L’arbitraire des loisGeorges Perec, W ou le souvenir d'enfance, 1975

 

« Celui qui commence à se familiariser avec la vie W, un novice par exemple qui, venant des Maisons de Jeunes, arrive vers quatorze ans dans un des quatre villages, comprendra assez vite que l’une des caractéristiques, et peut-être la principale, du monde qui est désormais le sien est que la rigueur des institutions n’y a d’égale que l’ampleur des transgressions dont elles sont l’objet. Cette découverte, qui constituera pour le néophyte un des éléments déterminants de sa sauvegarde personnelle, se vérifiera constamment, à tous les niveaux, à tous les instants. La Loi est implacable, mais la Loi est imprévisible. Nul n’est censé l’ignorer, mais nul ne peut la connaître. Entre ceux qui la subissent et ceux qui l’édictent se dresse une barrière infranchissable. L’Athlète doit savoir que rien n’est sûr ; il doit s’attendre à tout, au meilleur et au pire ; les décisions qui le concernent, qu’elles soient futiles ou vitales, sont prises en dehors de lui ; il n’a aucun contrôle sur elles. Il peut croire que, sportif, sa fonction est de gagner, car c’est la Victoire que l’on fête et c’est la défaite que l’on punit ; mais il peut arriver dernier et être proclamé Vainqueur : ce jour-là, à l’occasion de cette course-là, quelqu’un, quelque part, aura décidé que l’on courrait à qui perd gagne. »