Coloriez nos collections : utopies aériennes

Notre cahier de coloriage 2025 vous entraîne dans un Paris des années 1950… tel que l’anticipait Albert Robida en 1883 dans son roman Le Vingtième siècle. Les aéronefs, individuels ou collectifs, sont devenus des moyens de transport courants et les tours de Notre-Dame accueillent la station centrale, surmontée d’un vaste café-restaurant. Les maisons tournantes aériennes permettent de profiter pleinement du panorama ; d’autres habitations volantes allient confort et déplacement. Cet univers est aussi marqué par l’omniprésence de la publicité, ainsi que par des logements en hauteur nettement plus modestes, telle cette maison de 18 étages en papier aggloméré.
 

Robida, un auteur entre présent, passé et futur

Albert Robida est né à Compiègne en 1848. Recommandé par Cham, il monte à Paris et entre en 1866 au Journal amusant puis collabore avec divers journaux, dont La Vie parisienne, où il publie presque chaque semaine.

S’il se spécialise dans la chronique culturelle, son goût pour l’anticipation se manifeste très tôt : dans une planche parue dans Paris-Caprice en juillet 1868, il imagine Paris en 1968, où « le cheval a totalement disparu » : les transports s’effectuent en ballons individuels ou collectifs. Avec l’éditeur Georges Decaux, il lance son journal, La Caricature, dont le premier numéro sort le 3 janvier 1880 et pour lequel il fournit de nombreux dessins. 

Avant même l’ouverture du métro parisien en 1900, il imagine en une de La Caricature du 19 juin 1886 l’emprise que ce nouveau moyen de transport pourrait avoir sur l’espace urbain. L’illustration est ironiquement légendée : « La vue de Paris ci-jointe, supposée prise au moment de l’exposition de 1889, montre quels éléments de beauté le Métropolitain bien conçu, peut apporter aux perspectives de la grande ville, quelles admirables transformations il peut opérer, et enfin comment il utilise d’une façon ingénieuse et pittoresque des monuments qui jusque là n’ont pu servir à rien ». Il projette ainsi une gare centrale en haut de l’Opéra de Paris, le croisement de plusieurs lignes en haut de la colonne Vendôme, ainsi que d’autres moyens de locomotion aériens, certains pouvant constituer un exercice des plus salutaires pour les voyageurs.

En parallèle de son abondante production pour la presse, Albert Robida illustre plusieurs dizaines d'ouvrages dans des domaines variés : classiques littéraires, allant de Rabelais à Balzac en passant par Shakespeare, guides touristiques, romans et ouvrages jeunesse dont il fournit à la fois les textes et les dessins. Son œuvre, considérable par sa qualité, sa quantité et sa diversité, est pleine de paradoxes. Il est de son temps, fin chroniqueur d’une époque en mutation. Il est aussi tourné vers le passé et vers l’avenir. Son goût prononcé pour le Moyen-Âge et les bâtiments anciens se manifeste dans des séries comme La Vieille France ou Les Vieilles Villes, ou encore dans Paris de siècle en siècle, où il restitue les architectures avec une précision photographique. Mais il montre également un intérêt constant pour les nouveautés scientifiques, qu'il exploite dans des romans anticipant un futur où prospèrent des technologies difficilement envisageables au XIX^e siècle, devenues réalité aujourd’hui.
 

Le Vingtième siècle de Robida (1883)

Le Vingtième siècle est publié par Albert Robida en 1883 à la demande de Georges Decaux, après les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul, 1879-1880 et La grande mascarade parisienne, 1881-1882. Une page entière est consacrée à la présentation de ce nouvel ouvrage dans La Caricature, le 2 décembre 1882. L’édition originale du Vingtième siècle est un volume orné de nombreuses illustrations : plus de 250 illustrations dans le texte, 50 gravures supplémentaires dont certaines en couleurs. La deuxième édition publiée en mars 1883, bon marché, ne retient que quelques illustrations. On y suit les aventures de la jeune Hélène Colobry et de son entourage, dans un Paris des années 1950 où les réseaux de transports et de communication se sont multipliés.

