Henri Mitterand
Les banques de textes sont des réserves de matière brute. Une banque des Rougon-Macquart, ou des Oeuvres complètes de Zola, fournirait, hors de la bibliothèque, dans l’espace réduit du disque ou dans le cyber-espace de la "toile", la totalité des textes, pour la lecture ou la consultation, et éventuellement l’indexation. C’est déjà beaucoup. Mais la "banque" ne va pas plus loin, ni en arrière du côté de la genèse, ni en avant, du côté de la réception. Elle ne s’enrichit d’aucune valeur ajoutée.L’entreprise qui est ici livrée au public se veut moins vaste en extension, mais plus ambitieuse en compréhension. Elle se limite à une oeuvre unique, mais elle l’accompagne d’un ensemble d’informations qui donne tout son prix à l’édition informatisée. A l’internaute de dire si et jusqu’à quel point elle a réalisé ses objectifs, qui peuvent se résumer ainsi :
On trouvera donc dans ce fonds :
Pourquoi avoir choisi Le Rêve ?
Le Rêve n’est pas le roman de Zola le plus lu ni le plus étudié. C’est pourtant une oeuvre d’un grand intérêt. Simplement, il faut passer derrière le glacis de surface du texte – ses broderies, ses virginités et ses bondieuseries – , pour mettre au jour ses veines profondes, ou obliques, qui ne sont pas celles qu’a retenues la vulgate critique et pédagogique. Se révèle alors un roman dont il est d’autres lectures possibles que la lecture "bleue", ou "dorée", des pensionnats ou la reconnaissance "naturaliste" des effets correcteurs du "milieu" sur les pulsions héréditaires. Un texte où affleurent, selon le mot de Jean Bellemin-Noël, "les ruses du désir" . Un conte noir plutôt qu’un "conte bleu", une oeuvre ouverte aux interrogations modernes plustôt qu’une oeuvre fermée sur les certitudes d’époque.
Le Rêve mérite donc d’être exploré à l’égal des romans-phares du cycle des Rougon-Macquart. On peut y découvrir tous les fantasmes et toutes les fantaisies qui affolaient les boussoles intellectuelles de la fin du siècle : des profils préraphaélites, des décors décadents, des paysages art nouveau, des intuitions pré-freudiennes, des extases néo-mystiques, des apparences de miracles, du rococo fausse Renaissance, des taxinomies pré-structuralistes, des mises en abyme et des collages, des légendes dorées et des pieds nus de vierge, et j’en passe. C’est assez dire l’utilité d’une excursion hyper- et intertextuelle.
De plus, si ce roman a en commun avec tous les autres un dossier préparatoire qui porte la trace de toutes les étapes de la genèse, il repose sur une plus grande diversité de sources documentaires (l’hagiographie, la broderie, l’architecture civile et religieuse, le vitrail, l’enluminure, etc.), et il débouche sur un plus large éventail de prolongements, notamment graphiques et musicaux. C’est le seul roman de Zola qui ait fait l’objet, du vivant de l’auteur, d’une transposition à la scène lyrique. Il est donc particulièrement approprié à une édition informatisée qui rendra consultables tous ses états successifs, les constituants et les phases de sa genèse, ses connexions à la culture contemporaine, et tous ses avatars ultérieurs.
Plus que d’une intertextualité, on peut parler à propos du Rêve d’une interesthéticité, en raison de ses correspondances avec d’autres langages et d’autres arts que ceux du verbe. L’ordinateur la rend pleinement visible parce qu’il peut convoquer, montrer et commenter non seulement des textes, mais aussi des reproductions d’art (gravures, photographies, peintures, sculptures, vitraux, broderies, planches de l’Encyclopédie, etc.), des partitions musicales, des extraits de films. Il peut aussi faire entendre la parole et la musique. Tout cela surgissant à la demande pour être rendu visible simultanément au texte.
Il n’existe pas, actuellement, de moyen plus fécond pour faire "parler" une oeuvre, pour lui faire révéler ses secrets de fabrication et de fortune, les trésors d’échos qui sont enfouis dans les strates de son sens. La documentation et l’analyse changent alors de dimension et de rendement. Et du même coup le profil de l’écrivain s’affine. Il convenait particulièrement d’appliquer ces ressources nouvelles à l’oeuvre de Zola, pour tenter d’en finir avec les stéréotypes qui l’enferment dans la "pensée unique", restrictive et figée du "naturalisme", et pour rendre immédiatement visible la mobilité de son inspiration et les ramifications infinies de son territoire intellectuel et imaginaire.