Bourneville et le traitement médico-pédagogique
Désiré-Magloire Bourneville (1840-1909) fut tout à la fois médecin, publiciste, journaliste et homme politique. Il œuvra afin d’améliorer le quotidien des enfants enfermés dans les asiles d’aliénés au XIXe siècle.
Ses prédécesseurs
Bourneville n’est pas le premier à être sensible au sort de ceux que l’on appelle « idiots, arriérés, anormaux, imbéciles » selon la terminologie de l’époque. Le chirurgien Jean-Marc-Gaspard Itard (1774-1838) prend en charge Victor, enfant sauvage de l’Aveyron. Il relate cette expérience en 1801 dans un ouvrage qui ouvre la voie à ses successeurs.
Pendant ses études de médecine à Paris, Bourneville a pour mentor un aliéniste de l’hospice de Bicêtre, Louis Delasiauve (1804-1893), ce dernier se situant lui-même dans la continuité du médecin-pédagogue Edouard Séguin (1812-1880) connu comme « l’instituteur des idiots ». Le jeune étudiant fait aussi la connaissance d’Hippolyte Vallée (1816-1885), instituteur des enfants de Bicêtre, puis directeur d’une institution privée créée pour éduquer les filles déficientes des classes aisées.
Dès 1863, Bourneville se fait remarquer par son Mémoire sur la condition de la bouche chez les idiots. Il travaille ensuite à la Salpêtrière, dans le Service de neurologie de Jean-Martin Charcot (1825-1893). Sous la houlette de ce dernier, il étudie les maladies nerveuses.
En 1875, le journaliste Maxime Du Camp (1822-1894) dresse un réquisitoire accablant sur les conditions d’accueil de la population des idiots de Bicêtre. Deux ans plus tard, l’homme politique Othenin d’Ossonville (1809-1884) est sur la même ligne d’accusation. À l’époque, l’idiotie est considérée comme la conséquence d’une atteinte organique du cerveau. Les enfants jugés incurables sont enfermés dans les asiles d’aliénés. Les « bien portants » épileptiques sont logés à la même enseigne, car cette pathologie reste encore mystérieuse.
Le traitement médico-pédagogique
Nommé médecin-chef de l’établissement en 1879, Bourneville est persuadé que les enfants anormaux peuvent être éduqués. Là où tous ses prédécesseurs parmi lesquels Félix Voisin (1794-1872) et Jean-Pierre Falret (1794-1870) ont échoué, il va déployer toute son énergie et réussir à faire bouger les lignes. En effet, depuis 1876 il est conseiller municipal de Paris et va user de son influence politique pour parvenir à ses fins. Il demande la construction d’un quartier spécial pour les garçons idiots et épileptiques jusque-là logés avec les adultes dans une promiscuité insupportable et livrés à eux-mêmes. Bourneville engage alors un bras de fer avec l’Assistance Publique. En 1880, il prend en main le service et y introduit de nombreuses réformes, s’inspirant de ses autres chevaux de bataille que sont l’hygiénisme, l’instruction et le recrutement d’infirmières laïques dûment formées :
construction de réfectoire, dortoirs, bains-douches, écoles et ateliers,
achat de matériel pédagogique et de jeux d’éveil,.
recours à Jules-Léandre Pichery (1812-1892), inventeur de la gymnastique médicale.
Le traitement médico-pédagogique doit être précoce (dès l’âge de 2 ans) et progressif. Il consiste à développer les fonctions organiques, motrices, sensorielles et intellectuelles :
apprendre aux enfants à se nourrir, à faire leur toilette, à s’habiller seuls,
lutte contre l’incontinence,
apprentissage de la marche et de la station-debout (fauteuil-balançoire, barres parallèles spéciales),
exercices de préhension,
éducation sensorielle,
pour les plus évolués, entrée dans une « grande école » avec apprentissage de l’écriture, la lecture, leçons de culture générale,
ateliers de menuiserie, tonnellerie, couture, cordonnerie offrant une possibilité d’insertion sociale à leur sortie de l’hospice.

" Lorsque l'on parvient chez un idiot complet à lui apprendre à se tenir debout, à marcher, à être propre, à se laver la figure et les mains, à manger seul, à parler, n'est-ce pas un résultat digne d'être relevé ? "

En 1893, il fonde à Vitry-sur-Seine le premier institut médico-pédagogique, une institution privée d’abord destinée aux enfants des classes aisées, puis étendue à toutes les couches sociales.
Zélateurs et détracteurs
Bourneville comprend l’importance de publier les travaux scientifiques dans une presse spécialisée et fonde Le Progrès médical en 1873. Il crée la collection Bibliothèque d’éducation spéciale dans laquelle paraissent certains de ses textes ainsi que ceux de ses confrères. En 1883, il ouvre à Bicêtre un musée pathologique où l’on pouvait trouver des bustes et des cerveaux d’enfants idiots ou épileptiques. Il utilise aussi le procédé de la photographie pour témoigner d’une éventuelle évolution positive chez ses patients. Peu à peu, il affine une nosologie qui préfigure les troubles mentaux, comportementaux ou neurodéveloppementaux que l’on trouve dans la classification actuelle de l’Organisation mondiale de la Santé.
La section des enfants de Bicêtre, considérée comme un modèle du genre, est visitée par des médecins de province et même de l’étranger car les progrès de certains enfants sont indéniables. Encouragé par ses succès, Bourneville veut étendre à tout le pays le système d’asile-école qu’il a organisé dans son service, mais sa proposition est rejetée. Il ambitionne aussi d’améliorer le quotidien des débiles légers en créant des classes spéciales dans les écoles.
En 1920, le service des enfants de Bicêtre est supprimé, car la méthode médico-pédagogique a aussi ses détracteurs qui critiquent le coût de ce traitement dont le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Le psychologue Alfred Binet (1857-1911) associé à l’aliéniste Théodore Simon (1872-1961) s’oppose à la vision optimiste de Bourneville : tous deux contestent l’éducabilité de l’idiot végétatif.
Bourneville est un des pionniers de la neuropsychiatrie infantile. Grâce à sa puissance de travail et son volontarisme, il réussit à obtenir une nette amélioration des conditions de vie des enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux. Après sa mort, le souci de la rentabilité l’emportera sur cette vision progressiste.
Pour aller plus loin
Exposition photo : L’enfance aliénée sous l’œil du docteur Bourneville, Musée d’histoire de la médecine, Université Paris Cité jusqu’au 25 janvier 2025.