Sand et Zola

SAND, George
Jeanne (1845)

ZOLA, Emile,
Le Rêve

Chapitre XI

"Jeanne offrait avec elle un parfait contraste : elle était aussi belle en demoiselle qu’en villageoise ; la vigueur de ses formes n’avait rien de masculin, grâce à son humeur paisible et chaste, qui lui conservait toujours une contenance grave et posée. Son teint de lis et de roses (...) paraissait plus pur et plus frais encore avec la robe blanche et la fraise de dentelle ; ses cheveux splendides, que la coiffe avait toujours dérobés aux regards, s’étaient prêtés sous le peigne au goût exquis de Mlle de Boussac, et s’arrondissaient en tresses d’or autour de sa tête admirablement conformée. Ses mains, d’un beau modelé, n’avaient eu besoin d’autre cosmétique que le laitage qu’elles pétrissaient tous les jours, pour devenir merveilleuses de blancheur et de souplesse."
 

Chapitre II (Folio, p. 60)

"A quinze ans, Angélique fut ainsi une adorable fille. (...) Ses yeux couleur de violette s’étaient encore adoucis, sa bouche s’entr’ouvrait, découvrait les petites dents blanches, dans l’ovale allongé du visage, que les cheveux blonds, d’une légèreté de lumière, nimbaient d’or. Elle avait grandi, sans devenir fluette, le cou et les épaules toujours d’une grâce fière, la gorge ronde, la taille souple ; et gaie, et saine, une beauté rare, d’un charme infini, où fleurissaient la chair innocente et l’âme chaste."

********

Chapitre XV

"Cependant Jeanne, qui avait l’habitude de dire des prières avant de s’endormir, tenait encore ses yeux ouverts lorsqu’il lui sembla voir la meurtrière qui éclairait l’intérieur de la tourelle, interceptée tout à coup par un corps opaque. Elle ne put retenir un cri, et aussitôt elle vit ce corps se glisser le long du mur extérieur, et des pas furtifs firent crier faiblement le sable du jardin. Cet étage n’était pas élevé de plus de dix à douze pieds au-dessus du sol, et il était possible de monter jusqu’à la lucarne par le treillage de la vigne qui tapissait la muraille. (...) Jeanne, toute brave qu’elle était, n’osa pas d’abord aller regarder par la meurtrière. Lorsque après plusieurs signes de croix et de pieux exorcismes, elle s’y décida, elle ne vit plus rien. La lune était pure, et l’ombre des arbres fruitiers se dessinait immobile et nette sur le sable brillant de l’allée."

Chapitre IV (Folio, p. 93)

"Enfin, un soir qu’une obscurité plus chaude tombait du ciel sans lune, quelque chose commença. Elle craignit de se tromper, cela était si léger, presque insensible, un petit bruit, nouveau parmi les bruits qu’elle connaissait. Il tardait à se reproduire, elle retenait son haleine. Puis, il se fit entendre plus fort, toujours confus. Elle aurait dit le bruit lointain, à peine deviné d’un pas, ce tremblement de l’air annonçant une approche, hors de la vue et des oreilles. Ce qu’elle attendait, venait de l’invisible, sortait lentement de tout ce qui frissonnait à son entour. Pièce à pièce, cela se dégageait de son rêve, comme une réalisation des vagues souhaits de sa jeunesse. (...) C’était un bruit de pas, certainement, des pas de vision effleurant le sol. Ils cessaient, ils reprenaient, ici et là, sans qu’il lui fût possible de préciser l’endroit. (...) Elle avait beau fouiller les ténèbres, son ouïe seule l’avertissait du prodige attendu, son odorat aussi, ce parfum accru des fleurs, comme si une haleine s’y fût mêlée. Et, pendant plusieurs nuits, le cercle des pas se resserra sous le balcon, elle les écouta s’avancer jusqu’au mur, à ses pieds. Là, ils s’arrêtaient, et un long silence se faisait alors, et l’enveloppement s’achevait, cette étreinte lente et grandissante de l’ignoré, où elle se sentait défaillir."