales du Complexe ménager 521- le tell énéolithique Hârşova (dép. de Constanţa). La campagne de 1998 », article en ligne.

J-P. Lonchamp & G. Barralis, « Caractéristiques et dynamique des mauvaises herbes en région de grande culture : le Noyonnais (Oise) », Agronomie, 1988, 8 (9), p. 757-766.