Un nouveau genre littéraire

Portrait de Madame d'Aulnoy

Au XVIIe siècle, l’art du conte monte à Paris où se prête à un véritable jeu de cour et de salon : des hommes et surtout des femmes de lettres rivalisent d’esprit et de style. De l’oral, le conte passe à l’écrit et devient "littéraire". Charles Perrault met le genre à la mode grâce à ses Contes de ma mère L’Oye en 1695, histoires de nourrices ou de « mies  », comme il a coutume lui-même de l’affirmer. Dans les dernières années du XVIIe siècle, les femmes entrent en force dans le royaume des fées et des ogres : la nièce de Perrault Melle L’Héritier, Mme d’Aulnoy, Mme Bernard animent les salons où se presse le beau monde. Antoine Galland traduit (en les réécrivant) les contes des Mille et une Nuits entre 1704 et 1717, avant la nouvelle vogue du conte au XVIIIe siècle avec Antoine Hamilton et ses Quatre Facardins, Melle de Lubert et Mme Leprince de Beaumont dont La Belle et la Bête connaît un vif succès. Conçu comme une tentative de compilation proche des efforts encyclopédiques de cette fin de siècle, le Cabinet des fées du chevalier de Mayer est le chant du cygne de cette mode.

Portrait de Charles Perrault

Perrault, un père fondateur

Dédicaçant Marmoisan à la fille de Charles Perrault, Melle L’Héritier fait mention en 1695 des « contes naïfs » qu’un des fils de l’académicien « a mis depuis peu sur le papier ». C’est précisément cette même année que l’« agréable recueil » est luxueusement copié pour être offert à Mademoiselle, nièce de Louis XIV. La dédicace est signée des initiales de Pierre Perrault alors âgé de dix-sept ans. C’est à ce dernier sous le nom de Darmancour qu’est accordé, le 28 octobre 1696, le privilège d’imprimer les Histoires ou Contes du temps passé. Pour autant, nombre de contemporains y ont vu très tôt la main du père, à commencer par l’abbé de Villiers dans ses Entretiens sur les contes de fées. Si la paternité de l’œuvre prête encore à débat, celui-ci porte davantage sur les rôles respectifs des deux auteurs supposés dont la collaboration semble admise. Pierre aurait couché sur le papier quelques « contes de nourrices », Charles les aurait réécrits et complétés de moralités en vers, la mystification servant les intérêts du père autant que la carrière du fils. Car si simples et naïves que soient ces histoires, elles viennent à point nommé en illustration du Parallèle des Anciens et des Modernes dont la parution s’achève précisément en cette année 1697, démontrant que les contes « que nos aïeux ont inventés pour leurs enfants » sont plus moraux que ceux de l’Antiquité. Puisant sa matière dans les traditions orales populaires, non sans avoir une connaissance directe ou indirecte de certaines occurrences littéraires, l’art du conteur réside dans la mise en écrit d’une oralité, devenue forme canonique et demeurée populaire par sa simplicité. Point de « broderies » comme les affectionne Melle L’Héritier, mais une concision empreinte de charme, de poésie et d’humour qui font toute la saveur de ces histoires au succès.
 

1690-1702 : les Fées à la mode

Le style est bien l’enjeu de cette mode littéraire où l’émulation des salons fait rivaliser les conteurs sur des canevas parfois communs, ainsi de Riquet ou des Fées. Au regard de la chose imprimée, c’est à Mme d’Aulnoy que revient l’honneur d’avoir initié la mode du conte de fées littéraire avec l’insertion en 1690 de « L’Ile de la Félicité » dans Histoire d’Hypolite, comte de Duglas. Viennent ensuite les contes de Melle L’Héritier, Catherine Bernard, Mme de Murat, le chevalier de Mailly… Contes de fées naïfs, précieux, galants, leur vogue s’essouffle avec le XVIIIe siècle naissant, La Tiranie des fées détruite de Mme d’Auneuil sonnant comme un chant du cygne en 1702 tandis que le merveilleux exotique des contes orientaux fait recette dans le sillage des Mille et une nuits traduites par Antoine Galland.
 

Fées et Lumières

L’engouement pour le conte de fée rebondit cependant à partir des années 1730 sous les plumes de Mme de Lintot, de Melle de Lubert à l’imagination exubérante et de Caylus. Il n’est pas jusqu’à Rousseau qui donne dans le genre en composant La Reine fantasque. Mis au service d’une entreprise pédagogique, le conte de fées prend avec Jeanne-Marie Leprince de Beaumont un tour moral prononcé. Tout autre est le détournement que pratique Antoine Hamilton dans la veine parodique et qu’illustre brillamment l’histoire d’Acajou et Zirphile, distanciation qui trouve son débouché dans le conte licencieux avec Crébillon fils, Fougeret de Montbron, Galli de Bibiéna ou Diderot.

La collection du Cabinet des fées

Le Cabinet des fées

C’est symboliquement par une énorme compilation de quarante et un volumes que s’achève l’âge d’or du conte de fées littéraire français, l’année même de la Révolution, en 1789. Imitant le Cabinet der Feen allemand de 1761 tout autant que la Bibliothèque universelle des romans du marquis de Paulmy, le chevalier Charles-Joseph de Mayer dresse le tombeau de cent ans de féerie française, de Perrault à Rousseau. Volontairement, il oublie certains auteurs et ne retient pas tous les contes, faisant notamment l’impasse sur l’abondante veine licencieuse. Mayer reconnaît les contes orientaux, en particulier les Mille et une nuits, comme cousins des fées françaises, et donne le premier essai de synthèse critique sur le conte merveilleux et ses origines.
Première entreprise scientifique de collecte des contes, notamment par l’identification des auteurs et la rédaction de leurs notices biographiques, ce monument littéraire annonce les recueils romantiques allemands. Il fige aussi le conte de fées français dans sa forme littéraire classique et rococo, imposant dans notre univers culturel les fées scintillantes et leurs « robes de velours, couleurs de rose, garnie de diamants » comme l’archétype du merveilleux. Un archétype nostalgique qui explique la profonde coupure en France entre conte de fées (littéraire) et conte merveilleux (populaire).
 
Il faut toutefois attendre les Kinder und Haus-Märchen (Contes de l’Enfance et du Foyer) de Jacob et Wilhelm Grimm en Allemagne pour voir une entreprise de compilation de la tradition orale avec la volonté affichée de conserver un patrimoine national alors que les premières thèses du pangermanisme commence à s’épanouir.