De la conversationMadeleine de Scudéry, Conversations sur divers sujets, 1653-1680

 

– Pour moi, dit Amithone, j’avoue que je voudrais bien qu’il y eût des règles pour la conversation, comme il y en a pour beaucoup d’autres choses. – La règle principale, reprit Valérie, est de ne dire jamais rien qui choque le jugement. – Mais encore, ajouta Nicanor, voudrais-je bien savoir plus précisément comment vous concevez que doit être la conversation. – Je conçois, reprit-elle, qu’à en parler en général, elle doit être plus souvent de choses ordinaires et galantes, que de grandes choses. Mais je conçois pourtant, qu’il n’est rien qui n’y puisse entrer ; qu’elle doit être libre et diversifiée, selon les temps, les lieux et les personnes avec qui l’on est ; et que le secret est de parler toujours noblement des choses basses, assez simplement des choses élevées, et fort galamment des choses galantes, sans empressement, et sans affectation. Ainsi quoique la conversation doive toujours être également naturelle et raisonnable, je ne laisse pas de dire qu’il y a des occasions où les sciences mêmes peuvent y entrer de bonne grâce ; et où les folies agréables peuvent aussi y trouver leur place, pourvu qu’elles soient adroites, modestes et galantes. De sorte qu’à parler raisonnablement, on peut assurer, sans mensonge, qu’il n’est rien qu’on ne puisse dire en conversation : pourvu qu’on ait de l’esprit et du jugement ; et qu’on considère bien où l’on est, à qui l’on parle, et qui l’on est soi-même. Cependant quoique le jugement soit absolument nécessaire pour ne dire jamais rien de mal à propos, il faut pourtant que la conversation paraisse si libre qu’il semble qu’on ne rejette aucune de ses pensées ; et qu’on dit tout ce qui vient à la fantaisie, sans avoir nul dessein affecté de parler plutôt d’une chose que d’une autre. Car il n’y a rien de plus ridicule, que ces gens, qui ont certains sujets où ils disent des merveilles, et qui hors de là ne disent que des sottises. Ainsi je veux qu’on ne sache jamais ce que l’on doit dire, et qu’on sache pourtant toujours bien ce que l’on dit. Car si on agit de cette sorte, les femmes ne feront point les savantes mal à propos ; ni les ignorantes avec excès ; et chacun ne dira que ce qu’il devra dire pour rendre la conversation agréable. Mais ce qu’il y a de plus nécessaire pour la rendre douce et divertissante : c’est qu’il faut qu’il y ait un certain esprit de politesse qui en bannisse absolument toutes les railleries aigres, aussi bien que toutes celles qui peuvent tant soit peu offenser la pudeur.