Berck-Plage. 1, Sous le sable, la ville-hôpital
Au départ modeste port de pêche, Berck revêt une vocation thérapeutique dès le Second Empire. Le succès des soins lui vaut une renommée mondiale et une activité balnéaire ne tarde pas à se développer dans ce sillage. Nous vous proposons dans ce billet de partir à la découverte de la naissance de cette activité hospitalière, qui transforme durablement l'économie de Berck.
Un modeste port de pêche
Située sur la Côte d’Opale, Berck bénéficie d’une situation exceptionnelle marquée par un vaste cordon dunaire allongé parallèlement à la côte et bordé au sud par la baie de l'Authie. Depuis le Moyen Âge, l’activité principale de Berck est la pêche. Le village ne possède pas de port et les bateaux, appelés flobarts (petit voilier à fond plat conçu pour naviguer dans peu d’eau), accostent directement sur la plage. Le poisson est ensuite acheminé vers les grandes villes sur des chasses-marées tractées par des chevaux boulonnais.
Les femmes pratiquent la pêche à pied sur la plage : crevettes, coques, vers marins (pour servir d’amorce), ...
La vie des pêcheurs est rude. En 1900, M. Godey, commissaire de l’Inscription maritime à Saint-Valery-sur-Somme, crée une caisse de secours, la « Mutualité Berckoise », qui leur alloue quelque argent. En 1891, un Asile maritime destiné à l’hébergement et au soin des vieux marins dénués de ressources ouvre ses portes. L’asile fonctionne grâce aux dons réunis lors de kermesses, concours, etc. Francis Tattegrain, président de l’œuvre et peintre, réalise une série de portraits des pensionnaires de l’asile, qui ornent le parloir.
Peu à peu l’activité de pêche va décroitre et se déporter vers les ports alentours, en raison de l’ensablement inexorable de la baie de l’Authie. Surtout, la fin du siècle voit apparaître les premiers hôpitaux et l’émergence de la station balnéaire, précipitant ainsi la mutation économique du village.
Les premières installations sur la plage
Le bourg d’origine est éloigné de la mer, protégé derrière le rideau de dunes. Le village occupe alors le site connu aujourd’hui sous le nom de Berck-Ville ; Berck-Plage n’existe pas encore.
Il faut attendre 1835 pour voir les premières constructions sur le front de mer. Pierre Longavesne construit un cabaret dans l’Entonnoir. C’est un lieu de passage obligé pour les pêcheurs qui embarquent et débarquent. Longavesne y vend des boissons, chaudes en hiver, fraîches en été. Quelques années plus tard le petit cabaret, transformé en hôtel, verra arriver les premiers touristes, dont le Docteur Danvin et sa famille.
Les premiers résidents de la plage sont le couple Rouffmann, originaire de Russie ; ils y établissent une résidence en 1850. À la même époque Monsieur Mayeux, originaire de Montreuil, établit un chalet qui fait l’admiration des baigneurs. En 1858, Augustin Mangeneste, médecin, fait construire le tout premier hôtel de la plage, l’« Établissement des bains ».
Il ne s’agit encore que d’installations sporadiques. L’élément moteur à l’origine de la création de la station balnéaire de Berck-Plage réside dans l’édification du premier hôpital, en 1861. À partir de ce moment, Berck-Plage n’aura de cesse de développer son activité hospitalière sous l’impulsion conjuguée des médecins qui ont fait sa renommée (Perrochaud, Cazin, Ménard, Calot), de l’Assistance publique de Paris, ainsi que de personnalités issues de la haute aristocratie parisienne (l’impératrice Eugénie, le baron et la baronne James puis Henri de Rothschild). La Chroniquette des 4 saisons parue dans Le Journal de Berck et des environs résume bien cette histoire.
Le développement de Berck-Plage, ville-hôpital
Le village de Berck est décrit par le Docteur Calot comme bénéficiant d’un milieu naturel idéal, propice aux soins et à la guérison des malades : « Berck a été choisi pour son climat, son exposition, sa température, la luminosité de son atmosphère, ses grands vents si salubres, son immense plage de sable si fin et si pur, ses bains de « bâches », ses bains de sable (On pourrait ajouter pour son eau de source d'une pureté et d'une fraîcheur exceptionnelles). ». Les avantages de ce climat sont détaillés dans le guide pratique des stations climatiques du Dr Porcheron :
Le petit hôpital
À l’origine de l’histoire hospitalière berckoise une veuve, Marianne Brillard, surnommée « Marianne toute seule » depuis que son mari et quatre de ses enfants sont décédés du choléra et qu’elle s’est installée sur la dune. C’est là, dans sa petite maison, qu’elle garde les enfants des couples de pêcheurs de Berck.
À cette époque on commence à vanter les mérites des bains de mer pour les malades ; on lui confie huit enfants scrofuleux. Le docteur Perrochaud, médecin inspecteur des enfants assistés de l’arrondissement de Montreuil, avait déjà tenté l’expérience avec la veuve Duhamel à Groffliers, un hameau voisin de Berck mais éloigné de la mer. La situation de Marianne, sur la dune, paraît plus prometteuse. L’air iodé dont les enfants bénéficient en continu lors de leur séjour, associé aux bains de mer, leur permet en effet de se rétablir rapidement.