Au moment de la publication du Vingtième siècle, l’électricité, encore peu répandue dans les foyers, fascine le public. L’Exposition nationale d’électricité de Paris en 1881 attire une foule nombreuse, avec des attractions comme les auditions téléphoniques, où l’on peut écouter de la musique ou des spectacles ayant lieu au même moment à l’Opéra de Paris, à l’Opéra-Comique ou au Théâtre-Français. Inspiré par les inventions de Graham Bell et Thomas Edison, Robida imagine un "téléphonoscope" basé sur la vision à distance : il permet d’assister à la retransmission en direct de spectacles, mais aussi de converser en voyant son interlocuteur, pratiques devenues courantes aujourd’hui. Les femmes travaillent et peuvent être médecins, avocates, notaires, se présenter aux élections et à l’Académie française – rappelons qu’en France, les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1945 et qu’il faudra attendre 1980 pour voir la première femme élue à l’Académie Française, en la personne de Marguerite Yourcenar.

Deux autres ouvrages situés au XX^e siècle, avec des protagonistes différents, sont ensuite publiés : dans La Guerre au vingtième siècle (1887), le héros, Fabius Molinas, est mobilisé en 1945 lors d’une guerre mondiale où sont utilisées de toutes nouvelles techniques militaires, dont des armes chimiques et bactériologiques. La vie électrique : le vingtième siècle (1892) est, elle aussi, plus sombre que Le Vingtième siècle : la population est soumise au stress, à la pollution, aux guerres… Pour se ressourcer, les Parisiens partent en Bretagne, terre encore préservée. La dernière anticipation de Robida, Un Chalet dans les airs, parue en 1925, s’adresse au jeune public et offre une vision plus optimiste de l’avenir.
 

Une œuvre foisonnante toujours inspirante

Avant Robida, d’autres auteurs ont tenté d’anticiper le futur. L’An deux mille quatre cent quarante. Rêve s’il en fût jamais de Louis-Sébastien Mercier, paru en 1771, présente une rupture avec les précédentes utopies situées dans des lieux imaginaires. En 1865, dans Paris nouveau et Paris futur, Victor Fournel imagine qu’en 1965, la France entière est devenue la banlieue de Paris. Quelques années plus tard, en 1869, Tony Moilin présente sa vision de Paris en l’an 2000.

L’œuvre d’Albert Robida a largement traversé le temps et les frontières : ses transports et habitats volants imaginés au XIX^e siècle ont par exemple inspiré Hayao Miyazaki pour ses films d’animation, parmi d’autres sources (Les voyages de Gulliver de Jonathan Swift, Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne…). Miyazaki a évoqué ces filiations lors d’une exposition consacrée au Château dans le ciel au musée Ghibli (Mitaka, Japon) en 2002, où étaient présentés des dessins de Robida. Gageons que les œuvres de ces deux artistes continueront encore longtemps à émerveiller petits et grands !
 

Pour aller plus loin

• Le livret de coloriages 2025 Utopies aériennes par Albert Robida est téléchargeable ici. Retrouvez-y aussi les cahiers et billets Gallica proposés lors des précédentes éditions de Coloriez nos collections. Des livrets imprimés sont également disponibles en salle C (Bibliothèque pour tous) jusqu'à la mi-mars 2025. 

• "Les dessinateurs des salons caricaturaux 2/2", billet publié par Estelle Servier-Crouzat le 9 avril 2024

• "Un chalet dans les airs, d’Albert Robida", billet publié par Philippe Ethuin le 26 juillet 2017

• Barel-Moisan, Claire ; Letourneux, Matthieu. Albert Robida : de la satire à l’anticipation. Bruxelles : les Impressions nouvelles, 2022

• Compère, Daniel. Albert Robida : du passé au futur : un auteur-illustrateur sous la III^e République. Amiens : Encrage, 2006

• Doré, Sandrine (dir.). De jadis à demain, voyages dans l’œuvre d’Albert Robida. Compiègne : Association des Amis des musées Antoine Vivenel et de la Figurine historique, 2010

• Voyages très extraordinaires dans le Paris d'Albert Robida : exposition, Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 14 septembre-30 décembre 2005. Paris : Paris bibliothèques, 2005