Préface de l’édition de 1726

Au très illustre auteur Luis Velez de Guévara

Le Diable boiteux

Sous la forme que je lui [cet ouvrage] ai prêtée d'abord, il a été réimprimé en France, je ne sais combien de fois. Nous avons partagé tous deux l'honneur du succès qu'il a eu. Mais que dis-je, partagé ? J'ai passé à Paris pour votre copiste, et je n'ai été loué qu'en second. Il est vrai, en récompense, qu'à Madrid la copie a été traduite eu Espagnol, et qu'elle y est devenue un original.
J'en donne aujourd'hui une nouvelle édition , que je vous adresse encore, Seigneur Luis Velez, mais pour le rendre plus digne de revoir le jour , après dix-neuf années, il a fallu le retoucher et le remettre, pour ainsi dire, à la mode. Quoique le monde soit toujours le même, il s'y fait une succession continuelle d'Originaux, qui semble y apporter quelque changement.
Je n'ai pas seulement corrigé l'Ouvrage; je l'ai refondu et augmenté d'un volume, que les sottises humaines m'ont aisément fourni. C'est une source inépuisable de tomes. Mais je n'ai point entrepris de l'épuiser. J'abandonne ce travail immense à quelqu'un de ces Auteurs laborieux qui veulent bien employer une longue vie à mériter d'occuper une toise de place dans les bibliothèques. Pour moi, qui borne mon ambition à égayer pendant quelques heures mes Lecteurs, je me contente de leur offrir, en petit, un Tableau des mœurs du siècle.

 

Lesage, Le Diable boiteux, 1707.
> Texte intégral : Paris, Lebègue, 1821