Katie Sandwina ou un Sandow au féminin

À la fin du XIXe siècle, les femmes vivant de leur force se multiplient dans les cirques, théâtres et music-halls européens. Si certaines d’entre elles gardent pour la scène leur nom de famille ou puisent dans le répertoire mythologique, Katie Sandwina rend hommage au célèbre culturiste Eugène Sandow.

Sandwina, ou Katie Brumbach de son vrai nom, est issue d’une lignée d’athlètes auréolée de récits légendaires. Son père, Philippe Brumbach serait originaire de Munich et, avec son frère Max Brumbach, il fut célèbre vers 1890 pour sa force. Il s’exhibait dans les cirques et les théâtres, "offrant une prime de 1.000 francs à quiconque égalerait ses exercices". Il épousa celle qui devient Johanna Brumbach et dont La Culture physique s’extasie qu’elle "était douée d’une formidable carrure".

D’après Léon Sée, Johanna et Philippe Brumbach s’associèrent athlétiquement et n’eurent pas moins de… seize enfants. Aînée des filles, Katie Brumbach serait née en 1884 et aurait débuté très tôt en tant qu’acrobate et trapéziste. Certaines de ses sœurs suivirent également une carrière d’athlètes, se produisant sous le nom des Braselly.

Deux portraits photographiques côte à côte, en noir et blanc. Sur celui de droite, on voir un homme aux cheveux courts, avec une frange au milieu, en marcel noir, avec les bras croisés de façon à mettre en valeur sa musculature. Sur le portrait de droite, une femme dans la même position. Elle porte aussi les cheveux courts ou relevés, un collier et des boucles d'oreilles. Le col de son haut est agrémenté d'une frange, sur un décolleté arrondi reposant sur ses épaules. En dessous des deux photos, la légende indique : Les parents : Philippe et Johanna Brumbach de Munich.
"Les parents" : Philippe et Johanna Brumbach, de Munich, "Une famille dans Léon Sée, « Une famille d’athlètes », La Culture physique, n°126, 1er avril 1910, p. 198

Au tout début du XXe siècle, Katie Brumbach épouse un acrobate, Max Heymann. En 1906, le couple se produit en tant que "duo acrobatique" sous le nom des "Sandwina’s". D’après l’historienne Jan Todd, le binôme tente aussi sa chance aux États-Unis. En 1910, ils reviennent en Europe avec un spectacle à l’Olympia de Paris. Subjugué, Léon Sée rapporte la "facilité invraisemblable" avec laquelle Katie Brumbach enlève, développe et tourne son mari de soixante-dix kilos, "comme s’il n’avait pas pesé dix livres".

photographie en pied et en noir et blanc du couple Sandwina. Il se tient à gauche assis sur un tabouret haut aux pieds arquets, les pieds croisés et les bras croisés. Il porte un marcel, un collant et des chaussures montantes blanc. Elle se tien debout, à côté de lui, le bras droit appuyé sur le tabouret, le bras gauche plié dans le dos. Elle porte un justaucorps sans manche avec un motif de papillon qui s'étale sur son torse, des fronces sur la partie "culotte", une paire de collants blancs et des chaussures montantes blanches.
"Les Sandwina’s", Serrano, dans La Culture physique, n°31, 1er avril 1906, p. 445.

Avec ce numéro de force, Katie Sandwina malmène doublement les stéréotypes de genre de la société occidentale moderne : elle s’empare du muscle masculin et inverse les rapports de pouvoir mari/épouse. Surtout que Sandwina ne mesure pas moins d’un mètre quatre-vingt pour cent kilos. En 1911, les Sandwina rejoignent le cirque Barnum & Bailey et, d’après Todd, pour leur image médiatique, Katie Brumbach est placée au premier plan. En 1913, ils se produisent ainsi à l’Alcazar de Paris sous le seul nom de "Katie Sandwina".

