Il y a 100 ans disparaissait le marchand de tableaux Paul Durand-Ruel
Sans Durand, nous serions morts de faim, nous tous les impressionnistes. Nous lui devons tout. Il s’est entêté, acharné, il a risqué vingt fois la faillite pour nous soutenir. La critique nous traînait dans la boue ; mais lui, c’est bien pis ! On écrivait : ces gens sont fous, mais il y a plus fou qu’eux, c’est le marchand qui les achète ! (A Giverny, chez Claude Monet / Marc Elder, 1924)
Hommages
Au lendemain de sa mort, de nombreux articles d’hommage et nécrologies ont paru à la fois dans la presse d’information générale - Le Temps (7 février 1922), Le Gaulois (9 février 1922), L’Œuvre (18 février 1922) - et dans des revues artistiques - La Chronique des arts et de la curiosité (15 février 1922), Le Cousin Pons : revue d’art (1er mars 1922), Art et décoration (mars 2022), Le Bulletin de la vie artistique (15 février 1922).
Portrait de Paul Durand-Ruel par Renoir, 1910, Le Bulletin de la vie artistique 15 février 1922
À l’écoute de Paul Durand-Ruel
Paul Durand-Ruel a écrit ses mémoires à plusieurs reprises, ainsi qu’un certain nombre de textes, témoignages directs d’un acteur de premier plan de cette période artistique majeure en France. L’historien d’art Lionello Venturi en a publié une première version en 1939 (avec documents d’archives, correspondance…) sous le titre Les archives de l’Impressionnisme, évoquée dans Candide (le 23 août 1939). Un autre article de Lionello Venturi de 1939 est paru dans L'Art vivant.
L’article du Bulletin de la vie artistique du 15 avril 1920 prend quant à lui la forme d’un entretien, ce qui nous permet de nous mettre à l’écoute du marchand à la fin de sa vie, alors qu’il s’est retiré de sa galerie depuis 1913.
La reprise du commerce familial
Les parents de Paul Durand-Ruel, Jean Durand et Marie Ruel, avaient repris en 1825 un commerce de papeterie et fournitures d’artiste, rue Saint-Jacques à Paris, où ils vendaient et louaient aussi des œuvres d’artistes contemporains. Le commerce se transforme en galerie de tableaux modernes, une des plus importantes d’Europe, et s’installe en 1839 rue des Petits-Champs.Salon principal de la Galerie Durand-Ruel en 1845,
Specimens les plus brillants de l'école moderne / Galerie Durand-Ruel, 1845.
Paul Durand-Ruel doit renoncer à la carrière militaire à laquelle il se destinait et reprend l'entreprise familiale à la mort de son père, en 1865. Marchand novateur, homme de conviction, catholique militant, royaliste, père de cinq enfants (ses fils prendront sa suite) et veuf à quarante ans, il défendra ses convictions esthétiques et soutiendra « ses » artistes, malgré l’hostilité de la critique et des institutions, les difficultés financières, en un formidable pari sur l’avenir.
Les artistes défendus par Durand-Ruel
La « belle école de 1830 »
Dans les années 1865-1874, Durand-Ruel s’attache, comme son père avant lui, à défendre et vendre la « belle école de 1830 », c’est-à-dire les peintres romantiques, comme Eugène Delacroix, ainsi que les artistes réalistes comme Honoré Daumier, Gustave Courbet, et les artistes de l’École de Barbizon, Camille Corot, Charles-François Daubigny, Narcisse Díaz de la Peña, Jules Dupré, Jean-François Millet, Constant Troyon, Théodore Rousseau. Il joue un rôle essentiel dans leur reconnaissance par le public.Le combat pour la « nouvelle école », les impressionnistes
De 1871 à 1873, Paul Durand-Ruel découvre le travail d’Edouard Manet, Eugène Boudin, Claude Monet, Camille Pissarro, Alfred Sisley, Edgar Degas, Auguste Renoir, puis Berthe Morisot et Mary Cassatt. Il rencontre Monet et Pissarro à Londres en 1871, où ils sont réfugiés comme lui en raison de la guerre franco-prussienne, et où il organise la première exposition importante de leur travail, en 1872. Il en organisera d’autres à Paris, Bruxelles, New York.Paul Durand-Ruel prête des œuvres pour la première exposition impressionniste en 1874, accueille dans sa galerie la deuxième en 1876, participe à l’organisation de la septième en 1882. Ces expositions sont très mal accueillies par le public et les œuvres ne se vendent pas…
L’évolution du métier de marchand de tableaux
Entrepreneur exceptionnel et précurseur, par ses principes novateurs, Paul Durand-Ruel internationalise et fait évoluer le métier de marchand, ainsi que le soutien aux artistes. Il a posé les bases du marché de l’art tel qu’il fonctionne actuellement.Des galeries à Paris, Bruxelles, Londres, New York
À Paris, les galeries Durand-Ruel ont connu plusieurs adresses : 1 rue de la Paix (1858-1872 et 1880-1887), 11 rue Le Peletier et 16 rue Laffitte (1870-1879 et 1891-1924), rue des experts et des marchands de tableaux, un des centres du marché de l'art jusqu'à la Première Guerre mondiale. L’ouverture de cette nouvelle adresse est annoncée dans la presse. L’accès aux galeries est en général gratuit, contrairement à ce qui se pratiquait à l’époque. La dernière galerie Durand-Ruel de Paris fermera ses portes en 1974.Durand-Ruel donne aussi l’accès à ses appartements de la rue de Rome, qui contiennent de nombreuses œuvres impressionnistes, sa collection personnelle.