À propos de l’œuvreSarah Tournerie

Manuscrit du Mariage de Figaro
Le costume de Monrose dans le rôle de Figaro

Le mariage de Figaro ou la folle journée (1784)

Près de Séville, Figaro, devenu concierge du château du Comte Almaviva, veut épouser Suzanne, la camériste de la Comtesse Almaviva (la Rosine du Barbier de Séville). Deux obstacles se présentent : Figaro a promis de rembourser à Marceline, ancienne intendante de Bartholo une somme d’argent ou à défaut de l’épouser. Or Figaro n’a pas d’argent. Par ailleurs, le Comte veut empêcher le mariage de Suzanne qu’il aimerait séduire. Pour cela, le Comte organise un procès où l’on détaille longuement des termes de l’accord de mariage entre Marceline et Figaro, lequel s’avère être… son fils, enlevé enfant par des bohémiens. Le mariage avec « la duègne », sa mère, ne peut donc se conclure. Bartholo, le père naturel de Figaro, refuse d’épouser son ancienne maîtresse. Marceline profère alors une dénonciation de l’injuste condition de la femme : « traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes » déclare-t-elle (acte III, scène 16). La cérémonie de mariage de Suzanne et Figaro a enfin lieu.

Le désir du comte pour Suzanne n’étant pas apaisé, Figaro, Suzanne et la Comtesse décident de contrer ses projets. Ils envoient anonymement un billet l’informant que la Comtesse a rendez-vous le soir-même avec un galant. De son côté, Suzanne accorde un rendez-vous au Comte mais projette d’y envoyer Chérubin qui malgré ses 13 ans est amoureux de Suzanne, de la Comtesse et de Fanchette (la fille du jardinier). L’astuce tombant à l’eau, c’est la Comtesse qui ira au rendez-vous, déguisée en Suzanne, sans rien en dire à Figaro (acte IV). Ledit soir, sous une allée de marronniers, le Comte courtise Suzanne (en réalité sa femme, dont il retombe amoureux) puis s’enfuit en entendant arriver Figaro. Celui-ci, abusé par le déguisement et se croyant trahi, interrompt leur entretien. Suzanne décide de punir Figaro de ses soupçons quant à sa droiture en poursuivant son travestissement, mais il la reconnaît bientôt. Le Comte, quant à lui, réapparaît et peste de voir sa femme courtisée par son concierge. Quand il se rend compte qu’il s’agit de Suzanne, il implore le pardon de son épouse et la pièce se finit en chansons.

Succès théâtral du XVIIIe siècle, Le Mariage de Figaro sera joué 68 fois de suite en 1784 au théâtre de l’Odéon qui abritait alors la Comédie-Française, et, deux ans plus tard, Mozart l’adaptera à l’opéra. C’est assurément une comédie enlevée et riche en rebondissements : quiproquos, déguisements, dénouement heureux, intrigues amoureuses rocambolesques apparaissent et disparaissent au cours d’« une folle journée », sous-titre fallacieusement placé par Beaumarchais pour « ôter de l’importance » à la pièce écrit-il, et déguiser ainsi son propos. Car sous le badinage amoureux, Beaumarchais fait « la critique d’une foule d’abus qui désolent la société » (Préface du Mariage de Figaro). La censure n’en fut pas dupe car il fallut attendre six ans, venir à bout de l’indignation du Roi, affronter le refus de six censeurs et manœuvrer en représentant la pièce dans les cercles influents de la Cour pour qu’enfin elle soit jouée. C’est dire si cette pièce n’est pas « la plus badine des intrigues » comme l’écrit Beaumarchais dans la préface. 

 

« Figaro a tué la noblesse », Danton

Le Comte Almaviva, seul vrai noble de la pièce est puissant mais dépravé et oisif. Il concentre presque tous les pouvoirs : il a des terres, un titre, un pouvoir politique, il est corregidor d’Espagne. Mais il n’incarne pas les qualités traditionnelles de la noblesse : l’honneur, la vertu, le courage. Il n’est d’ailleurs pas toujours respecté. Ainsi Chérubin lui échappe pendant toute la pièce, son concierge est irrévérencieux à son égard et sa femme le manipule. Face à lui, Figaro est la figure du roturier plein de ressources et ingénieux, le héros populaire qui malgré sa naissance, arrive à triompher du seigneur. Figaro n’est-il pas « l’homme le plus dégourdi de sa nation » selon Beaumarchais ? La thèse, fort dérangeante pour l’époque, est que le mérite doit prévaloir sur la naissance : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ! Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste homme assez ordinaire ! Tandis que moi, morbleu ! Perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes… » (Figaro, acte V, scène 3). Cependant Jacques Scherer nuancera beaucoup ce jugement. Pour lui, Beaumarchais n’a ni voulu ni cru être un précurseur de la Révolution : si la pièce avait été jugée séditieuse, elle n’aurait pas été jouée.

