(Dossier établi par Olivier Lumbroso - Centre Zola, ITEM-CNRS)
Notes explicatives :
Ce dessin reproduit la page de titre de l'édition de 1549 de La légende dorée . La description matérielle de l'ouvrage de Voragine est réalisée au chapitre II du roman et le dessin la prépare. Il ne reproduit pas fidèlement les formes et les figures dans un langage graphique mais transcrit et décrit verbalement les ornements ou les médaillons de la couverture. Le dessin constitue alors pour le romancier une pré-rédaction de la description insérée dans le roman, qui ne fait que "verbaliser" les explications placées dans l'espace graphique, tout en les simplifiant.
La porte Sainte-Agnès s'inspire du portail de l'église abbatiale de Vézelay, non pour les figures et les thèmes qui y sont exposés mais pour sa structure et son ordonnancement, qui offraient au romancier une taxinomie typique et facilement transposable. Toutefois, pour la situation de cette porte sur la façade nord du transept, le romancier s'inspire de la porte de la Vierge, qui se situe sur le collatéral nord de Notre-Dame. La composition de la porte repose, comme à Vézelay, sur une symétrie qui fournit rythme et sens à la description. Zola reprend les deux baies jumelles, séparées par un trumeau central puis dispose, à droite et à gauche, six figures de saintes, regroupées par trois, qui remplacent les six apôtres d'origine. Il conserve les lintaux, les sculptures du tympan et des voussures. Si la configuration générale reste la même, quelques scènes subissent, toutefois, des modifications. Le jugement dernier, avec les élus à droite du Christ et les damnés à sa gauche, est remplacé, dans le tympan, par quatre scènes extraites des récits hagiographiques de Sainte-Agnès : "Agnès jetée dans un grand feu", l'ordre d'Aspasien de lui enfoncer une épée dans la poitrine, la guérison miraculeuse de Constance, atteinte de la lèpre, et la délivrance de Paulin. Agnès, substituée au Christ, siège au centre, dans une scène qui la montre reçue au ciel par "l'époux céleste". Enfin, selon son désir de réduire les proportions de la façade septentrionale, le romancier a placé seulement deux scènes sur le linteau : la débauche d'Agnès par le gouverneur et Agnès en ressuscitant le fils.
Sur le dessin, à l'endroit des "pieds droits", des ratures montrent le déplacement symétrique des saintes. Agathe, Christine et Cécile, qui, par rapport à Agnès, étaient à droite passent à gauche et Geneviève, Dorothée et Barbe passent à droite. Par ces modifications, Zola semble avoir mis en scène, sur la porte de l'église, une "scénographie" hagiographique, avec l'idée de pondérer, comme sur un échiquier, le sens et la portée édifiante de chaque épisode.
Les armoiries sont les signes, les devises et les ornements de l'écu. Zola demanda à H.Céard de rechercher celles d'un évèque. Dans sa lettre du 3 mars 1888, ce dernier expose le statut des évèques ayant eu un enfant, puis décalque et colle les armoiries, trouvées dans l'ouvrage du Père Ménestrier (La méthode du blason, 1688). Toutefois, dans le dessin de Céard, il ne s'agit pas, en toute rigueur, du "chapeau héraldique" d'un évèque - ainsi se nomme ce type d'armoirie - mais de celui d'un cardinal pour le "chapeau", et d'un évèque pour les "houppettes". En effet, il manque, normalement, au dessus de l'écu, la mitre et la crosse, qui appartiennent aux ornements distinctifs de l'évèque. Sans doute, par souci de simplification, Céard les a éliminées de son croquis.
Dans un second temps, il fallait au romancier trouver l'endroit où ces armoiries étaient susceptibles d'apparaître : "Un évèque peut-il avoir son blason dans l'église ? à l'évéché ?" (folio 231). Il semble que, dans le roman, Zola n'ait pas tenu expressément à les faire figurer, compte-tenu, peut-être, du nombre déjà important d'armoiries qu'il comportait.
Dans le dossier préparatoire du Rêve, Zola a imaginé successivement deux cadres spatiaux différents. Les deux plans se suivent dans le classement du dossier, sans que cette succession (folio 246 et folio 247) ne renvoie à l'ordre génétique de l'invention. Le premier dessin représente le quartier religieux de Beaumont-l'Eglise et le second le quartier féodal de Beaumont-le-Château, qui est, pourtant, sur le plan chronologique, le premier dessin que le romancier confectionna.
Plusieurs châteaux fortifiés ont servi de modèles au romancier. Deux sont clairement transposés : le château de Pierrefonds et le château de Coucy, sur lesquels Viollet-le-Duc, avait écrit des monographies. Ces deux ouvrages contenaient des plans, de la main de l'architecte, qui ont pu aider le romancier et compléter les articles de Pierre Larousse. A partir de ces sources, Zola a extrait des éléments des deux châteaux. Le "donjon", la forme générale pentagonale et les quatre tours, flanquant la courtine, s'inspirent de l'architecture du château de Coucy, tandis que leur désignation provient directement du château de Pierrefonds (tours "Charlemagne", "César", "Hector" et "David"), ainsi que la "poterne", la "place d'armes" et la salle des "preuses". Associée à la "basse-cour" du château de Coucy, la rue "basse de la vallée" de Beaumont s/Oise, qui contourne des ramparts circulaires, a peut-être servi de modèle à la rue "basse", sur le dessin. D'autres éléments relèvent d'une connaissance des invariants typiques de la cité médiévale fortifiée.
