Alfred, star des pingouins et pingouin des stars

Connaissez-vous le pingouin Alfred ? Inséparable compagnon de Zig et Puce dans la bande dessinée d’Alain Saint-Ogan (1895-1974), il fut aussi une véritable célébrité de l’entre-deux-guerres, qui inspira de nombreux produits dérivés adoptés par les vedettes de l’époque. Le blog Gallica vous emmène sur ses traces, alors que l’année 2025 marque le centenaire de la première publication de Zig et Puce.

Zig et Puce font leur première apparition le 3 mai 1925 dans Dimanche illustré, un hebdomadaire d’information et de divertissement familial qui fut d’abord un supplément du quotidien illustré Excelsior, avant d’être vendu séparément. Ces deux titres appartiennent au groupe de presse dirigé par la famille Dupuy, également propriétaire du Petit Parisien dont ils partagent les locaux rue d’Enghien, à Paris.

Les bandes dessinées publiées dans Dimanche illustré illustrent le développement, dans l’entre-deux-guerres, de rubriques spécialisées pour les jeunes lecteurs dans la presse d’information générale : Zig et Puce s’adresse en priorité aux enfants mais touche, de fait, le lectorat intergénérationnel de cet hebdomadaire.

Saint-Ogan y met en scène deux jeunes garçons parcourant le monde, qui espèrent faire fortune en Amérique mais peinent à rejoindre leur destination : le 1er novembre 1925, Zig et Puce s’échouent au pôle Nord à la suite d’un accident de ballon dirigeable. Ils y adoptent un pingouin dans l’épisode suivant, daté du 27 décembre 1925.

Promptement baptisé Alfred, doué de parole quelques semaines plus tard, cet oiseau transforme durablement le duo en trio. Il s’attire de nombreux ennuis au cours de leur périple collectif, mais porte aussi fréquemment secours à ses compagnons de voyage.

La publication de leurs aventures se poursuit dans Dimanche illustré jusqu’en 1934, puis dans Le Petit Parisien en 1936, ainsi qu’en albums chez Hachette. En parallèle se développe, à partir de 1927, un véritable engouement pour la figure d’Alfred, résultat d’une stratégie commerciale et médiatique soigneusement orchestrée.

Alfred, marque déposée

La marque « Alfred » est déposée le 8 juin 1927 au greffe du tribunal de commerce de la Seine par Louis Dangel, représentant de la maison de couture Jeanne Lanvin, avec laquelle Saint-Ogan a conclu un accord commercial – comme il le relate dans ses mémoires. Reflétant les précautions juridiques autant que l’ambition commerciale de son déposant, le champ de la marque « Alfred » est particulièrement étendu :

De nombreux produits dérivés à l’effigie d’Alfred se développent dans les mois et années qui suivent : la presse de l’époque cite entre autres des manches de parapluie, des briquets et autres accessoires à tabac, des boîtes à poudre, des chaussures en satin, des peignes de poche, des jouets « en étoffe, en baudruche, en bois », des produits antigel, extincteurs d’incendie et figurines en métal pour les amateurs et amatrices d’automobile, ou encore des thermomètres-hygromètres, sans qu’il soit toujours possible de distinguer les produits de marque déposée des contrefaçons ou des marchandises déclinant un motif animalier mis à la mode par Saint-Ogan sans y faire directement référence.

De nombreux commerçants insèrent aussi, dans la presse, des publicités pour des bijoux et accessoires vestimentaires à l’image d’Alfred – ou, signe de cette popularité grandissante, des petites annonces exprimant leur souhait de devenir revendeurs.

Un pingouin de velours

Enfin, une poupée de velours est confectionnée par la maison Jeanne Lanvin, dans le cadre du contrat conclu avec Saint-Ogan. Nouant ce qui s’apparente à des placements de produit, Alfred s’affiche bientôt au bras de plusieurs célébrités, comme les chanteuses et comédiennes Yvonne Printemps et Mistinguett dont les photos, probablement mises en scène, sont publiées par Excelsior.

Dimanche illustré et Excelsior, dont on peut supposer un intérêt commercial sur les ventes des produits de marque déposée, mettent alors en garde contre les contrefaçons.

Cette crainte du plagiat semble partagée par plusieurs fabricants ou concessionnaires qui, chose étrange, prétendent eux aussi à un certain monopole. Les Établissements D.G.C., qui disposent d’une adresse à Oyonnax (Ain) et d’une autre dans la capitale, placent ainsi dans la presse parisienne et aindinoise des avis revendiquant l’« exclusivité de reproduction du personnage d’Alain Saint-Ogan sur tous articles en matières plastiques. Les contrefaçons seront poursuivies. » D’autres annonceurs proclament des monopoles similaires sur « la bijouterie tous métaux » ou sur les fétiches « en métal imitant le platine ». En parallèle, des journaux féminins et des revues de travaux manuels prodiguent leurs conseils pour confectionner soi-même peluches, cache-théières, napperons et coussins à l’image du pingouin.

Si les poupées peuvent être offertes aux enfants, la majorité des produits inspirés d’Alfred s’adresse à une clientèle adulte, qui rejoint le public ciblé par Dimanche illustré et par Excelsior. Ce dernier revendique en effet un lectorat « sélectionn[é] dans les classes aisées de la Société : aristocratie et bonne bourgeoisie » et se présente auprès des annonceurs comme « le quotidien de la Famille et de la Femme ». Les acheteurs potentiels de bijoux, accessoires automobiles et poupées de luxe à l’effigie d’Alfred ne sont autres que les parents des petits lecteurs de Zig et Puce, mais les produits dérivés sont bien, par leur nature, destinés aux adultes et non à leurs enfants.

Les produits dérivés sont donc nombreux à la fin des années 1920 et rencontrent un certain succès. Cette réussite commerciale s’explique en partie par l’engouement plus large suscité par Alfred auprès d’un lectorat intergénérationnel et friand de personnages animaliers. Mais elle doit aussi beaucoup au goût de l’époque pour les fétiches et porte-bonheur en tout genre, que mobilisent habilement l’auteur et les éditeurs de Zig et Puce. À découvrir dans le prochain billet !

Pour aller plus loin sur Gallica

Pour prolonger ce voyage sur les traces d’Alfred, Zig et Puce, vous pouvez :

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