 

Les femmes au centre de l’intrigue

On compte quatre personnages féminins (un seul, Rosine, dans Le Barbier) : de l’adolescente Fanchette, à la femme mûre Marceline. Si dans Le Barbier de Séville le couple Almaviva / Figaro menait la danse, c’est cette fois-ci le couple Suzanne / la Comtesse qui est au centre de l’intrigue et qui dirige l’action. C’est le jour du mariage de Suzanne, mais on ne la voit presque qu’avec la Comtesse. Elles ourdissent des pièges contre le grand corregidor Almaviva et vainquent au final ce « fier, ce terrible… et pourtant un peu nigaud de sexe masculin » (acte IV, scène 16). Leur condition de femme transcende leur statut social. Ainsi, Figaro et le Comte ne voient pas le travestissement de la Comtesse et de sa camériste qui échangent leurs vêtements à l’acte V. Malgré la différence de condition sociale, les deux femmes n’ont-elles pas la même valeur ?
Outre la forte présence de personnages féminins, la condition des femmes est dénoncée, notamment par les violentes tirades de Marceline : « Dans les rangs même les plus élevés, les femmes n’obtiennent qu’une considération dérisoire : leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! » (acte III, scène 16).

 
Acte II, scène 17
Acte III, scène 15
Acte IV, scène 9
 

 « J’entreprends de frayer un nouveau sentier à cet art », Préface du Mariage de Figaro

Diderot avait, avec le drame domestique ou drame bourgeois, introduit une composition destinée à peindre les actions de la vie quotidienne en se préoccupant moins des histoires antiques et des soucis de la noblesse que de la réalité quotidienne, plus propre à émouvoir l’auditoire. Beaumarchais poursuit dans cette veine : « Que me font à moi, sujet paisible d’un État monarchique du XVIIIe siècle, les révolutions d’Athènes et de Rome ? » écrit-il dans l’Essai sur le genre dramatique sérieux.

Beaumarchais innove en outre par bien d’autres aspects. Le Mariage de Figaro est l’une des pièces les plus longues et les plus complexes du répertoire français : des personnages nombreux, qui parlent beaucoup, quatre-vingt-douze scènes, trois heures et demie de représentation, un dynamisme qui frise la frénésie. L’unité d’action est respectée si l’on en croit le titre et le résumé en une phrase qu’en fait Beaumarchais dans sa préface : « Un grand seigneur espagnol, amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu’elle doit épouser, et la femme du seigneur, réunissent pour faire échouer dans son dessein un maître absolu, que son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l’accomplir. Voilà tout, rien de plus. La pièce est sous vos yeux. »
En réalité, les intrigues s’accumulent et ne laissent pas de répit au spectateur. Les têtes à têtes sont rares. Un monologue extrêmement long se détache, inédit pour l’époque : celui de Figaro, à l’acte V, scène 3. Beaumarchais utilise aussi beaucoup de didascalies et d’apartés. Les indications scéniques et les décors sont traités avec soin comme à l’acte II, scène 4 où il décrit très précisément la disposition des personnages selon un tableau de Carle Van Loo, La Conversation espagnole (1754) : « La comtesse, assise, tient le papier pour suivre. Suzanne est derrière son fauteuil, et prélude en regardant la musique par-dessus sa maîtresse. Le petit page est devant elle, les yeux baissés. Ce tableau est juste la belle estampe d’après Vanloo, appelée la Conversation espagnole. » (acte II, scène 4). Toujours dans la lignée de Diderot, il accorde plus d’importance à la mise en scène, à l’effet visuel produit, agrandissant l’espace au cours de la pièce : une chambre à l’acte I aux jardins du château à l’acte V.

Par ailleurs, la pièce est osée sur le plan des mœurs : la sensualité et libertinage y sont très présents. Presque tous les couples, même les plus étranges, sont à un moment donné, possibles : Chérubin et la Comtesse, Marceline et Figaro, Fanchette et le Comte… Beaumarchais célèbre la puissance de l’instinct, de l’amour et du désir dans un siècle de raison.

 
Antonio, le jardinier
Brid’oison
Fanchette