Trois photographies en noir et blanc, montrant Katie faisant des démonstrations avec son mari. Sur la première, elle le porte d'une main, bras tendu, au dessus de sa tête. Sur la deuxième, elle se tient face à lui, une main sur son épaule. Sur la troisième, elle le tient par les hanches devant elle alors qu'il est horizontal au sol.
« Miss Sandwina, à l’Haltérophile Club de France : les exercices qu’elle exécute avec son mari », dans « Notre couverture : Miss Sandwina », La Culture physique, n°203, 15 juin 1913, p. 27.

Du côté de l’athlétisme, La Culture physique consigne les performances de Katie Sandwina. Au Club Germania de Munich, elle aurait ainsi jeté à deux mains 210 livres avec épaulement facultatif, tandis que Léon Sée rapporte lui avoir vu "très facilement" enlever cent kilos. Selon Jan Todd, ses meilleures levées restent cependant controversées.

Comme Athléta, Sandwina est décrite par la presse à la fois comme "femme forte" et comme "belle femme". Son appartenance au genre féminin est en outre réaffirmé par le fait qu’elle soit "mère de plusieurs enfants". Son fils Théodore connaît d'ailleurs son heure de gloire comme boxeur : à dix-sept ans, en 1927, il représente un "espoir poids lourds" européen capable de s’imposer à l’international. Ses débuts parisiens sont remarqués dans la presse de 1928, en partie pour sa boxe et la renommée de sa mère.

C’est ici que se lisent assez clairement les discours eugénistes et les théories raciales contemporaines que viendraient prouver la famille Brumbach. En 1910, l’article de Léon Sée sur cette "famille d’athlètes" énonce implicitement l’idée qu’une famille physiquement forte engendre des enfants forts. Ainsi, Katie Brumbach semblerait "posséder les forces paternelle et maternelle additionnées", selon La Culture physique en 1913. Dès son plus jeune âge, Théodore est quant à lui évalué, sous-pesé, décrit comme "vigoureux".

photo en noir et blanc d'un homme assis par terre, de dos, le buste tourné vers la droite, une jambe pliée, un bras posé au sol. Il est nu sur un fond noir. Au sol on voit ce qui semble être un tapis.
« Sandow dans la pose du gladiateur blessé », dans « Les rois de la beauté plastique. Eugène Sandow », L’Éducation physique : revue sportive illustrée, n°5, juin 1902, p. 6.

Lors de ses débuts de boxeur, Ted Sandwina illustre pour La Culture physique d’avril 1927 le proverbe "Bon chien chasse de race". Cette conclusion était donnée par le journal Stamboul du 16 mars : "en ayant une telle ascendance, ce géant du ring est taillé pour aller loin". Dans le cas de cette famille, il s’agirait de la transmission de la perfection physique incarnée par le culturiste Eugène Sandow, devenu leur nom de scène, puis leur nom d’usage. L’histoire nous a malheureusement dit où les extrémités de ces théories ont conduit.

portrait en pied et en photographie en noir et blanc de Ted Sandwina. Il se tient en position de boxeur, les pieds écartés, les poings levés, dans ce qui semble être une salle de sport. Il porte un short taille haute et des chaussures à lacet qui monte juste au dessus des chevilles.
Ted Sandwina, Agence Rol, d'après la photographie originale de l'agence photographique Central News, 1927

Pour aller plus loin : 

  • Edmond DESBONNET, Les Rois de la force. Histoire de tous les hommes forts depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, avec 733 photographies et dessins, Berger-Levrault / Librairie athlétique, Paris, 1911.
  • Pierre SAMUEL, "Les lutteuses de foire. Historique", Athéna 2. Femmes musclées, n°1, février 1996, p. 9. 
  • Jan TODD, "Bring on the Amazons : an evolutionary history", in Picturing the Modern Amazon, cat exp., New museum books : Rizzoli, New York, 1999, pp. 48-61. 
  • Jan TODD, "Center Ring : Katie Sandwina and the Construction of Celebrity", Iron Game History, vol. 10, n°1, novembre 2007. Disponible en ligne.