Le docteur Perrochaud lui fait confier trente autres enfants, qui se rétablissent également. L’Assistance publique de Paris décide alors de bâtir un petit hôpital sur la plage. Il est érigé en 1861 par l’architecte Émile Lavezzari. Le docteur Perrochaud en prend la direction, secondé dans cette tâche par les religieuses franciscaines de Calais.
Marianne Brillard décède le 3 août 1874. Considérée comme la fondatrice de Berck-Plage, sa légende lui survit. Son histoire est régulièrement contée dans la culture populaire, bien au-delà de Berck, comme en attestent plusieurs publications parues dans Les Veillées des chaumières (23 septembre 1905), La Gazette de la capitale (14 avril 1907), Âmes vaillantes (8 octobre 1950), Fripounet et Marisette (17 mai 1953).
L’Hôpital maritime
L’impératrice Eugénie visite le petit hôpital de Berck le 6 mai 1864 ; elle y constate le succès des soins prodigués aux enfants. De retour à Paris, elle intercède auprès de l’Assistance publique de Paris afin que soit créé un grand hôpital. En 1866, le docteur Jules Bergeron, médecin à l’Hôpital Sainte-Eugénie à Paris, adresse à Armand Husson, directeur de l’Assistance publique de Paris, un rapport dans lequel il revient sur le succès des cures marines pour soigner les maladies infantiles telles que la scrofule ou le rachitisme : en quatre ans et demi, près de 400 enfants ont été guéris à Berck.
La construction de l’Hôpital Napoléon (rebaptisé Hôpital maritime en 1870) est décidée, avec à sa tête le docteur Perrochaud. Sur les quatre millions de francs nécessaires à sa construction, l’impératrice Eugénie concède un million, la princesse Mathilde un second million, et l’Assistance publique de Paris les deux millions restants. Les travaux sont exécutés d’après les plans de Lavezzari. L’hôpital est inauguré le 18 juillet 1869 en présence de la famille impériale. À cet effet, une avenue (l’actuelle « rue de l’Impératrice ») est creusée en un temps record (les routes sont alors de sable). L’hôpital est établi perpendiculairement à la plage, de sorte que la brise marine ne rencontre aucun obstacle sur son parcours. Parmi les équipements on dénombre une piscine à eau de mer, une innovation à l’époque.
L’hôpital sera agrandi en 1904 : aux 700 lits de départ, 800 autres viendront s’ajouter, doublant la superficie totale de l’édifice. Les bâtiments de l’extension feront cette fois face à la mer, suivant la nouvelle mode. M Dezermeaux, architecte principal de l’Assistance publique, est choisi pour sa conception. Les entrepreneurs Georges et Louis Dequéker sont retenus pour conduire les travaux.
Le docteur Henri Cazin succède au docteur Perrochaud, dont il a épousé la fille. Il se consacre entièrement à ses malades et participe à faire de Berck une station hospitalière de renommée internationale : « C’est grâce à lui que de la France entière, de l’Espagne, de la Russie, …, vinrent de nombreux malades. ». La ville de Berck, reconnaissante, édifiera un monument en hommage aux docteurs Cazin et Perrochaud, en 1893.
Le 1er janvier 1905, le docteur Ménard succède à son tour à Cazin en tant que chirurgien en chef de l’Hôpital maritime de Berck. Le 15 janvier un punch lui est offert dans la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville. Dans son discours il évoque humblement les bienfaits de la plage :
L’hôpital Nathaniel de Rothschild
Le baron James de Rothschild, qui avait assisté à l’inauguration de l’Hôpital maritime, lance la construction d’un hôpital destiné aux enfants juifs en 1870. C’est à nouveau Lavezzari qui est choisi comme architecte. Cette fois les bâtiments s’alignent parallèlement à la mer, permettant ainsi à l’air marin de pénétrer à l’intérieur par des baies vitrées dont on peut régler l’ouverture. Le service médical en est confié au docteur Cazin puis en 1891, au docteur Calot.
Hôpital Cazin-Perrochaud
Pour faire face à l’afflux des malades, de nouveaux établissements de soins sont créés. Les religieuses franciscaines de Calais fondent l’Hôpital Cazin-Perrochaud en 1893. On y soigne les enfants de condition modeste. Les peintures intérieures de la chapelle de l’hôpital, aujourd’hui inscrites à l’Inventaire des monuments historiques, sont signées Albert Besnard.
Institut Calot
Le succès des traitements dispensés et le manque d’équipements à Paris conduisent l’Assistance publique à envoyer de plus en plus d’enfants souffrant de maux réputés soignables par la cure marine (scrofuleux, rachitiques, lymphatiques, anémiques, ...), mais également des enfants souffrant de maladies osseuses (mal de Pott, scoliose, pied bot, ...). La cure marine se révélant inefficace pour ce type d’affections, les médecins commencent à développer de nouvelles approches thérapeutiques basées sur la chirurgie associée à la mécanothérapie et à la gymnastique correctrice, lesquelles rencontrent rapidement une renommée internationale.
