Messieurs Rafle et Turcaret, usuriers

Acte III, scène 9

 

M. RAFLE, M. TURCARET.

M. TURCARET. - De quoi est-il question M. Rafle ? Pourquoi me venir chercher jusqu'ici ? Ne savez-vous pas bien que, quand on vient chez les dames, ce n'est pas pour y entendre parler d'affaires ?
M. RAFLE. - L'importance de celles que j'ai à vous communiquer doit me servir d'excuse.
M. TURCARET. - Qu'est-ce que c'est donc que ces choses d'importance ?
M. RAFLE. - Peut-on parler ici librement ?
M. TURCARET. - Oui, vous le pouvez ; je suis le maître : parlez.
M. RAFLE, tirant des papiers de sa poche et regardant dans un bordereau. - Premièrement, cet enfant de famille à qui nous prêtâmes l'année passée trois mille livres, et à qui je fis faire un billet de neuf par votre ordre , se voyant sur le point d'être inquiété pour le paiement, a déclaré la chose à son oncle le président , qui, de concert avec toute la famille, travaille actuellement à vous perdre.
M. TURCARET. - Peine perdue que ce travail là. Laissons-les venir, je ne prends pas facilement l'épouvante.
M. RAFLE, après avoir regardé de nouveau dans son bordereau. - Ce caissier que vous avez cautionné, et qui vient de faire banqueroute de deux-cent mille écus.
M. TURCARET, l'interrompant. - C'est par mon ordre qu'il... Je sais où il est.
M. RAFLE. - Mais les procédures se font contre vous. L'affaire est sérieuse et pressante.
M. TURCARET. - On l'accommodera. J'ai pris mes mesures : cela sera réglé demain.
M. RAFLE. - J'ai peur que ce ne soit trop tard.
M. TURCARET. - Vous êtes trop timide. Avez-vous passé chez ce jeune homme de la rue Quincampoix à qui j'ai fait avoir une caisse ?
M. RAFLE. - Oui, monsieur. Il veut bien vous prêter vingt mille francs des premiers deniers qu'il touchera, à condition qu'il fera valoir à son profit ce qui pourra lui rester à la compagnie, et que vous prendrez son parti, si l'on vient à s'apercevoir de la manœuvre.
M. TURCARET. - Cela est dans les règles; il n'y a rien de plus juste : voilà un garçon raisonnable. Vous lui direz, monsieur Rafle, que je le protégerai dans toutes ses affaires. Y a-t-il encore quelque chose ?
M. RAFLE, après avoir encore regardé dans le bordereau. - Ce grand homme sec, qui vous donna il y a deux mois deux mille francs pour une direction que vous lui avez fait avoir à Valogne.
M. TURCARET, l'interrompant. - Eh bien ?
M. RAFLE. - Il lui est arrivé un malheur.
M. TURCARET. - Quoi ?
M. RAFLE. - On a surpris sa bonne foi, on lui a volé quinze mille francs. Dans le fond, il est trop bon.
M. TURCARET. - Trop bon ! trop bon ! Eh ! pourquoi diable s'est-il donc mis dans les affaires ? Trop bon ! trop bon !
M. RAFLE. - Il m'a écrit une lettre fort touchante, par laquelle il vous prie d'avoir pitié de lui.
M. TURCARET. - Papier perdu, lettre inutile.
M. RAFLE. - Et de faire en sorte qu'il ne soit point révoqué.
M. TURCARET. - Je ferai plutôt en sorte qu'il le soit : l'emploi me reviendra ; je le donnerai à un autre pour le même prix.
M. RAFLE. - C'est ce que j'ai pensé comme vous.
M. TURCARET. - J'agirais contre mes intérêts ; je mériterais d'être cassé à la tête de la compagnie.
M. RAFLE. - Je ne suis pas plus sensible que vous aux plaintes des sots. Je lui ai déjà fait réponse, et lui ai mandé tout net qu'il ne devait point compter sur vous.
M. TURCARET. - Non, parbleu !