La carotte
Connue en Europe depuis l’Antiquité, la carotte est aujourd’hui l’un des légumes les plus consommés en France. Si la variété de couleur orange est la plus connue, on la retrouve également rouge ou jaune.
La carotte (Daucus carota) est une plante de la famille des Apiacées, comprenant des légumes et des herbes aromatiques tels que le fenouil, le céleri et le persil, mais aussi des plantes mortelles comme la grande ciguë. Son nom dérive du latin Carotta, terme venant lui-même du grec karōtón. D’autres noms tel que Pastinaca, Daucus ou Siser sont employés par les auteurs gréco-romains, mais il difficile de savoir si ceux-ci désignent les carottes ou des racines comestibles similaires, telles que le panais ou la guimauve. Pasticana en particulier donnera en français Pastenade et ses dérivés en patois (pastonade, pastounague, …)
La carotte cultivée (Daucus carota subsp. sativus) est une amélioration de la carotte sauvage, plante annuelle à la racine allongée, de couleurs blanches et à la tige haute de 30 à 80 centimètres, hérissée de poils raides. Les fleurs, assez petites et blanches, sont regroupées en ombelles, avec en leur centre une unique fleur pourpre.

Ses graines portent des aiguillons favorisant une dissémination par les animaux qui les transportent dans leurs toisons. Originaire d’Asie centrale et du bassin méditerranéen, elle se retrouve aujourd’hui dans toutes les zones tempérées. Elle pousse sur les friches et les plaines en jachères sèches, bénéficiant de l’activité agricole dans les champs.

La carotte cultivée nécessite un sol meuble et bien drainé, idéalement sablonneux. Elle se plante de février à juin, pour une récolte 3 à 6 mois après le semis, selon les variétés. Rustique, la plante souffre surtout des extrêmes de températures et de la sécheresse.
Émergence de la carotte moderne
L’histoire de sa domestication demeure encore incertaine. La sous-espèce jaune ou violette, dite « carotte de l’Est », aurait été cultivée vers le Xe siècle en Afghanistan. La carotte blanche, « de l’Ouest », semble avoir été connue par les Grecs et les Romains, sans être cultivée. Le gourmet Apicius l’évoque au Ier siècle dans son ouvrage de recette De re coquinaria sous le nom de carota et des bottes de carottes sont représentées sur des fresques d’Herculanum. Dans les deux cas, il pourrait s’agir de panais.
La culture de carottes rouges en Espagne, issues des variétés orientales, est mentionnée au XIIe siècle par l’horticulteur Ibn al-Awam. Ce signalement laisse penser que la « carotte de l’Est » serait arrivée en Europe via l’Afrique du Nord et l'Espagne musulmane. A partir de cette période, les racines colorées sont mentionnées par les botanistes et les cuisiniers, parfois sous le nom de pastenade.

Olivier de Serres, un des premiers agronomes français, note ainsi dans son ouvrage Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs que les deux plantes se ressemblent et se confondent au XVIIe siècle :
"Les Pastenades & Carottes ne diffèrent entre elles presque en autre chose qu’en la couleur, celle de l’une estant rouge & de l’autre blanche : de fait en Languedoc & ailleurs on n’appelle autrement les Carottes que Pastenailles blanches : ces deux noms estans confondus en plusieurs quartiers de ce Royaume, mêmes à Paris où sans distinctions l’on appelle ces racines Pastenades & Carottes"
Sous le règne de Louis XIV, Nicolas de Bonnefons, valet de chambre du Roi et auteur du Jardinier français, note qu’« Il y a des carottes de trois couleurs : des jaunes, des blanches et des rouges », tout en procurant des conseils pour leur culture. Ce petit traité pratique, réédité plusieurs fois, est surtout destiné à la bourgeoisie parisienne et laisse voir un intérêt grandissant pour le jardinage chez les plus aisés.

La carotte orange moderne n’apparait en Hollande qu’au XVIIe siècle, à la suite d’une culture sélective. Le choix de cette couleur serait un hommage des horticulteurs locaux à la maison d’Orange-Nassau, famille ayant combattu pour l’indépendance du pays. La « longue orange » se répand ensuite rapidement parmi les maraichers européens, sans faire disparaitre complétement les anciennes variétés rouges, jaunes ou blanches. Elle sert de base pour les horticulteurs cherchant à créer des plantes plus charnues, adaptées à une culture rapide et à une diversité de sols. Demi-longue nantaise, demi-longue de Chantenay, carotte de Créance, carotte de Crécy sont quelques exemples de ces dérivés. Notons qu'à cette époque le terme "rouge" est encore utilisé pour désigner les variétés oranges.

Aspect culturel
La carotte est une source de béta-carotène (transformé en vitamine A par l’organisme) et de vitamine B9, riche en potassium et en calcium. Dans la culture populaire, le légume est réputé pour rendre aimable, serait bon pour la vue et donnerai « les fesses et les cuisses roses ».

Si le premier effet n’a jamais été démontré, il est à noter que le béta-carotène est un pigment pouvant colorer la peau de manière semblable à un bronzage. Un excès au sein de l’organisme peut entrainer une caroténodermie, la peau prenant alors une coloration jaune ou orangée.
L’ancienneté et l’importance de la carotte dans l’alimentation ont fait que la racine se retrouve dans plusieurs expressions populaires. « La carotte et le bâton » sont deux manières de motiver un individu, par la récompense ou par la punition. La locution s’applique à l’origine pour faire avancer l’âne, animal jugé têtu. Une personne aux cheveux « Poil de carotte » possède une chevelure rousse, expression popularisée par le roman homonyme de Jules Renard et ses adaptations au théâtre et au cinéma.
La carotte apparait également sur scène dans l’œuvre de Jacques Offenbach et Victorien Sardou Le roi carotte, « opéra-bouffe féérie » de 1872 où une carotte, rendue vivante par une sorcière, prend le contrôle d’un royaume en représailles d’un prince oisif.

Pour aller plus loin
- Petite et grande histoire des légumes / Eric Birlouez. Versailles : Éditions Quae, 2020
- Histoire des légumes / par Georges Gibault. Paris : Librairie horticole, 1912
- Histoire de légumes : des origines à l'orée du XXIe siècle / Michel Pitrat, Claude Foury (coord.). Versailles : Éditons Quae, 2003