De bas en haut, la photographie en montagne
À la fin du XIXe siècle, les forestiers du service de restauration des terrains en montagne deviennent photographes. Ils sont formés à la prise de vue dans un contexte de moyenne montagne. Seuls quelques rares guides expérimentés et photographes sont capables de relever les défis de la haute montagne.
L’Administration des Eaux et Forêts incorpore la photographie dans les pratiques de ses agents en 1886 ; à partir de 1887, ils suivent des stages de formation de deux mois. Plusieurs dizaines de milliers de clichés seront réalisés, soigneusement décrits, datés et légendés. Ils ont une visée aussi bien administrative que pédagogique.

Les agents sont formés pour la photographie sur les terrains en vallée et moyenne montagne.
Ils utilisent tous le même appareil photo fourni par l’administration, une chambre noire Jonte de Paris avec un objectif français Derogy, donnant des épreuves de 24 sur 18 cm.

Cet appareil permet de se soustraire « aux caprices du collodion en adoptant le procédé au gélatino-bromure d’argent sec dont les avantages sont tels qu’il s’est répandu bientôt dans le monde entier. […] L’impression lumineuse qu’elles ont reçue reste inaltérable assez longtemps pour supprimer toute manipulation chimique sur le terrain […] Dès lors, la photographie en campagne est devenue pratique. »
Dès la fin du XIXe siècle, la tentation de photographier les glaciers et les sommets s’est imposée, avec des défis immenses à relever.

Photographier en haute montagne - en milieu extrême - exige des compétences et du matériel spécifiques dont ne disposent pas les forestiers au début de leurs opérations en montagne. Dès les années 1890, dans les Alpes, l’administration forestière fait appel à des guides de haute montagne et photographes de Chamonix, Joseph puis son fils Georges Tairraz.
Les premiers clichés pris en haute montagne ont nécessité d’importantes expéditions avec hommes et mules portant jusqu’à 200 kg de matériel, dans le froid, le vent et l’humidité. Mais dès la fin du XIXe siècle, les Tairraz utilisent les plaques sèches, mais sur de très grands formats. Georges I Tairraz utilise un appareil photographique de 12kg avec un objectif de 8 kg et des plaques de 50 x 60 cm.
À partir de 1890, l’administration forestière a passé des commandes régulières aux Tairraz père, fils et petit-fils, qui ont photographié deux fois par an l’ensemble des glaciers du massif du Mont blanc jusqu’aux années 1960.

Les scientifiques et les agents des Eaux et Forêts s’aventurent en haute montagne au début du 20e siècle dans le cadre de leurs études de glaciologie. Ils utilisent les clichés des Tairraz et vont devenir pour certains d’entre eux des photographes de haute montagne.

Entre 1886 et 1914, le matériel photographique des forestiers évolue avec la technologie. Les négatifs souples sont introduits et au début du XXe siècle, les chambres 18 x 24 cm sont remplacées par des chambres 9 x 12 plus maniables.

Les forestiers vont ainsi très rapidement accéder à tous les étages de montagne et documenter l’ensemble de leurs travaux et encore jusqu’à nos jours. Cette documentation photographique est devenue un pan de la mémoire des massifs montagneux français.