Les salons littéraires au XVIIIe siècle

Lecture d'une de Voltaire dans le salon de Mme Geoffrin

Les fameux salons, devenus inséparables de l'image que l'on se fait des Lumières, quoiqu'ils ne puissent se ramener à un modèle unique. Les plus célèbres, où tout à la fois se construit, s'exerce, se partage et se ressource l'esprit « moderne », qui deviendra « philosophique » puis « encyclopédiste », sont :
– la cour de Sceaux (1699-1753), où la duchesse du Maine veut opposer à la raideur compassée de Versailles une atmosphère de gaieté et de divertissement léger ;
– le salon de Mme de Lambert (1710-1733), où, sous le nom de « lambertinage », se cultive et s'exalte la nouvelle préciosité ;
– le club de l'Entresol (1720-1731), un club à l'anglaise, que ses audaces en matière de pensée politique feront fermer par le cardinal Fleury ;
– le salon de Mme de Tencin (1726-1749), qui mêle l'intrigue politique aux discussions philosophiques les plus hardies.
 
Le relais sera pris, vers le milieu du siècle, par Mme Du Deffand (1740-1780) et Mme Geoffrin (1749-1777), puis Mlle de Lespinasse (1764-1776). Tous les écrivains de l'époque sont ainsi régulièrement et agréablement mêlés aux gens du monde, aux financiers, aux ministres, aux étrangers de passage. La circulation des idées se fait aussi d'un salon à l'autre : si l'abbé de Saint-Pierre est surtout attaché au club de l'Entresol, et les poètes amis Chaulieu et La Fare à la cour de Sceaux, on verra le président Hénault passer du club de l'Entresol, qu'il accueillait chez lui, au salon de Mme Du Deffand ; La Motte de la cour de Sceaux à celui de Mme de Lambert ; Montesquieu du club de l'Entresol au salon de Mme de Lambert, et de là, comme Marivaux et Fontenelle, à celui de Mme Du Deffand. Enfin un autre relais de ces échanges où se commentent les nouvelles, se communiquent les projets, s'essaient sous le voile plus ou moins clair de la plaisanterie et du jeu.

 

Mondanité et philosophie

On illustre parfois l'activité philosophique du temps par une peinture de Lemonnier, actuellement au musée de Rouen, la lecture de L'Orphelin de la Chine dans le salon de Mme Geoffrin en 1755. Le décor est luxueux, avec un large tapis par terre, de nombreuses toiles aux murs. Les auditeurs sont en costume de cour, les hommes portent perruque, habit, culotte et bas de soie, plusieurs arborent des décorations princières. Le salon où est lue la pièce de Voltaire représente la dimension aristocratique et mondaine des Lumières. La pensée nouvelle s'inscrit dans une culture des élites et correspond à un raffinement des modes de vie. Elle correspond à une esthétique de l'esprit et de la langue. Les salons, tels que celui de Mme Geoffrin, pratiquent un français spirituel, ironique, rapide, brillant. L'originalité de la formule fait passer le non-conformisme, le trait d'esprit excuse l'impertinence. Les Lumières dans ce contexte sont liées à une civilisation aristocratique qui mêle progressivement et prudemment les élites de la naissance à celles de la fortune et de l'esprit. Mais pour un Voltaire fêté dans les salons, connu de l'Europe entière, que de pauvres hères qui cherchent à survivre de leur plume et dont les livres sont poursuivis par la police. À côté du monde aristocratique qui peut acheter de riches éditions et relier à ses armes les volumes, un monde bourgeois, voire populaire, découvre les livres sous forme de brochures ou bien de volumes empruntés et loués. Les Lumières deviennent alors une philosophie qui se soucie moins d'élégance linguistique et de conformisme social, qui exprime les insatisfactions et les impatiences de tous ceux qui ne se sentent pas reconnus par l'ordre existant.

 
EN SAVOIR PLUS
> Arthur Dinaux, Les Sociétés badines, Genève, Slatkine, 1867