Laurence Sterne d'après Reynolds
Sterne

L’expression "voyage sentimental" a été popularisé par le roman éponyme de Lawrence Sterne : Voyage sentimental en France et en Italie, paru en 1768. Sous le nom de Yorick en référence à Shakespeare, l’auteur y visite la France. Dans la préface, après avoir catégorisé les différentes sortes de voyageurs (les oisifs, les curieux, les "ennuyés", les forcés), Sterne précise ses desseins : "Enfin, le dernier de tous (s’il vous plaît) Le Voyageur sentimental (autrement dit moi-même), moi qui ai voyagé, et qui m’assieds à l’instant même pour vous raconter comment – j’ai voyagé autant par nécessité, par besoin de voyager, que n’importe quel autre membre de cette classe". Il n’est pas indifférent que l’accent passe du mot Voyage (dans le titre) au mot Voyageur (dans la préface). Car le voyage n’est important qu’en tant que révélateur de l’homme. Il est inutile, selon Sterne, de sillonner des terres étrangères dans le seul but d’apprendre (on peut le faire aussi bien chez soi), ni de tenter de comprendre d’autres sociétés si on reste centré sur ses propres préoccupations. Voyager, être ailleurs, c’est au contraire être déstabilisé, bousculé dans ses habitudes de pensée. Pour cela, il faut s’ouvrir aux autres, provoquer les rencontres imprévues, laisser se développer les événements fortuits, favoriser les contacts entre les gens. Importent par dessus tout ces moments de grâce né d’un épisode inattendu. Contrairement aux voyageurs français, Sterne croise des gens de tous les milieux, ne dédaigne personne en raison de ses origines. A l’opposé des Voyages en France d’Arthur Young, le lecteur n’apprend pratiquement rien sur la France mais beaucoup sur ses habitants. Le récit semble s’abandonner aux aléas des circonstances. Il passe d’un sujet à l’autre, trace des portraits, peint des caractères affirmés, alterne anecdotes humoristiques et galantes. Il mêle habilement larmes et ironie. Sterne se veut avant tout subjectif : "Se permettre de tout penser serait manquer de savoir-vivre ; la meilleure preuve de respect qu’on puisse donner à l’intelligence du lecteur, c’est de lui laisser amicalement quelque chose à imaginer".

Les imitateurs vont surtout retenir de Sterne un art assez nonchalant de raconter son périple : Voyage pittoresque et sentimental dans plusieurs des provinces occidentales de la France par le Maréchal Brune en 1788, Les Souliers de Sterne, récits et tableaux de voyages de Charles Monselet (1874).Quant à Joseph Pennel, il décide de refaire à l’identique le trajet effectué un siècle auparavant par Laurence Sterne (On sentimental journey through France and Italy, 1893).