L’île d'UtopieThomas More, Utopie, livre second, 1518
L’île d’Utopie contient cinquante-quatre villes spacieuses et magnifiques. Le langage, les mœurs, les institutions, les lois y sont parfaitement identiques. Les cinquante-quatre villes sont bâties sur le même plan, et possèdent les mêmes établissements, les mêmes édifices publics, modifiés suivant les exigences des localités. La plus courte distance entre ces villes est de vingt-quatre miles, la plus longue est une journée de marche à pied.
Tous les ans, trois vieillards expérimentés et capables sont nommés députés par chaque ville, et se rassemblent à Amaurote, afin d’y traiter les affaires du pays. Amaurote est la capitale de l’île ; sa position centrale en fait le point de réunion le plus convenable pour tous les députés.
Un minimum de vingt mille pas de terrain est assigné à chaque ville pour la consommation et la culture. En général, l’étendue du territoire est proportionnelle à l’éloignement des villes. Ces heureuses cités ne cherchent pas à reculer les limites fixées par la loi. Les habitants se regardent comme les fermiers, plutôt que comme les propriétaires du sol.
Il y a, au milieu des champs, des maisons commodément construites, garnies de toute espèce d’instruments d’agriculture, et qui servent d’habitations aux armées de travailleurs que la ville envoie périodiquement à la campagne.
La famille agricole se compose au moins de quarante individus, hommes et femmes, et de deux esclaves. Elle est sous la direction d’un père et d’une mère de famille, gens graves et prudents.
Trente familles sont dirigées par un philarque.
Chaque année, vingt cultivateurs de chaque famille retournent à la ville ; ce sont ceux qui ont fini leurs deux ans de service agricole. Ils sont remplacés par vingt individus qui n’ont pas encore servi. Les nouveaux venus reçoivent l’instruction de ceux qui ont déjà travaillé un an à la campagne, et, l’année suivante, ils deviennent instructeurs à leur tour. Ainsi, les cultivateurs ne sont jamais tout à la fois ignorants et novices, et la subsistance publique n’a rien à craindre de l’impéritie des citoyens chargés de l’entretenir.
Ce renouvellement annuel a encore un autre but, c’est de ne pas user trop longtemps la vie des citoyens dans les travaux matériels et pénibles. Cependant, quelques-uns prennent naturellement goût à l’agriculture, et obtiennent l’autorisation de passer plusieurs années à la campagne.
> Texte intégral : Paris, Paulin, 1842