Jugements et critiques

Tempête - Barque fuyant sous le vent

Émile Zola

« Je ne sais si j’ai réussi à donner une idée de ce drame grandiose. Je comprends maintenant la préface : Les Travailleurs de la mer sont la lutte de l’homme contre les éléments, de même que Les Misérables sont la lutte de l’homme contre les lois, de même que Notre-Dame de Paris est la lutte de l’homme contre un dogme.

Moi, je préfère peut-être le spectacle du héros qui triomphe des éléments. Ici le poète a le cœur et l’imagination libres. Il ne prêche, il ne discute plus. Il est simplement le grand peintre des forces de l’homme et des forces de la nature. Il est purement artiste, et je n’ai plus à m’inquiéter de ses théories sociales ni de ses croyances philosophiques.
La langue même qu’il emploie est moins étrange, plus naturelle et plus accessible. Nous en sommes aux Feuilles d’automne, lorsque le maître se contentait de rêver et de décrire. Nous assistons au songe grandiose de cet esprit puissant qui met aux prises l’homme et l’immensité. L’homme triomphe de l’immensité. Mais il suffit ensuite d’un souffle pour terrasser l’homme, d’un souffle léger sorti d’une bouche rose.
Sans doute, il y a toujours dans l’œuvre les grondements du philosophe et du politique. Mais ils fausseront le sens du livre, ceux qui voudront y voir trop d’allusions. Le poète a été surtout poète. N’est-il pas bon que l’arbre produise parfois de ses fruits ?
Je crois à un grand succès, à un succès légitime. Nous ne somme plus ici devant Les Misérables ni devant Les Chansons des rues et des bois. Victor Hugo n’a pas voulu faire un procès à la société ; il n’a pas embouché son grand clairon de guerre pour chanter les carrefours et les vallons. Il a seulement pris, dans la réalité, une mer irritée, un garçon crédule et fort, une fille douce et cruelle, et il a heurté ces trois êtres.
De là le drame poignant qui m’a empli d’angoisse. »
 
Émile Zola, compte rendu des Travailleurs de la mer pour L’Événement, 14 mars 1866
 

Désiré Bancel

« La Durande, échouée par Clubin, c’est la République française trahie par Bonaparte. Il l’avait, de même, égarée dans la brume avant de la tuer au deux décembre.
Et vous, pareil à Gilliatt, héroïque et superbe, depuis quinze ans vous travaillez à sauver la machine du navire ; je veux dire le droit, la vérité, la liberté, la justice, l’honneur. – Ainsi l’horrible écueil n’aura brisé que la carcasse ; et vous aurez gardé l’âme inviolable et immortelle. C’est là ce qui me frappe dans chacune de vos œuvres. Depuis Han d’Islande jusqu’à votre dernier livre, vous êtes le gardien de l’Incorruptible, le Poète de la Volonté. Vous apprenez au peuple à résister et c’est la vertu qui lui manque en effet. Vous mettez le frein à la Fatalité et vous faites de l’homme l’associé de l’ordre universel. Vos strophes, vos romans, vos drames, vos poèmes, vos discours sur les tombes, votre vie sur un rocher, raconteront à l’avenir le combat éternel de la lumière et de l’ombre, de l’esprit et de la matière, d’Ormuz et d’Ahriman, et par là vous entrez dans la famille lumineuse des Génies pères de l’héroïsme. »
 
Lettre de Désiré Bancel à Victor Hugo, 16 avril 1866