Dogme, culte, régimeAuguste Comte, Système de politique positive, 1851-1854

 

Puisque la religion concerne à la fois l’esprit et le cœur, il faut donc qu’elle se compose toujours d’une partie intellectuelle et d’une partie morale. La première constitue le dogme proprement dit, qui consiste à déterminer l’ensemble de l’ordre extérieur auquel notre unité est nécessairement subordonnée. Suivant le principe de la dépendance croissante, cette économie naturelle doit être appréciée, d’abord comme cosmologique, puis comme biologique, et enfin comme sociologique […]. L’esprit étant ainsi discipliné, il reste à régler le cœur. Du domaine de la foi on vient alors à celui de l’amour. Telle est du moins la marche systématique qui construit l’état définitif de l’unité humaine, personnelle ou sociale. Mais, en l’un et l’autre cas, l’essor spontané procède ordinairement en sens inverse, du dedans au dehors, de l’amour à la foi.
Quoi qu’il en soit de cette différence entre la voie objective et la voie subjective, les deux parties essentielles de la religion demeurent toujours profondément distinctes. Le dogme ne comporte aucune autre division que la succession, logique et scientifique, des trois ordres nécessaires de la hiérarchie naturelle. Mais cette indispensable classification ne doit jamais altérer l’unité fondamentale de l’économie extérieure, que la religion apprécie toujours dans son ensemble. Il en est autrement pour sa partie morale, qu’il faut enfin décomposer d’après la distinction inévitable entre les sentiments et les actes.
L’amour doit à la fois dominer les uns et présider aux autres. Mais ces deux attributions directes du principe suprême ne sauraient être confondues, puisque la première est purement intérieure, tandis que la seconde concerne aussi le dehors. Conçues avec leur extension totale, elles constituent l’une le culte proprement dit, l’autre le régime, d’abord moral, puis même politique. Dans l’ensemble du système religieux, tous deux sont nécessairement subordonnés au dogme, qui leur fournit à la fois les conditions et les lois suivant lesquelles ils doivent régler, le premier les sentiments, et le second la conduite, privée ou publique. Néanmoins, à son tour, ce double domaine de l’amour réagit profondément sur le domaine unique de la foi, pour le ramener sans cesse à la destination subjective dont sa nature objective tend toujours à l’écarter.
 
Telle est donc la composition systématique de la religion, qui, devant instituer l’unité humaine, embrasse ainsi les trois faces essentielles de notre existence, penser, aimer, agir […]. L’ensemble de l’existence réelle se trouve ainsi condensé dans la religion complète, également scientifique, esthétique, et pratique ; de manière à combiner radicalement nos trois grandes constructions, la philosophie, la poésie et la politique. D’abord cette synthèse universelle systématise l’étude du vrai ; puis elle idéalise l’instinct du beau ; et enfin elle réalise l’accomplissement du brin. (II, 19-21)
 
D’abord spontanée, puis inspirée, et ensuite révélée, la religion devient enfin démontrée. La constitution normale doit satisfaire à la fois le sentiment, l’imagination, et le raisonnement, sources respectives de ses trois modes préparatoires. En outre, elle embrassera directement l’activité que ne purent jamais consacrer assez le fétichisme, ni même le polythéisme, ni surtout le monothéisme. (II, 7)