À propos de l'œuvreCharles-Eloi Vial

Portrait de Madame de Staël en Corinne au Cap Misène

Le roman Corinne ou l’Italie est construit en trois parties. Le premier tiers est consacré à la rencontre entre Oswald et Corinne et à l’introduction des personnages, le second s’organise comme un guide de voyage célébrant les beautés de la péninsule, et le dernier tiers est enfin consacré au dénouement du drame amoureux. Au début du roman, lord Oswald Nelvil, en proie aux affres de la mélancolie, quitte son Angleterre natale pour voyager en Italie. Il fait en route la connaissance d’un aristocrate français, le comte d’Erfeuil, qui l’accompagne à Rome, où ils font la connaissance de Corinne, poétesse célèbre dans toute l’Italie, âgée de 26 ans. Ils assistent à son couronnement au Capitole, puise fréquentent son salon. Peu à peu, une idylle se noue entre Corinne et Oswald. Elle tient à lui faire découvrir les beautés de Rome puis de toute l’Italie. Les monuments de Rome (livre IV et V), les mœurs et le caractère des Italiens (livre VI), la littérature italienne (livre VII), la peinture et la sculpture (livre VIII), les fêtes populaires et la musique (livre IX), la région de Naples (livre XI et XIII), Venise (Livre XV). Malgré les efforts de Corinne, Oswald demeure insensible aux charmes de l’Italie. Au bout de six mois de voyage, les fêtes où s’illustrent « l’enthousiasme », la grâce et le bel esprit italien, le goût de la danse, de la poésie et de la musique le laissent toujours indifférent. L’indépendance et la supériorité d’esprit de Corinne l’effraient, et il craint que leur mariage ne soit désapprouvé par sa famille.

 
Rome - Le mont Aventin
Rome - Le Mont Janicule
Rome - Le mont Palatin
Naples - Vue générale de la baie depuis le quartier de Posilippo

A Naples, tous deux finissent par se révéler leurs histoires respectives : Nelvil lui raconte sa relation fusionnelle avec son père, son premier voyage à Paris, son mariage raté avec Mlle d’Arbigny, une noble française calculatrice et possessive qui l’a détourné de ses devoirs filiaux en le retenant en France à l’époque de la Terreur, et enfin la disparition de son père, mort d’angoisse et de chagrin à l’idée de le voir épouser une étrangère. Ces événements le marquent et le poussent à voyager en Italie afin d’oublier son chagrin. Finalement, Corinne lui révèle son secret : elle n’est pas italienne, comme tout le monde le pense, mais seulement romaine par sa mère et anglaise par son père, lord Edgermont, un ami du père de Nelvil. Elle a été élevée à Rome et Florence puis envoyée à l’âge de quinze ans en Angleterre pour s’y marier. Sans s’être connus, Nelvil et Corinne avaient en fait été promis l’un à l’autre depuis leur plus tendre enfance, mais lord Oswald avait jugé que Corinne, dotée d’un fort caractère, ferait une trop mauvaise épouse pour son fils, au contraire de sa demi-sœur, Lucile, au caractère bien moins indépendant. A ses vingt-et-un ans, Corinne hérite de la fortune de ses parents disparus. Devenue riche et célibataire, elle échappe à la tutelle des hommes, se fait passer pour morte et fuit son pays, dégoûtée de la société britannique qui n’accorde qu’une place secondaire aux femmes, perpétuellement soumises à leur père ou à leur mari.

 
Pompéi - Vue générale du temple de Jupiter et du forum
Pompéi - Maison du Poète tragique - Vue perspective depuis l'atrium
Naples - Le Vésuve en éruption
« Elle lui tendit la main »

Décidé à épouser Corinne, Oswald rentre pour quelques mois en Angleterre, où il oublie ses promesses et prête l’oreille aux jugements de sa famille et de ses amis sur le comportement inacceptable de la fille aînée de lord Edgermont. Pour se conformer à la volonté de son défunt père, il épouse Lucile dont il tombe facilement amoureux. Corinne, qui vivait dans l’angoisse depuis son départ, se rend à Londres pour revoir lord Nelvil, qui doit bientôt repartir à la guerre. En quelques semaines, Corinne révise son jugement sur l’Angleterre en découvrant que la bonne société londonienne recèle autant de charmes que celle de Rome. Un soir au théâtre, elle croise lord Nelvil donnant le bras à sa demi-sœur Lucile et craint qu’il ne la préfère à elle. Oswald, ignorant sa présence en Angleterre, pense lui aussi que Corinne l’a oublié. Elle le suit jusqu’à Edimbourg, n’ose jamais lui parler ni lui écrire. Par amour pour lord Nelvil et pour Lucile, Corinne refuse de troubler leur bonheur. Elle retourne secrètement en Italie où elle prend le deuil, se réfugie dans la religion et sombre dans la mélancolie. Oswald apprend entretemps que Corinne avait essayé de le rejoindre et est en proie à de terribles remords, tandis que Lucile lui reproche d’avoir fait souffrir sa demi-sœur et se met à craindre de ne pas être réellement aimée par son mari. Au bout de quatre années passées à la guerre, lord Nelvil rentre en Angleterre et retrouve son épouse et sa petite fille, avec qui il part en Italie à la recherche de Corinne. Ayant perdu tout goût pour les arts et la poésie, celle-ci refuse de le revoir. Elle consent à s’occuper de la fille d’Oswald, Juliette, à qui elle transmet son talent pour la poésie et la musique, puis elle réconcilie Lucile avec son époux. Après avoir adressé un dernier chant d’adieu à l’Italie, Corinne meurt de chagrin, avec Oswald, Lucile et leur fille à son chevet.

Corinne, ou L'Italie

L’intrigue de Corinne, compliquée par de multiples rebondissements, ne laisse aucun des personnages indemnes. Le récit de Germaine de Staël peut en outre se lire à plusieurs niveaux, l’aspect amoureux n’étant qu’une des lectures possibles. Dans ce roman, les personnages se débattent autant dans leurs convictions morales et sociales que dans leurs sentiments contradictoires. Oswald, qui s’éprend successivement des deux sœurs, est en fait partagé entre son amour l’Angleterre, son pays natal, et pour l’Italie, qu’il idéalise. Tournant le dos à l’art et à la culture italienne que Corinne lui fait découvrir, il se résout à épouser une jeune anglaise par conformisme. Coupable d’avoir abandonné Corinne, qui se sacrifie par amour pour lui et pour Lucile et en meurt de chagrin. Si Corinne sert de bouc émissaire, les deux autres protagonistes, en proie aux remords et aux affres de la jalousie, ne sont pas non plus épargnés, mais leur volonté de vivre une vie « normale » leur dicte leur comportement et les pousse à reprendre leur place au sein de la bonne société anglaise. Leur fille Juliette n’est pas non plus épargnée : en recevant l’héritage artistique et spirituel de Corinne avant sa mort, elle est involontairement condamnée par sa tante à vivre elle aussi à l’écart de la bonne société anglaise. Madame de Staël, en évoquant cette transmission du fardeau de la femme indépendante, semble cependant aspirer à un changement radical des droits de la femme. Son œuvre prend ainsi un tour politique et social. Les descriptions des beautés de la péninsule et sa célébration de l’esprit italien met aussi en scène une Italie unifiée sur le plan historique et culturel. Cette vision, éminemment polémique à une époque où l’Italie était encore morcelée en de multiples états, évoque l’appel à l’indépendance nationale que Germaine de Staël illustrera par la suite dans De L’Allemagne.