Jean-Léon Gérôme (1824-1904)
Célèbre en son temps, puis tombé dans l’oubli, Jean-Léon Gérôme retrouve les faveurs des historiens et des collectionneurs, notamment en Amérique du Nord, à partir de la fin du XXe siècle. En France, son œuvre connaît une renaissance tardive, grâce à l’exposition « Jean-Léon Gérôme. L'Histoire en spectacle » que lui consacre le Musée d’Orsay en 2010-2011. L’année 2024 a marqué le bicentenaire de sa naissance et c’est ici l’occasion d’un voyage sur les traces que l’artiste a laissées dans les collections de la BnF.
Jean-Léon Gérôme vient au monde à Vesoul le 11 mai 1824 dans une famille de commerçants assez aisés. Ayant manifesté dès l’adolescence des dons pour le dessin, il part s’installer à Paris, sitôt son baccalauréat obtenu, pour se perfectionner auprès de Paul Delaroche, alors l’un des peintres les plus en vue de la capitale. Il suit également des cours à l’École des Beaux-Arts, où il fait la connaissance du caricaturiste Amédée Charles de Noé, dit « Cham », dont il préface l’album des Folies parisiennes, ainsi que de Charles Garnier. À l’occasion de l’inauguration du nouvel Opéra, en janvier 1875, Gérôme, en souvenir de cette amitié avec l’architecte désormais célèbre, cosigne une brochure de présentation de l’édifice avec Alphonse Royer, librettiste et ancien directeur de l’Académie impériale de musique et de danse de 1856 à 1862.

En 1877, Gérôme réalise un portrait de Charles Garnier – celui-ci a un temps envisagé de lui confier une partie des travaux de décoration de l’Opéra – qu’il dédie « à son ami ».

Gérôme conserve toute sa vie des liens étroits avec le monde de la musique. C’est lui qui, en sa qualité de président de l’Académie des Beaux-Arts, prononce l’oraison funèbre de Charles Gounod.
"Gounod est le maître français par excellence, le musicien resté français quand même, ferme dans ses convictions, demeuré indifférent à toute influence étrangère, un de ceux que l’École française a fait éclore et dont elle peut à bon droit s’enorgueillir. Adieu, Gounod ! tes œuvres resteront, et ton souvenir laissera dans le cœur de ceux qui t’ont connu, qui t’ont aimé, un regret éternel."
Jean-Léon Gérôme, Discours pour les funérailles de M. Gounod, le vendredi 27 octobre 1893, Paris, Firmin-Didot et Cie, 1893. Magasin - [4-Z-1617 (1893,18)].
Gérôme se fait d’abord connaître en tant que chef de file du mouvement dit des « néo-Grecs », avec deux tableaux présentés respectivement aux salons de 1847 et de 1848. L’érotisme sulfureux des Jeunes Grecs faisant battre des coqs et de L’Intérieur grec vaut au peintre quelques critiques peu amènes, mais aussi des commentaires élogieux de Théophile Gautier.

C’est néanmoins en tant qu’orientaliste que Gérôme accède véritablement à la renommée. Après un court séjour à Constantinople, il entreprend son premier voyage en Égypte en 1856, en compagnie du sculpteur Auguste Bartholdi, « père » de la Statue de la Liberté. Les deux artistes rapportent de ce périple, qui les mène en Égypte, puis en Palestine et à Damas, une riche documentation photographique.

Gérôme utilise ensuite ces clichés comme documentation pour son travail de peintre. Il en expose avec succès le fruit au Salon de 1857.

Gérôme, toujours à la recherche d’une précision quasi-ethnographique, effectue au total neuf voyages en Orient entre 1857 et 1880. L’un des plus notables est celui de 1868, où Gérôme est accompagné de son beau-frère, le photographe Albert Goupil. Là encore, les images rapportées de l’expédition inspirent nombre de tableaux à Gérôme.

Le critique d’art Charles Moreau-Vauthier, qui prend part aux pérégrinations de 1868, publie en 1906 un hommage posthume à Gérôme, reprenant d’assez larges extraits du journal que ce dernier a tenu durant le séjour en Égypte.

La notoriété acquise par Gérôme en tant qu’orientaliste lui vaut d’être nommé professeur à l’École des beaux-arts de Paris en 1864. Consécration suprême, il est élu à l’Académie des Beaux-Arts l’année suivante. Fort de ses nouvelles fonctions de pédagogue, il se lance, avec l’un de ses disciples, le dessinateur et graveur Charles Bargue (1825-1883), dans la publication d’un « Cours de dessin », qui paraît chez Goupil et Cie en trois livraisons successives, de 1867 à 1870.

Gérôme connaît toutefois une fin de carrière plus compliquée, même s’il conserve pratiquement jusqu’à la mort les faveurs du public, et qu’en 1882, il est encore sollicité par Victor Hugo pour illustrer une réédition des Orientales, en collaboration avec Benjamin-Constant [François Jean Baptiste Benjamin Constant, dit Benjamin-Constant, 1845-1902, graveur et peintre orientaliste, à ne pas confondre avec le romancier et homme politique homonyme].

Novateur en son temps, Gérôme se fait une réputation de réactionnaire lorsqu’il s’érige en ennemi farouche des impressionnistes, à partir des années 1870. Ces derniers répliquent en faisant du peintre vésulien l’archétype de l’artiste officiel, tenant d’un académisme dépassé. Pourtant, Gérôme n’est pas aussi fermé qu’on pourrait le croire aux nouveaux courants de l’art pictural. En 1903, un an avant sa disparition, il accueille dans son atelier, en qualité d’élève libre, un certain Fernand Léger.
"Arrivé à Paris, j’ai suivi, vers 1908-1910 [recte : 1903], les cours de l’École des Arts décoratifs et de l’École des Beaux-Arts, pour ces derniers comme élève libre. Gérôme, le professeur, était au fond un brave homme qui ne me prenait pas très au sérieux, mais il me tolérait dans sa classe. Quand il a été remplacé par Gabriel Ferrier, ce n’a plus été la même chose. Celui-là n’a plus voulu entendre parler de moi. Je peignais avec des couleurs complémentaires !"
Cogniat, Raymond, Picasso, Braque & Léger racontent leurs débuts, Paris, l’Échoppe, 2019, p. 20-21.
Pour aller plus loin :
- « Les photographes de Gérôme »
- « Les fonctions de la photographies orientaliste »
- « Des photographes en Orient »
- « "Remplacer le rêve par la réalité" : l’Orient photographié »