À propos de l'œuvre Marie-Clémence Régnier

Albert Lambert fils, rôle de Ruy Blas

L’alibi politique de la fiction théâtrale espagnole

Drame romantique en cinq actes et en alexandrins, Ruy Blas se confronte aux règles du théâtre classique. L'action cousue de fil blanc, dont Hugo préserve cependant l’unité, se déroule à la cour du roi d’Espagne Charles II (1665-1700) sur plusieurs mois et emprunte autant au drame Don Carlos (1787) de Schiller qu’aux comédies de valets de Molière. Le héros en est Ruy Blas qui incarne, comme le dit la préface du drame, la voix du peuple opprimée par le roi et les Grands d’Espagne que représente le diabolique Don Salluste. L’espace-temps du drame, politique, reflète sous l’alibi de la fiction théâtrale historique, la corruption du régime royal qui confie le pouvoir à une minorité riche et immorale. Mais, en 1838, la pression de la censure à l’égard de la liberté d’expression et l’émoussement de l’enthousiasme révolutionnaire ont infléchi les idées politiques de Hugo. Désormais, il en est convaincu, la révolution ne peut réussir que soutenue par le peuple et que par l’intermédiaire de ses représentants légitimes. Ruy-Blas, dont le nom est porteur de cette ambiguïté (Ruy est un nom noble espagnol, Blas, un nom populaire), a la volonté et les idées qui font de lui un homme providentiel mais il n’en a pas la légitimité politique. 

Sarah Bernhardt dans Ruy Blas

Le drame pittoresque d’un « ver de terre amoureux d’une étoile »

Le choix du drame historique permet également au dramaturge de représenter la « couleur locale » chère aux Romantiques, qui donne l’illusion de la réalité sur scène et anime l’intrigue avec un sens dramatique du détail scénique. Il offre ainsi au dramaturge des ressorts scéniques spectaculaires, à commencer par les luxuriants décors conçus par Hugo qui retiendront l’attention du public.
Quant à l’histoire amoureuse, qui fonde la trame narrative de la pièce et scelle le destin d’un domestique épris d’une reine, d’un « ver de terre amoureux d’une étoile » (II, 2), elle résume à elle seule le mélange des genres et des registres propre à la virtuosité dramatique hugolienne que l’écrivain porte ici à un rare degré de maîtrise. Hugo s’ingénie à mêler les emplois classiques qu’il allie de façon contradictoire : Ruy-Blas est un valet de comédie et un héros tragique qui donne au drame romantique l’un de ses plus grands « anti-héros ». Salluste est un roi de tragédie et un personnage sournois, un « méchant » de mélodrame. Quant à don César, il s’agit d’un jeune hidalgo fantasque de comédie et d’un gentilhomme déchu qui a sa part d’ombre assurément. La reine, astre solaire de la pièce, conserve, seule, une aura de pureté qui constitue le point de fuite et l’idéal de la pièce. 

 

Résumé de l'intrigue

Don Salluste, disgracié par la reine pour son inconduite, décide de se venger et cherche un appui auprès de son cousin, Don César de Bazan. Devant le refus de ce dernier, il le fait enlever pour lui substituer son valet, Ruy Blas. Or, ce dernier vient d’avouer à César son amour désespéré pour la reine, secret que Don Salluste décide d’utiliser à son avantage. Il le convainc d’endosser l’identité de son cousin mais lui cache ses sombres desseins : perdre la reine en la conduisant à devenir l’amant de son laquais et révéler l’affaire.