Jugements et critiques

 

Victor Duc de Broglie

« Mais, de tous les romans, ceux que j’aime le moins, ou, pour parler sincèrement, ceux qui me déplaisent le plus, ce sont les romans confessions, où l’auteur, sous le nom de son héros, se déshabille moralement devant le public ; étale aux yeux, avec une orgueilleuse componction, les misères et les guenilles de son âme, comme les mendiants, dans les vieux romans espagnols, faisaient, à la porte des couvents, compter leurs plaies et toucher leurs ulcères. Adolphe est le premier, sinon en ordre de date, du moins en ordre de genre, le premier dis-je, de ces nouveaux Guzman d’Alfarache, de ces nouveaux Lazarille de Tormès. »
(Souvenirs, 1785-1870, Paris, C. Levy, 1886, t. 1, p. 387-389)
 

Paul Bourget

« Si ce roman ne possédait que cette valeur d’une monographie rigoureuse d’un caractère, et dans ce caractère d’une maladie très contemporaine, il serait encore admirable, il n’aurait pas, comme il l’a, ce charme d’une œuvre profondément poétique – si bizarre que paraisse le mot, appliqué à une sorte d’écorché littéraire – oui, poétique au même degré que les plus beaux sonnets des Fleurs du mal. Il y a dans ces pages plus que la desséchante ardeur d’une pensée qui ronge un sentiment. On y reconnaît la grande mélancolie de la solitude de l’âme. »
(« Sur l’esprit d’analyse dans l’amour – Adolphe », 1893, dans Essais de psychologie contemporaine, Plon, 1924, t. 1, p. 27)
 

Maurice Blanchot

« Proust, comme Adolphe, fait l’expérience du paradoxe de toute communication (paradoxe qui est aussi celui du langage), selon lequel ce qui fonde les rapports c’est leur impossibilité, ce qui unit les êtres c’est ce qui les sépare et ce qui les rend étrangers c’est ce qui les rapproche. Tous deux se lassent de la présence, parce qu’elle est un contact et non une relation authentique. »
(La Part du Feu, Paris, Gallimard, 1949, p. 235-236)
 

Paul Bénichou

« Qui ne sent que si Ellénore était jeune, Adolphe en serait profondément altéré ? La femme dont l’exigence paralyse la vie, et qui, condamnée elle-même à mourir, engendre remords et désolation, cette femme exclut obscurément, pour Benjamin Constant, l’idée même de vie et de jeunesse. Dans la région reculée de son cœur, où Adolphe a pris sa source, la pensée de la femme rejoint celle de la mort. »
(« La genèse d’Adolphe » dans L’écrivain et ses travaux, Paris, José Corti, 1967, p. 118)
 

Tzvetan Todorov

« L’unique roman de Constant passe pour un chef-d’œuvre ; cela se comprend. La simplicité et l’universalité des grands thèmes, leur intrication tragique, la rigueur narrative et stylistique, tout semble concourir au même but. La brièveté même du livre accuse l’impression de nécessité : rien de trop, seulement ce qui est indispensable pour conduire à la catastrophe finale. Constant semble déduire l’amour malheureux avec la rigueur d’un géomètre. »
(Benjamin Constant : la passion démocratique, Paris, Librairie générale française, 2004, p. 172)
 

Camille Laurens

« Or, Ellénore n’est pas une femme précise de la vie de Benjamin, elle est toutes ses femmes, et même, elle est toutes les femmes. Quand Ellénore meurt à la fin d’Adolphe, délaissée par un homme qui ne l’aime pas, ce sont toutes les femmes qui meurent, dans tous les temps. Et lorsqu’il écrit : « Je suis si fatigué d’être toujours nécessaire et jamais suffisant », n’est-il pas tous les hommes ? »
(Ni toi ni moi, Paris, P.O.L., 2006, p. 42)