À propos de l'œuvreRoger Musnik

Dona Dorothéa, Florinde, Don Giles, Bellaspada et Cléophas

Publié en 1707 chez l’éditeur Ribou, ce roman d’Alain-René Lesage s’inspire d’un texte de Luis Velez de Guevara, El Diablo cojuelo, écrit en 1641. Mais le récit espagnol n’est qu’une trame assez lâche sur laquelle Lesage tisse sa propre narration : « j'ai fait un ouvrage nouveau sur le même plan » (préface de 1726).
 
À Madrid, l’étudiant don Cléofas Léandro Perez Zambullo délivre Asmodée, le diable de l’amour (devenu boiteux suite à un combat avec le démon du profit). Asmodée amène alors Cléofas sur la plus haute tour de la ville, et soulève le toit des maisons, ce qui fait du jeune homme un voyeur témoin de la vie intime des habitants. Et le spectacle est édifiant : vieux avares, médecins incapables, poètes prétentieux, nobles endettés, coquettes décrépites, plagiaires sans scrupules, entremetteurs dépravés… Avec deux longs récits enchâssés, relatant au contraire la force de l’amour et de l’amitié. À la fin du roman, don Cléofas fait un beau mariage et Asmodée disparaît.
 
Mais peut-on parler de roman ? Le Diable boiteux assemble sans ordre apparent des anecdotes morales, sur un rythme rapide, presque échevelé. C’est une série d’exemples pris sur le vif qui apprennent à l’étudiant spectateur la vie, ses mensonges, ses turpitudes, ses apparences trompeuses, mais aussi l’espoir et la générosité. Mêlant fantastique et comédie de mœurs, Lesage fait une satire de la société parisienne, même s’il localise son récit à Madrid. Son but est d’offrir à ses lecteurs « en petit, un Tableau des mœurs du siècle » (préface de 1726). L’ironie constante et l’écriture en verve portent à la gaîté, même si l’ouvrage renverse parfois les valeurs : car finalement, c’est bien le diable qui montre à Cléofas la distinction entre Bien et Mal.
 
Succès considérable dès l’année de sa parution, Le Diable boiteux fait de Lesage un écrivain reconnu par ses pairs. Repris et considérablement refondu en 1726 (lors de sa troisième édition), le livre connaît plus d’une quarantaine de publications au XVIIIe siècle. Et est réédité presque tous les deux ans au XIXe. Ce rythme ne se ralentit qu’à partir des années 1950, même si le Diable boiteux est toujours présent en librairie et toujours apprécié des lecteurs.