Toutefois, ces croquis ne se résument pas à des assemblages mimétiques. Zola a construit des jeux de correspondances et d'harmonies symboliques, en rapport avec la fiction. Dans les deux croquis, il demeure un invariant : la pensée de la lumière. En effet, la direction "est-ouest", marquée par la croisée cardinale dans le coin de la feuille, est parallèle à la rue Soleil, quel que soit le dessin. La lumière céleste dans un cas, ou seulement solaire, dans l'autre, doit permettre au romancier de jouer avec les écrans "oniriques" de l'ombre et de lumière, de mélanger les faisceaux lumineux, comme dans ces fameux dioramas féériques, tableaux animés des métamorphoses d'un paysage. Sur le même plan symbolique, Zola place la rue Magloire en "haut", dans l'espace de la page et choisit d'y situer l'"hôtel" des mariés. Sur la couverture de La légende dorée , que Zola dessine, le Christ marchant sur des ossements, se trouvait de même en haut de l'espace typographique : le tropisme de l'élévation se dissémine à tous les niveaux.
Dans une lettre du 23 novembre 1887, Zola demanda à H.Céard de lui établir les armoiries des sires de Hautecoeur, vieille noblesse dont plusieurs membres étaient morts en croisades. Il fallait au romancier "quelque chose d'empanaché et de ronflant, pas trop compliqué". Céard se mit en quête et proposa à Zola les armes d'un certain Chalo de Saint-Mars, maire d'Etampes sous Philippe I, qui fit voeu d'aller, à la place du roi, en pélerinage au Saint-Sépulcre. Céard a revu et corrigé son blason pour la circonstance. Il s'était plongé dans un très bel ouvrage du XVIIIe siècle en cinq volumes, qui retraçait l'histoire de France et des monarchies. Détail anecdotique : dans le tome II de l'exemplaire aux armes de Marie-Antoinette, devant le blason de Chalo, qui occupe la planche XLI, p.216, se trouve une croix, faite au crayon... très vraisemblablement d'H.Céard. A l'aide de dictionnaires des blasons, il a adapté les armoiries de Chalo à celles des Hautecoeur. Il a conservé l'écu "écartelé" ainsi que les deux croix potencées d'or, accompagnées de "croisettes" aux quatre coins. Toutefois, il a remplacé la feuille de chêne à la bordure d'or par le château des Hautecoeur. Voici, littéralement la description héraldique des armes de Chalo par Montfaucon, qu'on pourra comparer avec celle des Hautecoeur au folio 248 :
Les armes de Chalo et de ses descendans sont de Jerusalem, d'argent à la croix potencée d'or
accompagnée de quatre croisetes de même, à enquerre, écartelé de sinople à l'écu de gueule
chargé d'une feuille de chêne d'argent, à la bordure d'or.Le blason définitif et commenté se trouve encadré par deux chimères, décoratives et honorifiques, dont Zola a peut-être eu l'idée en scrutant la page de titre de La légende dorée.
Le livre d'E.Lefébure (Broderie et dentelles, 1887) est l'une des sources importantes de Zola, relative aux techniques, aux outils et à l'histoire des broderies. La mitre, que Zola schématise dans ses notes, n'est pas représentée sous la forme d'un croquis mais d'une simple notation descriptive très courte, qui en définit la forme générale :
La tête de l'évêque est couverte de la mitre, dont la bande horizontale, ou "circulus",
forme une sorte de couronne, où l'on enchasse souvent des pierres précieuses dans
la broderie. Au milieu s'élève une autre bande verticale qu'on appelle le "titulus".Le romancier a réalisé deux esquisses sténographiques de la mitre, à partir de la bande "horizontale" et de la bande "verticale" qui structurent l'objet. Les deux croquis, rapprochés pour mieux être comparés, ne sont pas équivalents. Le folio 361 renvoie à la première prise de notes sur l'ouvrage de Lefébure, au fil de la lecture, comme le montrent les numéros de page successifs renvoyant au livre, tandis que sur le folio 288, le romancier travaille à l'assemblage du document (la mitre), de la chronologie romanesque (20 juin, 24 juillet) et du récit ("La procession du Miracle. On promène une statue de Sainte-Agnès"). Ces deux états illustrent le processus génétique de réécriture, qui recycle, par strates, le savoir documentaire inscrit dans la fiction, depuis l'extraction brute jusqu'à l'assimilation textuelle.
