Le Jardin des Plantes

Chapitre CXII

La gloriette de Buffon

Je pris par la rue Saint-Victor, et j’arrivai au Jardin des Plantes. Il faisait encore jour : mais le soleil était couché ; la soirée était belle. Je regardai le Labyrinthe. Il me prit une envie démesurée d’aller respirer l’air pur, au-dessus de cette éminence. Mais les portes en étaient fermées. Un homme du quartier me dit, que les sous-préposés se réservaient cette partie du Jardin, pour leurs parties fines. Je frémis d’indignation. Je cherchai tant, que je trouvai une petite porte au-dessus des forges, par laquelle j’entrai. Je n’eus pas fais trente pas, que j’entendis parler et rire dans un bosquet. Je m’avançai doucement, et je vis sur le gazon les débris d’une collation copieuse, autour de laquelle étaient couchés, quatre beaux couples d’amants, qui riaient, jasaient… Je l’avouerai, cette joyeuse compagnie m’offrit l’image du bonheur. Je n’en fus point jaloux, je ne fus point de mauvaise humeur […]
Je m’éloignais sans bruit. Sur la descente orientale, j’aperçus quelques autres couples, mais séparés. Je ne décrirai pas leurs amusements ; ils avaient raison de tenir les portes fermées. J’allais de là sur le monticule vis-à-vis, observant de marcher toujours à couvert. Je vis d’autres Sociétés. Enfin je fus aperçu par des Garçons de jardin. Ils vinrent à moi furieux : - Comment êtes-vous entré ici ? – Par la porte. – Vous n’êtes pas de la compagnie ! – Non. – Vous êtes… - Vous êtes des Insolents ; et taisez-vous, ou je vous ferai-voir, que cet endroit doit être ouvert ; il ne renferme aucune plante rare, et le Jardin-du-Roi, ne doit pas être l’asile du libertinage. […]
J’allai chez la Marquise pour la première fois depuis trois mois ; je lui racontai ce que je venais de voir ; et elle en écrivit à l’Intendant du Jardin. L’abus dura quelques temps encore ; enfin, il a cessé, par les ordres de Buffon.
 

 

Rétif de la Bretonne, Les nuits de Paris ou le spectateur nocturne, 1788-1794
> Texte intégral, Paris, 1788-1794