Les persifleursDiderot, Les Bijoux indiscrets, 1748

 

La cour de Kanoglou abondait en petits-maîtres ; et j’avais l’honneur d’en être. Un jour que je les entretenais des jeunes seigneurs français, je m’aperçus que nos épaules s’élevaient et devenaient plus hautes que nos têtes ; mais ce ne fut pas tout : sur le champ, nous nous mîmes à pirouetter sur un talon.
Et qu’y avait-il de rare en cela ? demanda la favorite.
Rien, madame, lui répondit Sélim, sinon que la première métamorphose est l’origine des gros dos, si fort à la mode dans votre enfance ; et la seconde, celle des persifleurs, dont le règne n’est pas encore passé. On commençait alors, comme aujourd’hui, à quelqu’un un discours, qu’on allait en pirouettant continuer à un autre et finir à un troisième, pour qui il devenait moitié obscur, moitié impertinent.