Orithie avoue son amour

 

L’aveu d’Orithie n’est pas sans rappeler l’aveu de Phèdre à l’acte I de la tragédie du même nom de Racine (1677). Le schéma est le même — la confidente presse la reine d’avouer ce qui la tourmente — ainsi que les thèmes — voir signifie aimer, un amour interdit, des sacrifices sur l’autel qui loin d’apaiser le trouble l’attisent. La versification emprunte aussi au style racinien.

ORITHIE
Vos soins contre mes maux combattent sans effet,
Mais pour mieux me punir de mon ardeur coupable,
Je vais vous dévoiler le destin qui m’accable.
De l’hymen passager, approuvé par nos loix,
J’avais su jusqu’ici m’interdire les droits ;
Vous seule remplissez l’espoir de ma couronne ;
Mais l’amour a surpris le cœur d’une Amazon.
Ciel ! à ce mot fatal, tout frémit en ces lieux ;
La honte et la terreur obscurcissent mes yeux
Le remords dans mon sein étouffe ma pensée :
Voyez où me réduit une flamme insensée.
Je lis dans vos regards mon crime et votre effroi.

ANTIOPE
Quel est donc ce vainqueur qui vous tient sous sa loi ?

ORITHIE
Je tremble à le nommer, et cherche à vous le dire.

ANTIOPE Ah ! ne différez plus.

ORITHIE
Apprenez mon martyre.
Thésée a triomphé de mon farouche orgueil.

ANTIOPE.
Oh Dieux !

ORITHIE
De son aspect que n’ai-je fui l’écueil :
Un désir curieux, né de la renommée,
Me fit chercher ce Chef terrible à mon armée. Son front majestueux, sa fierté dans les fers,
M’annoncèrent son nom connu de l’univers :
Rappelez-vous l’instant qu’il s’offrit à ma vue.
Depuis ce jour fatal, le poison qui me tue,
Se glissant dans mon âme, en bannit la raison ;
De nos austères lois j’oubliais la leçon ;
Par l’obstacle et le temps mon feu s’irrite encore ; Je passe sans sommeil de l’une à l’autre aurore ;
Tantôt de mon amour je chéris le lien,
Bientôt je le déteste…

ANTIOPE
Et qu’espérez-vous ?

ORITHIE
Rien.
Je hais mon rang, nos mœurs, ma tendresse, mes crimes,
Au Ciel vengeur des lois j’offre en vain des victimes,
De mes maux qu’il voit seul, j’ose accuser les coups ;
Souvent à mon ardeur j’oppose un fier courroux ;
Elle combat, triomphe, et tout, à ma mémoire,
Peint les traits d’un guerrier dont je chéris la gloire
[…]

 

Madame du Boccage, Les Amazones, 1749
>Texte intégral : Lyon, Frères Périsse, 1770