Les massacres de septembre 1792

Partie XVI

 

En janvier 1793, Rétif décide d'ajouter une seizième partie aux quinze des Nuits de Paris qu'il a déjà fait paraître. La XVe partie, La Semaine nocturne, s'achevait au 28 octobre 1789. Cette XVIe partie, devenue rarissime aujourd'hui, retrace vingt-six « nuits » marquantes de la Révolution. Rétif ici se veut historien véridique des événements, même s'il n'a pas été témoin de tout ce qu'il rapporte. Il précise, et c’est important, « les faits sont écrits à mesure et dans l'opinion alors dominante ; j'ai pensé que je devais laisser ce vernis, parce qu'il est historique autant que la narration elle-même. »

Terrible massacre de femmes

Le 10 août avait renouvelé et achevé la Révolution : les 2, 3, 4 et 5 septembre jetèrent sur elle une sombre horreur. Le dimanche, à 6 ou 7 heures, je sortis, ignorant, comme de coutume, ce qui se passait. J'allais sur mon île, cette île Saint-Louis si chérie. [...] Je pris par le pont Marie et le port au Blé. On y dansait. Je me rassurai. Arrivé au grand cabaret à marches, qui termine le port, j'y vis danser encore. Mais aussitôt un passant s'écria : « Voulez-vous bien cesser vos danses ? On danse ailleurs d'une autre sorte. » La danse cessa. Je poursuivis ma route le cœur serré. [...]
J'avais là un petit homme, Suisse d'origine, mais né à Paris, qui savait toutes les nouvelles de son quartier, qui est la section du Théâtre-Français. « On tue aux prisons, me dit-il : ça a commencé par mon quartier, à l'Abbaye. On dit que ça vient d'un homme d'hier mis au carcan à la Grève ; qui a dit qu'il se f... de la nation, et d'autres injures. Le monde s'est ému ; on l'a fait monter à la ville, et il a été condamné à être pendu. Il a dit avant, que toutes les prisons pensaient comme lui, et que sous peu, on verrait beau jeu ; qu'ils avaient des armes, et qu'on les lâcherait dans la ville, quand les volontaires en seraient partis... Ça a fait qu'aujourd'hui, on s'est attroupé devant les prisons, qu'on a forcées, et qu'on y tue tous les prisonniers qui ne sont pas pour dettes. » [...] On commençait alors à tuer au Châtelet : on se rendait à la Force. Mais je n'y allai pas : je crus fuir ces horreurs, en me retirant chez moi... Je me couchai... Un sommeil, agité par la furie du carnage, ne me laissa prendre qu'un pénible repos, souvent interrompu par le sursaut d'un réveil effrayé. Mais ce n'était pas tout. Vers les 2 heures, j'entends passer sous mes fenêtres une troupe de cannibales, dont aucun ne me parut avoir l'accent du Parisis ; tout était étranger. Ils chantaient ; ils rugissaient ; ils hurlaient. [...] Quelques-uns de ces tueurs criaient : « Vive la Nation ! » Un d'entre eux, que j'aurais voulu voir, pour lire son âme hideuse sur son exécrable visage, cria forcènement : « Vive la mort ! »

 

Rétif de la Bretonne, Les nuits de Paris ou le spectateur nocturne, 1788-1794
> Texte intégral, Paris, 1788-1794