En 1901, le docteur François Calot, ancien interne en chirurgie de l’Hôpital maritime, fonde l’Institut orthopédique Saint-François de Sales (Institut Calot aujourd’hui), dont la construction s’étale de 1901 à 1906.
La clinique possède un équipement de pointe : aux bains et douches d’eau de mer, s’ajoutent des laboratoires pour la bactériologie, les rayons X, la photographie ; plusieurs salles pour les opérations et l’électrothérapie, la confection des appareils plâtrés ; ainsi que des salles dédiées à la gymnastique correctrice et à la mécanothérapie. Enfin elle est équipée d’ateliers pour la confection des appareils orthopédiques.
L’établissement bénéficie de tout le confort moderne : éclairage électrique, chauffage à la vapeur à basse pression, téléphone, ascenseurs, salle-à-manger avec vue sur la mer, salle de billard, fumoir, etc.
Le développement d’une économie autour de l’accueil des malades
Les malades résident dans les hôpitaux pour les plus atteints d’entre eux. Suivant les établissements, la prise en charge est gratuite (notamment à l’Hôpital maritime) ou payante (la pension et la chambre pour un adulte à l’Institut orthopédique se montent à 7 francs par jour). Les capacités d’accueil sont insuffisantes pour accueillir la population des curistes qui croît d’année en année. Les malades les moins atteints ou les plus fortunés préfèrent en outre bénéficier de conditions d’accueil plus propices à l’exercice des activités balnéaires qui commencent à apparaître. La construction de ces hôpitaux s’accompagne donc de l’ouverture d’un certain nombre de maisons de famille et d’hôtels offrant le confort et les services dont la clientèle aisée est friande : salles communes, restaurants, aménagements pour les loisirs. Le Grand-Hôtel de la Plage, fondé dès 1861, est l'un des premiers grands établissements construits spécifiquement pour accueillir les baigneurs et les curistes. Son nom même indique sa localisation privilégiée, directement sur le front de mer.
L’après-guerre voit apparaître un nouveau phénomène, la multiplication de la construction de maisons de santé privées, destinées à soigner les patients atteints de la tuberculose (ce qui permet de bénéficier de subventions de l’État depuis la loi du 7 septembre 1919 et son décret d’application du 10 août 1920) : Hôpital et sanatorium Bouville, Hôpital Lannelongue, Sanatorium Victor-Ménard, Institut hélio-marin, Sanatorium Quettier, Sanatorium de l’Oise, Hôpital Pasteur, Villa de la Santé, Hôtel Regina, Villa Normande, … On recensait une bonne dizaine de ces maisons de santé privées en 1912 ; elles sont au nombre de 47 en 1925, en y incluant les maisons de famille.
Tous ces établissements emploient un personnel nombreux et Berck devient un centre important de travail dans la région. Une nouvelle économie se met rapidement en place autour de la clientèle (en particulier payante), y compris les non-valides (les « allongés »). Les malades étendus sur un lit appelé « gouttière » peuvent sortir grâce à une voiture tirée par un âne ou un poney, spécialement aménagée pour le transport de cette dernière. Il peuvent ainsi se rendre sur la plage, visiter des connaissances dans leurs chalets, ou même se rendre au casino, puisque l’entrée est adaptée aux gouttières. De nouveaux métiers apparaissent : les ânières qui transportent malades et touristes en ville et sur la plage (des ânes sont importés en nombre pour satisfaire aux besoins), les porteurs qui travaillent dans les maisons de santé et déplacent les malades dans leurs gouttières, les loueurs de voitures, ...
Les malades les plus valides s’adonnent aux activités qui se développent avec le tourisme balnéaire : bains, jeux et sports de plage, restaurants, casinos, concerts, courses, ... En effet, une fois la renommée chirurgicale de Berck faite, promoteurs immobiliers et entrepreneurs saisissent rapidement l’opportunité de faire des affaires. C’est cette autre histoire de Berck-Plage que nous vous proposons de découvrir dans un second billet.
Consultez notre second billet Berck-Plage. 2, Sous le sable, la villégiature. Et si l'histoire des activités liées au balnéaire vous passionne, retrouvez tous nos billets de la série Sous la plage, l'entreprise.
Bibliographie
Études :
Crépin, Guy, Crépin Michèle, "Avec vue sur mer" à Berck-Plage, Amis du musée, du passé et de la bibliothèque de Berck-sur-Mer et environs, 2006 (consultable à la BnF)
Inventaire général du patrimoine culturel de la Région Nord-Pas-de-Calais, Berck-sur-Mer : du soin à la villégiature, Lieux dits, 2014 (consultable en ligne)
Miny, Jean-Paul, Berck-sur-Mer, A. Sutton, 2004 (consultable à la BnF)
Sources :
Journal de Berck et des environs (consultable sur Gallica)
Mériat, Ph., Le Tout-Berck, guide général de la plage de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais), contenant tous les renseignements utiles aux baigneurs, touristes, propriétaires et commerçants, 1904-1905 (consultable sur Gallica)