Encyclopédies et savoirs des Lumières

Frontispice de L'Encyclopédie

En quelques années, le public a vu paraître l'Essai sur l'origine des connaissances humaines de Condillac (1746), L'Esprit des lois de Montesquieu (1748), les premiers volumes de l'Histoire naturelle de Buffon (1749), autant de synthèses qui renouvellent la connaissance de la nature et de la société. Au tournant du siècle, l'Encyclopédie se veut le « dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers », mis en ordre par MM. Diderot et d'Alembert. Le prospectus, rédigé par le premier d'entre eux, et le Discours préliminaire, dû au second, valent comme un manifeste de la pensée nouvelle, à la fois histoire de l'esprit humain et discours de la méthode expérimentale. Un système des connaissances humaines répartit ensuite les productions humaines autour des trois facultés, mémoire, raison et imagination. Il assure une mise en réseau de l'ensemble des connaissances, ordonnées selon l'ordre alphabétique. Le double système, logique et lexical, marque le dynamisme d'une pensée qui ne peut s'immobiliser et doit multiplier les relations, il déjoue également la censure, en déplaçant ironiquement les développements sulfureux d'un article attendu à un autre qui l'est moins et en organisant un jeu de cache-cache entre rédacteurs, lecteurs et autorités.
D'Alembert présente à la fin du Discours préliminaire les collaborateurs de l'ouvrage : Daubenton, l'adjoint de Buffon, pour l'histoire naturelle, l'abbé Mallet et l'abbé Yvon pour la métaphysique et la morale, Dumarsais pour la grammaire, Toussaint pour le droit, Rousseau pour la musique, d'Holbach pour la chimie, etc. Montesquieu donne l'article « Goût » et Saint-Lambert l'article « Génie  ». Voltaire finalement composera son propre Dictionnaire philosophique, puis Questions sur l'Encyclopédie. Une mention particulière doit être réservée au marquis de Jaucourt (1704-1779), auteur de travaux sur la philosophie de Leibniz, sensibilisé par ses origines protestantes aux droits de l'homme, devenu progressivement un des principaux collaborateurs de l'Encyclopédie. Au-delà de tous les rédacteurs d'articles, Diderot s'est appuyé sur les informations fournies par de nombreux professionnels et ingénieurs. La philosophie dont se réclame l'entreprise est en effet à la fois abstraite et concrète, conceptuelle et pratique. Elle s'adresse à un public, réunissant gens de loisir et gens de métier, mêlant la culture classique aux techniques contemporaines de l'agriculture et de l'artisanat. Le système des renvois invite chaque lecteur à dessiner son propre itinéraire à travers le labyrinthe du savoir. La diversité des disciplines permet des utilisations professionnelles et individualisées des volumes. Cette dimension technique est renforcée par la complémentarité entre la partie proprement rédigée et les planches qui suivent. Ces planches ont fait l'objet d'une collecte de documents, Diderot a utilisé des recueils existants (dont la Description des arts et métiers préparée par l'Académie des sciences) et employé une équipe de dessinateurs et de graveurs.
L'histoire de la publication est celle d'un combat, économique, politique, idéologique. Ce qui ne devait être à l'origine que la traduction de la Cyclopiedia, or Universal Dictionary of Arts and Sciences de l'Anglais Chambers est devenu un projet indépendant et ambitieux qui a nécessité l'alliance de plusieurs libraires et l'appel à des souscripteurs. Le premier volume paraît en 1751 avec privilège. Dès la fin de cette année, les Jésuites attaquent l'entreprise à travers un de ses collaborateurs, l'abbé de Prades, dont les thèses de théologie sont condamnées par la Sorbonne. Au début de 1752, le Conseil du roi interdit la diffusion des deux premiers volumes. Malesherbes aide Diderot et d'Alembert à franchir ce premier cap. Les attaques deviennent plus vives, après l'attentat de Damiens (1757) qui alourdit le climat politique. L'Encyclopédie est condamnée par le Parlement en même temps que De l'esprit d'Helvétius. Les autorités religieuses ne sont pas en reste. Jésuites et jansénistes s'accordent pour une fois. Le Conseil du roi révoque le privilège et ordonne le remboursement des souscripteurs. Pour éviter la banqueroute, Malesherbes suggère que soient imprimés les volumes de planches qui dédommageront les souscripteurs. Un nouveau privilège est accordé pour eux. D'Alembert limite désormais sa collaboration à des articles de mathématiques, mais Diderot continue le travail éditorial. Il est attaqué comme plagiaire et comme écrivain. La démis­sion de Malesherbes en octobre 1763 semble le laisser sans protection, mais son successeur, Sartine, reste favorable à l'entreprise et le principal ennemi, la Compagnie de jésus, vient d'être supprimé.
Diderot découvre que le libraire Le Breton a pris l'initiative de censurer les articles jugés dangereux dans les volumes VIII à XIV.
Catherine II propose au philosophe de venir achever l'Encyclopédie chez elle en Russie. Les derniers volumes sont pourtant imprimés à Paris, avec la complicité tacite des autorités, sous le couvert de Samuel Fauche, un des éditeurs de la Société typographique de Neuchâtel. Finalement les souscripteurs auront reçu 17 volumes de textes et 11 de planches, ainsi qu'un frontispice gravé par Charles Nicolas Cochin : sur fond de portique grec, la raison entreprend de dévoiler la vérité, au milieu de toutes les muses et sciences, portant les attributs de leur discipline. Le tirage a été de 4 225 collections dont 2 000 semblent avoir été diffusées en France et 200 et quelques à l'étranger.
Diderot a accompli sa tâche, il peut partir pour Saint-Pétersbourg. Le texte encyclopédique n'en finit pourtant pas de se répandre et d'essaimer. Un Supplément est imprimé par Panckoucke, avec une relève dans les collaborateurs : Condorcet, Lalande. Marmontel signent les articles de littérature, tandis que la nouvelle esthétique allemande apparaît dans plusieurs articles sur les Beaux-Arts. Des éditions sont publiées en Italie et en Suisse, à Lucques de 1758 à 1776, à Livourne de 1770 à 1776, à Genève de 1771 à 1773. Des éditions in-quarto puis in-octavo prennent le relais à Genève, à Neuchâtel, à Berne, à Lausanne, à Yverdon. C'est ensuite l'Encyclopédie méthodique, contrôlée par Panckoucke, qui réorganise la matière en rompant avec l'ordre lexical et en composant des ensembles par disciplines. Le projet militant laisse souvent place à un monument, construit souvent par les représentants des institutions officielles. Le prospectus fait appel aux souscripteurs en 1782. Le premier volume paraît dix ans plus tard. La collection devait comprendre 42 volumes in-4° ou bien 84 volumes in-8° de texte. Elle comprendra finalement, en 1832, 157 volumes de texte et 53 de planches. L'entreprise assure la transition d'un siècle à l'autre.
 
L'idée de synthèse du savoir est présente dans d'autres grandes entreprises collectives qui ont suscité autant de combats. L'Histoire naturelle lancée par Buffon et Daubenton paraît en 36 volumes durant un demi-siècle, de 1749 à 1789.


EN SAVOIR PLUS
> Condillac, Essai sur l'origine des connaissances humaines, Amsterdam, Pierre Mortier, 1746
> Montesquieu, De l'Esprit des lois, 1748
> Buffon, Histoire naturelle, 1749
> Diderot et d'Alembert, L'Encyclopédie, 1751
> Voltaire, Dictionnaire philosophique, Paris, Werdet et Lequien fils, 1829