Dans le roman, la "mitre" sert de prétexte pour mettre en scène la rencontre entre Félicien et Angélique : elle est le cadeau que recevra l'évêque, lors de la procession et qu'Angélique doit confectionner.
Céard a dessiné ces armoiries à partir d'un ouvrage qu'il conseille à Zola : "Consultez aussi la plaquette intitulée Statuts et Ordonnances des maîtres brodeurs, désoupeurs, égratigneurs, chasubliers de la ville, faux-bourgs et banlieue de Paris, chez François Cuissart, rue neuve-Notre-Dame, au bon pasteur, 1719 [...]". Dans le roman, Zola délègue à Hubert la description des armoiries, sur le mode de la nostalgie d'une gloire perdue, à laquelle se rattachent le blason des Hautecoeur, l'évocation du château ou le récit des légendes. Autant d'objets ou d'histoires qui nourrissent le rêve d'Angélique, sa fuite dans un éternel passé lumineux :
Et nous avions des armoiries : d'azur, à la fasce diaprée d'or, accompagnée de trois fleurs de lys de même,
deux en chef, une en pointe... Ah ! C'était beau, il y a longtemps.
Zola a accumulé une documentation importante sur la broderie, en consultant principalement l'ouvrage de Saint-Aubin (L'Art du brodeur, 1770), dont il a extrait des notes verbales et des croquis. L'esquisse du métier à tisser résulte de la schématisation d'une gravure de l'ouvrage, dont le romancier n'a conservé que la structure du cadre (les lattes et les ensubles), éliminant de la représentation l'étoffe et les ficelles, auxquelles il a substitué des broderies à caractère religieux dans le roman. Toutefois, il manquait à Zola une source documentaire qui mît l'objet dans le contexte de son usage professionnel, afin de le faire "vivre", hors de sa source encyclopédique. Il put trouver ce qu'il cherchait dans la belle gravure de la planche 2 du livre, qui représente une scène de travail typique, que Zola a résumée dans les notes qui se trouvent sous le croquis du métier à tisser. Ainsi obtient-il deux éclairages sur l'objet: d'un côté, sa forme et, de l'autre, son utilisation. Sur cette gravure d'un atelier de brodeurs, Zola, qui a "l'hypertrophie du détail vrai", a repéré la bobine au pied de la chaise, sorte d'effet de réel, qui réapparaît textuellement dans le roman.
La notation descriptive du folio 328 correspond à une "broderie en gaufrure" pour laquelle le romancier a résumé la notice explicative de Saint-Aubin, au folio 327 de ses notes techniques. Pour bien visualiser la forme du tissage, il a repris des comparaisons de l'auteur: "cela imite un panier d'osier" puis "Une fleur de lis ainsi bordée d'un fort cordonnet". Ce lis, central et symbolique dans le roman, occupe une place de choix dans les planches dessinées par Saint-Aubin (p.45 ; planche 3, figure 2). Il le montre dans un état de broderie intermédiaire, qui en laisse apparaître le tissage, comme l'explique la légende : "Fleur de lys, commencée à être gaufrée avec les progrès des différents travaux".
En comparant le croquis de Zola et la gravure, on remarque combien le regard et le tracé zoliens interprètent les formes et les motifs d'origine, même dans ce modeste croquis. Pour cet exemple précis, une explication semble s'imposer : ce que Zola veut mémoriser dans son "gribouillis", est surtout l'alternance des fils, caractéristique de la gaufrure, le reste est simplifié ou oblitéré. On est loin de la copie mimétique ou de l'enregistrement passif du réel. Au contraire, en descendant aussi loin que possible dans le détail anecdotique, se trouve toujours, le "regard de Zola" sélectif ou affectif, dans l'exemple de la "bobine", même pour un motif documentaire.
Vers la fin de l'Ebauche, avant que le cadre spatial féodal ne soit transformé en église, Zola s'est documenté sur les éléments architecturaux de défense et de fortification. Dans le Grand Dictionnaire Universel de P. Larousse, il a recopié la définition d'une courtine, des mâchicoulis, d'un meneau et, comme le montre ce croquis, des créneaux. Larousse n'a inséré aucune illustration dans son ouvrage : c'est Zola qui, comme pour le croquis de la "mitre", a dessiné les créneaux à partir des informations textuelles données dans l'article.
Le croquis de la charpente, que Zola a pu trouver dans le Dictionnaire raisonné de l'architecture de Viollet-le-Duc, appartient aux notes sur la "maison des Hubert", écrites à partir des dessins de Frantz Jourdain. Zola complète donc la représentation d'ensemble de la façade (folio 414) par un dessin plus technique, qui lui permet de bien situer les divers éléments qui composent une charpente. En particulier, la position des "jambes de force" attirait son attention, en raison de son usage romanesque. En effet, elle devait confimer et rendre faisable un épisode, dont Zola rêvait depuis longtemps, dès la première vision de la maison, à savoir la visite impromptue de l'amoureux par la façade : "La chambre d'Angélique sur le jardin. Des charpentes, un treillage permettant d'y monter avec danger".